Le Rorschach en Clinique de L'enfant Et de L'adolescent. Approche Psychanalytique-2015 [PDF]

  • 0 0 0
  • Gefällt Ihnen dieses papier und der download? Sie können Ihre eigene PDF-Datei in wenigen Minuten kostenlos online veröffentlichen! Anmelden
Datei wird geladen, bitte warten...
Zitiervorschau

978-2-10-073973-8

Sommaire

PRÉSENTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

V

AVANT-PROPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

VII

CHAPITRE 1 L’ÉPREUVE DE RORSCHACH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE DE L’ÉPREUVE DE RORSCHACH EN CLINIQUE DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT . . . . . . . . . . . .

13

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

CHAPITRE 3 EXPRESSION PROJECTIVE AU RORSCHACH ET DÉVELOPPEMENT PSYCHOAFFECTIF DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 CHAPITRE 4 ILLUSTRATIONS CLINIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

273

TABLE DES MATIÈRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

363

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

367

Présentation

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

C

ET OUVRAGE est

destiné aux étudiants de Master et Doctorat en Psychologie clinique et Psychopathologie, ainsi qu’aux praticiens (psychologues cliniciens, psychologues scolaires) intervenant dans le champ de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et se propose de constituer une référence pour la pratique de cette

épreuve. Il vise à présenter les bases de la pratique de l’épreuve du Rorschach en clinique et en psychopathologie de l’enfant, tant du point de vue méthodologique que du point de vue de l’interprétation clinique. Résolument inscrit dans la perspective ouverte par les fondateurs d’une approche psychanalytique des épreuves projectives, et du Rorschach en particulier (D. Lagache, D. Anzieu, N. Rausch de Traubenberg), et nourri des apports fondamentaux des travaux de C. Chabert, cet ouvrage envisage l’épreuve de Rorschach comme un « dispositif à symboliser », c’est-à-dire comme une situation mettant à l’épreuve les processus de symbolisation de l’enfant dans leur mise en œuvre, leur déploiement et leurs avatars. Cette approche permet de proposer des repères pour une lecture des productions de l’enfant au Rorschach, tout à la fois inscrits dans la perspective du développement psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent et de ses empêchements, tant au plan de l’organisation pulsionnelle que de la structuration du lien à l’objet. En filigrane, se profilera le repérage des différentes formes expressives de l’angoisse et des mécanismes de défense qui contribuent à construire le tableau clinique et psychopathologique de l’enfant et de l’adolescent en appui sur les productions projectives, dans la perspective d’une évaluation du fonctionnement psychique. Ainsi, la démarche psychopathologique se présente-t-elle dans une dynamique de continuité au regard des processus qui sous-tendent l’évolution de l’enfant et de l’adolescent, donnant toute sa place aux ressources et potentiels du sujet en devenir, dans un temps de la vie où la vie psychique se présente dans toute sa plasticité.

Avant-propos

le monde – ou presque – connaît l’épreuve de Rorschach. Elle représente, en quelque sorte, le paradigme des outils du psychologue, elle est sollicitée tout autant par la littérature que par la publicité pour signifier l’accès possible à une part cachée de l’individu et, de ce fait, pour définir le commerce singulier qu’entretient le psychologue avec cette terra incognita que représente l’Inconscient. Avec ses dix cartes1 , composées de taches d’encre organisées autour d’un axe symétrique par la technique du plié/déplié, l’épreuve de Rorschach porte en elle cette part de mystère et de fascination propre à définir la complexité de la psyché humaine. Avec ses dix cartes, et sa consigne qui mobilise l’imaginer, véritable invitation au voyage dans le monde de la création et de la créativité, l’épreuve de Rorschach propose un espace de rencontre privilégié dans la clinique de l’enfant et de l’adolescent. Mais pourquoi, dans ce contexte, un nouvel ouvrage traitant de la pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent ? Quelle est la nécessité d’un tel projet au regard de la littérature disponible en langue française ? En outre, quelle est la légitimité d’un ouvrage portant sur une épreuve dont on pourra fêter bientôt le quatre-vingt-dixième anniversaire de la publication (Rorschach, 1921) et qui a largement fait ses preuves depuis lors dans la pratique des psychologues, aussi bien en France que dans de multiples pays du monde ? En d’autres termes, pour reprendre une interrogation qui m’est largement adressée par des non-spécialistes de l’épreuve, y-a-t-il encore

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

T

OUT

1. Dans le champ de la clinique de l’enfant et de l’adolescent, et au regard des écueils rencontrés dans la pratique clinique, je préfère l’utilisation du terme de carte à celui de planche, dans la mesure de l’ambiguïté de ce dernier substantif : le terme de planche, de par la polysémie qu’il recèle, entretient parfois une confusion dans la situation de passation de l’épreuve, confusion qui tend à brouiller la nécessaire ambiguïté de la situation et qui rend difficile l’interprétation clinique des productions.

VIII

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

quelque chose à chercher, à trouver et à exposer du côté de cet ancêtre des épreuves cliniques qu’est l’épreuve projective de Rorschach ? La recherche en psychologie clinique, dans le champ de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, s’est considérablement enrichie, ces dernières années, de travaux qui ancrent une approche de la personnalité de l’enfant et de l’adolescent dans une perspective psychodynamique : c’est ainsi que je me référerai particulièrement aux travaux issus de la clinique psychanalytique1, dans la mesure où ils autorisent une approche qui prend en compte le sujet, enfant ou adolescent, dans la complexité de ses investissements, tant sur le plan synchronique que diachronique. Le développement d’une clinique du familial et de la transmission (Ruffiot, 1990 ; Roman, 1999) donne corps, par ailleurs, à une inscription des processus concourant au développement normal et pathologique de l’enfant et de l’adolescent dans une histoire groupale des investissements dont il convient d’interroger les ressorts. La recherche en psychologie clinique, orientée sur la clinique des dispositifs, s’est elle aussi attachée à élaborer des positions de cohérence quant au recours aux différents outils du psychologue clinicien : c’est particulièrement à partir du modèle de la cure analytique que se sont déployées un certain nombre de propositions (Anzieu, 1970 ; Chabert, 1997 ; Roussillon, 1995) qui renouvellent les perspectives de la pratique de l’épreuve de Rorschach, tout particulièrement en clinique de l’enfant et de l’adolescent, du fait de l’extrême sensibilité de ce temps de la vie psychique aux effets de processus, et de dispositifs. La discussion, toujours actuelle, autour de la question de la projection participe de cette démarche épistémologique. De plus, la production scientifique consacrée à la clinique projective dans le champ de l’enfance et de l’adolescence se montre particulièrement riche : en témoignent les nombreux articles publiés dans les différentes revues du domaine. Il sera fait ponctuellement référence à ces travaux qui, chacun à leur manière, apportent leur contribution au renouvellement de la pratique du Rorschach (et d’autres épreuves projectives) en clinique de l’enfant et de l’adolescent.

1. S. Lebovici & M. Soulé (1970), R. Misès (1990), D. Marcelli (2009), B. Golse (1994, 1999) pour ne citer que quelques-uns des principaux auteurs à partir desquels se sont construites les références qui constituent le fondement théorique et clinique de cet ouvrage.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

IX

Le sens de cet ouvrage tient donc dans cette double confrontation des avancées psychopathologiques et méthodologiques en clinique de l’enfant et de l’adolescent. Mais cet ouvrage est, avant tout peut-être, un ouvrage de praticien, à destination des futurs praticiens et des praticiens de la psychologie clinique : inscrit dans une position de psychologue clinicien, praticien de l’épreuve de Rorschach (et d’autres épreuves cliniques et projectives), position éclairée par les apports de la recherche actuelle, il se veut résolument orienté sur les enjeux de la rencontre clinique, médiatisée par l’épreuve projective de Rorschach. Les champs dans lesquels se trouve sollicitée la pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent sont vastes et variés : consultation en psychiatrie infanto-juvénile ou en pédiatrie, indication de prise en charge psychothérapique, consultation en psychologie scolaire, consultation et/ou expertise judiciaire dans le domaine de la protection des mineurs, des enjeux des séparations parentales ou de la délinquance des mineurs... La diversité de ces champs de pratique de l’épreuve projective pour le psychologue justifie la nécessité d’un outil privilégié, qui se propose comme unificateur de la pratique du psychologue1 , point de repère méthodologique pour une pratique suffisamment dégagée des enjeux contre-transférentiels auxquels donne nécessairement lieu le choix de l’épreuve par le psychologue.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Rorschach et médiation L’épreuve de Rorschach appartient à ce que l’on peut reconnaître comme les outils de médiation dans le champ de la psychologie clinique. Le terme de médiation est ici à comprendre dans une acception quasi-littérale, au sens où l’épreuve de Rorschach vient se proposer ici comme entremise dans la relation entre l’enfant ou l’adolescent et le psychologue clinicien. L’épreuve, constituée dans sa matérialité d’un jeu de dix cartes standardisées, va ainsi, au même titre que d’autres supports utilisés par le psychologue clinicien (dessins, pâte à modeler, matériel de jeu dans une pratique individuelle, tout comme le photolangage© ou le psychodrame

1. En écho aux propositions lumineuses de D. Lagache sur l’unité de la psychologie (Lagache, 1949).

X

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

dans une pratique groupale..), proposer une configuration particulière de la relation clinique. La principale caractéristique de cette nouvelle configuration tient dans ce que j’ai nommé un dégagement du lien du regard (Roman, 1998), dégagement autorisé par l’introduction de l’objet médiateur qui propose alors une alternative au déploiement des pulsions partielles (particulièrement dans sa valence persécutoire) lié à l’investissement du regard dans la relation clinique. Par ailleurs, la dimension que l’on pourrait qualifier de ludique propre au matériel de l’épreuve de Rorschach (avec ses taches grises et colorées, à la fois étranges et familières,) contribue également à la qualité de médiation. Il conviendra bien sûr de revenir de manière plus précise sur la dimension de jeu instaurée par la proposition de l’épreuve de Rorschach et de spécifier ce qu’il en est de l’ouverture d’une aire de transitionnalité à partir de la situation projective initiée par la proposition de l’épreuve de Rorschach (Chabert, 1997). Cette part de jeu, inhérente à l’épreuve de Rorschach, est bien sûr précieuse pour le psychologue dans sa rencontre avec l’enfant ou l’adolescent : face à des situations qui se déploient de l’inhibition à l’opposition caractérielle, le psychologue se trouve confronté de manière récurrente, dans le cadre de la consultation, à la nécessité d’une médiatisation de la rencontre. C’est dans cette mesure qu’il me paraît important d’insister sur la fonction de l’épreuve projective de Rorschach comme support de la relation clinique, lieu de cristallisation des enjeux transféro-contre-transférentiels, au travers d’une modalité de transfert latéral via le matériel de l’épreuve. En d’autres termes, si l’épreuve de Rorschach, en fonction de l’ambiguïté de sa proposition (nous y reviendrons dans le chapitre consacré à la méthodologie), ouvre l’espace d’un possible dans la rencontre, elle substitue au risque séducteur du regard – en le tenant à distance –, un autre risque, celui de l’offre séductrice propre à la situation de l’épreuve. C’est au sein de cette tension et dans une prise en compte de celle-ci, que va pouvoir naître le sens de la production des réponses face aux cartes de l’épreuve de Rorschach ; c’est dans cet espace que pourra jouer la dimension de l’interprétation1 clinique comme support de l’évaluation de la personnalité de l’enfant et de l’adolescent. 1. Peut-être convient-il plutôt de parler de lecture clinique du matériel recueilli, afin de se prémunir d’un nouveau risque de confusion : si le modèle de la théorie psychanalytique viendra éclairer tout à la fois les enjeux du dispositif de l’épreuve de Rorschach et ceux des données cliniques qui s’y attachent, il ne saurait être question de recourir au modèle de l’interprétation dans le transfert qui

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

XI

Rorschach et pratique de l’examen psychologique Dans la pratique clinique du psychologue auprès d’enfants et d’adolescents, l’épreuve de Rorschach constitue l’un des outils à sa disposition : si j’insiste sur l’intérêt méthodologique d’une référence suffisamment stable à un outil clinique au regard de la diversité des champs de pratique et de la diversité des cliniques rencontrées (cf. supra), il me paraît tout aussi important de situer l’épreuve de Rorschach à une juste place, afin de se départir du risque d’une dérive de type idéologique qui consisterait à ériger cette épreuve en figure idéale et totalisante... si ce n’est totalitaire dans son application. C’est ainsi que si l’épreuve de Rorschach va représenter le socle à partir duquel va se construire la démarche de consultation ou de bilan, il ne représente que l’un des dispositifs auquel le clinicien aura recours. J’ai défendu cette position dans un précédent ouvrage chez le même éditeur, Les épreuves projectives dans l’examen psychologique (2006), auquel le lecteur peut se référer. Cette approche volontairement limitative de l’utilisation de cette épreuve par le psychologue procède d’une double nécessité, en terme de démarche clinique d’une part, et en terme de mise en jeu de potentialités d’écart dans la rencontre d’autre part.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• En premier lieu, pour ce qui concerne la construction de l’intervention

clinique, il s’agit de considérer que la passation d’une épreuve projective telle que l’épreuve de Rorschach s’inscrit dans une démarche globale du psychologue, démarche qui vise à prendre en compte l’enfant ou l’adolescent dans une histoire : histoire d’un symptôme et/ou d’une demande, histoire d’un groupe-famille et d’autres appartenances groupales, histoire d’un lien qui se tisse avec le psychologue et/ou avec l’institution. La proposition de l’épreuve de Rorschach ne peut en aucun cas faire l’économie de l’écoute de la spécificité de la place du sujet dans ces différents réseaux de parole, et elle ne peut que prendre appui sur ceux-ci à partir d’une proposition d’entretien. • En second lieu, la convocation de plusieurs dispositifs cliniques, dans un même espace de consultation, permet de fonder un écart suffisant entre la production du sujet et le sujet lui-même, entre les productions du

spécifie la pratique analytique, mais d’entendre le discours produit sur l’arrière-plan des modalités transféro-contre-transfiérentielles engagées dans la situation projective.

XII

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

sujet confronté à des dispositifs différenciés dans leur sollicitation, entre différents temps de l’histoire du sujet : – la proposition de plusieurs épreuves projectives (épreuve de Rorschach et une autre au minimum) garantit le psychologue face au risque d’une identification de l’enfant ou de l’adolescent à ses productions et, partant, de s’inscrire dans une modalité d’investissement dans le registre de l’objet partiel ; dans cette mesure, la nécessité de la construction d’un dispositif de consultation comportant au moins deux épreuves s’impose ; – la proposition de plus d’une épreuve projective, en référence à la complémentarité des épreuves (C. Chabert, 1998), autorise des sollicitations différenciées : on a ainsi coutume de distinguer épreuves structurales et épreuves thématiques, comme le rappellent D. Anzieu et C. Chabert (1983), pour rendre compte d’une différenciation qui porte sur la qualité des organisateurs du stimulus donné à voir dans le cadre de la passation ; dans le cas des épreuves structurales (dont le Rorschach constitue le prototype 1 ), le caractère non-structuré du stimulus engage l’enfant ou l’adolescent à en proposer une organisation singulière au travers d’une verbalisation qui va contenir les modalités de son rapport au monde au regard de sa structuration interne, alors que les épreuves thématiques (à l’instar du TAT, du CAT ou du Patte-Noire), au travers de leur dimension figurative, explicitement orientée sur l’expression d’une conflictualité, inviteront le sujet à engager ses motions défensives au travers de la construction d’un récit élaboré dans la rencontre avec chaque planche. La différenciation de ces matériels peut se traduire, en termes d’enjeux psychodynamiques (Chabert, 1995), par un appel privilégié des problématiques identitaires-narcissiques dans les épreuves structurales, et objectales identificatoires dans les épreuves thématiques : nous reviendrons par ailleurs sur la manière dont ces enjeux vont venir se croiser dans l’épreuve de Rorschach ; – la proposition d’une rencontre en deux temps différenciés participe également d’une inscription historique de la démarche du psychologue :

1. L’épreuve du Z de H. Zulliger (1959) appartient également au groupe des épreuves structurales dans lequel il me semble également pertinent d’adjoindre une épreuve de dessin comme le dessin libre (Roman, 1993), voire la spécificité de la sollicitation portée par certains éléments de l’épreuve de jeu du Scéno-test (Von Staabs, 1964), en l’occurrence les éléments de construction contenus dans cette épreuve : la portée structurale de ces dispositifs tient dans la contrainte à organiser qu’ils recèlent, en dehors de toute mobilisation a priori figurative.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

XIII

dans la construction d’une histoire à deux, s’appuyant sur une temporalité avec l’enfant ou l’adolescent va pouvoir jouer dans le cours de la consultation, se déploie un espace dans lequel la dimension de l’après-coup peut prendre sens. On le voit, la pratique de l’épreuve de Rorschach avec l’enfant ou l’adolescent ne peut être pensée en dehors du contexte général de la consultation et des modalités de la construction des dispositifs en mesure de soutenir la rencontre clinique. La mobilisation d’autres épreuves projectives, en fonction de l’âge du sujet, viendra apporter un contrepoint indispensable à la passation de cette seule épreuve. J’ai eu l’occasion d’évoquer, de manière incidente et outre l’épreuve de Rorschach, les différentes épreuves projectives à la disposition du psychologue. Je préciserai, dans un chapitre ultérieur1 , de quelle manière ces épreuves pourront être sollicitées au regard de l’âge de l’enfant ; pour l’heure, je présenterai un panorama général des épreuves projectives les plus connues et les plus utilisées dans la pratique clinique (voir aussi sur ce point P. Roman, 2006) :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• Les épreuves graphiques, dessin libre ou dessin à consigne ; citons, parmi

ces dernières, le dessin de famille (Corman, 1961), le D 10 (Le Men, 1966) ou l’AT 9 (Durand, 1988) ; • Les épreuves de jeu, à consigne libre comme le Scéno-Test (von Staabs, 1964) ou la Mallette Projective Première Enfance (Roman, 2004, 20052 ) ou à consigne dirigée comme le test du Village par exemple (Monod, 1973) ; • Les épreuves verbales, à partir d’un support non figuratif (Rorschach, test de Z) ou figuratif (TAT, CAT, Patte-Noire...). Par ailleurs, l’examen clinique gagnera à être éclairé et enrichi de l’articulation avec les éléments issus de la passation d’épreuves cognitives mise au travail, le cas échéant : les modèles de lecture clinique des modalités de structuration des stratégies cognitives, telles qu’elles apparaissent en particulier dans les échelles de Wechsler (WPPSI, WISC) ou dans d’autres

1. Cf infra : Chapitre 3 – Repères pour une pratique, p. 217. 2. La Mallette Projective Première Enfance est un dispositif d’épreuve projective récemment élaboré, épreuve de jeu destinée aux tout-jeunes enfants (6 mois à 4 ans).

XIV

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

épreuves cognitives (K.ABC) seront particulièrement précieux pour donner un cadre méthodologique et théorique à cette articulation1. L’épreuve de Rorschach, pour ce qui la concerne, peut être proposée à l’enfant à partir d’un accès suffisant au langage2 , et, à partir de là, de manière inconditionnelle quel que soit l’âge de l’enfant ou de l’adolescent : le très large champ clinique ainsi couvert constitue, bien sûr, un atout précieux pour le recours à ce dispositif.

1. Voir à ce sujet, en particulier, les travaux de S. Bourgès (1973) ou, plus récemment, de R. Debray (1998), ou de C. Arbisio (2004) et de M. Emmanuelli (2004). 2. Il conviendra de discuter plus précisément, particulièrement avec les travaux de M. Boekholt (1996), la question de l’âge à partir duquel la passation du Rorschach peut être proposée.

CHAPITRE 1

L’épreuve de Rorschach

Sommaire

Histoire d’une pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Page 5

Normalité et pathologie : Rorschach et clinique de l’enfant et de l’adolescent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Page 7

Pour une approche psychodynamique de l’épreuve de Rorschach .

Page 9

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

3

reviendrai pas ici sur l’historique de l’épreuve de Rorschach, traité de manière très documentée en particulier par E. Bohm (1951). Je rappelle simplement que le contexte de l’émergence de la psychanalyse, comme pratique et comme corpus théorique, constitue le fond sur lequel s’élabore le Psychodiagnostic d’H. Rorschach au début du XXe siècle. Si l’on ne peut ignorer l’influence de la pensée psychanalytique sur la mise en œuvre de l’outil clinique du Psychodiagnostic, ainsi que le montre J. Ellenberger (1954), il convient de rappeler que la démarche d’H. Rorschach suivra davantage la voie de la caractérologie, et s’appuiera de manière extrêmement rigoureuse sur une démarche empirique. Le Psychodiagnostic est considéré par son concepteur non seulement comme une épreuve d’imagination (Rorschach, 1921, p. 3), mais également comme une épreuve qui met en jeu la perception et l’idée et implique un travail d’association : H. Rorschach s’appuie alors sur les travaux d’E. Bleuler (il cite le Lehrbuch der Psychiatrie 1 d’E. Bleuler publié en 1916) pour définir les trois termes qui fondent la perception :

J

E NE

« Dans la perception interviennent donc les trois processus de la sensation, du souvenir et de l’association. » (Rorschach, 1921, p. 3).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ainsi, dans les attendus même de la méthode, H. Rorschach indique de quelle manière la dimension de la sollicitation cognitive de l’épreuve a partie liée avec l’engagement du sujet dans son histoire, et la manière dont il va se trouver affecté par le stimulus qui lui est proposé. Peut-être convient-il d’ajouter également deux points d’ancrage de la méthode d’interprétation libre de taches fortuites dans le champ de l’imaginaire et des dispositifs de symbolisation, dont la pratique de l’épreuve de Rorschach auprès d’enfants et d’adolescents ne peut faire l’économie : • En premier lieu, mentionnons les propositions de L. de Vinci, parues à

Vienne en 1882 sous le titre Buch von der Malerei 2 , qui font apparaître tout l’intérêt psychologique de l’interprétation des taches, alors même qu’A. Binet, en 1895, fut le premier à proposer un dispositif d’évaluation de l’intelligence à partir des taches d’encre ; • En second lieu, indiquons le déploiement du vaste mouvement artistique de l’expressionnisme, et de l’expressionnisme allemand en particulier, qui met l’accent sur l’émergence de la résonance intérieure (Kandinsky, 1912) et sur l’ancrage perceptif de cette trace au travers de la production 1. En français : Manuel de Psychiatrie. 2. En français : Livre de la peinture.

4

L’épreuve de Rorschach

picturale ; H. Rorschach, quant à lui, parlera de Type de résonance intime pour traduire les modalités selon lesquelles le sujet va se laisser affecter1 par le stimulus. Si nous n’avons pas de preuve formelle d’une rencontre entre les travaux de l’expressionnisme abstrait et du suprématisme d’une part et l’invention par H. Rorschach de son épreuve des taches d’encre d’autre part, plusieurs indices nous poussent à faire l’hypothèse que ces démarches s’inscrivent, à tout le moins, dans un même faisceau de préoccupation, voire d’un même réseau de sens, que l’on peut résumer, de manière un peu caricaturale de la manière suivante : il s’agit pour l’un comme pour l’autre de faire émerger, à partir du support graphique et/ou pictural, l’essence de la vie psychique, dans une démarche qui emprunte au processus de la création (création de formes et de couleurs pour le peintre, création de représentation face à des formes et des couleurs présentées au sujet pour le clinicien2 ). Quelques éléments factuels, liés à la biographie d’H. Rorschach, permettent de donner corps à cette hypothèse même si à ce jour aucune donnée formelle ne permet d’attester d’une influence directe d’un mouvement pictural sur l’invention du Psychodiagnostic : • L’on sait qu’H. Rorschach, issu d’une famille d’artistes et artiste lui-même,

a séjourné en Russie, qu’il y a travaillé et qu’il s’est marié avec une jeune femme russe ; • La Russie est le pays d’où est originaire W. Kandinsky, pays qu’il a quitté pour l’Europe de l’Ouest dès le début du XXe siècle ; • La lecture de l’ouvrage princeps de W. Kandinsky, Du spirituel dans l’art (1912), tend à conforter la congruence des approches des deux auteurs, autour de la quête d’une voie d’expression de la subjectivité au travers du médium de la création. La correspondance d’H. Rorschach, publiée en 2004, et qui concerne principalement la période où il est en Russie (où il vivra quelques temps, jeune marié, avec sa femme), porte essentiellement sur ses occupations professionnelles et sur l’attention qu’il porte à sa famille laissée à distance. Cette correspondance laisse toutefois entrevoir les préoccupations de son entourage, et de F. Minkowska en particulier, pour les mouvements artistiques contemporains : cette dernière, en particulier, associait H. Rorschach 1. Voir infra : La cotation, clinique de la production projective, p. 62. 2. On peut à ce sujet se référer à l’un des textes de l’auteur qui aborde ces questions : P. Roman (2007), in « Cliniques de la création ».

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

5

et V. Van Gogh, les considérant dans une parenté avec elle-même dans leur qualité d’être « sensoriels1 ».

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Histoire d’une pratique La pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique infanto-juvénile est une pratique ancienne, qui s’est développée assez rapidement dans le fil de la publication de son ouvrage Psychodiagnostic par H. Rorschach (1921). M. Leichtmann (1996), dans un ouvrage abordant une perspective développementale de la pratique du Rorschach en clinique infantile, rappelle que cette pratique s’inscrit sur l’expérience d’un jeu populaire, chez les enfants, jeu consistant en la réalisation de taches d’encre et le décryptage de celles-ci. H. Rorschach, quant à lui, ne prend pas en compte de manière explicite la population infanto-juvénile pour l’élaboration de sa méthode et il faudra attendre, en Europe, les années 1930 et les travaux de M. Loosli-Ustéri (1929, 1932, 1934) pour une formalisation de la pratique du Rorschach auprès d’enfants et d’adolescents : en 1938, M Loosli-Ustéri propose le premier manuel pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique infantile, manuel qui comprend tout à la fois des éléments concernant la spécificité de la méthode et les fondements de l’interprétation des protocoles au regard de l’apparition des différents facteurs mis en évidence dans la production des réponses. Dans la lignée de ce travail, on doit à C. Beizmann (1961) la poursuite de l’investigation des avancées cliniques et psychopathologiques de l’épreuve de Rorschach : C. Beizmann mettra tout particulièrement l’accent sur une approche clinique et génétique de l’épreuve, en tentant de dégager de manière systématique des modalités de traitement perceptif et d’expression différenciés en fonction de l’âge de l’enfant. Aux États-Unis, il semble que c’est un peu plus tardivement, essentiellement avec les travaux de B. Klopfer (1942) puis ceux de F. Halpern (1953), que se sont construites les bases de la pratique de l’épreuve de Rorschach auprès des enfants et des adolescents. Depuis, s’est déployée une pratique constante de l’épreuve dans ce champ de la clinique. Les travaux de J. Exner (1974), qui se sont employés à élaborer 1. Cf. H. Rorschach, Briefwechsel, p. 88.

6

L’épreuve de Rorschach

un « système intégré » pour la pratique de l’épreuve de Rorschach, prennent d’ailleurs en compte la pratique auprès d’enfants et d’adolescents. Qu’en est-il du développement de la pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique infanto-juvénile en France ? N. Rausch de Traubenberg (1997), à qui l’on doit l’inscription de cette pratique dans la pratique des psychologues cliniciens intervenant dans des institutions accueillant des enfants et des adolescents (secteur hospitalier général et psychiatrique, institutions de l’enfance inadaptée, centres de consultations), rapporte la période héroïque, à la fin des années 1940, de l’introduction de l’épreuve de Rorschach dans les services de psychiatrie infanto-juvénile : il s’agissait alors de vaincre des résistances et de proposer un nouveau modèle d’investigation de la personnalité prenant en compte la dynamique de la vie psychique et les différents registres de conflictualité qui l’anime. Je crois que l’on peut dire, en ce sens, que l’épreuve de Rorschach, au travers de l’engagement clinique qu’elle requiert, est ainsi venue soutenir un mouvement de pensée qui a accompagné la naissance de la psychiatrie et de la psychopathologie infanto-juvénile contemporaine. Il faut considérer que cette période correspond également à l’émergence de la pratique du psychologue, pratique fondée sur un métier dont la spécificité s’est construite progressivement, particulièrement dans un double mouvement d’appui et d’écart au regard du modèle médical. L’épreuve de Rorschach, créée par un médecin psychiatre suisse allemand, devenait alors l’un des outils à partir desquels le psychologue allait pouvoir revendiquer sa différence et, par là-même, son identité... Les travaux de N. Rausch de Traubenberg en collaboration avec M.F. Boizou (1977) ont largement contribué à un ancrage de la pratique de l’épreuve de Rorschach dans le champ de la psychologie clinique en proposant l’élaboration de repères, dans une perspective résolument clinique, autour de l’articulation entre normalité et pathologie au décours du développement psychoaffectif de l’enfant. En prolongement de ces travaux, l’équipe du Laboratoire de psychologie projective de l’Université R. Descartes-Paris V, et M. Boekholt (1996) et M. Emmanuelli (1992, 2004, 2009) tout particulièrement, a affirmé l’inscription de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent, en affinant l’ancrage de cette pratique dans le référentiel de la théorie psychanalytique, en appui sur les travaux menés en clinique adulte par C. Chabert (1997, 1998), à la suite des travaux de D. Anzieu (1970).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

7

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Normalité et pathologie : Rorschach et clinique de l’enfant et de l’adolescent On le sait, la clinique de l’enfant et de l’adolescent confronte de manière spécifique le psychologue à d’importants questionnements sur la définition d’une norme à l’aune de laquelle pourraient se mesurer des écarts permettant de définir une psychopathologie. En effet, la difficulté à circonscrire une structure psychique de l’enfant, et peut-être plus encore une structure psychique de l’adolescent, mais également l’instabilité des aménagements dans un temps dominé par la maturation et le développement des différents organisateurs et des différentes fonctions de la vie psychique, placent le clinicien d’une part dans la nécessité de ne pas s’arrêter à une définition restrictive de la normalité et d’autre part à interroger la dynamique des processus, au regard des différentes étapes du développement psychoaffectif. La définition de la normalité dans le champ de la clinique de l’enfant et de l’adolescent est une question complexe. D. Marcelli (1996) en borne les contours, à partir des différents points de vue qui permettent son élaboration : celui de la conduite, de la structure, du développement et de l’environnement. Je retiendrai de ses propositions la nécessité de l’inscription du symptôme dans le contexte des engagements relationnels de l’enfant : l’interrogation du clinicien portera moins alors sur le caractère pathologique de tels conduite ou symptôme que sur la manière dont ceux-ci témoignent d’un potentiel organisateur ou désorganisateur. C’est à ce point que l’épreuve de Rorschach représente un analyseur privilégié de la vie psychique de l’enfant : l’analyse des modalités de prise de position de l’enfant ou de l’adolescent à l’égard de la situation projective rend compte en effet, au travers des arbitrages intrapsychiques qu’elle sous-tend, du registre des aménagements présents, dans l’implicite des organisateurs de la réponse proposée face à la planche... Cette dimension vient singulièrement s’actualiser dans une forme spécifique de l’organisation défensive, que l’on peut définir avec la notion de défense paradoxale (Roussillon, 1991), dont j’ai proposé de travailler une expression particulière autour de la figure du clivage à l’adolescence (Roman, 2000). Car au regard des questions liées à l’articulation du normal et du pathologique, le temps de l’adolescence constitue bien un temps singulier, qui condense, d’une certaine manière, les enjeux de cette intégration :

8

L’épreuve de Rorschach

l’adolescence constitue, en effet, ce temps énigmatique au travers duquel se trouvent intriqués processus progrédients et régrédients, mouvement vers la vie et mouvements pris dans la mort. Les mouvements psychotique (Chabert, 1990) et mélancolique (C. Chabert, 2003) qui infiltrent l’adolescence constituent des analyseurs privilégiés de la capacité de l’épreuve de Rorschach à accompagner les différents aléas de la vie psychique, et à les inscrire dans une discussion clinique, à laquelle les données issues de l’investissement dans la relation ne sont pas étrangères. Le choix de la référence au modèle freudien du développement libidinal (en référence aux différentes étapes d’organisation de la pulsion), en appui sur les modèles métapsychologiques de la première et de la seconde topique, tient dans le souci d’une cohérence entre une théorie du dispositif clinique et une théorie de la personnalité. De plus, une telle référence inscrit la pensée d’une continuité dans le déploiement des processus, sans rupture entre normalité et pathologie. C’est à partir de cette continuité que le travail de la clinique, en appui sur l’épreuve de Rorschach, peut trouver son sens. Au-delà, il s’agit bien sûr de l’enjeu de la définition diagnostique de la personnalité de l’enfant ou de l’adolescent : celle-ci ne peut, à mon sens, se résoudre dans le simple repérage des éléments comportementaux, ainsi que le proposent les classifications américaines telles que le D.S.M.1 et elle doit prendre en compte à la fois les éléments dynamiques de la personnalité de l’enfant, et la perspective de son évolution. En d’autres termes, on ne peut référer à la pathologie une conduite et/ou un comportement sans en élaborer le sens au regard de l’histoire de l’enfant ou de l’adolescent. Je rejoins sur ce point les positions défendues par M. Boekholt (1993), dans son ouvrage consacré aux épreuves thématiques en clinique infantile, concernant la référence à une psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent construite dans une perspective trans-nosographique et qui met l’accent sur les espace-frontières : M. Boekholt (1993, p. 7) évoque à cet endroit l’intérêt de la prise en compte des « variations de la normale ou des confins de la pathologie », comme témoins de la richesse et de la complexité de la clinique de l’enfant et de l’adolescent. L’épreuve de Rorschach est, en quelque sorte, au service de cette richesse et de cette complexité, dans ce qu’elle cristallise de l’investissement de la limite : – limite entre le réel et l’imaginaire, 1. D.S.M. : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publié par l’Association Américaine de Psychiatrie.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

9

– limite entre la forme et le fond, – limite entre le dedans et le dehors... C’est à partir de la confrontation à ces différents registres de la limite, engageant la triple dimension de l’intrapsychique, de l’intersubjectif et du trans-psychique, que l’enfant ou l’adolescent va pouvoir témoigner, à partir de sa production, de ses organisateurs inconscients. Dans cette orientation psychodynamique, une classification constituera toutefois l’arrière-plan des développements de cet ouvrage sur l’apport de l’épreuve de Rorschach à la clinique de l’enfant et de l’adolescent : il s’agit de la Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, publiée et actualisée sous la direction de R. Misès (2012), et s’appuyant tout particulièrement sur les travaux de S. Lebovici (1970, 1985). Cette classification permet d’organiser, de manière souple et non-univoque, une pensée des principaux troubles et de leur configuration. En tout état de cause, l’objectif de cet ouvrage n’est pas celui de l’élaboration d’une psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent au Rorschach, mais bien plutôt celui de la construction d’un repérage clinique en mesure de soutenir une pensée de la dynamique de la vie psychique à partir de l’offre de création qui est contenue dans la proposition de la passation de l’épreuve de Rorschach.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour une approche psychodynamique de l’épreuve de Rorschach Je l’ai dit, mon projet est ici celui de l’inscription de la pratique de l’épreuve de Rorschach dans une théorie de la méthode, qui soit en mesure de rendre compte tout à la fois des enjeux de la proposition de l’épreuve de Rorschach dans la clinique et d’une analyse dynamique des productions de l’enfant et de l’adolescent : le choix du modèle de la métapsychologie freudienne, qui traversera en filigrane cet ouvrage, s’appuie sur sa pertinence à assurer une continuité de pensée entre les enjeux de la méthode et les enjeux de la clinique, à partir d’une mise en jeu du travail de la symbolisation1 .

1. En ce sens, cet ouvrage est un prolongement, et un déploiement, d’un certain nombre d’hypothèses défendues dans le cadre d’un ouvrage collectif : P. ROMAN & Coll., Projection et symbolisation chez l’enfant, Lyon, P.U.L. 1997.

10

L’épreuve de Rorschach

La poursuite des hypothèses avancées par H. Rorschach en appui sur les propositions d’E. Bleuler me conduira à développer de nouvelles perspectives dans le champ de la théorie psychanalytique et des avancées actuelles de celles-ci, en particulier en référence aux travaux de R. Roussillon (1995) sur la métapsychologie des processus. C. Chabert (1995) insiste dans ce sens sur l’outil exceptionnel que représente la théorie psychanalytique, en mettant l’accent sur le fait qu’elle permet de mettre au travail les processus engagés dans la rencontre projective1 : la clarification épistémologique que cette position contient (ce n’est pas l’épreuve projective elle-même qui est l’objet de l’interprétation mais le fonctionnement psychique du sujet) est à même de dégager la pratique de l’épreuve de Rorschach du flou dans lequel elle est bien souvent tenue, voire attaquée, dans la réduction de sa portée à une dimension psychométrique2 . La rencontre avec la planche de Rorschach sera ici considérée comme instaurant une butée aux opérations de symbolisation de l’enfant ou de l’adolescent confronté au dispositif clinique de la passation. La nécessité de structurer l’informe de la tache engage en effet la plasticité des organisateurs de la vie psychique. Dans cette perspective, la proposition de l’épreuve de Rorschach permet de mettre à jour, au décours des modalités de production de l’enfant ou de l’adolescent, une histoire de ses processus de symbolisation : en effet, la situation projective vient offrir l’espace d’une répétition au regard des premières expériences de symbolisation de l’enfant. C’est à la lumière de ce qui peut se décrypter de la forme et de la qualité de cette répétition que seront interrogées les productions face à la planche3 .

1. Signalons ici la parution récente (2014) d’un numéro d’hommage de la revue Psychologie clinique et projective (Erès), en particulier consacré aux apports de N. Rausch de Traubenberg, sous le titre : Aux fondements psychanalytiques des méthodes projectives. Les travaux contenus dans cette publication apportent un éclairage précieux sur l’inscription de la pratique des épreuves projectives dans l’épistémologie psychanalytique. 2. Les propositions méthodologiques de J. Exner, aux États-Unis, reprises de manière prophylactique dans la formation des étudiants en particulier en France, contient à mon sens ce risque : traduire la vie psychique d’un sujet en données statistiques, par ailleurs fort savamment construites... dans la tenue à distance de l’engagement dans la rencontre. Les données recueillies – et le cas échéant, transmises à des tiers – comportent alors essentiellement une dimension technique, en appui d’une définition elle aussi statistique d’une symptomatologie psychopathologique (D.S.M.). 3. Voir infra : Méthodologie de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfance et de l’adolescence, p. 13.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

11

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le projet de cet ouvrage sera donc de proposer, dans une continuité au regard des travaux menés par C. Chabert (1997, 1998) en clinique adulte, ici dans la spécificité de la clinique de l’enfant et d’adolescent : 1. Une lecture des conditions méthodologiques de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent qui prenne en compte à la fois la spécificité de la rencontre avec le matériel et les modalités d’élaboration de la production projective ; 2. La mise en lumière d’un certain nombre de problématiques qui traversent les étapes du développement libidinal de l’enfant, soutenant son évolution, tout en constituant des marqueurs ; 3. La présentation de quelques repères cliniques, construits en appui sur la présentation de protocoles, en lien avec les principaux organisateurs du développement psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent ; 4. Le développement de situations de consultation en psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent dans le projet d’une mise en perspective des propositions contenues dans cet ouvrage au regard de la démarche praticienne du psychologue clinicien en appui sur l’épreuve de Rorschach. Par ailleurs, l’ensemble des propos de cet ouvrage sera référé à des productions Rorschach, dans la perspective d’une illustration de la démarche méthodologique et de lecture clinique proposée ici, sous la forme de courtes présentations de protocoles d’enfants ou d’adolescents et/ou de parties de ceux-ci. Les protocoles qui constituent les illustrations cliniques de cet ouvrage sont issus de différents cadres praticiens : cadre de pratique de consultation privée ou publique, de bilan en institutions, dans le champ judiciaire et cadre d’une pratique de recherche (groupes témoins et groupes-contrôle non consultants). Le recueil de plusieurs centaines de protocoles de Rorschach d’enfants et d’adolescents, garçons et filles âgés de 3 à 19 ans, avec parfois des situations de re-test, sur une période de près de trente ans, autorise un regard large et diversifié sur les différentes formes d’expression clinique face à l’épreuve.

CHAPITRE 2

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Sommaire

Épreuve de Rorschach et travail de l’image . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Page 16

Propositions de méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Page 37

Clinique de la réponse au Rorschach . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Page 76

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

15

’ENJEU de ce premier chapitre sera de poser les bases de la pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent à partir des différents points de vue qui concourent à en fonder la pertinence. J’ai annoncé, en introduction de cet ouvrage, l’importance que j’attache à la définition de la méthodologie et à sa discussion, pour ce qui nous intéresse ici, des dispositifs cliniques. En effet, si la méthode permet de mettre en œuvre les conditions d’observabilité de la clinique (à partir des contraintes contenues dans le dispositif même, dans sa dimension technique, voire technicienne), la méthodologie, quant à elle, dans sa dimension méta, vient interroger les écarts et les tensions au cœur desquels se situe la méthode : écart et tension entre la méthode et la (les) théorie(s) qui la sous-tendent, écart et tension entre la méthode et la (les) clinique(s) à la rencontre de laquelle celle-ci se confronte. J’ai eu l’occasion de défendre (Roman, 1997), et je reviendrai sur ce point, la manière dont la rencontre avec l’épreuve de Rorschach mobilise l’activité de symbolisation du sujet mais, au-delà, mobilise l’histoire du déploiement de ses processus de symbolisation. Voici le point-pivot des propositions méthodologiques que je présenterai dans le présent chapitre, en appui sur une conception, largement partagée pour ce qui concerne le champ de la pratique clinique (et en référence au modèle de la cure analytique), de la fonction de butée du dispositif : le dispositif vient se proposer dans sa résistance aux manifestations de la psyché, résistance que l’on va pouvoir aborder à partir de trois axes principaux :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L

– celui de la répétition, – celui de l’affect, – celui de la négativité. En d’autres termes, il s’agira d’interroger, au travers des productions de l’enfant ou de l’adolescent face à l’épreuve de Rorschach, de quelle manière vont se rejouer, dans l’espace singulier de la passation, des expériences ayant à voir avec l’histoire des processus et des investissements, de quelle tonalité affective ces expériences se trouvent connotées et, enfin, selon quelles modalités elles vont être mobilisées par le travail du négatif (refoulement, déni...). Les propositions méthodologiques qui vont suivre s’appuieront sur trois grands groupes de considérations : celles qui ressortissent d’une part des enjeux perceptivo-projectifs de la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach, d’autre part des conditions de mise en œuvre de la méthode et, enfin, de la clinique des réponses.

16

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Épreuve de Rorschach et travail de l’image L’épreuve de Rorschach est née au siècle de l’image : photographie, radiographie, cinématographie... tous ces modes de saisie de l’image et de mise au travail de celle-ci ont contribué, de diverses manières et dans des projets et perspectives variés, à la construction d’un savoir spécifique, ainsi que le note M. Sicard (1994). Ce savoir s’appuie sur un travail de déconstruction de l’objet, travail que l’on peut rapporter, dans le champ des arts plastiques, à différents mouvements, de l’expressionnisme de W. Kandinsky au suprématisme de K. Malévitch, sans oublier le constructivisme de K. Schwitters, pour ne citer que quelques-unes des figures saillantes qui ont contribué à enrichir l’élaboration de la place de l’objet dans le champ de la peinture moderne. Ce travail de déconstruction initié par les techniques « optiques » au début du XXe siècle, met en jeu une double transformation du lien du regard : • En premier lieu, l’objet représenté acquiert un statut de permanence

singulier, l’image photographique opérant un détachement radical entre l’objet d’une part et l’image de l’objet d’autre part, du fait de la réplication à l’identique ; • En second lieu, l’objet représenté va quitter son statut d’entité indéfectible au travers des transformations subies par la traversée des enveloppes que permet la radiographie, qui organise de premières représentations de l’intérieur du corps. C’est dans ce contexte d’incertitude, voire de vacillement du statut de l’objet, que doit se comprendre la place d’un dispositif clinique tel que l’épreuve de Rorschach, à la fois sur le plan historique pour en expliciter les conditions d’émergence et, fondamentalement, sur le plan de l’offre faite dans le cadre de la relation clinique : la proposition de l’épreuve de Rorschach à un enfant ou un adolescent met en jeu une démarche de déconstruction/reconstruction de l’image au regard du caractère astructuré du matériel : • en tant qu’il se présente dans une radicale « étrangèreté » (« cela ne

ressemble à rien ») ; • en tant qu’il évoque un connu qui échappe, mais dont il s’agira de préciser les contours et les enveloppes (« cela me rappelle quelque chose mais quoi ? »).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

17

Tout comme l’image (fixe ou animée, photo – ou radiographique...), dans son émergence au travers des premières techniques, l’épreuve de Rorschach place l’enfant ou l’adolescent face à l’intrication d’un familier et d’un non-familier, que l’on peut référer à l’Unheimlich de S. Freud (1919), et dont la psyché aura à dénouer les fils, au travers de la proposition d’une figuration suffisamment acceptable. Il peut être ici l’occasion de rappeler que c’est au regard de ce contexte scientifique et technique du début du siècle dernier que furent baptisées projectives les méthodes cliniques engageant les mouvements perceptifs dans un projet d’interprétation : en 1939, L. Frank, aux États-Unis, propose en effet la dénomination de projective methods pour les dispositifs cliniques dont la consigne sollicite la participation de l’expérience subjective dans la production de la réponse – en opposition à des dispositifs qui seraient réputés mobiliser exclusivement une participation cognitive. La référence à la projection est alors triple, dans ses implications mathématique, physique et optique (Anzieu, 1970) et sont répertoriées comme méthodes projectives les épreuves alors disponibles pour les cliniciens : épreuve d’association de mots de C.-J. Jung, épreuve de Rorschach et TAT (Thematic Aperception Test) de Murray.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les planches de Rorschach : jouer avec les taches

Avec D.-W. Winnicott (1971), le jeu prend une place centrale, tout particulièrement dans le champ de la clinique de l’enfant – et, par extension, dans celui de la clinique de l’adolescent – particulièrement lorsque l’on aborde la question de la place des dispositifs d’investigation de la personnalité : le jeu en constitue tout autant le support matériel à partir duquel va pouvoir se construire la relation clinique, que le processus de référence mobilisé dans le lien et/ou la métaphore pour figurer les mouvements engagés par la psyché. Sur le versant de l’expérience, le jeu conduit à interroger le rapport aux expériences précoces de l’enfant ou de l’adolescent, en tant qu’il constitue le support du développement libidinal au décours de la construction du monde. Sur le versant du processus, le jeu mobilise les potentialités de l’enfant ou de l’adolescent à s’engager dans le « comme si », au sens de l’investissement d’une aire d’illusion, soutenant le déploiement de l’imaginaire.

18

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach



Expérience du jeu et hallucination La problématique du jeu, on le sait, ne peut être séparée de celle de l’objet, et de la prise de position subjective dans l’expérience de la rencontre avec celui-ci. Les propositions de D.-W. Winnicott sur l’objet trouvé-créé et sur les conditions d’instauration de celui-ci témoigne de l’engagement fondateur du jeu dans l’établissement des liens de l’enfant avec son environnement. Il est toutefois un point sur lequel je souhaite insister, particulièrement dans ce qui nous intéresse ici de la confrontation à l’image engagée par l’épreuve de Rorschach : on ne peut couper l’expérience du jeu d’une autre expérience, plus archaïque, qui est celle de l’hallucination. D’une certaine manière, le modèle de l’hallucination (Freud, 1900), construit à partir de l’expérience de la satisfaction, croise cette première conception de l’objet : pour que l’objet soit investi par la psyché, il y a nécessité, pourrait-on dire, qu’il soit désiré 1 par lui. Ainsi, c’est de la rencontre entre un objet qui se propose, qui se présente – pour reprendre une formulation de D.-W. Winnicott (object presenting) – et un sujet en tension, que s’inaugure l’espace d’une intériorisation potentielle, le creusement d’une profondeur de la vie psychique permettant d’accueillir l’altérité de l’objet. Dans le modèle de l’hallucination, c’est de l’absence que s’origine la tension : absence du sein de la mère, absence de la satisfaction du désir. La construction de l’objet et, au-delà, son intériorisation, viserait alors à pallier l’absence. Le creusement d’une intériorité propre à accueillir l’objet et ses qualités procéderait de la nécessité de différer une rencontre. L’hallucination vise à construire au-dedans ce qui fait défaut au-dehors et c’est tout en même temps dans l’espace qui va s’instaurer entre ces deux topiques (différenciation dedans-dehors) et dans la reconnaissance de l’adéquation entre la production de l’enfant (l’image hallucinée) et l’expérience de la réalité interne (matérialisée par le retour du sein de la mère), que s’établit la première expérience de jeu accessible à une élaboration secondarisée. Là se situe le paradoxe au sein duquel D.-W. Winnicott (1971) nous propose de travailler : c’est de l’absence de l’objet que naît l’objet, c’est de sa création interne à la psyché que dépend une potentielle rencontre dans la réalité externe. L’objet n’est pas donné en-soi, il se construit en appui sur les expériences proposées par l’environnement et l’on peut dire que le jeu

1. Le terme de désir est ici à entendre dans son acceptation la plus primaire, comme traduisant une tension en direction de l’objet.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

19

va contenir, fondamentalement pour l’enfant, une fonction de dégagement, d’échappée à I’égard de la situation de chaos et d’indifférenciation des expériences primaires. Au travers de cette déconstruction de la position de l’objet, on voit apparaître en filigrane la question du dispositif méthodologique qui autorise le repérage de son émergence : l’objectif de la méthode est alors de construire la réalité psychique comme objet spécifique, dans une circulation paradoxale impliquant les positions respectives du sujet et de l’objet.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Épreuve de Rorschach et jeu de la bobine Le jeu de la bobine décrit par S. Freud (1920) permet de figurer la problématique de la construction de la différenciation entre réalité interne et réalité externe à partir de la mise au travail de l’hallucination dans l’expérience de l’absence. À mon sens, le jeu de la bobine constitue une figuration paradigmatique de la situation projective, et de la situation clinique ouverte par l’épreuve de Rorschach en particulier. Ici, ce n’est pas avec la bobine que l’enfant est appelé à jouer mais avec les taches et, au-delà, avec les éprouvés et les images-souvenirs qui en accompagnent la perception (Rorschach, 1921, p. 5). Dans le contexte d’une participation transitionnelle de la scène projective, évoquée précédemment avec la référence à l’expérience du trouvé-créé, je propose que la situation de passation de l’épreuve de Rorschach puisse être pensée en lien avec le jeu de la bobine de par la qualité de son élaboration dans le projet de faire advenir une représentation de l’absence – et non pas seulement de l’objet absent. Une telle approche du jeu me paraît constituer une modélisation suffisamment complexe pour pouvoir s’en saisir, à titre heuristique, dans l’exploration méthodologique qui sous-tend la présentation de la situation projective. Dans le jeu de la bobine, le fil représente ce lien entre l’éprouvé de la présence et l’éprouvé de l’absence, alors même que la bobine figure un objet en devenir, instable dans sa présentation, encore en risque de faillite quant à sa permanence. Ainsi, le stimulus présent sur la planche de Rorschach pourrait-il représenter la bobine, alors même que la consigne1, portée par le psychologue dans le cadre de la relation clinique, figurerait une trace du fil 1. La question de la consigne est, à mon sens, une question extrêmement sensible dans ce qu’elle engage de l’épreuve de la symbolisation. Nous y reviendrons dans la prochaine partie, consacrée aux propositions de méthode.

20

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

dont le sujet aurait à se saisir dans le projet de la production verbale de la réponse. J’ai déjà affirmé que la situation projective permet que se rejoue un éprouvé des expériences primaires, dans la mesure où elle se construit, comme cadre pour symboliser, dans la continuité du premier cadre de symbolisation de l’enfant qu’est la mère. C’est dans la mesure de la perméabilité des espaces internes et externes de l’enfant – culminant, de ce point de vue, dans les expressions adolescentes – et de la plasticité des mouvements intrapsychiques qui les mobilisent, que les modalités d’investissement de ce dispositif auront à être repérées. Dans ce cadre, et en référence avec le jeu de la bobine, il me semble que l’on peut retenir trois indices qui reprennent les trois organisateurs de ce jeu, dans le projet de repérer les points de butée des opérations de symbolisation dans la confrontation à l’épreuve projective. Il s’agira de distinguer : • la qualité et l’efficience des procédures de différenciation du stimulus, qui

témoignent de la reconnaissance de l’objet, dont C. Beizmann (1970) a pu décrire l’évolution dans le champ de la clinique infantile et au regard desquelles j’attache une importance toute particulière quant à la dynamique qui s’établit entre la figure et le fond de la planche ; • les modalités d’investissement de la motricité sur l’axe décharge/intériorisation, en ce qu’elles rendent compte d’une part de la potentialité d’instauration de la permanence de l’objet et d’autre part de l’établissement d’une aire de jeu interne ; • la nature du recours au langage, en tant que support opérationnalisant la réponse face à la planche de l’épreuve de Rorschach, tant dans une lignée élaboratrice que régressive. C’est essentiellement dans le langage – y compris dans les blancs de celui-ci – que se traduira le niveau d’élaboration de la symbolisation et que s’exprimeront tout particulièrement ce que je nomme les catastrophes de symbolisation (ratés de la verbalisation, ruptures, glissements, confusion...). ➤

Jeu et objet Dans la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach, se trouve ainsi mise en jeu la manière dont le sujet va être en mesure de répéter quelque chose de l’expérience du lien à l’objet. Dans cette perspective, il me semble que l’on peut, à la suite des travaux de D.-W. Winnicott (1971), décrire en trois temps distincts l’histoire de

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

21

l’objet et de ses avatars, trois temps consistant en trois modalités de rencontre et de construction de l’objectalité, tout à la fois spécifique, et articulées : 1. L’épreuve de la destructivité, où il est question de la destruction, dans la violence, de l’objet chargé des motions haineuses liées à la rencontre menaçante de l’altérité ; 2. L’épreuve de la perte, dans le face à face au vide laissé par l’objet, vide laissé par la trace de l’objet dans la vie psychique ; 3. L’épreuve du trouvé-créé, consistant à faire exister l’objet dans la continuité de l’expérience subjective, permettant une mise en jeu des objets internes sur un fond de stabilité et de sécurité suffisantes.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

De l’énoncé de ces configurations, émergent trois grandes lignées cliniques, que la confrontation à l’épreuve de Rorschach va permettre de repérer. Dans une perspective diachronique, ces trois lignées peuvent apparaître comme des marqueurs des procédures d’élaboration du lien à l’objet. C’est dans cette perspective que l’on peut appréhender une histoire des procédures de symbolisation, au travers de ce qui se construit – se reconstruit, pourrait-on dire – dans la rencontre avec le matériel de l’épreuve projective. Dans une perspective synchronique, la coexistence d’éléments appartenant à différentes lignées et porteurs d’une inscription historique spécifique enrichit la lecture clinique des protocoles d’enfants ou d’adolescents. Ce sont ces lignées cliniques que je souhaite pouvoir accompagner au fil de la clinique de l’épreuve de Rorschach, en proposant d’ores et déjà quelques indicateurs de leur expression projective, afin de structurer une clinique de l’objet au Rorschach, qui seront regroupés autour de quatre pôles principaux : 1. Celui de la discrimination du stimulus, qui rend compte des modalités d’investissement, par l’enfant ou l’adolescent, de l’objet dans sa valence intégrité/morcellement d’une part et dans la perspective de la différenciation figure/fond, Moi/non-Moi, sujet/objet d’autre part ; 2. Celui du registre du lien à l’objet trouvé, tel qu’il peut s’exprimer sur son versant persécuteur, avec le repérage, au travers des réponses elles-mêmes et/ou dans l’environnement (verbal ou non-verbal) de celles-ci, d’indices de l’attaque de l’objet dans son intégrité ; 3. Celui de la tonalité dépressive du protocole, qui peut apparaître soit dans la dimension de l’affect dépressif, porté par les réponses elles-mêmes et/ou par la verbalisation qui les accompagne, soit dans la dimension de l’accès à la constitution de l’autre séparé qui se traduit particulièrement au travers du mode de traitement et d’investissement de l’axe de symétrie ;

22

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

4. Celui de l’élaboration des supports identitaires et identificatoires, comme espace de figuration d’une organisation fantasmatique, que l’on va lire au décours de l’émergence des figurations humaines et/ou de leurs substituts. Dans la mise à l’épreuve des modalités de lien à l’objet initiée par la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach, l’enfant et l’adolescent vont se trouver conduits à mettre en jeu leurs objets internes, selon des modalités dont les modèles théoriques qui se dégagent de la pratique de la cure analytique permettent de rendre compte.

Projection, rêve et régression

La question de la projection, inscrite en filigrane dans la dénomination des épreuves projectives, engage à ouvrir le débat sur les processus sous-tendus par la rencontre du sujet avec la planche de l’épreuve de Rorschach. ➤

Projection et épreuves projectives Je l’ai dit, c’est dans un contexte un peu particulier que le terme de projection va se trouver associé, par L. Frank (1939), à un certain nombre d’épreuves de personnalité, dans les années 1930 aux Etats-Unis, autour d’une préoccupation qui touche au statut de la perception. La conception que L. Frank possède de la projection est, à cette époque, peu empreinte de métapsychologie freudienne : elle est davantage liée au développement des techniques ayant trait au traitement du visuel depuis le début du siècle (cinématographie, photographie, radiographie) et prise, de ce fait, dans une identification de type analogique entre deux modes de traitement de l’image (dans le cadre des progrès de l’optique et dans le cadre de la proposition des épreuves d’imagination) qui concourent à la production d’un savoir. Au fond, l’on peut dire que ce choix du terme projective est porteur de l’ambiguïté à laquelle se trouvent confrontés les cliniciens entre la fin du siècle dernier et les premières années de ce siècle : M. Sicard (1994) en analyse les enjeux autour du recours à l’image comme nouvelle modalité de production d’un savoir qui vient se superposer, voire supplanter un savoir construit sur l’observation et le regard porté, dans une extériorité, sur le patient. Ainsi, au même titre que le rayon X projeté au travers du corps du patient en dévoilera l’anatomie inaccessible au regard, ainsi l’épreuve projective, telle une radiographie de la psyché, en proposera une figuration.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

23

Avec le recul du temps, il nous est possible de mesurer l’écart qui s’établit entre deux acceptions du terme projection qui ne se réfèrent ni au même champ scientifique, ni au même champ épistémologique : comment les lois de la physique et/ou de l’optique pourraient-elles rendre compte, analogiquement, de la réalité psychique au même titre que de la réalité anatomique ? Comment, par ailleurs, peut-on assimiler deux ordres de savoir (celui de la physique et celui de la psychologie clinique) fondés sur des modèles expérimentaux inconciliables ? À la suite de la contribution de L. Frank, un certain nombre de cliniciens, tant aux États-Unis qu’en Europe, vont s’attacher à proposer un ancrage de la méthodologie projective (et de l’épreuve de Rorschach en particulier) dans le champ de la conceptuologie psychanalytique (D. Rapaport, S. Beck et W. Klopfer outre-Atlantique ; A. Ombredane, D. Lagache et M. LoosliUstéri en Europe francophone). Toutefois nous pouvons noter, à la suite de P.-M. Lerner (1991) en ce qui concerne les États-Unis, qu’il faudra attendre la fin des années 1940 pour qu’une ré-élaboration théorique vienne soutenir la pratique d’une épreuve qui s’était alors assez largement répandue, sur des bases essentiellement empiriques. Dans ce sens, le concept de projection est alors sollicité dans son acception freudienne, au travers de la double définition défensive et non-défensive (Sami-Ali, 1986), pathologique (sur le versant de la paranoïa) et nonpathologique (avec le modèle de la superstition et de la formation du jugement d’une part et la participation de la projection dans le rêve d’autre part). Sami-Ali (1986) proposera la synthèse la plus construite sur cette question, sans résoudre toutefois de manière totalement convaincante, me semble-t-il, l’ambiguïté du choix de cette terminologie. À l’issue d’un parcours des textes freudiens, Sami-Ali propose une définition de la projection dans les épreuves projectives : « La projection est un comportement imageant qui met en cause la relation du Moi avec le monde et qui implique que le monde fonctionne comme analogon du Moi ou d’une partie du Moi. Ce comportement est essentiellement une activité interprétative plus ou moins étendue, plus ou moins explicite, dont le fondement repose sur l’aspect expressif des choses et dont le but est le dégagement d’un équivalent perceptif d’une expérience vécue (...). La projection apparaît donc comme un phénomène symbolique d’une structure ambiguë : synthèse du sujet et de l’objet, il est expression de soi et connaissance du monde et de ce fait susceptible d’un déchiffrage dans les deux sens, latent et manifeste. »

24

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Si cette proposition permet d’échapper, en quelque sorte, à la domination psychopathologique du modèle de la paranoïa sur la méthode projective, en introduisant la composante de la transitionnalité au sein de la définition du concept de projection, elle n’éclaire la dynamique des processus qu’en tant qu’elle postule et maintient, a contrario, une nécessaire coupure entre monde interne et réalité externe : c’est dans des termes proches que C. Chabert (1998) présente le travail de la projection, travail qui s’établit entre le perçu (monde de l’objet) et le représenté, comme témoin du non-perçu (monde interne, support de la subjectivité). La fonction à proprement parler psychique s’établirait d’une part de la différenciation interne/externe (Moi/non-Moi) et d’autre part de la fonction de jugement (bon/mauvais). ➤

Le modèle du rêve C’est à partir du croisement de la question de la projection et de celle du destin de l’activité perceptive mobilisée dans la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach que la convocation du modèle du rêve trouve sa pertinence. Il est peut-être bon de rappeler que cette préoccupation est au cœur de la démarche originale d’H. Rorschach, au temps de l’élaboration de son outil méthodologique. Ainsi, en 1921, dans son Psychodiagnostic, H. Rorschach cite E. Bleuler (1916) pour tenter de donner corps au processus d’élaboration de la réponse face à la planche : « Les perceptions se forment de la manière suivante : les sensations, ou mieux, les groupes de sensations provoquent l’ecphorie des imagessouvenirs d’anciens groupes de sensations, de manière à susciter en nous un complexe de souvenirs de sensations dont les éléments, du fait de leur concomitance dans des expériences antérieures ont acquis une solide cohésion et se différencient des autres groupes de sensations. Dans la perception interviennent donc les trois processus de la sensation, du souvenir et de l’association. »

En arrière-plan se profile une double interrogation qui porte tant sur le statut de la perception que sur les relations que celle-ci entretient avec l’une des formations de l’Inconscient les plus liées à la fois aux images et aux souvenirs, à savoir le rêve. Sur le plan du statut de la perception, ce sont sans doute les travaux récents portant sur le travail de la symbolisation, et en particulier les propositions

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

25

de R. Roussillon (1997), qui sont le plus à même d’apporter des éléments de repérage du point de vue des épreuves projectives1 . Quant aux relations qu’entretiennent perception et rêve, H. Ellenberger (1954) mentionne l’acuité de cette question, dans le temps de la genèse de l’élaboration du Psychodiagnostic d’H. Rorschach. La liaison opérée par H. Rorschach entre rêve et perception, dans le contexte du processus de production de la réponse face à la planche de l’épreuve de Rorschach, semble pouvoir s’énoncer autour de trois axes : • Comment peut-on éprouver en rêve des perceptions ? • De quelle manière des images, mobilisées dans le registre du visuel,

sont-elles en mesure de trouver une traduction en terme de mouvement ? • Comment envisager la perte de distance, voire la confusion, qui s’opère entre la position du rêveur et sa propre production onirique ? Au regard de ces différents enjeux, D. Lagache, dans un célèbre article intitulé « La rêverie imageante, conduite adaptative au test de Rorschach » (1957) apporte une contribution essentielle, reprise ultérieurement par D. Anzieu (1970), avec sa proposition de différencier deux modalités de conduites du sujet différenciées dans la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• Une conduite percevante/réalisante, qui s’attache à décrire la réalité de

la planche : d’après D. Lagache, la qualité ambiguë du stimulus de la planche – le caractère peu structuré de la planche, si ce n’est autour de l’axe symétrique – invite à dépasser ce premier registre de conduite dans sa forme la plus radicale, la conduite percevante/réalisante se traduit par un accrochage au contenu manifeste ; • Une conduite imageante/déréalisante : c’est cette conduite qui est nommée par D. Lagache rêverie imageante et qui constitue selon lui la capacité de l’ouverture d’une aire de jeu au sein de laquelle pourra s’élaborer la dynamique entre une position d’objectivation et une position de subjectivation de la réalité externe... à l’extrême, la conduite imageante/déréalisante engage la production de réponses qui se détournent de la référence au stimulus. En affirmant la qualité « d’image d’images » de la planche de l’épreuve de Rorschach, c’est-à-dire la qualité de figuration imagée suffisamment 1. Le développement de ce point de vue sera présenté dans la prochaine partie : Rorschach et travail de symbolisation, p. 27.

26

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

imparfaite pour qu’elle facilite une capacité de mise en images dont le travail du rêve constitue le modèle, D. Lagache ouvre une double perspective : celle du rêve, bien sûr, dans la liaison avec le rêve de cadre et l’écran blanc du rêve, tel que B. Lewin (1972) a pu en proposer l’élaboration, et celle de la transitionnalité, au travers de l’investissement du critère d’indécidabilité de la qualité du stimulus, transitionnalité que C. Chabert (1997) invitera à considérer comme fondement de la rencontre proposée avec la médiation de l’épreuve de Rorschach ➤

Régression et projection Dès 1917, S. Freud insistait sur la nature onirique de la projection tout comme sur la nature projective du rêve. S. Freud insiste, en effet, sur les enjeux topiques de l’expérience du rêve, introduisant l’idée du caractère narcissique de la situation onirique. Sur le plan métaphorique, S. Freud présente l’entrée dans le sommeil comme initiée par un dépouillement de notre peau physique et psychique. Ce dépouillement s’accompagnerait d’une double régression : régression du Moi au stade du narcissisme primitif et régression de la libido au stade de la satisfaction hallucinatoire du désir (dans le registre du processus primaire, référé à l’Inconscient). La fonction spécifique du rêve serait de permettre de résoudre le destin des excitations, tant internes qu’externes au regard du risque d’entrave du sommeil du dormeur que celles-ci contiennent. Je cite S. Freud ici, dans ce passage où il affirme la parenté entre rêve et projection : « À la place de la revendication interne qui prétendait l’occuper (le rêveur), s’est mise une expérience vécue externe, dont la revendication a été liquidée. Un rêve est donc aussi une projection, une extériorisation d’un processus interne. »

Dans ce contexte et en appui sur la parenté affirmée par S. Freud entre rêve et projection, se profile en arrière-plan des processus mobilisés dans la rencontre projective, la perspective de la régression topique – régression du conscient à l’inconscient, en termes de première topique, ou du Moi au Ça en termes de seconde topique – accompagnée par les mouvements défensifs à même de garantir une suffisante intégrité des instances de la psyché au travers de cette traversée. En d’autres termes, on pourrait considérer que la sollicitation de la planche de l’épreuve de Rorschach vient interroger la plasticité des processus sous-tendant la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent et organisant sa

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

27

maturation psycho-affective... Le caractère incomplet du stimulus, marqué par un manque-à-figurer, engage le travail de la régression alors même que l’inscription de la tâche à réaliser dans le cadre de la relation clinique soutient la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à risquer la mise en jeu de ses investissements. C’est particulièrement à cet endroit que se nouent les modalités d’instauration du lien transféro-contre-transférentiel mobilisé autour de la passation de l’épreuve de Rorschach. La réponse projective témoignera alors du compromis élaboré dans le va-et-vient entre processus primaires et processus secondaires, dans le projet de la réponse à la consigne. Ainsi, la réponse projective se trouve-t-elle porteuse du registre des conflits qui affectent la mobilisation pulsionnelle de l’enfant ou de l’adolescent face à la planche de l’épreuve de Rorschach, dans la tentative qui sera la sienne d’en proposer une figuration acceptable à plusieurs titres : au regard des instances de la psyché et au regard de l’engagement dans la rencontre avec le clinicien.

Rorschach et travail de symbolisation

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Au-delà de ces perspectives ouvertes par la référence au modèle du rêve et dominées par une lecture structurale des engagements de la vie psychique, la référence à une métapsychologie des processus, telle que R. Roussillon (1995) en a largement posé les bases, me semble en mesure de préciser la manière dont l’épreuve de Rorschach participe à une fonction de butée des opérations de symbolisation de l’enfant et de l’adolescent. ➤

Métapsychologie projective des processus L’inscription de la question de la projection dans une métapsychologie des processus, spécifiée par le modèle de la transitionnalité, conduit R. Roussillon (1997) à renverser le postulat selon lequel ce qui est de l’ordre du perçu appartiendrait à la réalité externe et, en conséquence, au monde des objets, au regard de ce qui appartiendrait à la réalité interne et qui serait spécifié par la vie psychique. Le rationnel de ce déplacement de la fonction de la perception, d’une topique externe à une topique interne, s’ancre dans le souci de tirer les conséquences de l’inclusion par S. Freud (1923) au sein de sa seconde topique, d’un pôle perceptif aux côtés du pôle de la Conscience, appartenant au Moi.

28

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

L’enjeu de la rencontre avec le stimulus de l’épreuve de Rorschach ne consisterait pas, dans ce modèle, en une confrontation entre monde interne et réalité externe mais dans une mise en jeu des organisateurs de l’activité de symbolisation au regard de l’excitation visuelle produite par le stimulus. Selon cette modélisation, le trajet de l’excitation emprunterait les voies régrédientes de l’appareil psychique, afin de se construire en liaison somatique, puis en symbolisation primaire et secondaire ; interrogeant d’une part la liaison des éprouvés primaires à partir de l’expérience somatique ainsi que les traces de l’impensé familial et d’autre part les censures liées aux interdits dans leur élaboration secondarisée, la réponse projective porterait ainsi la marque de ce cheminement intrapsychique, de ses avatars voire de ses faillites. À partir de là, la qualité de la production du sujet pourra être référée au registre d’élaboration du processus de la réponse, selon le registre dont elle porte la marque (accès à un niveau de symbolisation, avatar ou courtcircuitage de chacun des niveaux de symbolisation : somatique, primaire et secondaire). C’est dans la lignée de cette modélisation dynamique de l’activité projective que j’ai été amené à élaborer des propositions méthodologiques dans le champ de la pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique infantile et adolescente, autour de ce que je nomme des catastrophes de symbolisation. Il s’agit de mettre en évidence, de manière spécifique selon l’enjeu clinique et/ou psychopathologique dont témoigne la problématique de l’enfant ou de l’adolescent, des indices permettant de repérer les ratés de la symbolisation face à la proposition du matériel projectif et d’en établir le registre d’expression1. Au-delà du repérage de l’engagement de l’activité de symbolisation dans la rencontre avec l’épreuve projective de Rorschach, se profile la nécessité de référer cette mise au travail à la spécificité de ce matériel. J’ai déjà insisté sur le caractère peu structuré des planches de l’épreuve de Rorschach et sur les espaces en creux qu’elles proposent au regard du déploiement de l’imaginaire de l’enfant ou de l’adolescent et sur l’invitation qui lui est faite de se saisir de ce matériel dans une perspective figurative. Il m’est apparu à ce point-là qu’une liaison était possible avec la notion de médium malléable défendue par M. Milner (1955, 1998) et reprise par R. Roussillon. Les conceptions de M. Milner permettent, en particulier, de proposer un lien entre la problématique de la symbolisation et celle de la régression. 1. La définition des différents critères permettant le repérage de ces indices traversera les développements des second et troisième chapitres.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent



29

Malléabilité, jeu et épreuves projectives M. Milner insiste sur la manière dont l’enfant, dans sa démarche de construction du monde, est confronté à sa propre « (...) capacité à tolérer une perte momentanée du sentiment de soi, un abandon temporaire d’un Moi distinct, séparé (...). Cela décrit, peut-être, l’état d’esprit décrit par Berenson (1959) comme le “moment esthétique” » (p. 46).

M. Milner introduit, à partir de ce constat issu de la pratique psychothérapique, la nécessité de l’introduction d’un intermédiaire dans le lien avec l’enfant ou l’adolescent, intermédiaire que l’on pourrait aussi nommer matériau ou médium, dont la fonction est de contenir, d’une certaine manière, les enjeux projectifs voire persécutoires liées à la rencontre avec la réalité externe. C’est dans cette lignée que je souhaite introduire la perspective du médium malléable comme sous-tendant le recours à l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent dans une double dimension : • Celle du médium, au sens de l’intermédiaire mis en évidence par M. Milner,

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui constitue une garantie vis-à-vis des vécus d’intrusion mobilisés dans le cadre de l’examen psychologique ; • Celle du malléable, au sens de la potentialité d’appropriation portée par le matériel lui-même, du fait de l’indécidabilité de ses contours. J’insiste ici sur l’intrication de ces deux dimensions de l’intermédiaire et de la malléabilité qui définit les conditions de la participation transitionnelle dans le champ relationnel. R. Roussillon, dans sa reprise de cette notion de médium malléable (1991), poursuit la voie de M. Milner afin de penser les dispositifs cliniques comme dispositifs à symboliser1 . Si la définition énoncée par R. Roussillon concerne en premier lieu, comme support matériel, la pâte à modeler, je proposerai de l’entendre, au-delà, dans le contexte de l’épreuve projective de Rorschach. On peut en effet définir la situation projective initiée par l’épreuve de Rorschach comme une proposition de mise à l’épreuve d’un matériau qui se caractérise par sa potentialité d’appropriation par le sujet, dans le cadre d’une mise en jeu médiatisée de l’épreuve de l’image, soutenue au sein d’une relation clinique qui autorise le déploiement des engagements transférentiels et contre-transférentiels. 1. Voir aussi Roussillon, R. (2012). Manuel de pratique clinique. Paris : Elsevier-Masson.

30

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

En arrière-plan, il est bien sûr question de proposer à l’enfant ou à l’adolescent, nous l’avons vu, un espace de réactualisation, de répétition des expériences infantiles en tant que ces expériences concernent l’élaboration des premières représentations : le clinicien propose alors, dans le cadre de la relation clinique, l’espace de la contenance maternelle, en écho à l’expérience primaire de la constitution de l’enveloppe maternelle primitive (Roman, 1996, 2001) et au destin de celle-ci. Pour R. Roussillon (1991), le médium malléable comporte cinq caractéristiques de base qui vont lui conférer la spécificité de la malléabilité, support privilégié pour la mise en jeu du détruit-trouvé et du trouvé-créé : – – – – –

indestructibilité, extrême sensibilité, indéfinie transformation, inconditionnelle disponibilité, animation propre (fonction de support du mouvement animiste infantile).

Chacune de ces fonctions vient spécifier les enjeux propres de l’épreuve de Rorschach : 1. L’indestructibilité porte ici bien sûr moins sur la dimension strictement matérielle du stimulus que sur sa capacité à se laisser attaquer, dans ses contours et sa consistance, par les projections de l’enfant ; la construction symétrique de la planche participe sans nul doute de cette première fonction ; 2. L’extrême sensibilité du support de l’épreuve de Rorschach se donne à voir au travers la prégnance et la diversité des modalités sensorielles de traitement du matériel, qu’il s’agisse de la sensibilité à la couleur (chromatique ou achromatique) ou aux contrastes de gris ; 3. L’indéfinie transformation tient au potentiel d’indécidabilité de la tache de Rorschach, et à la manière dont cette qualité propre au matériel est rendue active au travers de la consigne qui porte sur la sollicitation à l’imaginaire1 ; 4. L’inconditionnelle disponibilité dont témoigne la situation projective ouverte par l’épreuve de Rorschach est rendue possible par le caractère 1. Sur un plan strictement expérimental, il n’est qu’à faire le constat de l’extrême diversité des réponses produites par les enfants et les adolescents face aux planches de l’épreuve de Rorschach pour confirmer cette fonction d’indéfinie transformation. A contrario, la clinique nous permet de considérer l’incapacité de l’enfant ou de l’adolescent à se saisir de cette fonction du matériel comme un signe concourant aux indices mobilisés dans la discussion clinique et psychopathologique.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

31

non-directif de la consigne1 , qui s’appuie à la fois sur l’absence de mention précise de la qualité du stimulus proposé et sur le caractère relativement imprécis de la commande à partir de celui-ci ; 5. La fonction d’animation propre, support de l’animisme infantile, est mise à l’épreuve par la potentialité de rythmicité ouverte par la construction de la tache autour de l’axe médian, fonction d’animation propre dont on peut repérer les témoins au travers des réponses dites kinesthésiques, réponses mettant en jeu, le cas échéant de manière interprétative, le mouvement au décours de la production de la réponse Si le médium malléable est conçu par R. Roussillon (1991, p. 137), comme « l’objet transitionnel du processus de représentation » c’est-à-dire comme l’objet – au sens d’un espace d’expérience support de la vectorisation interne/externe – à partir duquel va pouvoir s’élaborer une position subjective au regard de l’instauration d’une objectalité, on peut dire que l’épreuve de Rorschach participe bien de ce champ d’expérience proposé à l’enfant ou l’adolescent. Transférer le concept de médium malléable dans le champ de la situation projective engage, à mon sens, deux types d’enjeux, l’un théorique et l’autre méthodologique :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• Sur le plan de l’inscription théorique de la méthode, il y a là, me semble-t-il,

matière à confirmer les positions soutenues jusqu’alors par D. Anzieu (1970) puis C. Chabert (1983) sur le caractère transitionnel de la situation projective. La situation projective peut alors être conçue, en tant que cadre et processus, comme support du processus de représentation, comme objet transitionnel du processus de représentation. Au-delà du matériel proposé, c’est donc l’ensemble de la situation qui constitue une sollicitation transitionnelle : le matériel, la consigne, le lien au clinicien ; • Sur le plan méthodologique, les cinq caractéristiques du médium malléable décrites par R. Roussillon, vont conduire à porter un autre regard sur la définition des conditions de possibilité de l’instauration de l’aire transitionnelle d’expérience au sein de la situation projective. À partir de là, c’est l’ensemble de la disponibilité de la situation projective qui se trouve réinterrogée, dans sa capacité à se constituer comme butée au regard des expériences destructrices, dans la plasticité des supports – animés et non-animés – qu’elle propose et, bien sûr, dans la mobilisation de la malléabilité du clinicien. 1. Pour s’en tenir, à ce stade de notre développement, à la consigne originale élaborée par H. Rorschach qui accompagne la présentation successive des dix planches : « qu‘est-ce que cela pourrait être ? ».

32

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

La question de la mise en jeu du clinicien dans le contexte de la situation projective m’apparaît comme un point tout à fait central : C. Chabert (1995, p. 95) rappelle que la passation des épreuves projectives, considérée dans une démarche clinique, s’inscrit dans une clinique des transferts. On peut dire, dans ce sens, que le lien transféro-contre-transférentiel, au sein duquel se déploie la situation projective de l’épreuve de Rorschach, constitue, en fonction de ses modalités d’instauration spécifiques, une figure prototypique du lien à l’objet de l’enfant ou de l’adolescent. ➤

Cadre et symbolisation J’ai proposé de travailler cette question de la position du clinicien dans le cadre de la passation d’épreuves projectives (Roman, 1999) en interrogeant à partir du dispositif de la cure analytique le mode d’investissement de la neutralité, et en formulant l’hypothèse d’un déplacement de la fonctionneutre de l’analyste sur une fonction-neutre portée par le matériel : ne peut-on alors penser que c’est cette fonction-neutre du matériel, garantie par le clinicien en ce qu’il énonce une consigne porteuse de tous les possibles, qui soutient la qualité de médium malléable de la situation projective ? L’enjeu essentiel me semble être de pouvoir offrir à l’enfant ou à l’adolescent, dans le cadre de la situation projective, l’actualisation d’un fond maternel primaire, fond qu’A. Green (1974), en référence au modèle de la cure analytique et suite aux propositions de J. Bleger (1988, p. 237), propose de définir comme « fond silencieux, constante qui permet aux variables du processus un certain jeu ». C’est ce fond qui serait en mesure de contenir les différents enjeux portés par la malléabilité de la situation, dans la rencontre spécifique avec le stimulus de la planche de Rorschach. Cette rencontre force la symbolisation et, partant, force les processus fondateurs de l’instauration de l’objectalité (sur le double versant du matériel et du clinicien). À partir de ces propositions, se dessine la convocation de la position du fond, comme arrière-plan et comme support au sein du dispositif clinique de l’épreuve de Rorschach, et se pose la question de son actualisation dans le cadre de la passation de l’épreuve de Rorschach. Je propose, dans cette voie, que le fond blanc de la planche de Rorschach contient un certain nombre de fonctions, propres à constituer un cadre pour la production des réponses, qui tiennent dans sa qualité de fond muet du dispositif :

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

33

• Le blanc a une fonction de support pour le déploiement du travail de







© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



la symbolisation, voire une fonction d’attracteur de la symbolisation, en référence aux expériences primaires : le blanc serait alors représentant de l’enveloppe maternelle primitive1 support des mouvements pulsionnels en direction de l’objet primaire qui, contenus dans le cadre du matériel, vont donner corps à l’élaboration représentative ; Le blanc est cadre pour la représentation, représentant de l’absence de représentation (Roman, 1997) : en tant que cadre, on peut considérer, en rapportant les travaux de J. Bleger (1988) sur le cadre institutionnel au cadre anthropologique que constitue le blanc, que celui-ci exerce une fonction de dépôt des mouvements pulsionnels archaïques ; Le blanc soutient la fonction de jeu du dispositif en instaurant, dans le lien dialectique qui l’attache au matériau per se de l’épreuve, une fonction d’écart autorisant l’établissement d’un jeu pulsionnel et confirmant les conditions du maintien du comme si, afin de garantir la circulation entre affect et représentation ; Le blanc, dans la figure en creux qu’il énonce, maintient l’unité des investissements pulsionnels et se propose comme conteneur de l’ambivalence des engagements affectifs ; Le blanc ou la trace en blanc qui inscrit la vacance, soutient, nous l’avons vu, une fonction-neutre (Roman, 1999) du dispositif projectif ; fonction-neutre supportée par le clinicien, garante de la vectorisation pulsionnelle et de ses débordements au travers des règles fondant la situation projective, règles tout à la fois implicites et objet d’énonciation au travers de la consigne : libre-association, limitation de l’expression motrice au matériel de l’épreuve projective...

On le voit, l’enjeu de la définition du cadre qui organise la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach, engage a priori les conditions dans lesquelles le clinicien va se trouver mobilisé, tout à la fois dans le temps de la

1. Voici la définition que je propose de l’enveloppe maternelle primitive (Roman, 1996) : « l’enveloppe maternelle primitive consisterait dans l’intériorisation des qualités des premières rencontres avec la mèreenvironnement, rencontres qui se constituent comme siège des premières émergences de la symbolisation ». J’ai, à différentes reprises, eu l’occasion de soutenir que le premier dispositif à symboliser de l’enfant, est le corps de la mère. Dans cette lignée, l’enveloppe maternelle primitive représenterait ces premières expériences du fond sur lequel se sont développés les mouvements de transformation des éprouvés primaires sur le plan de la sensorialité : support des premières représentations accompagnant le processus de mise en image de ces éprouvés, l’enveloppe maternelle primitive soutient les procédures d’auto-information du sujet, mouvement participant de l’élaboration du Moi-peau.

34

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

rencontre clinique et dans le temps de l’élaboration clinique des productions de l’enfant ou de l’adolescent.

Le fil projectif : un modèle pour penser le travail de symbolisation dans l’expression projective

L’épreuve projective, et tout particulièrement l’épreuve de Rorschach du fait de ses formes informes, invite à une mise en images, à une figuration, dont la production est régie par des processus qui empruntent au travail du rêve : régression, condensation, déplacement. Si le travail du rêve, tel que S. Freud (1905) l’a mis en évidence contribue au traitement des restes diurnes, alors il nous faut penser le processus de production de la réponse projective (à entendre au sens large du terme : verbalisation bien sûr, mais aussi graphisme, jeu...) comme se trouvant prise dans un projet mobilisé par la nécessité de donner forme à des traces en souffrance dans la vie psychique (comme l’on dit d’un paquet qu’il est en souffrance, c’est-à-dire en suspens d’une affectation... voire abandonné ?). ➤

L’accueil des objets perdus Comme le rappelle J.C. Rolland (2006, p. 38) : « Le rêve n’est pas seulement l’activité psychique du sommeil, il est le recours octroyé au rêveur de renouer un lien avec les objets auxquels, assez peu sincèrement, il a dû renoncer dans la vie éveillée. Par là encore il représente une terre d’accueil où toutes les nostalgies de l’être trouvent consolation. Tout rêveur parle d’un objet, il accomplit par son rêve le désir dont l’a frustré la perte de cet objet. »

L’épreuve projective, et l’épreuve de Rorschach en particulier, dans la mobilisation du travail psychique qu’elle engage, représenterait une « terre d’accueil » pour ces objets perdus : le fil projectif, quant à lui, permettrait d’en tisser les contours et le destin. Le fil projectif peut être défini comme : « (...) figuration de la continuité et de la discontinuité de l’enveloppe projective, qui permet de penser dans le même espace le contenant-cadre et le contenu-processus propres à l’expérience projective » (Roman, 1996, p. 140).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

35

Le repérage de la nature et de la qualité du fil projectif permettrait de suivre la trace et le destin de l’objet perdu du sujet, mobilisé par le processus de symbolisation ouvert par l’épreuve projective, au fil du déploiement de l’activité projective. Cette notion de fil projectif en appelle par ailleurs une autre, celle de fil associatif ou de chaîne associative, issu du dispositif de la cure analytique : ces notions visent à rendre compte de la manière dont, sous le primat de l’association libre, se déroulent les processus associatifs (le travail associatif) qui concourent à l’expression dans le cadre de la cure ; elles témoignent également de la manière dont les images du rêve prennent forme dans le récit du rêve. À ce moment encore, convoquons les travaux de J.C. Rolland (2006, p. 37) :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« (...) Dans la situation analytique, du fait du travail associatif, nous disposons donc de deux textes en deux langues différentes (dont l’une nous est étrangère, la langue du rêve, l’autre familière, la langue des associations) d’un même contenu de pensée. Car il y a fort à parier, du fait de la profondeur d’où sourd le matériel onirique, du fait que les opérations commandant au travail du rêve relèvent du fonctionnement psychique normal, le tout exacerbé par la régression transférentielle, analogon pour Freud de la régression du sommeil, que les associations qui viennent au patient autour du rêve rapporté doivent puiser leurs motifs et leurs forces pulsionnelles aux mêmes sources que celui-ci. »

Il importe de relever que le travail associatif, qu’il se trouve engagé dans la cure ou face à l’épreuve projective, ne saurait être considéré sans référence à l’adresse transférentielle sur le fond de laquelle il s’organise. C’est dans le cadre du jeu transférentiel médiatisé par le matériel de l’épreuve projective que prend sens le repérage du fil projectif, en ce qu’il témoigne de l’engagement des processus de symbolisation et du traitement pulsionnel qu’il contient. ➤

La notion de fil projectif La notion de fil projectif (Roman, 1991, 1996) tire son origine d’une tentative d’explicitation des enjeux du travail de symbolisation dans la rencontre avec l’absence. Il s’agissait alors de rendre compte du travail psychique engagé face à ce qui se présente comme manquant dans la planche de l’épreuve projective et de l’épreuve de Rorschach en particulier, dans le cadre d’une pratique en clinique infantile : la confrontation au blanc (au sens du blank anglais, c’est-à-dire ce qui se trouve en défaut d’une inscription)

36

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

dans l’épreuve de Rorschach est alors considérée comme paradigmatique de l’expérience de séparation, espace d’émergence potentiel de la représentation de l’objet. On ne peut par ailleurs isoler la question de la rencontre avec le blanc dans les épreuves projectives (rencontre de ce qui se trouve en attente et/ou en souffrance de représentation) avec celle de l’analyse des processus qui concourent à la différenciation figure/fond : en effet, le traitement de l’absence implique nécessairement l’engagement dans un travail de séparation, de partition, entre fond et forme (on peut ici faire référence au premier clivage organisateur qui, pour D. et A. Anzieu, est celui qui procède du mouvement ouvert/fermé de la paupière, précurseur du coucou-caché ?). La notion de fil projectif permet, dans cette perspective, de border les effets de symbolisation/désymbolisation attachés au traitement de cette singulière expérience de séparation ouverte par la rencontre avec le blanc. La définition de différentes configurations du Moi-peau (Roman, 1996), attachées spécifiquement aux modalités de traitement des surfaces blanches des planches de Rorschach, ouvre sur la mise en évidence de différentes figurations du fil projectif : ruptures du fil projectif, fil en anneau de Moebius, consistance du fil projectif, que l’on peut penser en appui sur la définition des différents niveaux de dimensionnalité des enveloppes psychiques proposée par D. Meltzer (1975). La référence au modèle du rêve, avec le fil projectif, permet de complexifier et de donner de l’épaisseur à une conception de l’épreuve projective comme dispositif à symboliser : en effet, en appui sur le modèle du rêve, vont pouvoir être envisagés les processus de transformation de l’activité projective (ou de l’activité de symbolisation ouverte par la rencontre de l’épreuve projective). Le fil projectif permet de rendre compte de ce qui se transforme dans le jeu entre perception et projection, mais aussi de la trace (et des restes) de ce processus de transformation dont on peut, à l’instar du récit du rêve, être le témoin au décours de la production projective. Dès 1917, S. Freud insiste sur la proximité du rêve et de la projection (« le rêve est aussi une projection »), tout comme D. Lagache, plus tard en 1957, proposera une lecture de l’activité projective référée à l’activité onirique : il évoque alors la réponse projective comme ressortant d’une « rêverie imageante », différenciant les dimensions « objectivantes » et « subjectivantes » des productions projectives. En filigrane, c’est la dimension de la plasticité du processus de symbolisation qui se trouve interrogée, processus de symbolisation figuré ici par le travail du rêve et par les productions projectives qui en constituent les signes visibles.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

37

Les prochains développements viseront à préciser, sur le plan de la méthode et sur celui de la démarche de traitement du matériel, les repères nécessaires à une pratique de l’épreuve de Rorschach congruente à son objet : la clinique et la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent.

Propositions de méthode La pratique de l’épreuve de Rorschach est réputée fastidieuse et son apprentissage long et incertain. Par ailleurs, la pratique de l’épreuve en clinique de l’enfant et de l’adolescent a fortement partie liée avec les perspectives de la maturation et/ou des remaniements psychoaffectifs de sujets en devenir : par hypothèse, les expressions projectives se trouvent liées à ces évolutions, renforçant ainsi la complexité d’un outil par ailleurs riche de potentiels dans le champ de la clinique. Il me semble que l’on peut, de manière un peu arbitraire, différencier deux axes principaux dans la définition de la formation à la pratique de l’épreuve de Rorschach : • Une dimension technique qui concerne essentiellement les conditions de

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mise en oeuvre de la passation de l’épreuve et la formalisation de la cotation de la production projective ; • Une dimension clinique qui implique une compétence psychopathologique préalable et rend nécessaire la confrontation à une pratique de la rencontre dans le cadre de l’examen psychologique. C’est au fil de cette double fréquentation de l’outil et de la clinique que le psychologue pourra développer une pratique des épreuves projectives au service de la rencontre de l’enfant et de l’adolescent. Ainsi, cet ouvrage vise-t-il à travailler l’articulation entre ces deux dimensions, technique et clinique, dans une position nécessairement engagée : les propositions qui vont suivre sont donc à entendre à la fois comme l’écho d’une pratique et comme le fruit des recherches engagées autour de la mise à l’épreuve de la clinique de l’enfant et de l’adolescent dans la rencontre avec l’épreuve de Rorschach. Nous aborderons ici les principaux points de méthode relatifs à la pratique de l’épreuve de Rorschach, tant sur le versant de la passation que sur celui de la production projective, de son traitement formalisé en termes de cotation et de la formalisation des données projectives dans la perspective d’une

38

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

démarche d’évaluation du fonctionnement psychique de l’enfant et de l’adolescent. La passation de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent ➤

Le matériel de l’épreuve Comme toute épreuve projective, le matériel de l’épreuve de Rorschach peut être présenté selon deux axes : • le premier concerne la sollicitation manifeste de la planche et se réfère aux

caractéristiques objectivables de chacune des dix planches ; • le second concerne la sollicitation latente de la planche et aussi le registre d’appel implicite contenu dans le matériel projectif. Les sollicitations manifestes

L’épreuve de Rorschach est ainsi composée de dix planches, que je préfère nommer cartes dans l’échange avec l’enfant ou l’adolescent1, spécifiées par les conditions de leur réalisation : taches d’encre disposées sur une feuille, pliée puis dépliée, se voyant donc organisée sous le primat de la symétrie (ligne du pliage), symétrie par ailleurs nécessairement imparfaite. Parmi les dix planches : • cinq d’entre elles sont réalisées dans des couleurs achromatiques,

s’échelonnant du gris le plus clair au noir le plus profond (ce sont les planches I, IV, V, VI et VII) ; ces planches sont souvent nommées les planches noires ; • deux d’entre elles jouent sur le contraste entre le rouge et le noir, sans occulter la place des dégradés du gris au noir (planches II et III) ; l’appellation de ces planches est généralement celle de planches rouges ; • trois d’entre elles, qui sont les trois dernières dans l’ordre institué de la passation, se présentent dans des couleurs chromatiques (planches VIII, IX et X) ; ces planches sont identifiées comme les planches pastel de l’épreuve. Par ailleurs, certaines des planches sont marquées par leur caractère compact ou fermé (I, IV, V, VI, IX), d’autres par leur caractère bilatéral ou ouvert (II, III, VII, IX, VIII). L’axe de symétrie, qui organise chacune 1. Voir la discussion terminologique à ce sujet, dans les toutes premières pages de l’avant-propos.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

39

des planches, se trouve plus ou moins explicite en fonction des planches, en plein ou en creux, selon le caractère compact ou bilatéral de la planche. Les sollicitations latentes

Les sollicitations latentes sont à envisager de manière singulière au regard de chacune des planches de l’épreuve. Elles correspondent à ce qui, de manière implicite, se trouve appelé, en termes de processus psychique, dans la rencontre avec la planche. En d’autres termes, la définition des sollicitations latentes renvoie aux enjeux psychodynamiques qui sous-tendent la présentation de chacune des planches, et ce à un double titre : • au regard de la qualité formelle de chacune des planches ; • au regard de la place qu’elle occupe dans l’histoire de la passation,

c’est-à-dire l’ordre de la planche considérée au sein de la série des dix planches, l’agencement de chacune des planches au regard de celle(s) qui la précède(nt).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

On peut alors entendre de quelle manière la prise en compte des sollicitations latentes, dans leur participation à un système ordonné, pris dans une temporalité imprimée par le choix de l’enfant ou de l’adolescent lors de la passation, contribue à penser la qualité du déploiement du fil projectif. Les grandes lignes des sollicitations latentes des dix planches de l’épreuve de Rorschach seront présentées ici1 . On peut considérer, d’une manière générale, que la quasi-symétrie des dix planches constitue, comme nous l’avons vu, une sollicitation à la représentation de l’image du corps. C’est sur ce fond, commun à l’ensemble du matériel, qu’il convient d’appréhender la spécificité des sollicitations latentes de chaque planche.

1. Pour élargir la présentation des sollicitations latentes, on peut se référer, en particulier, à deux ouvrages qui font état de leurs propositions à cet égard, celui de D. Anzieu et C. Chabert (1983) et celui de N. Rausch de Traubenberg (1977).

40

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Les dix planches de l’épreuve de Rorschach La planche I C’est la planche qui, par définition, introduit l’épreuve et qui, à ce titre, sera éminemment porteuse des enjeux liés à la rencontre avec l’inconnu, l’imprévisible voire l’étrangeté. Face à cette planche, l’enfant ou l’adolescent aura donc à trouver un aménagement face à cette situation nouvelle et il en témoignera au travers des réponses (ou des non-réponses) et/ou des différentes manifestations non-verbales qui les accompagnent. Par ailleurs, au regard des critères formels qui définissent cette planche (son aspect sombre, massif et relativement uniforme, et ses découpes aigues, particulièrement dans le blanc), cette planche mobilise la référence à une figure prégénitale, potentiellement menaçante voire persécutrice. Son caractère unitaire appelle une traduction dans une forme synthétique ; à ce titre, l’impossibilité pour l’enfant ou l’adolescent d’une proposition synthétique face à cette planche interroge quant à la mise en jeu de ses potentialités adaptatives.

La planche II C’est la première de la série des deux planches rouge et noir. Sa bilatéralité marquée invite à l’exploration des relations spéculaires, organisées autour d’une vacance centrale appelant la dimension de l’incomplétude. Les enjeux liés à la castration, dans un registre primaire, avec la question de l’intégrité, ou dans un registre secondaire, avec la question de l’incomplétude sexuée, se trouvent particulièrement activés par la participation de la couleur rouge. En filigrane, se profile l’appel à la construction d’une représentation qui fait référence à l’image du corps, en appui sur les deux grands détails noirs bilatéraux.

La planche III Cette planche possède à coup sûr une place à part parmi l’ensemble des dix planches. Seconde planche rouge et noir, organisée de manière explicite sur un mode bilatéral, mais ici sur un mode davantage discontinu, elle mobilise, de manière quasi-évidente, une figuration humaine. Cet appel à la projection d’une figure humaine entière, le cas échéant investie d’une dimension vitale avec la proposition d’une kinesthésie, vient cependant buter sur l’ambiguïté qui affecte le stimulus quant aux éléments susceptibles de figurer une appartenance sexuée, du fait de la présence conjointe d’une forme arrondie, située sur le milieu de la partie médiane noire, évoquant une poitrine féminine d’une part, et d’un appendice, dans la partie inférieure, support possible de la figuration d’un sexe masculin. On le comprend, l’enjeu consistera, sur ce plan, pour l’enfant ou l’adolescent confronté à la planche, à pouvoir mettre en œuvre des stratégies défensives et adaptatives au service d’une déconflictualisation de cette coexistence bisexuée. Par ailleurs, la participation des deux parties rouges de la planche, qui sont ici, à la différence de la planche II, clairement détachées de la partie noire principale, invite à un travail de liaison des différents éléments, dans la construction d’une cohérence.

La planche IV Après les deux planches rouge et noir, la planche IV confronte à nouveau le sujet à une planche compacte, sombre et massive. La présence d’un appendice central inférieur particulièrement développé confère à cette planche son caractère habituellement nommé autour du phallique. À ce titre, la planche IV est considérée comme celle de la sollicitation à l’égard du masculin et, par extension, du paternel, au travers de la nécessité de se situer face à un stimulus qui engage le rapport à la puissance. La dramatisation introduite par l’aspect sombre et massif, colore les mouvements appelés chez l’enfant ou l’adolescent plus particulièrement dans le registre des angoisses de castration, mais aussi dans le registre d’angoisses plus archaïques (angoisses dépressives, ou angoisses de persécution en particulier).

La planche V Cette planche, qui reprend les tonalités sensorielles de la précédente, est organisée, au plan formel, sur un mode tout à fait différent : elle est sans doute celle qui se présente dans l’équilibre le mieux assuré entre unité et bilatéralité, ces caractéristiques lui valant le label de planche de l’identité. En effet, face à une telle évidence de la sollicitation à une figuration unitaire, intègre et vivante, on peut s’attendre à ce que l’enfant ou l’adolescent ait à mettre en jeu ses propres modèles de structuration identitaire au travers du compromis que représente la réponse projective. Au regard de la tonalité sensorielle de la planche (le noir sombre du stimulus, mais aussi le blanc qui l’entoure dont la prégnance est particulière du fait du rassemblement du stimulus au centre de la

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

41

planche), elle mobilise également les affects dépressifs et, partant, au travers des réponses fournies, la qualité des solutions mise en jeu par le sujet, dans le contexte de l’accès à une identité séparée. On peut noter par ailleurs que cette planche se présente comme un support pour les mécanismes de dégagement, faisant suite à plusieurs planches (immédiatement suite à la planche IV, mais aussi aux deux planches rouges) dont l’impact affectif comprend souvent une part dysphorique.

La planche VI La construction formelle de la planche met l’accent sur la dimension de la bisexualité : une partie supérieure en plein, de forme ouvertement phallique, et une forme inférieure en creux, se situant dans un registre d’accueil de par le déploiement de la tache sur la planche et l’ouverture de celle-ci dans la partie la plus basse. La dimension d’accueil de la partie inférieure se trouve renforcée par un aspect sensoriel de la planche, lié à l’estompage. La bisexualité constitue donc la sollicitation latente majeure de la planche et elle interroge les organisateurs inconscients de la bisexualité de l’enfant ou de l’adolescent. Sans doute cette planche se trouve-t-elle être la plus sensible aux enjeux liés au développement psychoaffectif : en effet, selon le temps de sa maturation psychique, l’enfant ou l’adolescent se trouvera plus ou moins en mesure de jouer avec la bisexualité et de construire, au travers de la réponse, des solutions pour la contenir. Il s’agira donc d’être attentif aux stratégies déployées par le sujet au regard du stade de développement psychoaffectif dans lequel il s’inscrit.

La planche VII La structuration de cette planche autour d’une grande lacune centrale, ouverte dans sa partie supérieure, confère à cette planche une référence éminemment féminine et, par extension, maternelle. Les potentialités de l’enfant ou de l’adolescent à circonscrire cette lacune centrale dans une forme contenante se trouvent tout particulièrement mises à l’épreuve. On sera attentif à la manière dont l’enfant ou l’adolescent sera en mesure de construire le rapport figure/fond face à cette planche, et au fait que la construction de ce rapport figure/fond témoigne des premiers organisateurs du processus de symbolisation.

La planche VIII

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Avec la planche VIII, se trouve inaugurée la série des trois planches dites pastel, en référence aux couleurs douces et plus ou moins estompées qui concourent à leur qualité sensorielle. Face à ces trois planches, les réactions affectives sont tout spécialement mobilisées. Cette première planche de la série invite à la construction d’une représentation en appui sur l’aspect composite quoique relativement compact de la planche. On peut considérer que se trouve engagé ici, pour l’enfant ou l’adolescent dans sa rencontre avec la planche, un double travail de lien qui concerne d’une part les liaisons intrapsychiques (coexistence de différents éléments, hétérogènes dans leur qualité formelle ou leur variation sensorielle) et d’autre part les liens intersubjectifs, dans la mesure de l’appel à la relation porté par la couleur pastel. La partie (bi-latérale) du stimulus, banalement interprétée sous la forme d’un animal, se constitue bien souvent en organisateur de ces opérations sous le signe du lien.

La planche IX À la différence de la précédente, cette planche confronte à une forme de complexité, du fait de l’interpénétration des trois parties qui la composent. Une lacune centrale, ambiguë, puisque davantage translucide que blanche du fait des traces de couleur qui s’attardent entre les différents éléments du stimulus, contribue à l’appel à la régression (à un monde peu organisé, peu différencié, a minima chaotique...), appel paradigmatique de cette planche, avec la mobilisation de fantasmes intra-utérins (on peut penser aux fantasmes de peau commune décrits par D. Anzieu comme concourant à la constitution du Moi-peau). Dans ce sens, on comprend que le registre prégénital se trouve tout particulièrement en jeu dans la rencontre de cette planche.

La planche X On peut la décrire, dans un premier temps et au regard de son positionnement dans l’histoire de la passation, comme la planche de la séparation : avec la planche X, se clôt l’aventure projective et, avec elle, un mode singulier de mobilisation de la vie psychique placé sous le signe du regard... sous le regard du psychologue. Cet enjeu de la séparation se trouve, d’une certaine manière, figuré par le stimulus qui constitue cette dernière planche : taches dispersées sur le fond blanc de la planche, ici particulièrement invité dans sa qualité de fond unificateur : ainsi, la réponse de l’enfant ou de l’adolescent va-t-elle s’élaborer sous le primat de la séparation ou de la rupture ? En d’autres termes, comment, au regard du registre d’angoisses appelées par cette planche, le sujet va-t-il être en mesure de proposer une représentation suffisamment cohérente, dont les contours pourront être suffisamment fiables, stables, afin de garantir une intégrité de la représentation ?

42

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Synthèse 1 – Sollicitations manifestes et latentes des planches Planche

Sollicitation manifeste

Sollicitation latente

I

compacte – sombre petites lacunes blanches

rencontre inconnu/étrangeté figure maternelle prégénitale

II

rouge et noire – bilatérale lacune blanche centrale

castration primaire/secondaire image du corps intégrée

III

rouge et noire – bilatérale discontinuité du stimulus

identification figure humaine bisexualité – continuité

IV

compacte – sombre et estompée – détail phallique

puissance phallique (masculin/paternel) angoisses primaires/secondaires

V

compacte – sombre unitaire

intégrité – identité angoisses dépressives

VI

compacte – estompée partition haut/bas

bisexualité (plein/creux), actif/passif affectivité – sensorialité

VII

bilatérale – estompée – lacune centrale blanche

accueil et complétude (féminin/maternel) contenance versus vide

VIII

pastel – compacte/bilatérale lacune intermaculaires

affectivité – appel l’environnement

IX

pastel – compacte lacune blanche centrale

confusion/différenciation fantasmes intra-utérins

X

pastel – bilatérale/dispersée

unification de la représentation – intégrité expérience de séparation

au

lien – relation

à

Il convient de préciser que le cadre de passation standardisé de l’épreuve de Rorschach s’appuie sur une présentation successive des planches à l’enfant ou à l’adolescent, de manière ordonnée, de la planche I à la planche X. ➤

Contexte et enjeux de la passation Le critère habituel de l’utilisation de l’épreuve de Rorschach en clinique infantile est celui d’une suffisante maîtrise du langage par l’enfant, ainsi que de sa capacité à investir la situation de l’épreuve dans une continuité compatible avec la présentation de dix planches, en trois temps différenciés : – celui de la passation proprement dite, – celui de l’enquête, – celui de l’épreuve des choix.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

43

L’âge généralement admis comme plancher au regard de la passation de l’épreuve de Rorschach est de 4 ans, même si certains auteurs, M. Boekholt (1996) en particulier, soutiennent la proposition du recours à l’épreuve de manière beaucoup plus précoce (2 ans), dans la perspective de l’engagement dans une situation ludique. M. Boekholt montre bien comment, dans ce contexte, l’épreuve de Rorschach prend une tonalité particulière, au regard des potentialités de l’enfant en lien à sa maturation perceptivo-motrice. Les planches sont investies comme support de jeu et le clinicien aura à prendre en compte, davantage que les réponses à proprement parler, la spécificité du traitement de l’excitation suscitée par le matériel : bruitages, motricité, évocations sensorielles... Pour ma part, je propose que le critère d’âge de 4 ans à partir duquel l’épreuve pourra être proposée à l’enfant demeure un repère théorique : le psychologue devra pouvoir évaluer, en deçà voire au-delà de cet âge, dans quelle mesure l’enfant sera à même de se confronter à la démarche d’interprétation ouverte par l’épreuve. De la période œdipienne à la fin de la période de latence, l’épreuve de Rorschach est généralement investie sur le mode de la curiosité, avec un déplacement de cet enjeu au décours de l’évolution psychoaffective de l’enfant : à la curiosité sexuelle mobilisée de manière prégnante dans le temps œdipien va succéder une curiosité davantage intellectualisée, sous la forme d’une approche des planches qui peut se traduire dans les termes d’une appréhension prioritairement cognitive du stimulus. Enfin, avec l’entrée dans la pré-adolescence puis l’adolescence, la proposition de l’épreuve de Rorschach prend un statut autre : elle prend quasi-explicitement le statut d’une proposition ambiguë, au sens où elle met en jeu la capacité du pré-adolescent ou de l’adolescent à investir le lien avec le clinicien. En effet, la pratique clinique auprès des adolescents montre bien la nécessité de se tenir à bonne distance : l’épreuve de Rorschach va être mobilisée dans ce projet, afin de soutenir l’instauration d’une aire partagée, en appui sur un matériel qui ne soit ni explicitement connoté ou marqué du sceau de l’enfance voire de la petite enfance1 , ni porteur d’une charge liée à la sollicitation des performances intellectuelles. Cette dimension de l’ambiguïté du statut est bien souvent mentionnée par les adolescents au

1. ...Ce qui est souvent le cas de la proposition de dessiner faite à des pré-adolescents, à moins que l’on ait recours à une épreuve graphique structurée, et faisant explicitement appel à un travail sur l’imaginaire, telle l’épreuve de l’A.T. 9 (voir à ce sujet : Durand G., L’exploration de l’imaginaire, 1988).

44

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

moment de l’ouverture de la situation projective avec la présentation de la première planche : cette mention constitue à mon sens la marque de l’ajustement nécessaire de l’adolescent face à une tâche qui le contraint et dont il va tenter de s’approprier le projet. La question se posera, dans le fil de la passation, de la capacité de l’adolescent à dépasser le vécu d’étrangeté de la situation1 . Il n’est sans doute pas nécessaire de préciser que l’épreuve de Rorschach, en tant qu’épreuve historiquement dédiée à la clinique adulte, peut être proposée aux adolescents sans limitation d’âge. Au-delà de l’évocation des enjeux différentiels de la passation de l’épreuve de Rorschach et des incidences de ceux-ci dans la pratique clinique, il convient de préciser la manière dont la passation de l’épreuve de Rorschach s’inscrit dans la rencontre avec l’enfant ou l’adolescent. Nous l’avons évoqué, la proposition de l’épreuve de Rorschach, dans la perspective d’investigation de la personnalité qu’elle contient, ne saurait être considérée hors du contexte de la rencontre clinique qui se déploie dans le cadre de l’entretien inaugural (voire des entretiens inauguraux) avec l’enfant ou l’adolescent en présence, dans la plupart des situations de consultation, du (ou des) parent(s). La passation de l’épreuve s’inscrit alors dans le cadre de la demande, telle qu’elle est en mesure de faire l’objet d’une appropriation par l’intéressé, au regard du contexte d’émergence de ladite demande. Qui est le porteur de la demande : le ou les parent(s) ? l’institution scolaire ? l’instance judiciaire ? le pédopsychiatre préalablement consulté ?... Quel est l’énoncé de celle-ci : demande de bilan en lien avec une symptomatologie repérée au sein de la famille ou à l’école ? demande d’expertise en lien avec une symptomatologie familiale (détermination des enjeux d’une mesure de garde dans le cadre d’une séparation des parents, évaluation de la nécessité d’une mesure de protection...) ou avec un symptôme dans le registre de l’agir (expertise pénale) ? demande d’un éclairage psychopathologique dans le cadre d’une consultation publique ou privée ?... De quelle manière l’enfant ou l’adolescent va-t-il pouvoir investir les attendus de la demande portée par un autre : en se moulant dans la demande 1. C’est particulièrement dans ce contexte que la proposition d’une passation de deux épreuves projectives, l’épreuve de Rorschach et le T.A.T., prend tout son sens. En outre, l’épreuve du T.A.T. est une épreuve qui, par son caractère figuratif, exclut a priori, dans une première confrontation, la dimension de l’étrangeté : à ce titre, le matériel constitue un support précieux au regard du vacillement adolescent. À partir de là, il est sans doute inutile de rappeler le caractère complémentaire de l’épreuve de Rorschach, comme épreuve structurale, et de l’épreuve du T.A.T., comme épreuve thématique.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

45

de l’autre, selon une modalité de soumission, voire de séduction ? ou en investissant une position de type caractérielle, dans le refus violent ? ou encore, dans le retrait et l’indifférence avec une participation a minima au protocole proposé ? Il n’est pas dans le projet de cet ouvrage de développer les enjeux des différentes hypothèses quant à l’établissement du cadre de la passation de l’épreuve de Rorschach : en fonction de l’âge de l’enfant ou de l’adolescent, en fonction du contexte d’expression de la demande et du mode d’accompagnement familial, en fonction du registre de conflictualité mobilisé dans la demande de l’examen psychologique... les réponses apportées par le psychologue prendront une tonalité différente. Il importe toutefois de bien mesurer les contours de ces enjeux afin de mettre en oeuvre, dans le cadre de la consultation, une démarche de construction de la relation clinique qui autorise l’émergence d’une parole authentique – dans l’entretien en premier lieu, dans la passation de l’épreuve de Rorschach en second lieu, et enfin dans le temps de la synthèse – qui engage le psychologue dans sa démarche à l’égard de l’enfant ou de l’adolescent d’une part et de la famille ou de ses suppléants d’autre part.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Mise en œuvre de la passation La passation de l’épreuve de Rorschach consiste dans la présentation successive et ordonnée des dix planches de l’épreuve, présentation précédée et accompagnée de la consigne. L’objectif de la consigne traverse les précédents développements : il s’agit de favoriser le déploiement de l’imaginaire, à partir d’un support standardisé et proposé dans les mêmes conditions à tous les sujets. Il convient bien sûr de veiller aux conditions de mise en œuvre de la passation, conditions que l’on peut résumer autour de trois enjeux : disponibilité, engagement et fiabilité. 1. La disponibilité concerne la posture d’accueil du psychologue dans la rencontre avec l’autre sujet, au-delà de l’espace temporel ouvert pour la passation et dont il convient de prévoir que... l’on ne peut pas en prévoir de manière assurée le terme1 ; ce qui nécessite une forme d’organisation particulière de la rencontre autour de l’épreuve de Rorschach2 : cette 1. Cf. infra, avec la discussion sur la consigne et le déroulement de la passation. 2. La programmation d’un temps de consultation suffisant permet de véritablement ouvrir la situation projective : on constate les effets, dans le transfert, d’une posture plus ou moins accueillante

46

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

posture d’accueil implique une écoute des mouvements qui animent l’enfant ou l’adolescent, afin que puissent être entendues et prises en compte les réserves, réticences et résistances, avant, pendant et après la passation. L’adaptation du dispositif s’appuie sur cette attention, dont on mesure le caractère particulièrement déterminant en clinique de l’enfant et de l’adolescent. La nécessité d’un espace préservé des sollicitations extérieures s’impose par ailleurs, comme dans toute situation d’examen psychologique, dans une perspective de centration sur la tâche assignée au sujet. 2. L’engagement requis dans la rencontre ouverte par la passation de l’épreuve de Rorschach passe par le nécessaire partage des éprouvés dans la rencontre autour du matériel de l’épreuve projective : c’est bien dans le creuset d’une rencontre partagée, et toujours renouvelée, que se nouent les enjeux transférentiels que le psychologue devra pouvoir être en mesure de décrypter au fil du déploiement de la situation projective. La position spatiale occupée, dans la réalité, par l’enfant ou l’adolescent à l’égard du psychologue, imprime sa marque à la mise en œuvre transférentielle : dans ce sens, la position en quart-côté me paraît optimale, car elle ne se trouve ni entachée par la frontalité du face-à-face (avec son appel à la position magistrale et/ou aux émergences persécutoires), ni engluée dans la forme séductrice du côte-à-côte (avec le risque des effets de réduction de l’altérité qu’il contient). 3. La fiabilité du psychologue s’exerce tout à la fois au plan de la connaissance de l’épreuve de Rorschach et de la précision méthodologique que sa pratique requiert (passation, cotation, modèles d’interprétation...) qu’à celui de l’analyse que le psychologue peut mener sur la mobilisation de ses enjeux intimes dans le commerce avec l’épreuve : en effet, l’épreuve de Rorschach ne peut être considérée comme une épreuve anodine dans la rencontre entre le psychologue et l’enfant ou l’adolescent1 et c’est, pour une large part, la familiarité dans laquelle le psychologue lui-même se trouve avec l’épreuve qui conditionne sa capacité à contenir l’expérience du sujet face aux planches.

des productions de l’enfant ou de l’adolescent : ruptures, censures et autres empêchements à dire, limitation du temps de passation et/ou du nombre de réponses. 1. On notera que je préfère l’utilisation de l’expression : « proposer l’épreuve de Rorschach » à celle d’ « administrer l’épreuve de Rorschach » : au-delà de la dimension d’une recherche de l’adhésion du sujet ouverte par cette première formulation, la place du psychologue, au décours de la passation, s’y trouve nommée comme partie prenante du champ d’expérience ouvert par la présentation de l’épreuve.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

47

La situation de la passation de l’épreuve de Rorschach est généralement présentée au préalable au sujet, enfant ou adolescent, comme une situation de jeu (« nous allons faire comme un jeu », formulation qui bien sûr évoluera en fonction de l’âge de l’enfant vers la référence à une situation « d’évaluation du fonctionnement psychique et de l’organisation de la personnalité ») : l’objectif est de tenter de démarquer l’épreuve, tant vis-à-vis de l’enfant ou de l’adolescent que de son environnement, d’une exigence de type scolaire1 . La consigne

Selon l’âge de l’enfant, mais aussi selon le contexte de la consultation et les premiers éléments cliniques recueillis, le psychologue trouvera intérêt à adapter la consigne, nous y reviendrons. En tout état de cause, l’enfant ou l’adolescent sera mobilisé autour de l’expression d’une curiosité, ainsi que le propose N. Rausch de Traubenberg : « J’ai quelque chose à te montrer (..). » (N. Rausch de Traubenberg, M.F. Boizou, 1977, p. 11)

On pourrait dire que la limite de cette proposition tient dans son caractère (trop ?) séducteur... qui vient exacerber la dimension nécessairement empreinte de séduction de l’offre de la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach. La consigne que l’on retient le plus souvent dans le cadre de la clinique de l’enfant et de l’adolescent est la suivante, très directement inspirée de l’ouvrage princeps d’H. Rorschach (1921) et reprise par N. Rausch de Traubenberg (1970) :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Je vais te montrer dix cartes, les unes après les autres, et je vais te demander de dire, pour chacune d’elle, qu’est-ce que cela pourrait être. »

On le voit, cette consigne possède un caractère minimaliste : elle mentionne l’essentiel des attendus de la situation projective en nommant à la fois le support dans son organisation temporelle, mais également dans ce qu’il engage sur le versant de l’imaginaire, en référence avec le clinicien qui se présente au cœur même de l’énoncé de la consigne. Minimaliste, cette formulation permet néanmoins d’ouvrir une histoire, en introduisant à la dynamique transférentielle (« je vais te montrer (...) et je vais te demander de dire... »), sur fond d’une inscription chronologique,

1. La proposition de l’épreuve de Rorschach dans le cadre d’un bilan associant épreuves cognitives et épreuves projectives se trouve particulièrement prise dans le risque d’une mobilisation de l’enfant dans le registre de la réussite et de la performance.

48

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

sous-tendant un début et une fin (« ...dix cartes, les unes après les autres... ») et dans une double référence à l’objet de la réalité externe (« ...dix cartes (...) qu’est-ce que cela pourrait être... ») et aux objets internes, impliqués dans le travail de l’imaginaire, au travers de la mention d’un conditionnel ouvrant un certain nombre de possibles (« ...je vais te demander de dire, pour chacune d’elles, qu’est-ce que cela pourrait être... »). Il n’est souvent pas inutile de compléter la consigne d’une précision sur la liberté, certes limitée par les censures plus ou moins conscientes qui organisent la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent, qui préside à la production des réponses : celle-ci est souvent nommée en faisant référence à l’absence de normes de réponses (« il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse »). Selon les situations, et en particulier au regard de ce que le psychologue aura pu entendre des mobilisations défensives de l’enfant ou de l’adolescent dans le temps d’entretien préalable, cette indication sera donnée d’emblée, ou introduite en fonction des réactions du sujet face aux planches et à ce qu’il construit de l’attente que le psychologue peut avoir à son égard : apparaît ici, en filigrane, la nécessité de se déprendre d’une situation à tonalité normative (implicitement référée à la situation scolaire), dans laquelle l’enfant ou l’adolescent chercherait, dans un registre non exempt de séduction, à offrir au psychologue les réponses que celui-ci s’attendrait à entendre... Ajoutons enfin que la situation projective, initiée par la présentation de la planche de Rorschach accompagnée de la consigne, ouvre un espace imaginaire pour l’enfant ou l’adolescent dont on ne peut a priori définir le terme au plan temporel : le temps de présentation des planches n’est pas codifié, et il convient de transmettre au sujet cette information centrale afin de donner toute sa place et tout son sens au déploiement de l’imaginaire. C’est habituellement à l’occasion de la présentation de la première planche, et de l’interrogation plus ou moins explicitée par l’enfant ou l’adolescent sur le temps pendant lequel il peut/doit conserver la planche, que le psychologue sera conduit à indiquer au sujet que c’est à lui d’imprimer sa propre organisation temporelle à la passation. Sans doute cet élément singulier du dispositif de passation contribue-t-il à une possible appropriation par l’enfant ou l’adolescent de la situation projective, et soutient-il un investissement transitionnel de l’épreuve. On peut considérer en effet que l’expérience du trouvé-créé initiée par la situation projective, si elle concerne avant tout le lien complexe qui s’établit entre un trouvé au-dehors avec la planche et le créé au-dedans avec l’image mentale, ne peut faire l’économie d’une pré-inscription dans le dispositif même de l’épreuve. Entre les planches, dont la qualité, la singularité et l’ordonnancement échappent au sujet (le

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

49

trouvé du dispositif) et la scansion spatiale (les renversements de planche)1 et temporelle imprimée par le sujet à la situation (le créé du dispositif), s’inaugure un « espace d’interaction entre réel et imaginaire » pour reprendre l’heureuse formulation de N. Rausch de Traubenberg (1994). La discussion sur la forme des consignes est une question récurrente parmi les cliniciens praticiens de l’épreuve de Rorschach et il est de tradition, d’une certaine manière, qu’une contribution à la pratique de cette épreuve ne puisse faire l’économie de la proposition d’une nouvelle consigne. Pour ma part, je pense nécessaire de s’en tenir, dans le champ de la clinique de l’enfant et de l’adolescent à la consigne la plus simple et la plus accessible. Il faut reconnaître néanmoins que les apports de D. Anzieu d’une part et de C. Chabert d’autre part2 ont permis de mettre l’accent sur les différents enjeux sous-tendus par l’élaboration et l’énoncé de la consigne, en tant qu’elle initie l’établissement d’un dispositif à symboliser (Roman, 1997). La mise en perspective de ces enjeux, propres à l’instauration de la situation projective, avec ceux de la cure-type permet de penser le dispositif de l’épreuve de Rorschach au regard de la règle fondamentale dont les réquisits ont été énoncés par S. Freud : • Libre-association, avec la mobilisation des représentations face au matériel

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

peu structuré des planches de l’épreuve3 ; • Abstinence et suspension de la motricité, avec la référence à un « dire mais seulement dire », dont on peut mesurer l’enjeu tout à fait spécifique

1. Si les planches sont présentées, de manière standardisée, en position droite, l’enfant ou l’adolescent a toute latitude, dans son exploration du matériel (et de son monde interne) pour imprimer des mouvements de renversement de planche. On notera que le terme de renversement est ici préféré à celui de retournement, pour rendre compte de la rotation des planches réalisée par le sujet : le terme de retournement sera réservé à une modalité spécifique de traitement de la planche par l’enfant ou l’adolescent qui consiste à procéder à un retournement recto/verso de la planche afin de prendre connaissance des inscriptions portées au dos des planches ; cette curiosité mobilise deux aspects particuliers dans la saisie du matériel : celui de la numérotation des planches, qui permet de fonder une position de contrôle sur le matériel, la situation projective et... le psychologue, et celui de la signature des planches, autour de laquelle pourront s’exprimer les interrogations sur l’origine du matériel projectif. 2. Il est intéressant de rappeler ici les consignes respectives proposées par D. Anzieu (1983) : « Ce qu’on vous demande de dire “c’est” tout ce qu’on pourrait voir » et par C. Chabert (1997) : « Je vais vous montrer dix planches et vous me direz tout ce à quoi elles vous font penser, ce que vous pouvez imaginer à partir de ces planches. » 3. La question de la non-omission, associée à la libre-association, est explicitement mentionnée dans la consigne de D. Anzieu et dans celle de C. Chabert : elle ne me paraît pas nécessairement pertinente dans le cadre de la clinique de l’enfant et de l’adolescent, à l’égard desquels il me paraît prudent de proposer la plus large ouverture de la sollicitation au travers de la consigne.

50

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

qu’il revêt dans le champ qui nous intéresse, à la fois sur le plan des engagements transférentiels et moteurs1 . En contrepoint, il convient de souligner une définition de la posture du psychologue dans la situation de la passation : si la référence à la « neutralité bienveillante » peut permettre de signifier la qualité de l’engagement du psychologue dans la passation de l’épreuve projective de Rorschach, celle-ci n’épuise pas l’investissement d’une attention et d’une préoccupation du psychologue à l’égard de l’enfant ou de l’adolescent. Celles-ci pourront être signifiées selon différentes modalités au fil de la passation, par la voie de relances en appui sur une répétition de la consigne, ou par la proposition d’un renversement de planches en mesure de soutenir la production verbale de l’enfant ou de l’adolescent face à la planche. Une telle intervention peut s’avérer précieuse afin de tenter de lever des inhibitions massives que l’on observe parfois chez certains enfants ou adolescents, essentiellement lorsqu’il s’agit d’inhibitions de type névrotique. Les temps de la passation

La passation de l’épreuve de Rorschach est classiquement scandée en trois temps distincts : celui de la présentation des planches, successivement et de manière ordonnée, celui de l’enquête et, enfin, celui de l’épreuve des choix. On pourrait y adjoindre un quatrième temps, celui de la transmission, de la part du psychologue, de sa compréhension du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent, transmission souvent nommée « restitution », dont il sera question à la fin du présent développement. • Le temps de la présentation des planches constitue le temps à proprement

parler de la passation de l’épreuve. Il s’agit pour l’enfant ou l’adolescent, en appui sur la consigne énoncée en début d’épreuve et, le cas échéant, reprise au fil de celle-ci afin de soutenir le travail de mise en représentation ouvert par la consigne, de prendre le risque d’une double rencontre, médiatisée dans la relation transférentielle avec le psychologue : rencontre de l’inconnu et de l’étrange, de l’Unheimlich de ces planches sans forme précise (« formes fortuites » indiquait H. Rorschach), et celle de son monde interne, tel qu’il se trouve sollicité à son insu par le matériel 1. Cette problématique sera reprise ultérieurement, dans le développement consacré à la discussion sur les déterminants kinesthésiques, que l’on peut situer autour de deux points principaux : celui d’une clinique spécifique du jeune enfant, âgé de moins de 6 ans, et dont les engagements moteurs vont prendre une place singulière dans la passation, et celui de la clinique de l’hyperactivité infantile/instabilité psychomotrice, qui confronte à la limite pourrait-on dire, à la place de la suspension de la motricité dans le dispositif de passation.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

51

de l’épreuve. Au-delà de l’énoncé inaugural de la consigne (voire de sa reprise) il est convenu que l’intervention du psychologue sera limitée au seul soutien du travail associatif de l’enfant ou de l’adolescent suscité par le matériel de l’épreuve de Rorschach (exceptionnellement le psychologue peut être amené à interroger l’enfant ou l’adolescent sur un éventuel doute quant à la localisation et/ou quant au lien entre la localisation et la représentation proposée.) La consigne, on le sait, invite à une mise en mots des images et/ou des éprouvés mobilisés par les planches : cette mise en mots, traduction structurée en forme de langage, soutient tout à la fois un mouvement de secondarisation autorisant un dégagement de la plongée dans l’inquiétante étrangeté des contenus inconscients, et une adresse au psychologue à partir de laquelle pourra se nouer l’échange avec le psychologue. C’est le plus souvent sur cet appui langagier que l’enfant ou l’adolescent pourra venir chercher confirmation des mouvements qui l’habitent face à l’épreuve, dans une quête de réassurance, de gratification narcissique et/ou dans une revendication narcissique. C’est aussi sur cet appui langagier, qui se constitue en corpus de réponses (protocole), que le psychologue pourra développer une appréhension précise du matériel recueilli, tant au travers de la cotation des réponses que dans la lecture clinique de l’ensemble de la verbalisation. Cette appréhension repose sur une saisie écrite au plus près de la verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent1 ; • Le temps de l’enquête consiste à interroger les productions verbales du sujet. Ce temps se situe, dans la mesure du possible2 , à l’issue de la présentation des dix planches, à partir d’une nouvelle présentation de celles-ci. Cette présentation est accompagnée d’une reprise mot pour mot de la verbalisation initiale de l’enfant ou de l’adolescent face à la planche, et d’une interrogation du sujet sur ce qui a motivé la production de la réponse. La raison d’être de l’enquête3 est d’éclairer la démarche de cotation des réponses, qui exige, au-delà de la reconnaissance de l’appartenance du 1. Cf. infra, le développement consacré à la saisie du protocole. 2. Cf. infra, le développement sur les aménagements du dispositif. 3. De larges débats ont traversé la communauté des praticiens du Rorschach sur la place et le sens de l’enquête dans la passation de l’épreuve de Rorschach. Si pour certains (Jidouard, 1988), le terme même fait problème, dans la mesure de la connotation policière qu’elle recèle, pour d’autres (de Tychey, 2012) elle peut trouver une extension qui ouvre sur une nouvelle pratique de l’épreuve que l’auteur propose de définir comme une pratique associative du Rorschach. En introduisant ce second temps ouvert aux associations du sujet, C. de Tychey propose là une alternative à la passation conjointe d’une épreuve structurale (l’épreuve de Rorschach) et d’une épreuve thématique (l’épreuve du T.A.T par exemple), dans une pratique essentiellement référée à la clinique adulte.

52

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

contenu langagier de la réponse à une classe de représentation, une double approche de la localisation (où la réponse a-t-elle été vue ?) et du déterminant de la réponse (quelle est la qualité de la planche qui a déterminé la réponse ?). L’enquête sera introduite par le psychologue à partir de la nécessité, pour lui, d’affiner sa compréhension de la démarche de l’enfant ou de l’adolescent : il se place alors résolument en position de non-savoir, donnant ainsi corps à l’affirmation initiale selon laquelle on ne peut déterminer de bonne ou de mauvaise réponse face à l’épreuve. L’enquête pourra s’engager à partir d’une formulation du type : « Je voudrais être sûr d’avoir bien compris ce que tu as voulu dire ». L’enquête vise donc, de manière non-directive et non-intrusive à recueillir les éléments nécessaires au travail de cotation au travers d’une formulation du type (planche I) : « où as-tu vu la chauve-souris ? » (localisation) et « qu’est-ce qui fait que tu as dit que cela pouvait être une chauve-souris ? » (déterminant). L’intérêt du psychologue, en vue de la cotation, tient dans la reconnaissance d’une part de la localisation de la réponse (tout ou partie du stimulus) et d’autre part de son déterminant (ici, la dimension formelle versus la couleur noire de la tache, voire une association entre ces deux dimensions). On comprend dans ce sens l’importance de réserver le temps de l’enquête à la fin de la passation, afin de ne pas introduire de biais dans le recueil du protocole de réponses. L’enfant ou l’adolescent pourrait, en effet, se trouver alerté par des interrogations qui émailleraient la passation et qui, inévitablement, seraient en risque de renforcer un modelage de la production des réponses au regard d’une attente supposée de la part du psychologue. Signalons par ailleurs tout l’intérêt de l’enquête comme second temps de la passation : celle-ci permet, en particulier, d’évaluer les écarts qui s’établissent pour l’enfant ou l’adolescent entre chacun de ces deux temps. Ceux-ci concernent, dans des modalités diverses, l’écart entre production à la passation et à l’enquête : non-reconnaissance des réponses proposées à la passation, apport de réponses complémentaires (que l’on nomme « réponses additionnelles »), commentaires permettant de préciser, ou d’infléchir la production initiale... L’ensemble de ces manifestations contribue à la mise en évidence de la qualité des stratégies défensives et à la souplesse des aménagements de la personnalité. Enfin, la pratique dite de « l’enquête des limites », dont N. Rausch de Traubenberg et M.F. Boizou (1984) précisent que nous la devons à

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

53

B. Klopfer, autorise une autre appréhension de ces écarts : elle consiste à proposer à l’enfant ou l’adolescent, lorsqu’elle est absente de sa production, une réponse considérée comme banale, dans une définition statistique de cette notion, c’est-à-dire partagée par un nombre significatif de sujets. Cette pratique apporte un éclairage complémentaire sur la qualité des censures et sur les potentiels de réaménagement dont témoigne l’enfant ou l’adolescent : en effet, la capacité – ou l’incapacité – du sujet à se saisir d’une offre de représentation (« un papillon » à la planche I, « deux personnes » à la planche III, « deux animaux » à la planche VIII1 ) atteste du niveau de plasticité de la vie psychique, en appui sur le lien transférentiel engagé dans la passation. Le psychologue prendra soin de signaler de manière explicite sur le protocole de réponses : – son intervention et la nature de celle-ci, c’est-à-dire la proposition précise faite à l’enfant ou l’adolescent ; – la réaction verbale et non-verbale de l’enfant ou de l’adolescent au regard de cette proposition ; • L’épreuve des choix introduit un troisième registre de sollicitation dans

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la passation de l’épreuve de Rorschach : après le temps de l’imaginaire qui voit l’émergence de représentations plus ou moins secondarisées, puis celui de l’appel à une position réflexive sur ses propres productions, le temps de l’épreuve des choix invite l’enfant ou l’adolescent à une mobilisation de type affectif à l’égard du matériel2 . L’ensemble des dix planches est disposé devant l’enfant, et il lui est demandé d’opérer un choix, pour déterminer successivement : – la carte qu’il préfère, puis la seconde qu’il aime le mieux ; – la carte qu’il aime le moins, puis la seconde la moins aimée.

1. Il importe bien sûr que le psychologue conserve trace de la sollicitation qu’il adresse à l’enfant ou l’adolescent dans le cadre de l’enquête des limites afin de confronter la verbalisation de l’enfant à la sollicitation initiale. 2. Une variante de l’épreuve des choix est proposée et/ou rapportée par M. Ravit (2002), variante dont on peut mesurer la pertinence dans la pratique de l’épreuve de Rorschach auprès d’enfants ou d’adolescents : elle consiste à demander au sujet de déterminer la planche qui serait pour lui la planche-maman d’une part, et la planche-papa d’autre part ou, d’après M. Ravit, « deux planches qui pourraient représenter quelque chose de paternel et deux planches qui pourraient représenter quelque chose de maternel » (p. 35) : on peut reconnaître que ce dispositif permet d’interroger, de manière explicite, les fondements identificatoires de l’enfant ou de l’adolescent.

54

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

L’enfant ou l’adolescent est par ailleurs invité à expliciter ses choix en apportant une argumentation pour chacune des planches ayant été retenue par lui. En contrepoint des deux premiers temps de la passation, ce temps de l’épreuve des choix inscrit le sujet dans une double contrainte : – d’une part celle d’opérer un choix, c’est-à-dire dans le même temps de renoncer ; – d’autre part de rendre compte de ce choix, qui est annoncé comme devant être présidé par un rapport affectif avec le matériel. Outre que le choix des planches (choix positif et négatif) n’est pas indifférent, et qu’il mérite d’être mis en perspective avec la production projective de l’enfant ou de l’adolescent auxdites planches, le processus même de choix (voire l’impossibilité de choisir et/ou d’expliciter son choix...) contribue à la compréhension de la dynamique du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent. Les aménagements du dispositif de passation

Si la passation avec les enfants en période de latence et les adolescents ne posent en général pas de difficulté technique particulière au regard de la passation en clinique adulte, il convient d’apporter quelques précisions sur les aménagements nécessaires lorsque l’épreuve de Rorschach est proposée à des très jeunes enfants ou à des enfants ou des adolescents présentant des troubles psychopathologiques qui affectent de manière massive les processus de représentation. Deux types d’aménagement doivent être envisagés : ceux qui concernent d’une part la passation en elle-même et d’autre part la pratique de l’enquête. Sans doute les aménagements principaux concernant la passation de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent concernent-ils le cadre de la passation avec l’énoncé de la consigne, et la nécessité parfois avérée de renouveler celui-ci à plusieurs reprises, et l’explicitation de la nécessaire conservation du matériel que représentent les planches de l’épreuve au regard des différents mouvements de mise à l’épreuve de celles-ci engagés dans la motricité de l’enfant. En outre, de manière tout à fait exceptionnelle il convient de mentionner : • la nécessité qui peut apparaître au psychologue (et dont il ne devrait pas

hésiter à se saisir) de suspendre la passation de l’épreuve de Rorschach

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

55

lorsque manifestement l’enfant se trouve débordé par la rencontre avec le matériel de l’épreuve (cf. des expressions affectives marquées1 ) ; • l’hypothèse d’avoir à envisager, le cas échéant, une passation en deux temps distincts au regard de la fragilité des potentiels d’attention et de concentration de l’enfant ; une telle décision infléchit nécessairement la lecture clinique du protocole et contribue à l’analyse du fonctionnement psychique de l’enfant (et plus rarement de l’adolescent). Les aménagements qui ont trait à l’enquête portent essentiellement sur le temps auquel se déroule celle-ci : habituellement prévue à la fin de la passation des dix planches, il peut s’avérer judicieux, au regard de la labilité des représentations proposées par l’enfant ou l’adolescent (très jeune enfant, enfant ou adolescent présentant des troubles psychopathologiques sévères), d’opérer l’enquête au fil de la passation, à l’issue de chaque planche, face au risque pour le psychologue de se trouver confronté à des formes d’échappée du processus représentatif qui n’autorisent pas le sujet à investir une permanence des représentations suscitées par les planches (construites à partir des planches). Dans ces cas ultimes, l’enquête pourra être réalisée à l’issue de chaque planche, voire suite à chacune des réponses, en prenant soin de relater, dans la présentation du protocole, cet élément de méthode dont on peut penser (cf. supra, p. 54) qu’il ne sera pas sans incidence sur la production à venir.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



La saisie du protocole Une bonne partie de l’enjeu de la pratique de l‘épreuve de Rorschach tient, au-delà du respect d’un certain nombre de prescriptions liées à la passation, dans l’attention mobilisée par le psychologue pour la transcription de la verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent, au plus près de sa production. Il s’agit en effet pour le psychologue d’écrire sous la forme d’une prise de note qui pourra – et qui gagnera à – être reprise dans un temps d’après-coup de

1. Sans aller jusqu’à contraindre à l’arrêt de l’épreuve dans la mesure du sentiment que ces mouvements pouvaient être suffisamment contenus dans le cadre de la relation clinique, les manifestations affectives de Jérémie, âgé de 5 ans et 6 mois, face aux planches de l’épreuve de Rorschach peuvent témoigner de ce type de difficultés : en effet, aux planches II et III, après la proposition à chacune de ces planches d’une réponse de monstre (à la planche II : « un monstre » et à la planche III « un monstre avec des dents »), Jérémie mime, avec force grimaces, expressives d’une angoisse insoutenable, ces représentations, manifestement affecté par la rencontre (terrifiante ?) de ces représentations. Tout se passe ici comme si Jérémie se trouvait, dans une situation d’effacement de la frontière entre réalité et imaginaire, envahi par le stimulus de la planche... et inquiété par lui dans son identité...

56

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

la consultation. S’il semble important que le psychologue puisse informer l’enfant ou l’adolescent de cette prise de note (en la mentionnant dans sa fonction d’outil de travail « de conservation », de compréhension et d’élaboration dans la perspective d’une transmission en retour d’une parole de la part du psychologue), la pratique de cette prise de note n’épuise pas pour autant les mouvements persécutoires potentiellement suscités par une démarche qui vise à une forme de contrôle d’une production de l’intime du sujet. Il convient de mentionner que cette prise de note ne concerne pas exclusivement la part verbale de la production de l’enfant ou de l’adolescent, dans la mesure où l’on ne peut en aucun se couper de la dimension non-verbale de la passation afin de pouvoir en apprécier le sens. Ainsi, au-delà de la prise en note du verbatim du sujet (sous la forme du mot à mot1 )), le psychologue est-il invité à prendre en compte un certain nombre d’éléments non-verbaux essentiels à la compréhension de la situation : • Des indications temporelles, qui concernent le début et la fin de l’épreuve,

mais également de manière plus fine le temps consacré à chaque planche par l’enfant ou l’adolescent, ainsi que le temps de latence, constitutif du temps qui s’écoule entre la présentation de la planche par le psychologue et le début de la verbalisation. Dans un contexte d’épreuve projective, il s’avère inimaginable de considérer la place d’un chronomètre pour mesurer ces différents éléments temporels ; ainsi, la disposition d’un réveil posé sur le bureau où se déroule la passation de l’épreuve, laissant défiler les minutes et les secondes sous le regard du psychologue, autorise les repérages temporels nécessaires (il suffit alors au psychologue de noter les temps tels qu’ils défilent pendant la passation, à charge pour lui, à l’issue de celle-ci, de procéder au décompte nécessaire à une lecture des données temporelles). Une telle pratique permet de réduire la pression de la référence au temps comme participant d’une quête de performance, et à la forme de sanction que peut revêtir le recours au chronomètre ; • Des indications relatives aux expressions verbales de l’enfant ou de l’adolescent qui n’appartiennent pas en soi au corpus de réponses, c’est-à-dire aux représentations mobilisées par les planches : onomatopées, exclamations, remarques personnelles ou remarques concernant le matériel de l’épreuve de Rorschach, bruitages divers, commentaires... ;

1. Au fil de la pratique le psychologue construit ses propres repères d’abréviation, dans une perspective d’efficacité, afin d’être en mesure de saisir l’essentiel de la verbalisation...

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

57

• Des indications relatives aux expressions non-verbales de l’enfant ou de

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’adolescent : mimiques, gestuelle, mouvements et déplacements, marques d’émotion... ces indications viennent colorer le protocole de réponses et apporter des éléments complémentaires pour l’analyse du matériel verbal. Avant de refermer ce développement consacré à la saisie du protocole, il importe de ne pas laisser dans l’ombre la question récurrente concernant un possible enregistrement de la passation afin de dégager le psychologue de cette tâche, souvent ingrate, qui peut être considérée comme limitée à celle d’un scribe, et qui peut par ailleurs sembler éloigner le psychologue de sa posture d’écoute et d’attention dans la relation à l’enfant ou à l’adolescent. Il convient d’affirmer que la prise de note appartient à la pratique du psychologue, et que la technique de l’enregistrement audio (voire vidéo) de la passation, outre les questions éthiques qu’elle engagerait, n’exonère en aucun cas le psychologue du fastidieux travail de ré-écriture du discours1 . Par ailleurs, si l’on peut considérer que l’inconvénient majeur de l’enregistrement audio tient dans la surchauffe persécutoire qu’elle initie, il convient de mentionner, de plus, la manière dont celui-ci viendrait rompre le lien d’attention et de préoccupation (qui s’exerce parfois à l’extrême... au risque de perdre et/ou de ne pas tout contrôler...). En effet, le psychologue, à l’occasion de la pratique de l’épreuve de Rorschach, se trouve engagé dans une rencontre singulière, certes médiatisée par une épreuve standardisée, mais dont les enjeux se présentent nécessairement comme imprévisibles : dans ce contexte, l’attention soutenue à la parole du sujet, avec les aléas que sa retranscription produira, appartient de plein droit à l’histoire transférentielle engagée autour de l’épreuve et contribue à habiter celle-ci. De plus, la part d’humanité afférente à la saisie du verbatim du discours du sujet introduit une donnée clinique intéressante en contrepoint du discours lui-même : on observe, de manière récurrente, que la manière dont le psychologue se saisit de cette transcription peut être utilisée par le sujet, enfant ou adolescent, en forme d’emprise (l’enfant ou l’adolescent produit un discours extrêmement rapide, sans respiration, empêchant toute forme d’accès à l’absence, au manque, à la séparation), en forme de contrôle précis et omnipotent (le sujet dicte au psychologue ce qu’il doit prendre en note, sur fond de la 1. La pratique au sein du Service de consultation de l’enfant et de l’adolescent de l’Université de Lausanne (Suisse), lieu de consultation et de formation des futurs psychologues, fournit une situation expérimentale intéressante : les consultations y sont filmées et enregistrées, afin de permettre la supervision et le travail après-coup sur les postures professionnelles. L’appui sur la vidéo (qui fait partie du dispositif), n’exonère pas le psychologue en formation de la mise en forme du protocole, dans la complexité propre à cette tâche...

58

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

manifestation d’un interdit de l’exercice de toute subjectivité...), ou en forme de séduction, dans une quête de reconnaissance de la part de l’enfant ou de l’adolescent qui passe par une forme d’identification peu différenciée d’avec la figure du psychologue. Enfin, il paraît important de préciser que la pérennité du lien avec l’enfant ou l’adolescent dans le cours de la passation de l’épreuve primera toujours sur l’écriture du discours de l’enfant : ce qui aurait manqué à être saisi dans cette écriture trouvera à se reconstruire à l’issue de la passation, ou bien fera l’objet d’une note précisant la part qui fait défaut dans la prise en note du protocole de réponses. En tout état de cause, cet élément appartient à la situation de la passation et trouvera sa place dans les aspects propres à spécifier la « clinique de la passation » (Emmanuelli et coll., 2001). ➤

La transmission ou synthèse Il n’est pas d’examen psychologique, et au sein de celui-ci, de proposition d’épreuve projective comme celle de Rorschach, qui puisse être considéré en dehors de la pensée d’une adresse de ses conclusions au principal bénéficiaire (l’enfant ou l’adolescent) celui que l’on peut nommer comme le « sujet » de l’examen psychologique. Ce que l’on appelle habituellement restitution, correspond, de fait, à la transmission d’une synthèse de la compréhension que le psychologue aura pu construire, au décours de la passation des différentes épreuves, du fonctionnement psychique du sujet, des zones de fragilité et/ou de souffrance, des lignes de rupture et de réaménagement, des potentiels et des ressources mobilisables. Ce temps de la synthèse appartient de plein droit au dispositif de l’examen psychologique, il en constitue un point d’aboutissement, qui vectorise la démarche de la rencontre clinique et lui donne son sens. Par ailleurs, il semble que la place accordée à ce temps de la synthèse contribue à l’établissement des garde-fous nécessaires à l’égard de l’engagement de la pulsion du voir (Bonnet, 1996) dont on peut faire l’hypothèse qu’elle occupe une place centrale dans la démarche de l’examen psychologique et de la proposition de l’épreuve de Rorschach en particulier. Car de quoi s’agit-il dans cette démarche de synthèse ? Il s’agit pour le psychologue de soutenir une position de sollicitude (que l’on peut inscrire dans le champ du soin maternel, à la suite de D.W. Winnicott), position qui ouvre sur la transmission d’une parole, qui contient une reconnaissance de la souffrance (ou de la part souffrante) de l’enfant ou de l’adolescent. En filigrane, on peut reconnaître dans ce temps de la synthèse le projet de la construction d’une explicitation

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

59

d’un sens à la souffrance, au travers de la proposition d’une figuration et/ou d’une représentation du fonctionnement psychique. Il importe par ailleurs de s’attacher à la forme que peut revêtir ce temps de transmission et d’en préciser les contours et les contenus. En effet, si le temps de la synthèse, dans le cadre d’un entretien, préalable à tout compte-rendu écrit de l’examen psychologique, apparaît incontournable, la dimension de l’écrit constitue un élément déterminant dans le déroulement du processus ouvert par l’examen psychologique. Cet écrit s’inscrit dans la démarche du bilan projectif et sera, selon le cadre de l’exercice clinique et la demande qui est adressée au psychologue, soit exclusivement destiné au sujet, ou à ses parents lorsqu’il s’agit d’enfant ou d’adolescent, soit également destiné à un tiers (médecin-psychiatre, magistrat, institution de soin ou éducative...). Il paraît indispensable que l’enfant ou l’adolescent, par l’intermédiaire de ses parents soit, en tout état de cause, destinataire d’un exemplaire du rapport rédigé par le psychologue, ce qui contraint le psychologue, on le comprend, à user d’une langue et d’un langage suffisamment accessibles pour rendre compte de l’examen psychologique et de ses conclusions. De fait, dans ce temps de la transmission, le psychologue se trouve pris au cœur d’une tension qui s’exerce entre : • d’une part la nécessité de l’expression de ses compétences spécialisées

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans le champ de l’évaluation du fonctionnement psychique en appui sur l’épreuve de Rorschach et, le cas échéant, sur d’autres épreuves (qui implique le recours à un corpus de concepts et de notions complexes) ; • d’autre part le souci pédagogique d’un partage de sa compréhension de la problématique du sujet pour lequel il a été sollicité. On peut ajouter que la nécessité d’une écriture adaptée du compterendu de bilan projectif contribue à soutenir, pour le psychologue, une interrogation déontologique et éthique dans son engagement professionnel. Enfin, il semble impératif que les contours du rapport de bilan projectif soient suffisamment clairement tracés : en effet, on peut considérer qu’il doit essentiellement contenir des éléments propres à éclairer la question autour de laquelle la demande s’est présentée puis construite avec l’enfant ou l’adolescent, et se garder de toute ambition totalisante (voire totalitaire) dans l’appréhension du fonctionnement psychique. Outre les éléments propres à permettre une représentation des conditions de déroulement du bilan projectif (énoncé de la demande, lieu et nombre de rencontres, épreuves proposées, conditions de la synthèse), le rapport devrait pouvoir rendre compte de la dynamique du fonctionnement psychique, nécessairement

60

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

inscrit dans une perspective d’évolution : le registre des angoisses, la mobilisation défensive, le mode de structuration identitaire et identificatoire, la qualité des aménagements psychiques dans le jeu relationnel constituent les thématiques centrales autour desquelles vont s’articuler les termes du rapport. En filigrane, seront précisés, outre les points d’achoppement du fonctionnement psychique, le registre des potentiels du sujet qui permettront de soutenir, le cas échéant, une perspective d’accompagnement de celui-ci, quelle que soit la nature de cet accompagnement (éducatif, scolaire, psychothérapique...). La question de l’évocation d’un diagnostic psychopathologique constitue bien sûr un point de butée incontournable de la question de la transmission des éléments de l’examen psychologique : il semble que la clinique de l’enfant et de l’adolescent, davantage encore que la clinique adulte, doive engager le psychologue à la plus grande prudence quant à l’évocation d’une formulation diagnostique, dont on comprend qu’elle se trouverait en risque d’enfermer le sujet dans une forme de prescription psychopathologique.

La cotation, clinique de la production projective

Le travail de la cotation représente bien souvent la part qui rebute le psychologue dans la pratique de l’épreuve de Rorschach : elle est considérée comme mobilisant une exigence extrême, parfois teintée d’une dimension obsessionnelle qui écarterait le clinicien de la pureté de la rencontre clinique. De fait, le travail de la cotation du protocole de Rorschach ne constitue que la première étape de la démarche d’analyse et d’interprétation, dans la mesure où elle permet une forme de déconstruction des processus à l’œuvre dans la production de la réponse : en tant que démarche d’objectivation des processus, cette étape s’avère indispensable en vue de soutenir une complexité de l’approche clinique et psychopathologique de l’enfant ou de l’adolescent (nature des angoisses et de la qualité des stratégies défensives, mode de relation d’objet, structure identitaire et dynamique identificatoire). Le travail de la cotation se trouve ainsi au carrefour entre l’émergence d’une représentation par le sujet à partir de la planche de l’épreuve de Rorschach, support peu structuré, non-figuratif, qui témoigne d’une qualité singulière des potentiels de symbolisation du sujet d’une part, et une analyse des processus en jeu dans l’élaboration de ce qui est ici nommé « réponse ».

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent



61

La réponse au Rorschach La définition que l’on peut donner de la réponse au Rorschach possède une dimension tautologique, puisque l’on considère comme « réponse » toute entité du discours du sujet, suffisamment délimitée dans la dynamique de l’expression verbale et qui pourra faire l’objet d’une quadruple cotation :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

1. Au plan de la localisation de la réponse où il s’agit de pouvoir identifier clairement quelle part du stimulus, que représente la tache de la planche de Rorschach, se trouve être le support de la réponse ? 2. Au plan du déterminant de la réponse qui renvoie à la qualité particulière du stimulus engagée dans la réponse ; 3. Au plan du contenu de la réponse ou, plus précisément, de la classe de représentation à laquelle appartient la réponse au regard d’une liste pré-établie ; 4. Au plan du caractère banal ou non de la réponse, caractéristique qui peut être déterminée en fonction de repères établis à partir de recherches sur des populations non-consultantes1 .. A contrario, toute verbalisation ne pouvant répondre aux quatre critères précédemment énoncés ne sera pas considérée comme une réponse : dans le projet de la lecture clinique du protocole, le psychologue ne peut cependant en aucune manière se satisfaire d’une telle restriction du corpus recueilli dans la rencontre avec les planches de l’épreuve de Rorschach. Il veillera ainsi à donner toute sa place aux données que l’on dit non cotables du protocole de verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent (exclamations, remarques sur le matériel, éprouvé subjectif, critiques, nomination des couleurs et/ou des différents éléments constitutifs des planches, manifestations de chocs...), en accordant une attention particulière au style du discours qui sous-tend la production des réponses2 . Chacune des modalités de cotation retenue, dont l’ensemble fonde la reconnaissance de la réponse à l’épreuve du Rorschach, permet de situer la 1. Ce sont à ce jour les travaux de J. Blomart (1998) qui apportent les éléments les plus actuels pour l’analyse des banalités dans les protocoles d’enfants et d’adolescents, ainsi que ceux de C. Azoulay & Coll (2007) pour les adolescents (voir infra, synthèse 5). 2. Les travaux de C. Rebourg (2007), représentent, sur ce point, un apport indéniable ; s’ils concernent, à ce jour, exclusivement la clinique adulte, ils méritent toutefois d’être entendus comme un enrichissement majeur dans la prise en compte de la dynamique psychique à l’œuvre dans la production des réponses. Ces travaux constituent une forme de prolongement de travaux plus anciens, consacrés à l’analyse des modalités discursives de la réponse au Rorschach, dans une approche marquée par les apports de la psycholinguistique (Cosnier, 1969).

62

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

nature de l’engagement du sujet face à la planche. Le travail d’objectivation mobilisé dans la démarche de cotation doit, ainsi que j’en ai évoqué le risque, se départir du caractère potentiellement obsessionnel qu’une telle pratique peut appeler, pour être mis au service d’une démarche clinique dont le projet se trouve celui d’une explicitation du processus de production de la réponse. Ainsi, la dynamique de la cotation, dans ce qu’elle autorise une telle explicitation, est-elle aussi importante que le résultat même des cotations. Afin de souligner la dimension dynamique de cette démarche, il me paraît important de soutenir l’idée selon laquelle la cotation du protocole appartient au dispositif même de la passation : dans ce sens, on peut considérer l’intérêt, à plus d’un titre, que la cotation puisse être réalisée au décours du temps de l’enquête. Bien sûr une telle pratique requiert une connaissance approfondie des différents ordres de cotation et une appropriation de la subtilité des nuances dont la cotation doit pouvoir rendre compte. Outre le fait qu’une telle démarche donne tout son sens à ce temps de l’enquête, elle introduit une forme de garantie quant à la mise en œuvre de la cotation, inscrivant l’enfant ou l’adolescent dans une position de partenaire de la passation en appui sur l’actualisation de la position en creux qui sera celle du psychologue à ce temps de l’épreuve. Au-delà de la définition stricte de la réponse à l’épreuve de Rorschach, il convient de rappeler l’importance des éléments non-verbaux, ou des éléments de discours non-représentatifs, qui ponctuent la verbalisation du sujet : ceux-ci renseignent sur les éléments contextuels de production de la réponse et autorisent une mise en perspective des réponses sur un fond de discours qui traduit la tonalité subjective sur le fond de laquelle elles émergent. L’ensemble des données issues de la cotation se trouve rassemblé et synthétisé dans un document nommé « psychogramme1 » : outre la présentation de ces données, le psychogramme comporte le calcul d’un certain nombre d’indices qui éclairent le registre des processus de réponses mobilisé par l’enfant ou l’adolescent. Ce document permet une première lecture de la dynamique du protocole de Rorschach qui sera prise en compte dans la perspective intra- et inter-planche (continuum des réponses produites à une planche donnée, articulation du discours de planche en planche), dans la perspective de l’évaluation du fil projectif (Roman, 1996) qui traduit la qualité de l’élaboration du processus représentatif. De premières hypothèses pourront émerger de cette lecture des données quantitatives 1. Voir modèle de psychogramme proposé p. 65

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

63

qui, nécessairement, traduisent une approche qualitative du matériel et qui spécifient la production projective. La mise au travail de ces hypothèses nécessite une interrogation en retour du matériel clinique recueilli, dans une appréhension de la complexité du discours proposé par le sujet face aux planches. ➤

Présentation du protocole Le protocole de Rorschach se présente comme la succession de la verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent telle qu’elle se déploie au fil des planches. Au sein de cette verbalisation, sont identifiées les réponses au sens Rorschach de l’utilisation de ce terme (voir supra), numérotées en continu de la première à la dernière planche. Pour des raisons de commodité dans la perspective du traitement du protocole, il est proposé d’adopter une présentation du protocole en trois colonnes1, présentation qui correspond au canevas à partir duquel la verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent pourra être recueillie dans le temps de la passation : • La première colonne porte le recueil du corpus de verbalisation, elle est

précédée de la mention de la planche considérée et du temps pendant lequel l’enfant ou l’adolescent se tient face à la planche2 ; • La seconde colonne permet, au regard des réponses énoncées lors de la passation, de porter mention des éléments recueillis à l’enquête (précisions sur la réponse, inflexion de celles-ci, ajouts de nouvelles réponses) ; • La troisième colonne est réservée à la cotation de chacune des réponses, ainsi qu’aux commentaires qui peuvent les accompagner (référence aux tendances3 qui émergent de la lecture clinique des réponses, hypothèses de compréhension du processus en jeu dans la production de la réponse 1. Voir en p. 67 et suivantes un exemple de présentation d’un protocole, ici celui d’un enfant de 9 ans et 9 mois. 2. Le temps total indiqué en fin de protocole comprend le temps strictement consacré à la passation de l’épreuve, le temps de l’enquête, qui est souvent plus important que celui de la passation, n’est pas pris en compte dans le temps de la passation. 3. On nomme tendance au Rorschach la présence d’un critère de cotation pour lequel un doute empêche de le considérer comme partie prenante de la cotation. Exemple, planche V, Romain, 12 ans : « un papillon de nuit », enquête : « c’est la forme, les papillons de nuit ont des ailes plus longues, elles leur servent de gouvernail la nuit ». Dans cette réponse, le caractère sombre de la planche n’est pas explicitement nommé pour expliciter le choix du « papillon de nuit », alors même que la référence à la nuit est énoncée de manière prégnante ; une cotation de la prise en compte de la couleur achromatique (G FC’ A Ban) pourrait apparaître comme une extrapolation au-delà du discours du pré-adolescent. On pourra préférer une cotation du type : G F+ A Ban > FC’.

64

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

lorsque celui-ci n’apparaît pas dans une telle évidence qu’il peut se trouver inclus dans la cotation...). Il n’est pas indifférent, par ailleurs, de se doter de signes conventionnels qui permettent d’appréhender au plus près la dynamique présidant à la production du discours de l’enfant ou de l’adolescent. Outre la mention des différents temps qui organisent les séquences temporelles de l’épreuve, seront notées, entre parenthèses, les manifestations corporelles, motrices, émotionnelles de l’enfant ou de l’adolescent. Par ailleurs, la mention des renversements de planche revêt une importance tout à fait particulière, dans la mesure où elle rend compte de la qualité et de la nature de l’investissement moteur dans la production du discours. Les différents renversements de la planche imprimés par l’enfant ou l’adolescent seront indiqués à l’aide de signes aisément partageables au sein de la communauté des psychologues, praticiens des épreuves projectives :





▲ pour la planche interprétée en position droite (l’absence de mention spécifique implique que la planche se trouve dans la position dans laquelle elle a été présentée, c’est-à-dire en position droite) ; pour la planche interprétée après une rotation d’un quart de tour sur la droite suite à l’intervention de l’enfant ou de l’adolescent ; pour la planche interprétée après une rotation d’un quart de tour sur la gauche ; ▼ pour la planche interprétée après une rotation d’un demi-tour.

On prendra soin également de mentionner, à l’aide d’un signe identifiable (on peut proposer de recourir à l’insertion, avant le signe de renversement de la planche, d’une initiale placée entre parenthèses – E pour examinateur, ou C pour clinicien), les cas dans lesquels c’est le psychologue, afin de soutenir l’enfant ou l’adolescent qui aura réalisé une proposition de renversement de la planche. Dans la perspective d’une étude fine de la place de l’investissement moteur chez des enfants présentant des troubles dans le registre de l’instabilité psychomotrice, P. Claudon (2006) propose de systématiser la prise en compte de ces renversements en introduisant un indice supplémentaire dans la synthèse des données issues de la cotation. L’indice Mp (pour « mouvement des planches » vise à rendre compte de la fréquence avec laquelle l’enfant procède à des renversements de planches au fil de la passation. Ces renversements de planche, pour une part mobilisés au service du travail de représentation (agir comme soutien au travail de symbolisation versus agir comme évitement de la symbolisation) doivent être différenciés, comme

65

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

le note P. Claudon, de l’expression des agirs corporels qui s’expriment endehors de la mobilisation du matériel de l’épreuve de Rorschach : au même titre que les procédés hors-jeu dans les épreuves projectives de jeu (Boekholt, 1993 ; Roman, 2005), ces formes expressives témoignent d’une mise en échec du processus de mise en représentation, échec de la transformation de la représentation-chose à la représentation-mot. Modèle de psychogramme Nom : Prénom : R:

Sexe :

Date :

Refus :

Temps total

Temps/réponse

Temps latence moyen

G: } Gz : } Gbl : }G% G Conf: } G Cont: }

F:

}F%

F+ : F+/- :

H: Hd :

} } F+ %

(G) : D:

}D%

Do : Ddo :

Dd : Ddi : Dde : Dbl : Ddbl : © Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Age :

Type d’appréhension G%: D%: Dd % : Dbl % : Succession :

F- : K: kp : kan : kob : kex : FC : CF : C: FC’ : C’F : C’ : Cn FE : EF : E: FClob : ClobF : Clob : F+ % élargi : ! C: TRI : ! ! k/ E : RC % :

} }H%

(H) : (Hd) : A: Ad : Adev : (A) Scène : Anat : Sexe : Sang : Bot : Elem : Frag : Obj : Pays : Géo : Art : Sci : Symb : Arch : Abstr : Divers : Ban : Ang % : Pl + : Pl h- :

} } A%

66

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Exemple de protocole de Rorschach – Steve, 9 ans et 9 mois Pl.

Temps

I

0:00:10

II

0:00:30

III

0:00:35

R

Passation

Enquête

Cotation

1

Un papillon.

Déjà tu vois les ailes, les deux ailes avec le G F+ A Ban milieu.

2

( ?) Une chauve-souris, Les ailes aussi, deux G F+ A Ban voilà c’est bon. petites pattes pour poukan voir se cramponner.

3

Ben deux personnes Coup de pied un peu un peu qui se qui fait gicler le sang... deux personnes avec G KC H battent...voilà... un visage rouge qui se tiennent les mains.

4

Deux personnes qui dansent un peu, aussi... oui qui s’écartent en Avec la vitesse les petits fait, voilà (semble traits (D7). D K H Ban s’« installer » dans l’épreuve).

IV

0:00:20

VI

0:00:25

6

Ça, ça me refait pen- Les ailes, les petites ser à une chauve-souris, pattes, les pattes pour se cramponner fine- G F+ A Ban c’est bon. ment au mur... un peu kan comme si elle volait, quoi...

7

À une guitare un peu, Les trucs pour régler G F+ Obj voilà. (D2) le manche.

8

Ben... ça a des mains un Ou des visages... (D1+D3)... un peu là peu collées quoi. D F- Hd (D10.)... des mains lèvent le doigt (D1+D3).

9

C’est un peu un sque- Là les ossements (D4)... lette... un squelette qui... comme si le squelette G F+ A/Anat avec des bêtes qui... poussait les bêtes. Ban voilà.

10

Ça à une fontaine voilà. L’eau (D8)... y a un petit D/Dbl tube pour remplir (D5). F- Arch/Elem

11

(L. 0 :10) Ça... je sais pas D1, D7, D8, D9, D6, D4 des petits monstres... qui viennent un peu partout... voilà.

0:00:25

VIII

0:00:35

IX

0:00:15

X

(L. 0 :10) (Sourit) Un vieil arbre, voilà.

0:00:35

V

VII

5

0:00:35

Tronc, les feuilles qui sont vieilles depuis longtemps (E ?), la G FE Bot longueur, on dirait qu’elles tombent.

DD kan (A)

67

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Durée totale de la passation : 00:04:25 Un peu tous... moi ?

Pl+

Pl-

IX

Un peu tous... moi ?J’aime bien tout ce qui est fontaine un peu, il y a beaucoup de couleurs.

VIII

Il y a aussi beaucoup de couleurs et elles vont ensemble.

II

Celle-là je pense, j’aime pas ce qui est violence.

IV

Ben les arbres...normalement ça meurt pas... si ça meurt mais j’aime pas trop quand ça meurt.

Psychogramme résumé R = 11

Temps total : 4. 25’

Temps/ réponse : 0. 26’

Temps latence moyen : 0. 02’

G:7

F:7

F% : 63

H:2

D:2

F+ : 5

F+% : 71

Hd : 1

DD : 1

F- : 2

D/Dbl : 1

Anat : 1 H% : 27

K:2 G% : 63

kan : 1

D% : 37

A:4 A% : 37

FE : 1

(A) : 1

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Bot : 1 ΣC:0

Arch : 1

T.R.I : 2/0

Elem : 1

RC% : 27

Ban : 5

Ang% : 18

Le modèle de l’évaluation du fonctionnement psychique en clinique de l’enfant et de l’adolescent

On l’a dit, le projet de la rencontre de l’enfant ou de l’adolescent en situation de consultation ne peut en aucun cas se résoudre à la perspective d’un diagnostic psychopathologique. Dans ce sens, il importe de relever, avant tout, ce qui permet de spécifier, dans une approche dynamique, les

68

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

grandes lignes du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent, en prenant en compte la caractéristique propre de cette population, à savoir son inscription dans une logique de développement. Ainsi, je propose de prendre en compte, dans un entrecroisement des regards, d’une part les différents items qui témoignent du registre de fonctionnement psychique du sujet, et d’autre part la référence au développement de l’enfant, considéré dans la logique des modalités de traitement de la pulsion d’une part, et de la dynamique conflictuelle d’autre part... et ce, sur le fond de la prise en compte de ce que les projectivistes de l’École de Paris (Emmanuelli et coll., 2001) nomment la « clinique de la passation ». Il faut ajouter, par ailleurs, qu’au-delà des aspects péjoratifs voire psychopathologiques du fonctionnement psychique dont les productions projectives peuvent témoigner, l’accent sera mis d’une part sur les potentiels de l’enfant ou de l’adolescent, et d’autre part sur les ressources dont les productions projectives rendent compte. ➤

Les composantes de l’évaluation du fonctionnement psychique Dans le fil des propositions des projectivistes de l’École de Paris (Emmanuelli et coll., 2001), réalisées dans le cadre de la clinique adulte, il me paraît alors pertinent de retenir trois aspects principaux afin d’élaborer une compréhension du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent : – la clinique de la passation, – les processus de pensée, – et le traitement des conflits. Ces trois aspects seront servis par une lecture attentive de la production projective, tant au travers des aspects formels (issus de la cotation du protocole de Rorschach), que des aspects cliniques qualitatifs (issus d’une approche de la conflictualité sous-jacente, au regard du traitement des sollicitations latentes des planches). À partir de là, pourra se tisser une compréhension des principaux organisateurs de la vie psychique, pris entre mouvements pulsionnels et représentation. La clinique de la passation

La prise en compte des éléments liés à la clinique de la passation conduit à une attention particulière à tout ce qui concourt, dans la situation de l’épreuve projective, à la production de la réponse face aux planches – ou à

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

69

ses empêchements. Outre le climat de la rencontre clinique et de la passation, on s’attachera à la qualité des engagements transférentiels et à l’ensemble des éléments qui fondent la spécificité de l’investissement de l’enfant ou de l’adolescent à l’égard d’une tâche qui le mobilise dans le lien à un adulte, représentant d’une figure parentale et/ou d’autorité. On sera également soucieux de relever ce que l’on pourrait nommer comme le style de la production de l’enfant ou de l’adolescent : éléments concernant le rythme de la passation, la productivité, avec les éventuelles ruptures qui se donnent à voir au fil de la production projective. Ce style concerne non seulement la verbalisation (cf. infra), mais également l’engagement moteur et sensoriel de l’enfant ou de l’adolescent. Les différentes manifestations hors-jeu (Boekholt, 1993) de l’enfant ou de l’adolescent (motricité et/ou verbalisation exercées en dehors de la situation projective, échappée du cadre de la passation avec des déplacements voire sorties de la pièce...) seront particulièrement notées, dans la mesure où elles sont susceptibles de contribuer, on le verra plus tard, au processus de symbolisation engagé dans la rencontre avec les planches de Rorschach.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les processus de pensée

On considérera avec M. Emmanuelli (1994) l’importance de considérer la place des processus de pensée dans le cadre de la passation des épreuves projectives, et de l’épreuve de Rorschach en particulier pour ce qui nous intéresse ici. L’attention sera donc portée non seulement sur le contenu du discours (qualité et étendue du vocabulaire et du déploiement du champ sémantique) mais également sur la forme du discours (structuration, syntaxe et organisation des différents constituants du discours). Depuis les travaux de V. Shentoub et de son équipe (1990) consacrés aux procédés de discours dans le TAT, on connaît toute l’importance de la prise en compte de la forme du discours, envisagée comme porteuse des stratégies défensives du sujet. D’une manière plus générale, l’analyse des processus de pensée concernera la manière dont l’enfant ou l’adolescent s’aménage avec le traitement du percept qui lui est proposé au travers de la planche de Rorschach, et la qualité de l’articulation qui s’opère, dans le langage, entre réalité externe et réalité interne. Le traitement des conflits

Il s’agit là du troisième volet qui concourt à l’évaluation du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent. Dans ce contexte, seront relevés l’ensemble des indicateurs qui permettent d’appréhender les organisateurs

70

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

de la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent. On peut identifier ces organisateurs autour de cinq pôles qui, bien sûr, se présentent dans une étroite intrication : 1. le registre de l’angoisse ; 2. la mobilisation des stratégies défensives ; 3. le mode de relation d’objet ; 4. la construction identitaire ; 5. les repères identificatoires. Ces cinq pôles feront l’objet d’une évaluation par le psychologue à partir d’un certain nombre d’indicateurs cliniques, qui seront présentés dans le troisième chapitre de l’ouvrage. ➤

Le développement de l’enfant et de l’adolescent Au-delà de l’analyse intrinsèque de la production projective de chaque enfant ou adolescent, il conviendra de référer celle-ci au temps du développement psychoaffectif dans lequel il s’inscrit. Deux types de repères peuvent être mobilisés, au regard de la partition entre les différents âges de développement d’une part, et du registre prévalent du traitement de la pulsion d’autre part. Les différents âges du développement de l’enfant et de l’adolescent

Les âges de développement de l’enfant et de l’adolescent peuvent être décrits autour de cinq temps différenciés qui renvoient chacun à un organisateur central, dont on fera l’hypothèse qu’il colore de manière spécifique les productions projectives et, au-delà, le rapport au monde du sujet, dans la tension qui se donne à voir entre monde interne et monde de la réalité externe. Il s’agit du temps de la petite enfance, du temps œdipien, du temps de la latence, puis du temps de la pré-adolescence et de l’adolescence à proprement parler. Les enjeux spécifiques de chacun de ces temps seront ici brièvement présentés, en ce qu’ils constituent l’arrière-fond à partir duquel seront abordées les productions projectives. • Le temps de la petite enfance, qui s’échelonne, pour ce qui nous intéresse

ici, entre 2 et 4 ans environ. Il s’agit d’un temps dominé par deux mouvements conjoints : – d’une part, un dégagement de la dépendance aux premiers objets d’investissement, lié non seulement à l’accès à la motricité mais

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

71

également au contrôle des échanges entre le corps propre et la réalité du monde environnant, – d’autre part, un foisonnement de la vie imaginaire qui tend à donner corps, au lieu du monde interne, à des mouvements de toute-puissance qui affectait auparavant prioritairement le lien à la réalité externe ; dans ce contexte, la qualité de la frontière entre réalité interne et monde de la réalité externe peut se trouver mise en question ;

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• Le temps œdipien, que l’on peut situer entre 5 et 7 ans environ, est

classiquement un temps de bouleversement pulsionnel qui préfigure, d’une certaine manière, le temps ultérieur de l’adolescence. Le temps œdipien voit se lier, s’organiser et se vectoriser les mouvements pulsionnels de l’enfant, et l’on peut dire que l’ensemble de la vie psychique de l’enfant en porte la trace au travers d’émergences libidinales et agressives qui mobilisent les engagements relationnels de l’enfant... et, partant, infiltrent les représentations face aux planches de Rorschach (engagements moteurs, confrontations...) ; • Le temps de la latence est, dans la tradition freudienne, considéré comme le temps du refoulement des désirs œdipiens au profit du déploiement des pulsions épistémophiliques de l’enfant au service des investissements intellectuels et culturels. Si l’évolution de la conception de ce temps de la vie psychique ouvre actuellement sur une perspective moins statique de ce temps de la latence, avec la notion d’un travail de la latence (F. Marty, 2005), il n’en reste pas moins que la vie psychique de l’enfant se trouve dominée par la place des investissements et de la curiosité intellectuels, qui contribuent à colorer les productions projectives. Le signe le plus tangible de cette évolution se traduit par le recours à une verbalisation plus élaborée, en appui sur le choix d’un vocabulaire plus riche et imagé, traduisant une maturation du processus de symbolisation ; • Le temps de la pré-adolescence peut être présenté comme un temps de vacillement et de remise en question des certitudes construites dans le temps de l’enfance, sous l’impact de la maturation physiologique liée à la puberté. Les remaniements pulsionnels confrontent le pré-adolescent à deux enjeux majeurs qui, chacun à leur manière, engagent le travail de représentation : – le premier enjeu concerne la transformation du corps et les nécessaires réaménagements de l’image du corps qui y est associée dans la rencontre du regard de l’autre,

72

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– le second enjeu concerne la réactivation des fantasmes œdipiens (fantasmes meurtriers et incestueux) et le risque de confusion auquel cette réactivation confronte le pré-adolescent, pris dans un mouvement paradoxal, entre dépendance et abandon ; • Le temps de l’adolescence à proprement parler, enfin, consacre le déve-

loppement psychoaffectif en mobilisant l’adolescent dans une double perspective : – celle de la confortation de ses choix d’objet amoureux et, partant, de ses choix identificatoires ; – celle de l’investissement de la vie sociale comme espace de dégagement des investissements de la vie familiale, permettant à l’adolescent de garantir l’autonomie de sa pensée. Ce dernier temps de maturation se propose ainsi comme un espace de récapitulation, en forme d’après-coup, des différents temps du développement de la vie psychique, en appui duquel le sujet pourra accéder à une position d’adulte, caractérisée par un potentiel de mise en jeu de ses investissements suffisamment dégagés des différentes expériences d’aliénation, internes ou externes. Le registre du traitement pulsionnel

Il s’agit simplement ici de rappeler, à la suite des travaux freudiens et post-freudiens, de quelle manière la vie psychique de l’enfant, au fil de son développement, va se trouver dominée et affectée par différents registres de traitement de la pulsion. Ces registres, on le sait, sont au nombre de quatre principaux : le registre oral, anal, phallique et génital. Chacun d’entre eux colore de manière spécifique le rapport au monde de l’enfant et contribue à une modalité du travail de symbolisation. Par ailleurs, ils accompagnent le développement de l’enfant en prenant appui sur la maturation physiologique de celui-ci, dans un mouvement de complexification progressive de l’intrication des différents registres. En d’autres termes, à un temps, celui de la petite enfance, où domine l’expression de pulsions dites partielles (c’est-à-dire non encore intégrées à un système cohérent et articulé), succède un temps d’unification des pulsions qui culmine dans le temps de la période œdipienne, dominé par la génitalité. Pour autant, les différents remaniements qui affecteront la vie psychique de l’enfant puis de l’adolescent porteront tous trace de ces modalités partielles d’investissement de la pulsion... considérant que le fonctionnement psychique, dans les différentes étapes de développement qui le constituent,

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

73

ne fait que repasser, sur le mode de la spirale, sur les traces des registres précédents pour en reformuler l’économie. La mise en œuvre de l’hypothèse qui sous-tend la pratique d’une épreuve projective considérée comme un « dispositif à symboliser » consistera alors à repérer, au décours des productions projectives, la manière dont elles témoignent de ce travail de transformation pulsionnelle, en mettant l’accent sur les va-et-vient qui animent la vie psychique dans les différents temps de son élaboration. ➤

Les potentiels et les ressources On ne peut bien sûr clore ce développement consacré à la synthèse des données issues de l’interprétation du protocole de l’épreuve de Rorschach sans envisager la manière dont le psychologue pourra être en mesure de rendre compte, dans le temps terminal de la situation projective, le temps de la transmission à l’enfant ou à l’adolescent et à sa famille, de sa compréhension du fonctionnement psychique dans ses différents aspects : outre la dimension psychopathologique, dont on a pu voir avec quelle prudence elle doit être maniée1, il importe de pouvoir dégager et proposer une intelligibilité des potentiels et des ressources dont témoigne la passation. D’une manière générale, on peut dire que l’évaluation des potentiels et des ressources de l’enfant ou de l’adolescent pourra prendre appui sur plusieurs indicateurs :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• La qualité de la production et de la verbalisation et, au sein de celle-ci, les

potentiels d’ajustement et/ou de réaménagement qui se font jour tout au long de la passation ; on sera en particulier attentif au déploiement du fil projectif et aux effets de continuité et de discontinuité de la chaine associative... bien sûr au regard de la grande variété que recouvrent les différentes planches et les stimuli qui les composent ; • La qualité de l’adresse au psychologue, figure d’un autre dont il s’agit de décrypter, par la médiation de l’épreuve de Rorschach, son statut dans la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent ; la capacité de ce dernier à prendre appui sur le psychologue, à moduler ses sollicitations, à s’inscrire dans une histoire avec lui, constituent autant de signes qui permettent d’entrevoir potentiels et ressources du sujet ;

1. Cf. supra, le développement consacré à la transmission des éléments de compréhension clinique et psychopathologique qui émerge de la passation de l’épreuve de Rorschach, p. 58

74

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

• La mesure des écarts qui s’établissent au sein de l’examen psychologique

mérite une attention toute particulière ; ces écarts sont à envisager au regard de l’investissement de l’enfant ou de l’adolescent et ce à plusieurs niveaux : écart entre deux entretiens et occasions de rencontre entre l’enfant ou l’adolescent et le psychologue ; écart entre deux passations d’épreuves (cf. la référence à un dispositif d’examen psychologique comprenant plus d’une épreuve) ; et, enfin, écart au sein même de la passation de l’épreuve de Rorschach entre le temps de la passation à proprement parler et le temps de l’enquête, entre le temps de l’enquête et le temps de l’épreuve des choix : se met en scène ici la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à mobiliser des modalités réflexives, ainsi qu’à mettre en œuvre des stratégies de dégagement1, autorisant la reprise d’une forme de contrôle de l’activité représentative. C’est en appui sur le repérage de ces trois types de manifestations qui contribuent à témoigner du processus plus ou moins dynamique dans lequel la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent se trouve engagée, que pourront émerger des indices de ses potentiels et de ses ressources.

1. On peut se référer à la manière dont V. Shentoub (1990) propose d’utiliser le terme de dégagement pour qualifier, face à l’épreuve projective du T.A .T, les modalités selon lesquelles un sujet se trouve en mesure de construire, dans le récit, une issue à la situation nécessairement conflictuelle à laquelle confronte chacune des planches de l’épreuve.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

75

Synthèse 2 – Le modèle d’évaluation du fonctionnement psychique1 1. Clinique de la passation Conditions générales de la consultation ; Mode d’engagement transférentiel ; Qualité d’investissement de l’épreuve ; Climat de la rencontre. 2. Les processus de pensée Mode d’investissement du langage ; Déploiement de la pensée (continuité/discontinuité) ; Registre de la symbolisation ; Qualité du discours et de l’appréhension du matériel de l’épreuve ; Adéquation des expressions de l’enfant ou de l’adolescent aux éléments de la réalité externe.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

3. Le traitement des conflits Registre des angoisses ; Forme des stratégies défensives ; Mode de relation d’objet ; Construction identitaire ; Repères identificatoires. 4. Synthèse et perspectives cliniques Principaux éléments concourant à situer le registre du fonctionnement psychique (au regard des différents organisateurs de la pulsion, oralité, analité, phallique, génitalité) ; Inscription du fonctionnement psychique dans une perspective clinique et psychopathologique (référence à la CFTMEA R-20122 ) Identification des potentiels et des ressources de l’enfant ou de l’adolescent ; Perspectives et propositions de soin.

1. Elaboré en référence à M. Emmanuelli & Coll., 2001. 2. CFTMEA R-2012 : Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent (version révisée : R. Misès & Coll., 2012).

76

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Clinique de la réponse au Rorschach Si l’on peut envisager la réponse proposée face à la planche de l’épreuve de Rorschach comme témoignant d’une forme de compromis (entre perception et représentation, entre désir et défense...), l’enjeu du traitement de la verbalisation qui sous-tend cette production est de mettre en lumière les modalités de jeu engagées dans le processus psychique engagé par l’enfant ou l’adolescent. Pour C. Chabert (1998, p. 36), le processus de la réponse « (...) correspond à ce qui se passe dans la création – retrouvailles de l’objet transitionnel ». C’est dans ce contexte qu’il importe de considérer, ainsi que je l’ai proposé précédemment, le travail de la cotation comme un processus, et non comme une fin en soi : le clinicien se voit convoqué, au décours de ce travail, à une forme d’archéologie de la réponse face à l’épreuve de Rorschach, archéologie qui le fonde à des investigations qui tout à la fois s’adressent à l’enfant ou à l’adolescent engagé dans l’épreuve et à sa propre connaissance et/ou culture de l’épreuve et de sa complexité. Ainsi, le processus de cotation de la réponse au Rorschach vise-t-il à une objectivation de l’engagement subjectif de l’enfant ou de l’adolescent dans la production de la réponse ; en d’autres termes, à une plongée dans le travail de symbolisation mobilisé par l’épreuve dans le cadre de la situation projective. Une telle affirmation ne doit pas laisser sous-estimer l’importance et la rigueur de la démarche de cotation dans la mesure où celle-ci autorise un premier ancrage en vue de l’évaluation du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent ainsi qu’une forme de garde-fou au regard d’une pratique interprétative (voire sauvagement interprétative) en appui sur les seuls contenus de discours. En effet, la dimension de standardisation de l’épreuve, à partir de laquelle se fonde la scientificité de la démarche, inclut la démarche méthodologique qui concourt à la cotation et à la synthèse des données issues de celle-ci. Ce développement se propose d’explorer le monde complexe de la cotation des réponses au Rorschach, au travers des spécificités auxquelles nous convoquent les protocoles d’enfants et d’adolescents. Il s’agira tout à la fois : • de présenter les différents registres de la cotation, en en proposant les

grandes lignes dans une perspective de soutien méthodologique à cette pratique ;

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

77

• de définir le sens de chacun de ces registres de cotation et des formes

expressives qu’ils recèlent, afin d’ouvrir sur les différents axes de lecture clinique qui se dégagent de leur élaboration. Chacun des trois grands registres de cotation sera abordé successivement (mode d’appréhension, déterminant, contenu), discuté de manière approfondie et illustré par des fragments de protocoles. Enfin, une dernière partie sera consacrée à la synthèse des cotations et à ce que l’on peut nommer des indices spécifiques qui viennent, en appui sur la cotation, témoigner de mouvements singuliers dans la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent. Il convient de préciser cependant que cet ouvrage ne se propose pas comme un énième guide à la cotation des protocoles de Rorschach, à partir d’une reprise systématique de chacune d’entre elles. Je renvoie le lecteur, pour les aspects les plus techniques de la cotation à l’ouvrage incontournable de N. Rausch de Traubenberg (1970). Pour ma part, mon projet se situe davantage dans une mise en perspective du régime de cotation avec la dynamique du fonctionnement psychique de l’enfant et de l’adolescent, dans la dimension développementale qui la sous-tend.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Discrimination perceptive : les modes d’appréhension

L’analyse du mode d’appréhension de la planche constitue un enjeu majeur quant à l’engagement dans l’épreuve, dans la mesure où elle nous propose une première indication quant au mode d’être au monde de l’enfant ou de l’adolescent. En effet, le mode d’appréhension, que l’on nomme également, de manière plus explicite mais peut-être réductrice, localisation, renvoie au mode de traitement perceptif de la planche par le sujet. Le mode d’appréhension concerne la découpe du stimulus retenue comme support d’émergence de la représentation (cotée G pour une réponse globale, D pour une réponse de grand détail, Dd pour une réponse de petit détail, Dbl pour une réponse de détail blanc) ; il rend compte des modalités d’inscription du sujet dans la réalité environnante et de sa capacité à y prendre place de manière suffisamment différenciée (en appui sur une différenciation forme/fond) et de manière suffisamment souple, active et créatrice (la succession des modes d’appréhension fera l’objet d’une analyse particulière). Aborder les productions au Rorschach à partir du mode d’appréhension invite à porter un regard singulier sur le registre dans lequel l’enfant ou l’adolescent se situe dans cette expérience du trouvé-créé de la situation projective. Comment, en effet, peut-il trouver appui sur la concrétude des

78

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

limites du stimulus pour construire une représentation ? Comment est-il en mesure d’appréhender la spécificité de chacune des planches, dans la mesure où elles présentent des configurations différenciées dans l’organisation du stimulus sur la planche (compact versus bilatéral, unitaire versus découpé, ouvert versus fermé...) ? De quelle manière la succession des planches permet-elle à l’enfant ou l’adolescent de jouer avec les écarts proposés par le stimulus et d’imprimer sa propre marque à celui-ci ? Selon quelles modalités, enfin, la capacité de l’enfant à construire un fond interne sur lequel viendrait se projeter la scène de la planche projective, peut-elle être repérée comme déterminante dans son activité de symbolisation ? Ces différents aspects seront traités autour de quatre axes principaux, qui permettront de croiser les questions liées à la cotation des réponses à l’épreuve de Rorschach. ➤

La différenciation forme/fond (Gbl, Dbl, Ddbl) La différenciation forme/fond constitue le premier enjeu de la rencontre avec la planche et, plus précisément, avec le stimulus dont l’enfant ou l’adolescent aura à se saisir afin de mobiliser un écran interne, sur le mode de l’écran du rêve, ainsi que le propose B. Lewin (1972), sur lequel pourra prendre appui le processus de symbolisation. Rappelons que le processus de symbolisation requiert, outre l’identification du stimulus, sa mise en tension avec une image interne suffisamment disponible. Ce n’est qu’au prix de cet écart, qui introduit une profondeur/épaisseur dans l’appréhension du matériel projectif, que pourra se construire une enveloppe projective 1 , témoin de l’enveloppe maternelle primitive, matrice du processus de symbolisation. Car au fond, la problématique de la différenciation forme/fond convoque aux origines du processus de symbolisation. Si l’on peut considérer que la rencontre de l’épreuve projective, et de l’épreuve de Rorschach en particulier, invite à revisiter l’histoire du processus de symbolisation, on comprend de quelle manière l’attention portée à la dynamique entre forme et fond, figure et fond, constitue le fondement de toute démarche d’objectivation du mode de production de la réponse. Avant d’envisager les prolongements techniques de ces premières réflexions sur la prise en compte de la différenciation forme/fond, il convient de 1. Pour un développement sur ce point, et une discussion sur les rapports entre projection, création et symbolisation, voir P. Roman (2001), « Des enveloppes psychiques aux enveloppes projectives: travail de la symbolisation et paradoxe de la négativité », Psychologie clinique et projective.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

79

s’arrêter sur quelques développements théoriques liés à la notion d’enveloppe maternelle primitive dans la dimension heuristique qu’elle me paraît contenir. Ainsi que je l’ai dit (cf. supra) :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« L’enveloppe maternelle primitive consisterait dans l’intériorisation des qualités des premières rencontres avec la mère-environnement, rencontres qui se constituent comme siège des premières émergences de la symbolisation. »

J’ai par ailleurs à différentes reprises eu l’occasion de soutenir que le premier dispositif à symboliser de l’enfant, c’est le corps de la mère, comme creuset et comme butée des mouvements qui président au travail de symbolisation. Dans cette lignée, l’enveloppe maternelle primitive représenterait ces premières expériences du fond sur lequel se sont développés les mouvements de transformation des éprouvés primaires sur le plan de la sensorialité : support des premières représentations accompagnant le processus de mise en image de ces éprouvés, l’enveloppe maternelle primitive soutiendrait les procédures d’auto-information du sujet, mouvement participant de l’élaboration du Moi-peau, comme préforme du Moi. Ainsi l’enveloppe maternelle primitive se construit-elle de la qualité des échanges précoces avec la mère, dans leur dimension de réassurance, de protection et de contenance, mais également d’élaboration du sens, sur le fond de la rupture irrémédiable de la fusion des corps de la mère et de l’enfant. C’est dans cette mesure que je propose de retenir spécifiquement la notion d’enveloppe maternelle primitive comme analyseur de l’élaboration de la différenciation forme/fond à l’épreuve de Rorschach. L’enveloppe maternelle primitive, en tant que figuration de l’espace prototypique du déploiement de la symbolisation, est mise en jeu dans la rencontre avec un dispositif qui mobilise, au travers du matériel, des éprouvés dont l’engagement de traitement par l’intermédiaire de la consigne engage sur la voie d’une répétition, d’une activation des traces de l’histoire des processus : sollicitant au plus intime les ressources créatrices du sujet, l’épreuve projective autorise, par l’adresse qu’elle contient, l’inscription dans un champ de relation qui lui confère une fonction de médiation. L’enveloppe maternelle primitive constituerait alors un espace de mise en abyme1 du travail du négatif : c’est à ce titre que je la retiens comme

1. La référence à l’ouvrage d’A. Green (Le travail du négatif, 1993) est ici implicite, et elle traverse l’ensemble des propositions évoquées dans le présent texte : la perspective de définition des figures du

80

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

analyseur privilégié des procédures de symbolisation dans le cadre de la méthode projective, témoin des mouvements de paradoxalité initiés par ce travail du négatif qui met en jeu la qualité de la constitution des enveloppes psychiques. À partir de là, pourrait être réécrit le paradoxe de la négativité, dans une réinscription de l’expérience du corps aux fondements même de l’instauration d’une topique, siège de la vectorisation pulsionnelle au sein de la vie psychique : « L’enveloppe maternelle primitive se construit sur la rupture de l’enveloppe placentaire, dans la capacité de la mère et de son enfant de traiter l’effraction de la déchirure dans une figure contenante. » (Roman, 2001).

Au fond, tel est l’enjeu princeps de la rencontre de la planche de Rorschach, enjeu que l’on peut décliner autour de deux propositions : élaborer une profondeur, siège de la différenciation, et rétablir une continuité au cœur de cette rupture radicale qu’engage la différenciation. C’est tout particulièrement autour de l’appréhension du blanc de la planche de Rorschach, de la part en creux du matériel, que va se loger l’analyse du registre de la différenciation au sein duquel se déploient les processus de symbolisation de l’enfant et de l’adolescent. En filigrane, la problématique de la différenciation Moi/non-Moi se trouve également engagée. Si l’appréhension du blanc est offerte potentiellement dans la présentation de chacune des planches de l’épreuve de Rorschach, dans la mesure de la disposition du stimulus sur un fond blanc, elle sera particulièrement marquée aux planches qui s’organisent autour d’un blanc intermaculaire1 : il s’agit des planches II, VII et IX et, dans une moindre mesure, des planches I et X. Il conviendra cependant de ne pas occulter les formes de recours au blanc qui incluent le fond blanc de la planche comme élément en plein de la réponse, l’enjeu étant de pouvoir situer d’une part la manière dont ce qui se donne comme fond est accueilli par l’enfant ou l’adolescent comme forme, et d’autre part le rapport qui s’établit entre ces deux registres perceptifs dans la production de la réponse. Classiquement, trois types de cotation sont proposés pour rendre compte du travail du blanc dans les protocoles de Rorschach :

négatif permet de contenir les différentes modalités de mise en jeu de la négativité dans les expressions projectives. 1. On parle parfois de vide intermaculaire, dans une formulation sans doute abusive, en ce qu’elle préfigure a priori le registre dans lequel le blanc est investi...

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

81

– La cotation en Gbl, pour une réponse qui prend en compte la totalité de la tache en y incluant les parties blanches qui la composent : Caroline, 9 ans et 4 mois, planche I « Heu... un papillon, heu une main, il manque des doigts... heu, des taches... dessus le papillon, des taches sur les ailes du papillon... (Ddbl), des trous dans ses ailes (Ddbl), et les antennes qui sont pas de la même taille » Omar, 17 ans et 3 mois, planche II (réponse additionnelle, à l’enquête, suite à un refus à la passation) : « On dirait un monstre avec ses yeux (D rouge supérieur) et sa bouche ouverte (Dbl central) ». Ou, de manière moins attendue, pour une réponse qui s’appuie sur l’introduction de tout ou partie du blanc qui entoure le stimulus : Agathe, 6 ans et 8 mois, planche V « La trace d’un animal quand il marche dans la neige. » – La cotation en Dbl, pour une réponse qui s’appuie sur une découpe centrée sur une partie blanche significative de la tache1 ; Louisa, 7 ans, planche II « Un gros trou » (dans le blanc central). Félix, 17 ans et 10 mois, planche II

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Vous voulez que je vois quoi ? on dirait une toupie comme ça, comme ça on dirait un missile. » – La cotation en Ddbl, pour une réponse qui s’appuie sur une découpe centrée sur une partie blanche marginale de la tache. Amel, 12 ans et 9 mois, planche IX « Un nez » (dans le petit détail blanc intermaculaire dans le détail axial). Ces cotations reposent sur une lecture que l’on pourrait qualifier de statique du mode d’appréhension du blanc comme entité en soi. Elles

1. Une liste des découpes reconnues comme détails significatifs, dans le blanc ou dans d’autres parties du stimulus, a été établie sur des critères statistiques et fait référence pour la détermination des Dbl versus Ddbl, de même que pour la détermination des D versus Dd. Voir à ce sujet D. Anzieu, C. Chabert, 1983, et la Synthèse 3, p. 96.

82

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

prennent en compte l’aspect le plus formel de l’appréhension de la planche, sans en envisager la dynamique sous-jacente. À partir de là, je propose, afin de mettre au travail la problématique de différenciation forme/fond en clinique de l’enfant et de l’adolescent, de reprendre la distinction proposée par E. Bohm (1951) entre deux modalités de traitement des espaces intermaculaires : • d’une part sur le mode du retournement-figure-fond (qu’il traduit par

l’abréviation R.F.F) ; • d’autre part sur le mode de la fusion-forme-fond (qu’il traduit par l’abréviation F.F.F). En effet, au-delà d’une approche formelle de l’utilisation du blanc dans la production de la réponse, sa place dans le processus de mise en représentation s’avère tout à fait déterminante en ce qu’elle signe des registres d’élaboration du mode de rapport au monde spécifiques. Dans la réponse qui s’établit à partir d’un retournement-forme-fond, la différenciation entre la figure et le fond est avérée, et elle autorise l’accès à une épaisseur de la mise en représentation, sans préjuger pour autant de la qualité contenante de la représentation proposée. Trois des exemples proposés ci-dessus renvoient à cette forme d’appréhension du blanc en tant que retournement-forme-fond : celui d’Agathe, celui de Louisa et celui d’Amel. Cependant, on ne peut considérer que chacune de ces réponses dans le blanc de la planche de Rorschach possède une valeur équivalente : si l’on reprend les exemples présentés précédemment, on peut remarquer la richesse constitutive de ce mode de traitement du rapport entre forme et fond : • La réponse d’Amel (planche IX : « un nez »), ou celle de Félix (planche II :

« on dirait une toupie comme ça, comme ça on dirait un missile ») mobilisent un véritable retournement-forme-fond qui ouvre sur une figure de différenciation avérée ; • La réponse d’Agathe (planche V : « la trace d’un animal quand il marche dans la neige ») quant à elle, mobilise une figure complexe, dans la mesure de l’interprétation conjointe de la forme (la « trace ») et du fond (« la neige »), impliquant l’élaboration d’une représentation qui se détache sur un fond qui est nommé en tant que tel ; • En revanche, la réponse proposée par Louisa (planche II : « un gros trou ») interroge sur la fiabilité de l’instauration d’une scène interne, sur laquelle

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

83

pourront se déployer des représentations diversifiées, au regard de la mise en scène d’une attraction du vide. Dans la réponse qui procède d’une fusion-forme-fond, l’organisation du rapport entre la forme et le fond s’inscrit dans une ambiguïté, en proposant de (re-) présenter sur le même plan ce qui est proposé comme fond (le blanc de la planche de Rorschach) et la forme. Ainsi Caroline (9 ans et 4 mois) nous en donne une illustration, lorsqu’elle évoque une représentation de papillon aux ailes tachées et/ou trouées à la planche I : « Heu... un papillon, heu une main, il manque des doigts... heu, des taches... dessus le papillon, des taches sur les ailes du papillon... des... des trous dans ses ailes et... les antennes qui sont pas de la même taille. » Son évocation laisse planer une ambiguïté quant au mode de traitement de la réalité qui l’entoure, dans la mesure de l’indécision qui s’exprime dans le traitement du blanc de la planche : mise à plat du stimulus («des taches sur les ailes du papillon ») ou mise à mal du fond interne à partir duquel peuvent se déployer les représentations (« ... des trous dans ses ailes... »). D’autres types de réponses de fusion-forme-fond témoignent de manière plus explicite de la difficulté de l’enfant de construire ce fond interne, stable et structurant.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Comme celles proposées par Miloud, 6 ans et 9 mois à la planche II : « Une tête... un tigre », enquête : « les yeux (D2), le nez (Dbl central), la langue (D3) et la bouche... là le nez du tigre (Dbl central) », puis « un clown », enquête : « tout là c’est blanc (contours et fond blanc de la planche), et les clowns c’est blanc tout là... la pommade du clown. » Cette séquence de réponses à la planche II de l’épreuve du Rorschach met en jeu la précarité de la différenciation forme/fond, dans une configuration au sein de laquelle le blanc tend à se trouver convoqué dans une figure d’effacement : tout se passe comme si l’émergence de la représentation se trouvait mise à mal par une saisie du blanc qui porte atteinte à la stabilité des objets internes. Sur un mode intermédiaire, d’autres réponses impliquant le blanc interrogent quant à la constitution d’une enveloppe projective, support d’une possible figure identificatoire.

84

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

C’est ce que tente de mettre en scène Amar, 8 ans et 8 mois, ici à la planche X : « C’est la dernière... c’est la plus dure... c’est dans les chevaliers du Zodiaque, c’est le méchant... ils ont la moitié du truc en or, eux aussi ils veulent se prendre l’autre moitié... on voit le méchant », enquête : « le menton (D 8), les yeux (D 6), la tête (D9 + Ddbl entre D9). » Comme cela est souvent le cas à la planche X, l’effort d’unification du stimulus, à une planche qui voit une large dispersion de celui-ci, passe par la constitution d’une sorte de peau à partir du fond blanc de la planche (ou, tout du moins, du blanc circonscrit entre les formes roses qui ont valeur structurante pour cette planche). La fusion-forme-fond soutient ici une potentialité organisatrice au regard de la dispersion du stimulus, dans le projet de l’élaboration d’une représentation humaine, largement mobilisée dans un imaginaire marqué par une quête narcissique/phallique (« ... ils ont la moitié du truc en or, eux aussi ils veulent se prendre l’autre moitié ») engagée dans un contexte persécutoire (« on voit le méchant »). Si l’on ne peut que souscrire aux constats réalisés de manière empirique par N. Rausch de Traubenberg et M.F. Boizou (1984), ou de manière statistique par J. Blomart (1998), concernant la faible représentation de l’appréhension du blanc, en tant qu’appréhension primaire (Dbl ou Ddbl) par les jeunes enfants (si ce n’est en forme de nomination de l’espace, référée à des représentations peu élaborées, et non intégrées à une économie générale de l’interprétation de la planche : « trou », « triangle », « creux »...), il n’en demeure pas moins que l’implication des espaces intermaculaires traverse une bonne partie des protocoles d’enfants et d’adolescents. Chez les jeunes enfants, l’appréhension du blanc se trouve bien souvent associée à des formes de vacillement, qui portent tout autant sur le processus de production de la réponse que sur le contenu de représentation et signe, à ce titre, une marque de doute quant à la qualité des objets internes. On peut d’ailleurs rapprocher cette manifestation des marques de syncrétisme qui émaillent la production des réponses globales1 chez les jeunes enfants. Les grands enfants, les pré-adolescents et les adolescents mobilisent l’appréhension du blanc dans un projet autre, celui de construire et/ou de restaurer une continuité face au sentiment que celle-ci se trouve en risque

1. Cf. infra, le développement consacré à la construction d’une entité perceptive.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

85

de leur échapper au regard de la qualité du stimulus qui leur est proposé. Les espaces intermaculaires seront alors convoqués : • comme partie prenante des différents composants du stimulus, possible-

ment interprétés pour eux-mêmes ; • comme constitutif d’un fond de continuité à partir duquel pourra tenter (ou échouer) à se construire une représentation unifiée. Il resterait, enfin, à aborder la manière dont les effets de blanc colorent la production de l’enfant ou de l’adolescent, sans que nécessairement la prise en compte des espaces intermaculaires puissent faire l’objet d’une cotation en tant que telle. Ainsi, Abdel, 12 ans et 1 mois, qui évoque à la planche II :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« À la peau d’une souris, on la coupe et on garde que la peau... ou d’un ours, d’un animal », enquête : « si on recollait et qu’on mettait quelque chose dedans, ça ferait un animal, un ours par exemple. » L’effet de blanc peut être repéré ici dans l’évocation implicite d’un en-creux de la représentation, manifestement porté par le détail blanc central, à l’égard duquel ce pré-adolescent tente de proposer une forme de continuité, à partir de la restauration de sa fonction de contenance (il s’agit de mettre « quelque chose dedans », pour reprendre la formulation d’Abdel). Pour d’autres, ce seront les manifestations de rupture qui accompagneront l’appréhension du blanc... Au-delà d’une approche phénoménologique de la place de l’appréhension du blanc dans les productions projectives, il convient d’aborder la valeur clinique de celle-ci au regard des modes d’expression à partir desquels ils apparaissent dans la production projective des enfants et des adolescents. De manière schématique, trois grandes lignées peuvent être décrites, qui seront reprises dans le chapitre consacré à la présentation des formes expressives en fonction de l’âge et du registre de développement psychoaffectif : • Celle de la rupture de la continuité, dont on peut considérer qu’elle

témoigne d’une mise en question de la représentation de l’intégrité ; cette lignée se présente de manière différenciée chez de jeunes enfants, avec les interrogations concernant la construction de l’identité, et chez les pré-adolescents autour de la remise en jeu des assises identitaires liées à l’irruption de la puberté ; • Celle de la confrontation à l’expérience de la perte, expérience dont l’on connaît, à la suite des travaux de M. Klein (1934, 1940), la

86

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

dimension potentiellement structurante ; dans ce sens, les modalités de construction des réponses à partir du blanc feront l’objet d’une attention particulière, afin d’en envisager le niveau d’élaboration dans la perspective de l’élaboration de la position dépressive infantile ; • Celle de la rencontre du manque, dans le contexte de la constitution d’un objet suffisamment stable et fiable, qui met en jeu la dimension de la complétude au regard du risque porté par la menace de la castration. ➤

La découpe du stimulus (G, D, Dd) On peut considérer que le choix de la découpe procède de la manière dont l’enfant ou l’adolescent prend position au regard de la différenciation forme/fond. En effet, ce choix s’appuie sur la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à opérer une discrimination stable de la figure à l’égard du fond, et à tracer les contours de la part du stimulus qui fait l’objet d’une interprétation. Trois modes d’appréhension peuvent être ici identifiés : • L’appréhension globale de la planche, cotée G (c’est l’ensemble de la tache

qui est prise en compte par l’enfant ou l’adolescent) ; • L’appréhension à partir de grands détails1 , dûment répertoriés, cotée D (une partie délimitée de la planche fait l’objet d’une interprétation) ; • L’appréhension à partir de petits détails, cotée Dd, dont la définition s’entend, en négatif, comme référant à tout détail non répertorié dans la liste des grands détails : de fait, ces petits détails recouvrent une réalité plurielle, soit détails rares, dont la présence est statistiquement peu attestée, soit détail de faible amplitude sur l’espace de la planche. Comme on peut le pressentir, un double enjeu se croise et se télescope dans le choix de la découpe perceptive du stimulus par l’enfant ou l’adolescent : ce choix peut être envisagé d’une part en termes de mobilisation psychique, dans une référence phénoménologique, comme une tension sur l’axe synthèse/analyse (la réponse dite globale traduisant la capacité de synthèse de l’enfant ou de l’adolescent alors que la réponse de détail, voire de petit détail, rend compte de sa capacité d’analyse) ; et d’autre part, au plan psychodynamique, comme une mise à l’épreuve de la construction de l’objet total, en appui sur des limites clairement définies. Faisons l’hypothèse,

1. Cf. Synthèse 3, p. 96.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

87

en effet, que la construction de l’objet face à la planche de Rorschach (c’est-à-dire la construction de la représentation qui en rend compte), témoigne de la qualité de la structuration des objets internes. Ainsi, l’analyse de la découpe du stimulus se trouve-t-elle au cœur d’une interrogation sur le niveau d’adéquation entre le trouvé au-dehors de la planche de l’épreuve de Rorschach et le créé au-dedans modelé par les organisateurs de la topique interne de l’enfant ou de l’adolescent. Dans la perspective du développement psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent, la question de la constitution de l’objet total est centrale : elle concerne, en premier lieu, l’origine du déploiement des relations que l’enfant entretient avec le monde dont il est possible, avec les travaux de M. Klein (1934), puis de D.W. Winnicott (1957) de se représenter tout à la fois les invariants et les avatars (avec la place du clivage des objets et de la destructivité en particulier) et, en second lieu, les réaménagements adolescents, dont on connaît l’aspect potentiellement dévastateur au plan de la sécurité des objets internes, sous la pression d’une nouvelle pulsionnalité. En filigrane, on peut entendre la nécessité de ne pas se limiter, dans la démarche de déconstruction des réponses énoncées à l’épreuve de Rorschach, à la seule prise en compte de la découpe du stimulus, dans la mesure où celui-ci sera coloré par la nature du déterminant qui l’accompagne. En d’autres termes, c’est dans l’intrication entre les différents critères qui concourent à la cotation que peut se saisir la complexité des mouvements qui président à la création d’une réponse Rorschach. À partir de là, il importe de prendre en compte les différents mouvements présidant à la découpe du stimulus et à sa mise en forme autour de quelques points problématiques : quel rapport s’établit, au sein d’un protocole (et/ou au sein d’un groupe d’âge) entre les différents modes de découpe du stimulus (G, D, Dd), dans la place respective qu’ils occupent et dans leur succession au fil du protocole ? De quelle manière ces modes d’appréhension, au-delà de ce qu’ils témoignent d’un type de découpe retenue par l’enfant ou l’adolescent, peuvent-ils être envisagés du point de vue de la dynamique de la construction des réponses ? Comment peut-on définir une histoire des configurations de découpe du stimulus au regard du développement de l’enfant et de l’adolescent ? Les réponses globales

En premier lieu, l’approche des différentes formes de réponses globales (G) permettra de situer la qualité de la démarche visant à la découpe du stimulus, support de la mise en représentation. On distingue classiquement quatre formes principales d’appréhension globale de la planche :

88

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– – – –

réponse globale primaire, réponse globale élaborée, réponse globale juxtaposée, réponse globale vague ou impressionniste.

Il conviendra également d’évoquer une modalité de réponse globale qui peut traverser ces différentes formes, la réponse globale incluant le blanc de la planche (Gbl). Au fil de son développement, les productions de l’enfant, puis de l’adolescent, empruntent à ces trois formes, dans des configurations qu’il convient d’explorer. D’une manière générale, l’appréhension en réponse globale est considérée comme le témoin d’une démarche synthétique de la part de l’enfant ou de l’adolescent, qui s’engage dans une appréhension du monde reposant sur la construction d’une entité plus ou moins structurée. – Les réponses globales primaires correspondent à une saisie d’emblée du stimulus dans sa totalité ouvrant sur la production d’une réponse sans ambiguïté. L’exemple habituel que l’on peut proposer concerne la production d’une réponse banale. Flora (13 ans et 1 mois) peut la proposer en ouverture de la planche I : « Un papillon » ; enquête : « C’est toute la tache, je l’ai vu tout de suite ». Toutes les réponses globales primaires ne possèdent pas toutefois cette évidence, signalée comme telle dans la réponse de Flora. Par ailleurs, l’unité du stimulus (les planches noires et, dans une moindre mesure, les planches pastel) contribue à autoriser un mode d’approche en forme de réponse globale primaire, alors que les planches rouge apportent une difficulté supplémentaire dans un traitement unitaire primaire de la tache. Ainsi, certaines réponses peuvent être teintées d’une forme de réserve, sans que pour autant la qualité de la réponse, au sens de la qualité de l’organisateur interne de la réponse (fiabilité des limites, structure et organisation du stimulus) n’en soit altérée. Christian (14 ans) propose la réponse suivante à la planche II : « Ça serait plutôt un papillon avec les antennes... (D3) et les papillons ils ont une sorte de petit bout d’ailes (D2) », suivie de : « Une chauve-souris sinon, je vois que des animaux on dirait ben... sinon je vois pas ce que ça peut être d’autre ».

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

89

Cette séquence de réponse introduit une forme de réserve, voire de doute, qui, semble-t-il, porte moins sur la nature du stimulus lui-même que sur l’engagement de l’adolescent dans le travail de représentation. On notera de quelle manière Christian propose une justification, au décours de la production de la réponse, prenant appui sur les détails rouges de la planche... sans doute dans une manière de contrôle des parties rouges de la planche, engageant une émergence pulsionnelle qu’il convient de canaliser. On peut, de plus, en confirmation de cette hypothèse, entendre la remarque qui suit la production de la seconde réponse globale primaire (« une chauve-souris ») comme une manière, marquée par l’ambivalence, de s’attacher aux objets de l’enfance tout en portant un regard critique sur une telle démarche. Chez les tout-petits, les réponses globales primaires, si elles sont souvent présentes, tendent à prendre une forme moins affirmée, ou, en tous les cas, une forme qui peut interroger le psychologue sur la qualité de la délimitation et/ou de la structuration du stimulus. Le contexte général du protocole pourra apporter confirmation ou infirmation de la qualité de ces réponses. Rémi, 3 ans et 9 mois, propose la séquence de réponses suivante :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– Planche I : « Ça c’est un fantôme », enquête « ils sont comme ça » (Rémi fait le tour de la tache avec son doigt) – Planche II : « Un papillon » ; enquête (Rémi fait le tour de la tache avec son doigt, s’arrête sur le rouge inférieur) – Planche III : « Ça c’est... je crois que c’est... on pourrait dire que c’est un autre fantôme », enquête : « ça fait peur, il sauve les gens quand il y a des monstres » (Rémi fait le tour de l’ensemble des éléments qui constituent la tache). Si cette séquence de réponse permet de situer le caractère de réponse globale primaire des deux premières réponses aux planches I et II, elle interroge cependant sur le statut de la réponse proposée par Rémi à la planche III. Peut-on considérer que le signifiant « fantôme » renvoie à la structuration d’un engramme clairement identifié comme tel ? ou bien doit-on considérer que cette réponse constitue une forme de prolongement de la réponse proposée à la planche I, perdurant dans les investissements de Rémi et convoquée ici comme recours face à la déstabilisation de la sollicitation explicitement humaine de la planche III ? L’énoncé de Rémi à l’enquête, qui s’écarte du stimulus pour proposer une association issue de

90

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

son imaginaire, peut donner crédit à l’hypothèse d’une persévération1 de la réponse « fantôme » de la planche I. – Les réponses globales élaborées, dont la particularité a été relevée par S. Beck (1961) font l’objet d’une cotation particulière au sein des réponses globales : Gz. Je retiendrai seulement ici la spécification de ces réponses élaborées, qui reposent sur l’association entre plusieurs éléments du stimulus, identifiés comme tels, afin de produire une réponse globale, sans reprendre les propositions de S. Beck de définir différents degrés d’élaboration2 afin de ne pas alourdir les propositions de cotation. Ces réponses n’apparaissent que de manière assez exceptionnelle chez les jeunes enfants. Maryline (6 ans) tente une telle organisation de la réponse à la planche III : « Des oiseaux qui sont à la recherche d’un masque et ils l’ont trouvé... avec un nœud-papillon au milieu », enquête : « là, la fesse des oiseaux, un vrai nœud-papillon (D3) et là des chauves-souris (D2) ». On le voit, Maryline ne peut toutefois véritablement intégrer l’ensemble des éléments de la planche : le « nœud-papillon » à la passation, puis « les chauves-souris » à l’enquête, interprétés à partir des détails rouge, ne trouvent pas à prendre place dans la scène que Maryline tente de construire. Manoël (10 ans et 10 mois), mobilise de manière constante, tout au long du protocole, une démarche d’élaboration du stimulus des planches de Rorschach, et propose, in fine, des réponses globales qui rendent compte de cette élaboration. Les réponses aux planches III, VIII et IX témoignent de ce mouvement, puisant largement dans l’imaginaire de l’enfant, et elles se révèlent plutôt adéquates en termes de structure des représentations : – Planche III : « là on aurait dit un poste de musique (D7) avec des instruments en haut (D2) et des personnes qui dansent du classique »,

1. La persévération, à l’épreuve de Rorschach, décrit le phénomène de réitération d’une réponse à différentes planches, sans que l’adéquation entre le stimulus et la représentation persévérée ne puisse être véritablement attestée. On peut comprendre le phénomène de persévération comme un avatar du travail de représentation, au sens où il rendrait compte de la survivance d’une représentation qui n’aurait pu s’absentifier (être mise en absence) dans l’espace-temps ouvert par le passage de la présentation d’une planche à une autre. Nous reviendrons sur cette notion en abordant la question des contenus. 2. Voir sur ce point N. Rausch de Traubenberg et M.F. Boizou (1984).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

91

– Planche VIII : « on aurait dit des personnes (D1) qui taillent un arbre pour faire une drôle de forme et en dessous de cet arbre il y a des personnes qui font un pique-nique », – Planche IX : « on aurait dit... deux dragons qui se crachent du feu, là (D3)... et en bas ça serait comme une sorte d’arène où ils sont les deux dessus », enquête : « leur grand cou (dans D3), et leur corps (D1) ». Au temps de l’adolescence, ici dans un contexte dysphorique qui n’est pas sans faire écho avec la problématique de Nicole, 16 ans et 4 mois, au regard des vécus traumatiques qu’elle a pu connaître, l’élaboration des différentes parties du stimulus en réponse globale semble tenter de circonscrire, voire de traiter la difficile rencontre avec la dispersion des taches (et avec leur couleur ?). Une réponse globale élaborée apparaît à la planche X (mais il convient de préciser que cette tension vers une élaboration du stimulus est présente, sans être avérée, dès la planche VIII) :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Ben on dirait que c’est des animaux qui ont tué... je sais pas... des trucs bizarres et qui essaient de rentrer quelque part... avec des petites fées aussi » ; enquête : « Là on dirait deux animaux (D7), du sang (D9) et des bestioles qu’ils ont tué là (D7) et là les trucs jaunes des petites fées (D2 et D15)... les fées c’est toujours fait en jaune ou en vert et puis ça a jamais de forme... ils essaient de rentrer par la porte (D11) ». On peut ainsi considérer que la valeur des réponses globales élaborées n’est pas univoque. En effet, tantôt celles-ci renvoient à une tentative d’organiser le monde, afin de mieux pouvoir se le représenter (on peut ici se référer à la proposition de Sami-Ali selon laquelle : « la projection est un mode de construction du monde1 »), tantôt leur émergence vise à tenter de traiter les éprouvés souffrants face aux planches (face à un vécu de précarité dans la rencontre avec le stimulus, dans ses différentes composantes : structure, couleur...), en appui sur la reconnaissance et la saisie, voire le contrôle défensif des différentes parties du stimulus. Cependant, toutes rendent compte d’une approche cognitive complexe du traitement du stimulus, au travers d’une mobilisation dynamique en direction de la constitution de représentations élaborées, qui mettent en jeu des opérations de discrimination/analyse et de combinaison/association des différents éléments du percept.

1. Sami-Ali (1986), De la projection, une étude psychanalytique.

92

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– Les réponses globales juxtaposées renvoient à des formes de réponses globales qui peinent à s’organiser dans une mise en représentation complexe des différentes parties du stimulus qui composent la planche. Elles sont souvent associées à des planches dans lesquelles les différentes parties du stimulus sont clairement différenciées, souvent à partir de la différence des couleurs (planches pastels, VIII, IX et X). Elles témoignent d’une forme d’échec à construire une représentation unitaire, tout en proposant de référer les différents éléments à une catégorie ou classe de représentation, dans un souci de rassembler (parfois à tout prix ?) les parties constituant le tout de la planche. On peut interroger la parenté entre réponses globales juxtaposées et réponses globales contaminées, dans la mesure du rapport qui s’établit entre la partie et le tout (voir infra). Ainsi, Cyrille (14 ans et 11 mois) propose-t-il à la planche VIII, dans le contexte d’un protocole restreint (une réponse par planche), la réponse suivante, qui intervient après plusieurs renversements de planche : V. « Euh... des habits, un short (D5), une culotte (D4) et en haut (D2) une armure de soldat. » La réponse est peu constituée comme réponse unitaire, elle s’organise effectivement principalement dans un registre de juxtaposition, dans la mesure de l’absence d’une organisation possible, dans la configuration humaine sous-jacente, des différents éléments en référence à une image du corps structurée. – Les réponses globales vagues ou impressionnistes, par contraste avec les réponses globales élaborées, se caractérisent par la fragilité de la définition de leur ancrage formel sur le stimulus de la planche. Souvent associées à une forme indécise ou à une approche sensorielle du stimulus, ces réponses témoignent davantage d’un climat que d’une véritable structuration de la tache. D’une certaine manière, ces réponses vagues ou impressionnistes marquent une forme de retrait dans le monde imaginaire, au détriment d’une saisie du stimulus qui repose sur une élaboration de ses différentes composantes. Ainsi, ces réponses vagues ou impressionnistes témoignentelles d’une approche éminemment affective de la tache, dans des inflexions que l’on peut néanmoins discriminer : • Les réponses globales vagues mettent en jeu une mise à distance à l’égard

du travail représentatif, elles font l’économie d’une maîtrise perceptive de

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

93

la tache au profit d’une réponse qui ne peut véritablement s’inscrire dans une dynamique d’échange entre l’enfant ou l’adolescent et le psychologue ; en effet, le défaut d’éléments de repérage, au lieu du stimulus, entrave la possibilité d’une expérience partagée en appui sur le travail de mise en représentation de l’enfant ou de l’adolescent. Par ailleurs, il convient de noter que si, chez les jeunes enfants, ces réponses signent une forme de limite dans la prise en compte du stimulus et, partant, d’une limite quant à l’accès au travail représentatif à partir d’une telle situation (Nora, 2 ans et 5 mois, planche II : « un dessin »), chez des enfants plus grands voire les adolescents, elles constituent bien souvent une solution économique pour se dégager d’une forme de conflictualité qui ne peut trouver à se résoudre en forme de compromis (Fabrice, 13 ans et 8 mois, planche VII : « des nuages », ou Raphaëlle, 14 ans et 1 mois, planche II, après un temps de latence d’une minute : « en fait, je vois pas ce que ça pourrait être mais... ce serait un.... de la fumée noire qui emporte... qui emporte je sais pas... des personnes » ; ces réponses globales vagues se trouvent la plupart du temps associées à une formalisation peu précise, coté en F (cf. infra, la cotation des déterminants) et laissent entrevoir, en creux, l’émergence de motions anxiogènes face au matériel de l’épreuve ; • Les réponses globales impressionnistes misent davantage sur ce que l’on pourrait identifier comme une quête de partage de l’affect avec le psychologue ; en proposant une réponse qui mobilise l’émergence d’une expérience affective, souvent à partir des planches pastel, mais non exclusivement à partir de celles-ci, elles marquent une forme de subversion de l’élaboration formelle du stimulus au profit de l’expression d’un éprouvé, parfois peu élaboré, ainsi qu’en témoigne Agathe, 6 ans et 8 mois, planche X, après plusieurs renversements de planche : « un dessin, c’est bon » (enquête : « le dessin d’un bébé qui a fait n’importe quoi »), ou Virginie, 7 ans et 2 mois, planche VIII : « un arc-en-ciel » (enquête : « plein de couleurs »). Pour Raphaëlle, 14 ans et 1 mois, la réponse globale impressionniste semble avoir une fonction proche de celle de la réponse globale vague évoquée précédemment, celle de tenir à distance les émergences anxiogènes liées à la couleur : à la planche IX : « un coucher de soleil » (enquête : « qui se reflète dans l’eau... le soleil)... tout comme pour Thierry, 18 ans : à la planche II, il propose une première de ces réponses, prise dans une tension implicite entre un traitement formel (« concret ») du stimulus et l’évocation d’un éprouvé de l’ordre de l’intime, après un temps de latence d’une minute : « ça me dit pas grand chose... je verrais surtout un... une sorte de décoration des

94

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

aborigènes qu’on pourrait faire sur la figure, un rituel, une sorte de rituel que les aborigènes feraient... c’est ce que je verrais de plus concret... vous voulez des choses concrètes ? », puis à la planche X : « feu d’artifice... un feu d’artifice ouais... une sorte de... plus complet, un big-bang de la terre, tout plein de couleurs ». – Les réponses globales-blanc : On pourra se reporter au développement précédent concernant l’approche du blanc au Rorschach1 pour appréhender de manière plus approfondie la question de la participation des parties blanches des planches à l’élaboration des réponses. On peut ici préciser que ces réponses globales-blanc comportent une double particularité : • d’une part celle de porter sur l’ensemble du stimulus proposé de la

planche, c’est-à-dire tout autant sur l’engramme qui se détache sur le fond de la planche que sur le fond lui-même ; • d’autre part celle de considérer, le cas échéant, le fond et la forme sur le même plan, dans un effet de dédifférenciation du fond et de la figure qui en émerge. L’enjeu de ce type de réponse semble être celui d’une saisie totale du stimulus, dans une forme de maîtrise qui se présente parfois comme une maîtrise à tout prix lorsque la réponse proposée par l’enfant ou l’adolescent : • soit implique l’annulation de la différenciation entre figure et fond (cf.

supra, la réponse proposée par Caroline, 9 ans et 4 mois, planche I : « Heu... un papillon, heu une main, il manque des doigts... heu, des taches... dessus le papillon, des taches sur les ailes du papillon... (Ddbl), des trous dans ses ailes (Ddbl), et les antennes qui sont pas de la même taille » réponse cotée Gbl FC’ A), réponse de fusion-forme-fond ; • soit engage une interprétation de la planche jusqu’à ses limites ultimes, données par le bord qui en fonde l’extrémité (Line, 7 ans et 5 mois, à la planche V : « une chauve-souris dans la neige », réponse cotée Gbl FC’ A/Elem), réponse de retournement forme-fond. On peut pressentir, en filigrane, que se trouvent condensés dans ce type de réponse les enjeux de séparation-différenciation.

1. Cf. supra, le développement consacré à la différenciation forme-fond, p. 78.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

95

Les réponses de grand détail

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

En contrepoint des réponses globales, la production des réponses de grand détail (D) témoigne de l’inscription de l’enfant ou de l’adolescent dans une démarche d’analyse du stimulus : le détaillage de certaines parties (voire de toutes les parties) constitutives du stimulus, associé à l’élaboration d’une représentation, contribue à une démarche cognitive d’appréhension de la tache. Classiquement, on considère que cette démarche, dans sa dimension la plus élaborée, implique une progression dans l’appréhension de la tache : après un premier mouvement de saisie de la tache dans son ensemble (G), un second mouvement consiste dans un détaillage plus ou moins exhaustif des différentes parties qui la constituent au travers de réponses de grands détails (D), avant de s’attacher, de manière précise voire pointilleuse, à de petites découpes du stimulus en proposant des réponses dites de petit détail (Dd). La succession, et la progression, des modes d’appréhension constitue l’un des éléments d’analyse dynamique du corpus de réponses, de planche en planche et dans le fil des dix planches de l’épreuve. La définition de la réponse de grand détail s’appuie sur une compréhension statistique de la découpe de la tache : en effet, on considère comme réponse de grand détail une réponse proposée dans une découpe qui est retenue de manière significative pour la production d’une réponse, quelle que soit la surface occupée par cette découpe au sein du stimulus. Une liste dressée, planche par planche, des différents grands détails reconnus comme tels, sert de support pour la cotation de ce mode d’appréhension1 . Il est entendu que sera cotée en réponse de grand détail toute réponse prenant appui sur un des grands détails mentionné sur cette liste ou sur une association de grand détail.

1. Une liste pour la cotation des réponses de grand détail est disponible dans l’ouvrage de N. Rausch de Traubenberg : La pratique du Rorschach (P.U.F, 1970), une autre est proposée par J. Blomart (1998), enfin, les travaux de M. Emmanuelli et C. Azoulay (2009) conduisent à reconsidérer la liste des grands détails pour les adolescents. Une liste est proposée dans la synthèse présentée ci-après.

96

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Synthèse 3 – Liste et localisation des grands détails Liste des principaux grands détails, établie à partir des propositions de C. Beizmann (1970) et des inflexions proposées par J. Blomart1 (1998).

Planche I D1 : saillie médiane (« pinces ») D2 : détail latéral (droit, gauche ou les deux) D3 : détail médian inférieur (bas de la partie axiale) D4 : ensemble de la partie axiale (G – D2) D5 : détail médian supérieur (haut de la partie axiale) D7 : bord supérieur de D2 D8 : extrémité latérale de D2

Planche II D1 : détail latéral (un seul) D6 : des deux détails latéraux (ensemble du noir) D2 : rouge supérieur (l’un, ou les deux) D3 : rouge inférieur D4 : partie supérieure médiane de D6 Dbl 5 : lacune centrale

Planche III D1 : ensemble du noir D2 : rouge supérieur (l’un, ou les deux) D3 : rouge médian D4 : détail inférieur médian (limité aux parties les plus foncées, sans la jonction grise) D7 : ensemble du détail inférieur (y compris le gris central) D5 : partie inférieure latérale de D1 (« jambe ») D6 : partie supérieure latérale de D1 (« tête ») D9 : détail latéral de D1 (« bonhomme »)

Planche IV D1 : détail axial inférieur D2 : détail latéral (extrémité) D6 : détail latéral entier (« botte ») D3 : détail supérieur médian (« tête ») D4 : détail latéral supérieur (« bras ») D5 : ensemble de la partie axiale

1. Pour la localisation des petits détails, se référer aux ouvrages précités.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Planche V D1 : détail latéral à l’extrémité (« tête de crocodile ») D2 : détail médian supérieur, l’un ou les deux (« oreilles de lapin ») D3 : détail médian inférieur, l’un ou les deux (« patte ») D4 : détail latéral entier (« aile de papillon ») D6 : ensemble du détail médian supérieur D7 : détail axial entier D9 : ensemble du détail médian inférieur

Planche VI D1 : ensemble de la partie inférieure de la planche D2 : détail axial supérieur (D5 – D12) D3 : partie supérieure médiane (« tête de chat avec les moustaches ») D4 : détail latéral inférieur (1/2 de D2) D5 : ensemble du détail axial D6 : saillies de la partie supérieure médiane (« ailes ») D8 : détail supérieur entier (G – D1) D9 : détail latéral inférieur D12 : détail axial inférieur (D5 – D2)

Planche VII D1 : détail du tiers supérieur D2 : détail des deux tiers supérieurs D3 : détail du tiers médian D4 : détail du tiers inférieur D5 : saillie supérieure dans D1 Dbl7 : lacune centrale

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Planche VIII D1 : détail latéral (« animal ») D2 : détail inférieur médian (rose-orange) D3/Dbl3 : espace bleu/blanc entre D4 et D5 D4 : détail supérieur médian (gris) D5 : détail intermédiaire médian (bleu) D7 : détail inférieur de D2 D8 : détail des deux tiers supérieurs médians (D4+D5)

Planche IX D1 : détail latéral intermédiaire, l’un ou les deux (vert) D3 : détail supérieur, l’un ou les deux (orange) D4 : détail latéral inférieur dans D6 (rose) D5 : ensemble du détail axial D6 : détail inférieur (rose) D7 : projections supérieures dans D3 (brun-orange) Dbl8 : lacune centrale D12 : détail latéral supérieur et médian (orange et vert)

97

98

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Planche X D1 : détail latéral bleu D2 : détail jaune médian D3 : détail rouge médian (« cerises ») D4 : détail vert latéral inférieur (« hippocampes ») D5 : détail vert médian inférieur (« tête de lapin ») D6 : détail bleu médian (« soutien-gorge ») D7 : détail gris-brun latéral (« insecte ») D8 : détail gris latéral supérieur D9 : détail rose latéral, l’un ou les deux D10 : détail vert inférieur entier D11 : détail gris supérieur entier D12 : détail vert latéral supérieur D13 : détail brun-rouge latéral inférieur D14 : détail gris médian (D11 – D8) D15 : détail jaune latéral D16 : détail associant D2+D3+D4+D6+D9+D11 (« visage d’une personne »)

Au-delà d’une définition formelle des réponses de grand détail, auxquelles on peut associer les réponses fournies en appui sur les détails blancs de la planche (cf. supra), il convient de distinguer deux modalités de construction de celles-ci : les réponses de grand détail unitaire et les réponses de grand détail combiné. La distinction entre ces deux types de réponses de grand détail recouvre pour une part la distinction opérée précédemment entre réponses globales primaires et réponses globale élaborées. – Les réponses de grand détail unitaire (D) reposent sur l’appréhension d’une seule de ces parties identifiées comme significatives pour une telle cotation. La définition et la description des planches de l’épreuve de Rorschach mettent en évidence que toutes les planches ne proposent pas la même disponibilité pour la mise en œuvre d’une découpe en grand détail unitaire : les planches caractérisées par la bilatéralité (II, III, VII, VIII et X) seront, on le comprend, davantage accessibles à une telle découpe, alors que les planches caractérisées par leur dimension compacte nécessiteront un engagement plus marqué en vue de la découpe en grand détail. La saisie du stimulus dans une découpe limitée apparaît comme le fruit d’une démarche qui repose sur la capacité de l’enfant ou de l’adolescent d’opérer une discrimination perceptive et de prendre appui sur elle pour l’interprétation du stimulus : cette opération requiert d’être en mesure, afin de privilégier une partie du stimulus, d’absentifier les parties non retenues pour cette découpe. Dans cette perspective, la proposition d’une réponse en appui sur un grand détail unitaire rend compte de la mise en œuvre

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

99

d’un processus élaboré dans l’activité de symbolisation de l’enfant ou de l’adolescent, dans la mesure où il s’inscrit dans une capacité pour celui-ci de se séparer, opération préalable à toute démarche de construction de l’objet1 . À ce titre, la production d’une réponse de grand détail unitaire, dans la mesure de la stabilité de la découpe proposée et/ou de la représentation qui s’y trouve associée, constitue un témoin de l’accès de l’enfant ou de l’adolescent à la création d’un objet séparé. On peut d’ailleurs noter que dans l’histoire du déploiement des processus de symbolisation de l’enfant, la possibilité pour lui de se dégager d’une approche globale ou globalisante du stimulus (dépassement des réponses régies par la confabulation ou la contamination en particulier) requiert un registre de maturation qui ne s’installe véritablement qu’à partir de l’âge de 7 ou 8 ans. A contrario, l’impossibilité de produire une réponse de grand détail unitaire (au travers d’une appréhension exclusive du stimulus dans sa globalité) interroge sur un mode de construction du monde qui, dans un mouvement de maîtrise à tout prix, tendrait à éviter toute confrontation à une expérience de séparation et, par là même, de manque. De la même manière, certaines formes de découpes de grand détail (les détails dits « oligophrènes » qui seront abordés dans le développement consacré aux marques de censure dans la production des réponses) portent la marque d’une actualisation exacerbée voire traumatique de l’expérience de la séparation. Pour Amandine, 7 ans et 4 mois, la découpe en grand détail unitaire, associée à une représentation stable et cohérente, s’avère possible dès la première planche de l’épreuve (après une première réponse globale attendue à cette planche : « une chauve-souris ») « et des monsieurs » (chaque détail latéral D1), puis à nouveau à la planche VIII : « un caméléon » (D1). Pour Norredine, 11 ans et 5 mois, la découpe en grand détail à la planche VII s’anime dans la verbalisation proposée à l’enquête : « deux lapins » (enquête : « qui se chamaillent »). Samuel, 17 ans et 3 mois, parviendra à extraire de la compacité de la planche IX une réponse de grand détail unitaire, tout en exprimant un doute sur la cohérence de celle-ci : « J’ai plus de mal avec la couleur parce qu’il faut dissocier... là je vois un violon, plutôt contrebasse dans la forme, c’est bizarre parce que les ouïes sont en haut ».

1. Cf. supra : Rorschach et travail de la symbolisation, p. 27.

100

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– Les réponses de grand détail combiné : Cette forme particulière de réponse de grand détail combiné, que l’on peut coter DD pour la différencier des réponses de grand détail unitaire, implique que l’enfant ou l’adolescent puisse, dans un premier temps, prendre appui sur une discrimination de différentes parties du stimulus en forme de découpes unitaires puis, dans un second temps, associer ces différentes parties en une réponse qui les organise en une représentation unitaire. Ces réponses, dans leur caractère de construction secondaire, peuvent être rapprochées des réponses globales élaborées (Gz) précédemment évoquées (cf. supra) : elles témoignent d’un double mouvement de discrimination/construction du monde et se présentent dans différents niveaux d’élaboration, entre création d’une figure complexe de représentation et maîtrise du stimulus. Certaines de ces réponses consistent en une simple juxtaposition de différents détails constitutifs de la planche, sans pour autant permettre la production d’une réponse globale. Ainsi, Steve, 9 ans et 9 mois, propose à la planche X une réponse qui tente de rassembler une partie des grands détails de la planche : « Je sais pas... des petits monstres... qui viennent un peu partout » (à l’enquête, Steve nomme un certain nombre de ces détails localisés en D1, D7, D8, D9, D6, D4). Parfois, le recours au grand détail combiné contribue à un évitement de la réponse globale. Comme pour Bruno, 11 ans et 10 mois, à la planche IV : « On dirait la colonne vertébrale d’un monsieur » (enquête : « là le reste, le reste du bras et là la colonne vertébrale » : D axial + D4). Il faut souvent attendre le temps de la pré-adolescence ou de l’adolescence pour voir apparaître de véritables constructions, qui peuvent se présenter comme des constructions originales. Ainsi la réponse de Christian, 14 ans, à la planche VIII : « Ça m’a fait penser un peu à un canapé, avec deux plumes sur le côté comme en Amérique » (enquête : « les deux coussins et les plumes » : association de D1 et de D2). Il n’est pas rare, par ailleurs, que ces réponses de grand détail combiné mettent en jeu une découpe de grand détail (D) et une découpe de grand

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

101

détail blanc (Dbl)1 , réponses que l’on pourra identifier par une cotation DDbl (ou D/Dbl). Le blanc est alors convoqué le plus souvent dans une figure de fusion-forme-fond. Comme pour Norredine, 11 ans et 5 mois, à la planche II : « une fusée » (enquête : « la fusée avec le feu qui sort de la fusée » : Dbl + D 3). Dans d’autres configurations, le choix d’une association entre une découpe de grand détail et un détail blanc contribue à une mise en perspective, dans une actualisation d’un fond sur lequel se découpe une forme. Ainsi, Vivien, 13 ans et 2 mois, propose-t-il, à la planche III : « ou encore un col avec un nœud-papillon », réponse qui prend en compte outre le détail rouge central (D3) le fond blanc sur lequel celui-ci se déploie.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

De la même manière, un certain nombre de réponses qui impliquent le fond de la planche en le convoquant plus ou moins explicitement, particulièrement à la planche X dont on connaît la dimension éminemment dispersée du stimulus, se construisent comme des réponses de grand détail combiné associant le blanc de la planche, dans des configurations soit architecturales soit de représentation humaine : Fabrice, 13 ans et 8 mois : « là en bas, on dirait un pont-levis (D8), ensuite une cour intérieure (Dbl central)... ça fait penser à un château, oui, vite fait... les remparts (D9), la citadelle (D12)... contre une roche, sinon ils seraient pas aussi inclinés les remparts ». Amélie, 16 ans et 2 mois : (elle rit à la présentation de la planche) «alors là je vois un homme avec les jambes, le corps et la tête » (enquête : « les jambes, les bras, la tête » : D10 + D1 + D3). Si la prise en compte du blanc peut assurer une fonction unificatrice au regard de la dispersion du stimulus, celle-ci peut se trouver mise à mal dans la construction d’une contenance. Ainsi Ahmed, 17 ans et 6 mois, face à la planche X, dans la suite d’une série de réponses qui interrogent la représentation de l’intérieur du corps : « je sais pas, on dirait que c’est là dans le thorax (il se touche la poitrine) avec le cou là... on dirait... je sais pas » (enquête : « encore une fois qui vient cette colonne que j’essaie de vous dire depuis tout à l’heure » : cou = D8, thorax = Ddbl, entre les 2 D9). 1. Nous ne reviendrons pas ici sur la présentation spécifique des réponses proposées dans les grands ou petits détails blancs, qui ont fait l’objet d’une discussion détaillée dans le développement consacré à la différenciation forme-fond, p. 81.

102

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

D’une manière générale, on peut considérer que la prise en compte du blanc, associée dans un grand détail combiné, met en jeu de manière sensible, tout comme dans la réponse globale-blanc, la dynamique des enveloppes, sa constitution et sa fragilité. Les réponses de petit détail

La définition de la réponse de petit détail (Dd) est le plus souvent proposée en négatif au regard des modes d’appréhension en réponse globale ou en réponse de grand détail. Les réponses de petit détail correspondent à des découpes qui, au plan statistique, se caractérisent par le fait qu’elles sont peu souvent choisies par l’enfant ou l’adolescent. De ce point de vue, leur émergence peut prendre une double valeur : • Celle de réponses témoignant d’une forme de créativité, au travers d’une

démarche cognitive élaborée et construite, particulièrement dans la mesure où la découpe du petit détail s’inscrit dans une cohérence au regard de l’économie générale du stimulus (découpe liée à la structure de la tache, ou liée à la discrimination du fait de la couleur) ; • Celle de réponses témoignant de l’échec et/ou de l’évitement d’une élaboration du stimulus dans la spécificité de sa structure, qui se traduit par des propositions de localisations que l’on peut qualifier d’arbitraires, en appui sur une découpe qui trouve difficilement un appui sur une caractéristique formelle de la tache et qui se présente comme floue, voire indécise. Dans cette perspective, on distinguera, en termes de cotation : – les réponses de petit détail que l’on pourrait qualifier de tout-venant (Dd), produites à partir d’une découpe cohérente du stimulus : Serge, 13 ans et 2 mois, planche VIII : « Autrement ça fait penser à un peu à un ver de terre » (Dd 26, dans D2). Christophe, 7 ans, planche II : « Y’a des pattes de cheval là, des pattes de cheval... et c’est bon » (partie inférieure de D1). – les réponses de petit détail extérieur (Dde), qui procèdent de la prise en compte de la découpe extérieure du stimulus, à la limite de la tache, et qui se présentent le plus souvent sous la forme de représentations de profils animaux ou humains, ou de découpes géographiques : Oriane, 10 ans, planche IV : « ... et une tête bizarre de chaque côté, avant que ce soit le pied, une tête bizarre » (enquête : « une tête de chien »).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

103

La réponse, référée à la prise en compte du grand détail (« avant que ce soit le pied ») est proposée dans une découpe à la pointe du D1. – les réponses de petit détail intérieur (Ddi), qui se présentent dans une adéquation plus ou moins bonne avec la structure du stimulus ; il est intéressant de noter que les petits détails intérieurs sont, le plus souvent, référés à une découpe qui s’appuie (ou tente de s’appuyer) sur la qualité des estompages constitutifs de la tache. Ainsi, la dynamique sous-jacente à la production des réponses de petit détail peut-elle être comprise comme renvoyant à la mobilisation, chez l’enfant ou l’adolescent, d’un mouvement qui tend à une saisie au plus près de la qualité du matériel qui lui est proposé, et plus particulièrement à un traitement affiné des limites du stimulus. Si ces réponses permettent de situer l’enfant ou l’adolescent dans un projet d’élaboration du stimulus, il convient d’en inscrire la compréhension au sein de la dynamique générale des modes d’appréhension, pour une planche considérée d’une part, et au fil des planches d’autre part. Au-delà de la qualité des réponses de petit détail, c’est en effet au travers de la prise en compte de la succession des modes d’appréhension que prendra sens l’intervention de celles-ci dans le processus général de production des réponses. Trois grandes lignes d’interprétation de la participation des réponses de petit détail à la production projective s’ouvrent alors :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• La réponse de petit détail témoigne d’une élaboration progressive du

stimulus proposé lorsque les réponses de petit détail s’inscrivent dans une logique d’analyse progressive du matériel ; • La réponse de petit détail marque le déploiement d’un mouvement de maîtrise à tout prix du stimulus témoignant de la mobilisation d’angoisses qui ne trouvent pas à être contenues au travers de stratégies défensives et de formations de compromis ; • La réponse de petit détail témoigne d’un désengagement dans l’élaboration du stimulus et/ou d’un refuge face au débordement qu’engage la rencontre avec le matériel de l’épreuve projective. Avant de clore ce chapitre consacré aux modes d’appréhension, il convient d’aborder deux modalités spécifiques qui affectent l’émergence des modes d’appréhension avec :

104

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

• d’une part les avatars repérables dans le processus de la construction d’une

entité perceptive, avec les réponses dites confabulées et contaminées ; • d’autre part l’approche des marques de censures affectant l’élaboration perceptive du stimulus (G), ou l’élaboration de la représentation (Do, Ddo). ➤

Avatars dans la construction d’une entité perceptive (contamination et confabulation) La construction d’une entité perceptive requiert, on l’a vu, l’engagement dans un processus complexe qui repose sur deux mouvements qui contribuent à cette réalisation : la discrimination du stimulus dans ses limites perceptives et son isolement comme support du processus de symbolisation d’une part, et l’affectation d’une forme identifiée (et référée dans le langage) au stimulus. Ce processus complexe, qui sous-tend tout particulièrement l’élaboration des réponses globales et dont l’on peut penser que sa formalisation se trouve aboutie vers l’âge de 6 ou 7 ans, rencontre néanmoins des avatars, tant dans le plus jeune âge de l’enfant, à une époque où la construction d’un objet total résiste au processus de symbolisation engagé dans et par l’épreuve projective de Rorschach, que dans un âge plus avancé alors que l’enfant ou l’adolescent bute sur une telle construction. Tel est le sens de la proposition de cotations spécifiques qui rendent compte de ces mouvements non aboutis de construction d’une entité perceptive, support d’une mise en représentation. Ceux-ci peuvent prendre deux formes distinctes : la confabulation et la contamination. Les réponses globales confabulées

On parle de réponses confabulées (ou aussi de réponses syncrétiques) lorsque le processus de production de la réponse globale repose dans un premier temps sur une saisie partielle du stimulus, saisie qui dans un second temps trouvera à se généraliser en direction de l’énoncé d’une représentation qui englobe l’ensemble du stimulus. Le stimulus dans sa globalité n’aura pas fait l’objet d’une discrimination en forme de construction perceptive, mais constituera le support, pour une part arbitraire, de l’énoncé de la représentation. Il convient de préciser que ces réponses globales confabulées, si elles s’appuient sur une reconnaissance pertinente d’une partie du stimulus (les « pinces » que peuvent représenter les petites saillies supérieures de la planche I) se présentent dans une adéquation relative au regard du stimulus dans son entier (« un crabe... à cause de ses pinces » toujours à la planche I).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

105

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ces réponses confabulées feront l’objet d’une cotation en GConf ou en D/G, selon les praticiens de l’épreuve de Rorschach. L’enjeu de ces réponses globales confabulées, on l’a compris, tient dans une élaboration fragile de la représentation, dans un mouvement de type pars pro toto, dans lequel la partie est prise pour le tout. Typique de la clinique des jeunes enfants, dont la saisie perceptive d’une partie du stimulus vaut pour l’ensemble de celui-ci, ce mode d’appréhension singulier tend à disparaître à partir de l’âge de 6 ans. Au-delà, il témoigne de la persistance de modalités infantiles de symbolisation, selon les cas, trace régressive passagère dans l’appréhension du monde, ou marque plus durable d’un retrait de l’enfant ou de l’adolescent dans des modalités infantiles d’être-au-monde et de construction du monde. Pour exemple, on peut citer les réponses globales confabulées proposées par un jeune enfant (Charles), et un enfant en fin de période de latence. Charles, 6 ans et 3 mois, planche II : « Là il y a une tête, deux têtes... la il y a un bonhomme, deux, là il y a deux mains » (enquête : « parce qu’il y a des têtes », localisées en D2) : la confabulation est ici tout à fait clairement évoquée par l’ enfant lui-même à l’enquête ; c’est bien la reconnaissance d’une « tête » dans le détail rouge supérieur qui invite à une représentation humaine dans la globalité de la tache. Louis, 10 ans et 9 mois, planche IV : « Ça c’est des pieds ça... un monstre, hein ? » : la confabulation est ici moins avérée, dans la mesure où la réponse proposée (« monstre ») présente une certaine cohérence à l’égard du stimulus pris dans sa globalité ; il n’en reste pas moins que la construction de la réponse globale, à partir d’un seul grand détail de la planche (et non de la combinaison de plusieurs grands détails comme une réponse globale élaborée aurait pu en rendre compte) interroge la qualité de construction de la représentation. Les réponses globales contaminées

Les réponses globales contaminées (cotées GCont) signent l’impossible discrimination de deux saisies perceptives et représentatives qui, faute de pouvoir faire l’objet d’une prise en compte successive dans le jeu du processus de symbolisation, vont se télescoper au travers de la production d’une réponse unique, témoignant de ce que l’on nomme souvent comme la fusion absurde de deux représentations. L’enjeu de ce type de réponse globale tient tout particulièrement dans l’échec du travail de symbolisation à mettre suffisamment en absence une première représentation afin de pouvoir en faire advenir une seconde,

106

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

différenciée de la première : cet échec, que l’on peut rapprocher d’un échec dans le travail de l’hallucination négative au sein du processus de symbolisation, met en évidence la précarité dans l’établissement d’un objet séparé, différencié et construit comme objet total. Le télescopage des représentations constitue un signe d’une difficulté de l’enfant ou de l’adolescent dans son appréhension du monde en appui sur une claire distinction entre Moi et non-Moi. C’est dans ce sens que la présence de telles réponses dans un protocole d’enfant ou d’adolescent, au-delà de l’âge de 5 ou 6 ans, interroge la qualité des organisateurs identitaires de l’enfant ou de l’adolescent et ouvre nécessairement, dans la mesure de la prégnance de telles réponses, sur la nécessité d’une discussion psychopathologique. Pour exemple, on peut citer les réponses globales contaminées citées par un jeune enfant (Émile) et une adolescente (Nathalie). Émile, 4 ans et 8 mois, planche VI : « Un vaisseau spatial... il a des moustaches... aussi il s’envole comme un vaisseau ». Nathalie, 15 ans, planche V : « On dirait une chauve-souris... avec des ailes de crocodile là, sur les côtés » (enquête : « la tête, les ailes et là au bout des têtes de crocodile »). La coexistence de la chauve-souris et du crocodile, proposée dans une formulation condensée des « ailes de crocodile » manifeste l’impossible séparation des deux représentations, condensée dans une représentation en forme de compromis, représentation qui tend à se dé-contaminer à l’enquête (référence à des « têtes de crocodile »).



Les marques de censure : réponses globales amputées et détails oligophrènes Si la construction de l’entité perceptive peut se trouver mise à mal dans le traitement perceptif du stimulus, certaines réponses proposées face aux planches portent implicitement une marque de censure, au plan perceptif (on parlera alors de réponse globale amputée) ou au plan représentatif (on parlera alors de détails oligophrènes). Les réponses globales amputées

Cotées (G) ou G barré, les réponses globales amputées correspondent à des réponses qui sont données à partir d’une appréhension amputée de la globalité de la tache. On peut qualifier cette censure de « perceptive », dans la mesure où elle porte sur la définition des limites à partir desquelles le stimulus va être saisi par l’enfant ou l’adolescent. La réponse globale amputée est une réponse qui se construit à partir de l’ensemble du stimulus

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

107

dont l’enfant ou l’adolescent va retirer une partie, le plus souvent de l’ordre du petit détail mais parfois aussi de l’ordre du grand détail. La nouvelle délimitation retenue par l’enfant ou l’adolescent prend alors un caractère singulier, peu attendu. Il convient bien sûr d’interroger le sens de cette censure, dont l’on peut tracer deux grandes voies : – La première voie tient dans une approche névrotique de la censure, correspondant à la nécessité pour l’enfant ou l’adolescent de recourir à un tel mouvement afin de garantir la possibilité d’un compromis. La censure porte généralement dans ce cas sur un appendice de la tache dont la connotation sexuelle est refusée par le sujet. Germain (16 ans), propose une réponse de ce type à l’occasion de deux des dix planches de l’épreuve :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– à la planche IV, face à laquelle il souhaite se départir de l’axe central de la planche (D1) pour produire une réponse humaine (la première du protocole), après plusieurs renversements de planche : « Je sais pas... un gros monsieur un peu, des grosses jambes, des petits bras avec des yeux, une petite tête, un gros corps... oui voilà... si, un gros monsieur » (enquête : « une tête de méchant, je sais pas ce que ça vient faire ça... » ; montre le grand détail axial inférieur) ; – à la planche VI, à nouveau après plusieurs renversements de planche et une première réponse en grand détail : « (...) V. Ou un arbre... j’ai pas beaucoup d’idées... » (enquête : « V. dans ce sens-là, un arbre », Germain précise qu’il a interprété l’arbre dans la globalité de la tâche amputée du petit détail supérieur « moustaches » dans D3). Il semble assez clair dans ces deux réponses que la sollicitation phallique du détail inférieur de la planche IV d’une part, le détail supérieur de la planche VI, dont la parure apporte un élément d’excitation supplémentaire d’autre part, dans un contexte où l’adolescent s’est trouvé en difficulté pour proposer une réponse humaine à la planche III (déconflictualisation impossible de la sollicitation bi-sexuelle de la planche ?), confronte Germain à une situation extrêmement périlleuse. La seule issue semble pour lui le recours à un processus de censure qui conduit à la production d’une réponse globale amputée. Notons que pour chacune de ces réponses, Germain est en mesure de proposer une représentation, approximative et/ou dénigrée, de la petite partie du stimulus non interprétée.

108

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– La seconde voie s’inscrit dans le cadre de censures plus radicales, que ne sous-tend pas le refoulement et qui affectent le processus de mise en image en tant que tel. En effet, dans cette configuration, la partie écartée du stimulus ne se montre en aucun cas accessible au travail de la représentation. Le protocole de Djamila (8 ans et 6 mois) en fournit un exemple, à la planche I, dès la première réponse du protocole : « À une bête » (enquête : Djamila précise que sa réponse s’appuie sur le stimulus dans son ensemble, excepté le D8). La seconde réponse fournie face à la planche I confirme le registre des censures : « une chauve-souris » (enquête : « j’ai jamais vu une chauve-souris avec quatre petits trous et sans bout d’ailes... »). À l’occasion de cette seconde réponse, Djamila met en évidence une sensibilité au manque et à l’absence qui tend à attaquer le travail de représentation. Jonas (9 ans), sur une modalité semblable, propose à la planche II, après plusieurs renversements de planche, une réponse dans laquelle le détail rouge inférieur est activement évité : « Deux hommes qui se tapent les mains comme ça, toc ! ». Jonas accompagne sa verbalisation d’un agir correspondant à ce qu’il décrit (enquête : « parce qu’ils ont une tête avec un chapeau et là il y a deux mains et tac ! avec un air de danser... mais juste ça » – il montre les deux détails noirs, D1, et le détail rouge supérieur, D2). Les réponses de détail oligophrène

Ces réponses (Do ou Ddo selon la partie du stimulus sur laquelle elles portent) sont à entendre comme les témoins d’une censure qui porte sur la représentation elle-même (et non sur le processus qui soutient son élaboration). Ces réponses tirent leur qualificatif de la nosographie psychiatrique du début du XXe siècle, les patients oligophrènes présentant des troubles psychiatriques graves, dans le registre de la psychose. On cotera une réponse en détail oligophrène lorsqu’une représentation, habituellement vue dans son ensemble dans une découpe donnée du stimulus, se trouve limitée à une partie seulement. Si la réponse est proposée comme partie d’une réponse globale, on cotera la réponse en détail oligophrène (Do1), si elle est proposée comme partie d’une réponse de grand détail, on la cotera en petit détail oligophrène (Ddo2 ). À titre de repère, il est possible de préciser que les réponses de détail oligophrènes (Do ou Ddo) peuvent être retenues comme telles lorsqu’elles portent sur des réponses banales. La situation la plus fréquemment rencontrée concerne la représentation humaine à la planche III : là où l’on peut s’attendre, dans une appréhension 1. Planche III : « une tête de femme » (Do F+ Hd). 2. Planche VIII : « la tête d’un lion » (Ddo F+ Ad).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

109

globale du stimulus (ou tout au moins une appréhension comportant l’ensemble de la partie noire du stimulus) à la production d’une réponse mettant en scène un être humain (homme ou femme) dans son intégrité, apparaît une réponse ne présentant qu’une partie de la représentation humaine. Le protocole de Charles (6 ans et 3 mois) en fournit un exemple : « Là il y a une jambe » (D5), tout comme celui de Karim (7 ans et 1 mois), dans un registre plus dysphorique, après deux réponses qui témoignent d’une exploration laborieuse du stimulus : « C’est l’autre jambe qui s’est enlevée, qui s’est cassée... là il y a un petit espace... » (référence à la partie blanche entre les différentes parties du stimulus). Si la réponse de Charles renvoie à une censure de la représentation humaine dans son intégrité, celle de Karim ouvre explicitement la dimension de la rupture de l’intégrité de la représentation, en proposant l’image d’une atteinte de celle-ci : sans doute peut-on considérer que le fond blanc de la planche ne peut, pour Karim, constituer un arrière-plan suffisamment absentifié, unificateur, dans une appréhension en creux, des représentations. La saisie en plein du fond blanc de la planche tend à introduire une rupture là où se présente habituellement une continuité. De fait, la réponse cotée en détail oligophrène est une réponse qui marque une rupture dans le travail représentatif, rupture dont le contexte et les formes sont susceptibles de varier en fonction de l’âge de l’enfant ou de l’adolescent et de la dynamique de sa vie psychique. Si cette rupture évoque, de la manière la plus commune, une marque de clivage (cf. les deux exemples ci-dessus), certaines réponses de détail oligophrène contribuent manifestement à une isolation des représentations, au service de stratégies défensives plus élaborées. Ainsi, par exemple, Tiphanie (4 ans et 10 mois) propose à la planche III, comme les deux premières réponses à la planche III : « un monsieur », puis « une dame », pour désigner chacune des formes bilatérales de la planche. Sans doute convient-il d’entendre ici, au-delà de sa difficulté à proposer une représentation unitaire face à cette planche, la marque d’un traitement de la différence des sexes sur le fond d’un processus d’isolation, permettant de traiter, en forme d’évitement, la conflictualisation dans la confrontation à la bisexualité. De même, Norbert (15 ans et 4 mois) construit, toujours à la planche III, trois réponses dont deux seront cotées en détail oligophrène : « Un cœur, des jambes de femme, deux têtes ». Il ne fait ici aucun doute que la seconde réponse (« jambes de femme ») implique, en première intention, une

110

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

représentation féminine entière qui, en seconde intention, fera l’objet d’une censure au profit d’une représentation partielle du corps féminin. Celle-ci trouve un écho dans le déploiement du fil projectif du protocole, en ce que l’on peut repérer qu’il s’organise autour de représentations porteuses d’une charge sexuelle peu refoulée : à la planche VII, Norbert propose une réponse « vagin » et, à l’enquête, précise sa réponse et en élargit la délimitation, initialement centrée sur le détail axial, pour en proposer une réponse globale : « le vagin... et les jambes écartées ». L’insistance à une appréhension partiellisé du corps féminin colore de manière particulière le recours au détail oligophrène à la planche III et ouvre sur la question de la perversion. Synthèse 4 – Les modes d’appréhension G : réponse globale, prenant en compte l’ensemble du stimulus, et qui peut faire l’objet de différentes qualifications (primaire, juxtaposée, vague, impressionniste) Gz : réponse globale produite à partir de l’élaboration des différentes parties du stimulus Gbl : réponse globale incluant le blanc GConf (ou D/G) : réponse globale confabulée (ou réponse globale syncrétique), formée par généralisation d’une partie du stimulus à l’ensemble de la tache GCont : réponse globale contaminée, résultant de la fusion absurde de deux représentations sur une découpe globale (G) : réponse globale amputée (nommée aussi G barré), résultant d’une censure perceptive (une petite partie du stimulus, généralement de l’ordre d’un grand détail, est exclue de la découpe)

D : réponse dans un grand détail identifié comme tel1 DD : réponse de grand détail combiné, construite à partir de l’association de deux ou plusieurs grands détails Dbl : réponse fournie à partir du grand détail blanc de la planche (cotation limitée à la vacance centrale des planches II, VII et IX) D/Dbl : réponse proposée à partir de l’association d’un grand détail et d’un grand détail blanc Do : détail oligophrène, résultant d’une censure représentative (seule une part d’une représentation entière banale, appréhendée habituellement en réponse globale, est proposée)

Dd : réponse de petit détail (toute découpe non identifiée comme un grand détail) Dde : découpe correspondant à un petit détail de bordure (petit détail extérieur) Ddi : découpe correspondant à un petit détail au cœur du stimulus (petit détail intérieur) Ddbl : toute découpe dans le blanc de la planche autre que les réponses de grand détail blanc D/Ddbl : réponse proposée à partir de l’association d’un grand détail et d’un petit détail blanc Ddo : petit détail oligophrène, résultant d’une censure représentative (seule une part d’une représentation entière banale, appréhendée habituellement en réponse de grand détail, est proposée)

1. Cf. Synthèse 3 p. 96 consacrée à la détermination des réponses de grand détail, par planche.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

111

Mode de traitement du stimulus : les déterminants

Le déterminant de la réponse correspond au mode de résonance du stimulus dans la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent et de la contribution de celle-ci dans la production de la réponse, en fonction des différentes caractéristiques du stimulus retenues par le sujet : • La forme, cotée F, associée au mouvement, ou kinesthésie, cotée K ou k

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

selon le support représentatif à partir de laquelle elle émerge ; • Le sensoriel, coté C ou C’ pour les couleurs chromatiques ou achromatiques, E ou Clob pour l’estompage ou le clair-obscur. Ce second registre de cotation rend compte des modalités d’implication cognitivo-émotionnelle du sujet dans la rencontre avec le matériel, dans la mesure où se trouve en jeu la qualité d’instauration des liens entre monde interne et réalité externe... En effet, de la rigidité à l’envahissement, se jouent l’élaboration et l’investissement des limites à partir des qualités propres du matériel, mais se joue également la mobilisation affective face à la tache, dont les expressions affectent la production de la réponse. On le verra, l’articulation entre les modalités formelles/kinesthésiques d’une part et sensorielles d’autre part, ouvre sur une compréhension des enjeux de la transitionnalité dans le travail projectif : un indice spécifique, le Type de Résonance Intime (T.R.I), figure la tension entre ces deux polarités, et permet de situer l’engagement de l’enfant ou de l’adolescent, entre ancrage dans la réalité externe et appel au monde interne (cf. infra, le développement consacré aux indices spécifiques). On n’insistera sans doute jamais suffisamment sur la place qu’occupe la phase de l’enquête au service de la cotation des réponses à l’épreuve de Rorschach, et tout particulièrement au service de la cotation du déterminant. Il s’agit en effet d’être en mesure de spécifier, à partir de la sollicitation de l’enfant ou de l’adolescent, à quelle qualité du stimulus s’est attachée son approche perceptive afin de donner corps à la représentation énoncée face à la planche. En d’autres termes, il convient de déterminer de quelle manière respectivement la forme, la couleur ou l’estompage participent de la production de la réponse. Comme on le verra, la référence à un seul déterminant ne suffit pas toujours à rendre compte de la richesse et de la complexité du déterminant de la réponse. La question se pose tout particulièrement lorsqu’une approche formelle du stimulus concourt à la production de la réponse ; celle-ci se trouve, dans un certain nombre de cas, associée à un autre déterminant :

112

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

• que celui-ci soit le mouvement, ce qui, par convention dans la tradition

de la cotation des réponses au Rorschach, entraînera la disparition de la mention du déterminant formel (F) au profit de la seule mention du déterminant kinesthésique (K)... alors même que le déterminant formel sous-tend nécessairement la représentation du mouvement1 ; • ou que celui-ci soit l’un des déterminants sensoriels (C ou C’, E ou Clob), qui seront alors associés dans la cotation au déterminant formel, soit en tant que déterminant principal2 , soit en tant que déterminant secondaire si celui-ci semble intervenir de cette manière dans la production de la réponse3 . ➤

Les réponses formelles Le déterminant formel est celui qui regroupe le plus grand nombre des réponses proposées par les enfants et les adolescents : tout à la fois marque d’une saisie perceptive du stimulus et d’un appui sur celui-ci, et d’une contrainte défensive aux limites du stimulus, la réponse formelle témoigne d’un mouvement adaptatif de base, et d’une inscription dans un registre de représentation potentiellement partagé. L’ancrage sur les limites de la tache (ou d’une partie de la tache) autorise un échange avec un tiers, en appui sur un aspect objectivable de la planche.

1. Malik (10 ans et 1 mois), à la planche III : « on dirait deux personnes là, qui touchent quelque chose » (enquête : « (...) elles ont deux seaux ») ; cette réponse sera cotée G K H Ban, la référence au déterminant formel n’apparaît pas dans la cotation, alors même qu’il est nécessairement impliqué dans l’élaboration de la représentation des « personnes », conditionnant dans un second temps la projection du mouvement. 2. Noémie (7 ans), à la planche VIII : « là il y a du feu... » (enquête : mentionne le D1) ; cette réponse sera cotée D CF Elem, la couleur s’avérant décisive dans la production de la réponse, au détriment de la forme qui, elle, n’apparaît que de manière très secondaire... Juliette (16 ans et 9 mois), à la planche II : V. « un volcan » (enquête : « ici le haut du volcan – D3 – mais on voit bien l’intérieur de la terre – Dbl + D2 – mais c’est surtout le haut, la couleur qui fait penser à un volcan » ; cette réponse sera cotée Gbl CF Pays, afin de rendre compte de la primauté de la prise en compte de la couleur sur la forme dans le processus de production de la réponse. 3. Brice (6 ans et 4 mois), à la planche IX : « un arbre » (enquête : « la terre – D6 –, le bois – Daxial - les feuilles vertes – D1 – et les branches marron – D3) ; cette réponse sera cotée G FC Bot. Le déterminant formel est privilégié dans la mesure des éléments apportés par l’enfant à l’enquête quant à la construction formelle de la réponse au regard de la correspondance ; le déterminant sensoriel, ici la couleur, intervient comme second déterminant, dans la mesure du lien explicite proposé entre les éléments constitutifs de l’arbre et les couleurs de la planche. Flora (13 ans et 1mois), à la planche II : « un hérisson mort » (enquête : « ça a un trou, c’est gros, c’est noir ») ; cette réponse sera cotée D/Dbl FC’ Adev. De la même manière que pour la réponse précédente, le déterminant formel semble organiser la représentation, qui se trouve affectée secondairement par la référence à la couleur noire du stimulus.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

113

L’enquête devra permettre de préciser la place qu’occupe le déterminant formel dans la production de la réponse, tout particulièrement lorsque la participation d’un déterminant sensoriel peut être identifiée comme venant infléchir le déterminant formel. La forme « pure »

Dans l’histoire des processus qui concourent à la maturation cognitive et psychoaffective de l’enfant, on notera l’évolution progressive de la place des déterminants formels dans les réponses proposées par les enfants puis les adolescents. Ainsi que le relève M. Boekholt (1996), c’est le plus souvent sur un mode sensoriel que les très jeunes enfants vont se saisir du matériel des planches de Rorschach : la dimension visuelle de l’appréhension du matériel se déploiera sur le fond d’une approche tactile, qui fonde la capacité de l’enfant de circonscrire le stimulus qui lui est proposé. Ce n’est généralement que vers l’âge de 5 ou 6 ans que l’enfant sera en mesure de véritablement prendre appui sur le stimulus dans sa prescription formelle, et d’affecter à celui-ci une représentation qui témoigne d’une inscription dans une réalité délimitée et tangible. Ainsi, Nora (2 ans et 5 mois), propose-t-elle aux deux premières planches de l’épreuve :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– Planche I : « Marron et ça marron (renverse la planche)... marron, c’est sale... marron c’est sale » ; – Planche II : « Marron (montre le D1)... un dessin (montre le D3) ». Au travers de ces deux premières planches, qui se présentent comme paradigmatiques de son protocole, Nora montre de quelle manière son approche du matériel est avant tout sensorielle, dominée par ce que l’on appelle des nominations-couleur (dont on pourrait ici discuter la pertinence au regard de l’inadéquation entre le stimulus noir et gris et la référence à la couleur marron...). Cette approche tente timidement de faire émerger une forme (« un dessin ») sans que celle-ci ne puisse être définie au-delà d’une référence à la classe de contenu à laquelle renvoie le signifiant « dessin ». En contrepoint, on peut considérer les réponses proposées par Brice (6 ans et 4 mois) aux deux mêmes planches : – Planche I : « Une abeille... je voulais dire un papillon mais je me suis trompé » (enquête : « je croyais c’était pas une abeille... avec pas de petits trucs blancs... moi je sais pas comment ça s’appelle ») ;

114

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– Planche II : « Ça pourrait être deux garçons qui se tapent les mains... et puis c’est tout » (enquête : « qui sont avec du sang, je crois qu’ils se bagarrent »). Les réponses proposées par Brice à ces deux premières planches montrent bien comment peut s’élaborer la production d’une réponse dominée par un déterminant formel (planche I, avec les tâtonnements liés à la construction des limites du stimulus, en particulier autour de la prise en compte des parties blanches de la planche...) et tenter de s’articuler déterminant formel et déterminant sensoriel (planche II) autour de la projection d’un mouvement sur la planche. On comprend bien alors l’importance que revêt l’articulation entre différents modes de détermination des réponses, c’est-à-dire entre différents modes de mobilisation de l’enfant ou de l’adolescent face aux planches. Si la dimension de l’ancrage formel garantit une forme d’accès à une organisation structurée de la représentation, la mobilisation de ce seul ancrage formel traduirait une rigidification dans l’appréhension du monde, au détriment de l’expression affective portée par la dimension sensorielle du stimulus. Nous aurons à envisager, dans le développement consacré aux déterminants sensoriels des réponses, la manière dont la participation formelle se trouve en mesure de contribuer, à des degrés variés, à une forme de plasticité dans la construction des représentations. La qualité formelle de la réponse et la banalité

L’enjeu principal dans la prise en compte du déterminant formel, audelà de la reconnaissance de sa participation propre dans le processus de production de la réponse, tient dans la prise en compte de la qualité des réponses formelles : celles-ci auront en effet, dans le système inauguré par H. Rorschach, à être identifiées dans leur valence positive (cotée F+) ou négative (cotée F-), voire incertaine (cotée F±). La distinction des réponses formelles selon leur qualité constitue un exercice périlleux, dans la mesure de la complexité de la définition même de la « bonne forme1 », définition dont il convient de signaler d’emblée qu’elle ne devrait en aucun cas recouvrir un élément sous-tendu par un jugement de la valeur des réponses formelles. On envisagera d’ailleurs le sens que peut revêtir la répartition des réponses

1. On entend, en arrière-plan de la référence à la « bonne forme », la manière dont la pratique du Rorschach et de sa cotation ont pu être marquées par la référence à la théorie de la Gestalt, qui met l’accent sur la prégnance, dans le développement psychique de l’enfant, de ce que l’on pourrait nommer des empreintes formelles.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

115

formelles entre F+ et F-, et la place qu’occupent ces dernières comme témoins du déploiement imaginaire de l’enfant ou de l’adolescent. En effet, on peut considérer que la définition de la bonne forme s’appuie sur deux aspects complémentaires, mais non nécessairement congruents, qui chacun à leur manière contribue à ce repérage : • d’une part la référence à un critère statistique, qui conduit à accueillir

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

comme réponse de bonne forme une réponse qui, dans une localisation donnée, se présente dans une fréquence suffisante ; c’est dans cette perspective que des ouvrages présentant des listes de réponse ont été successivement élaborés au fil des années : celui de C. Beizmann (1966) est le premier à avoir été publié en France et il a longtemps fait référence, particulièrement en clinique adulte. Plus proche de nous, l’ouvrage de J. Blomart (1998) s’est attaché à la spécificité de la détermination de la qualité formelle chez les enfants de 8 à 16 ans, enfin, M. Emmanuelli et C. Azoulay (M. Emmanuelli & C. Azoulay, 2009 ; C. Azoulay & Coll, 2012), dans une démarche de réactualisation des normes à l’épreuve de Rorschach, proposent de l’adolescence à l’âge adulte, un certain nombre de repères qui concernent, en particulier, la détermination des formes, mais également la liste des grands détails (cf. supra) et celle des banalités (cf. infra) ; • d’autre part la référence à un critère lié à l’adéquation de la réponse à l’égard du stimulus retenu ; on peut noter à ce propos que l’examen de l’adéquation ou de la cohérence d’une représentation à l’égard de tout ou partie du stimulus de la planche comporte nécessairement une part subjective, que le praticien de l’épreuve de Rorschach doit être en mesure de revendiquer... Ainsi, la pratique du psychologue le conduira à évaluer, pour chacune des réponses formelles, l’occurrence de la réponse dans le corpus de réponses rencontré au fil de sa pratique d’une part, et le degré d’adéquation entre la réponse proposée et le stimulus d’autre part. Si les ouvrages comportant des listes de réponse peuvent constituer un support pour le travail de cotation de la qualité des formes, ils ne remplacent en aucun cas l’appui sur une solide expérience de la pratique de l’épreuve, à partir de laquelle le psychologue forgera ses critères d’appréciation de la qualité formelle des réponses. On n’oubliera pas, par ailleurs, que la pratique de l’épreuve projective de Rorschach s’inscrit dans un lien transférentiel qui infiltre nécessairement la production des réponses de la part de l’enfant ou de l’adolescent, et qui

116

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

vient colorer de manière singulière la compréhension que le psychologue peut avoir des ressorts de celles-ci. Les réponses F+ contribuent à la définition d’un ancrage dans la réalité du monde environnant de l’enfant ou de l’adolescent : si la délimitation formelle en constitue une pré-condition, sa cotation en bonne forme parachève un processus d’inscription dont on a pu montrer qu’il se construisait de manière progressive dans le temps de maturation psychoaffective de l’enfant. En complément de la cotation de la bonne forme de la réponse formelle, se pose la question du critère de banalité de celle-ci : ce critère, qui repose exclusivement sur une approche statistique de l’occurrence des réponses proposées, pour une localisation donnée, est établi à partir de différentes listes proposées par les auteurs au fil du développement de la pratique du Rorschach : N. Rausch de Traubenberg (1970) pour la clinique adulte, N. Rausch de Traubenberg, M.F. Boizou (1984) et J. Blomart (1998) pour la clinique infantile et pré-adolescente. La liste de banalités proposée page suivante (planche par planche) s’appuie sur un certain nombre de travaux : ceux, historiques et pionniers de C. Beizmann (1970) puis de N. Rausch de Traubenberg (1970), puis ceux, plus récents, publiés par J. Blomart (1998) d’une part et M. Emmanuelli et C. Azoulay (2009) d’autre part.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

117

Synthèse 5 – Liste des banalités

Planche

Banalité

I

G : chauve-souris – papillon G : masque*

II

D1 : animaux ou têtes d’animaux**

III

G : personnage D3 : papillon – nœud-papillon

IV



V

G : papillon – chauve-souris

VI

G : peau d’animal

VII



VIII

D1 : bêtes, animaux

IX



X

D1 : araignée, crabe D/Dbl (ou Gbl) : tête humaine*

* nouvelle banalité proposée par C. Azoulay et Coll. (2007) ** banalité proposée classiquement (Beizmann, 1970), et attestée davantage en clinique de l’enfant que de l’adolescent

118

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Dans l’histoire du déploiement des processus de réponse dans l’évolution psychoaffective de l’enfant, l’apparition des réponses banales vient souvent, en un premier temps, témoigner d’un premier marquage d’une inscription dans le trouvé de l’épreuve. Les premières réponses du protocole d’Hamida (4 ans et 1 mois) rendent compte de cette première inscription : – Planche I : « Je sais pas... je sais pas (elle éprouve tactilement la surface de la planche)... t’as fait de la peinture ? » ; – Planche II : « Papa Noël, ça y est » (enquête : « parce qu’il est tout rouge »), réponse cotée G CF-H ; – Planche III : « Un papillon... là (D2), je sais pas » (enquête : localisation de la réponse en D3), réponse cotée D F+ A Ban ; – Planche IV : « Je sais pas (prend la planche en main)... un loup... il fait pipi... après il s’essuie et après il tire la chasse d’eau », réponse cotée G kan+ A ; – Planche V : « Je sais pas... un papillon, papillon, papillon », réponse cotée G F+ A Ban. Dans cette séquence de réponse, on observe la construction progressive de l’appréhension du stimulus par Hamida : • Un premier mouvement de refus1 , qui se traduit par l’absence de réponse

à la planche I ; • Un second mouvement de construction d’une réponse dominée par un déterminant sensoriel (la réponse « papa Noël » est construite à partir de la prise en compte des parties rouges de la planche) ; • Ce n’est que dans un troisième temps qu’une réponse formelle, réponse banale, adviendra (« un papillon »), dans une forme de continuité d’appréhension avec la planche II (c’est à partir du rouge, déterminant dans la réponse précédente, que se construit la réponse banale) ; • Puis, aux planches IV et V la détermination formelle s’installe, alternant F- à la planche IV et F+ banalité à la planche V : il semble que dans

1. On nomme refus la situation dans laquelle un sujet se montre dans l’incapacité de proposer une réponse face à une planche. Ce terme de refus, malgré sa connotation péjorative, voire caractérielle, est à entendre dans une acceptation neutre, comme la marque du non-aboutissement du processus de mise en représentation face à la planche, comme une forme d’empêchement du processus de symbolisation, dont il convient d’interroger le sens dans le contexte général de la production projective.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

119

la construction de la réponse formelle, c’est l’appui sur le caractère suffisamment partagé de la représentation qui permet à Hamida de prendre appui sur le percept dans la qualité de ses limites. En contrepoint des réponses de bonne qualité formelle (F+), la définition des réponses cotées F- peut être proposée en creux : ce sont celles qui n’auront pas été reconnues comme répondant aux deux critères évoqués précédemment pour la définition de la bonne forme. On ne peut considérer que ces réponses sont nécessairement peu adéquates, mais leur lien avec le stimulus, dans sa détermination formelle, n’apparaît pas de manière aussi convaincante. De fait, on peut déterminer deux grands types de réponse F-, dont il convient également de discuter la qualité en fonction du type de localisation sur lequel elles s’appuient, globalité de la tache ou détail (grand ou petit) : • d’une part celles qui témoignent d’une forme de désengagement à l’égard

d’un appui sur les limites du percept : celui-ci est envisagé dans les grandes lignes de son organisation, sans que la représentation qui y est associée ne se réfère de façon marquée à son organisation : le protocole de Zouina (4 ans et 7 mois) en donne un exemple, à la planche I « un avion » (enquête : « Ça fait comme ça » – elle fait le geste de faire voler la planche – « ou une fusée, oui une fusée), réponse cotée G F- Obj ; ou bien celui de Marie-Chantal (9 ans et 6 mois), à la planche IX

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« la route » (enquête : localisation en D1), réponse cotée en D F- Pays ; On peut noter que parmi ces réponses cotées en F-, se trouvent un certain nombre de réponses que l’on nomme de persévération ; • d’autre part celles qui témoignent d’une créativité particulière, et qui

s’éloignent de ce fait des réponses habituellement fournies, mais qui s’inscrivent dans une recherche particulière à l’égard du stimulus : à la planche VIII, Sonia (7 ans et 3 mois) propose une réponse qui illustre ce mode de détermination formelle du stimulus : « un tête... de robot » (enquête : « le chapeau, les oreilles, la bouche et les yeux », réponse cotée G F- (Hd)) ; tout comme à la planche X, la réponse proposée par Norredine (11 ans et 5 mois) rend compte d’une telle dynamique (précisons qu’il s’agit de la dernière réponse de la planche, donc du protocole) : « une tête d’ours

120

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

déplumée » (enquête : « on l’a tué parce que son nez il était trop grand », réponse cotée D F- Ad). Ainsi, il convient de considérer avec précaution le rapport qui s’établit entre les formes F+ et les formes F-. Ce rapport, que l’on calcule généralement en forme de pourcentage au regard du nombre total de réponses déterminée par la forme (F+ %), doit être évalué dans le contexte général de la production de l’enfant. Il vient compléter le calcul du rapport qui s’établit entre les réponses déterminées par la forme (forme pure) et l’ensemble des réponses du protocole (F %). Signalons que ces deux rapports peuvent être modulés par le calcul de ce que l’on nomme F % élargi et F+ % élargi, dont N. Rausch de Traubenberg propose qu’ils puissent utilement autoriser une mise en perspective entre la qualité de saisie formelle du stimulus dans le cadre des formes pures d’une part (cf. ci-dessus) et celui des formes associées aux kinesthésies ou à des déterminants sensoriels. Enfin, il importe de signaler que certaines réponses formelles échappent à une cotation en F+ ou en F-, du fait de leur indétermination1 : ces réponses, cotées F±, sont caractérisées par le flou et l’incertitude qui accompagnent la verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent. Cette incertitude porte généralement sur le contenu de la représentation et sur le lien entre celle-ci et le stimulus ou la partie du stimulus concernée. On peut comprendre ces réponses comme témoignant d’une difficulté de l’enfant ou de l’adolescent d’une part au plan de la discrimination du stimulus et d’autre part au plan du déploiement du processus de symbolisation. En filigrane, on peut bien sûr interroger la qualité de l’expérience de la rencontre avec la planche et, en creux, les mouvements affectifs qui sous-tendent la production de telles réponses. Nous en proposons deux exemples : Samuel, 6 ans, à la planche I « Peut-être une espèce de bête, mais ça ressemble à rien, je peux pas dire ce que c’est » (G F± A).

1. Il convient ici de rendre attentif le lecteur que la cotation en F± ne peut en aucun cas constituer une cotation par défaut dans le cas où le psychologue se trouverait en perplexité quant au choix d’une cotation F+ ou F- ; cette cotation a son propre rationnel qu’il convient de prendre en compte.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

121

Maryline, 11 ans et 3 mois, à la planche VII « On dirait des sortes de montagnes, c’est pas sûr, on les voit pas bien » (G F± Géo). Il est difficile de proposer des données normatives concernant le rapport entre l’apparition des réponses cotées F+ et celles cotées F- dans un protocole d’enfant ou d’adolescent. Trois périodes du développement peuvent être à cet égard identifiées :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• La période de la première enfance (jusqu’à l’entrée dans la période de

latence), au décours de laquelle alternent des expressions contrastées quant à la qualité formelle des réponses : les protocoles oscillent entre la prévalence des réponses F+, qui traduit un mouvement de contrôle perceptif en appui sur la proposition de réponses essentiellement banales et la prévalence de réponses F-, souvent peu en prise avec le stimulus, qui marque une forme de débordement de l’imaginaire lié à un maniement fragile des frontières entre monde interne et réalité externe ; • La période de la latence, qui voit triompher les marques d’une adaptation à l’environnement social et culturel, avec la présence affirmée de réponses F+, qui peuvent prendre la forme de réponses élaborées, réponses qui alternent avec des réponses F-, qui possèdent un caractère original au sens d’une construction dont on peut mesurer la pertinence au travers du discours de l’enfant ; • La pré-adolescence et l’adolescence, dominées, on le verra, par de forts mouvements d’inhibition voire de répression, qui conduisent à des protocoles bien souvent marqués par des pseudo-adaptations dont témoignent des réponses F+ que l’on peut qualifier de normatives. Les travaux de J. Blomart (1998) constituent sur ce point une référence précieuse, dans la mesure où ils proposent un regard sur l’évolution de l’investissement des formes (mais aussi des autres déterminants, kinesthésiques ou sensoriels) en fonction de classes d’âge définies en quatre groupes, à partir de 8 ans (8–10 ans, 10–12 ans, 12–14 ans et 14–16 ans). ➤

Les réponses kinesthésiques Les réponses kinesthésiques sont des réponses qui intègrent la dimension du mouvement comme organisatrice de la production projective. Classiquement, on considère la réponse de mouvement comme paradigmatique d’un aboutissement du processus de la projection engagé dans l’épreuve :

122

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

en effet, le sujet affecte à la planche une qualité dont elle est à coup sûr dépourvue, celle d’un mouvement engageant une représentation. À ce titre, on considère que la réponse kinesthésique témoigne d’une modalité élaborée d’investissement du processus représentatif, dans la mesure où elle rend compte de la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à mobiliser ses objets internes pour proposer, au travers de la réponse projective, une figuration de leur nature et de leur qualité. On envisagera toutefois la spécificité des différentes formes expressives de la kinesthésie dans les protocoles d’enfant ou d’adolescent, en appui sur une différenciation des types de kinesthésies, et en fonction de l’âge auquel elles émergent parmi les productions. On distingue deux grands types de kinesthésies : • les kinesthésies humaines (cotée K), qui portent sur un contenu de

représentation humain, envisagé dans son entièreté et son intégrité ; • les kinesthésies dites mineures, qui portent soit sur un contenu de représentation humain partiel (coté kp), soit sur d’autres contenus de représentation : animal (kinesthésie animale cotée kan), objet (kinesthésie d’objet cotée kob), situation explosive (kinesthésie explosive cotée kex). Au regard de la spécificité de la clinique projective de l’enfant et de l’adolescent, le choix sera fait ici de présenter d’une part les kinesthésies humaines, en y intégrant les kinesthésies partielles ; d’autre part les kinesthésies animales, en ce qu’elles possèdent une place et fonction spécifique pour les enfants et les adolescents ; et, enfin, les autres kinesthésies mineures. Notons que la production de kinesthésies, qui impliquent une différenciation suffisamment fiable entre monde interne et réalité externe, c’est-à-dire une construction avérée d’objets internes fiables, intervient de manière marginale chez les très jeunes enfants, souvent remplacée par un mode d’agir dans l’ici-et-maintenant de la passation. Exceptionnellement cependant, des réponses de kinesthésies peuvent être proposées par de très jeunes enfants. Comme Simon (3 ans et 9 mois) à la planche VIII : « Un oiseau qui tire les scarabées... c’est magique regarde » (cotée Gz kan A). Au plan de la technique de cotation, il faut souligner une particularité qui conduit à opérer une ellipse de la cotation de la forme, alors même que

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

123

celle-ci se trouve engagée de manière quasi-systématique dans l’émergence du mouvement attribué au stimulus. Par convention, la cotation de la forme ne sera donc pas portée explicitement, alors même que de manière implicite celle-ci concourt à la production de la réponse. Seules certaines kinesthésies explosives par exemple peuvent se construire préférentiellement sur un déterminant sensoriel, la couleur en l’occurrence, nous y reviendrons dans le développement consacré aux autres kinesthésies mineures.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les kinesthésies humaines

Les kinesthésies humaines concernent un mouvement affecté soit à une représentation humaine soit à des représentations pseudo-humaines ou para-humaines (géant, monstres, robots...). Le statut de la représentation support de la kinesthésie, tout comme la qualité d’élaboration du stimulus dont elle témoigne, constituent bien sûr des éléments déterminants pour l’analyse de la kinesthésie humaine. Ce sont les kinesthésies humaines qui, au plus près du processus projectif (représenter au-dehors un éprouvé/une représentation du dedans), constituent le support pour l’expression des organisateurs de la vie psychique, en appui sur une représentation inconsciente du corps : on pourrait ici parler de l’expression d’une forme de topique corporelle, dont la charge pulsionnelle vectorise la figuration. Si, comme le propose N. Rausch de Traubenberg (1994), « le Rorschach teste une image du corps intégrée », c’est bien dans le cadre des réponses de kinesthésie humaine que la dimension de la projection de l’image du corps prend tout son sens. Par ailleurs, au-delà de cette dimension narcissique de la kinesthésie, il y a lieu de prendre en compte sa dimension objectale, dans la mesure où c’est elle qui soutient la qualité de la relation à l’objet et l’élaboration des représentations de relation. C’est à la planche III du Rorschach, dont le stimulus appelle tout particulièrement la représentation humaine, qu’émergent de manière privilégiée les kinesthésies humaines, à partir de ce double enjeu narcissique (mise en représentation de la représentation d’un corps entier et intègre) et objectal (traitement de l’énigme de la sollicitation bisexuelle de la planche). Agathe (6 ans et 8 mois), à la planche I : « C’est un monstre qui vole », réponse cotée G K (H). Matthias (16 ans et 3 mois), à la planche III : « Deux personnes en train de se parler à la terrasse d’un café, c’est tout », réponse cotée G K H. La cotation des kinesthésies humaines ouvre sur une question tout à la fois technique (méthodologique) et théorique (au sens de la définition

124

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

d’une théorie de la méthode). En effet, il est de pratique usuelle de procéder à la cotation d’une kinesthésie humaine à partir du moment où une représentation humaine, entière et intègre, est proposée par le sujet (C. Chabert, 1998). Il semble que cette pratique comporte le risque d’un écrasement des enjeux singuliers de la kinesthésie dans la mesure où elle tend, au regard de la cotation tout du moins, à mettre sur le même plan les expressions propres à la kinesthésie et les empêchements dans l’émergence de celle-ci. Afin de permettre une approche fine des mouvements engagés dans la kinesthésie, je propose : • d’une part de réserver la cotation de la kinesthésie aux réponses dans

lesquelles un mouvement est avéré et explicitement énoncé par l’enfant ou l’adolescent : comme pour Raphaële (14 ans et 1 mois), à la planche III : « Deux personnes qui jouent de la musique » (enquête : « les personnes et les tam-tam à côté », réponse cotée G K H Ban) ;

• d’autre part de préciser le statut de certaines formes de kinesthésies peu

déployées, voire empêchées, que l’on peut repérer autour de trois formes principales : les kinesthésies d’attitude, les kinesthésies réprimées et les kinesthésies refoulées. La kinesthésie d’attitude (que l’on peut coter KAtt) peut être décrite comme une première forme de répression du mouvement, au sens où la charge pulsionnelle ne peut trouver à se déployer dans une représentation de relation : Jean-Bertrand (17 ans et 5 mois), à la planche VII : « Ben (il rit) on dirait deux... deux bonhommes qui se regardent... qui sont tournés vers là avec le corps... mais qui se regardent, avec une espèce de plume, un bonnet » (enquête : « on dirait la tête à Peter-Pan, plus le corps d’une femme, avec une jupe », réponse cotée G KAtt H). La réponse de Jean-Bertrand face à la planche, si elle témoigne d’une tentative de construction de la relation à un autre différencié vient buter, comme nous en informe l’enquête, dans ce temps singulier de l’adolescence, à une difficile conflictualisation de la rencontre de la bisexualité. La répression de la kinesthésie (que l’on peut noter comme une tendance de la kinesthésie : > Krep), à proprement parler, se trouve quant à elle

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

125

marquée par l’énoncé d’une réserve, d’une limitation de l’investissement du mouvement sur la planche dans la production verbale de la réponse. Cette répression touche à l’expression pulsionnelle et à ses enjeux de traduction en terme d’affect et de représentation : Steven (9 ans et 9 mois), à la planche III : « Deux personnes qui dansent un peu, aussi... ou qui s’écartent, en fait, voilà » (enquête : « avec la vitesse, les petits traits », réponse cotée D K H Ban). Ici, la répression de la kinesthésie est assez explicitement liée au risque que représente le rapproché initié par la rencontre entre les deux personnages (non identifiées au plan sexué) au décours du mouvement projeté sur la planche. La répression consiste alors ici à limiter les effets du rapprochement, avec le recours à un écart, qui intervient comme solution secondaire... et fragile aménagement. Dans un certain nombre de cas, cette répression peut céder à l’enquête, même si ce n’est que partiellement : Tarak (6 ans et 2 mois), à la planche VIII

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« On dirait des souris... » (enquête : « ils essaient en train de monter, le pied de la souris, les souris, c’est petit, là on les voit grandes... c’est peut-être un rat... les souris elles arriveraient pas à monter », réponse cotée D F+ A Ban > kan rep). Enfin, la répression de la kinesthésie peut être observée dans des situations où l’agir, dans le cadre de la passation, prend le relai de l’expression verbale du mouvement : Marie-Manuelle (8 ans et 1 mois), à la planche III « Deux dames » puis elle jette la planche en direction du psychologue (enquête : « elles font un gâteau », réponse cotée G F+ H Ban > K rep ). Sans doute peut-on considérer que l’empreinte motrice sur la planche vient, dans un premier temps, signifier, dans l’agir, la répression du mouvement (et une forme d’échec du processus de symbolisation) qui pourra, à l’enquête se déployer. Fabienne (10 ans et 6 mois), à la planche V « Un oiseau... cui-cui » (elle accompagne sa verbalisation de gestes qui figurent le vol de l’oiseau, réponse cotée G F+ A Ban > kan rep).

126

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

La motricité paraît ici mobilisée au service de la symbolisation dont la traduction secondaire (en forme de représentation-mot) ne pourra advenir ni dans le cadre de la passation, ni dans celui de l’enquête. On notera que les exemples proposés en appui sur des protocoles de clinique infantile s’appuient de manière indifférenciée sur la production de réponses mettant en jeu des représentations humaines et animales. Le prochain développement consacré aux kinesthésies animales apportera un éclairage sur ce choix. Le refoulement de la kinesthésie (que l’on peut noter comme une tendance de la kinesthésie : > Kref ) résulte d’un processus davantage élaboré, que l’on peut référer à un registre névrotique du fonctionnement psychique. Il procède en effet d’un effet de leurre, qui permet de proposer une représentation acceptable au regard des instances de l’interdit, masquant la prégnance du désir. Cette modalité de traitement, en creux, du mouvement face aux planches de Rorschach se rencontre essentiellement dans les protocoles de pré-adolescents ou d’adolescents : Valérie (13 ans et 6 mois), à la planche VII « Euh... euh... deux filles, deux jumelles, qui sont sculptées sur une pierre, sur une balance » (enquête : « la pierre ça fait une balance, et là les jumelles elles sont identiques, sauf elles sont face à face », réponse cotée G F+ H > Kref). Le recours à la pétrification vient ici au service du refoulement et semble mobilisé pour tenir à distance les enjeux pulsionnels liés au rapproché homosexuel. Parmi les kinesthésies humaines, il convient de mentionner la spécificité des kinesthésies dites interprétatives dans les protocoles d’enfants ou d’adolescents : ces kinesthésies, qui mettent en scène des figures effrayantes et/ou menaçantes, témoignent d’un rapport persécutoire au monde environnant. La dimension interprétative est retenue lorsque la réponse met en scène un personnage (souvent un pseudo- ou para-humain) dans une forme d’adresse inquiétante à l’enfant ou à l’adolescent. La place du regard y occupe une place significative, et c’est bien souvent autour des yeux que se développe la dimension interprétative de la kinesthésie : Sébastien (10 ans) à la planche IX « ! Ça..." une plante carnivore, vue du bas et... ! comment ça s’appelle ces machins ? une langue de chat... dans mon Alien il y a une méchante

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

127

langue... il vient vers toi et il te mange » (enquête : « c’est au plafond... là le machin pour s’accrocher au plafond, là le système digestif, là la grosse bouche avec les grosses épines et là la langue », réponse cotée G K (H)). Amel (12 ans et 9 mois), à la planche IV « Ah ! géant... un ogre en fait si vous préférez, un loup aussi, ses petits yeux... il ressemble au loup de Blanche-Neige, non du Chaperon Rouge... ou aussi de Blanche-Neige... » (enquête : « je le voyais de loin, l’impression d’être en bas et lui en haut, il me fonce dessus avec ses pattes », réponse cotée G K (H)). Aurélie (13 ans et 10 mois), à la planche IX « Alors là ! là je verrais plutôt comme si quelque chose... je vois la peur, comme si y a quelque chose d’affreux qui est arrivé... comme si une personne hantait des personnes, comme un fantôme qui hante les autres personnes » (enquête : « c’est pas vraiment des personnes mais je me suis imaginée que c’est des personnes... le fantôme en haut et les deux qui se regroupent parce qu’ils ont peur », réponse cotée G K (H)).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les kinesthésies partielles

Une double définition permet d’appréhender la kinesthésie partielle (cotée kp) : il s’agit soit d’un mouvement affectant la représentation d’une partie du corps humain, soit d’un mouvement humain localisé dans un petit détail. Dans un cas comme dans l’autre, la valeur que l’on peut attribuer à la kinesthésie partielle est à considérer dans une forme de limitation ou de rétractation de l’engagement imaginaire de l’enfant ou de l’adolescent : tout se passe alors comme si les appuis sur le monde interne et les objets qui le constituent, ne pouvaient être suffisamment fiables pour autoriser le déploiement de représentations humaines susceptibles de se proposer comme des points d’ancrage pour l’inscription identitaire et les choix identificatoires. Deux exemples peuvent en être proposés pour figurer une kinesthésie portant sur une partie du corps humain : Martine (15 ans et 7 mois), à la planche IV « C’est un monsieur couché... il a un bras qui bouge... je sais pas pourquoi je suis avec les gens... en tous les cas c’est très joli, c’est original... » (enquête : « les pieds, les bras, la tête », réponse cotée G kp H).

128

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Romuald (17 ans), à la planche VIII « Je sais pas, des sortes de mains là... qui tiennent des panthères » (réponse cotée DD kp Hd/A). La dimension partielle de ces kinesthésies interroge clairement les potentiels d’unification pulsionnelle de l’enfant ou de l’adolescent et invite à une lecture des enjeux de cette découpe au regard de ce dont témoigne la pulsion partielle qui s’exprime de manière sous-jacente. Sans doute dans ces deux réponses, et de manière différente, la question de la pulsion d’emprise se trouve posée sur ses deux versants d’impuissance dans la passivité (Martine) et de maîtrise phallique (Romuald). Enfin, la kinesthésie humaine portant sur une représentation limitée à l’appréhension d’un petit détail peut être illustrée par la réponse de Sébastien : Sébastien (10 ans), à la planche X « Un Alien... en enlevant çà... qui bouge » (localisation dans la moitié de D1, réponse cotée Dd kp (H)). Ici, la limitation de la représentation, par ailleurs dans le registre du pseudo-humain, rend compte du risque de la confrontation à une figure totale, inquiétante, et potentiellement menaçante (cf. supra, avec l’exemple de réponse de kinesthésie interprétative proposée à partir du protocole de Sébastien, planche IX). Les kinesthésies animales

Les kinesthésies animales, cotées kan, concernent des réponses mettant en scène le mouvement d’animaux, en principe figurés entiers et intègres. Ces animaux peuvent également prendre la forme de figures issues d’un monde imaginaire (mythologie, contes, mondes fantastiques et/ou virtuels...). Il importe ici de différencier la place et la fonction des kinesthésies animales en fonction de l’âge. En effet, dans le temps de l’enfance, compris jusqu’à l’issue de la période de latence, on peut considérer que les représentations animales, et les kinesthésies qui y sont associées, constituent des alternatives identificatoires à l’investissement des représentations humaines. Il convient de penser cette forme de continuité entre représentations humaines et animales (particulièrement lorsque ceux-ci sont des animaux que l’on peut qualifier d’anthropomorphiques : ours, chien...) en lien avec l’investissement privilégié du monde imaginaire par le jeune enfant (fragilité de la différenciation

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

129

entre monde interne et réalité externe) puis comme la poursuite de cet investissement imaginaire sous le primat de la sublimation, dans le temps de la latence, avec la prégnance de l’offre de figures de substitution dans l’environnement culturel de l’enfant (littérature, films, jeux vidéos...). Christophe (7 ans), à la planche II « Des... éléphants qui... qui font des... de la, un peu de bataille avec leur trompe et tout » (enquête : « les oreilles, les trompes et ça (D3) c’est je crois quand ils saignent, ils se font mal, c’est pas des bébés du même groupe »). Jonas (9 ans), à la planche VIII « On dirait un petit animal, deux petits animals qui montent sur quelque chose, qui montent sur un rocher, sur plusieurs rochers, c’est pareil » (réponse cotée D/G kan A). Kamel (11 ans et 5 mois), à la planche X

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Un cheval ou deux chamois en train de courir » (enquête : « quand ils courent sur une montagne », localisation en D7, réponse cotée D kan A). La réponse proposée par Christophe exemplarise le mode de recours substitutif aux représentations animales et aux mouvements qui les affectent dans le temps de l’enfance : la parenté projective est transparente, traduite dans la verbalisation par l’enfant avec la référence au « bébé ». Dans le temps de la pré-adolescence puis de l’adolescence, les représentations animales et les mouvements qui leur sont affectés tendent à prendre une autre valeur : ils convient alors d’envisager la valeur régressive de ces émergences, qui procèdent sur le mode du déplacement, dans un contexte où la confrontation à la représentation humaine, dans la charge pulsionnelle qui lui est attachée, vient parfois déborder les potentiels de mise en représentation de l’adolescent. Romain (14 ans et 11 mois), à la planche III « ! Un singe qui se tape sur la tête (il rit) je verrais bien ça... oui c’est ça (il retourne la planche) » (enquête : « ! les mains, les yeux », réponse cotée G kan A). Jean-Bertrand (17 ans et 5 mois) « Là un espèce d’animaux de mer, là aussi un animaux de mer... et qui se battent, par paire ou qui se rencontrent mais je crois plutôt qu’ils se battent » (réponse cotée G kan A).

130

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Pour Romain, le recours à la représentation animale et à son animation semble constituer une alternative face à l’engramme humain de la planche (il propose sa réponse à partir d’un renversement de la planche, annulant la prégnance de cet engramme ; la référence aux « mains » des singes trahit la participation empêchée de la représentation humaine). Pour Jean-Bertrand, l’appel aux figures animales paraît autoriser, sur le mode du déplacement, une mise au travail de la problématique du double et du risque qui s’y trouve attaché. L’investissement des mouvements d’animaux, dans la mesure de la qualité du support de la kinesthésie, au côté de la production d’autres modes de kinesthésie, contribue à rendre compte d’une plasticité du processus représentatif. Si chez les jeunes enfants, la production de kinesthésies animales s’inscrit assez clairement dans une modalité de déplacement de la conflictualité, chez les adolescents elle peut apparaître davantage comme une voie de dégagement face au risque de la rencontre identificatoire. Les autres kinesthésies mineures

Les kinesthésies d’objet (kob) concernent soit une représentation qui comporte en elle-même son potentiel de motricité (tout objet à moteur : voiture, avion, bateau...), soit une représentation prise dans les restes de l’animisme infantile et à laquelle sera affectée une capacité motrice propre. Si les premières de ces formes de kinesthésie sont plutôt l’apanage des grands enfants aux adolescents, les secondes concernent, bien sûr, davantage les jeunes enfants. Les kinesthésies d’objet témoignent de la fragilité de la sécurité interne de l’enfant ou de l’adolescent, face à une réalité de l’environnement qui peut apparaître comme dangereuse voire menaçante. Sans doute le caractère persécutoire des réponses de kinesthésie d’objet se trouve-t-il à interroger, particulièrement lorsque ces réponses reposent sur la survivance de l’animisme infantile. En effet, si cette dimension apparaît de manière explicite au travers des kinesthésies interprétatives, véritable expression d’une menace dans la rencontre de l’autre, elle s’infiltre de manière plus insidieuse au travers des kinesthésies d’objet, comme par exemple dans la réponse suivante : Tiphanie (4 ans et 10 mois), à la planche II « C’est un fusil, la flèche (D2) ici... et le fusil qui part » (réponse cotée G kob Obj).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

131

Arthur (6 ans et 2 mois), à la planche VIII « Là une flèche (D3) » (enquête : « là c’est un truc (il montre le détail axial)... là c’est une flèche qui fait (il siffle pour imiter le bruit de la flèche) et elle fonce dans un bonhomme », réponse cotée D ou DD kob Obj). Même dégagé de l’animisme infantile, l’investissement de kinesthésies d’objet peut continuer à marquer un point de fragilisation dans le lien à l’environnement : Serge (13 ans et 2 mois), à la planche II « (...) ça peut être un objet volant... autrement ... autrement je sais pas... oui je vois pas d’autre truc » (enquête : « comme dans les films de science-fiction... l’objet (D1), les flammes (D3) comme les avions puissants et là les rayons (D2) je sais pas quoi », réponse cotée G Kob Obj). Dans un autre registre, Thierry (18 ans), à la planche VIII, tente, au travers de l’apprivoisement formel de la planche, de contenir le risque potentiel attaché à la rencontre de l’environnement, après avoir proposé une première réponse dominée par la détermination sensorielle de la planche :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Au deuxième abord, je verrais un voilier, un gros voilier, avec des voiles sur les côtés, venant vers nous... le bleu représente la grand-voile et le gris l’autre voile... oui ça représenterait plus ça, le voilier, grand voilier » (enquête : « les vagues sur les côtes », réponse cotée G kob Obj). Les kinesthésies explosives (kex) s’expriment à partir de représentations d’explosion, d’éruption ou de tout forme de dislocation d’une entité et rendent compte de l’affectation d’une énergie interne propre à entrainer une perte de l’intégrité. Les réponses de kinesthésies explosives sont particulièrement attachées aux planches qui comportent de la couleur, et de la couleur vive tout spécialement (le rouge des planches II et III, le orange de la planche IX) ou à la planche qui présente une dispersion significative du stimulus (planche X). On peut remarquer que ces quatre planches sont également celles qui mettent en jeu de la manière la plus marquée la problématique de l’unité du stimulus, de par la place occupée par le blanc : vacances intermaculaires des planches II et IX, prégnance du fond blanc de la planche, dans sa double valence de fond organisateur et d’attraction morcelante. Dans ce contexte, on comprend que le fondement formel de la kinesthésie explosive se présente bien souvent comme extrêmement fragile, au profit d’une approche sensorielle du stimulus. On peut considérer que dans

132

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

la majorité de ces réponses, la couleur constitue le pôle d’arrimage de la représentation qui ne prend appui que de manière marginale sur la délimitation des contours du stimulus, dont on peut comprendre qu’ils se présentent comme vacillants. Si les réponses déterminées par des kinesthésies explosives peuvent apparaître dès l’enfance, elles se trouvent alors habituellement limitées à la planche X de l’épreuve, et contenues a minima dans des représentations de « feu d’artifice ». Tout se passe comme si cette représentation, de par son caractère socialement partagé et positivement connoté autorisait une forme de réassurance face à l’impact lié à la sollicitation de la planche : Diane (5 ans et 2 mois), à la planche X « Un feu d’artifice » (réponse cotée G kex Frag). Au-delà de l’enfance, on assiste à des constructions plus élaborées, qui font appel, le cas échéant, à des modes d’intellectualisation dont on peut comprendre qu’ils viennent pallier le vécu d’effraction lié à la rencontre avec la planche : Germain (16 ans), à la planche II « Je peux la tourner ou pas ? (il rit) ! ça me fait penser à rien du tout... #!" je sais pas ! peut-être un volcan un petit peu là (D3)... un volcan qui explose "! non je sais pas » (enquête : « le trou au milieu et le rouge autour, les traits rouges qui partent dans tous les sens, le réservoir là dans le blanc », réponse cotée D/Dbl kexC Géo). Les doutes, les différents renversements de planche, la dénégation in fine... constituent autant de stratégies mises en œuvre par Germain pour tenter de faire face au vécu d’effraction face à la planche. Véronique (17 ans et 11 mois), à la planche IX « !"! Dans ce sens là ça me ferait penser... la partie rose me ferait penser à une explosion nucléaire, la forme du champignon, le mot qui me vient à la bouche c’est Hiroshima ou Nagasaki avec le vert et le orange des retombées radioactives ou de poussière... le mélange des couleurs ferait penser à ça... je sais même pas si les retombées radioactives sont visibles... mais c’est pas grave » (enquête : « à la fois net et flou... on voit le pied et la tête, mais contrairement à un vrai champignon les limites sont floues », réponse cotée Gbl kex Div).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

133

On peut repérer ici de quelle manière la construction de la réponse, en appui sur la délimitation formelle du stimulus et une tentative d’inscription géopolitique de la réponse, tend à se trouver mise en échec par l’impact effractif du stimulus quant à la définition des limites. ➤

Les réponses sensorielles On désigne par réponses sensorielles les réponses qui sont déterminées par la prise en compte privilégiée d’un aspect sensoriel de la planche : • La couleur, qu’elle soit chromatique ou achromatique ; • L’estompage, que l’on peut définir comme la sensibilité au contraste ; • Les réponses clair-obscur, dont le statut se présente comme singulier et

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

méritera d’être discuté, que l’on peut définir comme marquées par une sensibilité particulière à l’aspect sombre et massif de certaines planches. En contrepoint des réponses formelles dont l’organisateur princeps porte sur la délimitation rationnelle du stimulus, les réponses sensorielles témoignent de l’investissement du matériel projectif dans le registre de l’affectivité. Celle-ci s’exprime au travers du déterminant sensoriel qui traduit une forme de perméabilité du psychisme à des modalités sensibles dans le rapport au monde environnant. Dans ce sens, on peut dire que les réponses déterminées par la seule dimension sensorielle mettent à jour un mode de relation à l’environnement peu défendu, marqué par une précarité des dispositifs de pare-excitations de l’enfant ou de l’adolescent : une réponse « du sang » à la planche II ou III, proposé dans l’un des détails rouges de la planche, en constitue une référence paradigmatique. L’impact du rouge1 est ici particulièrement prégnant, sans que l’appui sur le contour du stimulus ne puisse être mobilisé aux fins de border l’éprouvé affectif face à la planche. La dimension de la saisie affective du stimulus dont rendent compte les déterminants sensoriels peut être abordée selon trois polarités qui traversent le développement psycho-affectif de l’enfant et de l’adolescent, sur son double versant normal et pathologique : • d’une part au regard d’un mode de saisie du matériel qui, dans les

premiers temps du développement, s’appuie de manière significative sur la

1. La spécificité de la sollicitation du rouge fera l’objet d’une discussion dans la partie consacrée aux déterminants couleur.

134

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

dimension de l’éprouvé sensoriel ; on verra que chez le très jeune enfant (2– 4 ans), en particulier, cette modalité tend à dominer la verbalisation face à la planche, sans nécessairement autoriser l’émergence de représentations constituées en tant que telles (on peut penser que la verbalisation d’une qualité de sensorialité de la planche renvoie au registre de la représentationchose, qui ne peut encore prendre forme de représentation-mot) : Susanna (6 ans et 4 mois), qui propose à la planche II : « $ Il y a des pieds (D2), y a du rouge, du noir... moi je crois c’est un bonhomme qui se bagarre... voilà... (remet la planche en place sur le tas) une femme ou un bonhomme » (enquête : « les mains (dans D3) et il prend quelque chose comme ça... invisible », réponse cotée D K H) ; ici la référence à la couleur semble intervenir comme un appel à la représentation et plus particulièrement la référence à la couleur rouge paraît mettre en jeu une représentation possible de la violence ; • d’autre part comme irruption, quasi-effractive, d’une modalité sensorielle

d’interprétation du stimulus, au sein d’un protocole d’enfant ou d’adolescent engagé sur la voie de la symbolisation secondaire, irruption que l’on pourrait rapprocher d’un moment de mise en suspens de l’activité de contrôle portée par le déterminant formel ; ce type de manifestation est particulièrement présent au temps de l’adolescence : Marwan (15 ans) qui, face à la planche II, énonce la réponse suivante : « Je sais pas... çà me fait penser à la violence parce qu’il y a du sang et c’est noir... et un petit peu de gentillesse le blanc » (enquête : « c’est sombre, couleur du sang... en fait c’est dans une personne, c’est sombre, la violence et un peu de gentil », réponse cotée Gbl CC’ Abstr.) ; • Enfin, comme témoin d’une faillite des processus de symbolisation, qui

peut s’organiser dans des tableaux psychopathologiques qui évoquent de manière plus ou moins franche un fonctionnement dans le registre de la psychose, et se traduit par des réponses qui peuvent comporter un caractère très cru : Mohamed (12 ans et 9 mois), à la planche II « Ça je sais, je crois, je crois... c’est, c’est $ ça se met comme ça ou comme ça ? % $% c’est... j’ose pas le dire.... un trou de balle... ou une chatte... je sais

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

135

pas » (enquête : « on a appris ça en cours, là il y a un trou, la chatte et puis voilà... », réponse cotée D CF Sex). Ainsi l’on peut comprendre, en filigrane, que l’un des enjeux principaux de la présence de réponses sensorielles dans le corpus de réponses proposé par l’enfant ou l’adolescent, consiste dans l’association du déterminant sensoriel avec le déterminant formel. Il faut alors distinguer trois grands registres de traitement de la sensorialité à l’épreuve de Rorschach1 : • Le déterminant sensoriel intervient comme unique déterminant de la

réponse (cf. l’exemple de réponse « du sang », dans l’un des détails rouges de la planche I ou II, proposé ci-dessus) : on parle alors de réponse sensorielle pure dans la mesure où ne transparaît, dans l’énoncé de la réponse, aucune référence à la dimension formelle de la représentation (réponse cotée D C Sang) ; • Le déterminant sensoriel intervient en association avec un déterminant formel et ce selon deux modalités possibles :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– le déterminant sensoriel domine la production de la réponse et son encadrement formel n’intervient que de manière secondaire ; on peut proposer l’exemple d’une réponse, dans l’un des détails rouges de la planche I ou II, de type : « une tâche de sang » (réponse cotée D CF Sang), – le déterminant sensoriel vient colorer la prise en compte prioritairement formelle du stimulus ; la réponse, proposée dans le détail rouge inférieur de la planche II (D3) : « des éclaboussures de sang » (réponse cotée D FC Sang) peut en constituer un exemple ; • La mise à jour du régime de l’association entre le déterminant sensoriel

et le déterminant formel apparaît donc tout à fait décisive dans la compréhension de la dynamique psychique à l’œuvre dans la production de la réponse par l’enfant ou l’adolescent, témoignant des tensions entre deux modalités de construction du monde. À partir d’un même mode d’appréhension, ouvrant sur un même contenu de représentation, on peut identifier : – la dimension de réactivité immédiate au stimulus dans le déterminant sensoriel pur,

1. Les exemples proposés ici, à partir du déterminant couleur, peuvent bien sûr être extrapolés aux autres déterminants sensoriels : estompage, couleur achromatique et clair-obscur.

136

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– la tentative, fragile, de contenir cette réactivité dans l’association des déterminants sensoriel et formel, – la prise en compte de l’empreinte sensorielle du stimulus, contenue dans sa délimitation, au travers de l’association des déterminants formel et sensoriel. Au-delà, l’analyse du rapport du déterminant sensoriel et du déterminant formel devra prendre en compte la qualité de la part de l’engagement formel : celui-ci, repéré selon les règles habituelles de différenciation entre F+, Fvoire F±, permet de signifier la qualité de cette participation. Les réponses couleur

Ce sont donc les réponses déterminées par la couleur du stimulus, ici considérée du point de vue de la couleur chromatique. On rencontre les réponses couleur dans deux groupes de planches : • Les planches noires et rouges (planches II et III), c’est alors la couleur

rouge qui constitue le déterminant couleur ; • Les planches pastels (planches VIII, IX et X), ce sont alors les différentes couleurs constitutives de ces planches qui peuvent faire l’objet d’une interprétation de la part de l’enfant ou de l’adolescent. Le critère de cotation de la réponse couleur, cotée C, tient dans le fait que la couleur contribue de manière exclusive (C), majeure (CF) ou secondaire (FC) à la production de la réponse. La décision de la cotation d’une réponse comme réponse couleur découle du travail de l’enquête qui doit être en mesure d’éclaircir, en en proposant une déconstruction, le processus de production de la réponse. Il s’agit en effet de s’assurer que le déterminant de la couleur est effectivement intervenu dans le choix de la réponse proposée. D’une manière générale, on évitera de se contenter d’une inférence soutenue par ce qui, du point de vue de la représentation, peut être mis en lien avec la représentation. Par exemple, face à une réponse « poumon » à la planche II (dans le D2, rouge supérieur), si elle ne trouve pas à s’expliciter au décours de la passation ou lors de l’enquête, la justification d’une cotation incluant la couleur s’avérera difficile... ce qui n’empêchera pas le psychologue de relever l’hypothèse de la participation de la couleur par le biais d’une mention accompagnant la cotation. Par ailleurs, on sera particulièrement attentif à la présence de réponses que l’on pourrait qualifier de pseudo-couleur, dans la mesure où la couleur intervient non pas comme soutien à l’élaboration de la représentation dans la spécificité de son contenu comme par exemple à la planche VIII (Emma,

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

137

6 ans et 5 mois), dans le D1 : « un cochon qui marche » (enquête : « un cochon, parce que c’est rose ») mais comme critère de différenciation du stimulus avec une réponse comme celle d’Hugo (10 ans et 4 mois) à la planche III : « en rouge là en haut, des notes de musique ». Ce type de réponse, que je qualifie de pseudo-couleur, met en évidence que la mention de la couleur se trouve au service d’une délimitation formelle du stimulus : au même titre que la différenciation forme/fond, habituellement implicite comme support de l’émergence de l’appréhension du stimulus, la référence à la couleur s’inscrit au regard des autres parties du stimulus, qui se présentent dans une autre valeur chromatique. Ces réponses seront cotées à partir du déterminant formel, sans participation de la couleur (dans l’exemple ci-dessus, cotation de la réponse en D F+ Symb). Il est intéressant à cet égard de relever que la prise en compte de la couleur dans la production de la réponse, selon que celle-ci est assumée (inscription de la couleur dans le processus de production) ou non-assumée (mention de la couleur comme élément de délimitation du stimulus) traduit la qualité de l’engagement de l’enfant ou de l’adolescent dans la rencontre avec le sensoriel de la planche :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• dans le premier cas, on peut considérer que l’enfant se trouve en mesure

tout à la fois de se laisser toucher par la dimension affective associée à cette valence du stimulus et de traduire ce mode d’affectation, selon des formes diverses (cf. supra la distinction entre les réponses sensorielles en fonction de la participation de la dimension formelle), sous la forme d’une représentation portée par le langage ; • dans le second cas, on peut considérer que la mention formelle de la couleur participe d’une modalité de défense (dans le registre de la maîtrise), face au risque de déstabilisation attaché à la rencontre de l’affect. En filigrane, il importe de considérer que la place singulière qu’occupe la couleur aux planches de l’épreuve de Rorschach (place centrale, que la couleur soit chromatique ou achromatique...) impose au psychologue d’être attentif non seulement à l’expression en plein de son traitement, mais également à son expression en creux (refus des planches couleur, ratio significativement différent du nombre de réponses aux planches contenant de la couleur à l’égard des autres planches, évitement de l’inscription de la couleur dans le processus de production de la réponse). Il convient à ce point d’aborder la spécificité des réponses couleur, en fonction des planches qui constituent le support de leur émergence :

138

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

• Les réponses proposées dans les parties rouges des planches (planches II

et III) renvoient, au regard de la charge attachée au contraste rouge/noir, au maniement des motions pulsionnelles de l’enfant ou de l’adolescent ; la qualité spécifique de l’excitation portée par la couleur rouge (cf. les associations qui y sont attachées dans le registre de l’effraction du corps avec le sang, ou dans le registre de la sexualité), contraint le sujet à prendre position face à la mobilisation intime engagée par celle-ci ; à cet égard on pourrait considérer que le mode de traitement des parties rouges des planches engage plus spécifiquement le traitement du fond pulsionnel lié aux excitations internes, qui se déploie de manière plus ou moins liée ; Steve (9 ans et 9 mois), à la planche II « Ben deux personnes un peu qui se battent... voilà » (enquête : « coup de pied un peu qui fait gicler le sang... deux personnes avec un visage rouge qui se tiennent les mains », réponse cotée G KC H) Grégoire (17 ans et 5 mois) « Deux pères Noël... oui c’est tout (...) » (enquête : « les mains (D7), symétrique, bonnet rouge (D2) et barbe blanche (Dbl) et leur gros ventre » • Les réponses proposées aux planches pastel (planches VIII, IX et X),

appréhendées à partir de la participation de la couleur qui les compose, sont habituellement repérées comme s’inscrivant dans une dynamique relationnelle ; cette dimension est appelée différemment en fonction des planches, dans la mesure de l’intrication des surfaces colorées aux planches VIII et IX de l’épreuve et dans la mesure de la dispersion du stimulus à la planche X ; dans ce sens, avec le traitement de la couleur aux planches pastel, c’est, potentiellement, davantage le versant intersubjectif de l’affect qui se trouve mis en scène au décours des réponses. Manoël (10 ans et 10 mois), à la planche VIII « On aurait dit des personnes (D1) qui taillent un arbre pour faire une drôle de forme et en dessous de cet arbre il y a des personnes qui font un pique-nique » (enquête : « ils coupent les buissons », réponse cotée G K Scène). Si cette réponse ne met pas en évidence de manière explicite la dimension de l’affect, la double scène évoquée augure de situations qui engagent une dynamique relationnelle dans le registre de l’échange.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

139

Signalons enfin une notation, plus qu’une cotation, qui se propose de signifier le point de butée de la détermination des réponses par la couleur et qui concerne la désignation (la nomination) des couleurs de la planche, sans élaboration d’une réponse, au sens de la construction d’une représentation. Ces réponses sont cotées Cn (pour couleur nommée) et s’inscrivent dans une logique de refus, au sens que H. Rorschach donne à ce terme, de la planche. En effet, à l’extrême, la limitation de la verbalisation à la nomination des couleurs conduit à un dégagement radical de la consigne initiale proposée à l’enfant ou à l’adolescent : « qu’est-ce que cela pourrait être ? », au travers d’un rabattement sur la description de la matérialité du matériel. Si l’on peut rencontrer une telle logique de nomination des couleurs chez les très jeunes enfants (cf. supra, avec ce que je nomme comme approche sensorielle du matériel et le protocole de Nora, 2 ans et 5 mois), celle-ci se trouve en mesure de contribuer aux stratégies défensives d’enfants plus âgés, Karim (8 ans et 11 mois), à la planche X « De la peinture, avec du bleu et du rose, avec du bleu et du gris » (enquête : « de la peinture », réponse cotée Cn), ... et peut-être tout particulièrement aux stratégies défensives des adolescents qui trouvent par cette voie une forme détournée d’expression d’une opposition sur un versant caractériel ou pseudo-caractériel : Franck (13 ans et 2 mois), à la planche I « Du noir et du gris... » © Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

puis à la planche II : « du noir, du rouge, c’est tout »... L’enquête ne permet pas de dépasser la référence à la dimension sensorielle brute de la saisie du stimulus. Il ne faut toutefois pas réduire les nominations couleur à ce versant défensif. On peut noter en effet que ce type de réponse représente une déclinaison sensorielle des pseudo-réponses, davantage conditionnées par la forme que par le déterminant sensoriel que sont les réponses « taches », ou « taches d’encre ». Thomas (17 ans et 8 mois), à la planche IX, après une latence de 30 secondes :

140

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

« Des taches de peinture, du rose, du vert, du orange, c’est tout » (enquête : « y a une personne qui est cachée, on voit les yeux (Ddbl) »). De manière différée pour Thomas, mais parfois de manière plus explicite, ces réponses « taches », au même titre que les nominations couleur, peuvent intervenir en soutien du travail de symbolisation. La séquence de réponses proposée par Barnabé (14 ans) donne une illustration de la place de ces réponses couleur dans le processus de production des réponses : – planche I : « Une chauve-souris... (E : autre chose ?)... une peinture, une tache, c’est tout » ; – planche II : « Ça représente pas grand-chose, rien, je sais pas, une tache... peut-être un papillon, c’est tout » ; – planche III : « Quelqu’un qui a pas fini de peindre quelque chose, je vois pas grand-chose d’autre » (enquête : ça représente rien... si on le continue on pourrait en faire quelque chose... un personnage (...)) ». Les réponses estompage

Les réponses déterminées par l’estompage sont rencontrées de manière privilégiée aux planches qui présentent des nuances de gris (IV, VI et VII), mais peuvent être identifiées également dans des planches plus sombres (I, II, III, V), voire dans des planches couleur (planches rouges ou planches pastel). Classiquement, on différencie trois registres d’estompage (cotés E, et le cas échéant EF ou FE) : • les estompages de texture, qui concernent des représentations de pelages

ou de fourrures ; • les estompages de diffusion, qui s’expriment à partir de la qualité insaisissable de certaines représentations (on peut penser aux différents états de la vapeur d’eau par exemple, nuages, brouillard...) ; • les estompages de perspective, au décours desquels la prise en compte des contrastes se trouve au service de représentations tri-dimensionnelles. D’une manière générale, on ne peut qu’être en accord avec N. Rausch de Traubenberg (1984) lorsqu’elle affirme que la présence d’estompages reste relativement limitée dans les protocoles de Rorschach en clinique infantile. Au fond, on peut considérer que le maniement du déterminant sensoriel de l’estompage renvoie essentiellement aux modalités et à la qualité du travail psychique de séparation au sein duquel s’inscrit l’enfant ou l’adolescent...

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

141

et à une capacité de symbolisation de ce travail. Ce travail de la séparation peut être envisagé à différents niveaux, selon le type d’estompage mobilisé : • Dans le cadre des estompages de textures (qui sont les plus fréquents,

voire les seuls observés, chez les enfants), se donnent à voir ce que l’on pourrait nommer comme les précurseurs et/ou les organisateurs du Moi-peau : ces réponses permettent de situer de quelle manière se construit le Moi-peau, en appui sur les fantasmes de « peau commune » et de « peau arrachée » (Anzieu, 1985) ; à ce titre, l’appel à l’estompage de texture constitue l’un des indicateurs des enjeux propres à l’élaboration des premières expériences de séparation, en lien avec les différents temps qui, au fil du développement psychoaffectif, se trouvent émaillés par une réactualisation de ces enjeux : Oriane (10 ans), à la planche VI « Euh... on dirait un animal bizarre avec des trucs au cou très long et des petites ailes bizarres avant le cou et on voit un peu de son squelette et c’est un peu gris clair... vous avez les réponses ? » (réponse cotée G FE A) ; • Dans le cadre des estompages de diffusion, se trouvent engagés les enjeux

de la construction de l’identité, au travers de la mise en question de la délimitation des espaces qui émergent du flou et de l’incertitude dominant les réponses déterminées par ce type d’estompage : Romuald (5 ans et 3 mois), à la planche VII © Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Nuage... » (réponse cotée G FE Frag) ou Cyrielle (8 ans et 5 mois), à la planche VII également « (...) oh je vois ! ce doit être du nuage... oh non ! un nuage avec des anges » (enquête : « l’ange (D3) et le nuage en dessous », réponse cotée G FE Frag/(H)) ; Steve (9 ans et 9 mois), à la planche IV « Un vieil arbre » (enquête : « le tronc, les feuilles qui sont vieilles depuis longtemps (...) » réponse cotée G FE Bot) ; • Dans le cadre des estompages de perspective, se profile un dégagement

possible d’une forme de confrontation à la bi-dimensionnalité, dont on peut comprendre que la logique spéculaire constitue le prototype ; ce

142

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

type d’estompage, qui témoigne d’une forme de maturation particulière, est rare chez les jeunes enfants et est plutôt observé chez les enfants en période de latence, ou à l’adolescence : Maïa (8 ans et 6 mois), à la planche IV « Avec un gros bonhomme là, et un autre bonhomme qui est derrière et puis c’est tout, je vois pas » (enquête : « les chaussures (D1) et les bras... l’autre bonhomme (Daxial) parce qu’il y avait les pieds et les talons », réponse cotée G FE H). Au plan de l’expression de ces différents types d’estompage au fil du développement de l’enfant et de l’adolescent, on peut signaler sans ambiguïté que l’appui sur l’estompage de perspective constitue une forme élaborée d’investissement du déterminant de l’estompage que l’on rencontrera de manière privilégiée dans le temps de latence ou, plus tard, au temps de la stabilisation des aménagements au temps adolescent. Alors que les estompages de texture et de diffusion peuvent être rencontrés, de manière relativement indifférente, à différents moments de la construction de la vie psychique, rendant compte, ainsi que cela a été mentionné, des temps de remaniement, y compris dans ses composantes régressives, repérables au décours du développement psychoaffectif (cf. en particulier les moments de crise identitaire qui accompagnent tout autant la période œdipienne que la période de l’entrée dans l’adolescence). On peut entendre, par ailleurs, de quelle manière le recours à l’estompage s’inscrit dans une problématique dépressive, problématique à considérer du double point de vue de l’affect dépressif (cf. supra, l’exemple de réponse du protocole de Steve, 9 ans et 9 mois), ou du processus dépressif (cf. la position dépressive, M. Klein, 1934). Les réponses de couleur achromatique

Les réponses de couleur achromatique (cotées C’ et, le cas échéant, C’F ou FC’) correspondent à des réponses qui prennent appui sur un déterminant lié à la couleur blanche ou noire, en incluant les différentes tonalités de gris. Le déterminant de couleur achromatique se trouve mobilisé essentiellement aux planches dites noires (les planches I, IV, V, VI et VII), mais il peut l’être également aux planches noires et rouges (planches II et III) voire aux planches pastel (VIII, IX et X), dans la mesure où l’appréhension du blanc peut, dans certains contextes, ouvrir sur des réponses dont le blanc, présent comme fond de l’ensemble des planches, constitue le déterminant. On admet généralement que les réponses déterminées par la couleur achromatique (qui témoignent d’une sensibilité particulière à un aspect

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

143

a priori peu gratifiant du stimulus), marquent une forme d’atteinte narcissique qui prendra des valeurs différentes en fonction de la sensorialité engagée et des contenus représentatifs qui en émergent : abrasion affective, dépression, faillite narcissique, effondrement, rupture de la continuité... représentent autant de tonalités expressives face au déterminant de la couleur achromatique. Il semble que le recours au déterminant de la couleur achromatique se présente de manière relativement isolée dans le temps de l’enfance, pour être davantage investi, on le comprend au regard des enjeux psychodynamiques qui le sous-tendent, au temps de la pré-adolescence ou de l’adolescence. Karim (8 ans et 11 mois), à la planche III « Des vampires » (enquête : « y sont noirs les vampires », réponse cotée G FC’ (A)) ou à la planche VIII : « les squelettes ça peut être gris (D4) ?... un squelette » (réponse cotée D FC’ Anat). Romain (14 ans et 11 mois), à la planche V « $% On sait même pas comment ça se regarde, à droite, à gauche... c’est ça... peut-être un oiseau, je sais pas (retourne la planche) c’est quoi ces trucs bizarres depuis tout à l’heure ? » (enquête : « un oiseau ? là en fait je pense à deux sortes d’oiseau qui sont tout en noir mais qui ressemblent pas à ça, pie mais vous voyez quand vous vous levez des grands oiseaux noirs... », réponse cotée G FC’ A Ban ?).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Judith (14 ans et 1 mois), à la planche II « $& En fait je vois ce que ça pourrait être là mais... ce serait un... de la fumée noire qui emporte je sais pas... des personnes » (enquête : « un nuage noir, quelque chose de mauvais qui tue les gens » (D2 et D3), réponse cotée G C’F Frag/H) ; cette dernière réponse montre la frontière parfois ténue qui peut exister entre deux choix de cotation, dans la mesure du questionnement sur la pertinence d’une cotation de cette dernière réponse en déterminant clair-obscur (cotation de cette réponse en ClobF ?). Les réponses clair-obscur

Le déterminant clair-obscur s’inscrit dans une forme de continuité au regard du déterminant de la couleur achromatique, dans la mesure où il concerne, au premier chef, la prise en compte de la couleur noire de la planche. La définition la plus stricte que l’on peut proposer du déterminant clair-obscur (coté Clob et, le cas échéant, ClobF ou FClob) consiste à le

144

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

considérer comme constitué par la prise en compte, dans la production de la réponse, de l’aspect sombre et massif de la planche. À ce titre, ce sont prioritairement les planches dont la structure tant formelle que sensorielle correspondent à ces deux éléments qui constituent le siège de l’émergence du déterminant clair-obscur : planche I et IV (la planche IV est la plus concernée par l’émergence de réponses de clair-obscur), mais aussi parfois, de manière plus marginale, la planche II (pour le grand détail noir, D1 – cf. supra, l’exemple de réponse de Judith, 14 ans et 1 mois) ou la planche V, moins massive mais pour autant parfois vécue dans une tonalité qui appelle le clair-obscur. Il paraît important de s’en tenir à une définition centrée sur l’aspect sombre et massif de la planche, au regard des propositions complémentaires qui l’accompagnent habituellement, et qui visent à mettre l’accent sur la charge d’angoisse qui s’y trouverait liée. Il semble que le risque, ce faisant, serait de se trouver alors engagé à inclure, au sein même de la définition du déterminant, la perspective de la lecture clinique de celui-ci, dans une forme de collusion entre les niveaux de traitement du matériel projectif. Effectivement, la construction d’une réponse à partir d’un déterminant clair-obscur traduit un affect dysphorique et, au-delà, la prégnance d’une charge d’angoisse dont il convient de préciser la nature. On sera en particulier attentif à la qualité, le cas échéant, de l’association du déterminant clairobscur et du déterminant formel (voire à la qualité du déterminant formel lui-même), mais également à la représentation qui en émerge. Certaines réponses de clair-obscur peuvent renvoyer à ce que W.R. Bion (1962) nomme les « terreurs sans nom », angoisses qui se présentent en deçà de toute potentialité représentative. D’autres seront davantage marquées par une valence persécutoire, dont le stimulus porte l’affect de manière explicite. Enfin, des angoisses dans un registre névrotique se trouvent parfois sous-tendues par des réponses de clair-obscur, particulièrement lorsque des contenus humains (ou para-humains, ou encore anthropomorphes) donnent corps représentatif au déterminant clair-obscur. Il semble que c’est sans doute autour de ces réponses clair-obscur que se donne à voir de la manière la plus nette, le déploiement du processus de symbolisation, de l’affect à la représentation... Le déterminant clair-obscur est rencontré essentiellement dans le temps de la période de latence et dans l’adolescence. Il peut prendre différentes formes expressives, selon la nature de la participation de la forme à la réponse conditionnée par le clair-obscur. Certaines réponses vont être exclusivement déterminées par le clair-obscur et traduisent, de manière massive, une charge

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

145

d’angoisse dont la qualité doit être interrogée au regard de la tonalité générale du protocole. Marwan (15 ans), à la planche IV « Ça je sais pas mais on aurait dit ça fait peur... ça fait penser à un fond noir, à un endroit qui fait peur » (enquête : « $ je sais pas, pas de couleurs, comme s’il y avait du brouillard ou de l’orage », réponse cotée G Clob Frag). Ce type de réponse, qui convoque parfois également des figures abstraites comme la mort ou la dépression, témoigne de la charge affective mobilisée dans la rencontre de la planche et de la difficulté de l’enfant ou de l’adolescent d’en proposer une forme en terme de représentation secondarisée. D’autres réponses, qui associent le déterminant sensoriel de clair-obscur d’une part (qui reste souvent appelé dans une forme d’implicite avant l’adolescence et ce, malgré le travail de l’enquête) et la forme d’autre part, attestent d’un mouvement de dégagement possible à l’égard de la charge d’angoisse liée à la rencontre de la planche. Martin (9 ans et 6 mois), à la planche IV « (...) encore pareil un monstre » (enquête : « il fait peur, il pourrait lancer de piques... », réponse cotée G FClob (H)).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Corentin (11 ans), à la planche IV « Le yéti... c’est bon » (enquête : « je sais pas, dans Tintin, j’avais vu représenté comme ça, de cette couleur, et puis il a un peu des poils, et son oeil ici », réponse cotée G Fclob (A), le déterminant estompage pouvant également être relevé...). À l’adolescence, la dimension angoissante peut être davantage assumée, et elle procède d’ailleurs, à cet endroit, des potentiels d’aménagement de l’adolescent, comme en témoigne la réponse proposée par : Véronique (17 ans et 11 mois), à la planche IV toujours : « $%& (elle fronce les sourcils) % c’est noir ! (elle rit) je verrais moi... un personnage de dessin animé où un personnage obscur arrive dans l’ombre et ce serait au moment où le personnage arrive, on attend de voir le regard méchant... c’est comme ça que... $%$% elle m’inspire pas celle-là » (enquête : « les grands pieds, le corps, petite tête, un peu bizarre, pas très sympathique », réponse cotée G FClob (H) > K).

146

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Synthèse 6 – Les déterminants F : réponse formelle, déterminée par la découpe, le contour du stimulus (saisie perceptive) F+ : réponse de bonne qualité formelle (inscription culturelle de la réponse et/ou adéquation au stimulus) F - : réponse de mauvaise qualité formelle (originalité de la réponse et/ou faible adéquation au stimulus) F± : réponse incertaine, peu déterminée (au plan perceptif et représentatif)

K : réponse de kinesthésie humaine (mouvement) KAtt : réponse de kinesthésie d’attitude (faible amplitude du mouvement (regard, posture...) Krep : kinesthésie réprimée, se traduit par une limitation du déploiement du mouvement au fil de la réponse Kref : kinesthésie refoulée, les conditions de déploiement du mouvement sont invalidées kp : réponse de kinesthésie partielle, soit le mouvement porte sur une représentation proposée en appui sur un petit détail, soit le mouvement concerne une partie du corps humain kan : kinesthésie animale (mouvement) kob : kinesthésie d’objet (objet mu par lui-même ou par une action extérieure) kex : kinesthésie explosive, concerne le mouvement affecté à un feu d’artifice, une bombe, une éruption volcanique...

C : réponse de couleur pure, déterminée par la seule couleur CF : réponse déterminée par la couleur, et secondairement par la forme FC : réponse déterminée par la forme, à laquelle se trouve secondairement associée la couleur Cn : nomination couleur, réponse limitée à l’énoncé de la couleur de la planche ou d’une partie de la planche

E : réponse d’estompage, déterminée par les seules nuances de gris EF : réponse déterminée par les nuances de gris et secondairement par la forme FE : réponse déterminée par la forme et secondairement par les nuances de gris

C’ : réponse de couleur achromatique pure (blanc, gris, noir), déterminée par la seule couleur achromatique C’F : réponse déterminée par la couleur achromatique, et secondairement par la forme FC’ : réponse déterminée par la forme, à laquelle se trouve secondairement associée la couleur achromatique

Clob : réponse de clair-obscur, déterminée par le seul aspect sombre et massif de la planche ClobF : réponse déterminée par l’aspect sombre et massif de la planche et secondairement par la forme FClob : réponse déterminée par la forme et secondairement par l’aspect sombre et massif de la planche

Témoins de l’imaginaire : les contenus ou représentations

Le dernier ordre de cotation consiste dans la prise en compte du contenu de la réponse (ou représentation actualisée par la voie de la réponse), dont C. Chabert (1997) indique qu’il correspond, de fait, au « contenant du contenu latent ». En d’autres termes, on peut considérer le contenu comme

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

147

témoignant de l’expression fantasmatique de l’enfant ou de l’adolescent et, plus précisément, de l’univers fantasmatique appelé par la planche de l’épreuve de Rorschach. La cotation du contenu concerne, en première intention, le repérage de la classe de représentations à laquelle il appartient, en fonction des critères de définition de ces classes. Il importe de préciser qu’une réponse est susceptible de se référer à plus d’une classe de représentation, ce qui invitera le psychologue à s’interroger sur la pertinence : • soit de faire le choix de ne conserver dans la cotation que la classe de

représentation qui apparaît comme dominante dans l’expression de la réponse : Manoël (10 ans et 10 mois), à la planche III « Là on aurait dit un poste de musique avec des instruments en haut (D2), et des personnes qui dansent du classique » (enquête : « poste de musique au milieu (D7) ») ; la réponse est cotée G K H Ban (la participation du « poste de musique », malgré sa fonction d’ouverture à la réponse de kinesthésie humaine, échappe à la cotation, au profit de la représentation humaine, paradigmatique de cette planche) ; • soit de faire coexister deux classes de représentation de référence, afin

de souligner la participation conjointe de chacune d’entre elle dans la production de la réponse :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Joy (9 ans), à la planche VI « Une étoile de mer accrochée à un bâton, c’est tout » (enquête : « ça fait comme une étoile (D1) et là ça fait une forme de bâton, comme les indiens ») ; la réponse est cotée Gz F- A/Obj. En tout état de cause, il importe, pour le psychologue, de construire dans sa pratique un régime de cotation cohérent, qui présente une continuité tout à la fois dans la cotation du protocole d’un enfant ou d’un adolescent, et dans la cotation des différents protocoles dont il aura l’occasion de procéder à la cotation, afin de garantir la pertinence de ses propres repères cliniques au travers d’une juste comparaison des données recueillies (cette précaution est valable tant dans le domaine de la pratique clinique en psychopathologie que dans celui de la recherche).

148



Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Les classes de représentation Le modèle de psychogramme préalablement présenté1 propose une liste de différentes classes de représentations. Sans y revenir de manière exhaustive, signalons toutefois ici les principales : – Les représentations humaines, dont on connaît la fonction de support pour le déploiement des identifications2 ; on distinguera, au sein de cette grande classe des représentations humaines, les réponses qui proposent des contenus humains (dans leur entièreté et leur intégrité, au travers de la référence à des parties de corps humain, à des organes sexuels ou à du sang...) ; ou des contenus para-humains (qui peuvent, eux aussi, se présenter en forme de représentation totale ou partielle du corps humain) ; et on notera que les enfants ne seront véritablement en mesure de mobiliser des représentations humaines face aux planches (et, qui plus est, sexuées et animées), qu’à partir d’un temps du développement psychoaffectif qui autorise l’intériorisation d’un objet total, constitué de manière suffisamment fiable et stable ; – Les représentations animales, qui peuvent avoir une fonction de substitut aux représentations humaines, particulièrement pour les jeunes enfants (Bellak, 1950) ; les réponses animales, pour peu que les contenus rencontrent une dimension anthropomorphe (singe, ours, chien...), peuvent se constituer comme précurseurs des processus d’identification, premiers supports pour la mise à l’épreuve dans un jeu de miroir marqué par les investissements de figures animales (univers des contes et des mythologies modernes dont l’enfant est entouré, place des objets d’investissement privilégiés de l’enfant, ours en peluche par exemple...) ; lorsque l’enfant grandit et s’installe dans la période de latence puis dans l’adolescence, la référence marquée à des contenus animaux peut interroger dans sa valence régressive ; – Les autres classes de représentation, qui témoignent, en fonction de la nature de leur investissement, de la richesse et de la diversité du monde imaginaire de l’enfant ; les classes sont proposées à titre indicatif, elles ne sont l’objet

1. Cf. supra, p. 65. 2. Il faut souligner la spécificité de la cotation des réponses « Scène » qui, de fait, contiennent une représentation humaine, et qu’il convient d’intégrer à ces dernières dans le calcul du pourcentage de représentations humaines au sein du protocole : on cote « Scène » une réponse qui met en scène plus de deux personnages, dans une dynamique engageant généralement des représentations relevant d’autre classes de représentation que les représentations humaines. L’exemple de la réponse Manoël (10 ans et 10 mois) à la planche VIII, déjà citée, illustre ce mode de cotation : « on aurait dit des personnes (D1) qui taillent un arbre pour faire une drôle de forme et en dessous de cet arbre il y a des personnes qui font un pique-nique » (enquête : « ils coupent les buissons ») ; cette réponse est cotée G K Scène.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

149

d’aucune référence statistique ou normative et leur spécification ne vise qu’à mettre à jour tout à la fois l’amplitude du spectre représentatif de l’enfant ou de l’adolescent (dont l’investissement par la médiation du langage représente un aspect essentiel) et du mode de répartition de la production au travers de la saisie des différentes occurrences. Ainsi, au-delà de la classification en un certain nombre de classes de représentations proposées par le psychogramme, il est intéressant d’appréhender le registre de la participation de la vie imaginaire du sujet, la plasticité et la richesse des représentations, le registre d’investissement du monde environnant en écho avec les objets/images internes (qualité des réponses humaines, H, animales, A ou anatomiques, Anat...), points d’appui de la vie psychique dans son déploiement fantasmatique. Ce sont ces différents aspects qui, du point de vue de l’étude des contenus, contribueront à colorer la lecture clinique du protocole de réponses proposé par l’enfant ou l’adolescent. – Le caractère banal ou non de la réponse 1, établi, planche par planche, à partir d’un critère statistique lié à la fréquence d’apparition d’une représentation pour une localisation considérée, témoigne du degré d’inscription du sujet dans le monde social, de sa capacité d’appropriation des objets culturels, dans la mesure d’une expérience partagée entre moi et l’autre...

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



La participation du langage Si la classification des représentations proposées par l’enfant ou l’adolescent s’impose, dans la perspective d’une objectivation de l’ensemble des processus qui concourent à la définition de la réponse au sens que H. Rorschach donne à ce terme, il convient d’insister sur la nécessité d’une prise en compte de la qualité du langage qui, par la voie de la verbalisation, soutient l’émergence de la représentation. On peut considérer que le langage, en tant qu’il témoigne de la qualité de l’élaboration de la représentation-chose en représentationmot, porte trace du travail de symbolisation et de ses avatars. Comme les travaux portant sur l’analyse des procédés d’élaboration des récits l’ont bien montré (V. Shentoub, 1990 ; F. Brelet, 1986 ; F. Brelet & C. Chabert, 2003), au-delà du contenu de la verbalisation, il importe d’appréhender la forme de celle-ci : ainsi, une attention toute particulière conduira à s’intéresser aux modalités syntaxiques qui sous-tendent l’agencement des 1. Cf. supra, le développement consacré à la qualité formelle des réponses, ainsi que la liste des banalités proposée de manière usuelle.

150

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

contenus représentatifs afin d’être en mesure de saisir, au plus près de la matière discursive, les enjeux qui président leur émergence. Si l’on met l’accent, dans ce cadre, sur le repérage de l’expression des stratégies défensives au cœur de la forme du discours, on s’attachera également à envisager, dans la perspective ouverte par l’introduction de la notion de fil projectif 1 , de quelle manière les manifestations langagières traduisent des effets de continuité et de discontinuité des processus psychiques, et, partant, la qualité du travail de symbolisation à l’œuvre dans la production projective. À ces différents titres, on pourrait proposer que les contenus représentatifs constitutifs des réponses à l’épreuve de Rorschach peuvent être envisagés comme une matière signifiante, déployée dans le langage, au travers du dégagement d’une figure – figuration, sur le fond de l’enveloppe corporelle que métaphorise la planche de l’épreuve.

1. Cf. supra : Le fil projectif : un modèle pour penser le travail de symbolisation dans l’expression projective, p. 34.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

151

Synthèse 7 – Les classes de représentations Les représentations humaines H : humain entier/intègre Hd : détail humain, c’est-à-dire partie du corps humain comme tête, bras, jambe... (à différencier des réponses anatomiques) Scène : réponse présentant au moins deux personnes engagées dans un tableau impliquant d’autres éléments (H) : para-humain entier (monstre, diable, ange, robot...) (Hd) : détail de para-humain Anat : intérieur du corps (poumon, rein...) ou humain réduit à ses organes (cadavre, squelette1 ...) Sex : organe génital féminin ou masculin Sang (ou Sg) : sang

Les représentations animales A : animal entier/intègre Ad : partie du corps d’animal (A) : para-animal (dragon, vampire...) (Ad) : partie de para-animal Adev : animal atteint dans son intégrité (écrasé, ouvert, blessé, amputé...)

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Autres représentations Bot : tout élément végétal (arbre, fleur, légume ou fruit...) Elem : eau, terre, air, feu Frag : représentation dont la forme n’est pas a priori définie (rocher, nuage, tache...) Obj : tout objet inanimé, mobile (y compris véhicules) Pays : réponse construite à partir de différents éléments qui décrivent un paysage Géo : élément géographique (côte, volcan...), ou tout ou partie de carte géographique Art : production artistique (sculpture, tableau...) Sci : objet attaché à une activité scientifique (éprouvette, tube à essai...) Symb : symbole mathématique (chiffre), religieux (croix) ou autre Arch : élément d’architecture (pont, maison, tour...) Abstr : évocation de concept (liberté, justice, mort...) ou de sentiment (joie, terreur...) Divers : représentation qui ne peut s’inscrire dans l’une des classes ci-dessus

1. La cotation Hdép (pour « humain déprécié ») est parfois utilisée ; elle a le mérite de rendre compte d’une qualité particulière de représentation humaine, ni tout à fait vivant, ni pseudo-humain. La réponse de Camille, 14 ans et 1 mois, à la planche III, en constitue un exemple : « euh... des survivants blessés... » (enquête : « les humains avaient presque plus rien sur eux, bras coupé, manque une jambe et plein de sang ») ; on conçoit ici l’importance de différencier la cotation d’une représentation humaine intègre, d’une représentation mise à mal dans sa qualité d’enveloppe continue et investie libidinalement).

152

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Les phénomènes particuliers1

Sera abordée dans cette dernière partie consacrée à la cotation et à son exercice, comme démarche de déconstruction de la production projective, la prise en compte de quelques manifestations qui émergent au décours de la passation, et dont le repérage contribue à l’analyse clinique des données recueillies. ➤

La persévération La persévération est une forme particulière de répétition, portant sur le contenu de la réponse. La simple répétition consiste dans la réitération d’une réponse face à une planche. On peut proposer comme exemple la séquence de réponses proposée par Yves (8 ans et 8 mois), à la planche I : « $ un papillon...% une chauve-souris... ▹ % un monstre... c’est tout... $ un papillon, oui ». La persévération, quant à elle, est repérée lorsqu’un même contenu représentatif est proposé par l’enfant ou l’adolescent de manière répétée d’une planche à l’autre. Dans cette configuration, tout se passe comme si la qualité du stimulus ne possédait qu’un impact limité sur la production projective, au profit de la trace représentative de l’engramme perceptif. Une autre manière de considérer la persévération consiste à la penser comme une impossibilité pour le sujet de se dégager suffisamment d’une représentation proposée précédemment afin d’autoriser l’émergence d’une nouvelle production alors que le stimulus présenté se trouve, de fait, modifié. Le protocole de Oriane (6 ans et 3 mois), en propose une illustration : – Planche VIII : « flamant rose... normal y’a du rose... flamant violette » (réponse cotée GConf CF A) ; – Planche IX : « flamant rose » (réponse cotée GConf CF A) ;

1. Le titre de ce développement reprend d’une part une expression utilisée par E. Bohm (1951) et d’autre part le titre des deux ouvrages publiés sous la direction de F. Rossel & Coll. : Les phénomènes particuliers au Rorschach – Une relecture pointilliste (2005) et Les phénomènes particuliers au Rorschach – Une relecture pointilliste, vol. II (2012). Il est un clin d’œil à une approche originale de l’épreuve de Rorschach, essentiellement centrée sur la clinique adulte, qui se propose de développer une attention particulière à la qualité du discours.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

153

– Planche X : « (elle vérifie que c’est bien la dernière planche)... un flamant rose et des araignées » (localisation de la première réponse en D9, réponse cotée D CF A ; localisation de la seconde réponse en D1, réponse cotée D F+ A Ban).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

On se trouve ici confronté à un double phénomène : d’une part les réponses « flamant » proposées par l’enfant se présentent de manière indifférenciée quelque soit la planche, dans une forme de déni implicite de la singularité du stimulus, d’autre part l’impact de la couleur rose à la planche VIII semble contribuer à annihiler les potentiels de discrimination perceptive de Oriane. On peut alors comprendre de quelle manière la persévération se propose comme une forme de rupture de délimitation perceptive, ouverture à une confusion des espaces qui introduit à ce que l’on pourrait qualifier comme une hémorragie représentative. Paradoxalement, le phénomène de la persévération vise à instaurer, de manière artificielle, une continuité qui vise à pallier le risque introduit par la discontinuité des planches. À l’extrême, cette quête d’une continuité à tout prix peut aller jusqu’à affecter la forme du discours, et conduire l’enfant à investir son processus de production de réponse au travers d’une construction sous une forme narrative. Le protocole de Rorschach de Clélia (8 ans et 8 mois), en donne un exemple tout à fait marquant, dans la mesure où l’ensemble du protocole est construit en appui sur une première représentation de « chauve-souris », qui se déploie en forme d’histoire sur l’ensemble des dix planches. Les seules modulations qui peuvent être identifiées au décours de sa verbalisation prennent appui sur un investissement du perceptif, qui permet à Clélia une forme de justification après-coup de la persévération. En voici quelques exemples : – Planche I : L. 0.10’ « une chauve-souris, c’est un animal, elle a des ailes, elle a des yeux, une queue, son ventre et ses mains (?) non ! elle vole aussi et voilà » (réponse cotée G kan A Ban) ; – Planche II : « c’est que des chauves-souris... on verra... ses yeux (D2) y sont en haut à la chauve-souris, on voit pas son ventre (Dbl), on voit que ses ailes (D1) et la queue elle est toute rouge (D3)... elle a une bouche... elle vole dans le ciel aussi et voilà (réponse cotée Gbl kan A – Persévération) ;

154

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– Planche III : « la chauve-souris elle a un nez (D3) et des ailes et elle a des yeux qui sont là (D2) et elle vole dans le ciel et elle fait des ronds dans le ciel quand elle vole.. et voilà » (réponse cotée G kan A – Persévération) ; – Planche VIII : « elle, elle est de toutes les couleurs, du rose, du orange, du vert, et du vert, deux verts... elle a une bouche, la colonne vertébrale, des bras... elle se pose sur l’arbre et puis elle vole dans le ciel, et après, elle voit des amis et il lui dit : « viens dans l’arbre avec moi » et après elle fait des ronds avec ses amis et après elle fait des carrés aussi avec ses amis » (réponse cotée G kanC A – Persévération) ; – Planche IX : « une chauve-souris aussi... elle est rose, vert, orange et du bleu aussi, elle a un col vert... elle prend ses amis aussi et elle dit : « viens je vais te montrer ma maman, ses cheveux aussi » et elle s’envole, elle fait des ronds dans le ciel et des carrés aussi et à ses amis elle demande : « je te tape pas »... elle demande : « est-ce que je t’ai tapé ? » et ses amis répondent : « non je t’ai pas tapé » (réponse cotée G KanC A – Persévération). Cette séquence (discontinue) de réponse exemplarise les enjeux de la persévération, ici dans une expression extrême : dé-différenciation du stimulus au profit de la continuité représentative, continuité représentative prise dans un fil projectif que l’on pourrait qualifier de rigide, tant Clélia ne manifeste que peu de plasticité dans son jeu avec les taches des planches et, enfin, tentative secondaire d’arrimage perceptif qui contraste avec un débordement imaginaire qui conduit l’enfant à des élaborations quasi-délirantes. Au plan technique, il faut préciser que la persévération fera l’objet d’une mention complémentaire, jointe à la cotation de la réponse, ainsi que cela est indiqué dans les exemples de réponses du protocole de Clélia. ➤

Les remarques de symétrie Les remarques de symétrie sont assez logiquement appelées par le matériel des dix planches de l’épreuve de Rorschach, dans la mesure de l’origine même de leur structuration. L’appui sur la symétrie des planches, dont on a pu envisager qu’il est rendu possible par la référence implicite à l’expérience que l’enfant ou l’adolescent peut avoir de la bilatéralité du corps humain, est tout à fait déterminant pour la production des réponses. Cette référence à la symétrie des planches prend bien sûr une valeur particulière lorsque la réponse à cet appel à la symétrie se traduit de manière

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

155

explicite dans la verbalisation. Il semble à cet égard que l’on peut distinguer deux configurations principales : • d’une part, celle qui permet de penser que la référence à la symétrie, dans

le discours qui accompagne la réponse, soutient la production de celle-ci ; apparaît ici la nécessité du recours à un étayage, tangible au plan perceptif et repris dans le langage, afin de soutenir le travail de symbolisation dans un contexte que l’on peut penser dominé par la fragilité du narcissisme, a priori, ou a posteriori : Reza (13 ans et 2 mois), à la planche III « C’est le même dessin de chaque côté... un homme en train de verser de l’eau... deux puisque c’est son double » (réponse cotée G K H Ban – Symétrie) ; Fatiha (9 ans et 1 mois), à la planche I L. 0.25’ « Ah là ! (elle rit) ça a la forme d’un papillon... on dirait qu’on a fait un bout avec ça et après on l’a plié et ça a fait les deux côtés pareil...voilà » (réponse cotée G F+ A Ban – Symétrie). • d’autre part, celle dans laquelle la référence à la symétrie obère de manière

plus ou moins radicale la possibilité d’un déploiement du travail de symbolisation ; la symétrie est alors simplement nommée, souvent de manière répétitive, parfois sur un mode quasi-incantatoire, sans autoriser la production de langage, ou alors la symétrie est interprétée en tant que telle : © Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Mattéo (10 ans et 2 mois), à la planche VI « C’est encore symétrique... y’a des parties plus claires et d’autres plus foncées... c’est symétrique et c’est symétrique, c’est tout » (refus) ; Nils (15 ans et 5 mois), à la planche IV1 « $% Je sais pas... une ligne dans un ciel gris... un grand couloir » (réponse cotée D/G FE Frag). On le voit, l’enjeu majeur recouvert par la référence à la symétrie concerne la construction du narcissisme et des repères identitaires... et concerne tout 1. Après un refus aux trois premières planches, introduit de la manière suivante à la planche I (L. 0.30’) : « humm ! une tache de peinture faite sur un cahier puis refermé après avoir séché, réouvert et avoir donné cette forme ».

156

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

particulièrement le temps de l’adolescence et des remaniements sous le primat de l’émergence pulsionnelle génitale. À ce titre, l’analyse des processus de construction de la réponse, engagée à partir de la symétrie, ouvre un observatoire pertinent des potentialités d’élaboration des ressources du sujet... à condition d’inscrire cette analyse dans la dynamique potentiellement contenue par la référence à la symétrie. Il conviendra d’envisager plus tard, dans le développement consacré aux enjeux identitaires et identificatoires, quelles formes peuvent prendre les expressions projectives à partir de la symétrie. ➤

Les éléments non cotables – verbalisation hors des planches On l’a dit précédemment, la transcription du protocole des réponses de l’enfant ou de l’adolescent face aux planches de Rorschach nécessite une attention à l’ensemble du discours de celui-ci, dans sa dimension verbale ou non-verbale. Ainsi, tout ce qui concerne : – – – – – –

les mouvements et déplacements pendant la passation, les onomatopées, exclamations..., les doutes et les demandes de confirmation, les interrogations sur l’origine de l’épreuve, les commentaires sur le matériel ou la situation, les verbalisations hors de l’épreuve...

contribue au corpus textuel qui servira de base à la lecture clinique des productions. Ces éléments, même s’ils ne font pas l’objet d’une cotation spécifique dans le système de cotation des réponses au Rorschach, participent à la dynamique de production des réponses et à la contextualisation de celles-ci. Ces différentes expressions tendent à colorer le matériel verbal, constitué par les réponses à proprement parler, et à rendre compte de l’épaisseur du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent. Par ailleurs, ces expressions permettent d’appréhender les éléments qui concourent à l’histoire des processus, dans la mesure où elles contiennent les indices de l’inscription de la réponse dans une temporalité.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent



157

La cotation Barrière et Pénétration Pour clore ce développement consacré à la cotation, il paraît important de signaler l’existence d’un modèle de cotation complémentaire, élaboré aux États-Unis par S. Fisher et S.E. Cleveland (1958, 1970), et traduit puis mis en œuvre par des auteurs français (Anzieu, 1974 ; Sanglade, 1982). Ce modèle de cotation, qui concerne spécifiquement la cotation du contenu des réponses, consiste à prendre en compte la qualité de contenant (ou non) des réponses produites, et elle vient s’ajouter, le cas échéant, dans une colonne supplémentaire de cotation. À partir d’un travail centré sur des patients somatiques, les auteurs américains ont proposé la prise en compte, en forme de cotation, de la qualité des limites des représentations proposées. C’est ainsi qu’ils proposent de coter une réponse qui actualise une représentation : • comme une réponse « Barrière » (B) lorsqu’elle fait appel à une bonne

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qualité des limites (exemple : une maison, un avion, une boîte...) ; • comme une réponse « Pénétration » (P), lorsqu’elle renvoie à une effraction des limites (exemple : une éruption volcanique, la radiographie d’un corps, un fantôme...) ; • comme une réponse « Barrière/Pénétration » (BP) lorsqu’elle met en jeu un double mouvement entre contenance et effraction (exemple : un avion qui explose en vol, une maison délabrée...). S. Fisher et S.E. Cleveland proposent une définition précise des critères fondant les différents registres de cette cotation1 . Ils précisent par ailleurs que les valeurs normatives attachées à cette cotation sont déterminées par un rapport de 2 réponses cotées B pour 1 réponse cotée P sur l’ensemble des réponses du protocole (et généralement 4 réponses B et 2 réponses P pour un protocole entre 20 et 30 réponses), les réponses BP étant considérées comme signant une forme de mise en échec dans l’établissement des frontières (frontières internes/externes, frontières du Moi...).

1. Voir Synthèse 8 page suivante.

158

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Synthèse 8 – Cotation Barrière et Pénétration Principaux critères de cotation des réponses Barrière et Pénétration (d’après S. Fisher & S.E. Cleveland, 1958, 1970)

Cotation Barrière (B) Les références aux vêtements et à tout ce qui est attaché au corps (robe, bracelet) Les références aux constructions, immeubles, espaces délimités (maison, pont, ville, terrain de football...) Les références aux véhicules (voiture, avion) Les références à tout ce qui contient, couvre ou enveloppe (sac, nappe, écran...) Les références à des êtres possédant des qualités d’enveloppe particulière (poilu...), ainsi qu’un certain nombre d’animaux contenus dans une liste (chat, taupe, léopard...) Les références à des animaux possédant une structure protectrice (crabe, escargot, tortue...) ; Les références à des formations naturelles ou géographiques délimitées volcan, île...)

Cotation Pénétration (P) Les références à des faits de dislocation, pénétration, destruction de tout objet ou de tout être vivant (autopsie, chien écrasé, fleur fanée...) Les références aux ouvertures du corps ou à des actions entraînant une ouverture (anus, narine, vomissement...) Les références à des perceptions impliquant le franchissement des frontières (rayon X, robe transparente...) Les références à des mouvements d’entrée ou de sortie (porte, aspiration de réacteur...) Les références à des phénomènes naturels d’expulsion (geyser, éruption volcanique...) Les références à des images insubstantielles, vagues dans leur délimitation (fantôme, ombre...)

Rappel Les critères ci-dessus constituent le cadre général à partir duquel chaque clinicien est invité à établir sa propre cotation Une réponse est cotée B ou P lorsqu’un élément de celle-ci répond à l’un des critères ci-dessus ; si deux éléments renvoyant à une cotation B d’une part et P d’autre part coexistent dans la réponse, la réponse sera cotée BP

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

159

On comprend sans peine de quelle manière cette cotation peut s’avérer précieuse pour aborder plus précisément les enjeux liés à la problématique des enveloppes psychiques (Anzieu, 1986) et, partant, à l’approche des modalités d’inscription et d’élaboration des relations précoces. Au-delà, la question de la constitution de l’image du corps se trouve interrogée, à partir de la délimitation de la frontière entre les espaces internes et externes d’une part et de la construction de la spécularité d’autre part. Ainsi, cette cotation ouvre une heuristique particulièrement féconde pour aborder la clinique et la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, dans la perspective des aménagements et ré-aménagements psychiques qui président aux différents temps du développement de la vie psychique. Synthèse des cotations et indices spécifiques

Il convient d’aborder, dans cet ultime développement consacré à la méthodologie, les outils de synthèse des cotations à la disposition du psychologue, ainsi que le sens qui peut leur être attribué1 . La synthèse des cotations concerne des éléments se référant d’une part à la production dans son ensemble, et d’autre part à chacun des registres de la cotation : mode d’appréhension ou localisation, déterminant, contenu. Pour chacun de ces registres, des formules permettant une approche statistique des données issues de la cotation sont proposées. Il importe bien sûr d’apporter un bémol à un projet de traitement statistique de ces données, bémol qui concerne tout à la fois la technique et le sens :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• Au plan technique, le degré de validité des pourcentages calculés

est proportionnel au nombre de réponses proposé par l’enfant ou l’adolescent ; ainsi, dans certains cas, lorsque le nombre de réponses ne dépasse pas une réponse par planche, le calcul de pourcentage s’avère tout à fait vain ; • Au plan du sens, si la cotation des réponses se présente comme au service de l’objectivation des enjeux subjectifs présidant à la production de la réponse, les données statistiques issues de ces cotations doivent être considérées non pas en soi, mais dans leur contribution à la compréhension du fonctionnement psychique.

1. Voir Synthèse 9 p. 161.

160

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

La logique des synthèses et indices élaborés à partir des cotations consiste tout à la fois à produire une représentation d’ensemble de la production projective, et à référer les valeurs issues de ces synthèses à des valeurs normatives : cette question est, nous l’avons vu, particulièrement délicate à envisager du point de vue de la clinique de l’enfant et de l’adolescent au regard d’une part de l’aspect partiel des données à notre disposition dans la littérature, et d’autre part de la grande variabilité inter-individuelle au sein d’une population en devenir et que l’on doit considérer en fonction de la dynamique évolutive. Ainsi, nous serons amenés à proposer, dans le présent développement, quelques grandes lignes normatives générales, lorsque cela est possible, et nous renvoyons le lecteur au chapitre consacré aux repères1 , qui envisagera les spécificités de chaque groupe d’enfant ou d’adolescent, défini à partir du registre de développement psychoaffectif. ➤

Données générales du protocole La synthèse concerne ici quatre éléments principaux : 1. Le nombre total de réponses (R) ; 2. Le temps total de la passation (hors enquête) ; 3. Le temps moyen par réponse (qui inclut le temps de latence) ; 4. Le temps de latence moyen ; 5. Le nombre de refus. L’intérêt de la formalisation de ces éléments réside dans l’éclairage qu’ils apportent sur le style général du protocole : production riche ou restrictive, rythme plus ou moins relâché de la verbalisation, mode d’investissement de la temporalité... D’une manière générale, on observe : • que les protocoles des jeunes enfants, mais aussi ceux des adolescents, se

trouvent pris dans une certaine restriction (nombre de réponses limité à une par planche, place significative des refus) ; • que les protocoles les plus consistants sont proposés par les enfants dans la période œdipienne et/ou dans la période de latence.

1. Chapitre 4 – Repères pour une pratique.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

161

Synthèse 9 – Synthèse des cotations et indices spécifiques Données générales R : nombre de réponses cotées Temps/réponse : temps moyen par réponse, rapport entre le temps total (passation) et le nombre de réponses (R) Temps de latence moyen : rapport entre la somme des latences du protocole et le nombre de planches interprété (hors refus) Mode d’appréhension G % : rapport, calculé en pourcentage, entre la somme des réponses cotées G et le nombre total de réponses (Σ G + Gz + Gbl + GConf + GCont/ R) D % : rapport, calculé en pourcentage, entre la somme des réponses de grand détail et le nombre total de réponses (Σ D/ R) Dd % : rapport, calculé en pourcentage, entre la somme des réponses cotées en petit détail et le nombre total de réponses (Σ Dd + Dde + Ddi/ R) Bl % : rapport, calculé en pourcentage, entre la somme des réponses impliquant une partie blanche et le nombre total de réponses (Σ Dbl + Ddbl/ R) Déterminants F % : rapport, calculé en pourcentage, entre le nombre de réponses formelles et le nombre total de réponses (Σ F++ F-+ F± / R) F+ % : rapport, calculé en pourcentage, entre le nombre de réponses de bonne forme et le nombre de réponses formelles (Σ F+ / Σ F) ; dans le cas où des réponses F± ont été cotées, il convient de les prendre en compte chacune pour 21 afin de neutraliser l’incidence de celles-ci sur le calcul du F+% (Σ F+ + 12 Σ F± / F) F+ % élargi : rapport, calculé en pourcentage, entre le nombre de réponses de bonne forme (F+), additionnées des réponses de bonne forme associées à un déterminant kinesthésique ou sensoriel, et le nombre de réponses formelles (F) ΣC : somme des réponses couleur, calculé avec les pondérations suivantes en fonction de la participation de la forme au déterminant couleur ΣC = 1,5C + 1CF + 0,5FC1 T.R.I (Type de Résonance Intime) : K/C (le rapport est présenté comme tel, non réduit à sa résolution décimale) T.R.I introversif : K > C T.R.I extratensif : K < C T.R.I coarté :K = 0, C = 0 T.R.I coartatif :K = 1, C = 1 Formule complémentaire : Σ k / Σ E (à mettre en perspective avec le T.R.I) RC % : rapport, calculé en pourcentage, des réponses cotées pour les trois planches pastel (VIII, IX et X) sur l’ensemble des réponses proposées aux dix planches de l’épreuve (Σ R VIII + IX + X / R) Contenus/Représentations H % : rapport, calculé en pourcentage de réponses humaines sur l’ensemble des réponses cotées du protocole (Σ H + Hd / R) A % : rapport, calculé en pourcentage des réponses animales sur l’ensemble des réponses cotées du protocole (Σ A+ Ad / R) Ang % : rapport, calculé en pourcentage, des réponses de détail humain, d’anatomie, de sexe et de sang sur l’ensemble des réponses cotées du protocole (Σ Hd + Anat + Sexe + Sang / R)

1. La somme des réponses d’estompage, pour le calcul de la formule complémentaire, se calcule selon la même formule de pondération.

162



Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Synthèse des modes d’appréhension Traditionnellement, les praticiens de l’épreuve de Rorschach s’entendent sur l’intérêt de repérer la place respective qu’occupent les principaux modes d’appréhension : réponses globales, de grand détail, de petit détail et détails blancs ou réponses incluant du blanc. On procède pour ce faire au calcul du pourcentage de chacune des ces occurrences, identifiées comme suit : G %, D %, Dd % et Bl %. Le rapport qui s’établit entre les différents modes d’appréhension varie en fonction de l’âge et du développement (psychoaffectif et cognitif) de l’enfant ou de l’adolescent. La perspective normative peut être décrite à partir de la notion de succession des modes d’appréhension. On peut en effet s’attendre à ce qu’un fonctionnement psychique suffisamment élaboré s’appuie sur une exploration progressive du stimulus, à partir d’une appréhension synthétique (réponse globale) de la planche, jusqu’à s’engager dans une approche analytique, de plus en plus précise (grand détail puis petit détail). Dans cette perspective, deux orientations peuvent être données pour aborder la dimension normative de la répartition des modes d’appréhension : • d’une part, la part respective de chacun des modes d’appréhension

sera fonction de la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à opérer ce mouvement progressif d’appréhension analytique des planches ; les enfants les plus jeunes proposent généralement un nombre important, voire exclusif, de réponses globales, dans une saisie immédiate du stimulus (cf. les réponses syncrétiques dont témoignent les réponses confabulées) ; • d’autre part, on peut s’appuyer, à titre indicatif, sur la répartition normative des modes d’appréhension dans une population de 13 à 24 ans (Emmanuelli et Azoulay, 2009), répartition qui à bien des égards vient confirmer les données proposées par J. Blomart issues d’une population de 8 à 16 ans (1998) afin de situer les données produites par l’enfant ou l’adolescent ; ces travaux mettent l’accent sur une répartition qui s’établit à un ratio d’une réponse globale pour deux réponses de grand détail, correspondant à 90 % des réponses, les 10 % restant étant composés des réponses de petit détail ou de réponses dans le blanc. ➤

Synthèse des déterminants Il s’agira de repérer plusieurs niveaux de la répartition des déterminants, qui concernent d’une part la forme (F), d’autre part la place des réponses

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

163

couleur (C) et, enfin, le rapport qui s’établit entre réponses couleur et kinesthésie avec le T.R.I (Type de Résonance Intime). Concernant le déterminant formel, trois niveaux seront envisagés : 1. En premier lieu la part des déterminants de forme pure, dans leurs différentes qualités (F+, F-, F±) au regard de l’ensemble des réponses (F %) ; ce pourcentage du F % constitue un indicateur de la manière dont la production des réponses se trouve affectée par la saisie formelle du stimulus, 2. En second lieu la part des réponses de bonne forme (F+) au regard de l’ensemble des réponses de forme pure (F+ %) ; il s’agit ici d’appréhender tout à la fois l’adéquation du rapport à la réalité et la qualité de l’inscription socio-culturelle de l’enfant ou de l’adolescent, 3. En troisième lieu la prise en compte de la qualité formelle des réponses associant un déterminant sensoriel et un déterminant formel (F+ % élargi), qui permet de mesurer l’impact de la sensorialité sur la constitution de bonnes formes, c’est-à-dire la manière dont l’engagement de l’affect modifie la construction du stimulus dans sa qualité formelle. L’approche des réponses couleur s’appuie sur deux indicateurs dont le psychologue aura tout intérêt à croiser les expressions :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• En premier lieu, le calcul de la somme des réponses couleur du protocole !

( C) selon une formule de pondération en fonction de la place de la participation formelle dans les réponses couleur (voir la synthèse 8, consacrée à ces aspects) ; cet indicateur permet de mesurer, à l’aune de l’ensemble des réponses du protocole, la place spécifique des réponses initiées par la couleur chromatique, réponses qui traduisent une forme d’affectation particulière à l’égard du stimulus ; • En second lieu, l’identification, traduite en forme de pourcentage, du nombre de réponses produites par l’enfant ou l’adolescent dans la rencontre avec les planches pastel (VIII, IX et X) ; ce second indicateur (RC %), qui vise à comparer la productivité à ces trois planches à une norme de répartition théorique des réponses sur les dix planches (on peut en effet s’attendre, si la distribution des réponses est homogène sur l’ensemble des dix planches, à ce que le RC % soit égal à 30...) , permet une autre approche de la réactivité à la couleur, ici en termes de facilitation ou d’inhibition dans la production des réponses.

164

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

L’établissement du Type de Résonance Intime (T.R.I), qui ne peut être confondu avec un calcul1 même si des données chiffrées s’y trouvent engagées, occupe une place centrale dans la synthèse des données du psychogramme. Cet indice, qui propose de mettre en tension la part des réponses déterminées par le mouvement d’une part (K) et par la couleur d’autre part (C) fait partie des propositions originales de H. Rorschach (1921), en appui sur l’analyse des types caractérologiques, dans le sillage des travaux de C.G. Jung. À partir de l’analyse du rapport qui s’établit entre les réponses kinesthésiques et les réponses couleur, H. Rorschach propose de différencier deux pôles principaux dans le fonctionnement psychique du sujet : • Un pôle introversif, correspondant à l’investissement privilégié du

mouvement dans la production des réponses, qui traduit une qualité de mise en jeu de l’intériorité dans la production de la réponse ; en d’autres termes, on peut considérer que ce pôle introversif renvoie à la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à jouer avec des objets internes suffisamment constitués et fiables ; • Un pôle extratensif, correspondant à l’investissement privilégié de la couleur dans la production des réponses, qui traduit une modalité de relation sensible à l’environnement, et une participation affective à la construction du monde, impliquant une capacité de l’enfant ou de l’adolescent de se laisser toucher par la réalité externe. Dans l’analyse du Type de Résonance Intime, il importera donc de mettre en évidence les modalités d’expression de la tension qui s’établit entre les deux polarités. Chacune de ces polarités peut être rapprochée de l’un des termes du trouvé-créé décrit par D.W. Winnicott (1957) : on peut en effet mettre en perspective la dimension de la kinesthésie avec le créé au dedans et celle de la couleur avec le trouvé au-dehors, qui constituent les deux polarités engagées dans la construction du monde, au regard de la prise en compte de la spécificité du travail de la symbolisation mise en jeu dans la rencontre de l’épreuve projective. En contrepoint du Type de Résonance Intime, l’établissement de ce que l’on nomme la Formule Complémentaire (à entendre comme la formule complémentaire au T.R.I), permet de pondérer ce dernier. Il s’agit ici de prendre en compte le rapport qui s’établit entre les kinesthésies mineures 1. L’erreur serait en particulier de considérer que ce rapport K/C aurait à être réduit en une formule décimale... ce qui compte, dans l’appréhension du T.R.I, c’est la manière dont chacune des polarités contribue à la dynamique du fonctionnement psychique, et non pas une illusoire rationalité attachée à une forme numérique.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

165

(kan, kex, kob) et les réponses déterminées par l’estompage. Cet indice permet de figurer, dans un registre régressif au regard du T.R.I, les modalités d’aménagement du sujet dans sa gestion du rapport à la réalité. ➤

Synthèse des contenus

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La synthèse des contenus concerne d’une part l’identification de la place que prennent les principales classes de contenu mobilisées dans la rencontre avec les planches au sein du protocole (humains et animaux), d’autre part l’établissement de ce que l’on nomme l’indice d’angoisse (dont il conviendra de préciser les contours et le sens) et, enfin, le repérage des réponses dites banales. Les contenus qui font l’objet d’une attention particulière sont les contenus humains et les contenus animaux. On comprend aisément l’importance de la prise en compte des contenus humains au regard du support identificatoire qu’ils autorisent de manière privilégiée. Il conviendra cependant de différencier les contenus humains à proprement parler, traduits en termes de pourcentage de l’ensemble des réponses (H %), des contenus de pseudo-humains (différenciation H/(H)) ; par ailleurs, une attention sera portée sur la qualité des réponses humaines au plan de l’intégrité/la continuité de celles-ci. Ainsi, si le H % comprend sera considéré comme le pourcentage de l’ensemble des réponses humaines au regard de l’ensemble des réponses, on s’intéressera également au rapport qui s’établit entre les réponses renvoyant à la représentation d’humains entiers (H) et celles renvoyant à une partie du corps humain (Hd). La qualité formelle attachée aux représentations humaines en général constituera également un facteur d’appréciation du registre de l’engagement identificatoire de l’enfant ou de l’adolescent. Comme on a pu le voir, les représentations animales peuvent être identifiées comme le second pôle (voire le premier au plan quantitatif) d’investissement chez l’enfant et, dans une moindre mesure, chez l’adolescent. Le pourcentage de réponses animales (A %) constituera à ce titre un indicateur précieux, à situer en lien avec le pourcentage de réponses humaines. Ces réponses animales, considérées d’une part chez les plus jeunes enfants comme les premiers supports identificatoires, et d’autre part chez les adolescents comme supports pour des mouvements régressifs, se trouvent au cœur de la dynamique de construction de la personnalité.

166

Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

L’indice d’angoisse constitue le second marqueur attaché aux contenus représentatifs. Il consiste à identifier, et à rapporter en terme de pourcentage, les réponses appartenant à un certain nombre de classes de représentation et qui signent potentiellement l’émergence d’un affect d’angoisse : les réponses de détail humain (représentation humaine non unifiée), les réponses anatomiques, les réponses de sexe et de sang. Le pourcentage est considéré comme significatif (Rausch de Traubenberg, 1970) lorsqu’il dépasse la valeur de 12. Au-delà de l’attention portée à ce seuil de 12 %, il paraît tout à fait primordial d’envisager, au regard de la qualité singulière des réponses qui sous-tendent l’établissement de cet indice dans un protocole, le registre de l’angoisse exprimée : angoisse psychotique, manifestée en forme d’effraction des limites, angoisse dépressive, liée à la précarité des liens, ou angoisse névrotique, dans le registre de la castration. Enfin, l’approche des banalités invite, dans une synthèse, à en lister la présence au sein du protocole de réponses : la présence minimale de 3 à 5 banalités (comprise en référence à une liste pré-établie1 ) peut être considérée comme requise dans un protocole normatif d’enfant ou d’adolescent. Cet indicateur sera bien sûr à prendre en compte en lien avec la participation plus générale des réponses formelles et de leur qualité au sein du protocole. C’est sans doute autour de la présence des banalités que se trouve mis en scène de la manière la plus explicite les potentiels d’inscription socio-culturel de l’enfant ou de l’adolescent, inscription signifiée par la capacité de partager, dans une culture donnée, les mêmes références en termes de schèmes représentatifs.

1. Voir supra, dans le développement consacré à la qualité formelle des réponses, la référence à une liste des banalités.

CHAPITRE 3

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent

Sommaire

Problématiques et observatoires cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Page 169

Repères pour une pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Page 217

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

169

’OBJECTIF de ce troisième chapitre est double : il s’agit d’une part de présenter les principales problématiques et les observatoires à même d’autoriser une lecture clinique des protocoles de Rorschach de l’enfant et de l’adolescent, en mettant l’accent sur l’inscription psychodynamique des expressions projectives, et d’autre part d’aborder, dans une perspective développementale (ici bien sûr considérée au sens du développement psychoaffectif), les formes expressives dont témoignent les productions projectives en fonction de l’âge, de l’enfant d’une part, de l’adolescent d’autre part.

L

Problématiques et observatoires cliniques Le projet de ce développement est de proposer une lecture des principaux indicateurs du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent dans leurs expressions projectives. Trois aspects seront successivement abordés, qui constituent chacun une forme de découpe de la vie psychique :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– le registre d’organisation de la pulsion et celui des expressions d’angoisse qui y sont attachés d’une part, – les modalités défensives d’autre part, – et la dynamique du lien à l’objet enfin. Ces trois aspects seront présentés dans leur singularité expressive, sans méconnaître l’étroite intrication qui se joue entre ces différentes modalités organisatrices de la vie psychique, qui constituent, au fond, autant d’observatoires singuliers du monde interne de l’enfant ou de l’adolescent. Au plan des illustrations cliniques présentées dans ce développement, nous nous attacherons à mettre en évidence les formes selon lesquelles chacune des problématiques s’exprime dans le temps du développement psychoaffectif auquel elle se réfère. Nous aurons également la préoccupation d’envisager les voies d’émergence de ces problématiques dans le cours de l’évolution de la maturation de l’enfant et de l’adolescent, en ce qu’elles signent les points de conflictualité autour desquels se signale la singularité du fonctionnement psychique de chaque sujet, et les tensions qui le traversent.

170

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Organisateur de la pulsion et expression de l’angoisse

On le sait très clairement avec les travaux freudiens, et en particulier avec ceux qui présentent la découverte de la sexualité infantile (Freud, 1905), les mouvements pulsionnels d’un sujet, et de l’enfant en particulier, s’organisent progressivement, en fonction de la primauté de la zone érogène qui constitue le siège du plaisir qui y est attaché... en fonction de la maturation psychosexuelle. C’est ainsi que successivement, la pulsion s’attachera à la zone orale, puis à la zone anale, avant d’investir la dimension du phallique puis la génitalité. Chacune de ces étapes du développement psychosexuel de l’enfant, nonréductible à une perspective de stricte linéarité, correspond tout à la fois à un temps du développement psychoaffectif et à une polarité organisatrice de la vie psychique. En d’autres termes, il s’agira de considérer tout à la fois la singularité de chacun des organisateurs de la pulsion dans son inscription génétique dans le temps de l’enfance, et reconnaître sa place dans les investissements ultérieurs de l’adolescent dans le processus du devenir-adulte. Par ailleurs, il conviendra de considérer l’articulation entre l’organisateur de la pulsion et le registre d’angoisse qui s’y trouve associé. ➤

Oralité et épreuve de la différenciation On le sait, la première forme de contrôle que le nouveau-né va exercer sur le monde qui l’environne, sa première expérience fondant une différenciation entre monde interne et réalité externe, passe par l’épreuve de l’oralité1 : c’est à partir de l’expérience de l’apport de nourriture, qui vient répondre à une attente qui ouvrant sur la satisfaction dans le contexte des mouvements d’auto-conservation, que se construit une forme d’érotique orale. Celle-ci se déploie, au-delà de l’expérience de satisfaction liée à la nourriture, en se généralisant à l’ensemble des premiers investissements de l’enfant, qui porteront trace de cette érotique orale, organisant le rapport entre le dedans et le dehors de l’enfant. En filigrane, se profile le risque d’un maintien de la confusion entre le Moi et l’objet, risque dont témoignent des angoisses qui s’expriment dans le registre de la confusion – angoisses qui affectent la 1. D. et A. Anzieu (1998) proposent, quant à eux, que la première différenciation entre le monde interne et la réalité externe passe par l’investissement de la paupière : celle-ci, dans sa capacité à établir une frontière, au lieu du visuel, entre une intériorité et une extériorité, constituerait un premier clivage organisateur, en deçà de l’expérience de la satisfaction orale, voire combinée à celle-ci.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

171

qualité des limites – et lui témoignent du risque de se perdre comme sujet différencié. Les principaux enjeux peuvent alors être identifiés au travers de marques d’agrippement, ici au percept de la planche de Rorschach et/ou à une représentation qui assure une fonction de maintien d’une forme de continuité. Dans ce contexte, on comprend que les planches qui mobilisent particulièrement, d’une manière ou d’une autre, la dimension de la limite, représenteront des attracteurs pour les angoisses orales : • planches dont le détail intermaculaire organise le stimulus (planches II,

VII et IX) ; • planche dont la cohérence du stimulus se trouve interrogée par une qualité singulière de la planche (planche III avec la découpe des différentes parties du stimulus, planche IX avec l’interpénétration des couleurs, planche X avec la dispersion du stimulus...). Les expressions projectives de la pulsion dans son organisation sous le primat de l’oralité renvoient aux marques de modalités archaïques de rapport au monde. Celles-ci peuvent être identifiées autour de quatre formes principales :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

1. Au plan des expressions « hors réponse », dans un maniement du matériel de l’épreuve dominé par une forme d’avidité orale (mise à l’épreuve orale de la qualité des planches, attente d’être nourri par le matériel...) ou avec l’expression d’angoisses de vide, transmises dans les mouvements transférentiels autour de la rencontre de l’épreuve. Marianne (6 ans et 4 mois), qui ouvre sa verbalisation, à la planche IV, sur cette formulation : « Tu vas toutes me les montrer ? », formulation que l’on peut entendre tout à la fois comme la marque d’une forme d’avidité à l’égard de l’épreuve et comme une expression défensive au regard de la sollicitation phallique de la planche. Yasmine (14 ans et 2 mois), à la planche II : « Un papillon... !... je sais pas, j’ai l’impression que je perds la tête... » (enquête : « ça a plusieurs couleurs... ça, une espèce de petite tête avec des petites antennes – D3 –, des grandes ailes – D6 – et le derrière des papillons, c’est comme ça », réponse cotée G FC A). Après la proposition d’une première représentation (« papillon »), on peut observer que Yasmine est confrontée à un mouvement de désorganisation

172

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

face à la planche. Il est d’ailleurs significatif qu’à l’enquête, c’est à partir de la mention de la couleur (référence à l’éprouvé) que Yasmine tente de reprendre le contrôle de la situation (lutte contre le mouvement de désorganisation attaché au vide central ?). 2. Au plan des modes d’appréhension avec des confusions forme-fond, contenant-contenu (réponses confabulées ou contaminées, par exemple), des ruptures entre les modes d’appréhension avec des successions peu organisées (alternance de réponses globales et de petit détail rare, par exemple1 ). Alexandre (4 ans et 11 mois), à la planche VII « C’est un chien blanc, qui était dans la neige, un chien blanc qui rencontre la neige et c’est tout » (enquête : « c’est le chien qui s’est mis dehors et après, quand il faisait rien, il faisait pas mal... mais quand il chasse les oiseaux, il s’énerve, ça c’est la montagne – D4) et ça c’est le chien – D2 » – réponse cotée Gbl FC’ A >kan ?). La réponse proposée par Alexandre témoigne d’une confusion forme-fond, le fond blanc de la planche se trouvant en situation de recouvrir le stimulus en contaminant la représentation (le chien, identifié dans le gris, est qualifié de blanc, en lien avec le fond blanc de la planche identifié comme la neige...). Gérard (6 ans), à la planche III « C’est des fées qui préparent du feu... ils mettent leurs bottes, ils s’habillent, ils se déguisent en corbeau » (réponse cotée G KC (H)/A – Contamination). La réponse témoigne d’une double confusion : confusion des appartenances sexuées (écart entre le registre féminin des fées et l’utilisation d’un pronom personnel masculin) et confusion au plan de l’appartenance à l’espèce (un pseudo-humain, ici une fée, qui se déguise – se transforme ?) en animal. Eric (14 ans et 11 mois), à la planche IV « Un ours mélangé avec un putois, le gros ours et un peu le noir et blanc du putois, un gros monstre » (enquête : « là on voit le gros ours avec les

1. On peut renvoyer le lecteur, sur la spécificité de l’expression des problématiques contenant-contenu à l’épreuve de Rorschach à l’article de C. Frédérick-Libon (2001) : « Réflexions autour de certains phénomènes archaïques au Rorschach chez l’enfant : les distorsions de la relation contenant-contenu », Psychologie Clinique et Projective, 7, p. 127-152.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

173

grosses jambes et là on voit la tête du putois et la queue du putois », réponse cotée G FC’ (A) – Contamination). Le caractère massif de la planche, doublé d’une mobilisation sensorielle (quête d’un dégagement ?), semble contraindre Eric à une forme de compromis introuvable, au sein duquel chacune des représentations (ours/putois) ne peut acquérir de statut clairement identifié. Le recours au signifiant « monstre », dont on peut penser qu’il aurait pu supporter le conflit en se proposant comme issue acceptable, ne paraît pas en mesure d’inscrire ce compromis dans le temps (on notera qu’il n’est pas repris à l’enquête). 3. Au plan des déterminants, avec la prégnance de réponses cotées en F-. 4. Au plan des contenus avec des persévérations, confusions dans la construction des représentations et, en particulier, une faible discrimination entre les registres animaux et humains... et de manière plus générale au travers d’expressions de langage qui témoignent d’un investissement du langage qui n’autorise pas véritablement la construction d’une séparation entre le Moi et la réalité extérieure (contenus essentiellement référées à des réponses de Pénétration selon la cotation de S. Ficher et S.E. Cleveland).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Jérémie (11 ans et 10 mois), à la planche II « L. 0.10’... corps d’un lapin quand il est ouvert avec un peu de sang (D1 + D2)... c’est comme si c’était deux cornes (D4)... là ça fait penser à un trou de serrure avec une clé (Ddbl) » (enquête : « les cornes, un peu pointu, quelquefois c’est blanc ou gris ou noir », réponses cotées DD FC Anat, puis D F- Ad, puis Ddbl F- Obj. Jérémie propose une succession de réponses, avec alternance de modes d’appréhension qui témoignent d’une forme de balayage aléatoire de la planche ; les réponses sont globalement d’une qualité formelle médiocre, elles présentent des contenus dysphoriques et attaqués dans leur intégrité («...corps de lapin quand il est ouvert... »), peu cohérents dans la gestion du rapport entre contenant et contenu, forme et fond (on peut comprendre que la mention de la clé dans la réponse « trou de serrure avec une clé », a pour fonction de colmater un vide et/ou une fracture dans la continuité de la planche vécus comme insupportables par Jérémie.

174



Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Analité et expérience de la perte La qualification d’une organisation anale de la pulsion est caractérisée par un fonctionnement psychique dominé par les marques de maîtrise et de contrôle versus lâchage ou perte. Cette modalité de traitement de la pulsion prend appui sur le contrôle des sphincters et sur l’expérience, propre à ce temps du développement psychoaffectif, de pouvoir jouer entre rétention et expulsion. L’investissement libidinal de la sphère anale confère à cette expérience une dimension fondatrice dans l’établissement des échanges entre le jeune enfant et la réalité extérieure, en appui sur une délimitation des limites entre monde interne et réalité externe que le temps de l’oralité aura, dans le meilleur des cas, permis à l’enfant de construire de manière suffisamment stable. C’est dans ce contexte que peuvent venir s’infiltrer, dans la vie psychique de l’enfant, puis de l’adolescent, des mouvements qui témoignent de l’insupportable rencontre de la perte, face au risque de perte de contenance et d’intégrité qu’elle engage. En effet, le traitement anal de la pulsion implique pour l’enfant d’être en mesure de se détacher de cette part de lui/hors de lui que représentent les matières fécales... sans se trouver atteint par la nécessité physiologique liée à l’expulsion. Au plan de l’expression projective du registre anal de la pulsion, on retiendra qu’elle peut être repérée au travers des enjeux de contrôle de la situation projective et/ou de l’échec de ce contrôle, selon différentes modalités. 1. Contrôle du psychologue dans la relation clinique ouverte par la passation de l’épreuve : maîtrise de la passation et des planches, interpellation sur la bonne qualité des réponses, mouvements d’attaque du matériel... Fabienne (10 ans et 6 mois), à la planche III « (...)... un truc là (D3), un nœud-papillon... après tu me dis si c’est juste ! (...) » Barnabé (14 ans), à la planche VII (après avoir disqualifié l’épreuve à la planche IV) « Franchement je vois pas bien à quoi ça sert » (fronce les sourcils)... « (L. 0.30’) ... excusez-moi je pourrais avoir celle-là (la planche VI) ? celle-là est symétrique, et les autres non ? (...) »

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

175

2. Au plan des modes d’appréhension, des mouvements qui peuvent viser à une saisie compulsive du stimulus avec le sentiment d’une nécessité, pour l’enfant ou l’adolescent de « tout tenir », sans recherche d’une cohérence de la succession des réponses, soit par la voie de réponses globales juxtaposées (apposition de grands détails sans articulation prise dans le langage entre les représentations portées par chacun des détails), soit par la voie d’un surinvestissement de réponses de petit détail, isolés les uns des autres, soit enfin par la voie de réponses globales-blanc qui peuvent être qualifiées de réponses « à tout prix », au sens de la dimension arbitraire de l’articulation entre le fond et la forme de la planche. Jean (8 ans et 5 mois), à la planche III « (prend la planche) Ça on dirait une grenouille (G), ça on dirait des doigts (Dd10), ça on dirait un masque (D7)...! un petit papillon (D3)..." une femme et l’autre aussi (2 D1)... du feu qui tombe » (réponses respectivement cotées G F- A, Ddo F+ Hd, D F+ Obj, D F+ Ban, D F+ H ban, D kobC Elem).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Dans cette séquence de réponses à la planche III, alternent des modes d’appréhension contrastés, ainsi que des contenus qu’il apparaît difficile d’inscrire dans une chaîne associative (rupture/torsion du fil projectif ?). 3. Au plan des déterminants qui, d’une manière générale, apparaissent comme peu assurés quant à la qualité formelle, et au sein desquels vont s’exprimer de façon privilégiée les déterminants de couleur achromatique, les déterminants estompages et ceux de kinesthésies explosives ; on peut dire que l’ensemble de ces déterminants seront ici investis au service d’un évitement des expériences de perte ou de séparation (C’, E)... ou pour exprimer la faillite de cette stratégie (kex) : La présentation d’un choix parmi les réponses proposées aux planches III, IV, VIII et X par Mourad (8 ans et 1 mois) semble illustrer assez bien l’expression de la problématique anale dans le temps de la latence : – Planche III : « ça c’est un squelette, il est rouge, noir et un peu blanc, gris et rouge... !un squelette... non, un rat, il est rouge, gris et blanc » (enquête : « un papillon dans le squelette... deux squelettes, dents pointues et bras... mais pourquoi il y a un papillon dans le rat... c’est son cœur » ; réponses cotées Gbl FC Anat, puis G F+ Anat, puis Gbl FC/FC’ A) ;

176

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

– Planche IV : « c’est un papillon... non, un géant tout tout noir, ses bottes sont grises... ! si on met comme ça, c’est... » (réponses cotées G F+ A, puis G FC’ (H)/Obj) ; – Planche VIII : « un squelette, le cœur d’un squelette, les os d’un squelette » (réponse cotée Gbl FC Anat) ; – Planche X : « en haut, une Tour Eiffel (D11)... il y a plein de... on lance, ça explose, c’est bleu, des petites bombes... il y a de toutes les couleurs » (enquête : « une fête, des pétards, des couleurs », réponses cotées D F+ Arch, puis G kexF Frag) Dans cette série de réponses, on peut reconnaître d’une part la difficulté de Mourad à renoncer à une partie du stimulus, envisagé sur son vessant éminemment sensoriel (FC, FC’), ainsi que la prégnance de la problématique de l’articulation entre dedans et dehors (squelette/ rat), entre la forme et le fond (squelette/ cœur) et, enfin, la difficulté dans la confrontation avec la dispersion du stimulus à la planche X qui conduit l’enfant, après une tentative de structuration autour d’un monument universellement reconnu (la Tour Eiffel), à être comme débordé par une représentation explosive, peu contenue, et au sein de laquelle il se présente comme acteur passif (« ...on lance, ça explose... »). 4. Au plan des contenus, des représentations qui signent une tension au lieu des enjeux de la différenciation, réponses magma, ou réponses qui mettent en jeu la dimension de l’intériorité sur fond d’une dynamique dedans–dehors problématique, dans une tonalité plus ou moins dysphorique. Simon (3 ans et 9 mois), à la planche IX « C’est des grabouillons, on dirait des grabouillons (retourne la planche)... c’est magique, c’est rose maintenant, tu as vu ? » (enquête : « ah oui c’est du caca (D6 + Daxial) les fesses elles sont là (D1) et là c’est l’enfant (D3), non les WC (D1) et là c’est l’enfant (D3) il est un peu cassé l’enfant (fait des bruitages) », réponse Refus (Cn), puis à l’enquête : R. Add. D/G FC H). Le magma de la réponse initiale prend forme, dans l’après-coup du temps de l’enquête. Cet après-coup reprend, dans une thématique anale, la problématique du passage entre dedans et dehors...

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

177

Hamida (4 ans et 1 mois), à la planche IV « Je sais pas (elle prend la planche en mains, pour la première fois depuis le début de l’épreuve)... un loup... il fait pipi... après il s’essuie et après il tire la chasse d’eau » (réponse cotée G kan A). La dimension du contrôle est appelée ici au regard des angoisses anales mobilisées par la planche, la thématique de la représentation proposée porte la trace de ces préoccupations dans le registre de l’analité.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Emergence phallique et revendication narcissique L’organisation phallique de la pulsion repose sur un investissement de l’énergie pulsionnelle au service d’une capacité pour l’enfant à se vivre comme une entité singulière, dégagée des enjeux de dépendance à l’égard de l’environnement. Ce temps de l’organisation pulsionnelle, qui succède au temps de l’analité, peut être décrit comme le temps de l’assomption narcissique, forme de triomphe subjectif sur le fond duquel pourra se construire une identité affirmée. En d’autres termes, ce temps du développement psychique est un temps de confortation de la maîtrise de l’enfant sur son corps et sur le monde, et le théâtre du déploiement des mouvements de toute-puissance narcissique. Le risque principal pour l’enfant, dans cette phase de la vie psychique, peut être décrit autour des atteintes à la toute-puissance infantile et aux enjeux de frustration que celles-ci entraînent. Ainsi, les angoisses sont teintées du risque d’une altération des mouvements grandioses de l’enfant, face à ce qui, dans la réalité de la rencontre de l’environnement, vient limiter le déploiement d’une expansion de son narcissisme. En filigrane, c’est bien la question de l’idéal et de ce qui échappe à un contrôle omnipotent de celui-ci qui se trouve au premier plan : dans ce contexte, se déploient préférentiellement les angoisses de perte d’objet et d’abandon, témoins de la survivance d’une dépendance au regard et à l’attention de l’autre, face au risque que représente la rencontre du conflit. L’expression projective de l’organisation phallique de la pulsion peut être reconnue, d’une part en appui sur un investissement privilégié de la symétrie et, d’autre part, au décours de l’expression de verbalisations sous-tendues par la référence à l’idéal. 1. L’idéalisation versus la disqualification du psychologue ou de l’épreuve, de la relation et/ou des réponses proposées par l’enfant ou l’adolescent,

178

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

représentent les marques les plus tangibles, dans la clinique de la passation, de ce mode d’investissement : Hervé (8 ans et 4 mois), réagit à la présentation des planches : – Planche II : « ! c’est un peu n’importe quoi donc je comprends pas mais... " tu me l’as donné comme ça ou comme ça ?! (...) » ; – Planche III : « tu me montres presque toujours les mêmes (...) » et planche IV : « !" tu le sais c’est quoi ? celle-là c’est n’importe quoi ! (...) ». 2. La disqualification du matériel, doublée d’une mise en cause de la pratique du psychologue et d’une sollicitation en forme de soutien/idéalisation, ouvre la verbalisation, comme pour autoriser l’enfant à investir l’épreuve et à livrer les contenus de son imaginaire (protocole de 22 réponses) : Grégoire (17 ans et 5 mois), à la planche I de l’épreuve : « Humm ! intéressant... la première idée qui m’est venue ç’aurait été deux anges mais avec la couleur ça le fait pas trop... je verrais aussi un papillon là-dedans... deux sorcières aussi je verrais bien, ça irait bien avec les couleurs... ouais c’est tout» (enquête : « les anges, tout le haut là, papillon, le corps et les ailes, et sorcières, pour la couleur déjà, la couleur sombre là, la forme de leur tête et leur grande cape noire... et là les deux manches du balai », réponses cotées D F+ (H), puis G F+ A Ban, puis G FC’ (H) > Clob ?). On peut penser que la réaction affective, intellectualisée, de Grégoire face à la présentation de la planche a pour objectif de conforter le lien avec le psychologue au regard de la part d’étrangeté inquiétante rencontrée dans la passation de l’épreuve... si l’on en croit la teneur des représentations qui émergent face à cette planche (« ange », puis « sorcières ») ; 3. Les modes d’appréhension pourront se trouver directement affectés par l’investissement de la symétrie, dans la mesure d’un choix de découpe qui s’appuie sur le détail axial de la planche, de manière exclusive ou non (réponse limitée au détail axial, D ou Dd), ou réponse construite à partir de celui-ci (D/G ou DD) ; par ailleurs, la perception de détails rares ou de détails qui se présentent comme dressés, peut contribuer à la dynamique phallique-narcissique : Ronald (8 ans et 6 mois), dans une séquence de réponses des planches VI à IX, témoigne d’un investissement privilégié du détail axial pour proposer

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

179

des représentations qui, dans leur caractère érigé, soutiennent une position phallique – narcissique :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– Planche VI : « !" L. 0.20’... un grand bâton au milieu, avec deux grandes ailes, et une moustache comme les chats et un espèce de... » (réponses cotées D F+ Obj, puis D F- Ad, puis Dd F+ Ad) ; – Planche VII : « !" ça on dirait deux amoureux qui sont sur un papillon... mais c’est des chiens avec des grandes oreilles et une petite queue » (enquête : « les amoureux en haut, le papillon, il est énorme, un homme et une femme... mais on dirait deux femmes qui ont l’air de se faire un mimi... elles s’approchent », réponses cotée G F+ Scène, puis D F+ A) ; – Planche VIII : « !" qu’est-ce que ça pourrait être ? un papillon en bas et une bête qui lui a accroché la tête... il y a deux ours sur la main du gros animal qui prend la tête avec ses pieds... les deux ours mettent les pieds sur le papillon » (réponse cotée D/G kan A Ban) ; – Planche IX : « !" c’est presque pareil que l’autre... espèce de bâton (D5) avec deux ailes roses (D6), avec des cheval accrochés au bâton (D3)... deux hommes (D3) en haut se tiennent avec des trucs jaunes » (enquête : « des trucs en fer... des hommes, non des loups avec des grandes griffes et une gueule et deux petits yeux blancs », réponses cotées G F- A, puis D F+ H, avec une réponse additionnelle, R. Add. : D/Ddbl F- A). Manifestement, l’investissement de l’axe de symétrie, et l’affectation de représentations dominées par des marques de revendication narcissique, sont ici au service d’une lutte contre le risque de perte ; il est d’ailleurs significatif que les figurations humaines, hétérosexuelles dans un premier temps, se rabattent sur une relation en miroir homosexuel. 4. Les déterminants peuvent porter la marque de cette dynamique d’une part au travers de l’investissement de la couleur comme support à des représentations idéalisées (réponses CF en particulier), et d’autre part au travers de réponses de kinesthésies mineures, portant sur des contenus animaux et/ou d’objet (kan ou kob) : Clara (9 ans et 6 mois), à la planche VIII « Ah ! c’est plus coloré ! là on dirait des... des ... des panthères sur les côtés... et puis là on dirait une fusée et là c’est le feu » (enquête : « la forme, les quatre pattes quand tu mets comme ça # on voit les yeux et les oreilles, le rose, c’est le feu », réponses cotées D F+ A Ban, puis DD CF Obj/Elem > kex ?)

180

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Après une première remarque positive sur l’apparition de la couleur à la planche VIII, puis la proposition de la réponse banale à cette planche, Clara va prendre appui sur la couleur de la planche pour déployer une représentation porteuse d’une charge d’idéalisation manifeste. 5. Enfin, les contenus portent la trace de ces mouvements narcissiques, avec la présence de réponses renvoyant à des représentations « nanties », soit dans des termes quasi-explicitement liés à la présence d’attributs sexuels (sexe masculin et poitrine féminine en particulier), soit dans des termes davantage symboliques, avec la mention de représentations qui évoquent ce nantissement (parures, attributs phalliques...) ; en contrepoint, l’échec de l’investissement de la position phallique-narcissique se traduit par des représentations fortement disqualifiées. Myrtille (9 ans et 2 mois), aux planches IV à VI – Planche IV : « L. 0.10’... un ogre... un ogre sans yeux et il a une queue par derrière, il a des gros pieds... il a des gros pieds, c’est tout » (enquête : « parce qu’il était grand, il était pas beau... parce que ses oreilles pendaient, c’est pas beau... il avait une queue... en fait c’était un ogre-chat... il a la tête d’un chat », réponse cotée G F+ (H)/A – Contamination) – Planche V : « L. 0.10’... c’est un papillon (trace le mouvement des ailes avec ses mains)... il a deux petites pattes, il a deux antennes (montre sur elle-même), c’est tout » (réponse cotée G F+ A Ban) – Planche VI : « on en est à la combien ? !" (rit) L. 0.30’... je sais pas à quoi ça ressemble... à une étoile et à un chat qui décolle » (réponse cotée D/G kan A/Elem – Contamination ?) Cette séquence met en évidence une construction problématique du registre phallique-narcissique de la pulsion, dans laquelle alternent idéalisation et dés-idéalisation, vécus de toute-puissance et de toute-impuissance. Juliette (16 ans et 9 mois), à la planche X « On dirait un feu d’artifice... on dirait un chevalier, un samouraï, ça fait un casque avec un truc en haut (rit) ... oui, ou bien Moyen-Âge, je sais pas si vous voyez ce que je veux dire, un gros casque en fer » (« feu d’artifice, comme si ça explosait partout, ils en ont envoyé dans tous les sens », réponses cotées G kex Frag, puis Gbl F+ H). Après une première réponse qui témoigne d’une forme de difficulté à contenir les mobilisations pulsionnelles liées au double impact de la couleur

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

181

et de la diffraction du stimulus (réponse « feu d’artifice »), la représentation nantie du chevalier (ou d’une figure équivalente) permet à Juliette de se soutenir dans une organisation narcissique et de se dégager du risque de la désintégration. Dans une moins bonne qualité d’élaboration, Ahmed (17 ans et 6 mois), propose, à la planche IX « L.0.25’... On dirait que c’est le dos, le dos derrière comme ça fait... la colonne vertébrale » (enquête : « encore une fois ça y ressemble très beaucoup au truc précédent », réponse cotée D F+ Anat), alors qu’il s’était trouvé a minima en difficulté face à la planche VIII « un foie ou je sais pas... on dirait un groupe sanguin ou... on dirait deux animals là, un mouton ou un chien » (enquête : « tout ce qui est dans le ventre... un peu la forme du cou, là la colonne », réponses cotées D FC Anat, puis D CF Sang, et enfin, D F+ A Ban).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Génitalité et différence des sexes Ce dernier temps organisateur de la vie psychique de l’enfant, temps intégrateur des différents registres pulsionnels sous le primat d’une référence à la différence des sexes et des générations, engage un régime de relations diversifiées et/ou conflictualisées avec l’environnement. L’accès à la génitalité ouvre sur un déploiement abouti des fondements de la subjectivité, qui s’enrichit d’une possibilité de jeu complexifié avec la dimension de la différence, jeu traversé par des mouvements d’ambivalence. La liaison entre mouvements agressifs et libidinaux se trouve potentiellement mobilisable, et prend forme dans l’engagement au sein des relations d’objet. En contrepoint, ce temps de la vie psychique place l’enfant en risque d’un débordement pulsionnel, au lieu de la génitalité : hyper-sexualisation des représentations et des relations, confusions, mise à mal des opérateurs de la différenciation... constituent les principales formes que peuvent prendre ces mouvements. Au plan de l’expression projective, l’accès à la génitalité va prendre forme au travers d’un certain nombre d’indicateurs qui, d’une manière explicite ou symbolisée, témoigneront de la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à jouer avec la conflictualité.

182

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

1. Au plan des engagements transférentiels, la passation de l’épreuve projective se trouve soutenue par une circulation libidinale et/ou agressive qui témoigne de l’expression d’une conflictualité/intériorité au sein de laquelle chacun peut prendre place dans une histoire de lien organisée en appui sur la différence des sexes et des générations. Les modalités d’interpellation du psychologue par l’enfant ou l’adolescent contribuent à colorer le registre dans lequel se déroule la passation et peuvent venir expliciter la circulation libidinale et/ou agressive : Brice (6 ans et 4 mois), dès le début de l’épreuve, à la présentation de la planche I « Une abeille... je voulais dire un papillon mais je me suis trompé » (enquête : « je croyais que c’était pas une abeille... avec pas des trucs blancs... moi je sais pas comment ça s’appelle ». Au travers de la mobilisation d’une position réflexive, dans le regard du psychologue, on peut considérer que Brice est en mesure de se représenter dans le lien transférentiel. Nathalie (15 ans) s’engage dans une certaine souplesse dans la relation avec le psychologue dès le début de l’épreuve. À la planche I, elle interroge : « Je dois dire à quoi ça me fait penser ? » puis, lors de la verbalisation à la planche VI, elle interpelle le psychologue, à partir d’un dialogue que l’on peut qualifier de dialogue intérieur, sur le fond d’une préoccupation dépressive : « je sais pas... ah si ! ça me fait penser à... je sais plus comment elle s’appelle dans les 101 Dalmatiens la dame qui prend la peau des chiens pour se faire des manteaux (le psychologue : « Cruella ? ») ... Ah oui, Cruella ! (enquête : « on dirait comme ses cheveux, elle avait tout le temps les cheveux en l’air... là comme ses longs manteaux qu’elle avait », réponse cotée G F- H > FE ?). 2. Au plan de la production des réponses et des modes d’appréhension sur lesquels cette production s’appuie, la dynamique de la génitalité s’exprime par un jeu possible avec différents registres de découpe du stimulus : emboîtements et articulation des différentes parties du stimulus dans le projet de construction de réponses de type globale élaborée (Gz), investissement d’une démarche d’analyse du stimulus, de la synthèse au détaillage (suffisamment détachée du risque de perte liée à un tel processus).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

183

Bruno (14 ans et 9 mois), à la planche I (seconde réponse) : «(...) y a une tête, deux mains, deux ailes... l’arrière d’un ange, les ailes déployées, c’est le premier truc qui m’est venu » (enquête : « les deux ailes déployées... deux mains, là ça fait deux têtes mais j’ai dit une seule », réponse cotée Gz F- (H)). Sephora (14 ans et 3 mois), à la planche III « On dirait deux femmes qui font du tam-tam... on dirait qu’elle évoque la musique cette planche, on dirait deux notes de musique là et deux femmes qui jouent du tam-tam » (réponse cotée Gz K H Ban) – Au plan du déterminant, on s’attachera à la capacité de faire jouer et d’associer, dans une articulation suffisamment souple, les déterminants kinesthésiques et sensoriels (couleur) qui se rencontrent dans la formule d’un T.R.I exprimant une tension entre ces deux polarités ; en arrière-plan, la présence de réponses de kinesthésies humaines (ou, pour les plus jeunes, de kinesthésies animales de substitution portant sur des animaux anthropomorphes) atteste d’une possible conflictualisation des investissements pulsionnels. Christophe (7 ans), à la planche II « Des... éléphants qui... qui font des... de la, un peu de bataille avec leur trompe et tout (...) » (enquête : « les oreilles, les trompes, les pattes et ça, je crois qu’ils saignent, ils se font mal, c’est des bébés qui sont pas du même groupe », réponse cotée D kanC A). © Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Meriem (10 ans et 4 mois), à la planche III « Des africaines en train de laver leur linge » (enquête : « parce que j’ai déjà vu des dessins... les africains et les africaines sont à peu près comme ça », réponse cotée G KC’ H Ban). Cyrille (14 ans et 11 mois), à la planche III également : « (prend la planche)... Alors là je vois... ça a un rapport avec mon métier... je vois deux serveurs, avec un nœud-papillon rouge, et là c’est une chaîne hi-fi, voilà » (enquête : « deux serveurs qui tiennent une chaîne hi-fi, deux serveuses j’ai dit, non ? avec les seins ici, les jambes... », réponse cotée G KC H Ban). Dans des niveaux d’élaboration différents, à considérer également au regard de l’âge de l’enfant ou de l’adolescent, on peut ici mesurer la capacité

184

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

de chacun à jouer avec les différentes qualités du stimulus, au travers de mises en scène pulsionnellement investies. 4. Enfin, au plan des contenus, la présence de réponses humaines suffisamment identifiées, voire clairement porteuses d’une identification sexuée (on sera bien sûr toujours attentif à la place que peuvent occuper les réponses animales de substitution pour les plus jeunes enfants), ou encore des réponses symboliques contenant une forme de jeu entre masculin et féminin, activité et passivité, contenant et pénétration... constitue la meilleure marque de l’investissement de la génitalité. Diane (5 ans et 2 mois), à la planche III « La maman et le papa là ! (rend la planche)... t’as marqué tout ça ? C’est où que tu dors, c’est où ton lit ? » (localisation en D1, réponse cotée D F+ H Ban). La réponse de cette jeune enfant que l’on peut référer, au regard de son âge, à la période œdipienne, condense d’une certaine manière le marquage du registre génital de l’organisation pulsionnelle : reconnaissance (ambiguë ?) de la différence des sexes, avec une solution de compromis qui passe par la coexistence de personnages du genre féminin et masculin dans la réponse, identification des personnages comme référant à des figures parentales (tentative de dégagement à l’égard de la confrontation à la bisexualité ?) et, enfin, appel transférentiel à l’endroit du psychologue interrogé sur l’emplacement de son lit ( !), dans une forme de transparence du message œdipien... Yvan (6 ans et 4 mois), à la planche III « Deux dames, ils sont amoureux... parce qu’ils s’aiment bien » (enquête : « parce qu’on dirait des cœurs – D3 – et on dirait aussi des petits singes – D2 – et tellement il y a des singes ils sont amoureux », réponse cotée : G F+ H Ban). Le lien amoureux est clairement énoncé, sur fond de non-différenciation des appartenances sexuées... et d’une banalisation de ce lien (« parce qu’ils s’aiment bien »). Aurélie (13 ans et 10 mois), à la planche VII « Alors là on dirait deux jeunes filles qui sont en train de danser... qui sont en train de danser... qui se regardent en dansant, je vois la joie sur leur visage » (enquête : « elles se regardent, avec comme une sorte de plume... dans un spectacle », réponse cotée G K H).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

185

L’engagement libidinal est bien présent dans cette réponse, non exempt d’une dimension narcissique qui soutient cet engagement.

Le travail des défenses

La place des mécanismes de défenses est largement décrite dans la littérature consacrée au développement psychoaffectif de l’enfant (Lebovici & Soulé, 1970) et il n’est sans doute pas nécessaire d’insister une fois encore d’une part au plan fonctionnel sur le caractère maturatif de celles-ci et d’autre part sur le plan expressif sur la dimension éminemment labile de leurs manifestations.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Le repérage des stratégies défensives La question du repérage des stratégies défensives ouvre nécessairement sur celle de la participation psychopathologique des mouvements psychiques de l’enfant ou de l’adolescent. Dans le modèle proposé par M. Boekholt (1993) dans la perspective des épreuves projectives thématiques en clinique de l’enfant, la classification des expressions défensives, portées par le discours, en différents groupes1 permet de situer la prévalence du recours aux mécanismes de défense en fonction du registre dans lequel ils se développent et dans lesquels ils prennent corps dans l’expression discursive, sans a priori psychopathologique. Cette position est en cela fidèle à une conception de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent qui, on l’a vu, se refuse à enfermer celui-ci dans une logique de structure, privilégiant alors la dynamique des processus. Cette proposition permet par ailleurs de s’appuyer sur une cotation des procédés d’élaboration des récits, cotation que l’on peut entendre, au même titre que la cotation d’un protocole de Rorschach, comme une modalité d’objectivation des processus en jeu dans la production du récit, et comme soutien au travail d’évaluation clinique du fonctionnement psychique de l’enfant. N. Rausch de Traubenberg, s’inscrivant en cela dans la lignée des travaux des psychanalystes de l’enfant, propose de décrire et de repérer au travers

1. Les grilles proposées par M. Boekholt retiennent différents registres de l’expression défensive : recours à la motricité, à la relation avec le clinicien, à la réalité externe, à l’évitement, à l’affect, à l’imaginaire et au fantasme, à l’objectivité et au contrôle... À la différence des grilles à destination des adultes (Brelet & Chabert, 2004), celles-ci ne sont pas construites sur le fond d’un repérage nosographique a priori.

186

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

des expressions projectives quatre modalités principales de mécanismes de défense : – – – –

par le contrôle de la réalité, par le recours à l’imaginaire, par la mobilisation de l’affect, par l’investissement de la motricité.

Cette conception de la mobilisation défensive chez l’enfant s’appuie sur une théorie de la vie psychique qui privilégie la mise en évidence des procédures d’adaptation du Moi face à une situation inconnue, étrangère et étrange, à laquelle se trouve confronté l’enfant. Cette conception nous conduit à ré-interroger la définition même de mécanisme de défense, centrale dans la pratique des épreuves projectives en général et en clinique de l’enfant et de l’adolescent en particulier : défense du Moi ou défense au Moi pouvons-nous interroger, dans une forme de paraphrase de la proposition de R. Roussillon (1999) de différencier clivage du Moi et clivage au Moi... Si l’on reprend la discussion ouverte autour de la notion de mécanismes de défense par J. Laplanche et J.B. Pontalis (1967), on peut en retenir deux propositions : • d’une part les mécanismes de défense représentent des opérations visant

à protéger le Moi, défenses utilisées par le Moi ; • d’autre part, ces opérations fonctionnent à différents niveaux de la vie psychique et auraient à se trouver spécifiées en tant que telles (l’introjection par exemple, et son prototype corporel dans l’incorporation, processus qui peut-être utilisé secondairement comme défense, le même fonctionnement peut être envisagé pour la projection...). On comprend que la conception traditionnelle mettant l’accent sur la dimension adaptative du Moi, au regard du risque provoqué par l’afflux d’angoisses, et sur les torsions éventuelles opérées par les stratégies défensives, gagne à être complétée par une approche du registre dans lequel ils fonctionnent, à partir des registres de symbolisation qui fondent la vie psychique de l’enfant et dans lesquels se déploie celle de l’adolescent. On pourrait alors penser les mécanismes de défense comme une modalité d’affectation de la vie psychique, au sens d’une affectation de l’activité de symbolisation, qui emprunte à différents registres expressifs (affect, imaginaire, agir, contrôle), et qui témoigne de l’engagement de l’enfant ou de l’adolescent dans le travail de symbolisation, et des avatars de cet engagement.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

187

De fait, l’enfant ou l’adolescent, face à l’épreuve projective, va se trouver engagé sur les différentes voies de l’appui sur la réalité externe, de la mobilisation affective, du travail de l’imaginaire (c’est bien sur cette voie spécifique qu’il se trouve d’ailleurs explicitement invité) voire de l’investissement moteur (le maniement des planches, selon les épreuves, n’appelle-t-il pas la motricité ?). L’enjeu consiste alors à mesurer la limite d’une description des stratégies défensives qui s’attacherait uniquement aux modalités expressives de l’enfant ou de l’adolescent face à l’épreuve projective et à considérer la nécessité d’une mise en perspective avec l’engagement dans le travail de symbolisation. Si l’épreuve projective peut être considérée comme un dispositif à symboliser, il convient de rappeler les enjeux d’une telle proposition : • Il s’agit d’un dispositif qui demande à être symbolisé par l’enfant (il

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

convient que l’enfant ou l’adolescent puisse appréhender ce dispositif dans un mouvement d’appropriation subjective – capacité d’entrer dans le jeu du comme si...) ; • Il s’agit d’un dispositif qui demande à l’enfant ou à l’adolescent de s’engager dans un travail de symbolisation spécifique, au regard du stimulus qui lui est proposé. On l’a vu, la proposition de l’épreuve projective consiste à inviter l’enfant ou l’adolescent à traiter, par le travail de la symbolisation, l’expérience de l’absence dont témoigne l’épreuve de Rorschach, dans la mesure de l’ambiguïté de la sollicitation portée par le matériel projectif. Ainsi, dans le cadre des épreuves projectives, on peut considérer que l’enfant ou l’adolescent sera conduit à un double travail de symbolisation : symbolisation de la symbolisation d’une part, symbolisation des liens d’autre part. Ce double travail de symbolisation aura à se déployer dans différents registres : • au regard de l’appréhension de la planche par l’enfant, c’est-à-dire du

mode de construction de la représentation, sous-tendant une possible appropriation subjective du matériel (première représentation ou préreprésentation) ; • au regard du lien que l’enfant entretient avec la représentation figurée/projetée sur la planche en fonction de l’appréhension qu’il aura de celle-ci (engagement d’un mouvement d’auto-représentation) ; • au regard du lien imaginé entre les personnages figurés/projetés sur la planche, et de la capacité de l’enfant à se dégager de la scène de l’épreuve (représentation secondaire, prenant appui sur la représentation

188

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

de l’absence de représentation, fond sur lequel peuvent se déployer des figurations diversifiées et différenciées, animées et interactives). Ainsi, l’épreuve de Rorschach va-t-elle se présenter en butée du travail de symbolisation de l’enfant ou de l’adolescent (dispositif à symboliser) sur ces trois registres, ouvrant, pour le clinicien, sur une reconnaissance tout à la fois des potentiels de symbolisation de l’enfant et de ses « empêchements à symboliser ». On obtient alors une autre lecture des stratégies défensives de l’enfant ou de l’adolescent, non plus exclusivement centrée sur les mécanismes d’adaptation du Moi mais ouvert sur l’analyse dynamique des processus mobilisés dans le cours du travail de symbolisation, défense au Moi de l’enfant. À partir de là, la modélisation d’une approche des « empêchements à symboliser » comme paradigme de l’approche et de l’analyse des défenses au Moi dans le cadre des épreuves projectives, et de l’épreuve de Rorschach en particulier, peut s’établir en appui sur le repérage de trois niveaux du travail de la symbolisation. Ces trois niveaux, qui renvoient à trois moments du déploiement du travail de symbolisation de l’enfant, qualifient le mode de construction subjective de l’enfant ou de l’adolescent, et les potentiels de jeu qui s’y déploient, et constituent des repères et/ou des indicateurs dans le travail psychique soutenu par les épreuves projectives : • Premier niveau : celui de l’identification par l’enfant ou l’adolescent du

stimulus, et de la qualité de celui-ci, sous-tendu par les enjeux d’intégrité et de permanence de l’objet (c’est le niveau de l’expression des défenses dites primaires, déni et clivage en particulier...) ; • Second niveau : celui de l’inscription de la représentation dans un lien à l’enfant qui engage une capacité d’auto-représentation, sous-tendu par la question du jeu présence-absence (on peut penser ici aux défenses paradoxales ou narcissiques, selon la dénomination que l’on en propose, à la projection et ses variantes, à l’idéalisation...) ; • Troisième niveau : celui de la mise en perspective des représentations, sous la forme d’un scénario à même de figurer la complexité des liens en appui sur les différents ordres de représentation, sous-tendu par la question de la production d’une mise en scène conflictualisée (défenses secondaires ou névrotiques, sur le versant des mouvements phobiques, obsessionnels ou du refoulement...). C’est donc sur le fonds d’investissement du niveau singulier de symbolisation par l’enfant ou l’adolescent que se dessinera l’émergence des stratégies défensives, selon qu’elle emprunte l’une ou l’autre des quatre voies

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

189

à partir desquelles sont classiquement identifiés les mécanismes de défense de l’enfant (et par extension, de l’adolescent) : la motricité, l’imaginaire, l’affect et le contrôle1 . Cette perspective ouvre sur deux conditions principales, tout particulièrement dans l’approche de la clinique de l’enfant et de l’adolescent : • d’une part l’inscription du repérage des stratégies défensives dans un

contexte transnosographique, impliquant que l’on ne peut faire correspondre une forme de stratégie défensive à une entité psychopathologique donnée2 ; • d’autre part l’appui sur une théorie du fonctionnement psychique qui ne limite pas l’approche des mécanismes de défense à sa dimension psychopathologique, mais qui en reconnaît la place fondatrice dans le développement psycho-affectif puis dans les aménagements psychiques qui caractérisent la normalité. En d’autres termes, la prise en compte de ces quatre registres défensifs invite à une appréhension transversale de ce qui se présente, dans la clinique de l’adulte, autour des trois principales formes de mécanismes de défense : clivage, idéalisation et refoulement, en tant que ces mécanismes de défense constituent les formes matricielles et paradigmatiques des trois grandes entités psychopathologiques en clinique de l’adulte (psychose, pathologieslimites et névrose).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



La motricité, agir pour (ne pas) penser ? La place de la motricité dans le processus de représentation est suffisamment complexe pour que l’on ne limite pas son expression au décours de la production projective à sa dimension d’empêchement et/ou de rupture de l’activité représentative. On l’a dit, avec D.W. Winnicott (1957) en particulier, l’agir contribue au processus de mise en représentation engagé dans le trouvé-créé : « agir c’est faire » nous rappelle D.W. Winnicott. Ainsi, il conviendra de porter son attention à ce qui témoigne, dans l’expression projective de l’enfant ou de l’adolescent, d’une forme d’empêchement du

1. On pourra utilement se référer à la grille des procédés d’élaboration des récits établie par M. Boekholt pour la pratique des épreuves thématiques afin d’enrichir la prise en compte de l’expression des mécanismes de défense au Rorschach au regard des déploiements présentées par l’auteure. 2. Cette conception rejoint les positions que l’on retrouve actuellement en clinique adulte, en particulier avec la nouvelle grille de procédés de récits au TAT qui met l’accent sur la dimension transnosographique des défenses (F. Brelet-Foulard & C. Chabert, 2003)

190

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

travail de représentation, quel que soit le niveau auquel se donne à voir cet empêchement. Les expressions de la motricité, dans leur logique défensive, peuvent prendre différentes formes ; elles traduisent toutes, d’une manière ou d’une autre, un échec (ou une quête ?) au regard de l’intégration pulsionnelle, et d’une possible traduction au travers d’une réponse kinesthésique (mineure ou humaine) de ce qui agite l’enfant. Ces manifestations, qui ne sont pas sans rappeler les procédés de jeu identifiés par M. Boekholt (1993) dans les épreuves de jeu (et l’épreuve du Scéno-test en particulier) autour des procédés « hors-jeu » (HJ) peuvent prendre différentes formes expressives : – Mise en cause de l’investissement de l’épreuve par une mobilisation motrice qui conduit l’enfant ou l’adolescent à ne pas être en mesure de s’inscrire dans une suffisante suspension de la motricité requise par la passation (instabilité, motricité hors du dispositif de la passation voire hors de la pièce où elle se déroule, rupture brutale de la passation par le fait d’une action motrice, sollicitation de l’enfant ou de l’adolescent à quitter l’espace de la passation pour se rendre aux toilettes par exemple...) : Allan (5 ans et 4 mois), à la planche III « Des gens... avec le truc au milieu qui tombe, comme ça (mime une position d’instabilité, puis sort de la situation projective pour explorer le bureau du psychologue pendant quelques minutes) » (réponse cotée D F+ H Ban, puis D F± Obj > kob). Tout se passe comme si Allan se trouvait, dans la réalité, happé par l’instabilité évoquée de l’objet sur la planche ; l’impossibilité pour lui de construire un fond/support de sécurité pour que la représentation puisse advenir témoigne de la précarité de la construction de ses assises narcissiques ; – Mobilisation motrice de l’enfant ou de l’adolescent à l’égard du matériel des planches de l’épreuve de Rorschach : manipulation des planches pendant la mise à disposition par le psychologue ou à l’issue de la passation, rangement des planches, tentative de reprendre des planches déjà présentées et rangées parmi le matériel utilisé... Louri (6 ans et 11 mois), à la planche VII « Hein (il se cache derrière la planche)... C’est rond ça... non c’est pas un rond (indique le contour de la tache) » (enquête : « c’était rien du tout, c’est quoi ? non ! ah non ! »

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

191

puis à la planche VIII il tient la planche à distance et dit « je sais pas ». Dans cet exemple, on peut repérer la double place occupée par le recours à la motricité d’une part (se cache derrière la planche, se met à distance) et par l’inhibition ; il est intéressant de s’interroger sur la qualité du jeu instauré par l’enfant, jeu de coucou-caché avec les planches, ici utilisées dans un processus d’appropriation pré-transitionnel ? – Accompagnement de la réponse par un mouvement mimant la réponse proposée, dans le meilleur des cas en lien avec une kinesthésie exprimée dans la verbalisation, ou comme alternative à celle-ci. Jonas (9 ans), à la planche II « !▹" (retourne la planche)!" L.0.25’... Deux hommes qui se tapent la main comme ça, toc ! (mime le geste) »

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Cette réponse, met en évidence de quelle manière la motricité est mobilisée, dans un premier temps comme pré-condition du déploiement du processus de symbolisation (renversements de planches), puis, dans un second temps comme soutien à l’activité de symbolisation (mime de l’action représentée et nommée au décours de la réponse). Comme témoins de la mise en jeu de l’intégrité, il convient de situer les expressions motrices qui, de manière radicale, mettent en question la continuité même de la proposition de l’épreuve projective : motricité qui traduit l’impossibilité pour l’enfant d’investir l’épreuve dans le continuum de son déroulement et de l’histoire à laquelle elle invite, motricité signant une rupture radicale se produisant en tout début de la passation ou au décours de celle-ci (refus d’emblée de l’épreuve et/ou refus massif de planches). Dans ce contexte, se trouve manifestée une forme de fracture irrémédiable entre monde interne et réalité externe, qui apparaissent alors se présenter pour l’enfant dans une forme de hiatus insurmontable (la motricité serait alors ici véritablement utilisée comme alternative à la mobilisation d’un processus de pensée). La mise en cause de la permanence de l’investissement se trouve davantage manifestée par des ruptures ponctuelles occasionnées par l’irruption d’une scène motrice au décours de la passation : pour exemple, on peut citer les situations dans lesquelles l’enfant ou l’adolescent ponctue sa production verbale, à chacune des planches ou de manière itérative, d’un mouvement qui le distrait plus ou moins de la continuité de la passation. Dans d’autres

192

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

situations, la motricité affectée à la planche procède d’un véritable jeu de coucou-caché, parfois davantage tourné sur le versant du caché (l’objet est perdu) que du coucou (l’objet ne peut être retrouvé)... La motricité doit-elle être considérée ici du point de vue d’une situation de rupture du fil de la passation ou du point de vue d’une manifestation motrice à même de soutenir, par le détour moteur, la continuité de l’investissement ? Enfin, on peut interroger la participation de la motricité en ce qu’elle contribue à faire échec (total ? partiel ?) au processus de mise en représentation sur le fond d’une conflictualisation des représentations. Sans doute l’accompagnement mimé du mouvement affecté par l’enfant ou l’adolescent à la planche ouvre-t-il cette dimension, au travers d’un mouvement qui s’inscrit dans une trame de sens indéniable. Il est à ce titre particulièrement important d’être attentif aux effets d’écart entre le temps de la passation et le temps de l’enquête, afin de pouvoir identifier dans quelle épaisseur de la vie psychique s’inscrit cette tentative de figuration. ➤

L’imaginaire Le statut de l’imaginaire comme participant des stratégies défensives de l’enfant ou de l’adolescent face à l’épreuve de Rorschach ne va pas de soi, et il peut même apparaître comme paradoxal de convoquer ici l’imaginaire au titre des stratégies défensives de l’enfant ou de l’adolescent. En effet, l’imaginaire, qui se trouve requis par la consigne même de l’épreuve (cf. supra, la discussion autour des conditions de passation de l’épreuve) serait ici abordé dans une dimension quasi-péjorative, en tant que sa mobilisation se trouverait au service de l’établissement d’un compromis dans la rencontre du sujet avec la planche. Il convient de se rappeler que le statut de l’imaginaire évolue avec le développement psychoaffectif de l’enfant, et que le rapport à l’imaginaire construit, au fil de la vie psychique du sujet, une délimitation entre le monde interne et la réalité externe. On connaît par ailleurs la fonction des productions imaginaires, qu’elles soient inscrites dans l’environnement culturel de l’enfant (contes, légendes...) ou qu’elles soient élaborées par lui (scénarios de jeu, rêveries diurnes) dans le traitement d’angoisses souvent peu identifiables et qui croisent la problématique des fantasmes originaires et des théories sexuelles infantiles. Dans ce contexte, il convient de préciser les différentes formes selon lesquelles les productions de l’imaginaire peuvent être identifiées comme participant des stratégies défensives de l’enfant ou de l’adolescent face à la planche de l’épreuve de Rorschach. La définition de ces différentes formes

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

193

contribue à spécifier, de fait, le registre dans lequel les mécanismes de défense seront pensés au regard du fonctionnement psychique du sujet : – L’imaginaire envahit la production verbale de l’enfant ou de l’adolescent, au sens où celle-ci peut apparaître comme dépourvue de points d’ancrage dans le stimulus que représente la planche de Rorschach ; Alexandre (4 ans 11 mois), à la planche II (7e et dernière réponse de la planche)

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Un monsieur qui s’est mis de grandes ailes comme un dragon... avec le monsieur qui a les grandes ailes transformées en feu qui le brûle, ça le brûle... de la magie, il va transformer une lampe, une maison, le soleil, les étoiles... toute la terre » (réponse cotée Gbl FC H > K ?). Cette réponse témoigne d’un dégagement progressif de l’enfant à l’égard de la planche, dont le substrat tend à se dissoudre au fil de la réponse ; ici le recours à l’imaginaire permet à Alexandre de se dégager des angoisses persécutrices mobilisées par la planche (réponses 3 et 4 de la planche : « une toile d’araignée, cachée dedans », puis « un oiseau, un méchant oiseau ici... et son méchant oiseau qui l’attend »). – Des éléments extérieurs à l’épreuve (jouet, peluche, cartes de l’enfant, livre...) sont mis en avant comme des contributeurs indispensables à la passation de l’épreuve ; Oriane (6 ans et 3 mois), ne peut pas se séparer d’un hippopotame en bois et d’un chien en peluche, à disposition des enfants dans le bureau du psychologue. Elle les prend à côté d’elle pendant le temps de la passation, et ces animaux seront présents également dans la verbalisation de Oriane face à la planche, d’une part au travers d’une réponse « hippopotame » proposée à la planche III, de manière tout à fait inadéquate et non justifiée par l’enfant et, d’autre part, au travers de réponses « éléphant » qui semble, par un effet de proximité et de glissement (la taille, la couleur, l’origine africaine...) venir prendre la place de cet objet dont Oriane ne peut s’absenter ; à la planche I : « éléphant ? (elle accroche la ficelle de l’hippopotame à la queue du chien en peluche et demande de l’aide au psychologue)... un éléphant ? non y a la trompe... les éléphants ont bien des trompes » (réponse cotée G F- A), puis à la planche VII : « # trompes, des petits éléphants... normal y a sa trompe ici » (réponse cotée G F- A – Confabulation). – La référence à un imaginaire des contes pour les plus jeunes enfants, lié à des productions culturelles plus actuelles pour les enfants plus grands et les adolescents (jeux-vidéo, films, bande-dessinée et/ou mangas...) est proposée

194

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

dans une articulation avec le stimulus de la planche de Rorschach, considéré dans une suffisante singularité ; Germain (16 ans), à la planche I « Je sais pas... on dirait un peu un coyote... sauf qu’il a quatre yeux (Ddbl)... ça me fait penser à un coyote dans Bip-Bip et Coyote... une tête de loup un peu... elles sont symétriques en plus les deux... elles sont symétriques, sinon c’est tout » (enquête : « les oreilles toutes cassées, toutes mordues, y a des yeux... y en a deux autres en trop... coyote c’est un loup un peu », réponse cotée G F+ A). Il est intéressant d’aborder ici la fonction du recours à l’imaginaire en appui sur le patrimoine culturel de l’adolescent : cette référence culturelle lui permet en effet de contenir, dans une forme socialement partagée, les angoisses qui émergent en filigrane, dans le double registre de la perte d’intégrité (cf. la qualité des « oreilles » du coyote) et du risque persécutoire (place des yeux dans la représentation proposée par Germain). – Chez les adolescents particulièrement, c’est l’imaginaire ouvert par la situation projective elle-même qui se trouve placé sur le devant de la scène ; la référence à la situation professionnelle prototypique du psychologue, représenté dans les productions cinématographiques ou télévisuelles dans cette figure du testeur en appui sur des taches d’encre, ou la référence aux conditions dans lesquelles a lieu la consultation, mobilise un imaginaire dont il n’est pas rare qu’il contribue à la production du sujet : Richard (14 ans et 8 mois), rencontré dans le cadre d’une expertise judiciaire pour des faits d’agression sexuelle, interroge après un temps de latence suite à la présentation de la planche I : « C’est pas obligé que ce soit sur la sexualité ? ». Cette remarque, qui, de manière paradoxale, tout à la fois ouvre et contraint l’imaginaire de l’adolescent, témoigne de sa difficulté à s’engager dans un processus à l’égard duquel on peut penser qu’il craint d’être débordé ; la suite du protocole sera marquée par une inhibition massive ; – La création et/ou la mise en scène de bestiaires extraordinaires ou de personnages extraordinaires, issus de mythologies plus ou moins inspirées et/ou référées à des formes inscrites culturellement peuvent, selon la place qu’elles occupent dans la production projective, contribuer à la définition des défenses par l’imaginaire ; Rodolphe (13 ans et 6 mois), à la planche IV

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

195

« Un géant vu de dos, ou un nain avec une grande barbe et une cape... oui, un nain vu d’en-dessous avec une cape et puis la barbe (montre l’estompage dans la partie supérieure de la planche) » (enquête : « un nain à cause de la barbe », réponses cotées G F+ (H), puis G FE (H)) ; et à la planche VII

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« la silhouette d’un sanguinaire, c’est encore une autre forme de démon... un masque de sanguinaire qui est tombé dans le sang » (enquête : « démon du dieu du sang, avec les cornes... du sang du sanguinaire ou de ses victimes », réponse cotée G FC (H)/Sang1 ). L’émergence de ces scénarii plus ou moins morbides met en évidence le registre des fantasmes qui organisent la vie psychique de l’adolescent... tout comme elle en signifie une tentative de se protéger de leurs effets les plus destructeurs. La mise en jeu de l’intégrité se trouve bien sûr particulièrement manifestée dans les situations où la vie interne de l’enfant ou de l’adolescent s’exprime, d’une certaine manière sans aucune censure, dans le projet de rendre compte de la planche projective. Dans cette configuration, l’imaginaire (le créé au-dedans) efface toute référence à un support reconnu comme participant de la réalité externe (le trouvé au-dehors) et la production imaginaire se démarque d’une inscription signifiante. Cette situation n’est pas sans rappeler les processus de clivage, parfois clairement identifiable comme marque de rupture d’avec la réalité (clivage du Moi ou au Moi), parfois s’inscrivant davantage dans une logique de clivage de l’objet sur le fond d’un clivage bon/mauvais2. Il est à noter que le temps de l’adolescence, comme temps de vacillement identitaire, confronte particulièrement à la question de l’établissement (ou du rétablissement de la confortation ?) des limites entre réel et imaginaire. Cette dimension peut prendre une place centrale au regard de l’enjeu que représente l’identification des points d’arrimage de l’adolescent en mesure de lui permettre de dépasser cette période de bouleversements.

1. On notera ici la particularité, rare, d’une réponse déterminée par la couleur dans une planche achromatique : ces réponses témoignent, selon certains auteurs (Lefebvre A ; et Dusaucy D., 2005), d’une problématique liée à la perversion... 2. On peut à ce propos, et plus particulièrement au regard de la question du clivage à l’adolescence, on peut se référer à un texte consacré à cette question : Roman P. (2000), « Clinique des clivages à l’adolescence », Psychologie Clinique et Projective (6), ou à celui consacré aux expressions psychosomatiques de l’enfant et au repérage des différentes formes d’empêchements à symboliser : Roman P. (1997), « Troubles somatiques et catastrophes de symbolisation », Psychologie Clinique et Projective (3).

196

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

La mise en cause de la construction de la permanence de l’objet se trouve particulièrement appelée dans l’imaginaire. L’imaginaire, comme modalité singulière d’expression de la vie psychique, semble investi dans un processus qui serait de l’ordre de l’écran (représentation-écran) : plutôt proposer une représentation connue et partageable, dont l’enfant ou l’adolescent peut identifier un lien avec le stimulus, que prendre le risque d’une représentation personnelle, qui engage sa propre subjectivité dans le regard de l’autre. En quelque sorte, ce type de mobilisation de l’imaginaire se présente sur le versant du faux-self, comme stratégie adaptative a minima, garantissant des points d’ancrage suffisamment incontestables. Enfin, la référence répétitive à un imaginaire, par ailleurs suffisamment habité par l’enfant ou l’adolescent, peut être appréhendée comme participant d’une modalité de défense de nature obsessionnelle, au sens où cet imaginaire viendrait tenter de colmater une capacité du sujet à jouer avec des représentations investies au plan pulsionnel, donc potentiellement dangereuses dans la charge affective qu’elles contiennent. ➤

L’affect En tant que témoin d’une partie du destin pulsionnel (le représentant-affect, contrepoint du représentant-représentation), l’affect occupe une place de choix dans les expressions de l’enfant et de l’adolescent dans la rencontre avec la planche de Rorschach. Dans le développement psychoaffectif de l’enfant ou de l’adolescent, on sait que l’affect contribue au déploiement des différents temps qui concourent au processus de subjectivation : la mise à l’épreuve de l’affect, dans les premiers échanges entre la mère et l’enfant ouvre sur une fonction messagère de l’affect (Roussillon, 2002), qui prend appui sur un potentiel suffisant de partage et de traduction de l’affect dans les premières relations. On peut considérer à cet égard que cette première modalité de la gestion de l’affect dans la relation intersubjective va se proposer comme matrice du déploiement de l’affect dans les différents temps du développement psychoaffectif, de l’enfance à l’âge adulte. Si l’on peut aborder l’affect comme participant des mécanismes de défense chez l’enfant ou l’adolescent, c’est essentiellement dans la mesure où il se propose dans une forme d’échappée au regard du travail de liaison pulsionnelle engagé dans le cadre de la relation intersubjective : en effet, ce qui fait défense dans l’émergence de l’affect, consiste dans sa difficulté à

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

197

prendre place dans un projet de sens au décours du travail de symbolisation qui sous-tend la dynamique du développement psychoaffectif. Face aux planches de l’épreuve de Rorschach, dont on a pu soutenir que le dispositif invite à mettre à l’épreuve l’histoire du travail de symbolisation, il conviendra de repérer les différentes marques d’empêchements spécifiquement liés à l’affect. En effet, au plan expressif, l’affect pourra emprunter différentes voies : – La voie d’une émergence massive, obérant toute possibilité de mise en représentation à partir du stimulus, qui peut passer par une traduction verbale de l’affect (traduction verbale qui détourne l’appui sur le langage de sa fonction représentative à proprement parler, au profit de l’expression d’un éprouvé brut) ou par une traduction corporelle de l’affect (les manifestations corporelles prennent ici le pas sur toute autre forme expressive) ; Rosalie (8 ans et 3 mois), à la planche I « Ça fait peur, c’est comme si on est seul dans le noir, tout noir... on voit rien... on peut rien voir » (choc au noir – refus) Ludivine (13 ans et 4 mois), à la planche IV « (soupire, devient rouge, s’agite sur la chaise)... !" (fronce les sourcils)... #" Ouh là là... ben alors là... une tache d’encre... c’est une tache d’encre... alors là je sais pas du tout » (enquête : « une chaussure là, peut-être une botte, des deux côtés... c’est tout ce que je vois », réponse cotée Refus dans un premier temps, puis R. Add. Do F+ Obj)

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Marwan (15 ans), à la planche II « Je sais pas, ça ça me fait penser à la violence parce qu’il y a du sang et c’est noir, et un petit peu la gentillesse le blanc » (« c’est sombre, couleur du sang... en fait c’est dans une personne, c’est sombre, la violence et un peu de gentil », réponse cotée Gbl C’F Abstr) et à la planche IV : « ça je sais pas mais on aurait dit ça fait peur... ça fait penser à un fond noir, à un endroit qui fait peur » (enquête : « ! je sais pas, pas de couleurs, comme s’il y avait du brouillard ou de l’orage », réponse cotée G Clob Frag). – La voie d’un marquage plus subtil de la place de l’affect qui peut se lire au travers du mode d’investissement de la qualité sensorielle du stimulus, et

198

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

de la couleur pastel en particulier ; c’est là tout le sens de l’indice du RC%1 , en ce qu’il met en évidence la réactivité du sujet face aux planches couleur, et aux planches pastel tout particulièrement en prenant en compte les éventuels écarts de productivité en comparaison des autres planches. Que l’effet de la rencontre des planches pastel entraîne une raréfaction des réponses ou une nette augmentation de celles-ci, l’enjeu demeure bien celui du maniement de l’affect, sur le versant de la répression ou sur celui du débordement ; Corentin (11 ans), à la planche I « L. 0.15’... Un chien... un chien... (manifeste une émotion) » (enquête : « la couleur...ça me fait repenser à Lilou... et puis là les oreilles, les yeux (Ddbl) et ses dents (Ddbl), réponse cotée Gbl FC’ A). La réponse proposée par Corentin, pour une part déterminée par la couleur noire de la planche, mobilise chez lui une réaction affective liée à la mort récente du chien de la famille : ici, l’affect protège l’enfant de vécus d’abandon, dans son histoire actuelle et passée, à laquelle il se réfère en mentionnant la mort de l’animal familier, vécus d’abandon cristallisés par la figure du chien. – La voie de l’inadéquation des expressions affectives, que celles-ci soient directement liées à l’activité représentative mobilisée dans l’épreuve de Rorschach ou qu’elles s’inscrivent dans le lien transférentiel sous-tendant la passation ; l’inadéquation peut prendre ici différentes formes, celle de l’exacerbation ou du repli, celle de la labilité ou de la rigidité, voire celle de l’incohérence et de la distorsion (ajustement problématique entre la représentation proposée et les manifestations affectives qui l’accompagnent) ; Félix (17 ans et 10 mois), à la planche II « % ! Oh du sang ! c’est beau le sang... en fait, depuis un moment j’ai des idées noires... c’est même pas des idées noires, envie de me tirer une balle, de voir du sang (...) » (réponse cotée D C Sang). L’affect est mis au premier plan, dans un contexte d’inadéquation entre la représentation proposée et l’affect initialement évoqué (« c’est beau... ») ; au-delà de ce premier mouvement, la rencontre avec la planche est l’occasion

1. Rappelons ici que le RC % correspond au pourcentage que représente le nombre de réponses fournies par l’enfant ou l’adolescent au regard de l’ensemble des réponses du protocole : voir supra p. 164.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

199

pour Félix d’une référence personnelle qui ouvre une expression dépressive qui se poursuivra tout au long du protocole. La mise en jeu de l’intégrité se trouve particulièrement interrogée dans les situations où l’expression de l’affect semble échapper à tout projet de liaison : le monde affectif de l’enfant ou de l’adolescent peut apparaître comme sans objet, c’est-à-dire pris dans le défaut d’une inscription intersubjective (on peut penser à l’image d’un environnement maternant qui ne serait pas, ou n’aurait pas été, en mesure de refléter les états affectifs de l’enfant). Au travers de la mobilisation défensive de l’affect, les enjeux liés à la permanence dans les investissements peuvent être appréhendés en lien avec la part d’instabilité contenue dans l’expression des affects : l’inadéquation des affects en propose un modèle expressif tout à fait explicite, modèle qui traduit bien les effets de distorsion auxquels le dispositif projectif, comme dispositif à symboliser, peut confronter l’enfant ou l’adolescent. Il s’agit là pour le sujet d’explorer des modalités de dégagement face aux effets contrastés mobilisés par la rencontre du matériel : ces modalités d’affectation du Moi, que l’on peut référer au champ des défenses paradoxales, visent à garantir une continuité suffisante entre affect et représentation dans un contexte d’insécurité des investissements. Dans ce contexte, la production projective porte la trace de ces hiatus. Au plan de l’expression défensive considérée sur le versant des empêchements à jouer avec les représentations, il convient ici de signaler la place singulière des stratégies de transformation des représentations : le modèle du refoulement est ici spécialement convoqué, dans la mesure du détachement qui s’y opère entre affect et représentation. Dans ce sens, on peut en effet admettre que certaines formes d’émergence affective dans le discours de l’enfant ou de l’adolescent face aux planches de l’épreuve de Rorschach viennent témoigner de ces effets de travestissement, face à l’émergence d’une représentation inacceptable. ➤

Le contrôle La maîtrise et le contrôle de la réalité externe participent des mouvements qui engagent l’enfant puis l’adolescent dans la construction de son rapport au monde. C’est bien à partir de cette modalité de saisie de la réalité externe que le sujet est en mesure d’expérimenter tout à la fois la délimitation des contours de ce qui l’environne et une forme d’empreinte de son monde interne sur l’environnement. En d’autres termes, les modalités de contrôle concourent à la possibilité pour l’enfant ou l’adolescent de fixer ses propres

200

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

limites dans le rapport à l’autre et d’échapper au risque de se trouver agi par son environnement (gestion de la problématique activité/passivité, particulièrement mobilisée dans le temps de l’adolescence) : reconnu dans sa fonction structurante pour la vie psychique, le contrôle peut bien sûr recouvrir une dimension aliénante, pour peu que les fragilités internes imposent à l’enfant ou à l’adolescent un surinvestissement des frontières entre le dedans et le dehors. Le contrôle, considéré dans son aspect défensif, engage des voies expressives différenciées. Si la dimension de la maîtrise apparaît sans aucun doute comme centrale parmi les opérations de contrôle mises en œuvre par l’appareil psychique, il importe de donner sa juste place aux manifestations d’inhibition. D’une certaine manière, on peut considérer que contrôle et inhibition représentent les deux faces d’une même modalité de fonctionnement psychique, qui vise à (se) garantir (dans) le lien à l’environnement : le contrôle serait à l’activité ce que l’inhibition serait à la passivité. Dans le cadre de l’épreuve de Rorschach, on pourra s’attacher à décrire ces deux faces que sont le contrôle et l’inhibition au travers de leurs formes expressives : – Le contrôle trouvera des formes privilégiées d’expression au travers de l’investissement de modes d’appréhension rigides (surinvestissement des réponses globales par exemple, détaillage obsessionnel des planches, ruptures perceptives avec les (G), recours à des réponses de détails oligophrènes sous-tendues par un processus de censure, intellectualisations...), ou au travers de références appuyées à ce qui fonde le stimulus, dans sa matérialité et/ou son origine (mobilisation des théories sexuelles infantiles ?) Nils (15 ans et 5 mois), à la planche I « (prend la planche) L. 0.30’... Humm !... une tache de peinture faite sur un cahier refermé après avoir séché, ré-ouvert, et ça a donné cette forme ! voilà » (Refus) – Le contrôle peut se traduire, au plan de l‘élaboration des représentations, par une délimitation marquée à l’excès des contours des représentations ; Lola (15 ans et 2 mois), à la planche II « (prend la planche) !" Ça ressemble à une fusée (trace le contour de la représentation avec son doigt) (...) » (réponse cotée DD FC Obj > kex ?) ; et à la planche IV

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

201

« (prend la planche) !" un ours peut-être (trace le contour très précis du stimulus avec son doigt) » (enquête : « je sais pas, c’est gros, là il y a les jambes, une sorte de tête et les bras... et sa petite queue en arrière », réponse cotée G F+ A). Le contrôle, ici exprimé au travers de la motricité, tente de juguler les angoisses attachées aux planches (rencontre d’une pulsionnalité potentiellement agressive/destructrice avec la planche II, rencontre avec la puissance phallique attachée à la planche IV). – Le contrôle se manifeste également de manière significative au travers du mode d’engagement de l’enfant ou de l’adolescent dans le dispositif même de l’épreuve. En effet, un certain nombre de dispositions propres à l’épreuve se trouvent en mesure de soutenir, voire d’exacerber l’émergence de mouvements de maîtrise : on peut citer d’une part le mode de présentation ordonné des planches, à l’initiative du psychologue, dont la maîtrise peut être enviée par l’enfant ou l’adolescent et accompagnée d’une verbalisation qui traduit la nécessité que rien n’échappe (comptabilisation des planches présentées et à venir par exemple, insistance sur le numéro de chaque planche...), et d’autre part, la pratique de la prise en note du protocole qui signifie une forme de dépendance du psychologue à l’égard de l’enfant ou de l’adolescent... dont celui-ci peut être amené à jouer... Esther (8 ans et 1 mois), à la planche IX

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Là on n’y comprend rien du tout... tu as écrit ce que je viens de dire ? t’as marqué quoi ? j’ai rien dit encore... des cerfs, c’est des cerfs ça... (D3) là c’est deux petits animaux, avec dessus un éléphant, un bébé (D1), un petit ciel bleu clair (Dbl) et puis... un lac (D6) ». L’énoncé de ces quatre réponses, ordonné par une description systématique de chacun des grands détails de la planche, détail blanc compris à la suite d’un premier mouvement de contrôle qui vise spécifiquement le psychologue dans l’engagement de sa pratique (prise en note de la verbalisation de l’enfant), conforte le mouvement défensif. Brice (6 ans et 4 mois) range les planches de manière obsessionnelle à la fin de la présentation de chacune d’elles ou Luc (7 ans et 9 mois) procède au décompte systématique des planches qui restent à présenter au fur et à mesure de la passation à partir de la planche V... ou encore Pierre (9 ans) qui, à partir de la planche IV clôture sa verbalisation par la mention « à la suivante »...

202

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

– Les expressions d’inhibition quant à elles, peuvent être repérées au décours du fil narratif soutenant les réponses face à l’épreuve de Rorschach, au travers de réponses témoignant d’une pauvreté dans le vocabulaire et/ou dans le déploiement imaginaire voire de censures expressément nommées ; Nicole (8 ans et 1 mois), à la planche V « Je me rappelle plus ce que c’était, je m’en rappelle plus » (enquête : « un truc là... quand c’est dans la nuit » puis après la proposition du psychologue : « une chauve-souris ? », « ouais, une chauve-souris... parce que les pieds sont comme ça, et les ailes sont ouvertes... non ! pas une chouette ! », réponse cotée R. Add. G F+ A Ban > FC’ ?). Sophie-Anne (6 ans et 9 mois), à la planche III « Ça me fait penser... j’ai pas envie de le dire parce que c’est des choses... » (enquête : « parce que ça ressemble à un papillon – D3 – et des fesses – l’enfant prononce ces mots tout bas, réponse additionnelle : Dd F- Hd). – La représentation sexuelle se trouve ici à fleur dans la difficulté de SophieAnne à s’engager dans une réponse, marquée par l’inhibition clairement référée à une forme d’interdit ou, à tout le moins, à l’émergence d’un Moi-Idéal qui sous-tend la censure. – Les expressions d’inhibition peuvent être identifiées dans la rencontre même des planches et l’inhibition qu’elle peut engager, à l’occasion des refus de planches, voire à l’occasion de manifestations de ruptures plus ou moins brutales dans l’énoncé d’une réponse. Louri (6ans et 11 mois), à la planche IX « ! Tu me l’avais déjà montrée (rend la planche sans rien dire)... elle est dure à deviner, à regarder ce que c’est » (Refus). L’enfant, pour la troisième planche consécutive, se trouve en difficulté pour produire une réponse et projette sur le psychologue une part de cette impuissance... Dans leurs manifestations les plus radicales, les stratégies défensives basées sur la maîtrise et le contrôle s’inscrivent dans le contexte d’une rupture dans la constitution d’une représentation unitaire. Les réponses de détail oligophrène en constituent un bel exemple, qui engage, sur un mode exacerbé, tout à la fois un contrôle omnipotent sur l’objet (au travers de la limitation de la représentation) et une forme de garantie du maintien d’une représentation suffisamment acceptable. Dans un autre registre, les réponses

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

203

de persévération, en ce qu’elles contraignent la représentation dans une forme répétitive et quasi stéréotypée, contribuent à la maîtrise sur le monde. Dans ces différentes mesures, on peut considérer que certaines expressions dans le registre du contrôle ou de l’inhibition peuvent emprunter la voie du clivage. La mise en question de la permanence des investissements rencontre les mécanismes de défense de contrôle et d’inhibition selon différentes modalités : la dimension de la continuité entre la réponse proposée à la passation et la réponse retrouvée à l’enquête en constitue un exemple dans la mesure où ici, la stratégie défensive en forme de contrôle vient mettre à mal la capacité de l’enfant ou de l’adolescent d’inscrire ses productions dans une histoire continue, les marques de rupture et/ou d’arrêt au sein du discours de l’enfant ou de l’adolescent en représentent une autre occurrence. L’évitement de certaines parties du stimulus, réputées porteuses d’une charge fantasmatique particulièrement marquée (appendices sexués de la planche III, détails phalliques des planches VI et VII, détails féminins dans la partie inférieure des planches VI et VII...) représente sans doute l’illustration la plus claire des empêchements de jouer auxquels l’enfant ou l’adolescent peut se trouver confronté face aux planches de l’épreuve de Rorschach. Les investissements génitaux se trouvent ainsi maintenus à distance, au profit de productions qui tendent à banaliser les enjeux de la rencontre de la différence.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Dynamique du lien à l’objet

La dynamique du lien à l’objet sera ici abordée à partir des différents pôles qui concourent à l’organisation de la personnalité. Seront ainsi évoqués, dans leurs traductions projectives, successivement les enjeux de la construction de l’identité, de l’élaboration de la dynamique identificatoire et, enfin, de l’établissement des relations d’objet. Ces différents pôles de l’organisation de la personnalité seront présentés dans une découpe qui se veut essentiellement pragmatique, en appui sur des éléments de repérage dans le cadre de l’épreuve de Rorschach : on comprend bien sûr que ces différents aspects se trouvent, au plan du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent, intimement intriqués. Un autre observatoire potentiel de la dynamique du lien à l’objet peut être mis en évidence à partir de la construction de la fantasmatique originaire de

204

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

l’enfant ou de l’adolescent1 : on pourra ainsi tenter d’identifier les modalités d’expression du fantasme de scène primitive, du fantasme de séduction et du fantasme de castration. ➤

La construction de l’identité La construction de l’identité de l’enfant, puis de l’adolescent, mobilise de façon majeure le travail psychique de la séparation : ce travail se trouve engagé à différents temps de la maturation de la vie psychique, de la première séparation de la mère et de l’enfant dans l’expérience de la naissance, aux nécessaires séparations et pertes qui émaillent la vie de l’individu. L’ensemble des travaux de D.W. Winnicott, à la suite des travaux freudiens et kleiniens, mais également les travaux de J. Lacan (1966), avec la notion de « stade du miroir » en particulier, insistent sur les enjeux du processus de séparation – différenciation qui sont au cœur de ce que l’on peut nommer, à partir de là, le processus identitaire. Dans ce sens, il importe de situer la manière dont les productions projectives de l’enfant ou de l’adolescent témoignent du travail psychique de la séparation, et de présenter les indices qui concourent à la prise en compte de cet organisateur de la vie psychique qu’est l’identité. En filigrane, c’est aussi la question des origines qui se trouve appelée, que l’on peut référer tout particulièrement au fantasme de scène primitive. C’est dans ce contexte que l’on peut entendre toutes les remarques ou questions formulées par les enfants ou les adolescents sur l’origine du matériel (qui a fabriqué les planches ? le psychologue est-il impliqué dans leur réalisation ?...) et/ou sur la matière constitutive des planches, matière du support (est-ce du carton, est-ce du plastique ?...) ou matière dont est composé le stimulus (encre ? peinture ?...). Ces verbalisations viennent parler de la manière dont l’enfant ou l’adolescent se trouve en mesure de se représenter l’origine du monde extérieur et, partant, de se représenter sa propre origine et ce, en appui sur le lien transférentiel.

1. Sur ce point, nous nous appuyons sur les propositions de J. Laplanche et J.B. Pontalis (1964) dans leur texte princeps sur la question. Sur la traduction projective des fantasmes originaires, on peut se référer à Roman P. (1995), « Scènes de l’originaire – De la position subjective dans l’élaboration du scénario fantasmatique en méthode projective », Paris, Bulletin de Psychologie, XLVIII, 421, p. 661-666.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

205

Au-delà, plusieurs éléments appartenant aux expressions projectives face à l’épreuve de Rorschach participent à cette problématique : • Des éléments qui attestent de la qualité de la construction d’une

représentation intègre et différenciée tant au plan du mode d’appréhension (établissement du rapport forme/fond, rapport entre les réponses globales, de grand et de petit détail), qu’au plan des déterminants (qualité des réponses formelles dans la délimitation des contours et dans leur rapport avec les déterminants sensoriels), ou au plan des contenus (qualité unitaire des représentations versus mises en scène de représentations attaquées dans leur intégrité) ; enfin, on apportera une attention particulière à la qualité des réponses proposées aux deux planches unitaires/identitaires de l’épreuve de Rorschach les plus significatives, la planche V (pour la dimension unitaire) et la planche III (pour le support de l’identification humaine) ; • Des éléments qui attestent du processus identitaire au travers de la référence à la symétrie et du maniement du double ; on différenciera sur ce point trois grands types de réponses :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– celles qui s’appuient sur la symétrie dans une forme d’accrochage à un élément de la réalité externe sur le mode du contrôle, au regard du risque de désorganisation auquel la confrontation fait courir le risque, – celles qui organisent, à partir de la symétrie, une logique de redoublement de la réponse, prémices d’un investissement possible du miroir, – et, enfin, celles qui voient se déployer, en appui sur une prise en compte de la symétrie des représentations de relation qui figurent, d’une certaine manière, le dépassement du stade du miroir ; • Enfin, des éléments qui procèdent de la construction de réponses

humaines identifiées en tant que telles en appui, en particulier, sur la qualité de la différenciation entre animé et non-animé, entre humain et animal ; on sera ainsi attentif à la nature des réponses humaines (voire animales anthropomorphiques), singulièrement dans leurs aspects potentiellement dégradés et dysphoriques (réponses anatomiques mettant à mal la construction des enveloppes, réponses sexuelles crues, réponses de pseudo-humains ou d’animaux dévitalisés...). Si l’on peut définir de manière générale une modalité d’expression de ces différents éléments, il convient également de pouvoir en repérer la spécificité en fonction du développement psycho-affectif de l’enfant. Les exemples ci-dessous visent à illustrer les formes expressives dans les trois

206

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

principaux temps de ce développement, le temps de la petite enfance, le temps de la latence et le temps de l’adolescence à partir de quelques séquences de protocoles. Celles-ci seront présentées afin d’illustrer les enjeux de la construction identitaire, et en filigrane, ceux du travail psychique de séparation – différenciation, dans leur traduction projective dans la rencontre de l’épreuve de Rorschach. Susanna (6 ans et 4 mois) : La séquence de réponses proposées aux planches II et III est présentée ci-dessous1 : – Planche II : « ! Il y a des pieds (D2), y a du rouge, y a du noir... moi je crois que c’est un bonhomme qui se bagarre, voilà (remet la planche)... une femme ou un bonhomme » (enquête : « les mains – D3 – et il prend quelqu’un comme ça... invisible », réponses cotées D F- Ad, puis DD kan H) – Planche III : « Euh... L.0.10’... deux chiens... qui s’bagarrent pour un truc... pour une pomme ou sinon ils font du sport ( ?) les deux... ( ?) les deux femmes ou les deux chiens... et y a un papillon » (enquête : « parce que c’est des filles », réponses cotées D/G kan A, puis D/G K H Ban, et D F+ A) On peut faire le constat d’une forme de fragilité dans la construction identitaire : difficulté à faire émerger une réponse globale qui témoigne d’une représentation intègre et stable : les animaux se bagarrent à la planche II, le doute subsiste entre une identité humaine et animale à la planche III, ainsi que le doute et/ou la confusion sur le genre des personnages aux deux planches. Oriane (10 ans) : La séquence des réponses proposées aux planches I à III apparaît significative des enjeux identitaires à la période de latence : – Planche I : « J’en sais rien moi...(rit) deux hommes...mais collés, avec des ailes, une de chaque côté et des petits bras de chaque côté et les pieds collés, des têtes un peu séparés des mains comme ça (mime) et c’est tout » (enquête : « je dis avec une ceinture, très clair, gris », réponse cotée G F+ H > FC’ ?) – Planche II : « C’est de l’encre ou quoi c’est de quel côté ? ! # " je dirais la tête (D3), à l’envers un visage, des ailes noires, des petits pieds collés

1. On peut trouver le protocole dans son intégralité dans le développement suivant (cf. infra, p. 234).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

207

et on dirait...des mains (D5) et des gros pieds rouges (D2) » (enquête : « c’est vous qui l’avez fait ? », réponse cotée G FC (H)) – Planche III : « Alors là c’est une femme des deux côtés comme ça c’est une dame avec un seul bras, un sein et autour il y a un nœud-papillon et le bras droit c’est quoi ? C’est comme si elle avait un marteau et l’autre aussi...et une grosse main (D7) et un pied à côté à l’envers pas dans le même sens (D2) » (enquête : « à deux dames avec un nœud-papillon rouge, on dirait un peu son sexe (Dd 26) " », réponses cotées G F+ H Ban, puis D F- Hd). L’interrogation sur la qualité et l’origine du matériel, et le sens de sa présentation, illustre bien le registre du questionnement identitaire d’Oriane : tout se passe comme si Oriane n’avait pu construire une identité séparée (cf. les représentations humaines présentées comme « collées » aux planches I et II), et partant une représentation de soi intègre (le personnage féminin de la planche III est présenté, de fait, comme amputé...). Dans ce contexte, on peut noter l’échec du travail de séparation – individuation, par défaut de la capacité pour Oriane de construire un double interne susceptible de soutenir sa structuration identitaire : l’aménagement en double siamois présent aux planches I et II, qui échoue à perdurer à la planche III (sans doute du fait de son caractère bilatéral plus fortement marqué) renvoie à une modalité anaclitique de construction du lien.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Rodolphe (13 ans et 6 mois) : La séquence des réponses proposées aux trois premières planches de l’épreuve de Rorschach par Rodolphe illustre bien les enjeux de la construction identitaire à l’adolescence : – Planche I : « Un masque...un mutant avec 4 yeux et des cornes ou qui peut porter un casque, ça peut aussi ressembler à un ellitide, comme un flagelleur mental, sorte d’insecte » (enquête : « les quatre yeux – Ddbl – et les cornes, et puis l’allure bestiale, l’insecte, mandibule en haut », réponses cotées Gbl F+ Obj, puis G F- A) – Planche II : « L. 0.15’... Quelqu’un qui ouvre grand la bouche, la tête traversée par l’impact d’une balle... en tout cas quelqu’un qui ouvre la bouche, avec les espèces de cornes rouges sanglantes, il a la figure barbouillée de sang, c’est tout » (enquête : « plutôt deux balles qui viennent d’en haut, ressortent sous le menton (D3) yeux (Ddbl supérieur), nez (D7), bouche (Dbl), barbe (D3) », réponse cotée Gbl FC H) – Planche III : « L.0.15’... Humm ! Un homme qui se fait trancher en deux, trancher en deux dans le sens du haut vers le bas c’est tout... non aussi à

208

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

la limite le dos d’une fourmi, avec le dos et les pinces tranchantes, d’une fourmi ou d’une araignée...d’un insecte quoi, voire même d’un scarabée » (enquête : « deux bras, tête, nez, menton et le sang qui gicle (D2, D3) », réponse cotée Gbl F- A). Les réponses de Rodolphe témoignent d’un vacillement identitaire majeur à l’orée de l’adolescence : la figure du mutant ouvre sur une incertitude, confirmée ensuite par des représentations humaines qui échouent à se constituer dans une intégrité. Les réponses globales dominent cette première séquence de réponses (ce sont les seuls modes d’appréhension investis par le pré-adolescent), et la qualité des représentations s’avère plutôt médiocre (qualité formelle, absence de kinesthésie, couleur associée au sang et à la destruction de l’intégrité). ➤

Les identifications et l’élaboration des imagos Le travail des identifications est issu du complexe d’Œdipe et de sa résolution. En effet, c’est au décours de l’expérience que réalise l’enfant de la limite de ses investissements amoureux à l’endroit du parent du sexe opposé que s’inscrit pour lui, à titre d’organisateur structurel, l’enjeu de la différence des sexes et des générations. Dans ce sens, on comprend que la question des identifications croise la dynamique de la différenciation tout en la dépassant. Là où l’enfant pré-oedipien, dans les premières expériences de séparation – différenciation tente de conforter son statut de sujet individué, l’enfant œdipien, quant à lui, se confronte et, dans le meilleur des cas, s’affranchit suffisamment, des risques liés à une double différenciation, celle des sexes, au travers de la construction du fantasme de castration, et celle des générations, au travers de l’élaboration du fantasme de séduction. Ces risques, ce sont bien sûr ceux de la perte, mais ce sont aussi, de surcroît, ceux de la confusion. Le travail des identifications fonde, in fine, la capacité de l’enfant, puis de l’adolescent, à se reconnaître dans la figure d’un autre différencié, et qui lui est lié dans une modalité paradoxale : figure tout à la fois enviée et redoutée, inscrite dans un écart qui autorise un rapproché fantasmatique dégagé du risque de la confusion... Car en effet, le travail des identifications, qui concourt à la construction des imagos parentales, prend appui sur une possible inscription générationnelle. Cette inscription propose à l’enfant puis, sur le mode d’une reprise, à l’adolescent, l’investissement d’une forme de profondeur de la vie psychique sur le fond de laquelle pourront se

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

209

déployer, dans l’ici-et-maintenant, des relations suffisamment vivantes et conflictualisées. L’épreuve de Rorschach ne sollicite pas de manière explicite la problématique identificatoire, ni la construction des imagos parentales. Elle met à l’épreuve ce que l’on pourrait nommer comme une pré-forme identificatoire, à partir d’une sollicitation qui concerne davantage la différenciation des enjeux respectivement masculin-paternel et féminin-maternel que la construction des figures parentales dans une modalité secondarisée. En effet, à la différence de l’épreuve du TAT1 dont les planches figuratives constituent, de manière élective, le lieu de mise à l’épreuve de la question identificatoire, les planches de l’épreuve de Rorschach suggèrent des formes de problématiques, sans engager à un mode de traitement du stimulus dans une perspective relationnelle2 . On peut considérer que deux séries de planches, à l’épreuve de Rorschach, condensent particulièrement les enjeux identificatoires et mettent à l’épreuve la constitution des imagos parentales, images inconscientes, matrices du déploiement identificatoire :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• Il s’agit d’une part des planches IV et VII, repérées (voir supra, au

chapitre 2, la présentation des sollicitations latentes des planches) comme mobilisant respectivement une problématique du masculin-paternel d’une part et du féminin-maternel d’autre part ; la manière dont l’enfant ou l’adolescent sera en mesure de faire jouer chacune de ces modalités, le cas échéant au travers de l’émergence de représentations qui témoignent d’un déplacement de la problématique identificatoire, éclaire sur la construction de ses investissements dans ce registre ; • D’autre part les planches III et VI interrogent de manière élective la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à établir des compromis dans la rencontre des enjeux liés à la bisexualité ; en effet, la planche III, avec son stimulus (le D noir) marqué par la double présence dans la partie supérieure d’un élément féminin (« poitrine ») et dans la partie inférieure d’un élément masculin (« appendice phallique ») mobilise le travail du refoulement pour autoriser la résolution de cette énigme de la bisexualité

1. Les planches de l’épreuve du TAT, planches figuratives, mettent en scène des personnages de sexe et d’âge différent, autorisant ouvertement l’investissement d’une conflictualité : il n’en est pas de même de l’épreuve de Rorschach dont la dimension non-figurative mobilise de façon exacerbée les enjeux de séparation-individuation. 2. On entend, en filigrane, l’intérêt que représente le croisement des données recueillies en appui sur plus d’une épreuve projective (cf. supra, p. XVI).

210

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

au travers de la production d’une représentation acceptable... tandis que la planche VI, avec son invitation également clairement bisexuelle, dans une dynamique mettant en jeu le double mouvement pénétrant (partie supérieure du stimulus, en plein) et pénétré (partie inférieure, en creux), invite à une expérience de la bisexualité psychique qui fait écho à la construction identificatoire dans ses préformes développementales. Par ailleurs, on s’intéressera bien sûr à la qualité des représentations humaines dans la définition de leur appartenance sexuée, et tout particulièrement à la qualité des représentations portées par les kinesthésies. En filigrane, il importe également d’être attentif à la manière dont les réponses qui forment le corpus du protocole se trouvent en mesure de s’inscrire dans une temporalité qui rend compte des potentiels d’historicisation de l’enfant ou de l’adolescent et, partant, de son inscription dans une chaîne identificatoire ouverte par l’investissement de la génération. Pénélope (6 ans) : Le protocole de Pénélope (les réponses aux planches II à VI seront proposées), relativement restrictif, montre la difficulté de cette enfant à s’engager dans une conflictualisation des imagos : – Planche II : « (prend la planche) ! C’est le papillon... elle est belle » (enquête : « jambes (D2), ailes (D1) et tête (D3), réponse cotée G F+ A) ; – Planche III : « ! C’est une fille... en forme de fille » (enquête : « jambes (D2), yeux (D7), un papillon (D3) (Pénélope fait semblant de mordre la planche)», réponse cotée G F- A, R. Add. D F+ A Ban) – Planche IV : « Un garçon » (enquête « les jambes, la tête, les bras », réponse cotée G F+ H) – Planche V : « Une chauve-souris... un crocodile, là le crocodile et là aussi (rit, s’anime)... une chauve-souris avec des crocodiles... j’ai jamais vu des chauves-souris avec des crocodiles » (enquête : « des ailes-crocodiles, des oreilles, des jambes », réponse cotée G F+ A – Contamination) – Planche VI : « En forme de quoi ? je sais pas » (Refus). Cette séquence de réponses met en évidence la difficulté pour Pénélope de s’engager dans une conflictualisation des appartenances sexuées : la partition fille/garçon qu’elle opère entre les planches III et IV est tout à fait significative à cet égard, la sollicitation phallique de la planche IV se trouvant manifestement ainsi relayée dans sa réponse. L’instabilité des représentations au plan de l’intégrité (cf. la contamination à la planche V) et au plan du genre (cf. l’ambiguïté de sa réponse à la planche II : est-ce « le » papillon qui est « belle »... ou la planche ?) constitue un autre indice de cette difficulté.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

211

Enfin, le refus à la planche VI, dont le stimulus est perçu comme ne pouvant être affecté par une forme, vient confirmer l’impossibilité de Pénélope à jouer avec la bisexualité. Sophie (10 ans et 7 mois) : les réponses à la planche I et III témoignent d’un mode d’aménagement économique de la rencontre de la différence des sexes :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– Planche I : « L. 1.10’... On dirait une statue, là des monsieurs... une dame, il manque plus que la tête » (enquête : « une statue avec deux monsieurs, les dames, là on dirait une robe (D4), là les jambes », réponses cotées G F- Obj, puis D F+ H) – Planche III : « On dirait des lapins... là des dames ou des monsieurs... enfin, une dame et un monsieur, là un petit papillon, et là du feu » (enquête : lapin (D2) les oreilles sont un peu trop longues, forme d’une dame et d’un monsieur, ils font chauffer du feu, le feu, au centre, et autour ce qui protège », réponses cotées D F- A, puis G F+ H Ban, puis D F+ A Ban). La représentation masculine à la planche I est maintenue dans une forme de gel de la pulsionnalité (hommes réduits en statue), tandis que la représentation féminine est traitée sur le versant du manque (la tête), comme si la castration se présentait ici dans son caractère le plus radical. La planche III permet une reprise de la conflictualisation de la différence des sexes : après une première réponse qui appelle un détail phallique (oreilles du lapin, vécues à l’enquête comme « un peu trop longues » !), Sophie met en scène la rencontre des imagos masculines et féminines... autour d’un feu, après avoir choisi de ne pas trancher quant à l’identité sexuée des deux personnages, rigoureusement symétriques ! Bruno (14 ans et 9 mois) : Les réponses aux planches III, IV et VI seront présentées ci-dessous : – Planche III : « Deux personnes qui jouent à...s’envoyer une balle ou je sais pas, y a le quiqui au milieu, en tout cas un noeud-papillon, ! ou de l’autre côté, si j’ai le droit de tourner le truc on dirait deux personnes qui ont le bras recourbé » (enquête : « tête, corps, ce serait même deux femmes... et les jambes écartées, objet rond au milieu », réponses cotées G K H Ban, puis D F+ Obj Ban, puis D F+ H). – Planche IV : « Y a que des personnes ou quoi ? ou je suis fou ? On dirait un extra-terrestre vu... d’en bas, on voit les pieds et une tout petite tête en forme de V un peu...! sinon "! sinon dans l’autre sens on dirait

212

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

trois têtes de chameau...une là, une là (D1) et une de profil (D central) » (enquête : « forme un peu bizarre, y a pas de mains, les pieds sont pas des pieds, aspect humain mais pas... tête de chameau, tête et sourcils retournés, deux têtes (dans D1), une tête dans D central) », réponses cotées G F+ (H) , puis D F- Ad). – Planche VI : « (rit) Euh... un chat écrasé un peu (rougit) j’aime pas trop dire ça... ouais un chat écrasé » (enquête : « j’adore les chats, les moustaches, le nez (D3) c’est vraiment la tête typique d’un chat, quatre pattes... personnellement j’ai jamais vu de chat écrasé, je cherche pas à en voir... », réponse cotée G F+ Adev). La planche III met en scène, de manière un peu déguisée, mais somme toute transparente, une représentation des enjeux de la différence et de la rencontre des sexes : le « quiqui », terme classiquement utilisé pour désigner le sexe masculin, et les « deux femmes... et les jambes écartées » signifiant assez clairement la disponibilité féminine à la relation sexuelle. La référence réalisée par Bruno au « droit de tourner le truc » (« pour tourner la planche ») semble faire écho à ces premières représentations mettant en scène sexualité (signe de l’interdit œdipien ?) ; la difficulté de Bruno face à la planche IV, difficulté énoncée par l’adolescent comme liée à une interrogation sur sa propre folie, témoigne de la nécessité d’une distanciation d’un engramme trop chargé au plan pulsionnel : la réponse « d’extra-terrestre », puis d’animaux (« des chameaux », nantis d’une bosse cependant...) se propose comme issue à une surchauffe de l’excitation. Enfin, le traitement de la planche VI sur un versant infantile (« chat écrasé », avec des manifestations de gêne et de malaise à traduction corporelle), peut être compris dans le registre de l’évitement : d’une certaine manière l’écrasement du chat (et de ses attributs) pourrait être considéré comme métaphore de l’écrasement de la bisexualité... ➤

L’établissement des relations d’objet Le dernier élément qui concourt à l’appréhension du lien à l’objet concerne le repérage du mode de relation d’objet qui sous-tend le fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent. Au plan métapsychologique, le mode de relation d’objet désigne ce qui, dans la construction et le déploiement du lien intersubjectif, soutient le sujet dans l’équilibre de sa vie intrapsychique et qualifie la place et la fonction de l’altérité. L’établissement du mode de relation d’objet est intimement lié aux expériences précoces

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

213

dans le lien à l’objet. Il constitue, en quelque sorte, le témoin et la trace de l’histoire de la vie relationnelle du sujet. S’agissant de clinique de l’enfant et de l’adolescent, la rencontre avec celui-ci confronte le psychologue au temps de développement du processus au décours duquel se construit la qualité de la relation d’objet. Celle-ci se construit bien sûr dans l’ici-et-maintenant de la rencontre clinique qui vient réactualiser, dans le transfert, le lien aux imagos parentales. On peut également considérer que la rencontre avec les planches, dans leur sollicitation à la relation contenue d’une manière générale dans leur dimension bilatérale et de manière particulière au travers de la spécificité de certaines des planches (planche III, VII, VIII), offre à l’enfant ou à l’adolescent une opportunité pour une actualisation de ses relations d’objet. On peut admettre que les relations d’objet sont tout spécialement portées, à l’épreuve de Rorschach, par les réponses kinesthésiques, et de kinesthésie humaine en particulier et qu’elles ont partie liée avec la qualité de la représentation de soi1 : en tant que lieu d’expression de la vectorisation pulsionnelle, les réponses de kinesthésie humaine constituent en effet le fonds d’investissement sur lequel pourront se nouer les mouvements identificatoires. Si les kinesthésies mineures (kob et kex) manifestent bien souvent une forme d’échec de cette vectorisation, les kinesthésies animales (kan) possèdent une fonction qui, selon la nature des représentations animales appelées, peut s’apparenter à une fonction palliative de kinesthésies humaines qui auraient du mal à se déployer du fait de l’âge de l’enfant d’une part, et/ou d’une inhibition au lieu de la figuration humaine d’autre part (particulièrement dans le contexte d’un primat narcissique de la relation d’objet). On distingue classiquement trois organisateurs présidant à l’établissement des relations d’objet : les relations d’objet fusionnelles, narcissiques (ou dépressives – anaclitiques) et œdipiennes. À chacun de ces registres de construction des relations d’objet correspond un certain nombre d’indices qui peuvent faire l’objet d’un repérage au travers de la lecture des protocoles de l’épreuve de Rorschach : • Les témoins d’une relation d’objet organisée sur un mode fusionnel

peuvent être identifiés à partir des différentes manifestations dans le registre de l’indifférenciation, de la confusion et/ou de l’atteinte franche et massive à la continuité ; dans ces registres on peut signaler les réponses 1. N. Rausch de Traubenberg (1984) propose une « grille de la représentation de soi », précieuse pour contribuer au repérage des modes d’investissement des relations d’objet.

214

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

de persévération et/ou de contamination, les marques de clivage (clivage de l’objet avec l’énoncé de représentations inconciliables, clivage du Moi avec l’expression de rupture de la continuité représentative avec ce que je nomme les « îlots de déni » (Roman, 1997), représentations chaotiques, participations hallucinatoires...), les kinesthésies humaines délirantes et/ou les kinesthésies mineures à valence désorganisatrice ou persécutoire, l’épuisement de la rencontre du double dans une forme de télescopage (redoublement systématique des réponses...) ; Zoé (9 ans et 1 mois), fige ses réponses à partir de la référence au plié/déplié qui préside à la réalisation des planches : – Planche III : « c’est une dame... on l’a encore plié... c’est une dame qui... avec son panier » (réponse cotée Do F+ H Ban) – Planche VII : « deux indiennes, ça c’est leurs plumes... on l’a encore plié... et là au milieu ils ont fait un papillon » (réponses cotées D F+ H, puis D F+ A) L’accrochage à la symétrie épuise toute potentialité de mise en lien des représentations (en particulier à la planche III où Zoé scotomise l’un des deux personnages). Par ailleurs, la référence à une instance extérieure (« on », « ils »), indéfinie dans son identité, semble porter la trace de mouvements discrètement persécutoires. Abdel (12 ans et 1 mois) ponctue sa verbalisation à chaque planche, dès la planche I, par une formule qui varie peu « c’est exactement pareil, c’est superposable », ou « c’est symétrique et superposable ». À partir de là, toutes les réponses sont redoublées, pour spécifier l’aspect symétrique de la planche, sans que les représentations humaines ou animales ne puissent s’animer en forme de représentation de relation : – Planche I : « c’est des têtes... deux animaux imaginaires qui se tiennent la main... deux jumeaux, c’est exactement pareil » (réponse cotée D/G F- A) – Planche III : « c’est encore symétrique, c’est superposable... ça peut-être deux dames qui regardent et qui lavent quelque chose » (réponse cotée G K H Ban) Abdel peine ici à mobiliser la symétrie dans un projet relationnel : la kinesthésie humaine de la planche III se trouve entachée d’une impossible rencontre entre les deux figures humaines.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

215

• Les témoins d’une relation d’objet narcissique (qui inclut la dimension

dépressive et anaclitique) s’établissent tout spécialement autour de l’investissement de la symétrie et du double, au travers d’une quête plus ou moins marquée d’un accrochage à la réalité externe comme issue à l’incertitude interne ; dans ce contexte, le statut des réponses miroir, espace de mise à l’épreuve de la consistance narcissique, est central et prend la forme de réponses de doubles – reflets peu accessibles à la conflictualité (voire rabattues sur un redoublement de la représentation, sans jeu possible...), les déterminants sensoriels dominent, sur le versant de la dépression (déterminants de couleur achromatique, C’) et/ou de l’incertitude des limites (déterminants d’estompage, E) selon le statut de l’objet intériorisé, au détriment des réponses de mouvement souvent peu exprimées (kinesthésies d’attitude par exemple) ou traitées dans un déplacement sur la représentation animale (kinesthésies à forte charge narcissique) ; Maryline (6 ans), propose à la planche VII la réponse suivante : « Deux souris qui se regardent avec une pierre pour chacun qui s’asseyent dessus et leur grande queue qui est tout droit, y a une fille et un garçon » (réponse cotée G kan A > kinesthésie d’attitude).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Dans cette réponse, l’arrimage narcissique autorisé par le lien de regard entre les deux représentations animales (ici clairement en position de figures de substitution à des figures humaines) ouvre sur une tentative de conflictualisation de la différence des sexes. Victor (13 ans et 2 mois), met au travail la problématique du narcissisme, particulièrement aiguë à l’adolescence, à partir de réponses reflets : – Planche II (troisième et dernière réponse de la planche) : « (...) ou alors je dirais une personne qui se regarde dans le miroir, le corps, la tête, il serait assis sur quelque chose et son reflet dans le miroir... en tout cas deux personnes identiques » (réponse cotée Gbl F+ H > K attitude) – Planche VII : « le reflet de quelqu’un dans un miroir... deux personnes identiques c’est tout ce que je vois, ou alors encore une sorte de moule... un moule pour faire fondre un... je sais pas vraiment, une sorte de coque... je dirais pour les personnages ce serait plutôt deux bretonnes avec un chapeau... ou encore des lunettes de soleil » (réponses cotées Gbl F+ H, puis Dbl F- Obj, puis G F- Obj).

216

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Il est intéressant de constater que Victor ici propose une représentation d’une expérience structurante du miroir : toutefois, on peut noter que l’évocation du reflet tend à limiter les potentiels dans l’établissement d’une relation d’objet œdipienne (référence à l’identique). La réponse « moule » de la planche VII, qui se présente comme intermède entre deux réponses mettant en jeu le miroir, met en scène une forme de matrice, à partir de laquelle peut se déployer le travail des identifications... • Enfin, les témoins d’une relation d’objet œdipienne se donnent à voir à

partir de la plasticité des représentations de relation, avec alternance et jeu possible entre expression du versant libidinal et agressif de la pulsion, sans censure rigide ni régression massive ; les traductions projectives se dévoilent particulièrement autour du statut des kinesthésies qui franches et bien assumées, se déploient de manière suffisamment souple, avec une association dynamique entre les déterminants sensoriels et les déterminants formels, et des contenus de représentation qui proposent, à tout le moins en forme d’esquisse, une conflictualisation possible entre désir et interdit. Arthur (6 ans 3 mois), à la planche VIII « Deux bêtes qui tournent sur un manège, on voit les décorations... ils se courent l’une après l’autre, peut-être qu’elles essaient de se mordre, ou bien ils sont amoureux je crois » (réponse cotée G kan A Ban). Mourad (16 ans et 9 mois), à la planche III « Deux personnes qui portent des trucs... des sacs... deux personnes qui s’aiment, non ? je sais pas, je crois que c’est des cœurs ! » (réponse cotée G K H Ban > C) Ces exemples, isolés du contexte de la production projective à l’épreuve de Rorschach ont nécessairement une valeur limitée. Ils permettent toutefois de figurer les principales expressions du fonctionnement psychique des enfants et des adolescents. Les présentations de protocoles de réponses complets, d’une part référés aux différents temps de maturation du développement psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent, d’autre part envisagés du point de vue d’une clinique de consultation, permettront d’aborder, dans une approche qui prendra en compte la complexité des expressions de la vie psychique, l’ensemble de la dynamique du fonctionnement psychique. C’est bien sûr, comme toujours, dans le croisement des différents témoins, et/ou des différents observatoires de l’activité projective, que pourra émerger

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

217

une compréhension suffisamment affinée du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent.

Repères pour une pratique La seconde partie de ce chapitre vise à présenter les différentes configurations expressives à l’épreuve de Rorschach en fonction de l’âge de l’enfant. En effet, il convient d’inscrire la lecture clinique des protocoles dans une double perspective : • d’une part, la perspective de son développement psychoaffectif et, en

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

particulier, du registre de traitement pulsionnel dans lequel s’inscrit l’enfant et, au-delà, de l’engagement des processus de symbolisation ; • d’autre part, la perspective de son développement intellectuel, c’est-à-dire de ses capacités à saisir le monde dans le registre des opérations cognitives. À partir d’une première différenciation entre enfant et adolescent, les différentes périodes du développement seront évoquées et pour chacune d’elles, deux protocoles témoin seront présentés (généralement le protocole d’un garçon et celui d’une fille), en contrepoint des protocoles qui s’écartent des variations de la normale et qui feront l’objet de la dernière partie de l’ouvrage, consacré à la clinique et la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent à l’épreuve du Rorschach. Il s’agira donc de présenter, pour chacun des temps du développement, les principaux enjeux cliniques au travers de la singularité de l’engagement des enfants et des adolescents dans l’épreuve. La découpe de ces différentes périodes de développement de l’enfant et de l’adolescent ne possède bien sûr qu’une valeur théorique, et n’épuise pas la nécessité de prendre en compte les différences interindividuelles dans l’approche clinique du sujet singulier. C’est au fond le sens de la référence à des repères pour une pratique de l’épreuve de Rorschach, repères que chaque praticien de l’épreuve est invité à s’approprier afin d’être en mesure d’habiter le dispositif de la passation et de l’interprétation de cet outil projectif dans le contexte de la relation clinique. Pour le Rorschach chez l’enfant, trois temps seront ici distingués, qui correspondent à trois moments singuliers et paradigmatiques du développement de l’enfant et, de fait, à des modalités différenciées dans l’appréhension de l’épreuve de Rorschach : le temps de la fin de la petite

218

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

enfance (de 2 à 4 ans), le temps œdipien (de 4 à 6 ans) et le temps de la période dite de latence (de 6 à 11 ans). Puis, pour le Rorschach de l’adolescent, deux temps principaux seront dégagés pour rendre compte de la période adolescente : le temps de la pré-adolescence, à considérer au sens du pubertaire dont P. Gutton (1991) a précisé la figure (12-15 ans), puis celui de l’adolescence à proprement parler (15-20 ans).

Le jeune enfant et l’expérience sensorielle

On l’a vu, la pratique du Rorschach peut être envisagée dès que l’enfant a un accès suffisant au langage, et à la fonction de communication de celui-ci. La dimension ludique de la proposition de l’épreuve apparaît au premier plan (Boekholt, 1996), et s’appuie, en particulier, sur une manipulation des planches, et sur une sollicitation du psychologue sur la nature et la qualité de cet objet étrange proposé à l’enfant. Il ne faut pas cependant considérer la pratique auprès de jeunes enfants au même titre que la pratique auprès d’enfants résolument inscrits dans des compétences représentationnelles avérées. Dans le même temps, on peut souligner l’intérêt de considérer les expressions des jeunes enfants face à l’épreuve de Rorschach comme témoins d’un temps singulier de la vie psychique et des processus qui y concourent... et de rapporter certaines expressions dissonantes d’enfants plus âgés au regard d’une forme de normativité, aux modalités de rencontre du jeune enfant avec l’épreuve. En tout état de cause, la pratique de l’épreuve projective auprès de jeunes enfants sera moins centrée sur les données formelles des cotations (de fait, bien souvent peu de réponses peuvent faire l’objet d’une cotation) que sur les mouvements qui sous-tendent les différentes formes expressives de l’enfant. ➤

L’inscription relationnelle de la passation Dans ce contexte, l’intervention du psychologue peut s’avérer tout à fait déterminante dans la production du jeune enfant. En effet, il apparaît que la pratique de l’épreuve de Rorschach auprès de jeunes enfants nécessite une modalité de soutien et/ou de sollicitation bien souvent particulièrement appuyée, dans la perspective de la mobilisation du processus projectif. Cette intervention du psychologue, qui quitte alors sa posture de retrait bienveillant pour investir une expresse sollicitation de l’enfant, modifie nécessairement

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

219

la situation de passation de l’épreuve et l’écarte de sa dimension de stricte situation standardisée. C’est néanmoins au prix de ces aménagements que l’épreuve pourra trouver sa pertinence dans l’approche clinique du fonctionnement psychique du jeune enfant, dans la mesure où la nécessité de mise en œuvre de ces aménagements concourt à l’analyse du matériel recueilli : il ne s’agit pas en effet de passer sous silence ces écarts au dispositif, mais de les intégrer à la démarche d’analyse clinique. On l’a vu dans le chapitre consacré à la méthodologie de l’épreuve, l’un des aménagements principaux concerne la pratique de l’enquête dans un après-coup de la passation : celle-ci est bien souvent rendue impossible du fait de la labilité des représentations chez le jeune enfant. Elle gagnera alors à être réalisée, a minima, dans le temps de la passation. De même, au regard de la fatigabilité de l’enfant et/ou de sa difficulté à maintenir une concentration suffisante au fil de l’épreuve, il s’avère que de nombreuses passations ne permettent pas de déboucher sur l’épreuve des choix : cet élément sera donc signifié comme manquant au regard du protocole habituel de la passation.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



La référence au factuel Il est tout à fait marquant que la fragilité de la différenciation entre monde interne et réalité externe se traduit, chez le jeune enfant, par des passages répétés entre le travail psychique mobilisé par la situation projective et ouverte par la consigne d’une part, et la prise en compte de la réalité de l’environnement qui entoure le jeune enfant d’autre part. Ces formes expressives renvoient à ce que M. Boekholt (1993) repère, dans la pratique du Scéno-test, au titre des procédés de jeu dits « hors-jeu » (et cotés HJ), procédés repris et développés dans nos propres travaux concernant la Mallette Projective Première Enfance (Roman, 2004, 2005, 2011, 2014) : ces procédés témoignent d’une forme d’échappée de la situation projective, l’enfant se trouvant sollicité et mobilisé par une autre source d’excitation. Cette source d’excitation est le plus souvent perceptive (auditive ou visuelle), mais elle peut, le cas échéant, être également proprioceptive (expression d’une sensation de faim ou de soif, de chaud ou de froid, désordre digestif...). Ces différentes formes expressives, si elles ne font pas l’objet d’une cotation formalisée à l’épreuve de Rorschach, seront utilement indiquées dans le compte-rendu de la passation lors de la rédaction du protocole de l’épreuve. Elles rendent compte en effet, tout à la fois des marques de rupture dans l’investissement de l’activité représentative du jeune enfant, mais également

220

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

des zones d’investissement privilégié du corps comme mode de traitement de la rencontre avec le matériel de l’épreuve de Rorschach. Henri (3 ans), à la planche II « Ça c’est... & ça c’est quoi ? (il montre le D2) peut-être... moi j’ai des cartes plus faciles... mes chaussures » (montre ses chaussures) ; et à la planche V « Dedans de Batman y a deux chauves-souris, on dirait c’est comme une chauve-souris peut-être » (il veut montrer ses chaussettes). Marine (4 ans et 1 mois), à la planche III « Ça c’est peut-être un nœud (D3) et ça ça peut être des garçons (D1)... je fais de la peinture moi ! » On constate que l’investissement de Henri ou de Marine dans la passation de l’épreuve tend à céder le pas à des préoccupations et/ou des références personnelles, en appui sur la mobilisation d’associations (ses propres cartes de jeu représentant des personnages de dessin animé, ses chaussures, ses chaussettes pour l’un, son activité de peinture pour l’autre...) qui tendent à désengager l’enfant de la situation projective et introduisent le clinicien dans l’intime de ses investissements affectifs. ➤

La mobilisation sensorielle Le jeune enfant se trouve mobilisé par la dimension sensorielle du matériel mis à disposition (les différentes couleurs, la texture...), mobilisation qui souvent vient déborder ses potentiels de symbolisation et, partant, l’élaboration d’une réponse à la consigne sous la forme d’une réponse organisée dans le langage (et au-delà susceptible de faire l’objet d’une cotation). De fait, dans son appréhension du monde et de la planche de l’épreuve de Rorschach, le jeune enfant (2 à 4 ans environ) privilégie une approche sensorielle, qui porte la trace d’une absence de mobilisation possible d’objets internes suffisamment stables. Parfois, cette référence au sensoriel tente de s’organiser a minima au travers d’une esquisse de contenu représentatif.

221

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

On peut le voir avec l’alternance, chez Martin (3 ans et 10 mois) entre deux types de verbalisation : – Planche I : ' « Peinture... ( ?) une autre peinture... ( ?)... une couleur de peinture » – Planche III : « Une couleur de peinture... ( ?) une autre peinture » L’oscillation entre les signifiants « couleur de peinture » d’une part et « peinture » d’autre part, donne à entendre le va-et-vient dans lequel Martin se trouve engagé, entre référence à la dimension sensorielle (il nomme la couleur, dans sa dimension générique, sans s’engager dans une identification précise de celle-ci) et référence à la dimension matérielle (avec la « peinture », on peut entendre tout à la fois la matière constituante de la couleur et la forme socialisée qu’elle va prendre en forme d’œuvre de production de type artistique). Cette approche sensorielle de la planche de Rorschach va prendre des formes plus ou moins élaborées, selon qu’une liaison peut s’opérer entre le mouvement affectif porté par l’appel sensoriel et un système de représentation autorisant la proposition d’une réponse. À cet égard, le protocole de Nora (2 ans et 5 mois), reproduit ci-dessous, témoigne, presque à l’extrême tant la production de réponses en tant que telles est limitée, du primat du sensoriel sur le représentatif. Protocole de Rorschach de Nora, 2 ans et 5 mois

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pl.

Temps

R

Passation

Enquête

Cotation

I

Marron et ça marron (retourne la planche)... marron... c’est sale... marron... c’est sale (montre).

II

Marron Dessin

III

Marron (E ?) Dessin

Cn

IV

Merci... marron... marron.

Cn

V

Marron (E : oiseau ?) non ! fini ?

Cn

Cn D1 D3

Cn

VI

1

Marron... oiseau...petit oiseau.

D3

D F+ A

VII

2

Merci, marron, oiseau... là (veut D1 revoir la planche VI) fini.

D F- A

222

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite) VIII

Marron... c’est ça marron.

Cn

IX

Marron... (montre D1+D3)

Cn

X

(rit) Marron, fini.

Cn

On notera, au regard de la pratique classique de l’épreuve de Rorschach, une certaine forme de pauvreté de la production projective. Il est toutefois intéressant d’appréhender la manière dont Nora se saisit de la situation relationnelle qui lui est proposée par la médiation des planches. Nora investit la passation comme un jeu, et si elle peine à pouvoir s’inscrire dans la consigne ouverte par le questionnement sur « ce que cela pourrait être ? », elle se montre néanmoins en mesure de s’approprier a minima, sur un mode d’après-coup qui ouvre sur une persévération, la proposition d’une représentation « oiseau ». On relèvera que, chez Nora, la référence itérative à la couleur « marron » peut interroger à deux titres : • d’une part au regard de l’adéquation de la référence à cette couleur avec

le contenu manifeste de la planche... mais à 2 ans et 5 mois, Nora a-t-elle à sa disposition le vocabulaire nécessaire pour qualifier plus précisément son approche sensorielle de la planche ? • d’autre part au regard de la réitération de la référence à la couleur « marron » au fil des planches : peut-on évoquer ici un effet de persévération, qui viendrait signifier l’impossibilité pour Nora de se départir d’un premier engramme perceptif pour un investissement différencié des planches en appui sur la spécificité de leur sollicitation ? ➤

Le recours à la motricité Une des formes de l’engagement du corps dans le cadre de la passation de l’épreuve de Rorschach par de jeunes enfants est particulièrement repérable au travers de l’investissement de la motricité. La motricité se trouve en effet spécifiquement mobilisée sur le matériel, témoignant, ainsi que l’ont bien mis en évidence P. Marty et M. Fain (1955) d’une forme d’expression dans la réalité externe d’une « motricité pulsionnelle ». Celle-ci vient pallier la capacité de l’enfant quant à une intériorisation de ces mouvements en forme d’élaboration d’une relation d’objet au sein de laquelle peuvent prendre place, sans danger, respectivement l’enfant et l’autre de la relation, ici le

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

223

psychologue. Ainsi peut-on penser de manière singulière la place de la motricité dans la passation de l’épreuve de Rorschach des jeunes enfants : • d’une part au travers de la participation motrice de l’enfant à la passation :

cette participation peut participer à ce que M. Boekholt (1993) nomme les procédés « hors-jeu » dans le cadre des épreuves de jeu (c’est-à-dire qu’elle signifie une manière de dégagement à l’égard du processus projectif), mais la motricité peut également contribuer à ce processus et, d’une certaine manière, soutenir le processus de production de la réponse et, partant, la mise en jeu des objets internes ; à cet égard, on sera particulièrement attentif à la fréquence et à la qualité des renversements de planche (cf. l’indice Mp proposé par P. Claudon, 20061 ) et/ou aux participations motrices de l’enfant qui accompagnent la production des réponses (mimes ou gestualité en lien avec la réponse) ; Rémy (3 ans et 9 mois), à la planche X « Un espace qui fait le tour de la terre » (fait tourner la planche sur elle-même), réponse cotée G F- Géo, Simon (3 ans et 9 mois), à la planche VII

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« Un toboggan &( regarde ce que je sais faire (fait tourner la planche sur elle-même) » (enquête : « regarde ! », Simon mime un mouvement de descente sur un toboggan), réponse cotée G F+ Obj. On peut considérer, tout autant pour Rémy que pour Simon, que le processus de mise en représentation est soutenu par une action portée sur la planche. Le recours à la motricité dans l’actuel de la situation projective, s’il traduit l’impossible investissement intériorisé du mouvement, n’en représente pas moins une voie, un frayage possible. On notera par ailleurs la prégnance que peut prendre l’appel énoncé par l’enfant au regard du clinicien sur son engagement moteur, appel que l’on peut comprendre comme une quête de soutien dans le regard maternel du clinicien, regard qui actualise un fond maternel, miroir unificateur des mouvements psychiques de l’enfant ; • d’autre part, au travers de la gestion des kinesthésies dans le processus

de production de la réponse, qui, comme nous l’avons vu, témoignent des potentiels de mobilisation des objets internes de l’enfant. En effet, 1. Rappelons que l’indice Mp (pour « mouvement des planches ») permet de repérer l’occurrence des renversements de planche opérés par l’enfant (cf. supra, p. 64).

224

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

si les kinesthésies avérées sont assez rares chez les jeunes enfants, elles se présentent dans des registres d’élaboration variés et rendent compte de la qualité de la construction de l’objet interne. L’évaluation de leur qualité sera bien sûr fonction du support représentatif à partir duquel elles se déploient : qualité de la discrimination du stimulus, qualité formelle de la réponse au regard de la découpe retenue. Rémy (3 ans et 9 mois), à la planche IX « Papillon encore » (enquête : « il vole, papillon de nuit », réponse cotée : G kan A > C’ ?) La kinesthésie animale intervient à l’enquête, en appui sur une représentation dont l’ancrage perceptif est peu précisé. Cette forme de kinesthésie peut être appréhendée comme un premier marquage d’un recours possible aux objets internes de l’enfant et à leur mise en jeu. Juliette (4 ans 6 mois), à la planche III « Ça peut être des gens... avec... qui préparent du feu ici c’est encore tout » (réponse cotée : G K H Ban). On peut mesurer l’écart entre ces deux expressions de la kinesthésie, sans doute imputable à une maturation psychoaffective dont pour une part peut témoigner l’âge de l’enfant : en effet, pour Juliette, la kinesthésie porte sur une découpe clairement identifiée/identifiable, et sur une représentation humaine qui, même si elle reste incertaine du fait de sa définition quelque peu vague (« des gens »), autorise une vectorisation de la pulsionnalité. Deux protocoles sont proposés comme témoignant de la production de jeunes enfants, en complément du protocole de Nora (2 ans 5 mois) : – celui de Simon (3 ans et 9 mois), – celui de Juliette (4 ans et 6 mois), à la limite supérieure de cette tranche d’âge des jeunes enfants.

225

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Protocole de Rorschach de Simon, 3 ans 9 mois Pl.

Temps

I

R

0:00:35

III

2

V Regarde c’est comme du là c’est du sang les deux là D C Sg sang, c’est du rouge (D2)

3

Ah oui c’est une lumière

et là une lumière

4

Un clown, c’est un papier de clown on dirait...ce qu’ils mettent ici (montre son cou).

juste papier de clown, là pied de clown, là c’est des oies D F+ Obj Ban (D1) non des autruches. (R.Add.: DF+ A)

5

Un loup, c’est comme un pied de loup (D oreilles), là ses jambes (D1) V Λ loup G F+ A (fait tourner la planche sur elle-même).

6

Un papillon

7

Non une chauve-souris non, une chauve-souris, G F+ A Ban (essaie de lire au dos) pieds, ailes, antennes.

8

Un oiseau (D3)

9

et... je sais pas ce que c’est je le dis pas (D1) un papillon?

10

Un toboggan, V Λ regarde regarde ! (fait un mouvece que je sais faire avec ment de descente) G F+ Obj. (Fait tourner la planche sur elle-même).

11

Un oiseau qui tire les oiseau (D3 et D4), c’est scarabées, c’est magique accroché là (Dax) Scara- Gz kan A regarde... bées (D8 + D2)

0:00:20

V

VI

0:00:15

0:00:25

VII

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

0:00:40

VIII 0:00:35 IX

0:00:45

X

0:00:30

Cotation

V Λ Je sais pas un monstre yeux de monstre (Dbl) nez Gbl F+ (H) et oreille de monstre...un monstre - souris. →G Conf

0:00:30

IV

Enquête

1 0:00:45

II

Passation

12

D CF Obj.

G F+ A Ban

il a plein de z’ailes

D F+ A D F- A

C’est des grabouillons, on dirait des grabouillons (retourne la planche) c’est magique, c’est rose maintenant tu as vu?

ah où c’est du caca on dirait (D6 + Dax) les fesses elles sont là (D1) et là c’est l’enfant (D3), non c’est les WC (D1) et là c’est Refus l’enfant (D3) il est un peu cassé l’enfant (fait des bruitages). (R.Add : Gz FC H)

Une épée

D8

D F+ Obj.

226

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite) 13

Des méchants (D9) qui tout ça (tous les D), ça vont attaquer l’épée c’est l’oiseau qui a peur des G K (H) méchants (D3) (R.Add : D F+ A) Durée totale de la passation : 00:05:30

Note : l’épreuve des choix n’a pas été possible à mettre en œuvre au regard de la difficulté d’un investissement de la passation dans la durée de la part de Simon.

Commentaires cliniques du protocole de Simon, 3 ans 9 mois

La production de Simon voit alterner appréhension sensorielle et motrice du matériel : l’engagement de la motricité, en direction du corps propre (planche III) ou sur le matériel, est mis au service de la production des réponses (planche VII). Ainsi, des réponses éminemment sensorielles (« regarde, c’est comme du sang, c’est du rouge » à la planche II) émergent d’une sensibilité exacerbée au rouge, mais peuvent être davantage contenues dans une approche formelle du stimulus (planche III : « un clown, c’est un papier de clown on dirait... ce qu’ils mettent ici » – il montre son cou), alors que les planches achromatiques et davantage compactes, autorisent l’expression de réponses formelles de bonne qualité (comme en témoignent en particulier les réponses à la planche V : « un papillon... non une chauve-souris »). Les kinesthésies trouvent une forme d’expression à partir de représentations imaginaires, référées comme telles (planche VIII : « un oiseau qui tire les scarabées, c’est magique regarde » et planche X : « des méchants qui vont attaquer à l’épée »). La proximité persécutoire est ici sensible, témoignant sans doute des restes schizo-paranoïdes ici remobilisés : la confrontation au stimulus, dans sa dimension peu organisée, rappelle l’histoire de la construction du lien à l’objet, et la fonction du clivage bon/mauvais comme organisateur de la polarité interne/externe. Ainsi, on peut considérer que, pour Simon, cette référence contribue à la constitution d’une limite entre monde interne et réalité externe. On notera par ailleurs la place qu’occupe la référence au regard du psychologue (« regarde », planches II, VII et VIII) comme garantie face au risque d’un envahissement dont on peut envisager les traces à l’enquête de la planche IX, planche qui avait vu l’expression d’un refus de la part de Simon (« c’est des grabouillons... »). L’enquête s’inscrit dans un registre ouvertement régressif, centré sur l’analité : la verbalisation donne à penser quant au risque désorganisateur de la pulsion anale, destructrice voire persécutrice.

227

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Protocole de Rorschach de Juliette, 4 ans et 6 mois Pl.

Temps

I

0:01:05

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

II

0:00:35

III

0:00:20

IV

0:00:30

V

VI

VII

0:00:55

0:00:25

0:00:30

R

Passation

Enquête

Cotation

1

C’est comme une crotte je trouve

G F- Frag —> FC’

2

C’est comme une chauvesouris

G F+ A Ban

3

Aussi ça peut-être comme un oiseau je me rappelle plus comment...

F+ A Ban

4

Comme un chien, non ! et aussi un papillon ça peut pas... je me rap- (R.Add.: GF+ A Ban) pelle plus

G F- A

(soupire, touche la planche) Ça se fait en peinture... c’est comme des monsieurs (2 D1)

et ça le soleil (D3) (R.Add.: D FC+ Elem) ils sont plutôt à l’envers, avec V une dinde (D3) D F+ H parce qu’il y a des petits yeux et un gros trou (R.Add.: D F- A)

6

Ça peut être des gens...avec qui préparent du feu ici, c’est encore tout.

avec un petit nœud là comme un papillon G K H Ban (R.Add.: D F+ Obj. Ban)

7

Ça c’est un monstre

8

Ça peut-être...ça peut être ça peut être un rat, des méchants c’est comme dans Mme B. parce qu’il veut tuer les gens

9

Un papillon (rit) attends! (prend la planche)

G F+ A Ban

10

Une souris...ça vole pas les...souris, c’est une chauve-souris

G kan A

11

Une fleur

G F- Bot

12

Et là il y a une petite étoile D1

D F- Symb

13

Des lapins...ils se y en a deux, y a un papa et tapent...ils ont des une maman, y en a un que G kan A grandes oreilles hein... 3 lapins, le bébé, un papa et une maman.

5

G F+ (H) il est très méchant, il veut tuer quelqu’un...les rats qui sont méchants ils ont G F- A une grosse corne pour tuer les souris...

228

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite) VIII

IX

X

0:00:40

0:00:20

0:00:30

14

Ça un petit rat

15

Ça un papillon et ça D3 encore un rat

16

Et ça une chauve-souris

17

Et ça encore un papillon, D5 il y en a deux papillons

18

V Ça un gros papillon

il est méchant un peu ce G F- A papillon (dans le « jeu »)

19

Avec des éléphants

D1

20

Euh... un monsieur qui parce qu’il met des crabes est très méchant, avec sur les gens. D F+ H des crabes bleus... et puis c’est tout, c’est tout maintenant.

D1

D4

D F+ A Ban D F+ A D F- A —> FC’ D F+ A

D F- A

Durée totale de la passation : 00:05:50 Pl+

Pl-

VII

Parce que c’est des lapins

IX

Parce qu’ils sont de toutes les couleurs

VIII I

Parce que aussi elles sont pleins de couleurs Parce qu’il y a des grandes ailes... le noir ça me plaît pas, bah.

Le protocole de réponses ouvre sur une forme de provocation anale, assumée en tant que telle (planche I : « c’est comme une crotte je trouve »). L’appel au clinicien fonctionne comme une quête d’étayage, dans un processus qui mobilise le travail de symbolisation... et l’absence qui fonde celui-ci (« je me rappelle plus... »). Les représentations humaines sont appelées dans une bonne qualité d’élaboration, portées a minima par des kinesthésies, avec une tentative d’identification sexuée à la planche II (« (...) c’est comme des monsieurs »), qui échoue partiellement à la planche III (« ça peut être des gens (...) »). Il est notable que ce mouvement en direction de l’identification sexuée prend appui sur une approche sensorielle de la planche (planche II : elle soupire, touche la planche... et se réfère à la qualité de la matière constitutive de la planche : «... ça se fait en peinture... »). Les planches pastel voient émerger des représentations prises dans une forme de répétition (persévération autour de la représentation du « papillon » ? cf. planche VIII et IX : trois représentations de papillons

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

229

sur six réponses...). On notera que les émergences persécutoires sont ici également présentes, elles se proposent comme matrice d’une organisation du monde, découpé en deux entités bien identifiées (planche IV, après une première réponse « monstre » : « ... ça peut être un rat, des méchants... », ou planche X : « un monsieur qui est très méchant... »). La dimension du jeu domine (Juliette peut expliciter cette dimension, comme à l’enquête de la planche IX : « il est méchant un peu ce papillon... »). Cette forme de clivage, fondateur du développement psychoaffectif de l’enfant, se présente ici sous la forme d’une trace non-désorganisatrice des avatars nécessaires du lien au premier objet maternel.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le temps œdipien et la conflictualité

Dans le temps que l’on nomme généralement comme le temps œdipien, l’enfant se trouve davantage mobilisé, face aux planches, par les contenus de sa vie imaginaire et par les conflits qui l’animent. Sans doute peut-on considérer que c’est dans cette période que culminent les marques d’un investissement du monde interne dans les différents registres de son déploiement. Les protocoles se présentent sur un mode plus floride, ils témoignent d’une richesse des représentations et de leur mise en relation, sans être exempts de formes de dérapages. Ceux-ci se traduisent parfois par l’expression de glissements et/ou de confusions liés d’une part à la prégnance de la vie imaginaire et de son débordement au regard de l’appréhension de la réalité, et d’autre part à la marque de la conflictualité œdipienne, qui met en jeu de manière exacerbée, et sur le mode de la collusion, l’expression du désir et l’empreinte de l’interdit. Ainsi nous aurons à envisager ici les deux registres privilégiés de l’investissement, dans ce temps du développement psychique, que sont d’une part le registre pré-œdipien, avec le dégagement de la problématique dépressive, et d’autre part le registre œdipien, avec la construction possible de la triangulation. En effet, l’accès à la conflictualité œdipienne ne pourra s’établir que pour autant que l’enfant aura été en mesure d’investir des stratégies efficientes face aux angoisses de séparation. C’est bien d’ailleurs dans la même intrication que seront considérées les expressions projectives dans le temps de l’adolescence.

230



Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

L’engagement relationnel dans la passation C’est bien souvent à partir d’une interrogation sur les origines des planches (cartes) de l’épreuve de Rorschach que s’engage la rencontre avec l’enfant dans cette période dite œdipienne. Comme cela a été évoqué précédemment, on peut considérer que cette interrogation sur les origines des planches a valeur de mise au travail des théories sexuelles infantiles et, plus particulièrement, des théories ayant trait à la scène primitive. Ces interrogations (ou simples remarques) prennent deux voies principales : – celle de la réalisation des planches (autour de la technique des taches d’encre et du plié/déplié), – celle de la consistance des planches, considérées en tant qu’objet à manipuler. On peut alors penser que cette entrée en matière dans l’épreuve, par la voie de la qualité actuelle et historique du matériel de l’épreuve, engage l’enfant dans une tentative de résolution de l’énigme des origines : l’épreuve de Rorschach propose, au fond, à l’enfant, de remettre au travail l’élaboration des théories sexuelles infantiles, en l’invitant à éprouver une situation nouvelle... et étrange, dans le jeu transférentiel engagé avec le (la) psychologue.



La construction des représentations et l’investissement de l’imaginaire La période œdipienne peut être définie comme une période charnière dans le maniement de l’imaginaire : en effet, c’est dans ce temps de la vie psychique que va s’établir, de manière plus ou moins stable, la différenciation entre le monde de la réalité externe et le monde de l’imaginaire. Ainsi l’enfant va-t-il pouvoir progressivement mettre au service sa production imaginaire pour donner sens au monde qui l’entoure. On le sait, dans la culture, c’est le sens et la fonction des contes de fées, qui viennent proposer des figurations aux angoisses et aux questionnements du jeune enfant : les fantasmes originaires (fantasmes de scène primitive, fantasme de séduction, fantasme de castration) vont y trouver une expression et des pistes d’élaboration. Au fond, on peut considérer que l’épreuve de Rorschach, dans sa proposition de mise en scène de l’imaginaire, va pouvoir occuper tout

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

231

spécialement cette fonction de mise en sens des angoisses liées à la période œdipienne1 . Il s’agira ainsi pour l’enfant d’être en mesure de se situer : • au regard de la question des origines et de la différenciation Moi/non-Moi,

dont on peut considérer qu’elle se trouve en particulier portée par la différence humain/non-humain... dans un temps où le recours à des représentations animales peut avoir fonction de substitution, signant ainsi une ambiguïté dans l’analyse du maniement des représentations animales par l’enfant ; • au regard de la différence des sexes, dont on a vu qu’elle est particulièrement mobilisée par la rencontre avec la planche III et VI d’une part (sollicitation à la bisexualité), et avec les planches IV et VII d’autre part (sollicitation masculine – paternelle et féminine – maternelle) : Yvan (6 ans et 4 mois), à la planche III « L. 0.25’... Deux dames, ils sont amoureux... parce qu’ils s’aiment bien » (enquête : parce qu’on dirait des cœurs (D3) et on dirait aussi des petits singes (D2) et tellement il y a des singes ils sont amoureux », réponse cotée G F+ H Ban). L’hésitation quant au genre des personnages, ainsi que la justification à la réponse apportée en référence à des représentations animales confirment la manière dont la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach met au travail la question de l’appartenance sexuée... sur fond d’une appartenance au genre humain ;

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• au regard de la différence des générations, non explicitement sollicitée par

le matériel de l’épreuve de Rorschach (les épreuves thématiques proposent une sollicitation davantage explicite à cet égard) mais qui peut prendre forme au décours de la présentation des planches : Susanna (6 ans et 4 mois), à la planche IV « Y a un gros... gros bonhomme et... et son fils (D axial)... et voilà » (réponse cotée G F+ H)

1. Il faut rappeler ici, inlassablement, que l’épreuve de Rorschach ne peut être tenue pour une épreuve isolée, et qu’elle s’inscrit dans une continuité, au sein d’un dispositif construit dans le cadre de l’examen psychologique et qui comprend lui-même plus d’une épreuve... (cf. supra, Avant-propos, p. XV et suivantes. Dans cette perspective, les épreuves thématiques (CAT, TAT...) sont bien sûr précieuses en ce qu’elles interrogent de manière plus spécifique les grands organisateurs de la conflictualité œdipienne.

232

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Gérard (6 ans), à la planche V « C’est une hirondelle, c’est une dame qui s’est déguisée... non ! c’est pas une hirondelle... c’est quoi ces bosses ? elle prépare les ailes, des oreilles, elle dit à la maman, après elle est faite, elle s’envole » (enquête : « les enfants se déguisent en hirondelle et attaquent la dame », réponse cotée G kan A > K H ?). Dans les deux cas, la référence à la génération est portée par le déploiement de l’imaginaire de l’enfant, le cas échéant (cf. Gérard), dans une forme d’échappée de l’imaginaire qui interroge la différenciation humain/nonhumain, dans le contexte d’un doute identitaire... et d’un appel au soutien maternel. ➤

La position dépressive infantile et la triangulation œdipienne L’un des enjeux principaux au plan du statut de l’objet dans ce temps de la vie psychique tient à la possible élaboration de la position dépressive, fondement de l’accès à la triangulation œdipienne : en effet, les travaux d’A. Green l’ont bien montré, la survivance des investissements de l’enfant sous le primat de la phase schizo-paranoïde obère la capacité de l’enfant à organiser la scène œdipienne dans une souplesse suffisante au plan de l’articulation de la double différenciation des sexes et des générations. A. Green (1973) nomme cet aménagement particulier de la triangulation œdipienne la bi-triangulation : celle-ci repose sur une partition qui ne s’appuie pas sur les critères de la différence des sexes mais sur le maintien d’un clivage entre bon et mauvais objet. Cette difficulté d’accès à l’ambivalence se lit au travers de certaines réponses qui peinent à investir la conflictualité masculin/féminin, au profit d’une partition des figurations. Les réponses de Aurélien (6 ans et 2 mois) à la planche III en témoignent : « Celle-là ça représente deux hommes qui se battent... et les lampes (D2)... enfin deux dames en face de l’autre » (enquête : « oui la radio, ils tirent, ils tirent, le nœud-papillon qui craque (D3), et ça c’est les lampes ou non, les dames elles se regardent », réponses cotées D K H Ban, puis D FObj > FC ?, et enfin D KAtt H Ban, R. Add : D F+ Obj Ban).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

233

Aurélien juxtapose deux types de représentation humaine : une représentation masculine dominée par la confrontation et la violence, une représentation féminine marquée par la passivité et le lien de regard. Par ailleurs, la question de la construction de la différence des sexes se présente bien souvent manifestée au travers de craquées verbales dans l’énoncé des réponses. La réponse de Gérard (6 ans), à la planche III en propose une illustration, à partir d’un contenu de représentation qui contourne la confrontation à la figure humaine : « Je sais pas... c’est des fées qui préparent du feu, il(s) met leurs bottes, il(s) s’habille(nt), il(s) se déguise(nt) en corbeau » (réponse cotée G K (H)/A). Cette réponse condense les enjeux du temps œdipien : on voit ici que le fond de différenciation ne se trouve pas suffisamment assuré (distinction humain/non-humain) pour permettre une claire prise de position à l’égard de la sollicitation bisexuelle de la planche (glissement de la référence à la fée, figure pseudo-humaine du féminin à une figure animale de corbeau, représentant du masculin). À cette ambiguïté, vient se surajouter la confusion (le doute ?) entre l’investissement du singulier et du pluriel... Deux protocoles sont proposés pour rendre compte et illustrer de la dynamique ouverte par le temps œdipien : – celui de Susanna, 6 ans et 4 mois, – celui de Brice, 6 ans et 4 mois.

234

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Protocole de Rorschach de Susanna, 6 ans et 4 mois Pl.

Temps

I

0:00:50

II

0:00:50

III

R

2

V Il y a des pieds (D2), y a du rouge, du noir,

D F- Hd

3

Moi je crois c’est un bonhomme qui se bagarre... voilà... (remet la planche) une femme ou un bonhomme.

4

Euh... (L:0:00:10) deux chiens qui se bagarrent pour un truc... pour une pomme,

D/G kan A

ou sinon ils font du peut-être c’est des filles sport (?) les deux (?) les deux femmes ou les deux chiens,

D/G K H

6

et y a un papillon.

D F+ A

7

Y a un gros... gros bon- Fils = Dax homme et... et son fils... et voilà.

G F+ H

Je me rappelle de ça... c’est ailes un... c’est un truc qui vole, il fait « co-co »et la nuit il se penche comme ça (agi)... il a des oreilles grandes comme ça, je me rappelle c’est quoi mais je sais plus comment ça s’appelle.

G F+ A

Un chat... qui est maigre Chat : trucs là (D3) ça ressemble à... ça ressemble à un chat

G F+ A

et un... poney

G F+ A

0:00:20 8

0:01:20

VI

0:00:30

Cotation

G F+ H

1

0:00:55

V

Enquête

V Λ En fait c’est pareil, grand nez (D1) c’est pareil...je crois... c’est un bonhomme qui a un nez qui est grand, un chapeau de policier et ses pieds sont à côté de l’autre et c’est pareil

5

IV

Passation

9

10

mains (dans D3) et il prend quelque chose comme ça... invisible (G- DD K H D2)

bouche du poney

235

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

(suite) 11 VII

0:00:40

VIII

0:00:45

Oh c’est dur... ça c’est en couleur et c’est dur... y a... deux moutons...

D F+ A Ban

13

un grand papillon (D7), ici le papillon

D F+ A

14

et y a une figure là, je sais D4 pas quoi qui a des grands cheveux.

D F- H

C’est...c’est un...ça res- D1 + D3 semble un... un... un... comment ça s’appelle... un..des... comme des serpents mais c’est des gros serpents et ils sont accrochés, ils sont pareils... avant on parlait de ça, qu’ils sont accrochés et qu’ils sont pareils.

DD F- A

12

15

IX

0:01:35

16 X

0:00:25

Y a... une fille qui est là c’est coupé (entre les D) transformée en cheval... y couettes et bouche d’un en a deux de fille qui est cheval. G Cont F- A/ H transformée en cheval et qui est coupée...

Ça c’est une squelette, un squelette qui est très maigre, son nez est bien droit il est bien gros.

Pattes (D1) pieds... (montre G un peu vague), G Conf? nez (D8), dedans son Anat corps.

F-

Durée totale de la passation : 00:08:10

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pl +

Pl -

VII

J’aime bien les filles et les chevals.

IV

J’aime bien des fils... des petits fils.

I

On dirait que c’est n’importe quoi.

IX

On dirait aussi c’est n’importe quoi, après je les aime tous.

Commentaires cliniques du protocole de Susanna, 6 ans et 4 mois

La passation de l’épreuve est marquée par la prégnance d’un doute dans l’énoncé des réponses, doute qui conduit le psychologue à solliciter de la part de l’enfant une précision (planche III). Les marques de ce doute (« je crois », « ça ressemble »...) témoignent d’un mouvement d’intériorisation possible, travail de symbolisation qui transparaît également au travers de la présence de deux kinesthésies humaines et d’une kinesthésie animale. L’alternance

236

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

des modes d’appréhension (G, D) manifeste une certaine souplesse dans le maniement du matériel, confirmé par la variation de la qualité formelle des réponses. Les contenus se répartissent entre représentations animales et humaines, et témoignent d’une mobilisation de la question identitaire et identificatoire : on peut s’arrêter, en particulier, sur la seconde réponse de la planche III (« ou sinon ils font du sport ( ?) les deux ( ?) les deux femmes ou les deux chiens »), sur la réponse de la planche IV (« y a un gros... gros bonhomme et son fils... et voilà »), et sur la réponse proposée à la planche VII (« y a... une fille qui est transformée en cheval... y en a deux de fille qui est transformée en cheval et qui est coupée »). Le va-et-vient entre représentations animale et humaine, masculine et féminine, singulier et pluriel (va-et-vient survalorisé par ailleurs comme nous le montre la verbalisation de Susanna à l’épreuve des choix)... à partir de représentations qui, par ailleurs, témoignent d’une qualité globalement satisfaisante, traduit sans doute la mobilisation de Susanna autour des théories sexuelles infantiles et de la construction des enjeux de la différence. La question identitaire se trouve également relayée au décours des réponses qui ont l’allure de réponses globales confabulées (planches III, VII et X), signant une difficulté (un malaise ?) dans la construction du stimulus et, partant, dans la construction de la représentation. Enfin, la réponse « squelette » de la planche X, qui succède à une réponse à la planche IX au sein de laquelle la question de la séparation se pose éminemment (« (...) comme des serpents mais c’est des gros serpents et ils sont accrochés, ils sont pareils (...) ») interroge l’élaboration de la position dépressive infantile, dans un contexte où la conflictualité oedipienne remet au travail la problématique de séparation. Protocole de Rorschach de Brice, 6 ans et 4 mois Pl.

Temps

R

Passation

Enquête

Cotation

I

0:00:35

1

(L: 0:00:10) (prend la planche) Une abeille

2

je croyais que c’était pas une abeille... avec pas des Je voulais dire un papillon petits trucs blancs... moi G F+ A Ban mais je me suis trompé je sais pas comment ça s’appelle.

G F+ A

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

237

(suite)

II

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

III

0:00:35

0:00:35

3

Ca pourrait être deux garçons qui se tapent qui sont avec du sang (?) G KC H les mains... et puis c’est je crois qu’ils se bagarrent. tout (range les planches obsessionnellement)

4

Ça ressemble à des femmes... des femmes... je voyais des nénés et puis deux femmes... (grimace) D F+ H Ban c’est tout. après je sais pas... deux femmes, ça ressemble

IV

0:00:25

5

À un... dinosaure

parce que ça a des grandes pattes (D1) et une grande queue (Dax) (?) méchante G F+ (A) bête elle a l’air fâchée avec ses trucs (D2).

V

0:00:15

6

À un... papillon.

ça ressemble beaucoup à un papillon (?) parce qu’il G F+ A Ban y a pas de trucs blancs.

VI

0:00:10

7

À un... chat.

ça a des pattes (D9), des G F+ A moustaches (dans D3)

VII

0:00:25

8

> (Retourne la planche) Λ à une pince.

il fait forcer et après G F+ Obj « tac ».

papillon...

VIII

0:00:40

9

Ça devient de plus en plus têtes, pattes (D1), mur dur,... à une... à des... souris, (ensemble des D4, D2 et G kan A Ban à des souris qui grimpent D5). sur les murs

IX

0:00:10

10

Un arbre

X

0: 00 : 20

11

Euh... des crabes... des crabes (D1+D8), arbre D kan A / Bot crabes qui tricotent un (D11). arbre.

terre (D6), le bois (Dax), les feuilles (D1) et les G FC Bot branches (D3)

Durée totale de la passation : 00:04:10 Pl +

Pl-

II

À la bagarre...parce que avec P.-A. on fait toujours le bosc (pour « boxe ») et moi je le fais tomber à chaque fois.

IV

J’aime bien les tyrannosaures.

III

Parce que j’aime pas les femmes, j’aime pas les filles...sauf Noémie quand je la vois j’ai les yeux au cœur (?) Femme c’est maman, j’aime pas maman parce qu’elle me tape tous le temps.

I

J’ai jamais vu cette bête j’en ai déjà vu une elle était moche.

238

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Commentaires cliniques du protocole de Brice, 6 ans et 4 mois

La passation de l’épreuve est dominée par l’expression d’une forme de malaise par Brice : malaise présent dès la planche I avec une remarque auto-critique concernant la première représentation, malaise perceptible dans les engagements moteurs de l’enfant (rangement des planches à la planche II, grimace à la planche III) et, enfin, malaise mentionné dans le vécu de difficulté face à l’épreuve (planche VIII : « ça devient de plus en plus dur »). La construction des représentations est dans l’ensemble satisfaisante, avec un nombre de réponse limité (environ une réponse par planche) et une grande majorité de réponses globales, de bonne qualité formelle voire participant des banalités dont on peut penser que leur investissement constitue, pour Brice, une forme de réassurance. On peut en effet penser que la rencontre de la couleur (et de la couleur rouge en particulier, cf. les manifestations de malaise évoquées ci-dessus) ouvre sur une excitation que Brice semble avoir du mal à contenir : on notera d’une part l’intervention du sang à la planche II à l’enquête, comme prolongement de la réponse : « ça pourrait être deux garçons qui se tapent les mains.. et puis c’est tout » au sein de laquelle la pulsion agressive avait pu être contenue, et d’autre part la référence, toujours à l’enquête, aux « nénés » des femmes qui constituent la représentation de la planche. L’isolement des représentations masculine (planche II) et féminine (planche III) permet certainement de garantir Brice contre l’excès des excitations, que l’on peut considérer comme étant propres au temps oedipien. Sans doute peut-on comprendre que dans sa dernière réponse, à la planche X (« euh... des crabes qui tricotent un arbre ») Brice tente de figurer, dans une formulation certes peu adéquate au plan de la réalité, la complexité des liens au sein desquels il se trouve engagé dans ce temps singulier de son développement. La latence et la déconflictualisation

Classiquement, on décrit la période de la latence comme un temps où les investissements pulsionnels se trouvent mis en retrait à partir de la résolution du conflit œdipien et de l’établissement d’aménagements qui, au plan économique, permettent de libérer l’énergie pulsionnelle au profit de destins liés à l’activité de pensée (intérêts sociaux et apprentissages scolaires)1 . 1. Les travaux de J.-Y. Chagnon (2009), inscrits dans le cadre du réseau international de recherche « Méthodes projectives et psychanalyse » apportent une précieuse contribution à la compréhension des enjeux actuels de la latence.

239

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Au plan de l’expression dans la situation projective, on peut mettre l’accent sur trois aspects principaux : – la qualité de la rencontre de l’enfant avec le (la) psychologue, – les enjeux du retrait de la conflictualité œdipienne, – et, enfin, la place de l’idéal. ➤

La rencontre de l’enfant en période de latence C’est bien souvent sur le mode d’une forme de toute-puissance, ou de certitude, en appui sur l’investissement intellectuel et la culture, que les enfants, dans cette période de la latence, se saisissent de la planche de l’épreuve de Rorschach. Cette toute-puissance peut, bien sûr, dans un processus de retournement en son contraire, emprunter l’expression de la toute-impuissance : Meriem (10 ans et 4mois), à la planche I « Un ... lapin... un lapin d’Halloween parce que vue la tête qu’il a » (enquête : « ses dents, les oreilles et ses yeux... ça fait penser à la citrouille d’Halloween ▹ ah ! je vois autre chose : Bambi, à la rivière, en train de sentir l’eau », réponse cotée Gbl F- A)

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les références culturelles et sociales (« Halloween », « Bambi ») semblent permettre à Meriem de tenir à distance les enjeux pulsionnels et de les contenir dans des figures suffisamment portées au plan de la culture. Clara (9 ans et 6 mois) « C’est des images comme ça ? # chose ? (...) ».

... en vrai c’est quelque

" ▹ " ! " # "

Par ailleurs, la sensibilité des enfants en période de latence à l’attente que le (la) psychologue peut avoir à leur égard, à partir de la présentation des planches, peut prendre une place centrale dans la rencontre. Cela se traduit, par exemple, par le souci de faire plaisir au psychologue en proposant la bonne réponse, ou bien par la projection, sur le clinicien, d’un savoir sur les réponses attendues : Oriane (10 ans), à l’issue de la planche VI « (...) Vous avez les réponses ? », puis à l’issue de la planche VII : « parce que vous vous savez pas ce qu’il y a ? ».

240

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

C’est ici la nécessité pour l’enfant de contrôler, au plan de l’activité intellectuelle, la production projective, qui organise le lien au psychologue... ➤

La mise en retrait de la conflictualité œdipienne Dans cette période, on peut voir se réduire l’expression des investissements libidinaux (qui restent néanmoins actifs de manière sous-jacente) selon deux voies principales : • La voie de l’investissement des opérations intellectuelles, qui se traduit,

dans les réponses proposées à l’épreuve de Rorschach, au travers d’un vocabulaire choisi, symbolique, riche et exposé comme tel, ou au travers de la recherche de l’adéquation la plus précise quant aux mots utilisés, ou, enfin, au travers de la manifestation d’intérêts intellectuels, signalant, au fond, la qualité de la résolution du conflit œdipien : Esther (8 ans et 1 mois), à la planche II « (...) et là on dirait que c’est des petits poissons, des petites soles comme on a pêché en Normandie et même on a pêché des araignées de mer » (réponse cotée Dd F- A) Jean (8 ans et 5 mois), à la planche X « (...) un crabe (D7)... les crabes, ça mange quoi ? » (réponse cotée D F+ A) Joy (9 ans), à la planche I1 « Des enfants... qui s’amusent... ils se tiennent par la main et ils dansent » (enquête : « parce que là il y a deux enfants et y a un petit enfant qui est au milieu... et ils se donnent la main », réponse cotée G K H) ; • La voie de l’inhibition, qui signe, quant à elle, une forme de malaise

et/ou d’échec dans la confrontation œdipienne, et qui se traduit par des protocoles de réponses rétractés (réponses descriptives, plaquées au stimulus) et d’une grande pauvreté fantasmatique (réponses que l’on pourrait qualifier de convenues, prises dans la banalité et le conformisme :

1. On peut trouver le protocole dans son intégralité comme illustration des protocoles en période de latence (cf. infra, p. 243).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

241

Joséphine (9 ans et 9 mois), aux planches I à V – Planche I : « Un loup, un renard, c’est tout » (enquête : « loup : museau, tête, renard : museau pointu et les deux oreilles et pareil la tête », réponses cotées G F+ A, puis G F+ A) – Planche II : « Je sais pas... je sais pas (! ?) je sais pas non plus » – Planche III : « Des filles c’est tout » (enquête : « deux filles, là y a des jambes, le corps et la tête... au milieu j’avais oublié on dirait deux crabes », réponse cotée D F+ H Ban, R. Add. D F+ A) – Planche IV : « L. 0.15’ !" Je sais pas » – Planche V : « Une chauve-souris... un papillon... et voilà » (enquête : « les ailes, et ça le corps », réponses cotées G F+ A Ban, puis à nouveau G F+ A Ban). Cette séquence de réponses montre la manière dont l’enfant se dégage de toute confrontation conflictuelle en proposant des réponses convenues, prises dans une forme de normativité sociale. L’évitement des planches II (avec sa sollicitation à la question de la castration) et de la planche IV (avec sa sollicitation phallique) témoigne, en contrepoint, du retrait de Joséphine à l’égard de la conflictualité œdipienne.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



La place de l’idéal et le risque de la dépression C’est sans doute dans cette période de latence que peuvent se trouver exacerbées les références à l’idéal, rejetons de la période phallique-narcissique qui trouvent, dans ce temps de calme pulsionnel, une opportunité pour se déployer. En contrepoint, se profile le risque dépressif, témoin de l’échec des engagements idéalisés, qui laisse l’enfant démuni face à des exigences internes vis-à-vis desquelles il ne se trouve pas en mesure de se soutenir. Les références à l’idéal se traduisent, la plupart du temps, au travers de contenus idéalisés, très chargés au plan narcissique, qui peuvent être illustrés : • pour les filles, du point de vue de la référence à des parures et des

décorations, signes de puissance ou de séduction (collier, couronne...) ; • pour les garçons, du point de vue de la référence à des personnages et/ou des attributs propres à conforter leurs ambitions narcissiques (géants, extra-terrestre, épée miraculeuse...).

242

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

L’expression des mouvements dépressifs prendra des formes diverses, sera souvent portée par des représentations affectées dans leur qualité/intégrité (effacement, vieillissement, perte de consistance, atteinte de l’enveloppe...) et se trouvera parfois intriquée au cœur des mouvements d’idéalisation. Christophe (7 ans), à la planche III « Une araignée... ça ressemble beaucoup à une araignée t’as vu ? là il y a les yeux là il y a les pattes... est-ce que c’est une araignée ? le corps est un peu effacé (...) c’est fait au feutre ? c’est du carton spécial » (réponse cotée G F- A). Là où l’on pourrait s’attendre à l’émergence d’une réponse humaine, Christophe propose une réponse animale, dont il se montre peu sûr ; sa tentative de trouver une réassurance auprès du psychologue ne se trouve pas en mesure de contenir un vécu dépressif, manifesté en particulier par la perte de la consistance de la représentation (« le corps est un peu effacé »). Caroline (9 ans et 4 mois), à la planche III également « Heu... deux dames qui se baissent pour prendre un sac et... elles ont la peau... elles ont des habits un peu déchirés, et voilà » (enquête : « pantalon et tee-shirt, là c’est déchiré vers le bas », réponse cotée G K H Ban). Sébastien (10 ans), toujours à la planche III, fait alterner, au travers de ses réponses, les marques de toute-puissance et de toute-impuissance : « L. 0.20’ ... Ça... ! " ! "... çà ça pourrait être un Alien que j’ai tué avec mon destroyeur de cellules... j’ai un jeu sur l’ordinateur où il y a des Aliens, moi je les explose... là on voit bien les deux yeux... le dos à demi découpé et les bras. on le voit bien... sinon c’est un Alien qui s’est fait bouffer par un chien, mais c’est impossible il l’aurait bouffé avant » (réponse cotée G F- (H)). La dimension dépressive, ici portée par la référence morbide à la destruction, se trouve contre-investie au travers de la référence à une position héroïque, portée successivement par Sébastien (« un Alien que j’ai tué ») puis par la figure de l’Alien elle-même (« il l’aurait bouffé avant »). La présentation des protocoles de Joy (9 ans) et de Manoël (10 ans et 10 mois) permettra de préciser les principaux enjeux du fonctionnement psychique et des expressions projectives à l’épreuve de Rorschach.

243

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Protocole de Rorschach de Joy, 9 ans Pl.

I

0:00:55

II

0:00:30

III

0:00:50

IV

V

VI

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Temps

R

1

0:00:35

IX

0:00:55

X

0:00:20

Des enfants... qui parce qu’il y a deux enfants s’amusent... ils se tiennent et y a un petit enfant GKH par la main et ils dansent qui est au milieu...ils se donnent la main

3

(L: 0:00:20) Là c’est un papillon

D F+ A Ban

4

Elles ressemblent à des flamants roses

D F- A

5

ou des dindes, c’est tout

6

(L: 0:00:20) Un les babouins ils sont tout babouin qui s’est déguisé petits et là ça me fait G F+ A/(H) en fantôme, c’est tout penser à des singes (Dsup.)

7

Une chauve-souris c’est deux petites antennes, tout deux grandes ailes et deux G F+ A Ban petites pattes.

8

Une étoile de mer accro- ça fait comme une étoile chée à un bâton, c’est tout (D1) et là ça fait une Gz F- A/Obj. forme de bâton, comme les indiens

9

> Λ (L:0:00:30) Des ils sont sur des rochers enfants... qui se parlent... qui se font un dialogue, c’est tout

0:00:40

VIII

Cotation

Des cochons qui dansent, leur... (D3), leurs pattes et D kan A c’est tout leur... leur trompe (D7) ! FC?

0:00:10

0:00:50

Enquête

2

0:00:55

VII

Passation

parce que les dindes elles ont des pieds comme D F- A ça (E : deux personnes ? Acquiesce sans un mot)

GKH

10

(prend la planche) Des ils montent sur des choses DD kan A —> caméléons qui s’est camou- et après ils se camouflent. FC? flé... c’est tout

11

(L:?) Je sais pas (V) G, ils ont les formes (E:?) ah oui... des... des des perroquets et ils res- G F- A —> FC? perroquets... c’est tout semblent à des perroquets

12

V Des animaux... des ani- araignée (D1) et d’autres D/G F+ A Ban maux... c’est tout. bêtes Durée totale de la passation : 00:06:40

244

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite) Pl.+

Pl. -

VII

Parce que moi j’aime bien dialoguer et les enfants ils font comme moi.

V

J’aime bien les petits cochons.

IV

Comme ça, j’aime pas les babouins ils se déguisent en monstre parce que ça me fait peur.

I V

Non ! Je déteste les chauves-souris.

Commentaires cliniques du protocole de Joy, 9 ans

Le protocole de Joy se présente sur un mode un peu restrictif au plan du nombre de réponses mais témoigne par ailleurs d’une grande vitalité dans la dynamique qui sous-tend la production. Cette dimension restrictive, que l’on pourrait rapprocher d’une forme d’inhibition, transparaît également à l’occasion de la sollicitation du psychologue à l’égard de la réponse humaine de banalité attendue à la planche III : la proposition d’une réponse « deux personnes » adressée à Joy ne reçoit qu’un assentiment modéré, que l’on peut comprendre comme s’inscrivant dans un vécu d’intrusion pour l’enfant. En effet, l’analyse de l’ensemble du protocole montre que Joy a soigneusement évité toute référence à des représentations humaines autre que des représentations d’enfants, non identifiés au plan de leur appartenance sexuée (planche I : « des enfants... qui s’amusent... ils se tiennent par la main et ils dansent », et planche VII : « des enfants... qui se parlent... qui se font un dialogue, c’est tout ». La proposition du psychologue, dans le cadre de ce que l’on nomme « l’enquête des limites », ne vient-elle ici fragiliser les aménagements défensifs de Joy (en forme de compromis), la contraignant à des modalités plus radicales de défense ? Au plan de la construction des réponses, dans l’ensemble les réponses sont construites de manière satisfaisante, dans une répartition attendue des réponses globales et des réponses de grand détail. On note l’absence de participation des déterminants sensoriels, peut-être discrètement mobilisés à la planche II (« des cochons qui dansent, c’est tout ») et, implicitement sans doute à la planche VIII (« des caméléons ») et IX avec la réponse « perroquet ». La présence de kinesthésies, animales et humaines, témoigne de la richesse d’une vie imaginaire qui peut être convoquée dans la rencontre avec les planches. Des éléments plus dysphoriques peuvent être relevés, qui viennent tempérer la tonalité du protocole. En effet, l’enquête, mais surtout

245

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

l’épreuve des choix, nous informent que la rencontre avec les planches IV (autour de la figure des « babouins ») et V (avec la représentation de la chauve-souris) s’avère mobilisatrice d’une forte angoisse... dont l’expression est retenue lors de la passation. Tout se passe comme si la confrontation aux figures archaïques et/ou phalliques venait mettre à mal la construction de représentations qui se présentent, par ailleurs de manière générale, sur un mode idéalisé. Protocole de Rorschach de Manoël, 10 ans et 10 mois Pl.

I

0:01:00

II

0:00:35

III

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Temps

R

1

0:00:30

V

0:00:25

VI

0:00:25

Enquête

Cotation

Des ombres... des... je sais on voit le reflet de quelque pas... on prend une ombre chose on la redessine, ou c’est une feuille puis dessus on G FC’ (H) essaie de la décalquer... on aurait dit deux femmes parce qu’il y a des ailes et deux mains

2

Ben deux amis qui se debout, ils jouent tapent dans la main et qui ensemble... deux jumeaux G K H jouent ensemble...

3

On aurait dit deux personnes qui dansent

4

Là on aurait dit un poste poste de musique au de musique avec des ins- milieu (D7) G K H Ban truments en haut (D2) et des personnes qui dansent du classique

5

Pour moi on aurait dit un pour moi ça ressemble pas monstre avec trois pieds à grand chose G F+ (H) et deux trucs sur les côtés, deux bras

6

On aurait dit une chauve- pattes, tête et ailes souris volante, qui vole c’est tout

0:00:35

IV

Passation

7

GKH

G kan A Ban

Celle-là on aurait dit la on aurait dit que c’est plat peau d’un animal étendue (animal mort) G F+ A dev par terre

246

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite) 8 VII

VIII

0:00:30

On aurait dit deux assises, elles se regardent femmes, noires, en train en face avec leur drôle G Katt H de coiffure et elles sont se parler... rien d’autre —> FC’ comme ça avec les coudes en arrière.

0:00:45

On aurait dit des per- qui coupent les buissons sonnes (D1) qui taillent un arbre pour faire une drôle de forme et en dessous de cet arbre il y a des personnes qui font un pique-nique (D2)

IX

0:00:40

X

0:00:35

9

G K Scène

10

On aurait dit... deux dra- grand cou, tête (D3) et gons qui se crachent du leurs corps (D1) feu là... et, en bas ça serait truc grand G K (H) —> FC ? comme une sorte d’arène (D6) où ils sont les deux dessus...

11

On aurait dit... deux... D1 deux insectes sur le côté

12

et au milieu on aurait dit parce qu’il y a plusieurs G FC A un papillon couleurs

13

et on aurait dit aussi que quand on le met sur le c’est un masque visage y a plein de couleurs Gbl FC Obj

D F+ A

Durée totale de la passation : 00:06:00 Pl+

Pl -

X

Parce qu’il y a beaucoup de couleurs pas vraiment réaliste.

IX

C’est un peu fou.

VI

J’aime pas les animaux qui meurent.

VIII

Quand ils coupent les feuilles c’est comme s’ils arrachaient des membres à l’arbre.

Commentaires cliniques du protocole de Manoël, 10 ans et 10 mois

La passation de l’épreuve de Rorschach s’ouvre sur une interrogation déguisée de Manoël quant à l’origine du matériel : sa première verbalisation tente d’en circonscrire l’étrangeté au travers de l’appréhension de la technique qui fonde la réalisation des planches. Le souci de comprendre, avec la dimension du contrôle qui y est attachée, est ici prégnant. Sur ce fond de quête de réassurance, la dimension du contrôle prendra une autre forme tout au long du protocole, dans la mesure de la précision des réponses proposées

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

247

par Manoël : précision du vocabulaire, précision des descriptions des représentations proposées et en particulier des représentations de relations. Elle se traduit également par le fait que l’ensemble des réponses proposées se présente comme des réponses globales (dont une réponse globale blanc). Les kinesthésies humaines, qui sous-tendent ces représentations de relations, sont effectivement particulièrement présentes dans ce protocole (6 pour un nombre total de réponses relativement modeste puisque limité à 13). D’une manière générale, ces kinesthésies se fondent sur des représentations de bonne qualité formelle et dans des découpes cohérentes du stimulus. On peut évoquer ici deux exemples de ces réponses, d’un bon niveau d’élaboration, et qui attestent d’un investissement des processus intellectuels comme on peut l’attendre dans la période de latence : • À la planche II : « Bon, deux amis qui se tapent dans la main et qui jouent

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ensemble » ; • À la planche III : « Là on aurait dit un poste de musique avec des instruments en haut et des personnes qui dansent du classique ». Les déterminants sensoriels sont appelés au travers de réponses couleur (FC’ et FC), parfois davantage implicites qu’explicités, qui témoignent, en contrepoint des mouvements de contrôle, d’un investissement du pôle affectif de la personnalité, potentiellement explosif (planche IX : « On aurait dit... deux dragons qui se crachent du feu là... et, en bas ça serait comme une sorte d’arène où ils sont les deux dessus... »). Dans ce contexte, les assises narcissiques-identitaires apparaissent stables, dans une bonne facture ; le retrait identificatoire (absence d’identification sexuée des personnages) protège sans doute Manoël d’une rencontre avec la sexualité génitale. On notera, enfin, que la réponse proposée à la planche VIII (« On aurait dit des personnes qui taillent un arbre pour faire une drôle de forme et en dessous de cet arbre il y a des personnes qui font un pique-nique ») procède d’un mouvement qui pourrait être identifié dans le registre narcissique-phallique, mais qui se trouve tempéré par la verbalisation de Manoël à l’épreuve des choix : « Quand ils coupent les feuilles c’est comme s’ils arrachaient des membres à l’arbre »).

248

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

La pré-adolescence et les premiers vacillements1

Les auteurs de référence, dans le champ psychanalytique, insistent sur le breakdown de l’adolescence (M. et E. Laufer, 1984), expression que l’on traduit habituellement par le terme de « rupture dans le développement » ou, comme le propose plus près de nous P. Gutton (1991), sur le « traumatisme pubertaire ». D’une manière ou d’une autre, il s’agit de rendre compte de la manière dont l’entrée dans l’adolescence représente une forme de séisme somato-psychique, bouleversement des repères de l’enfant en devenir d’adulte, initié par le surgissement de la puberté, qui introduit la nécessité d’un réaménagement des investissements dans le registre du sexuel et de la sexualité2 . Ainsi l’entrée dans l’adolescence, qui caractérise ce temps que l’on nomme pré-adolescence, mobilise-t-il de manière singulière le fonctionnement psychique du sujet dans la mesure où le pré-adolescent (puis l’adolescent) se trouve confronté à la nécessité de négocier de nouveaux aménagements dans son rapport avec lui-même et avec le monde environnant. De manière un peu schématique, on pourrait dire que le temps de la pré-adolescence serait davantage consacré aux réaménagements de soi à soi (enjeu identitaire), alors que le temps de l’adolescence à proprement parler serait tourné de manière privilégiée vers les réaménagements au sein des réseaux de relations (enjeu identificatoire). À ce titre, la partition de ce développement consacré à l’adolescence autour du repérage de deux temps distincts (pour P. Gutton, pubertaire dans un premier temps, adolescens dans un second) comporte une partie d’arbitraire, tant l’intrication des enjeux entre ces deux temps du développement psychoaffectif est étroite. Cette partition a ainsi davantage une fonction pédagogique, afin de permettre la présentation d’une délimitation de chacun de ces enjeux, dont on peut faire aisément l’hypothèse qu’ils traversent l’ensemble du continent de l’adolescence.

1. Pour une approche spécifique de la pratique de épreuves projectives à l’adolescence, le lecteur est renvoyé à l’ouvrage de M. Emmanuelli et C. Azoulay (2009), Pratique des épreuves projectives à l’adolescence, Paris, Dunod. 2. La problématique des violences sexuelles à l’adolescence constitue un observatoire privilégié de l’enjeu des remaniements du sexuel et de la sexualité à l’adolescence (Roman, 2012) ; une approche clinique et projective est proposée dans l’ouvrage cité.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

249

Rappelons en effet que dans le temps de l’adolescence (de son entrée jusqu’à sa résolution), le sujet est confronté à deux ordres d’expérience qui réinterrogent l’ensemble de ses repères1 : • Au plan identitaire, la transformation du corps mettant en jeu la définition

des limites du préadolescent ; • Au plan identificatoire, l’accès à une maturité corporelle engageant de nouvelles modalités de lien, à partir de la réactivation des fantasmes meurtriers et incestueux issus de la période œdipienne. On dit souvent que l’adolescence vient rejouer l’histoire infantile du sujet, en l’invitant (voire en le contraignant) à revisiter l’histoire de son fonctionnement psychique. Dans le temps de la pré-adolescence, il semble que l’on puisse dégager trois aspects majeurs des réaménagements engagés :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– celui de l’identité, – celui de l’image du corps et de la construction d’une identité sexuée, – celui du maniement de la problématique activité/passivité. C’est autour de ces trois aspects que seront abordées les traductions projectives du travail psychique à la pré-adolescence. On peut signaler au préalable que les protocoles des pré-adolescents sont parfois assez pauvres en termes quantitatif (faible nombre de réponses) et qualitatif (qualité de la verbalisation). L’inhibition domine alors la production projective : on peut soutenir l’hypothèse que la proposition de l’épreuve de Rorschach viendrait actualiser le vécu traumatique pubertaire et, en quelque sorte, déborder les potentiels de symbolisation du pré-adolescent. Signalons également le caractère séducteur–traumatique que peut revêtir la proposition, par un adulte, d’une tâche qui s’impose à l’adolescent. D’une certaine manière, la sollicitation de l’adolescent à partir de l’épreuve de Rorschach le place dans la même position de passivité que la survenue pubertaire, passivité à l’égard de laquelle il ne trouvera pas nécessairement les ressources pour la supporter, ou pour s’en dégager de manière créative. ➤

Les remaniements identitaires Les remaniements identitaires rendus nécessaires par l’irruption pubertaire peuvent mobiliser le pré-adolescent dans une forme de doute, qui porte tout 1. N. Rausch de Traubenberg (1993) propose une approche précieuse de la « clinique du normal à l’adolescence à laquelle on peut utilement se référer.

250

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

à la fois sur les enjeux de séparation–différenciation et sur la construction de l’identité sexuée. Ce doute peut s’exprimer de différentes manières : • À l’égard du choix et de l’explicitation d’une découpe, support de la

production de la réponse, et, au-delà, de la construction des limites qui procèdent de la construction des enveloppes ; la sensibilité aux zones intermaculaires des planches (II, VII et IX en particulier), et à leur impact sur le versant de la perte de la continuité, en constitue une des formes les plus repérables (manifestée en forme de refus et/ou de mise à mal de l’intégrité des représentations) : Flora (13 ans et 1 mois), à la planche VII « Une peau de souris et voilà » (enquête : « pour la couleur et tout à l’heure j’ai vu la même chose mais avec la tête, on enlève la tête... », réponse cotée G C’F Adev). La saisie globale du stimulus, à partir d’un déterminant sensoriel introduisant un caractère dysphorique à la réponse, est marquée par l’impact de la grande lacune centrale de la planche qui altère l’intégrité de la représentation. La référence à une précédente réponse (planche IV : « une souris, un hamster mort », outre qu’elle donne à penser du point de vue d’une persévération portant sur le contenu de représentation « souris », vient témoigner de l’investissement par Flora de la dialectique plein/creux et de ses enjeux au plan de la continuité représentative ; • À l’égard de l’affectation d’une représentation dans la rencontre avec

le stimulus de l’épreuve de Rorschach : cet aspect est particulièrement sensible, et identifiable, lorsque les réponses proposées s’inscrivent dans la même découpe du stimulus et, le plus souvent, en appui sur le même déterminant : Laurent (12 ans et 6 mois), aux planches I, II et III – Planche I : « Un lapin... ( ?) ben un chat » (enquête : « lapin, les dents, les oreilles, les petites moustaches et les yeux (Ddbl), chat, le nez, les oreilles, les yeux (Ddbl) et là ses petites... », réponses cotées toutes les deux Gbl F- A) ; – Planche II : « Ah oui ! un chat... un chien et puis c’est tout » (enquête : « chat, la langue (D3), les poils là (D1), les yeux (D2) le nez (Dbl), chien, langue, yeux, nez », réponses cotées toutes les deux Gbl F+ A) ;

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

251

– Planche III : « Un taureau... ou une vache... je vois pas d’autre... » (enquête : « les cornes (D2), deux yeux et le nez (D7), vache, sans les cornes, plutôt la tête », réponses cotées G F- A, puis (G) F- A). Il est intéressant de noter qu’après avoir exprimé un doute sur l’espèce animale de référence aux planches I et II, l’incertitude s’exprime à la planche III au plan du genre : Laurent propose alors une figuration de la castration en ayant recours à un mode d’appréhension de la tache sur le mode de la réponse globale amputée. En filigrane, on peut entendre que la question des remaniements identitaires mobilise de manière sensible les enjeux dépressifs chez le pré-adolescent : si ces enjeux sont globalement assez peu explicites au plan de l’émergence de l’affect dépressif, on sait bien qu’ils sont présents tant au décours des pratiques addictives que des conduites à risque de l’adolescence. Au plan des productions projectives, c’est bien souvent au travers des réponses de non-séparation qu’apparaît cette dimension (réponses collées, siamoises...), réponses qui témoignent de la prégnance de défenses anaclitiques.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



L’image du corps La remise en question des contours de l’enveloppe corporelle vient interroger tout spécialement le rapport entretenu par les pré-adolescents avec la symétrie. Rappelons ici la proposition de N. Rausch de Traubenberg (1994) selon laquelle l’épreuve de Rorschach « teste une image du corps intégrée ». Dans ce contexte, deux aspects principaux pourront être mis au travail qui, chacun à leur manière, contribuent à spécifier les modalités de construction de l’image du corps (unification et intégrité de l’image du corps) et de ses prolongements relationnels : • Le maniement de la symétrie dans la double polarité que représentent

la possibilité de construction de réponses unitaires d’une part et l’engagement d’un jeu avec le caractère bilatéral des planches d’autre part ; l’attention portera tout à la fois sur la qualité des découpes retenues par le pré-adolescent et sur sa capacité à instaurer une dynamique à partir de la symétrie (redoublement des réponses, réponses reflets et miroirs, réponses kinesthésiques et de relations...) : Valérie (13 ans et 6 mois), à la planche VII « Euh... euh... deux filles, deux jumelles, qui sont sculptées sur une pierre, sur une balance » (enquête : « la pierre, ça fait une balance, et là les

252

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

jumelles elles sont identiques, sauf elles sont face à face », réponse cotée G F+ H/Art). L’appui sur la bilatéralité de la planche permet de construire une figure de double, soutien d’une image du corps intégrée... qui échoue à se trouver habitée libidinalement. Cet échec se trouve comme redoublé à la planche VIII, où la couleur (et/ou l’aspect plus compact de la planche ?) semble avoir un effet désorganisateur dans le projet de la construction de l’image du corps : « on dirait un squelette... euh... et on dirait qu’il a des pinces comme des crabes et puis on dirait aussi de chaque côté il y a un rat qui monte de la terre jusqu’à la racine d’un arbre » ; enquête : « là on dirait la colonne vertébrale (D axial), avec les côtes, je sais pas... non deux rats parce qu’il y en a un de chaque côté », réponse cotée G kan A/Anat). On notera, outre la référence au squelette qui signe une atteinte de la qualité de l’enveloppe corporelle, la coexistence de représentations anatomique et animale sans articulation très précise... et dans une tonalité a minima persécutoire (destruction de l’intégrité ?). Sarah (14 ans), paraît davantage en mesure de prendre appui sur la bilatéralité de la planche VII, avec un jeu entre appréhension de la forme et du fond de la planche : « ! (fait le tour du blanc avec son doigt) Un champignon (Dbl)... " une bouteille (Dbl)... avec deux dames, une là et une là, elles se regardent » (enquête : « les cheveux, le visage, deux mains, la jupe », réponses cotées Dbl F+ Bot, puis Dbl F+ Obj, puis G KAtt H). Il est intéressant de constater d’une part la manière dont Sarah se trouve en mesure de soutenir la structuration d’une représentation humaine féminine intègre à partir de la saisie du fond de la planche (réponses dans le détail blanc) et d’autre part le maintien de l’ambiguïté quant à la dimension unificatrice du miroir (réponse miroir ou réponse de relation ?) dans la mesure où la description de la représentation humaine, à l’enquête, est réalisée au singulier et porte sur une seule moitié de la planche ; • La prise en compte de la qualité de la construction de l’enveloppe, avec la

prise en compte de la place occupée par les réponses « peaux »1 (C .Chabert, 1989) et, de manière plus large, la répartition des réponses selon la

1. Les réponses « peaux » désignent, selon C. Chabert, des réponses qui mettent l’accent sur les enveloppes : vêtements, enveloppes corporelles, fourrures... elles recouvrent pour une part les réponses cotées « Barrière » par S. Fisher et S.E. Cleveland.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

253

cotation Barrière et Pénétration, qui signale les marques de continuité et de discontinuité de l’enveloppe, et les modalités de l’atteinte de celle-ci. ➤

La dynamique activité/passivité La dynamique activité/passivité, dont on connaît l’acuité dans le temps de l’adolescence au regard de la charge traumatique des transformations corporelles (cf. le vécu de l’adolescent d’être agi dans ces transformations, qu’il ne peut que subir passivement) peut être appréhendée à partir de la manière dont le sujet se saisit de la rencontre avec la planche et de l’impact de celle-ci dans la construction des liens entre les représentations : • On l’a dit, la proposition de l’épreuve projective de Rorschach peut être

vécue comme redoublement traumatique au regard de l’expérience de la puberté. Des manifestations explicites d’un vécu de type persécutoire peuvent être observées dans l’établissement de la relation avec le psychologue : Flora (13 ans et 1 mois), à l’issue de la planche IV « Ça sert à quoi sans indiscrétion ? ». On entend, sous couvert d’une formation réactionnelle, le vécu dysphorique attaché à la passation de l’épreuve de Rorschach. Mounir (14 ans), à la planche VII

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« ! " Encore pire... je sais vraiment pas c’est quoi ça ». Richard (14 ans et 8 mois), déjà évoqué pour la verbalisation qui émerge à la présentation de la première planche : « C’est pas obligé que ce soit sur la sexualité ? » (référence au contexte d’expertise judiciaire de la passation et à l’infraction à caractère sexuel pour laquelle il est mis en examen). • Le maniement des kinesthésies, et en particulier l’expression de kinesthé-

sies interprétatives, signe un vécu péjoratif de la situation de passivité, et, parfois corrélativement, un mouvement de reprise active au travers de la verbalisation : Aurélie (13 ans et 10 mois), à planche IV « Euh... là on voit enfin je vois plutôt une personne qui se met dans un brouillard comme si elle avait peur de quelque chose (...) » (enquête :

254

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

« beaucoup de noir, là une personne, tout malheureuse (D axial) et là c’est le brouillard... qui s’enfonce dans le brouillard comme si elle avait peur de quelque chose ». Le vécu persécutoire, porté par une figure humaine, est massif, et ne peut ouvrir sur une voie de dégagement pour la jeune fille. Eric (14 ans et 11 mois), à la planche VI « L.0.10’... Un serpent qui s’est fait écraser (il rit) là il y le trait du serpent (D axial) et là il s’est fait écraser (D1) » (enquête : « là il y a la roue qui est passée (D1) et là aussi (D3) et ça fait... (bruitage), et là le trait, droit... », réponse cotée G F- Adev). Ici, on assiste à un déplacement du mouvement persécutoire sur une représentation animale (ici le serpent, dont le symbolisme phallique ne peut échapper...) et à une tentative de reprise que l’on pourrait qualifier de maniaque au travers du rire (à la passation) et des bruitages (à l’enquête). La présentation des protocoles de Amel (12 ans et 9 mois) et de Vivien (13 ans et 2 mois) permet d’illustrer les mouvements qui affectent la production projective à l’épreuve de Rorschach dans le temps de la pré-adolescence, en précisant d’emblée que ces protocoles se démarquent quelque peu, au plan quantitatif, des protocoles souvent restrictifs dans ce temps du développement psycho-affectif. Protocole de Rorschach de Amel, 12 ans et 9 mois Pl.

Temps

I

0:00:40

II

0:00:35

R

Passation

Enquête

Cotation

1

Un papillon (prend la ... ben les ailes (D) j’ai planche) si... un papillon pensé que les ailes les G F+ A ban antennes (D central)

2

ou un scorpion voilà

GF- A

3

ou une libellule aussi tu peux mettre...je vais toutes les faire ? cool !

G F- A

4

V du sang...

oui le machin rouge là (D2 D C Sang + D3)

255

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

(suite)

III

0:00:35

IV

0:01:05

V

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

VI

5

avec une chauve-souris D1 y restait que ça, j’ai dit (rit)...une chauve-souris à tous les trucs avec des ailes, Gz FC A dev sang c’est quoi au fait une chauve-souris plein de sang

6

Je sais pas c’est quoi...V un crapaud...ah oui ! Ca a l’air d’un crapaud...vous allez faire montrer ça au juge ? c’est pas méchant ce que vous écrivez ?

7

Oh ! géant... un ogre en je le voyais de loin fait si vous préférez...

8

un loup aussi... il res- l’impression d’être en bas semble au loup de Blanche et lui en haut avec ses Neige... non du Chape- pattes à loup ron Rouge... ou aussi de GF+ A Blanche Neige... vous êtes gaucher... vous vivrez plus longtemps ...

9

Je peux redire les mêmes ? elle a la forme et elle a la Ça ressemble aussi à une vision... on a l’impression G F A Ban chauve-souris encore... que c’est une vraie j’en ai déjà vu une

10

Y a de drôles de choses hein ? attends ! ça me rappelle des choses... un léopard...

11

non un âne...on dirait un âne couché (Dax) bouche G F- A âne affalé... comment on et poils dit quand il est couché?

12

Des chats en train de se D2, on dirait aussi des perdisputer... sonnes... non? Des chats G kan A avec une pierre en train de se disputer

13

Ah! Ah! Ça me rappelle le dedans... ça, la colonne G F- Adev la dissection d’une gre- vertébrale... ça, les boyaux —> FC? nouille

14

et y a des rats autour... c’est vrai on en a disséqué une...

0:00:35

0:00:45

VII

0:00:15

VIII

0:00:40

la forme (D) j’ai dit quoi encore avec du sang ? (E : deux personnes?) oui, je viens de m’en rendre G F- A compte mais on dirait aussi des crapauds avec leurs têtes (R.Add : D F- A) GF+ (H)

là ça me fait rappeler (D6)...j’avais l’impre G F- A ssion d’avoir pensé aux Pokemon...

D F+ A Ban

256

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite) IX

X

15

(prend la planche) une D5 colonne vertébrale de colonne vertébrale... y a quelqu’un D F+ Anat une colonne vertébrale

16

un nez

Ddbl

17

et des bestioles autour

bestioles mais je vois pas quoi... D3 petites fourmis, D F- A D1 éléphants, D6 cochons

18

Alors une araignée...non D1 deux araignées

D F+ A ban

19

y a deux crabes avec

D7

D F+ A

20

y a des fils de poissons

D2

D F- A

21

Une paire de lunettes

D6

D F+ Obj

22

Ça je sais pas c’est quoi? D9 Ce machin rose... pince D4 et un fil, deux fils électriques... c’est vrai on dirait une pince!

D F+ Obj

0:00:40

0:00:40

Ddbl F- Hd

Durée totale de la passation : 00:06:30 Pl +

Pl-

J’hésite entre deux. VII

C’est tombé entre Amstramgram J’aime bien les chats.

VI

Celle-là j’aime bien les léopards.

IX

Parce que c’est tombé sur Amstramgram y a pas de formes.

II

Celle-là aussi elle a pas beaucoup de formes.

Commentaires cliniques du protocole de Amel, 12 ans et 9 mois

Le protocole de Rorschach de Amel comporte un bon nombre de réponses, et il témoigne d’une dynamique psychique qui se trouve mise en scène dans le cours même de la passation. Amel donne à entendre des éléments de son dialogue intérieur (planche I : « un papillon... si un papillon », la confirmation, spontanée, de la réponse impliquant l’émergence d’un doute, non verbalisé) et d’une interpellation du psychologue : • sur la situation projective avec l’interrogation et l’exclamation de la

planche I : « je vais les faire toutes ? cool ! » ;

257

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

• sur le contexte de la passation de l’épreuve, avec la référence au cadre

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

judiciaire dans lequel se déroule l’examen psychologique au sein duquel est incluse la proposition de l’épreuve de Rorschach à l’occasion de la planche III : « vous allez faire montrer ça au juge ? c’est pas méchant ce que vous écrivez ? » ; • sur sa propre production à la planche V : « je peux redire les mêmes ? ». En filigrane, se donne entendre une quête de lien et de protection (planche IV « (...) vous êtes gaucher, vous vivrez plus longtemps... », ainsi qu’un besoin de réassurance, face à une situation qui semble atteindre les repères identitaires de Amel : on notera les nombreuses références à des contenus animaux plutôt dysphoriques (planche II : « (...) chauve-souris à sang » ; planche VIII : « (...) dissection d’une grenouille » ; planche IX : « colonne vertébrale »...). Si les contours de l’image du corps apparaissent comme relativement flous, voire attaqués, on constate que les points d’appui identitaire et identificatoire que représentent les figures humaines sont absentes du protocole (si ce n’est le « géant, ogre si vous préférez... » de la planche IV) : les réponses proposées sont essentiellement des réponses animales, qui se présentent, constitutionnellement (papillon, libellule) ou conjoncturellement (chauve-souris, grenouille, rat...) dans une fragilité voire une atteinte de leur intégrité. Dans ce contexte où la continuité de l’enveloppe est mise en scène dans la passation de l’épreuve, le déploiement identificatoire se trouve empêché au sens où il apparaît d’une certaine manière comme anachronique. Au plan de l’expression des affects, c’est essentiellement un vécu d’étrangeté, voire d’impuissance (cf. les différentes marques qui témoignent de l’impuissance d’Amel à proposer la bonne réponse, à investir le bon mot...), comme si elle pouvait se vivre comme étant débordée (dépassée) par la situation projective. Protocole de Rorschach de Vivien, 13 ans et 2 mois Pl.

Temps

R 1

I

0:01:05 2

Passation

Enquête

Je dirais une sorte de deux ailes, papillon...(?) (soupire)... symétrique ç’aurait pu... vu la forme, déjà c’est symétrique

Cotation c’est G F+ A Ban

ça pouvait être la carte les mers (Ddbl), les des pays avec les étendues contours, petites îles Gbl F+ Geo d’eau, les côtes (Dde)

258

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)

II

3

ou encore un animal, buste d’un animal (girafe) D F+ A l’oreille, le museau

4

deux yeux (D2), un nez, un visage une bouche, sinon je vois pas

0:01:40 5

6

Là on dirait la forme d’un insecte, là le centre (Dbl) une mouche, des ailes, une bestiole avec des ailes... ou alors je dirais une personne qui se regarde dans le miroir, le corps, la tête, il serait assis sur quelque chose et c’est son reflet dans le miroir...en tout cas deux personnes identiques

Gbl F+ Hd Dbl F+ A

Gbl F+ —> Katt III

IV

V

VI

7

(L: 0:00:30) J’aurais dit sorte de sourire (Bas Dbl) une sorte de visage, deux G F- Hd yeux (D3)

8

ou encore un col avec un nœud-papillon

D/Dbl F+ Obj Ban

9

ou encore deux personnes

D F+ H Ban

10

C’aurait pu être une sorte visage, pieds, jambes, bras G F+ H de personnage

11

ou alors deux bottes accrochées sur une sorte de pilier... c’est tout

0:00:55

0:00:50

H

D/G F+ Obj

12

Un insecte avec des (? E) je sais pas vraiment antennes, des ailes... je G F+ A Ban vois rien d’autre

13

Un bateau vu de face, le drapeau (D2) pont, les voiles (Dax), le bâtiment ce serait soit un bâtiment de guerre, soit un bâtiment de commerce, un cargo ou encore un porte-avion

G F+ Obj

sinon deux quais dans une vue en coupe gare, c’est tout ce que je vois

G F- Arch

0:00:30

0:01:00

14

259

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

(suite) 14 VII

0:01:25 15

16

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

VIII

0:01:00

X

0:00:25

Gbl F+ H

Ou alors une sorte de moule...un moule pour faire fondre un... je vois pas vraiment, une sorte de coque

Dbl F- Obj

Je dirais pour les per- verres (D4) comme le... sonnages ce serait plutôt deux bretonnes avec un chapeau ou encore des lunettes de soleil

G F- Obj

17

Une coque de navire vu de face, assez bas, rond, viking, je dirais plutôt que pas large G F- Obj ce serait un navire de combat vu qu’il est assez profilé

18

Ou alors sinon une sorte je pense de feu d’artifice réflexion

19

ou encore deux pompiers aspergeant je sais pas quoi, une sorte de mât, des ombres plus précisément de pompier... c’est tout

20

(L: 0:00:10) (soupire) le moule d’un trophée Ici on aurait dit un trophée (Dbl)... sinon je vois pas ce que ça pourrait être

0:01:25

IX

Le reflet de quelqu’un dans le miroir... deux personnes identiques c’est tout ce que je vois.

pas,

après G F- Frag —>kex ? FC ?

ombre (D1), jet d’eau (D4) (E : Deux animaux ?) soit deux singes, G K H soit une sorte de léopard

Dbl F+ Obj

21

Un feu d’artifice (D1)

D kex Frag —>FC ?

22

Ou encore une tour (D8 + D9)

23

Ou une fusée (D8) c’est ou encore une tour de château mystérieux avec yeux tout ce que je vois et bouche (Dans Ddblk D F+ Obj central) (R.Add : D/Ddbl FArch)

DD F+ Arch

Durée totale de la passation : 00:10:15 Pl +

hésite entre VI, VIII, IV VIII

Pl-

IX

J’ai toujours aimé les vikings, bateau et contes (IV = botte de 7 lieues) Elle n’a pas vraiment de sens.

260

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Commentaires cliniques du protocole de Vivien, 13 ans et 2 mois

Le protocole de Vivien semble être construit autour de deux thématiques principales : celle de l’interrogation sous-tendant les remaniements identitaires initiés par la puberté avec les réponses miroir d’une part (planches II et VII), et celle du voyage d’autre part (planches I, VI, VII, VIII voire X). Le fil projectif se déploie le long de ces deux objets d’investissement, traçant métaphoriquement ce qui pourrait être le projet de l’adolescence : un voyage au cœur de l’expérience du miroir... La dimension du redoublement des réponses (planches II, III, IV, VI, VII, VIII), y compris, comme on peut le constater, aux planches le plus unitaires de l’épreuve au-delà des deux réponses miroir, met l’accent sur le risque que représente l’expérience pubertaire pour l’identité de Vivien. On pourrait alors comprendre que son accrochage à la symétrie des planches, à partir desquels les réponses redoublées peuvent s’arrimer, a une fonction de substitution à un arrimage interne, dont il cherche peut-être une figuration au travers des représentations de bateaux qui se succèdent sur le mode de la persévération et qui sont présentées comme massives, voire menaçantes (planches VI et VIII)... On peut entendre en filigrane de quelle manière Vivien convoque ces représentations comme support pour la construction d’une image du corps intégrée. Les modes d’appréhension des réponses (24 réponses) oscillent entre réponse globale (dont réponses globale blanc) et réponses de grand détail (dont détail blanc) et ouvrent sur l’expression de représentations dont la qualité formelle n’est pas toujours avérée (planche VI : « (...) sinon deux quais dans une gare (...) » ; planche VII : « (...) ou alors une sorte de moule... un moule pour faire fondre un... je vois pas vraiment, une sorte de coque »...). La dynamique pulsionnelle est investie d’une part dans le registre de la passivité (peu de kinesthésies humaines, puisque deux au total dont une kinesthésie d’attitude à la planche II « une personne qui se regarde dans le miroir...(...) » et d’autre part dans l’activité, sur un mode quasi-maniaque, dans la rencontre avec les planches pastel, signant une forme d’échec des fonctions de pare-excitations de l’appareil psychique (planche VIII : « (...) ou alors sinon une sorte de feu d’artifice... ou encore deux pompiers aspergeant je sais pas quoi, une sorte de mât (...)... » et, dans le même temps, une revendication phallique qui soutient l’identité de Vivien dans ce temps de vacillement. La position passive des kinesthésies met, bien sûr, un frein aux engagements relationnels sur un versant génital.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

261

L’adolescence et ses remaniements

Le temps de l’adolescence à proprement parler ouvre sur de nouvelles perspectives d’investissement relationnel pour l’adolescent. On peut s’attendre à ce que les assises identitaires et narcissiques aient repris d’une certaine manière leurs droits, en appui sur un investissement suffisamment affirmé de l’identité sexuée. À partir de là, pourront se déployer de nouveaux réseaux de sens dans la rencontre de l’adolescent avec le monde qui l’environne ; tant les expériences d’appartenance groupale, qui permettent à l’adolescent de jouer et rejouer, à partir de ces nouvelles affiliations, les enjeux de sa propre filiation, que les expériences amoureuses vont ouvrir et conditionner une redéfinition de sa place dans les liens aux autres, et au sein de la famille en particulier. C’est ainsi que l’on peut considérer que le temps de l’adolescence est tout à la fois temps de la confortation de l’identité sexuée et du choix d’objet, temps de renégociation de la dynamique des identifications et, enfin, temps de mise à l’épreuve des investissements pulsionnels. D’une manière générale, les protocoles de Rorschach d’adolescents retrouvent une certaine consistance dans cette seconde partie de l’adolescence et peuvent être mis en perspective avec les protocoles d’enfants en période oedipienne. Les protocoles se présentent en effet de manière plutôt généreuse, et sont moins marqués par la restriction que les protocoles des pré-adolescents. On peut estimer que l’expérience d’une sécurité narcissique retrouvée contribue à un déploiement possible de l’imaginaire.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



L’identité sexuée Le temps de l’adolescence serait le temps où la question de l’identité sexuée et, partant, du choix d’objet sexuel, se trouverait mise à l’épreuve dans la confrontation aux planches de l’épreuve de Rorschach. Dans ce sens, l’identification sexuée des personnages est plus nette, et se présente sur le mode d’une affirmation tant au plan du choix de la découpe du stimulus que de la verbalisation. Marine (15 ans et 7 mois), à la planche IV « C’est un monsieur couché...je sais pas pourquoi je suis avec les gens, en tous les cas, c’est très joli, c’est original » (enquête : « les pieds, la tête, les bras », réponse cotée G F+ H) puis, à la planche VII

262

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

« (se cache un œil)... pareil une dame qui se regarde mais avec des différentes positions » (enquête : « une tête qui se regarde dans un miroir », réponse cotée G F+ H). Si le doute peut subsister, il semble pouvoir être envisagé dans une ambivalence suffisante pour autoriser un jeu entre les représentations, ou encore l’émergence de représentations de compromis : Timothée (15 ans et 10 mois), à la planche X « Une femme avec des lunettes et des moustaches, ou un mec avec des cheveux longs, avec des flocons de neige (D1) » (réponse cotée D/Ddbl F+ H). Nadège (16 ans et 9 mois), à la planche III « Là on dirait deux bonnes femmes avec ... enfin le haut du corps on dirait une bonne femme et le bas on dirait un... une queue de poisson ou quelque chose comme ça » (enquête : « une tête, le corps d’une femme... et le bas ça fait penser à une queue de poisson », réponse cotée G F- (H)). Pour Timothée, l’incertitude quant à la définition de l’appartenance sexuée des personnages dont il propose une représentation le conduit à une oscillation équilibrée entre deux hypothèses... à l’égard desquelles il ne tranche pas, laissant en suspens la question du choix. Nadège, quant à elle, dans un mouvement que l’on peut comprendre comme relevant de la désexualisation des représentations, fait le choix d’une forme hybride, mi-femme, mi-poisson, au travers de l’évocation à demi-mot d’une sirène... dont on connaît par ailleurs le pouvoir mythique de séduction. ➤

Les enjeux identificatoires et les représentations de relations À partir d’une définition des caractères princeps de l’identité sexuée, l’adolescent peut se risquer dans la figuration de relations entre des personnages et/ou leurs substituts. Les représentations humaines peuvent prendre appui sur la différence des sexes ou des générations et, à partir de là, se proposer comme support pour une mise en scène des liens... dont le déploiement n’est pas toujours avéré.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

263

Amélie (16 ans et 2 mois)1 , à la planche VII, tente de proposer une représentation de relations, qui mobilise, dans la juxtaposition des réponses, la présence possible (potentielle ?) de deux générations : « (elle éloigne la planche) Là c’est deux... deux bébés ou deux bonhommes... avec des cheveux qui font comme ça... qui se regardent, qui se bloquent avec une main aussi qui part en arrière » (enquête : « deux bébés, deux petits enfants, qui se regardent », réponse cotée D K H). Si cette réponse met en jeu une forme de profondeur apportée par la référence générationnelle, elle témoigne, dans le même temps, d’un évitement d’une prise de position quant à l’identité sexuée des personnages. Le jeu identificatoire, qui se déploie, on l’a vu, sur le fondement des assises narcissiques, peut venir prendre appui sur la référence à la culture et, ainsi, soutenir les investissements de l’adolescent. Sabrina (16 ans et 1 mois), à la planche VII « Ce sont deux... deux dames comme si elle est en face d’un miroir et elle(s) se voie(nt)... c’est pratiquement la même chose » (enquête : « la forme de la bouche, le nez, comme en Martinique on a des chapeaux traditionnels... un portrait... ça pourrait être des personnes de face, mais c’est bizarre avec le miroir », réponse cotée D KAtt H).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Parfois, les identifications empruntent plus explicitement la voie d’une référence sociale en appui de laquelle elles pourront se décliner. Thomas, 17 ans et 8 mois), à la planche III « L. 0.10’ ... Un serveur, ou quelqu’un qui va se marier... et c’est tout » (enquête : « il a un costume, un nœud-papillon, une chemise blanche », réponse cotée Gbl FC’ H) Enfin, elles peuvent prendre la forme d’identifications héroïques, particulièrement présentes à la planche X, au travers de réponses qui tentent d’organiser/ressaisir les parts dispersées du stimulus.

1. Le protocole d’Amélie est présenté ci-dessous, dans son ensemble, comme illustration des protocoles d’adolescents.

264

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Juliette (16 ans et 9 mois), à la planche X « (...) on dirait un chevalier, un Samouraï, ça fait un casque avec un truc en haut (elle rit)... oui, ou bien Moyen-Âge... je sais pas si vous voyez ce que je veux dire, un gros casque en fer » (réponse cotée Gbl F+ H).



La gestion des investissements pulsionnels (libidinaux et agressifs) Au fond, on pourrait défendre l’idée selon laquelle le destin du travail de l’adolescence consisterait dans un nouvel avènement de l’ambivalence : dans ce contexte, les représentations proposées peuvent faire l’objet d’une mise en tension, sans exclusive de l’expression dans un registre ou dans un autre (dépassement du clivage bon/mauvais, libidinal/agressif...). La pré-condition d’un tel travail psychique peut être référé à une sécurité sans ambiguïté des assises narcissiques. Celles-ci peuvent néanmoins montrer leur fragilité au décours des productions projectives. Nicole, 16 ans et 9 mois, à la planche X « Ben on dirait que c’est des animaux qui ont tué... je sais pas... des trucs bizarres et qui essaient de rentrer quelque part... avec des petites fées aussi. » La référence à un mouvement agressif qui ouvre sur une atteinte à l’intégrité, tend à désorganiser l’ordonnancement des représentations ; dans ce contexte, l’émergence de la représentation des « petites fées »constitue une forme d’issue magique, potentiellement réparatrice. De la même manière, la tension entre les mouvements libidinaux et agressifs n’est pas toujours assumée, ainsi qu’en témoigne la réponse proposée par Félix (17 ans et 10 mois), à la planche VII : « ! " là c’est deux femmes qui se regardent et on dirait qu’elles s’engueulent, qu’elles vont se foutre sur la trogne... parce qu’elles ont les mains en arrière (Félix retourne la planche et lit les indications liées à la publication des planches)... c’est même pas français ces trucs... » (réponse cotée G K H). Si, dans un premier temps, le lien narcissique entre les deux femmes semble être en mesure d’organiser une représentation de relations a priori sereine (le lien de regard), celui-ci fait l’objet d’un glissement en direction

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

265

d’un lien dont l’on peut imaginer la teneur persécutoire... ouvrant sur une expression agressive de la pulsion. Cléopâtre (16 ans), aux planches IX et X, propose une séquence de réponses qui figure la difficulté à se déprendre de modalités clivées de saisie du monde environnant, au profit d’une dynamique relationnelle suffisamment explicite. Planche IX : « deux dragons (D3), c’est tout » (enquête : « ils sont rouges, on dirait qu’ils jettent du feu », réponse cotée D K (H)/Elem > FC) ; puis planche X « (elle se rapproche de la planche) on dirait le diable (réponse D/Dbl), avec deux taureaux (D8) en haut... des petits lutins sur les côtés (D1), avec l’enfer en rouge (D9)» (enquête : « lutins, on dirait que c’est des servants qui lui font de l’air avec des feuilles », réponse cotée D/Dbl FC Scène). La sollicitation sensorielle est massive, dans un contexte d’instabilité des représentations : il semble qu’aucun support d’identification ne puisse se trouver disponible pour assurer un jeu entre les polarités de l’investissement pulsionnel. Sans doute la précision proposée à l’enquête et qui concerne les « lutins » tente-t-elle de donner une issue, au-delà du risque du clivage. La tentative de figurer le rafraîchissement d’une ambiance pulsionnelle aussi brûlante augure favorablement d’une reprise active de la part de Cléopâtre, face à un débordement pulsionnel qui semble, dans un premier temps, ne pas pouvoir être jugulé. La présentation des protocoles de Amélie (16 ans et 2 mois) et de JeanBertrand (17 ans et 5 mois) permettra de préciser les principaux enjeux du fonctionnement psychique et des expressions projectives dans le temps de l’adolescence à proprement parler.

266

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Protocole de Rorschach d’Amélie, 16 ans et 2 mois Pl.

I

II

III

Temps

R

V

2

Je sais pas, je vois pas... ah 3 D ! Hd, ... si, ah ouais, là je vois des d’un visage quelconque yeux (D2), un nez (Ddbl dans Dbl) et une bouche (D3)

Gbl F+ Hd

3

et un papillon là aussi (D3) ça a la forme d’un papillon

D F+ A

4

Alors là c’est... c’est deux personnes... je sais pas c’est deux personnes qui sont en face, ça je sais pas ce que ça peut représenter au milieu (D3), je sais pas... c’est tout

D F+ A Ban —> K

Alors là c’est... un grand grand monstre bonhomme, un monstre je sais pas ce que c’est... avec les jambes, les bras, la queue... et la tête

G F+ (H)

0:00:45

0:00:50

0:00:40

0:00:40

6

c’est un papillon-chauve- V c’est la forme des ailes qui me fait bizarre... ailes souris de chauve-souris un petit G F+ A peu, c’est un mix papillonContamination chauve-souris, le corps d’un papillon et les ailes de chauve-souris

7

ou... un papillon... je sais pas un truc comme ça... ouais c’est un papillon je pense

0:00:40

0:00:50

Cotation

C’est un papillon ça... je les ailes en fait... c’est vous explique ? là je vois pareil, la symétrie les ailes, là le corps et G F+ A les deux mains qui font comme ça, c’est bizarre... voilà ça me fait penser à un papillon

8 VI

Enquête

1

5 IV

Passation

là je vois rien... si encore une tête... juste là (cache D1), les bras, les jambes, une tête... autrement je vois rien d’autre

G F+ A Ban

un petit bonhomme... jambes, bras (D3) et la tête bien marquée et deux D F+ H moustaches

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

267

(suite)

VII

VIII

9

(éloigne la planche) Là deux bébés, deux petits c’est deux... deux bébés enfants, qui se regardent ou deux bonhommes... avec des cheveux qui font comme ça... qui D KAtt H se regardent, qui se bloquent... avec une main aussi qui part en arrière (D2)

10

> Alors là déjà il y a un animal, deux animaux là... je sais pas... qui représente rien d’autre pour moi...

deux animaux qui grimpent le long... d’une D F+ A Ban paroi ou je sais pas ce que —> kan c’est

11

Je dirais que c’est... c’est quelque chose qui... une fumée... qui part comme ça, vers le haut, avec là tête de quelqu’un qui se cache derrière, avec les yeux, le crâne voilà

fumée, flamme avec le orange, avec la tête et vous savez un gros crâne qui D/G monte H/Elem

0:00:55

0:00:50

IX

0:00:55

X

0:01:35

12

(rit) Alors là je vois un jambes (D10), les bras D/Dbl F- H homme avec les jambes, (D1), tête (D3) le corps et la tête

13

Là une mouche vue de face D11, deux yeux vus de et c’est tout face avec le corps qui part D F- A derrière

FC

Durée totale de la passation : 00:08:40

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pl.+

Pl.

X

Parce qu’il y a plein de couleurs et plein de... qui part dans tous les sens (D1), vive, joyeuse, les autres sont tristes.

IX

Parce qu’elle est étrange... ouais elle est bien.

II

Parce que j’aime pas ces trucs rouges, ça va pas, on dirait du sang ou je sais pas ce que c’est.

I

Je sais pas je la trouve... en fait c’est ces trucs (Ddbl) j’aime pas ça.

Commentaires cliniques du protocole de Amélie, 16 ans et 2 mois

Le protocole d’Amélie propose un contraste entre une expression verbale relativement généreuse et un nombre limité de réponses (13). De fait, malgré une collaboration tout à fait satisfaisante de la jeune fille (souci d’explicitation de ses réponses au psychologue, planche I : « (...) je vous explique ? »), la verbalisation d’Amélie est dominée par le doute et l’incertitude, dans

268

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

une forme d’inhibition du déploiement des processus associatifs face aux planches. Les modes d’appréhension se répartissent entre réponses globales et réponses de grand détail (avec association du blanc pour deux des réponses). On notera que les appréhensions en grand détail semblent procéder d’une stratégie d’évitement : évitement de la bisexualité sollicitée à la planche VI, dans un contexte où toutes les représentations humaines du protocole sont données au neutre ou masculin, évitement de la matrice maternelle de la planche VII et, aux deux planches pastel VIII et X, évitement d’une nécessaire synthèse, face à une appréhension de la sensorialité de la planche qui paraît mettre Amélie en difficulté. La difficulté pour Amélie de faire jouer dans une conflictualité la double valence masculine/féminine, au profit d’un investissement privilégié du masculin, se présente sur un fond de fragilité de la construction de la continuité des représentations. En sont un exemple les réponses à la planche II, qui ne débouchent pas sur la représentation unifiée d’un visage (« je sais pas, je vois pas... ah si, ah ouais, là je vois des yeux, un nez et une bouche ») et les réponses à la planche V, avec une réponse contaminée dans un premier temps, qui cède pour une réponse unitaire banale (« c’est un papillon-chauve-souris... ou un papillon (...) »). Si, au décours de la verbalisation, une construction unitaire peut émerger comme issue à ce temps d’incertitude, on peut reconnaître néanmoins la limitation qu’introduit celle-ci dans la gestion des investissements pulsionnels. Dans ce contexte, les représentations de relations se présentent de manière timide, en appui sur des kinesthésies peu déployées (planches II et VII) : on notera cependant que la réponse humaine de la planche VII fait jouer un autre niveau de conflictualité, entre enfant et adultes (« là c’est deux... deux bébés ou deux bonhommes... avec des cheveux qui font comme ça... qui se regardent, qui se bloquent... avec une main aussi qui part en arrière »), là aussi limité dans l’énoncé même du mouvement affecté à la planche (« qui se bloquent »).

269

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Protocole de Rorschach de Jean-Bertrand, 17 ans et 5 mois Pl.

I

II

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

III

IV

V

Temps

R

Enquête

Cotation

1

Euh... (rit) c’est dur...je deux oreilles, nez pointu sais pas je vois deux trucs et puis je sais pas, une tête si je regarde que les blancs méchante Gbl F+ Ad et là on dirait plutôt une tête de renard

2

et puis j’arrive aussi à deux ailes et puis comme voir deux anges avec leurs dans les enluminures les G F+ (H) petites mains là et ils sont trucs comme ça accrochés quelque part

3

Euh... (rit) on dirait deux lapins, enfin moi je vois... ils semblent un peu bizarres drôles de corps (rit) avec le rouge, ils semblent vite fait... morts enfin voilà...

4

Euh... je verrais deux... un truc sous l’eau les deux... je sais pas deux jambes se finissent comme sirènes... je dirais deux une queue de poisson sirènes même si elles ont G F+ —>K (H) une drôle de tête, y a la queue et là le corps et elles tiendraient un truc et elles voudraient chacune l’avoir

5

Euh... deux jambes là, avec deux pieds et là les deux mains qui tombent au milieu, comme quelqu’un qui est courbé et qui met ses deux mains là au sol avec ses doigts comme ça (montre avec ses doigts) c’est bon

6

Ben... on dirait une pour la forme, les ailes et chauve-souris vue d’en la tête G F+ A Ban haut avec les ailes là, les pattes et la tête

0:00:55

0:01:00

0:01:05

0:01:05

0:00:30

Passation

un peu gros...et puis ils sont noirs parce que bon (rit) parce que le rouge c’est le sang G FC A dev

tête dans D1 avec cheveux qui tombent...( ?) quelqu’un tout en noir avec des cheveux noirs un peu morbide comme image...tout G FC’ H le long de son dos il y a un chemin (sur D5)

270

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)

VI

VII

VIII

IX

7

Je sais pas comment dire on dirait comme un signe de décoration dans les monuments... comme une sorte d’étoile et un truc en haut qui appartiendrait... comme un talisman ou quelque chose comme ça...

comme les trucs dans les églises ou les châteaux forts et tout (il raconte qu’avec son père quand il était petit, il visitait les G F+ Obj/Arch châteaux, les églises, tout ce qui est ancien)

8

Ben (rit) on dirait deux... deux... bonhommes qui se regardent... qui sont tournés vers là avec les corps mais qui se regardent ... avec une espèce de plume, un bonnet

on dirait la tête une tête à Peter Pan, plus le corps d’une femme avec une G F+ H —> jupe KAtt

9 10

Ou bien deux Angleterre... l’une, une Angleterre normale, vite fait et une là, tournée...

0:00:55

0:01:15

0:00:55

0:01:20

D/G F- Geo G kanC A/Elem

Euh... (L:0:00:20) là lion ou lion avant l’évodéjà on dirait deux bêtes lution (pas de crinière) avec quatre pattes, roses, plutôt des mecs on dirait deux lions ou je sais pas quoi, on dirait qu’ils sortiraient d’un feu (D2) pour aller dans l’eau (D4) C’est bizarre, je sais pas vraiment... oh ben, je vois pas vraiment d’image, mais je vois trois trucs comme, je sais pas, comme trois phases distinctes qui cherchent à se mélanger... là je vois pas de forme spéciale

je dirais plus maintenant des espèces d’esprit (D6, D1, D3) qui essayent de se rejoindre ils sont limités par la cloison (Dax), derRefus rière (Ddbl) il y a quelque chose qui les empêche de se rejoindre (R.Add: Gbl F- (H))

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

271

(suite) 11

X

0:01:10

Heu... (L:0:00:15) ben je dirais qu’il y a deux... deux côtés et qui sont plein de... là y a un hippocampe un crabe là, là un espèce d’animaux de mer... et qui se battent par paire ou qui se rencontrent mais je crois plutôt qu’ils se battent

D9 G(bl) kan A D7 deux serpents de mer (D4) espèce de limace de mer (D13) corail vivant (D1) tout dans l’eau

Durée totale de la passation : 00:10:10 Pl +

Pl-

IV

C’est celle qui a l’air le plus élaboré, qui pourrait inspirer le plus.

VI

Mystérieuse, y a juste un truc on pourrait découvrir plein de trucs derrière un signe il y a toute une histoire.

II

Elle est vite fait gore...deux lapins charcutés, j’aime pas les lapins morts au marché.

IX

Y a pas assez de trucs à trouver dedans.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Commentaires cliniques du protocole de Jean-Bertrand, 17 ans et 5 mois

Le protocole de Rorschach de Jean-Bertrand met en scène de manière assez exemplaire le déploiement de la conflictualité à l’adolescence, dans un temps où les conflits liés à l’accès à la génitalité se construisent au travers de figures de compromis, parfois encore un peu fragiles, mais globalement assumées. Jean-Bertrand est présent dans la passation de l’épreuve, il manifeste ses sentiments à l’égard de l’épreuve au fil de la présentation des planches. L’appréhension des planches est essentiellement globale, ce qui est attendu pour un protocole court comme celui-ci (11 réponses). On notera la présence d’un refus à la planche IX, refus qui cède à l’enquête, témoignant d’une forme de plasticité du fonctionnement psychique. Les modes d’appréhension voient alterner les approches formelles et sensorielles du stimulus ; les kinesthésies (humaines) sont peu déployées, davantage centrées sur la posture des personnages figurés que sur l’expression d’un mouvement avéré (planches II et VII). La construction de l’identité sexuée est portée par des représentations humaines ou de pseudo-humains dont il est intéressant de suivre l’évolution : à la planche I, ce sont des anges qui apparaissent, figés en forme d’enluminures, puis à la planche III des sirènes (« qui tiennent chacun un truc et elles voudraient chacune l’avoir » !), à la planche IV, un personnage

272

Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

dysphorique (masculin ?) et, enfin, à la planche VII, les figures, qui se révéleront finalement ambigües, de deux « bonhommes », présentés à l’enquête comme des figures de « Peter Pan, plus le corps d’une femme avec une jupe ». On peut considérer qu’au travers de cette séquence de réponses humaines, se manifeste toute l’ambivalence de Jean-Bernard dans son investissement du sexuel génital, la place des angoisses de castration et la tentative, peu opérante, d’une reprise phallique (planche IV), pour enfin tenter de donner forme à une représentation sexuée au travers de ses atermoiements dans une quête de compromis bisexuel (planche VII). In fine, on peut relever la dynamique engagée dans la gestion de la tension entre pulsions libidinales et agressives (planche X : « là un espèce d’animaux de mer... et qui se battent par paire ou qui se rencontrent mais je crois plutôt qu’ils se battent »), réponse qui clôt la passation, dans un rappel du nécessaire soutien narcissique de la figure du double.

CHAPITRE 4

Illustrations cliniques

Sommaire

L’enfance et la période de latence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Page 276

Le temps de l’adolescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Page 332

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

275

à la présentation de situations cliniques centrées sur la pratique du Rorschach. Sans avoir l’ambition d’une présentation exhaustive des modes d’expression de la clinique et de la psychopathologie dans le temps de l’enfance et de l’adolescence, il visera néanmoins à proposer une palette suffisamment large et représentative des fonctionnements psychiques. Le choix des cas présentés dans cette dernière partie de l’ouvrage répond à une double exigence :

C

E CHAPITRE sera consacré

• d’une part, celle de s’inscrire dans une variété de situations en terme d’âge

et de problématique de fonctionnement psychique ; • d’autre part, celle de permettre un éclairage clinique et psychopathologique à partir de différentes formes de demande dans le cadre d’une pratique de psychologue, en mettant plus particulièrement l’accent sur les situations de l’enfance et de la période de latence. Les protocoles de Rorschach présentés dans ce chapitre comportent, pour l’essentiel, deux caractéristiques principales : • Ils se trouvent inscrits, dans leur présentation même, dans la dynamique

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de l’examen psychologique, et abordés comme l’un des éléments qui concourt à l’appréhension du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent ; • Ils sont, pour la plupart, accompagnés du protocole d’une épreuve thématique, dont la présentation et la discussion viendront en contrepoint de la présentation et de la discussion du protocole de Rorschach. Chacun des cas retenus fera l’objet d’une présentation dans un déroulement similaire, qui s’inscrira dans le fil de la mise en œuvre de l’examen psychologique. Il s’agira en effet de préciser pour chacune : le contexte de la demande, les conditions de la rencontre clinique, les éléments qui ont présidé à la construction du dispositif de rencontre dans le cadre de l’examen psychologique et la présentation des épreuves mises en œuvre pour celui-ci ; • Lorsque cela apparaît nécessaire, les éléments principaux de l’histoire

clinique du sujet, enfant ou adolescent, dans un strict souci de respect de la garantie de l’anonymat des situations présentées ; • La présentation de l’épreuve de Rorschach et, le cas échéant, de l’épreuve thématique (C.A.T ou T.A.T) qui l’a accompagnée ; • Les éléments qui concourent à l’évaluation du fonctionnement psychique, selon les différents axes présentés au chapitre 2 (cf. supra p. 67 et suivantes)

276

Illustrations cliniques

dont les principales étapes peuvent être rappelées ici : clinique de la passation, processus de pensée et traitement des conflits ; • Enfin, des aspects de la discussion clinique et psychopathologique qui sera constituée tout à la fois de perspectives diagnostiques (avec toute la prudence qui s’attache à une telle démarche en clinique et en psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent) et pronostiques, en ayant soin de faire apparaître non seulement les éléments qui témoignent des fragilités du fonctionnement psychique mais également des ressources sur lesquels des perspectives peuvent s’établir. La présentation des cas couvrira le temps de l’enfance et de la période de latence, ainsi que celui de l’adolescence.

L’enfance et la période de latence La période de l’enfance est dominée par un certain nombre d’enjeux dont viennent témoigner les sollicitations de consultation et de bilan. Ces sollicitations sont le plus souvent médiatisées par l’institution scolaire qui fonctionne comme une alerte au regard des symptômes présentés par l’enfant, au lieu des apprentissages. Cependant, la diversité des modes d’adresse de l’enfant retiendra notre attention au décours de la présentation de différentes situations. En effet, nous aborderons successivement, à titre de situations possédant une valeur paradigmatique de ce temps de la vie de l’enfant et des sollicitations adressées au psychologue : • la situation d’un jeune enfant (Jérémie, 5 ans et 6 mois) en grande

souffrance dans les liens, et en retard dans l’accès au langage ; • la situation d’un enfant (Christophe, 7 ans) qui interroge la dimension de la dépression chez l’enfant1 ; • la situation d’une enfant en difficulté scolaire (Laetitia, 7 ans et 7 mois) pour laquelle le bilan projectif révèlera une problématique œdipienne peu contenue par le refoulement ; 1. Cette situation a été présentée comme illustration de la pratiques des épreuves projectives dans l’examen psychologique dans l’ouvrage publié chez le même éditeur : Roman P. (2006), Les épreuves projectives dans l’examen psychologique, Paris, Dunod. La présentation qui est proposée dans le présent ouvrage se trouve centrée sur l’épreuve de Rorschach, dont l’analyse se trouve davantage approfondie ; elle laisse de côté la présentation et la discussion des dessins réalisés par cet enfant, que l’on peut retrouver dans l’ouvrage mentionné ci-dessus.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

277

• la situation d’une enfant présentant des troubles d’allure psychotique

(Houria, 8 ans) ; • la situation d’un enfant (Pierre, 9 ans), pour lequel se trouve au premier plan la question de l’instabilité psychomotrice ; • enfin, la situation d’une enfant en fin de période de latence (Oriane, 10 ans), dont les symptômes d’inhibition intellectuelle interrogent la problématique de la dépression.

Jérémie, 5 ans et 6 mois

Jérémie est rencontré pour un bilan psychologique qui s’inscrit dans une inquiétude de ses parents au regard de son développement psychoaffectif, au regard de l’évaluation de sa personnalité et de ce que l’on pourrait nommer comme les différents empêchements à grandir dans lesquels il se trouve pris. De fait, Jérémie bénéficie déjà d’un certain nombre de prises en charge de rééducation, au regard de troubles sévères du langage, suite à un diagnostic de dysphasie énoncé par l’équipe d’un centre de références pour ce type de troubles. Jérémie est en effet engagé dans deux séances d’orthophonie hebdomadaires, une séance de psychomotricité et une séance d’orthoptie.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



La demande et la construction de l’examen psychologique Une des questions des parents de Jérémie qui, séparés, sont reçus dans deux temps distincts, concerne la qualité de l’ancrage de Jérémie dans la réalité : en effet, il est décrit comme ayant tendance à investir un monde qui lui est propre, en se coupant de la relation aux autres. Il faut noter que les troubles du langage de Jérémie peuvent le mettre en difficulté au plan de la communication : il est difficilement compréhensible ou, en tous les cas, la compréhension de son langage nécessite une attention toute particulière. Au plan de la scolarité, Jérémie ne présente pas de retard. Il est décrit comme étant en mesure d’investir les pré-appprentissages qui lui sont proposés dans le cadre de l’école maternelle. En-dehors des rencontres initiales avec chacun des parents (Jérémie n’est présent que dans la rencontre avec sa mère) le bilan s’appuie sur des entretiens avec Jérémie, ainsi que sur la passation d’épreuves projectives (Rorschach, C.A.T) qui visent à permettre d’appréhender la dynamique du fonctionnement psychique de l’enfant ainsi que les perspectives que l’on peut tracer quant à son évolution. À ce titre, cette situation de bilan

278

Illustrations cliniques

peut être considérée comme paradigmatique de deux aspects des demandes auxquelles le psychologue est régulièrement confronté dans sa pratique en clinique infantile : • d’une part, l’interrogation sur les enjeux psychoaffectifs des troubles

instrumentaux, qui s’exprime bien souvent dans un contexte de multiprises en charge en rééducation au décours desquels tant l’enfant que les parents semblent s’épuiser dans une démarche réparatrice qui ne prend que trop peu – ou trop peu souvent – en compte la dimension de la souffrance psychique de l’enfant ; • d’autre part une inquiétude, à la sortie de la période de l’enfance (période œdipienne) quant à l’évolution psychoaffective de l’enfant et, plus précisément (mais souvent confusément pour les parents) quant à la participation de la psychose au fonctionnement psychique de l’enfant. Ainsi le psychologue clinicien est-il appelé tout à la fois à la place de celui qui sait, mais aussi à celle de celui qui est en mesure de soutenir quelque chose de la subjectivité de l’enfant, parfois malmené par les démarches d’objectivation auxquels il est soumis (batteries de tests et de bilan divers...). On comprend alors aisément que l’enjeu de ce type de situation est de pouvoir introduire un écart suffisant avec les expériences antérieures de l’enfant, tout en le mobilisant à partir d’un support clinique en mesure d’autoriser une objectivation de la position subjective. C’est, au fond, le pari de la proposition des épreuves projectives, dans la mesure où elles ouvrent, potentiellement, une aire transitionnelle d’expérience pour l’enfant, dans le lien au psychologue, et où leur proposition permet de soutenir la subjectivité de l’enfant. ➤

La passation des épreuves projectives : clinique de la passation La passation des épreuves projectives mobilise Jérémie dans un mouvement extrêmement souffrant : il semble être très atteint par la rencontre avec les planches, sans parvenir véritablement à se dégager d’une sorte de vécu d’effraction par le stimulus de la planche, peut-être tout spécialement face à l’épreuve de Rorschach : on peut penser que les refus opposés à 4 planches sur les dix que compte l’épreuve sont à mettre sur le compte d’une inhibition dont il conviendra de tenter de décrypter le sens. On comprendra aisément, à partir de cette présentation de bilan, l’intérêt de l’association de deux épreuves projectives : en effet, au-delà de la passation

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

279

de l’épreuve de Rorschach, l’épreuve du C.A.T autorisera une autre forme d’expression verbale et fantasmatique de Jérémie. Ainsi, au décours de la passation des épreuves, Jérémie fait vivre au psychologue des mouvements contrastés : tout à la fois mouvements empathiques au regard de ces manifestations de souffrance et marques de culpabilité d’imposer une telle épreuve à cet enfant. Celui-ci, cependant, se place dans une logique de participation à l’évaluation projective, participation tempérée par les marques de fatigue qui s’expriment au fil de la passation de l’épreuve (chaque épreuve est proposée dans un temps de consultation différencié). Par ailleurs, il faut souligner la manière dont Jérémie se saisit de cette occasion de rencontre et de déploiement d’une attention à son égard : c’est la dimension de l’avidité qui domine ici, tout se passant comme si l’opportunité d’une relation privilégiée avec un adulte le mobilisait de manière particulièrement aigüe. Il pourra alors s’accrocher à cette préoccupation, sur le mode d’une quête d’étayage qui se traduit, discrètement par moments, par un mouvement de rapproché à l’égard du psychologue.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Les processus de pensée La verbalisation de Jérémie, à partir de laquelle peut être appréhendée la dynamique des processus de pensée se présente de manière limitée : peu de réponses à l’épreuve de Rorschach (8 réponses avec 4 refus de planches, dont l’un, à la planche IX, cède à l’enquête), verbalisation limitée dans son déploiement à l’épreuve du C.A.T. Deux aspects semblent dominer la mobilisation des processus de pensée de Jérémie : • La référence au voir constitue un point d’appui pour Jérémie : ce voir,

convoqué comme soutien au processus de symbolisation, se trouve mis en question à différentes reprises témoignant, a contrario pourrait-on dire, de la place qu’il occupe, dans sa participation perceptive, dans la construction des représentations (défaut de la construction d’une image interne sur laquelle prendre appui ?) ; • La référence à un savoir, préexistant à la présentation des planches, apparaît comme une forme de point de butée de la mise en œuvre des processus de pensée : tout se passe comme si Jérémie, peut-être en contrepoint à sa difficulté à mobiliser un voir structurant des représentations, faisait appel

280

Illustrations cliniques

à une référence cognitive et à une construction théorique, afin de pallier le défaut de mise en œuvre de l’appareil perceptif. Dans ce contexte, on peut faire le constat de la place de l’inhibition, dont la production langagière se trouve être le témoin. Le vocabulaire est, de fait, réduit, et la construction syntaxique davantage marquée par la pauvreté que par l’incohérence... Certaines formulations rendent compte cependant d’une maîtrise approximative des règles syntaxiques (davantage au CAT qu’au Rorschach, sans doute en lien avec la sollicitation à une mise en récit propre aux épreuves thématiques), assez aisément référable à l’âge de Jérémie. En filigrane, se donne à voir une difficulté pour Jérémie dans le maniement de la continuité temporelle et spatiale, qui peine à trouver une voie d’expression dans le langage. On notera toutefois que les troubles du langage de Jérémie n’invalident pas de manière notable ses potentiels d’expression verbale face aux planches. La verbalisation de Jérémie se présente, de manière générale, dans un rapport de cohérence à l’égard du stimulus, sans dérapage sensible. On peut néanmoins faire l’hypothèse que la rencontre avec les planches entraîne un vécu d’étrangeté pour Jérémie qui contribue à l’inhibition de la verbalisation. ➤

Le traitement des conflits La question de l’expression de l’angoisse apparaît comme centrale au décours du protocole de Rorschach de Jérémie. Celle-ci se traduit en forme de manifestation verbale (« je sais pas », « je vois pas ») et motrice (agitation, excitation). Il semble, au regard de ce qui a été évoqué précédemment, que l’on peut situer ici l’angoisse dans le registre des angoisses primitives, ayant trait à la construction des limites entre réalité interne et réalité externe. Les vécus d’étrangeté, la tentative d’identifier des formes de reconnaissance à l’égard du stimulus, situent les angoisses au plan de la construction de l’identité. On pourra noter, en écho à cette problématique, la place qu’occupent les réponses 6 et 7 (planche V) : contamination avec la réponse 6 (« euh... un papillon », enquête : « un escargot de papillon peut-être », pseudo-contamination avec la réponse 7 (« des crocodiles avec un papillon ») témoignent bien de la difficulté pour Jérémie à délimiter les espaces dans la réalité externe figurée par le stimulus de la planche. En contrepoint, émergent au CAT des expressions d’angoisses archaïques (angoisse de dévoration à la planche 7, en écho à l’évocation, mimée, des dents du monstre à la planche III de l’épreuve de Rorschach, angoisse de

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

281

séparation et/ou d’abandon qui affleurent, en creux, aux planches 5, 6, 9 et 10). Face à ces angoisses, différents registres de défenses sont mis en œuvre par Jérémie, dont certaines, sur un mode drastique : recours à la motricité et manifestations somatiques, inhibition, appel (indirect) à un soutien de la part du clinicien. L’inhibition prend la forme de la banalisation et de l’évitement à l’épreuve du CAT, tout particulièrement au lieu de la construction d’une représentation des liens, et de la triangulation œdipienne en particulier. Dans ce contexte, la construction identitaire apparaît fragile. Les réponses globales à l’épreuve de Rorschach ne sont pas toujours de bonne qualité et comportent une part d’incertitude. Seule la première réponse de la planche V, banale, se propose dans un ancrage au sein de la réalité et, partant, une inscription a minima au plan identitaire. L’appréhension des planches du CAT, qui prend résolument appui sur une reconnaissance de la qualité du stimulus, atteste par ailleurs de cet ancrage. On notera par ailleurs que l’absence de toute référence à des représentations humaines – et, a fortiori l’absence de kinesthésies – témoigne d’un retrait à l’égard d’une prise de position identificatoire. Les seules représentations pseudo-humaines (« monstre » aux planches II et III) introduisent une dimension dysphorique et inquiétante dans le rapport à la figuration humaine. Aucune représentation animale ne semble par ailleurs pouvoir être retenue dans une fonction substitutive quant à la construction des repères identificatoires. On notera par ailleurs que le T.R.I se présente sur un mode coarté (0/0), le RC % se situant à 25, signant le retrait de toute mobilisation affective. Les récits proposés au CAT confirment ce retrait, dans la mesure de la grande difficulté pour Jérémie d’inscrire les différents personnages figurant sur les planches dans un jeu d’alliance et/ou de génération : seul le lien maternel peut être nommé, de manière peu adéquate, à la planche 2, il est par ailleurs évité à la planche 1, laissant ouverte la problématique nourricière en défaut d’une construction dans un lien de sécurité. Dans ce contexte général, les relations d’objet se présentent au mieux sur le versant de la quête d’étayage (appel plus ou moins implicite au clinicien et à l’expression de son soutien), sur le fond d’une forme de déni de la dépendance (impossibilité d’une représentation du lien maternel), ouvrant sur l’hypothèse d’une expression dépressive de l’enfant.

282



Illustrations cliniques

Synthèse et perspectives cliniques Il ressort des éléments issus des épreuves projectives de ce bilan que Jérémie ne présente pas de désorganisation au plan de son identité, ni de rupture dans l’appréhension de la réalité qui l’entoure. Cependant, les marques de retrait relationnel, qui s’établissent sur un versant dépressif, témoignent d’une souffrance psychique qui peut parfois déborder Jérémie dans ses investissements, et tendent à invalider la qualité de sa relation à l’environnement. En effet, l’environnement semble être vécu par Jérémie comme dangereux, voire impossible à mobiliser dans une qualité de soutien : tout se passe comme si Jérémie pouvait avoir un sentiment de risque de se trouver envahi et atteint par l’environnement, voire pris dans l’effondrement de son absence de consistance. Les différentes épreuves mettent en évidence, dans ce contexte, une faible sécurité interne, la vie psychique de Jérémie se trouvant marquée par des angoisses de perte et/ou d’abandon qui mettent à mal sa capacité à s’engager et à construire des liens. On peut parler à cet égard d’une difficulté dans la constitution des assises narcissiques, liée à une difficulté dans l’établissement d’une confiance dans les liens : le besoin de réassurance s’avère important voire majeur, et l’on peut noter que ce n’est qu’à partir d’une confiance suffisante éprouvée dans l’environnement que Jérémie peut se trouver disponible à la relation. À partir de là, et en complément des prises en charge rééducatives engagées, il paraît indispensable qu’une prise en charge psychothérapique hebdomadaire puisse se mettre en place pour Jérémie. On ne peut qu’insister sur l’importance d’une attention soutenue à l’évolution de ce garçon, dans ses différents lieux d’investissement, attention à laquelle il puisse suffisamment s’identifier afin de s’en approprier les qualités et se trouver en mesure de se soutenir lui-même. Cela passe aussi par la mobilisation de dispositifs qui, dans la réalité quotidienne de Jérémie, puissent constituer un étayage, en particulier à l’école... au-delà des performances qui semblent attendues de la part de cet enfant.

283

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Protocole de Rorschach de Jérémie, 5 ans et 6 mois

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pl.

Temps

I

0:00:35

II

0:00:30

III

0:00:25

IV

0:00:20

V

0:00:20

R

Passation

Enquête

Cotation

Je sais pas... je vois rien du tout ( ? Un papillon?) d’accord

ça peut être un papillon (R.Add : G F+ A Ban)

2

Un monstre

parce qu’il y a des G F- (H) yeux (D2)

3

et un papillon là (D3) (s’excite et/ou s’angoisse)

D F+ A

4

Un monstre, il a des dents (mime)

G F+ (H)

c’est un... je sais pas

Refus

5

un papillon

G F+ A Ban

6

euh un escargot

7

des crocodiles avec un papillon

D F+ A

1

un escargot de G F+ A papillon peut-être Contamination

VI

0:00:15

je sais pas

Refus

VII

0:00:25

je sais pas toujours

Refus

VIII

0:00:25

IX

0:00:20

X

0:00:15

8

(malaise)

ici que je vois (D1) des lions Refus (R.Add. : D F+ A Ban)

un hippopotame

bien comme ça D F+ A (D1)... j’ai raison

l’araignée ( ?) non !

Partout

G F- A

Durée totale de la passation : 00:03:45 Pl +

Pl -

VIII

Parce que je veux voir quelque chose.

III ou II ?

Parce que ça fait longtemps que j’ai pas vu comme ça.

I IV

Parce que je sais pas c’est quoi et c’est tout noir. Parce que je veux pas en voir comme ça, non c’est celle-là que je l’aime pas (III), j’ai peur qu’il me morde les doigts ça.

284

Illustrations cliniques

R=8

Temps total : 3. 45’ Refus : IV, VI, VII, VIII G:5 D:3

Psychogramme résumé Temps/ réponse : 0. 28’

F:8 F+ : 6 F- : 2

Temps latence moyen : 0. 00’

F% : 100 F+% : 75

H:0 Hd : 0 H% : 0 (H) : 2

G% : 63 D% : 37

A:6 A% : 75 ΣC:0 T.R.I : 0/0 RC% : 25

Ban : 1 Ang% : 0

Protocole de TAT de Jérémie, 5 ans et 6 mois Pl.

Temps

Récit

1

0:01:05

Et ben l’histoire que les poussins y mangent... de... des poussins et des poulets qui peut manger... qui peut manger... des pâtes...

2

0:00:40

Et ben ces nounours ils tirent... les nounours il tire la maman du nounours... les deux qui tirent... c’est tout.

3

0:00:20

Y a un lion qui s’assoit et qui fume... et c’est tout.

4

0:01:00

Y a un kangourou qui... un kangourou qui fait du vélo et qui marche... et un kangourou, une dame de kangourou qui saute, qui avance.

5

0:00:55

Alors... un lit avec deux... avec... deux garçons qui parlent à côté de ce lit... à côté de le lit ici... à côté y a une lampe, après c’est tout.

6

0:00:45

Ben y a un nounours qui est dans une grotte avec son ours...

7

0:00:20

Un tigre qui dévore le singe.

8

0:00:30

Les singes...ils parlent (soupire).

9

0:00:50

Alors un lapin qui est qui est sur son lit et qui, qui se éveille, dans cette porte...

10

0:00:35

Un chien... qui... qui met... qui le met dans ses toi... dans les toilettes... Durée de la passation : 0 :07 :00

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

285

Christophe, 7 ans

Christophe est âgé de 7 ans, il est l’un des jumeaux dizygotes, aînés du couple des parents. Lors de la première consultation, il est d’emblée identifié par ses parents comme différent de son frère jumeau. Les deux parents semblent en accord sur l’identification d’une souffrance chez leur enfant, souffrance que sa mère tend à mettre en lien avec sa propre souffrance dépressive.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



La demande et la construction de l’examen psychologique Christophe est présenté par ses parents comme un petit garçon qui s’isole et qui inquiète par ses traits dépressifs. Il adopte par ailleurs des comportements d’agression à l’égard de son frère jumeau, se montre dans une grande sensibilité affective et cherche à faire plaisir aux adultes qui l’entourent... alors que son frère est sociable, bon vivant, qu’il s’adapte facilement dans une capacité d’autonomie marquée. Les parents de Christophe manifestent une préoccupation partagée pour leur fils, ils ont conscience de la difficulté que peut représenter la situation de gémellité, tout comme ils peuvent dire la difficulté que l’accueil simultané de deux enfants a pu représenter pour eux et qu’ils nomment en termes de contrainte. La mère de Christophe évoquera des éléments dysphoriques dans sa propre histoire d’enfant, autour de la maltraitance dont elle a été victime de la part de ses parents (et peut-être particulièrement de sa mère) : elle indique « ne pas exister » pour sa propre mère. On peut bien sûr assez légitimement s’interroger sur le fait que la mère de Christophe vienne, au travers de la consultation pour son fils, soigner quelque chose de sa part d’enfance, dans un contexte où elle s’est trouvée débordée par l’accueil de deux enfants en même temps, enfants dont les parents disent ensemble qu’ils n’étaient pas attendus à ce moment-là. La consultation ouvrira sur une proposition de bilan, en appui sur la passation de l’épreuve de Rorschach et de l’épreuve du CAT, ainsi que sur la production de dessins libres et d’un dessin à consigne, le D10. Il s’agit de pouvoir affiner la compréhension de la dynamique du fonctionnement psychique de Christophe, afin d’ouvrir des propositions d’accompagnement.



Clinique de la passation Christophe s’engage avec une certaine avidité dans la relation, laissant émerger des affects massifs dans un registre de dépression : il dit par exemple

286

Illustrations cliniques

qu’il n’est « qu’un tas de ferraille », qu’il ne « sert à rien », qu’il est « démoli » et il manifeste des préoccupations marquées pour la mort. Il indiquera également être très intéressé par la préhistoire, par la vie des dinosaures... Au plan du jeu transférentiel, la relation s’engage sur une demande d’aide massive de la part de Christophe : en effet, l’enfant fait vivre au psychologue le sentiment que lui seul peut l’aider, voire le sauver d’un mouvement dépressif majeur. La production projective est assez largement marquée par l’expression dépressive... et par l’appel de Christophe à une aide : l’identification d’un « tuteur » dans le détail axial de la planche X, dernière planche de l’épreuve qui signe l’épreuve de la séparation, dans un contexte de dispersion du stimulus, semble pouvoir rendre compte de la quête de Christophe. Il n’est sans doute pas indifférent que cette réponse intervienne après une confrontation difficile à la planche IX qui se solde par un refus. L’appel au soutien dans le lien transférentiel est par ailleurs sans doute à mettre en lien avec le fait que les figures parentales, particulièrement dans leur émergence au CAT, s’avèrent peu en mesure de constituer un soutien pour le narcissisme de l’enfant. On notera enfin que les dessins libres réalisés par Christophe sont chargés d’expressions de menace pour l’intégrité et de menace dans le lien : un bestiaire angoissant, renvoyant à la préhistoire (des dinosaures), des situations d’attaque marquées par une agressivité orale... ➤

Les processus de pensée L’épreuve de Rorschach témoigne d’une bonne organisation des processus de pensée de Christophe : la productivité est satisfaisante, on ne note pas de glissement dans le travail des représentations. Le rapport entre les réponses globales et les réponses de grand détail atteste du va-et-vient possible entre démarche de synthèse et démarche d’analyse, ainsi que la répartition entre les déterminants (F% = 85) et la qualité formelle des réponses (F+% = 65). En contrepoint, au CAT, les récits se présentent de manière peu fluide, marqués par des doutes. La question de l’identification des animaux figurant sur les planches peut a minima être interrogée, en tant qu’elle signifie la qualité du rapport à la réalité : la prégnance de la figure du raton-laveur, non nécessairement adéquate (planche 2, 5), la figure de la biche (planche 4) que Christophe convertira en kangourou afin de retrouver la cohérence avec le stimulus et enfin, la figure du loup, peu adéquate à la planche 6...

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

287

et totalement déplacée à la planche 9 (puisque le stimulus représente très explicitement un lapin). Il est important par ailleurs de noter que les réponses de Christophe sont marquées par un certain nombre d’imprécisions concernant d’une part l’accord de genre entre masculin et féminin (planche 1 avec l’hésitation entre le féminin et le masculin avant la réponse « taureau ») et d’autre part, de manière récurrente, l’accord de nombre (singulier versus pluriel) que l’on trouve à l’épreuve de Rorschach (« des cartons spécial » à la planche III, « des chevals » à l’enquête de la planche IX) et au CAT (planche 5 : « deux bébés raton-laveur dort dans une chambre (...) », planche 6 « un loup avec un bébé loup il(s) dort (...)»). Il semble que l’on puisse considérer que se donne à voir ici une certaine fragilité des organisateurs de la différence (à la planche 5 par exemple, Christophe est en mesure de rectifier l’erreur d’accord spontanément), sans doute à penser en lien avec la situation de gémellité et aux enjeux identitaires qui s’y trouvent attachés.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Le traitement des conflits Les manifestations d’angoisse qui émergent du protocole de réponses proposées à l’épreuve de Rorschach portent très directement sur les atteintes de l’intégrité (planche II avec une réponse où l’intégrité se trouve mise à mal à partir de la représentation d’une confrontation gémellaire, liée au sang...dans un contexte où la dimension de l’appartenance est mise en avant) ou le risque de la perte, conférant au protocole une tonalité de dépression blanche, au sens où il s’agirait d’une dépression sans objet. La planche III, planche dont on sait qu’elle constitue un support privilégié pour les projections identitaires et identificatoires, témoigne particulièrement de cette dimension dépressive. En effet, à cette planche (réponse 7), Christophe propose : « une araignée... ça ressemble beaucoup à une araignée (...) est-ce que c’est une araignée ? le corps est un peu effacé (...) », (à l’enquête, sur sollicitation d’une représentation humaine : « ah oui, on dirait des ombres »). Au doute identitaire (s’agit-il bien d’une araignée ?) succède une justification de ce doute au travers de la perte de la consistance de la représentation. Cette perte de consistance sera également présente lors de l’enquête des limites au décours de laquelle la figure humaine ne peut être affirmée comme telle, se substituant à « des ombres ». Notons également l’effet de contamination présent à la planche II au Rorschach (association entre la représentation de l’éléphant et des pattes de cheval), qui intervient dans la rencontre avec une planche qui paraît mettre

288

Illustrations cliniques

Christophe en prise à un doute identitaire : la confrontation précédemment nommée comme gémellaire (cf. le caractère bilatéral de la planche), ouvre sur la question de l’appartenance au groupe (enquête : « les oreilles, la trompe, les pattes et ça... c’est je crois quand ils saignent, ils se font mal, c’est des bébés qui sont pas du même groupe ») et, partant, de la construction d’une identité séparée au sein d’une même enveloppe généalogique dans le contexte de la gémellité. « Y a t-il de la place pour deux ? » : c’est à cette question que semble renvoyer cette planche pour Christophe, question qui n’est pas sans rappeler la problématique de la violence fondamentale décrite par J. Bergeret (1984) et dont on peut penser qu’elle se joue à un double niveau : le niveau de la relation à la mère (exacerbé par la rencontre avec la dépression maternelle) et celui de la relation au double gémellaire. Face à ces angoisses dépressives, et aux marques de désorganisation verbale qu’elles introduisent a minima, les stratégies défensives de Christophe peuvent être identifiée autour de deux axes : • Une forme de contrôle qui s’exprime au travers d’une préoccupation

de Christophe pour le support matériel que constituent les planches de Rorschach, au travers d’une mise à l’épreuve sensorielle (il touche les planches pour en éprouver la qualité) ou de remarques et interrogations sur la qualité de la trace graphique formant les taches ; le nombre de banalités (5 pour un protocole de 20 réponses) participe sans doute également de cette stratégie défensive ; • Un investissement du lien qui tente de pallier les vécus péjoratifs liés à la non-continuité et/ou la dispersion du stimulus : lien avec le psychologue appelé par les différents questionnements et remarques précédemment évoqués, lien qui sous-tend la représentation de la dernière réponse proposée à la planche X (« et là il y a des ponts... ! comme ça... "... c’est tenu par une ficelle » ; enquête : « deux trucs qui tient et qui sépare »). On comprend que, dans ce contexte, la question de la construction identitaire se présente comme centrale, au sens où le processus de séparation – individuation apparaît comme étant mis à mal dans le lien à l’objet. Tout se passe comme si, pour Christophe, le paradoxe du lien et de la séparation peinait à être contenu (être en lien pour se séparer et se séparer pour être en lien) et à se constituer comme fond silencieux du déploiement du lien à l’objet. La réponse additionnelle de la planche X de l’épreuve de Rorschach en fournit une autre illustration, témoignant de la violence de l’évocation de l’expérience de séparation : « une pince dangereuse, un sécateur »...

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

289

La construction des imagos parentales, supports du déploiement du processus identificatoire, s’avère fragile : peu investie à l’épreuve de Rorschach, elle prend une forme plus explicite à l’épreuve du CAT. En effet, celle-ci met en évidence un lien au maternel peu satisfaisant : la figure maternelle est peu animée (le récit, à la planche 1, s’achève sur cette expression : « (...) la maman poule elle est pas coloriée »), l’accès à la satisfaction orale reste dans le registre de l’improbable. De la même manière, le lien à la figure paternelle repose sur une dévalorisation de son image, annulant tout espace de conflictualité. La construction d’une théorie de l’origine s’en trouve mise à mal, la référence au double (tant en termes de vis-à-vis que de confrontation) ouvrant assez nettement sur des vécus persécutoires. Enfin, au plan des modalités d’investissement de la relation d’objet, l’accent est mis, dans la rencontre avec Christophe, sur une relation d’objet anaclitique, qui privilégie une relation par étayage empruntant aux formations réactionnelles la possibilité d’un maintien du lien : à l’épreuve de Rorschach, planche IV : « non ! ou un bonhomme et puis c’est tout... c’est tout bien fait (touche la planche) » (là où l’enquête verra émerger une figure de robot), et à l’épreuve du CAT, planche 7 : « c’est un tigre qui attaque des singes, c’est joli dis donc, j’aimerais bien le voir colorié » (la formation réactionnelle est là clairement au service de l’évitement du conflit).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Synthèse et perspectives cliniques La clinique de Christophe place le psychologue en présence d’une configuration particulière dans l’investissement et la construction de la figure du double qui se laisse explorer dans le croisement des données cliniques recueillies à partir des différentes épreuves proposées et ici tout particulièrement à partir de l’épreuve du Rorschach et de l’épreuve thématique du CAT. On peut faire ici une double hypothèse sur les enjeux de la confrontation à une figure de double dans la réalité, dont chacun des termes viendrait en complément de l’autre : • La confrontation au jumeau (vis-à-vis potentiellement indifférencié,

inaugurant une situation de miroir en double-double) serait venue épuiser les potentiels de Christophe pour la construction d’un double interne ; tout se passerait alors comme si l’échec de la constitution du double au-delà du même-autre que représente le jumeau ne pouvait être rendu acceptable que par le clivage des mouvements pulsionnels, ici par le clivage

290

Illustrations cliniques

bon/mauvais traversant la fratrie gémellaire... dont on peut repérer la fonction de support à l’identification et la différenciation pour les parents ; on peut penser à ce propos que le clivage témoignerait ici de la difficulté, pour la mère, de réfléchir/contenir/transformer dans son regard le regard de ses deux enfants jumeaux ; • La situation des liens au sein de la famille, et le vécu de souffrance de la mère de Christophe vis-à-vis de sa propre mère en particulier, semble avoir opéré une sorte de captation de la construction du double, dans une forme de retournement (le terme de captation est ici utilisé à dessein : en effet, l’observation des liens entre la mère et Christophe donne à voir quelque chose d’une emprise sur ses paroles, ses comportements, ses productions graphiques...) ; là où l’enfant aurait pu se reconnaître dans le visage de sa mère, c’est la mère qui se serait reconnu dans le visage de son enfant, laissant ce dernier en proie à un vécu d’abandon ou, à tout le moins, à un vécu de lâchage dans le regard (la mère se soutiendrait du regard de son enfant, sans permettre à celui-ci de se soutenir du regard de son propre regard), introduisant celui-ci dans une forme de fusion-dépendance et entravant l’accès à une expérience de miroir en double-écart satisfaisante. On peut penser que la situation de gémellité met particulièrement à l’épreuve l’histoire des liens, au travers de la construction du double et de l’emboîtement singulier des relations en miroir qu’elle mobilise : la clinique de Christophe (et tout particulièrement la réponse proposée à la planche II de l’épreuve de Rorschach) invite à envisager les formes de cet emboîtement au travers de l’exacerbation des mouvements en jeu dans le lien à l’autre-même (le jumeau) et au même-autre (la mère). Sans doute cette clinique confronte-t-elle à un échec dans le travail de transitionnalisation ouvert par l’expérience du regard échangé, de la mère à son enfant, mais elle permet également d’interroger le risque dépressif propre à la situation de la gémellité, au sens de la fragilisation des fondements du processus de séparation-individuation. La qualité des réponses à l’épreuve de Rorschach et des récits à l’épreuve du CAT, au travers des doutes, des ruptures et/ou des confusions, témoigne de la précarité de l’aire transitionnelle. L’auto-identification de Christophe à un « tas de ferraille qui ne sert à rien, tout démoli » (pour reprendre ses propres termes énoncés lors de l’entretien) condense les enjeux de cette fragilisation : en souffrance dans son expérience d’une continuité d’être, il fait l’expérience intime d’un miroir inaccessible, dans la mesure de l’absence de jeu possible entre la rencontre du double-double et du double-écart.

291

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Dans ce contexte, et au regard de la capacité manifestée par Christophe de s’engager dans le lien avec le psychologue, le bilan projectif ouvre sur l’indication d’une psychothérapie individuelle, dont on peut penser qu’elle trouverait un intérêt particulier à prendre appui sur un dispositif de scénarisation des conflits (psychodrame, médiation du Scéno-test) afin de soutenir l’accès à un trouvé–créé qui puisse se proposer comme fondement au déploiement des conflits. Protocole de Rorschach de Christophe, 7 ans Pl.

I

II

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

III

IV

Temps

0 : 00 :35

R

Passation

1

Euh... une chauve-souris

ses ailes là, ses pattes

G F+ A Ban

2

une... un taureau un

ses cornes, ses pinces...

G F- A

3

une raie... et ben voilà.

4

Des... éléphants qui... qui font des... de la, un peu de bataille avec leur trompe et tout... y a des pattes de cheval là, des pattes de cheval... et... c’est bon.

5

Une araignée... ça res- (E : deux personnes ?) G F- A semble beaucoup à une ah ouais ! on dirait des araignée t’as vu ? là y a les ombres en fait yeux, là y a les pattes...

6

est-ce que c’est une araignée ? le corps est un peu effacé...

D F+ Obj Ban

7

Là un nœud-papillon, un papillon, un scarabée... une fourmi...

D F+ A

8

c’est fait en feutre ? c’est des cartons spécial

G F- A

Une chauve-souris... parce que là il y a la tête et là y a les... queue... chauvesouris

les pattes, les cornes, les ailes... G F+ A la tête, le nez, les pattes, un grand nez, des bras... un petit robot...

0 : 00 :55

0 : 01 :15

0:00:55

9

Enquête

Cotation

G F- A les oreilles, la trompe, les G kan A pattes et ça... c’est je crois Contamiquand ils saignent, ils se nation ? font mal, c’est des bébés qui sont pas du même groupe

292

Illustrations cliniques

(suite) non ! ou un bonhomme et puis c’est tout... c’est tout bien fait (touche la planche).

10

V

0 : 00 :35

VI

0:00:40

VII

0 : 00 :25

VIII

0:00:35

IX

0:00:25

X

0:01:00

G F+ H > (H)

11

Une chauve-souris ça se voit très bien...

G F+ A Ban

12

est-ce que c’est une vraie comme ça on croit que G F+ A Ban chauve-souris ? c’est une mouette un papillon, et voilà. Je sais pas ce que ça peut être... V on va la mettre à l’envers je sais pas... Λ une guitare ? c’est bon, juste une guitare.

13

14

G F+ Obj

Une pince ? voilà, juste pince de crabe une pince. Des... des... des panthères... des panthères qui D1 montent... une flèche... des panthères ou une lionne.

15

Pl -

D kan A Ban

Ça ressemble à rien... à à des chevals là, des hipporien... ça ressemble à rien. campes (D3) Refus R.Add : D F+ A 16

Elle est belle ! tuteur, un une pince dangereuse, un D F+ Obj tuteur... sécateur

17

à des flocons de neige,

R. Add : D F+ A

D F+ Frag

18

des lions,

D2

D FC A

19

à des taureaux,

D7

D F- A

20

et là il y a des ponts ... V D6 - deux trucs qui tient D F- Arch comme ça... Λ c’est tenu et qui sépare par une ficelle. Durée totale de la passation : 00:07:20

Pl +

G F+ Ad

VIII

Les couleurs, le guépard.

X

Taureau, le bleu.

II

Parce qu’ils saignent.

IV

Parce qu’il est tout noir, il a une queue là.

293

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

R = 20

Temps total : 7. 20’ Refus : IX G : 12 D:8

Psychogramme résumé Temps/ réponse : 0. 22’

F : 17 F+ : 11 F- : 6

Temps latence moyen : 0. 00’

F% : 85 F+% : 65

G% : 60

H:1 H% : 5

A : 13 Ad : 1 A% : 70

D% : 40 Σ C : 0,5 T.R.I : 0/0,5

Obj : 3 Frag : 1 Arch : 1

RC% : 30

Ban : 5 Ang% : 0

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Protocole de T.A.T de Christophe, 7 ans Pl.

Temps

Récit

1

0:01:30

Ça peut faire... une poule... une maman poule qui avait trois petits fils et qui... qui... qui allaient manger pour partir en voyage... la maman a fini de préparer les bagages alors elle arrive et elle dit : « dépéchez-vous... les enfants »... c’est avec quoi que c’est fait... de la peinture... la maman poule elle est pas coloriée.

2

0:01:00

C’est... on dirait que c’était des gens qui combattaient pour la ficelle, non qui faisaient du sport, tirer la ficelle le plus fort possible... y avait un ours et un raton-laveur et un bébé raton-laveur...

3

0:01:10

On dirait un roi, le roi, un roi, le roi des lions... ( ?) ben que c’est un roi... là y a une souris...un roi... qui essaie d’attraper toutes les souris et il y arrive pas alors il est en train de penser sur son fauteuil (Christophe regarde le psychologue écrire).

4

0:01:00

C’est une biche, non un kangourou, avec un autre kangourou, la maman kangourou elle saute et l’autre kangourou fait du vélo... et ils vont en pique-nique parce qu’il y a un panier.

5

0:01:00

Deux bébés raton-laveur dort dans une chambre... ça peut faire que deux ratons-laveurs dorment dans une chambre qu’une fille avait capturés...

6

0:00:40

Un loup avec un bébé loup il(s) dort, une maman et un papa dort dans son terrier... le bébé loup est... réveillé.

294

Illustrations cliniques

(suite) 7

0:01:00

C’est un tigre qui attaque des singes, c’est joli dis donc, j’aimerais bien le voir colorié... c’est un tigre qui attaque un singe, c’est un peu l’histoire que le tigre voulait manger le singe.

8

0:00:45

Des singes qui regardent la télé...c’est-à-dire...et les deux singes se moquent d’eux.

9

0:00:30

C’est un loup qui dort dans une chambre ( ?) non...

10

0:00:30

C’est un chien... une maman chien et un bébé chien qui s’amusent... dans les toilettes... Durée de la passation : 0 : 9 : 05

Laetitia, 7 ans et 7 mois

Laetitia est reçue en consultation à la demande de sa mère, qui a été alertée par l’enseignant de sa fille sur les difficultés que celle-ci manifeste dans l’investissement des apprentissages. Seule la mère de Laetitia sera présente lors des quatre rencontres en appui desquelles le bilan projectif sera réalisé. Le père de Laetitia, souvent annoncé comme devant être présent à l’occasion d’un entretien ultérieur, ne pourra à aucun moment se rendre disponible, malgré les diverses propositions du psychologue pour des horaires de rendez-vous compatibles avec les activités professionnelles du père de Laetitia. ➤

La demande et la construction de l’examen psychologique Si la demande, telle qu’elle est apportée par la mère de Laetitia, concerne résolument la sphère scolaire (Laetitia, selon les propos de sa mère, « décroche » en classe, alors qu’elle ne présenterait pas de difficulté de concentration et d’attention à la maison), très rapidement se trouve placée sur le devant de la scène les conditions particulières de la conception de la fillette. En effet, dès les premières paroles de la mère de Laetitia, la conception par procréation médicale assistée de Laetitia, seule enfant du couple de ses parents (le père, quant à lui, a de grands enfants issus d’une première union), est présentée comme élément déterminant de l’évolution de l’enfant. La mère de Laetitia associe aux conditions de la conception de sa fille une charge d’angoisse maternelle importante, dont on peut entendre à demi-mot qu’elle serait venue spécifier des aspects du développement

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

295

de l’enfant : celle-ci est présentée comme dormant peu et mangeant très peu, de manière quasiment continue. On peut entendre en filigrane que le lien de la mère de Laetitia à cette dernière a pu être dominé par une forme de dépendance au quotidien : Laetitia aurait été une enfant qui ne peut s’autonomiser à l’égard de l’adulte, dans une quête d’une continuité de l’investissement ne laissant que peu de place au déploiement du processus de séparation–individuation. Par ailleurs, la mère de Laetitia insiste sur l’absence d’objectivation des difficultés scolaires de sa fille : un bilan orthophonique, puis un bilan cognitif réalisé par la psychologue scolaire, ne mettent en évidence aucun trouble instrumental et/ou cognitif. C’est dans ce contexte que la consultation s’oriente assez rapidement vers la passation de deux épreuves projectives (Rorschach et CAT), auxquelles seront adjointes une proposition de dessin libre et d’un dessin à consigne (D10 de J. Le Men).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Clinique de la passation Laetitia s’investit avec plaisir dans la passation des épreuves et, de manière générale, dans la relation duelle. Celle-ci semble non seulement la soutenir, mais aussi la mobiliser dans une forme d’excitation sur laquelle il conviendra de revenir. Le lien transférentiel autour des épreuves projectives se trouve coloré alternativement, selon les moments, par une importante excitation de Laetitia et par des mouvements de contrôle. L’excitation emprunte des formes auto-érotiques : Laetitia s’agite, croise ses jambes, les décroise, met sa main dans son entrejambe, puis se gratte d’autres parties du corps (le cou, les pieds...). Dans la rencontre avec les épreuves projectives, Laetitia se montre dans le souci de la réussite : elle interroge la pertinence de ses verbalisations, elle voudrait savoir si ses réponses ou ses récits peuvent être qualifiés de « justes » et interroge la manière dont les autres enfants que je vois se comportent face aux sollicitations des planches. Laetitia manifeste sa surprise lors de la présentation de certaines planches de l’épreuve de Rorschach (planches II, VI et VIII), alors que les planches du CAT paraissent pouvoir être appréhendées avec davantage de sérénité. On le verra, Laetitia multiplie, particulièrement au décours de la passation de l’épreuve de Rorschach, les marques d’un contrôle nécessaire de la situation projective : contrôle de la prise de note du psychologue, interrogation à l’enquête de l’origine des planches...

296



Illustrations cliniques

Les processus de pensée La verbalisation de Laetitia témoigne d’une fluidité des processus de pensée : le vocabulaire est plutôt adapté, on note peu de dérapages dans l’expression qui soutient et concourt au travail de mise en représentation. On peut repérer néanmoins quelques marques de glissement comme à l’épreuve de Rorschach, planche V, réponse 10 : « une chauve-souris à plume... là on dirait un stylo à plume... et voilà »). Il semble que dans cet exemple, un double glissement peut être observé : • d’une part, dans une forme de contamination de la réponse « chauve-souris

à plume »/« stylo à plume » ; • d’autre part, au travers d’une traversée peu contrôlée d’une représentation issue du travail de l’imagination engagé à partir de la rencontre de la planche et de la perception dans la réalité du stylo à plume utilisé par le psychologue pour prendre en note les réponses proposées (on peut penser à cet égard à nouveau aux mouvements de contrôle déployés par Laetitia : inscrire dans la production verbale un objet de la réalité externe, attaché au psychologue, qui, de surcroît, peut être référé dans une dimension phallique, constitue une manière de limiter les enjeux d’excitation qui infiltrent le lien transférentiel). De manière incidente, on peut repérer que ces glissements peuvent également être repérés dans la rencontre des planches du CAT, en particulier à la planche 3 (qui confronte l’enfant à une figuration de la puissance phallique à partir de la représentation d’un lion, nanti d’attributs : canne, pipe) : en effet, on identifie au décours du récit proposé à cette planche une craquée verbale : « c’est quoi ça c’est un lion ? dis donc ! alors il était une fois un violon... un vieux lion qui était pas gentil du tout (...) ». Au regard de la thématique du discours (voir le protocole dans son entier ci-dessous), s’inscrit la perspective selon laquelle la rencontre de la puissance phallique actualise une expérience de castration insupportable, qu’il s’agirait de tenir à distance... ici au prix de l’intégrité des processus de pensée. En contrepoint, on peut noter que l’intervention du psychologue dans le cadre de l’enquête des limites (planche III), avec la proposition de la réponse banale « deux personnes » ouvre sur un nouveau mouvement d’excitation, avec l’évocation quasi-explicite d’une scène sexuelle qui désorganise d’une certaine manière sa capacité à contenir l’excitation lorsque la représentation humaine se trouve appelée (« oui... et ça c’est quoi ? le quiqui et la zézette, ils se battent avec leur ventre »).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



297

Le traitement des conflits Les angoisses dont témoigne la production projective se situent essentiellement dans le registre des angoisses de castration. Tout se passe comme si ces angoisses n’avaient pu être suffisamment contenues, et qu’elles n’avaient pu s’inscrire dans des processus défensifs efficients dans le registre du refoulement. À l’épreuve de Rorschach, alors même, on le sait, que les sollicitations se situent davantage dans un registre primaire que secondaire, apparaissent de manière répétée, mais exclusivement dans le temps de l’enquête (temps de diminution du contrôle ?), des réponses sexuelles, dont l’adéquation perceptive/projective peut être mise en doute... (planche I, à l’enquête pour expliciter la réponse « papillon » : « les deux ailes, les yeux, ça les yeux, les antennes et le quiqui, la zézette ou le quiqui ? » ; planche II, en référence à la réponse « papillon », précédée de la remarque « encore » : « les yeux, ailes, et le quiqui » puis à la planche X, toujours en lien avec une représentation de papillon : « les deux antennes, les deux ailes, le petit cœur, comme le zizi qui pend ». Par ailleurs, on peut faire le constat que face aux planches du CAT, bien autrement excitantes dans la mesure de la transparence des conflits œdipiens portés par les planches, les angoisses de castration se jouent sur une modalité archaïque, particulièrement autour des angoisses de dévoration et de destruction (planches 2, 3, 4, 5 et 6). Face à ces angoisses, les mouvements défensifs qui se mettent en œuvre se situent essentiellement sur le versant du contrôle, par échec du travail du refoulement... contrôle qui parfois échoue et laisse Laetitia aux prises avec l’excitation. Le contrôle se traduit en particulier par la place qu’occupent les réponses globales au détriment d’une appréhension analytique du stimulus, mais il se traduit également par la prégnance des réponses animales et de pseudo-humains au détriment de réponses humaines qui pourraient se constituer comme support pour le jeu des identifications (on note également, dans la même lignée, l’absence de réponses kinesthésiques, qu’elles soient de kinesthésie humaine ou de kinesthésie de substitution). Le contrôle peut être également repéré au travers du choix des déterminants : l’ensemble des réponses est déterminé par la forme (F % = 100), alors que celles-ci n’apparaissent adéquates que dans une mesure limitée (F+ % = 26). Le retrait face à toute émergence affective (Σ C = 0, absence de réponses sensorielles en général et T.R.I = 0/0), et la rétraction de la vie psychique dont il rend compte, tend à faire retour au travers de la forte mobilisation des planches couleur (RC % = 43). Ces différents éléments témoignent de

298

Illustrations cliniques

l’activité conflictuelle au cœur du fonctionnement psychique de Laetitia, et laisse augurer des potentiels de mobilisation de l’enfant. Au plan de la construction identitaire, les différentes sollicitations proposées à Laetitia (présentation des planches de l’épreuve de Rorschach, enquête des limites...) et la manière dont la fillette se situe à leur égard, tendent à conforter l’absence de troubles majeurs dans la construction des repères et de la différenciation entre monde interne et réalité externe : la réponse banale à la planche V contribue à attester de cette construction... même si les glissements déjà évoqués au décours de la seconde réponse de la planche peuvent ouvrir une forme de doute. Il semble que l’on peut mesurer ici la dimension désorganisatrice que peuvent entraîner les carences dans le travail du refoulement : la mobilisation de l’excitation attachée à la représentation de la « plume » (référence à une représentation sexuelle/phallique) tend à subvertir l’appréhension unitaire et stable du stimulus, au profit d’une forme de dérapage. En contrepoint, les récits proposés au CAT confirment la qualité globale de la saisie de la réalité par Laetitia au travers d’une adéquation des représentations mobilisées au regard du stimulus. Au plan identificatoire, ainsi que cela a été précédemment évoqué, il apparaît que toute référence à la différence des sexes ouvre sur l’expression d’une excitation difficile à lier par le biais de représentations en mesure de se proposer comme compromis face au stimulus. Cela est particulièrement patent dans la rencontre avec les planches de l’épreuve de Rorschach, dans la mesure de la traduction, dans le langage, de cette excitation (réponses explicitement référées aux organes sexuels, masculin et/ou féminin). Au CAT, il semble que ce soit davantage dans l’évitement que se joue la rencontre avec la différence des sexes et des générations : les représentations parentales, qui contiennent la référence à la sexualité au sein du couple, tendent à être évitées, ou mises à distance. Un exemple peut être proposé à la planche 5 (dont on connaît la sollicitation latente en lien avec le fantasme de scène primitive–scène originaire) : « il y a deux petits ours dans leur lit, le papa et la maman ils sont pas là ils sont en train de déjeuner... les petits ours sortent faire une balade tous seuls et quand ils voient le grand méchant loup ils repartent vite dans leur lit ». Si la mise à distance de la représentation du couple parental et de la sexualité qui les unit autorise une première marque de dégagement, on peut repérer la fragilité de cet aménagement qui tend à laisser Laetitia face à un vécu d’abandon et d’insécurité. Les relations d’objet paraissent s’établir dans une référence a minima à la triangulation œdipienne, même si celle-ci est vécue comme éminemment

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

299

dangereuse du fait du débordement d’excitation attaché à son évocation. Sans doute l’absence de réponse humaine dans le protocole de Rorschach (au profit de monstre et de robots, certes inquiétants mais asexués) constitue-t-il un indice de la difficulté d’un véritable investissement d’une relation d’objet œdipienne, laissant Laetitia dans la nécessité de réduire les expressions de la conflictualité à une dimension duelle comme le montrent bien les récits produits face aux planches de l’épreuve du CAT. ➤

Synthèse et perspectives cliniques Il semble que l’on puisse considérer le cas de Laetitia comme paradigmatique de la survivance, dans le temps de la latence, de problématiques œdipiennes extrêmement florides qui peinent à se trouver contenues dans l’élaboration de scenarii fantasmatiques à même de traiter l’excitation pulsionnelle engagée dans la rencontre œdipienne. Sans doute à cet égard peut-on penser l’absence paternelle (absence à un temps de rencontre proposé par le psychologue autour des difficultés d’apprentissage de Laetitia) comme signifiante d’une confrontation impossible (confrontation à la limite, confrontation à la différenciation, confrontation au refoulement ?). On peut en effet émettre à l’endroit du défaut du travail de refoulement dans la construction et l’expression du fonctionnement psychique de Laetitia une double hypothèse :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• d’une part, la particularité de la conception de Laetitia par la voie d’une

procréation médicalement assistée, mise en avant par les parents (la mère) de l’enfant, confronte celle-ci à une scène originaire qui se déploie sur un mode traumatique, peu élaborable dans la mesure de ce qu’elle indique d’une exposition de la sexualité des parents ; • d’autre part, la difficulté d’accès aux apprentissages de Laetitia, dans la mesure où cet accès mobilise la question de la curiosité (et de la curiosité sexuelle tout particulièrement) témoignerait d’une inhibition de type névrotique, qui protège l’enfant de représentations trop crues de la sexualité. Si les assises narcissiques de Laetitia semblent a minima assurées, excluant toute inscription dans un registre psychotique de fonctionnement psychique, il n’en reste pas moins que la potentialité désorganisatrice de l’excitation sexuelle génitale place l’enfant dans une forme de risque : en effet, le retrait à l’égard des apprentissages, s’il protège Laetitia d’un rapproché trop chaud avec l’excitation pulsionnelle, tend à invalider une part des investissements sociaux dont on sait que la période de la latence permet le déploiement.

300

Illustrations cliniques

À cet égard, et au regard des potentiels d’élaboration dont témoigne Laetitia, il apparaît tout à fait important d’envisager un accompagnement psychothérapique qui permette à la fillette de se dégager du débordement d’excitation lié à la rencontre œdipienne, en s’y confrontant sur la scène thérapeutique. Avec une enfant curieuse au plan intellectuel comme peut se présenter Laetitia, la médiation de récits, de contes ou de l’écriture pourrait représenter un bon compromis pour une prise en compte de la souffrance psychique de Laetitia (tout à la fois appui sur une production normative, comme support rassurant d’une figuration de l’histoire des origines et déploiement de son activité fantasmatique propre). Protocole de Rorschach de Laetitia, 7 ans et 7 mois Pl.

I

II

III

Temps

R

Passation

1

Ça peut être un papillon, ouh là, on comprend rien par contre (elle regarde ce que j’écris et commente mon écriture).

2

( ?) Une souris...voilà.

3

Ouh là, alors ça... on dirait là on trait les vaches (D3), G F- A une vache qui fait pipi. là le corps (D1), les yeux —> kan (D2), la queue (autre D1).

4

Encore un papillon... ça se les yeux (D2), ailes (D1) G F- A voit quand même... et le quiqui (D3). c’est bizarre...c’est un peu bizarre.

5

Une mouche...et voilà.

6

Une araignée.

7

Une grenouille et je pense avec des dents comme G F- A que c’est tout. ça...non V (E ?) deux personnes ? Oui...et ça c’est quoi ? (D7) : le quiqui et la zézette, ils se battent avec leur ventre.

0:00:35

0:00:45

0:00:25

Enquête

Cotation

les deux ailes, les yeux, ça G F+ A Ban les yeux, les antennes et le quiqui, la zézette ou le quiqui ?

chauve- pour la chauve-souris G F+ A Ban comme le papillon

yeux (D2), ailes (D1) G F- A et le quiqui là comme d’habitude, pattes, yeux (D3)...on dirait un nœudpapillon et là tout le corps (D1). G F- A

301

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

(suite)

IV

V

8

G F+ (H)

9

V Λ Alors ça c’est encore un papillon...je pense qu’elle est là sa tête VΛ

G F+ A Ban

10

Une chauve-souris à plume...là on dirait un stylo à plume...et voilà (retourne la planche).

GCont F+ A (référence au stylo à encre du psychologue ?)

0 : 00 :30

VI

0:00:55

11

Ouh ben dis donc celle-là les côtés (D lat.) et là la elle est drôle, une sorte de tige. G F+ Bot feuille, une feuille V Λ et voilà.

VII

0:00:50

12

Une rivière de traviole.

13

V Ça pourrait être aussi pas un train, un géant, les G F- (H) un train géant. pattes et la tête.

VIII

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

0:00:35

Elle est pas à l’envers, V je vois mieux on dirait qu’il a deux têtes celui-là... Λ un monstre, un drôle de monstre.

IX

0:01:00

c’est toi qui l’a fait ?

G F- Geo

14

La suivante est multico- bras (D1), pour qu’il G F- (H) lore, ça va mieux V un tourne (D4) la tête. robot et...

15

Et un monstre.

16

Et un papillon qui est très deux ailes (D1), grosse G F- A tête (D2) comme la drôle. toupie.

17

Et une chauve-souris comme le papillon. voilà... je comprends un peu rien mais je regarde bien.

G F- (H)

G F- A

Je vais pas faire des dessins tous les jours !

0:00:45 18

19

V Un tourbillon magique ça tourne. (fait tourner la planche sur elle-même).

G F- Frag

Ou sinon V un ours un ours qui se transforme, G F- A magique. tête, bras, jambe.

302

Illustrations cliniques

(suite) 20

X

V Ou un cerf magique (fait tourner la planche sur ellemême).

G F- A

21

Euh... V un papillon.

les deux antennes (D4), DD F- A les deux ailes (D9), le petit cœur, comme le zizi qui pend (D8).

22

Une chauve-souris.

comme le papillon.

23

Un oiseau euh...un oiseau les deux ailes (D9), le bec D F- A et voilà. qui ouvre (D4) et le petit cœur (D6).

0:00:50

DD F- A

Durée totale de la passation : 00:07:10 Pl +

VIII IX

Pl -

R = 23

Je trouve que c’est la plus jolie, c’était le robot le plus... le plus joli, le plus brillant. J’aime bien quand ça brille et quand ça tourne le tourbillon.

IV

Temps total : 7. 10’ G : 19 GCont : 1 D:3

Psychogramme résumé Temps/ réponse : 0. 19’ F : 23 F+ : 6 F- : 17

F% : 100 F+% : 26

Temps latence moyen : 0.00’ H:0 Hd : 0 H% : 0 (H) : 4 A:6 A% : 75

G% : 63 D% : 37 ΣC:0 T.R.I : 0/0 RC% : 43

Geo : 1 Bot : 1 Frag : 1 Ban : 3 Ang% : 0

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

303

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Protocole de CAT de Laetitia, 7 ans et 7 mois Pl.

Temps

Récit

1

0:01:10

On peut faire : trois oiseaux qui déjeunent derrière eux il y a un coq ou une poule et alors ils déjeunent tranquillement jusqu’à ce que la ponte arriva ( ?) rien... et après ils retournèrent au lit.

2

0:01:25

Ah oui, trois ours, deux d’un côté et deux de l’autre... et y en avait deux d’un côté qui tiraient et un de l’autre... qui va gagner ? les deux ours bien sûr... et ils continuaient, ils continuaient jusqu’à... jusqu’à que... ? jusqu’à ce que le grand dragon arrive ( ?) et alors ils s’enfuient vite pour aller se cacher... parce que le dragon se réveille le soir.

3

0:01:15

C’est quoi ça c’est un lion ? dis donc ! alors il était une fois un violon... un vieux lion qui était pas gentil du tout... sauf quand il voyait des souris parce qu’il avait peur des souris... alors il se dit non ! un lion a pas peur des souris ! alors il le mangea... et y a rien d’autre à dire.

4

0:01:40

Ah ben ça par contre... il y avait un maman kangourou avec son enfant en vélo et son bébé dans la poche, elle avait un panier, un chapeau... et elle sauta, elle sauta jusqu’à ce que le petit enfant ait mal... de pédaler... alors elle rentra se coucher jusqu’à temps qu’un grand oiseau féroce arriva... juste à temps les kangourous étaient en train de dormir.

5

0:00:55

Il y a deux petits ours dans leur lit, le papa et la maman ils sont pas là ils sont en train de déjeuner... les petits ours sortent faire une balade tous seuls et quand ils voient le grand méchant loup ils repartent vite dans leur lit.

6

0:01:00

C’est quoi ça c’est des ours ? il y avait deux ours dans une grotte, un petit et un grand... il y en avait un qui dormait et l’autre qui essayait de se décoincer parce qu’il était trop gros dans le trou... jusqu’à ce que le petit ours sortit... plus que quatre.

7

0:00:55

Ouh là la... il y avait un singe qui se balançait de liane en liane jusqu’à ce qu’un tigre arrive et lui sauta dessus... et voilà ( ?) le singe va se faire dévorer.

8

0:00:50

Alors la grand-mère qui était morte était en photo, la maman, la tata, pépé et le papa... la tata gronda le petit singe... et voilà...

9

0:01:05

Un petit lapin dans son lit se réveilla... il se dit mais c’est le jour alors je vais aller déjeuner.

10

0:00:30

Oh des chiens... il y avait des chiens... alors sa maman tapa son petit chien sur ses fesses et le petit chien dit « ouah » et la maman dit « c’est pas bien » alors le p’tit chien alla se coucher et la maman aussi ( ?) qu’il fasse pipi partout dans la maison. Durée de la passation : 0:10:45

304

Illustrations cliniques

Houria, 8 ans

Houria est âgée de 8 ans environ au moment de la consultation. C’est sa mère qui prend contact avec le service de consultation, sur les conseils de la pédiatre qui suit l’enfant depuis la naissance. La question de l’intégration scolaire est au cœur des préoccupations, dans la mesure où Houria est identifiée par l’école (de fait depuis plusieurs années) comme une enfant peu adaptée aux exigences liées aux apprentissages. ➤

La demande et la construction de l’examen psychologique Les deux parents sont présents lors du premier entretien. Houria est présentée par eux comme une petite fille réservée, plutôt introvertie, qui ne pose pas de difficultés particulières du point de vue de l’éducation : enfant unique du couple parental, elle répond globalement aux attentes et aux exigences que ses parents peuvent avoir à son égard, tant du point de vue de son développement global que celui des relations au sein de la famille. Les parents mettent en évidence le fait que Houria se montre une petite fille solitaire, parfois repliée sur elle-même et, en tous les cas, en difficulté du point de vue de sa vie sociale... mais sans que cela ne se traduise par une marginalisation significative dans son environnement de vie (école, voisinage...). De fait, la préoccupation s’avère principalement liée aux résultats scolaires et à la perspective de la nécessité d’un redoublement au regard des performances de Houria. Dans le même temps, la situation familiale est présentée de manière quelque peu dramatisée : la mère de Houria doit faire face à de graves difficultés de santé, avec des hospitalisations répétées, tandis que son père se décrit lui-même comme peu en mesure d’assurer la prise en charge de sa fille au quotidien. Apparaît ainsi un contexte d’insécurité relationnelle pour Houria, dans la double valence de l’inquiétude pour la santé de sa mère et de l’expérience d’un appui précaire du point de vue paternel : des solutions palliatives sont mises en place par la mère, non sans culpabilité, afin de garantir une continuité suffisante de préoccupation à l’égard d’Houria (mobilisation d’amis de la famille en particulier, le milieu familial se montrant peu en mesure, pour des raisons diverses, de contribuer à l’accueil de Houria). Un bilan psychologique, intégrant des épreuves d’évaluation des compétences cognitives et du fonctionnement psychique, est mis en œuvre. Seront ainsi proposées successivement à Houria le WISC-IV, l’épreuve de Rorschach et du CAT.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



305

Clinique de la passation La passation des différentes épreuves sera laborieuse. Houria montre rapidement des difficultés tout à la fois dans l’épreuve cognitive du WISC-IV et dans les épreuves projectives. Elle se tient en retrait de l’investissement de la relation, dans un mouvement que l’on pourrait qualifier de phobique. Les résultats obtenus au WISC-IV témoignent d’une efficience intellectuelle très altérée, témoin d’une modalité de relation au monde qui l’entoure extrêmement précaire. Face aux épreuves projectives, Houria se trouve limitée dans la mobilisation d’une conscience interprétative et tend à s’arrimer à la nécessité de reconnaître dans l’engramme des planches une réalité connue (à la planche I du Rorschach, elle demande : « Hé en fait, c’est quoi ce truc ? », comme s’il s’agissait effectivement d’un exercice de devinette ; puis elle formule à plusieurs reprises le sentiment qu’elle ne se « rappelle plus », comme s’il s’agissait d’une tâche de reconnaissance d’une réalité connue). Houria se maintient à distance du matériel de l’épreuve, ne touche pas les planches malgré qu’elles lui soient tendues, et les appréhende alors une fois posées sur la table. La verbalisation est limitée, entrecoupée de nombreux silences, qui ouvrent autant d’invitations à la solliciter à développer ou préciser son expression, invitations dont la petite fille ne se saisit que fort peu, échouant à prendre appui sur la relation clinique. De fait, ces silences semblent constituer autant de marques de distanciation à l’égard de la situation : Houria semble s’échapper de la passation, elle regarde ailleurs, marquant ainsi une forme de désintérêt (ou d’échec ?) pour cette mobilisation de l’imaginaire à laquelle elle est invitée. On pourrait à cet égard évoquer une forme de refus tempéré de l’épreuve, dans un contexte où une opposition frontale représenterait une menace pour le lien et, au-delà, pour sa propre sécurité. Le contrôle visuel sur la prise de note du protocole participe sans doute également de ce mouvement.



Les processus de pensée La production projective de Houria se révèle particulièrement pauvre, non pas tant du point de vue quantitatif (R = 18), que du point de vue de la qualité de la verbalisation. Les réponses sont portées par des modalités d’appréhension et un langage souvent approximatifs, peu précis ou incorrects (par exemple les « marmout », planche VIII, à l’occasion de l’enquête

306

Illustrations cliniques

des limites), voire peu cohérents (planche VIII : « un oiseau comme un dinosaure ») ou instables (le glissement, manifesté à l’enquête, de la planche V à la planche I en témoigne). La majorité des réponses est donnée en réponse globale (G% = 89). Les deux seules réponses de grand détail sont énoncées à la planche X, marquée par une dispersion du stimulus : tout se passe comme si le mode de saisie du stimulus par Houria se trouvait comme plaqué à ses qualités les plus immédiatement perceptibles. Par ailleurs, la discrimination du stimulus sur lequel porte la réponse est souvent précaire : une grande part des réponses globales peuvent être qualifiés de réponses vagues, au sens de la faible structuration du stimulus de la planche. Ainsi, les processus de pensée se présentent comme étant marqués par une labilité notoire (discontinuité, instabilité), révélant une fragilité dans la construction des contenants de pensée. La quête d’un appui sur la réalité d’un vu-connu apparaît comme une stratégie au service de la restauration d’un espace de continuité à même de soutenir a minima une démarche de sens. ➤

Le traitement des conflits On peut considérer deux modalités principales d’expression des angoisses dans le protocole de Houria : – d’une part, comme cela vient d’être énoncé, au décours de la fragilité dans la construction des limites (limite du stimulus et limite séparant les planches entre elles) ; – d’autre part, au travers des contenus des réponses, dont une part se réfère à des contenus agressifs ou morbides (planche V : « C’est comme une araignée (E : ?) ça boit du sang... » ; planche IX : « un squelette... sans yeux »), et une autre à des animaux à sang froid dont la tonalité est plutôt dysphorique (araignée, scarabée, limace...). Ainsi les angoisses se présentent-elles au Rorschach essentiellement en lien avec la fiabilité et/ou la perte des limites et des enveloppes psychiques, angoisses liées à la sécurité et à l’intégrité du monde interne. En contrepoint, le CAT met en évidence la prégnance d’angoisses de lâchage et/ou d’abandon. Dans ce contexte, les défenses mobilisées par Houria empruntent plusieurs voies, et c’est leur caractère drastique et rigide qui seul peut en assurer l’efficience : la voie du contrôle et de l’inhibition (restriction de la verbalisation, emprise visuelle sur le clinicien), la voie du clivage, que l’on

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

307

peut repérer tout à la fois au regard de discontinuité des investissements (clivage du Moi ?) et au regard de la coexistence de contenus contrastés, non conflictualisés et proposés dans la même appréhension globale de la planche (planche VII : « C’est des anges et des diables et c’est tout.... »), en appui sur des parties distinctes pour justifier les ailes des premiers et la queue des seconds. On note un faible investissement des représentations humaines (H = 2), qui se présentent :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

– soit de manière indistincte quant à l’appartenance masculine ou féminine (planche III : « c’est une dame et un monsieur ») ; – soit dans une fragilité de leur dimension vitale, comme en témoigne le glissement d’une réponse humaine à une réponse de squelette à la planche IX. Ce faible investissement ne se trouve pas compensé par l’investissement de réponses animales substitutives (animaux anthropomorphes) : le bestiaire ne contient aucun mammifère mais uniquement des animaux à sang froid (insecte, poissons, dinosaure....). L’évitement relationnel qui sous-tend les réponses au Rorschach (absence de kinesthésie humaine) se trouve pour une part confirmé dans les réponses au CAT qui mettent en scène, au mieux, des représentations de relation dans le registre de la simple coexistence (planche 2, 5 et 6 par exemple) ou de la dépendance et/ou de la contrainte (planche 8, 9 et 10). Le refus à la planche 1 du CAT interpelle tout particulièrement du fait de l’impossibilité de représenter le lien maternel autour en appui sur la mobilisation de l’oralité. Domine, dans ce contexte, un évitement de la conflictualité que l’on peut comprendre comme le témoin de la précarité de la construction des liens sur le fond d’angoisses de lâchage. Notons enfin la présence d’un TRI coarté (0/0), qui rend compte de la pauvreté de la dynamique du fonctionnement sur la double polarité de l’intériorisation des investissements et d’un rapport sensible au monde qui l’entoure. ➤

Synthèse et perspectives cliniques Au total, l’examen psychologique (et le Rorschach en particulier) témoigne d’une grande précarité des organisateurs de la personnalité de Houria. La fragilité des enveloppes psychiques offre un tableau clinique que l’on peut rapprocher des pré-psychoses (J.-Y. Chagnon & M.-L. Durand, 2007). On

308

Illustrations cliniques

soulignera tout particulièrement deux aspects qui signent la singularité du fonctionnement psychique dans cette configuration : – d’une part, le retrait de l’investissement cognitif dont l’on peut relever la trace dans les épreuves cognitives, avec le témoin que propose le calcul du QI, et dans les épreuves projectives, et tout particulièrement dans l’épreuve de Rorschach, avec l’inhibition massive qui fait suite à l’invitation à donner forme et organiser un stimulus qui ne possède d’autre structure que sa conformation bilatérale ; – d’autre part, la coexistence sectorisée de modalités adaptatives (les banalités aux planches V et X de l’épreuve de Rorschach, l’adéquation générale du thème des récits à la nature du stimulus au CAT) et de modalités en retrait de l‘investissement de la réalité et, plus spécifiquement, en retrait de l’investissement libidinal Dans ce contexte, et au regard de la massivité de l’effondrement de l’efficience cognitive, il importe d’envisager, au bénéfice d’Houria, tout à la fois des explorations complémentaires dans le champ neurologique et/ou neuropsychologique, et une orientation vers un dispositif de soin et un dispositif scolaire adéquat : l’hypothèse d’une prise en charge dans le cadre d’un hôpital de jour, structure à même de conjuguer une approche institutionnelle et une approche pédagogique semblerait tout particulièrement indiquée. On peut mentionner en contrepoint qu’un soutien aux parents apparaît indispensable, dans la mesure de l’attaque narcissique majeure que représentent les difficultés massives de Houria, avec les aspects invalidants qu’elles entraînent, au regard de l’idéal de l’enfant bien-portant qui anime la fantasmatique parentale.

309

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Protocole de Rorschach de Houria, 8 ans Pl.

Temps

R

Passation

Enquête

Cotation

1

L. 0.03’ Hé...En fait c’est (montre avec son doigt). quoi ce truc ?... une arai- Ça ! Ses antennes (D1) gnée... (E : ?)

2

Un scarabée (montre sur la planche) G F- A (E : ?) Heu...je me rap- C’est ça. C’est les oreilles pelle plus. (D7)

3

C’est une fourmi... (montre toute la planche). G F- A (regarde ce que le C’est ça ! à cause du truc clinicien écrit) blanc (Dbl5)

4

Un papillon... (E : ?)

0:01:15

G F- A

I

II

0:01:10

montre sur la planche) Les antennes (D2)

G F+ A

(regarde ailleurs) Je me rappelle plus des autres

III

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

IV

V

5

C’est une dame et un mon- Le monsieur il est là, et pis G F+ H sieur... la dame elle est là. Ça !... Une jambe (D5) L. 0.55’ (E : ?) je me rappelle plus

6

C’est heu... Ses antennes, là (D3). Et G F- A Une limace... (regarde les oreilles (D4) ailleurs) L. 0.20’ (E : ?) (Hoche la tête pour dire non.)

7

C’est une chauve-souris... Les ailes L. 0.30’

G F+ A Ban

8

(E : ?) (hoche de la tête) (E : ?) Je me rappelle plus du nom. ( ?)

G F+/- A

0:01:05

0:00:35

0:04:00

310

Illustrations cliniques

(suite) C’est comme une araignée Une mygale (E : ?) (E : ?) Elle est heu...(prend les ça boit du sang... planches qui sont retournées et cherche la planche I). Elle est là. (E : ?) (montre sur la planche I) Ce trait, et pis ça les yeux.

VI

VII

VIII

IX

X

0:00:25

0:00:50

9

C’est une feuille.

10

C’est comme un poisson. La queue.

G F+ A

11

Et c’est un oiseau

G F+ A

12

C’est des anges

13

Les bouts.

C’est avec les ailes

G F+ Bot

Ça. C’est les ailes des G F+ (H) anges (D3) Et des diables... et c’est G F- (H) tout La queue

14

C’est... un oiseau comme Le corps de l’oiseau G F- A un dinosaure. (E : des bêtes ?) ça c’est ... et je me rappelle plus comme des...des... marmout (D1) ? (E : ?) Des marmout, je sais plus comment ça s’appelle ? (E : des mammouths ?) des mammouths. (R. Add : D F+ A Ban)

15

On dirait un homme (non audible) (E : ?) c’est un homme

16

Et un squelette... sans yeux Le nez (Dd5) et le corps G F- Anat (E : ?) (D6) Oui et c’est tout

17

ça ressemble à des crabes (montre toute la planche D F+ A Ban ces deux (montre sur la puis les deux détails sur la planche) planche – D1) (E : ?) Les pinces, ça, le bout

18

Une chenille et c’est tout. D4.

0:00:50

G F+ H

0:00:50

0:01:35

Durée totale de la passation : 00:12:35

D F+ A

311

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

(suite) Pl +

Pl -

X

Parce que j’aime bien la couleur.

III

Parce que j’aime la couleur du nœud.

II

Elle a pas beaucoup de couleur comme celle-là (montre la X).

IV

Parce qu’il n’y a que du noir.

Temps total : 12.35’

R = 18

Psychogramme résumé Temps/ réponse : 01.16’

Temps latence moyen : 0. 11’

G : 16 D:2

F: 18 F+ : 10

F%:100 F+% : 59

H:2 H% : (H) : 2

F- : 7 F+/-: 1 G% : 89

A : 12 A%:

D% : 11 ΣC:0 T.R.I : 0/0

Bot : 1 Anat : 1

RC% : 28 Ban : 2 Ang% : 5.5

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Protocole de C.A.T de Houria, 8 ans Pl.

Temps

Récit

1

0 : 03 : 30

2

0:02:10

C’est l’histoire de trois ours qui tiraient une corde avec son petit, et avec la maman et le papa (?) L. 0.40’ (?) Ils tirent une corde ( ?) Après la corde elle se déchire (regarde dans le vide) (?) Après ils ont plus de corde.

3

0:01:50

C’est l’histoire d’un lion qui est dans, sur le fauteuil... (?) (montre sur la planche) Il y a une canne et derrière il y a une souris. (?) Ils regardent les enfants (?) Ils sont... ils sont rendormis (?) Le lion.

4

0:02:00

La maman kangourou va pique-niquer avec ses deux enfants... Elle a pris un chapeau et un sac (regarde le clinicien écrire et s’arrête) (?) Elle se dépêche... le petit il a pris un ballon... (?) La petite fille kangourou elle, elle est sur son vélo... Il se dépêche aussi... (?) dans la forêt, il y a déjà le papa qui les attend.

L. 1.15’ (?) L. 0.50 (?) J’arrive pas à trouver ! (?) L.0.50 (?) L.0.40’

312

Illustrations cliniques

(suite) 5

0:01:35

(sourit) C’est l’histoire d’une, de deux petits ours. (s’arrête pour laisser écrire le clinicien)... ses parents ils sont pas dans le lit... les bébés ours, là dans le berceau. (?) Heu point (?) Point (?) Fin.

6BM

0:01:45

L. 0.20 C’est... 0.15’ Houlà (en souriant)... C’est l’histoire de les ours. La maman ours et les bébés ours, l’ours, ours. ils dormaient... et il dort dans une grotte... il y a des feuilles et la maman elle dort, le bébé il est réveillé (?) Le papa il est parti (?) Le bébé s’endort.

7BM

0:01:10

C’est l’histoire d’un tigre et un singe. Ils se bagarraient... le tigre il attaquait le singe... et c’est dans la jungle... ... Après le singe il le griffe...et le tigre aussi.... et c’est tout !

8BM

0:02:10

(rit) C’est l’histoire de quatre singes. Il y avait le papa et la copine de la maman singe... Le bébé singe, non l’enfant singe... oui... ... il regarde la maman... la maman, elle lui dit « va dans ta chambre »... et le papa singe, le papa singe parlait avec heu la copine de maman singe... et la maman singe est assise sur le fauteuil (?) Le, l’enfant singe il est parti se coucher. (?) Ils parlent.

9

0:01:05

C’est l’histoire d’une petite, d’un petit lapin qui était dans son lit et il avait peur du noir et sa maman laisse la porte ouverte. Et c’est tout ! (?) Après elle dort, il dort.

10

0:00:10

(s’amuse en voyant la planche) C’est l’histoire de deux chiens... le papa il lui disait d’aller aux toilettes. Après il se lavait les mains. Il brosse (?) ses cheveux. C’est tout. Durée de la passation : 0 : 17 : 25

Pierre, 9 ans

Pierre est âgé de 9 ans lorsqu’il est rencontré pour un examen psychologique particulièrement orienté sur bilan projectif (proposition de deux épreuves projectives, le Rorschach et le TAT, dans le cadre de trois rencontres comprenant un temps nécessaire de synthèse), à la demande conjointe du médecin-psychiatre qui le reçoit ponctuellement avec ses parents en entretien, et du médecin-pédiatre hospitalier qui suit l’enfant depuis plusieurs années. ➤

La demande et la construction de l’examen psychologique La demande de bilan s’inscrit dans l’objectif d’affiner la position diagnostique à l’égard des troubles de Pierre et, surtout, de proposer une approche psychodynamique du fonctionnement psychique de l’enfant. En effet, les

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

313

troubles de Pierre ont jusque-là largement été appréhendés et investigués au plan neurocognitif et neurodéveloppemental. Cette approche a conduit, à la suite de nombreux bilans, à élaborer un protocole de prises en charge rééducatives classiques : psychomotricité, ergothérapie, remédiation cognitive. Comme tous les enfants agités, Pierre épuise son entourage familial : ses parents ont le sentiment qu’il occupe toute la place, qu’il mobilise toutes les préoccupations au sein de la famille – il est l’aîné de quatre enfants, et les trois plus jeunes vivent au rythme des nombreuses consultations dont bénéficie Pierre (les parents disent ne jamais se déplacer sans le kit à dessiner pour ces derniers). Pierre épuise également son entourage scolaire et ses difficultés de concentration, pourtant relativement bien contenues par un traitement de Ritaline®, prescrit pour les jours de scolarité, mettent à mal sa place dans l’institution scolaire, davantage en termes de comportement qu’en termes de réussite scolaire d’ailleurs. Au fond, on peut considérer que l’un des enjeux majeurs de la démarche de bilan tient dans la possibilité de pouvoir (enfin) prendre en compte la dimension de la souffrance psychique de Pierre, là où l’ensemble des dispositifs mis en œuvre (sur le versant des bilans ou sur le versant des prises en charge) vise la dimension des compétences et/ou des performances qui a été massivement envisagée.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Clinique de la passation Pierre se présente dans une difficulté à maintenir son attention dans la durée de l’engagement relationnel dans le cadre de la consultation, particulièrement dans le temps où ses parents sont présents avec lui. Il épuisera d’ailleurs le stock de feuilles à disposition des enfants pour réaliser des avions en papier, qu’il fera voler dans le bureau du psychologue en les poursuivant en courant et en sautant. Il semble assez patent que la situation d’entretien en présence des parents mobilise chez l’enfant une excitation tout à fait particulière : tout se passe alors comme si Pierre bénéficiait d’une scène sur laquelle il pouvait mettre en jeu une souffrance, qui se traduit, en particulier, par une quête d’attention à tout prix et permanente. Dans la rencontre duelle, après un premier temps dans lequel Pierre tend à éviter la rencontre, deux mouvements peuvent être identifiés :

314

Illustrations cliniques

• d’une part, la mise à l’épreuve des limites offertes par le cadre de la

rencontre, qui est aussi mise à l’épreuve de la qualité du lien et des potentiels de déploiement de la relation dans ce lien ; • d’autre part, la quête d’une attention et d’une préoccupation rapprochées de la part du psychologue, dont on peut penser qu’elles ont pour fonction de rassurer le risque d’une perte du lien ; c’est à ce prix qu’une rencontre de Pierre pourra avoir lieu, au-delà des mouvements de rétorsion que ces comportements peuvent mobiliser dans les positions contre-transférentielles. Au final, c’est autour de la situation, pour une part initiée par Pierre, d’un dessin à deux, situation à laquelle le psychologue se prête (et dans laquelle il prête son appareil à transformer et à imaginer) que pourra s’engager une forme de jeu qui constituera un authentique espace de rencontre. La passation de l’épreuve de Rorschach est laborieuse, Pierre bouge beaucoup, tente de contrôler la passation en anticipant la présentation des planches sans porter véritablement d’intérêt à celles-ci et imprime de nombreux mouvements de retournement aux planches. Il souhaite trouver réassurance quant à l’engagement d’autres enfants dans cette épreuve et souhaiterait savoir ce que ces derniers répondent. Cet appui sur les « autres enfants » imaginés vient conforter Pierre à l’égard d’une situation qui lui échappe : sa préoccupation pour l’origine du matériel de l’épreuve, mais aussi pour sa qualité tactile, participent sans doute des mêmes mouvements de réassurance. Par ailleurs, on peut comprendre les nombreuses sollicitations du psychologue, au sujet de l’épreuve ou non (planche II : « vous avez une console ? (...) ») tout à la fois comme une tentative de réassurance face à l’étrange et/ou l’étrangeté des planches et comme un soutien du travail de symbolisation. La passation de l’épreuve du TAT mobilise également une excitation importante chez Pierre, excitation qu’il tente de contenir par la mobilisation de mouvements obsessionnels qui s’expriment a minima (juguler l’angoisse qui le déborde dans cette rencontre). ➤

Les processus de pensée Le corpus de réponses se présente de manière assez limitée, témoignant d’une rétractation des processus de pensée (12 réponses). On ne note toutefois pas de rupture avec la réalité, même si, à différentes reprises, Pierre peut évoquer sa difficulté dans l’appréhension de celle-ci, en mettant l’accent sur son incompréhension et/ou l’absence d’un savoir disponible pour appréhender

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

315

la situation de l’épreuve (planche I « je comprends rien (...) » ; planche III : « je sais pas (...) »). On retrouve, a minima, le même type de réaction dans la rencontre avec les planches de l’épreuve du TAT, même si la dimension figurative de l’épreuve semble rassurer Pierre dans sa capacité à organiser un discours, et des représentations, face aux planches. L’ensemble de la production verbale de Pierre témoigne d’un ancrage satisfaisant à la réalité, même si la dimension du doute reste présente en filigrane dans la rencontre avec les planches. À l’épreuve de Rorschach, l’investissement du déterminant formel (F % = 93) vient sans doute se proposer comme contre-investissement de ce doute (on notera par ailleurs la présence de 5 banalités sur 14 réponses, soit plus d’une réponse sur trois...). L’absence de réponses kinesthésiques et la quasi-absence de réponses sensorielles renforcent le sentiment d’une fragilité dans le jeu entre perceptif et projectif. D’une manière générale, la verbalisation est peu déployée, régulièrement barrée par la nécessité d’une rupture du fil projectif. Tout se passe comme si le risque de la continuité engageait la mise en œuvre de mouvements de censure qui se traduisent par un arrêt de la verbalisation et une injonction à passer à la planche suivante. On peut mesurer à cet égard la place occupée par ces mouvements sur le déploiement des processus de pensée, introduisant de véritables empêchements à penser, auxquels il est loisible de référer les difficultés de Pierre dans l’accès aux apprentissages.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Le traitement des conflits La passation des deux épreuves projectives met en évidence une forte insécurité dans la construction des objets internes de Pierre. Les angoisses apparaissent de manière plus ou moins diffuse selon l’épreuve, mais concernent, d’une manière ou d’une autre, le lien à l’objet perdu. Au plan de l’épreuve de Rorschach, les angoisses se présentent essentiellement dans le registre des angoisses narcissiques, et elles ont trait tout autant à l’intégrité narcissique qu’à la qualité de permanence des objets internes. Les manifestations d’auto-disqualification sont récurrentes, et témoignent d’une fragilité narcissique indéniable. De ce fait, les représentations peinent à advenir dans une consistance suffisante, voire peinent à trouver un ancrage au regard du stimulus : planche II : « ben un bonhomme ça ressemble mais je sais pas à quoi ça ressemble » ; ou planche VII : « deux bonhommes... je sais pas... à la suivante, non ! » (localisation de la réponse impossible à l’enquête). Le recours au blanc, à titre de modalité d’appréhension des

316

Illustrations cliniques

planches significativement présente dans le protocole de Pierre, témoigne d’une nécessité à tenir forme et fond dans une configuration qui évite l’expérience de la séparation. À l’épreuve du TAT, l’ensemble du protocole se trouve dominé par des angoisses dépressives, angoisses d’abandon voire de mort, très précisément marquées dans le contexte du lien mère/fils : la figure de la disparition maternelle sera reprise de manière répétitive, parfois en forme de quasi-persévération sur une bonne partie des planches. La qualité du lien aux objets parentaux se trouve incertaine, et l’on notera la difficulté de Pierre de prendre position (prendre place) sur la scène du conflit œdipien. La conflictualité se trouve barrée par la disparition de la figure maternelle qui obère toute mise en perspective triangulée. L’insécurité domine quant aux modalités d’ancrage, même si le lien père/fils tend, sur un mode parfois discrètement idéalisé (et réparateur ?), à constituer une modalité de soutien voire de dégagement face aux angoisses dépressives. Les stratégies défensives mises en œuvre par Pierre se situent majoritairement sur le versant du contrôle (contrôle du psychologue lors de la passation, contrôle de la verbalisation en forme de rupture du travail de symbolisation) et de l’inhibition, dont l’on peut comprendre qu’elle intervient comme une modalité de dégagement vis-à-vis des angoisses suscitées par les planches. Cependant, les émergences en processus primaire, bien présentes particulièrement au TAT, témoignent d’une manière d’inefficience de ces stratégies défensives qui ne se trouvent pas ou peu en mesure de se proposer comme des formes de compromis dans le jeu conflictuel. Dans ce contexte, la construction identitaire se trouve singulièrement affectée. À l’épreuve de Rorschach, le statut des représentations humaines en donne une illustration : absence de la réponse banale à la planche III (à l’enquête des limites, après avoir répondu affirmativement à la proposition de « deux bonhommes », Pierre se rétracte en proposant pour sa part « quatre bonhommes »), fragilité des réponses humaines aux planches II et VIII ; malaise attaché à la production de la réponse humaine en réponse globale blanc à la planche III (renversements de la planche, motricité débordante...). Enfin, la réponse proposée à la planche X (« ça ressemble à quoi... un bonhomme avec des ailes et un bec » confirme l’instabilité de l’investissement identitaire. En contrepoint, la mise en scène de la destruction maternelle au T.A.T (planche 8), qui vient couronner d’une certaine manière l’expression des angoisses de perte présentes tout au long du protocole, atteste de la fragilité des contours narcissiques. La construction identificatoire est, bien évidemment, rendue problématique dans une situation où la précarité des repères identitaires laisse peu

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

317

d’espace pour autoriser un jeu entre les imagos : l’imago paternelle apparaît floue, inquiétante (Rorschach, planche IV) voire interchangeable (TAT, planche 7), l’imago maternelle dangereuse prise dans le risque de la disparition (prégnance de la thématique de la perte/disparition/atteinte maternelle au TAT). En tout état de cause, il semble que la conflictualisation des imagos parentales se trouve entravée par l’incertitude de leur construction. Enfin, au plan des relations d’objet, il semble que le fonctionnement psychique de Pierre voit alterner quête d’étayage et déni du lien, dans une configuration que l’on peut situer dans un registre narcissique du lien (idéalisation versus fécalisation).

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Synthèse et perspectives cliniques Au regard de l’analyse des données cliniques recueillies à l’occasion du bilan projectif, on peut considérer que Pierre présente le tableau classique des enfants souffrant de troubles du comportement en forme d’agitation et/ou d’instabilité : instabilité des objets internes, envahissement par des excitations qui ne trouvent pas à se lier de manière satisfaisante dans un système de symbolisation, tentative de loger chez l’autre (le parent, l’adulte...) la part non élaborée d’une forme de violence qui s’exprime dans le lien, faillite d’une inscription stable dans les apprentissages. On pourrait rapprocher cette forme particulière d’adresse transférentielle de ce que J. Ménéchal (1999) propose de nommer « alliance introjective ». Le fonctionnement psychique de Pierre est dominé par la nécessité d’une quête de lien à tout prix (face à l’inquiétude de pouvoir se trouver lâché), au risque d’un effondrement, dont on peut penser qu’il se trouve contre-investi par un recours à l’agir et à la motricité. Au plan du diagnostic, on peut retenir l’hypothèse d’une inscription de la personnalité de Pierre dans les pathologies-limites de l’enfance, sans décompensation à ce jour. La nécessité de la poursuite, et de l’enrichissement, d’un soin pluri-focal pour Pierre semble, dans ce contexte, s’imposer. Outre la dimension rééducatrice de différents dispositifs de la prise en charge, qui permet sans doute à Pierre de s’éprouver dans ses compétences tant motrices qu’intellectuelle, il semble pertinent d’envisager une prise en charge psychothérapique individuelle à raison d’une séance par semaine. La mobilisation de Pierre sur sa capacité à jouer semblerait une piste intéressante pour rencontrer l’enfant et mettre au travail ses potentiels de fantasmatisation et de liaison symbolique et symboligène, et en prenant

318

Illustrations cliniques

appui, dans une pensée du paradoxe, sur son exercice privilégié de la motricité. En contrepoint, on pourrait aussi penser l’intérêt que pourrait revêtir la participation de Pierre à un soin psychique groupal, dans le cadre d’un groupe à médiation (collage, psychodrame...). Protocole de Rorschach de Pierre, 9 ans Pl.

Temps

I

0: 00 : 45

II

00:01:00

III

0:00:50

R

Je comprends dedans...

0:00:25

V

0:00:25

rien

Enquête

Cotation

là-

1

Des ailes, un papillon, je sais pas quoi (retourne la planche).

2

Action Man, là c’est comme non ! Batman, les bras, la chauve-souris, là on voit la tête, les ailes G F+ (A) sa tête.

3

G F+ A Ban Confabulation

Vous avez une console ? ça ressemble à rien... je sais pas ce que c’est ? c’est qui qui l’a fait ? Gbl F- H V. (E) ben un bonhomme ça (les pieds, le corps, le ressemble, mais je sais pas à ventre, la tête, et là quoi ça ressemble. l’estomac (Dbl)) Je sais pas (nombreux renversements) ça ressemble à ça...

4

IV

Passation

5

V. Un monsieur qui a un nœud-papillon (nombreux renversements, puis Pierre fait tomber la planche, se lève pour aller la chercher).

(E : deux bonhommes ?) oui... quatre bonhommes V. ça ressemble aussi à un Gbl F+ H/Obj insecte, peut-être à une mouche qui a avalé un papillon (R.Add: G F- A)

Ça c’est quoi ? (sans regarder Tête, oreilles, ailes. la planche) un dragon (veut prendre la planche suivante).

6

Une chauve-souris... une chauve-souris.

7

V. Une chauve-souris vampire et à la suivante.

G F- (A)

G F+ A Ban

G F+ A Ban

319

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

(suite)

VI

0:00:45

VII

0:00:25

VIII

0:00:35

IX

8

V. Ça ressemble à un arbre... Les feuilles, D1, l’herbe à la suivante...(E ?)... n’im- (Dax. sup.) et là c’est le G F+ Bot porte quoi, un arbre et à la tronc (Dax.). suivante.

9

Ça ça ressemble à deux dames... à la suivante. Ben je sais pas...

10

Deux bonhommes... je sais pas... à la suivante, non !

localisation?

11

Ça c’est des lions.

D F+ A Ban

12

Des caméléons.

D F+ A Ban

13

Ça c’est une grosse tache de peinture, on a jeté de la peinture dessus et on n’a rien fait de beau (E ?) une grosse tache de peinture orange verte rouge... vous savez comment ça s’écrit « le toit de la maisonnette ? »

G CF- Frag

0:00:50

14 X

D F+ H

Ça ressemble à quoi... un bonhomme avec des ailes et un bec [nombreux renversements de planche].

0:00:30

Les ailes, les pattes, le corps, Ddbl intersticiel, le bec, D8... là ça res- D/Dbl F- H semble à un truc pour les filles.

Durée totale de la passation : 00:07:10 Je les aime toutes.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pl +

III

Celle-là qui est drôle.

IV

Action Man.

(VI) Pl -

VII X

En troisième j’aime ça.

320

Illustrations cliniques

R = 14

Temps total : 7. 10’ G:7 Gbl : 2 D:3 D/Dbl : 1 G% : 54 D% : 23 Bl % : 23

Psychogramme résumé Temps/réponse : 0. 31’

F : 13 F+ : 9 F- : 4 CF : 1 ΣC:1 T.R.I : 0/1 RC% : 36

F% : 93 F+% : 64

Temps latence moyen : 0.00’

H:5 H% : 36 A:5 A% : 50 (A) : 2 Obj : 1 Frag : 1 Bot : 1 Ban : 5 Ang% : 0

321

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Protocole de TAT de Pierre, 9 ans Pl.

Temps

Récit

1

0:01:00

C’est des vraies ? c’est qui qui les a fait... un garçon qui veut pas faire du violon et qui dort, avec une feuille de papier... tenez, la deuxième ! (met la carte de visite de son père sur le dessus des planches ... lit tout haut ce qui est écrit dessus)

2

0 : 01: 10

Ça je sais pas (E ?)... je sais pas... il y a un monsieur avec un cheval musclé, le monsieur est musclé, y a une dame avec des livres, y a une dame avec un chapeau comme ça, elle est contre l’arbre, y a une grosse maison... y a un deuxième cheval... je peux dessiner sur les images, c’est gris, j’aime pas le gris

3

0:00:55

Un garçon qui est au coin... il est pied nu, ah si, il est avec des chaussures, il pleure contre le mur... (mime) parce qu’il a une bosse, une grosse bosse qui fait toute la planète, non quand même pas (mime les pleurs)

4

0:01:00

Des mariés (rit) V > < ( ?) ... des mariés et c’est fini... ils habitent dans une maison et c’est fini (baille)

5

0:01:10

Ça c’est la mère qui regarde son enfant travailler... il est mort ( ?) tu le vois pas couché sur la table, il a une grosse boule sur la tête... non ! c’est une plante et le garçon il est parti et la mère elle est inquiète : « mon fils où il est passé ?! » (crie)

6BM

0:01:05

« Fiston où il est passé ? fiston où il est ? la dame de ménage, vous avez vu mon fils ? » (mime des pleurs) ... il pleure le père, lui, avec la dame de ménage

7BM

0:01:00

c’est son père avec lui (lance la planche) ... c’est un monsieur qui fait son ménage, c’est son père parce que sa mère est morte

8BM

0: 00 : 25

C’est une dame qui se fait attaquer... c’est des monsieurs qui tuent sa mère : « maman, maman »

10

0:01:05

Il fait câlin à son père parce que sa mère est morte : « maman... » ( ?) elle est morte de la peste quand Marie était née, celle qui a retiré la peste... c’était Marie sa maman et Dieu son papa

11

0:01:15

Ça c’est quoi ? c’est un buffle qui a perdu sa maman... non c’est un scarabée qui a perdu sa ma maman...

12

0:00:40

C’est un arbre qui a perdu sa maman, y a un cimetière ici (montre la barque, puis mime les cris de l’arbre)...il s’est fait couper par un bûcheron parce qu’il criait trop fort

13B

0:01:00

C’est un enfant qui est tout seul parce que sa maman est morte et son papa aussi... (pleure) comment j’vais payer la maison ? comment j’vais manger ? y a pas de poulet...

19

0:00:45

Ça c’est quoi ? un bateau qui a perdu sa maman, elle s’est effondrée au fond de la mer

16

0 : 00: 25

Je la dessine ? c’est un enfant qui pleure à sa maman parce qu’elle est morte Durée de la passation : 0:12:55

322

Illustrations cliniques

Oriane, 10 ans

Oriane est rencontrée à la demande de ses parents pour des troubles du comportement et de la concentration, identifiés particulièrement au niveau de l’école, mais également dans le milieu familial où Oriane est décrite dans des tentatives de « domination » à l’égard de ses parents. Une première consultation psychologique, avec un autre praticien quelques mois auparavant avait mis l’accent sur l’évaluation des potentiels intellectuels d’Oriane : les résultats étaient évalués dans les variations de la normale (QIT = 91), avec toutefois un écart de 17 points entre QIV (84) et QIP (101). Les parents s’interrogent désormais sur le sens des symptômes présentés par leur fille. ➤

La demande et la construction de l’examen psychologique La demande des parents de Oriane, à l’occasion du premier entretien où ils sont tous les deux présents, s’exprime tout à la fois en termes de problèmes de comportement (« elle bouge beaucoup, elle souhaiterait diriger ses parents... ») et en termes de difficultés d’attention (« elle ne se fixe pas, elle est tête en l’air »). Au plan scolaire, Oriane est en difficulté, elle a redoublé le CE1 et se trouve actuellement en CE2, alors que son père indique avec une certaine fierté qu’elle est « très performante » pour les jeux de stratégie. Au-delà des difficultés à proprement parler liées aux apprentissages, Oriane est isolée dans sa classe, elle mobilise des relations souvent conflictuelles avec les autres enfants et se trouve, de fait, en position d’exclusion du groupe des enfants. Toutefois, les difficultés sont identifiées par les parents sur un mode projectif, dans une mise en cause sans nuances des enseignants, du psychologue scolaire... et de l’institution. Dans le même temps, la mère d’Oriane met en lien les difficultés de sa fille avec ses propres difficultés (elle dit souffrir de troubles de mémoire et de compréhension qui peuvent l’handicaper au quotidien, et qui se traduisent par des « trous » dans sa pensée). Oriane est la seule enfant de sa mère, et la dernière enfant de son père (les aînés, d’une précédente union, sont tous âgés de plus de 20 ans, les parents ont un écart d’âge d’environ 10 ans). La mère de Oriane travaille dans un supermarché avec des horaires variables (matin ou après-midi, voire soirée), son père a un emploi qui lui permet d’être assez souvent présent auprès de sa fille. Le père d’Oriane se présente dans une grande proximité à son égard, c’est d’ailleurs lui qui sera particulièrement porteur d’une demande

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

323

d’évaluation, davantage que d’aide, pour Oriane (de fait aucune aide ne pourra s’engager pour elle du fait du refus de la proposition d’orientation réalisée par le psychologue en direction d’une démarche psychothérapique). Oriane est par ailleurs décrite comme une enfant proche des préoccupations des adultes, tout à la fois dans une forme de dépendance à ceux-ci (elle n’a pas d’amis de son âge, demande sans cesse de l’attention) et de maîtrise dans le lien (elle sait ce que doivent faire les adultes). L’évaluation clinique prendra appui sur la passation d’une épreuve projective de dessin à consigne, le D10, et sur la passation de l’épreuve de Rorschach.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Clinique de la passation Oriane se présente comme une petite fille très coquette, dans une féminité déjà affirmée, moins d’ailleurs au plan des transformations physiologiques de l’adolescence ou de la pré-adolescence, que d’une manière de s’habiller, de se tenir et d’être en lien : elle oscille entre distance et séduction, dans une forme de froideur affective. Oriane s’engage assez volontiers dans les différentes épreuves proposées, tout en restant relativement « lisse » dans la relation qui semble être vécue comme plutôt dangereuse. Elle a du mal à partager les affects qui peuvent l’habiter et elle se trouve en difficulté pour évoquer des éprouvés personnels. Lorsqu’ils émergent, il semble que cette expression pourrait mettre en danger Oriane (dans ses relations à ses objets d’attachement ? dans sa sécurité interne ?), et qu’alors Oriane tende à se rétracter. Oriane se montre en mesure de reconnaître ses difficultés scolaires, mais elle se plaint surtout d’être seule et de s’ennuyer. Au fil des entretiens de bilan, elle pourra également évoquer une préoccupation liée à la séparation de ses parents : « j’ai peur qu’ils se séparent, de ne plus être avec tous les deux ». Oriane se dit être témoin de disputes entre ses parents, des pleurs de sa mère, et dans une belle dénégation, exprime son souhait de ne pas s’immiscer dans les conflits du couple parental... La passation de l’épreuve de Rorschach est bien investie par Oriane qui semble tout à la fois buter sur la rencontre avec la situation projective et rechercher au travers de la situation transférentielle ouverte par la consultation une forme de réassurance narcissique. On verra que les contenus des représentations proposées par Oriane marquent une sexualisation de ses préoccupations, sans que pour autant celle-ci ne semble s’inscrire dans une

324

Illustrations cliniques

dynamique relationnelle. La dimension du factuel se trouve ici au premier plan. ➤

Les processus de pensée Le déploiement des processus de pensée bute sur des manifestations de l’ordre de l’inhibition. Celle-ci semble particulièrement interroger la dynamique du refoulement (« je ne sais pas » ou « je ne me rappelle pas ») et témoigne assurément d’un important déficit narcissique. Ce mouvement n’est pas sans faire écho aux propos tenus par les parents au sujet de l’investissement des apprentissages. Tout se passe en effet comme si l’accès à un savoir, à partir de la mobilisation d’une pensée partagée et partageable, mobilisait un niveau d’excitation qui ne pouvait trouver à se lier au travers d’un système de représentations avec lesquels il serait possible de jouer suffisamment. Le corpus de réponses se compose de 21 réponses, qui émergent dans le contexte d’une référence répétée à la dimension de l’étrange et de l’étrangèreté. En effet, la rencontre proposée au décours de la passation avec un objet étrange-étranger, mobilise chez Oriane d’une part des marques explicites de son impuissance (« j’en sais rien moi » à la planche I) et de nombreuses stratégies de réassurance (« vous avez les réponses ? » à la planche VI, «parce que vous, vous savez pas ce qu’il y a ? » à la planche VII). Cette quête de réassurance, que l’on peut entendre comme quête d’étayage, peut être comprise comme une tentative pour Oriane de se dégager des vécus d’étrangeté qu’elle exprime face aux planches (le terme de « bizarre » revient à huit reprises dans le protocole et se trouve le plus souvent associé... au regard). Si le discours est marqué par l’incertitude, on ne relève pas en revanche de marques de dérapages et/ou de confusion, ni dans le processus d’élaboration des représentations, ni dans la syntaxe. Le protocole est marqué par un souci d’Oriane d’une exploration du stimulus dans ses différentes composantes, démarche qui, pour certaines planches (planches VII et VIII) se solde par l’impossibilité de s’engager dans une activité de synthèse et, de ce fait, épuise sa capacité à construire une représentation unifiée. Cet écueil dans l’articulation entre démarche de synthèse et démarche d’analyse apparaît cependant conjoncturelle, dans la mesure où, globalement, le rapport entre G % et D % se situe dans les zones attendues (G % = 50, D % = 35 et Dd % = 15). Enfin, si le niveau d’adéquation entre le stimulus des planches et les représentations proposées est satisfaisant (F+ % = 60), on peut cependant

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

325

souligner une certaine fragilité de l’ancrage dans une réalité partagée ; le statut des banalités interroge tout particulièrement, dans la mesure où elles interviennent de manière ambiguë, au décours de réponses qui se réfèrent à la banalité sans que celle-ci se présente de manière très explicite (planche III avec une représentation humaine et un nœud-papillon qui ne se proposent dans une représentation cohérente et stabilisée qu’au temps de l’enquête ; planche V avec la représentation d’une chauve-souris tellement bizarre que la cotation en banalité s’avère problématique ; planche X avec une association entre plusieurs détails qui produisent une représentation considérée comme banale dans le seul détail bleu). ➤

Le traitement des conflits

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les angoisses qui émergent du protocole de réponses d’Oriane peuvent être identifiées majoritairement dans le registre des angoisses de perte, voire de perte d’intégrité, infiltrées, en filigrane, par une angoisse de castration qui affleure au travers de représentations qui peinent à être engagées dans un processus de conflictualisation. On peut à cet endroit souligner le niveau de l’indice d’angoisse (Ang % = 33), signant la prégnance des préoccupations liées à l’intégrité et la continuité de l’enveloppe corporelle. Il est intéressant sur ce point de suivre les avatars dans le travail psychique de constitution de l’objet au fil du protocole de l’épreuve de Rorschach. En effet, la problématique de la constitution de l’objet apparaît centrale dans la mesure de l’insistance de Oriane à mettre au travail la dynamique lien-séparation, en appui sur une tentative de maîtrise du percept. On peut évoquer à cet égard les réponses aux planches I à IV, puis à la planche VIII : • Planche I : «(...) deux hommes mais collés avec des ailes, une de chaque

côté et des petits trous de chaque côté et les pieds collés, des têtes un peu séparées des mains comme ça (mime) et c’est tout » ; on notera la manière dont le redoublement autour de l’axe de symétrie ouvre sur une impossible séparation (référence à des figures « collées », dans le contexte d’une sensibilité au vide intermaculaire, et, enfin, l’insistance sur le lien et la tentative de figurer la séparation ; • Planche II : « (...) je dirais la tête à l’envers mais rouge (D3), des ailes noires (D1), des petits pieds collés (...) » ; la représentation d’une tête, qui sera à l’enquête identifiée comme « tête de monstre » bute sur la mobilisation sensorielle et pulsionnelle de la planche, noire et rouge. Dans ce contexte, l’issue que représente les « petits pieds collés » peut

326

Illustrations cliniques

être comprise comme une modalité désespérée de contenir le risque de désintégration lié au vide central, évité dans l’élaboration de la réponse ; • Planche III : « (...) c’est une dame avec un seul bras, un sein, et autour un nœud-papillon (...)», (enquête : « deux dames avec un nœud-papillon rouge, on dirait un peu son sexe (Dd dans D jambe) ») ; si le caractère unitaire de la représentation humaine échoue lors de la passation, sans doute par effet de saturation de la sollicitation sexuelle de la planche, non conflictualisable, elle s’avère possible à l’enquête, au prix de la traduction explicite des préoccupations sexuelles de Oriane ; • Planche IV : « (...) y a des bras vraiment larges, un petit truc qui tient là... la tête bizarre, il y a des pieds comme si c’était des chaussures de femme et une robe, et une tête bizarre de chaque côté avant (confusion lieu/temps ?) que ce soit le pied, une tête bizarre » ; la problématique de la bisexualité se présente en filigrane du traitement de cette planche, sur un versant éminemment narcissique dans la mesure où l’enjeu tient dans la tentative de construire une représentation unitaire satisfaisante, ici, de façon inattendue, en appui sur des attributs de la féminité ; • Planche VIII : « je dirais plutôt des os... là un animal rose et le squelette, là où il y a le sexe en os (« sexe d’une fille » précisera-t-elle à l’enquête en demandant confirmation au psychologue de cette représentation) et là la colonne vertébrale, # là les côtes et là un peu pareil » ; la dynamique de la réponse à cette planche, traduit l’acuité de l’atteinte narcissique et une tentative (séductrice ?) de réassurance, en appui sur l’investissement d’un génital figé et non-accessible au plaisir pulsionnel. On notera incidemment que la rencontre avec les planches VII (et sa grande vacance centrale) et la planche VIII (première planche couleur entraînant une forte mobilisation pulsionnelle) ouvre sur une dimension de désorganisation qu’Oriane tente de juguler par l’investissement d’un mouvement de détaillage qui s’appuie sur une délimitation perceptive du stimulus. Au travers de ces différentes séquences de réponses, on peut mesurer de quelle manière les stratégies défensives empruntent de manière privilégiée d’une part la voie du contrôle, et d’autre part la voie de l’imaginaire dont on peut considérer qu’elle se trouve au service de l’évitement (évitement du conflit, évitement du lien). Ces défenses échouent partiellement dans leur projet de contenir les angoisses, si l’on en juge le climat d’insécurité qui domine dans le protocole : on peut rapporter cette insécurité d’une part à la rencontre du regard maternel (que l’on peut penser en terme de

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

327

regard-trou ?) et d’autre part à la rencontre du regard paternel, qui paraît être massivement mobilisé dans sa dimension séductrice (regard incestuel ?). Cette dynamique autour du regard ouvre sur l’émergence de figures que l’on peut sans doute associer à l’éprouvé de bizarrerie qu’Oriane met en avant au décours de la passation (cf. les représentations de « têtes bizarres »). Au regard de ces différents éléments, se trouve mis en évidence un défaut d’élaboration de la position dépressive infantile. La fragilité identitaire d’Oriane peut être repérée au travers de deux manifestations principales : • d’une part au travers du vécu d’étrangeté dans la rencontre du monde

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

environnant ; • d’autre part au travers d’une incertitude narcissique qui renvoie à la question de l’individuation, de la différenciation et, secondairement, de la séparation (on peut souligner la présence de deux réponses cotées en estompage aux planches I et VI, réponses que l’on pourrait tout aussi bien coter en couleur achromatique, et qui, au-delà des enjeux liés à la construction unitaire des réponses, manifestent la sensibilité dépressive). La construction identificatoire semble buter sur la qualité de l’investissement des imagos parentales : trop près ou trop loin, l’excitation liée à la rencontre de ces figures met à mal la possibilité pour Oriane de s’engager dans une conflictualisation de ses investissements. La place des préoccupations sexuelles d’Oriane (marquée dans son discours face aux planches, au travers de réponses qui réfèrent à la sexualité), interroge sur une fragilité dans l’instauration de l’instance du refoulement. Ces préoccupations se trouvent prises dans une forme de gel du pulsionnel, à défaut de pouvoir s’inscrire dans un projet relationnel. L’absence de kinesthésies humaines atteste de ce défaut, alors que les sollicitations sensorielles sont accueillies par Oriane... et qu’elle se laisse parfois déborder par elles (T.R.I = 0/2) Au plan des relations d’objet, Oriane semble investir le monde sur le versant de la dépendance dans le lien, sur un mode anaclitique et/ou de contrôle dans les liens. Les stratégies relationnelles d’Oriane, qui visent tout à la fois à contenir les émergences dépressives et l’excitation qui s’y loge, se déploient selon deux modalités principales : • en termes de dépendance dans le lien, permettant de prolonger une

position infantile : on peut penser à cet égard que rester en retrait de l’engagement dans les apprentissages protège aussi du risque que représente le grandissement ;

328

Illustrations cliniques

• en termes de maîtrise de son environnement, au travers d’un mode de

« lien tyrannique » (Ciccone, 2003) qui contribue à permettre à Oriane de se garantir du risque de la perte. ➤

Synthèse et perspectives cliniques Les éléments issus de l’épreuve de Rorschach mettent en évidence une fragilité identitaire d’Oriane. Il semble que l’on puisse comprendre le symptôme scolaire et relationnel présenté par Oriane comme étant le signe d’une souffrance psychique importante, dont la marque peut être perçue au travers de l’émergence d’angoisses archaïques, portant sur l’intégrité et la représentation d’un objet unifié, ainsi que sur la qualité des liens à son environnement, liens dominés par les angoisses de séparation. La problématique de la castration se présente, en filigrane, comme espace de désorganisation au travers de la rencontre d’excitations peu liées dans le registre de la génitalité. La personnalité d’Oriane se présente dans une forme de dysharmonie évolutive, qui peut être référée aux pathologies-limites de l’enfance, marquée par une immaturité psychoaffective et une souffrance psychique d’ordre narcissique d’une part et par un retrait (partiel) des investissements scolaires d’autre part. La prégnance de stratégies défensives qui s’expriment essentiellement dans le registre du contrôle garantit a minima des aménagements qui permettent à Oriane de « donner le change » en se présentant selon les moments comme une petite fille et/ou une jeune fille « sage », image qui permet de masquer une insécurité interne importante. S’il est vrai que les positions en faux-self développées par Oriane tendent à entraver sa possibilité de reconnaître sa souffrance, il y a lieu d’imaginer de quelle manière la soutenir dans l’accès à une reconnaissance de sa souffrance, reconnaissance seule à même d’autoriser l’investissement d’un espace de soin pour elle. L’indication d’un accompagnement psychothérapique apparaît assez clairement dans le projet d’aider Oriane à élaborer les différents pôles de souffrance qui, d’une manière ou d’une autre, invalident la construction de sa subjectivité et, partant, ses potentiels d’engagement dans ses liens familiaux et dans l’environnement social.

329

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Protocole de Rorschach d’Oriane, 10 ans Pl.

I

II

III

Temps

R

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Enquête

Cotation

1

J’en sais rien moi... (rit) J’ai dit avec une ceinture, deux hommes... mais col- très clair, gris (Ddbl). lés, avec des ailes, une de chaque côté et des petits bras de chaque côté et G FE H les pieds collés, des têtes un peu séparés des mains comme ça (mime) et c’est tout.

2

C’est de l’encre ou quoi c’est de quel côté ? V > Λ Λ je dirais la tête (D3), à l’envers un visage, des C’est vous qui l’avez fait ? G FC (H) ailes noires, des petits pieds collés et on dirait... des mains (D5) et des gros pieds rouges (D2)

3

Alors là c’est une femme des deux côtés comme ça c’est une dame avec un seul bras, un sein et autour il y a un nœudpapillon et le bras droit c’est quoi ? C’est comme si elle avait un marteau et l’autre aussi...

0:01:00

0:00:55

0:01:10

4

IV

Passation

et une grosse main (D7) et un pied à côté à l’envers pas dans le même sens (D2).

à deux dames avec un nœud-papillon rouge, on dirait un peu son sexe (Dd 26) Λ

G F+ H (Ban)

D F- Hd

5

V Λ C’est de ce sens, y a ( ?) Un monstre 4 pieds des bras vraiment larges, ailes un petit truc qui tient là...la tête bizarre, y a des G F+ (H) pieds comme si c’était des chaussures de femme et une robe

6

et une tête bizarre de tête de chien (Dans D1) chaque côté avant que ce (contamination ?) Dd F+ Ad soit les pieds...une tête bizarre...

0:01:40

330

Illustrations cliniques

(suite) 7 V

0:01:10

8

VI

VII

sur l’aile droite on dirait une tête de crocodile et sur l’aile gauche aussi et elle a une tête bizarre et des petites antennes.

D F+ Ad

Euh... on dirait un animal (quête de réassurance) bizarre avec des trucs au Son squelette (D1) sa tête cou très long et des petites (D2) ailes bizarres avant le cou G FE A et on voit un peu de son squelette et c’est un peu gris clair, vous avez les réponses.

10

Euh ! Oh là là... y a la D1 moitié du visage à gauche qui est que de face et l’autre partie pareil

D F+ Ad

on voit des énormes Dd dans D1 énormes seins de chaque côté

Dde F- Hd

12

On voit le ventre vide, tout blanc,

Dbl F- Hd

12

les bras bizarres de chaque Dd 21 côté,

Dd F- Hd

13

et on voit en bas comme Je vois un peu une une veste parce que vous fermeture D F+ Obj vous savez pas ce qu’il y a...

0:00:50

0:01:30

0:00:55

G F+ A

9

11

VIII

V Λ Euh... je dirais une chauve-souris (Rit) avec des pattes très très très larges, une tête bizarre

14

Je dirais plutôt des os > là un animal rose

C’est collé sauf une petite D FC A Ban patte

15

et le squelette.

D4

16

Là oui il y a un sexe en os D3 Sexe d’une fille ça D FC Sex ressemble un peu

17

et là la colonne vertébrale Dax < là les côtes et là un peu pareil.

D F- Anat

D F+ Anat

331

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

(suite) 18

IX

0: 01: 25

X

0 :00: 30

19

20

Euh... je dirais un animal bizarre, du bleu en haut, vert, noir, orange, blanc, un tout petit peu de blanc... un animal avec des cornes (D3) très bizarres, de droite et de gauche comme ça et ça je pense que c’est le reste du corps (G).

G F± A

Des crabes bleus à droite et à gauche avec une pince verte et une pince jaune.

D F+ A (Ban)

Un crabe vert marron Ici on dirait un petit avec une énorme pince soutien-gorge... (D6) jaune et le reste j’en sais (R.Add : D F+ Obj) rien, je sais pas et aussi D FC A le petit crabe il a une grosse pince orange un peu foncée et un peu clair parce que c’est fait avec de l’encre ça ? Durée totale de la passation : 00:11:05

Pl +

Pl-

X

Elle est jolie, rigolote.

IX

C’est marrant, c’est joli, ce que j’aime pas c’est le vert.

IV

Elle est moche.

I

Elle est moche.

332

Illustrations cliniques

R = 21

Temps total : 11. 05’ G:7 D : 10 Dd : 2 Dde : 1 Dbl : 1 G% : 35 D% : 50 Dd% : 15 Bl% : 5

Psychogramme résumé Temps/ réponse : 0. 33’

F : 15 F+ : 9 F- : 5 F± : 1 FE : 2 FC : 4 Σ C : 1,5 T.R.I : 0/2 RC% : 33

F% : 80 F+% : 60

Temps latence moyen : 0.00’

H:2 Hd : 4 H% : 29 (H) : 2 A:6 Ad : 3 A% : 43 Anat : 2 Sex : 1 Obj : 1 Ban : 3 Ang% : 33

Le temps de l’adolescence Trois situations seront présentées successivement, qui illustrent les problématiques auxquelles, de manière récurrente, le psychologue se trouve confronté dans le champ de la clinique et de la psychopathologie de l’adolescent : – problématique autour de l’investissement intellectuel et des traductions des remaniements pulsionnels adolescents qu’il sous-tend, avec l’examen psychologique de Lucile (12 ans 6 mois) ; – problématique de la décompensation psychotique à l’adolescence avec Rodolphe (13 ans 6 mois) ; – problématique de l’agir, ici auto-agressif, avec Judith (14 ans 1 mois).

Lucile, 12 ans et 6 mois

Lucile est âgée de 12 ans et 6 mois au moment où elle est reçue en consultation à la demande de ses deux parents, séparés, qui seront reçus successivement (et présents ensemble lors de la séance de synthèse). Ces derniers se disent interrogés par l’écart qui existe entre la vivacité et la maturité intellectuelles de Lucile, sa curiosité, la diversité de ses intérêts culturels et sociaux d’une part et la réussite scolaire moyenne qui est la sienne d’autre part. Pour

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

333

expliquer cet écart, les parents de Lucile proposent l’hypothèse que leur fille puisse présenter un haut potentiel intellectuel. ➤

La demande et la construction de l’examen psychologique

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Si la demande des parents de Lucile met d’emblée sur le devant de la scène la nécessité de l’évaluation de l’efficience intellectuelle de leur fille, elle contient cependant également une interrogation sur son développement psychoaffectif et, en particulier, sur les enjeux, au plan narcissique, de la confrontation à une réussite scolaire moindre au regard de ce qu’ils lui semblent qu’elle pourrait prétendre. Se joue, en filigrane, une question liée aux perspectives d’orientation de Lucile, dans la mesure où ses résultats actuels ne lui permettent pas de prétendre au choix de formation générale et scientifique à laquelle ses parents la destinent. Lucile, quant à elle, revendique de faire valoir ses propres choix de formation professionnelle, qu’elle situe dans le domaine artistique. Ainsi, la demande d’examen psychologique se trouve-t-elle infiltrée par les enjeux de la confrontation adolescente entre parents et enfant. La nécessité d’un dégagement suffisant de l’adolescent des projections parentales, qui constitue un trait spécifique de la consultation adolescente, s’impose ici tout particulièrement pour Lucile, et se traduira par une attention particulière à garantir un espace de pensée autonome pour la jeune fille... ce que les parents accepteront sans difficultés. Lucile se présente comme une pré-adolescente vive, intéressée par la démarche de l’examen psychologique et l’opportunité que celui-ci ouvre pour elle dans le sens d’un espace d’élaboration des enjeux de son développement dans le contexte de l’adolescence. ➤

Clinique de la passation Lucile s’engage volontiers dans les différentes épreuves qui lui sont proposées. À l’égard de l’épreuve de Rorschach, elle montre une certaine retenue pendant le temps de la passation : les réponses sont données de manière quasi immédiate après la présentation des planches et témoignent d’une bonne conscience interprétative. Si le rythme est soutenu, la qualité de la verbalisation n’en souffre pas pour autant. Lucile présente une modalité un peu rigide dans le maniement des planches : elle les prend en main, mais à aucun moment ne les manipule (absence de toute démarche de renversement de planche). Il est intéressant de constater un effet de familiarisation de l’adolescente avec l’épreuve : en effet, le temps de l’enquête verra une

334

Illustrations cliniques

verbalisation beaucoup plus riche, marquée par des références personnelles et une élaboration des réponses énoncées précédemment, pour une part en appui sur les sollicitations du clinicien. Elle semble alors véritablement prendre du plaisir à jouer avec les représentations en lien avec son monde interne. Cet aspect se trouve attesté également au travers de la passation du TAT. ➤

Les processus de pensée La production au Rorschach, restrictive dans le premier temps de la passation, s’enrichit au temps de l’enquête : le nombre de réponses est limité à 11, ce qui situe la production comme relativement modeste au regard de ce qui peut être attendu à cet âge. La souplesse associative mérite néanmoins d’être soulignée malgré la place qu’occupent initialement les mécanismes de contrôle. Lucile se montre effectivement en mesure de développer ses réponses et de les inscrire dans le champ de ses investissements subjectifs. La forme du discours témoigne d’une bonne structuration des processus de pensée, le fil associatif se déploie de manière cohérente et progrédiente et bénéficie de bons potentiels de reprise au fil de la passation de l’épreuve de Rorschach et, plus encore, au fil des passations successives de l’épreuve du Rorschach et du TAT. Sans doute peut-on relever la facilitation que représente la rencontre d’un stimulus figuratif (avec le TAT) au regard de la réserve manifestée face au matériel non figuratif de l’épreuve de Rorschach. L’essentiel des réponses produites s’appuie sur une approche globale du stimulus. Dans un contexte où le nombre de réponses proposées est limité, une telle configuration est globalement cohérente : en effet, on remarque, de manière habituelle, que plus le nombre de réponses est limité, moins une démarche analytique à l’égard du stimulus ne trouve à se développer. L’appréhension globale des planches intègre pour une part le blanc (3 réponses sur 11), et on peut repérer que l’une de ses réponses Gbl se construise en appui sur une première appréhension de la planche à partir d’un grand détail, témoignant d’une réponse globale élaborée (planche VIII : « Une panthère qui donne la main à un... dinosaure pour traverser un fossé »). On note à cet égard la place singulière de l’investissement du blanc. En effet, tout se passe comme si Lucile, face à un stimulus marqué par l’étrangeté, tentait une forme de réassurance en annulant la prégnance du blanc (et son appel à l’absence et/ou au vide) dans la dynamique perceptive : les réponses dans le blanc sont toutes des réponses de Fusion-Forme-Fond, qui renvoient

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

335

à une forme de contrôle du stimulus, face au risque de l’irruption du blanc dans sa valence potentiellement désorganisatrice. Par ailleurs, la vitalité des processus psychiques se donne à voir au travers de la dynamique des déterminants : les réponses formelles représentent une part minoritaire des réponses, au profit de réponses kinesthésiques (3 K, 2 kan et 1 kob), qui représentent plus de la moitié des réponses du protocole. Ainsi, avec les réponses de kinesthésies humaines ou animales, c’est bien l’investissement du pôle de l’intériorisation qui domine, au détriment cependant d’un rapport sensible au monde (absence de déterminants sensoriels) : ce pôle d’intériorisation témoigne de la qualité de la vie imaginaire de Lucile, au service de la créativité. Les résultats obtenus au WISC-IV confirment dans les grandes lignes un bon investissement des processus de pensée : le QI total est à 124, avec un surinvestissement du pôle de la compréhension verbale (ICV = 138). Sans entrer strictement dans les critères du haut potentiel intellectuel, ces données signalent les très bonnes ressources cognitives de Lucile et rendent compte d’un refoulement suffisant des investissements sexuels.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Le traitement des conflits Les angoisses se présentent, à bas bruit et de manière tempérée, dans le registre de la perte et de la séparation. Celles-ci se donnent à voir à l’épreuve de Rorschach, non seulement dans le mode de traitement particulier du blanc (cf. supra) mais également au travers de l’insistance sur le redoublement des représentations (planche I : « deux anges » ; planche II : « deux enfants » ; planche VI : « quelqu’un, une personne qui se regarde dans le miroir ; planche X (enquête) : « (...) deux personnes qui s’embrassent (...)»). La thématique des récits au TAT vient donner corps à l’expression de ces angoisses, au travers de formulations qui témoignent d’une transparence de l’inscription de la problématique de la séparation au cœur même de la demande du bilan ; ainsi, à la planche 13B : « C’est un petit garçon qui déborde d’imagination euh... qui un jour doit attendre sa maman qui est partie faire des commissions et euh... en attendant sur le pas de la porte de sa maison, il pense à plein de choses, pleins d’histoires qu’il pourrait raconter et écrire, dessiner....Plus tard, il aimerait être un grand poète et sa mère n’est pas du tout d’accord avec ça, elle est même contre à ce qu’il pense des poèmes ou à des histoires...Elle veut qu’il se concentre à l’école, sur d’autres choses qu’elle trouve plus importantes et elle ne comprend pas qu’il a juste besoin de soutien, d’amour et d’un peu de compréhension... (...) ».

336

Illustrations cliniques

Les défenses se déploient dans un double registre contrasté : – d’une part dans le registre du contrôle, avec la restriction dans la production projective, dont on a vu par ailleurs qu’elle cède à l’enquête pour l’épreuve de Rorschach et, au-delà, au TAT – d’autre part dans le registre de l’agir, au regard de la tonalité maniaque du protocole de Rorschach ; les six réponses kinesthésiques, si elles attestent d’une symbolisation du mouvement, actualisent cependant un mode de traitement des excitations au travers de la mobilisation d’une scène interne agitée. La construction identitaire apparaît de bonne facture, marquée par une quête de réassurance propre à ce temps d’entrée dans l’adolescence : si la présence de réponses humaines (3) et para-humaines (1) en constituent le support, les réponses redoublées à l’épreuve de Rorschach, dont une réponse miroir, en constituent la modalité expressive. Par ailleurs, on notera l’actualisation des enjeux du lien, dans le contexte adolescent, avec la très belle formulation symbolique de la planche VIII (« Une panthère qui donne la main à un... dinosaure pour traverser un fossé ») : on peut y entendre d’une part la figuration, dans l’explicite, des contraintes liées à la séparation du couple parental et à son déplacement de l’un à l’autre (physiquement, mais aussi psychiquement dans le jeu des identifications) et d’autre part une scénarisation du processus adolescent et de sa temporalité, temps de passage de la rive de l’infantile (le dinosaure ?) à celle des investissements adultes (la panthère), dans une pulsionnalité assumée. Dans ce contexte, le va-et-vient entre les investissements narcissiques et objectaux s’opère dans une certaine souplesse et témoigne de l’épaisseur fantasmatique de la vie psychique de Lucile. ➤

Synthèse et perspectives cliniques Les différents éléments de l’examen psychologique de Lucile mettent en évidence la richesse de son fonctionnement psychique, en appui sur le déploiement de potentiels intellectuels de bonne facture. Les épreuves projectives mettent assez clairement en évidence les traces du vacillement pubertaire, avec les émergences discrètement dépressives qui l’accompagnent, et les nécessités de réaménagement auxquelles se trouve contraint la vie psychique adolescente dans le double registre narcissique et identitaire. Malgré le caractère parfois un peu rigide des stratégies défensives (contrôle de l’imaginaire et de l’affect), les ressources tout à la fois cognitives et

337

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

affectives dont dispose Lucile peut laisser augurer d’une bonne maturation... à la condition que les réponses de l’environnement puissent présenter une plasticité suffisante pour accompagner les aspirations de la pré-adolescente. Protocole de Rorschach de Lucile, 12 ans 6 mois Pl.

I

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

II

III

Temps

R

Passation

1

Ca me fait penser à deux anges... qui sont en train de se faire un câlin. Pis voilà.

Oui deux anges qui se font G K (H) un câlin (?) Juste ici avec leurs ailes. Sur les bords, juste ici (?) Bah... les ailes déjà et les... on dirait au milieu qu’il y a deux silhouettes

2

Deux enfants qui font un jeu de mains et qui se crient dessus... et qui viennent de faire de la peinture

Deux enfants qui font G K H un jeu de main avec > C des tabliers parce qu’ils viennent de faire de la peinture et ils se crient dessus... (?) Ils se crient dessus (?) Là, je vois deux têtes d’enfants (D2), et on dirait qu’ils sont assis face à face...Et euh les... les tâches grises on dirait comme des tabliers avec des taches rouges de peinture dessus (D1)... et comme ils se tiennent les mains, ça m’a fait penser à un jeu de mains

3

La bouche d’un loup... grande ouverte, noire... avec des grandes dents.

La gueule d’un loup... Gbl FC’ Ad ouverte avec des grandes dents... et il est noir. (?) Euh.. cette tache ici, on dirait le fond d’une bouche...et ici on dirait la mâchoire du...du bas (D7) (?) Euh, je sais pas, l’image en soi, ça m’a fait penser à ça. (E : deux personnages ?) oui, ici et là.

0:00:30

0:00:30

0 :00 :25

Enquête

Cotation

338

Illustrations cliniques

(suite) 4 5

IV

V

VI

VII

Ça me fait penser à un... tapis en forme de peau de vache étendue... ou a un crâne de bélier...

0:00:40

6

Ca me fait penser à une Une hirondelle qui tient G kan A Ban hirondelle..., qui vole avec quelque chose dans son quelque chose dans le bec bec. Et ça m’a fait penser à ça à cause de la... queue et des... des ailes (?) Sa forme, ça serait plutôt les ailes ici, la queue là, et puis voilà, dans le ciel

7

Ca me fait penser à un Un chat étendu sur le dos G F+ A chat allongé sur le dos... qui regarde le ciel... Ca > kan m’a fait penser à ça parce qui... regarde le ciel que le...le... on dirait le museau d’un chat avec comme des poils qui ressortent, des moustaches

8

Quelqu’un, une personne qui se regarde dans le miroir, avec un chignon, puis elle est assise

0 : 00 :25

0:00:30

0:00:25

Un tapis comme une peau G F- Adev de vache étendue ou un G F- Anat crâne de bélier (?) Alors le crâne, ça serait ici... le nez avec les cornes... et le tapis, ça serait... tout. ( ?) Euh..., récemment, j’ai vu euh.. un... un motif en forme de crâne de bélier euh.. sur un joli tee-shirt et ça m’a fait penser à ça, et... chez une amie, il y a un tapis en peau de vache. ( ?) Euh non, y aurait pas d’autre chose, non...

Euh.. une personne qui se G F+ H regarde dans le miroir et > K qui est assise (?) Cette personne, je la vois ici, avec le visage et les cheveux, on dirait que ça fait un grand chignon, et le reste du corps ici... et on dirait qu’elle est assise. (?) Euh.. Elle m’a fait penser à une grand-mère qui regarde... qui se regarde dans le miroir.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

339

(suite)

VIII

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

IX

X

9

Une panthère qui donne Un léopard qui donne la D/Gbl kan A Ban la main à un... dinosaure patte à un dinosaure pour pour traverser un fossé traverser le fossé (?) Ici on voit un léopard (D1), on dirait qu’il donne la main comme à un dinosaure (D4) ici et le fossé, il se trouve juste là.. (?) Euh.. Je sais pas , ça m’a aussi fait pensé à chaque jour, il faut que j’aille chez mon père, chez ma mère comme traverser quelque chose un fossé. Ca me fait aussi penser à mon enfance et on a étudié les dinosaures. Puis voilà.

10

Un grand paysage... avec Euh... un grand paysage une grande chute d’eau... avec euh.. une cascade, qui tombe d’un rocher une grande cascade (Dbl8) qui.. qui tombe d’un rocher (?) Là, je vois le rocher (D3), avec la casGbl kob Pays cade, ici, ça serait comme la rivière et autour, les arbres (D1). (?) J’adore voyager, j’ai toujours voulu aller voir les chutes du Niagara.

11

Des personnes qui Des personnes qui dansent G K H >C? dansent... dans une salle... dans une salle. (?) Euh...toutes les tâches colorées, on dirait des personnes qui dansent... Ici on dirait comme deux personnes qui s’embrassent, et qui dansent, c’est tout.

0:00:30

0:00:20

0:00:15

Durée totale de la passation : 00:04:30 Pl +

I IX

Pl -

VI VII

340

Illustrations cliniques

Temps total : 4. 30’

R = 11

Psychogramme résumé Temps/ réponse : 0. 27’

Temps latence moyen : 0. 00’

G:8 Gbl: 2 D/Gbl: 1 G% : 100

F:4 F+ : 2 F- : 2 FC’: 1 K: 3

F% : 36 F+%: 50

kan: 2 kob: 1

H:3 H% : 27 (H): 1 A:3 Ad : 1 A%: 36 Adev : 1 Anat : 1 Pays : 1

Σ C : 0,5 T.R.I : 3 / 0,5 RC% : 27

Ban : 2 Ang% : 9

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

341

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Protocole de T.A.T de Lucile, 12 ans et 6 mois Pl.

Temps

Récit

1

0:01:20

C’est un petit garçon qui a envie de jouer du violon et qui regarde un violon qui est posé sur une table avec envie...puis il le trouve beau (?) Euh il demanderait à son grand-père de lui apprendre à jouer du violon et plus tard il serait violoniste professionnel dans un orchestre.

2

0:01:40

C’est une jeune journaliste, elle est partie dans un pays étranger et elle s’est arrêtée devant une ferme où elle voit une famille pauvre avec une femme enceinte et le père de cette famille qui laboure les champs pour gagner de l’argent pour pouvoir nourrir son futur enfant et quand le bébé sera né, ils pourront envisager de s’acheter de nouvelles terres.

3

0:01:20

C’est une adolescente de 13 ans qui revient de l’école et qui à la tête pleine de pensées noires, elle se fait battre à la maison et elle pleure souvent le soir avant de s’endormir... (?) Euh... elle irait à l’école, tout se passerait bien, elle est très bonne pour les matières scolaires mais quand elle rentre à la maison sa joie retombe tout de suite et elle doit faire ses devoirs, préparer à manger, ranger la maison.

4

0:00:55

Ce serait une grande histoire d’amour entre un acteur et une actrice, ils sont américains et américaines, ça fait depuis quelques mois qu’ils sont ensemble mais cette jeune actrice se rend compte que son amoureux est attiré par une autre femme et il va décider de la laisser pour cette autre femme...Cette actrice américaine va avoir beaucoup de peine et elle va tomber en dépression.

5

0:02:10

C’est une femme qui dormait tranquillement pendant la nuit et tout à coup elle a entendu un bruit qui l’a réveillée en sursaut, elle est descendue, elle a cherché dans toutes les pièces mais quand elle ouvre la porte de la salle à manger elle voit que quelque chose est tombé euh...un pot de fleur est tombé par terre alors qu’avant il était sur la table et elle pense que quelqu’un est entré dans sa maison... (?) Euh elle serait paniquée et elle appellerait son ami pour lui demander de se rendre chez elle pour voir ce qui s’est passé et après elle appellerait la police parce que son ami lui à conseillé de le faire... et après la police à enquêté chez elle.

6BM

0:01:30

Euh...une femme de famille plutôt aisée avait perdu le soir de son rendezvous un médaillon, elle serait retournée dans la chambre d’hôtel, mais qui serait à nouveau occupée par un homme inconnu... elle aurait cherché dans les tiroirs mais se serait fait surprendre par cet homme inconnu et aurait eu des problèmes car il l’a prise pour une voleuse et après il aurait appelé la police et elle aurait dû aller devant le tribunal.

7BM

0:01:35

C’est une petite fille qui à toujours rêvé d’avoir un chat et sa mère à décidé la veille d’aller lui en acheter un pour son anniversaire et depuis elle ne peut plus s’en passer, elle passe toute sa journée avec lui en train de lui faire des caresses et puis un jour, son chat disparaît et ne revient pas le soir à la maison, la petite fille est très inquiète et très triste... Le lendemain, ils se rendent comptent que c’est les voisins qui l’ont pris et ils ont déménagé...

342

Illustrations cliniques

(suite) 8BM

0:01:50

Euh... Ce serait pendant la guerre, une femme a vu son homme partir pour aller combattre et quelques semaines après, elle apprend qu’il s’est blessé, alors elle se rend à l’endroit où ils le soignent... Il s’est pris une balle dans le ventre donc ils vont devoir ouvrir pour enlever cette balle et cette femme est donc très triste qu’il se soit blessé et heureuse qu’il soit de retour... Après la blessure guérirait et il n’aurait pas besoin de retourner à l’armée.

9

0:01:10

Deux sœurs très proches qui sont parties en vacances au bord de la mer dans une petite région au sud de la France, elles sont plutôt riches donc du coup elles ont pu s’acheter une maison au bord de la mer, et euh...chaque jour elles prennent le temps d’aller à la plage pour ramasser des coquillages, parler, se raconter des histoires, bronzer ou s’amuser dans l’eau et une de ces deux sœurs est peintre et décide de peindre sa sœur devant les vagues.

10

0:01:20

Un vieux couple qui ont vécu de très très belles histoires euh...se retrouvent maintenant sans la sœur de la femme du couple euh... le mari de cette femme essaye de la soutenir le plus qu’il peut mais la femme est très triste d’avoir perdu sa sœur et après ils iront à l’enterrement et après ce sera une habitude d’aller chaque mois au cimetière pour aller voir la tombe de sa sœur et ils vont vivre d’autres moments heureux.

11

0:00:55

Faut la prendre comme cela ?... Euh c’est dans un volcan, un peuple a construit des ponts, des escaliers en pierre pour monter au sommet de celui-ci et au sommet de celui-ci, il se trouve un dragon qui demande que chaque année il y ait un sacrifice, et que si il y en a pas, il mange la plus jeune fille de ce peuple.

12

0:01:40

Euh...C’est dans le jardin d’une maison abandonnée en Hollande, au bord d’un canal avec une vieille barque et des enfants viennent jouer souvent autour de cette barque euh... dans ce jardin aussi et à coté de cette barque il y a un cerisier et notamment les enfants en été viennent manger les cerises et un jour, ils décident de détruire la maison parce qu’elle ne sert plus à rien et du coup le jardin va être fermé euh... sous peine des travaux après les propriétaires vont être très durs et méchants avec les enfants qui vont voir comment il est le jardin maintenant et ils pourront plus aller jouer là-bas.

13B

0:02:40

L. 0.10’. C’est un petit garçon qui déborde d’imagination euh... qui un jour doit attendre sa maman qui est partie faire des commissions et euh... en attendant sur le pas de la porte de sa maison, il pense à plein de choses, pleins d’histoires qu’il pourrait raconter et écrire, dessiner....Plus tard, il aimerait être un grand poète et sa mère n’est pas du tout d’accord avec ça, elle est même contre à ce qu’il pense des poèmes ou à des histoires...Elle veut qu’il se concentre à l’école, sur d’autres choses qu’elle trouve plus importantes et elle ne comprend pas qu’il a juste besoin de soutien, d’amour et d’un peu de compréhension... (?) Après sa mère reviendrait des courses, il viendrait l’aider à ranger les courses et puis il irait au... village pour s’acheter des nouvelles feuilles et nouveaux crayons avec l’argent qui reste des courses pour peindre et dessiner des paysages.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

343

(suite) 19

0:01:10

Ce serait un soir sur un bateau où plusieurs personnes dansent au son d’un orchestre qui joue en live et puis tout le monde s’amuserait beaucoup jusqu’à ce qu’il y ait une tempête et que le bateau se balance de gauche à droite et que ça devienne quasiment insupportable de rester debout euh... le lendemain la tempête s’est calmée, tout le monde est heureux, le bateau est entier sans trop de dégâts et il s’arrêterait au port d’une ville.

16

0:01:40

Blanc ?!... (rire)... Euh... L. 0.10’. C’est un vieil homme, qui un jour voulait aller peindre la neige, donc il part avec ses peintures et avec sa toile blanche et son chevalet à la recherche d’un beau paysage...Ce monsieur, il a pas beaucoup d’argent, il est pieds nus sur la neige, il commence à trembler, il n’arrive pas à se réchauffer euh....il a une hypothermie, il a tellement froid qu’il s’endort dans la neige et que c’est que quand un animal avec sa truffe chaude vient lui lécher les joues qu’il reprend conscience et qu’il rentre vite chez lui pour se réchauffer et se soigner avec sa toile à moitié peinte... Un beau paysage avec de la neige. Durée de la passation : 0 : 22 : 55

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Rodolphe, 13 ans et 6 mois

Rodolphe est reçu sur les conseils d’un médecin-psychiatre, dans le contexte de troubles alimentaires sévères et d’un désengagement progressif à l’endroit du scolaire. Il s’agit, du point de vue du médecin-psychiatre, inquiet de l’évolution psychoaffective du pré-adolescent, de permettre une évaluation de son fonctionnement psychique mais aussi une mobilisation de Rodolphe autour d’une compréhension et d’une subjectivation de ses troubles. Rodolphe bénéficie d’un suivi régulier de la part du médecin-psychiatre, et d’un traitement anxiolytique qui semble le dégager de la part la plus invalidante des angoisses qui l’assaillent et qui l’empêchent, en particulier, de se rendre au collège où il est scolarisé en classe de quatrième. Il semble que Rodolphe développe à l’égard du collège des mouvements persécutoires affirmés (« personne ne me comprend » affirme t-il). L’examen psychologique se déroule à partir de trois rencontres. ➤

La demande et la construction de l’examen psychologique L’examen psychologique de Rodolphe s’ouvre sur un premier temps de rencontre avec sa mère, avant la passation de l’épreuve de Rorschach, puis un temps avec sa mère et son père après la passation de la seconde épreuve projective, l’épreuve de TAT. Au cours d’une troisième rencontre, seront

344

Illustrations cliniques

proposés des premiers éléments de compréhension de la problématique du fonctionnement psychique de Rodolphe. Le temps de rencontre avec la mère de Rodolphe, puis avec la présence conjointe de son père, permet d’éclairer a minima des éléments de la configuration familiale : Rodolphe est l’aîné de deux enfants (il a une sœur plus jeune que lui, âgée de 9 ans, qui montre un investissement scolaire exemplaire). L’expression des symptômes de Rodolphe, nommés en termes de troubles alimentaires, de troubles du sommeil et d’échec scolaire, est présentée de manière un peu différente par chacun de ses deux parents : si sa mère tend à lier l’émergence des symptômes, et leur survenue quelque peu soudaine, au déménagement de la famille à la précédente rentrée scolaire avec un changement d’établissement scolaire, son père, quant à lui, insiste sur la dimension du désinvestissement de l’intérêt scolaire qui date de plus d’une année maintenant. L’hypothèse selon laquelle Rodolphe pourrait être considéré comme un enfant intellectuellement précoce, et que cette précocité pourrait expliquer et justifier le désintérêt pour la scolarité est assez largement investie par les parents ; Rodolphe présenterait, aux dires de ses parents, un QI supérieur à 150, sans que le psychologue n’ait pu faire une exploration plus avancée auprès de la Conseillère d’Orientation Psychologue qui a réalisé l’examen, en particulier dans le but d’interroger les écarts éventuels entre les subtests. Il semble que l’on puisse appréhender cette hypothèse d’une précocité intellectuelle comme venant masquer des éléments d’une souffrance psychique intense de Rodolphe. Le psychologue se propose de tenter d’explorer cette souffrance à partir de la mise en œuvre du bilan projectif, faisant pour sa part l’hypothèse que cette souffrance ne peut être considérée comme étant exclusivement liée à une inadéquation entre les potentiels intellectuels de Rodolphe et les conditions de l’enseignement scolaire proposé... Il faut noter que depuis la mise en évidence d’un chiffre de QI au-dessus de la normale, Rodolphe bénéficie d’un suivi psycho-cognitif qu’il paraît investir de manière positive. ➤

Clinique de la passation Rodolphe se montrera très en retrait dans le cadre de l’examen psychologique, tant dans le temps en présence de ses parents que dans le temps où il se trouve en relation duelle.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

345

Si, dans la première rencontre, Rodolphe a pu se montrer a minima intéressé par la démarche du bilan projectif, lors de la seconde rencontre, il manifestera davantage un refus, que l’on peut, semble t-il, davantage inscrire comme signe d’un retrait de la relation que dans une modalité caractérielle d’aménagement de la relation. Le lien transférentiel est donc essentiellement marqué par la méfiance, voire l’hostilité, l’empathie se révélant difficile à mobiliser dans la rencontre avec Rodolphe. Le pré-adolescent parle peu de lui, de ses intérêts et de ses aspirations, si ce n’est pour évoquer sa passion, un peu envahissante, pour le domaine du fantastique, tant en termes de création graphique que de création littéraire. Il développe d’ailleurs le projet professionnel de devenir dessinateur artistique, métier qu’il associe à la liberté dans la création. Il dit passer beaucoup de temps à dessiner, en classe, dans les marges de ses cahiers, ou bien à la maison, lorsqu’il peint des figurines lui permettant de créer des mises en scène dans le cadre de jeux de rôles. Il semble que ses relations amicales, tout comme ses loisirs plus personnels, tournent autour de ce mode d’investissement d’un imaginaire qui tend à le protéger de la rencontre de la réalité. Rodolphe se présente dans un mode de relation qui produit une forme d’immobilisation : il semble que son énergie psychique se trouve toute entière orientée vers la tenue à distance de la relation, qu’il tente paradoxalement de contrôler au travers des mouvements de désaffectation qu’il mobilise. Dans ce contexte, Rodolphe se présente dans un déni de toute souffrance, qui s’exprime en particulier par une banalisation de ses symptômes somatiques : le rapproché dans la relation clinique sera vécu par lui sur un mode quasipersécutoire, comme si la relation proposée, autour d’une attention à ses marques de souffrance, était vécue comme la répétition d’une violence. Au regard des épreuves projectives, Rodolphe s’engage sans enthousiasme : s’agit-il pour lui de se soumettre à une démarche investie par ses parents, ou de tenter une approche réflexive à partir d’une demande qu’il a lui-même du mal à assumer ? Visiblement, l’épreuve de Rorschach, en ce qu’elle mobilise de manière privilégiée, à partir du matériel non figuratif, le registre de l’imaginaire, sera davantage investie par Rodolphe ; l’épreuve de TAT, quant à elle, est vécu de manière péjorative, sans doute dans la mesure où la question du lien à l’autre s’y exprime de manière centrale.

346



Illustrations cliniques

Les processus de pensée L’ensemble de la verbalisation de Rodolphe, face aux planches de l’épreuve de Rorschach, se trouve tournée en direction de l’investissement du monde imaginaire dans lequel le pré-adolescent paraît trouver refuge... et continuité de pensée. C’est sans doute paradoxalement au travers de cet investissement singulier que Rodolphe, dans la rencontre avec l’étrange et/ou l’étrangeté du matériel de l’épreuve de Rorschach, peut conforter a minima un lien avec la réalité. On verra que la rencontre avec les planches de l’épreuve du TAT, en ce que celles-ci contraignent le pré-adolescent dans une forme déterminée à l’avance, ouvrira sur une production beaucoup moins fluide au plan de la verbalisation (avec, en particulier, la multiplication des temps de latence) et marquée par des ruptures manifestées à différentes reprises dans le discours (vécu d’une incohérence des positions représentées, émergence de représentations de la mort...). Tout se passe comme si la rencontre avec une réalité qui autorise de manière moins lâche le jeu avec les représentations, butait sur une insuffisante plasticité des potentiels d’élaboration de Rodolphe. On notera par ailleurs, comme indicateur de cette absence de plasticité des processus de pensée, que les modes d’appréhension à l’épreuve de Rorschach apparaissent de manière rigide : si le G % est égal à 65, élargi aux réponses appréhendées en globale blanc (Gbl), il monte à 100 %. Par ailleurs, le F+ % se situe à un niveau très faible (27) témoignant de la précarité de l’adéquation des représentations à l’égard du stimulus proposé (primat d’une mobilisation projective sur la mobilisation perceptive). Enfin, l’absence de toute banalité dans le protocole de réponse confirme un dégagement d’une scène de réalité partagée.



Le traitement des conflits Les épreuves projectives proposées à Rodolphe mettent en évidence de manière aiguë les traces d’une fragilité des assises narcissiques et, partant, d’un retrait de l’investissement du lien à la réalité. Les angoisses se manifestent essentiellement sur un versant archaïque, dans des modalités liées à la destruction et à la mort. Elles se déploient pour une large part dans une thématique orale peu organisée, mettant largement en question la dimension de l’intégrité. Les représentations proposées aux planches II et III de l’épreuve de Rorschach en donnent une illustration saisissante : après la proposition de deux réponses qui mettent en scène

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

347

la destruction de l’intégrité (planche II : « quelqu’un qui ouvre grand la bouche la tête traversée par l’impact d’une balle (...) », puis planche III : « un homme qui se fait trancher en deux (...) »), une réponse d’animal, de dos, tente de proposer une reconstruction de l’unité (sans renoncer cependant à la dimension agressive et destructrice), en appui sur une réponse globale blanc (« non aussi à la limite le dos d’une fourmi avec le dos et les pinces tranchantes, d’une fourmi ou d’une araignée, d’un insecte quoi, voire même d’un scarabée »). Sans doute cette dernière réponse permet-elle à Rodolphe de se dégager de l’emprise de la couleur rouge, qui est essentiellement investie au service des pulsions les plus destructrices (la carapace rigide du scarabée proposant une figuration de l’aménagement possible face au débordement pulsionnel ?). En filigrane, la question de la perte et de l’abandon, ouvre une problématique dépressive à partir de laquelle tentent de se suturer les investissements objectaux. Les modalités défensives sont, dans ce contexte, assez peu construites : présentes sur un mode discrètement persécutoire (cf. les contenus des représentations ou des récits, le plus souvent en forme de pseudo-humains inquiétants à l’épreuve de Rorschach, ou de relations que l’on peut qualifier de risquées à l’épreuve du TAT), elles empruntent également au registre du clivage, au travers de procédés qui tendent à tenir à distance les représentations inacceptables dans un désengagement subjectif. L’impossibilité pour Rodolphe de choisir son registre de représentations à l’épreuve de Rorschach (planche IV : « un géant vu d’en bas ou un nain avec une grande cape » ; planche VIII : « un homme-bête c’est tout »), ou la coupure entrainée par la référence à la mort à la planche 16 (« c’est la mort, y a rien... c’est la mort, blanc... ») indique de manière explicite l’échec d’une conflictualisation des représentations. Par ailleurs, le recours à un imaginaire débordant, fantasque et fantastique, peu accessible à son interlocuteur, contribue à actualiser une rupture avec la réalité du monde environnant. L’identité de Rodolphe est peu assurée, en risque de se trouver confrontée à un mouvement de désorganisation. La figuration humaine au Rorschach témoigne de manière exemplaire de cette difficulté du pré-adolescent à (se) construire (dans) une continuité représentative : si le H % peut apparaître acceptable (12), cet indice se trouve tempéré par le nombre de réponses de pseudo-humaines (9, soit plus de quatre fois plus que de réponses humaines). Les deux kinesthésies du protocole sont attachées à des réponses pseudohumaines, plutôt inquiétantes. Dans ce contexte, on peut comprendre les différentes stratégies d’évitement relationnel, ainsi que les manifestations somatiques graves que Rodolphe présente, comme autant d’indicateurs de

348

Illustrations cliniques

ce que l’on peut identifier comme une souffrance identitaire dans le temps de l’adolescence. L’appui relationnel est assez peu investi, si ce n’est sur un mode primaire et non conflictualisé, dans la mesure du risque que semble représenter la rencontre avec l’altérité. Il semble que l’analyse du T.R.I, à partir des cotations des réponses à l’épreuve de Rorschach, donne la mesure de ce risque. En effet, le T.R.I est coartatif, maintenant en tension les pôles d’investissement de la réalité interne (K = 2) et de la réalité externe (C = 1,5) : cependant, on peut également mesurer de quelle manière chacune de ces polarités se trouve prise dans une forme d’envahissement signant la porosité des enveloppes internes/externes. À partir de là, on comprend que les mouvements identificatoires de Rodolphe se trouvent malmenés, rendant problématique l’engagement dans une conflictualisation des liens : l’investissement du lien à l’image maternelle semble être prévalent, la rencontre avec les identifications masculines se trouvant évitées, au risque de la violence de cette rencontre. Les positions transférentielles de Rodolphe témoignent d’ailleurs de ce mouvement, dans la mesure où celles-ci voient privilégier la figure du retrait, associée à une discrète disqualification du lien au psychologue (disqualification que les positions parentales confirmeront dans le temps terminal du bilan). La problématique œdipienne reste très en retrait des investissements relationnels de Rodolphe et de ses constructions imagoïques ; on peut penser que l’inquiétude massive suscitée par la rencontre avec les changements corporels de l’adolescence vienne entraver pour lui la possibilité de se construire dans le regard de l’autre. Il apparaît que le mode de relation d’objet prévalent dans lequel se trouve engagé Rodolphe est le mode de l’emprise (dont on peut trouver les marques tant dans les symptômes somatiques que dans l’engagement de l’imaginaire en place de lien), qui n’est pas sans évoquer le renoncement impossible à une relation de type fusionnel. ➤

Synthèse et perspectives cliniques L’évaluation du fonctionnement psychique de Rodolphe, jeune préadolescent, met en évidence une construction extrêmement précaire, dans le contexte d’une adolescence marquée par une symptomatologie somatique grave, un déficit massif de l’estime de soi, et un retrait relationnel qui affecte tant ses relations au quotidien (dans le cadre familial et social) que ses potentialités d’investissement scolaire.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

349

Il semble que Rodolphe présente, de manière assez caractérisée, une forme de décompensation psychique en lien avec l’entrée dans l’adolescence, dont on peut penser qu’elle se soit trouvée exacerbée (déclenchée ?) par les changements récents intervenus au sein de la famille : le déménagement en particulier, mais de manière plus large, le bouleversement des repères relationnels et sociaux qui vient en écho de la remise en jeu des repères à partir de l’expérience du traumatisme pubertaire. Le risque de la décompensation psychotique apparaît dans une proximité potentiellement inquiétante et il importe de permettre à Rodolphe et à ses parents de prendre toute la mesure de l’évolution péjorative que pourrait ouvrir l’absence de soin psychique adapté. Si l’enjeu principal pour Rodolphe semble être, au moment où il est rencontré, de sauvegarder une part d’intégrité dans un surinvestissement de l’imaginaire, on ne peut ignorer, qu’en toile de fond, il s’agit d’une position extrêmement fragile, qui laisse l’adolescent dans une profonde solitude existentielle. On peut penser que les émergences dépressives mises en évidence au décours du bilan projectif peuvent constituer un point d’appui à partir duquel mobiliser Rodolphe dans la perspective d’un soin : peut-être la réponse proposée à la planche X de l’épreuve de Rorschach ouvre-t-elle sur une reconnaissance des potentiels de transformation de Rodolphe (« un duc de changement, escorté par deux horreurs bleues de Tzeensch... sans les horreurs, jetant un sort » ; le dégagement possible de l’aliénation ouverte par la référence imaginaire propose ici une figuration possible d’un travail psychique à venir (avec la référence au « changement »...), et en tous les cas un point de levier pour envisager, au bénéfice du pré-adolescent, une hypothèse de soin. L’hypothèse d’une hospitalisation dans un service spécialisé dans le soin aux adolescents pourrait apparaître opportune, dans la mesure où une telle démarche permettrait d’une part d’affiner le diagnostic psychopathologique à partir d’une observation au plus long cours, et d’autre part de témoigner à Rodolphe de la gravité de ses troubles et, partant, de lui permettre d’expérimenter la nécessité d’un soin.

350

Illustrations cliniques

Protocole de Rorschach de Rodolphe, 13 ans et 6 mois Pl.

I

II

III

Temps

R

2

Ça peut aussi ressembler Mandibule en haut à un ellitide, comme un flagelleur mental, sorte d’insecte.

0:00:45

G F- A

3

(L: 0:00:15) Quelqu’un qui ouvre grand la bouche la tête traversée par l’impact d’une balle... en tout cas quelqu’un qui ouvre la bouche avec les espèces de cornes rouges sanglantes, il a la figure barbouillée de sang, c’est tout.

4

(L: 0:00:15) Humm ! Deux bras, tête, nez, menUn homme qui se fait tran- ton et le sang qui gicle (D2, cher en deux, trancher en D3) G FC H deux dans le sens du haut vers le bas c’est tout.

5

Non aussi à la limite le dos d’une fourmi, avec le dos et les pinces tranchantes, d’une fourmi ou d’une araignée... d’un insecte quoi, voire même d’un scarabée.

0:01:25

V

Cotation

Un masque... un mutant Les quatre yeux (Ddbl) et avec 4 yeux et des cornes les cornes et puis l’allure Gbl F+ Obj ou qui peut porter un bestiale casque

0:01:05

0:00:50

Enquête

1 0:00:55

IV

Passation

Plutôt deux balles qui viennent d’en haut,ressortent sous le ment on (D3) yeux (Ddbl sup.), nez (D7), bouche Gbl FC H (Dbl) Barbe (D3)

Gbl F- A

6

Un géant vu de bas ou Un nain à cause de la un nain avec une grande barbe (E dans D sup.) barbe et avec une cape oui, G F+ (H) un nain vu d’en dessous avec une cape et puis la barbe...

7

Un corbeau...qui ouvre la Têtes (D inf.), pattes (D7) G kan A bouche ! C’ ?

8

ou un aigle à deux têtes... Symbole comme dans le G F- A/Symb rien d’autre. jeu de rôle

351

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

(suite)

VI

VII

VIII

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

IX

X

9

Une horreur...non ! Un Horreur... reproduction asexuée par la bouche, hurleur de Tzeensch. G F- (H) Hurleur créé par le Dieu (Dieu du changement)

10

Un démon, en forme de Les crocs (Dd28), la queue raie Manta qui vole et épineuse (D3) la raie du G K (H) qui tranche les têtes au milieu (D5)... ça peut passage... c’est tout. avoir différentes formes

11

(L: 0:00:10) la sil- démon du dieu du sang, houette d’un sanguinaire, cornes (D5) Gbl F- (H) c’est encore une autre forme de démon,

12

Un masque de sanguinaire D4, du sang du sanguinaire qui est tombé dans le sang ou de ses victimes G F- Obj c’est tout.

13

(L: 0:00:15) Encore un Variante avec des piques hurleur. sur le dos (« Pattes » dans G F- (H) D1)

14

Un homme-bête c’est tout avec des cornes (D4)... un humain qui s’est plus ou moins transformé en bête Gbl F- (H) au fil du chaos, tête de chenille (Dbl3) (E : une bête ?)... si... des loups ?

15

(L:0:00:15) Une horreur de Tzeensch en train de mourir, qui se sépare en deux, pour former encore deux autres horreurs... non rien d’autre.

Une tête de chaque côté, un œil (Ddbl dans D1) le sang qui jaillit (D3) sauf G FC (H) que c’est pas du sang qui ! K réprimée coule dans leurs veines c’est de l’énergie magique

16

(L:0:00:20) Un duc de changement, escorté par deux horreurs bleues, de Tzeensch... sans les horreurs, jetant un sort.

Le démon majeur de Tzeensch, le plus puissant, une tête d’oiseau (D8) avec intérieur de sa Gbl K (H) bouche (Ddbl sans D8), grande robe (D9), jambe (D4) magie qui jaillit des mains (D1)

17

V Une tête de dragon, Λ et puis c’est tout

0:01:15

0:00:50

0:00:55

0:01:05

0:01:20

Durée totale de la passation : 00:10:25

G F+ (Hd)

352

Illustrations cliniques

(suite) Pl +

Pl-

X

Celle qui ressemble le plus à quelque chose.

VI

Même raison.

I IV

R = 17

Parce que j’ai horreur des ellitides. Parce que j’aime pas les nains non plus.

Temps total : 10. 25’ G : 11 Gbl : 6

Psychogramme résumé Temps/ réponse : 0. 37’ F : 11 F+ : 3

F% : 65 F+% : 27

F- : 8 G% : 65 Bl % = Gbl% : 35

K:2 kan : 1 FC : 3 Σ C : 1,5

Temps latence moyen : 0. 06’ H:2 H% : 12 (H) : 8 (Hd) : 1

A:4 A% : 24 Obj : 1 Symb : 1

T.R.I : 2/1,5 RC% : 29 Ban : 0 Ang% : 0

353

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Protocole de T.A.T de Rodolphe, 13 ans et 6mois Pl.

Temps

Récit

1

0:01:00

L.0.30’ Un enfant à qui on a forcé à faire du violon... parce qu’il dit « pourquoi on m’a forcé à faire ça ? » ... et puis voilà... ça l’embête quoi !

2

0:01:30

L. 0.30’ Ce que ça pourrait raconter là-dedans... déjà c’est pas très logique parce que ça a l’air d’être le travail des champs et il y a une fille qui a des livres... quelqu’un qui laboure les champs, qui punit un cheval et il y a une fille qui l’approuve et l’autre qui détourne le regard... c’est bon.

3

0:01:00

L. 0.25’ Ben quelqu’un à qui il vient d’arriver quelque chose d’horrible... qui vient de se rendre compte de quelque chose... c’est tout.

4

0:01:10

L. 0.30’ Boo... je sais pas... ça doit être un couple qui a pas le droit de sortir ensemble et ils le font quand même... ils sont inquiets... ils font quelque chose d’interdit...

5

0:00:40

Ben ça c’est quelqu’un qui vient de découvrir un meurtre dans une chambre... avec une tête horrifiée (dit avec le ton de l’évidence).

6BM

0:00:45

Ben une mère et un fils qui attendent le père qui a eu un accident de voiture et ils le savent pas, ils commencent à s’inquiéter.

7BM

0:00:35

Je sais pas... ça veut pas dire grand chose toutes ces images... ben un complot... voilà...

8BM

0:00:55

(fait une moue du visage) Un enfant qui tourne... qui détourne les yeux des médecins qui sont en train de soigner son père... des médecins d’époque, qui font des saignées et tout...

10

0:00:35

Deux personnes en train de se battre... en train de se mordre et tout... deux personnes en train de se battre...

11

0:00:50

Une bande de malheureux qui viennent de se faire localiser par un dragon et ils veulent s’enfuir... mais ils y arriveront pas... y a du feu.

12

0:01:00

Une barque abandonnée... une barque abandonnée... dans la forêt... on sait pas ce qui est arrivé à son propriétaire... il vaut mieux sûrement ne pas le savoir...

13B

0:00:45

L. 0.15’ Un enfant qui en a marre qui est en train de réfléchir.

19

0:00:25

Un paysage corrompu par le chaos.

16

0:00:35

... C’est la mort... y a rien... c’est la mort, blanc... Durée de la passation : 0:11:45

354

Illustrations cliniques

Judith, 14 ans et 1 mois

Judith est adressée pour un bilan projectif par le médecin-psychiatre qui a reçu dans un premier temps la jeune fille, dans le contexte d’un passage à l’acte auto-agressif (tentative de suicide médicamenteuse). Ce praticien estime pertinent, après un suivi de quelques mois de la jeune fille centré sur les expressions dépressives de Judith et leur traitement médicamenteux, et alors qu’un malaise persiste tant au plan de l’humeur que de la dynamique relationnelle de la jeune fille, de lui proposer un espace de mise en sens de l’agir violent, en appui sur une démarche d’évaluation de son fonctionnement psychique. ➤

La demande et la construction de l’examen psychologique L’examen psychologique de Judith s’ouvre sur un premier temps de rencontre avec sa mère, avant la passation de l’épreuve projective de dessin à consigne de l’A.T.91 , puis un temps avec sa mère et son père après la passation. Le second entretien est consacré à la passation de l’épreuve de Rorschach. Lors de la troisième rencontre, seule la mère de Judith sera présente, son père n’ayant pu se libérer pour le temps de synthèse proposé. Le temps de rencontre avec la mère de Judith, puis avec la présence conjointe de son père, permet d’éclairer des éléments de la configuration familiale, et des modalités d’instauration des liens au sein de la famille. Le constat peut être fait, assez rapidement dans le décours de la situation de la consultation, selon lequel Judith se présente dans une certaine solitude dans sa relation à ses parents : tout se passe comme si, de manière paradoxale, Judith se trouvait en position d’être dans une solitude au lieu même de la manifestation d’une attention pour elle de la part de ses parents, attention manifestée, et attestée, par la demande de consultation. L’évocation de la scène de la tentative de suicide confirme ce vécu de solitude : Judith a ingéré, au domicile familial, des médicaments antidépresseurs destinés à sa grand-mère, qui l’ont conduit à un malaise au cours de la nuit. Alertant ses parents sur le fait qu’elle se sent mal, Judith ne sera accompagnée en consultation médicale que deux jours après cet épisode. On notera par ailleurs l’aspect réactionnel de cette tentative de suicide,

1. Voir supra, au chapitre 2, la présentation générale de la situation de l’examen psychologique et la participation de différentes épreuves, ou Roman P. (2006), Les épreuves projectives dans l’examen psychologique, Paris, Dunod (Topos).

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

355

qui intervient dans le fil d’une décision éducative paternelle vécue comme vexatoire, voire blessante, pour Judith. On peut inscrire cette décision dans le contexte de la réactivation des enjeux œdipiens dans le lien père-fille à l’adolescence. Il ressort par ailleurs que la consultation du médecin-psychiatre intervenue à la suite de la tentative de suicide de Judith quelques mois auparavant s’inscrit dans une longue histoire de consultations, depuis le temps de la petite enfance de Judith. En effet, les parents de Judith situent la première consultation dans un service de pédopsychiatrie pour sa fille à l’âge de deux ans, qui correspond au temps de la naissance de son frère puîné.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.



Clinique de la passation Judith restera relativement réservée au cours de l’entretien et de la passation des épreuves projectives, alors même qu’il semble qu’elle ait pu manifester auprès du médecin-psychiatre un intérêt à l’idée de s’engager dans un dispositif en mesure de soutenir une compréhension de son malaise persistant. L’empathie à l’égard de la jeune fille s’avère difficile à mobiliser pour le psychologue, un rapproché dans le lien trouvant néanmoins à se signifier au décours de l’examen psychologique. Judith se présente dans une posture que l’on peut comprendre comme étant celle de l’observation, tout en ne pouvant être considérée comme en retrait dans la relation clinique. Judith semble être sensible à éprouver la qualité du lien à ceux qu’elle rencontre, ainsi que la fiabilité de ce lien. À cet égard, Judith manifeste la fragilité des investissements relationnels, qui semblent toujours être pris dans le risque, celui d’un rejet, celui d’une indifférence... ou celui d’une rétorsion. Les épreuves projectives (Rorschach et TAT1 ) sont investies par Judith dans une certaine difficulté, au regard de la sollicitation des planches qui apparaît comme la confrontant à une expérience quasi-traumatique ; Judith s’y engagera a minima, dans une inhibition certaine. Apparaissent également des manifestations de malaise, qui conduiront le clinicien à se mobiliser activement dans une position de soutien de la jeune fille, afin d’une part, d’autoriser le déploiement des représentations tel qu’il peut être attendu dans le cadre de la passation des épreuves projectives, et d’autre part, de proposer un renforcement narcissique dans le cadre d’une situation où Judith semble pouvoir être prise dans une forme de vacillement identitaire. 1. Seule l’épreuve de Rorschach fera l’objet d’une présentation et d’une discussion clinique.

356



Illustrations cliniques

Les processus de pensée Les processus de pensée se présentent dans une importante inhibition, qui se donne à voir tout autant au travers du protocole de réponses à l’épreuve de Rorschach que dans le graphisme et le récit rétractés à l’épreuve de dessin de l’A.T.9. La verbalisation est minimale, comme si Judith était soucieuse de présenter une adaptation suffisante, à la limite de l’engagement subjectif. On note la présence d’une seule réponse par planche de l’épreuve de Rorschach, donnant à penser que Judith a pu considérer qu’il s’agissait là du minimum requis pour ne pas se trouver disqualifiée au plan narcissique. Cependant Judith se montre en mesure de proposer des représentations globalement en adéquation avec le stimulus des planches et, parfois même, avec une certaine recherche dans la construction du stimulus (planches III, VIII et X), à la condition de prendre en compte, dans une continuité, le discours fourni à la passation et le discours fourni à l’enquête : ceux-ci concourent soit dans la précision à apporter à une réponse (planches III et X), soit dans l’approfondissement de l’élaboration de la représentation (planche VIII, avec l’émergence de la réponse banale à l’enquête, en réponse additionnelle). La dimension de l’inscription temporelle et du rythme de la production est également à considérer, comme témoin de l’inhibition des processus de pensée : en effet, le protocole de Judith est émaillé de temps de latence (qui dépassent parfois une minute, comme à la planche V, parfois nommée par certains auteurs comme « planche de l’évidence » !) qui introduisent une rythmicité singulière au regard du travail de symbolisation. Tout se passe comme si le temps de la rencontre avec la planche nécessitait une forme d’apprivoisement, à partir duquel Judith pouvait s’autoriser à jouer. Il semble que cet aspect de l’engagement des processus de pensée puisse être mis en lien d’une part avec la participation dépressive du fonctionnement psychique de Judith, et d’autre part avec le risque que semble représenter l’appréhension d’un stimulus marqué par une forme d’étrangeté et, qui mobilise, on le verra, des éprouvés dans un registre archaïque.



Le traitement des conflits Les épreuves projectives proposées à Judith, et tout particulièrement pour ce qui nous intéresse ici l’épreuve de Rorschach, mettent en évidence de manière aiguë les traces d’une souffrance dépressive et d’une fragilité des assises narcissiques.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

357

Les angoisses se manifestent essentiellement sur le versant de la perte, et se traduisent par un sentiment de lâcher prise (lâcher/être lâchée), renvoyant sans doute à des éprouvés précoces, ici réactualisés à l’adolescence, et dont l’on peut reconnaître le caractère potentiellement déstructurant. Par ailleurs, les expressions persécutoires ouvrent sur un autre registre, celui d’un vécu d’une forme de risque pour l’intégrité, sans toutefois que ne se trouve véritablement atteinte la construction identitaire. Il semble que l’on soit ici confronté de manière paradigmatique aux enjeux identitaires ouverts par la crise pubertaire : comme on a pu le voir, la remise en question des repères identitaires traverse le temps de la pré-adolescence, et vient ici, pour Judith, inscrire des vécus d’étrangeté, voire de menace (cf. planche II : « en fait je vois ce que ça pourrait être là, mais (...) ce serait un... de la fumée noire qui emporte... je sais pas des personnes » et à l’enquête : « un nuage noir, quelque chose de mauvais qui tue les gens »). Les stratégies défensives de Judith se traduisent en termes d’inhibition, davantage orientée sur un versant névrotique que sur un mode narcissique et/ou déficitaire. Cette inhibition, que l’on peut entendre également dans le registre de la mise à distance de représentations chargées de violence, constitue une modalité défensive relativement efficiente pour Judith, même si cela est au prix d’un coût énergétique certain. Par ailleurs, le recours à l’idéalisation (planche IX : « un coucher de soleil » ; planche X : « à une femme un peu excentrique ») permet une forme de dégagement dans un contexte où la résolution de la position dépressive peine à s’élaborer, laissant Judith aux prises avec des affects dépressifs diffus et peu subjectivables (cf. le contexte dysphorique ouvert par les réponses à la planche II, avec la présence d’une kinesthésie passive, témoignant d’un retrait quant à l’engagement subjectif). L’identité de Judith est assez peu assurée, même si l’on ne note aucune manifestation d’atteinte caractérisée dans ce registre. La réponse de kinesthésie humaine à la planche III ainsi que la réponse banale à la planche V témoignent a minima de la structuration d’assises narcissiques-identitaires de base. Domine une insécurité dans les liens, au sens où les qualités de soutien de l’environnement n’auraient pu faire l’objet d’une intériorisation suffisamment fiable et/ou stable : on peut bien sûr à cet endroit relayer l’association proposée par la mère de Judith entre la première consultation psychologique et la naissance de son frère puîné, dans la mesure où la fragilité dont témoigne Judith apparaît bien comme s’inscrivant dans des modalités peu construites et/ou peu soutenues de liens à l’environnement.

358

Illustrations cliniques

Au plan identificatoire, il semble que la question centrale puisse être énoncée de la manière suivante : « comme adolescente, adulte en devenir, sur qui et sur quoi puis-je prendre appui pour grandir ? », et ce, dans un contexte dans lequel on peut repérer : • d’une part que les figures parentales se trouvent psychiquement peu

qualifiées (ce qui n’a par ailleurs rien de surprenant ni de très spécifique dans le temps de l’adolescence) ; • d’autre part que les figures des pairs sont peu mobilisables, dans la mesure de la précarité de l’estime de soi dont témoigne Judith, alors même que les manifestations d’idéalisation viennent assurer une bonne part des modalités défensives. À partir de là, on comprend que les mouvements identificatoires de Judith soient assez peu assurés, à l’aune du mode d’investissement des figures parentales, qui apparaissent ici comme peu mobilisées, sur le plan intrapsychique, par Judith. En effet, on constate : • que la figure du féminin maternel est investie dans un défaut de sécurité

(planche I : « (...) ben... à une femme avec des ailes, qui veut attraper quelque chose... ») même si elle est potentiellement appelée à la source du narcissisme (planche VII : « (...) le reflet de quelqu’un dans l’eau ») ; • que la figure du masculin-paternel est associée à une figure inquiétante (cf. planche IV) ; • que la construction de la bisexualité se trouve mise à mal, en défaut d’élaboration, au travers d’une figure dysphorique (planche VI : « un animal écrasé »). In fine, se pose la question de la place de Judith dans les investissements parentaux et, plus particulièrement, la place de Judith au sein du couple parental. Tout se passe comme si tout conflit s’avérait impossible, dans la mesure où il porterait en lui les germes de la destruction. En d’autres termes, la gestion pulsionnelle (entre pulsion libidinale et pulsion agressive) peine à s’élaborer dans une figure de liaison autorisant l’accès à l’ambivalence, au profit d’une figure de bi-triangulation, qui plaque la référence à la différence des sexes sur une ligne de clivage entre bon et mauvais objet. ➤

Synthèse et perspectives cliniques La personnalité de Judith se présente dans une construction précaire, dans le contexte d’une adolescence marquée par une faible estime de soi et par

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

359

une (des) expressions(s) auto-agressive(s), dans une configuration nettement dépressive. Si l’on peut écarter toute dimension psychopathologique avérée dans le champ de la psychose, dans un registre persécutoire et/ou dissociatif, on ne peut manquer de souligner, dans une expression qui peut apparaître au premier abord comme marquée par la pulsionnalité œdipienne, les failles dans la capacité de maintenir la continuité des investissements. Il semble que l’enjeu principal pour Judith tienne dans une tentative de trouver une reconnaissance dans le regard de l’autre, alors même que la violence des conflits (ou des incompréhensions ?) dans la rencontre avec ses parents, autour de la question du scolaire par exemple, tend à actualiser une position de disqualification, qui fait écho à une modalité insatisfaisante d’être investie par ses parents. La question se pose, semble-t-il, des modalités de négociation des liens au sein de la famille : Judith semble prise, de manière aliénée, entre une figure paternelle plutôt autoritaire, investie dans la disqualification voire la rétorsion, et une figure maternelle qui ne peut investir véritablement une position de soutien à l’égard de sa fille. Le temps de l’adolescence, dans la fragilité et la labilité de ses investissements, constitue bien sûr un espace privilégié pour la mise en jeu des liens aux parents. Ici, ces liens apparaissent en difficulté d’inscription, comme attaqués par un imaginaire inaccessible. Face à cette configuration, et à un passage à l’acte auto-agressif dont il convient d’entendre la dimension de souffrance sous-jacente, il paraît tout à fait important de s’engager dans une double orientation :

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• d’une part, celle de la poursuite d’un soin individuel pour Judith,

suffisamment dégagé des enjeux parentaux, qui aurait pour fonction de la soutenir dans la construction d’une intériorité à même de lui permettre de mettre au travail ses éprouvés de manière non-dangereuse ; • d’autre part, celle de la mise en œuvre d’un soin familial, peut-être, dans un premier temps tout au moins, dans une différenciation suffisante du soin individuel de Judith, afin d’éviter tout risque et effet d’empiètement ; si la mère de Judith a pu se montrer intéressée par une telle démarche, celle-ci repose toutefois sur une adhésion claire de chacun des membres concernés de la famille. Il semble que l’on puisse miser sur les ressources de Judith, tant la jeune fille peut montrer, tout à la fois au travers des épreuves projectives et de l’engagement dans la relation clinique, l’existence de potentiels de mobilisation : l’inscription identitaire, mais également a minima sa possible

360

Illustrations cliniques

reconnaissance de la souffrance qui la submerge, sur le mode de la contrainte à la passivation, constituent des leviers pour envisager son engagement dans un travail de soutien de sa position subjective. Protocole de Rorschach de Judith, 14 ans et 1 mois Pl.

I

Temps

0:00:50

R

Passation

Enquête

Cotation

1

(L:0:00:10) Il faut que je dise à quoi ça me ses cheveux, sa robe (Dax), fait penser ? Ben... à une G F+ (H) ses ailes sur les côtés, ses femme avec des ailes, –> K réprimée mains (D1), ses pieds qui veut attraper quelque chose...

II

0:01:35

2

(L: 0:01:00) Λ > En fait, je vois ce que ça pourrait être là, mais (...) ce serait un... de la fumée noire qui emporte... qui emporte je sais pas des personnes...

III

0:00:30

3

À deux personnes qui Les personnes avec les G K H Ban jouent de la musique. tam-tam sur les côtés

IV

0:00:35

4

(L:0:00:15) À quel- ses jambes, ses bras et sa G F+ (H) qu’un vu de bas tête... ( ?) un monstre !

V

0:01:40

5

(L:0:01:20) À une ses antennes, je sais pas, G F+ A Ban chauve-souris...ouais ses pattes et puis ses ailes

VI

0:00:20

6

Un animal écrasé

VII

0:00:40

7

(L:0:00:20) Hum... le son corps (D2) et ses cheG F± H reflet de quelqu’un dans veux (D4) (Vu du haut de –> reflet l’eau la planche)

8

c’est pas trop la forme, la verdure (D4), des ani(L:0:00:50) À la mon- maux (D1), des pierres G F- Pays tagne... hum... (D2)...et de la verdure aussi (D5) (R. Add : DD F+ A Ban)

VIII

IX

0:01:10

0:00:20

9

Un coucher de soleil

Un nuage noir, quelque chose de mauvais qui tue G C’F Frag/H les gens (toutes les tâches –> K passive rouges)

son museau, sa tête (Dax) avec là ses pattes arrière, G F+ Adev. ses pattes avant

qui se reflète dans l’eau... soleil (D3) avec des choses G FC Pays qui se reflètent dans l’eau, des arbres

361

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

(suite)

X

0:00:30

10

sa veste (D9) ses bracelets (D1) son soutien-gorge ( D6), À une femme un peu masque sur la tête (D8), Gbl F+ H excentrique collier (D3) pantalon (D 10) et motifs sur son pantalon (D2). Durée totale de la passation : 00:08:10

Pl +

Pl -

R = 10

I

Parce que j’aimerais bien savoir voler et puis... et puis attra... attraper quelque chose mais...

X

Parce que je sais pas j’aimerais bien être un peu excentrique de temps en temps, pas toujours parce que je suis un peu timide.

II

Parce que ça représente un peu la guerre et j’aime pas... j’aime pas l’idée que des innocents meurent pour leur pays.

IV

Pareil les monstres dans les films ils tuent des innocents, ils font peur à des innocents...

Temps total : 8. 10’ G:9 Gbl : 1

Psychogramme résumé Temps/ réponse : 0. 49’ F:7 F+ : 5 F± : 1 F- : 1

F% : 70 F+% : 79

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

K:1 G% : 90 Bl% = Gbl% : 10

FC : 1 C’F : 1 Σ C : 0,5

Temps latence moyen : 0. 23’ H:4 H% : 40 (H) : 2

A:1 A% : 10 Adev : 1 Frag : 1 Pays : 2

T.R.I : 1/0,5 RC% : 30 Ban : 2 Ang% : 0

Bibliographie

ANZIEU D. (1970), Les méthodes projectives, Paris, P.U.F. ANZIEU D. (1974), « Le Moi-peau », Paris, Nouvelle Revue de Psychanalyse, 9, p. 195-208. ANZIEU D, CHABERT C. (1983), Les méthodes projectives, Paris, P.U.F. ANZIEU D. (1985), Le Moi-peau, Paris, Dunod. ANZIEU D. Ed. (1986), Les enveloppes psychiques, Paris, Dunod.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ANZIEU A. & ANZIEU D. (1998), « Éloge de la paupière », Paris, Le fait de l’analyse, p. 107-126. ARBISIO C. (2003), Le bilan psychologique avec l’enfant – Approche clinique du WISC-III, Paris, Dunod. AZOULAY C. & Coll. (2007), « Les données normatives françaises du Rorschach à l’adolescence et chez le jeune adulte », Paris, Psychologie Clinique et Projective, 13, p. 371-409. AZOULAY C, EMMANUELLI M. et CORROYER D. (2012), Nouveau Manuel de cotation des formes au Rorschach, Paris, Dunod.

BECK S. (1961), Rorschach’s Test, vol 1 – Basic Processes, tr. fr., Le test de Rorschach, Paris, P.U.F, 1967. BEIZMANN C. (1961), Le Rorschach de l’enfant à l’adulte, Paris, Delachaux et Niestlé. BEIZMANN C. (1970), Livret de cotation des formes dans le Rorschach, Paris, E.AP. BELLAK L. (1950), « An Introduction Note on the Children Apperception Test », Journal of projective Technics, 14, p. 215-234. BERGERET J. (1984), La violence fondamentale, Paris, Dunod. BION W. R (1962), Aux sources de l’expérience, tr. fr., Paris, P.U.F, 1979. BLEGER J. (1988), « Le groupe comme institution et le groupe dans les institutions », in KAËS R. Éd., L’institution et les institutions, Paris, Dunod, p. 47-61. BLEULER E. (1916), Lehrbuch der Psychiatrie, Berlin, Springer.

368

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

BLOMART J. (1998), Le Rorschach chez l’enfant et l’adolescent – Étude génétique et liste de cotation des formes, Paris, E.A.P. BOEKHOLT M. (1993), Épreuves thématiques en clinique infantile, Paris, Dunod. BOEKHOLT M. (1996), « Fondements pulsionnels de l’expérience visuelle : regard à travers la genèse du processus Rorschach », Paris, La Psychiatrie de l’enfant, XXXIX, 2, p. 537-579. BOEHM E. (1951), Traité du Psychodiagnostic de Rorschach, tr. fr., Paris, P.U.F, 1955 (2 tomes) BONNET G. (1996), La violence du voir, Paris, P.U.F. BOURGÈS S. (1973), Approche génétique et psychanalytique de l’enfant, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé. BRELET F. (1986), Le TAT – Fantasme et situation projective, Paris, Dunod. BRELET F. & CHABERT C. (2003), Nouveau manuel du T.A.T – approche psychanalytique, Paris, Dunod. CHABERT C. (1983), Le Rorschach en clinique adulte, Paris, Dunod, 2e éd., 1997.

du traitement d’adolescents psychotiques », Paris, La Psychiatrie de l’enfant, XXXIII, 1, p. 189-285. CHABERT C. (1995), « Contribution des méthodes projectives dans la recherche en psychologie clinique et en psychopathologie », in Bourguignon O. & Bydlowski M., La recherche clinique en psychopathologie – Perspectives critiques, Paris, P.U.F, p. 93-110. CHABERT C. (1998), Psychanalyse et méthodes projectives, Paris, Dunod (Topos). CHABERT C. (2003), Féminin mélancolique, Paris, PUF. CHAGNON J.-Y. (2009), « La période de latence », in ouvrage coll., sous la dir. de Marty F., Les grandes problématiques de la psychologie clinique, Paris, Dunod, 27-45. CHAGNON J.-Y., DURAND M.-L. (2007), « La prépsychose : un concept toujours actuel en psychopathologie de l’enfant ? », Psychologie clinique et projective, 13, p. 123-171. CICCONE A. Ed. (2003), Psychanalyse du lien tyrannique, Paris, Dunod.

CHABERT C. (1987), La psychopathologie à l’épreuve du Rorschach, Paris, Dunod, 2e éd. 1998.

CLAUDON P. (2006), « L’instabilité psychomotrice infantile : représentation de Soi et processus d’autonomisation », La Psychiatrie de l’enfant, 49, 1, p. 155-205.

CHABERT C. (1990), « Évaluation des processus de changement au cours

CORMAN L. (1959), Le dessin de famille, Paris, P.U.F.

Bibliographie

DEBRAY R. Ed. (1998), L’intelligence d’un enfant – Méthodes et techniques d’évaluation, Paris, Dunod.

FISHER S. & CLEVELAND S.E. (1958), Body image and personality, NewYork, Van Nostrand – Reinhold.

DURAND Y. (1988), L’exploration de l’imaginaire, Paris, L’espace bleu.

FRANK L. (1939), « Projective methods for the study of personality », Journal of Psychology, XXXIX, 8, p. 389-413.

ELLENBERGER J. (1954), « The Life and Work of Hermann Rorschach (1884-1922) », tr. fr., « La vie et l’œuvre de Hermann Rorschach (1884-1922) », in Médecines de l’âme – Essais d’histoire de la folie et des guérisons psychiques, Paris, Fayard, 1995. EMMANUELLI M. (1994), « Incidence du narcissisme sur les processus de pensée à l’adolescence », Paris, La Psychiatrie de l’enfant, XXXVII, p. 249-305. EMMANUELLI M. & Coll. (2001), « Contribution du Rorschach au diagnostic d’état-limite », Paris, Psychologie Clinique et Projective, 7, p. 101-122.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

369

EMMANUELLI M. Ed. (2004), L’examen psychologique en clinique, Paris, Dunod. EMMANUELLI M., AZOULAY C. (2009), Pratique des épreuves projectives à l’adolescence, Paris, Dunod. EXNER J. (1974), The Rorschach : a Compréhensive System (vol. 1), tr. fr., Le Rorschach : un système intégré, Paris, Frison-Roche, 1993. FISHER S. (1970), Body expérience in fantasy and behavior, New-York, Aplleton-Century-Crofts.

FRÉDÉRICK-LIBON C. (2001) : « Réflexions autour de certains phénomènes archaïques au Rorschach chez l’enfant : les distorsions de la relation contenant-contenu », Psychologie Clinique et Projective, 7, p. 127-152. FREUD S. (1900), « L’interprétation du rêve », in O.C.P IV, Paris, P.U.F. FREUD S. (1905), « Trois essais sur la vie sexuelle », in O.C.P. VI, Paris, P.U.F. FREUD S. (1917), « Complément métapsychologique à la doctrine du rêve », in Métapsychologie, Paris, Gallimard (Idée), 1981. FREUD S. (1919), « L’inquiétant », in O.C.P XV, Paris, P.U.F. FREUD S. (1920), « Au-delà du principe de plaisir », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1975. FREUD S. (1923), « Le Moi et le Ça », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1975. GOLSE B. Ed. (1994), Le développement affectif et intellectuel de l’enfant, Paris, Masson.

370

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

GOLSE B. (1999), Du corps à la pensée, Paris, P.U.F.

du Je », in Écrits I, Paris, Seuil, p. 249-289.

GREEN A. & DONNET J. L. (1973), L’enfant de Ça, Paris, Minuit.

LAGACHE D. (1949), L’unité de la psychologie, Paris, P.U.F.

GREEN A. (1974), « L’analyste, la symbolisation et l’absence dans le cadre analytique », Paris, Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1, p. 489-493.

LAGACHE D. (1957), « La rêverie imageante, conduite adaptative au test de Rorschach », Bulletin du Groupement Français du Rorschach, 9, p. 3-11.

GREEN A. (1993), Le travail du négatif, Paris, Minuit. GUTTON P. (1991), Le pubertaire, Paris, P.U.F. HALPERN F. (1953), A clinical Approach to Children’s Rorschachs, New-York, Grune and Stratton. JIDOUARD H. (1988), Le Rorschach, une approche psychanalytique, Lyon, P.U.L. KANDINSKY W. (1912), Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, tr. fr., Paris, Denoël, 1989. KLEIN M. (1934), « Contribution à la psychogénèse des états maniacodépressifs », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1976. KLEIN M. (1940), « Le deuil et ses rapports avec les états maniacodépressifs », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1976. KLOPFER B. & Coll. (1942), « Rorschach reactions in early Childhood », Rorschach Research Exchanges, 5, p. 1-23. LACAN J. (1966), « Le stade du miroir comme formateur de la fonction

LAPLANCHE J. & PONTALIS J. B. (1967), Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, P.U.F. LAUFER M. & LAUFER E. (1984), Developmental Breakdown and Psychoanalytic TReatment in, Adolescence – Clinical Studies, tr. fr., Rupture du développement et traitement psychanalytique à l’adolescence – Études cliniques, Paris, P.U.F, 1993. LEBOVICI S. & SOULÉ M. Ed. (1970), La connaissance de l’enfant par la psychanalyse, Paris, P.U.F, 6e éd. 1995. LEBOVICI S., DIATKINE R. & SOULÉ M. Éd.,(1985), Traité de Psychiatrie de l’enfant (3 vol.), Paris, P.U.F. LEFEBVRE A. & DUSAUCY D. (2005), « Le masculin infantile et ses enjeux pervers », Paris, Psychologie Clinique et Projective, 11, p. 79-104. LEICHTMAN M. (1996), The Rorschach – A Developmental Perspective, NewYork, The Analytic Press. Le MEN J. (1966), L’espace figuratif et les structures de la personnalité – une

Bibliographie

épreuve clinique originale : le D10, Paris, P.U.F.

psychanalytique, tr. fr., Paris, Payot, 1984.

LERNER P. (1991), Psychoanalytic theory and the Rorschach, New-York, The Analytic Press.

MÉNÉCHAL J. (1999), « L’alliance introjective, une hypothèse clinique pour penser les pathologies du lien », Paris, L’évolution Psychiatrique, 64, p. 567-578.

LEWIN B. (1972), « La bouche et l’écran du rêve », tr. fr., Paris, Nouvelle revue de Psychanalyse, 5, p. 211-223 LOOSLI-USTÉRI M. (1929), « Le test de Rorschach appliqué à différents groupes d’enfants », Archives de Psychologie, XXII, 85. LOOSLI-USTÉRI M. (1932), « Les interprétations dans le test de Rorschach », Archives de Psychologie, XXIII, 92. LOOSLI-USTÉRI M. (1938), Le diagnostic individuel chez l’enfant à l’aide du test de Rorschach, Paris, Hermann. MARCELLI D. Éd.(1996), Enfance et psychopathologie, Paris, Masson. © Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

371

MARCELLI D. & COHEN D. Éd. (2009), Enfance et psychopathologie, Paris, Masson. MARTY F. (2005), « Initiation à la temporalité psychique », Psychologie clinique et projective, 11, p. 231-256. MARTY P. & FAIN M. (1955), « Importance de la motricité dans la relation d’objet », Paris, Revue Française de Psychanalyse, 1-2, p. 205-284. MELTZER D. Ed. (1975), Explorations dans le monde de l’autisme : étude

MILNER M. (1955), « The role of illusion in symbol formation », tr. fr., « Le rôle de l’illusion dans la formaton du symbole », in Chouvier B. Éd., Matière à symbolisation – Art, création et psychanalyse, Lausanne – Paris, Delachaux et Niestlé, 1998, p. 29-59. MISÈS R. (1990), Les pathologies-limites de l’enfance, Paris, P.U.F. MISÈS R. (Ed.) (2012), Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent : la CFTMEA R-2012, Rennes, Presses de l’EHESP MONOD M. (1973), Manuel d’application du Test du village, Paris, Delachaux et Niestlé. RAUSCH DE TRAUBENBERG N. (1970), La pratique du Rorschach, Paris, P.U.F. RAUSCH DE TRAUBENBERG N. & BOIZOU M. F. (1984), Le Rorschach en clinique infantile – Le réel et l’imaginaire chez l’enfant, Paris, Dunod. RAUSCH DE TRAUBENBERG N. & Coll. (1984), « Représentation de soi et relation d’objet au Rorschach : grille de représentation de soi », Paris,

372

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Revue de Psychologie Appliquée, p. 34, 1, 41-57. RAUSCH DE TRAUBENBERG N. (1994), « Le Rorschach, lieu d’interactions entre le percept et le fantasme », in Bulletin de la Société du Rorschach et des Méthodes Projectives de Langue Française, p. 123-136.

Thèse de doctorat en psychologie clinique, Université Lumière – Lyon 2, sous la direction du Pr. J. Guillaumin (non publié). ROMAN P. (1993), « Le dessin libre », Le Journal des Psychologues, 108, p. 50-52.

RAUSCH DE TRAUBENBERG N. (1997), « Avant-propos » in ROMAN P. Ed., Projection et symbolisation chez l’enfant, P.U.L, p. 7-9

ROMAN P. (1995), « Scènes de l’originaire – De la position subjective dans l’élaboration du scénario fantasmatique en méthode projective », Paris, Bulletin de Psychologie, XLVIII, 421, p. 661-666.

RAUSCH DE TRAUBENBERG, N. et al. (1993), « Le Rorschach à l’adolescence : la clinique du normal », Bulletin de la Société du Rorschach et des Méthodes Projectives de Langue Française, 37, p. 7-40

ROMAN P. (1996), « Blanc au Rorschach et psychopathologie du Moipeau », Paris, Revue Européenne de Psychologie Appliquée, 46, 2, p. 139143.

RAVIT M. (2002), Entre sujet et objet : l’objet d’addiction, un opérateur « psychique » paradoxal, Thèse de doctorat en psychologie clinique et psychopathologie, Université Lumière – Lyon 2, sous la direction du Pr. R. Kaës (non publié). REBOURG-ROESSLER C. (2007), « Stylistique au Rorschach et chez Virginia Woolf », Paris, Psychologie Clinique et Projective, 13, p. 77-91.

ROMAN P. Éd. (1997a), Projection et symbolisation chez l’enfant, P.U.L. ROMAN P. (1997b) « La méthode projective comme dispositif à symboliser », in ROMAN P. Ed., Projection et symbolisation chez l’enfant, P.U.L, p. 37-51. ROMAN P. (1997c), « Troubles somatiques et catastrophes de symbolisation », Paris, Psychologie Clinique et Projective, 3, 1, p. 75-87.

ROLLAND J.C. (2006), « Terre d’accueil », Paris, Libres Cahiers pour la Psychanalyse, 14, p. 25-44.

ROMAN P. (1998), « Pouvoir et pourvoir du clinicien dans le champ judiciaire », Bruxelles, Cahiers de Psychologie Clinique, 10, p. 47-63.

ROMAN P. (1991), Le détail blanc dans le test de Rorschach et l’expression projective des ruptures précoces du Moi,

ROMAN P. (1999a), « La position dépressive familiale: un modèle pour penser la séparation - apport des

Bibliographie

méthodes projectives », Paris, La Psychiatrie de l’Enfant, XLII, 1, p. 129-172. ROMAN P. (1999b), « Histoire et clinique de l’objet en méthodes projectives », Toulouse, Homo, XXXVI, p. 103-117. ROMAN P. (2000), « Clinique des clivages à l’adolescence », Paris, Psychologie Clinique et Projective, 6, p. 187-217. ROMAN P. (2001), « Des enveloppes psychiques aux enveloppes projectives : travail de la symbolisation et paradoxe de la négativité », Psychologie Clinique et Projective (Paris), 7, p. 71-84.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ROMAN P. (2004), La Mallette Projective Première Enfance – Manuel d’utilisation et matériel de l’épreuve, Paris, E.C.P.A. ROMAN P. (2005), « La Mallette Projective Première Enfance (M.P.P.E) – Un outil clinique pour l’évaluation de la personnalité du jeune enfant », Paris, Devenir, 15, p. 233-259. ROMAN P. (2006), Les épreuves projectives et l’examen psychologique, Paris, Dunod (Topos). ROMAN P. (2007), « Figures du négatif et “expérience” créatrice », in BRUN A. & TALPIN J.M., Clinique de la création, Bruxelles, De Boeck, p. 117-140. ROMAN P., DUBLINEAU M., SABOIA C. (2011), « Projective Kit for Early

373

Childhood (P.K.E.C.) - A Projective Tool for Research and Clinical Assessment », Rorschachiana, 32 – 2, p. 223-251 ROMAN P. (2012), Les violences sexuelles à l’adolescence, Paris, Elsevier-Masson ROMAN P. (2014), La construction de l’intersubjectivité chez le jeune enfant sur la scène du jeu : développements et avatars, in Moro, C., Müller-Mirza, N. & Roman, P. E. L’intersubjectivité en questions : agrégat ou nouveau concept fédérateur en psychologie ? Lausanne, Antipodes (Actualités psychologiques), p. 213-245 RORSCHACH H. (1921), Psychodiagnostic, tr. fr., Paris, P.U.F, 1976. RORSCHACH H. (2004), Briefwechsel (1902-1920), Bern, H. Huber Verlag. ROSSEL F. & Coll. (2005), Les phénomènes particuliers au Rorschach Une relecture pointilliste, Lausanne, Payot. ROSSEL F. & Coll. (2012), Les phénomènes particuliers au Rorschach – Une relecture pointilliste, Paris, Hogrefe. ROUSSILLON R. (1991), Paradoxe et situations limites de la psychanalyse, Paris, P.U.F.

374

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

ROUSSILLON R. (1995), « La métapsychologie des processus et la transitionnalité », Paris, Revue Française de Psychanalyse, numéro spécial congrès, p. 1351-1519. ROUSSILLON R. (1997), « Activité projective et symbolisation » in ROMAN P. Ed., Projection et symbolisation chez l’enfant, P.U.L, p. 27-35. ROUSSILLON R. (1999), Agonie, clivage et symbolisation, Paris, P.U.F. ROUSSILLON R. (2002), « L’homosexualité primaire et le partage de l’affect », in MELLIER D. Ed., Vie émotionnelle et souffrance du bébé, Paris, Dunod, p. 73-89.

SANGLADE A. (1983), Image du corps et image de soi au Rorschach, Paris, Psychologie Française, p. 104-111. SICARD M. (1994), L’année 1895 – L’image écartelée entre voir et savoir, Paris, Les empêcheurs de penser en rond. SHENTOUB V. Ed. (1990), Manuel d’utilisation du T.A.T – Approche psychanalytique, Paris, Dunod. TYCHEY (de) C. (2012), Le Rorschach en clinique de la dépression adulte, Paris, Dunod. VON STAABS G. (1964), Le Scéno-test, Paris, Delachaux et Niestlé.

ROUSSILLON R. (2012), Manuel de pratique clinique, Paris, ElsevierMasson.

WINNICOTT D. W. (1971), Playing and reality, tr. fr., Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975.

RUFFIOT A. (1990), La thérapie familiale psychanalytique, Paris, Dunod.

ZULLIGER H. (1954), Der Tafeln – Z – Test, tr. fr., Le Test Z individuel, Paris, P.U.F, 1959.

SAMI-ALI (1986), De la projection, une étude psychanalytique, Paris, Dunod.

© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Table des matières

PRÉSENTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

V

AVANT-PROPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

VII

Rorschach et médiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IX

Rorschach et pratique de l’examen psychologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XI

CHAPITRE 1 L’ÉPREUVE DE RORSCHACH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

Histoire d’une pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

5

Normalité et pathologie : Rorschach et clinique de l’enfant et de l’adolescent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7

Pour une approche psychodynamique de l’épreuve de Rorschach . . . . . .

9

CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE DE L’ÉPREUVE DE RORSCHACH EN CLINIQUE DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT . . . . . . . . . . . .

13

Épreuve de Rorschach et travail de l’image . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

16

Les planches de Rorschach : jouer avec les taches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

17

Projection, rêve et régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

22

Rorschach et travail de symbolisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

27

364

Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Le fil projectif : un modèle pour penser le travail de symbolisation dans l’expression projective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

34

Propositions de méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

37

La passation de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

38

La cotation, clinique de la production projective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

60

Le modèle de l’évaluation du fonctionnement psychique en clinique de l’enfant et de l’adolescent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

67

Clinique de la réponse au Rorschach. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

76

Discrimination perceptive : les modes d’appréhension . . . . . . . . . . . . . . . . . .

77

Mode de traitement du stimulus : les déterminants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Témoins de l’imaginaire : les contenus ou représentations . . . . . . . . . . . . . . . 146 Les phénomènes particuliers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 Synthèse des cotations et indices spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

CHAPITRE 3 EXPRESSION PROJECTIVE AU RORSCHACH ET DÉVELOPPEMENT PSYCHOAFFECTIF DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Problématiques et observatoires cliniques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169 Organisateur de la pulsion et expression de l’angoisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 Le travail des défenses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 Dynamique du lien à l’objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

Repères pour une pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Le jeune enfant et l’expérience sensorielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218 Le temps œdipien et la conflictualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

229

La latence et la déconflictualisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238 La pré-adolescence et les premiers vacillements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248 L’adolescence et ses remaniements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

Table des matières

CHAPITRE 4 ILLUSTRATIONS CLINIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

365

273

L’enfance et la période de latence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276 Jérémie, 5 ans et 6 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277 Christophe, 7 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285 Laetitia, 7 ans et 7 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294 Houria, 8 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304 Pierre, 9 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312 Oriane, 10 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322

Le temps de l’adolescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332 Lucile, 12 ans et 6 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332 Rodolphe, 13 ans et 6 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343 Judith, 14 ans et 1 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

367