Le marché du mariage et de la famille   [1re ed]
 2130414265, 9782130414261 [PDF]

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Zitiervorschau

Economiste, Bertrand Lemennicier est né en 1943 à Paris. Marié et père de deux enfants, il enseigne à l'Université de Paris-Dauphine et à l'ESSEC. Parallèlement à ses activités professorales, il a mené des recherches au CREDOC dans les domaines de l'économie, de l'éducation, du travail et de la famille dont il a tiré de nombreux articles publiés dans des revues scien tifiq ues . Cofondateur des Cercles d'Etudes libertariennes, il dirige actuellement le séminaire « Ethique et Liberté )) à l'Université de ParisDauphine.

LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

«

LIBRE ÉCHANGE»

COLLECTION FONDÉE PAR FLORIN AFTALION ET GEORGES GALLAIS-HAMONNO ET DIRIGÉE PAR FLORIN AFTALION

LE MARCHÉ DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

BERTRAND LEMENNICIER

Presses Universitaires de France

pour Alexandra et Béatrice

ISBN 2 13041426 5

1UN 0292"'7020

Dépôt légal- Ire édition: 1988, Olars

@ Presse! Universitaires de France, 1988 108, boulevard Saint ... Germain,

7~006

Paris'

SOMMAIRE

Avant-propos. 7 Préface, 9 Introduction, 13 1 - La nature de la famille, 19 2 - Qui « porte la culotte» dans le ménage, 35 3 - Le choix du conjoint, 53 4 - Le prix de la femme dans nos sociétés contemporaines, 69 5 - Le contrat de mariage, 101 6 - Le commerce des enfants, 121 7 - Le déclin de la fécondité, 139 8 - La politique familiale et démographique, 161 Conclusion, 197 Notes, 203 Bibliographie, 221

Avant-propos

1 - Ce livre n'est pas l'œuvre d'un écrivain, mais celle d'un économiste. N'attendez pas de cet ouvrage qu'il soit écrit dans un style digne des plus grands auteurs de la littérature française. Si cela était, l'auteur essaierait de faire fortune comme écrivain et non comme professeur d'économie. 2 - Il ne s'agit pas d'un roman policier, le lecteur ne le lira pas d'une traite. Aussi, pour faciliter sa lecture, chaque chapitre est autonome et voulu comme tel. Il peut donc, s'Ule désire, commencer par le dernier chapitre. Cette autonomie a une contrepartie: elle impose une certaine redondance (reprise, par exemple, d'une même étude de cas ou d'arguments déjà présentés dans un autre chapitre).

3 - Il a été conçu pour familiariser le lecteur avec le point de vue de l'économiste sur des phénomènes touchant sa vie intime (mariage, divorce, procréation, etc.) et pour lui permettre d'incorporer, sans effort, l'aptitude au raisonnement économique. 4 - Incorporer le raisonnement économique ne se fait pas sans répétition. Tout sport exige de répéter indéfiniment des gestes, ou des combinaisons de geste, qui deviendront des réflexes essentiels lors d'une compétition. Il en oblige à des itérations, de mots ou d'arguments (on violera ainsi une des règles sacro-sainte de l'écrivain),

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AV ANI·PROPOS

5 - Cet entraînement au raisonnement n'est pas toujours une partie de plaisir. Il faut parfois s'accrocher. Très souvent, les phrases sont du style AB, BC, CD c'est-à-dire transitives et il n'est pas toujours aisé, dans ce cas, d'éviter les lourdeurs syntaxiques. Dans cet ouvrage, l'idée ou le raisonnement prime l'expression. C'est un parti pris. La perfection, en ce domaine, a un coût d'opportunité: retarder la parution de l'ouvrage et mobiliser le temps de l'auteur à cette tâche au lieu de le consacrer à une autre activité (sous-entendu: plus rémunératrice). 6 - Pour rendre accessible le point de vue de l'économiste au lecteur sans qu'il ait besoin de sacrifier des années d'études pour maîtriser les dédales de la théorie moderne de l'utilité, de la firme, du marché ou de l'équilibre général, nous avons adopté un ton familier, une écriture proche du langage parlé et évité, dans la mesure du possible, le jargon de la profession.

- Enfin, l'auteur dégage toute responsabilité si après avoir lu ce livre, le lecteur regarde d'un œil différent son conjoint et décide d'en changer...

PRÉFACE

Contrairement à ce que peut suggérer le rapprochement entre le titre de la collection « Libre échange» et le titre de ce livre, les pages qui suivent ne sont pas celles d'un ouvrage permettant aux lecteurs de découvrir les mille et une façons d'échanger sa femme contre une autre pour le plaisir d'une nuit, mais d'un livre «docte» et, nous l'espérons, non ennuyeux sur ce que les économistes appelle les marchés «du mariage, de la famille ou des enfants». Comme pour toute œuvre intellectuelle, la préparation d'un livre entraîne une dette à l'égard d'un grand nombre de gens. Je voudrais utiliser cette préface pour exprimer ma gratitude à tous ceux qui, à un stade ou à un autre de ce travail, m'ont aidé. Ma curiosité pour les phénomènes démographiques n'est pas purement accidentelle. Elle a pour origine les recherches empiriques que j'ai effectuées au cours des années 1977-1983 au sein du Laboratoire de Microéconomie Appliquée digiré par Louis Levy-Garboua au CREDOC (Centre de Recherche pour l'Etude et l'Observation des conditions de vie) conjointement avec mes activités d'enseignement et de recherches à l'Université de Paris Dauphine. Ce centre dispose depuis de nombreuses années d'enquêtes suries conditions de vie des ménages qui offrent l'occasion de tester les théories de Gary Becker, professeur au département d'économie de l'Université de Chicago, sur la fécondité, le mariage et le divorce. Cet ouvrage n'est pas un résumé ou une synthèse de mes travaux empiriques mais plutôt le fruit d'une nouvelle réflexion visant à susciter chez tous ceux qui ont

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pour profession de traiter des problèmes familiaux, un intérêt pour un point de vue peu courant sur ces thèmes: celui de l'analyse économique. Ma dette est donc immense à l'égard de Louis Levy-Garboua. D'une part, il m'a permis de travailler sur ce sujet, d'autre part, il a toujours soutenu mes efforts à l'encontre de cet environnement hostile à toute innovation qu'est devenu l'université française. J'ai bénéficié pendant ces années passées au CREDOC des longues discussions que nous avons eu ensemble sur ces théories. Je tiens ici à ce qu'il soit remercié en premier. A Louis Levy-Garboua j'associerai son équipe: Madame Durand, Mrs. N'Guyen Khan et J.-P. Jarousse sans oublier Mlle M. Feuillet chargée de la bibliothèque du CREDOC et qui a fait de cet instrument intellectuel un outil d'une très grande qualité. Ces recherches sur la famille, réalisées au CREDOC, ont été financées pendant plusieurs années par la CNAF (Caisse Nationale des Allocations Familiales) et le CGP (Commissariat Général au Plan). Que ces organismes en soient remerciés. Ma dette est tout aussi immense à l'égard de Pascal Salin qui, lorsqu'il était jeune professeur frais émoulu du concours d'agrégation de l'Enseignement Supérieur, et moins connu qu'aujourd'hui, m'a fait découvrir le plaisir qu'il y a à pratiquer le raisonnement économique. Sans ce hasard, je ne serais jamais devenu un économiste et encore moins un universitaire. En ce qui concerne plus directement l'ouvrage, mes remerciements vont d'abord à mes étudiants d'Economie Appliquée à l'Université de Paris Dauphine. Ils ont constitué pendant deux ans un banc d'essai pour voir comment les idées développées dans ce livre pouvaient passer auprès d'un public intéressé à l'économie et à la prospection d'un futur conjoint. Ensuite, ils vont à Henri Lepage avec lequel j'ai eu de longues discussions sur la théorie des contrats et des droits de propriété. A ces remerciements j'associerai Jacques Garello qui m'a permis de présenter plusieurs fois lors des Universités d'été de la Nouvelle Economie à Aix-en-Provence les théories de ce livre à un public plus large que celui des initiés. Je tiens aussi à exprimer ma gratitude à Jacques Silber et Amyra Grossbard qui lors d'un séjour à l'Université de Bar-Uan en Israël m'ont offert la possibilité de discuter un ou deux chapitres de cet ouvrage, alors en préparation, au séminaire hebdomadaire qu'ils dirigeaient. Florin Afta-

P!UFACE

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lion, François Guillaumat, Daniel Pilisi et plus particulièrement Pascal Brunier, même s'ils ne partagent pas les thèses défendues dans ce livre, ont eu le courage de relire le manuscrit en entier ou pour partie, et m'ont fait bénéficier de leurs remarquel) sur la manière dont il était écrit. Je leur exprime à eux aussi to~te ma gratitude. Il est de coutume souvent de dédier son livre à quelqu'un. Les candidats potentiels sont habituellement la femme de l'auteur, ses parents ou ses enfants. Mes parents sont disparus depuis trop longtemps déjà et, s'ils avaient pu lire ce livre, je ne suis pas sûr qu'ils m'auraient félicité. Ma femme n'ayant pas encore lu les pages qui suivent, j'ai encore la possibilité de sortir de chez moi en entier, aussi je me garderai bien d'attirer son attention en le lui dédiant. C'est donc à mes deux filles que je dédie ce livre en prévision des années où elles seront à la recherche d'un époux si à cette époque-là on se marie encore. Clos Ollendorff Saint-Cloud, août 1986

INTRODUCTION

« La femme qui, sur le titre de ce livre, serait tentée de l'ouvrir, peut s'en dispenser, elle l'a déjà lu sans le savoir. Un homme, quelque malicieux qu'il puisse être, ne dira jamais des femmes autant de bien ni autant de mal qu'elles en pensent elles-mêmes.» Honoré de BALZAC, PbylÏologi, du mariagr, La Comltlù humaine, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.

La famille parmi toutes les communautés connues est sans doute celle qui marque le plus l'individu. On ne peut donc être surpris du nombre impressionnant d'ouvrages écrits à son sujet. Ces livres, la plupart du temps, abordent des thèmes très variés. En général, parmi eux, il en existe un qui attire toujours l'attention du public: celui des changements profonds qui affectent cette communauté. La famille actuelle ne ressemble pas du tout à celle qu'ont connu nos parents et grand-parents. La famille, dite d'autrefois, s'est considérablement rétrécie. Les cousins ne se connaissent pas. Même les frères et sœurs, une fois atteint l'âge de la vie active, ne se voient plus en dehors des cérémonies familiales. L'obligation de prendre soin des vieillards n'existe plus dans nos sociétés. Les «grandmères», par suite de la surmortalité masculine, vivent seules dans les grandes villes à la merci de prédateurs ou dans des maisons de retraite. Le mariage n'est plus sacré. Les couples s'expérimentent, «cohabitent» et se séparent aussi facilement qu'ils achètent une voiture et la revendent quelques années plus tard. Ils se marient et divorcent puis se remarient. Ils ont des enfants hors mariage ou de plusieurs mariages. D'ailleurs moins ils en ont, mieux ils se portent. Lesjeunes,

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au moment de la saison des amours. ne sont plus chaperonnés et vivent une liberté sexuelle génératrice de maladies transmissibles et de grossesses non désirées se terminant par un avortement remboursé par la sécurité sociale. Pour les plus solides d'entre nous. ou pour les plus individualistes, cette évolution est bénéfique. Pour les autres, elle est désastreuse car elle nous prive de la chaleur humaine et de la protection que cette communauté naturelle procurait à chacun d'entre nous. Indépendamment des sentiments que l'on peut éprouver à l'égard de cette évolution les faits sont là pour confirmer l'importance de ces transformations. A en juger par les chiffres, celles-ci sont particulièrement impressionnantes depuis les années 1970-80. L'évolution de la nuptialité, de la fécondité et des divorces est particulièrement rapide depuis cette période. On observe à la fois une baisse assez vive de la nuptialité, une augmentation extrêmement brutale des divorces et une diminution drastique de la fécondité. On remarque simultanément une montée des naissances illégitimes et du nombre de femmes seules vivants avec des enfants. Dans le même temps, les taux d'activité féminine se sont accrus de manière très spectaculaire 1. De tels phénomènes s'ils se prolongent. ne remettent-ils pas en cause la survie même des populations concernées? Ce sont précisément ces changements radicaux conjointement avec l'inquiétude de nos contemporains sur la dépopulation de notre société qui ont de plus en plus attiré l'attention des scientifiques. La famille est ainsi l'objet principal de deux «sciences» distinctes et bien établies: la démographie et la psychanalyse. Mais elle est aussi l'objet de spécialités dans des disciplines diverses comme la psychologie, la sociologie ou l'anthropologie. D'une certaine façon, l'objet de cet ouvrage s'inscrit dans cet effort général des «scientifiques» pour comprendre ces phénomènes. Les économistes, il faut le reconnaître, sont venus très tardivement apporter leur contribution à la connaissance des phénomènes familiaux et démographiques. Ils s'efforcent, à l'heure actuelle, de combler ce retard, et d'en rendre compte avec leurs outils d'analyse habituels. Certes, ils ont déjà des lettres de noblesse sur ces thèmes puisqu'ils ont été les premiers à offrir une théorie de l'évolution des populations avec Malthus, et une théorie de la fonction économique de la famille avec Engels. Néanmoins il aura fallu attendre

INTRODUCTION

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les années 1960 pour qu'une théorie économique moderne de la fécondité, du mariage, du divorce et de la nature de la famille se développe sous l'impulsion de l'école de Chicago 2. Cette théorie offre au lecteur une interprétation de l'ensemble des phénomènes qui transforment aujourd'hui si profondément le paysage familial. Les idées que développe cette théorie reposent sur quelques principes simples: 1) tout phénomène social (et donc tout phénomène démographique) résulte de l'interaction individuelle: c'est l'individualisme méthodologique; 2) tout individu agit dans le but de substituer à une situation peu satisfaisante une autre jugée meilleure : c'est, dans sa version la plus atténuée possible, le principe de rationalité individuelle; 3) qu'il s'agisse de choisir entre deux marques de yaourt ou de voiture ou entre deux programmes politiques et ou entre deux femmes, l'individu agit de la même manière «rationnelle» 3 • On accordera simplement au lecteur qu'il est plus difficile pour l'individu de maîtriser son comportement «irrationnel» (c'est-àdire ses passions ou ses instincts) quand il s'agit de choisir une femme pour épouse que lorsqu'il s'agit du choix d'un emploi ou de vêtements. Cette vision s'oppose à celle des anthropologues ou des sociologues pour qui la question est de savoir si : «parmi les faits qui se passent au sein des groupes, il en est qui manifestent la nature du groupe en tant que groupe et non pas seulement la nature des individus qui les composent 4 »;

ou si: «les actions des individus sont raisonnables sans être le produit d'un dessein raisonné et à plus forte raison, d'un calcul rationnels».

Le choix du conjoint résulte-t-il d'une intention raisonnée ou est-il un choix raisonnable sans être le produit d'un calcul rationnel? La famille est-elle l'un des organes de la société remplissant une fonction particulière: celle de reproduction et de socialisation de ses membres? Les phénomènes démographiques sont-ils le produit non anticipé d'actions individuelles parfaitement rationnelles? Poser les questions de cette façon oriente les réponses dans une certaine direction. Or, chacune de ces directions tend à s'écarter de sa voisine, creusant ainsi le fossé qui sépare les disciplines ou les chercheurs. Ainsi cette théorie économique de la famille, encore dans son enfance, suscite déjà de telles réactions de rejet, même parmi les

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économistes, que J'on peut se demander si elle va survivre aux assaults les plus divers menés contre elle. Si l'optimisme de certains économistes (ici les tenants de l'école de Chicago) est illustré par cette phrase: ~ ... J'approche économique est un instrument puissant pour analyser à la fois les changements dramatiques qui se produisent dans cette seconde partie du siècle et les changements plus lents mais plus profonds qui au cours des siècles caractérisent J'évolution de la famille des sociétés traditionnelles à la société moderne 6 ».

néanmoins, il est loin d'être partagé par tous. Les remarques perfides d'un prix Nobel comme Samuelson qui, évoquant l'analyse économique de la fécondité, parle de : ~ verbiage stérile par lequel les économistes décrivent les décisions de fécondité dans leur jargon de courbes d'indifférence (et de contrainte de budget), impressionnant par ce biais des non-économistes qui n'ont pas passé leur jeunesse à maîtriser les dédales de la théorie moderne de l'utilité»

ou celle de Blaug qui lui, voit dans cette littérature: ~ l'usage d'un marteau tenu à deux mains pour écraser LInt! noix 7 »

dévoilent l'âpreté des débats. Ces passions soulevées par l'incursion de J'école de Chicago dans les chasses gardées des sociologues ou anthropologues s'étendent à ces disciplines. La discussion et les critiques, faites par Clignet et Sween ou Cohen dans le CUITent Anthropology de mars 1977, à l'analyse économique de la polygamie de Grossbard, une élève de Becker (chef de file de l'école de Chicago dans ces domaines) illustrent des querelles extrêmement vives entre les chercheurs s. La plupart des détracteurs rejettent l'analyse économique de la famille parce qu'elle serait un outil inapproprié pour comprendre des phénomènes complexes non marchand. D'ailleurs, pour eux, cet outil d'analyse s'avère déj à incapable d'expliquer ce qui se passe sur le marché du travail ou sur des marchés financiers. A fortiori, on ne voit pas pourquoi il apporterait quelque chose à la compréhension de phénomènes que l'on observeraient sur le «marché» du mariage. On peut répondre à cette critique en la prenant à l'envers. En réalité, cet outil s'avère extraordinairement efficace parce que les phénomènes familiaux sont fondamentalement plus simples que ceux observés sur les marchés du travail ou financiers. Nous n'entrerons pas dans ces débats pour deux raisons qui nous semblent amplement suffisantes. D'abord, ce que nous voulons approfondir c'est l'approche des économistes et non celle des autres

INTRODUCTION

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disciplines. Ensuite, si nous abordions et discutions des recherches faites dans celles-ci pour les confronter à nos analyses, nous serions amenés très vite, faute de place, de temps et surtout de compétence, à présenter de façon partielle, caricaturale ou bien encore partiale (pis encore, les trois ensembles) les théories développées par les sociologues, anthropologues ou psychanalystes, ce qui serait profondément injuste à leur égard. C'est l'expérience des échanges interdisciplinaires qui nous apprend combien il est difficile d'entrer dans l'analyse spécifique d'une autre discipline. Il suffit de voir comment un excellent sociologue, historien ou psychanalyste caricature dans sa présentation une théorie économique afin de mettre mieux en valeur les siennes pour se rendre compte combien il est imprudent pour un économiste d'en faire autant. Ce n'est donc ni par ignorance ni par négligence, mais volontairement, que nous ne ferons jamais référence, à quelques exceptions près, aux travaux des autres chercheurs en sciences sociales sur les thèmes qui nous préoccupent dans ce livre. On comprend aisément pourquoi démographes, sociologues et anthropologues ne sont pas convaincus par la pertinence du paradigme des choix individuels appliqués aux phénomènes touchant la famille: ils en méconnaissent le maniement. En revanche, on ne comprend pas pourquoi les économistes, eux, ne sont pas convaincus de sa pertinence. Ils devraient l'être puisque ce paradigme fonde leur raisonnement. Ils devraient l'être encore bien davantage puisque le mot «économie» vient du grec «oikonomia» et signifie organisation d'une maison domestique! Or, aussi paradoxal que cela puisse être, les économistes n'ont jamais eu de théorie du «ménage domestique» ; pour la première fois, il en existe une. A l'image de la théorie économique de l'entreprise, de l'Etat ou de la bureaucratie, elle transforme la «boîte noire» des «ménages» (seule entité reconnue par la comptabilité nationale qui ignore résolument les individus) en une «boîte» enfin transparente! Rien que pour cette percée décisive, la théorie économique de la famille mérite d'être étudiée à l'égal de celle de l'entreprise ou de l'Etat. Avec le temps et la féminisation croissante de l'Université nous ne doutons pas qu'elle finira par constituer une spécialité reconnue. En attendant, la réticence générale chez les économistes comme chez les autres «scientifiques» à cette approche de la famille surprend toujours. La raison en est sans doute sentimentale. D'une part,

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sa simplicité, son unité et sa cohérence et, d'autre part, son langage heurtent la sensibilité de chacun sur des sujets qui touchent souvent à l'intimité des gens. Le lecteur n'accepte pas encore de voir qu'il est possible d'examiner toute action en termes de coûts et avantages, et qu'il n'agit pas autrement dans ses relations avec les autres êtres humains. Personne n'aime être traité comme un objet d'échange dans les aspects les plus intimes de sa vie; chacun aspire à être unique. Les occidentaux pensent le mariage dans ses aspects romantiques et valorisent le caractère unique de la relation d'amour qui s'établit entre mari et femme. Si l'un commence à juger la conduite de l'autre et à faire la comptabilité des avantages et des coûts qu'il ya à vivre ensemble, la vie du couple vaut-elle d'être prolongée? Nos contemporains préfèrent oublier les aspects les plus routiniers du mariage. Ils sont aveugles à son fondement économique même: le mariage pour une femme est avant tout un travail et un emploi. Si c'est un bon emploi - c'est-à-dire si le mari est un bon mari riche et affectueux - alors il y a plein de candidates prêtes à offrir leur service à cette perle rare. De la même manière l'homme est bien content d'avoir une épouse pour s'occuper de lui et avoir des enfants. Il entre en compétition avec d'autres hommes pour gagner le cœur de la femme qu'il convoite et pour acquérir suffisamment de ressources de telle sorte qu'elle puisse rester au foyer. Ce sont ces aspects non romantiques de la vie quotidienne qui engendrent un marché du mariage 9. Les gens se marient, restent célibataires, se séparent ou divorcent. Ils produisent ensemble divers biens ou services nécessaires à la vie courante. Ils ont des enfants. Ils se disputent les droits et obligations qu'ils ont les uns sur les autres. Tous ces faits sont déterminés par un ensemble de facteurs recevant une interprétation simple si l'on a en tête l'idée que les choix individuels à propos du mariage et de la vie de famille sont soumis aux lois du marché. Nous traiterons l'essentiel de cette interprétation dans les points suivants 10 : La nature de la famille - Qui «porte la culotte» dans le ménage - Le choix du conjoint - Le prix de la femme dans les sociétés contemporaines - Le contrat de mariage - Le commerce des enfants - Le déclin de la fécondité - La politique familiale et démographique.

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La nature de la famille « La principale raison pour laquelle il est rentable de constituer une entreprise semble qu'il y ait un coût à utiliser le mécanisme des prix de marché. » R. COASE, The Nature of the Firm, EroIlO1l,ÎCa, novembre 1937.

La famille est une entreprise ou une communauté d'intérêts qui offre à ses membres des bénéfices de toutes sortes qu'il est difficile de se procurer à un prix raisonnable sur le marché 1• Ces bénéfices peuvent être matériels tels le gîte, le couvert et les repas ou immatériels tels l'amour ou l'affection. Ils vont de l'assurance en temps de maladie ou de la perte d'un emploi, aux soutiens financiers ou affectifs, aux anciens qui ne peuvent plus travailler, aux soins médicaux ou à l'éducation des plus jeunes. Cette liste est longue et varie d'un pays à l'autre ou d'une époque à l'autre. Ces bénéfices sont produits par les membres de la famille en combinant l'achat de biens et services avec l'utilisation de leur propre temps et compétence. Cette hypothèse permet de comprendre presqu'immédiatement la nature de la famille et les raisons de sa formation. En effet, son existence dépend fondamentalement de la présence ou de l'absence de substitut à la production familiale sur le marché. Cette idée très simple, mais non simpliste, est riche d'implications théorique et empirique 2 • Pour comprendre l'argument posons-nous la question suivante: pourquoi la famille est-elle encore attrayante pour les individus si la plupart des activités produites en son sein peuvent être aujourd'hui

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obtenues sur le marché? au lieu de déjeuner à domicile, il est possible de prendre ses repas à la cantine de l'entreprise ou au restaurant. Au lieu de faire soi-même le ménage, laver le linge ou la vaisselle, bricoler ou s'occuper des enfants, il est aisé de s'adresser à un personnel de maison ou bien à une entreprise (publique ou privée) spécialisée dans la production de ce type de services. Si les gens désirent avoir des relations affectives avec d'autres personnes, ils peuvent adhérer à un club de rencontres ou payer quelqu'un comme l'attestent le développement de la prostitution et celle des compagnies de personnes auprès des malades et des personnes âgées. S'ils désirent avoir des enfants, ils peuvent en adopter légalement ou s'en procurer, moyennant une somme d'argent, au marché noir en Colombie, ou ailleurs. Si la plupart des activités qui sont produites à domicile peuvent donc être obtenues sur le marché, quelles raisons poussent les individus à préférer une production familiale? Utiliser le marché pour acquérir tous ces services ne se fait pas sans coûts. Chaque transaction impose des dépenses propres qui sont liées aux trois obstacles suivants: 1) découvrir le service jugé équivalent à ce qu'on pourrait produire soi-même; 2) trouver les personnes ou les entreprises qui offrent ces services ou produits; 3) négocier et conclure les contrats puis contrôler l'exécution des services. A cela s'ajoutent des dépenses variant proportionnellement avec le nombre de transaction par unité de temps (par exemple le mois ou la semaine), avec le nombre de parties au contrat en présence, et avec le nombre distincts de biens ou services demandés par transaction 3. Enfin, à chaque transaction les coûts varient avec le volume du bien ou service demandé. Un service aussi simple que celui des tâches ménagères illustre ces difficultés de façon évidente. Le travail ménager peut être assuré par du personnel domestique. Le service rendu dépend du nombre d'heures de ménage et de l'aptitude de la personne employée. Or, justement, cette aptitude n'est peut-être pas celle que l'on espérait. Le ménage n'est pas fait avec le soin ou l'attention voulue. La personne qui le fait n'est peut-être pas très honnête, ou bien elle est suffISamment maladroite pour briser des objets auxquels vous tenez beaucoup. La difficulté de trouver du personnel domestique idéal qui ferait le travail aussi bien sinon mieux que soi-même n'est pas due à l'impossibilité de le trouver mais au coût qu'il faut supporter pour le découvrir! Si vous êtes demandeur d'un personnel domestique com-

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ment faites-vous pour être mis en contact avec? En général, il est possible de s'adresser à une entreprise de placement, à l'expérience des voisins ou bien aux petites annonces dans les journaux ou sur les lieux de commerce que l'on fréquente mais tout cela nécessite du temps et de l'argent, et il faut négocier le contrat, discuter de la rémunération, des tâches à accomplir, de la durée et des heures de disponibilité de chacun. Il faut aussi convaincre l'employé d'être déclaré à la sécurité sociale! Ces opérations doivent être répétées souvent (tous les mois) pour différentes tâches domestiques et avec différentes personnes. Il en faut une pour la cuisine, une autre pour le jardinage, une troisième pour les soins et l'éducation des enfants, la quatrième pour la conduite des véhicules de la famille et une dernière pour surveiller les autres. Ces coûts fixes deviennent vite prohibitifs et à la seule portée des familles les plus riches ou des dignitaires de l'Etat comme pour les commissaires de la République. Toutes ces conditions affectent la valeur accordée à ce substitut qu'offre le marché. Si ces services peuvent être produits par soimême à un coût plus faible, on renoncera à leur achat. Reportons-nous maintenant aux services affectifs. On devine immédiatement les obstacles rencontrés pour les obtenir. Les relations affectives ont cette caractéristique particulière d'exiger, pour donner quelque utilité, une longue période d'investissement et une exclusivité sur une personne parfaitement identifiée. Or, une entreprise qui désirerait offrir sur le marché un tel service doit pour survivre et étendre sa clientèle pouvoir passer des contrats de courte durée et non exclusifs. De tels contrats existent, mais ils concernent la compagnie des personnes âgées ou la prostitution, c'est-à-dire des substituts très imparfaits à ce que les individus peuvent produire au sein de la famille. De la même façon, avoir des enfants en les adoptant ou en utilisant des mères porteuses présente des inconvénients non négligeables. On désire avant tout ses propres enfants et non ceux des autres. On désire voir reproduire dans un enfant la moitié de ses gènes. Les personnes qui adoptent des enfants ou s'adressent à des tiers pour les produire sont principalement des couples stériles. Comme on n'est pas indifférent aux gènes incorporés dans l'enfant, on préférera produire soi-même ses propres enfants avec une personne parfaitement identifiée. Le rôle fondamental joué par l'identité du partenaire s'étend au-delà du problème des enfants. Quand il s'agit des services affectifs ou même dans certains cas, quand il

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s'agit d'embaucher une femme de ménage, l'identité de la personne est cruciale. La valeur de la production domestique offerte ou du service rendu par l'affection de quelqu'un dépend de la qualité et de la stabilité des relations qui s'établissent entre les individus. Pour le marché, la difficulté d'offrir sur grande échelle des substituts à ces activités ou à ces biens incite les individus à coopérer pour les produire eux-mêmes. Ils établissent un contrat bilatéral (ou multilatéral) entre des facteurs de production: les temps, les aptitudes, et les ressources monétaires des individus décidés à coopérer. Ils instituent une entité «abstraite» appelée: la famille. Naturellement, cette incitation ne suffit pas car l'institution présentera un intérêt si l'ensemble des avantages produit par les individus en coopérant entre eux l'emporte sur la somme des bénéfices qu'ils produisent pris séparément. La différence des deux doit l'emporter sur les difficultés d'organisation et de contrôle et sur celles encourues si l'on veut obtenir sur le marché des produits substituts. On retrouve ici les arguments proposés par les économistes pour expliquer la nature de la firme et son émergence. Trois raisons permettent de produire plus, ensemble plutôt que séparément: - la division du travail; - la complémentarité des individus; - les économies d'échelle. Par ailleurs, les coûts du contrôle des performances au sein de la famille diminuent avec : - le degré de: générosité ou d'amour liant les partenaires (celuici permet d'augmenter considérablement la confiance des uns envers les autres. Comme chacun désire le bonheur de l'autre, chaque partenaire attend de son conjoint qu'il ne s'engage dans des activités qui nuiraient à son bien-être et à celui de la famille dans son ensemble); - l'aisance avec laquelle on peut mesurer les performances; - la précision des droits de propriété sur les actifs de la famille et sur l'utilisation de ses ressources; - la loyauté au groupe. En revanche, ils augmentent avec: - les conflits de personnes; - la répugnance à l'effort individuel ou l'incompétence. Finalement les coûts d'accès au marché dépendent des dépenses propres à la transaction et du volume des biens demandés par unités de temps.

LA NATURE DE LA FAMILLE

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Constituer ou prolonger la famille résulte de l'interaction de ces gains et de ces coûts. Abordons successivement ces différents points.

La division du travail, la complémentarité et les économies d'échelle Si chaque membre de la famille dispose d'un avantage comparatif dans une activité, une division du travail entre eux permettra de produire plus ensemble que séparément. L'homme et la femme sont différents pour des raisons biologiques ou d'investissement en capital humain. La façon dont le temps est alloué à des tâches diverses ne peut donc leur être indifférente. Ceci incitait jadis la femme à rester au foyer pour les tâches domestiques et l'homme à rechercher un emploi quelconque pour assurer un revenu. A priori, la spécialisation des rôles au sein de la famille n'est pas liée au sexe 4 • Un couple d'individus de même sexe peut très bien saisir l'opportunité des bénéfices procurés par une division des rôles si leur temps et / ou productivité ne sont pas identiques 5. Les raisons pour lesquelles les temps ne sont pas parfaitement semblables sont vraisemblablement liées aux talents innés ou acquis incorporés dans chacun d'eux. On peut même aller plus loin. Si deux partenaires sont parfaitement identiques Gumeaux) et s'ils décident de vivre ensemble, il est dans leur intérêt d'investir en capital humain et d'acquérir une formation ou un talent différent pour se créer un avantage comparatif. Ces individus se donneront les moyens d'augmenter leur bien-être en profitant des gains dûs à la division du travail'. Cet investissement en capital humain de chaque partenaire peut à lui seul déterminer la division sexuelle des rôles dans la famille sans paradoxalement décider du sexe qui voit ses activités orientées vers la production familiale. La femme s'est vue attribuer systématiquement les activités familiales. Il existe donc une raison pour laquelle l'avantage comparatif est lié au sexe. La femme, par définition, se trouve être le sexe spécialisé dans la reproduction de l'espèce (cette différence biologique est, elle-même, issue d'un principe de spécialisation 7 ). Ceci donne à l'épouse un avantage absolu dans la production des enfants au moment de la gestation et de l'allaitement. Il s'ensuit un avantage comparatif dans leur éducation au moment où ils sont les plus vulnérables, c'est-à-dire en bas-âgeS.

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Cet avantage comparatif est exploité si et seulement si les couples désirent se reproduire, c'est-à-dire si la demande d'enfants est importante. La forte demande d'enfants par les hommes élève, pour la femme, la rentabilité du mariage et renforce l'intérêt d'une spécialisation du sexe féminin dans les activités familiales. C'est donc parce que les hommes et les femmes désirent leurs propres enfants en grand nombre que la division, sexuelle des rôles s'impose. Inversement, si la demande d'enfants est faible ou bien si l'on ne désire pas avoir ses propres enfants, elle repose davantage sur les investissements en capital humain respectifs de chaque partenaire sans préjuger du sexe. La division sexuelle des rôles au lieu d'être influencée par la nature du sexe sera déterminée par l'assortiment initial des partenaires et par leur talent au début ou en cours du mariage. Malheureusement, la demande d'enfants, même si elle est faible, impose à l'épouse, du fait de son sexe, un effort pour convaincre l'employeur qu'elle a le désir d'exercer de façon permanente une activité professionnelle alors que la moyenne des femmes s'arrêtent pour élever leurs enfants. Anticipant cette interruption, l'employeur offre aux femmes un salaire inférieur à celui des hommes pour la même qualification ou le même poste de travail. En début de carrière, pendant la formation, l'employé coûte plus qu'il ne rapporte. Pour récupérer cette perte, l'employeur verse un salaire inférieur à ce que rapporte l'employé une fois la qualification acquise. Comme les femmes cessent de travailler pour élever leurs enfants, l'employeur a plus de difficultés à récupérer sa perte initiale. Il hésite à embaucher une femme et s'il le fait, il lui offre un salaire plus faible! Cette différence de salaire est suffisante pour créer un avantage comparatif à spécialiser la femme au foyer. La rentabilité des investissements en éducation pour les filles se trouvent être plus faible. Cette division des tâches est alors perpétuée par les familles qui tendent à financer des formations rentables pour leurs fils et non pour leurs filles. La présence de bons substituts sur le marché à la production familiale est essentielle pour profiter des gains de la division du travail. C'est elle qui permet d'exploiter les traits dissemblables des conjoints pour produire plus ensemble que séparément. En leur absence le couple devra produire lui-même les biens et services qu'il demande. Dans un tel cas la seule façon de produire plus ensemble que séparément repose sur un bon assortiment des conjoints.

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On recherchera chez le partenaire des traits qui ajoute plus à la production lorsqu'ils sont associés ensemble. Ces traits sont dits complémentaires. Dans le cas contraire où ils ajoutent moins, ils sont dits substituables. Les sociologues insistent sur la complémentarité des époux comme source principale des gains du mariage 9 ; en revanche les économistes mettent plutôt l'accent sur la division du travail. Ni les uns ni les autres n'ont tort. « L'homogamie» des traits des conjoints est extrêmement fréquente, qu'elle soit mesurée par l'intelligence, la taille, l'âge, la couleur de la peau, l'éducation, la religion ou les caractéristiques socio-économiques des parents. Naturellement, on observe des assortiments où les traits des conjoints sont opposés, qu'ils soient mesurés par le salaire, le sexe ou la tendance à «materner» son partenaire. L'assortiment des individus semblables est optimale pour la production de biens sans substitut sur le marché. En revanche, l'assortiment de personnes dissemblables est optimale pour la production de biens ayant des substituts sur le marché. Ce théorème est immédiat. Lorsque l'on ne peut obtenir sur le marché un service que l'on désire, il faut le produire à domicile. En conséquence, et par défmition, on recherchera chez son conjoint des traits complémentaires. Inversement, pour bénéficier de gains de la spécialisation, il faut une différence de productivité, c'est-à-dire des traits dissemblables. On recherchera donc chez son partenaire des traits substituts. C'est-à-dire des traits qui non utilisés ensemble, produisent plus de satisfaction qu'autrement. Partager le même toit, la même voiture ou le même lit économise des ressources. Cependant, les gains associés à ces économies d'échelle peuvent être captés par des personnes ne désirant pas se marier (frères et/ou sœurs, étudiants partageant le même appartement, communautés). Ils sont aussi contrebalancés par des coûts d'adaptation aux goûts, aux horaires et aux fréquentations de l'autre partenaire. Or ces coûts seront justement minima quand les individus seront semblables et quand l'un d'eux se spécialise dans la production domestique. C'est-à-dire quand les gains de la division du travail et de la complémentarité préexistent. Une explication des gains du mariage par les économies d'échelle n'est donc pas très convaincante. Celles-ci ont sans doute un intérêt lorsque la taille de l'unité de production est élevée. La famille de ce point de vue n'est pas

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une institution où l'on puisse réellement profiter des effets de taille car celle-ci est limitée. Les gains de la division du travail et de la complémentarité sont certainement nécessaires pour rendre attrayant le mariage, mais ils ne sont pas suffisants. Comment va-t-on organiser la production et le contrôle des performances de chacun? Qui va commander? Quand l'époux est au travail est-ce que sa conjointe au foyer assure les tâches domestiques comme le désire son partenaire? Ne risque-t-elle pas d'être détournée de son devoir conjugal par son voisin? De la même façon est-ce que le mari s'investit suffisamment dans son travail pour offrir à son épouse, spécialisée dans la production familiale, un niveau de vie supérieur à celui qu'elle pourrait obtenir en travaillant ou en redevenant célibataire ou en épousant un autre homme?

Les coûts d'organisation de la production en famille L'étroite coopération du couple permet de contrôler aisément le comportement de chacun et de mesurer les performances respectives 10. Le sérieux du travail (domestique ou professionnel), les dépenses ou les habitudes de consommation, la compétence dans les décisions d'un membre de la famille sont facilement observables. La famille économise les coûts d'information sur les comportements de ses membres. Plus elle sera étendue et intégrée (vivant en autarcie ou avec des liens très étroits), plus elle économisera sur ces coûts d'information. Par ailleurs, elle dispose de sanctions, en cas de mauvaise conduite, qu'aucune autre institution ne peut mettre en œuvre comme la «fessée» ou l'exclusion du clan familial dont les conséquences étaient autrefois infiniment plus graves que de perdre un emploi. Les membres de la famille sont aussi copropriétaires de l'ensemble des actifs produit par leur coopération. Cette copropriété développe un sentiment de responsabilité à l'égard de la communauté. Ce comportement varie avec la taille, l'étendue du clan familial et le partage des gains du mariage. Plus la famille est étendue et le partage égalitaire, moins les membres du clan seront sensibles aux conséquences de leur propre conduite sur le bien-être des autres partenaires. En revanche, plus la taille du groupe est petite et la part des gains du mariage reçue par chacun, fonction de son comporte-

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ment, plus cette copropriété responsabilisera les membres du clan. Enfin, l'amour limite les comportements opportunistes des uns et des autres. L'honnêteté ou la confiance accordée à autrui ou bien encore la loyauté à l'égard du groupe sont des attitudes morales qui renforcent la coopération et la réputation de la famille même si celles-ci ne sont pas spécifiques à cette institution. La loyauté au groupe vaut pour un club, une entreprise ou une nation. Les métaphores utilisées par ces institutions pour répandre cette attitude parmi leurs membres (à l'exemple des concepts de : solidarité nationale, fraternité du peuple, mère patrie, Dieu est votre père, les hommes vos frères etc.) se servent de l'émotion provoquée par ces mots, grâce à l'expérience familiale, pour susciter artificiellement parmi les esprits les plus faibles du groupe (en misant sur un mécanisme de transfert émotionnel) l'adhésion aux valeurs de l'institution et l'obédience à ses chefs li. Trois obstacles viennent cependant nuancer ces avantages dans l'organisation de la coopération au niveau de la famille. D'abord, les membres du clan ne sont peut-être pas doués pour certaines activités spécifiques (soigner un blessé) auquel cas il faut faire appel au marché ou à l'échange. Ensuite, comme les sanctions pour mauvaise conduite sont graduelles, une marge assez grande existe dans les comportements pour enfreindre les règles implicites d'une bonne allocation des rôles ou pour négliger les tâches que l'on s'est spontanément attribuées. Enfm, en cas de conflits entre mari-femme, parents-enfants, ou frères et sœurs, les tensions affectent l'ensemble des comportements et donc la production familiale. Autant la stabilité des liens et l'affection développent les performances des individus, autant l'instabilité et la mésentente constituent une source considérable de faiblesse et accroissent les coûts de toute coopération familiale. On comprend mieux pourquoi la complémentarité des membres du clan joue un rôle essentiel. Non seulement elle permet de produire plus ensemble que séparément, mais elle offre aussi la possibilité de sélectionner les traits de la personnalité qui facilitent l'apparition d'attitudes telles l'honnêteté, l'altruisme, la loyauté, la compétence qui rendront moins coûteuse la coopération. Les coûts de transaction supportés par les individus pour accéder au marché interviennent aussi dans ce bilan. L'aspect impersonnel du marché et la standardisation des produits réduisent les

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coûts fixes de chaque transaction. Autrefois la maîtresse de maison pour laver son linge payait une lavandière. Aujourd'hui une machine à laver tient ce rôle. Le passage d'un service humain à un capital physique réduit les coûts propres à chaque transaction (il n'y a plus à chercher une lavandière, à vérifier si celle-ci possède les compétences appropriées et l'honnêteté nécessaire et enfin négocier avec elle un contrat de travail) tout en augmentant les services rendus. La machine offre l'avantage d'être «standardisée» et de pouvoir laver à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, à un rythme fréquent. Le volume de linge susceptible d'être lavé augmente donc. Le coût plus faitle avec lequel on peut laver le linge (le prix d'une machine à laver comparé au coût horaire d'une lavandière est pour le même volume de services rendus dérisoirement bas) incite à une consommation accrue! Ce qui vaut pour la machine à laver vaut pour le lave-vaisselle, la voiture, la surveillance électronique ou la télévision. L'ordinateur personnel permettra bientôt de contrôler toutes ses machines et de les faire fonctionner même en l'absence des propriétaires! Les coûts d'accès au marché pour un grand nombre de biens et services produits à domicile diminuent. Naturellement, on peut contester qu'il s'agit-là d'un véritable progrès. Quel est le mari qui apprécie que se substituent à la cuisine familiale, les repas congelés, la cantine ou le Fast Food? Pour concrétiser ces différents arguments prenons à titre d'exemple les services rendus par la famille en matière de protection et d'assurance, ou bien d'activités commerciales. Se protéger contre les conséquences de la vieillesse, de 1;1 maladie, de la séparation ou du divorce, du chômage ou du décès du conjoint peut se faire de nombreuses manières. Dans les sociétés traditionnelles, la famille est l'institution principale qui fournit une telle protection. En revanche, dans les sociétés modernes, la famille, en concurrence avec le marché et l'Etat, offre à un moindre degré assurance et protection à ses membres. Ainsi, les jeunes chômeurs ou les couples qui se séparent ou divorcent trouvent éventuellement refuge chez les parents; les orphelins sont adoptés par des amis ou par les grands-parents, voire par des oncles ou tantes ou même des frères ou des sœurs. Les parents aident fmancièrement leurs enfants ou leurs proches. Habituellement, les économistes décèlent deux raisons pour lesquelles le marché et l'Etat sont dans l'incapacité d'offrir convenablement un service d'assurance: le phénomène

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d'auto-sélection inverse et le risque moral. L'auto-sélection inverse apparaît lorsque les individus connaissent mieux la probabilité avec laquelle survient l'événement que l'assureur. Faute de distinguer entre les personnes à haut risque de celles qui ne le sont pas, l'assureur impose à chacun la même prime de risque. Or, les individus à faible risque vont trouver la prime trop élevée par rapport à la valeur du dommage attendu. Ils renonceront à s'assurer sur le marché ou auprès d'une institution publique ou quasi publique. L'assureur ne trouvant alors devant lui que des clients à haut risque fait faillite ou demande l'aide de l'Etat. Le phénomène du risque moral apparaît lorsque les assurés peuvent affecter la probabilité d'apparition de l'événement redouté en consacrant de l'argent, de l'attention ou du temps pour l'éviter. En couvrant partiellement ou totalement le dommage créé par cet événement, l'assureur n'incite pas l'assuré à dinùnuer la probabilité du dommage. Si tout le monde agit ainsi, la probabilité des sinistres augmente et le montant des dommages à rembourser s'élève, conduisant à une hausse des primes d'assurance. Les pouvoirs publics peuvent imposer une norme à l'ensemble des individus (obliger l'ensemble des acteurs sociaux à s'assurer contre un certain nombre de risques) pour échapper au phénomène d'auto-sélection inverse, les institutions publiques et privées d'assurance pourront fonctionner. En revanche, elles ne peuvent esquiver le problème du risque moral. La famille sous cet angle présente au moins trois avantages en dépit de quelques inconvénients majeurs. Le phénomène d'autosélection inverse n'y apparaît pas. En effet, l'assurance n'est pas offerte aux personnes étrangères à la famille et ses membres ne peuvent facilement s'en exclure d'eux-mêmes. L'information sur les risques d'apparition de l'événement redouté pour l'un des membres de la famille est habituellement accessible aux autres membres. Le chef de fanùlle connaît (contrairement à un assureur privé ou public) l'état de santé de son conjoint ou de ses enfants. L'amour, la loyauté et la générosité limitent considérablement les comportements visant à tricher ou mentir sur les risques encourus si ceux-ci nuisent aux autres membres du clan. Certes, les conflits entre personnes ou la difficulté de se faire une idée correcte du risque nuancent ce jugement. Si vous détestez votre conjoint, vous vous réjouirez de son malheur. Vous ferez tout ce qui sera en votre pouvoir pour l'aggraver. A l'inverse, si vous aimez vos enfants, vous vous inquiéte-

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rez, sans raison sérieuse, de la moindre épreuve qu'ils pourront subir. Mais la protection de la famille se heurte à un inconvénient majeur : sa taille limitée. Comparée au marché de l'assurance ou à des institutions publiques ou privées, la famille «moderne» n'offre pas d'économies d'échelle. Elle ne permet pas de diversifier les risques sur un nombre suffisant de gens. Si les risques sont positivement corrélés entre eux (les membres de la famille travaillent tous dans la même entreprise), la famille aura du mal à assurer une protection à ses membres contre.le risque de chômage, faute d'être suffisamment étendue. Ce phénomène de risque social affecte aussi l'Etat ou le marché, mais leurs dimensions respectives perment d'en diminuer l'ampleur. La protection et l'assurance seront fournis par le marché ou par la famille selon les avantages et les inconvénients respectifs des deux types d'institutions face à la nature de l'événement redouté. Le risque de maladie sera offert par le marché ou l'Etat; la charité ou la protection contre le divorce seront des services mieux assurés par la famille. La nature même de la famille joue dans les activités commerciales un rôle parfois irremplaçable. Dans un monde où le respect des contrats d'échange est incertain, l'identité des partenaires va avoir une importance cruciale. Les traits de leur personnalité vont décider de la continuité de l'échange ou de la stabilité de la relation commerciale 12. Dans un tel cas, il y a avantage à échanger ou à établir des relations commerciales, de préférence avec les membres de sa propre famille ou avec son clan. Les raisons sont simples: connaissance plus approfondie de la conduite habituelle des partenaires et de leur personnalité; incitation et sanction plus aisée du fait de la durabilité du lien du sang; loyauté et confiance plus grande. Même si une formation moins 'adéquate constitue un inconvénient possible, les membres du clan bénéficieront d'un net avantage dans un environnement où l'incertitude sur la qualité des marchandises et sur les échangistes est très grande et peu observable avant l'établissement de la relation commerciale. Le dommage créé par cette incertitude s'élève avec la valeur de l'objet d'échange, aussi les économies de coûts de transaction réalisées dans les échanges intrafamiliaux expliquent le nombre encore impressionnant des grandes entreprises à caractère familial.

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L'évolution de la famille Le point de vue que nous venons de développer éclaire très simplement les raisons pour lesquelles l'institution familiale évolue quant à sa taille (famille élargie ou famille nucléaire), quant à sa fonction (reproduire les êtres humains ou satisfaire les goûts des individus) ou quant à sa stabilité. Elle s'étendra, comme pour n'importe quelle autre entreprise, jusqu'au point où le coût de produire une unité supplémentaire de biens ou services familiaux sera égal aux coûts d'obtention de ces mêmes biens par le marché ou en constituant une autre famille. Soit une balance. Nous avons sur un plateau les gains de la spécialisation, de la complémentarité et les économies d'échelle consécutif au mariage net des coûts d'organisation de la production en famille; et, sur l'autre, les gains produits en restant célibataire net des coûts d'accès au marché pour obtenir la même satisfaction que si l'on était marié. Lorsque les gains de la spécialisation et de la complémentarité diminuent, et que les coûts d'organisation de la production familiale augmentent (ou bien lorsque les gains à être célibataire augmentent et que les coûts d'accès au marché et le prix des substituts à la production familiale diminuent) il est de moins en moins avantageux de former une famille ou de l'étendre, voire même de la prolonger! On a une explication très simple de l'évolution de la famille en recherchant les causes qui affectent le poids de chacun des plateaux de cette balance. Les raisons pour lesquelles gains de la spécialisation et de complémentarité diminuent ont pour origine la baisse de la demande d'enfants par les hommes et la hausse considérable du salaire réel offert sur le marché aux femmes. Comme les femmes obtiennent désormais des salaires élevés sur le marché du travail, les gains obtenus en redevenant ou en restant célibataire s'élèvent. L'apparition d'une génération pleine et d'un brassage plus grand des populations accroît les difficultés de trouver parmi les conjoints potentiels un partenaire dont l'assortiment avec ses propres traits sera satisfaisant. Les gains de la complémentarité diminuent. Par ailleurs, la montée du travail féminin accroît les coûts de la coopération. Comme les partenaires ne vivent plus ensemble, ils ne peuvent plus s'informer sur le comportement de leur conjoint. L'absence des uns et des autres implique

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une diminution des investissements affectifs entre conjoints (ou entre parents et enfants). La stabilité du lien conjugal en est alors affectée. Les incitations et les sanctions par exclusion du clan familial n'ont plus le pouvoir d'autrefois, les gains obtenus, en restant ou en redevenant célibataire, ne sont plus négligeables. Ce changement de coûts et de gains à constituer ou prolonger une vie familiale conditionne la montée du divorce, la baisse des mariages, la croissance de la cohabitation et le développement des familles mono-nucléaires, c'est-àdire des mères célibataires.

al Les sociétés traditionnelles La plupart des sociétés traditionnelles sont confrontées à une incertitude considérable dont nous n'avons plus conscience aujourd'hui. Au dix-septième siècle, la moitié des enfants meurt avant l'âge de 16 ans. L'âge moyen au décès est de 52 ans. La majorité des personnes mariées deviennent veuves avant le dix-septième anniversaire de leur mariage. Pour avoir plus de deux enfants atteignant l'âge adulte, il faut produire au moins cinq enfants par famille 13 • Le mauvais temps détruit les récoltes, la peste décime les hommes, les famines, les prédateurs et les maladies attaquent le bétail ou les animaux domestiques. Les transactions sont très aléatoires: sur la qualité de la marchandise, le prix des substituts ou l'honnêteté des vendeurs et des acheteurs... Les sociétés primitives ou paysannes ont développé des institutions ou des coutumes dont le rôle fondamental est une réduction de l'incertitude par des mécanismes de protection ou d'assurance très personnalisés. La famille y joue un rôle crucial 14 • Les difficultés de stockage de la nourriture ou des céréales empêchent les individus de pratiquer l'auto-assurance en conservant la récolte d'une année sur l'autre. Aussi les membres de la communauté vont conclure des accords aux termes desquels quelqu'un qui une année obtient une récolte dépassant ses besoins donne une partie de ce surplus à un autre; à charge pour ce dernier de lui rendre la pareille dans le cas inverse. Un tel accord sera d'autant plus sûr que contrôles et sanctions sont peu coûteux à réaliser. La famille mieux que toute autre institution est le cadre idéal de ces contrats. Les sociétés primitives sont très attentives aux obligations familiales et aux liens de parentés, afin d'élargir le groupe sur lequel reposera ce mécanisme d'assurance. En particulier, le groupe familial s'étendra

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sur une aire géographique dispersée pour éviter la covariation des risques qui ne manquerait pas de survenir si la famille était localisée sur un même territoire. La famille contrôle l'activité de ses membres et n'hésite pas à les sanctionner s'ils commettent des actes antisociaux (manque de générosité ... ). Les jeunes vivent sur la terre des parents. Dans une telle communauté la vie privée n'existe pas et le mariage, contrôlé et finalement décidé par le groupe, est un des événements les plus importants de la vie ...

bl Les sociétés modernes Dans les sociétés modernes, le marché accroît les échanges, la production et l'apparition de nouvelles techniques. Celles-ci modifient l'environnement, les revenus attendus et les opportunités. Le marché crée des substituts à la production domestique et les mécanismes d'entraides (partage du surplus de la production) ne sont plus nécessaires car trop onéreux comparés aux mécanismes d'épargne offerts par le marché du capital. Chaque individu peut emprunter en période de récession ou épargner en période d'expansion pour faire face aux fluctuations de son revenu; les protections sont nombreuses et efficaces (incendies, maladie, voL.). L'une des fonctions principales de la famille, celle de l'assurance est battue en brèche par le marché. L'autorité des anciens disparaît faute des connaissances valables face à l'environnement en constante évolution. L'intérêt du contrôle disparaît, le mariage devient une affaire privée ... L'acquisition facile de produits substituts à la production domestique rend accessoire la spécialisation au foyer de l'un des membres de la famille. Les jeunes recherchent dans le mariage les gains correspondant à la complémentarité des assortiments. Mais les caractéristiques signalant la complémentarité des individus sont plus difficilement observables avant mariage que la réputation d'une famille ou la profession d'un futur conjoint. La concommittence de la cohabitation, du retard au mariage, des divorces précoces et de la croissance des agences matrimoniales illustrent ce changement. La durée attendue du mariage est beaucoup plus longue qu'autrefois (espérance de vie en constante augmentation) et la mortalité infantile a drastiquement baissé. Il n'est plus besoin de faire un grand nombre d'enfants pour en avoir deux ou trois atteignant l'âge adulte. Leur production et éducation peuvent donc être concentrées sur une période plus

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courte et le temps ainsi libéré permettre à l'épouse de se consacrer à d'autres activités. Elle sera fortement incitée à saisir les opportunités de revenus offertes par le marché du travail...

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Qui « porte la culotte dans le ménage

»

« Physiologie, que me veux-tu? Ton but est-il de nous démontrer: Qu'il y a quelque chose de ridicule à vouloir qu'une même pensée dirige deux volontés? » H. de BALZAC, Physiologie du 11/ariage, Méditation 1 : Le sujet.

Les économistes ont une façon bien à eux de résumer le comportement d'une firme en postulant qu'elle maximise son profit. Quand un propriétaire dirige lui-même son entreprise, la maximisation du profit se confond avec la maximisation de son revenu. Lorsqu'il délègue à un gérant le soin de s'en occuper, ce dernier maximise sa propre satisfaction. Il doit être incité, par un mécanisme quelconque, à se préoccuper du revenu des propriétaires. Une littérature particulièrement abondante traite de la séparation de la propriété et de la gestion d'une entreprise. Les gestionnaires sont finalement contraints par le marché boursier, le marché du travail spécifique aux dirigeants d'entreprises et le contrôle direct des actionnaires à respecter l'objectif de maximisation du revenu des propriétaires de la firme. Qu'en est-il du ménage? Si celui-ci est composé d'une personne, la réponse est simple. Le «ménage», qui est confondu avec cette personne, maximise un revenu. Mais une famille composée de plusieurs personnes, mari, femme et enfants, que maximise-t~lle: la satisfaction de chaque membre, celle du chef de famille ou un compromis entre l'utilité de chacun? Est-ce l'épouse qui commande, le mari ou les enfants? peut-être les trois ont-ils un pouvoir de décision

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autonome pour certaines catégories de biens et pas d'autres? La famille se comporte-t-elle comme un tout ou bien existe-t-il, comme dans une entreprise, un système complexe de prise de décision? Cette question n'est pas anodine. Elle a reçu des réponses qui demeurent encore aujourd'hui controversées. Depuis le célèbre théorème de Arrow 1, forme moderne du paradoxe de Condorcet, les économistes ont appris que l'on ne pouvait passer d'un système de préférences individuelles cohérent à un système de préférences collectives qui préserve cette caractéristique et qui soit en même temps non-dictatorial. S'il n'est pas possible de construire un système cohérent de préférences collectives, comment peut-on traiter des décisions de la famille comme une unité de décision alors qu'elle est fondamentalement composée de plusieurs membres et non de célibataires ou de vieilles filles? Le prix Nobel, Samuelson 2, propose la solution suivante: «Nous pouvons essayer de sauver la théorie traditionnelle en soutenant qu'un des membres de la famille a un pouvoir souverain de décision et que tous les comportements de consommation (ou d'offre de travail) reflète ses préférences individuelles. Il est sans doute plus réaliste d'adopter une hypothèse d'un consensus familial cohérent. Là où la famille est un objet d'étude, on doit donc admettre que les goûts des uns sont influencés par les biens consommés par les autres ... les préférences des différents membres de la famille sont interconnectées par ce que l'on pourrait appeler «un consensus» ou une fonction d'utilité sociale qui prend en compte la valeur éthique des consommations de chaque membre. La famille agit comme si elle maximisait la satisfaction jointe de ses membres.» Malheureusement, Samuelson ne nous dit rien de ce consensus et de la façon dont il émerge. L'assortiment initial du . couple peut favoriser une «proximité» des goûts ou des préférences. Inversement, à force de travailler, de peiner et de prendre du plaisir ensemble, une «convergence d'intérêts et de sentiments» (pour reprendre une idée chère à Durkheim 3 à propos de la division du travail dans la société) peut naître entre les membres de la famille et conduire à une fonction d'utilité commune. Ce consensus qui est postulé par Samuelson permet d'esquiver le problème posé par les conflits de décisions entre conjoints. Il transforme le ménage en une boîte noire dont le seul objectif est de maximiser une fonction d'utilité collective. Cette approche, adoptée par la majorité des économistes, est de plus en plus contestée.

QUI «PORTE LA CULOTTE» DANS LE MENAGE

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Position du problème Trois moyens existent pour contrôler les décisions du gérant dans une firme: le marché des titres de propriété (les actions en bourse auxquelles correspond un droit de vote dans une assemblée générale), le marché des dirigeants et le contrôle direct de la gestion par une procédure administrative (assemblée générale, directoire ... ). Si un gérant ne donne pas satisfaction, on le remplace. Mais souvent, les liens qui s'établissent entre dirigeants et propriétaires sont amicaux et il est difficile aux propriétaires de se séparer de leurs dirigeants. Pour pallier cet inconvénient, il existe une discipline anonyme: celle du marché. Si la firme est en difficulté, la valeur des actions en bourse baisse. Si cette baisse est simplement la conséquence d'une mauvaise gestion, des «prédateurs» achètent les actions à bas prix en nombre suffisant pour contrôler la firme, changent l'équipe dirigeante et redressent la firme. Cette opération faite, ils revendent la firme lorsque le cours des actions est suffisamment haut pour couvrir les coûts de cette opération et dégager un profit. Par ailleurs, chaque actionnaire reçoit un revenu correspondant à ses investissements et est libre de l'utiliser comme bon lui semble. Enfin, les décisions de production ou d'investissements sont indépendantes des préférences des propriétaires. Les actionnaires ne sont pas intéressés au produit de la firme. S'il est de mauvaise qualité mais rapporte beaucoup d'argent, ils ne sont pas obligés de le consommer. Avec les revenus tirés de ces titres de propriété ils achètent des substituts de meilleure qualité chez un concurrent. Cette structure de droits de propriété conjointement avec un marché des dirigeants, des titres de propriété et une séparation entre les décisions de production et de consommation minimisent les conflits et sanctionnent rapidement tout écart du gérant vis-à-vis de l'objectif de la firme: maximiser les revenus des propriétaires! Ce détour n'est pas inutile. L'analogie firme-famille qui soustend notre raisonnement ne peut être poussée trop loin. Si l'objectif de la famille est bien identique à celui de la firme: maximiser les revenus présent et futur de ses propriétaires (les membres de la famille); la propriété n'est pas dispersée sur un grand nombre de partenaires; les propriétaires sont gérants; et les droits de propriété

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sur la famille ne peuvent être échangés. Il n'existe pas un marché où un amant (une maîtresse) achète à un époux (une femme) le droit de vivre avec sa femme (son mari). Cette absence de marché interdit une sanction anonyme et rapide des comportements qui ne visent pas à maximiser les revenus. Les seules sanctions qui s'exercent sont celles du marché du mariage et du contrôle direct des performances de chacun par l'autre. Enfin, contrairement à la firme, les décisions de production et de consommation ne sont pas séparables. Les préférences en matière de travail, par exemple, affectent directement les décisions de spécialisation des tâches. Si la femme déteste s'occuper du ménage et des enfants, elle imposera, en prenant un emploi salarié, une allocation des rôles qui ne maximise pas les revenus du couple. Les préférences affectent aussi les décisions de consommation. Les vêtements de l'épouse intéresse le mari, même s'ils concernent d'abord et avant tout la personne qui les porte. Les loisirs individuels (sport, activité artistique, écoute de la radio, télévision, lecture d'un livre ou bouteille de whisky), ne sont pas sans incidence sur la vie de la famille. Ils peuvent entraîner des conflits si ces activités se font au détriment de l'autre. On imagine mal que chaque partenaire ait son propre appartement, car l'affection, une des productions familiales sans substitut sur le marché, ne peut être produite sans une interaction étroite entre les partenaires. La présence des enfants ou leur éducation implique une consommation conjointe si chaque époux veut profiter au maximum des joies qu'ils procurent. Les biens familiaux sont par nature privatifs, mais les consommer conjointement pennet d'en tirer une utilité plus grande encore. Cette consommation jointe impose alors un accord des préférences entre les partenaires.

Un contrat implicite Le problème posé par l'interdépendance des décisions de production et de consommation est inévitable. C'est peut-être ce qui différencie le plus la firme de la famille. Pour diminuer, donc, la présence des conflits, il apparaît crucial que les deux partenaires aient des préférences identiques! Comme prospecter un conjoint et l'expérimenter ne se fait pas sans coûts, la perte de bien-être encourue après le mariage, par suite d'une inadéquation des préférences, devra être

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juste égale aux coûts que les partenaires auraient dû supporter pour trouver un conjoint aux préférences mieux assorties. L'émergence d'une «fonction d'utilité collective», résumant la congruence des sentiments et des intérêts et rendant cohérent les décisions familiales, n'est pas optimale du point de vue du couple. Il faut, donc, voir les choses autrement. Une première solution consiste à faire l'hypothèse suivante: les partenaires s'entendent tacitement et spontanément sur des règles de conduite qui préservent la maximisation des revenus joints. Ils établissent un contrat implicite. Il est aisé de minimiser les conflits engendrés par des préférences divergentes. Les préférences peuvent tout simplement être échangées dans le temps entre les partenaires. Pour une soirée la famille accepte de regarder les dessins animés sur FR3 afln de satisfaire les enfants, une autre soirée, elle regardera la série noire sur l'A2 à la demande du mari et enfin, une dernière soirée sera consacrée au n'ième épisode de Dallas, feuilleton sur l'A l, très prisée par l'épouse, les ménages les plus riches achetant trois téléviseurs pour régler le problème. Les préférences ne sont pas non plus immuables. Elles peuvent être produites au cours du mariage. La vie de couple permet aux uns et aux autres d'apprendre et de cultiver les goûts de son partenaire et donc rapproche les préférences du mari et de la femme si celles-ci divergeaient au départ, une des grandes aventures du mariage, avec les risques et les surprises que cela comporte, c'est la découverte de l'autre. Si l'épouse épuise le compte en banque-joint de la famille en achetant des toilettes hors de prix, il est facile pour le mari de faire respecter ses droits de propriété et ceux de ses enfants sur les revenus qu'il apporte au ménage en prenant un compte séparé avant d'en arriver à des moyens plus radicaux comme de changer d'épouse. Le conjoint peut accepter volontairement cette tutelle pour se prémunir d'une faiblesse de sa volonté. Ce problème vaut pour le mari qui joue aux courses, au lieu de nourrir sa famille. Les conjoints s'entendent pour élaborer une structure de décision complexe où chacun délègue son autorité à l'autre pour certaines décisions. Un chef de famille apparaît spontanément pour s'occuper de la scolarité des enfants. Ce sera l'épouse pour le primaire et l'époux pour le secondaire. Les décisions qui touchent la décoration du foyer seront dominées par le membre de la famille qui séjourne le plus à domicile. Enfln, les décisions cruciales seront prises en commun. Le contrat implicite liant les partenaires au chef de famille

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prend la forme d'un contrat propriétaire-gérant. Le chef de famille, à qui chacun délègue son autorité, met en œuvre les sanctions et les incitations pour que tous coopèrent (encadré 2.1). Selon les gains et les coûts attendus en exerçant cette tâche particulière «d'autorité», le membre délégué laissera s'instaurer un «laxisme optimal» dans cette maximisation des revenus. 2.1· RËPARTITION DE L'AUTORITË Glaude et de Singly ont analysé la répartition du pouvoir et de l'autorité entre hommes et femmes au sein du couple à partir d'une enquête sur les budgets familiaux de 1979. L'échantillon final retenu était composé de 5252 couples. Les questions traitaient du choix des vacances, lectures communes, appartement, aménagements dans ce dernier, achat d'appareil électro·ménager, décisions à prendre pour les enfants, choix des amis, décision pour la femme de travailler etc ... Elles portaient aussi sur l'attribution de certaines activités à l'un ou l'autre des époux telles: gestion du budget, déclaration des revenus, correspon· dance, invitations, courses, achats de vêtements etc ... Ces deux auteurs ont distingué six grands domaines où l'autorité s'exerce: grandes décisions, équipement, administration, entretien, ménager et approvisionnement et trois types de pouvoir: prédominance féminine, masculine et partage égalitaire. Ils ont projeté ensuite sur un graphique triangulaire la fréquence des réponses à une question. Les réponses «mon mari et moi également)) définissent un pôle égalitaire, celles «mon mari plus que moi» ou «toujours mon mari» déterminent un pôle de prépondérance masculine, enfin les réponses «toujours moÎl) ou «moi plus que mon mari)) signalent un pôle de prédominance féminine. - Dans 27 % des cas, le mari intervient à égalité avec son épouse pour les grandes décisions et laisse à sa femme une décision prépondérante pour le reste des activités ou des choix. C'est un contrat implicite de propriétaire-gérant où le mari délègue son autorité pour les questions subalternes. Ces deux auteurs qualifient les épouses de femmes d'intérieur ou femmes gestionnaires. - 28 % des couples de l'échantillon ont une répartition du pouvoir légèrement différente. Les grandes décisions et les choix d'équipement sont partagés. L'entretien est à prédominance masculine. Le ménager et l'approvisionnement est à prédominance féminine tandis que l'administration est au bary centre de ces trois types de pouvoir. - La prédominance féminine quasi totale s'observe pour 10 % de l'échantillon. Les grandes décisions sont prises avec une prépondérance de la femme. Les auteurs distinguent les femmes PDG et les petits patrons. Dans ce dernier cas, les hommes ne sont même pas cantonnés dans les tâches d'entretien contrairement au cas des femmes PDG. - 10 % des femmes sont dominées et se consacrent aux tâches ménagères. - Enfin le dernier type, qui concerne 25 % de l'échantillon, est à dominante égalitaire. Le travail féminin et le diplôme de la femme sont deux caractéristiques qui modifient la répartition des décisions au sein du couple. Parmi les couples où le partage des décisions est égalitaire et parmi ceux où la femme est une gestionnaire, on observe une majorité de femme qui travaille (71 % et 53 % respectivement). Pour les couples où la femme dispose d'un diplôme supérieur à celui de son époux (18 % des couples de l'échantillon) les femmes sont du syle : PDG, petits patrons ou gestionnaires. L'autorité ou la prédominance des décisions est clairement l'expression d'un contrat implicite de délégation dont les termes varient selon la compétence de chacun dans des activités spécifiques. L'autorité semble liée à la part du revenu que chacun amène dans le pot du ménage. Glaude M., de Singly F., «L'organisation de la production domestique: pouvoir et négociation)), Economie et Statistique, avril 1986.

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Les grandes décisions, engageant la stabilité du couple, sont prises en commun et contrôlées, en revanche une grande liberté de consommation est accordée pour tout ce qui touche- sa vie privée. Ce contrat implicite émerge, s'affine et évolue au fil des années. Le pouvoir de négociation est sans doute lié très étroitement aux possibilités de sanctionner le partenaire en ayant recours de façon ultime au marché du mariage. Quand la femme est au foyer, elle perçoit l'équivalent non monétaire d'un salaire (à la manière d'un préfet) sous forme d'un logement gratuit, d'une voiture de fonction et ou d'un personnel de service en plus de son argent de poche puisé sur le compte bancaire de son époux. La dépendance à l'égard de celui qui vous offre ces avantages en nature est l'inconvénient majeur d'un tel statut. Le niveau de vie attendu de l'épouse, en cas de rupture, n'aura rien à voir avec son train de vie actuel, elle fait attention à ne pas braver systématiquement son époux. Elle est «soumise». En revanche, la femme active a une indépendance plus grande grâce à son revenu de substitution en cas de rupture. Elle n'hésite pas à affirmer ses propres préférences. L'hypothèse d'une fonction d'utilité commune ou collective n'est pas nécessaire à la théorie économique de la famille. Seule celle d'une maximisation des revenus joints semble indispensable. Les conflits apparaîtront entre les conjoints, mais, d'une façon ou d'une autre, ils seront réglés : - par une procédure contractuelle implicite au ménage sur la base d'un échange de préférence au cours du temps et de leur rapprochement; - par la mise en œuvre d'incitations sur la base d'une redistribution intra-familiale des revenus; - par la mise en œuvre de sanctions sur la base d'un contrôle direct des partenaires sur les dépenses et les performances de chacun; - et par la menace ultime d'épouser un autre partenaire.

Le rôle crucial de la générosité ou de l'altruisme Au lieu d'imaginer un contrat implicite, on peut supposer qu'il existe dans le ménage une personne altruiste (l'altruisme dans le langage de l'économiste, signifie que l'utilité d'une personne, m, (le mari) dépend positivement du bien-être d'un autre membre de la

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famille, f (sa femme). La présence d'une personne généreuse incite les autres membres de la famille, même s'ils sont égoïstes, à faire en sorte que le bien-être de tous soit maximum. L'allocation des rôles conjugaux qui en résulte est alors celle qui maximise les revenus de l'altruiste. Ce théorème, dit du «Rotten Kid» (de l'enfant gâté)4, permet d'éliminer les difficultés posées par les différences de préférence. On considère le ménage comme une unité de décision qui maximise un revenu: celui de l'altruiste. Il n'est nul besoin alors de postuler une autorité dictatoriale, une quelconque congruence de sentiments et d'intérêts menant à une fonction d'utilité commune ou un contrat implicite entre les partenaires. Pour illustrer cette argumentation prenons un exemple. Un étudiant en licence propose à une de ses camarades un contrat de mariage dont les termes peuvent être décrits de la façon suivante. L'épouse renonce à poursuivre ses études pour gagner sa vie. Le supplément de revenu obtenu par le ménage (par rapport à une situation où tous deux restent étudiants) permet de financer la prolongation des études du mari jusqu'au doctorat. Si cet étudiant obtient son diplôme de docteur, il postule à un emploi dont les espérances de revenu et de carrière sont plus grandes que celles attendues avec une simple maîtrise. Il promet alors à cette camarade, si elle accepte le contrat, de redistribuer au cours du mariage, en contrepartie de son sacrifice présent, un revenu réel supérieur à ce qu'elle-même aurait pu obtenir en restant célibataire et en prolongeant ces études. Voilà un projet d'investissement comme un autre. L'étudiant ne demande pas à sa camarade de l'aimer, luimême ne lui porte pas une affection démesurée une fois mis de côté les instincts impétueux de son âge. Il prétend simplement une fois le doctorat obtenu redistribuer son revenu pour augmenter de façon permanente le niveau de vie de sa partenaire en échange du sacrifice qu'elle fait en renonçant à ses propres études. Son altruisme, en réalité, au sens «d'amour désintéressé d'autrui» n'en est pas un (encadré 2.2). Cependant pour l'économiste il s'agira d'un comportement de ce type puisque l'étudiant est amené à prendre en compte, dans ses préférences, le niveau de bien-être de son épouse. Ce contrat de mariage, peu banals, ne diffère pas de celui plus habituel qui consiste pour un homme à demander à une femme de sacrifier ses revenus professionnels ou sa carrière pour lui offrir des services qu'il ne peut obtenir sur le marché. Pour l'inciter à accepter le

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mariage, il devra lui assurer un niveau de vie supérieur à celui auquel elle s'attendait en restant célibataire. Si le mari échoue à son doctorat, n'est pas aussi altruiste qu'il l'avait laissé supposer ou, pis encore, quitte son épouse pour une jeune et plus jolie femme titulaire comme lui d'un doctorat, le niveau de vie de l'étudiante se retrouve être inférieur à celui qu'elle aurait pu obtenir en poursuivant ses études et en renonçant au mariage.

2.2 - EGOISME ET ALTRUISME Le terme d'altruisme au sens d'amour désintéressé d'autrui renvoit à la notion d'amour oblatif ou d'oubli de soi au profit de l'autre. On se préoccupe des joies et des peines de l'autre, on prend soin de lui. Ce comportement tranche singulièrement avec celui où l'action est motivée par un intérêt particulier: celui de soi·même. Les économistes ont depuis longtemps reconnu que la consommation d'autrui est un argument de la fonction d'utilité. Ma satisfaction peut diminuer si je vois mon voisin épouser une jolie femme, comme pour l'envie; ou bien elle peut augmenter, comme pour l'altruisme. Les préférences peuvent dépendre de l'utilité d'une personne identifiée, comme avec l'amour; ou du niveau moyen de consommation de la commune où l'on habite, comme avec la recherche d'un statut social. En fait, le mot «altruisme» peut paraitre quelque peu trompeur pour décrire des comportements de redistribution de revenu ou de don. Derrière une motivation altruiste se cachent parfois des intérêts moins nobles. Or on peut préférer, d'un point de vue stricte· ment méthodologique, pour rendre compte d'un comportement (celui du don), faire appel à une explication qui repose sur la rationalité et l'égoïsme. Exactement comme l'on éprouve une satisfaction à donner une explication rationnelle à un comportement apparemment irrationnel, les économistes éprouvent une satisfaction à expliquer un comportement altruiste par un comportement égoïste et calculateur. La plupart de ces comportements peuvent recevoir une explication en termes d'intérêts particuliers voire d'égoïsme pur et simple. Rappelons quelques-unes de ces explications: 1) Un comportement apparemment altruiste n'est souvent pas autre chose qu'un égoïsme éclairé. L'employé obséquieux qui offre à son supérieur un repas, lui ouvre les portes et le flatte sur son adresse à commander son personnel n'exprime pas à proprement parler un «amour désintéress.é d'autrui». Derrière ce comportement il y a simplement quelques sacrifices présents, d'orgueil et d'argent, dans le but d'en récolter plus tard les fruits sous la forme d'une promotion. 2) L'altruiste peut afficher un tel comportement par souci de réputation. " donne de grosses sommes d'argent pour les pauvres de la paroisse afin d'être bien vu de la com· munauté. 3) Plus cynique l'altruiste peut donner de l'argent pour le plaisir de voir certaines personnes être dépendantes de lui. " affirme ainsi son statut. " peut aussi par ce biais acheter dévouement et coopération. 4) Les dons peuvent être faits dans l'attente d'une réciprocité: cadeaux, invitations à diner, gardes d'enfants et menus services rendus aux voisins. Ces formes de dons (ou de troc?) seront pratiqués sur une longue période si et seulement si une réciprocité apparaît de la part d'autrui. 5) Même la peur et l'embarras peuvent tout aussi bien rendre un égoïste altruiste. Un mendiant ou un clochard, sans vous menacer particulièrement, peut s'agripper à vos basques, or pour vous en débarrasser vous lui donnez l'argent qu'il réclame. 6) Enfin quand les individus perçoivent que leur comportement d'interaction avec les autres, qui est strictement individuel et égoïste, conduit à une perte d'utilité pour eux-

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mêmes, ils seront incités à prendre en considération les effets de leur comportement sur autrui et vice·versa. 115 adopteront une attitude Kantienne par simple calcul. En réalité on peut toujours affirmer qu'une fois ôté toutes les autres motivations, il ne reste rien du comportement altruiste. Ainsi les prêtres qui font vœux de pauvreté et de dévouement à autrui n'achètent·ils pas ainsi leur place au paradis près de leur Dieu. Les hommes politiques qui prônent la solidarité n'utilisent·ils pas ce terme pour culpabiliser les gens et leur soutirer des revenus qu'ils distribueront à leurs électeurs, ce qui permettra leur réélection. La mère qui meurt pour sauver son enfant a pu mettre en balance l'ensemble des revenus qu'elle pouvait attendre de ce qui lui restait à vivre et les espérances de vie et de carrière de son enfant avec l'alternative d'élever un autre enfant. Comme on ne peut décider si véritablement il existe dans le comportement altruiste un résidu qui correspond à un amour réellement désintéressé d'autrui, les économistes proposent une définition simple sans rentrer dans les motivations finales. Une personne sera clairement altruiste si les préférences d'autrui sont un argument positif de sa fonction d'utilité. Elle est clairement égoïste si ses préférences sont uniquement associées au panier de biens qu'elle consomme ou produit (on ne considère pas comme altruiste quelqu'un dont les préférences dépendent positivement d'un panier de biens consommés par une autre personne. Ma satisfaction peut augmenter parce que vous cesser de boire ou de fumer. Mais votre utilité diminue. Un altruiste prendra plaisir à vous voir boire ou fumer si votre satisfaction augmente à la suite de cette activité). Collard D" Altruism and Economy, Oxford, 1978. Martin et Robertson. Elster J., Ulysses and the Sirens, Cambridge, Cambridge University Press, 1979.

Un tel contrat se révèle très risqué. C'est sans doute la raison pour laquelle peu d'étudiants tentent une telle expérience. Son époux va-t-il réussir son doctorat? S'il réussit va-t-il respecter ses engagements? Sera-t-il suffisamment généreux pour redistribuer son revenu dans des proportions qui rendent rentable pour sa partenaire le contrat de mariage? L'un des inconvénients majeurs de ce type d'investissement est que son rendement n'est pas incorporé dans la personne qui fait l'investissement mais dans une autre personne dont on ne contrôle pas parfaitement le comportement futur. Supposons que l'étudiante en licence accepte cependant ce risque. Elle sera incitée à coopérer à la réussite de son époux car son revenu futur en dépend. C'est la leçon principale du théorème du Rotten Kid. L'étudiante s'abstiendra de toute action qui aurait pour conséquence un échec de son mari. Elle s'efforcera de réussir dans son métier et de rapporter le plus d'argent possible à la maison. Elle surveillera attentivement la conduite de son partenaire. Finis les boîtes de nuit ou les sorties au cinéma avec des camarades. Chaque soir, elle imposera à son époux un programme de travail pour préparer le doctorat. Elle s'inquiètera du directeur de thèse et n'hésitera pas à intriguer auprès de lui. Pour se protéger du risque de voir son époux la quitter, elle s'empresse d'avoir quatre enfants. Ainsi notre étudiant aura du mal à

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trouver une autre partenaire sachant qu'il a à charge quatre enfants en bas âge dont il faudra payer jusqu'à la majorité l'entretien et les études. Notre étudiante, même si elle est égoïste, même si elle n'éprouve pas des sentiments très enflammés vis-à~vis de cet étudiant, fera comme si elle était altruiste en coopérant à la maximisation du revenu de son époux et se révélera être non seulement une femme de tête mais aussi mère de famille nombreuse! L'altruisme facilite les prises de décision quelle que soit la divergence des préférences individuelles. Il favorise la coopération et la spécialisation des tâches entre des partenaires bien identifiés et engagés dans un contrat de longue durée par une diminution des coûts de contrôle car les membres du clan s'autodisciplineront afin d'éviter des actions qui iraient à l'encontre du bien-être de tous. Cette personne peut être la femme ou le mari, voire un des enfants à l'âge adulte. Elle apparaîtra spontanément au sein du clan indépendamment du sexe ou de l'âge, mais non pas du revenu. Car c'est grâce au revenu qu'elle peut redistribuer que son rôle d'altruiste peut être pleinement joué. Cette personne sera donc par prédilection celle qui se procure sur le marché les revenus les plus élevés (encadré 2.1)6. Enfin, l'altruisme est sélectionné par le marché. Un égoïste compare son revenu en épousant une personne généreuse, honnête et loyale à celui qu'il peut obtenir avec un partenaire qui ne l'est pas. Entre un égoïste et un altruiste dont les revenus sont identiques, l'égoïste obtient un revenu plus élevé avec l'altruiste. Les altruistes sont donc très recherchés. Comme les familles où la générosité et la loyauté dominent consacrent plus de temps et d'argent à leurs enfants, les enfants de ces familles réussissent mieux dans la vie. Cet effet augmente l'influence des familles altruistes et incite à transmettre de génération en génération cette vertu.

La discipline du marché La menace ultime pour sanctionner un conjoint est de le quitter pour vivre avec une autre personne. Le marché matrimonial exerce une discipline sur le comportement des conjoints d'autant plus forte qu'il joue librement (le divorce n'est pas interdit). Cette possibilité limite considérablement le marchandage de deux époux égoïstes

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comme les choix dictatoriaux d'un époux tyrannique. En réalité l'interprétation des économistes sur ce point n'a jamais été clairement comprise et il est bon d'y consacrer quelques pages supplémentaires. Qui profite du mariage, l'homme ou la femme? La réponse traditionnelle est: la femme. L'homme perdrait sa «liberté» quand il se marie et aurait peu à gagner à une telle vie commune. Une telle vision n'est pas acceptée par les mouvements féministes. Ceux-ci tiennent beaucoup à légitimer l'idée d'une exploitation de la femme par l'homme pour obtenir sur le marché politique des avantages particuliers. Il ne peut y avoir à proprement parler de domination ou d'exploitation au sens où le mariage est un contrat d'association volontaire. Si les conjoints décident de vivre ensemble, rien ne les y oblige. S'ils le font c'est qu'ils espèrent en tirer un bénéfice. On voit mal pourquoi l'un des conjoints accepterait de vivre avec quelqu'un d'autre si d'avance il sait que le niveau de vie dont il bénéficiera, dans le mariage, est inférieur à celui du célibat. La question de l'exploitation fait référence au partage entre les époux du supplément de bienêtre produit lorsque ceux-ci vivent ensemble 7. Contrairement à ce que pensent les sociologues, certains économistes et les féministes, ce partage est déterminé par les conditions du marché matrimonial et non pas par une série de marchandage dans le cadre d'un monopole bilatéral. Prenons un exemple simple pour illustrer ce raisonnement. Une femme est demandée en mariage par deux hommes. Ils sont prêts, pour obtenir ses faveurs, à lui offrir le niveau de vie qu'elle exige. Si la femme épouse l 'homme nO l, la part maximum qu'il peut s'approprier dans le mariage n'est pas limitée par le revenu minimum exigé par sa femme pour accepter le mariage, c'est-à-dire par son revenu de célibataire, mais par les gains (nets des coûts de mobilité matrimoniale) qu'elle pourrait obtenir avec les hommes qui sont célibataires, veufs ou divorcés. Dans le cadre de cet exemple la femme peut s'approprier la totalité des gains du mariage. En ce sens la femme exploite non pas l'homme qu'elle a épousé, mais la situation du marché puisque plusieurs hommes sont en concurrence pour obtenir d'elle les mêmes faveurs. La rareté des femmes permet aux épouses de s'approprier la totalité des gains du mariage. Son époux peut être altruiste, il peut vouloir marchander cette part, rien n'y

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fera. Plus la concurrence sera forte sur le marché matrimonial pour obtenir les faveurs d'une femme, plus celle-ci dominera les relations intrafamiliales. Le partage des gains du mariage sera déterminée de façon unique par le marché puisque ce sera la femme qui s'appropriera leur totalité. (On observe le contraire quand les femmes, plus nombreuses, se disputent les faveurs des hommes.) Le pouvoir de redistribuer les revenus au sein de la famille en faveur de l'un des époux et au détriment de l'autre est toujours limité par les gains du mariage nets des coûts de mobilité que les uns et les autres peuvent obtenir avec d'autres partenaires. Plus la compétition entre les hommes pour une femme ou entre les femmes pour un homme est forte, moins les conjoints ont de latitude pour marchander la part des gains du mariage qui leur reviennent ou pour dominer l'autre. Le rapport entre le nombre de femmes et d'hommes mariables, c'est-à-dire le ratio de sexes entre les classes d'âges (de niveau d'éducation etc ... ) susceptibles de se marier (les femmes épousent en moyenne des hommes de deux ou trois ans leurs aînés, et de niveau d'éducation identique), détermine quel est le sexe qui en moyenne bénéficiera du mariage et dominera l'autre. Le raisonnement mené plus haut fait l'hypothèse implicite d'un mariage monogame. Mais il peut être étendu à la polygamie et plus particulièrement à la polyginie (un homme épouse plusieurs femmes) qui est la forme la plus répandue des mariages non monogames. Ces diverses formes de mariage apparaîtront si le ratio des sexes est très déséquilibré ou si les hommes sont très riches et peuvent offrir à plusieurs femmes un revenu bien supérieur à ce qu'elles pourraient elles-mêmes acquérir en restant célibataires ou en épousant un autre homme. L'interdiction de la polyginie se fait au détriment des femmes les plus inaptes à obtenir un revenu sur le marché du travail et des hommes riches 8 • Il est vrai que le marché du mariage est enserré par un carcan de règles ou de lois issues de la religion des mœurs ou de l'Etat dont l'unique objectif est d'éliminer toute compétition au profit de certains groupes de pression (les femmes et les hommes instruits, voir encadré 2.3). Mais l'évolution des mœurs montre bien que ce marché du mariage comme tous les autres est très difficile à contrôler contre la volonté de la majorité de ceux qui y participent. Entre l'hypothèse d'une congruence des intérêts et des sentiments menant à une identité des préférences (fonction d'utilité

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commune) à celle où les membres de la famille font comme s'ils maximisaient le revenu de l'altruiste en passant par une hypothèse de règles spontanées ou de contrat implicite où chacun délègue son autorité à l'autre selon ses compétences, on retrouve plusieurs modèles familiaux: celui de l'amour parfait (consensus); de l'autorité de chacun dans des sphères particulières (contrat implicite); de l'amour bienveillant (altruisme) ou des querelles et chantages permanents pour imposer ses propres préférences (rivalités), tous contraints par la sanction ultime du marché. D'une certaine façon la littérature romanesque nous a habitué depuis des temps immémoriaux à ces différentes situations. Ces manières d'être peuvent simultanément coexister entre parents pour des décisions différentes. La femme impose ses choix en matière de contraception et de rapport amoureux. L'homme les impose dans le choix de la voiture. Elles peuvent aussi diverger selon les membres de la famille. L'amour peut être bienveillant entre mari et femme mais dictatorial vis-à-vis des enfants. Il peut être fait de rivalité entre frère et sœur.

2.3 - MARCHÉ MATRIMONIAL ET FÉMINISME Les gains du mariage pour les femmes s'élèvent avec la valeur actuelle des revenus qu'un homme peut obtenir sur le marché du travail. Réciproquement les gains du mariage pour un homme s'élèvent avec la valeur actuelle de la production familiale de la femme_ Or la valeur de l'homme croit avec la réussite professionnelle. On peut donc classer les hommes par ordre décroissant selon leur rentabilité dans le mariage pour une femme, c'est-à-dire par ordre décroissant de leur réussite professionnelle_ La valeur d'une femme pour un homme croit avec sa fécondité et sa production familiale (celle-ci est un indice de sa moindre productivité domestique). On peut donc classer les femmes selon leur rentabilité décroissante dans le mariage. Supposons maintenant qu'il existe un nombre égal d'hommes et de femmes_ Les hommes dont la réussite professionnelle est discutable resteront célibataires et les femmes dont la réussite professionnelle est élevée mais dont la valeur dans le mariage est faible resteront elles aussi célibataires. Paradoxalement la proportion de célibataires, hommes, s'élève avec l'absence de réussite professionnelle, en revanche la proportion de célibataires, femmes, augmente avec la réussite sociale de celle-ci. Cette conclusion empirique s'avère tout-à-fait fondée (tableau 1). Elle illustre le rôle joué par le marché du mariage dans le destin des hommes et des femmes et dans le partage des gains du mariage entre les conjoints_ Allons plus loin dans le raisonnement. Les hommes les plus instruits ont une valeur actuelle élevée dans le statut de célibataire. Ils ont de fortes exigences dans le partage des gains du mariage. Par ailleurs, ils voient ces gains s'accroître lorsqu'ils épousent des femmes dont la productivité à domicile est forte. Mais ces femmes. du fait de leur rareté relative, vont s'approprier une grande partie ou la totalité des gains du mariage. De façon similaire, les femmes très instruites qui ont une valeur élevée dans le statut de célibataire et qui sont exigeantes dans le partage des gains du mariage ne sont pas désirées par les hommes du fait de leur faible productivité domestique, elles ne peuvent donc pas ii'approprier les gains du mariage car leurs époux peuvent se remarier avec des femmes célibataires, du méme type qu'elle. moin" exigeantes sur le partage des gains du mariage. Les hommes et les femmes

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instruits voient donc leurs espérances dans le mariage déçues par le jeu du marché matri· monial et ses interactions. On comprend mieux pourquoi les mouvements féministes s'effor· cent par le biais du marché politique d'obtenir une législation qui permette de fausser le jeu du marché. On comprend aussi pourquoi ils ont les faveurs de la minorité d'hommes et de femmes ulis instruits qui gagnent à cette redistribution et n'ont pas la faveur des autres qui y perdent 1 Malheureusement le marché politique par l'intermédiaire du marché des idées donne un avantage considérable aux intérêts particuliers des individus les plus instruits 1 Deux auteurs comme D. Heer et A. Grossbard·Shechtman soutiennent que le mouve· ment féministe est lié à deux phénomènes essentiels: 1) La révolution technologique en matière de contraception; 2) une modification du ratio des sexes aux âges correspondant au mariage. Les hommes et les femmes se marient à des âges différents et les taux de natalité varient d'une année sur l'autre. Un décalage de deux à trois ans au moment du mariage entre un homme et une femme auquel on ajoute une variation des taux de natalité chaque année entraînent un ratio des sexes qui diffère d'une année sur l'autre. Ainsi dans les années cinquante les hommes en âge de se marier étaient plus nombreux que les femmes de deux ou trois ans leur cadette. Dans les années soixante cette proportion s'est inversée au détriment des femmes. Dans les années soixante-soixante dix les femmes se disputent donc des homo mes moins nombreux et simultanément plus riches du fait de la croissance des salaires sur le marché du travail. La compensation offerte par les hommes aux femmes, du fait méme qu'elles se font concurrence entre elles, a baissé. Les femmes se sont donc trouvées dans l'incapacité d'exploiter leurs avantages sur le marché du mariage. Au même moment, la révo· lution technologique dans la contraception diminuait l'offre de mariage de la part des hommes en contrepartie des services sexuels qu'ils attendent d'une femme - les mouve· ments féministes aiment voir dans la contraception une libération de la femme et un renfor· cement de leur pouvoir sur leur corps, elles oublient le revers de la médaille, les hommes désirent·ils vraiment autre chose chez une femme que les services sexuels qu'elles peuvent rendre à moindre frais en se mariant? La cohabitation ne résulte·t-elle pas de ce peu de désir des hommes, jeunes, à s'engager dans le mariage? Doit·on reprendre une phrase célèbre de Sacha Guitry: «Les femmes sont faites pour être mariées et les hommes pour être céliba· taires. De là vient tout le mal» ? Cette infériorité des femmes sur le marché du mariage a repoussé celle-ci sur le marché du travail et vers le célibat. Ce phénoméne a offert au mouve· ment syndical, conjugué au féminin, «le féminisme Il, un terrain d'action pour agir et modi· fier la législation en faveur de ces femmes rejetées du marché du mariage et simultanément freinées dans leur entrée sur le marché du travail. D. Heer et A. Grossbard·Shechtman, «The Impact of the Female Marriage Squeeze and the Contraceptive Revolution on the Sex Roles and the Women's Liberation Movement in the United State 196Q.1970», Journal of Marriage and the Family, février 1981. Taux de célibat des hommes et des femmes selon la catégorie socioprofessionnelle Taux de célibat en %

hommes

femmes

8.6 7.8 4.6 2.9 27.9 17.3 6.5

9.6 13.7 18.0 24.0 25.2 3.3 3.2

Catégorie socio·professionnelle Ouvriers Employés Cadres moyens Cadres supérieurs Salariés agricoles Agriculteurs exploitants Patrons de l'industrie et du commerce

Champ: actifs occupés de 35 à 52 ans. Source: Enquête FQP 1970 INSEE tirée de F. De Singly 1982, «Mariage, dot scolaire et position sociale», Economie et Statistique.

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LE MARCHIl DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

A partir de l'enquête INSEE, Formation et Oualification Professionnelle de 1970, dite FOP, F. De Singly a sélectionné un échantillon d'hommes et de femmes de 35 à 52 ans pour obtenir des taux de célibats quasi définitifs. Cette enquête porte sur les actifs des deux sexes. Si l'on distingue les professions libérales ou indépendantes des autres professions, les taux de célibats observés sont ceux prédits par l'existence d'un marché du mariage. En particulier les taux de célibats les plus faibles correspondent pour les hommes à une grande valeur sur le marché du travail et au contraire pour les femmes à une grande valeur dans la production domestique.

Laquelle de ces hypothèses faut-il adopter? La réponse peut dépendre des préférences idéologiques de celui qui fait l'analyse, mais aussi des intérêts qu'il veut défendre. Néanmoins, un contrat implicite de délégation d'autorité et une procédure contractuelle pour maximiser les revenus sont le modèle le plus approprié_ Ce choix a une raison simple: les autres alternatives ne sont pas crédibles. Une théorie économique de la famille ne peut être fondée sur l'identité des préférences entre les conjoints ou sur l'altruisme. Trouver un conjoint ayant des goûts identiques ou étant honnête, loyal et généreux ne se fait pas sans coût. L'assortiment réalisé est nécessairement imparfait. La congruence des préférences ne peut constituer une prémisse de la théorie sans être contredit par la théorie économique elle-même. Si la générosité et la loyauté sont des traits rares chez les individus, la majorité des mariages ne reposent pas sur eux et l'hypothèse d'altruisme comme fondement des comportements est à rejeter. Enfin une hypothèse mettant en avant, le marchandage, la rivalité des partenaires et leurs querelles, conduit non pas à la prolongation du mariage mais au divorce (encadré 2.4). En réalité, la famille, comme n'importe quelle entreprise s'efforce de maximiser les revenus joints de ses membres par des procédures contractuelles. Cette hypothèse a un avantage essentiel: elle permet d'expliquer une grande variété de comportements internes de décisions, y compris l'altruisme et la congruence des préférences_ Ces règles de comportements sont le résultat des interactions entre les obstacles à la maximisation et les techniques qui la facilite _L'absence de substitut à la production familiale, les consommations jointes, la moindre sanction du marché matrimonial sont des obstacles à cette maximisation conjointe de revenus familiaux_ L'assortiment des préférences, l'altruisme, l'honnêteté, la loyauté, la privatisation plus ou moins grande des biens produits à domicile, l'échange des préférences et les contrats implicites définissant les obligations et

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QUI «PORTE LA CULOTTE» DANS LE MENAGE

les droits de chacun sont des moyens qui facilitent cette maximisation. L'observation des coutumes et des règles de conduite internes aux familles dans différentes classes sociales ou cultures n'infirme pas cette hypothèse alors qu'elle contredit les autres.

2.4· LE REJET DE L'HYPOTHESE DE RIVALITIO Si le modèle de rivalité fonde les comportements familiaux, on devrait observer une fréquence des disputes élevées quelles que soient les caractéristiques des couples: mal assorti, à double carrière ou au contraire femme au foyer. En revanche si cette hypothèse est fausse on devrait s'attendre à observer une fréquence plus grande des querelles chez les couples mal assortis et chez ceux où la femme est active, puisque dans ce cas les gains du mariage diminuent. Nous avons testé cette hypothèse de rivalité à partir d'une enquête de 1971 réalisée par N. Tabard au sein du CREDOC pour le compte de la CNAF. Celle-ci photographiait à un moment donné la situation familiale. Dans cette enquête 8 % des couples déclaraient avoir envisagé ou envisageaient de divorcer, 18 % déclaraient se disputer régulièrement (tous les jours ou au moins une fois par semaine). Parmi les femmes qui envisagent de divorcer 43 % se querellent avec leur époux contre 16,5 % parmi celles qui n'envisagent pas de rompre le mariage. Le faible taux de querelle dans la famille, à cette époque, est remarquable. Si le modèle de rivalité était une bonne représentation de la réalité on ne devrait pas observer de différence dans la proportion des querelles selon le travail féminin ou selon l'assortiment des époux, or, le tableau suivant contredit cette idée. Ces données confirment le bon sens. Un ménage qui repose sur la rivalité constante de ses membres ne peut être stable. Lemennicier B., 1980, « La spécialisation des rôles conjugaux, les gains du mariage et la perspective du divorce », Consommation, nO 1. Fréquence des querelles, activité salariée 1 de l'épouse et homogamie du couple par niveau d'instruction (en %) Couples Activités

Homogames

Hétérogames TOTAL

HS-FS

HI-FI

HI-FS

FI-HS

17,2 (19,6) (*) [2,7] (**)

24,3 (36,7) [1,7 ]

21,7 (26,3) [1,2 ]

25,0 (17,4) [1,3 ]

22,2 (100) [1,4 ] (4130bs.)

Femmes au foyer

6,32 (8,5)

14,1 (44,5)

18,7 (20,1)

19,4 (25,9)

15,5 (100) (5550bs.)

Ensemble

13,3

18,7

20,5

21,3

(9680bs.)

Femmes actives

(*) Entre parenthèses, poids en pourcentage de l'assortiment considéré dans la population étudiée. (**) Entre crochets, ratio de la fréquence des querelles des femmes actives sur celles des femmes au foyer.

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LE MARCHE DU MARIAGE ET DE LA FAMILLE

1. - Nous observerons ainsi les assortiments suivants: 1) Homogame inférieur: homme inférieur-femme inférieure (HI-FI); 2) Hypergame: homme inférieur-femme supérieure (HI-FS); 3) Hypogame: homme supérieur-femme inférieure (HS-FI); 4) Homogame supérieur: homme supérieur-femme supérieure (HS-FSI.

3 Le choix du conjoint « Se peut-il qu'oubliée au fond de ma province, je passe à côté du bonheur? 40 ans, brune, yx bleus, 1.63 m, 65 kg, cé!., secrétaire d'administration scolaire et universitaire, élégante et discrète, réservée mais passionnée, romantique - lui: début quarantaine, bonne situation, mais resté simple, non fumeur, calme, sensible, sérieux, mais non ennuyeux, désirant nid douillet mais solide. » La Centrale des Particuliers, nO 83 l, 2 janvier 1986, annonce nO 89-21.1 0 97.

Les circonstances qui conduisent à un échange de consentements pour décider d'un mariage ou d'une vie commune sont celles d'un marché. Les modalités de rencontre sont diverses: petite annonce dans un journal spécialisé, rendez-vous organisé par une agence matrimoniale ou un club, rencontres spontanées. Ces contacts sont indispensables, et les partenaires échangent une série d'informations sur la qualité des services qu'ils peuvent se rendre mutuellement ou sur le type d'aventure qu'ils désirent. Ces renseignements prennent différentes formes: ouïe-dire, échange de curricula vitae, etc... Ils recquièrent divers intermédiaires: agences matrimoniales, marieurs, amis. L'accord conclu et librement accepté peut être formel (contrat de mariage) ou informel (union libre). Généralement les conditions de travail (femme au foyer ou non), le nombre d'enfants (voire la date à laquelle on les désire), le partage des tâches seront implicitement décidés à l'avance et renégociés dès qu'il sera nécessaire de le faire pour maximiser le bien-être du couple. Ce contrat suppose un échange de services: l'homme désire obtenir de son épouse affection ou procréation, services difficiles à acquérir sur le marché; elle, en retour, exige une compensation monétaire (voir encadré 3.1), car le

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temps qu'elle consacre à son mari pourrait être utilisé à autre chose ou offert à un autre homme. Les marchés du mariage et du travail sont respectivement semblables et interdépendants. Les services rendus par les individus ont une spécificité unique: ils ne peuvent être que loués. Le commerce des hommes et des femmes est aujourd'hui illégal, mais les services qu'ils rendent à un employeur, en absence d'un droit du travail, serait soumis aux règles du «louage de services». Il en est de même pour le marché du mariage: l'homme loue les services d'une femme et en contrepartie lui offre une compensation. Mais ici, les à-côtés mêmes de cette location: beauté du mari, intelligence, statut socioprofessionnel etc ... sont primordiaux. Dans un monde où l'incertitude prédomine, les hommes et les femmes n'ont pas connaissance de l'utilité totale attendue en formant un couple. Il faut du temps et de la chance pour trouver l'époux le mieux assorti à ses propres traits. Entre épouser la première personne rencontrée et attendre indéfiniment un amour exceptionnel, existe un moyen terme. Dans un couple, l'assortiment réalisé est donc nécessairement imparfait.

3.1 - LES PETITES ANNONCES DE DANIELE DANS LE JOURNAL LA CENTRALE DES PARTICULIERS

Source: Les Occasions. La Centrale des Particuliers. nO 831. 2 janvier 1986.

De tous temps les hommes ont été prêts à acheter le privilège d'avoir des relations sexuelles avec les femmes. Mais l'inverse est très rare. Cette différence de comportement s'explique par le risque de grossesse. Comme la prostitution est une industrie illégale, il est très difficile de connaître quel est le montant des transferts monétaires opérés à ces occasions-là. Cet échange n'est pas propre à la prostitution. Autrefois lorsque l'homme faisait la cour à une femme il était tenu par la coutume de payer les repas et les sorties. La loi elleméme dans le mariage impose à l'homme une obligation de secours et d'assistance à son épouse. Le fondement du mariage est un échange où la femme offre affection, relations sexuelles et enfants légitimes en compensation d'un salaire ou d'un support financier et accessoirement d'amour ou de tendresse assorti d'enfants légitimes. Pour convaincre le lecteur de cet échange, prenons la rubrique des petites annonces d'offre et de demande en mariage dans un journal: celui de la Centrale des Particuliers, journal réputé sans intermédiaire. Dans le numéro 831 du 2 janvier 1986,49 annonces de femmes et 89 d'hommes avaient été sélectionnées par Danièle, la responsable de rubrique. La taille, le poids, l'âge, le métier et le statut matrimonial; célibataire. veuf ou divorcé (avec enfants ou non), tous ces renseignements étaient signalés en plus des caractéristiques désirées par les annonceurs. Voici les plus citées: 1) l'âge minimum désiré (par la femme pour l'homme) ou maximum (par l'homme pour la femme); 2) la situation financière (exprimée par des mots comme bonne situation, niveau d'éducation supérieur ou catégorie profession· nelle, tel cadre supérieur etc.); 3) la beauté (repérée par les mots: mignonne, physique agréable, mince, élégante); 4) l'intelligence ou la culture; 5) l'affection (