Le judéo-christianisme dans tous ses états: actes du colloque de Jérusalem, 6-10 juillet 1998 2204064459, 9782204064453 [PDF]


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Table of contents :
Le judéo-christianisme dans tous ses états / Simon C. Mimouni; F. Stanley Jones......Page 0
Conférence d'ouverture / Simon C. Mimouni......Page 7
Introduction / F. Stanley Jones......Page 13
Introduction / Claude Geffré......Page 15
PREMIÈRE PARTIE: HISTOIRE DE LA RECHERCHE......Page 17
La contribution du Doyen Marcel Simon à l'étude du judéo-christianisme / François Blanchettère......Page 19
Le Roman pseudo-clémentin depuis les recherches d'Oscar Cullmann / Pierre Geoltrain......Page 31
DEUXIÈME PARTIE: FONDATIONS......Page 39
La crucifixion comme peine capitale dans le judaïsme ancien / Emile Puech......Page 41
The "Plêthos" of Jesus' Disciples / Justin Taylor......Page 67
James, the Brother of Jesus, was never a Christian / Etienne Nodet......Page 75
L'Évangile de Jean et les Samaritains / Marie-Emile Boismard......Page 86
Paul de Tarse. Éléments pour une réévaluation historique et doctrinale / Simon C. Mimouni......Page 97
Constructing the Matrix of Judaic Christianity from Texts / William L. Petersen......Page 126
TROISIÈME PARTIE: ANALYSES......Page 145
Reflections on the Role of Jewish Christianity in Second-Century Antioch / Clayton N. Jefford......Page 147
Une approche épistémologique et christologique des problèmes posés par le Testimonium Flavianum (Flavius Josèphe, Antiquités juives XVIII, § 63-64) / Serge Bardet......Page 168
Hegesippus as a Source for the History of Jewish Christianity / F. Stanley Jones......Page 201
la storia della salvezza / Claudio Gianotto : Alcune riflessioni a proposito di Recognitiones 1,27-71......Page 213
Aux origines du Roman clémentin. Prototype païen, refonte judéo-hellénistique, remaniement chrétien / Bernard Pouderon ......Page 231
Le regard d'Origene sur les judéochrétiens / Gilles Dorival......Page 257
Nazoreans on Mount Zion (Jerusalem) / Bargil Pixner......Page 289
Une tradition judéo-chrétienne dans le Traité des Mystères de Hilaire de Poitiers / Frédéric Manns......Page 317
Les Symmachiens de Marius Victorinus et ceux du manichéen Faustus / Michel Tardieu......Page 322
Jewish-Christianity in Rabbinic Documents: an Examination of Leviticus Rabbah / Burton L. Visotzky......Page 335
Le deuxième volume de la version syropalestinienne de la Bible / Moshe Bar-Asher......Page 350
Trois remarques sur la Pesiqta de-Rav Kahana et le christianisme / Stéphane Verhelst......Page 366
QUATRIÈME PARTIE: INTERPRÉTATIONS......Page 381
Révision de la théologie chrétienne du judaïsme? / Claude Geffré......Page 383
Primitive Jewish Christians in the Modern thought of Messianic Jews / Gershon Nerel......Page 399
Conclusions / Francis Blanchetière......Page 427
Index général......Page 433
Table des matières......Page 463
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Le judéo-christianisme dans tous ses états: actes du colloque de Jérusalem, 6-10 juillet 1998
 2204064459, 9782204064453 [PDF]

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LECTIO DIVINA HORS SÉRIE

LE JUDÉOCHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS ACTES DU COLLOQUE DE JÉRUSALEM 6-10 JUILLET 1998

cerf

Le judéo-christianisme dans tous ses états

LE JUDEO-CHRISTIANISME DANS TOUS SES ÉTATS ACTES DU COLLOQUE DE JÉRUSALEM 6-10 JUILLET 1998 Publiés sous la direction de SIMON C.MIMOUNI en collaboration avec F. STANLEY JONES

publié avec le concours de T Association des anciens et amis de l'École biblique

LES ÉDITIONS D U CERF PARIS 2001

Tous droits réservés. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou repro­ ductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur et de l'éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © Les Éditions du Cerf, 2001 (29, boulevard La Tour-Maubourg 7 5 3 4 0 Paris Cedex 07) ISBN 2-204-064459 ISSN 0750-1919

CONFÉRENCE D'OUVERTURE

M e s chers Collègues, Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue, et de vous dire tout le plaisir que j'éprouve à vous accueillir en cette bonne ville de Jérusalem, qui a vu la naissance du christianisme il n'y a pas loin de deux mille ans. Et aussi le plaisir que j'ai à vous recevoir précisément ici, dans cette École biblique et archéologique française de Jérusalem fondée il y a plus d'un siècle par le Père Marie-Joseph Lagrange. Cela n'a été possible que grâce à la générosité des institutions qui ont assuré à notre Colloque des conditions de travail optimales, j e veux dire l'Ambassade de France en Israël et l'Institut français de Tel-Aviv, le Consulat général de France de Jérusalem et le ministère des affaires étrangères de la France, sans oublier ceux dont la caution scientifique nous a été aussi précieuse que le soutien matériel : le Centre de recherche français de Jérusalem, le Centre national de la recherche scientifique, la Claremont Graduate University, l'École pratique des Hautes études-Section des sciences religieuses, le Centre d'études des Religions du Livre, la California State University et, bien sûr, l'École biblique et archéologique française. Peut-être souhaitez-vous savoir par quelles médiations nous nous retrouvons tous aujourd'hui en ce lieu mémorable. L'idée de ce Colloque a pris naissance, du moins pour ma part, au cours d'une conversation avec F. Stanley Jones en juin 1990, lors d'une réunion qui se tenait à D o l e dans le Jura, dans le cadre des rencontres annuelles de l'Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne. En octobre 1994, lors d'un entretien, François Blanchetière, alors Directeur du Centre de recherche français de Jérusalem, m e proposait d'organiser un Colloque sur le judéo-christianisme ancien, ici, à Jérusalem. J'acceptai volontiers, tout en y associant naturellement F. Stanley Jones. Sans trahir un secret, j e crois savoir que cette idée mûrissait dans l'esprit de François Blanchetière, à qui j e voudrais rendre un amical hommage, depuis son arrivée à Jérusalem à la tête de ce Centre. Le séminaire organisé alors par lui, durant

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L E JUDÉO-CHRISTIANISME D A N S TOUS SES ÉTATS

l'année 1991-1992, eh collaboration avec l'Université hébraïque, le Studium Biblicum Franciscanum et l'École biblique et archéologique française, qui s'est concrétisé par la publication d'un volume en 1993 *, ne devait en être qu'une première étape. Passons sur diverses péripéties qui tiennent aux hasards de la vie et des carrières des uns et des autres, toujours est-il que cette idée fut réactivée au cours d'une discussion que j ' e u s avec Etienne Nodet et Justin Taylor en octobre 1996 ici même, qui m e proposaient d'organiser ce Colloque dans le cadre de l'École biblique et archéologique française. Ce que j'acceptai volontiers, non sans oublier d'y associer encore mon ami F. Stanley Jones. C'est donc tout naturellement que, lors de son arrivée à la direction de cette m ê m e École biblique et archéologique française, Claude Geffré devait prendre, au nom de son institution, la responsabilité de ce projet. Voilà, brièvement résumées, la genèse de ce Colloque et les raisons pour lesquelles nous nous retrouvons maintenant ici, huit ans après l'émergence de cette idée, c o m m e quoi il faut parfois donner le temps au temps et surtout ne jamais perdre espoir... Je me souviens que, lors de notre première conversation sur ce sujet, Stanley et moi étions d'accord sur de nombreuses questions touchant à ce que l'on appelle le judéo-christianisme, du moins dans les grandes lignes. Mais nous convenions aussi que de nombreuses et sérieuses divergences traversaient le monde de la recherche dès qu'il s'agissait de judéo-christianisme. Il faut bien reconnaître qu'aucun consensus ne s'est fait jour depuis les travaux de Ferdinand Christian Bauer qui remontent à la première moitié du x i x siècle, pour ne pas parler de ceux de John Toland qui, eux, relèvent du xvnr siècle . L'histoire est certes une, mais force est de reconnaître que sa compréhension à travers ses explications et ses interprétations sont multiples. Ce qui peut aisément se comprendre lorsqu'on réalise que nos sources sont déjà, elles-mêmes, des interprétations. Il n'empêche que, à la suite des travaux de ces x i x et x x siècles, les reconstructions historiques ne devraient plus être nécessairement plurielles. Elles le sont cependant, surtout quand il s'agit du christianisme dans ses premiers développements, car le judéo-christianisme fait partie intégrante de ces développements. A u point qu'on peut presque affirmer que le christianisme tout court est issu du judéochristianisme à une date qu'on ne saurait situer qu'au milieu du c

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1. F. BLANCHETIÈRE-M. D . HERR, AUX origines juives du christianisme, Jérusalem, 1993. 2. On peut se demander quelles sont les raisons de cette absence de consensus. On pourrait être tenté de l'attribuer, comme certains n'ont pas hésité à le faire, à un malentendu, c'est-à-dire à une mauvaise façon de poser la question — en d'autres termes, à dire que la question n'existe pas.

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CONFÉRENCE D'OUVERTURE

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n siècle, en tout cas pas avant l'échec de la révolte de Simon Ben K o s i b a h e n 135. C'est pour débattre de ces questions non seulement difficiles mais aussi délicates, surtout qu'elles peuvent avoir une incidence théologique, que nous sommes réunis en cette cité de Jérusalem, où un certain Jésus de Nazareth, en Galilée, a vécu ses derniers jours avant d'être exécuté, pour des raisons sans doute plus politiques que religieuses — mais n'est-ce là peut-être qu'un avis personnel ? Nous sommes dans cette ville de Jérusalem qui a vu aussi la naissance, en ses multiples composantes, de la première communauté des disciples de Jésus, qui se trouve être à l'origine de bien des doctrines et institutions de ce qui deviendra par la suite, après bien des péripéties, le christianisme. Il est vrai que ce christianisme, depuis qu'il a été déclaré universel, ne cesse de se débattre, pour se construire — voire se reconstruire — des origines qui puissent être plus acceptables aux yeux de tous, surtout à partir du moment où il lui a été donné pour mission de s'imposer à tous, au-delà des divergences culturelles et linguistiques. Voilà près de dix ans, en ces lieux mêmes, lors d'un travail académique, j'ai élaboré une définition du judéo-christianisme ancien : « Le judéo-christianisme ancien est une formulation récente désignant des chrétiens d'origine juive qui ont reconnu la messianité de Jésus, qui ont reconnu ou qui n'ont pas reconnu la divinité du Christ, mais qui tous continuent à observer la Torah. » J'ai publié cette définition une première fois dans une revue en 1 9 9 1 , une seconde fois dans un livre qui vient de paraître . U n e telle définition convient sans nul doute pour la période qui débute en 135, notamment s'il s'agit des courants nazoréen, ébionite et elkasaïte qui commencent à se développer de manière plus ou moins autonome lors de la séparation progressive d'avec le judaïsme, dont les prémices remontent aux années 100-120. Mais cette définition est-elle opératoire pour la période antérieure ? Autrement dit, peut-on l'utiliser pour définir de manière globale le mouvement des disciples de Jésus où coexistent non sans heurts certains qui sont d'origine juive et d'autres qui sont d'origine païenne — ces derniers ayant été à l'origine des « sympathisants » au judaïsme. Je pense que oui, à condition de l'aménager quelque peu sur le plan de la terminologie, et aussi à condition de définir les divers courants composant le mouvement des disciples de Jésus. Il est largement admis maintenant que, jusqu'à la fin du n siècle, 1

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1. S. C. MIMOUNI, « Pour une définition nouvelle du judéo-christianisme ancien », dans New Testament Studies 38 (1998), p. 161-186. 2. S. C. MIMOUNI, Le Judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 39-72.

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voire après, il est impossible de parler d'un christianisme uniforme ou univoque, mais plutôt d'un christianisme multiforme ou plurivoque — l a situation est d'ailleurs identique en ce qui concerne le judaïsme. Avant 7 0 , dans le mouvement des disciples de Jésus, on distingue, en effet, plusieurs grands courants que l'on peut décliner de la manière suivante : • les pétriniens (c'est-à-dire se rattachant à la mission de Pierre, l'apôtre du Seigneur — originaire de Galilée), à la fois de langue araméenne et de langue g r e c q u e ; • les jacobiens (c'est-à-dire se rattachant à la mission de Jacques, le frère du Seigneur — originaire de Jérusalem), uniquement de langue araméenne ; • les pauliniens (c'est-à-dire se rattachant à la mission de Paul — originaire d'Antioche), uniquement de langue g r e c q u e ; • les johanniens, enfin, de langue grecque mais sans doute aussi de langue araméenne, dont la figure marquante est un certain Jean et l'aire de développement l'Asie Mineure, non sans être passés par la Samarie . Dans le Nouveau Testament, on trouve les uns et les autres sous l'appellation générique de nazoréens (selon l'araméen) et de chrétiens (selon le grec), mais aussi sous les noms d'hellénistes pour les partisans de Pierre et d'hébreux pour les partisans de J a c q u e s — s e l o n une formulation plus tardive . Certains critiques considèrent que la communauté de Jérusalem a d'abord été sous l'influence du courant pétrinien, avant de passer sous l'influence du courant jacobien ; d'autres, estimant qu'il s'agit là d'une construction théologico-littéraire de Luc, sont opposés à cette perspective, faisant alors de Jacques, le frère du Seigneur, le fondateur de cette communauté — la question est débattue. Quoi qu'il en soit, après 135, les courants pétrinien et jacobien seront à l'origine de ce qui deviendra le judéo-christianisme, tandis que les courants paulinien et johannique seront à l'origine de ce qui 1

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1. Les expressions littéraires les plus anciennes de ce courant sont l'Évangile selon Marc et l'Évangile selon Matthieu. Pour certains critiques, la source Q provient aussi de ce courant—c'est le cas par exemple de F. Vouga. 2. Les expressions littéraires les plus anciennes de ce courant semblent avoir disparu, sauf peut-être l'Épître de Jacques. 3. Les expressions littéraires les plus anciennes de ce courant sont les œuvres de Paul et de Luc. 4. L'Apocalypse de Jean représente aujourd'hui la production littéraire la plus importante de ce courant, non sans oublier l'Évangile selon Jean qui a plus tard été récupéré par les johanniens. 5. Les noms de Galiléens et d'Hérodiens, que l'on trouve aussi dans le Nouveau Testament, renvoient à une désignation géographique pour le premier et à une désignation politique pour le second, mais nullement à des désignations religieuses.

CONFÉRENCE D'OUVERTURE

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deviendra le pagano-christianisme. La différence essentielle entre les courants pétrinien et jacobien est fonction de leur rapport au christianisme paulinien : les pétriniens sont plus proches des pauliniens que lesjacobiens. Entre 7 0 et 135, on distingue désormais, bon gré mal gré, plusieurs groupes parmi les chrétiens d'origine juive. Si l'on se fonde sur les caractéristiques établies ultérieurement par les Pères de l'Église, ils se répartissent en deux branches : • une première, qui a été qualifiée d'« orthodoxe » par les hérésiologues chrétiens, que l'on connaît sous le nom de « nazoréens » — e n fait des pétriniens et des jacobiens propauliniens — reconnaissant Jésus dans sa messianité et dans sa divinité ; • une seconde, qui a été qualifiée d'« hétérodoxe » par les hérésiologues chrétiens, que l'on identifie sous les noms d'« ébionites » et d'« elkasaïtes » — e n fait des jacobiens antipauliniens — , reconnaissant en Jésus un prophète ou un messie, mais ne l'identifiant jamais à Dieu. Le groupe nazoréen (de langue araméenne) a vraisemblablement disparu vers la fin du rv ou le début du V siècle, peut-être en se fondant dans la « Grande Église ». Les groupes ébionite et elkasaïte (de langue araméenne) ont subsisté bien après la naissance de l'Islam — au moins jusqu'au v n r siècle. Il n'est pas impossible, suivant une suggestion du Père Bargil Pixner, que le groupe ébionite puisse être issu d'une scission d'avec le groupe nazoréen, qui aurait été provoquée dans la communauté de Jérusalem par Théboutis après l'élection de Simon à la succession de Jacques — donc avant 70. Avant 135, il m e semble possible de dire que tout le mouvement des disciples de Jésus est judéo-chrétien, la composante païenne n'étant pas encore définitivement autonome, du moins pas c o m m e elle le sera par la suite. Sans vouloir déjà ouvrir le débat sur ces épineuses questions, sachez, chers Collègues, que j e ne propose nullement de désigner par l'expression judéo-chrétien le mouvement des disciples de Jésus jusqu'en 135. Il m e semble qu'il est préférable de l'utiliser en revanche pour désigner les courants de chrétiens d'origine juive, qui ont existé de manière très interstitielle après 135. Pour la période antérieure, à défaut du terme de chrétien, il semble que seul le terme de nazoréen soit à m ê m e de recouvrir les réalités du mouvement des disciples de Jésus en toutes ses composantes, à moins qu'il faille cependant maintenir le premier pour rendre compte aussi de manière correcte du courant paulinien, voire du courant johannique. Autorisez-moi enfin à exprimer un souhait que j'emprunte à François Blanchetière : l'histoire des origines du christianisme e

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nécessite, en cette fin du x x siècle, un certain nombre de travaux récapitulatifs à buts essentiellement méthodologiques. J'en vois principalement trois : 1. un répertoire de la documentation potentielle, d'ordre littéraire c o m m e d'ordre non littéraire ; 2. un répertoire de la bibliographie existante en vue d'une intégration sur les réseaux informatiques ; 3. un inventaire historiographique à des fins épistémologiques. Ces travaux, dont la réalisation n'est guère évidente, nécessitent, à n'en point douter, des collaborations internationales, qui pourraient être maintenant facilitées par les multiples accès informatiques. Sur c e s perspectives, j e vous souhaite un studieux et agréable séjour en ces murs construits, il convient de le rappeler, sur les restes du Martyrium dédié à Etienne dans la première moitié du v siècle ! c

SIMON C. MIMOUNI

INTRODUCTION F. STANLEY JONES

Jewish Christianity is a subject discussed by many disciplines but o w n e d by none. Traditional Church History passes summarily over this peculiar primal phase to reach the heart of its subject, the rising Great Church. Jewish Christianity is thereby quickly relegated to the sidelines and reappears only among a plethora of other esoteric heresies of little true consequence for Church History. Creeping awareness of the ever-shrinking body of early "orthodox" or "proto-orthodox" witnesses to "Christianity," however, is leading to greater apprecia­ tion of the "heretical" sidelined groups. S o m e are suggesting that despite their diversity, these groups actually stand in the center of the stage. Early "gnostics," for example, are being appreciated as wellintentioned early Christian philosophical teachers. Other groups disinherited by the heresiologists are also being welcomed back as legitimate bodies for historical investigation. Interest in the early Jewish Christians should rise as part of this reformation of Church History. It has, to some extent. Over the last three-hundred years, however, knowledge of early Jewish Christianity has posed a pecu­ liarly strong deconstructive challenge to Church History. Conse­ quently, not even on the waves of the new revision has Church History made the study of Jewish Christianity a true part of its disci­ pline. Church History has not accepted ownership. Traditional N e w Testament scholarship, another possible proprietor, must address certain aspects of Jewish Christianity, but in general it finds itself unable to cope with the later patristic and Jewish sources. Furthermore, it has found little reason to expend great effort to reconstruct a movement that left few or no writings intact within the N e w Testament itself. Scholars of Second Temple Judaism also discuss Jewish Chris­ tians among several other groups of the late period, but these scholars can hardly be characterized as owners of the subject "Jewish Christia­ nity." The same applies to Talmudic scholars, w h o similarly have something to say about the Jewish Christians. In view of the ocean of

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the Talmud, however, is it reasonable to expect these scholars to claim ownership of the subject "Jewish Christianity"? Jewish Christianity is a subject discussed by many fields but owned by none. Perhaps owing to this situation, one currently finds a tendency to create a new field to fill the role of owner, e.g., Archaeology of Jewish Christianity. Or, are efforts by Messianic Jews indicative that this religious group is the proper proprietor of the subject "Jewish Chris­ tianity"? What the appearance of such fields signifies is the same as what any honest international overview of research into Jewish Christia­ nity reveals : There are several dimensions to the subject of Jewish Christianity, and more dimensions are still coming to light. A n y given researcher may be able to work in only a few of these dimensions. This state of research should not discourage the individual scholar from working even more vigorously within his or her particular specialization. Only so will the reality of the phenomenon of Jewish Christianity continue to emerge. After discussions during the organizational phase of this Collo­ quium, it was decided not to send out a description or definition of Jewish Christianity with the call for papers. Instead, representatives from the various directions of research were invited to present their perspectives on the subject matter. The reader with historical knowledge about the different disciplines will be able to trace in the essays the clear influence of various approaches and schools of thought. Individual and group discussions at the Colloquium were an opportunity for the various traditions to enter into direct dialogue with each other. The edited papers partially reflect the dialogue that ensued. Through the assembly of the papers in this volume, the reader may grasp the breadth and variety of material, approaches, and outcomes. Thanks to the generous support of the numerous sponso­ ring organizations, new vistas will be opened for the consolidation of this variety in future studies of Jewish Christianity.

INTRODUCTION CLAUDE GEFFRÉ

C'est une grande joie et un grand honneur pour moi d'accueillir au n o m de tous les professeurs de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem les participants de ce colloque sur le judéo-christianisme. Je n'ai pas à retracer la longue genèse de cette Rencontre internationale dont le Professeur Simon C. Mimouni fut l'artisan infatigable. Mais en votre n o m à tous, j e tiens à lui rendre hommage. Grâce au concours de nombreuses instances diplomatiques et universitaires, ce projet longuement mûri a pu aboutir. Je voudrais seulement souligner la portée hautement symbolique du lieu où nous nous retrouvons près de quarante ans après le colloque qui s'est tenu à Strasbourg en 1964 dans le cadre du Centre d'Études supérieures spécialisé d'Histoire des religions animé par le doyen Marcel Simon. Depuis plus d'un siècle, en fidélité à l'intuition de son fondateur, le Père Lagrange, l'École biblique n'a cessé de mener de front des recherches tout à la fois exégétiques, épigraphiques, géographiques et archéologiques sur la terre m ê m e de Jésus en vue d'une meilleure intelligence de la naissance du christianisme en continuité et en rupture avec le judaïsme. Et il y ajuste un an, en juillet 1997, j'avais l'honneur d'accueillir pour une session spéciale dans ce même lieu des chercheurs venus du monde entier à l'occasion du Congrès international qui célébrait le cinquantième anniversaire de la Découverte des manuscrits de la Mer Morte. C'est dire assez que le n o m de l'École biblique se trouve nécessairement associé au renouveau de notre connaissance des origines du christianisme, en particulier du milieu essénien, à la suite de la découverte de Qoumran. La question tellement complexe du judéo-christianisme demeure toujours ouverte et il est encore difficile de parvenir à une définition qui puisse faire l'unanimité parmi tous les chercheurs. C o m m e l'évoquait déjà Marcel Simon en 1968, l'extrême difficulté d'une définition du judéo-christianisme provient en particulier du fait que « le premier des termes peut être entendu soit en un sens ethnique, soit en un sens précisément religieux ». Mais selon le jugement très averti du Professeur F. Stanley Jones, le judéo-christianisme n'est

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justement la propriété d'aucune discipline qu'il s'agisse des historiens de l'Église primitive, des exégètes du Nouveau Testament ou des spécialistes du judaïsme rabbinique ou du Talmud. C'est précisément la chance de ce colloque international de réunir non seulement des spécialistes venus d'Amérique, d'Europe et d'Israël mais surtout des représentants de diverses disciplines, l'exégèse critique, l'histoire des origines chrétiennes, l'histoire des judaïsmes, l'épigraphie, la patristique et m ê m e la théologie. Nous ne parviendrons sans doute pas à une définition du judéochristianisme qui fasse l'unanimité parmi tous les chercheurs. Mais nous aurons déjà fait un grand pas si nous faisons un bilan plus détaillé des consensus déjà acquis et un meilleur repérage des chantiers qui demeurent toujours ouverts. Et au moment d'ouvrir ce grand débat d'ordre académique, qu'il m e soit permis de rappeler qu'il se déroule au cœur m ê m e de Jérusalem, la ville sainte du peuple d'Israël et du nouveau peuple de l'Église. Cela m'invite à souligner la très grande actualité historique et religieuse de ces recherches hautement spécialisées sur ce mouvement des disciples de Jésus de Nazareth qui est à l'origine de ce qui deviendra la Grande Église. D'une part, la nouvelle Europe qui est en train de naître sous nos yeux s'interroge toujours sur ses sources et nous parlons souvent sans un discernement suffisant de sa composante judéo-chrétienne comme d'une composante essentielle. D'autre part, en cette fin du x x siècle, le destin deux fois millénaire du judaïsme et du christianisme a connu un tournant décisif. Je suis convaincu que l'étude la plus poussée du judéo-christianisme ancien n'est pas sans incidence sur l'avenir du dialogue entre les fils d'Abraham. e

PREMIÈRE PARTIE HISTOIRE DE LA RECHERCHE

LA CONTRIBUTION DU DOYEN MARCEL SIMON À L'ÉTUDE DU JUDÉO-CHRISTIANISME FRANÇOIS BLANCHETIÈRE

Université Marc Bloch-Strasbourg II

Résumé Disciple de Charles Guignebert et de Hans Lietzmann, Marcel Simon a largement contribué au renouveau des études sur le judéo-christianisme dans le monde francophone par sa thèse Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (135-425), et par ses multiples études regroupées dans Recherches d'histoire judéo-chrétienne et Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta varia. En 1964, le Doyen Simon organisait, dans le cadre du Centre d'Histoire des religions de V Université de Strasbourg, le colloque Aspects du judéo-christianisme, qui a réuni les meilleurs spécialistes de Vépoque sur la question. Il apparaît maintenant intéressant d'évaluer avec notre recul la pertinence du travail de ce Maître. Summary Student of Charles Guignebert and Hans Lietzmann, Marcel Simon contributed greatly to the renewal of studies on Jewish Christianity through his thesis Verus Israel: A Study of the Relations between Christians and Jews in the Roman Empire (135-425) and his many studies collected in Recherches d'histoire judéo-chrétiennne and Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta varia Under the auspices of the Centre d'Histoire des religions of the University of Strasbourg, Dean Simon organized the colloquium Aspects du judéo-christianisme in 1964. It called together leading specialists of the time on the question. To evaluate the pertinence of this master's work from our distance promises to be interesting.

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FRANÇOIS BLANCHETIÈRE

N o u s sommes redevables à l'École de Tubingen de deux choses parmi bien d'autres : l'une heureuse, la reconnaissance et le début de la réhabilitation d'un pan entier de l'histoire du christianisme primitif, Vecclesia ex circumcisione ; la seconde, de l'avis de beaucoup moins heureuse, la dénomination « judéo-chrétien » pour désigner les fidèles de cette m ê m e ecclesia ex circumcisione. Or, le renouveau des études relatives à Vecclesia ex circumcisione hébréophone ou araméophone aussi bien qu'hellénophone a été marqué durant les décennies de l'immédiat après-guerre par un ensemble de spécialistes d'une grande qualité. Les énumérer reviendrait à évoquer entre autres les participants au Colloque réuni dans le cadre du Centre d'Histoire des religions de l'Université de Strasbourg du 23 au 25 avril 1964 dont notre Colloque aujourd'hui constitue en quelque sorte le lointain écho. Dans le monde francophone, deux hautes personnalités dominent alors en ces domaines : le D o y e n Marcel Simon et le Père Jean Daniélou, dont les noms sont indissociables tant leurs champs d'investigation étaient pour une part contigus et tant leurs positions et leurs critères étaient divergents. A v e c le recul de plus de trente années, l'opportunité m'est offerte aujourd'hui de faire le point et de tenter de dégager très partiellement l'apport de Marcel Simon à l'étude du judéo-christianisme, non sans empreindre cet exposé à la fois de piété filiale envers celui à qui je dois tant, mais aussi de cet esprit critique dont il a fait montre et qu'il m'a inculqué.

Éléments de biographie Alsacien de vieille souche, né en 1907 dans une vallée des V o s g e s du sud, non loin de ce pays des trois frontières aux confins de la France, du Land de Bade et de la Suisse alémanique, Marcel Simon connaissait parfaitement la complexité des problèmes de sa province et plus particulièrement l'importance du judaïsme alsacien. C'est là vraisemblablement que se trouve l'origine de sa sensibilité aux problèmes du religieux. Sa formation suit la voie royale : lycées de Thann et Louis-le-Grand à Paris, École normale supérieure de la rue d'Ulm où il se lie d'une amitié indéfectible avec H.-I. Marrou, École 1. La liste des publications scientifiques de M. Simon figure dans le volume de Mélanges qui lui ont été offerts, voir Paganisme, judaïsme, christianisme. Influences et affrontements dans le monde antique. Mélanges offerts à M. Simon, Paris, 1978, p. 371-387 ; elle est à compléter avec la liste établie par F. BLANCHETIÈRE, « Obituary », dans Numen 34 (1987), p. 141-142. La plupart des articles de M. Simon ont été repris, soit dans Recherches d'histoire judéo-chrétienne, Paris, 1962, soit dans Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta varia, 2 volumes, Tubingen, 1981.

LA CONTRIBUTION DE MARCEL SIMON

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française de R o m e (1932-1934) — où il retrouve ce dernier — , pensionnaire de l'Institut français de Berlin (1934-1936), ce qui lui permet d'étudier auprès de H. Lietzmann tout en assistant à la montée en puissance du nazisme, avant de revenir enseigner au lycée Fustelde-Coulanges à l'ombre de la cathédrale de Strasbourg, lycée dont l'entrée jouxte le portail fameux pour ses deux statues de l'Église et de la Synagogue. Entre-temps, Marcel Simon a entrepris sa thèse sous la direction de Charles Guignebert, une thèse qu'il soutiendra après la guerre avec H.-I. Marrou pour rapporteur — C. Guignebert étant décédé entretemps en 1939. Les circonstances m'ont aidé dans le choix de c e sujet d'étude — écrit-il en ouvrant l'Avant-propos à son Verus Israël. A u moment où la question juive brutalement soulevée par l'antisémitisme raciste revêtait devant la conscience moderne une si douloureuse actualité, il m'a paru intéressant d'en fixer les aspects à une étape précise de son développement, aux origines de la société chrétienne...

Lorsque, au sortir de la période terrible de la seconde guerre mondiale et, après l'exil à Clermont-Ferrand, l'Université réintègre ses pénates au Palais universitaire de Strasbourg, M. Simon est appelé à prendre la responsabilité de l'Institut d'Histoire des religions dans le cadre de la faculté des Lettres et du département d'Histoire. Il succède alors et, par-delà la seconde guerre mondiale, à Prospère Alfaric...

Les principaux travaux de Marcel Simon sur le judéo-christianisme. Entre sa thèse soutenue au lendemain de la Libération et sa retraite en 1980, et indépendamment de son enseignement aux futurs historiens en formation à l'université de Strasbourg, M. Simon est revenu à maintes reprises sur les origines chrétiennes et plus particulièrement sur la question du judéo-christianisme. Ce sont ces principales contributions qu'il s'agit d'analyser présentement. Ainsi donc, au point de départ, la thèse publiée en 1948 : Verus Israël. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans VEmpire romain (135-425), un essai qui vient combler une lacune, c o m m e le souligne M. Simon dans son introduction. Il précise alors son projet en ces termes : Il n'est pas dans m o n intention d'étudier les rapports de filiation et de dépendance qui unissent le christianisme ecclésiastique au judaïsme, d'établir c e que le premier doit au second [ . . . ] ; il ne s'agit pas davantage de refaire, depuis la prédication de Jésus jusqu'à l'établissement d'une

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Église pleinement indépendante, l'histoire de la séparation... Je me propose de faire le tableau des rapports entretenus dans l'Empire romain par les deux religions, chrétienne et juive, coexistant comme deux grandeurs distinctes... Je voudrais, en d'autres termes, tenter sur le plan des relations entre judaïsme et christianisme ce que d'autres ont fait pour le conflit entre christianisme et paganisme. Aujourd'hui, l'importance de la matrice juive dans l'engendrement du proto-christianisme est devenue doctrina commuais, on en était loin il y a encore cinquante ans lorsque étaient rédigés les dix points de Zeelisberg, à l'heure où Jules Isaac dénonçait Y enseignement du mépris... Relisons ces quelques lignes empruntées aux Réflexions sur le judéo-christianisme rédigées en 1975 pour l'Hommage à Morton Smith : C'est à partir du judaïsme dans son ensemble, c'est-à-dire des tendances diverses qui l'animaient, ou plutôt qui le composaient, qu'il faut essayer de comprendre le christianisme naissant dans son ensemble, qu'il s'agisse de sa forme paulinienne ou de son rameau judéo-chrétien. Ce dernier en particulier semble avoir emprunté certains traits aussi bien au judaïsme officiel qu'à des milieux plus marginaux, voire franchement sectaires, sans qu'on puisse le rattacher de façon précise et exclusive à l'un ou aux autres *. On ratifiera sans peine ces affirmations, sans pour autant accepter de parler de judaïsme officiel analogue au Normative Judaism de G. F. Moore, ou de parler de judaïsme « marginal », « sectaire » ou « ésotérique » — expressions sans fondement historique à l'époque, nous le savons aujourd'hui. Salué à sa parution c o m m e un maître livre, traduit en anglais en 1986, Verus Israël demeure aujourd'hui encore, cinquante ans plus tard et après quatre rééditions, un ouvrage de référence. Ayant fait paraître entre-temps, en 1952, Les premiers chrétiens dans la collection « Que sais-je ? » et, en 1958, Saint Stephen and the Hellenists in the Primitive Church, il publie en 1962 ses Recherches d'histoire judéo-chrétienne qui regroupent dix études publiées antérieurement dans diverses revues, dont une parue dans les Mélanges Franz Cumont, contribution en l'honneur d'un savant dont M. Simon ne parlait jamais sans évoquer les fructueux contacts que, jeune chercheur, il avait eus avec lui à Rome. Marcel Simon revient sur le problème de la définition du judéochristianisme à l'occasion du Colloque organisé par ses soins à Strasbourg en 1964 et publié sous le titre Aspects du judéo-christianisme. Il présente alors une communication introductive sous le titre :

1. M. SIMON, op. cit., Tubingen, 1981, vol. 2, p. 615.

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« Problèmes du judéo-christianisme », occasion pour lui de remarques historiographiques et de précisions méthodologiques. Profitant de la réédition de son Verus Israel en 1964, M. Simon ajoute un important Post-scriptum de trente-cinq pages, occasion pour lui de répondre aux quelques objections formulées par ses recenseurs et de préciser ses positions : L'accueil fait à Verus Israel par la critique savante a été, dans l'ensemble, favorable et bienveillant — reconnaît M. Simon. En particulier, presque personne, que j e sache, n'a contesté le bien-fondé de ma thèse centrale : le judaïsme, très loin d'avoir achevé son repli, a été pour le christianisme, tout au long de la période envisagée, un concurrent réel, actif, souvent efficace.

J'ajouterai toutefois cette précision : M. S. Taylor a publié à Leyde en 1995, dans la série des « Studia Post-Biblica », sous le titre AntiJudaism and Early Christian Identity, A Critique of Scholary Consensus, une version légèrement remaniée de sa thèse d'Oxford, rédigée sous la direction de Martin Goodman, dans laquelle elle s'en prend vigoureusement à ce qu'elle appelle « the Conflict Theory » de M. Simon. J'ai dit ailleurs ce que j e pense de cet important travail . Je m e contenterai donc de préciser ici que M. S. Taylor a sans aucun doute prêté au D o y e n Simon des positions qu'il me paraît difficile de retrouver dans son Verus Israel, et si sa critique est pertinente, elle ne saurait concerner M. Simon qui aurait été fort étonné de se retrouver « chef d'école ». Indépendamment des pages insérées dans Le Judaïsme et le Christianisme antique en 1968, un manuel destiné à des étudiants débutants et plusieurs fois réédité, M. Simon revient une dernière fois sur l'historiographie de la définition du judéo-christianisme en 1975 dans ses « Réflexions sur le judéo-christianisme » publiées dans l'Hommage à Morton Smith, occasion pour lui d'une sorte de bilan. On pourra retrouver de façon pratique ses articles les plus significatifs regroupés en deux volumes de 850 pages à l'initiative de Martin Hengel sous le titre Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta varia, publiés à Tubingen dans les « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » en 1981. l

1. F. BLANCHETIÈRE, « La vitalité et le prosélytisme juifs, causes ou non de F antijudaïsme chrétien ancien ? Que penser de la thèse du Verus Israël de M . Simon », dans Aux sources de V'antijudaïsme chrétien, ir-nr siècles, Jérusalem, 1995, p. 169-183.

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L'apport de Marcel Simon à l'étude du judéo-christianisme. Tentons donc de dégager de cette importante contribution scientifique quelques principes directeurs. J'en retiendrai présentement quatre qui m e paraissent déterminants. Subsidiairement, il m'apparaît de quelque intérêt, avec le recul du temps, d'instaurer une comparaison entre M. Simon et J. Daniélou travaillant sur ce que l'un et l'autre appellent le judéo-christianisme. Fondamentalement, M. Simon s'est voulu historien. Relisons ce qu'il écrivait encore dans FAvant-propos de son Verus Israël, à l'aube de sa carrière d'enseignant-chercheur : Quant à moi, je ne devais être qu'historien. Je me suis astreint à la plus stricte objectivité. Elle est la loi de toute recherche historique ; l'histoire religieuse n'y échappe pas. Pour ceux qui l'ont fréquenté au quotidien, tout le D o y e n Simon est dans ces quelques mots. L e chercheur soucieux du document patiemment recherché, commenté avec acribie, éclairé par les apports d'une large et solide érudition acquise au contact des anciens aussi bien que des modernes, n'hésitant pas à solliciter des avis. Qu'on se penche sur ses recherches autour du concept d'hérésie et sur les hérésies anciennes, sur ses lectures répétées des décisions du « concile de Jérusalem » de A c 15, sur sa magistrale étude comparatiste, Hercule et le christianisme, publiée à Strasbourg en 1955 — sans oublier ses réflexions méthodologiques relatives à l'histoire comparée des religions. Historien, assurément. Mais, sans vouloir instruire à son égard un procès d'intention, il faut reconnaître que sa conception générale de l'histoire du proto-christianisme reste indirectement marquée par une approche très traditionnelle, par une conception que résume l'expression praeparatio evangelica, bref une approche largement remise en question aujourd'hui. Marcel Simon est par ailleurs maintes fois revenu sur le problème de la définition qu'il donnait du judéo-chrétien s'arrêtant à un critère objectif : la pratique des observances ou mitzvot. Ainsi en 1962, dans FAvant-propos à ses Recherches d'histoire judéo-chrétienne, il écrit: Le terme judéo-chrétien est susceptible de plusieurs acceptions différentes. Dans son sens le plus précis, il s'applique à ceux des fidèles de l'Église ancienne qui s'efforçaient de concilier leur foi au Christ avec une stricte observance de la Loi mosaïque. Le terme « judéo-chrétien » apparaît assurément dans Verus Israël avec une pluralité de sens, et d'abord pour traduire les rapports entre ces deux systèmes que sont le judaïsme et le christianisme, ainsi que

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l'exprime le sous-titre de l'ouvrage ; parfois, et dans un sens plus restrictif, il semble être alors l'équivalent d'« é b i o n i t e ». Mais, dans un chapitre spécial, M. Simon prend soin de distinguer à propos de judéo-chrétien une acception qu'il appelle « ethnique » pour définir les chrétiens issus d'Israël, d'une seconde qu'il dit « plus proprement religieuse », s'appliquant à des « chrétiens dont la religion reste mêlée d'éléments judaïques et qui, en particulier, continuent de se plier à tout ou partie des observances ». Et de s'interroger : « Comment délimiter, dans le christianisme antique, directement issu du judaïsme, ce qui est original et spécifiquement chrétien, et ce qui est héritage juif ? » En effet, si, pour les premiers hérésiologues chrétiens, les judéo-chrétiens sont hérétiques, pour Marcion en revanche, lui qui dissocie l'Évangile de la Loi, selon l'expression de Tertullien dans le Contre Marcion, I, 19, c'est la « Grande Église » qui est judéo-chrétienne : 1

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Certains groupements, dont rien par ailleurs ne permet de suspecter l'orthodoxie [...], organisent délibérément et obstinément leur observance chrétienne, leur cycle de fêtes et certaines de leurs pratiques rituelles en fonction de modèles juifs et de normes synagogales alors que les judaïsants ajoutent simplement aux manifestations de la vie cultuelle chrétienne la pratique de rites juifs, au jeûne ecclésiastique les observances alimentaires mosaïques, à la fréquentation de l'église, celle de la synagogue . 3

Il faut considérer les judaïsants c o m m e un courant qui tend à reconnaître à la Synagogue une autorité permanente, à la différence d'autres courants au sein des disciples du Nazaréen qui l'ont déjà répudiée. Il s'agit donc chez les judaïsants d'une «juxtaposition, inconséquente et incohérente, d'éléments juifs et d'éléments chrétiens. Elle est essentiellement spontanée et populaire ». En résumé, pour M. Simon, la pierre de touche du judéo-chrétien, c'est la praxis et non la doxa, l'homme qui vit et non les idées. Ces lignes empruntées au Post-scriptum de 1964 sont de ce point de vue dénuées de toute ambiguïté : 4

En fait le critère le plus sûr, sinon absolument le seul, dont nous disposions pour caractériser et délimiter le judéo-christianisme reste encore l'observance. Au même titre que le judaïsme, le judéo-christianisme est d'abord une orthopraxie. Il se distingue par une attitude fondamentalement légaliste et par son attachement à une observance non pas simplement apparentée dans son esprit, mais bien identique à celle du judaïsme

1. M. SIMON, Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (135-425), Paris, 1948 ,1964 , p. 86-89. 2. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 277-278. 3. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 356. 4. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 347. 1

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et qu'il retient en totalité ou en partie. Cette position peut, à coup sûr—et logiquement elle devrait toujours —, s'accompagner de particularités doctrinales... Elle peut aussi s'exprimer dans des catégories de pensée originales. Mais ni les unes ni les autres ne sont toujours nécessairement présentes . !

M ê m e position exprimée au Colloque de Strasbourg : Le critère de l'observance me paraît incontestablement le plus sûr [...] ; comme le judaïsme [...] est, dans le pharisaïsme ou ailleurs, essentiellement une orthodoxie, h est légitime de chercher aussi du côté de la pratique ce qui peut caractériser le judéo-christianisme à toutes les étapes de son développement et sous tous ses aspects . 2

On aura en revanche plus de difficulté à suivre M. Simon lorsqu'il cherche à répondre à la question : « Comment délimiter l'observance à partir de laquelle on pourra définir le judéo-christianisme ? » « Il m e s e m b l e — r é p o n d M. Simon — que nous disposons à cet égard d'une pierre de touche assez sûre qui est le "décret apostolique" consigné au chapitre 15 des Actes des A p ô t r e s . » Il m e paraît personnellement plus sûr d'emboîter le pas à R. E. Brown qui fait du respect plus ou moins strict des mitzvot le principe de sa classification des judéo-chrétiens . Ajoutons que, pour M. Simon, 135 constitue une date clé, mais pour de tout autres raisons que celles retenues par J. Daniélou. Et à l'affirmation de J. Daniélou : « La période judéo-chrétienne va des origines du christianisme au milieu du second siècle e n v i r o n », répond cette autre de M. Simon, tout aussi catégorique : « L'existence d'une période judéo-chrétienne aux origines du christianisme semble n'être qu'une vue de l'esprit . » Il est essentiel de rappeler ce que beaucoup oublient, à savoir que M. Simon d'intention entend s'en tenir au créneau chronologique qu'il s'est fixé, soit de 135 à 4 2 5 , ainsi qu'il le réaffirme avec insistance dans le Post-scriptum rédigé en vue de la réédition de Verus Israel . Il n'aborde pas ce que Daniélou dénomme la période judéochrétienne de l'histoire de l'Église ancienne qui se clôt avec les premiers apologistes. D'ailleurs, son sujet, tel qu'il le définissait dans 3

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1. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 509. 2. M. SIMON, « Problèmes du judéo-christianisme », dans Aspects du judéo-christianisme (Colloque de Strasbourg, 1964), Paris, 1965, p. 7. 3. M. SIMON, op. cit., dans Aspects du judéo-christianisme (Colloque de Strasbourg, 1964), Paris, 1965, p. 7. 4. Voir R . E. BROWN-J. P. MEIER, Antioche et Rome, berceaux du christianisme, Paris, 1988, p. 20-28. 5. J. DANIÉLOU, Théologie du judéo-christianisme, Paris, 1958 ,1991 , p. 39. 1

6. M . SIMON, op. cit., Tubingen, 1981, vol. 1, p. 71. 2

7. M . SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 509.

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les premières phrases de son Avant-propos à Verus Israël citées il y a un instant, le lui imposait parce que, ainsi qu'il l'écrit en substance, si, après 135, le judaïsme cesse de poser un problème dam- l'Église, « il continue d'en poser u n p o u r l'Église, du d e h o r s ». C'est là encore un critère d'historien. Enfin, M. Simon avance une ferme taxinomie des témoins, définissant ainsi les critères en fonction desquels l'historien moderne pourra faire appel à ses devanciers pour tenter de reconstituer les rapports entre juifs et chrétiens durant les premiers siècles du mouvement issu de Jésus de Nazareth. Et d'abord, dissocier ceux qui ont une connaissance directe —généralement ceux qui ont vécu en P a l e s t i n e — d e s autres hérésiologues qui cherchent à remplir les cases d'un classement élaboré de longue date, à tout le moins depuis le Syntagma de Justin. 1

Les principales sources, écrit M. Simon, peuvent ici se répartir en deux groupes : d'une part les catalogues d'hérésies qui commencent avec Irénée [ . . . ] ; d'autre part, une série de témoignages moins apprêtés, ceux en particulier de Justin Martyr, d'Origène, d'Eusèbe et de saint Jérôme. Cette opposition correspond en gros à une différence d'origine géographique : les auteurs du premier groupe sont surtout — Épiphane mis à part—des Occidentaux, de naissance ou de résidence, et n'ont de ce fait, pour la plupart, qu'une connaissance indirecte du judéo-christianisme. Le second groupe, au contraire, est constitué d'écrivains orientaux. Leurs témoignages offrent cet avantage incontestable d'être de première main et indépendants les uns des autres . 2

U n exemple vaut mieux que de longs discours. A v e c Origène, nous abordons toute une série d'auteurs qui se situent dans l'orbite de la bibliothèque de Pamphile à Césarée-Maritime, des érudits vivant en Palestine et souvent au contact direct avec les milieux juifs. Pas plus que Justin, Origène n'évoque directement les nazaréens, s'il faut en croire de Lange. Son témoignage n'en est pas moins capital . Dans son Contre Celse, en effet, pour réfuter les affirmations de Celse concernant « les croyants venus du judaïsme », il précise : Celse « n'a pas remarqué que ceux des juifs qui croient en Jésus n'ont pas abandonné la Loi de leurs Pères, car ils vivent en conformité avec elle » (Contre Celse H, 1). Ainsi, deux éléments les définissent : leur croyance en Jésus et leur pratique des mitzvot c o m m e tous les juifs. Il ajoute pourtant une précision importante : « ils doivent leur appellation à la pauvreté de leur interprétation de la Loi », d'où leur nom d'ébionites. Cette référence à l'herméneutique c o m m e critère de différenciation au sein du poikilon que constitue, selon Philon ou 3

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1. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 91, n. 6. 2. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 281. 3. On pourra se reporter à la communication de G. DORTVAL à ce Colloque. 2

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Josèphe, le judaïsme à la veille de la Grande Révolte n'est pas à sousestimer. Or, après avoir proposé plusieurs interprétations plus ou moins méprisantes que rappelle M. Borret *, Origène dans la suite de son travail va distinguer soigneusement deux courants ébionites en fonction de leur christologie : « ceux qui admettent c o m m e nous que Jésus est né d'une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière, mais c o m m e le reste des hommes » (Contre Celse V, 61 et 62). Ce qui conduit M Simon à ce commentaire : Le plus clairvoyant des auteurs chrétiens est sans conteste Origène. Lui du moins a nettement vu et dégagé les rapports qui unissaient l'ébionisme d'une part au judaïsme, d'autre part à l'Église primitive... C'est là l'exacte perspective historique, méconnue de la plupart des hérésiologues anciens . 2

Venons-en rapidement à la seconde série de témoins, cette longue tradition hérésiologique qui prend ses racines sans doute chez Justin, au long de laquelle on va trouver les noms d'Irénée, de Tertullien, d'Hégésippe dans la mesure où Eusèbe nous a conservé ses idées, d'Eusèbe lui même, de Philastre de Brescia, d'Épiphane, de Jérôme, de D i d y m e l'Aveugle, d'Augustin d'Hippone, etc., et jusqu'au M o y e n  g e par le canal d'Isidore de Seville, sinon m ê m e jusqu'à nos jours : des auteurs qui « se démarquent les uns les autres de façon assez servile... La préoccupation doctrinale y est dominante. Les hérésies qui s'y trouvent étudiées le sont essentiellement sous leurs aspects intellectuels, c o m m e des systèmes théologiques, des écoles, et accessoirement c o m m e des groupes religieux, des É g l i s e s ». Dans quelle mesure les auteurs du rv siècle parlent-ils du judéochristianisme, et de quel judéo-christianisme ? La question n'était pas sans importance il y a quarante ans. Elle reste d'actualité si j ' e n juge par le titre de plusieurs des communications présentées au cours de ce colloque. C o m m e l'écrit avec pertinence J. E. Taylor : « Behind the patristic term "Ebionites" lurks the "Jewish-Christian" groups of modern scholarship, and yet the tendency manifested by the Church Fathers to mass these groups together in a precise identifiable heresy needs today to be r e s i s t e d ». Cela m'amène à rappeler que M. Simon n'a pas manqué, à maintes reprises, d'exprimer ses plus fermes réserves quant aux positions de J. Daniélou et des ses épigones c o m m e R. N. Longenecker, bref face à ceux qui font de l'orthodoxie le critère de définition du 3

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1. M. BORRET, Origène. Contre Celse, Paris, 1967, p. 278 (SC 132). 2. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 286. 3. M. SIMON, op. cit., Paris, 1964 , p. 281. 4. J. E. TAYLOR, « The Phenomenon of Early Jewish-Christianity : Reality or Scholary Invention », dans Vigiliae Christianae 44 (1990), p. 324. 2

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judéo-christianisme : c'est que Daniélou travaillait en patrologue, en historien des doctrines soucieux de comprendre l'évolution du dogme. M. Simon aurait sans aucun doute souscrit à c e qu'écrit S. C. Mimouni : Daniélou est plus intéressé par ce que les judéo-chrétiens ont transmis à la théologie chrétienne que par les judéo-chrétiens eux-mêmes, ceux de l'histoire. C'est là une lacune malheureuse de ce magnifique livre qui considère uniquement les idées et non pas les personnes. Théologie, soit. Mais que vaut la théologie sans l'histoire ? 1

Conclusion : qu'est-ce qu'un judéo-chrétien ? A u terme de cette rapide relecture des travaux de M. Simon, il apparaît bien que l'expression moderne « judéo-chrétien », amphibologique à souhait, inadéquate certes, problématique, mais aujourd'hui couramment reçue, peut désigner selon les auteurs : — un chrétien d'ascendance juive — sens ethnographique ; — un membre de la communauté primitive de Jérusalem—point de vue chronologique et géographique ; — un chrétien de culture juive réfléchissant ses convictions en fonction de ses propres referents culturels ataviques, sémitiques aussi bien qu'hellénistiques — point de vue culturel ; — « un judéo-chrétien est un h o m m e qui se sent, qui veut être et qui est en fait, dans les/différentes manifestations de sa vie religieuse, à la fois juif et chrétien », qu'il s'agisse d'un juif converti ou d'un gentil gagné à l'observance — sens « r e l i g i e u x » ; — un chrétien cherchant à allier un judaïsme de stricte observance à sa fidélité à Jésus messie, mais non fils de D i e u — é b i o n i t e s et autres sectes apparentées (H. J. S c h œ p s ) — sens doctrinal. D ' u n autre point de vue, le judéo-christianisme constitue une entité propre qui (1) se différencie au sein du judaïsme des débuts de notre ère c o m m e un courant, une hairesis parmi d'autres au sein desquelles il se recrute, et (2) se distingue du christianisme paulinien ou d'expression hellénistique (a) par son enracinement juif et son herméneutique de l'Écriture, (b) par sa pratique des mitzvot, (c) par sa façon de penser et de s'exprimer plus fonctionnelle que spéculative, plus historique que métaphysique, (d) par sa conscience de constituer le Verus Israel, l'Israël authentique de l'ère eschatologique c o m m e déjà la communauté / Yahad essénienne. 2

1. S . C . MIMOUNI, « Le judéo-christianisme ancien dans l'historiographie du xrx et du x x siècle », dans Revue des études juives 151 (1992), p. 427. 2. M . SIMON, op. cit., dans Aspects du judéo-christianisme (Colloque de Strasbourg, 1964), Paris, 1965, p. 1-2. e

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Nantis de ces quelques principes méthodologiques fermes que nous pouvons retrouver dans l'œuvre scientifique de M. Simon, et éclairés par son exemple, nous pourrons continuer d'explorer ce domaine que, conformément à l'usage, j'appellerai ici le judéo-christianisme dont les historiens du mouvement chrétien ne tiennent pas encore suffisamment compte.

LE ROMAN PSEUDO-CLÉMENTIN DEPUIS LES RECHERCHES D'OSCAR CULLMANN PIERRE GEOLTRAIN

École pratique des Hautes Études, Section des sciences religieuses, Paris

Résumé Le livre de Cullmann (1930) marque une date dans les études sur le judéo-christianisme. Cet auteur prend pour fondement de son travail un corpus précis (Homélies et Reconnaissances du PseudoClément) et, après avoir rendu compte des travaux de ses prédécesseurs les plus importants, de Cotelier (1672) et Dodwell (1689) à Waitz (1904), Heintze (1914) et Schmidt (1929), pose à son tour le cadre théorique d'une reconstitution de /TÊcrit fondamental (la Grundschriftj. Partant de cette reconstitution, il esquisse alors une histoire de cette forme de judéo-christianisme qu'il compare, d'une part, avec ce qu 'il nomme le « gnosticisme juif » et, d'autre part, avec le christianisme ancien. Les divers aspects de cette recherche ont eu une postérité dont sont évoquées les principales figures (notamment Thomas, Rehm, Schoeps, Strecker et Jones) en regroupant les positions prises par les uns et les autres sur les questions essentielles, tant littéraires qu 'historiques. Summary The monograph by Cullmann is a landmark among the studies on Jewish Christianity. It is, for its time, a precise inventory of previous research concerning the documents that might underlie the pseudoclementine novel. In its turn, it pursued the theoretical task of reconstituting a Fundamental or Basic Writing (Grundschrift). Using this literary analysis, Cullmann then sketched a history of a particular form of Jewish Christianity that he compares with "Jewish gnosticism" and re-situates in the ancient history of Christianity. Since then, the various aspects of this research have been taken up and

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discussed by a certain number of scholars (Thomas, Rehm, Schoeps, Strecker and Jones) whose positions are mentioned here with reference to their most notable studies. Finally, information is provided about projects currently underway : editions, commentaries, translations, synopsis. Pour mémoire, il convient de préciser que le Roman pseudoclémentin est la part la plus importante d'un ensemble d'écrits apocryphes attribués à Clément de Rome qui nous donne un récit romancé de c e qu'aurait été sa vie. Après la disparition de sa mère et de ses frères puis de son père, Clément — sur les conseils de Barnabe — se rend à Césarée où il rencontre Pierre dont il devient le disciple. A u cours de ses pérégrinations à la suite de Pierre, Clément retrouve sa mère, ses frères et son père, les uns et les autres devenus chrétiens (d'où le titre de Reconnaissances, au sens de « retrouvailles », donné à l'une des versions de ce roman). Le Roman nous est parvenu sous deux formes : 1. Les Homélies, en grec, sont réparties en vingt livres et sont précédées de trois documents : Lettre de Pierre à Jacques (« évêque » de Jérusalem) ; Engagement solennel (à ne pas divulguer le contenu des livres) ; lettre de Clément à Jacques (annonçant la mort de Pierre et l'installation de Clément c o m m e évêque de Rome). 2. Les Reconnaissances, divisées en dix livres, dans une traduction latine du début du V siècle due à Rufin d'Aquilée. Selon c e dernier, l'ouvrage qu'il a traduit existait en grec sous deux formes qui ne concordaient pas en certains passages \ Tels sont les documents qui sont à l'origine d'un délicat problème littéraire que les recherches vont transformer en un immense puzzle, en tentant de retrouver l'état antérieur et les sources de chacune des pièces du dossier et en faisant intervenir dans le débat un certain nombre de textes et témoignages extérieurs au corpus clémentin mais qui, de toute évidence, sont à mettre en rapport avec lui (par exemple les Actes de Pierre, les Anabathmoi Jacobou, cités par Épiphane, et le Liber legum regionum de Bardesane ). e

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1. Nous possédons également deux abrégés (Épitomés) des Homélies ainsi que plusieurs fragments d'une précieuse version syriaque des Homélies et des Reconnaissances. 2. Dans l'état actuel des éditions, les références sont faites au corpus de Berlin : B. REHM-G. STRECKER, Die Pseudoklementinen, I. Homilien, Berlin, 1992 3

( G C S 42) ; B. REHM-G. STRECKER, Die Pseudoklementinen, 3

IL Rekognitionen

in

Ruflns Ubersetzung, Berlin, 1994 ( G C S 51). Les fragments syriaques n'ont pas été republiés depuis W . FRANKENBERG, Die syrischen Clementinen mit griechischem Paralleltext, Leipzig, 1937 (TU 48/3).

LE ROMAN PSEUDO-CLÉMENTTN DEPUIS LES RECHERCHES...

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I. Les thèses d'Oscar Cullmann. L'ouvrage qu'Oscar Cullmann a publié en 1930 a marqué une date dans les études sur le judéo-christianisme \ Cette étude représente, à l'époque, un inventaire précis de la recherche antérieure sur les documents qui seraient à la source du Roman pseudo-clémentin et pose à son tour le cadre théorique d'une reconstitution possible d'un Écrit fondamental ou Écrit de base (Grundschrift). S'appuyant sur une analyse littéraire extrêmement précise et détaillée, O. Cullmann a esquissé ensuite l'histoire d'une forme particulière de judéo-christianisme qu'il compare avec le « gnosticisme juif » et replace dans l'histoire ancienne du christianisme. L'étude du problème littéraire est d'abord une excellente mise au point sur les travaux de ses prédécesseurs depuis le milieu du xrx siècle. Si O. Cullmann est tributaire de ses devanciers, il n'en mène pas moins une analyse critique et avance une solution. Il affirme d'abord la nécessité de postuler l'existence d'une source commune aux Homélies et aux Reconnaissances, ces dernières ayant mieux conservé le plan général du Roman, tandis que les Homélies ont reproduit plus fidèlement les doctrines trouvées dans leur source. La reconstruction de l'écrit de base se fonde sur la réunion des passages communs aux deux éditions du Roman. Ainsi redécouvert, l'écrit de base ferait apparaître l'existence de trois « sources » que j e ne fais qu'énumérer sans donner l'argumentation détaillée dont O. Cullmann nourrit sa démonstration. 1. Il y aurait au départ les Prédications de Pierre, source judéochrétienne dont le contenu peut être reconstitué grâce à la table des matières conservée en Reconnaissances III, 75. Les Prédications de Pierre auraient été remaniées un siècle plus tard sous la forme d'un Itinéraire de Pierre, dans le but de livrer au public l'enseignement secret de Pierre en lui donnant un cadre narratif. 2. U n e Apologie juive d'origine orientale, dont le plan est facilement décelable (discussion sur le polythéisme, sur le fatalisme et sur la providence), est adjointe à Y Itinéraire de Pierre. 3. U n « cadre romanesque », enfin, aurait été emprunté aux romans grecs. Ces sources sont reprises par un judéo-chrétien, écrivain de talent, qui fait de Y Écrit de base le premier roman chrétien. Telle est la thèse de O. Cullmann à qui l'on doit reconnaître une perspicacité et une e

1. O. CULLMANN, Le Problème littéraire et historique du Roman pseudoclémentin. Étude sur le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme, Paris, 1930.

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rigueur d'autant plus remarquables qu'on ne possédait, en 1930, d'édition scientifique ni des Homélies, ni des Reconnaissances, et que les fragments syriaques n'étaient pas publiés. La seconde thèse de O. Cullmann portait sur un problème d'histoire : « le rapport entre le gnosticisme et le judéo-christianisme ». C'est sans doute la partie la plus datée de son ouvrage, marquée par une tendance de la Religionsgeschichte de l'époque à réunir des phénomènes divers et dispersés dans le temps et l'espace sous un terme général (comme « gnose » ou « tendance gnostique ») insuffisamment défini. Mais l'effort comparatiste garde sa valeur. Il est facile de juger sereinement plutôt que sévèrement l'entreprise, soixante-dix ans plus tard, alors que nous connaissons les documents de Qumrân et de Nag-Hammadi. Ces découvertes n'ont pas confirmé toutes les hypothèses de O. Cullmann lorsqu'il avait vingtsept ans, mais elles ont rendu justice à son intuition. Il avait pressenti plus que d'autres l'extraordinaire diversité des représentations, expressions, tentatives d'élucidation qu'avait produites le judaïsme dans sa traversée d'une crise socioculturelle peut-être sans précédent dans son histoire, et que le judaïsme, c o m m e le christianisme ancien à sa suite, ne pouvait être appréhendé que dans la multiplicité de ses manifestations. C'est bien ainsi que J. Thomas — auteur plus souvent pillé que cité — avait compris O. Cullmann : « Documents particuliers, Écrit fondamental, recensions extérieures qui donnèrent naissance aux Homélies et aux Reconnaissances, développent en effet un ensemble de théories à tendance nettement judéo-chrétienne. Ils témoignent, chacun à son compte, d'un ébionisme particulier *. »

II. L'évolution de la recherche depuis 1930. Nous nous limiterons aux travaux de quelques auteurs qui nous paraissent les plus significatifs, dans la mesure où, de manière directe ou indirecte, ils prennent position sur les thèses avancées par O. Cullmann . Si l'hypothèse d'un écrit de base est généralement reçue, la valeur de son contenu et la personnalité de son auteur donnent lieu à des jugements fort divers. 2

1. Voir J. THOMAS, Le Mouvement baptiste en Palestine et en Syrie (150 av. J.-C.-300ap. J.-C), Gembloux, 1935, p. 174. 2. Voir pour plus de précisions F. S. JONES, « The Pseudo-clementines : A History of Research », dans The Second Century. A Journal of Early Christian Studies 2 (1982), p. 1-33 ; 3 (1983), p. 63-96.

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Pour B . Rehm \ l'éditeur de Y Écrit de base est un compilateur de matériaux hétérogènes qui ne modifie que peu ses sources. Loin d'être judéo-chrétien, c'est un écrivain catholique, influencé par son environnement syrien. H. J. S c h œ p s partage cet avis, tandis que G. Strecker fait de cet auteur un compilateur de grand style qui n'est ni catholique, ni judéo-chrétien. N o u s sommes fort loin des vues de O. C u l l m a n n — o ù il est fait référence à un grand écrivain judéo-chrétien — et nous verrons bientôt que des chercheurs ont récemment tenté de poser différemment la question de cet Écrit de base. Qu'en est-il des sources de cet écrit ? Les Prédications de Pierre sont pour B . R e h m une pure fiction, qui a dupé bien des chercheurs m o d e r n e s . G. Strecker, au contraire, retient la thèse qui fait des Prédications de Pierre une source dont o n pourrait retrouver les doctrines . À l'opposé, J. Rius-Camps, à la suite d'une patiente enquête de critique textuelle, affirme que les Prédications de Pierre sont une tardive réélaboration ébionite de Y Écrit de base . Pour sa part, J. Wehnert, se fondant sur une analyse du vocabulaire et de sa répartition dans le Roman pseudo-clémentin, doute de la possibilité de reconstituer Y Écrit de base et pense que la relation entre les différents documents est une pure création littéraire de l'auteur des Homélies . Aucun accord général donc sur les Prédications de Pierre. Quant au remaniement que serait Y Itinéraire de Pierre, il n'en est m ê m e plus question. Seul H. J. Schoeps en avait accepté l'hypothèse, sans toutefois l'inscrire dans une vue d'ensemble. C e qui est aujourd'hui généralement retenu, c'est non pas un remaniement de l'écrit de base, mais la connaissance par les divers auteurs et par leur source commune des Actes apocryphes de Pierre, non sous la forme où ils nous sont parvenus, mais plus vraisemblablement sous celle qui circulait en Syrie. L'existence de l'« Apologie j u i v e » ne soulève pas de grands débats. B . Rehm soutient qu'elle appartient à l'écrit de base alors que 2

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1. B. REHM, « Zur Entstehung der pseudoclementinischen Schriften », dans Zeitschrift fur die neutestamentliche Wissenschaft 3 7 ( 1 9 3 8 ) , p. 7 7 - 1 8 4 . 2 . H . J. SCHOEPS, Théologie und Geschichte des Judenchristentums, Tubingen, 1 9 4 9 , p. 3 8 - 4 1 . 2

3 . G . STRECKER, Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, Berlin, 1 9 8 1 , p. 2 5 6 - 2 5 9 (TU 7 0 ) .

4 . B. REHM, op. cit., dans Zeitschrift fur die neutestamentliche

Wissenschaft 3 7

( 1 9 3 8 ) , p. 1 4 6 . 2

5 . G . STRECKER, op. cit., Berlin, 1 9 8 1 , p. 1 3 7 - 1 4 0 (TU 7 0 ) .

6. J. RIUS-CAMPS, « Las Clementinas. Bases filologicas para une nueva interpretacion », dans Rivista Catalana de Teologia 1 ( 1 9 7 6 ) , p. 7 9 - 1 5 8 . 7. J. WEHNERT, « Literarkritik und Sprachanalyse. Kritische Anmerkungen zum gegenwartigen Stand der Pseudoklementinen-Forschung », dans Zeitschrift fiir die neutestamentliche

Wissenschaft 1A ( 1 9 8 3 ) , p. 2 6 8 - 3 0 1 .

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G. Strecker attribue la discussion entre Pierre et Appion, dans son état actuel, à l'auteur des Homélies. Enfin, l'emprunt à la littérature hellénistique du « cadre romanesque » n'a jamais fait problème, et les études se sont multipliées de tous côtés sur ce type de littérature . Mais il ne s'agit évidemment pas d'une « source », au sens documentaire du terme. Si ce rapide survol laisse entrevoir tant d'incertitudes quant aux sources et à leur attribution à tel auteur ou rédacteur présumé, cela ne tient pas seulement aux arguments tant de fois repris et tant de fois retournés, mais tout autant à l'hypothèse générale que chacun s'est forgée pour expliquer l'œuvre telle que nous la lisons avec ses contraintes de langue et de style, de m ê m e qu'à l'idée que chacun se fait d'un vraisemblable ou invraisemblable «judéo-christianisme ». Sans doute pour sortir des impasses faut-il à la fois en venir à une autre pratique des textes, telle que F. S. Jones, J. Rius-Camps ou J. Wehnert l'ont illustrée de manières diverses, en ne se posant pas d'abord le problème des sources et en élargissant au contraire le corpus de textes qu'on peut considérer c o m m e liés « par le fond » à la littérature pseudo-clémentine, à la condition d'en faire une analyse rigoureuse et fine dont F. S. Jones a donné deux beaux exemples : d'une part en démontrant que les versions latines et syriaques ont quasi la m ê m e valeur par rapport au texte grec qu'elles ont traduit ; d'autre part en reprenant l'étude approfondie des Reconnaissances 1,27-71, qui lui permet de conclure au caractère judéo-chrétien de ce célèbre t e x t e . Enfin, nous savons qu'il a repris la question de l'influence de Bardesane sur certaines traditions des Pseudo-clémentines et notamment du traité de Bardesane, Liber legum regionum, traduit du syriaque en grec et connu d'Eusèbe. 1

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Chacun se réjouira de voir ainsi les études pseudo-clémentines emprunter de nouvelles voies pour répondre à d'antiques questions.

III. Sur les travaux en cours. L'Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne (AELAC) développe depuis plusieurs années un projet international sur le Roman pseudo-clémentin qui réunit plusieurs chercheurs.

1. Voir notamment l'article de J. WEHNERT, « Abriss der Entstehungsgeschichte des pseudoklementinischen Romans », dans Apocrypha 3 (1992), p. 211-235. 2. F. S. JONES, « Evaluating the Latin and Syriac Translations of the PseudoClementine Recognitions », dans Apocrypha 3 (1992), p. 237-257. 3. F. S. JONES, An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions, I, 27-71, Atlanta, Géorgie, 1995 (Texts and Translations 37, Christian Apocrypha Series 2).

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Plusieurs chantiers ont été ouverts à la suite des rencontres qui se déroulent à D o l e tous les deux ans. À la suite de la dernière rencontre, en juin 1998, on peut préciser les chantiers ouverts dans les domaines des éditions, des études et des traductions. 1. Les éditions : — Franz Xaver Risch (Berlin) travaille à F édition des Épitomés, à partir des dossiers laissés par F. Paschke. — F. Stanley Jones (Long Beach, CaUfornie) a entrepris une nouvelle édition du syriaque, à partir de l'édition de W. Frankenberg. — Valentina Calzolari-Bouvier (Genève) poursuit son étude des manuscrits arméniens, témoins indépendants du syriaque et du latin, qui suggèrent l'existence d'un original grec perdu, différent de celui utilisé par Rufin d'Aquilée et plus proche du syriaque que du latin. — Albert Frey (Genève) et d'autres chercheurs collationnent, à titre expérimental, une bonne part des manuscrits latins non retenus par B. Rehm dans son édition des Reconnaissances, afin de vérifier la pertinence des choix et de la reconstitution de la tradition manuscrite telle qu'elle figure dans l'édition de Berlin. 2. Les études : — Enrico Norelli (Genève) et Jurgen Wehnert (Gôttingen) préparent une synopse des textes grecs, latins et autres qui composent le Roman pseudo-clémentin. — Jurgen Wehnert (Gôttingen), pour sa part, achève un commentaire fort riche des Homélies qui comprendra quelque 1 2 0 0 pages. — F. Stanley Jones (Long Beach, Californie) a terminé un ouvrage sur les Pseudo-clémentines qui se compose d'une introduction, d'un choix de textes et de leur traduction. 3. Les traductions : — André Schneider (Neuchâtel) et Luigi Cirillo (Naples) viennent de publier une traduction française des Reconnaissances, accompagnée d'une introduction et d'une annotation succinctes — Alain Le Boulluec (Paris) et d'autres sont en train de préparer une traduction française des Homélies, qui sera également accompagnée d'une introduction et d'une annotation succinctes . 2

1. A . SCHNEIDER-L. CIRILLO, Les Reconnaissances du Pseudo-Clément. Roman chrétien des premiers siècles, Turnhout, 1999. 2. Elle paraîtra dans le volume II des Écrits apocryphes chrétiens, actuellement en préparation sous la direction de P. Geoltrain et J.-D. Kaestli.

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IV. Conclusion. Ces travaux que nous venons d'évoquer, menés par des chercheurs de divers pays qui échangent entre eux questions et hypothèses, témoignent d'un renouveau certain des études sur le Roman Pseudo-clémentin. Nul doute que nous pourrons dans un proche avenir en apprécier les résultats, tant en ce qui concerne le problème littéraire posé par cet ouvrage que sur la question, qui reste encore ouverte, de l'histoire du judéo-christianisme ancien.

DEUXIÈME PARTIE FONDATIONS

LA CRUCIFIXION COMME PEINE CAPITALE DANS LE JUDAÏSME ANCIEN EMILE PUECH Centre national de la recherche scientifique, Paris

Résumé // est assez régulièrement affirmé que la peine capitale par suspension sur le bois ou crucifixion était romaine et non pas juive, et que, quand les juifs avaient le « droit de glaive » - ce qui n'aurait pas été le cas à Vépoque de Jésus -, les malfaiteurs étaient lapidés avant d'être pendus, morts, sur le bois. Sans doute connaît-on quelques crucifixions à la romaine par les juifs, mais ce mode d'exécution n'en demeurerait pas moins romain, spécialement en temps de crise. Compte tenu des différentes traductions et interprétations de Dt 21, 22-23 depuis la Septante et des témoignages limpides des manuscrits de la mer Morte, une telle position est-elle encore tenable ? La réponse devrait permettre de réexaminer toutes les données textuelles du procès de Jésus sous un jour nouveau.

Summary It is usually believed that capital punishment by hanging on the tree or crucifixion was a Roman, but not a Jewish, practice, and that when the Jews had the « jus gladii » - which could not have been the case in the time of Jesus -, the criminal was stoned to death before being hung upon the tree. Indeed, there are some known cases of crucifixion carried out by the Jews according to the Roman method, but this manner of capital punishment remained a typical Roman method, particularly during times of crisis. Considering the different translations and interpretations of Deut 21: 21-23 since the Septuagint as well as the clear witness of the Dead Sea Scrolls, we must ask whether such a position can be held. The answer to this question should permit us to reexamine the textual data of the trial of Jesus from a new perspective.

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Le procès de Jésus et sa condamnation à la peine capitale par crucifixion sont depuis longtemps au centre de débats passionnés. On a m ê m e suspecté les Évangiles, et Jean en particulier, d'avoir, pour des motifs polémiques et idéologiques, exagéré la responsabilité des grands prêtres et du sanhédrin et d'avoir atténué celle du pouvoir de l'occupant romain, le préfet Ponce Pilate, arguant que le supplice de la croix, courant dans le monde païen environnant, hellénistique et romain, serait étranger à la législation juive . 1

C'est e n effet c e que semble appuyer Flavius Josèphe dans le Testimonium Flavianum : 2

Vers la même époque parut Jésus, homme sage si toutefois il faut l'appeler homme. En effet, il était faiseur d'oeuvres prodigieuses, un maître d'hommes qui accueillirent la vérité avec joie, et il entraîna beaucoup de juifs et aussi beaucoup du [monde] grec. Le Christ [= le Messie], c'était lui. Et sur la dénonciation des premiers d'entre nous, Pilate l'ayant condamné à la crucifixion, ne cessèrent pas ceux qui l'avaient d'abord aimé. Car il leur apparut le troisième jour, à nouveau vivant, les divins prophètes ayant prédit ces choses et mille autres merveilles

1. Pour un état de la question, voir M . HENGEL, La Crucifixion dans l'Antiquité et la Folie du message de la croix, Paris, 1981. Voir aussi J. BAUMGARTEN, « Hanging and Treason in Qumran and Roman Law », dans Eretz Israel 16 (1982), p. 7*-16* ; H. W. KUHN, « Die Kreuzesstrafe wâhrend der fruhen Kaiserzeit. Dire Wirklichkeit und Wertung in der Umwelt des Urchristentums », dans Aufstieg und Niedergang derRômischen Welt H 25.1, Berlin-New York, 1982, p. 648-793. Voir encore C. PERROT, Jésus, Paris, 1998, p. 110 : « La condamnation à la crucifixion est romaine, et non pas juive. Chez ces derniers, du moins quand ils avaient "le droit de glaive", ce qui n'était pas le cas à l'époque de Jésus, les malfaiteurs étaient lapidés avant d'être juchés, morts, sur le gibet en bois. Les esséniens étaient plus cruels, et, après une lapidation [sic], ils prévoyaient d'attacher au bois l'homme encore vivant. Par ailleurs, on connaît quelques exemples de crucifixions à la romaine, opérées par des juifs. Ainsi, vers l'an 88 avant J.-C., le roi Alexandre Jannée fit crucifier huit cents juifs au centre de Jérusalem. Ce mode d'exécution n'en demeure pas moins romain surtout, sous la responsabilité de Pilate en la circonstance. La crucifixion était assez courante à l'époque, surtout en cas de crise ». 2. Le Testimonium Flavianum est objet de controverses entre les partisans de l'authenticité, de l'interpolation chrétienne pure et simple ou de remaniements chrétiens. Comme l'a montré É . NODET, « Jésus et Jean-Baptiste selon Josèphe », dans Revue biblique 92 (1985), p. 321-348, le texte reçu est beaucoup plus vraisemblable que les atténuations ou interpolations supposées : voir par exemple A.-M. DUBARLE, « Le témoignage de Josèphe sur Jésus d'après la tradition indirecte », dans Revue biblique 80 (1973), p. 481-513, et « Le témoignage de Josèphe d'après les publications récentes », dans Revue biblique 84 (1977), p. 38-55 ; R. E. BROWN, The Death of the Messiah. From Gethsemane to the Grave. A Commentary on the Passion Narratives in the Four Gospels, t. I, New York, 1994, p. 373-376. La phrase ô Xpiorôç OUTOC fjv est indispensable pour comprendre Tc5v xpLonavcàv orrô ToOôe (hvo\iao[Lévov... TÔ v\ov, et l'identification de « Jacques, frère de Jésus, dit le Christ » TOÛ \eyo\ievov xP °v Antiquités juives XX, § 200. Pour d'autres témoignages anciens non chrétiens, voir H. W. KUHN, op. cit., dans Aufstieg und Niedergang derRômischen Welt U 25.1, Berlin-New York, 1982, p. 654-669. lGT

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à son sujet. Et jusqu'à présent encore, la race des chrétiens, dénommée d'après lui, n'a pas disparu (voir Antiquités juives X V m , § 63-64). Ou Tacite lorqu'il rapporte les représailles de Néron contre les chrétiens rendus coupables de l'incendie de R o m e en 6 4 : Il infligea des tourments raffinés à ceux qui étaient détestés par leurs abominations et que la foule appelait chrétiens. Le fondateur de cette dénomination, c'est le Christ qui, sous le principat de Tibère, avait été livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate. Réprimée alors, cette détestable superstition déferlait à nouveau, non seulement en Judée, origine de ce mal, mais encore dans Rome (Annales XV, 44,4-5). Mais une telle présentation qui va contre les données bibliques et d'autres encore est-elle recevable ? Il n'est donc pas inutile de rouvrir le dossier sur la peine capitale de la suspension sur le bois, que les manuscrits de la mer Morte ont quelque peu étoffé.

La loi de Deutéronome 21,22-23 et son contexte biblique. La punition capitale par suspension sur le bois est traitée en Dt 2 1 , 22-23 à la suite de la lapidation du fils rebelle et, de quelque manière, en lien avec elle, puisque le texte hébreu (= TH) introduit le cas par o i , suivi par la plupart des témoins manuscrits, à l'exception d'un manuscrit hébreu, du samaritain, du codex Basiliano-Vaticanus gr. 2 1 0 6 , de la Vulgate et du Rouleau du Temple (11Q19 LXIV 6) qui garde le seul vacat fermé (setumah ) . C'est dire que les deux traditions sont fort anciennes et remontent au moins aux m - n

e

e

avant J.-C. L'ajout du waw pourrait être considéré comme

lectiofaci-

siècles

lior, reliant c e dernier cas aux précédents après un court vacat et un verbe coordonné et finissant par waw. ,,

Quoi qu'il en soit, Dt 2 1 , 2 2 (... Di)-23b forme une inclusion voulue avec Dt 21,1a : - v. 1 : rrnzn *?su nrwrb 'p ]ra jrh* mrr im rraïKn bhn œar -o - v. (22)23b : n W ? 'p ]ra "ptfa* mrr KO* -jna-TK na maori ita (.ma rrrr vu) Cette inclusion entend souligner la pureté du peuple et de la terre que Dieu a donnée à son peuple, pureté qui s'applique à tous les cas traités dans c e chapitre 21 : du meurtrier inconnu, des femmes captives, du droit de l'aîné, du fils rebelle et du coupable de peine 1.11Q19 LXIII8-9 a unepetufrah au lieu d'une setumah en Dt 21,9-10. Le plus ancien exemplaire du Rouleau du Temple, 4Q524 14, porte une séquence quelque peu différente : 14,1 : fin de Dt 21,21 ; 14,2-4 : Dt 21,22-23 (moins la finale 23b à moins d'une correction marginale) ; 14,5 : Dt 22,11 ; et 14,5-6 : Dt 21,21 (doublet ou?).

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capitale, puisqu'elle touche à la légalité de la survie du peuple dans sa terre et à la bénédiction de la promesse. Le cas de la peine capitale par suspension sur le bois suit celui de la lapidation du fils rebelle et dévoyé, débauché et buveur, traité ici c o m m e celui qui frappe ou maudit ses parents en E x 2 1 , 15.17 ou c o m m e l'adultère en Dt 2 2 , 2 2 - 2 4 et Lv 2 0 \ Mais, dans c e dernier cas du chapitre, sur quel(s) membre(s) de phrase est-il mis l'accent : sur la forme de mort du coupable o u sur le traitement de son cadavre ? Selon la réponse plus ou moins consciente des auteurs, la traduction du passage diverge passablement. Toutefois, la plupart suivent l'interprétation de la traduction grecque qui a choisi la deuxième r é p o n s e . 2

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'Edv 8è yéi/r)Tai ev TLVL d|iapTia Kpi|j.a 8avdTou m i àTToOdi/rj Kal Kpe|idoT)Te avrov èm Çvkov oi)K èmKoi|JX|()r|(7eTai TÔ atô|ia avrov èm TOÛ ÇÛXOU àXXà Taf\ Qâtyere aurbv ev rr\ fpépa €Keivr\ OTL K6KaTr)pa|j.évoç UÏTÔ Oeoî) Trdç Kpep.d|jL6voç èm £ûXoir Kal où |juaveîT6 TT)V yfjy, r\v KÛpioç ô 0£Ôç oov ôiôœoiv aoi èv KXf|p(p. 23

22

Et s'il y a chez un h o m m e une faute de peine de mort, et qu'il soit m i s à mort et que vous le suspendiez sur le bois, son cadavre ne passera pas la nuit sur le bois mais vous l'ensevelirez sans faute ce jour-là, car est maudit de Dieu quiconque est suspendu sur le bois, et vous ne souillerez pas la terre que le Seigneur ton Dieu te donne en héritage . 23

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Toutefois le T H (y compris le texte massorétique [= TM]) semble pouvoir, et devoir, être compris différemment : 22

Yv bu ma rrt>m m m mo CDBCBQ «on Ena rrrr rhhp *o Kinn DTD xrapn -rap o ysn în^n: vb

23

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S'il y a un coupable de peine capitale et qu'il soit mis à mort, tu le suspendras sur le bois.

1. Voir R. DE VAUX, Les Institutions de l'Ancien Testament, 1.1, Paris, 1958, p. 244-245. 2. Voir, dernièrement encore, par exemple E . NIELSEN, Deuteronomium, « Handbuch zum Alten Testament », 1/6, Tubingen, 1995, p. 208. 3. Voir C. DOGNIEZ - M . HARL, La Bible d'Alexandrie. Le Deutéronome. Traduction du texte grec de la Septante, introduction et notes, Paris, 1992, p. 248 s. De même encore Philon d'Alexandrie, De specialibus legibus, 3,151-152 dvaaKoXomCeiv « empaler » (un cadavre) comme châtiment supplémentaire (voir |ieTeajpr oavraç... KoXaa0évTaç dits de pendus une fois châtiés). U semble que cette lecture reflète T interprétation indulgente et « adoucie » de Dt 21,22-23 qui avait cours chez les pharisiens de l'époque. La Bible de Jérusalem et la Traduction œcuménique de la Bible Usent aussi l'apodose au v. 23, le v. 22 en entier étant la protase.

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Son cadavre ne doit pas [ou Tu ne laisseras pas son cadavre ] passer la nuit sur le bois mais tu dois l'ensevelir ce jour même, car est une malédiction de Dieu quiconque est suspendu [sur le bois, avec les LXX\ et tu ne souilleras pas ta terre, celle que Yhwh ton Dieu te donne en héritage . 2

Pour cela, il suffit de comprendre le troisième verbe rrtro c o m m e un wayyiqtol avec un waw d'apodose, et le deuxième, n o m (avec Vathnah du T M ) , c o m m e un weqatal dans la seconde protase coordonnée à la première au yiqtol, soulignant - après la matière, la faute de peine capitale - la conséquence immédiate de la culpabilité établie : l'exécution - litt. « et qu'[en conséquence] il soit condamné / il soit e x é c u t é , alors tu le suspendras sur le bois. Son cadavre... ». Cette faute non spécifiée mérite, non une lapidation non explicitée c o m m e dans le cas précédent, mais la mort par suspension sur le bois ou crucifixion qui est la plus cruelle des peines et n'a donc rien à voir avec la pendaison du cadavre. L'exposition du condamné mourant à petit feu sur le bois a davantage encore valeur d'exemplarité. Cette manière de comprendre devient alors un parfait correspondant de « tous les hommes de sa ville le lapideront jusqu'à ce que mort s'ensuive », rai D ' n i a TTI? ta Tram du cas précédent (Dt 2 1 , 2 1 ) auquel c e dernier est relié dans le T H . Si, dans le cas du 3

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1. Sens théoriquement possible, mais toutes les versions, y compris 11Q19 (voir ci-dessous), ont lu la troisième personne. 2. Notre traduction, voir É . PUECH, « Notes sur 11Q19 LXIV 6-13 et 4Q52414,24. À propos de la crucifixion dans le Rouleau du Temple et dans le judaïsme ancien », dans Revue de Qumrân 69 (1997), p. 109-124, spécialement p. 117. Nous avons été agréablement surpris de trouver cette même interprétation déjà proposée indépendamment par A. DUPONT-SOMMER, « Observations nouvelles sur l'expression "suspendu vivant sur le bois" dans le Commentaire de Nahum (4QpNah I 8) à la lumière du Rouleau du Temple (HQTemple Scroll LXIV 6-13) », dans Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles lettres, 1972, p. 709-720, spécialement p. 711. Voir aussi celle de M. J. BERNSTEIN, « *bn urtm ntep o (Deut 21,23) : A Study in Early Jewish Exegesis », dans Jewish Quarterly Review 74 (1983), p. 2145, spécialement p. 23, qui hésite entre deux traductions du TM : « Should a man be guilty of a capital offense, and he be put to death, and you (or, "then you shall") hang him on a tree, you shall not allow his corpse to remain (or, "his corpse shall not remain") overnight on the tree, but (or, "for" = o ) you shall certainly bury him on that day, for Co) a curse of God is [a] hanged [one], and (or, "so that") you shaU not render unclean the land which the Lord your God is giving you as an inheritance ». Mais É . DHORME, La Bible. L'Ancien Testament, 1.1, Paris, 1956, p. 572, comprend « . . . et a été mis à mort, tu le pendras à un arbre », sans la nuance des deux protases supposant la mort avant la pendaison, de même H. COUSIN, « Sépulture criminelle et prophétique », dans Revue biblique 81 (1974), p. 375-393, spécialement p. 377. 3. Voir la nuance des révisions grecques A-Z : icai ôavaTwftf) « et qu'il soit condamné à mort... », et celle de 6 : Kal àTroOaveîTai. 4. Même construction que précédemment : Dt 21,10-12 : npe?m.. . m m .. .Ksn -o mam ...nnp'n m ou Dt 21,15-16 : ...ter *b ... o n rrm ...pm o , « si..., alors il adviendra... il ne pourra pas... ».

46

ÉMILE PUECH

fils rebelle, il n'est dit mot de l'ensevelissement, c'est que celui-ci avait lieu, selon l'usage, dans les heures qui suivaient la mort par lapidation. Mais dans le cas du suspendu vivant sur le bois, le supplice cruel entraînant une mort lente pouvait se prolonger dans la nuit, voire bien davantage . C'est pourquoi il était nécessaire de préciser ce point, à savoir que l'ensevelissement doit avoir lieu avant la nuit, supposant au besoin le crurifragium ou une mise à mort précipitée ou anticipée. Dans le cas contraire, cette loi ne dirait rien sur le mode de mort, comparée à Dt 2 1 , 21a, car la pendaison d'un cadavre ne peut être tenue pour une aggravation de la peine de mort ou châtiment supplémentaire, contrairement à ce qu'en pense P h i l o n . Elle ne serait qu'une infamie ou une honte pour l'exemplarité. Ainsi en est-il des deux meurtriers d'Ishba'al par David (2 S 4 , 1 2 ) et des cinq rois par Josué à Maqqéda (Jos 10, 24-27), pendus après exécution. Dans ce cas, il n'est point question d'une loi double, mais des deux temps dans l'exécution de la peine capitale, c o m m e il en est dans l'exécution du roi de A ï capturé vivant et exécuté par suspension sur le bois jusqu'au soir : 1

2

fyn p inte^ na I T T I WDVT ms cran K I : D I m i n ru? iv p?n te nte Jos 8 , 2 9 (et v. 2 3 T Î )

"[te

DM

Dans le cas du suspendu sur le bois comme de celui du fils rebelle, l'objet de la loi est certainement la condamnation à mort du coupable et, à cause de sa gravité, la suspension sur le bois - non la lapidation du cas précédent - avec, c o m m e conséquence, la mort et l'ensevelissement avant la nuit pour motif de malédiction et de pureté de la terre, non le sort destiné au cadavre comme aggravation de la peine après l'exécution capitale, ainsi qu'on l'estime s o u v e n t . L'absence de waw devant fx\ *b (Dt 2 1 , 2 3 - de m ê m e devant tor *b au v. 16) confirmerait cette interprétation plus qu'elle ne s'y oppose, en faisant de n^m l'apodose de la conditionnelle, et de la phrase suivante un ordre complémentaire dans la mise à mort avant la nuit et en inclusion avec 2 1 , 1 , c o m m e on l'a souligné ci-dessus. 3

1. Jusqu'à deux ou trois jours, voir par ex. J. KLAUSNER, Jésus de Nazareth. Son temps, sa vie, sa doctrine, Paris, 1 9 3 3 , p. 5 1 1 ; voir aussi H . W. KUHN, op. cit., dansAufstieg und Niedergong derRômischen Welt H 2 5 . 1 , Berlin-New York, 1 9 8 2 , p. 7 5 1 - 7 5 2 . 2 . Et bien des modernes, par ex. R. VICENT S AERA, « La halaka de Dt 2 1 , 2 2 - 2 3 y su interpretacion en Qumran y en Jn 1 9 , 3 1 - 4 2 », dans D. MUNOZ LEON ( É D . ) Salvacion en la Palabra. Targum-derash-berith. En memoria del Profesor Alejandro Diez Macho, Madrid, 1 9 8 6 , p. 6 9 9 - 7 0 9 . 3 . Malgré O. BETZ, « Jesus and the Temple ScroU », dans J. M. CHARLESWORTH ( É D . ) , Jesus and the Dead Sea Scrolls, New York, 1 9 9 2 , p. 9 0 , ou L . Rosso, « Deuteronomio 2 1 : 2 2 . Contributo del Rotolo del Tempio aUa valutazione di una variante medievale dei Settanta », dans Revue de Qumrân 9 ( 1 9 7 7 - 1 9 7 8 ) , p. 2 3 1 2 3 6 , spécialement p. 2 3 2 , ou C. PERROT, op. cit., Paris, 1 9 9 8 , p. 1 1 0 , etc.

LA CRUCIFIXION DANS LE JUDAÏSME ANCIEN

47

L ' e x p r e s s i o n p bu ma rr^ro e s t a l o r s l e p e n d a n t e x a c t d e cnnan ... vram ( 2 1 , 2 1 ) et p n bv r t a ybn *b celui de roi dans les autres cas comparables, Dt 1 3 , 1 1 ; 1 7 , 5 , . . . ; 2 1 , 2 1 . La traduction de l'hébreu (TH), habituellement retenue par les modernes d'après les versions anciennes (grecques et Vêtus latina), ne va pas sans quelque difficulté. N o n seulement le TM se prête à une autre compréhension, c o m m e on vient de le voir, mais encore le Targum Neofiti et le Targum Onqelos semblent l'avoir compris en c e s e n s p u i s q u ' i l s rendent p bv ina rr^m r e s p e c t i v e m e n t par acrp bv rrrr p ^ m et VG*TX bv rrrr irfaffn, précisant donc que la suspension sur le gibet est bien une crucifixion sur le bois / sur la croix c o m m e exécution de la sentence \ de m ê m e encore le Targum de Ruth 1 , 1 7 à propos des quatre modes d'exécution : wrp r c r t ^ i . 4 En effet, la traduction par Krr ^ bv nbx c o m m e en Gn 4 0 , 1 9 ne peut aisément se comprendre d'une pendaison post mortem du cadavre, puisque le Targum Pseudo-Jonathan (= Jonathan B e n Uziel) doit pour cela préciser la lapidation d'abord et la suspension sur le bois ensuite : rarp bv rrrr p ^ p D i r a i wn* nfaDK, de m ê m e encore en N b 2 5 , 4 ( m t e m ) . En Dt 2 1 , 2 2 , le Targum Neofiti doit avoir la même interprétation qu'en N b 2 5 , 4 où il comprend : « Prends tous les chefs du peuple et constitue-les en sanhédrin devant Y h w h pour qu'ils soient juges. Quiconque mérite la peine capitale, ils le crucifieront sur la croix et on enterrera leur cadavre au coucher du soleil » - bo rr i m 2

3

w

p ^ rïrop rrnncn p b^ p n prm mp p-irœa p r r crpro WÛD W I myo *stXQ an p r t a rr pnpi m*7* bv rrrr, pour rendre le TH n» np CDQD t n -m mrr ? orna yprn D O T '©m à propos d'un empalement ( ?) 1

de vivants, de même le Targum Jonathan IV. En effet, une crucifixionpendaison post mortem sur le gibet ne fait pas beaucoup de sens

1. Le Targum samaritain peut se comprendre de la même manière : e a o TT ]K mrp bs rrrr n^ro bopm bvp ( p / ) p œ s (mn/) w , ce dernier membre en apodose. 2. Le texte a été édité par E. LEVINE, The Aramaic Version of Ruth, Rome, 1973, p. 18-41, qui, p. 60 s., en ferait une halakhah sadducéenne dérivée du TH dans leur polémique antipharisienne. Mais Kcrp nybx ne peut se référer à la strangulation (npïi) comme le suppose J. BAUMGARTEN, « Does tlh in the Temple Scroll Refer to Crucifixion ? », dans Journal of Biblical Literature 91 (1972), p. 472-481, spécialement p. 475 s., qui n'admet pas que la « pendaison » pour que mort s'ensuive soit une crucifixion, mais qui en reste à la strangulation, un des quatre modes de mise à mort selon l'interprétation (pharisienne) de la Loi (Mishnah) sans fondement mosaïque mais reposant sur la seule tradition rabbinique récente. En faveur de la crucifixion, voir encore J. LEMOINE, Les Sadducéens, Paris, 1972, p. 272. 3. D. RffiDER, Pseudo-Jonathan. Targum Jonathan Ben Uziel on the Pentateuch, Jerusalem, 1974, p. 284 et 232. L'hébreu i?pm « empaler » de Nb 25, 4 est rendu par TTapaÔ€iy|idTiaov « infliger un châtiment exemplaire » (LXX), àvàwr\£ov « crucifier » (A), Kpéfiaaov « suspendre » (E) et rCcoiSn « exposé » (Peshitta), ce qui donne quelque ancienneté à la tradition du Neofiti. 4. La tradition juive ancienne reconnaît donc au sanhédrin le pouvoir de condamner

48

EMILE PUECH

comme exécution d'une peine capitale et n'ajoute rien à la sévérité de la sentence . D e son côté, la version syriaque, qui n'est pas nécessairement un midrash, ainsi que certains l'ont é c r i t , a nettement retenu la m i s e à mort par le supplice de la crucifixion . 3 u i g n A ^ n X m TÀx)a) Karnyopei èni uoi%eio; rnç oiiceiaç yanernç eCnynaauevTic, cbç ôvap TOirap év x ô XNÇ 'A^poôixnç iepcp èulyn. 1. Homélies IV, 2 0 - 2 1 (débat entre Clément et Appion) ; Homélies V, 3 - 2 7 (épisode des pseudo-amours de Clément) ; Homélies XIII, 1 3 - 2 1 = Reconnaissances VII, 3 8 (discours de Pierre sur la chasteté). Dans le plan (supposé) des Kérygmes (selon Reconnaissances HI, 7 5 ) , il n'est pas fait mention de l'adultère. 2 . Par exemple Homélies XV, 4 , 1-6 (dans la bouche de Pierre) : « Que tout soit gouverné par la Providence, c'est ce que j'affirme et conclus des divers événements de ta vie. [...] Un si merveilleux et si rapide concours de circonstances venant de toutes parts aboutir à un seul et même but consciemment voulu [il s'agit de la conversion de Clément] ne s'est pas produit, à mon avis, sans l'intervention d'une Providence » ; voir aussi Reconnaissances 1 , 2 1 , 4 et X, 5 2 , 4 . 3 . Homélies IV, 2 0 , 1 - 2 (débat entre Clément et Appion) ; Reconnaissances X, 5 , 1 (débat entre Pierre et Faustus). Dans la version christianisée, Faustus n'apparaît qu'en relation avec la controverse sur l'horoscope — sans doute un vestige du rôle tenu par Faustus dans le roman primitif. 4 . Par exemple Homélies XTV, 3 , 2 - 3 : « il n'y a ni Dieu, ni Providence, mais tout est soumis à l'horoscope [...]. Que tu pries ou ne pries pas, il te faudra nécessairement subir le sort marqué par ton horoscope » (= Reconnaissances VIII, 2 , 2 - 3 ) .

BERNARD POUDERON

246

du destin *, contre l'épicurisme matérialiste et athée — un d o g m e qu'il s'efforce de concilier tant bien que mal avec le respect de la 2

liberté i n d i v i d u e l l e . Quant à l'inquiétude métaphysique éprouvée par le narrateur, qui donne le branle au dénouement dans le récit christianisé, il est bien difficile de dire si elle appartenait o u non au roman originel. Mais il est loin d'être invraisemblable que oui. En effet, on trouve l'équivalent du prologue du R o m a n clémentin chez Lucien, Ménippe

6 (le

héros, saisi d'une crise de scepticisme religieux et en quête d'un guide spirituel, consulte différents philosophes, avant de livrer son 3

sort à un m a g e c h a l d é e n ) — une preuve que le thème n'était pas étranger au romanesque païen. Tout dépend, en fait, de la part de création (ou de créativité) qu'on attribue aux deux remanieurs successifs, 4

juif et chrétien, dans les parties narratives du R o m a n .

1. D'après Diogène Laërce, Vie et doctrines des philosophes illustres VII, 135 (« Dieu, l'Intelligence, le Destin, Zeus sont un seul être ») ; VU, 147 (« Dieu est un être vivant immortel [... ] ordonnant par sa providence le monde et les choses qui sont dans le monde ») ; VII, 149 (« toutes choses ont heu selon le destin » ; « la divination existe, puisqu'il y a une providence »). Déjà W. HEINTZE, op. cit., dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 40, 2, Leipzig, 1914, p. 51-110, et O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 55, avaient mis en évidence la ressemblance frappante entre les matériaux utilisés à la fin des Reconnaissances et certains textes stoïciens. Mais notre démarche est tout autre : non pas rechercher l'origine des différents matériaux utilisés dans le Roman clémentin, mais suivre le cheminement et l'évolution de sa trame narrative (intrigue, personnages) depuis son substrat païen jusqu'à sa version christianisée. Parmi les passages qui ont subi l'influence du Portique, voir : Reconnaissances Vin, 19,6 ; 20,1 ; 3 4 , 8 (l'action du Logos dans le monde) ; Reconnaissances Vin, 26-27 (l'eau comme véhicule de la raison spermatique, par comparaison avec Diogène Laërce, VII, 136 ; Athénagore, Apologie 19, 4 — un thème distinct de celui de l'eau du baptême : Homélies XI, 19-33 = Reconnaissances VI, 4-14, mais peut-être contaminé par Gn 1,1). G. Dorival m'a fait remarquer avec pertinence que la Providence stoïcienne est essentiellement d'ordre cosmique et universel. C'est parfaitement vrai ; toutefois, la doctrine d'une providence individuelle est bien attestée chez les philosophes du Portique : Plutarque, Des notions communes 32 ; Épictète, Entretiens 1,14,12-14 (le daimon individuel) ; Diogène Laërce, VU, 88 (de même) ; Cicéron, De la nature des dieux II, 65,162-164 (providence générale et providence individuelle). 2. D'après Plutarque, Des contradictions des stoïciens 47, sur les thèses contradictoires de Chrysippe ; Épictète, Entretiens 1,7-20 ; 1,37-43 ; Cicéron, Defato 17-18 (39-42), sur la doctrine de Chrysippe. 3. Voir aussi Justin, Dialogue avec Tryphon 2,1 - 8 , 1 (l'inquiétude du jeune Justin le conduit auprès de différents maîtres philosophiques, avant qu'un vieillard chrétien ne le guide sur la voie de la vérité). 4. Les jugements diffèrent du tout au tout selon les critiques. Voir par exemple, d'un côté, O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 148-149 (qui insiste sur l'apport personnel du compilateur chrétien, c'est-à-dire l'auteur de la Grundschrift) et F . S . JONES, The Pseudo-Clementines Introduced, Selected and Translated (à paraître) : « while there can be no doubt that the basic author sometimes copied out passages from other works verbatim [...], he was also a creative author and is responsible for the fabrication of the entire novelistic framework » (d'après un document

AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN

La

247

structure.

U n e fois admis que le roman originel était un ouvrage didactique, il reste à s'interroger sur les parts respectives qu'y tenaient la fiction et la démonstration. Certes, l'intrigue parlait pour ainsi dire par ellemême, montrant dans ses péripéties et son dénouement les dangers de l'adultère et les récompenses que la Providence accordait à celles et ceux qui avaient su faire preuve de v e r t u . Mais il nous semble que le récit s'interrompait parfois pour laisser place à un discours proprement didactique. A titre d'exemple, deux digressions importantes du Roman, le débat entre Clément et Appion et celui entre Clément et Faustus, contiennent des développements plus ou moins étrangers à l'apologétique juive ou chrétienne, qui pourraient éventuellement être considérés c o m m e des vestiges du roman primitif : ceux qui concernent l'adultère stricto sensu et le déterminisme—deux thèmes intimement liés à l'intrigue originelle. D e fait, il n'est pas impossible que la scène entre Clément et A p p i o n , dont la coloration juive est indubitable (personnage d'Appion, conversion de Clément au judaïsme, personnage de la chaste prosélyte juive, etc.), ait eu son prototype dans le roman païen, sous la forme d'un récit dans le récit (par une forme de « retour en arrière »), comportant entre autres l'épisode de Clément amoureux et l'échange épistolaire. D e même, le dialogue entre Faustus et Clément (puis son double Nicète) sur le déterminisme, qui s'insère si bien dans la trame narrative, peut lui aussi dériver d'une scène du récit primitif . Pareilles digressions ont leurs parallèles dans les romans grecs de la période et ne sauraient trop surprendre . Reste à évaluer la possibilité de les rattacher à la trame narrative ou à l'un des personnages du roman originel, à estimer leur importance dans le roman primitif, à apprécier en proportion l'originalité du remanieur juif, puis de son continuateur judéo-chrétien. Autant de points sur lesquels l

2

3

4

distribué lors d'une rencontre de l'AELAC) ; et, de l'autre, J. WEHNERT, op. cit., dans Apocrypha 3 ( 1 9 9 2 ) , p. 2 1 1 - 2 3 5 : « que les auteurs et rédacteurs pseudo-clémentins aient été incapables de fondre en une véritable unité les différents matériaux narratifs, etc. » (d'après un document distribué lors d'une rencontre de l'AELAC). 1. Voir Reconnaissances V, 3 8 , 5 (dans la bouche de Pierre) : « En un mot, ce qui s'est passé pour votre mère peut servir d'exemple à cet égard ; toute cette opération de salut a été rendue possible pour elle en récompense de sa chasteté. » 2 . En Homélies IV, 6 - 7 . 3 . En Reconnaissances IX et X. Son caractère philosophique est fortement marqué ; les parallèles avec la discussion des Homélies entre Clément et Appion sont nombreux et font penser à une origine commune. 4 . Sur les digressions didactiques dans le roman grec, voir A. BILLAULT, op. cit., Paris, 1 9 9 1 , p. 2 6 5 - 3 0 1 (sont étudiées en particulier les digressions morales consacrées à l'amour) ; ainsi que M . FUSILLO, op. cit., Venise, 1 9 8 9 , p. 1 4 2 - 1 6 5 : sur les « récits dans le récit » ; p. 7 6 - 8 1 : sur le genre oratoire à l'intérieur du Roman ; et p. 8 8 - 9 2 : sur renonciation de forme épistolaire.

248

BERNARD POUDERON

il est bien difficile de se prononcer, faute de certitudes sur l'origine exacte des deux scènes en question.

m. Le roman juif. L'existence d'un roman juif c o m m e prototype du Roman clémentin nous semble une certitude. Ce qui pose problème, en revanche, c'est la forme qui fut la sienne, les personnages qu'il mettait en scène, le message qu'il véhiculait. Datation

; milieu

d'origine.

L'ouvrage peut être daté avec relativement de précision. En effet, l'apparition en son sein des personnages de Clément et d'Appion situe nécessairement sa composition après 95 de notre ère : c'est entre 93 et 9 6 que parut le Contre Apion de Flavius Josèphe, qui popularisa la figure d'Apion c o m m e « ennemi des juifs » ; et c'est en 95 que fut exécuté Flavius Clemens, parent de l'empereur et consul, condamné pour « mœurs juives », et célébré c o m m e un martyr par la propagande rabbinique sous le n o m de Keti'a bar Shalom. La conjonction de ces deux personnages historiques à l'exclusion de tout autre au sein d'un m ê m e ouvrage donne à croire qu'ils étaient encore très vivants dans la mémoire populaire, et nous conduit à penser que la rédaction juive ne fut pas de beaucoup postérieure au début du n siècle : disons entre 100 et 115-117 (révolte de la diaspora et destruction de la communauté juive d'Alexandrie) ou 132-135 (seconde guerre de Judée et paganisation de Jérusalem). Quant à son milieu d'origine, la présence des personnages d'Appion et d'Annub i o n , l'épisode du séjour de Clément à A l e x a n d r i e ou encore la place occupée par la polémique contre la zoolâtrie égyptienne font nécessairement penser à l'Egypte plutôt qu'à la Syrie-Palestine. 1

e

2

3

4

Uintrigue

; les

personnages.

L'intrigue reste la m ê m e que celle du roman originel. Mais certains personnages se voient attribuer une nouvelle personnalité et une nouvelle fonction.

1. Je mets à part l'empereur Tibère et Jésus, qui n'interviennent pas dans le récit, ou encore Annubion, Jacques frère du Seigneur, Jean Baptiste, qui sont des figures secondaires sur le plan strictement diégétique. 2. L'un et l'autre alexandrins. 3. Homélies 1,8,1 (écho de Homélies 1,5,1). 4. Par exemple Homélies VI, 23,1 ; X, 16,18 ; Reconnaissances V, 20.

AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN

249

Les deux jumeaux (Faustinus et Faustinianus) sont recueillis sur le territoire phénicien non par une quelconque femme de cœur, mais par une prosélyte du judaïsme, qui les élève à la fois dans la culture grecque et dans la foi j u i v e . Le n o m de Justa que porte cette femme évoque les nombreux Justus du judaïsme hellénistique — ce nom étant une transcription transparente de l'hébreu Josua (Josué, J é s u s ) . Leur frère Clément, dont nous ne savons pas s'il provient du roman païen originel ou s'il n'est que le dédoublement d'un des deux jumeaux, connaît à R o m e une évolution semblable à celle de ses frères : il se laisse convertir par un marchand de toiles, en qui il faut bien voir un propagandiste juif et non un missionnaire chrétien . D e plus, il semble s'être produit une confusion entre le personnage primitif, parent de l'empereur Tibère, et la figure historique de Flavius Clemens, parent de l'empereur Domitien : c'est du moins ainsi que nous expliquons l'attribution du nom de Clément au troisième fils de Faustus . Il est possible que le personnage du frère de Faustus ait été introduit par le narrateur juif, pour illustrer d'un (triste) exemple le thème de l'infidélité . Quant à l'ami de la famille, qui, semble-t-il, jouait un rôle dans l'épisode des amours de Clément, il se voit confondu avec la figure historique d ' A p i o n . Dans le roman juif, le déplacement de l'intrigue d'Italie en Palestine trouve sa pleine justification. Et l'on peut supposer que c'est parce que l'un des lieux originels du Roman était la Palestine qu'un juif a entrepris de judaïser le récit en plaquant le personnage de Flavius Clemens sur celui d'un des fils de Faustus. l

2

3

4

5

6

Le contenu

apologétique.

Mais la principale nouveauté du Roman est l'élargissement de son contenu didactique. A u x deux problématiques originelles 1. Homélies H, 20, 1 (Reconnaissances VII, 33, 1) ; Homélies XIII, 7, 3 (Reconnaissances VII, 32,2). 2. Voir par exemple Paul, Col 4,11 (« Jésus, surnommé Justus »). 3. Homélies V, 26, 3 et 28, 2 (pas de parallèle dans les Reconnaissances). Voir encore : Homélies IV, 7, 2 (malgré la mention de Pierre, que Clément n'a évidemment pas pu rencontrer à Rome) ; ou même Homélies XX, 22, 2 = Reconnaissances X, 6 4 , 2 (Faustus ne veut plus voir ses fils, « pour la raison qu'ils sont devenus juifs »). On opposera cette dureté qu'Appion attribue à Faustus, refusant quasi viscéralement la conversion de ses fils au judaïsme, à l'ironie amusée avec laquelle il considère le recueillement et les prières de Pierre et de ses compagnons : Homélies XIV, 2-3 = Reconnaissances VIII, 1-2. 4. Voir B . POUDERON, op. cit., dans Apocrypha 7 (1996), p. 63-79. 5. Mais ce n'est pas certain, ni nécessaire ; voir plus haut, p. 244, n. 3. 6. Voir plus haut, notamment p. 242, n. 3.

250

BERNARD POUDERON

(déterminisme, providence et libre arbitre d'une part ; fidélité conjugale et adultère d'autre part) se joignent des considérations d'ordre apologétique, concernant le polythéisme et la monarchie divine \ Cet élargissement s'est opéré par l'introduction dans l'intrigue du personnage d'Appion, dont le rattachement au roman juif semble ne pas faire de doute. En effet, les liens qu'entretient Appion avec l'intrigue principale sont d'ordre primaire, et non secondaire. Appion est lié à la fois au personnage de Clément (liens d'amitié avec sa famille, épisode des pseudo-amours de jeunesse) et aux deux problématiques originelles (déterminisme et adultère). Il ne faut donc pas voir dans le personnage d'Appion l'un des protagonistes d'un second ouvrage juif — en l'occurence un dialogue apologétique — , qui aurait été intégré au Roman clémentin par le rédacteur chrétien, c o m m e le croyaient O. Cullmann et avant lui W. H e i n t z e , mais bien la transformation et l'enrichissement par l'auteur du remaniement juif d'un personnage de l'intrigue originelle, pour en faire le porteparole de l'antijudaïsme hellénique et le faire-valoir du discours apologétique juif. Car enfin, si la controverse avec Appion n' avait pas appartenu au roman juif, qu'aurait donc contenu celui-ci qui fût typiquement juif, ou qui eût une quelconque portée apologétique ? Rien, que le récit des différentes conversions. La confrontation des deux figures du protagoniste de la controverse avec Appion et du héros-narrateur du roman juif fournit un argument d'une tout autre portée. En effet, si l'intrigue AppionClément provenait d'un ouvrage juif distinct du roman de reconnaissances judaïsé, combien serait-elle proche de celle du roman chrétien : lien avec la famille impériale, enfance à Rome, conversion à la religion juive après une longue et angoissante quête spirituelle, autant de traits que Cullmann attribue au protagoniste du prétendu dialogue apologétique juif, et que l'on retrouve dans la version juive du R o m a n . L'hypothèse d'un second ouvrage juif complique donc 2

3

1. Ce thème est très présent dans les épisodes qui font intervenir Appion : Homélies IV, 16-25 O'immortalité des dieux du paganisme) ; Homélies V, 2-29 (idem) ; Homélies VI (contre l'allégorie) ; mais on les trouve aussi dans les discours de Pierre à Tripoli (Homélies Vffl à XI). 2. Voir W . HEINTZE, op. cit., dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literature, 2, Leipzig, 1914, p. 42-51 ; O . CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 55etp. 116-131 (spécialement p. 119: « l'auteur de YÉcritdebase doit donc avoir emprunté [les noms d'Athénodore, d'Appion et d'Annubion] à une autre source [...] dans laquelle les trois personnages discutaient, l'un sur la mythologie, F autre sur le fatalisme, le troisième sur la providence »). 3. Voir O . CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 119-120. n n'est que de comparer Homélies 1,1 -2 (inquiétude et quête spirituelle du jeune Clément dans l'intrigue principale) à Homélies V, 2-3 (même chose, intégrée au « récit dans le récit » qu'est l'épisode de la rencontre d'Appion, que O . Cullmann dit dépendre de la seconde source, à savoir l'apologie juive) : qui ne verrait qu'il s'agit du même récit ?

251

AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN

inutilement le problème. Il suffit de dire que le Proto-Appion païen (l'ami de la famille) s'est vu chargé de représenter au sein du roman juif et sous le n o m d'Appion le point de vue païen, dans un débat théologico-philosophique sur la monarchie divine et le polythéisme, le fatalisme et la providence \ Que les thèmes et arguments de ce débat aient été o u non empruntés à une (ou plusieurs) source(s) juive(s) est une tout autre question, qui n'entre pas dans la problématique que nous avons choisie.

IV. Le roman chrétien. Le roman chrétien s'est vraisemblablement constitué par rédactions successives, dont J. Wehnert s'est efforcé de rendre compte dans ses travaux . Il n'est pas question pour nous de les reprendre et de distinguer entre les différentes couches rédactionelles, mais de considérer la matière commune aux Homélies et aux Reconnaissances dans son ensemble, sous l'appellation commode de « Roman clémentin ». 2

Datation. L'une des couches rédactionnelles du Roman clémentin, à savoir les Periodoi Petrou, peut être datée assez précisément. En effet, cet ouvrage est nécessairement antérieur aux deux écrits origéniens qui le citent, à savoir le Commentaire sur la Genèse et le Commentaire sur Matthieu, datés respectivement de 2 3 0 et 245 e n v i r o n . Les chercheurs ont mis en avant d'autres indices chronologiques : la reprise de passages du Livre des lois des pays de Bardesane , mort en 2 2 2 ; l'allusion à un épisode des Actes de Pierre , que l'on date approxima3

4

5

1. Nous rejoignons sur ce point l'opinion de O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 119-122. 2. Entre autres dans l'article de J. WEHNERT, op. cit., dans Apocrypha 3 (1992), p. 211-235. 3. Voir O. CULLMANN, op. cit., Paris, 1930, p. 32-34 et p. 156. L'authenticité de ces deux passages origéniens a été contestée séparément ; mais il me paraît bien difficile de la dénier à l'un et l'autre à la fois. 4. Ou de son disciple Philippe. Voir F . S. JONES, op. cit., dans The Second Century 2 (1982), p. 20-24, citant G. STRECKER, « Die Pseudoklementinen und ihre Quellenschriften », dans Zeitschrift fiir die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde derâlteren Kirche 28 (1929), p. 233-235 ; G . STRECKER, « Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen », dans Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 70 (1981), p. 256. Le passage en question figure en Reconnaissances IX, 19-29. 5. À savoir le miracle du vol de Simon, en Homélies H, 32, 29 et Reconnaissances HI, 4 7 , 2 , d'après Actes de Pierre 32 (= F . BOVON-P. GEOLTRAIN (ÉD.), Écrits

252

BERNARD POUDERON

tivement de 180/190 ; une référence implicite à l'édit de Caracalla, promulgué en 2 1 2 ; la description de la hiérarchie des É g l i s e s , qui exclut une datation trop haute ; l'absence de références au Roman avant 2 3 0 ; l'allusion à une loi portée contre les m a g i c i e n s ; etc. Mais la prise en compte de l'existence d'éventuelles couches rédactionnelles antérieures aux Periodoi Petrou permet de remonter un peu au-delà de cette date : soit vers la fin du n ou le début du m siècle. 1

2

3

e

L'addition

d'une seconde intrigue : le

e

cyclepétrinien.

La christianisation de la matière clémentine s'est effectuée de plusieurs manières : d'une part en christianisant les personnages déjà existants, d'autre part en superposant à la première intrigue une seconde, d'origine chrétienne (la mission de Pierre), enfin en remplaçant le contenu didactique des deux versions antérieures par un enseignement nouveau, celui de la mouvance ébionite. Cette seconde intrigue a été empruntée à la tradition hagiographique de l'affrontement entre Pierre et Simon, illustrée entre autres par les Actes de Pierre. Elle a pour ainsi dire dévoré la première, l'apôtre Pierre prenant la place de Clément c o m m e protagoniste. Il n'est pas jusqu'à son rôle de narrateur que Clément ne finisse par perdre, puisque par endroits Clément est englobé dans une désignation collective à la troisième personne, et non à la première . L'auteur chrétien, c'est bien évident, s'est plus intéressé aux pérégrinations de Pierre qu'à celles de Clément. On peut donc supposer qu'il a laissé pratiquement inchangée l'intrigue du roman juif. Les seules modifications qu'il a introduites au sein de la première action sont celles que rendait nécessaires la nouvelle orientation religieuse du récit ; j e pense en particulier à la rencontre que fait Clément à R o m e du missionnaire chrétien, qui est un dédoublement de celle que faisait du propagandiste juif le Clément juif . Mais ce n'est pas lui qui 4

5

apocryphes chrétiens, Paris, 1997,1.1, p. 1104). La datation de G. POUPON est moins précise : « du premier tiers du II au début du m » (voir F. BOVON-P. GEOLTRAIN (ÉD.), op. cit., Paris, 1997,1.1, p. 1043). 1. Reconnaissances DC, 2 7 , 6 (« les Romains ont soumis au droit de Rome presque tout l'univers et toutes les nations qui vivaient auparavant selon diverses lois ») ; l'édit de Caracalla accordait la citoyenneté à tous les habitants de l'Empire. Autre allusion possible à un fait historique : Reconnaissances 1,45, 3 : mention d'Arsace (c'est-à-dire : le dernier des Arsacides, Artaban V, mort en 224) comme roi des Perses. 2. En Épître de Clément à Jacques 5-6 (repris différemment en Homélies HI, 60-61 = Reconnaissances HI, 66) : l'évêque, les presbytres, les diacres. 3. En Homélies XX, 13,6=Reconnaissances X, 55,3 ; mais de quelle loi s' agiraitil ? 4. Voir plus haut et notamment p. 242, n. 1. 5. Comparer Homélies 1,7,1 (= Reconnaissances 1,7,2) à Homélies V, 2 8 , 2 . E

e

AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN

253

a superposé au motif originel du départ de Mattidie, à savoir le songe prémonitoire, un second motif en rapport avec le thème de la fidélité conjugale, à savoir les avances coupables du frère amoureux \ D e toute évidence, le rédacteur ébionite a délibérément conservé la coloration hébraïque du Roman en préservant certains des traits caractéristiques du roman juif (conversion romaine de Clément, éducation « à la juive » des deux jumeaux après leur adoption, haine d'Appion pour les juifs, dégoût de Faustus pour ses fils « parce qu'ils sont devenus juifs »), malgré leur incompatibilité avec le nouveau contexte qu'il s'était choisi, celui d'une conversion à la foi du Christ. Plutôt que de voir dans les contradictions qu'entraînait la superposition de deux récits le simple effet de la maladresse du rédacteur , il faut y déceler une revendication pleine et entière de l'héritage juif, la conversion au christianisme étant considérée c o m m e une autre façon d'adhérer au j u d a ï s m e : nulle part les disciples de Pierre ne sont qualifiés de chrétiens, ils sont simplement juifs, c'est-à-dire membres du véritable Israël . 2

3

4

Les nouveaux personnages

au sein du cycle

clémentin.

A u sein de l'intrigue principale sont apparus de nouveaux personnages. Les uns appartenaient à la version juive et ont simplement été christianisés, c o m m e Clément et les deux jumeaux, dont nous avons vu qu'ils existaient déjà dans la version juive. D'autres sont nés du dédoublement de personnages existants, c o m m e Bérénice, qui est une réplique de sa mère la Syro-Phénicienne Justa, ou Barnabe (le missionnaire chrétien), qui est une réplique du propagandiste juif de Rome. Certains sont nés de la projection d'une figure chrétienne sur un personnage déjà existant ; par exemple, la figure de Pierre, selon toute vraisemblance, est partiellement issue d'un personnage du roman primitif : celui qui accueillit le plus jeune fils de Faustus à son arrivée en Palestine, puis servit de lien entre les différents membres de la famille. Enfin, l'apparition d'une seconde intrigue (le conflit entre Pierre et Simon) entraîna aussi celle de nouveaux personnages,

1. Voir plus haut et notamment p. 241, n. 4. 2. Sur laqueUe les jugements sont très partagés ; voir plus haut p. 246, n. 4. 3. Voir Homélies Vm, 6, 1 : « C'est pourquoi Jésus est caché aux yeux des Hébreux qui ont reçu Moïse pour docteur, et Moïse est voilé aux yeux de ceux qui croient en Jésus. Comme l'enseignement transmis par l'un et par l'autre est le même, Dieu accueille favorablement l'homme qui croit à l'un des deux. » Voir aussi Reconnaissances IV, 5,5 et 5,7-8. 4. Sur l'absence d'emploi du mot %pionavôç dans les écrits clémentins, consulter la Konkordanz de G. STRECKER, p. 401 (noms communs) et 517 (noms propres) ; en revanche, très nombreux sont les emplois du mot Xpiorôç. Voir aussi ce que dit Pierre du vrai juif en Homélies XI, 16,3-4.

254

BERNARD POUDERON

empruntés au Nouveau Testament, mais très tôt intégrés au cycle pétrinien : Simon, Corneille, Zachée, Bérénice, Lazare *.

Le nouveau fonds

polémique.

Cette seconde intrigue correspondait en fait à une nouvelle visée polémique. Le dessein du rédacteur ébionite n'était plus seulement d'illustrer la force de la providence divine et la nécessité (ou la beauté) d'une morale sexuelle exigeante, mais de présenter la doctrine de sa secte, tout en luttant contre les sectes rivales. La secte rivale par excellence, c'est la gnose « simonienne », au sens le plus large de ce terme, dont le « dithéisme » est clairement dénoncé par les hérésiologues contemporains . Mais certaines des attaques dirigées contre Simon pourraient viser Paul et le christianisme de la grande Église, jugé dithéiste par le rédacteur ébionite. Toutefois il faut bien se garder de ne voir que Paul en Simon : l'essentiel de la controverse opposant Pierre à Simon est bien dirigé contre le dualisme gnostique, et ses thèmes polémiques sont trop précis pour qu' on n' y voie que le déguisement d'attaques portées contre Paul et le christianisme de la « Grande Église ». Interrogeons-nous maintenant sur l'origine des discours de Pierre, qui sont un apport propre du rédacteur chrétien. Celui-ci nous suggère qu'il les a empruntés à un ouvrage ésotérique antérieur, les Kérygmes de Pierre, dont le Roman serait pour ainsi dire la version exotérique ; il nous en donne le p l a n et nous livre m ê m e la lettre d'envoi de l'ouvrage : YÉpître de Pierre à Jacques . Cette assertion a longtemps été tenue pour vraie, jusqu'à ce que J. Rius-Camps la réfute en s'appuyant essentiellement sur une analyse « philologique » des 2

3

4

1. Simon : Ac 8,9-25 ; Actes dePierre, passim—Corneille : Ac 10,1-48 ; Constitution apostolique VII, 46, 3 — Zachée : Le 19, 1-10 ; Constitution apostolique VII, 4 6 , 3 — Bérénice (fille de la Cananéenne) : Mt 15,21-28 ; Résurrection de Barthélémy 8,1 (confondue avec l'hémorroïse de Mt 9,20-22) ; Actes de Pilate 7,1 — Lazare : Jn 11,1-44 ; Actes de Philippe 2 0 , 3 . 2. Ce terme péjoratif (et polémique) correspondant au jugement des hérésiologues, non à celui de la critique contemporaine : Justin, Contre Marcion — chez Eusèbe, Histoire ecclésiastique IV, 11, 8 ; Irénée, Contre les hérésies I, 27, 2 ; III, 12, 12. Dans l'hérésiologie, Simon est considéré comme le premier des gnostiques dualistes, et cela dès Justin, Apologie I, 26,4-5 ; 56, 1 + 58, 1 (Ménandre et Marcion, disciples de Simon) ; Irénée, Contre les hérésies I, 23, 5 (Ménandre, disciple de Simon ; allusion à sa distinction des deux essences divines, l'une « Puissance inconnue de tous », située dans la transcendance absolue, et l'autre créatrice, représentée par des anges). Rien n'empêche donc que derrière Simon se cachent Marcion et Apellès. 3. En Reconnaissances III, 74-75. 4. D'après Épître de Pierre à Jacques 1,2 ; 3 , 1 . Voir aussi Diamarturia 1,1 ; 2,1 ; Épttre de Clément à Jacques 20 ; Reconnaissances I, 17, 2 (le livre sur le vrai Prophète) ;V, 36,4.

AUX ORIGINES DU ROMAN CLÉMENTIN

255

l

passages c o n c e r n é s . Il ne nous appartient pas de trancher le débat, mais, fidèle à notre démarche, d'avancer un argument d'ordre narratologique en faveur de l'une ou l'autre thèse. Cet argument tient à la présence dans le Roman clémentin de l'apôtre Paul, désigné c o m m e « l'homme ennemi » : dans la première lettre d'envoi, celle de Pierre à Jacques ; dans le livre I des Reconnaissances (qui semble dépendre d'une autre source que le reste du Roman) ; et dans plusieurs autres passages e n c o r e . La cohérence que l'on observe dans les attaques portées contre Paul, telles qu'elles sont dispersées dans le Roman, mais aussi leur rareté, obligent à y voir le simple résidu d'un ouvrage antérieur, que nous ne nous risquerons pas à désigner. Le rédacteur ébionite les a insérées dans son roman pour que les attaques lancées contre le « dithéisme » simonien portent aussi sur Paul : dans sa lutte contre les adversaires de la monarchie divine, il faisait pour ainsi dire coup double. 2

V. Conclusion. Telles sont donc les conclusions auxquelles nous ont amené l'acceptation de l'hypothèse du Clément juif. Les pseudo-clémentines se sont constituées par couches successives, dont les principales sont un roman païen originel, sa refonte juive, introduisant le personnage de Clément, et le remaniement chrétien, doublant l'intrigue originelle d'une seconde, la controverse de Pierre et Simon, qui fait basculer le centre de gravité du Roman du personnage de Simon à celui de Pierre. Les personnages chrétiens proviennent pour la majorité d'entre eux du roman juif, soit par emprunt direct, soit par dédoublement de personnages existants : c'est le cas de Clément,

1. Voir J. RIUS-CAMPS, op. cit., dans Revista Catalana de Teologia 1 (1976), p. 79-158 ; F. S. JONES, An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity, Pseudo-Clementine Recognitions 1. 27-71, Atlanta, Géorgie, 1995. 2. Épître de Pierre à Jacques 2,3 (« l'enseignement contraire à la Loi de l'homme ennemi ») ; Homélies H, 17,4 (le « faux Évangile prêché par un imposteur », opposé à l'Évangile prêché par Pierre) ; Homélies XVII, 14, 2 (« tu prétends savoir mieux que moi ce qui concerne Jésus pour l'avoir appris de lui-même dans une apparition » — u n e attaque adressée à Simon, mais qui vise en fait Paul) ; Homélies XVII, 19 (« si tu me traites de condamné [Kateyvoauévov], tu accuses Dieu qui m'a révélé le Christ », par allusion à Paul, Ga 2,11) ; Reconnaissances 1,70 (« l'homme ennemi » qui pousse à l'exécution de Jacques) ; Reconnaissances I, 71, 3-4 («l'homme ennemi » qui reçoit mission de persécuter les chrétiens) ; Reconnaissances III, 6 1 , 2 (passage obscur, à rapprocher cependant de Homélies II, 17,4, cité ci-dessus). Dans d'autres passages, c'est le Jésus (ou plutôt l'homme-Dieu) de Paul qui est visé à travers Simon : Reconnaissances II, 14-15 (prétention de Simon à une naissance virginale) ; Homélies XVI, 1 5 , 2 (Pierre réplique à Simon que Jésus ne s'est jamais lui-même proclamé Dieu).

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BERNARD POUDERON

d'Appion, de Bérénice (le double de Juste), de Nicète et Aquila. Les autres ont été empruntés au cycle pétrinien, tels Simon, Zachée, Corneille, et n'avaient pas de véritables correspondants dans le roman juif. La cause de ce bouleversement était la nécessité d'utiliser un support acceptable pour un enseignement difficilement acceptable, celui du judéo-christianisme ébionite. Le Roman clémentin (je veux dire le roman juif sur le Clément juif) offrait une base commode, d'abord parce qu'il était populaire (comme en atteste la multiplication des rédactions au fil des siècles), ensuite parce que son héros, Clément, était bien facile à christianiser : sous les traits du rédacteur de VÉpître aux Corinthiens, homonyme de Flavius Clemens, et disciple de Pierre par surcroît ! SOURCES ÉCRITES DU ROMAN CLÉMENTIN

A (première intrigue)

Roman païen de reconnaissances (I

er

siècle : milieu stoïcien ?) l'histoire d'une noble famille romaine frappée par le malheur : désir d'adultère, séparation forcée, tempête, dispersion ; puis sauvée par la providence divine : retrouvailles)

Roman juif (fin I

er

e

-début II siècle : origine : Alexandrie ?) (incluant les personnages de Clément (= le prosélyte Flavius Clemens) et d'Appion (= le grammairien alexandrin)

B ( s e c o n d e intrigue) Ouvrage(s) ébionite(s) ? Kérygmes de Pierres ?

v Tradition de Pierre et Simon Actes de Pierre

e

R o m a n p s e u d o - c l é m e n t i n (fin n - d é b u t m

Homélies

e

siècle)

Reconnaissances Traduction latine de Rufin d'Aquilée

LE REGARD D'ORIGÈNE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS GILLES DORIVAL

Université de Provence

Résumé Origène peut-il nous aider à faire progresser notre connaissance du judéo-christianisme ancien ? Les passages où il mentionne les ébionites et les elkésaïtes ont été souvent commentés. Sont moins connues en revanche les exégèses qu il attribue à son maître hébreu ou à des juifs qui sont manifestement hors de la mouvance rabbinique — ces dernières nous renseignent peut-être sur des interprétations judéochrétiennes. 5

Summary Can Origenes help us to increase our knowledge of ancient JudeoChristianism ? The place where he mentions Ebionites and Elkasaites have often been studied. But less well known are those commentaries he attributes to his Hebrew master or to Jews definitively foreign to any rabbinical field of influence. These last may give us informations on Judeo-Christian interpretations. Origène est un de nos plus anciens informateurs sur les juifs chrétiens . Irénée de Lyon, Tertullien, Clément d'Alexandrie, l'auteur de YÉlenchos (= Réfutation de toutes les hérésies), le précèdent de cinquante ans au plus. Où Origène donne-t-il ces informations ? Il n'a pas composé un traité en règle contre les hérésies et les sectes chrétiennes ; certes, nous possédons de lui Y Entretien avec Héraclide, où il réfute une hérésie apparue en Arabie selon laquelle l'âme meurt en m ê m e temps que le corps et revivra avec lui au moment de la l

1. Sur la question générale des rapports entre juifs et chrétiens chez Origène et la question plus particulière des juifs chrétiens, voir N. DE LANGE, Origen and the Jews. Studies in Jewish-Christian Relations in Third-Century Palestine, Cambridge, 1976, notamment p. 35-36.

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GILLES DORIVAL

résurrection ; certes, nous savons qu'il avait rédigé un Entretien avec le valentinien Candidus, sans doute un Entretien avec Bérylle de Bostra et un traité Des natures, dirigé contre les gnostiques ; mais il ne semble pas qu'Origène ait consacré aux juifs chrétiens un ou plusieurs ouvrages particuliers : dans ses œuvres, il est question d'eux à l'occasion. L'exposé le plus systématique qui nous soit parvenu est un fragment du Commentaire sur la lettre à Tite qui, précisément, commente Tite 3 , 10 (« L'homme hérétique, après une première et une deuxième admonestation, écarte-le ») ; il y a là en effet une bonne accroche pour un exposé hérésiologique en forme ; j ' aurai l'occasion de revenir sur cet exposé, dont Alain Le Boulluec a donné un excellent commentaire . Quels sont les juifs chrétiens que mentionne Origène ? Avant tout les ébionites, une seule fois les elkésaïtes ; il parle également d'un Évangile selon les Hébreux, qui semble avoir circulé dans un milieu judéo-chrétien ; il se réfère encore à des interlocuteurs hébreux, dont certains semblent être des juifs chrétiens. En revanche, Origène ne parle jamais des nazoréens, ni des nazaréens, ni des cérinthiens, ni des symmachiens, ni des autres sectes judéo-chrétiennes que nous fait connaître Épiphane de Salamine. Beaucoup de ces témoignages d'Origène ont été commodément réunis et commentés par A. F. J. Klijn et G. J. Reinink . Toutefois, j e n'ai pas retenu deux de leurs dix-neuf textes relatifs aux ébionites : (1) Le Traité des principes, Préface 8, donne une citation de la Doctrine de Pierre où le Sauveur déclare à ses disciples : « Je ne suis pas un démon incorporel » ; en effet, rien n'indique que cet écrit ait circulé dans des milieux judéo-chrétiens ; cette affirmation figure pour la première fois chez J é r ô m e . (2) Le Commentaire sur Matthieu X V I , 16, où il est question du texte de Za 9, 9 (« monté sur une ânesse et son petit ânon »), dans la Septante, Aquila, Théodotion, Symmaque et la cinquième édition ; aucune allusion aux juifs chrétiens ne figure dans ce texte, qui a été retenu sans doute parce qu'il y est question de pauvreté et qu'Origène a l'habitude de rapprocher les ébionites du mot hébreu signifiant pauvreté ; mais la pauvreté est ici celle de 2 Co 8, 9 (Jésus « de riche s'est fait pauvre pour nous, afin de vous enrichir de sa pauvreté »), un texte que les ébionites hostiles à Paul ne pouvaient pas citer. Origène fait également connaître deux passages de la littérature l

2

3

L A . L E BOULLUEC, La Notion d'hérésie dans la littérature grecque (irur siècles), Paris, 1985, p. 524-538. 2. A . F . J. KLUN-G. J. REININK, Patristic Evidence for Jewish-Christian Sects, Leyde, 1973, p. 23-25 (sur les ébionites), p. 60-61 (sur les elkésaïtes), p. 124-135 (textes et traductions). 3. Voir F . BOVON-P. GEOLTRAIN (ÉD.), Écrits apocryphes chrétiens, Paris, 1997, p. 463-465.

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

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pseudo-clémentine, dont on sait qu'elle est d'origine judéochrétienne : 1. Le chapitre 23 de la Philocalie, qui est consacré à la réfutation de l'astrologie et qui est essentiellement fait d'un long extrait du tome m du Commentaire de la Genèse, s'achève par une cinquantaine de lignes explicitement tirées du logos 14 des Periodoi de Clément de Rome. Cet ouvrage ne nous est pas parvenu, mais il a été utilisé par les Reconnaissances, œuvre connue seulement par la traduction latine de Rufin ; le passage cité par Origène correspond à Reconnaissances X, 1 0 , 7 - 1 3 , 1 . 2. La traduction latine du Commentaire sur Matthieu, séries 77 contient une citation de « Pierre chez Clément » : « les œuvres bonnes qui sont faites par les incroyants leur sont utiles en ce monde-ci, mais non en ce monde-là pour obtenir la vie éternelle ». Ce passage a un correspondant en Reconnaissances X, 2. En fait, ces deux textes ne peuvent entrer dans mon propos. D'abord, il n'est pas sûr que les deux citations reviennent à Origène lui-même : la première est souvent attribuée aux Philocalistes, la seconde au traducteur l a t i n . Ensuite, et surtout, aux yeux du citateur, quel qu'il soit, les deux extraits sont de Clément de Rome ; ils ne sont jamais mis en rapport avec un milieu judéo-chrétien ; à supposer m ê m e qu'Origène soit le citateur, ils attestent seulement que, vers 2 3 0 - 2 5 0 , la littérature que nous qualifions de pseudoclémentine était considérée c o m m e l'œuvre authentique de Clément de Rome. l

I. LES ÉBIONITES

A. Les textes. Sauf erreur, Origène mentionne les ébionites quatorze fois, dans des passages appartenant à dix œuvres différentes. Origène les appelle ébionéens f E p i œ v a ï o i ) . Je vais examiner ces passages selon l'ordre chronologique des œuvres d'Origène tel qu'il a été établi par P. N a u t i n . À chaque fois, j e proposerai un commentaire, qui s'efforcera de faire ressortir ce qu'Origène nous apprend des ébionites. Je récapitulerai sous forme d'un bilan toutes ces informations, en essayant de faire ressortir l'originalité d'Origène par rapport aux hérésiologues qui l'ont précédé. 2

1. Voir É. JUNOD, Origene. Philocalie 21-27. Sur le libre arbitre, Paris, 1976, p. 25-33 (SC226). 2. P. NAUTIN, Origène. Sa vie et son œuvre, Paris, 1977.

260 1. Traité des principes

GILLES DORIVAL

IV, 3 , 8 (24).

Le Traité des principes date de 229-230. Dans le traité consacré à l'inspiration des Écritures et à la manière de les comprendre, Origène distingue les Israélites corporels, dont le Pentateuque nous raconte l'histoire, des Israélites spirituels, qui renvoient à une histoire des âmes : Si ce que nous avons dit au sujet d'Israël, de ses tribus et de ses dèmes est frappant, lorsque le Sauveur dit : « Je n'ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d'Israël » (Mt 15,24), nous ne comprenons pas cela comme les ébionites pauvres en intelligence, qui tirent leur nom de leur intelligence pauvre (car le pauvre est appelé ebiôn chez les hébreux), au point de concevoir que le Christ est venu à titre principal pour les Israélites charnels. Car « Non, les enfants de la chair, ceux-là ne sont pas les enfants de Dieu » (Rm 9,8). Ce passage mérite plusieurs commentaires. D'abord, Origène connaît l'étymologie du mot « ébionite », qui est effectivement fabriqué sur le mot hébreu signifiant « pauvre ». Ensuite, fidèle à luim ê m e , il donne à ce mot un sens spirituel : les ébionites ne sont pas des pauvres au sens matériel, mais au sens intellectuel, des pauvres par l'intelligence. Il nous apprend encore que les ébionites utilisaient l'Évangile selon Matthieu, sans toutefois dire, c o m m e Irénée {Contre les hérésies I, 26, 2 ; m, 11, 1), qu'ils se servaient de ce seul Évangile. Surtout, il nous fait connaître l'exégèse qu'ils donnaient de Mt 1 5 , 2 4 et leur oppose sa propre interprétation : selon eux, les brebis perdues de la maison d'Israël étaient à titre principal les juifs ; nous pouvons en conclure que, pour eux, le Christ était venu sauver à titre secondaire les païens. Origène, argumentant à partir de l'Apôtre, exclut radicalement toute interprétation corporelle de ce type : bien que le texte soit peu explicite, on peut penser que, pour Origène, les brebis perdues de la maison d'Israël forment une race d'âmes jouant un rôle dans l'histoire des âmes \ On remarque qu'Origène utilise contre les ébionites Paul, que ces derniers n' admettaient pas ; la réfutation origénienne ne les aurait sûrement pas convaincus.

1. La traduction de Rufin est fidèle à l'esprit d'Origène et elle est plus claire sur la fin que le passage grec, qui est peut-être abrégé : « Ayant donc appris de lui (F Apôtre) qu'il y a un "Israël selon la chair" (1 Co 10,18) et un autre selon l'esprit, quand le Sauveur dit : "Je n'ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d'Israël" (Mt 15,24), nous ne prenons pas ces mots dans le même sens que ceux qui ont des pensées terrestres, c'est-à-dire les ébionites, qui par leur nom aussi sont appelés pauvres (car ebion en hébreu veut dire "pauvre") ; mais nous comprenons qu'il existe une race d'âmes qui portent le nom d'Israël, etc. » (IV, 3 , 8 (24)).

LE REGARD D'ORIGÈNE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

261

2. Homélie 3 sur la Genèse 5. Les Homélies sur la Genèse semblent avoir été prononcées entre 2 3 9 et 2 4 2 . Elles sont connues par la traduction de Rufin. [...] Car nous devons réfuter au sujet de la circoncision de la chair non seulement les juifs charnels, mais aussi certains de ceux qui ont reçu le nom du Christ et qui, pourtant, pensent qu'il faut admettre la circoncision chamelle, comme les ébionites et ceux qui, semblables à eux par la pauvreté de l'intelligence, sont dans l'erreur. L'intérêt de ce texte est double. D'abord, il ne fait pas de doute qu'aux yeux d'Origène, les ébionites sont des chrétiens, m ê m e si, à cause de leur pratique de la circoncision, ils sont dans l'erreur. En second lieu, Origène connaît d'autres chrétiens qui pratiquent la circoncision ; malheureusement, il ne les nomme pas ; il peut s'agir de n'importe quel groupe judéo-chrétien, puisqu'il semble que les nazoréens, les cérinthiens, les elkésaïtes et les autres judéo-chrétiens pratiquaient la circoncision. Nous verrons que, dans d'autres textes postérieurs aux Homélies sur la Genèse, Origène parle de deux sortes d'ébionites : on peut faire l'hypothèse que les juifs chrétiens anonymes de notre texte deviennent par commodité l'une des deux sortes d'ébionites.

3. Homélie 19 sur Jérémie

12.

Origène a prononcé ses Homélies sur Jérémie dans les années 239-242. Dans le passage qui va suivre, il commente Jérémie 20, 2 (« Et (Paskhôr) battit Jérémie le prophète ») : Or il est écrit dans les Actes que quelqu'un « a battu » Paul sur l'ordre d'Ananias le grand prêtre ; c'est pourquoi Paul a dit : « Dieu va te frapper, rempart crépi » (Ac 23, 2-3) ; et aujourd'hui encore, commandés par un grand prêtre illégitime du Logos, les ébionites frappent l'apôtre de Jésus Christ par des paroles diffamatoires, et Paul dit à un tel grand prêtre du Logos : « Dieu va te frapper », et un tel grand prêtre du Logos, en surface « beau » (voir Mt 23, 27) et « rempart crépi », « à l'intérieur est plein d'ossements morts et d'impuretés de toute sorte » (Mt 23,27). Ce texte elliptique demande quelques éclaircissements. Selon Origène, les juifs de l'époque de Paul et les ébionites de son temps partagent une caractéristique : leur antipaulinisme. À l'époque de Paul, cet antipaulinisme s'est traduit par des coups donnés par les juifs à l'Apôtre ; deux siècles après, il s'exprime par des paroles qui diffament Paul. Origène n'en dit pas plus, mais nous savons par Irénée (Contre les hérésies I, 26) et Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique III, 27, 4) que les ébionites, qui rejetaient complètement les lettres de Paul, traitaient l'apôtre d'apostat de la Loi ;

262

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Origène fait au minimum allusion à cette injure qu'il considère évidemment c o m m e diffamatoire. Mais peut-être va-t-il plus loin et connaît-il les ragots antipauliniens dont parle Épiphane de Salamine (Panarion X X X , 16, 8 et 2 5 , 1) : les ébionites faisaient naître Paul d'un père et d'une mère grecs ; monté à Jérusalem, il aurait voulu épouser la fille du grand prêtre ; il serait alors devenu un prosélyte et se serait fait circoncire ; mais il n'aurait pas obtenu la jeune fille et, par colère, aurait écrit contre la circoncision, le sabbat et la Loi. L'expression « grand prêtre du L o g o s » appliquée au chef des ébionites est délicate à interpréter. S'agit-il du titre que portait réellement c e chef religieux ? Si tel était le cas, Origène nous donnerait un renseignement inédit. Mais il est plus probable que c e titre est une création d'Origène lui-même, destinée à faire pendant au titre de « grand prêtre » que porte Ananias ; plus exactement, Origène a sûrement en tête le verset 4 de A c 2 3 , où l'entourage d'Ananias dit à Paul : « Tu injuries le grand prêtre de Dieu. » Les mots « grand prêtre du L o g o s » font clairement écho à cette expression. On est toutefois surpris qu'Origène utilise le mot « L o g o s » pour parler des ébionites ; en effet, c e terme qui, depuis l'Évangile selon Jean, évoque la préexistence du Christ auprès de Dieu de toute éternité, ne paraît pas avoir été utilisé dans la théologie ébionite, bien au contraire : dans son Histoire ecclésiastique BŒ, 27, 3, Eusèbe de Césarée, qui peut tenir ses renseignements sur les ébionites d'une tradition remontant à Origène lui-même, explique qu'ils « ne reconnaissent pas que le Seigneur préexiste en tant que Dieu Logos et S a g e s s e ». Dans c e s conditions, on peut se demander si le mot « Logos » ne fonctionne pas c o m m e une sorte d'étiquette, qui permet de désigner quiconque se réclame de Jésus Christ. Le mot est d'ailleurs contrebalancé par l'adjectif « illégitime ». Ainsi, en utilisant le substantif « Logos », Origène reconnaît que les ébionites sont des chrétiens ; mais, en ajoutant l'adjectif « illégitime », il les range parmi les hérétiques. On peut sans doute aller un peu plus loin : pour Origène, le caractère illégitime (Tiapdvoixoç) des ébionites consiste dans le fait qu'ils continuent à vivre sous la Loi juive, et non sous celle de Jésus Christ. U n dernier trait mérite d'être relevé : Origène dirige contre les ébionites un verset de Matthieu, le seul Évangile reconnu par c e s derniers. Cela contraste avec le passage du Traité des principes analysé plus haut, où Origène utilisait Paul à leur encontre, c e qui ne pouvait les convaincre puisqu'ils n'admettaient pas l'Apôtre. 1

1. É . GRAPIN, Eusèbe, Histoire ecclésiastique, Paris, 1905, ad locum, traduit : « ils n'admettaient pas sa préexistence, quoiqu'il fût le Verbe divin et la Sagesse ». Mais on ne voit pas comment Jésus, s'il est le Verbe divin et la Sagesse, pourrait ne pas être préexistant.

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

263

L'argumentation est donc plus serrée, et il y a peut-être m ê m e un trait d'ironie de la part d'Origène. 4. Homélie

1 surLuc

1.

Les Homélies sur Luc paraissent avoir été prêchées entre 239 et 242. N o u s les connaissons en latin, grâce à une traduction de Jérôme. Origène commente Le 1, 1 (« Beaucoup ont entrepris de mettre en ordre le récit relatif aux faits qui se sont avérés chez nous ») : L'Église a quatre Évangiles, l'hérésie un très grand nombre, parmi lesquels l'un est écrit selon les Égyptiens, un autre d'après les Douze Apôtres. Basilide lui aussi a osé écrire un Évangile et l'intituler de son nom. A u texte de Jérôme correspond en partie un fragment grec des chaînes, qui parle de « l'Évangile selon les Égyptiens », de « l'Évangile des D o u z e » et de « l'Évangile selon Basilide ». Le premier et le troisième de ces textes ne nous intéressent pas, puisqu'ils n'ont pas circulé dans des milieux judéo-chrétiens. En revanche, la question se pose de savoir si l'Évangile des Ébionites, dont sept fragments sont connus par Épiphane de Salamine, ne s'appelait pas « Evangile des D o u z e » ; en effet Épiphane explique que les ébionites utilisent un Évangile selon Matthieu incomplet, abâtardi et mutilé, où se trouve le passage suivant : Il y eut un homme du nom de Jésus — et il avait environ trente ans — qui nous choisit. Et il alla à Capharnaum et il entra dans la maison de Simon surnommé Pierre et, ouvrant sa bouche, il dit : « En passant le long du rivage de Tibériade, j'ai choisi Jean et Jacques, les fils de Zébédée, Simon, André, [lacune] Thaddée, Simon le Zélote, Judas l'Iscariote ; et toi Matthieu qui étais assis à la perception, je t'ai appelé et tu m'as suivi. Donc je veux que vous soyez les douze apôtres en témoignage pour Israël » (Panarion XXX, 13,2-3). Dans ce texte, où il y a une lacune de quatre noms d'apôtres, Matthieu apparaît c o m m e le porte-parole des D o u z e ; c'est en leur n o m qu'il s'exprime, à la première personne du pluriel (« il nous choisit ») ; et c'est aux D o u z e que Jésus confie la mission particulière de témoigner auprès d'Israël. Le titre d'« Évangile des D o u z e » convient donc bien à l'Évangile ébionite. Certes Origène n'affirme pas explicitement que ces deux textes n'en font qu'un, mais la confrontation entre lui et Épiphane permet de proposer cette identification.

264 5. Homélie

GILLES DORIVAL

17surLuc2.

Origène commente Le 2 , 2 4 : Syméon dit à Marie au Temple : ton enfant « sera un signe auquel il est contredit » (littéralement : « un signe contredit »). Il est contredit à tout ce que raconte l'histoire du Sauveur. La Vierge est mère, c'est un signe auquel il est contredit : les marcionites contredisent ce signe et affirment qu'il n'a pas du tout été engendré d'une femme ; les ébionites contredisent le signe, en disant qu'il est né d'un homme et d'une femme tout comme nous aussi nous sommes nés. Selon Origène, le miracle de la naissance virginale de Jésus est nié par les marcionites et les ébionites. Le Contre Marcion (IV, 7 , 1 ) de Tertullien permet d'éclairer ce qui est dit ici : selon Marcion, au heu de naître c o m m e les hommes, le Christ envoyé par le Dieu bon est descendu directement du ciel dans la synagogue de Capharnaum (Le 4 , 3 1 ) . Les ébionites représentent une autre forme de la négation de la naissance virginale, qui consiste à affirmer qu'il est le fruit de l'union conjugale de ses parents. Cette opinion d'Origène est corroborée par Irénée et l'auteur de VÉlenchos : le premier affirme que les ébionites voyaient en Jésus un pur homme, né de Joseph (Contre les hérésies m, 2 1 , 1) ; pour le second, ils avaient sur sa naissance la m ê m e opinion que Carpocrate et Cérinthe, qui faisaient de Jésus le fils de Joseph (Élenchos VII, 32-34). U n aspect étonnant de cette présentation hérésiologique mérite d'être relevé : d'après Irénée, les ébionites n'admettaient que le seul Évangile selon Matthieu ; Origène signale, on l'a vu, qu'ils utilisaient Matthieu, sans aller jusqu'à l'affirmation d'Irénée. Or, le chapitre 1 de Matthieu insiste sur la naissance virginale de Jésus, que les ébionites refusent. D è s lors, comment Matthieu peut-il être leur Évangile de référence ? Plusieurs hypothèses ont été avancées : le Matthieu des ébionites n'aurait pas contenu le récit de l'enfance de Jésus, dont il semble bien qu'il a été adjoint à l'Évangile en un second temps ; ou bien encore, il s'agirait du Matthieu hébreu ou araméen dont parle Papias, ce qui conviendrait bien à ce groupe araméophone ; ou encore, à en croire Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique III, 27), il s'agirait de Y Évangile selon les Hébreux ; le m ê m e renseignement se Ut chez Épiphane (Panarion X X X , 3 , 7 ) , qui identifie explicitement cet Évangile avec le Matthieu « e n lettres hébraïques » ; mais Origène, qui connaît et cite cet Évangile, ne le met jamais en relation avec les ébionites. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce problème.

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

6. Commentaire

265

sur la lettre aux Romains HI, 11.

Le Commentaire, qui a été écrit vers 2 4 3 , est connu par la traduction de Rufïn. Origène commente R m 3 , 3 1 : « Donc, abolissons-nous la Loi par la foi ? A Dieu ne plaise, mais nous conservons la Loi. » Le Sauveur dit dans les Évangiles : « Moïse a écrit à mon sujet » (Jn 5,46). Donc qui ne croit pas au Christ, au sujet duquel Moïse a écrit dans la Loi, détruit la Loi ; au contraire, qui croit au Christ, au sujet duquel Moïse a écrit, affermit la Loi par la foi, parce qu'il croit dans le Christ. Or nous disons que la foi intègre, pleine, parfaite, dans le Père, le Fils et l'Esprit saint est celle qui ne professe rien de divers, rien de différent ou d'étranger dans la Trinité. Car Marcion, qui dit qu'autre est le Dieu de la Loi, autre le Père du Christ, par sa foi ne conserve ni n'affermit la Loi, mais la détruit. Cela, Ébion le fait aussi ; cela, le font aussi tous ceux qui introduisent dans la foi catholique un élément de corruption. On retrouve ici le parallèle entre Marcion et les ébionites que faisait Y Homélie 17 sur Luc. Il y a cependant deux différences de taille : 1. Dans notre passage, les ébionites deviennent Ébion. Il est question de c e fondateur imaginaire des ébionites chez Tertullien (Sur la prescription des hérétiques X , 8 ; XXXIII, 3-5 et 11 ; Sur le voile des vierges 6 , 1 ; Sur la Chair du Christ 14 et 18), l'auteur de YÉlenchos (VII, 35, 1), le Pseudo-Tertullien (Contre toutes les hérésies 3 ; Chant I), Victorin de Poetovio (Commentaire sur VApocalypse XI), Alexandre d'Alexandrie (Lettre IX), Hilaire de Poitiers (Sur la Trinité 1,26 ; II, 4 et 23 ; VII, 3 et 7), Optât de Milève (Sur le schisme donatiste TV, 5), Épiphane de Salamine (Panarion X X X passim), etc. Mais notre passage est le seul de toute l'œuvre d'Origène où il soit question d'Ebion. D è s lors, il y a deux hypothèses : ou bien, dans le texte original, Origène parlait des ébionites, auxquels Rufîn, en bon hérésiologue convaincu que toute hérésie a un père, a substitué Ébion, ou bien l'ensemble de la phrase sur Ébion est une interpolation due à Rufin. Est-il possible de trancher entre ces deux hypothèses ? 2. Les ébionites sont mis dans le m ê m e sac que Marcion : c o m m e ce dernier, ils auraient professé que le Dieu de la Loi est autre que le Père de Jésus ; cela est évidemment faux. Mais peut-être que Rufin n'a pas reproduit toute la phrase qu'Origène consacrait aux ébionites. Peut-on reconstituer cette phrase ? On note qu'il y a un énorme paradoxe à affirmer que les ébionites détruisent la Loi, eux dont Origène nous montre dans d'autres passages que leur tort est de lui rester fidèles à la lettre. D è s lors, on doit faire l'hypothèse que la phrase : « Cela, Ébion le fait aussi » résulte d'une intervention de Rufin.

266 7. Commentaire

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sur Tite.

Il a sans doute été composé vers 2 4 3 . Le fragment qui suit est connu par VApologie pour Origène d'Eusèbe et de Pamphile, qui nous est parvenue en latin grâce à la traduction de Rufin. Origène commente Tite 3 , 1 0 (« L'homme hérétique, après une première et une seconde admonestation, écarte-le »). Il examine d'abord les hérésies sur Dieu le Père et conclut ainsi : Et s'il était vrai que celui qui pense sur Dieu le Père autrement que l'expose la règle de piété, celui-là seul devrait être tenu pour hérétique, assurément ce qui vient d'être dit suffirait. Mais en réalité la même et identique appréciation doit être portée aussi sur celui qui a pensé quelque chose de faux à propos de notre Seigneur Jésus Christ, soit en accord avec ceux qui disent qu'il est né de Joseph et Marie, comme le font les ébionites et les valentiniens, soit en accord avec ceux qui nient qu'il soit « premier-né », et Dieu de « toute la création » (Col 1, 15), et Verbe, et Sagesse qui est « commencement des voies » de Dieu, avant que quelque chose soit, « fondée avant les siècles », « engendrée avant toutes les montagnes » (Pr 8,22-25), mais qui disent qu'il est seulement un homme, soit en accord avec ceux qui confessent qu'il est Dieu, mais que cependant il n'a pas pris l'âme et le corps terrestre : eux qui, sous l'apparence de décerner au Seigneur Jésus une gloire prétendument plus grande, affirment que tout ce qui a été accompli par lui semble être accompli plutôt qu'il n'a été vraiment accompli ; et qui ne confessent pas qu'il est né d'une vierge, mais qu'il est apparu en Judée comme homme de trente ans. D'autres croient assurément qu'il a été engendré d'une vierge, mais ils assurent que la Vierge a plutôt pensé qu'elle avait enfanté, mais qu'elle n'a pas vraiment enfanté. Ils affirment encore que le mystère de la génération putative a échappé à la Vierge. Ce passage a été analysé par Alain Le Boulluec, qui en a bien dégagé l'aspect artificiel : aux deux premières hérésies qui consistent à nier la divinité de Jésus s'opposent les deux dernières qui nient son humanité ; les ébionites et les valentiniens, pourtant si éloignés les uns des autres, sont réunis artificiellement pour former la première hérésie, parce que, sur le point particulier de la naissance de Jésus, leurs doctrines se ressemblent ; la deuxième hérésie rappelle ce qu'Eusèbe dit de la seconde sorte d'ébionites (Histoire ecclésiastique III, 2 7 , 3 ) , ceux qui acceptent la naissance virginale, mais nient la préexistence du Logos ; certes, Origène ne dit pas que les hérétiques visés ici acceptent la naissance virginale ; il dit m ê m e qu'ils font de Jésus un simple homme ; mais le mouvement m ê m e du texte suggère que l'humanité à laquelle ils réduisent Jésus consiste dans le refus de lui attribuer les titres de Logos préexistant, de Premier-né et 1

1. A . L E BOULLUEC, op. cit., Paris, 1 9 8 5 , p. 5 2 6 - 5 3 0 .

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

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de Sagesse ; en d'autres termes, il se pourrait bien que la seconde catégorie d'hérétiques ait professé la naissance virginale.

8. Contre Celse II, 1. Le Discours vrai de Celse commence par deux prosopopées : dans la première, un juif s'adresse à Jésus et lui fait toutes sortes de reproches ; dans la seconde, le juif s'adresse à ceux qu'il appelle JcoAïxai, « concitoyens », et leur demande pourquoi ils ont abandonné la loi de leurs pères et se sont laissés séduire par Jésus. L e livre I du Contre Celse, composé par Origène vers 249, est consacré à l'examen de la première prosopopée ; le livre H, à celui de la seconde. A u début de ce livre, Origène affirme que la seconde prosopopée est dirigée, non contre les croyants issus des nations, mais « contre ceux du peuple des juifs qui ont cru en Jésus ». Cette affirmation est évidemment intéressante, car, dans les travaux consacrés aux juifs chrétiens, on ne retient pas d'ordinaire le Discours vrai parmi les sources qui nous font connaître ce courant. Si Origène a raison, il y aurait là une source à exploiter. Mais a-t-il raison ? En fait, Origène a été abusé par le mot TcoAIxai ; pour lui, ce mot indique que le juif et ses interlocuteurs ont part à la m ê m e citoyenneté : les icoAXxai ne peuvent être que des juifs chrétiens. Mais quand on lit les fragments de Celse, on se rend compte que, c o m m e le signale Origène lui-même dans le passage qui nous intéresse, ils visent les chrétiens en général, et, parmi eux, plutôt les pagano-chrétiens. Le juif parle de « concitoyens » parce qu'aux yeux de Celse, les juifs et les chrétiens ont la m ê m e origine ; dans la suite, Celse expliquera que les chrétiens ont fait sécession par rapport à leur origine juive. D'ailleurs, au fur et à mesure que le livre II avance, Origène se rend compte de son erreur et, au début du livre III, où il résume son livre H, il dit que la prosopopée du juif était dirigée « contre nous, les gens qui croyons en Dieu par le Christ ». Voici le passage sur les ébionites : Donc, ce que Celse dit à ceux qui, venus des juifs, croient, il faut le comprendre. Il dit qu'ils ont abandonné la loi de leurs pères parce qu'ils ont été séduits par Jésus, qu'ils ont été trompés de manière tout à fait risible et qu'ils ont été transfuges en passant à un autre nom et un autre genre de vie. C'est qu'il n'a pas du tout compris que ceux qui, venus des juifs, croient au Christ n'ont pas abandonné la loi de leurs pères ; en effet ils vivent selon elle, eux qui ont obtenu leur nom de la pauvreté interprétative de la Loi ; car Ébiôn est le nom du pauvre chez les juifs, et ceux qui, venus des juifs, ont reçu Jésus comme Christ sont qualifiés d'ébionites. Ce fragment ne nous apprend rien de neuf sur les ébionites ; il recoupe le passage du Traité des principes, qui est plus riche. En fait, l'intérêt de ce fragment, c'est qu'Origène, abusé par le mot

268

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« concitoyens », pense que Celse vise dans sa description les juifs chrétiens ; et il n'a pas de mal à lui rétorquer que les juifs chrétiens, les ébionites, n'ont pas abandonné la loi de leurs pères. Il estime ainsi le prendre en flagrant délit d'erreur et démontrer son incompétence. Mais en fait Celse ne songeait nullement aux ébionites, mais aux chrétiens en général, c'est-à-dire plutôt aux pagano-chrétiens.

9. Contre Celse V, 6 1 . Celse affirme que les juifs et les gens de la Grande Église ont le m ê m e Dieu. Cependant, il est au courant de l'existence d'autres chrétiens qui pensent qu'il y a un autre Dieu, opposé à celui-là, et que le Fils est venu de lui ; d'autres encore distinguent les psychiques et les pneumatiques ; d'autres se proclament gnostiques ; d'autres reçoivent Jésus, mais vivent selon la loi des juifs ; il y a encore les sibyllistes, les simoniens, les marcelliniens, les harpocratiens \ les disciples de Mariamme, les disciples de Marthe et les marcionites. C'est le passage relatif aux chrétiens juifs qui nous intéresse : Soit ! Certains aussi reçoivent Jésus ; à cause de cela ils se targuent d'être chrétiens ; mais ils veulent encore vivre selon la loi des juifs comme les foules des juifs ; or ces gens-là sont les deux types d'ébionites, ceux qui reconnaissent comme nous que Jésus est né d'une vierge et ceux qui ne le reconnaissent pas, mais affirment qu'il est né comme les autres hommes. Les mots en italiques ont Celse pour auteur : il connaît l'existence de chrétiens qui pratiquent la Loi juive. Soucieux de montrer qu'il en sait plus que Celse et qu'il est plus compétent que ce demi-compétent, Origène affirme que ces gens qui se targuent d'être chrétiens forment en fait deux groupes qui portent le m ê m e nom d'ébionites : le premier, qu'on peut qualifier d'orthodoxe, professe la naissance virginale de Jésus ; le second, hétérodoxe, fait de Jésus un h o m m e c o m m e les autres. En d'autres termes, la première sorte d'ébionites se caractérise par son orthodoxie (la naissance virginale) et son hétéropraxie (la pratique de la Loi juive) ; la deuxième sorte, par son hétérodoxie et son hétéropraxie. Origène est le premier parmi les écrivains chrétiens à parler des deux sortes d'ébionites ; il sera suivi sur ce point par Eusèbe de Césarée, qui dépend certainement de lui. Pour Irénée, les ébionites voyaient en Jésus un pur homme, né de Joseph (Contre les hérésies III, 2 1 , 1) ; l'auteur de VÉlenchos dit qu'ils ont sur sa naissance la m ê m e opinion que Carpocrate et Cérinthe, qui faisaient de Jésus le fils de Joseph (VII, 32-34). Ainsi les ébionites d'Irénée et de l'auteur de VÉlenchos peuvent être identifiés à la seconde sorte d'ébionites dont parle Origène. D è s lors, avec quel groupe faut-il

1. Erreur pour les carpocratiens ?

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

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identifier la première sorte d'ébionites ? D e u x hypothèses ont été avancées : 1. Ils pourraient être des juifs chrétiens faisant partie de la Grande Église ; certes, dans son Homélie 10 sur le Lévitique, Origène s'adresse « à ceux qui pensent que, en vertu du commandement de la Loi, il leur faut pratiquer eux aussi le jeûne des juifs » ; mais il n'est pas sûr que ces jeûneurs aient dans la réalité fréquenté la m ê m e église qu'Origène ; ils avaient peut-être leur lieu de culte spécifique ; de plus, le texte du Contre Celse est muet sur cette appartenance à la Grande Église. 2. Ils pourraient être un groupe de juifs chrétiens égyptiens ayant rejoint les ébionites et utilisant un Évangile favorable à la naissance virginale de Jésus et qui n'est pas nécessairement l'Évangile selon les H é b r e u x . Cette hypothèse manque de fondements dans le Contre Celse. On peut avancer deux autres propositions : 1. On pourrait les identifier avec les nazoréens ; certes, on peut être surpris qu'Origène ne les désigne pas par ce n o m ; mais ce dernier, qui existe dans le Nouveau Testament, ne réapparaît dans la littérature patristique qu'à la fin du rv siècle chez Joseph de Tibériade, Épiphane et Jérôme, sous la forme « nazoréens » ou « nazaréens » ; Epiphane souligne leur orthodoxie et leur hétéropraxie, ce qui peut correspondre à la description du Contre Celse. 2. A u contraire, on peut être sensible au fait qu'Origène énumère les ébionites parmi d'autres hérétiques et on peut tirer de ce fait que l'orthodoxie de la première sorte d'ébionites a des chances de se limiter à la naissance virginale de Jésus ; dans ces conditions, on pourrait les identifier aux elkésaïtes. Je reviendrai sur cette hypothèse quand il sera question des elkésaïtes. 1

2

e

3

10. Contre Celse V, 65. Celse critique les différents courants chrétiens « qui s e réfutent eux-mêmes très honteusement par leurs querelles ». Origène réplique : Étant donné que Celse dit que Von entendra tous ceux qui sont séparés à ce point dire : «r Le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde » y

1. H. J. SCHOEPS, Théologie und Geschichte des Judenchristentums, Tubingen, p. 1 6 . 2 . A . F . J. KLIJN-G. J. REININK, op. cit., Leyde, 1 9 7 3 , p. 2 5 . 3 . Voir S . C. MIMOUNI, « Les nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 1 0 5 ( 1 9 9 8 ) , p. 2 0 8 - 2 6 2 . Le terme « Nazaréniens » (Nazareni) qui figure chez Tertullien, Contre Marcion IV, 8 , traduit le mot du Nouveau Testament NaÇapnvôç, qui signifie sans doute (mais cela est discuté) « originaire de Nazareth » ; les « Nazaréniens » doivent donc être distingués des nazoréens ou nazaréens. 1949,

270

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(Ga 6, 14), nous réfuterons ce propos lui aussi comme mensonger. En effet il y a des sectes qui n'admettent pas les Lettres de l'Apôtre, comme les deux types d'ébionites et ceux qu'on appelle encratites. Donc ceux qui ne se servent pas de l'Apôtre comme d'un bienheureux et un sage n'ont pas pu dire : « Le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde. » Voilà pourquoi Celse ment en cela. Celse affirme que les différents courants chrétiens, quelle que soit leur désunion, ont un point commun, celui de se réclamer de Ga 6 , 1 4 . Origène n'a pas de mal à le prendre en flagrant délit d'incompétence, en faisant observer que les deux sortes d'ébionites et les encratites athétisaient Paul. Le refus ébionite de Paul figure déjà chez Irénée (Contre les hérésies 1,26).

11. Fragment 2 1 2 du Commentaire

sur Luc.

Le Commentaire sur Luc date de 2 4 9 ; les fragments qui figurent dans les chaînes sur Luc peuvent provenir soit de ce Commentaire, soit du Commentaire sur Matthieu (qui a été composé à la m ê m e époque), soit des Homélies sur Matthieu, soit encore des Homélies sur Luc (qui ont toutes été prononcées entre 239 et 242) ; toutefois, notre fragment commente Le 14, 19 (« J'ai acheté cinq paires de bœufs et j e pars les essayer »), qui est un verset absent de Matthieu ; il provient donc soit des Homélies sur Luc, soit plutôt du Commentaire sur Luc. Celui qui a acheté cinq paires de bœufs, celui-là n'avait pas essayé dès le début ce qu'il avait acheté ; or il est celui qui néglige la nature intelligible, mais qui philosophe sur les choses sensibles, comme les juifs ébionites. Il n'est pas sûr que le texte soit bien transmis : dans la première phrase, le grec o w œ ç n'offre pas un sens satisfaisant et doit sûrement être corrigé en o w o ç (« celui-là ») ; dans la dernière phrase, l'expression « les juifs ébionites » est tout à fait isolée chez Origène : faut-il lire « les juifs et les ébionites » ? En tout cas, les ébionites sont mis du côté du sensible, de la lettre, et non du côté de l'intelligible, du spirituel. L'invité de la parabole qui refuse d'aller au festin sous le prétexte d'essayer les cinq paires de bœufs qu'il a achetées est la figure de ces ébionites : il aurait dû essayer les bœufs (les choses sensibles) dès le début, avant de les acheter ; sa conduite l'empêche de se consacrer aux choses intelligibles, c'est-à-dire de se rendre au festin.

12. Commentaire Le Commentaire

sur Matthieu XI, 12. sur Matthieu a été écrit vers 249.

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

271

Et il appela la foule et il leur dit : « Écoutez et comprenez, etc. » (Mt 15, 10). Nous apprenons clairement par ces mots un enseignement du Sauveur : quand nous lisons dans le Lévitique et dans le Deutéronome ce qui a trait aux nourritures pures et impures, à propos desquelles les juifs corporels (voir 1 Co 10,18) et les ébionites qui diffèrent peu de ces derniers nous font grief de violer la Loi, ne pensons pas que le but pour FÉcriture est le sens obvie à propos de ces prescriptions.

Ce texte est à la fois polémique et peu précis : les ébionites sont pratiquement mis dans le m ê m e sac que les juifs ; ces deux catégories s'en tiennent au sens littéral des prescriptions alimentaires du Pentateuque.

13. Commentaire

sur Matthieu XVI, 12.

Origène commente l'épisode des deux aveugles à la sortie de Jéricho (Mt 2 0 , 2 9 - 3 4 ) ; il rapproche de ce texte le récit de l'aveugle appelé Bartimée, c'est-à-dire fils de Timée, de M e 1 0 , 4 6 - 5 2 , qui se déroule lui aussi à la sortie de Jéricho. Pour comprendre le texte qui suit, il faut se rappeler que le n o m « Timée » est dérivé de xi^fj, l'honneur, le prix, la valeur. Et lorsque tu vois la foi relative au Sauveur de ceux qui, issus des juifs, croient en Jésus, qui pensent tantôt qu'il est né de Marie et de Joseph, tantôt de la seule Marie et de l'Esprit divin, sans cependant partager la théologie à son sujet, tu verras pourquoi cet aveugle dit : « Fils de David, prends pitié de moi » (Me 10, 47), lui que les « nombreuses gens » (Me 10, 48) réprimandent ; car nombreux sont ceux qui, sortant de Jéricho, sont issus des nations : ils réprimandent la pauvreté de ceux qui, issus des juifs, semblent avoir la foi. [...] Peut-être que, à cause de la valeur du patriarche Jacob et Israël, Timée est de manière figurée ce dernier ; quant à ceux qui possèdent la bonne naissance qui vient de lui, l'aveugle Bartimée les figure. [...] Ensuite, étant donné que les nombreuses gens le réprimandaient alors qu'il disait « Fils de David, prends pitié de moi », « afin qu'il se tût », je cherche si tu peux dire que les nombreuses gens qui réprimandent, « afin qu'il se taise », l'ébionite, c'est-à-dire le pauvre relativement à la foi en Jésus, ne sont pas ceux qui sont issus des nations, qui presque tous ont cru qu'il était né d'une vierge et qui réprimandent, « afin qu'il se taise », celui qui pense qu'il provient de la semence d'un homme et d'une femme, parce qu'il fait descendre sa race de David. L'intérêt de ce texte est de développer une interprétation allégorique de M e 1 0 , 4 6 - 5 2 : Timée, le père de l'aveugle, figure Jacob, dont l'autre n o m est Israël ; Bartimée l'aveugle est la figure de ceux qui sont issus des juifs et croient en Jésus, singulièrement les ébionites, dont le n o m indique la pauvreté d'interprétation ; les nombreuses

272

GILLES DORIVAL

gens qui sortent de Jéricho et réprimandent Bartimée sont les chrétiens issus des nations. U n autre intérêt du texte est que l'on retrouve les deux sortes d'ébionites, celle qui ne croit pas dans la naissance virginale de Jésus et celle qui y croit, mais dont Origène précise ici, et c'est une information nouvelle, qu'elle ne repose pas sur une théologie correcte. En quoi consistait cette théologie incorrecte ? Dans un premier temps, on peut être tenté de penser qu'elle portait sur l'Esprit saint, l'anaphorique cruTov de l'expression « théologie à son sujet » renvoyant à l'Esprit saint. Mais on peut aussi faire l'hypothèse que l'anaphorique renvoie plutôt à Jésus, pour deux raisons : le Commentaire sur Tite III, 11 parle d'hérétiques anonymes qui refusent la préexistence du Logos, mais acceptent probablement la naissance virginale ; ensuite, Eusèbe parle d'une deuxième sorte d'ébionites, qui acceptaient la naissance virginale, mais refusaient la préexistence du Logos, appelé aussi Premier-né et Sagesse (Histoire ecclésiastique III, 27, 3 ) . U n e dernière information intéressante est que, selon Origène, les chrétiens issus des nations ne professent pas tous la naissance virginale : un petit nombre d'entre eux n'y croient pas ; on comprend au passage que leur argumentation se fondait sur les généalogies de Jésus, puisque ces dernières le font descendre de David ; peut-être Origène pense-t-il ici aux disciples de Carpocrate et de Cérinthe. l

14. Commentaire

sur Matthieu,

séries 79.

Dans ce texte parvenu jusqu'à nous dans une traduction latine anonyme, Origène explique Mt 2 6 , 1 7 - 1 8 (« Or, au premier jour des A z y m e s , les disciples s'approchèrent de Jésus et lui dirent : "Où veux-tu que nous te préparions la Pâque pour la manger ?" Jésus leur dit : "Allez à la ville chez un tel et dites-lui, etc." »), qu'il met en relation avec M e 1 4 , 1 2 (« Et, le premier jour des A z y m e s , où la Pâque était immolée ») : Conformément à cela, peut-être que quelqu'un d'incompétent fera une recherche et tombera dans rébionitisme : du fait que Jésus a célébré à la manière juive la Pâque corporellement, tout comme le premier jour des Azymes est la Pâque, il dira qu'il convient que nous, les imitateurs du Christ, nous fassions de la même manière, sans prendre en considération le fait que Jésus, « comme la plénitude du temps était venu » et qu'il avait été envoyé, « naquit d'une femme, naquit sous la loi » (Ga 4,4), non pour

1. Attention : la deuxième sorte d'ébionites d'Eusèbe correspond à la première sorte d'ébionites du Contre Celse V, 61 et à la deuxième sorte d'ébionites du Commentaire sur Matthieu XVI, 12. A. ORBE, Cristologia gnostica, Madrid, 1976, p. 351-379, a montré que les ébionites qui reconnaissent la naissance virginale ne peuvent être apparus qu'après les ébionites qui la nient.

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

273

laisser sous la loi ceux qui étaient sous la loi, mais pour les conduire hors de la loi. Ce texte est connu seulement en latin — ce qui explique sans doute la présence du mot « ébionitisme », absent ailleurs chez Origène. Il nous donne des informations qu'on trouve ailleurs chez Origène, sur l'interprétation corporelle, c'est-à-dire littérale, de l'Écriture par les ébionites. Mais il donne aussi un renseignement inédit sur l'argumentation ébionite : à l'appui de l'observance de la Loi juive, elle invoquait l'attitude de Jésus lui-même, qui a respecté la Pâque et la Loi. On note enfin qu'ici c o m m e ailleurs Origène réfute les ébionites à l'aide de Paul, ce qui ne pouvait guère les convaincre.

B. Bilan. U n e opinion admise est qu'Origène ne nous apprendrait rien sur les ébionites que nous ne sachions par les h é r é s i o l o g u e s . Est-elle exacte ? En fait, pour mesurer l'originalité d'Origène, il faut comparer ses renseignements à ceux que donnent ses devanviers, Irénée, Tertullien, Clément d'Alexandrie, l'auteur de YÉlenchos. G. Strecker a dégagé plusieurs de ces traits d'originalité : Origène ne reprend pas la comparaison stéréotypée des ébionites avec Cérinthe et Carpocrate ; il mentionne deux sortes d'ébionites ; il donne des informations sur leur interprétation littérale de la Bible (Commentaire sur Matthieu XI, 12), sur leur célébration de la Pâque (Commentaire sur Matthieu, séries 79) ; il note que « maintenant encore » les ébionites rejettent l'apôtre Paul (Homélie 19 surJérémie 1 2 ) . À ces traits d'originalité il faut en ajouter d'autres : 1. Sur l'origine du mot « é b i o n i t e s » : apparemment, dans le Commentaire sur les Romains III, 11, Origène commet l'erreur traditionnelle de donner aux ébionites c o m m e fondateur Ébion ; mais en fait il s'agit d'un texte trafiqué par Rufin et aligné sur les traités hérésiologiques ; partout ailleurs, Origène met en rapport les ébionites avec le mot hébreu signifiant « pauvre », et il y voit une pauvreté d'intelligence (Homélie 3 sur la Genèse 5 ; Traité des principes IV, 3 , 8 ; Commentaire sur Matthieu X V I , 12). 2. Sur les pratiques des ébionites, Origène, à la suite d'autres, nous dit qu'ils observent la Loi juive, la circoncision, les interdits alimentaires, la Pâque (Contre Celse II, 1 ; Commentaire sur Matthieu XI, 12). Ce qui est nouveau, c'est qu'il nous donne leur argul

2

1. C'est ce qu'on lit par exemple dans P. HUSSON-P. NAUTIN, Origène, Homélies surJérémie, t. H, Paris, 1977, p. 222, n. 2 (SC 238). 2. G . STRECKER, « On the Problem of Jewish Christianity », dans W . BAUER, Orthodoxy and Heresy in Earliest Christianity, Londres, 1972, p. 282 sq.

274

GILLES DORIVAL

mentation pour procéder ainsi : imiter le comportement de Jésus luim ê m e (Commentaire sur Matthieu, séries 79). 3. Sur l'exégèse des ébionites, Origène nous fait connaître leur interprétation de Mt 1 5 , 2 4 (Traité des principes IV, 3, 8) ; il signale leur antipaulinisme (Contre Celse V , 65), ce qui n'est pas nouveau, mais il est le premier à faire allusion aux propos diffamatoires que les ébionites tiennent sur Paul (Homélie 19 surJérémie 12). Contrairement à Irénée, qui affirmait que les ébionites utilisaient le seul Matthieu, Origène signale simplement leur utilisation de cet Évangile ; l'étude des passages d'Origène où ils font référence à Matthieu montre que leur Evangile n'était pas identique au Matthieu actuel ; notamment, il n'avait pas le récit de la naissance virginale ; il faut sans doute l'identifier avec Y Évangile des Douze dont parle Origène (Homélie 1 sur Luc l ) e t dont nous savons par Épiphane qu'il était mis sous la plume de Matthieu. 4. Sur la théologie des ébionites, dans les textes antérieurs écrits en 239 et 2 4 2 , Origène affirme qu'ils nient la naissance virginale de Jésus et disent qu'il est le fils de Marie et de Joseph (Homélie 17 sur Luc ; Commentaire sur Tite III, 11) ; cependant, dans un texte de la m ê m e époque (Homélie 3 sur la Genèse 5), Origène introduit une catégorie d'hérétiques anonymes, qu'il dit être semblables aux ébionites par la pauvreté de l'intelligence. Puis, dans un texte qu'on peut dater de 2 4 3 , Origène donne des précisions sur des hérétiques anonymes : ils nient la préexistence du Logos ; en revanche, ils pourraient avoir accepté la naissance virginale (Commentaire sur Tite III, 11). Enfin, dans les textes de la fin de sa vie (Contre Celse V, 61 et 65 ; Commentaire sur Matthieu X V I , 12), Origène distingue deux sortes d'ébionites : ceux qu'on peut appeler les ébionites au sens strict, qui refusent la naissance virginale ; et ceux qui l'acceptent, mais qui ont une théologie incorrecte. Je propose d'identifier cette deuxième sorte d'ébionites avec les hérétiques anonymes de Y Homélie 3 sur la Genèse et du Commentaire sur Tite III, 11. La confrontation entre tous ces textes permet d'établir que la théologie incorrecte du Commentaire sur Matthieu XVI, 12 a de bonnes chances de consister en une christologie refusant la préexistence du L o g o s c o m m e Dieu créateur, Premier-né et Sagesse, c'est-à-dire n'acceptant pas d'appliquer à Jésus Col 1, 15 — ce qui est normal puisqu'il s'agit d'un texte p a u l i n i e n — e t Pr 8 , 2 2 - 2 5 — c e qui est plus remarquable . 5. On pourrait être tenté de voir dans l'expression « grand prêtre 1

1. A . LEBOULLUEC, op. cit., Paris, 1 9 8 5 , p. 5 0 8 , n. 3 0 7 , suggère que les ébionites ne refusaient peut-être pas une telle application ; ce refus me paraît sûr dans le cas de TÉpître aux Colossiens et, par voie de conséquence, fortement probable dans le cas des Proverbes.

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

275

du Logos » de VHomélie 19 sur Jérémie 12 le titre m ê m e que portait le chef des ébionites. En réalité, il n'en est rien (voir mon commentaire du passage).

H. LES ELKÉSAÏTES

A. Fragment d'une Homélie sur le Psaume 82. Origène parle des elkésaïtes (EÀxeaaiTœv) une seule fois, dans un fragment connu par Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique VI, 38. A u x § 34-38, Eusèbe présente les activités littéraires d'Origène sous le règne de Philippe I l'Arabe (février ou mars 244-août 249) : à cette époque, Origène, âgé d'environ soixante ans, autorise enfin les tachygraphes à prendre en notes les discours qu'il tenait devant le peuple ; il compose le Contre Celse, les tomes du Commentaire sur Matthieu et les tomes du Commentaire sur les Douze (perdus) ; il écrit à l'empereur, à son épouse, au pape Fabien et à bien d'autres ; il doit faire face à une hérésie apparue en Arabie, selon laquelle l'âme meurt en m ê m e temps que le corps et revivra avec lui au moment de la résurrection . C'est dans ce contexte qu'il est question de l'hérésie des elkésaïtes : er

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C'est alors encore que l'hérésie dite des elkésaïtes donna l'exemple d'une autre perversion ; elle s'éteignit aussitôt qu'elle commença. Or Origène la mentionne dans l'homélie devant le peuple sur le psaume 82 où il dit ceci : « Quelqu'un est venu à présent qui est fier de pouvoir être l'ambassadeur d'une doctrine athée et tout à fait impie, qui est appelée des elkésaïtes, qui s'est dressée récemment contre les églises ; les mauvaises opinions que contient cette doctrine, je vous les exposerai, afin que vous ne soyez pas sa proie : elle rejette certaines parties de toute l'Écriture, elle se sert inversement de passages de tout l'Ancien Testament et de tous les Évangiles, elle rejette complètement l'Apôtre. Elle dit qu'il est indifférent d'apostasier et que celui qui comprend apostasiera de sa bouche dans les nécessités, mais non de cœur. Et ils apportent un livre, dont ils disent qu'il est tombé du ciel et que celui qui l'entend et qui croit en lui recevra la rémission des péchés, une rémission autre que la rémission qu'a remise Christ Jésus. »

1. Voir P. NAUTIN, op. cit., Paris, 1977, p. 94-96, qui discute avec beaucoup d'acuité la question de la réalité historique de ces renseignements.

276

GILLES DORIVAL

B. Commentaire du fragment L'origine de ce fragment ne fait pas de doute : il s'agit d'une homélie sur le psaume 82 ; Jérôme, Lettre 33, nous apprend qu'Origène avait consacré à c e psaume trois homélies ; notre fragment est le seul extrait qui subsiste de ces trois homélies. Eusèbe place notre homélie sous le règne de Philippe l'Arabe (244-249). Mais, se fondant sur une indication du Commentaire sur Romains IV, 1, Pierre Nautin pense que les cent vingt et une homélies sur les Psaumes ont été prononcées, dans l'ordre m ê m e des psaumes, entre 2 3 9 et 2 4 2 . Ce point de datation a son importance pour évaluer les renseignements qu'Origène donne sur l'apparition de l'hérésie des elkésaïtes : selon lui, elle est apparue « à présent » ( è m xoû rcapôvxoç), « récemment » ( v e a x m ) ; quel sens Origène donne-t-il à ces précisions chronologiques ? Vise-t-il les années 2 3 9 - 2 4 2 , ou une époque légèrement antérieure ? Peut-être veut-il simplement indiquer que les elkésaïtes se sont manifestés de son vivant ? En c e cas, le fragment d'Origène recouperait les renseignements que donne l'auteur de YÉlenchos, qui attribue la diffusion de la doctrine d'Elkhasaï à Alcibiade d'Apamée de Syrie, au moment où l'enseignement de Calliste (mort en 222) se répand dans tout l'univers : vraisemblablement les années 220-230. U n e question préliminaire se pose lorsqu'on veut confronter Origène et l'auteur de YÉlenchos : les elkésaïtes d'Origène sont-ils les m ê m e s que les disciples d'Elkhasaï dont parle l'auteur de YÉlenchos ? Trois différences d'orthographe séparent Origène et l'auteur de YÉlenchos : la lettre initiale est un - e chez le premier, un -r| chez le second ; la gutturale est un - K chez Origène, un -% chez l'auteur de YÉlenchos ; le premier a ensuite un - e , le second un - a . D e plus, chez le premier, il est question uniquement des elkésaïtes, chez le second, seulement d'Elkhasaï. Malgré ces différences, il est pratiquement certain qu'il s'agit bien du m ê m e groupe. Par prudence, cependant, j e parlerais des elkésaïtes à propos d'Origène, des disciples d'Elkhasaï dans le cas de l'auteur de YÉlenchos. Revenons au texte d'Origène. Lorsqu'il parle de « quelqu'un qui est venu » faire la propagande de l'hérésie, qui vise-t-il ? Certainement pas Elkhasaï lui-même, le fondateur plus ou moins mythique de l'elkésaïsme, mort depuis longtemps à l'époque d'Origène, c o m m e nous le verrons dans un instant. Origène peut viser Alcibiade ou un missionnaire envoyé par ce dernier. C o m m e la notice de l'auteur de YÉlenchos, le fragment d'Origène oblige à opérer une distinction entre la période de naissance de l'elkésaïsme et sa période de propagation. Mais le fragment d'Origène ne 1

1. P. NAUTIN, op. cit., Paris, 1 9 7 7 , p. 4 0 7 - 4 0 8 .

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

277

permet pas d'aller plus loin pour établir une chronologie de l'elkésaïsme. Ici, il faut faire appel à l'auteur de YÉlenchos. Selon lui, Alcibiade est arrivé à R o m e avec un livre, dont il disait qu ' Elkhasaï 1 ' avait reçu des Sères du pays parthe ; ce livre, Elkhasaï l'a remis à un certain Sobiai ; il lui avait été dicté par un ange masculin, qui était le fils de Dieu, et qui était assisté par un être féminin, l'Esprit saint. Alcibiade ajoute : « une nouvelle rémission a été heureusement annoncée aux hommes la troisième année du règne de Trajan » ; si l'on accepte de se fier à l'auteur de YÉlenchos, la naissance de l'elkésaïsme peut donc être datée de l'année 100. U n dernier point de chronologie mérite d'être précisé : Eusèbe affirme que l'hérésie s'est éteinte aussitôt qu'apparue. On doit noter qu'Origène ne dit rien de tel, bien au contraire : s'il expose la doctrine elkésaïte, affirme-t-il, c'est pour armer ses auditeurs contre sa séduction ; donc, à l'époque d'Origène, elle représentait un danger, qui a disparu à l'époque d'Eusèbe. Ce dernier a sans doute raison en termes de propagande et d'expansion ; mais il a tort en ce qui concerne l'existence m ê m e des elkésaïtes : ceux-ci subsistaient à l'époque d'Épiphane et encore au quatrième siècle de l ' h é g i r e . Le fragment d'Origène met en valeur trois points de la doctrine elkésaïte : elle admet l'Ancien et le Nouveau Testament, à l'exception de l'Apôtre ; elle permet l'apostasie en cas de persécution ; elle ajoute aux Écritures un livre, qui vaut à celui qui croit en lui une rémission des péchés différente de celle de Jésus Christ. Apparemment, rien dans le vocabulaire utilisé ne permet de classer les elkésaïtes parmi les judéo-chrétiens ; toutefois, le fait qu'ils reçoivent les deux Testaments à l'exception de l'Apôtre prouve qu'ils appartiennent à un courant antipaulinien, ce qui est un indice en faveur soit de leur judéo-christianisme, soit de leur encratisme sévérien . Les choses sont beaucoup plus claires dans la notice de l'auteur de YÉlenchos : les disciples d'Elkhasaï vivent selon la Loi et ils reconnaissent la messianité, mais non la divinité, de Jésus. En deuxième lieu, à en croire Origène, la doctrine elkésaïte permet l'apostasie en cas de persécution. La notice de l'auteur de YÉlenchos ne dit rien de tel. A. F. J. Klijn et G. J. Reinink considèrent que ce point est difficile à expliquer dans le cadre de la doctrine elkésaïte et ils le mettent en relation avec la question du traitement à réserver aux lapsi dans l'église de Césarée : en permettant l'apostasie, les elkésaïtes auraient trouvé un bon biais pour assurer le succès de leur l

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1. Voir M. TARDffiU, Le Manichéisme, Paris, 1981 , 1997 , p. 12. Elkhasaï est selon lui un personnage mythique. 2. D'après Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique IV, 29,4-5, Sévère était un encratite dans la lignée de Tatien et il refusait les Actes des Apôtres et l'Apôtre.

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propagande . Cette explication n e paraît pas recevable. D'abord parce que la question des lapsi n'apparaît vraiment qu'après la persécution de D è c e , dix ans environ après la prédication d'Origène sur les Psaumes. Ensuite, le renseignement qu'il nous donne est en fait en cohérence logique avec la doctrine de la rémission des péchés des elkésaïtes, qui fait l'objet de la fin du fragment d'Origène. En troisième heu, les elkésaïtes ajoutent aux Écritures un livre tombé du ciel et qui vaut à celui qui croit en lui une rémission des péchés différente de celle de Jésus Christ. Ce renseignement recoupe la notice de l'auteur de YÉlenchos, qui est toutefois beaucoup plus prolixe. L e livre tombé du ciel a été en fait dicté à Elkhasaï par un ange, le fils de Dieu, assisté de l'Esprit saint, un être féminin, tous deux de dimensions extraordinaires. Pour obtenir la nouvelle rémission des péchés, il faut lire le livre et se faire baptiser une seconde fois ; il est possible qu'Elkhasaï n'ait demandé que la lecture du livre et que le baptême ait été une innovation d'Alcibiade : la notice de l'auteur de YÉlenchos paraît hésitante sur c e point. L'auteur de YÉlenchos ajoute d'autres points qu'Origène (ou Eusèbe) passe sous silence : la doctrine de la réincarnation du Christ à de très nombreuses reprises ; la pratique de formules incantatoires pour obtenir des guérisons ; le recours à l'astrologie. J'ai signalé que, dans toute l'œuvre parvenue jusqu'à nous, Origène ne parlait des elkésaïtes qu'à une seule reprise. Mais on ne peut pas ne pas poser la question : les elkésaïtes ne sont-ils pas une des deux formes des ébionites, dont il est question dans le Contre Celse ? D'après Origène, ceux-ci se divisaient sur la question de la naissance virginale de Jésus ; or, si l'on suit l'auteur de YÉlenchos, il semble bien qu'Alcibiade ou les disciples d'Elkhasaï affirmaient que Jésus était né d'une vierge : « Alcibiade dit que le Christ a été un homme c o m m e les autres, mais que c e n'est pas aujourd'hui pour la première fois qu'il est né d'une vierge, mais aussi auparavant» (Élenchos IX, 14) ; « Certains autres, c o m m e s'ils produisaient quelque chose de nouveau, alors qu'ils font des emprunts à toutes les hérésies, préparant un livre étranger qui tient son n o m d'un certain Elkhasaï, ces gens-là reconnaissent c o m m e nous que les principes de l'univers ont été faits par Dieu, mais ne reconnaissent pas que le Christ est un, mais que, si le Christ en haut est un, il a été transvasé dans des corps multiples souvent et aujourd'hui m ê m e en Jésus, que tantôt il est né de Dieu c o m m e nous le disons, tantôt il a été esprit, tantôt il est né d'une vierge, tantôt non » (Élenchos X , 29). Les deux fragments ne sont pas tout à fait cohérents, puisque le premier a l'air d'affirmer plusieurs naissances virginales du Christ, tandis que le second ouvre la possibilité de naissances normales à côté des naissances 1. Voir A. F. J. KLDN-G. J. REININK, op. cit., Leyde, 1973, p. 61.

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

279

virginales ; mais l'important est que les disciples d'Elkhasaï admettent la naissance virginale . Il y a là un argument fort pour les identifier à ceux des ébionites qui admettent la naissance virginale de Jésus. Le fait qu'ils soient apparus « récemment » ne constitue pas un contre-argument, puisque Origène prononce son homélie sur le psaume 82 entre 2 3 9 et 2 4 2 , la période m ê m e où il parle ailleurs d'hérétiques anonymes : ce n'est qu'à la fin de sa vie — plusieurs années après notre h o m é l i e — q u ' i l parle de la deuxième sorte d'ébionites. Toutefois, pour confirmer cette identification, il faudrait que les elkésaïtes aient partagé la m ê m e christologie que les ébionites partisans de la naissance virginale, c'est-à-dire aient refusé d'appliquer Col 1, 15 et Pr 8, 22-25 à Jésus, c'est-à-dire d'admettre la préexistence du Logos c o m m e créateur, Premier-né et Sagesse. Or, nos sources ne disent rien de tel. On se gardera donc de conclure trop nettement. 1

m. LES HÉBREUX

A. \J Évangile selon les Hébreux. Origène fait allusion à ce texte deux ou trois fois, selon que l'extrait qui figure dans la version latine du Commentaire sur Matthieu X V , 14 est authentique ou non. Cet Évangile est connu également par Clément d'Alexandrie (Stromates H, 9 , 4 5 et V, 1 4 , 9 6 ) et, apparemment, par Jérôme. Faut-il identifier notre Évangile avec Y Évangile des Nazoréens ? Toute une partie de la critique moderne, dont Simon Mimouni, est partisan de cette identification . Pour ma part, j e remarque que les fragments de Y Évangile selon les Hébreux cités par Clément et Origène ne recoupent pas les fragments de Y Évangile des Nazoréens. Certes, Jérôme affirme que Y Évangile selon les Hébreux était lu habituellement chez ceux qu'il appelle les nazaréens ou nazoréens ; certes encore, il affirme que cet Evangile a souvent été cité par O r i g è n e . Mais rien ne prouve que les fragments qu'il donne proviennent de l'Évangile que lisaient Clément et Origène : ils peuvent venir d'un autre Evangile, écrit dans une langue 2

3

1. Autre incohérence : la notice de Élenchos IX a l'air de croire que le livre est bien d'Elkhasaï, alors que celle de Élenchos X, 29 semble faire l'hypothèse d'une forgerie par les disciples d'Elkhasaï. 2. Voir la mise au point de S . C . MIMOUNI, Le Judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 215-222, où l'auteur donne sa préférence à la thèse qui confond les deux Évangiles. 3. Commentaire surÉzéchiel VI ; Les Hommes illustres H.

280

GILLES DORTVAL

sémitique et dont Jérôme nous apprend qu'il l'a traduit en grec et en latin \ La prudence méthodologique veut que l'on distingue deux textes : d'une part, Y Évangile selon les Hébreux que citent Clément et Origène ; d'autre part, Y Évangile hébraïque, en circulation chez les nazoréens et confondu avec le premier par Jérôme. Le titre d'Évangile selon les Hébreux est-il original ? En tout cas, c'est celui qui figure chez Clément et Origène. Le fait m ê m e que ces derniers le citent montre qu'il était en circulation à Alexandrie chez des juifs chrétiens probablement appelés hébreux. Cette dénomination rappelle celle de la Lettre aux Hébreux du Nouveau Testament et annonce Eusèbe de Césarée qui appelle hébreux les juifs chrétiens de son temps.

1. Commentaire

sur Jean II, 12.

Si l'on admet Y Évangile selon les Hébreux, où le Sauveur lui-même dit : « Récemment, ma mère, le Saint-Esprit, m'a pris par un de mes cheveux et m'a emporté sur la grande montagne du Thabor », on soulèvera la question de savoir comment l'Esprit saint qui est advenu par le Logos peut être la mère du Christ. Mais il n'est pas difficile d'interpréter cela de cette façon : si celui qui fait « la volonté du Père dans les cieux est son frère, sa sœur et sa mère » (Mt 12,50) et si le nom de « frère du Christ » s'applique non seulement à la race humaine, mais encore aux êtres plus divins que cette dernière, le fait que l'Esprit saint soit mère ne sera en rien plus étonnant que tout être appelé mère du Christ parce qu'il fait la volonté du Père dans les cieux. Souvent, on arrête le fragment à la fin de la première phrase et on fait dire à Origène le contraire de ce qu'il affirme en réalité : en effet, quand on se limite à la première phrase, on a le sentiment que, mis en présence d'un verset de Y Évangile selon les Hébreux où Jésus affirme que le Saint-Esprit est sa mère, Origène refuse l'idée selon laquelle l'Esprit saint puisse être la mère de Jésus. En fait, la seconde phrase oblige à voir les choses différemment : dans la première phrase, Origène écarte l'interprétation obvie du verset, parce que cette interprétation littérale contrevient à la saine doctrine, selon laquelle l'Esprit saint est advenu par le Logos, qui est le Christ ; et dans la seconde phrase, il montre qu'en vertu de Mt 1 2 , 5 0 , peut être appelé mère de Jésus tout être qui fait la volonté du Père qui est dans les cieux ; en ce sens, et en ce sens seulement, l'Esprit saint est mère de Jésus. Ainsi, l'intérêt de ce passage est double : d'abord, grâce à l'utilisation d'un verset de Matthieu, Origène donne un sens orthodoxe à un texte qui, pris isolément, pourrait être considéré c o m m e

1. P. NAUTIN, op. cit., Paris, 1 9 7 7 , p. 3 2 6 - 3 2 8 , a les plus grands doutes sur ce qu'il appelle les « vantardises » de Jérôme.

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

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hétérodoxe ; nous tenons là une bonne illustration du principe qui veut que l'Écriture explique l'Écriture. Ensuite, et surtout, en faisant ainsi, Origène « admet » un Évangile cjui ne fait pas partie des quatre Évangiles ; certes, il n'en fait pas un Évangile canonique ; mais il en fait un Évangile que j e qualifierai d'admissible, d'acceptable. Cela ne peut s'expliquer que si les hébreux étaient admis et acceptés dans l'église d'Alexandrie. Notons pour terminer qu'Origène paraît ignorer la raison linguistique pour laquelle l'Esprit saint peut être qualifié de mère par Jésus : le fait que l'hébreu rûah est le plus souvent féminin. Il y a là un argument pour dire que V Évangile selon les Hébreux a dû être rédigé en hébreu, au moins en partie. Cela signifie que son lieu de rédaction doit être situé en Palestine, d'où il est parvenu ensuite à Alexandrie. J'aurai l'occasion de revenir sur l'époque où peut être situé ce déplacement.

2. Homélie sur Jérémie XV, 4. Origène commente Jr 15, 10 (« Malheur à moi, mère, qui as-tu enfanté en moi ? »), qui est une prophétie que l'on doit appliquer au Sauveur : De quelle mère parle-t-il ? Parmi les femmes, ne peut-il pas parler et de son âme et de Marie ? Mais si on reçoit le verset : « Récemment, ma mère, le Saint-Esprit, m'a pris et m'a emporté vers la haute montagne du Thabor, etc. », on peut voir qui est sa mère. Ce passage cite le m ê m e verset que le passage précédent, sous une forme un peu moins complète et sans indiquer qu'il provient de VÉvangile selon les Hébreux. La mère à laquelle s'adresse Jésus, préfiguré par Jérémie, est soit Marie, qui a souffert au moment de sa mort, soit l'âme de Jésus, gui a souffert lors de la Passion, soit encore le Saint-Esprit, d'après Y Evangile selon les Hébreux, Ici Origène ne dit pas en quel sens l'Esprit saint est la mère de Jésus. Sans doute a-t-il encore en mémoire l'exégèse donnée dans le Commentaire sur Jean. Ce qu'on doit noter encore, c'est que le verset de Y Évangile selon les Hébreux n'est pas cité c o m m e doté d'une autorité incontestable ; c o m m e dans le passage précédent, il est simplement admissible.

3. Commentaire

sur Matthieu XV, 14.

Origène commente la péricope du jeune homme riche (Mt 19, 16-24). Il note que le verset 19, qui est une citation de Lv 1 9 , 1 8 (« Tu aimeras ton prochain c o m m e toi-même »), est absent des récits parallèles de Marc et de Luc. La question se pose donc de savoir s'il s'agit d'une parole authentique de Jésus.

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GILLES DORIV A L

D est écrit dans un Évangile qui est dit selon les Hébreux (si cependant on convient de le recevoir non à titre d'autorité, mais à titre d'éclaircissement de la question posée) : « Un autre parmi les riches, dit l'Écriture, lui dit : "Maître, quel bien dois-je faire pour vivre ?" D lui dit : "Homme, fais la Loi et les Prophètes." D lui répondit : "Je l'ai fait." Il lui dit : "Va, vends tout ce que tu possèdes et partage-le parmi les pauvres, et viens, suismoi." Or le riche commença à se gratter la tête et cela ne lui plut pas. Et le Seigneur lui dit : "Pourquoi dis-tu : J'ai fait la Loi et les Prophètes ? En effet il est écrit dans la Loi : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, et voici que sont nombreux tes frères fils d'Abraham qui sont vêtus d'excréments, mourant de faim, et ta maison est pleine de nombreux biens, et rien du tout ne sort d'elle vers eux." Et se tournant vers Simon son disciple assis près de lui, il lui dit : "Simon, fils de Jonas, il est plus facile à un chameau d'entrer par le chas d'une aiguille qu'à un riche dans le royaume des deux" ». Donc il est vrai que le riche n'a pas accompli le commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », lui qui a méprisé beaucoup de pauvres et ne leur a distribué aucune de ses si grandes richesses. En effet il est impossible de remplir le commandement qui dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », et d'être riche et surtout d'avoir de si grandes possessions. Pour les spécialistes du Nouveau Testament, l'intérêt de c e passage est de nous faire connaître la péricope du jeune homme riche dans une rédaction où il y avait deux riches : ici, c'est le second qui intervient ; nous ignorons les propos que tenait avant lui le premier ; peut-être ces propos n'étaient-ils guère différents de ceux du jeune h o m m e riche de Matthieu. A u x yeux du commentateur de la péricope, la fine pointe du passage est que, dans VÉvangile selon les Hébreux, Jésus cite le commandement de l'amour du prochain ; certes, cet Évangile n'est pas canonique, mais son témoignage corrobore celui de Matthieu et suggère que Jésus a bel et bien prononcé le commandement de Lv 1 9 , 1 8 . Cependant, notre passage ne figure pas dans le texte grec du Commentaire sur Matthieu, mais seulement dans sa traduction latine ; c'est la raison pour laquelle on refuse souvent de l'attribuer à Origène et on préfère y voir une interpolation du traducteur et réviseur l a t i n . On peut ne pas être convaincu par cette argumentation : la manière dont la péricope est introduite, notamment la considération sur le caractère non impératif, mais seulement illustratif, de Y Évangile selon les Hébreux, rappelle les affirmations des passages précédents sur le caractère simplement admissible des versets qui en proviennent ; ensuite, la façon dont la péricope est commentée est bien dans la manière d'Origène ; l'interpolation, si interpolation il y l

1. Voir W . SCHNEEMELCHER-R. McL. WILSON (ÉD.), New Testament

Apocrypha.

I. Gospels and Related Writings, Cambridge, 1 9 9 1 , p. 1 3 7 ; F. BOVON-P. GEOLTRAIN ( É D . ) , op. cit., Paris, 1 9 9 7 , p. 4 4 2 .

LE REGARD D'ORIGENE SUR LES JUDÉO-CHRÉTIENS

283

a, est remarquablement faite ; et l'interpolateur a bien mérité d'Origène. L'on a également mis en doute l'appartenance de la péricope à V Évangile selon les Hébreux, en se fondant sur le fait que la mise en valeur de Simon qualifié de « disciple » du Seigneur rappelle le fragment 15a de YÉvangile des Nazaréens, où Simon est également appelé « disciple » du Seigneur. Mais, dans la mesure où Jérôme confond les deux Évangiles, on pourrait faire l'hypothèse que le fragment 15a appartient en réalité à YÉvangile selon les Hébreux. Si, contrairement à l'opinion majoritaire actuelle, on admet la provenance origénienne de la péricope et son appartenance à YÉvangile selon les Hébreux, on formulera la conclusion suivante : d'abord, les hébreux de Palestine, puis d'Alexandrie, insistaient sur la pauvreté ; ensuite, leur Évangile n'était pas accepté par la « Grande Église », mais il n'était pas non plus écarté ; l'on avait le droit de l'utiliser pour les besoins d'une démonstration exégétique, ou, pour reprendre les analyses des deux fragments précédents, il était admissible, acceptable.

4. Bilan. Les hébreux de YÉvangile selon les Hébreux sont des juifs chrétiens de Palestine, puis d'Alexandrie ; ils font partie de la Grande Église ; ils insistaient sur la pauvreté ; leur Évangile n'est ni canonique ni extracanonique, il est acceptable pour les besoins de la droite exégèse. On doit noter encore qu'Origène ne dit pas, contrairement à Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique III, 2 7 , 4 ) , que cet Évangile était utilisé par la deuxième sorte d'ébionites ; en quoi il a probablement raison.

B. Les « hébreux » chez Origène. La question se pose à présent de savoir si, dans d'autres cas, chez Origène, le mot « hébreu », au singulier ou au pluriel, ne peut pas renvoyer à un ou des juifs chrétiens . Et, en cas de réponse positive, quelles informations Origène nous donne-t-il sur ces hébreux chrétiens ? Je partirai d'un texte d'Origene sur Ézéchiel ; connu par les chaînes, il provient soit de ses Homélies sur Ézéchiel, soit de son Commentaire. N o u s sommes entre 2 3 9 et 245. Origène vit alors à Césarée de Palestine. Il commente Ez 9, 3-4 (« Et la gloire du Dieu l

1. Voir G. BARDY, « Les traditions juives dans l'œuvre d'Origène », dans Revue biblique 3 4 ( 1 9 2 5 ) , p. 2 1 7 - 2 5 2 .

284

GILLES DORIVAL

monta depuis les Kheroubim, elle qui se trouvait sur eux, en direction de la cour de la maison. Et il appela l'homme revêtu jusqu'aux pieds, qui avait sur ses reins la ceinture. Et il dit : "Passe au milieu de Jérusalem et donne un signe sur les fronts des hommes qui gémissent et souffrent à cause des iniquités survenues au milieu d'elle" »). Origène cite le texte de la Septante (« donne un signe sur les fronts »), puis celui d'Aquila et Théodotion (« Signe du taw sur les fronts ») : Nous nous sommes informés auprès des hébreux pour savoir s'ils pouvaient dire quelque enseignement de leurs Pères au sujet du taw et nous avons appris ceci : l'un disait que le taw, parmi les vingt-deux lettres qui existent chez les hébreux, est la dernière en ce qui regarde l'ordre que les lettres ont chez eux ; donc la dernière lettre a été prise pour présenter la perfection de ceux qui, à cause de la vertu en eux, gémissent et souffrent pour les fautes commises parmi le peuple et qui compatissent avec les transgresseurs de la Loi. Un deuxième disait que le taw était le symbole de ceux qui observent la Loi, étant donné que la Loi chez les hébreux est appelée Thora et que la première lettre de la Loi est le taw, ainsi que de ceux qui vivent selon la Loi. Un troisième, un de ceux qui croient au Christ, disait, en parlant des anciennes lettres, que le taw ressemblait au tracé de la croix et était prophétisé à propos de ce qui se produit chez les chrétiens pour le signe sur le front : signe que font tous ceux qui croient, lorsqu'ils commencent une activité quelconque, et surtout des prières ou bien de saintes lectures . l

L'intérêt de ce texte est double : (1) Il en ressort que les hébreux sont avant tout des gens qui lisent et, sans doute, parlent l'hébreu ; les uns sont ce que nous appellerions aujourd'hui des juifs, tandis que d'autres sont des chrétiens. Où Origène les a-t-il rencontrés ? À Alexandrie ou à Césarée, ou encore ailleurs ? Comme les Homélies et le Commentaire sur Ézéchiel ont été composés à Césarée, la localisation palestinienne est la plus probable, sans qu' on puisse exclure les autres hypothèses ; il a pu aussi rencontrer certains hébreux à Alexandrie, d'autres à Césarée. (2) Les hébreux chrétiens, qui font du taw le symbole de la croix et la prophétie de la pratique du signe de croix, sont des adeptes du symbolisme, voire de l'allégorie. D e ce premier texte, il résulte que les hébreux dont parle Origène ou auxquels il fait allusion ne sont pas tous des chrétiens : par exemple, dans le prologue au Commentaire sur les Psaumes composé à Césarée de Palestine, Origène nous parle d'une interprétation des titres des psaumes qu'il tient du « patriarche » Ioullos et de « l'un de ceux qui sont appelés sages chez les juifs » ; il est clair que ces deux personnages, qui ne sont pas qualifiés d'hébreux, mais qui pourraient

1. Voir PG 13, col. 800-801. L'authenticité de ce texte paraît assurée.

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l

l'être, ne sont pas chrétiens . Dans Lettre à Africanus, qui date des dernières années de l'activité d'Origène, c e dernier raconte qu'il a rencontré plusieurs hébreux pour leur demander leur avis sur l'histoire de Suzanne. L'un d'entre eux est un juif : appelé chez les hébreux « fils de sage » et « élevé pour succéder à son père », c'est un rabbin. Quant aux autres hébreux consultés pour leur connaissance de la langue hébraïque ou des traditions d'interprétation de la Bible, il n'est pas totalement impossible qu'ils soient chrétiens, mais leur appartenance au judaïsme paraît probable . Dans d'autres textes exégétiques d'Origène, il est question d'un hébreu chrétien. D e u x interrogations peuvent être soulevées à ce sujet : 1. S'agit-il d'un seul et m ê m e personnage ? 2. En quoi consiste son e x é g è s e ? À la première question, j e répondrai qu'il n'est pas sûr que nous ayons affaire au m ê m e personnage : dans le Commentaire sur le Psaume / , composé à Alexandrie, Origène parle « d'une très belle tradition qui nous a été transmise par l'hébreu » ; dans le Traité des principes, qui date de la m ê m e époque, il fait part d'une interprétation de Is 6 , 3 , que lui a fait connaître celui qu'il appelle « notre maître hébreu » ; dans le fragment sur Ex 1 0 , 2 7 , qui a été rédigé à Alexandrie, Origène se réfère à un enseignement reçu de "l'hébreu" ; dans Y Homélie 13 sur les Nombres 5, qui relève de la période de Césarée, il est question de « l'explication d'un maître d'origine hébraïque venu à la foi » ; dans Y Homélie 20 sur Jérémie 2, Origène cite « une tradition hébraïque qui est venue jusqu' à nous par un h o m m e qui avait fui à cause de sa foi au Christ [...] loin de la Loi et qui est venu là où nous résidions ». Le parallélisme des expressions permet à coup sûr d'identifier l'hébreu des Psaumes avec l'hébreu du Traité des principes et avec l'hébreu du fragment sur l'Exode, ainsi que l'hébreu des Nombres avec l'hébreu de Jérémie. Mais le second, qui est décrit c o m m e un converti sans doute venu de Palestine jusqu'à Alexandrie, doit-il être identifié au premier, dont Origène ne nous dit rien de tel ? Cela n'est pas absolument certain, m ê m e si les contextes sont proches. N o u s verrons dans un instant l'incidence que cette remarque peut avoir pour notre sujet. Dans le Commentaire sur le Psaume 7, l'hébreu compare l'Écriture à une maison unique, où il y a de nombreuses pièces fermées à clé ; auprès de chaque porte, il y a une clé, mais c e n'est pas la clé qui correspond à la pièce : donc « il faut chercher la clé de la pièce que 2

3

1. G. RIETZ, De Origenisprologis in Psalterio, léna, 1914, p. 13, et P. NAUTIN, op. dr., Paris, 1977, p. 278. 2. N . DE LANGE, Origene, Lettre à Africanus sur l'histoire de Suzanne, Paris, 1983, p. 536-543 (SC302). 3. VoirÉ. JUNOD, op. cit., Paris, 1976, p. 292 (SC 226).

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l'on veut ouvrir (un livre ou un passage biblique) auprès des autres pièces de la maison (ailleurs dans l'Écriture) ». Voilà en quoi consiste le travail de l'exégète. Il n'y a rien de spécifiquement chrétien dans cette tradition hébraïque, qu'Origène s'efforce d'ailleurs de christianiser en citant 1 C o 2 , 1 3 (il faut « rapprocher les choses spirituelles des choses spirituelles »). Il n'y a non plus rien de spécifiquement chrétien dans le commentaire que, à propos de Ëx 1 0 , 2 7 , faisait l'hébreu de l'épisode de 1 R 2, où David ordonne à Salomon de tuer Joab à cause de ses fautes contre Abner ; voici comment Origène explique le verset 6 (« Et tu feras descendre ses cheveux blancs en paix dans l'Hadès ») : « Il est évident que, c o m m e l'hébreu lui aussi nous l'a rapporté, Joab reposera en paix parce qu'il a été châtié, car il n'est plus redevable d'une épreuve et d'une punition après le départ d'ici-bas, puisque ici-bas il les a déjà reçues. » C o m m e le signale Éric Junod, l'hébreu transmet ici à Origène la doctrine rabbinique selon laquelle, en vertu du principe juridique qui veut que la mort éteint l'action de la justice, par la mort, l'homme expie son péché, m ê m e s'il ne s'est pas repenti au préalable . Enfin il n'y a rien de spécifiquement chrétien dans l'exégèse que le maître hébreu donnait de N b 2 2 , 4 (« À présent, cette communauté pourléchera tous ceux qui sont autour de nous, c o m m e le taurillon pourléche la verdure de la plaine »). Il expliquait que, si Balak compare Israël à un taurillon qui pourléche la verdure de la plaine, c'est parce que le taurillon se sert de sa langue c o m m e d'une faux pour couper tout ce qu'il trouve : tel le taurillon, Israël combat de la bouche et des lèvres, ses armes sont ses supplications. En revanche, une interprétation chrétienne figure dans le Traité des principes 1 , 3 , 4 ; Origène écrit : « Notre maître hébreu disait que les deux séraphins décrits dans le livre d'Ésaïe avec leurs six ailes en train de crier l'un à l'autre et de dire : "Saint, saint, saint, le Seigneur sabaoth" (Is 6 , 3 ) , devaient être interprétés du Fils unique de Dieu et de l'Esprit saint. » Il s'agit là d'une exégèse qu'on peut qualifier de judéo-chrétienne, puisqu'elle est le fait d'un hébreu, et dont la caractéristique principale est de relever de la méthode allégorico-typique . Autre interprétation d'inspiration chrétienne dans VHomélie 20 surJérémie 2, où Origène donne une « tradition hébraïque » d'interprétation de Jr 20, 7 ( « T u m'as trompé, Seigneur, et j'ai été trompé »). Je donne le début de cette longue tradition. L'hébreu disait 1

2

3

1. M. HARL, Origène, Philocalie 1-20, Sur les Écritures, Paris, 1983, p. 252 302). 2. Voir É . JUNOD, op. cit., Paris, 1976, p. 117 ( S C 226). 3. Voir G . STROUMSA, « Le couple de l'ange et de l'esprit. Traditions juives et chrétiennes », dans Savoir et salut, Paris, 1992, p. 23-41. (SC

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que « Dieu n'est pas un tyran, mais un roi ; et, étant roi, il ne fait pas violence, mais il persuade, et il veut que ses sujets se livrent d'euxm ê m e s "de leur plein gré" à son administration, pour que le bien de quelqu'un ne se fasse pas "selon la nécessité", mais de "son plein gré", ce que Paul savait quand, dans la Lettre à Philemon, il disait à Philemon au sujet d'Onésime : "Pour que ton bien ne se fasse pas selon la nécessité, mais de ton plein gré" (Phm 14) ». Dans la suite du texte, l'hébreu cite exclusivement l'Ancien Testament, et la tradition dont il se réclame n'arien de chrétien. Ce qui est intéressant, c'est donc le début du passage, où la comparaison de Dieu à un roi qui veut que ses sujets se livrent à son administration « de leur plein gré » est mise en relation avec un verset de Paul. Certes, on pourrait penser que la citation de Paul est due à Origène. Mais il semble bien que la comparaison de l'hébreu, avec son expression : « de leur plein gré », fasse explicitement référence au verset paulinien. Peut-être m ê m e peut-on suggérer que la tradition hébraïque se limitait à la comparaison entre D i e u et un roi, et que l'apport propre de l'hébreu a été la référence à Paul. Si cela est vrai, nous devons retenir que la méthode de l'hébreu repose sur l'allégorie et qu'elle interprète l'Ancien Testament à l'aide du Nouveau, notamment de Paul. C'est maintenant le moment de reprendre la question de l'unicité de l'hébreu chrétien. Si Origène parle de deux hébreux différents, alors l'un, celui qui s'est converti et est venu de Palestine à Alexandrie à cause de sa foi, n'a pas de rapports avec les hébreux de VÉvangile selon les Hébreux, qui sont installés en Egypte depuis quelque temps ; l'autre, en revanche, celui du Commentaire sur les Psaumes, du Traité des principes et du fragment sur Ex 1 0 , 2 7 , peut être un de ces hébreux ; grâce à lui, nous apprendrions que ce groupe d'hébreux chrétiens utilisait la méthode allégorique et citait l'apôtre Paul. Si, en revanche, Origène parle d'un seul et m ê m e personnage, alors il n'est pas sûr que l'on puisse mettre en relation notre hébreu converti et venu de Palestine avec les hébreux déjà installés à Alexandrie. Toutefois des considérations historiques et chronologiques peuvent nous aider à progresser. À quel moment l'hébreu a-t-il pu être contraint de quitter la Palestine pour l'Egypte ? On est tenté de mettre ce départ forcé en relation avec la Birkat ha-Minim et la détérioration des rapports entre juifs et chrétiens : dans les premières années du n siècle. U n h o m m e vivant à cette époque a-t-il pu être le maître d'Origène, dans les années 2 1 0 - 2 2 0 ? M ê m e en supposant un grand écart d'âge entre les deux hommes, cela est difficile. On peut toutefois supposer que le maître hébreu soit un réfugié de la seconde génération ; et Origène, lorsqu'il parle de la fuite de l'hébreu à cause de sa foi, utiliserait un raccourci d'expression. Cette hypothèse, qui ne peut être démontrée, a en sa faveur des arguments de vraisemblance historique, dont il faut se contenter. Si elle était vraie, elle e

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signifierait ceci : le maître hébreu d'Origène serait un membre de la communauté des hébreux d'Alexandrie, un groupe de juifs chrétiens venus de Palestine dans les premières années du n siècle, membres, en Egypte, de la Grande Église, et possédant leur Évangile, V Évangile selon les Hébreux. C e dernier, rédigé à l'origine en hébreu ou araméen, a été ensuite traduit en grec ; il est reconnu c o m m e acceptable par les pagano-chrétiens. Ces hébreux d'Alexandrie peuvent sans doute être regardés c o m m e d'anciens nazoréens de Palestine. En revanche, il semble bien que l'hébreu chrétien consulté par Origène à propos du « signe du taw » de Ez 9 , 4 , réside en Palestine : il ne fait pas partie des hébreux d'Alexandrie, et il ne faut pas l'identifier avec le maître hébreu d'Origène. C e dernier ne nous dit pratiquement rien de sa théologie, en dehors du fait qu'il manie le symbolisme et l'allégorie. Il est donc difficile de rattacher l'hébreu palestinien à un groupe judéo-chrétien connu. e

IV. CONCLUSION

Origène nous fait connaître trois groupes de juifs chrétiens : les ébionites, qu'il divise en deux sortes ; les elkésaïtes ; les hébreux d'Alexandrie. En outre, il nous parle d'un hébreu de Palestine, dont on ne sait s'il fait partie de l'un de ces trois courants ou s'il appartient à un groupe distinct. Origène donne des renseignements originaux sur les ébionites, notamment sur leur exégèse et leur théologie. Il est possible que les elkésaïtes aient quelque chose à voir avec la deuxième sorte d'ébionites. Les hébreux d'Alexandrie forment une communauté judéo-chrétienne que les historiens ont laissée dans l'ombre, malgré les informations qu' Origène donne sur elle. L'apport d'Origène pour la connaissance du judéo-christianisme est donc plus considérable qu'on ne le dit ordinairement. Surtout, il nous donne des renseignements plus fiables que les auteurs des traités d'hérésiologie. Je terminerai sur un v œ u : les Pères de l'Église grecs postérieurs à Origène nous donnent des informations sur l'exégèse juive ; j e pense à Grégoire de N y s s e , à D i d y m e d'Alexandrie, aux Antiochiens ; quand on regarde les choses de plus près, on se rend compte qu'il s'agit tantôt d'interprétations rabbiniques, tantôt d'interprétation de juifs chrétiens. U n travail d'ensemble serait nécessaire. Puisse-t-il intéresser les chercheurs !

NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM) B ARGIL PIXNER

Theological Faculty of the Hagia Maria Sion Abbey, Jerusalem

Résumé Le premier lieu de rassemblement de la communauté primitive de Jérusalem peut être localisé sur la colline au sud-ouest de la vieille ville. Du temps des apôtres jusqu'à la fin du iv siècle, il y a eu sur cette colline une présence judéo-chrétienne, qui n'a été interrompue que brièvement lors des événements de la première et de la deuxième révolte juive. Au retour de leur exil en TransJordanie, quelques judéo-chrétiens ont construit, au tournant du r-ir siècle, une synagogue-église à Vendroit de la « Chambre haute » (Ac 1, 13). Quelques traces de cette synagogue ont été conservées dans le lieu appelé « Tombeau de David » sous la « Chambre haute » de Vépoque médiévale. Après la destruction du Temple, les judéochrétiens ont transféré Vappellation « Sion » de la colline du nordest, où était le sanctuaire, à la colline du sud-ouest. Bien que les judéo-chrétiens du mont Sion aient été des nazoréens orthodoxes, ils ont rencontré une croissante opposition de la part des paganochrétiens. Lorsque la première église byzantine a été construite sur le mont Sion, sous Vévëque Cyrille autour de 382, les derniers nazoréens ont été absorbés par la Grande Eglise. Summary The first meeting place of the Primitive Community of Jerusalem can be localited on the South Western hill of the Old City. From Apostolic times until the end of the fourth century A.D. there was a JudeoChristian presence on this hill, only shortly interrupted in connection with the first and second Jewish revolts. Returning from their exile in Trans-Jordan some Judeo-Christians built a synagogue-church at the place of the "Upper Room " (Acts 1:13) around the turn of the first to the second century A.D. Some traces of this synagogue are

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B ARGIL PIXNER 9

preserved in the so-called "Tomb of David ' under the Gothic "Upper Room." After the destruction of the Temple the Judeo-Christians transferred the name "Zion "from the North Eastern hill, where the sanctuary stood, to their South Western hill. Although the JudeoChristians on Mount Zion were orthodox "Nazoreans" they met growing opposition from the Gentile Christians. When the first Byzantine church was built on Mount Zion under Bishop Cyril around 382 A.D. the last Nazoreans were absorbed in the Great Church.

I. Christian Mount Zion. 1. The Migration

of Mount

Zion.

A n astonishing phenomenon of Jerusalem's topography is the odyssey of Mount Zion from one hill to the other. Zion was origi­ nally a Jebusite fortress conquered by David around the year 1000 B.C. (2 Sam 5:7, 9). It stood on an elevated rock (swn — outstanding) over the Gihon fountain of David's City. W e can call it Zion I. There stood the tent, to which David had brought the Ark of the Covenant as a unifying symbol of the twelve tribes. For the pious king the abode in a tent was not proper for the God of Israel and he planned to build a more dignified temple to the north of it. His son Solomon executed the wish of his father by building there the temple and his royal palaces. With the passing of time the designa­ tion of Zion was transferred to it. During the next thousand years Mount Zion was where the Temple stood: it was the abode, where God lived in the midst of his people (Isa 60:14, A m o s 6:7, e t c ) . This identification with the Temple Mount is very clear in the First B o o k of the Maccabees (1 Mace 4:37; 4:60; 5:54; 7:33). W e may call it Zionll. The decisive moment in the history of the Jewish people came with the destruction of the Temple and its city by the Romans in the year 7 0 A . D . With that cataclysm the Temple Mount became an aban­ doned heap of rubble. But the idea of Zion outlasted the destruction of its established symbol. Round the turn of the first century A . D . the south-western hill of Jerusalem suddenly assumed the name Zion (Zion IE). I believe no other group can be seen responsible for the change of location but the group of messianic Jews, w h o saw in that 1

1.1 am using the biblical spelling "Zion," but in citations from the Greek Church fathers their spelling of "Sion" (Sion) will be used. My gratitude goes to Professor Rainer Riesner (University of Dortmund) for a critical reading of this article and his suggestions.

N A Z O R E A N S O N M O U N T ZION (JERUSALEM)

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hill the cradle o f their messianic movement, the place o f Christian origins. The messianic Jews, deeply immersed in the Zion tradition of their people, needed their o w n Mount Zion and dared to transfer its name to their hill. Their scheme did not apparently find the approval o f all Jewish believers in Jesus. One note of protest is presumably preserved in one o f the forty-two Odes of Solomon that were written around the turn o f the first century A . D . by a Christian w h o came, as it seems, from the Essene movement. He complains in Ode 4.1-3: No man can pervert your holy place, o my God, nor can he change it, and put it in another place. Because (he has) no power over it; For your sanctuary you designed before you made other places. The ancient one shall not be perverted by those who are inferior to it.

2. Modern Opposing

1

Voices.

Although the south-western hill of Jerusalem, Mount Zion III, has in ancient Jerusalem tradition been considered the location where the Christian church had its origin, there are several modern scholars who, for reasons of their own, deny it. In recent years it was especially Mrs. J. E. Taylor, a scholar from N e w Zealand, w h o wrote several critical articles against the Franciscan scholars B . Bagatti and E. Testa, w h o had upheld the ancient tradition and maintained that it was a Judeo-Christian community that occupied this hill almost unin­ terruptedly from the first century A . D . up to the end o f the fourth. Mrs. Taylor denies the existence o f practically all Judeo-Christian groups west of the Jordan. Doubts about the authenticity of the locality of the primitive Christian community are also raised b y K. Bieberstein and H. Bloedhorn in their otherwise very valuable book on the archaeology of Jerusalem. They maintain that it was only after the Council o f Constantinople (381 A.D.), where the doctrine of the Holy Spirit was defined and the Hagia Sion church built to commemorate that event, that Mount Zion was chosen as the place of the descent of the Holy Spirit upon the apostles. The scene of the Last 2

1. Translation by J. H. CHARLESWORTH, in J. H. CHARLESWORTH ( E D . ) , The Old

Testament Pseudepigrapha, vol. 2, London, 1985, p. 736. 2. See her doctoral thesis submitted to the University of Edinburgh in 1989, published as J. E. TAYLOR, Christians and the Holy Places: The Myth of Judeo-Chris­ tian Origins, Oxford, 1993. Against her extreme scepticism see C. DAUPHIN, "De FÉglise de la circoncision à l'Eglise de la gentilité : Sur une nouvelle voie hors de l'impasse," in Liber annuus 43 (1993), p. 223-242 ; A. STRUS, "Cristiani di origine Giudaica : Una esperienza sepolta? Dati archeologici ed apocrifi," in A. STRUS (ED.), Tra giudaismo e cristianesimo : Qumran — Giudeocristiani, Rome, 1995, p. 87-115.

292

B ARGIL PIXNER

Supper and the apparition on Easter Sunday were added to it and much later also the Dormition of M a r y . A s for most other holy sites in Jerusalem there is indeed a lack of clear information during the first three centuries and only with the beginning of the Byzantines does such information b e c o m e available which, for the sanctuary on Mount Zion, is very sporadic and unclear and shows often a rather negative bias. Such reticence or bias can be explained by the fact, that soon after the Council of Nicea (325 A.D.) the occupants of Mount Zion had fallen into disgrace and therefore their sanctuary was avoided as semi-heretical. A s w e shall see later, during that period the orthodox writers of the church were looking askance on Mount Zion until, towards the end of the fourth century, its inhabitants became reconciled with the imperial church. If there is a lack of literary sources it does not mean (as an argumentum e silentio) that traditions that were recorded later were taken from the air. 1

2

3

3. The Pre-Byzantine

Tradition.

Personally, I follow the opinion of those scholars w h o maintain that there was an almost uninterrupted presence of Jewish believers on Mount Zion from apostolic t i m e s . Jewish by birth and custom, they were more or less orthodox by faith. It was the Nazorean branch of Christianity. In m y opinion it was they w h o were responsible for the symbolic transfer of the name Zion from the hill of the Temple to their hill. For them it was "Nea Sion." W h o else could have been interested in adopting such an exclusive Jewish expression and trans­ ferring it to their o w n hill in Jerusalem? Not the orthodox Pharisaic Jews, w h o with all their hearts were attached to the Temple mount, even though, as Rabbi Aqiba noticed, wild foxes were living among 4

1. K . BIEBERSTEIN - H . BLOEDHORN, Jerusalem: Grundziige der Baugeschichte vom Chalkolithikum bis zur Fruhzeit der osmanischen Herrschaft, vol. II, Wies­ baden, 1994, p. 118-120. 2. Most of the sources are collected in D. BALDI, Enchiridion Locorum Sanc­ torum: Documenta S. Evangelii Loca Respicientia (Jerusalem, 1982 ), p. 473-531, and B. BAGATTI - E . TESTA, Corpus Scriptorum de Ecclesia Maire. I V : Gerusa­ lemme. La redenzione secondo la tradizione biblica dei Padri, Jerusalem, 1982, p. 312-357. 3. Most of the sources are collected in A. F. J. KLIJN - G. J. REININK, Patristic Evidence for Jewish-Christian Sects, Leiden, 1973. 4. B. PDCNER, "Die apostolische Synagoge auf dem Zion," in Wege des Messias und Stàtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 287-326; "Bemerkungen zum Weiterbestehen judenchristlicher Gruppen in Jerusalem," in Wege des Messias und Stàtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkennt­ nisse, Giessen, 1996 , p. 402-411. 3

3

3

NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM)

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its ruins. Long after the Nazoreans had their new Mount Zion, Phari­ saic Jews kept to their traditional place on the Temple mount as it is expressed in the Shemoneh esre in its fourteenth and sixteenth invo­ cations. After 135 A . D . they were banished altogether from Jeru­ salem. Even less interested were the Romans, w h o founded the colony of Aelia Capitolina after 135 A . D . Even the Jewish scholar Josephus Flavius, w h o wrote his works foremost for Greeks and Romans, does not use the word Zion once in his books, which meant nothing to his Gentile readers. In his Jewish War he expresses the opinion that the fortress conquered and occu­ pied by King David stood on the high Western h i l l . Archaeologists proved him wrong for thinking the Jerusalem o f David w a s as large as the one of his time. This probably rather common ancient opinion seems to have influenced also the thinking of the first leaders of the Judeo-Christian church. James, the "brother of the Lord," and Simon Bar-Kleopha, his cousin, considered themselves as Davidites and might have been very proud to reside o n the very place where their ancestor had reigned. When the Pilgrim of Bordeaux in 3 3 3 A . D . visited the area behind "the wall of Sion," the remnants of "David's Palace" were shown to him (see below). It was the followers of the primitive Judeo-Christians w h o needed a Zion and called their hill N e a Sion. I lay special emphasis on the fact that even before the Byzantine period (325-635 A.D.) the location of Zion and the traditions attached to it were mentioned. It was the great church historian Bishop Eusebius of Caesarea (2607-340? A.D.), w h o wrote as early as 3 1 2 A . D . in his Demonstratio evangelica, commenting on Isa 2:4 : 1

The law issuing from Sion is quite different from the one given to Moses on Mount Sinai; it is the word of the Gospel, which went forth from Sion through our Savior Jesus Christ and his apostles and was propagated to all the nations. It is assured that it went forth from Jerusalem and from Mount Sion which is situated besides it (apo tes Ierousalem, kai tou toute prosparakeimenou Sion orous), where our Savior and Lord stayed many times and taught many doctrines. 2

In his Onomastikon Eusebius situates Mount Zion south of Golgotha and north of Hakeldama. S o there can be no doubt which Mount Zion he meant. When Eusebius says that Jesus stayed on Mount Zion and taught there, he can hardly be referring but to anything else as to a tradition in existence already before his time that Jesus held the Last Supper on Mount Zion. Later about 375 A . D . it is 3

4

1. Flavius Josephus, Bellum judaicum 5 . 1 3 7 . 2 . See Eusebius, Demonstratio evangelica 1.4 (Patrologia Graeca 2 2 : 4 3 1 ) . 3 . E. KLOSTERMANN, Onomasticon, Berlin, 1 9 0 4 , p. 7 4 . 2 0 and p. 3 8 . 2 1 (GCS 1 1 ) .

4 . See R . RIESNER, "Der christliche Zion: vor- oder nachkonstantinisch?" in

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B ARGIL PDCNER

Epiphanius of Salamis w h o locates Jesus' Passah Meal on "the (with definite article!) mountain", which can only be Mount Z i o n . It seems that Mount Zion o n the South-Western Hill is even mentioned in an earlier work, namely the apocryphal Lives of the Prophets. This apocryphon is usually considered o f Jewish origin, but was later interpolated as being by die hand of Christians, probably as early as the second century A . D . In describing the life o f Isaiah, it comes to speak of his martyrdom and the place o f his burial: "His (Isaiah's) tomb is near the Tomb o f the K i n g s . . . For Solomon made the tombs, in accordance with David's design, east of Zion" (Vitae prophetarum 13). Knowing the approximate area of the Tomb of the Kings and o f Isaiah in the City o f David on the South Eastern hill, it seems that Mount Zion III, die South Western hill, is referred t o . Zion II, the Temple area, was far to the north. 1

2

3

4

IL Literary evidence of a judeo-christian sanctuary on Mount Zion. 1. The Testimony

of Epiphanius

of

Salamis.

Epiphanius (315-403), later bishop of Salamis in Cyprus, was a native Palestinian. He was born in the south, near Beit Guvrin (Eleutheropolis), probably of a Judeo-Christian family (Patrologia Orientalis 8:406). He lays down his wealth of information about Jewish and Christian sects in his Panarion ( 3 7 5 A.D.) and in his work De mensuris etponderibus (392 A.D.). In this latter work there is a very interesting text with some relevance for our t h e s i s . H e writes that during a journey (130-31 A.D.) Emperor Hadrian (117-38 A.D.) came from Egypt and visited Jerusalem, which Titus, son o f Vespa­ sian, had destroyed in 7 0 A . D . Epiphanius continues: 5

And he found the entire city crushed to the ground, the Temple of God demolished, except for a few homes, and the small church of God (tes tou

F. MANNS - E. ALLIATA (ED.), Early Christianity in Context: Monuments and Docu­ ments, Jerusalem, 1993, p. 85-90. 1. Epiphanius, Panarion 51.27 (GCS 31:297-298). 2. B . PTXNER, "Epiphanius und das Abendmahl auf dem Zion," in Wege des Messias und Statten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archdologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 424-425. 3

3. See D . R. A. HARE, in J. H . CHARLESWORTH ( E D . ) , The Old Testament

Pseud-

epigrapha, vol. 2, London, 1985, p. 380-382. 4. See J. JEREMIAS, Heiligengrdber in Jesu Umwelt, Gottingen, 1958, p. 79. 5. See also J. MURPHY-O'CONNOR, "The Cenacle — Topographical Setting for Acts 2:44-45," in R. BAUCKHAM (ED.), The Book of Acts in Its Palestinian Setting, Grand Rapids, Michigan, 1995, p. 303-321.

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NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM)

theou ekklesias mikras), where the returning disciples, after the Savior left them from the Mount of Olives, went up to the upper room (hyperon [Acts 1:12-13]). It had been built on that part of Sion (Sion) that was left over from the city together with some dwellings and seven synagogues which remained on the mountain like cottages. Of these a single one remained up to the time of Bishop Maximos and Emperor Constantinos like a shelter left in a vineyard as Scripture says (Isa 1:8). 1

What Epiphanius writes here is most probably the tradition of the Judeo-Christians w h o had dwelled on Mount Zion. Their acceptance into the orthodox church toward the end of the fourth century, as w e shall see later, had been accomplished. Then their traditions became gradually also those of Christianity in general. At that time the remains of that ancient synagogue were still in existence, but it was no more considered a synagogue but a genuine church, indeed the "Mother of all Churches." For that reason Epiphanius calls it already a church, although before 130 A . D . there did not exist any churches anywhere in the world. If Epiphanius is correct, the "Mother of all Churches" had been built between 7 0 and 130 A . D . Later in the same description, I agree here with B. Bagatti, Epiphanius calls the same building a synagogue, as indeed it had been. The enigmatic remark of Epiphanius that the synagogue, formerly recognized, ceased existing, might indicate that soon after Nicea, in the years of Bishop Maximos and Emperor Constantinos, perhaps in the thirties, these Nazoreans of Mount Zion, w h o as Jewish believers had difficulty accepting the Council's decision on the Trinity, were ostracized, perhaps even anathematized as Arians or Semi-Arians. 2

2. Earlier

Sources.

It seems that already in Origen (185-255 A.D.) w e find an allusion to the location in Jerusalem where in his days Christians thought the Last Supper had taken place. In commenting on Matt 26:29 he wrote: "If then w e wish to receive the bread of benediction from Jesus... let us g o up into the city to the house of that person, where Jesus cele­ brated die Passover with his disciples... Jesus taught them to say the hymn to the Father, and from one high place pass to another (de alto transire in altum), since there are things that the faithful should not do in the valley. S o he ascended the Mount of O l i v e s . . . Jesus came with his disciples to the plot called Gethsemane from that location (ab illo capi loco) where he had eaten the Passover, since it was not admis­ sible that he would be taken prisoner in the very place where he had

1. See Epiphanius, De mensuris 1 4 (Patrologia Graeca 4 3 : 2 6 0 ) . 2 . B . BAGATTI, The Church from the Circumcision, Jerusalem, 1 9 7 1 , p. 1 1 7 - 1 1 8 .

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B ARGIL PEXNER 1

eaten the Passover". Apparently Origen had his o w n local know­ ledge and found the Cénacle in an upper part of the Holy City. In 333 A . D . an anonymous Pilgrim of Bordeaux, possibly of Judeo-Christian o r i g i n , came from France to Jerusalem. During his visit here he leaves the Temple area and descends to the Siloam Pool. Leaving Siloam he starts his ascent to Mount Zion: 2

In eadem ascenditur Sion et paret, ubifuit domus Caifae sacerdotis, et columna adhuc ibi est, in qua Christum flagellis ceciderunt. Intus autem intra murum Sion paret locus, ubipalatium habuit David. Etseptem synagogae, quae illicfuerunt, una tantum remansit, reliquiae autem arantur et seminantur, sicutlsaias propheta (Is 1:8) dixit. 3

On the way the pilgrim passes the ruins of the palace of Caiaphas and reaches a wall around Mount Zion (murus Sion), enters it, looks at what he is told are the ruins of the palace of David, and finds a syna­ gogue, apparently the same mentioned by Epiphanius. He leaves Mount Zion through the wall and takes the direction towards Nablus Gate (Damascus Gate). Combining this report with the information of Epiphanius w e can conclude that inside the walled Zion compound there was a sanctuary, a synagogue to Jewish eyes, a church to Chris­ tian eyes. A n important piece of evidence of such a sacred structure on Mount Zion is from Cyril (315-386 A.D.), a native of Jerusalem, w h o became its bishop. In 348 A . D . he held catechetical instructions in the Anastasis (Church of the Holy Sepulchre). During one of them he said: "We know, that the Holy Spirit, w h o has spoken through the prophets, descended on Pentecost upon the apostles in tongues of fire in Jerusalem, in the upper church of the Apostles (en te anotera ton apostolon ekklesia)". Instructing the catechumens he remarked that, while speaking of things relating to the passion he chose to speak near Golgotha, so it would be appropriate to speak about the Holy Spirit "in the upper church of the apostles." Since the Anastasis seemed to him lying lower, he evidently meant the church (or synagogue) on Mount Zion. The reason for not doing so might not only have been convenience, but rather the tension that existed at that time with the Nazoreans living there. 4

1. Origen, Commentarii inMatthaeum 8 6 {Patrologia Graeca 1 3 : 1 7 3 7 ) . 2 . See H . DONNER, Pilgerfahrt ins Heilige Land: Die àltesten Berichte christlicher Palastinapilger, Stuttgart, 1 9 7 9 , p. 4 1 - 4 2 . 3 . See Pilgrim of Bordeaux, Itinerarium 1 6 [ed. Geyer, 2 2 ] . 4 . Cyril of Jerusalem, Catecheses 1 6 . 1 4 {Patrologia Graeca 3 3 : 9 2 4 ) .

297

NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM)

III. Archaeological evidence. One of the locations, where a thorough archaeological excavation would be called for, is the area of the so-called "Tomb of David". Unfortunately to get permission to do so seems to be practically impossible for several reasons. There is an old controversy that must be jesolved: Was the Cenaculum building part of the Hagia Sion Church as the Dominican archaeologist L.-H. V i n c e n t of the Ecole Biblique maintained, or was it a building apart as the architect and archaeologist M. G i e s l e r of the Dormition Abbey insisted. The latter could point to the archaeological evidence revealed by the excava­ tions done by H. Renard, when he was excavating the foundations for the Dormition Abbey (1898) and his o w n excavations. It became clear that the position of the central axis of the Hagia Sion excluded the Cenacle building as part of the Byzantine basilica. Giesler also pointed out that the Madaba Mosaic Map (ca. 5 6 0 A.D.) showed clearly that next to the Hagia Sion Church stood another smaller sanc­ tuary, which he and many others identified as the Hyperoon, the Cenacle Church. Giesler pointed out that Vincent himself had found with the help of a precision instrument that there was a 1.5 degree difference between the alignment of the Hagia Sion basilica and the one of the Crusader church, which followed the lines of the much older synagogue-church, "the Mother of all Churches." M. Giesler's identification was confirmed by an archaeological dig (the only one ever made) by the Israeli archaeologist J. Pinkerfeld in 1951. During an artillery attack of the Jordanians a shell pierced a window in the eastern wall and burst in front of the cenotaph of David (the pseudo-tomb of David). During the repair work Pinkerfeld removed all the partly damaged plaster of the tomb and walls and also went about examining the soil beneath the cenotaph and along the eastern wall. He was wondering to what period the thick walls surrounding the tomb belonged. After digging through the Arab layer, he found that the tomb was standing on a Crusader layer, which was 12 c m below the present floor. 4 8 c m below he found a Byzan­ tine floor that consisted of colored mosaics. Then about 10 c m lower "another floor of plaster was found, quite possibly the remains of a stone pavement. It is certain that this floor belonged to the original building... This is evident from the section of the wall which shows at 1

2

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4

1. In L.-H. VINCENT - F.-M. Abel, Jerusalem nouvelle, vol. 2, Paris, 1922, p. 451-455, and plate LXIX. 2. M. GIESLER, "Sancta Sion und Dormitio Dominae: Dire Verbundenheit im Grundplan," in Das Heilige Land 79 (1935), p. 2-13. 3. H. RENARD, "Die Marienkirchen auf dem Berg Sion in ihrem Zusammenhang mit dem Abendmahlssaal, in Das Heilige Land44 (1900), p. 3-23. 4. M. GIESLER, op. cit., in Das Heilige Land 79 (1935), p. 8. ,,

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B ARGIL PIXNER 1

that level a foundation ledge projecting into the hall." Pinkerfeld finally drew the conclusion that the original building was probably a synagogue. Ostraca found in the lowest layer indicate that the postu­ lated synagogue must have been a Judeo-Christian o n e and later I argued that the direction of the niche (towards Golgotha) points to the same f a c t . The large ashlars of the ancient building, that were appa­ rently of second usage, must have c o m e from some Herodian building. T h e buildings o f origin might have been the Herodian Palace, today called the Citadel, or — I dare to suggest — the ruins of the Temple. It can be noticed that the corners of the blocks were damaged during the transport. The beautifully cut lowest ashlars are of almost uniform height (96 cm). Ashlars o f that same height and shape I found south o f the Wailing Wall amongst the heap o f stones from the inner part of the Jerusalem Temple. Besides the Madaba Map, which shows two different sanctuaries next to each other, there is another proof for this in the north-east corner of the cenacle building. A photo made by J. Pinkerfeld shows that the foundation stones form a straight vertical line, and are not interlocking in any way with another structure to the north. This proves that the Cenacle building was from the start a building by itself. Its ashlars therefore were not part of the Hagia Sion. Those w h o contest this are at a loss to explain what possible purpose the niche behind the "tomb o f David" could have served, if this room was just a corner o f the Hagia Sion. That niche can best be explained as one of three(?) original niches serving as a depository for Scripture scrolls (Torah, Prophets) as seen in the synagogues of Eshtemoa, Naveh and Dura Europos. That the oldest part o f the so-called Tomb o f David was originally a Judeo-Christian synagogue is maintained by scholars like E. P u e c h and S. C. M i m o u n i . When during the seasons around 1980 w e did our re-excavation on the southern slope of Mount Zion, w e found three superimposed gate s i l l s . The lowest w e identified as the "Gate of the Essenes" 2

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1. J. PINKERFELD, '"David's Tomb': Notes on the History of the Building," in Bulletin of the Louis Rabinovitz Fund for the Exploration of Ancient Synagogues 3 (1960), p. 41-43, especially p. 42. 2. See B. BAGATTI, op. cit., Jerusalem, 1971, p. 120-121. 3. B. PTXNER, "The Apostolic Synagogue on Mount Zion," in Biblical Archaeolo­ gical Review 16, no. 3 (1990), p. 16-35 and p. 60. 4. J. PINKERFELD, op. cit., in Bulletin of the Louis Rabinovitz Fundfor the Explora­ tion of Ancient Synagogues 3 (1960), plate IX : 2. 5. E. PUECH, "La synagogue judéo-chrétienne du mont Sion," in Le Monde de la Bible 57 (1989), p. 18-19. 6. S. C. MIMOUNI, "La synagogue 'judéo-chrétienne' de Jérusalem au mont Sion," in Proche-Orient chrétien 40 (1990), p. 215-234. See also S. C. MMOUNI, Le Judéochristianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 369-387. 7. B. PIXNER - D. CHEN - S. MARGALIT, "The 'Gate of the Essenes' Re-Exca-

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NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM) 1

(ca. 3 0 B.C.E) of Flavius Josephus, the top one as a Byzantine Gate (ca. 4 5 0 A . D . ) . The middle sill was the most difficult one to ascribe. Ceramic material scratched from underneath the gate w a s late Roman (Aelia Capitolina). The builders o f that gate had used the same channel and the same street as those used by the builders of the Essene Gate. But it was o f very poor workmanship; the material had been gathered from somewhere else and was badly cut to fit their purpose. The socket for the gate post too was very primitive compared with the Essene Gate socket. In front o f that sill and behind it w e found two coins o f Emperor Heliogabalus (218-222 A.D.), which would indi­ cate that at that time there was some work done on the street and the channel beneath it. W e ascribed it to the wall (murus Sion), which the Pilgrim of Bordeaux (333 A.D.) found surrounding Mount Z i o n . Its poor quality would indicate that it could have been a protective wall (like a ghetto wall) for the inhabitants, possibly to grant the JudeoChristian community, as seems the case in Capharnaum, some protection from the Gentiles and later the powerful Byzantine Chris­ tians of the empire. 2

3

4

IV. Historical reconstruction of Mount Zion. On the basis of literary and archaeological evidence available to us w e can attempt to reconstruct the history of the Nazoreans during the first four hundred years o f their existence on Mount Zion. Even though some of the evidence is inconclusive and must be considered hypothetical, the ensemble of the evidence allows us a clearer picture of the beginnings of Christianity.

1. Origin of the

Nazoreans.

I follow the opinion of those authors w h o believe that originally "Nazoreans" (nsrym, Nazoraioi) was the denomination of a clan w h o claimed to be descendants of David, to w h o m the family of Jesus also

vated," in Zeitschrift des deutschen Palastina-Vereins 1 0 5 ( 1 9 8 9 ) , p. 8 5 - 9 5 , and plates 8 - 1 6 ; D. CHEN - S. MARGALIT - B . PTXNER, "Mount Zion: Discovery of Iron Age Fortifications below the Gate of the Essenes," in H. GEVA (ED.), Ancient Jeru­ salem Revealed, Jerusalem, 1 9 9 4 , p. 7 6 - 8 1 . 1. Flavius Josephus, BeHum judaicum 5 . 1 4 5 . 2. See R . RIESNER, "Josephus' 'Gate of the Essenes' in Modern Discussion," in Zeitschrift des deutschen Palastina-Vereins 1 0 5 ( 1 9 8 9 ) , p. 1 0 5 - 1 0 9 . 3. B . PIXNER, "The History of the 'Essene Gate' Area," in Zeitschriftdes deutschen Palastina-Vereins

1 0 5 ( 1 9 8 9 ) , p. 9 6 - 1 0 4 .

4 . See S. LOFFREDA, Recovering Capharnaum, Jerusalem, 1 9 8 5 , p. 5 8 - 5 9 .

300

B ARGIL PIXNER 1

b e l o n g e d . The enigmatic expression of Matt 2:23 that Jesus would be called the Nazorean (ho Nazoraios) w a s interpreted b y the Nazoreans themselves as originating from the prophecy o f Isa 11:1, that from the roots of Jesse a shoot (nsr) will grow up, as Jerome reports. Already in Qumran the prophecy had been interpreted messianically (4Q285 2-5). Julius Africanus informs us that the Nazoreans of the family of Jesus (desposynoi) came originally from the villages of Kokhaba and N a z a r a , bearing suspiciously messianic names, "village of the star" (kwkb [Num 24:17]) and "village of the shoot (nsr [Isa 11:1])." Putting things together it can be assumed that the Davidic families in the Babylonian diaspora kept track o f their genealogies; two are preserved in the gospels of Matthew (1:1-16) and Luke (3:23-38). When the Hasmoneans incorporated Galilee and the Batanea into their Jewish commonwealth, a part of these Davidites moved to Israel founding Kokhaba in the Batanea and resettling the abandoned village o f Galilee (after a settlement gap o f 6 0 0 years), which took their clan's name Nazara or Nazareth. I am of the opinion that in the Batanea the Nazoreans were influenced by Essene ideology and followed also their solar calendar system of 3 6 4 d a y s . While Jesus distanced himself from the restrictive Essene mentality and founded in Capharnaum his o w n haburah o f the T w e l v e and lived with them a normative Jewish life, his brothers remained loyal to their Essene practices. The most divisive difference between the Essenes and other Jewish groups lay in the fact that these followed a feast calendar which was different from that followed b y the majority of Jews. It seems that when Jesus' brothers went up to Jerusalem for their feasts, they celebrated them according to the solar calendar. A scholar like P. Sacchi sees also some Essene influences in the family of Jesus, especially in its calendar p i e t y . It is written that Jesus refused to g o with his brothers to their feast o f Tabernacles, because his time (kairos) had 2

3

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1. B. GARTNER, Die rdtselhaften Termini Nazoràer und Iskariot, Uppsala, 1957, p. 5-36 ; R. RIESNER, "Nazarener / Nazaret," in M. GÒRG - B. LANG ( E D . ) , Neues

Bibel-Lexikon, fase. 10, Solothurn-Dusseldorf, 1995, p. 908-912. 2. Since neser is written with a sade, it would be better to pronounce it neser. 3. Jerome, Commentarli in Isaiam 4 {Patrologia Latina 24:148; Patrologia Latina 22:574). 4. Eusebius, Historia ecclesiastica 1.7.14. 5. Flavius Josephus, Antiquitates judaicae 12:393 ff. 6. B. PIXNER, "Die Batanàa als judisches Siedlungsgebiet," in Wege des Messias und Stàtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im lÀcht neuer archàologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 159-165. 7. B. PIXNER, "Jesus and His Community: Between Essenes and Pharisees," in J. H. CHARLESWORTH - L . L . JOHNS (ED.), Jesus and Hillel. Comparative Studies of Two Major Religious Leaders, Minneapolis, Minnesota, 1997, p. 193-224. 8. P. SACCHI, "Recovering Jesus' Formative Background," in J. H. CHARLES3

NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM)

301

not yet c o m e . H e went to Jerusalem on a later date, the official one of the Temple (John 7:2-5). The brothers celebrated most probably o n Mount Zion, where Essene practice w a s prevalent, making use of 1

the guest-house which Essenes offered to their friends. Could the surprising expression in Mark 14:14 "my guesthouse"

(katalyma

mou) mean that Jesus had made u s e of that guest-house together with members of his family in former years?

2. Jesus and the Essenes

on Mount

Zion.

I have excavated a gate of the Roman period on the south-western slope o f Mount Zion (see above), which Flavius Josephus judaicum

5:145) calls the "Gate o f the Essenes" (pule ton

(Bellum Essenon).

There is strong evidence that next to that gate w a s also an Essene Quarter. This w a s suggested earlier by scholars like J. B . L i g h t f o o t , 3

2

4

E. Schiirer, and M.-J. L a g r a n g e , in recent times strongly defended 5

6

7

by E. R u c k s t u h l , R. R i e s n e r , B . J. C a p p e r , and m y s e l f ,

8

and also

accepted by leading scholars o f the Qumran-Studies like M. D e l c o r ,

9

WORTH (ED.), Jesus and the Dead Sea Scrolls, New York, 1993, p. 123-139; "Qumran e le orìgini cristiane," in A. STRUS (ED.), Tra giudaismo e cristianesimo, Rome, 1995, p. 61-86. 1. Flavius Josephus, Bellum judaicum 2.124-25. 2. J. B. LIGHTFOOT, St. Paul's Epistles to the Colossians and Philemon, London, 1875, p. 94, n. 2. 3. E. SCHÛRER, Geschichte des jiidischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, vol. 2, Leipzig, 1907 , p. 657-658, n. 5. 4. M.-J. LAGRANGE, Le Judaïsme avant Jésus-Christ, Paris, 1931 , p. 317. 5. E. RUCKSTUHL, "Zur Frage der Essenergemeinde in Jerusalem und zum Fundort von 7Q5," in B. MAYER (ED.), Christen und Christliches in Qumran?, Regensburg, 1992, p. 131-138. 6. R. RIESNER, "Jesus, the Primitive Community, and the Essene Quarter of Jerusalem," in J. H. CHARLESWORTH (ED.), Jesus and the Dead Sea Scrolls, New York, 1993, p. 198-234 ; Essener und Urgemeinde in Jerusalem: Neue Funde und Quellen, Giessen, 1998. 7. B. J. CAPPER, "'With the Oldest Monks...': l i g h t From the Essene History on the Career of the Beloved Disciple?" in Journal of Theological Studies 49 (1998), p. 1-55. 8. B. PDCNER, "An Essene Quarter on Mount Zion?" in Studia Hierosolymitana I: Studi archeologici in onore di P. Bellarmino Bagatti, Jerusalem, 1976, p. 245-285; "Das Essener-Quartier in Jerusalem," in Wege des Messias und Statten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 180-207; "Jerusalem's Essene Gateway: Where the Community Lived in Jesus' Time," in Biblical Archaeology Review 23, no. 3 (1997), p. 22-31, p. 64-66. 9. M. DELCOR, « À propos de l'emplacement de la porte des Esséniens selon Josèphe et de ses implications historiques, essénienne et chrétienne», in Z. J. KAPERA (ED.), Intertestamental Essays in Honour of Jézef Tadeusz Milik, Krakow, 1992, p. 25-44 4

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B ARGIL PIXNER 1

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G. Boccacini, and É. Puech. Jesus and his disciples belonged to that group of Jews w h o followed the established practice of the Temple hierarchy and its lunar feast calendar, with one exception. Knowing of the decision of the central body of the Sanhédrin to do away with him before Passover (John 11:46-53; Matt 26:5; Mark 14:2) and desiring to celebrate a last Passover meal with his disciples (Luke 22:15), he decided to follow the Essene calendar, according to which the fifteenth of Nisan always fell on a Wednesday. H e did so in a guest-house (katalyma [Mark 14:16-17; Luke 22:12]) of the Essene quarter on Mount Zion. It was probably his brother James who, as in former years, had rented that upper room for the occasion. This may be hinted at in the fragment of the Gospel of the Hebrews about an apparition of the risen Lord to his brother. After Jesus was taken prisoner during the night to Wednesday, the trial of Jesus lasted over two days up to Friday. In this I am supporting the long chronology of the Passion as it was espoused by Mrs. A. Jaubert and defended by E. Ruckstuhl. Both were following an old tradition in the Syrian Didascalia Apostolica (5.12-18) and Epiphanius (Panarion 51.26-27.3), which ultimately, as E. Testa from the Studium Biblicum Franciscanum thinks, has its roots in the Passion liturgy of the Judeo-Christian community of Jerusalem. Very recently É. Nodet and J. Taylor from the École Biblique et Archéologique Française show some sympathy for the Last Supper according to the Essene calendar. S o w e can best explain the apparent contradiction between the Passover dating of the Synoptics and the one of John (18:28; 19:14, 31). It is my opinion that the former envision Passover according to the solar calendar practised on Mount Zion (on the eve of Wednesday), while John bases the sequence of events according to the lunar calendar used by the Jews following the 3

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1. G. BOCCACINI, Beyond the Essene Hypothesis: The Parting of the Ways between Qumran and Enochic Judaism, Grand Rapids, Michigan, 1998, p. 27-29. 2. É . PUECH, op. cit., in Le Monde de la Bible 107 (1997), p. 55. 3. Text in A. F. J. KLIJN, Jewish-Christian Gospel Tradition, Leiden, 1992, p. 79-86. 4. A. JAUBERT, La Date de la Cène : Calendrier biblique et liturgie chrétienne, Paris, 1957 (= The Date of the Last Supper, Staten Island, 1965). In 1977, whenl was visiting Professor Annie Jaubert at the Sorbonne, she strongly encouraged me to follow up with my investigations in the Essene Quarter of Jerusalem. Unfortunately, this highly gifted and very modest scholar died shortly after my stay in Paris. 5. E. RUCKSTUHL, Chronology of the Last Days of Jesus : A Critical Study, New York, 1965; E. RUCKSTUHL, "Zur Chronologie der Leidensgeschichte Jesu," in Jesus imHorizontderEvangelien, Stuttgart, 1988, p. 101-184. 6. E. TESTA, The Faith of the Mother Church: An Essay on the Theology of the Judeo-Christians, Jerusalem, 1992, p. 159-184. 7. É . NODET - J. TAYLOR, The Origins of Christianity: An Exploration, Collegeville, Minnesota, 1998, p. 88-126.

303

NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM) 1

Temple hierarchy. Their Passover meal took place on the eve of Shabbat (fifteenth of Nisan) in the year 3 0 A . D . , generally accepted as the year of the P a s s i o n . 2

3. The Nazoreans

of Jesus' Family in

Jerusalem.

It is an amazing fact that, after the departure of Jesus, there were members of the Nazorean family from Galilee w h o played such a prominent role during the early developing years of the church in Jerusalem (Acts 1:14). During the public Galilean ministry they stood outside the intimate circle of Jesus. There was James, "the brother of the Lord" (Gal 1:19), w h o was not one of the Twelve. Bishop Epiphanius says of him: "We know of his originating from the house of David, since he was a son of Joseph the Nazorean [of a first m a r r i a g e ] " . There was Simon Bar-Kleopha, his cousin; there was Mary, the mother of Jesus, and probably also James' brother Jude. James, not Peter, is considered the first bishop of the primitive community. Simon Peter, as most other apostles, left Jerusalem after the onset of the persecution in around 4 2 A . D . under Agrippa I (Acts 12:1 ff.). When Peter and several of the disciples came back to Jerusalem to decide on the Gentile believers (around 48 A.D.), it was James w h o added his decisive voice supporting the position of Paul and Barnabas (Acts 15:13-21). There is evidence for the view that during those days Mary, the mother of Jesus, died surrounded by a group of apostles, as the apocryphon Transitus Mariae, stemming from an old Jerusalem Judeo-Christian tradition, has it. Because of the prominence of these members of Jesus' family and other Nazoreans, it seems that in those days the Jews of Jerusalem started to extend the name "Nazorean" to all Jewish believers in the Messiah. S o even of the former Pharisee Paul it was said that he had become "a ringleader of the sect of the Nazoreans" (hairesis ton Nazoraion [Acts 24:5]). 3

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1. B . PKNER, "Das letzte Abendmahl Jesu," in Wege des Messias und Stâtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Lichtneuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 219-228 ;B.J*IXNER, With Jesus in Jerusalem: His First and Last Days in Judea, Rosh Pinna, 1998 . 2. See R. RIESNER, Paul's Early Period: Chronology, Mission Strategy, Theology, Grand Rapids, Michigan, 1998, p. 35-58. 3. See also R. J. BAUCKHAM, Jude and the Relatives of Jesus in the Early Church, Edinburgh, 1990, p. 315-370. 4. Epiphanius, Panarion 29.4.1-2 (Patrologia Graeca 41:594). 5. See F. MANNS, Le Récit de la Dormition de Marie : Vatican grec 1982, Jeru­ salem, 1989. 6. B . PIXNER, "Maria auf dem Zion," in Wege des Messias und Stâtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 348-357. 3

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B ARGIL PIXNER

4. The Proximity

ofNazoreans

and

Essenes.

Since it can n o w be said that there is a strong probability that in the first Christian century two religious communities, the Essenes and the Nazoreans, were living side by side on Mount Zion, it is legiti­ mate to find in this fact a possible point of contact between these two groups. Some structural similarities between them have indeed been baffling many scholars. Is Mount Zion (rather than Qumran) the area were these two religious communities came in contact with each other? W e may ask ourselves two questions: (1) W h y did the primi­ tive community on Zion adapt a social system, "the community of goods" (Acts 2:42; 4:32), not used anywhere else in the Christian world? Could it be, as B. J. Capper strongly argues, that having an eschatological outlook similar to that of the Essenes (the end of days being at hand) and living next to them, they adapted their social system of having everything in common, but on a more voluntary basis than the Essenes? (2) Where did that group of priests mentioned in Acts 6:7 c o m e from w h o joined the church? Of the three major reli­ gious groupings, Pharisees, Sadducees, and Essenes, it was the latter two w h o were composed to a large extent by kohanim, while the Pharisees were mostly lay people. It is almost absurd to think that this group of kohanim came from the Sadducees, the sworn enemies of the believers in Jesus the Messiah. So in all probability they must have c o m e from the Essenes, as many scholars have suggested after the Qumran f i n d i n g s . Then there is a strong likelihood that these priests believing in Jesus as the Messiah came from the Essene quarter on Mount Zion. It was in 6 2 A . D . that during an interstice between one governor and his successor, the Sadducean High-priest Ananus succeeded in having James, the brother of the Lord, lynched in the T e m p l e . His moral authority as the brother of Jesus, his piety, and his faithfulness to Jewish customs had made him "a bulwark around his p e o p l e " . With his death came a period wrought with grave danger from inside and outside. From the few references w e receive from the historian E u s e b i u s , w h o draws his information from Hegesippos, a JudeoChristian author of the middle of the second century, the election of James' successor was full of dire consequences. The body of electors 1

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1. B . J. CAPPER, "The Palestinian Cultural Context of Earliest Christian Commu­ nity of Goods," in R. BAUCKHAM (ED.), The Book of Acts in Its Palestinian Setting, vol. 4, Grand Rapids, Michigan, 1995, p. 323-356. 2. See H . BRAUN, Qumran und das Neue Testament, vol. 1, Tubingen, 1966, p. 153-154, for literature. 3. Flavius Josephus, Antiquitates judaicae 20.197-203. 4. Eusebius, Historia ecclesiastica 2.23.7. 5. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.22.1.

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NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM)

is said to have been composed of two groups: (a) the disciples that were still left over from the days of Jesus and (b) the blood relatives of Jesus. Group a seems to indicate, that the election must have been soon after the martyrdom of James; group b that the desposynoi (the Lord's relatives) must have been rather numerous in Jerusalem. Hegesippos reports that the body of electors met in a certain place — it was on Zion according the monk Alexander (ca. 5 4 0 ) — to choose the successor of James. It was Simon (or Simeon), the son of Kleopha (or Klopas [see Luke 24:18; John 19:25]), w h o had been a brother of Joseph of Nazareth, w h o was e l e c t e d . In a parallel passage Hegesippos tells us according to Eusebius: "After James, surnamed the just one (ho dikaios), suffered martyrdom like the Lord, w h o s e teachings he had propagated, again a cousin of his was installed as bishop, namely Simeon Bar-Kleopha". 1

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5. The Split in the Judeo-Christian

Community.

Here a very enigmatic personality enters the picture. His name is Thebuti. A man by that same rare name is also mentioned by Flavius J o s e p h u s . H e was a priest, whose son Jesus succeeded in paying off the General Titus after the capture of Jerusalem (70 A.D.) with precious gifts he retrieved from a secret hideout. The name Thebuti is unique and the time and circumstances are so bafflingly appro­ priate so that some scholars have suggested that the Thebuti of Josephus is the same personality as the Thebuti mentioned by H e g e ­ sippos. In m y opinion this identification makes sense and could be the basis of a fascinating study. Thebuti the priest apparently survived the destruction of Jerusalem. He might have been one of the group of kohanim (Acts 6:7), that joined the church right in the beginning; perhaps he was even their leader. Hegesippos says, that this man originated from one of the seven Jewish sects. In enumerating them according to their favorable attitude towards the tribe of Judah and Christ, Hegesippos starts out with the Essenes and ends with the Phar­ i s e e s . Can w e assume that this Thebuti might have had an important position in the Essene community? His son got the treasures that "were similar to those used in the T e m p l e " perhaps from an Essene 4

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1. D . BALDI, Enchiridion Locorum Sanctorum. Documenta S. Evangelii Loca Respicientia, Jerusalem, 1 9 8 2 , p. 4 8 6 . 2 . Eusebius, Historia ecclesiastica 3 . 1 1 . 3 . Eusebius, Historia ecclesiastica 4 . 2 2 . 4 . 4 . Flavius Josephus, Bellum judaicum 6 . 3 8 7 . 5 . See N . HYLDAHL, "Hegesipps Hypomnemata," in Studia Theologica 1 4 ( 1 9 6 0 ) , p. 7 0 - 1 1 3 , especially p. 9 7 .

6 . Eusebius, Historia ecclesiastica 4 . 2 2 . 7 . 7. Flavius Josephus, Bellum judaicum 6 . 3 8 8 .

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hiding place mentioned in the Copper Scroll ( 3 Q 1 5 I I 3 - 4 ) under the Greek initials QE, the first two letters of his n a m e . Thebuti, so says Hegesippos, had expected to become bishop. The reasons for such aspirations might lie in Essene doctrine. B y the standards held by the Essenes it was the priests w h o were called to have precedence over other members (11 QMiqd 56.20-21; 57.12-13; 58.18; 59.13-23), even the Messiah of David (4QpIs 1.22-24). When Thebuti realized that once more a member of the family of Jesus was chosen bishop, he protested. The protest was directed against the strong influence o f the Galilean Nazoreans. The protest led to a schism. Hegesippos informs us that Thebuti caused the first rift in the church, which up until then "had been like an untouched virgin". Steeped in the basic doctrine of the uniqueness of God, the Essene believers in Jesus could not stomach the ideas that gradually became rampant in circles of the Nazoreans about the pre-existence of the Son of God. They revolted against the idea of the incarnation of God born of a virgin. For them, Jesus the son of God meant that he too like M o s e s had been adopted to b e the son o f God, namely during his baptism in the Jordan (adoptionism). It w a s mostly the Essene believers w h o joined this schism. T o identify themselves they used an expression, already used b y the Essenes (1QM 11.9, 13; 13.14, etc.), namely ebionim (°bywnym) — "the poor ones." They seem to have stuck to the ideal of the community of goods much longer than other g r o u p s . Their writings (for example, the Kerygmata Petrou) show a very strong bias against Paul. In time they issued a gospel, which bears their name. While the original gospel o f Mark and also the letters o f Paul d o not yet have any allusion to the virgin birth in Bethlehem, Luke and Matthew, w h o wrote after the Ebionite schism, bring the family tradition o f Jesus' youth story in opposition to Ebionite teaching. They show a marked anti-Ebionite pointe. Since it w a s especially the Essenes w h o joined the Ebionites (see below), could that be one reason that the canonical gospels have no word about them in a kind of damnatio memoriae! The initially promising Essene experience unexpectedly took an undesirable direction. S o I favour the suggestion of R. A. Fritz and S. C. M i m o u n i to reserve the name 1

a

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L B . PIXNER, "Unravelling the Copper Scroll Code: A Study in the Topography of 3 0 1 5 , " in Revue de Qumrân 1 1 ( 1 9 8 3 ) , p. 3 2 9 - 3 6 1 .

2. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.22A. 3 . See Pseudo-Clement, Homilies 1 5 . 5 - 1 1 . 4 . R. A. PRITZ, Nazarene Jewish Christianity from the End of the New Testament Period until Its Disappearance in the Fourth Century, Jerusalem-Leiden, 1 9 8 8 . 5. S. C. MIMOUNI, "Les nazoréens : Recherche étymologique et historique," in Revue biblique 1 0 5 ( 1 9 9 8 ) , p. 2 0 8 - 2 6 2 .

NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM)

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Nazorean after the Ebionite schism for the Judeo-Christians w h o remained orthodox.

6. The Flight to Pella and the Return to Mount

Zion.

A few years after the Ebionite schism the great Jewish-Roman war erupted (66-70 A.D.). After the Roman legions under the command of Vespasian had conquered Galilee and were marching against Jeru­ salem, Simon Bar-Kleopha took his Nazoreans and fled with them into the region of Pella beyond the Jordan. W e get this information from E u s e b i u s and Epiphanius with the remark that the flight was undertaken on account of an oracle, which might be identical with the one in Mark 13:14 ff. Hoping that with the fall of Jerusalem and the Temple the parousia (return of Christ) would arrive, they fled and were moving "from place to place" in expectation of the return of the "Beloved One," as the Ascension of Isaiah (3.21-4.13) says. According to P. Riessler this is an Essene apocryphon with Christian redaction. W e n o w have an archaeological hint, even though not conclusive, regarding the year in which this flight might have taken place. During our excavation of 1983 under the annex of our abbey w e found in the Roman layer a street with a series of rather poor houses, one with a miqweh, a Jewish ritual b a t h . They were possibly dwellings of the impoverished Primitive Community. The coins found in the destruction layer of that area all stopped with the second year of the revolt (67-68 A.D.). Jerusalem had fallen and its Temple had been destroyed. Still the longed for parousia did not c o m e about. The Nazoreans realized then that they might have to wait a long time for it to happen. S o Simon Bar-Kleopha gathered his faithful and returned to Jerusalem, possibly in the fourth year of Vespasian, when Masada fell (73-74 A.D.). The Essene quarter and the Cenacle building lay in ruins. On the spot where the ancient Cenacle building had stood, they built their new community center as a bet-knesset, a synagogue with 1

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1. Eusebius, Historia ecclesiastica 3.5.3. 2. Epiphanius, Panarion 29 J J (GCS 25:330). 3. B. PTXNER, "Simeon Bar-Kleopha, zweiter Bischof Jerusalems," in Wege des Messias und Stdtten der Urkirche: Jesus und das Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 358-364. 4. P . RIESSLER, Altjiidisches Schrifttum ausserhalb derBibel, Heidelberg, 1966 , p. 1300. 5. B. PTXNER, "Archàologische Bemerkungen zum Jerusalemer Essener-Viertel und zur Urgemeinde," in B. MAYER (ED.), Christen und Christliches in Qumran ?, Regensburg, 1992, p. 89-114, especially p. 105-111. 6. Eusebius, Historia ecclesiastica 3.11. 7. Eutychius, Annales (Patrologia Latina 111 :985). 3

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meeting and prayer hall. They laid the foundations of their synagogue not to face longer towards the Temple, as other synagogues are built, but towards "the place of the resurrection of the Lord", as Theodosius of Jerusalem says. This was apparently the new prayer direc­ tion for the Jerusalem Nazoreans. If w e accept the statement of Eusebius, they developed into a remarkably strong Jewish community up to the year 135 A . D . The "Herodian-type" large ashlars, which they used for their synagogue, I believe came from the ruins of the Temple rather than from the Upper Herodian palace, which by then had been occupied by the Tenth Legion (see above). This hill was their N e a Sion, and the synagogue took the ancient name, either Greek Hyperoon or Aramaic Alito. Although Simon Bar-Kleopha, already a very old man, was martyred, the community seemed to prosper under the thirteen bishops w h o followed. They all came from Jewish stock. The last one was Juda Kyriakos, whose name suggests that he too came from the desposynoi, w h o had been related to Jesus. Since these Nazorean Jews did not recognize the messianic claim of Bar Kochba and refused to take part in his revolt, they were perse­ cuted by him, as Justin Martyr relates. For that reason it is doubtful whether they too were ordered to leave the city with the belligerent Jews, or whether they were allowed to stay on. Emperor Hadrian (117-138 A . D . ) was known for his sense of justice; for example, he ordered a rescript to the governor of the province of Asia not to pay attention to frivolous accusations, but to treat all according to the rules of l a w . Those that stayed on or those that returned during the mild reign of Hadrian's successor Antoninus Pius (138-161 A.D.) did evidently take care of their sanctuary on Mount Zion, possibly accepting also the supervision of the new Roman bishop Marcus of the Aelia Capitolina. But after the Council of Caesarea (196 A.D.) w e hear of apparently Judeo-Christian (Quartodecimanian) opposi­ tion in Jerusalem against the bishops Narcissus and A l e x a n d e r . Guessing from coins found at the intermediate sills of the Essene gate excavations (see above) it was around the reign of Emperor Heliogabalus ( 2 1 8 - 2 2 2 A.D.) that a simple wall was erected around the compound of Mount Zion (murus Sion). It was meant to give some 1

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1. Theodosius of Jerusalem, De situ Hierusolimae 4 [ed. Geyer, 125]. 2. Eusebius, Demonstratio evangelica 3.5. 3. Eusebius, Historia ecclesiastica 3.32. 4. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.5.1-4. 5. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.5.3. 6. JustinMartyT,Apologia 1.31. 7. Justin Martyr, Apologia 1.65. 8. Eusebius, Historia ecclesiastica 4.6.4. 9. See B . BAGATTI, op. cif., Jerusalem, 1971, p, 10.

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NAZOREANS ON MOUNT ZION (JERUSALEM)

protection to the shrinking number of Nazoreans. When Eusebius visited Mount Zion in his youth ca. 3 0 0 A . D . he found the place very isolated and he saw with his o w n eyes the area around that wall being ploughed b y veterans of the Roman l e g i o n s . Before the Byzantine period, their Jewish w a y of life and the autonomy of the Nazoreans was accepted by the other Christians. Eusebius called them their "brothers w h o guarded the throne of J a m e s " . But commenting on Isa 28:16 the Church historian formulated this strong criticism concerning Mount Zion: 1

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How simple minded and almost ridiculous is the misconception of those who in a corporeal way expect that a stone of those that are recognized to be very perfect and most praiseworthy (lithon tina touton de ton polytelon kaipolytimon einai nomizomenon) is to be inserted into the foundation of the material Sion (eis ta themelia

tes somatikes

Sion emblethesetai)

by

the intercession of the Lord himself; whoever puts his trust in that stone will not be confounded, as it is prophesied. Hence while rejecting such foolish and Jewish stories (tas moras toigaroun

kai Ioudaikas

diegeseis),

which the Apostle called "myths" (1 Tim 1:14), we accept the prophecies as worthy of God and divinely inspired. For he says: "Behold I place a stone into the foundation of Sion, etc." (Isa 28:11-17). 3

In the Patrologia Graeca of J. P. Migne the demonstrative pronoun touton remained untranslated, which shows the helplessness of the editor with this passage. Apparently Eusebius had been shown on Mount Zion a specific wall of revered stones. A s w e have seen the only outstanding building which stood there "like a cottage in a cucumber field" (Isa 1:8) was the Judeo-Christian synagogue, w h o s e walls were made up of mighty Herodian ashlars. They possibly had been salvaged from the ruins of the Temple and can still be admired today surrounding the pseudo-tomb of David. The fact that Eusebius speaks of a "Jewish story" might show that during his visit on Mount Zion it w a s one of the Judeo-Christians living there w h o had been boasting about the eschatological destiny of those stones. Against such "myths" the pupil of Origen gave his o w n "spiritual" — that is, allegorizing — interpretation of this prophecy.

7. Mount Zion and Its Inhabitants

Ostracized.

U p to the Council of Nicea (325 A . D . ) a modus vivendi was observed between the Gentile and Jewish Christians, but after that followed a very critical period. Either the Judeo-Christians were not invited to the council or they refused to attend. The strong sentiment 1. Eusebius, Demonstratio evangelica 7.1 (Patrologia Graeca 22:635). 2. Eusebius, Historia ecclesiastica 7.19. 3. Eusebius, Eklogae Propheticae 4.13 (Patrologia Graeca 22:1217).

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B ARGIL PIXNER

against the Jews in the fourth century was also extended to them. They were ostracized; they were considered outsiders, even heretics. Around 337 A . D . under Bishop Maximos and Emperor Constantine they seem to have been excommunicated (see above). U p until that period the synagogue on Mount Zion was recognized as orthodox, although an autonomous branch of the universal church, but with its refusal to accept the decision of Nicea, it was cut off. This was exactly what Epiphanius points out when he mentioned that originally Mount Zion was kept in high honor until it was "cut off' (tmetheisa) from the rest of Jerusalem. The various church fathers of that period refer repeatedly to the prophecy of Isa 1:8-9 : "And the daughter of Zion is left like a booth in a vineyard, like a lodge in a cucumber field. If the Lord of hosts had not left us a few survivors, w e should have been like S o d o m and become like Gomorrha." The Pilgrim of Bordeaux and Epiphanius (see above) mention that on Zion were originally seven synagogues, of these there is only one that remains "like a lodge in a cucumber field." In Epiphanius w e possibly can find an explanation to what they meant by the seven synagogues and the one left over. H e says that "there were seven sects (haireseis) in Israel, in Jerusalem and in Judaea," but now, he continues, "there are no more Scribes, no Phar­ isees, n o Sadducees, no Hemerobaptists or Herodians... few are the Nasareans... and the remnant of the O s s e a n s " . Of this seventh Jewish sect, the Osseans (that is, the Essenes), he adds that they later abandoned Jewish Law practices and joined the Ebionites. Did Epiphanius think that some Ebionites were the few survivors of the "seven synagogues" (that is, Jewish sects), occupying that "lodge in the cucumber field" (Isa 1:8) on Mount Zion? When the learned scholar Jerome ( 3 4 0 - 4 2 0 A.D.) was writing his comment on Micah's prophecy about Mount Zion at the end of days (Mic 3:9 - 4:13), he revealed a haughty contempt for these poorly educated Jewish believers on Mount Zion. Their number was dimini­ shing, while the Gentile church was growing. Expanding on Mic 4:7, "and the lame I will make a remnant and those w h o were cut off, a strong nation," he shows his one-sidedness by saying: "God will reign over them, namely the many Gentile nations and also over the lame remnants on Mount Sion, in the church (and) in the watchtower". From the top of that synagogue there must have been a beau­ tiful view all around, for the writers explain Zion as specula or arx 1

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1. Epiphanius, Panarion 2. Epiphanius, Panarion 3. Epiphanius, Panarion 4. Jerome, Commentarli

46.5.5 (Patrologia Graeca 41:485 ; GCS 31:208-210). 20.3.1-2 [Patrologia Graeca 41,271; GCS 25:228]. 20.3.3. in Michaeum 1.4 (Patrologia Latina 25:1188-89).

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(akra), so also Jerome: Sion, quae in arcem vel speculum vertitur. Recalling his visit on Mount Zion with Paula, the senator's daughter, Jerome writes in a slighdy sarcastic vein that these people were just after her m o n e y ; further on he cannot refrain from stating that Zion's hill w a s no more what it used to be, but w a s n o w indeed ploughed over and overgrown with brush (as mentioned in Micah's prophecy [Mic 3:12]): "And where once there were many houses and any numbers of berries, there is n o w just a small cottage, where a kind of food is served, which brings no relief to any s o u l " . If what happened to Jerome w a s annoying, the experience allotted to Gregory of N y s s a (331-396? A . D . ) w a s much worse. In his Letter 3 , written upon his return from Jerusalem where he went to make known the decisions taken during the Council of Constanti­ nople (381 A . D . ) on the doctrine concerning the Holy Spirit, he complains about the reception he received in Jerusalem. H e praises his visit to the other holy sanctuaries, "Bethlehem, Golgotha, Mount of Olives and the Anastasis," but leaves out Mount Zion. This must be intentional, since Gregory's interest w a s in the Holy Spirit w h o came down at Pentecost in "the upper church of the apostles" according to the testimony of the local bishop Cyril some 3 0 years earlier (see above). S o m e years after Gregory's visit in 386-87 A . D . the pilgrim Paula visited this place on Mount Zion (see below). In his Homily on Ecclesiastes Gregory shows that he had personal local knowledge of a holy place in Jerusalem called Mount Zion: Sion enim mons est Hierosolymarum qui super arcem eminet. The christological dissension was about the uniqueness of God and the heresy of Semi-Arianism, of which the Judeo-Christians had been accused. It is especially the last accusations in the letter against certain people w h o are suspected of millenarianism and of Jewish doctrines like the three resurrections, the thousand-year long feasting, the revival of Jewish sacrifices, the restoration of a terres­ trial Jerusalem which point to the Nazorean Jews on Mount Zion. In this I follow the interpretation of B. Bagatti and I. G r e g o against the 2

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1. 2. 3. 4.

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Jerome, Epistulae 108.1 (CSEL 55:315; Patrologia Latina 22:884). Jerome, Commentarli inMichaeum 1.3 (Patrologia Latina 25:1184). Jerome, Commentata inMichaeum 1.3 (Patrologia Latina 25:1184-85). See P. MARAVAL, Grégoire de Nysse : Lettres, Paris, 1990, p. 32-38 (SC 363).

5. See P. MARAVAL, op. cit., Paris, 1990, p. 125 (SC 363).

6. Gregory of Nyssa, Homily on Ecclesiastes 1 [Patrologia Graeca 44:718]. 7. See P. MARAVAL, op. cit., Paris, 1990, p. 143 (SC 363).

8. See B . BAGATTI, op. cit., Jerusalem, 1971, p. 91-92. 9.1. GREGO, "San Gregorio di Nissa pelegrino di Terra Santa," in Salesianum 39 (1976), p. 109-125; I. GREGO, / Giudeo-cristiani nel N secolo, Jerusalem, 1982, p. 113-132.

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opinion of P. Maraval, w h o thinks of the heresy of Apollinaris of Laodicea. Especially interesting is the accusation of Gregory: "Do w e encourage people to set their hope in an earthly Jerusalem and to rebuild it with magnificent material s t o n e s ? " Was Gregory like Eusebius (see above) shown the Herodian stones of the synagoguechurch on Mount Zion? S o it is more likely that Judeo-Christians were the adversaries in the dispute with Gregory, but Maraval could be right that Bishop Cyril himself might have been involved in this dispute. It could indeed be that the radicalism of Gregory was most inappropriate in the e y e s of the Jerusalem bishop, since he himself was trying to reinsert the Nazoreans of Mount Zion into the community of the Church. D i d he succeed one year later in 3 8 2 A.D.? 2

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8. Reconciliation

with the Great

Church.

There is much uncertainty amongst scholars as to when the great basilica of the Hagia Sion was built, what church preceded it, and when and h o w the reconciliation between Jewish and Gentile Christians took place. I too am at a loss to figure out the exact sequence of events, but I will try to suggest m y o w n hypothesis. If Egeria's visit to Jerusalem was from 383 to 3 8 4 A . D . , as is accepted by most scholars, then the double sanctuary on Zion, which she finds there, must have been established before that date. It seems to m e that Egeria speaks of two sanctuaries, an old one and a new one. In m y opinion the visits of Egeria and later of Paula are essential for understanding the chronology of the sanctuaries on Mount Zion. Egeria writes in her ItineraHum, that on Good Friday (383? A.D.) she went with the people up to Mount Zion to pray before the column of flagellation. This must have been in a recently built church, not seen by Gregory of Nyssa, for visiting together with their bishop on Easter Sunday Egeria worshipped at the very site where Jesus appeared in the evening of the resurrection, "where there is n o w a church on Sion" (ubi ipsa ecclesia nunc in Syon est). On Pentecost Sunday, after bishop and people had prayed in the new sanctuary, "the presbyters (go) from here to that place which they had been reading about, for there is on Sion the very place, although it is from n o w on another church" (alia modo ecclesia est). In this case it might mean that what up until then was considered a synagogue, n o w is elevated to the honor of a church, 4

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1. P. MARAVAL, "La Lettre 3 de Grégoire de Nysse dans le débat christologique,' in Revue des sciences religieuses 61 (1987), p. 74-89. 2. P. MARAVAL, op. cit., Paris, 1990, p. 143 (SC

363).

3. P. MARAVAL, op. cit., in Revue des sciences religieuses 61 (1987), p. 88. 4. G.RÙWEKAMP, Egeria: Itinerarium—Reisebericht, Freiburg, 1995, p. 21-28. 5. Egeria, Itinerarium 39.5 [ed. Geyer, 88]. 6. In Egeria's Latin modo stands for "now."

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"where the big crowd was gathered with the apostles" and where what had been read from Acts (1:13) had happened. After the regular service takes place, the sacrifice is also performed there (offertur et ibi). From this it should be clear that both services were performed in t w o separate sanctuaries. It seems that only the presbyters had access to the ancient "upper church of the apostles." The Byzantine church visited by Egeria (383? A.D.) and by Paula (386-87 A.D.) could not have been the magnificent Hagia Sion. The latter saw, according to a letter of Jerome, the column of the flagella­ tion "supporting the church's portico" (columna ecclesiae porticum sustinens) and also "the place, where the Holy Spirit descended on the 120 believers," while in the great Hagia Sion this column had been transferred to the center of the church. There the column is seen later by the Pilgrim of P i a c e n z a and Arculfus. The earlier portico church, as w e may call it, must have been erected under the bishop Cyril (350-386 A.D.). The erection of such a sanctuary next to the ancient "church of the apostles" postulates some kind of reconciliation between the rest of the Nazoreans guarding this synagogue-church on Mount Zion and the Byzantine church in Jerusalem. Such a reconcili­ ation might be referred to in a sermon on the kapporet, the golden cover of the Ark of the Covenant, on a sixteenth of September, Y o m Kippur of the Jewish Year, published from a Georgian manuscript by M. van Esbroeck. Since Emperor Theodosius I (379-395 A.D.) was the sponsor of the portico church, in m y opinion it can only have been Cyril himself w h o held, perhaps with the preparatory help of his successor John, this sermon, and the year might then have been 382, rather than 3 9 4 as proposed by M. van Esbroeck. The possibility of a reconciliation was supplied by the arrival of Porphyrias, a refugee from Thessalonica. This well educated man was apparently a Judeo-Christian and became a member of the monastic group on Mount Zion. He is highly praised as an "Isra­ elite" during the sermon that the bishop held on the occasion of the inauguration of the "portico church." In all likelihood it was built in the form of an octagonal portico giving access to the ancient syna­ gogue-church. M. van Esbroeck writes: "L'allusion aux construc­ teurs permet de supposer qu'à l'ancienne église de Sion fut ajouté un 1

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1. Egeria, Itinerarium 43.3 [ed. Geyer, 93]. 2. Jerome, Epistulae 108.9. 3. Pilgrim of Piacenza, Itinerarium 22 [ed. Geyer, 173]. 4. Adamnanus, De locis Sanctis 1.18.1 [ed. Geyer, 243]. 5. M. VAN ESBROECK, "Jean II de Jérusalem et les cultes de S. Etienne, de la SainteSion et de la Croix," in Analecta Bollandiana 102 (1984), p. 99-133, especially p. 115-125. 6. M. VAN ESBROECK, Les Plus Anciens Homiliaires géorgiens, Louvain, 1975, p. 314-315.

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octogone supplémentaire, qui fait office de couronnement de la plus ancienne église de Jérusalem." Inserted as one pillar, "supporting the portico," was the column of flagellation, which had been brought from the house of Caiaphas, where the Pilgrim of Bordeaux had still seen it (see above). In the middle of the portico stood an altar, which for the benefit of the Judeo-Christian believers w a s called a kapporet. Several times during his sermon the bishop makes reference to it. The Kapporet portico as it is represented in the apsis mosaic of R o m e ' s Santa Pudentiana (around 4 0 0 A . D . ) did not stand very long. It seems that in the early years of the fifth century the successor of Cyril, Bishop John II (387-418 A . D . ) , started work on the then largest church of Jerusalem. The old Georgian liturgical calendar gives him the honor of having built the great Hagia S i o n . When he got into financial straits an incident came to his rescue. In 4 1 5 A . D . the relics of St. Stephen were discovered in Bet Gemal by the priest Lucian together with those of Gamaliel and A b i g o . Bishop John II pleaded with Lucian to hand over the relics of St. Stephen, for he needed "a strong o x to plough Mount Zion". What he meant was that he needed the attraction of this famous protomartyr of the Church in order to attract enough donors to build the huge and beautiful basilica of Hagia Sion. On 2 6 December 4 1 5 the relics were indeed brought into the ancient building, "the Mother of all the Churches," where they were placed in the old "church of the apostles." Whereas this synagogue-church remained an annex, as shown in the Madaba map, the Kapporet portico next to it was torn down and the Hagia Sion was erected with its eighty columns. The flagellation column was n o w transferred into the center of the new basilica (see above). In the north-western corner a place was reserved as a memorial of the house where Mary the mother of Jesus had passed away (koimesis, dormitio). The Hagia Sion was partly destroyed during the Persian invasion in 6 1 4 A . D . , was later in part restored by Patriarch Modestos according to the "Calendarium Ecclesiae Hierosolymitanae", and 1

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1. M. VANESBROECK, op. cit., mAnalecta Bollandiana 102 (1984), p. 125, n. 102. 2. See G. GARITTE, Le Calendrier palestino-géorgien du Sinaiticus 34 (X siècle), Bruxelles, 1958, p. 187. 3. See also A. STRUS, "Beit-Gemal può essere il luogo di sepoltura di Santo Stefano ?" in Salesianum 54 (1992), p. 453-478. 4. Epistula Luciani 6-8 (Patrologia Latina 41:813-815). 5. Tins title mater ecclesiarum is known first from an inscription (between 470 and 474 A.D.) in the church of St. Martin in Tours ( D . BALDI, op. cit., Jerusalem, 1982 ,p.483,n. 1). 6. This is shown by the plan of the church drawn according to the pilgrim report of Arculfus (ed. Geyer, p. 243). E

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7. D . BALDI, op. cit., Jerusalem, 1982, p. 490.

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was destroyed again by Sultan Haqim in 1009 A . D . The Crusaders included the ruins of the "church of the apostles" into their new church of "Sancta Maria in Monte Sion" and added today's "Cenacle" as an upper story, apparently having the g o o d luck in finding the approximate historical site for it. Since the relics of St. Stephen had vanished, the Crusaders erected instead at the spot a cenotaph in honor of King David. Since that pseudo-tomb of David is venerated by Jews, Christians, and Muslims alike, the ancient walls of the "church of the apostles" have providentially been preserved to this day. At the turn of the fourth to the fifth century the few Nazoreans left on Mount Zion were gradually integrated into the imperial orthodox Church. It is very regrettable that the Jewish branch of Christianity vanished. Squeezed between the anvil of Rabbinic Judaism and the hammer of Byzantine Christianity, the Nazoreans never had a chance to survive, although according to the Pilgrim of P i a c e n z a there were about 5 7 0 Judeo-Christians in Nazareth, and according to A r c u l f u s some of them remained apparently in Jerusalem until the second half of the seventh century. S o m e even survived in Arabia until the tenth century. It causes m e pain to think h o w generous the Messianic Jews behaved when they extended through Peter and James, the "brother of the Lord," their hand to the Gentile believers around Paul and Barnabas during the Apostolic Council of Jerusalem (Acts 15:4 ff.) and h o w narrow-minded the Gentile Christians behaved towards their Mother Church after they had reached a position of power with the ascent of the Constantinian dynasty. Their attitude is expressed in the uncompromising dictum of Jerome: "The Nazoreans are neither Jews, because they believe in Christ, nor are they Christians, because they live Jewish lives". With the demise of the Jewish branch of Christianity, the Church lost its counterbalance to the rather monolithic Hellenistic thought. 1

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1. See J. KRÛGER, "Der Abendmahlssaal in Jerusalem zur Zeit der Kreuzztige," in Ramisene Quartalschrift 92 (1997), p. 229-247. 2. Pilgrim of Piacenza, Itinerarium [ed. Geyer, 161]. 3. See S. C. MIMOUNI, "Pour une définition nouvelle du judéo-christianisme ancien," in New Testament Studies 38 (1992), p. 161-186, especially p. 180-182. 4. Adamnanus, De locis Sanctis 1.9.1-16 [ed. Geyer, 235-238]. 5. B . PIXNER, op. cit., in Wege desMessias undStàtten der Urkirche: Jesus unddas Judenchristentum im Licht neuer archaologischer Erkenntnisse, Giessen, 1996 , p. 411. 6. See D. FLUSSER, Jewish Sources in Early Christianity, Jerusalem, 1993, p. 88. 7. Jerome, Epistulae 112.13. 3

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V. Conclusion* There is reason to believe that since the times of Jesus up to the end of the fourth century there was practically always a presence of Judeo-Christians on Mount Zion, the south-western hill of Jeru­ salem. They were the guardians of the Hyperoon — shrine, of which the lower layers are still in existence today as part of the wall surrounding die so-called "Tomb of David." These Herodian ashlars belong to a building of the Roman period and not of the Byzantine Hagia Sion Basilica as some claim. What speaks against the thesis that those large ashlars are remains of the Hagia Sion is: (1) The Madaba Map shows two independent sanctuaries: the Hagia Sion and to the south of it the Hyperoon sanctuary. (2) The lowest layer (the original one) in J. Pinkerfeld's excava­ tion is late Roman, not Byzantine. (3) The shape of the foundations of the north-eastern corner of his excavation postulates an independent building. (4) L.-H. Vincent's discovery of a 1.5 degree divergence between the alignment of the Cenacle (and the Crusaders' church) wall and the one of the Byzantine Hagia Sion in H. Renard's excavation indicates that Cenacle and Hagia Sion were not one structure. (5) M. Giesler's research in finding the central axis of the Hagia Sion proves the same. All this goes to show that the building that up until this day exists underneath the Crusader Cenacle on Mount Zion is not only called, it is indeed "the Mother of all Churches."

UNE TRADITION JUDÉO-CHRÉTIENNE DANS LE TRAITÉ DES MYSTÈRES DE HILAIRE DE POITIERS FRÉDÉRIC M A N N S

Studium biblicum franciscanum, Jérusalem

Résumé Hilaire de Poitiers exploite au i\r siècle la gématrie, technique utilisée par les rabbins et le judaïsme hellénistique. Est-ce par le biais du judaïsme ou du judéo-christianisme que Hilaire a eu connaissance de cette technique d interprétation ? C'est à cette question que Von tente de donner une réponse dans cette contribution. y

Summary In the fourth century Hilary of Poitiers uses gematria, a technique used by the rabbis and Hellenistic Judaism. Did Hilary know this interpretative technique via Judaism or Jewish Christianity? The contribution attempts to answer this question. Pour Hilaire de Poitiers toute l'Écriture est orientée vers le Christ. Seule la lecture christologique de l'Écriture convient au chrétien. Dans le sommeil d'Adam, c'est la génération de l'Église qui est annoncée, dans le déluge la purification par le baptême, dans la bénédiction de Melchisédech sa sanctification, dans la justification d'Abraham son élection, dans la naissance d'Isaac sa séparation d'avec les méchants, et dans la servitude de Jacob son rachat est préfiguré. Le sens christologique révèle le sens plénier de l'Écriture. Les Patriarches et les Prophètes sont les affinements d'une seule et m ê m e figure dont le dessin se déroule depuis les origines de l'humanité jusqu'à leur achèvement en Jésus. Lorsqu'il commente les figures d'Abraham et de Sara, Hilaire a recours à des procédés de l'exégèse juive et judéo-chrétienne . l

1. J. DANIÉLOU, « Hilaire et ses sources juives », dans Hilaire et son temps. Actes

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On peut illustrer cette affirmation en approfondissant les chapitres XVII et XVH1 du Traité des mystères de Hilaire, où il est rapporté : XVII. Sarra est le type de l'Église, Agar de la Synagogue [...] or, il montre que la descendance appelée en Isaac est le Christ... XVIII. La lettre ajoutée au nom d'Abram représente le chiffre un, celle ajoutée au nom de Sara le chiffre cent. Et le Sauveur, « laissant les quatrevingt-dix-neuf autres brebis dans la montagne, s'en alla chercher celle qui était égarée ». Ainsi donc le chiffre un est ajouté dans la lettre au nom d'Abraham. Il n'y a en effet qu'un seul Seigneur Jésus-Christ, né de la Vierge et par lui seul tous les péchés des croyants sont effacés. Ainsi il préfigure en Abraham ce qu'il devait lui-même accomplir: celui-ci, par l'addition du chiffre un, est proclamé père des nations ; Lui, en assumant l'unité, est fait père et rédempteur des nations, parce qu'il a rendu la centième brebis à Sarra, c'est-à-dire à l'Église, prémices de la Jérusalem céleste Le changement des noms Abraham et Sarra est interprété en rapport avec la parabole de la brebis perdue. V alpha ajouté au nom d'Abram symbolise l'unique brebis égarée, c'est-à-dire l'humanité que le Christ réintègre à l'Eglise céleste représentée par Sarra. Dans son Commentaire de Matthieu, Hilaire reprend la m ê m e e x é g è s e . À propos de la brebis perdue, il explique que cette brebis symbolise l'humanité égarée par le péché d'un seul h o m m e et qui a été ramenée à Dieu par un seul h o m m e dans la personne du Verbe, tandis que les quatre-vingt-dix-neuf autres représentent les multitudes angéliques qui se réjouissent du salut de l'humanité. Ce chiffre est ajouté à Abram par une lettre et est consommé en Sara. Ainsi la création attend-elle la révélation des enfants de Dieu et demandet-elle dans les gémissements que le nombre qui a été ajouté à Abram par un alpha et qui a été consommé en Sara par un rho soit accompli conformément aux décrets célestes par l'accroissement des croyants. Si Hilaire exploite déjà ce thème dans son Commentaire de Matthieu, c'est qu'il l'a connu avant son exil en Orient. Quoi qu'il en soit il connaît les traditions juives sur Abraham et Sara et exploite la gématrie. 2

du Colloque de Poitiers, 29 septembre-3 octobre 1968, Paris, 1969, p. 143-147. Voir aussi J. DANIÉLOU, « Hilaire de Poitiers, évêque et docteur », dans Nouvelle revue de théologie 90 (1968), p. 531-541. 1. Hilaire de Poitiers, Traité des mystères X V I I - X V I H , trad. J.-P. BRISSON, Paris, 1947, p. 107-108 (SC 19). 2. Hilaire de Poitiers, Commentaire de Matthieu 16,6.

UNE TRADITION DU TRAITÉ DES MYSTÈRES

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Philon d'Alexandrie, qui écrit en grec, revient souvent sur le changement de nom d'Abraham et de Sara \ Dans le traité De mutatione nominum, en 1-2, il souligne qu'Abraham arriva à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, la centaine étant le symbole de la perfection et la décade celui du progrès. A u x paragraphes 66-76, il donne le sens du nom Abram, qui signifie « père qui s'élève », et du n o m Abraham, qui signifie « père élu du son ». Quant au n o m de Sara, qui bénéficia de l'addition de la lettre rho, il signifie « mon principat », tandis que Sarra signifie « princesse ». Dans son De Abrahamo 8 1 , Philon écrit : « On l'appelait de son permier nom Abram, mais ensuite Abraham. Pour l'oreille ce n'était qu'une lettre redoublée, un alpha, mais qui pour le sens montrait le changement d'une réalité et d'une doctrine très importantes. Abram s'interprète "père qui s'élève vers les phénomènes célestes" et Abraham "père élu du son". Le premier nom montre un h o m m e capable de connaître les astres et les phénomènes célestes et qui a le souci des croyances des Chaldéens c o m m e un père a le souci de ses enfants. Le second montre un sage. Par le son il signifie le langage articulé, par le père l'esprit souverain. Le langage intérieur est le père du langage proféré [...]. Le sage s'adresse de nombreux reproches concernant sa vie d'autrefois, c o m m e à quelqu'un qui a vécu une existence aveugle, appuyé sur le sensible, chose sans consistance ni stabilité. » Dans son De Cherubim 7, Philon répète : « Abram deviendra le sage, l'ami de Dieu, son nom étant changé en Abraham qui signifie "le père élu du bruit". Sara, au lieu d'être "commandement qui est de moi", deviendra Sarra dont la dénomination équivaut à "souveraine", c'est-à-dire qu'au lieu d'être la vertu spécifique et périssable elle est devenue générique et impérissable et qui brillera sur eux la réalité générique du bonheur, Isaac... » Justin de Naplouse, dans son Dialogue avec Tryphon 113, 2, est au courant de toutes ces spéculations sur le changement des noms. Il écrit : « V o u s faites de la théologie sur le point de savoir pourquoi a été ajouté un alpha au nom d'Abram et vous discutez bruyamment pourquoi un rho a été ajouté au n o m de Sara. » Ce témoignage permet de dater ces discussions de la période des îannaïm contemporains de Justin. L'affirmation de Justin est confirmée par les sources rabbiniques. Dans la Mekilta de R. Ismaël, Yitro 1,57a, et en T Berakhot 1,13, il est

1. Voir Philon d'Alexandrie, De mutatione nominum 8-9 ; De Abrahamo 81 ; De Cherubim 4-7 ; De gigantibus 14.15.

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rappelé que l'allongement du n o m est un signe d'honneur, tandis que l'abréviation du n o m est un signe de dégradation. Les textes rabbiniques de la période des amoraïm jouent sur la gématrie du n o m d'Abraham. En TB Nedarim 32b est rapportée une tradition de R. A m i bar Abba, qui affirme que la gématrie du nom d'Abram est de 2 4 3 , correspondant au nombre des membres du corps humain, tandis que celle du n o m d'Abraham est de 248, la lettre hébraïque he ayant la valeur de cinq. Cela signifie que pour le mérite de la circoncision Dieu accorda à Abraham la maîtrise sur les deux yeux, sur les deux oreilles et sur son membre viril. En TB Sabbat 105a, R. Johanan, au n o m de R. José ben Zimra, rappelle que le nom d'Abraham signifie « père des multitudes » (ab hamon). Puis il applique le principe du notaricon à cette expression, en prenant les lettres c o m m e initiales d'un mot. On obtient ainsi la phrase : « Père (ab) élu (bahur) des peuples (hamon), roi (melek) ancien (watiq) et fidèle (ne'eman). » Toutes ces spéculations sur le n o m d'Abraham témoignent de l'intérêt qu'on attachait à sa personne. Dans d'autres textes, l'expression « père des nations » est expliquée c o m m e père des p r o s é l y t e s . Le Targum Néophiti et le Targum Jonathan I sur Gn 12, 5 et sur Gn 2 1 , 33 connaissent la tradition d'Abraham père des prosélytes . Ainsi, dans le judaïsme palestinien et dans le judaïsme hellénistique, le changement de nom d'Abraham et de Sara a été l'objet de différents commentaires. Les milieux chrétiens ne resteront pas étrangers à ces commentaires. l

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L'exégèse juive initiale a voulu souligner qu'Abraham, en donnant Isaac c o m m e fils à Sara, lui a donné un fils unique, un yahid, et lui a fourni l'occasion de remplir toute la mesure de sa fécondité parfaite. L'exégèse judéo-chrétienne, attestée par Justin, rappelle que Jésus était lui aussi un yahid, un fils unique, pour reprendre l'expression de Jn 1,18. L'Église des origines était vis-à-vis de Jésus dans le m ê m e rapport que Sara, la mère du peuple élu héritier des promesses divines, vis-à-vis d'Isaac, cette considération fondant dès lors son titre à être reconnue c o m m e « notre mère », selon l'expression de Ga4,26. Cette démonstration corroborait des vérités reçues qui bénéficiaient d'une solide base évangélique. Luc, en 1, 36, avait présenté l'annonciation à Marie sur le modèle de l'annonce faite à Sara. Paul, en R m 9 , 8 - 9 , rappelait que la véritable postérité d'Abraham venait de 1. TJ Bikurim 1,64a ; voir aussi Mt 3,9. 2. M. OHANA, « Prosélytisme et targum palestinien », dans Biblica 55 (1974), p. 317-332.

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Sara et, en Ga 4, 26, que la maternité de la Jérusalem d'en-haut est libre. L'exégèse judéo-chrétienne soulignait que la fécondité de l'Église s'expliquait par le fait de son alliance avec le Seigneur, né de Marie, qui par lui seul efface les péchés des croyants. C'est cette leçon que Hilaire de Poitiers retient. Les m ê m e s vérités sont révélées en figure dans l'Ancien Testament et ouvertement dans le Nouveau Testament. Par quel biais Hilaire a-t-il pris connaissance des traditions juives ? Ce problème complexe demeure ouvert à la discussion. Il faut rappeler cependant que le christianisme en Gaule a subi une forte emprise d'Irénée de Lyon et, par lui, une influence de l'Orient. Il ne peut pas être indifférent à un chrétien qui vit sous la Nouvelle Alliance de savoir que cette alliance a été révélée en figure dès le début de la révélation.

LES SYMMACHIENS DE MARIUS VICTORINUS ET CEUX DU MANICHÉEN FAUSTUS MICHEL TARDIEU

Collège de France, Paris

Résumé La préoccupation essentielle de Marius Victorinus dans ses commentaires aux Épîtres pauliniennes, et en particulier dans le Commentaire aux Galates, est d'établir une théologie du salut par la foi au Christ induens carnem et occultus. Les adversaires visés par la mise en place de ce double objet de foi sont des Symmachiani (même dénomination dans VAmbrosiaster, qui les décrit comme qui e x Pharisaeis originem trahunt). Ils ajoutaient à la dispositio, qui relève de la connaissance sensible, les observances juives, et concevaient Villumination seulement comme la connaissance in parte, puisque selon eux le Christ est Vâme du monde, et non pas Vintelligence. Les analyses de Marius Victorinus sur ces questions sont-elles tributaires de ses lectures, ou bien constituent-elles un précieux témoignage sur la doctrine de judéo-chrétiens romains contemporains de Vauteur ? Summary The main preoccupation of Marius Victorinus in his commentaries on the Pauline epistles, and particularly in In ad Galatas, is to establish a theology of salvation through faith in Christ induens carnem and occultus. The adversaries referred to in the establishment of this double object of faith are some Symmachiani (the same denomination in Ambrosiaster, who describes them as qui ex Pharisaeis originem trahuntj. They add to the dispositio, which raises from sensible knowledge, Jewish observances, and they conceive of the illumination only as knowledge in parte, since according to them Christ is the soul of the world. Do Marius Victorinus* s analyses on these questions derive from his readings, or are they rather a valuable witness to the doctrine of Roman Jewish Christians contemporary with the author?

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LES SYMMACHIENS DE MARIUS VICTORINUS.

Dans ses Recherches de 1971 sur la vie et les œuvres de Victorinus, Pierre Hadot reflétait une opinion commune lorsqu'il écrivait : « Ces Symmachiens étaient une secte judéo-chrétienne qui existait au i v siècle en Italie et en Afrique. Victorinus en a probablement connu à R o m e . » Trois ans plus tard, dans son « Qui est Symmaque ? », Dominique Barthélémy estimait qu'il s'agissait d'« une secte f a n t ô m e ». D e la bibliographie du sujet, le premier retenait uniquement le point de vue de H. J. Schoeps qui défend l'historicité des S y m m a c h i e n s ; le second, seulement celui de A. Schmidtke qui rejette cette historicité . U n réexamen du dossier peut-il conduire à un choix autre que les termes de cette alternative ? Les témoignages patristiques relatifs aux Symmachiens ont été rassemblés de façon exhaustive en 1893 par A. Harnack . Il concluait de son travail : 1. que le n o m de SymmachianU donné aux judéo-chrétiens ou « ébionites » romains du rv siècle, est « une preuve que Symmaque doit avoir joué un rôle important dans la secte et que son influence s'est exercée jusqu'en Occident, mais nous ne savons pas comment cela a eu lieu » ; 2. que l'originalité de Symmaque a été d'être « le seul chrétien de l'Antiquité à avoir traduit l'Ancien Testament et le seul ébionite dont l'œuvre a intéressé la Grande É g l i s e ». Alfred Schmidtke, qui reprend à fond en 1911 le dossier de A. Harnack, montre avec, m e semble-t-il, de bonnes raisons que l'ébionisme de Symmaque est un leurre et que, pareillement, le n o m « Symmachiens » est une invention hérésiologique. C e qu'Eusèbe — selon A. Schmidtke, recopiant Origène — dit dans YHistoire ecclésiastique VI, 17, à propos des Hypomnemata de Symmaque, doit être compris à travers la phrase parallèle d'Irénée, Contre les hérésies III, 11, 7, sur les emprunts ébionites à Matthieu : c'est en ayant recours à cet Évangile (Irénée : egrediens ex ; Eusèbe : e

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1. P. HADOT, Marius Victorinus. Recherches sur sa vie et ses œuvres, Paris, 1971, p. 292. 2. D . BARTHÉLÉMY, « Qui est Symmaque ? », dans Catholic Biblical Quarterly 36 (1974),p. 451-465, spécialement p. 461, n. 38 — article reproduit dans D . BARTHÉLÉMY, Etudes d'histoire du texte de l'Ancien Testament, Fribourg-Gottingen, 1978, p. 307-321. 3. H . J. SCHOEPS, Théologie und Geschichte des Judenchristentums, Tubingen, 1949,p. 126,138,305 ; voir également H . J. SCHOEPS, AusfruhchristlicherZeit.Religionsgeschichtliche Untersuchungen, Tiibingen, 1950, p. 82-119 (« Symmachusstudien »). 4. A. SCHMIDTKE, Neue Fragmente und Untersuchungen zu den judenchristlichen Evangelien. Ein Beitrag zur Literatur und Geschichte der Judenchristen, Leipzig, 1911, p. 236-237 (TU 37/1). 5. A. HARNACK, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, I. Die Uberlieferung und der Bestand, Leipzig, 1893, p. 209-212. 6. A. HARNACK, op. cit., Leipzig, 1893, p. 212. 7. A. SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1911, p. 236, n. 2.

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àrcoTeivôpBvoç jcpôç), et non pas en polémiquant c o n t r e , que Symmaque tente d'affermir l'hérésie ébionite (Irénée : confirmare doctrinam ; Eusèbe : a i p e a i v Kparùveiv). À l'aide d'autres exemples tirés d'Hippolyte de R o m e et de Philastre de Brescia, A. Schmidtke observe que c e verbe (Kponrùveiv / confirmare) sert chez les hérésiologues à « désigner la fondation et le développement d'une doctrine erronée en mettant en avant un chef de secte d'après lequel, par la suite, les adeptes de cette hérésie seront n o m m é s . . . D e la sorte, il résultait de la notice d'Eusèbe, autrement dit de son modèle Origène, que les ébionites étaient animés par Symmaque et que, par conséquent, ils devaient être aussi qualifiés de Symmachiens. D u fait de c e s confusions passant d'une génération à l'autre et recevant toujours de nouveaux embrouillaminis (Verschlingungen), il était également possible de décrire, en fin de compte, c o m m e Symmachiens aussi bien les nazaréens que les partisans d ' E l x a i ». 2

Par contre, la thèse que défend A. Schmidtke dans le cas particulier des Symmachiens de Marius Victorinus ne paraît guère fondée. Les deux notices relatives à ces judéo-chrétiens se trouvent dans le commentaire de Victorinus aux Galates, que j e cite d'après l'édition de Franco G o r i : 3

InadGalatasl,

19,4-9:

nam Iacobum apostolum Symmachiani faciunt quasi duodecimum, et hune sequuntur qui ad dominum nostrum Iesum Christum adiungunt ludaismi observantiam quamquam etiam Iesum Christum aliter fatentur : dicunt enim eum ipsumAdam esse et esse animam generalem et alia huiusmodi blasphemia. t

« C'est un fait que les Symmachiens font de Jacques un apôtre, pour ainsi dire le douzième, et c'est lui que suivent ceux qui ajoutent à notre Seigneur Jésus-Christ l'observance du judaïsme, quoique par ailleurs ils confessent Jésus-Christ autrement. Ils disent, en effet, que c'est lui Adam en personne et qu'il est une anima generalis, et autres blasphèmes de ce genre. » In ad Galatas 2,12,26-30 : Iacobus enim frater apud Hierosolymam

domini qui auctor est ad Symmachianos, sibi hoc adsumendum putavit, uti et f

primus Christum

1. A. SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1 9 1 1 , p. 2 3 6 , n. 2 : « Die Frage, ob hier von einer Polemik gegen Matth. [position que défendra D. BARTHÉLÉMY, op. cit., dans Catholic Biblical Quarterly 3 6 ( 1 9 7 4 ) , p. 4 5 1 - 4 6 5 ] oder von einer Berufung auf Matth. die Rede ist, muss im letzteren Sinne entschieden werden, da der Wortlaut sich offenbar anlehnt an Irenàus adv. haer. m 1 1 , 7 . » 2 . A. SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1 9 1 1 , p. 2 3 7 .

3 . F. GORI, Marius

Victorinus,

p. 1 1 9 - 1 2 0 (CSEL 8 3 / 2 ) .

Opera exegetica,

Vienne, 1 9 8 6 , p. 1 1 0 et

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praedicaret et viveret ut Iudaei, omnia faciens quae Iudaeorum lex praecepit, id est quae sibi Iudaei observanda intellexerunt. « Jacques, en effet, le frère du Seigneur, qui est une autorité chez les Symmachiens, le premier à Jérusalem, estima qu'il fallait adopter la position suivante, consistant et à prêcher le Christ et à vivre comme les juifs, en faisant tout ce que la loi des juifs a prescrit, c'est-à-dire ce que les juifs ont compris devoir observer. » Pour A. Schmidtke, ces notices correspondent à une description du système elchasaïte circulant sous dénomination « symmachienne », c'est-à-dire « ébionite » ; quant à l'autorité quasi-apostolique conférée à Jacques, elle serait, selon ses vues, un thème appartenant aux Prédications — elchasaïtes — de Pierre ; il reconnaît, enfin, que l'identification du Christ à l'Adam cosmique est un trait commun aux elchasaïtes de YÉlenchos d'Hippolyte de Rome (IX, 13, 2-3) et aux elchasaïtes du Panarion d'Épiphane de Salamine (LBI, 1,8-9) *. Sauf erreur de ma part, il n'a jamais été démontré, y compris dans la recherche récente, que les Prédications de Pierre étaient « elchasaïtes ». D'autre part, l'équation « Christ = Adam » est indissociable d'un troisième terme : « Christ = Adam = anima generalis ». Or cette dernière expression n'est pas du vocabulaire religieux, mais philosophique. Philosophe de métier et de culture bilingue, Marius Victorinus est coutumier de ces transferts de terminologie, d'un domaine à l'autre. Anima generalis traduit le grec \|A)%fi yeviKri. Ce qui veut dire que l'âme en tant que genre ne comporte aucun caractère spécifique (specialis I elÔiKÔç) et englobe toutes les espèces. L'exemple qu'en fournit la logique stoïcienne est l'animal qui contient en lui-même les animaux particuliers . Dans sa version latine de VIsagoge de Porphyre, Marius Victorinus donne du genre les trois définitions suivantes : 1. « genre » se dit, en effet, d'un ensemble d'individus qui ont un rapport à tel autre de façon déterminée (genus namque dicitur quorumdam ad aliquid quodammodo habendum collectio) ; c'est en ce sens que l'on parle du Dardanidum genus (« race des Troyens ») ; 2. « genre » se dit encore du principe de la génération de chacun (uniuscuiusque nativitatis principium), qu'il s'agisse de celui qui engendre (aut a générante) ou bien qu'il s'agisse de l'endroit où l'on a été engendré (aut ab eo in quo quis genitus est) ; il n'y a pas d'exemple de ce cas de figure dans ce qui subsiste de VIsagoge victorinienne ; 3. « genre » se dit aussi de ce sous quoi les espèces sont rangées 2

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1. A . SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1911, p. 238-239. 2. Diogene Laërce, Vitae Philosophorum, VII 60, ed. H.S. Long, 322,22-323,2. 3. M. Victorinus, Isagoge, § 2, ed. P. Hadot, p. 371-372. 4. Les exemples, que fournit VIsagoge de Porphyre, sont pour l'anthroponymie :

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(cui supponuntur species), définition, précise Victorinus, qui est à l'imitation des significations précédentes (iuxta similitudinem forte superiorum appellatum). L'anima generalis des Symmachiens de Marius Victorinus n'est donc pas une formulation judéo-chrétienne, mais la transposition en logique porphyrienne de la doctrine prophétologique judéochrétienne. Dans sa notice sur les ébionites, Épiphane expose ainsi cette conception : Certains d'entre eux disent aussi que le Christ est Adam (comp. Marius Victorinus : dicunt enim eum ipsum Adam esse), le premier à avoir été façonné et rempli du souffle de Yepipnoia de Dieu. D'autres parmi eux disent qu'il est d'en haut, qu'il a été créé avant toutes choses, étant un pneuma et au-dessus des anges, qu'il domine toutes choses et qu'il est appelé Christ et que le monde d'ici-bas lui échoit . !

Suit chez Épiphane l'énoncé du Christ c o m m e anima correspondant au deuxième sens de genus dans VIsagoge nienne (uniuscuiusque nativitatis principium) :

generalis victori-

H vient ici-bas quand il veut, de même qu'il est venu aussi en Adam et qu'il s'est manifesté aux patriarches, revêtu corporellement ; étant venu en Abraham, Isaac et Jacob, il est venu lui-même aux derniers jours, il a revêtu le corps même d'Adam, s'est montré aux hommes, fut crucifié, se releva et remonta . 2

Cette formulation théologique de « l'âme générique » (anima generalis) du Christ est bien la preuve que les Symmachiens de Marius Victorinus ne sont pas autre chose que les ébionites de l'hérésiologie et que la description, succincte mais précise par sa terminologie philosophique, qu'en donne l'auteur latin dépend d'une source hérésiographique grecque. Étant donné que les deux notices de Victorinus interviennent dans le cadre de son commentaire aux Galates, cette source est à placer, selon toute vraisemblance, dans la tradition post-origénienne des commentaires aux Galates dont Jérôme retrace l'histoire littéraire dans le prologue de son propre commentaire composé à Bethléem en 3 8 6 - 3 8 7 . Cette histoire commence, dans la première moitié du nr siècle, avec les quinze livres en cinq tomoi du Commentaire aux Galates d'Origène, auquel s'ajoute le dixième les Héraclides par rapport à Héraclès ; pour la toponymie : Pindare est thébain, Platon athénien (I, 2-3, de l'édition de A. DE LIBERA-A.-Ph. SEGONDS, Porphyre, Isagoge, Paris, 1998, p. 2). 1. Épiphane, Panarion XXX, 3, 3-4. J'ai suivi le texte publié par K. HOLL, Epiphanius (Ancoratus und Panarion), vol. I, Ancoratus und Panarion Haer. 1-33, Leipzig, 1915, p. 3 3 6 , 4 - 337,1 ( G C S 25). 2. Épiphane, Panarion XXX, 3 , 5 (K. HOLL, op. cit., vol. I, Ancoratus und Panarion Haer. 1-33, Leipzig, 1915, p. 337,1-6).

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livre de ses Stromates. Jusqu'à la première moitié du siècle suivant, on trouve les commentateurs grecs postorigéniens des Galates : Didyme, Apollinaire de Laodicée, Alexandre, Eusèbe d'Émèse, Théodore d'Héraclée. À la suite de quoi apparaît le premier commentateur latin, dont le texte est connu de Jérôme (et de nous), Y In ad Galatas de Marius Victorinus composé en 362-363 sous l'empereur Julien. Voici le début de l'exposé de J é r ô m e : 1

Utile existimoy aggrediar opus intentatum ante me linguae nostrae scriptoribus, et a Graecis quoque ipsis vix paucis, ut rei poscebat dignitas, usurpatum. Non quod ignorem Caium Marium Victorinum, qui Romae, me puero, rhetoricam docuit, edidisse Commentarios inApostolum ; sed quod occupatus Me eruditione saecularium litterarum, Scripturas omnino sanctas ignoraverit : et nemo possit, quamvis eloquens, de eo bene disputare, quod nesciat. Quid igitur, ego stultus aut temerarius, qui id pollicear quod Me non potuit ? Minime. Quin potius in eo, ut mihi videor, cautior atque timidior, quod inbecillitatem virium mearum sentiens, Origenis Commentarios sum secutus.

« Je crois utile d'entreprendre un travail qui n'a pas été abordé avant nous par les écrivains de notre langue et qui, pareillement de la part des Grecs eux-mêmes, n'a été traité comme l'exigeait la dignité du sujet que par bien peu d'entre eux. Non que j'ignore que Caius Marius Victorinus qui, dans ma jeunesse, enseignait la rhétorique à Rome, ait publié des commentaires sur l'Apôtre, mais c'est que, tout préoccupé qu'il était par la science des lettres profanes, il a été totalement ignorant des saintes Écritures et que personne, même s'il est éloquent, ne peut traiter correctement de ce qu'il ne connaît pas. Quoi ! suis-je fou ou téméraire de promettre ce que celui-là [= Marius Victorinus] n'a pas été capable de faire ? Nullement. Au contraire, je me trouve, quant à moi, plutôt bien trop prudent et timide, dès lors que, conscient de la faiblesse de mes forces, j'ai suivi les commentaires d'Origène. » Pour Jérôme, Marius Victorinus a écrit son Commentaire aux Galates dans l'ignorance de l'exégèse patristique grecque. Or, c o m m e j e crois l'avoir montré ailleurs sur un exemple précis, Marius Victorinus a été un plagiaire des Grecs dans VAdversus Arium . Je ne pense donc pas que, pour écrire ses commentaires aux Épîtres pauliniennes, et celui aux Galates en particulier, il ait procédé différemment, et Jérôme est bien naïf, ou de mauvaise foi, de prétendre qu'il est le premier auteur latin à avoir utilisé les Grecs pour commenter les Galates. 2

1. Jérôme, In ad Galates, Prologues, PL 26, col. 308 A 5-B 4 (pagination de l'édition de 1845) = PL 26, col. 332 B 6-333 A 1 (pagination de l'édition de 1884). Les phrases en italique sont autocitées par Jérôme, Épître 112, 4 (cette lettre de Jérôme à Augustin date du printemps 404). 2. Voir M. TARDIEU, Recherches sur la formation de l'Apocalypse de Zostrien et les sources de Marius Victorinus, Bures-sur-Yvette, 19% (Res Orientales IX).

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Dans Verus Israël (1948), ouvrage qui fait date dans les études sur le judéo-christianisme ancien, Marcel Simon consacre une page aux Symmachiens \ N'ayant lu (ou n'ayant pu avoir accès à) la Geschichte der altchristlichen Literatur de A. Harnack, ni le Beitrag de A. Schmidtke, l'auteur ignore le témoignage de Marius Victorinus et, du coup, surévalue Augustin en considérant celui-ci c o m m e un témoin direct de Symmachiens africains qui seraient, dit-il, « un rameau extra-palestinien du judéo-christianisme classique [...], leur nom leur venant peut-être simplement de ce qu'ils utilisaient la Bible de S y m m a q u e ». Nous allons voir qu'il n'en est rien, en examinant un témoignage négligé relatif aux Symmachiens, postérieur d'une vingtaine d'années seulement à celui de Marius Victorinus et qui appartient à la littérature manichéenne occidentale. L'analyse de Marcel Simon dans cette page a été faussée par suite d'une confusion d'auteur. Il attribue en effet à Augustin un témoignage essentiel qui appartient en fait aux Capitula de Faustus , évêque des manichéens d'Occident dans les années 360-390. Augustin, alors auditor, c'est-à-dire laïc, dans l'Église manichéenne, avait rencontré cet évêque à Carthage, c o m m e il le raconte lui-même dans les Confessions (V, 3 , 3 ) , à la vingt-neuvième année de son âge. L'événement se situe donc entre la fin de 3 8 2 et juillet-août 3 8 3 , date du départ d'Augustin à Rome. Dans les années qui suivirent, arrêté et condamné à l'exil dans une île , Faustus composa, sous forme de questions ou objections (propositiones) et de réponses (responsa), un recueil de Capitula dirigés, dit-il, contre « l e s erreurs de la 2

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1. M. SIMON, Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (135-425), Paris, 1948 ,1964 (inchangée), p. 312. 2. M. SIMON, op. cit., Paris, 1948 ,1964 , p. 312. 3. Marcel Simon écrit en effet : « Augustin en parle comme s'il avait été en contact direct avec la secte » (p. 312). Cette phrase est justifiée par la note 8, rédigée ainsi : « Hoc si mihi Nazaraeorum objiceret quisquam, quos alii Symmachianos appellant (C. Faust. 19,4, PL, 42,349) ». Or mihi = Faustus, et non Augustin. Cette méprise de M. Simon n'est pas relevée dans S. C. MIMOUNI, Le Judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris 1998, p. 276 et n. 1, où il est dit qu'« en fait, il s'agit des manichéens dont un des noms est nazaréen ». Soyons clair : l'auteur de la phrase citée par M. Simon (p. 312, n. 8) est le manichéen Faustus, les gens dont il parle sont des judéo-chrétiens que lui-même, Faustus (et non Augustin), appelle nazaréens. 4. C'est ce qu'écrit Augustin, Contra Faustum V, 8 (ed. Joseph Zycha, p. 280, 15-19 [CSEL 25/1]). A. MANDOUZE, Prosopographie chrétienne du Bas-Empire, I. Prosopographie de VAfrique chrétienne (303-533), Paris, 1982, p. 392-393, place cette relégation de Faustus dans une île (in insulam relegatus est) en 386 comme conséquence de l'action entreprise contre les manichéens, après le consulat de Bauto, par le proconsul Messianus. 1

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superstition judaïque et la fausseté des semi-chrétiens » (erroribus ac Iudaicae superstitionis simul et semichristianorumfallacia) . En 387, l'ex-manichéen Augustin était baptisé dans la religion catholique par Ambroise de Milan (nuit du 2 4 au 25 avril). Ordonné prêtre en 391 et consacré évêque en 395, il prit le siège d'Hippone en 396. Quatre ou cinq ans plus tard, des fidèles lui portaient un exemplaire des Capitula de Faustus. À cette date, leur auteur est mort, puisque Augustin en parle au p a s s é . C'est pour répliquer à cet ouvrage de l'évêque manichéen, qu'il avait jadis tant admiré, qu'Augustin met à ce moment-là en chantier les trente-trois livres de son Contra Faustum, en prenant soin de citer au début de chaque livre, in extenso, le capitulum de Faustus qu'il entend réfuter. Le témoignage de Faustus sur les symmachiens se trouve au livre XIX, 4 du Contra Faustum d'Augustin. Ce témoignage est de première main, puisqu'il émane d'un auteur d'origine païenne, qui, nous dit-il, a été tenté par le judéo-christianisme avant de devenir manichéen : l

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quare indeficientes ego praeceptori meo refero gratias, qui me similiter labantem retinuit, ut essem hodie christianus. Nam ego quoque, cum capitulum hoc inprudens legerem, quemadmodum tu paene ieram in consilium Iudaeus fieri. « C'est pourquoi je n'ai de cesse de rendre grâces à mon précepteur : alors que pareillement je chancelais, il m'a retenu, de sorte que je suis devenu aujourd'hui christianus. Car, moi aussi, lorsque je lisais ce verset en toute ignorance, comme toi j'avais presque formé le projet de devenir juif . » 3

L'itinéraire religieux de Faustus est le décalque de celui de Mani, et probablement aussi de celui du « précepteur » (praeceptor), Adda : païen, puis judéo-chrétien, enfin manichéen. D'autre part, bien qu'originaire de Numidie et visiteur occasionnel des communautés manichéennes d'Afrique, Faustus exerçait ses activités à Rome. Les Symmachiens dont il parle sont donc, c o m m e ceux de Marius Victorinus, à situer à Rome, et non en Afrique, c o m m e le dit Marcel Simon.

1. Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum I, 2 (ed. J. Zycha, p. 251,23 - 252,1 [CSEL 25/1]). 2. « Faustus quidam fuit gente Afer, civitate Mileuitanus » : Augustin, Contra Faustum 1,1 (ed. J. Zycha, p. 251,4 [CSEL 25/1]). 3. Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum XIX, 5 (ed. J. Zycha, p. 501, 1-4 [CSEL 25/1]). Le précepteur (praeceptor) est Adda (latin : Adimantus), que je pense être Fauteur de la compilation des Kephalaia manichéens coptes de Berlin (voir mes « Principes de l'exégèse manichéenne du Nouveau Testament », dans M. TARDIEU (ÉD.), Les Règles de Vinterprétation, Paris, 1987, p. 133-134). Sur le nom « chrétien » comme autodénomination des manichéens, voir mon étude « Une définition du manichéisme comme secta christianorum », dans A. CAQUOTP. CANTVET (ÉD.), Ritualisme et vie intérieure. Religion et culture, Paris, 1989, p. 167-177. Le verset évangélique que Faustus rappelle au destinataire fictif (catholique) de ses Capitula est Mt 5,17.

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L'unique passage des Capitula s'énonce a i n s i :

de Faustus relatif aux Symmachiens

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et tamen hoc si mihi Nazaraeorum obiceret quisquam, quos alii Symmachianos appellant, quod enim Iesus dixerit non se venisse solvere legem, aliquantisper haesissem incertus, quid ei responderem. Nec inmerito ; veniebat enim corpore atque animo simul lege obsitus ac prophetis. Nam huiusmodi, quos aio, et circumcisionem portant et observant sabbatum et porcina ac reliquis abstinent huiusmodi, quae praecepit lex, sub christiani quamvis nominis professione decepti etiam ipsi, ut intellegi datur, hoc ipso capitulo, quo et tu, quia Christus non ad solvendam legem se venisse dixerit, sed ad inplendam.

«Et d'ailleurs, si quelqu'un des Nazaréens, que d'autres appellent Symmachiens, m'avait objecté qu'en effet Jésus a dit qu'il n'était pas venu abolir la Loi, j'aurais quelque temps été embarrassé, ne sachant pas bien quoi lui répondre. Et non sans raison. Car il était venu en étant, dans son corps comme dans son esprit, rempli de la Loi et des Prophètes. C'est un fait que ceux dont je parle et portent la circoncision et observent le sabbat et s'abstiennent de porc et autres aliments interdits par la Loi, abusés qu'ils sont, eux aussi, en raison, j'en conviens, de la profession du nom chrétien et comme on peut aisément le comprendre, par ce même verset par lequel toi aussi tu as été abusé et où le Christ a dit être venu non pour abolir la Loi mais pour l'accomplir . » 2

Trois remarques d'ordre onomastique, doctrinal et historique. a. Il importe d'abord de bien distinguer la dénomination que Faustus donne aux judéo-chrétiens (Nazaraei) de celle de Symmachiani, qui leur est donnée par d'autres (alii), c'est-à-dire par les nonmanichéens. Nazaraei est le calque latin du grec *NaÇapaïoi, qui est l'une des graphies oscillantes de la dénomination judéo-chrétienne commune (c'est-à-dire embrassant baptistes et non-baptistes) dans les sources manichéennes occidentales. La graphie *NaÇopeïç avec omicron est attestée au singulier dans les Kephalaia manichéens coptes de Berlin (Nazoreus : L X X X I X , 2 2 1 , 19.21.31 ; 2 2 2 , 1) ; la graphie *NaÇopaïoi avec omicron est attestée au singulier toujours dans le m ê m e Kephalaion (Nazoraios : 2 2 1 , 28). Dans leurs formation et utilisation anciennes, c'est-à-dire présyriaques et préarabes, ces multiples graphies ne dérivent pas du toponyme Nazaret, qui a pour ethnique Nazarënos, mais, c o m m e cela est bien c o n n u , du sémitique commun naçara (araméen) < nasaru (akkadien), qui 3

1. Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum XIX, 4 (ed. J. Zycha, p. 500,3-13 [CSEL 25/1]). 2. Même adversaire fictif et même verset évangélique en débat qu'au capitulum précédent (voir plus haut, p. 329, n. 3). 3. État de la question dans S. C. MIMOUNI, « Les nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 105 (1998), p. 208-262.

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signifie « garder », « observer », d'où nasuraia, « les observants », en mandéen. Par conséquent, l'évêque manichéen Faustus désigne les judéo-chrétiens, qui sont les adversaires de fondation de l'Église manichéenne, en se servant d'abord de la dénomination qui est la leur chez ses coreligionnaires et dans les écrits de son praeceptor Adda, puis il utilise la dénomination non manichéenne (alii), c'est-à-dire chrétienne orthodoxe qui répond à l'usage local romain et qui est, c o m m e nous l'avons vu, une dénomination hérésiologique d'origine grecque : SymmachianU terme qui veut dire, non pas « ceux qui ont Symmaque pour Bible », mais « ceux qui suivent Symmaque ». b. D u point de vue de Faustus, les Nazaraei sont des chrétiens circoncis qui observent le sabbat et les interdits alimentaires des juifs. Ils sont donc dans la droite ligne du logion matthéen ( 5 , 1 7 ) , intervertissant — aux yeux des manichéens — les paroles de Jésus pour lui faire dire qu'il serait venu accomplir la Loi, et non l'abolir. Tel quel, ce logion est une absurdité d'un point de vue manichéen \ mais Faustus reconnaît que cette parole prêtée à Jésus est tout à fait à sa place en perspective judéo-chrétienne où e x é g è s e et pratique forment un tout logique, apparemment inattaquable. D ' o ù ce parallélisme qu'établit l'évêque manichéen entre les deux protagonistes du débat, d'un côté adversaires de fondation du manichéisme c o m m e le furent les judéo-chrétiens, de l'autre adversaires de circonstance c o m m e le sont les catholiques : Quare cum talibus essetmihi non pusillum, utdixi, certamen, donec capituli huius a me molestiam demolirer, tibi vero nequaquam congredi metuam nullis confiso viribus et inpudentia potius lacessenti, utfacilius temptari, me putem abs te quam cogi, ut credam dixisse Christum, quod nec te videam credidisse . 2

« C'est pourquoi avec de telles gens [les judéo-chrétiens], ça n'aurait pas été pour moi une mince affaire, comme je l'ai déjà dit, de me tirer de l'embarras que présente ce verset [Mt 5,17], mais avec toi [l'adversaire catholique fictif] je n'ai absolument pas à redouter d'engager le combat, puisque tu n'as aucune confiance en tes propres forces et que tu n'as à m'opposer rien de mieux que de l'impudence, de sorte que j'estime être plus volontiers provoqué par toi que contraint de croire que le Christ a dit ce que je ne vois pas que c'est ce que tu as cru toi-même. »

1. Parce qu'il énonce un enseignement de Jésus contraire aux antithèses évangéliques. Voir là-dessus mes « Principes de l'exégèse », dans M. TARDIEU (ÉD.), Les Règles de l'interprétation, Paris, 1987, p. 135. 2. Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum XIX, 4 (ed. J. Zycha, p. 500,13-18 [CSEL 25/1]).

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L'enjeu de c e débat, que j'ai tenté de dégager ailleurs \ est la prise de conscience d'une détermination spécifique du fait chrétien et de l'appartenance chrétienne par rapport au judéo-christianisme. Cette prise de conscience historique avait amené Mani à rompre avec le judéo-christianisme baptiste babylonien de son milieu de formation. Elle a reçu son élaboration théologique dans l'apologétique de l'Église manichéenne naissante avec le Codex de Cologne, les Antithèses d'Adda et le corpus des Kephalaia. Elle est toujours à l'œuvre au IV siècle dans l'apologétique des Capitula de Faustus, mais la pointe de celle-ci, dirigée désormais contre ceux qui ont aboli la Loi c o m m e norme tout en la maintenant c o m m e texte à interpréter et que Faustus appelle semiiudaei ou semichristiani, est une critique acérée de l'illogisme catholique. e

c. Augustin, qui réplique en 400-401 aux Capitula de Faustus, n'en sait pas plus sur les Symmachiens que ce qu'il a lu chez Faustus. Il en parle une seule fois dans le Contra Faustum (XIX, 17), lorsqu'il commente le verset d e Ga 5, 2 (« Moi, Paul, j e vous le dis, si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira plus de rien ») et rappelle à cette occasion les décisions prises par l'assemblée de Jérusalem à la suite du conflit d'Antioche (Ac 1 5 , 1 - 3 5 ) : hoc igitur temperamentum moderamentunque spiritus sancti per apostolos operantis cum displicuisset quibusdam ex circumcisione credentibus, qui haec non intellegebant, in ea perversitate manserunt, ut et gentes cogèrent iudaizare. Hi sunt, quos Faustus Symmachianorum vel Nazaraeorum nomine commemoravit, qui usque ad nostra tempora iam quidem in exigua, sedadhuc tamen vel in ipsa paucitate perdurant . 2

« De ce fait, étant donné que cette mesure et règle de l'Esprit saint agissant par les apôtres [i.e. de ne plus imposer la circoncision aux païens, voir Paul, Ga 2, 14 ; Pierre, Ac 15, 10 ; Jacques, Ac 15, 19] déplaisait à certains croyants venus de la circoncision, ceux qui ne l'admettaient pas persistèrent dans l'absurdité de contraindre même les païens à judaïser. Ce sont ceux-là que Faustus a mentionnés sous le nom de Symmachiens ou Nazaréens, lesquels jusqu'à notre époque n'ont été, il est vrai, que peu nombreux mais qui, même en petit nombre, subsistent d'ailleurs encore. » Augustin assimile les Nazaraei/Symmachiani dont a parlé Faustus à la fois aux opposants pauliniens de Galates et aux opposants

l . M . TARDIEU, « L a foi hippocentaure», dans Saint Augustin, édité par P. RANSON, Les Dossiers H , Paris, 1 9 8 8 , p. 5 2 - 6 0 . 2 . Augustin, Contra Faustum X I X , 1 7 (ed. J. Zycha, p. 5 1 6 , 2 0 - 2 7 [CSEL 2 5 / 1 ] ) . A. SCHMIDTKE, op. cit., Leipzig, 1 9 1 1 , p. 2 3 8 , observe avec pertinence que la formulation contournée d'Augustin ( « qui usque ad nostra tempora iam cuidem exigua ») dérive d'Épiphane, Panarion X X , 3 , 3 .

LES SYMMACHffiNS DE MARIUS VICTORINUS..

333

d'Antioche. U n e telle assimilation, évidemment étrangère à Faustus, est à restituer à la tradition latine des commentaires aux Galates, c'est-à-dire à l'Ambrosiaster et, avant lui, à Marius Victorinus \ Quatre ans après le Contra Faustum, dans son traité écrit contre le grammairien donatiste Cresconius (fin 405), Augustin parlera une seconde fois des Symmachiens mais ne fera ici aussi que répéter littéralement ce qu'il a lu chez Faustus . 2

Concluons. Les témoignages de Marius Victorinus et de Faustus sur les Symmachiens, si proches l'un de l'autre en raison de leur voisinage chronologique, de leur appartenance au m ê m e contexte romain et de leur visée polémique, ne doivent pas être confondus. Leur différence tient à la personnalité et à la religion de leurs auteurs. Ex-titulaire de la chaire publique de R o m e pour la rhétorique et la philosophie et converti récent, Marius Victorinus est l'ardent défenseur de l'orthodoxie romaine, d'abord contre l'hérésie arienne dans ses œuvres théologiques, puis contre l'hérésie judéo-chrétienne dans ses commentaires aux Épîtres pauliniennes. Faustus le manichéen est l'adepte de l'hérésie maudite venue de la Perse, il a rang d'évêque dans sa secte et il est de par sa formation rhétorique un adversaire farouche de l'Église catholique. En conséquence, les renseignements, de valeur inégale, que livrent ces témoignages ne peuvent être additionnés pour reconstituer un ensemble qui serait homogène du point de vue des doctrines et des comportements. Marius Victorinus recopie un auteur grec commentant, à la suite d'Origène, l'Épître aux Galates. Cette source perdue associait à la conception de Yauctoritas apostolique de Jacques le Juste — attestée dans les Prédications de Pierre — des éléments précis de doctrine prophétologique, qui étaient tenus pour hétérodoxes en christologie (quamquam etiam lesum Christum aliter fatentur) et qui sont

1. « Qui ad dominum nostrum lesum Christum adiungunt Iudaismi observantiam » (Marius Victorinus, In ad Galates 1, 1 9 , 5 - 6 , à propos des Symmachiens) ; comparer avec ce qui est dans le Prologue : « errare Galatas quod evangelium fidei, quae est in Christo, adiungantadludaismum » (F. GORI, op. cit., Vienne, 1 9 8 6 , p. 9 5 , 4 - 5 [CSEL 8 3 / 2 ] ) . Ambrosiaster, In ad Galates, Prologue : « sicut et Symmachiani, qui ex Pharisaeis originem trahunt, qui, servata omni lege, Christianos se dicunt » (PL 1 7 , col. 3 5 7 B 3 - 5 ) . 2 . « Sunt quidam haeretici qui se Nazaraeos vocant, a nonnullis autem Symmachiani appellantur » : Contra Cresconium I, 3 1 (ed. Petschenig, p. 3 5 5 , 2 7 - 2 8 [CSEL 4 2 ] ) = Faustus, Capitula, cités dans Augustin, Contra Faustum XIX, 4 : « Nazaraeorum quisquam, quos alii Symmachianos appellant » (ed. J. Zycha, p. 5 0 0 , 3 - 4 [CSEL 2 5 / 1 ]). Lorsque Augustin rédigera son De haeresibus, un an avant sa mort ( 2 8 août 4 3 0 ) , il ne se souviendra plus du tout de ces Symmachiens dont il avait vu le nom mentionné dans les Capitula de Faustus. Effectivement, les notices du De haeresibus consacrées aux judéo-chrétiens (IX : Nasoraei, X : Hebionitae, XXXII : Sampsaei / Elcesaei) les ignorent.

334

MICHEL TARDIEU

inventoriés c o m m e « ébionites » dans l'hérésiographie grecque. Les m ê m e s éléments se retrouvent dans les Homélies et les Reconnaissances pseudo-clémentines. N o u s butons donc ici sur le problème de l'identification et de la transmission des matériaux judéo-chrétiens du corpus pseudo-clémentin et, par ricochet, sur celui de l'identification des opposants pauliniens chez les anciens commentateurs de l'Épître aux Galates. En tant que portant la dénomination de Symmachiens, les judéochrétiens de Marius Victorinus sont bien des fantômes qui n'ont jamais eu d'autre existence que littéraire, c'est-à-dire hérésiologique. L'intérêt du témoignage de Faustus est d'ouvrir d'autres perspectives. D'une part, il nous apprend qu'une vingtaine d'années après Victorinus, la dénomination de Symmachiens est toujours d'actualité en contexte romain et que c'est ainsi que les autorités catholiques de Rome désignent leurs judéo-chrétiens locaux, qui eux ne sont pas des fantômes. D'autre part, le nom de Nazaraei, « les observants », qu'il transmet également pour qualifier les m ê m e s gens, répond selon toute vraisemblance à une autodénomination, dès lors qu'elle est en usage par ailleurs dans les compilations des manichéens pour désigner leurs adversaires de fondation. Que ces judéochrétiens de R o m e se soient appelés aussi eux-mêmes Christiani n'est pas non plus à exclure, puisque, selon le mot de Faustus, ils sont « sous la profession du nom chrétien » (sub christiani nominis professione). D è s lors, le portrait pratique que Faustus donne de ces « chrétiens nazaréens », qui sont des non-juifs ayant adopté un comportement juif du fait de la circoncision et de l'observance de la Loi, correspond à celui que Victorinus fustige tout au long de son Commentaire aux Galates en les identifiant aux opposants pauliniens, mais qu'il caricature aussi en leur prêtant la christologie hérétique des ébionites.

JEWISH-CHRISTIANITY IN RABBINIC DOCUMENTS : AN EXAMINATION OF LEVITICUS RABBAH BURTON L. VISOTZKY

Jewish Theological Seminary of America, N e w York

Résumé L'utilisation de la littérature rabbinique comme source de Vhistoire de VAntiquité tardive nécessite une méthodologie particulière. Cela est spécialement vrai quand on essaie de connaître les aspects de V histoire du judéo-christianisme à partir de la documentation rabbinique. Il s'agit ici d'aborder l'examen du christianisme et/ou du judéo-christianisme dans Lévitique Rabbah, un midrash rabbinique des v-vr siècles. On montrera que peu de données — malgré les apparences — concernent réellement la question du judéo-christianisme dans les passages de Lévitique Rabbah qui vont être analysés.

Summary Great methodological care is needed in using rabbinic literature to learn the history of Late Antiquity. This is especially true in trying to learn aspects of Judéo-Christian history from rabbinic documents. A case in point is the treatment of Christianity and/or Judeo-Christianity in Leviticus Rabbah, a fifth to sixth century rabbinic midrash. The author examines texts that seem to have bearing on these subjects and concludes there is little secure data in Leviticus Rabbah pertaining to Jewish-Christianity.

I. Introduction. A small but significant number of texts in rabbinic literature consider Christianity. These were collected as early as seven

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BURTON L. VISOTZKY 1

centuries ago by the monk Raymundo Martini. Since that time Christian disputationists, inquisitors, censors, and now, scholars have repeatedly observed the phenomenon. In the last two centuries, Jewish scholars have also commented on Christianity in rabbinic literature. It is one thing, however, to note that the ancient rabbis consider Christianity, and another entirely to suggest that those same rabbis could recognize forms of Jewish-Christianity as distinct from Great Church or Orthodox Christianity. A great deal depends on us today as much as on the rabbis of old when w e consider the pheno­ menon: for h o w w e now define Jewish-Christianity will determine the extent to which the rabbis then knew of and responded to i t . In any consideration of rabbinic knowledge of either Christianity or Jewish-Christianity (or perhaps w e would be more accurate to make plurals of each of these collective nouns), one will of necessity be viewing one particular Jewish group's bias. W e may even g o so far as to say one will be viewing only one particular editor's bias — albeit an editor w h o is centrally located within the narrow band of the rabbinic Jewish community (itself by no means necessarily repre­ sentative of the broader Jewish community of antiquity, but available to us nevertheless through its literary legacy). Further, w e may well 2

3

1. In his infamous Pugio Fidei, ca. 1280 C.E. See the edition by J. B . CARPZOV, Pugio Fidei, Leipzig, 1687, and the consideration of his work by S. LIEBERMAN, "Reymund Martini and his alleged Forgeries," in Historia Judaica 5 (1943), p. 87-102. 2. Of the modern Christian scholarship, the scholar who led the way in the twen­ tieth century is R. T. HERFORD, Christianity in Talmud and Midrash, London, 1903 ; H. STRACK, Jesus, die Haretiker und die Christen, Leipzig, 1910 and H. STRACKP. BILLERBECK, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, 4 vols., Munich, 1922-1928. The latter remains an important compendium for the Rabbinic-Christian nexus. For a brief survey of what he appropriately calls "The Talmud in Controversy," see G. STEMBERGER, Introduction to the Talmud and Midrash, Philadelphia, 1992, p. 241-244. For modern Jewish scholarship see the bibliography in B . L. VISOTZKY, Fathers of the World: Essays in Rabbinic and Patristic Literatures,Tubingcn, 1995, p. 169-181. 3. Much of the material discussed here was first researched some thirteen years ago, while I was on a sabbatical at Clare Hall, the University of Cambridge. There I began to ponder the extraordinary difficulty of ferreting out useful text material and/or historic information about Jewish-Christianity from rabbinic literature. Indeed, much of the research for this paper has its origins in articles I wrote then and subsequently. This paper is primarily a reconsideration, with new foci, of B . L. VISOTZKY, "Prolegomenon to the Study of Jewish Christianities in Rabbinic Literature," in Association for Jewish Studies Review 14 (1989), p. 4 7 - 7 0 ; B . L. VISOTZKY, "Anti-Christian Polemic in Leviticus Rabbah," in Proceedings of the American Academy for Jewish Research 56 (1990), p. 83-100, and B . L. VISOTZKY, 'Three Syriac Cruxes," in Journal of Jewish Studies 52 (1991), p. 167-175, all of which have been reprinted in my Fathers of the World. Subsequent references to those works will include the pagination as collected in B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995.

JEWISH-CHRISTIANITY IN LEVITICUS RABBAH

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be seeing a rabbinic reaction to: (a) a wholly imaginary Christianity, (b) a Christianity of antiquarian historical interest to the rabbinic author (based upon his scattered knowledge of the N e w Testament), or (c) a Christianity that is current, but local and possibly non-repre­ sentative of the Church in general or Jewish-Christianity in partic­ ular. Given the likelihood of Palestinian provenance to the midrashic sources under discussion, w e will be attempting to reconstruct what some local rabbi observed of some Palestinian form of Christianity or Jewish-Christianity. In a search for Jewish-Christianity this is good, since many of the known locales of those groups are in Roman Palestine and environs. Epiphanius suggests the towns of Beroea, the Decapolis, Pella and K o k h a b a . Nearby Antioch is also mentioned with frequency both in Rabbinic literature and in regard to JewishChristianity. A s w e narrow the focus of this paper to interpretation of given rabbinic texts, yet other locales will surface as possible sites of Jewish-Christian communities. Defining Jewish-Christianity must also be accomplished through an examination of the professed theology of a given group, because locale alone is hardly sufficient. Consideration of h o w a community v i e w e d Jesus as son of God and/or as Messiah, questions of dualist or trinitarian godhead, high and l o w Christologies must be weighed. Further, doctrinal issues such as the Passion, Resurrection, and Virgin Birth also must be part of any Jewish-Christian equation. From the "Jewish" side of the Jewish-Christian formula w e must add issues of law-observance. Matters such as circumcision, ritual immersion, food laws, observance of Sabbath and Festivals, keeping of fasts, offering of sacrifices and the possibility of distinctive clothing or garments must be factored. Other, more reliably "Chris­ tian" observances such as baptism (as distinct from miqvah immer­ sion), aspersion, the age of the one being baptized (whether at birth, age of reason, or at imminent death), the practice of exhomologesis, confession, chrism, and the drink of choice for the Eucharist celebra­ tion (whether wine or water), these too may be notable for distin­ guishing Great Church Christianity from Jewish-Christianity or for marking one group of Jewish-Christians from another. Every one of these factors must be on the screen when w e try to v i e w JewishChristianity in Rabbinic literature. 1

2

3

1. Here I point out that the same phenomenon holds, mutatis mutandis, for forms of Babylonian (= Sassanian Empire) Christianity which may be discussed in Babylo­ nian Jewish sources not under consideration here, notably the Babylonian Talmud. 2. Epiphanius, Panarion 29.7 ; see B. L. VISOTZKY, op. cif., Ttibingen, 1995, p. 135-136. 3. For details, see B. L . VISOTZKY, op. cif., Tubingen, 1995, p. 136-140.

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BURTON L. VISOTZKY

Obviously when reading midrash and Talmud, the language of the Christians or Jewish-Christians there represented will be Hebrew or Aramaic. This, too, is in keeping with the patristic evidence for some of the Palestinian Jewish-Christian groups. This raises a larger meth­ odological question of the extent to which Great Church Christians, notably those w h o spoke Greek and Latin, marginalized Aramaic speakers, so that for the former any member of a Syriac Church might be considered some form of Jewish-Christian, or heretic or, for lack of a better term, Auslander. It is already clear from what w e know of Syriac Christianity that it w a s different from Greek and Western Christianity. This does not necessarily, however, indicate that it was Jewish-Christianity. S o affinities with Syriac Christianity may be natural for an Aramaic speaking rabbinic population without offering evidence for Jewish-Christianity, alas. Along these lines, it is unclear the extent to which rabbis could distinguish Great Church Christians from Judaisers, semi-proselytes of Christian origin (for example, certain of the God-Fearers) or other forms of Christians upon w h o m the heresiologists might frown. I suspect that to the vast majority of rabbis a Christian was a Christian, unless their observance patterns were near to perfectly congruent with that of the rabbinic Jewish community, in which case they were likely considered a Jew, albeit with a strange or discomfiting theology. Indeed, rabbinic terminology for all of these groups is notoriously opaque. They use terms such as mm, notsri, nokhrU mumar, meshu'mad, to which w e might add the censors' terms, 'aqum and even tsadduqi. W e should also add the possibilities of the termsphilosophos, 'aseret hashevatim and even mamzer. Whether in using these terms the rabbis are, in fact, making any fine distinctions among differing groups of Christians is doubtful, except for very rare c a s e s . It has also been long noted that Jewish-Christianity can be broken 1

2

3

4

5

6

1. See G. STRECKER, "Zum Problem des Judenchristentums," in W. BAUER, Rechtglaubigkeit und Ketzerei im dltesten Christentum, Tubingen, 1964 , p. 245-287, with Bauer's general observations as the backdrop to the problem. 2. See the bibliography in B. L. VISOTZKY, op. cit, Tubingen, 1995, p. 133-134, n. 16; and p. 145-146, n. 50-51. 3. See B. L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995, p. 144-145. Relevant contribu­ tions were made at the Colloquium by Liliane Vana and Moshe D. Herr. 4. A term often used in Greek papyri to indicate a monk. 5. See B. L. VISOTZKY, op. cit, Tubingen, 1995, p. 144-145, for the contexts in which these terms are possibly used to mean Jewish-Christians. 6. See n. 3 above and R. KIMELMAN, "Birkat Ha-Minim and the Lack of Evidence for an Anti-Christian Jewish Prayer in Late Antiquity," in E. P. SANDERS (ED.), Jewish and Christian Self-Definition, vol. 2, Aspects of Judaism in the GraecoRoman Period, Philadelphia-London, 1981, p. 226-244. 2

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JEWISH-CHRISTIANITY IN LEVITICUS RABBAH 1

into two distinct historical periods, early and l a t e . The early period is coterminous with the rise o f Christianity in the centuries covered by the N e w Testament. A s it were, all Christianity in those days was some form of Jewish-Christianity. Yet rabbinic literature, especially the midrash considered here, is contemporary in its redaction with the later period of Jewish-Christianity, viz., the fourth and fifth century. Since the midrash regularly quotes earlier sources, it is tempting to mine the midrash for hints about Jewish-Christianity in the middle period — otherwise a dark age. But the difficulty of establishing accurate dating for the transmitted rabbinic materials, to say the least of accurate attributions of those sayings to known named rabbis, precludes any contribution from rabbinics for the so-called middle period of Jewish-Christianity. A s w e will now see, it will be difficult enough to establish that the rabbis knew of Jewish-Christianity even in the later, better established period of midrashic redaction.

II. T e x t s . This pessimistic introduction to the messy business of sifting, if you permit the metaphor, through the sludge of Late Antiquity in the hopes of finding a gold nugget or two about Jewish-Christianity, should give us pause. There are certain collections within rabbinic texts which are nodes or encyclopedia-like entries regarding Christi­ anity. These loci collect material that is polemical against Christi­ anity, without particular distinction for the niceties o f the forms in which that Christianity was expressed. Thus it may be possible to find a series of texts where the general anti-Christian polemic may include some particularly anti-Jewish-Christian texts. In particular, two such nodes may be found among Palestinian rabbinic materials of the fifth century; one in Midrash Qohellet Rabbah and the other in the Pales­ tinian Talmud, tractate Berakhot. These fascinating texts have received attention elsewhere. 2

3

4

1. See the discussion of J. MUNCK, "Primitive Jewish Christianity and Later Jewish Christianity: Continuation or Rupture?" in Aspects du judéo-christianisme : Colloque de Strasbourg, 23-25 avril 1964, Paris, 1 9 6 5 , p. 7 7 - 9 3 , at the last colloquy on Jewish-Christianity. 2 . For the notion of encyclopedic collection, see M . HIRSHMAN, "The Greek Fathers and the Aggadah on Ecclesiastes: Formats of Exegesis in Late Antiquity," in Hebrew Union College Annual 5 9 ( 1 9 8 8 ) , p. 1 5 5 . 3 . See B . L. VISOTZKY, "Overturning the Lamp," in Journal of Jewish Studies 3 8 ( 1 9 8 7 ) , p. 7 2 - 8 0 ; now in B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 7 8 - 8 1 .

4 . See B . L. VISOTZKY, "Trinitarian Testimonies," in Union Seminary

Quarterly

Review 4 4 ( 1 9 9 0 ) , p. 3 1 - 5 3 ; now in B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 6 5 - 6 8 .

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Instead, I wish to survey an entire rabbinic text for its anti-Chris­ tian polemic to see whether it is possible to discern Jewish-Christian materials therein. Unlike the studies in Qohellet Rabbah or the Jeru­ salem Talmud, which divorce the individual traditions from their broader rabbinic context, this study has the advantage of seeing h o w the polemic fits within the exegetical program of an important text of the rabbis. It allows us to see h o w little weight the rabbis actually give to their anti-Christian remarks and further to see h o w minus­ cule the contribution may be for the history of Jewish-Christianity. Given the strictures of m y methodological introduction, this is not surprising. But, sharing the assumption that every bit of knowledge contributes to our broader understanding of Jewish-Christianity, w e proceed with a survey of Midrash Leviticus Rabbah. This text is a classic of rabbinic expression. Faced with the mori­ bund cult of Leviticus, the rabbis of the fourth and fifth century used the central book of the Torah, Leviticus, as a pretext for advancing their o w n agenda and notions of h o w Jews should live in covenant with God. The redactor of Leviticus Rabbah, working in fifth century Christian Palestine, collected a miscellany of rabbinic texts related to, or attachable to the biblical book of L e v i t i c u s . Given the loose organizing principles of Leviticus Rabbah and given the possibility that there may be some thematic unity to certain of the chapters of Leviticus Rabbah, were Jewish-Christianity an issue for the redactor or his community of readers, one expects that he would have directly addressed i t — p o s s i b l y even in the encyclopedic-entry fashion of the roughly contemporary Qohellet Rabbah and the perhaps somewhat earlier Palestinian Talmud. In fact, Leviticus Rabbah addresses neither Jewish-Christianity nor Christianity in any systematic fashion. Rather, as given exegetical traditions happen upon it, the redactor takes up the gauntlet for anti-Christian polemic. All told, nine Leviticus Rabbah texts have some bearing on the subject, which w e will n o w briefly examine. 1

1. Leviticus Rabbah 6.6 (Margulies,

2

144-46) .

Now should people say to you, "Inquire of the ghosts and familiar spirits that chirp and moan; for a people may inquire of its divine beings—of the dead on behalf of the living — for instruction and message," surely, for one who speaks thus there shall be no dawn (Isa 8:19-20)...

1. See B . L. VISOTZKY, "Aggadic Exegesis: Some Redactional Principles of Levi­ ticus Rabbah," in Jonah Fraenkel Jubilee Volume, Jerusalem (forthcoming). 2 . This discussion is a reconsideration and expansion of B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 9 5 - 9 7 .

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341

Of the dead on behalf of the living, R. Levi said: [This is analogous to] one who lost his son and went to inquire about him among the graves. A wise guy (pkh) asked him, "Your son whom you lost, is he dead or alive?" He answered, "Alive." The other said, "You cosmic fool! Is it the way of the dead to seek for them among the living? Do those who live need the dead?" Thus our God lives and endures for eternity... while the god[s] of the gentiles are [is] dead... Shall we abandon the Eternal one and bow to the dead?... Rabbi Shimeon b. Laqish said, "If this [dead god] cannot shed any light upon himself, how shall he shed light for others?" R. Abba b. Kahana said, "Darkness and gloom pervade this world, but not chaos and emptiness. Where will they pervade [the world]? In the great city of Rome..." This midrash may be straightforward exegesis of the Isaiah verses. Pagan cemeteries, pagan gods and pagan practices may be derided here by the rabbis, much as they were centuries earlier by Isaiah. However, the midrash might be anti-Christian polemic. Given the redactive date of Leviticus Rabbah this is certainly plausible. The polemic would then be against those w h o seek the possibly dead, possibly alive, "son" — a reasonable way for the rabbis to charac­ terize the scandal of crucifixion and resurrection. There is the ques­ tionable nature of the power of a g o d w h o could not prevent his o w n death. There seems to be allusion to Matt 5:14, "You are the light of the world," although, again, dismissively. Most telling is the question asked, "Is it the way of the dead to seek for them among the living?" which echoes the question in Luke 2 4 : 5 . Finally, there is the rabbinic observation, or perhaps messianic hope, that R o m e will be beset by darkness, gloom, chaos, and emptiness. All of this leans one toward considering this text an anti-Christian polemic. But can this text be referring to Jewish-Christianity? I am doubtful. The information about Christianity seems to be filtered through the lenses of rabbinic bias, but otherwise readily available to anyone w h o had access to the N e w Testament. The localization of Christianity in R o m e does not preclude Jewish-Christianity as the target of this alleged polemic, but neither does it argue in favor of it. There is otherwise no particular indicator of Jewish-Christianity in this midrash. 1

2

1. Thanks to my student, Roderick Young, for bringing this important parallel to my attention. 2. But, note that Jerome attributes commentary to Nazoreans on these verses. See A . F . J. KLUN, "Jerome's Quotations from a Nazorean Interpretation of Isaiah," in Recherches de science religieuse 60 (1972), p. 241-255, especially p. 244-245, which discusses our Isaiah text. Thanks to Ray Pritz for calling the Isaiah commen­ tary to my attention, and to William Petersen for the Klijn reference.

342

BURTON L. VISOTZKY

2. Leviticus Rabbah 25.6 (Margulies,

1

580-81) .

2

Rabbi Ishmael recited, that the Blessed Holy One sought to remove priesthood from Shem, as it is written, "And Melchizedek, king of Shalem... who was a priest to El Elyon" (Gen 14:18). But once Melchi­ zedek blessed Abraham before he blessed the Omnipresent, Abraham asked him, "Does the blessing of the slave take precedence over the blessing of the Master?" Then the Omnipresent removed priesthood from Shem and gave it to Abraham... This passage is immediately followed by a discussion of the nexus of Abraham's circumcision with his privilege of priesthood. The point of the midrash: circumcision merits priesthood. N o circumci­ sion, no priesthood. Travers Herford and Marcel Simon have both demonstrated the anti-Christian polemic of this passage. Against gentile claims for the priesthood, particularly those of law-free Chris­ tianity, is the point that only the circumcised merit priesthood. Only circumcised Jews, then, can be true priests to God, runs the argument of this midrash. To the extent that Jewish-Christians may have been circumcised, this midrash either excludes them from the polemic or includes them as rightful priests along with the Jews. The unlikelihood of rabbinic Jews including Jewish-Christians as authentic priests also leads m e to assume that the rabbis preaching this text are ignorant of lawobservant Jewish-Christianity. Although this is an argument from silence, I must conclude that if the rabbis were eager to undermine Christian claims to priesthood, had they known of Jewish-Christi­ anity, those claims, too, would have been included in the polemic. Of course, it may be that the Jewish-Christian community did not prac­ tice circumcision. If this were the case, I cannot see h o w the rabbis (or w e ) can distinguish whether the target of this text is Christian or Jewish-Christian.

1. Following "Anti-Christian Polemic," in B . L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995, p. 97. For thorough discussion see R . T. HERFORD, op. cit., London, 1903, p. 338-340; M. SIMON, Verus Israel : Etude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain (135-425), Paris, 1948, p. 110, n. 3-5, p. 111, n. 1-4; and, M. SIMON, "Melchisédech dans la polémique entre juifs et chrétiens et dans la légende," in Recherches d'histoire judéo-chrétienne, Paris, 1962, p. 101-126. 2. This phrase normally indicated materials of Tannaitic origin being used by Leviticus Rabbah. Here, however, there are no Tannaitic parallels, nor is our text found in the Munich manuscript of Leviticus Rabbah. B Nedarim 32b does quote R. Zechariah who quotes the text in the name of R. Ishmael. It is possible that Levi­ ticus Rabbah and B Nedarim both do draw from an otherwise lost early source.

JEWISH-CHRISTIANITY IN LEVITICUS RABBAH

3. Leviticus Rabbah 27.8 (Margulies,

343

1

641) .

The gentiles deride Israel and say, "You made the Golden Calf." So God investigated these charges and found them to be without substance... rather it was the sojourners [gerim] who ascended from Egypt with Israel... who made the Golden Calf... The background to this midrash may be found in charges brought against the law and the Jews in the Didascalia Apostolorum Syriace where the argument runs that "the second legislation was imposed for the making of the calf." The rabbinic response to this Aramaic charge is thus doubled: First, it was not Jews w h o made the Golden Calf, but others w h o claim to be Israel: the mixed multitude w h o ascended from Egypt pretending to be true Israel. Second, while the law was being given at Sinai, they were sinning with idolatry. True Israel performs all the law. The Didascalia Apostolorum clearly equates observance of the Second Legislation with the sin of the Golden Calf. The Second Legislation is not only punishment for the sin of the calf, but for the Didascalia Apostolorum, all w h o continue to observe the Second Legislation become guilty of the sin of calf w o r s h i p . Clearly, this text is itself polemical against law-observance and may well have as its target either the Jews or an earlier community of law-observant Jewish-Christians. B y the time the text appears in the Didascalia Apostolorum, however, w e may presume that if a law-observant segment of the Didascalia Apostolorum community still existed, it was under attack. T o the extent to which the rabbis know of the Didascalia Aposto­ lorum community, that group must be presumed non-observant. Whether this continues to qualify them for the rubric of Jewish-Chris­ tian is subject to discussion and debate. It seems that for the rabbis, the attack of the Didascalia Apostolorum against the Second Legisla­ tion was just another bout of Church antinomianism. T o that end, I am dubious that the rabbis could or did distinguish here between Chris­ tians and Jewish-Christians; all they saw was an attack against law observance. It was particularly visible to the rabbis because this 2

1. See in B. L . VISOTZKY, op. cit,

Tubingen, 1 9 9 5 , p. 9 7 - 9 9 .

2 . Didascalia Apostolorum Syriace 2 6 . See R. H. CONNOLLY, Didascalia Aposto­ lorum: The Syriac Version Translated and Accompanied by the Verona Latin Frag­ ments, Oxford, 1 9 2 9 , p. 2 2 4 , 2 2 2 , 2 3 2 . Syriac editions by P. DELAGARDE, Didascalia Apostolorum Syriace, Leipzig, 1 8 5 4 , p. 1 0 8 - 1 1 0 , and more recently by A . VOOBUS, The Didascalia Apostolorum in Syriac, 2 vols., Louvain, 1 9 7 9 , (CSCO 4 0 1 , 4 0 7 ) . F. Stanley Jones reminds me that the Didascalia Apostolorum community had its origins in a Greek speaking community. For the texts discussed here I would suggest that the rabbis could (a) well enough have heard these traditions in Greek or (b) know of the traditions only after the Syriac version was circulated and the community had evolved to exclude the Jewish-Christian observances against which it polemicizes. See in B. L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 1 5 1 , n. 4 .

344

BURTON L. VISOTZKY

attack was in Aramaic, a language they readily understood. Again, for us today this raises the question of Great Church perspectives on Jewish-Christianity. I do not believe that any Aramaic document must, by definition, be Jewish-Christian simply by virtue of not being Greek or Latin. 4. Leviticus Kabbah 19.2 (Margulies,

419-21)

\

Rabbi Alexandri ben Agri and Rabbi Alexandri the liturgical poet said, "If all of the gentiles in the world gathered to whiten the wing of a crow they could not. So too, if all of the gentiles of the world tried to uproot one word from the Torah they could not. From whom shall we learn this? Why from King Solomon. For when he wished to uproot a word from the Torah, it arose and accused him." R. Judah ben Levi says, "It was the yod of the word yarbeh (Deut 17:17) that accused him." Rabbi Shimeon ben Yohai said, "The book of Deuteronomy (Second Legislation) arose and bowed before God saying, 'Master of the Universe, Solomon attempted to uproot me and make me fraudulent (pilaster). For any testament (diatheke) which has two or three articles annulled is entirely nullified. Solomon seeks to uproot a yod. ... God replied, 'Go you, for Solomon and a hundred like him will be nullified while nary a yod of yours will ever be nullified.'" 2

3

9

Jesus' logion of Matt 5:17-18 immediately comes to mind as the subject of this polemic. Solomon, son of David is being accused of overthrowing Torah, perhaps seeking to replace a Testament (diatheke). The rabbinic response echoes Jesus' o w n words when he says not one iota nor one crownlet on a letter shall pass from the law. But to contextualize this rabbinic polemic beyond the N e w Testa­ ment verses, w e again turn to the Didascalia Apostolorum. The Syriac text continues to argue for the necessity of only observing the Ten Commandments and not the Second Legislation: 4

For whereas He spoke the Ten Words, He signified Jesus: for Ten repre­ sents yod; but yod is the beginning of the name of Jesus (yeshu)... Jesus does not undo the law, but teaches what is the law and what is the Second Legislation. For He says, "I am not come to undo the law, nor the prophets, but to fulfill them" [Matt 5:17]. The law therefore is indis­ soluble; but the Second Legislation is temporary and is dissoluble. Now the law consists of the Ten Words and the judgments to which Jesus bore witness and said, "One yod shall not pass away from the law" [Matt 5:18].

1. See in B. L. VISOTZKY, op. cit. Tubingen, 1995, p. 99-101, for further discus­ sion. 2. Here following manuscript Paris 149 and the editio princeps. 3. "He shaU not have many (yarbeh) wives... nor amass silver and gold to excess." See, too, Deut 17:16. 4. Didascalia Apostolorum Syriace 26. y

JEWISH-CHRISTIANITY IN LEVITICUS

345

RABBAH

Now it is the yod which passes not away from the law, even that which may be known from the law itself through the Ten Words, which is the name of Jesus. T o the extent that Didascalia Apostolorum represents it, the law is fulfilled in Jesus, or yod. For the rabbis, their response is "him and a hundred like him shall pass away and nary a letter of Torah law shall pass away." It seems possible that the rabbis were aware o f or responding to the Didascalia Apostolorum''s argument. However, it also seems that the argument o f the Didascalia Apostolorum limits the extent o f the law. If Jewish-Christianity is law-observant, then this Didascalia Apostolorum text must argue against it. If JewishChristianity is not law-observant then I doubt whether the Leviticus Rabbah text before us can distinguish between Jewish-Christianity and any other form of law-free Christianity.

5. Leviticus Rabbah 14.5 (Margulies,

l

308) .

I have suggested elsewhere that this Leviticus Rabbah text offers a vulgar parody o f the Christian doctrines of virgin birth and imma­ culate conception. Since both o f these concepts stem from relatively late layers o f Christian doctrine and since, for the most part, Mariology seems not to have been among the identifying markers of Jewish-Christianity, w e may m o v e on.

6. Leviticus Rabbah 3.2 (Margulies,

2

60) .

"Those who fear God praise Him, All the seed of Jacob glorify Him" (Ps 22:24): R. Joshua ben Levi said, "This refers to the God-fearers." R. Samuel ben Nahman said, "This refers to righteous proselytes. (...) What does the text refer to when it says, 'All the seed of Jacob glorify Him' ? These are the Ten Tribes." 3

4

5

A s I have demonstrated elsewhere, I believe this phrase, Ten Tribes, can in certain contexts refer to law-observant JewishChristians. The problem for the rabbis w a s this, one born a Jew remains a Jew. This is particularly so when that person persists in lawobservance. When determining the fitness of a Jew, the rabbis usually did not judge b y theology, but b y observance patterns. Thus, a

1. See B. L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995, p. 101-105. 2. See B. L. VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1995, p. 146-149. 3. For God-fearers see n. 2, p. 338, above. 4. The correct reading, see the Paris manuscript and the Oxford manuscript (Neubauer, 2335), ad loc. 5. See S. LDBBERMAN, Greek in Jewish Palestine, New York, 1942, p. 86-90. My debt to my teacher, S. Lieberman, is doubtless clear everywhere in this paper.

346

BURTON L. VISOTZKY

law-observant Jewish-Christian, particularly one born a Jew, would have been a conundrum for the rabbis. They understood that these individuals were related to the rabbinic Jewish community and yet not of it. Hence they group these Jewish-Christians with other groups: the gentile God-fearers w h o had not converted to Judaism according to Jewish law and those others w h o had converted to Judaism according to Jewish law. If you will, the first were on the outside, not yet in. The second were on the inside, having entered from the outside. The Ten Tribes had begun on the inside, had at least one foot on the outside, and according to some rabbis, were entirely beyond the pale of rabbinic Judaism. Hence the tide Ten Tribes, those w h o had been Jews and n o w were lost. If I am correct in this definition of the Ten Tribes, Leviticus Rabbah here gives us the first evidence of Jewish-Christianity. There is possibly more.

7. Leviticus Rabbah 5.3 (Margulies,

l

104-5) .

"Ah, you who are at ease in Zion" (Amos 6:1): refers to the tribes of Judah and Benjamin. "And confident on the hill of Samaria" (ibid.): this refers to the Ten Tribes... "Cross over to Calneh and see" (ibid.): refers to Ctesiphon. "Go from there to Hammath" (ibid.): refers to the hot springs (hamat) of Antioch. "And go down to Gath of the Philistines" (ibid.): refers to the fortresses of Philistia. 2

If this text uses the phrase Ten Tribes to refer to Jewish-Chris­ tians, it locates communities in Antioch, on the Mediterranean coast and in the Sassanian capital of C t e s i p h o n . However, since the A m o s text which precipitates the identification begins with Samaria, w e should be cautious. It is likely that the rabbis are contrasting Judah and Benjamin on the one hand, with the exiled Ten Tribes dispersed throughout the diaspora, on the other. Although Antioch and Ctesi­ phon are possible locales for Jewish-Christianity w e should recall that sometimes a midrashic exegesis is just that, an exegesis. 3

8. Leviticus Rabbah 12.1 (Margulies,

4

254) .

This section of Leviticus Rabbah is a collection of rabbinic stories and exegeses about drinking. Our text comes in a lengthy set of fixed formula texts which speak of the evils of drink, which leads to death. 1. See B . L . VISOTZKY, op. cit., Ttibingen, 1 9 9 5 , p. 1 4 6 - 1 4 9 .

2 . Palestina, the southern coast area which was not under Jewish purview. 3 . Michel Tardieu reminds me that this is the birthplace of Mani (ca. 2 1 6 CE) and a known locus of the Jewish-Christianity which so influenced his thinking and prac­ tice. See B . L . VISOTZKY, "Rabbinic Randglossen to the Cologne Mani Codex," in Zeitschrifi fur Papirologie una* Epigraphik 5 2 ( 1 9 8 3 ) , p. 2 9 5 - 3 0 0 . 4 . See B . L . VISOTZKY, op. cit., Tubingen, 1 9 9 5 , p. 1 4 8 , n. 6 0 .

JEWISH-CHRISTIANITY IN LEVITICUS RABBAH

347

"Just as the viper separates one from life and into death, so wine took the Ten Tribes into exile." T w o proof texts are offered, one from Isa 5:11 and a second from A m o s 6:6 which links the motif of the Ten Tribes back to the previous passage discussed. The link between wine and the Ten Tribes is found elsewhere in rabbinic literature and may possibly be an allusion to the wine of Eucharist. In any event, these last three texts all depend on the identification of the Ten Tribes with Jewish-Christianity. Although this is an iden­ tification which is personally attractive to m e , it remains a conjec­ ture difficult to substantiate. 1

9. Leviticus Rabbah 34.16 (Margulies,

2

812-13) .

"Men from your midst shall rebuild ancient ruins" (Isa 58:12). Rabbi Tarphon gave R. Aqiba six talents of silver. He said, "Buy for us a pro­ perty (ousia) that we may earn income from it and thus [have leisure] to study Torah together." Aqiba took the money and distributed it to the teachers of reading and the reciters of Mishnah and to those who studied Torah. After some time, Rabbi Tarphon met up with him and asked, "Did you buy the property we spoke about?" Aqiba replied, "Yes." He asked, "Is it worth anything?" He replied, "Yes." He asked, "Will you not show it to me?" So he took him and showed him the teachers of reading and the reciters of Mishnah and those who studied Torah — and all the Torah they had accumulated. Tarphon asked, "Does anyone labor without reward? Where is their receipt?" Aqiba replied, "With David, King of Israel, who wrote, 'He who gives freely to the poor, his righteousness lasts forever' (Ps 112:9)." There is no polemic in this lovely story. Indeed, it is heartily repeated in rabbinic literature for its uplifting moral — as the Pesiqta Rabbati states it:" 'Give freely to the poor' — so that your barns will be filled with grain in the Future to Come." Or, as it was told earlier in the Tosefta Pe'a that King Monbaz distributed the entire contents of his granaries during years of famine. When he was rebuked by his brothers he replied, "My fathers stored granaries for this world, I stored granaries for the World to Come." W e have here in Leviticus Rabbah a version of a folk-tale in which the giver of charity disperses funds meant for building in this world, in preference for a reward in the World to Come. This narrative finds a close parallel in the Syriac Acts of Thomas. In Act T w o , Thomas 3

4

1. Having been the one to originally suggest it. 2. See B . L. VISOTZKY, op. cif., Tubingen, 1995, p. 154-156. 3. Pesiqta Rabbati 25 (Friedmann, 126b-127a). 4. Pe'a 4.18 (Lieberman, 60); see also J Pe'a I, and B Babah Batrah 11a.

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agrees to build a palace for King Gundaphar but instead spends the money on the poor. Gundaphar casts Thomas into prison, but that night the king's brother dies and when he gets to heaven sees a magnificent palace there, built in heaven by the very charity Thomas had dispersed on earth. The brother begs to return to earth where he tells Gundaphar of the heavenly palace Thomas has built. The king hears and believes, Thomas is freed from prison and the king and his brother are both baptized. 1

The parallels between the story in the Acts of Thomas and the Levi­ ticus Rabbah text seem fairly clear. I assume that either they borrow from one another or from a c o m m o n s o u r c e . There have been other affinities noted between the Syriac Acts of Thomas and rabbinic literature. The question facing us is the extent to which Jewish affinities with the Acts of Thomas indicate that the community which produced that work was, therefore, Jewish-Christian. Again, the problem of Aramaic interferes with our appreciation of just what constitutes Jewish-Christianity. Further, this particular parallel between Leviticus Rabbah and the Syriac Acts suffers from possible "contamination" from the world of folk-tale. It is possible that each text came to the story entirely independently of the other. 2

3

III.

Conclusions.

W e have n o w reviewed the nine texts in which Leviticus Rabbah considers Christianity. A s mentioned earlier, these texts constitute a minuscule proportion of the entire Leviticus Rabbah text. Nowhere in Leviticus Rabbah is there any sustained consideration of any form of Christianity. Five of the texts w e reviewed were polemical against Christianity. Of these, one seemingly drew only on N e w Testament

1. This summary from F. C. BURKITT, Early Eastern Christianity, London, 1904, p. 66. S e e W . WRIGHT, Apocryphal Acts of the Apostles, London, 1871, vol. 1: The Syriac Texts, p. 185-197, vol. 2: The English Translation, p. 159-169; A. F. J. KLIJN, The Acts of Thomas, Leiden, 1962, p. 73-79,200-222; A. F. J. KLIJN, "The Influence of Jewish Theology on the Odes of Solomon and the Acts of Thomas," in Aspects du judéo-christianisme : Colloque de Strasbourg, 23-25 avril 1964, Paris, 1965, p. 167-179. 2. One must note that there is a Greek recension of the Acts of Thomas (M. BONNET, Acta Philippi et Acta Thomae, 1903, p. 124-128 [reprint, Darmstadt, 1959]), a possible source as well, but in my opinion, a less likely source than the Syriac version. The legend does also appear as a folk-tale as early as the Ahiqar lite­ rature. See E . YASSIF, "Traces of Folk Traditions of the Second Temple Period in Rabbinic Literature," in Journal of Jewish Studies 39 (1988), p. 228-229. 3. S. BROCK, "Jewish Traditions in Syriac Sources," in Journal of Jewish Studies 30 (1979), p. 221, n. 31.

349

JEWISH-CHRISTIANITY IN LEVITICUS RABBAH 1

2

m o t i f s , one referred to later aspects of M a r i o l o g y , yet another referred to the Melchizedek traditions which do have a history in synagogue-church disputation, but do not necessarily indicate Jewish-Christianity. T w o of the texts w e reviewed seem to be in dialogue with the Didascalia Apostolorum Syriace, a text which itself may have inter­ course with some Jewish-Christian community early in its history. Whether these texts offer any fresh evidence for Jewish-Christianity outside of that context is doubtful. Three more t e x t s refer to the Ten Tribes, which perhaps may be a rabbinic appellation for some form of law-observant Jewish-Christianity. Finally, the last text w e consi­ dered has motif affinities with the Syriac Acts of Thomas. The sheer generosity of the story makes it appealing, but not necessarily instruc­ tive on the history of Jewish-Christianity in rabbinic literature. What Leviticus Rabbah teaches us about Jewish-Christianity is that the chimera remains elusive. 3

4

5

1. Text 1 above. 2. Text 5 above. 3. Text 2 above. 4. Texts 3 and 4 above. 5. Texts 6,7, and 8 above.

LE DEUXIÈME VOLUME DE LA VERSION SYRO-PALESTINIENNE DE LA BIBLE MOSHE BAR-ASHER Université hébraïque, Jérusalem

Résumé La version syro-palestinienne de la Bible a été éditée et publiée par le Centre du Projet biblique de V Université hébraïque de Jérusalem, fondé et dirigé par le regretté M. Goshen-Gottstein. Il s'agit de deux volumes : (a) le premier contient les livres du Pentateuque et des Prophètes ; (b)le second, en préparation, contient les Hagiographes. Nous essayons de démontrer Vimportance scientifique de cette édition par Vanalyse de quelques exemples tirés de la version syropalestinienne du livre des Psaumes, dont nous avons le texte, d'une quarantaine de chapitres, par quelques fragments anciens et par /'horologion édité et publié en 1954 par M. Black. Notre étude se concentre sur des phénomènes linguistiques variés concernant le vocabulaire et la grammaire. Nous montrons comment beaucoup de traits linguistiques typiques au dialecte syro-palestinien ont été jusqu'à présent mal compris ou mal interprétés.

Summary The Syropalestinian version of the Bible was studied and printed by the Center of the Bible Project of the Hebrew University in Jerusalem, wich was established and directed by M. GoshenGottstein. Two volumes are refered to : (a) the first volume includes the books of the Torah and the Prophets ; (b) the second volume, which is in preparation, includes the books of the Writings. We are attempting to reveal the scientific importance of the edition through the analysis of several examples from the Syropalestinian version of the book of Psalms, a book from which we have some forty chapters that were taken from ancient fragments as well as from the horologion, that was published in 1954 by M. Black. Our research deals with various linguistic phenomenon from the vocabulary and from the grammar. We display how phenomenon characteristic of the Syropalestinian dialect were not understood correctly.

LA VERSION SYRO-PALESTINIENNE DE LA BIBLE

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I. Édition du centre du projet biblique de l'université hébraïque de Jérusalem.

a) Le premier volume. 1. Il y a vingt-cinq ans, M. Goshen-Gottstein et H. Shirun ont publié, dans le cadre du Centre du Projet biblique de l'Université hébraïque de Jérusalem, le premier volume de la version syro-palestinienne de la Bible (= S Y P ) qui, rappelons-le, est traduite de la Septante. Ce volume contient tous les fragments du Pentateuque et des Prophètes qui nous sont parvenus \ Les textes qui se trouvent dans cette édition ont été rassemblés à partir de livres syro-palestiniens édités dans diverses publications dont la majorité date de la fin du XIX et du début du XX siècle. À cela s'ajoutent d'autres fragments alors inédits qui ont été édités pour la première fois dans cette publication. e

e

2. Les innovations de cette publication ne tiennent pas seulement à l'édition de fragments inédits, mais aussi aux centaines de corrections que les éditeurs ont apportées aux premières publications dont l'établissement avait été quelque peu bâclé pour cause de précipitation mais aussi et surtout à cause de la méconnaissance du dialecte syro-palestinien . En outre cette publication fait apparaître des centaines de versets entiers ou fragmentaires du Pentateuque, des Prophètes et des Hagiographes insérés à date ancienne dans d'autres livres, surtout dans ceux du Nouveau Testament et des Pères de l'Église. Parfois on y trouve deux versions d'un m ê m e verset : l'une provenant du texte continu d'un fragment assez long de l'Écriture et l'autre consistant en une citation ou en une courte paraphrase insérée dans l'un des livres mentionnés ci-dessus. Ainsi, par exemple, une proposition tirée de Ex 15, 1, dont la version hébraïque est ntc nrci *o rb nrrm, « Je chanterai l'Éternel car 2

1. M . GOSHEN-GOTTSTEIN - H . SHIRUN, The Bible in the Sympalestinian Version, Part I. Pentateuch and Prophets, Jérusalem, 1973 [hébreu]. Rappelons que, dans cette édition, le syriaque est écrit en caractères hébraïques. 2. Voir M . BAR-ASHER, Palestinian Syriac Studies ; Source-Texts, Traditions and Grammatical Problems, Jérusalem, 1977, p. 7-12, § 211-213 [hébreu], où Ton trouvera un examen des différentes éditions de la littérature syro-palestinienne dans lequel on a pris soin de distinguer entre les bonnes et les mauvaises.

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il s'est couvert de gloire », et la version grecque dawpÉV TO> Kupico èvSo^coç y à p SeSo^acrrai, « N o u s chanterons le Seigneur, car glorieusement il s'est glorifié », est traduite, dans le texte syro-palestinien continu, de la manière suivante : ^ i c o a i c X m T sayyayati > sayyati ? 3 . Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1 9 5 4 , p. 2 4 6 . 4 . Le [o] a été réalisé en [u] en syllabe ouverte (voir plus haut, p. 3 6 2 , n. 4 ) et le 'e n'a plus été prononcé (voir plus haut, p. 3 6 3 , n. 2 ) . 5. A supposer que le [a] a été prononcé [e], comme en témoignent les textes syropalestiniens de la période tardive (voir F. SCHULTHESS, op. cit., Tubingen, 1 9 2 4 , p. 2 0 ; M . BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1 9 7 7 [hébreu], p. 1 4 2 et en d'autres passages qu'on trouvera signalés dans l'index, p. 5 7 3 ; C. MULLER-KESSLER, op. cit., Hildesheim-Zurich-New York, 1 9 9 1 , p. 6 0 ) . 6 . Voir F. SCHULTHESS, Christlich-palàstinische Fragmente aus der Omajjaden Moschee zu Damaskus, Berlin, 1 9 0 5 , p. 3 3 . 7. Voir M . BLACK, op. cit., Cambridge, 1 9 5 4 , p. 1 9 9 .

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MOSHE BAR-ASHER

Les deux formes verbales ^ L \ *I u et u correspondent à la 3 personne du féminin pluriel de l'inaccompli du 'etp 'el. La première forme ^ i ^ i p peut être interprétée de la manière suivante : le taw, qui est le morphème [t] du schème, et le zaïn, qui est la première consonne de la racine, sont intervertis en vertu du processus bien connu de la métathèse, de sorte que le taw s'est partiellement assimilé au z devenant sonore : [d]> [d] ; en outre, la désinence du féminin pluriel -an qui est caractéristique de la 3 personne du pluriel a subsisté. La deuxième forme yn:^ u se distingue de la première par deux caractéristiques : (1) le morphème [t] s'est entièrement assimilé au zaïn subséquent, yitza'zP'un > yizza'zPun ; (2) à l'époque tardive, la forme de la 3 personne du pluriel féminin ne se distingue pas toujours de la 3 personne du pluriel masculin, de sorte que -un tend à remplacer -an. Bien entendu, la prononciation de ces mots a dû différer de ce que nous venons de décrire : il est vraisemblable que ces verbes ont été prononcés yizdaze-an I yizzaze-on - en effet, il a dû se produire quelques changements phonétiques dans le dialecte, ainsi que nous l'avons mentionné déjà en d'autres lieux : (a) amuissement de la consonne pharyngale [ ' e ] / [ ' ] ; (b) réalisation du shewa qui suit le deuxième zaïn en une voyelle à part entière [ e ] ; (c) dans la forme en -un, le [u] est prononcé [o] en syllabe f e r m é e - il y a m ê m e des témoignages en faveur d'une pronociation [e] au lieu de [u] > [ o ] . La forme du n o m complément varie également d'une époque à l'autre. Dans le texte publié par F. Schulthess, nous avons trouvé J ci3 (< pus 'ati ) et dans celui publié par M. Black, J à i \ n m 3 (< pPsu"ati J, c'est-à-dire que nous avons affaire à deux variantes différentes du substantif à la forme absolue K N m a 3 (< *pus'a) en face de rC^nmS (< * p s u 'a). e

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1. Voir F. SCHULTHESS, op. cit., Tubingen, 1924, p. 22. 2. Voir plus haut, p. 363, n. 2. 3. Voir M. BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], § 9.3, p. 430-433 ; M. BAR-ASHER, « op. cit. », dans Journal asiatique 276 (1988), p. 42-44. 4. Voir plus haut, p. 362, n. 4. 5. Voir M. BAR-ASHER, op. cit., Jérusalem, 1977 [hébreu], § 6432, p. 445-447 ; M. BAR-ASHER, op. cit., dans Journal asiatique 276 (1988), p. 47-50. 6. Le mot revient à deux reprises dans ce verset. 7. Cette forme représente un état de la langue classique et non la prononciation effective. 8. Voir plus haut, p. 364, n. 7. 9. Voir plus haut, p. 364, n. 8.

LA VERSION SYRO-PALESTINIENNE DE LA BIBLE

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III. C o n c l u s i o n . 22. La publication intégrale de l'édition du Centre du Projet biblique de l'Université hébraïque de Jérusalem vient offrir aux chercheurs spécialisés dans l'étude des versions en dialecte syropalestinien un instrument de travail de meilleure qualité que ceux qu'ils ont eus jusqu'à présent à leur disposition. Elle contient la totalité des textes de l'Ancien Testament en syro-palestinien dont certains sont inédits. Dans la mesure où nous avons réussi à les localiser, les versions parallèles des fragments sont présentées en synopse. D e s centaines et des centaines d'erreurs, qui amoindrissaient la qualité des éditions précédentes, ont été corrigées. En outre, cette nouvelle édition permettra aux linguistes de prendre connaissance de faits de langue dont on présumait auparavant l'existence et de découvrir des données inédites en ce qui concerne le lexique, la sémantique et la grammaire dont la présente étude a fourni quelques échantillons succincts . 1

1. Il convient d'indiquer la publication de C . MULLER-KESSLER - M . SOKOLOFF, The Christum Palestinian Aramaic Old Testament and Apocrypha Version from the Early Period. A Corpus of Christian Palestinian Aramaic-, I, Groningen, 1997.

TROIS REMARQUES SUR LA PESIQTA DE-RAV KAHANA ET LE CHRISTIANISME STÉPHANE VERHELST École biblique et archéologique française, Jérusalem

Résumé e

L'hypothèse d'un courant « nazoréen » même après le IV siècle est abordée à partir de la Pesiqta de-Rav Kahana, en développant un article de la Revue biblique, 1998, en corrigeant un article des Questions liturgiques, 1997, et en reprenant avec quelque détail un article de Liber Annuus, 7997. Dans chaque cas, j'observe que le rapport au judaïsme se centre non pas sur la pratique de la Torah mais sur le souvenir liturgique du Temple détruit Je propose aussi d'identifier deux « lieux saints » nazoréens au moins jusqu 'au V siècle : la Tombe de Jacques et le Kathisme. e

Summary The hypothesis of a "Nazorean" movement even after the 4th century is questioned in an short analysis of the Pesiqta de-Rav Kahana. This unfolds an article 0 / R e v u e biblique, 799S, corrects an article of Questions liturgiques, 7997, and repeats with some detail an article of Liber Annuus, 7997. In each cases, I point out that the éventuel Nazoreans do not focus on the Tora but on the Temple and his liturgical memory. I also propose to identify two Nazorean « holy places » until, at least, the 5th century : the Tomb of James and the Kathisma. Cette conférence présente quelques résultats d'une recherche sur la liturgie chrétienne de Jérusalem dans son rapport au judaïsme. Elle s'inscrit dans la suite de deux études relatives à deux textes géorgiens, qui apportent un éclairage tout particulier sur le nazaréisme *.

1. S. VERHELST, « Une homélie de Jean de Bolnisi et la durée du carême en Syrie-

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Elles ont été suivies d'une étude parue dans Liber Annuus où, de manière analogue mais à partir de l'écrit rabbinique Pesiqta de-Rav Kahana, est abordé le délicat problème «judéo-chrétien» . La Pesiqta de-Rav Kahana (= PRK) est un recueil d'homélies pour les fêtes annuelles de la tradition juive rabbinique. L'ouvrage est généralement daté après le I V et avant le v r siècle, parce que les rabbins cités ne semblent pas postérieurs au IV siècle et que l'ouvrage ne fait aucune allusion, contrairement à un recueil comparable, la Pesiqta Rabbati, aux invasions de la Palestine du v n siècle. Plusieurs études, y compris par F. Manns r é c e m m e n t , ont insisté sur les éléments polémiques qui semblent affleurer dans la composition de l'ouvrage. Le présent travail s'inscrit dans cette ligne d'études, tout en essayant de trouver - par-delà l'aspect polémique évident, ou assez évident, de certains passages - des allusions qui tendraient à démontrer l'existence d'un courant « christianisant » au sein m ê m e du judaïsme représenté par ces sources. L e schéma de cet exposé, à défaut d'arriver à une conclusion parfaitement argumentée, se laissera donc aisément saisir : une remarque supplémentaire à propos de l'article paru dans la Revue biblique ; une simple remarque sur celui paru dans Liber Annuus ; et une remarque complémentaire, voire une rétractation, à propos du texte paru dans les Questions liturgiques. Il convient de préciser cependant qu'en plus de ces remarques isolées, j e m'efforcerai d'expliquer, avec tous les détails requis, le contexte dans lequel ces remarques s'insèrent. N o u s aurons ainsi un thème historique, suivi de deux thèmes proprement liturgiques, autrement dit seront abordées : (1) la question de la « Tombe de Zacharie » dans la vallée du Cédron ; (2) la question du début juif et chrétien de l'année liturgique en décembre-janvier ; (3) la question du cycle liturgique juif et chrétien des lectures du Deutéro-Isaïe. 1

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Palestine », dans Questions liturgiques 7 8 ( 1 9 9 7 ) , p. 2 0 1 - 2 2 0 ; S. VERHELST, « L'Apocalypse de Zacharie, Siméon et Jacques », dans Revue biblique 1 0 5 ( 1 9 9 8 ) , p. 8 1 - 1 0 4 .

La traduction de ces deux textes géorgiens a été assurée par un petit groupe qui s'est réuni sous la direction de Bernard Outtier, à qui je les avais proposés il y a deux ans comme simple exercice dans le cadre de l'Académie de langues du CNRS à Saintes. C'est aussi l'occasion de remercier Christian B. Amphoux, responsable de ces stages de langues sans qui l'idée même d'une telle rencontre n'aurait sans doute jamais été envisagée. Je profite encore de l'occasion pour remercier Moshé D. Herr des discussions que j'ai eues avec lui sur certains aspects des questions que je vais aborder. 1. S. VERHELST, « Pesiqta de-Rav Kahana, chapitre 1, et la liturgie chrétienne », dans Liber Annuus 4 7 ( 1 9 9 7 ) , p. 1 2 9 - 1 3 8 . 2 . F. MANNS, « La polémique contre les judéo-chrétiens en Pesiqta de-Rav Kahana 1 5 », dans Liber Annuus 4 0 ( 1 9 9 0 ) , p. 2 1 1 - 2 2 6 .

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I. Une allusion à la « Fondation de Paul » dans Pesiqta de-Rav KahanaXY,!. Le premier texte auquel je m e réfère est intitulé « Apocalypse de Zacharie, Siméon et Jacques », et est tiré d'un recueil d'homélies appelé mravaltavi en géorgien . Il s'agit d'une collection d'homélies, en partie palestiniennes et en partie syriennes ; l'édition initiale pourrait avoir été faite à Antioche, mais il paraît clair que ce recueil était connu et utilisé à Jérusalem (où il existait un monastère important dès le v siècle), soit en géorgien, soit même en grec, qui est, autant qu'on puisse le savoir, le modèle des homélies. L Apocalypse de Zacharie apparaît dans deux manuscrits de cet homéliaire, c o m m e lecture liturgique pour une fête située le 2 6 décembre, qui est la fête de Jacques frère du Seigneur dans la tradition orientale jusqu'à aujourd'hui . Le modèle du texte est probablement grec et la traduction, d'après la forme du texte scripturaire qui estdté^d'qxèsdiflfâTents éléments lexicaux, a dû se faire vers le VI siècle. Il s'agit d'une lettre d'un certain Jean racontant quatre apparitions de Zacharie « grand prêtre de Dieu » et « père du Baptiste » (§ 57), apparitions qui ont pour fonction et pour résultat l'authentification de deux lots de reliques, qu'un certain Épiphane lui aurait envoyés depuis Jérusalem. Le heu de provenance exacte des reliques n'est pas précisé. Les reliques se révèlent être de Zacharie lui-même, Jacques frère du Seigneur et Siméon, le « témoin-martyr » de Le 2. On possède un important détail permettant de dater le terminus a quo de la rédaction de la lettre, et donc des apparitions : une référence au défunt Siméon le Stylite (mort en 458). Par ailleurs, la lettre demande à la fin (§ 67-71) la construction d'un sanctuaire sur le lieu où les reliques avaient été trouvées, mais il est assez clair que cette conclusion remonte à un état ultérieur de la lettre, qui à l'origine ne s'adressait qu'à É p i p h a n e . La construction de ce sanctuaire semble postérieure au passage du pèlerin Théodose qui fait allusion aux reliques mais ne mentionne pas encore le sanctuaire vers 518, et antérieure à la fin de l'épiscopat de Pierre en 552. La lettre de Jean daterait 1

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1. Étude de base de M . V A N ESBROECK, Les plus anciens homéliaires géorgiens. Étude descriptive et historique, Louvain-la-Neuve, 1 9 7 5 . 2. Le choix de cette date dépend d'une ancienne fête « judéo-pagano-chrétienne » du patriarche Jacob, signalée à Hébron par le Pèlerin de Plaisance, au vr siècle (30, § 2 ) , et confondu avec Jacques frère du Seigneur. Il est aussi vraisemblable que cette date dépende de la fête d'Etienne, le 2 6 décembre également. Je me contente d'observer ici cette rencontre, car pour l'expliquer, il faudrait entrer dans de trop nombreux détails. 3. Je suis désormais porté à penser que le Pierre qui accompagne le nom d'Épiphane pourrait être Févêque Pierre de Jérusalem ( 5 2 4 - 5 5 2 ) , ajouté par la même main que l'auteur de la conclusion.

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donc de l'époque allant de 4 5 8 à 5 1 8 , soit environ le troisième tiers du V siècle. La provenance des reliques peut être facilement retrouvée, puisque Théodose déjà reconnaît dans la vallée du Cédron un monument contenant les trois personnages des apparitions de Jean. Ceci nous conduit directement à la « Tombe de Zacharie » - elle porte encore ce n o m aujourd'hui - , où en effet des restes d'un sanctuaire byzantin ont été retrouvés (à l'occasion de la chasse aux trésors qui a suivi la découverte du Rouleau de cuivre de Qumrân) et sont toujours à peu près visibles in situ K Par ailleurs, des reliques de Jacques, Zacharie et Siméon à cet endroit étaient fort bien connues depuis qu'un texte latin avait été étudié par F.-M. A b e l . Si ce texte prétendait que trois apparitions de Jacques, permettant l'identification des reliques, s'étaient produites au début de l'épiscopat de Cyrille, soit au milieu du r v siècle, il est évident que ce récit est en fait postérieur au récit géorgien - l'un et l'autre traduisant un modèle grec - , car il prévoit la célébration de deux fêtes liturgiques les 1 décembre et 25 mai, pour l'invention des reliques et pour la dédicace du sanctuaire, fêtes dont le lectionnaire géorgien confirme en effet l'existence dans la liturgie de Jérusalem, en indiquant m ê m e le n o m du sanctuaire (la « Fondation de Paul »). Or c e s fêtes n'existent pas encore dans le texte géorgien qui vient d'être traduit. Par ailleurs, la tradition locale sur c e sanctuaire a continué de se développer, puisqu'on retrouve dans le synaxaire melkite de langue arabe (étudié par Mgr Sauget) un récit qui est en dépendance directe de l'Apocalypse latine. Ce récit arabe confirme non seulement que l'Apocalypse latine est plus tardive que l'Apocalypse géorgienne, mais suggère aussi que l'Apocalypse latine a en quelque sorte remplacé, c o m m e légende de fondation, l'Apocalypse géorgienne. Je reviendrai plus loin sur le problème de la localisation primitive de la tombe-mémorial de Jacques et Zacharie. Je voudrais apporter ici un autre témoignage qui n'avait pas été aperçu jusqu'à présent, et qui se trouve dans le récit rabbinique de la mort de Zacharie, assassiné par le roi de Juda entre l'autel et le vestibule, selon le récit de 2 Ch 24. La légende de la vengeance du sang de Zacharie par Nabouzaradan, « chef des bouchers » , comporte une variante textuelle qui e

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1. Je dois à E. Alliatta la précieuse remarque selon laquelle la cavité creusée sous le monolithe pyramidal doit évidemment être rattachée à la construction du sanctuaire, dont elle constitue la crypte où devaient se trouver le ou les reliquaire(s). 2. Voir F.-M. ABEL, « La sépulture de saint Jacques le Mineur », dans Revue biblique 16 (1919), p. 485-487. 3. Voir ce récit dans L. GINZBERG, The Legends of the Jews, t. IV, Philadelphie, 1913, p. 304 ; t. VI, Philadelphie, 1928, p. 396-397 ; S. H. BLANK, « The Death of Zacharias in Rabbinic Literature », dans Hebrew Union College Annual 12 (1937), p. 327-346, plus spécialement p. 338 et p. 339-346.

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n'apparaît pas dans les éditions traditionnelles, mais seulement dans l'édition Buber pour Lamentations Kabbah IV, 13 l'édition Mandelbaum pour PRK XV, 7 et l'édition Hirschman pour Qohelet Rabbah III, 1 6 . Voici une traduction de ce midrash . 2

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1. « À cause des péchés de ses prophètes, des crimes de ses prêtres, qui en pleine ville avaient versé le sang des justes ! » (Lm 4,13.) 2. Rabbi Youdan demandait à Rabbi Aha : « Où a-t-on tué Zacharie ? Dans le parvis des femmes ou dans le parvis d'Israël ?» Il lui dit : « Dans le parvis des prêtres. » 3. Et ils ne se comportèrent avec son sang ni comme avec celui d'un cerf ni comme avec celui d'une gazelle (Dt 12), car du sang du cerf et de la gazelle il est écrit : « Il versera son sang et le recouvrira de terre » (Lv 17, 13). Ainsi donc il est écrit : « Car son sang est au milieu d'elle (Jérusalem), elle l'a mis sur le roc nu » (Ez 24,7). Et tout ça pourquoi ? « Pour faire monter la fureur, pour tirer vengeance (j'ai mis son sang sur le roc nu, sans le recouvrir) » (Ez 24, 8 ) . 4. Et quand Nabouzaradan monta à Jérusalem pour la détruire, le Saint béni soit-il commanda à ce même sang, qui commença à bouillonner (DOT) [lire O O I N ] ) . Il lui dit : « Voici le temps de te rendre justice » . Lorsqu'il le vit, il leur dit : « Qu'est-ce que c'est que ce sang ? » Ils lui dirent : « C'est le sang des bœufs, des brebis, des béliers, que nous avons l'habitude de sacrifier sur l'autel. » 5

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1. S. BUBER, Midrash Eykha Rabba, Vilna, 1899, p. 148-149 (manuscrit de Rome, Casanata J.I.4,1378 ; manuscrit de Londres, BM 27089,1504). 2. B. MANDELBAUM, Pesiqta de-Rav Kahana According to an Oxford Manuscript with Variants from all Known Manuscripts and Genizoth Fragments and Parallel Passages with Commentary and Introduction, t. I, New York, 1962 \ 1 9 8 7 , p. 257-259. 3. M . G. HIRSCHMAN, Midrash Qohelet Rabbah : Chapters 1-4. Commentary (ch. 1) and Introduction, 2 volumes, New York, 1983 (The Jewish Theological Seminary of America, Ph.D.) ; vol. H, p. 301-307 (= Vaticanus Hebraicus 291.1 lb, 1417). 4. Certains manuscrits de Qohelet Rabbah renvoient à la Meguillat Eykha pour plus de renseignements. C'est un indice favorable à l'antériorité de Lamentations Rabbah IV, 13 (ici traduit) sur Qohelet Rabbah TU, 16. Le motif initial pour lequel la légende aurait été mise par écrit serait donc un commentaire de Lm 4,13. Pour une étude rrélimiiiaire du midrash, on doit aussi renvoyer à J. HEINEMANN, Aggadah and its Development, Jérusalem, 1974, p. 31-38 et p. 214-215 [en hébreu]. 5. M . G. HIRSCHMAN, op. cit., New York, 1983 : ajoute : « Ils entassèrent toute espèce de poussière par-dessus et construisirent toute espèce de construction », pa rbs m nsi? bD rbs TÊTU Les syntagmes kol afax et kol binian représentent une forme grammaticale rare, qui semble empruntée au grec (irac + substantif). 6. M . G. HIRSCHMAN, op. cit., New York, 1983 : ajoute : « et à bouillir » (rrmrïi). Certains manuscrits de Qohelet Rabbah sont plus longs : « et il monta pendant deux cent cinquante-deux ans, depuis Joas jusqu'à Sédécias. Que firent-ils ? Ils entassèrent toute espèce de poussière par-dessus et firent toute espèce de tas, mais il ne se reposait point et le sang bouillonnait et bouillait ». 7. On doit comprendre cette phrase yri [ÔIKV|] ' a a m KTIÏU? un, selon l'édition Hirschman, au heu de "|n r a n RTTO TVT, selon l'édition Buber. 2

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Aussitôt, il envoya chercher des bœufs, des brebis et des béliers, et ils les immolèrent devant lui, mais le sang était toujours bouillonnant. 5. Comme ils ne lui avouèrent pas, il les prit et les pendit au « gardon » . Il leur dit : « Dites-moi ce que c'est que ce sang ! » Ils lui dirent : « Puisque le Saint béni soit-il veut inculper (jnnn ?) le sang de nos mains, on va te le dire. Nous avions un prêtre, un prophète, un juge ; il prophétisait contre nous tout ce que tu es en train de nous faire ; mais nous ne l'avons pas cru ; nous nous sommes dressés contre lui et l'avons tué. » 6. Aussitôt il amena quatre-vingts jeunes prêtres qu'il égorgea par-dessus lui, à cause de lui (v^tf) ; mais le sang ne se figea pas ; il continuait de suinter (p2no), tant et si bien qu'il arriva à la tombe de Zacharie (rrpî 'atf rop ?). 7. À cet instant précis, il le morigéna et lui dit : « Eh quoi ! Est-ce là ta pensée que je perde tout ton peuple pour toi ? » Au même instant le Saint béni soit-il se remplit de miséricorde et dit : « Moi dont il est écrit "le Seigneur ton Dieu est un Dieu miséricordieux" (Dt 4, 31), je ne leur ferais pas miséricorde, alors que cette mauvaise graine, qui est de terre et de sang, qui est cruelle, qui est venue pour les détruire se remplit pour eux de miséricorde. Aussi, moi combien plus ! » 8. Au même instant, le Saint béni soit-il commanda à ce même sang, et il s'engloutit sur place (impos utaïï) ; c'est ce qui est dit : « et la mer apaisa sa fureur » (Jon 1,15) . 9. Rabbi Youdan dit : « Israël commit sept fautes en ce même jour : ils tuèrent un prêtre, un prophète, un juge, ils versèrent un sang innocent, ils rendirent impur le parvis et c'était un jour de Kippour et un sabbat. » l

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La « Tombe de Zacharie » au point 6, selon cette recension, peut difficilement ne pas être une allusion au monolithe pyramidal de la vallée du Cédron. La leçon du texte reçu lidemo au lieu de liqevaro, en citant Os 4 , 2 (w'damîm b'damîm naga û), paraît ultérieure. Quoi qu'il en soit, le point essentiel est l'ajout de Qohelet Rabbah au point 3 , ajout déplacé par certains copistes, dans ce m ê m e ouvrage, au paragraphe suivant . L'allusion à une « construction » signifierait en effet que le narrateur de la légende dans Qohelet Rabbah III, 16 et sans doute aussi dans les deux autres versions comportant la « Tombe de Zacharie », eût connu l'existence de la « Fondation de Paul » *, qui dès lors, à côté de sa fonction c o m m e homélie insérée dans Lamentations Rabbah, pourrait être le motif lointain de la mise t

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1. n s'agit du gradus latin, le tribunal. 2. « Pour détruire ma demeure » (Qohelet Rabbah). 3. Ceci est-il une allusion à Ex 15, 4 : « La mer des Roseaux l'a engloutie Cuoo) » ? 4. Voir plus haut, p. 370, n. 5. 5. Voir plus haut, p. 370, n. 6. 6. Il y a un souvenir de cette « construction » dans le bref résumé de Cantique

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par écrit du midrash. On se rappelle d'ailleurs que le 9 av, d'après certaines sources tant juives que chrétiennes , était une occasion pour les juifs, à l'époque byzantine, de se rendre à Jérusalem en pèlerinage. U n d e s résultats de l'étude de VApocalypse de Zacharie était l'hypothèse d'un déplacement de la tombe de Jacques signalée par H é g é s i p p e dans l e s ruines du Temple détruit, vers la t o m b e du Zacharie postexilique de la vallée du Cédron, selon une tradition qui est annoncée dès la fin du r v s i è c l e par Jérôme, tradition qui se concrétise à la fin du V è m e dans le récit des apparitions de Jean. 1

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L'influence de « Zacharie » sur la figure légendaire de Jacques est donc double : - L e souvenir du martyre de Zacharie dans le Temple est bien attesté non seulement par les sources rabbiniques, mais chrétiennes et m ê m e i s l a m i q u e s . Or le récit de son martyre selon 2 Ch 2 4 (et probablement différentes traditions aggadiques antérieures au midrash qui a été étudié) paraît être une source majeure du récit romancé du martyre de Jacques, qui surgit au i r s i è c l e . Il serait d'ailleurs intéressant de relire c e s deux récits de prophète-prêtre assassiné dans le temple en parallèle avec la curieuse histoire de la lapidation de Jérémie dans les Paralipomènes de Jérémie IX, sans 2

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Rabbah II, 4 : L.GRÛNHUT, Midrasch Schir Ha-Schirim, Jérusalem, 1897, p. 27-28 [d'après un manuscrit désormais perdu de la Gueniza du Caire, daté de 1147] - cité par J. HEINEMANN, op. cit., Jérusalem, 1974, p. 33 : après avoir tué Zacharie, son sang se mettant à bouillonner, « ils construisirent par-dessus une construction, mais il ne se corrigeait point ». 1. Pour les sources chrétiennes, voir J. JUSTER, Les Juifs dans VEmpire romain, Paris, 1914, t. n, p. 174-175, n. 2 et n. 5. Pour les sources juives, voir S . SAFRAI, « Ha-'aliah le-regel 1-yrushalaim le-'ahar hurban bayt sheni », dans E . OPPENHEIMER U. RAPPAPORT - D. SATRAN (Éd.), Peraqim be-tolodot Yerushalaim bimey bayt sheni (Mélanges A. Shalit), Jérusalem, 5741, p. 376-393. La présence juive à Jérusalem au début de l'époque byzantine est plus difficile à établir (voir néanmoins S. SAFRAI, « Qahela' qadisha' de-b-yrashalaim », dans Sion 22 (5717), p. 183-193). 2. Le JâmV al-bayân 'an tâ'wîl al-qur'ân de Abu Ja'far M. b. Jarîr al-Tabarî (839-922), éd. al-Halabî, Le Caire, 1954-1957, au livre 15, transmet deux recensions affabulantes de la légende de la mort de Zacharie comme cause de la chute du Temple, d'abord en citant Mûsâ b. 'Uqba al-Asadî (ca. 675-758), p. 32-33, ensuite Ibn Isb'aq (704-767), p. 41. Dans ce dernier cas, il est intéressant de noter que le Temple est supposé se trouver dans une vallée (fi l-biq*ah). Je dois à Madame Rosenkranz Verhelst ces précieux renseignements. 3. Ce récit, outre Hégésippe et la seconde Apocalypse gnostique de Jacques, est inséré dans Reconnaissances 1,70-71, passage sur lequel on peut désormais se référer à la contribution de C. Gianotto à ce volume. Sur le martyre de Jacques proprement dit, je remercie F. S. Jones de m'avoir rappelé son article : « The Martyrdom of James in Hegesippus, Clement of Alexandria, and Christian Apocrypha, Including Nag Hammadi : A Study of the Textual Relation », Society of Biblical Literature. 1990 Seminars Papers, Atlanta, Géorgie, 1990, p. 322-335 (voir aussi F. S. JONES, An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity. Pseudo-Clementine Recognitions 1.27-71, AUanta, Géorgie, 1995, p. 142-145).

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parler m ê m e de la Passion d'Etienne \ qui, c o m m e Jacques, meurt dans le Temple entouré de deux témoins juifs. - Plus tard, à partir de la fin du r v siècle, la tombe du Zacharie postexilique est à l'origine de la localisation byzantine de la tombe de Jacques. La construction chrétienne sur la « Tombe de Zacharie » au début du V I siècle est donc une indication probable de la continuité de la tradition du mémorial de Jacques dans les ruines du Temple depuis Hégésippe jusqu'à cette époque, et c e déplacement de tradition concernant un lieu saint typiquement « judéo-chrétien » devra être rapproché du Kathisme dont il va être question plus loin. L'aspect « nazoréen » de c e dossier ne se limite d'ailleurs pas simplement à une question de lieu, car il y a dans Y Apocalypse de Zacharie des indices assez clairs qui situent ce texte dans le courant de l'apocalyptique juive, et le titre de « grand prêtre » qui est donné à Jacques n'a qu'un seul parallèle dans les sources connues : la notice d'Épiphane contre les Nazoréens. Ce sont autant d'éléments qui m'invitent à identifier l'auteur du texte c o m m e étant lui-même un Nazoréen. On devrait enfin relier c e document, sans parler des sources proprement apocryphes, à d'autres textes patristiques, en particulier quelques documents exhumés par M. van Esbroeck dans les années 1 9 8 0 . e

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II. Pesiqta de-Rav Kahana 1,1 et 3 et le début du cycle homilétique en décembre-janvier. Il convient de citer d'abord une étude de Léo Baeck : « In debates b e t w e e n Jewish scholars [au moment de la polémique antinestorienne sur le titre de Theotokos], it may well have been a thorny point whether the Song of Songs, which the Church also interpreted allegorically, does or does not tell how the Mother of God had crowned her

1. Dossier récemment repris par A . STRUS, « L'origine de l'apocryphe grec de la

passion de S. Etienne : À propos d'un texte de deux manuscrits récemment publiés », dans Ephemerides Liturgicae 112 (1998), p. 18-57. 2. M. VAN ESBROECK, Barsabée de Jérusalem. Sur le Christ et les Églises, Turnhout, 1982 (PO 41) ; M. VAN ESBROECK, « Jean II de Jérusalem et les cultes de S. Etienne, de la Sainte-Sion et de la Croix », dans Analecta Bollandiana 102 (1984), p. 99-134, spécialement p. 115-125 (« Du bienheureux Jean de Jérusalem. Panégyrique sur la sainte Église du Seigneur ») ; M. VAN ESBROECK, « L'homélie de Pierre de Jérusalem et la fin de l'origénisme latin en 551 », dans Orientalia Christiana Periodica 51 (1985), p. 33-59 ; M. VAN ESBROECK, « Un court traité pseudo-basilien de mouvance aaronite conservé en arménien », dans Le Muséon 100 (1987), p. 385-395.

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Son » *. L'auteur commente le § 3 du chapitre initial de la Pesiqta deRav Kahana et met en évidence la difficulté narrative de l'explication d'un verset du Cantique des Cantiques : « Venez contempler, filles de Sion, le roi Salomon, avec le diadème dont sa mère l'a couronné, au jour de ses épousailles, au jour de la joie de son cœur » (Ct 3 , 1 1 ) . Puisque, dès l'époque tanaïtique, le Salomon du Cantique est interprété du S B S , que faut-il penser de sa mère ? L e compilateur du recueil - au V siècle par exemple - n'aurait-il pas lui-même cité le rabbin du rv siècle qui apparaît ici, pour intervenir dans la polémique sur le titre de Marie Théotokos, polémique qui a éclaté au concile antinestorien d'Éphèse, en 4 3 1 ? C'est c e que viendrait confirmer l'observation suivante. On trouve dans la première section ( P R K 1 , 1 ) un midrash sur la Shekhinah remontant au cours de sept générations à partir du péché d'Adam jusque - d'après la recension de Beréshit Rabba XIX, 7 au péché des Égyptiens envers Abraham (= Gn 17-18), et redescendant au cours de sept générations, à partir des vertus d'Abraham (Gn 22) jusqu'à la Dédicace de la Tente par M o ï s e (Nb 7). Le thème est caractéristique des homélies de la fête dite de la Mémoire de Marie, qu'il serait peut-être plus simple d'appeler, à l'époque qui nous occupe, fête de l'Annonciation (la date du 25 mars ne s'est guère imposée avant l'époque de Justinien). Cette fête se situait, et se situe encore dans certaines traditions liturgiques, avant la fête de N o ë l , donc à l'époque de Hanukah. Or ledit mraval-tavi c o m m e n c e justement par des homélies pour cette fête. Si j e n'y ai pas trouvé d'homélies comportant la thématique des deux fois sept générations de l'histoire du salut, cette thématique, aboutissant dans le nouveau temple qu'est le sein de Marie mère de Jésus, est récurrente dans d'autres homélies mariales . Sous cette réserve, le parallèle avec la Pesiqta de-Rav Kahana ne se limite donc pas seulement au début chronologique du classement des homélies dans les deux recueils, mais s'étend au contenu m ê m e de certaines homélies caractéristiques. Il faut toutefois reconnaître que le début de PRK à Hanukah ne fait pas l'objet d'un consensus ; certains estiment que ce début aurait été à l'origine Rosh ha-Shanah, actuellement PRK XXIII, puisque Rosh ha-Shanah est le début de l'année dans la tradition rabbinique. Cette pétition de principe peut d'ailleurs s'appuyer sur un bon manuscrit, e

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1. L . BAECK, « Haggadah and ChristianDoctrine », dans Hebrew Union College Annual 23 (1950-1951), p. 549-560, spécialement p. 557. 2. On trouvera dans S. C. MIMOUNI, Dormition et Assomption de Marie. Histoire des traditions anciennes, Paris, 1995, p. 373-433, tous les éléments nécessaires à une étude préliminaire de cette fête. 3. J'en ai citées l'une ou l'autre dans S. VERHELST, op. cit., dans Liber Annuus 47 (1997), p. 129-138.

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o ù l e c l a s s e m e n t d e s h o m é l i e s c o m m e n c e e n e f f e t par R o s h ha-Shanah (manuscrit d'Oxford 1 dans l'édition de Mandelbaum). Mais un début à Hanukah est une lectio difficilior : pourquoi aurait-on déplacé ce début anormal à Hanukah, s'il avait été primitivement à R o s h ha-Shanah ? L'explication que l'on avance pour justifier le début du cycle à Hanukah est qu'il s'agit de la première fête qui tombe après le cycle de la lecture de la Torah (donc après la fête de Simhat Torah, 8 ou 9 jour de la fête de Sukkot). Mais ce cycle en Palestine était trisannuel, et il n'est m ê m e pas sûr que Hanukah soit la première fête annuelle dans ce cycle, qui ne comportait pas rigoureusement trois ans. Il faut donc admettre que l'éditeur de PRK a pris c o m m e m o d è l e de son calendrier des fêtes annuelles le modèle de lecture annuel de la Torah commençant après Simhat Torah, bien que dans ce modèle annuel le début de l'an soit Rosh ha-Shanah. Ce paradoxe est à la fois l'indice de l'origine palestinienne de ce cycle annuel et l'indice de sa transmission dans un milieu qui n'était pas le milieu rabbinique créateur, ou transmetteur, de la grande tradition aggadique conservée dans le Midrash Rabba et les autres midrashim classiques. En d'autres termes, ce premier parallèle entre les deux homéliaires suggère que les « nazoréens » attachaient une importance particulière à Hanukah, au Temple et à sa restauration, conclusion qui n'est pas sans rejoindre la première remarque de cet exposé K e

e

1. Elle la rejoint peut-être encore par un autre côté, que je ne peux qu'évoquer ici. n serait en effet intéressant de montrer que l'Annonciation était célébrée, dans une tradition différente de la tradition des sources liturgiques (homéliaire, lectionnaire, etc.), non pas avant Noël mais le 15 août. Cette fête, d'après ces mêmes sources liturgiques, se célébrait au lieu dit du Kathisme, au troisième miUe de Jérusalem vers Bethléem. Or c'est exactement à cet endroit que le Protévangile de Jacques situe la naissance de Jésus. Par conséquent, de même que la fête de la naissance de Jésus aurait été déplacée du Kathisme à Bethléem et du mois d'août au mois de décembre, de même la fête de l'Annonciation aurait été déplacée du 15 août aux environs de Noël - les deux fêtes étant fondamentalement, comme encore aujourd'hui dans la tradition orientale, une même fête de l'Économie du Salut s'achevant dans l'Incarnation. En d'autres termes, le Kathisme pourrait être aussi ancien que le Protévangile de Jacques (c'est-à-dire les iT-uf siècles), auquel cas ce serait là un autre heu saint « nazoréen », qu'il serait intéressant de comparer à la tombe de Jacques-Zacharie. Le parallèle serait d'autant plus pertinent si l'on pouvait affirmer que le choix de la date du 15 août dépendait de la date du 9 av, mémoire du Temple détruit dans la tradition juive - voir A. LINDER, « The Destruction of Jerusalem Sunday », dans Sacris erudiri 30 (1987-1988), p. 253-292, qui apporte des éléments aUant dans ce sens. U existe un autre indice : le fait que la tradition copte fête l'Assomption le 9 du mois de mésoré, qui correspond au mois d'août. Du reste la thématique la plus récurrente de la fête du 15 août est précisément ceUe de Marie nouveau temple, au moment de son trépas (voir dans ce volume la polémique mariologique de Lévitique Rabbah, abordée dans la contribution de L. Visotzky).

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ni. Un cycle de lectures avant Pâques et avant Rosh ha-Shanah. La tradition juive a conservé jusqu'aujourd'hui un cycle de lectures discontinues de Is 4 0 - 6 6 , au cours de sept sabbats dits « de consolation » qui précèdent Rosh ha-Shanah et qui suivent Tishea be-Av. Le cycle complet comprend en fait dix semaines (ou m ê m e onze, avec le sabbat qui suit Rosh ha-Shanah), puisque le 9 av luim ê m e est précédé de trois sabbats dits « de réprimande », où la lecture des Haftarot est tirée de Jérémie (Jr 1,1 s., 2 , 4 s., L m 1 , 1 s . [ou Is 1 , 1 - 27 dans la tradition reçue]) L'origine de ce cycle, dont il y a peut-être quelque vague allusion dans Le 4 , 1 8 ou Y Apocalypse syriaque de Baruch , était restée problématique jusqu'à ce que N . G. Cohen, dans un article paru en m ê m e temps que le mien - dur hasard de la recherche scientifique - , vienne apporter des éléments décisifs en faveur de son attestation dans les écrits du juif alexandrin P h i l o n : « the vast majority of Philo's quotations from the Latter Prophets are found in one or another of the standard Haftaroth read today - and particularly, though not exclusively, in die special Haftaroth of "Admonition, Consolation and Repentance" » (p. 247). Il paraît désormais difficile d'affirmer c o m m e j e l'écrivais : « L'hypothèse d'une source c o m m u n e [avec le cycle de lectures d'Isaïe sept semaines avant Pâques dans le lectionnaire de Jérusalem] est difficilement contournable, m ê m e si l'on ne peut dire avec assurance que le cycle primitif se trouvait avant Pâque(s), c o m m e c'est le plus probable, et non avant Rosh ha-Shanah (PRK étant la première attestation de ce cycle dans la tradition rabbinique) » . Voici d'abord le tableau synoptique des lectures que l'on trouve dans le lectionnaire arménien, dans le lectionnaire géorgien et dans PRKXVI-XXII : 2

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1. On comparera les lectures tirées du début de Jérémie (notamment Jr 1,1-10 le lundi) dans la sixième semaine avant Pâques du lectionnaire : A. RENOUX, Le Codex arménien Jérusalem 121, Turnhout, 1971, t H, ti» 20, 21 et 23 (PO 36) et M. TARCHNiscHvnj, Le Grand Lectionnaire de l'Église de Jérusalem (V -vm siècle), Louvain, 1959, n" 371,376 et 385 (CSCO 189). 2. Voir par exemple C. PERROT, « Le 4, 16-30 et la lecture de l'ancienne synagogue », dans Revue des sciences religieuses 47 (1973), p. 324-337. 3. Voir P. BOGAERT, L'Apocalypse de Baruch, Paris, 1969,11, p. 153-154 et p. 164 (SC 144) : un cycle déjeune de quatre semaines avant le Yom Kippour serait un antécédent possible du cycle des sabbats de réprimande et de consolation, qui n'est pas attesté, d'après le consensus habituel, avant PRK. 4. N. G. COHEN, « Earliest Evidence of the Haftarah Cycle for the Sabbaths between 17 be-tamuz and Sukkot in Philo », dans Journal of Jewish Studies 48 (1997), p. 225-249. L'auteur annonce une étude plus vaste sur le sujet. 5. Voir S. VERHELST, op. cit., dans Questions liturgiques 78 (1997), p. 217. 6. Je cite, pour le lectionnaire arménien, l'édition de A. RENOUX, op. cit., Turnhout, E

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LA PESIQTA DE-RAV KAHANA

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

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VII avant VI avant V avant IV avant III avant tf avant dernier e

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e

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Lectionnaire arménien

Lectionnaire géorgien

Is 40, 1-8 Is 40, 9-17 Is 42, l-8a Is 43, 22 - 44, 8 Is 45, 1-13 Is 46, 3 - 4 7 , 4 Is 50,4-9a ; 52, 13 - 53, 12 ; 6 3 , 1 - 6 ; 60, 1-13

Is 40, 1-8 Is 40, 9 - 1 7 Is 42, 1-18 Is 42, 5-10 Is 57, 15 - 10 Is 43, 10-20 Is 50, 4-9 ; 52, 13 - 53, 12 ; 6 3 , 1 - 6 ; 5 7 , 1 - 4 et 59, 1 5 - 2 1 ; 60, 1-22

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PRK 16-22

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Is 40, Is 49, Is 54, Is 51, Is 54, Is 60, Is 61,

1 s. 14 s. 11 s. 12 s. 1 s. 1 s. 10 s.

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7

D e u x des péricopes de c e cycle seraient déjà citées par Philon. Sur six citations claires d'Isaïe, trois citations se rencontrent en effet dans le cycle juif de la tradition reçue (Is 5 0 , 4 et Is 5 1 , 2 pour le samedi V I ; Is 5 4 , 1 pour l e samedi HI). U n e autre citation philonienne, Is 1 , 9 , se retrouve pour l e samedi VIII selon cette m ê m e tradition ( P R K commentant en fait L m 1,1-2). Les deux autres citations sont Is 5 , 7 et 5 7 , 2 1 , mais il y a aussi deux allusions indirectes (Is 6 6 , 1 et 1 1 , 6 - 9 ) qui ne sont dans aucune Haftarah. Quant à Jérémie que j'ai cité plus haut, Philon cite trois fois c e livre, à quoi s'ajoute une allusion indirecte, et trois de c e s versets se retrouvent pour le samedi X avant Rosh ha-Shanah (Jr 2 , 3 ) o u l e samedi I X (Jr 3 , 4 et 2 , 1 3 ) , le dernier étant Jr 15, 10. On trouvera dans l'article de N . G. Cohen tous les détails

1971, t. II, p. 141-390 (PO 36) et, pour le lectionnaire géorgien, l'édition de M . TARCHNISCHVILI, op. cit., Louvain, 1959 et 1960 (CSCO 188-189 et 204-205). 1. Is 42,1-10 dans le manuscrit du Sinaï cité à la note du n° 22. Is 42,17 - 4 3 , 1 4 dans le manuscrit syro-palestinien. 2. Les manuscrits de Latal et de Kala renvoient à « Zatiki VI sabbato » (n° 461 en note, = 6 samedi de Pentecôte). 3. Is 43,15-20 dans le manuscrit du Sinaï cité à la note du n° 100. Le manuscrit syro-palestinien a Is 43,10-21. 4. On dispose fictivement, sur une même ligne, les lectures des vendredi et samedi avant Pâques. 5. Il y a quelques nuances de type hymnique dans cette lecture du samedi, voir e

A. RENOUX, op. cit., Turnhout, 1971, t. n, p. 303, n. 18 (PO 36).

6. Le lectionnaire de Latal se termine en Is 59, 20 (en corrigeant les références erronées de M . TARCHNISCHVILI - T. KLUGE - A. BAUMSTARK, « Quadragesima und

Karwoche Jerusalems im siebten Jahrhundert », dans Oriens Christianus 5 (1915), p. 201-233, spécialement p. 229). Cette lecture additionnelle du Vendredi saint n'est ni dans l'arménien ni dans le syro-palestinien (sur lequel voir le tableau de A. RAHLFS, « Die alttestamentlichen Lektionen der griechischen Kirche », dans Nachrichten v. d. Kôniglichen Gesell. d. Wiss. zu Gôtt. Philol.-Hist. Klasse 1915, Berlin, 1916, p. 28-136, spécialement p. 62-65, qui tient compte du manuscrit sinaïtique édité par A. S. LEWIS en 1897). 7. Le manuscrit de Latal a Is 60, 1-13 d'après CSCO 189, n° 727 en note ; M.

TARCHNISCHVILI - T . KLUGE - A. BAUMSTARK, op.

Christianus

5 (1915), p. 229, lisent Is 60, 1-7.

cit.,

dans

Oriens

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nécessaires \ dont on peut résumer le propos en disant que sur 13 citations claires des Prophètes (au sens de la deuxième partie du canon hébraïque), 10 sont des versets qui se trouvent aussi dans des Haftarot du cycle de lecture traditionnel, et que, sur 11 allusions indirectes (chiffre par le fait même approximatif), 5 seraient des références à des versets se trouvant dans des Haftarot. Mais le parallèle avec la Pesiqta de-Rav Kahana ne s'arrête pas là. Il se trouve en effet que pour le sabbat précédant Tishea be-Av, mémoire du Temple détruit, le compilateur juif mettait au début du recueil des homélies de ce sabbat (PRK XV, eykhah) un midrash sur A d a m expulsé du paradis (PRK XV, 1). Or c'est précisément ce thème que l'on peut lire dans une homélie géorgienne de Jean de Bolnisi pour le huitième dimanche avant P â q u e s , ainsi que dans certaines homélies de Sévère d'Antioche pour le m ê m e dimanche . Ces deux auteurs suivent ainsi un cycle de huit semaines de jeûne, calculé, c o m m e le disent explicitement Sévère et Égérie , en décomptant les samedis et dimanches (donc 8 x 5 = 4 0 , chiffre canonique). Par contre, dans la plupart des sources proto-byzantines, y compris les sources proprement liturgiques c o m m e la forme primitive de l'hymnaire géorgien ou le lectionnaire de Jérusalem (selon la recension arménienne), le carême a seulement sept semaines. Encore ne faut-il pas confondre le cycle déjeune de 8 x 5 jours et le cycle déjeune de 7 x 5 jours, auquel s'ajoute vers la fin du VI siècle une semaine d é j e u n e mitigé, la semaine dite de la tyrophagie, selon le système reçu dans les traditions syrienne et byzantine actuelles. C o m m e c e calcul n'aboutit qu'à 35 jours de jeûne au lieu de 4 0 , on trouve déjà chez Cassien, ancien moine de Bethléem à la fin du rv siècle, l'idée que 35 jours plus le Samedi saint, où le jeûne est exceptionnellement requis, constituent la « dîme de l'année ». Mais c e calcul est plutôt artificiel, et on se demande depuis longtemps, d'une part pourquoi l'on est passé du système primitif de six semaines (conservé en partie dans la tradition occidentale) au système de sept semaines, et d'autre part ce qui justifie la virulence de la polémique sur la semaine de la tyrophagie aux v n - v m siècles. Le parallèle avec le cycle juif permet non seulement d'insérer la tradition représentée par Égérie (à Jérusalem en 383-384), par Sévère (à Antioche entre 5 1 2 et 5 1 8 ) et par Jean de Bolnisi (vers la fin du 2

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1. Voir en particulier son tableau des p. 241-242. 2. C'est cette homélie qui est traduite dans l'article cité plus haut, p. 366, n. 1. 3. Au sujet de cette homélie cathédrale de Sévère d'Antioche, voir S. VERHELST, op. cit., dans Questions liturgiques 78 (1997), p. 201-220, les n 68 et 97 (voir aussi PO 8, p. 373-378 et PO 23, p. 81-83). 4. Égérie, Itinéraire 45, 1-2 et 27, 1, édité et traduit par P. MARAVAL, Égérie. Journal de voyage (Itinéraire), Paris, 1982 (SC 296). 08

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LA PESIQTA DE-RAV KAHANA e

VII siècle) dans le cadre d'une tradition qu'on peut se risquer à nommer « nazoréenne », mais permettrait aussi d'expliquer le passage du c y c l e primitif de six semaines (selon le calcul 6 x 7 jours = 4 2 , moins le premier et le dernier jours) à un cycle de huit semaines qui aurait été adopté dans ce m ê m e milieu nazoréen en voie d'assimilation, ou en voie de dissimilation, à l'Église grecque d o m i n a n t e . L e carême de sept semaines, dans cette perspective, apparaît c o m m e une sorte de compromis entre deux traditions, compromis qui, à Jérusalem tout au moins, s'est réalisé au début du v siècle d'après la datation du lectionnaire, mais ne semble pas s'être imposée partout, c o m m e en témoignent Sévère et Jean de Bolnisi. U n e importante variante manuscrite de PRK XXII, 5 suggère elle aussi que certains juifs suivaient un cycle de 4 0 jours d é j e u n e avant Pâques. Il s'agit d'une e x é g è s e sur le « vêtement rouge d'Édom » (= Is 6 3 , 2) - passage lu le vendredi avant Pâques - assimilé à la fin du règne de R o m e (allusion aux quatre royaumes impies de Daniel). L e manuscrit d'Oxford 1 déjà cité dit de la terre d'Israël qu'elle rendra ses morts (au Dernier Jour) plus tôt que les autres terres : « certains disent quarante jours, d'autres quarante ans » . Si cette thématique eschatologique doit être située dans le contexte de Pâque(s) plutôt que dans celui de R o s h ha-Shanah, les 4 0 jours deviennent très probablement une allusion aux 4 0 jours de jeûne avant Pâques (selon le comput des huit semaines ?). 1

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2

IV. C o n c l u s i o n . Ces trois remarques ne doivent pas être prises pour plus que ce qu'elles sont : l'observation d'une allusion à un événement historique et l'observation de deux parallèles liturgiques. Je pense néanmoins qu'il n'est pas trop tôt pour suggérer une direction de recherche dans le sens d'un christianisme « j u i f », se disant juif tout au moins, perdurant à l'époque byzantine, en Palestine, et contesté à la fois par les chrétiens à cause de leur attachement au Temple détruit, et par les

1. Je dirais à titre d'hypothèse que la différence entre chrétiens de la Gentilité et chrétiens de la Circoncision, à l'époque qui nous occupe, n'est plus guère qu'une différence culturelle entre un christianisme d'expression sémitique et un christianisme d'expression grecque. 2. Une filiation qumrânienne de cette histoire n'est pas à exclure : le Règlement

de la Guerre (1QM 2, 6-10) et le Document de Damas (CD, ms. B, II14) prévoient une guerre eschatologique de 40 ans, et on peut se demander s'il ne s'agit pas de la période indiquée dans le Livre des Jubilés 50,4. Voir ces sources et d'autres discutées par É . PUECH, La croyance des esséniens en la vie future : immortalité, résurrection,

vie éternelle ? Histoire d'une croyance dans le judaïsme ancien, II. Les Donnés qumrâniennes et classiques, Paris, 1993, p. 515-562 (notamment, p. 548 et 560).

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juifs à cause de leur conception de l'histoire du salut et de leur ouverture aux nations païennes. En dépit de la fragilité de ce point de départ, j e voudrais indiquer deux éléments (d'ordre méthodologique) supplémentaires. 1. Les sources liturgiques, à côté des sources archéologiques et littéraires, ont un double intérêt dans la recherche des éléments juifs ou judaïsants de la tradition chrétienne - ou dans la recherche des éléments chrétiens et christianisants de la tradition juive : - Elles sont plus conservatrices que n'importe quel document littéraire qui, s'il s'est conservé dans la tradition manuscrite, s'est conservé en général en vertu de son importance à une époque déterminée et dans un contexte de conflits d'orthodoxie déterminé. La liturgie est par essence « œcuménique », en ce qu'elle a le plus souvent traversé plusieurs couches d'orthodoxie différentes. - Elles n'en demeurent pas moins clairement identifiables, en ce qui concerne la liturgie chrétienne tout au moins, c o m m e étant la liturgie de l'évêque, du scriptorium duquel elles émanent, et une telle identification est une garantie d'authenticité bien souvent supérieure à une quelconque attribution d'auteur d'un document littéraire. 2. Puisque je viens d'évoquer les catégories si complexes d'orthodoxie et d'hétérodoxie - sans parler de la différence entre un document « patristique » et un document « apocryphe » - , les sources liturgiques permettent peut-être aujourd'hui, vingt-cinq ans après la disparition de Jean Daniélou, de reprendre le flambeau allumé par lui, flambeau que les controverses réellement byzantines sur la question de savoir si le judéo-christianisme est « orthodoxe » ou « orthopraxe », ont pratiquement réussi à éteindre. Je m'explique : la question essentielle dans l'interminable débat sur la définition du judéo-christianisme est de savoir si tel ou tel mouvement est fidèle à la pratique de la Torah. M a i s c e problème à l'époque byzantine n'apparaît nullement c o m m e un problème fondamental d'identité, alors que l'identité «judéo-chrétienne » semble se construire surtout, à cette époque, autour de la notion du Temple détruit (et secondairement, de son mémorial dans la pratique liturgique). U n tel point de départ mériterait d'être adopté dans la recherche d'une continuité qui irait de l'époque byzantine jusqu'à l'époque romaine. On retrouverait ainsi l'intuition fondamentale de Jean Daniélou, selon laquelle le judéo-christianisme, loin de s'identifier à la fidélité d'une certaine pratique de la Torah, doit se chercher dans un certain langage, dans des symboles et, en définitive, dans une certaine tradition.

QUATRIÈME PARTIE INTERPRÉTATIONS

RÉVISION DE LA THÉOLOGIE CHRÉTIENNE DU JUDAÏSME? CLAUDE GEFFRÊ

École biblique et archéologique française, Jérusalem

Résumé La déclaration du Concile Vatican II (Nostra aetate, n° 4) a représenté un tournant historique de l'Église catholique quant à son attitude à Végard du judaïsme. On a pu parler d'une révision de la théologie dite de la « substitution ». Le texte affirme la permanence d'Israël en vis-à-vis de l'Eglise et souligne volontiers que c'est en scrutant son propre mystère que l'Eglise découvre le lien spirituel qui la relie à la lignée d'Abraham. Plus de trente ans après, la réception de cette nouvelle interprétation de la continuité entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance est loin d'être achevée. On perçoit de mieux en mieux de part et d'autre les difficultés du dialogue judéo-chrétien. Loin défaire un bilan des débats toujours en cours, ma communication voudrait témoigner de la difficulté permanente du débat théologique entre juifs et chrétiens. En me tenant à distance tout à la fois d'une théologie judaïsante du christianisme et d'un certain triomphalisme chrétien, je voudrais seulement évoquer les ambiguïtés sous-jacentes à trois expressions qui reviennent souvent soit dans les documents officiels, soit dans les commentaires des théologiens. Que penser d'un patrimoine commun entre juifs et chrétiens ? Comment interpréter l'accomplissement de la Première Alliance en JésusChrist ? Comment entendre la situation de contestation réciproque d'Israël et de l'Église jusqu 'à l'achèvement du dessein de Dieu ? Un dialogue exigeant nous invite à ne pas confondre le dialogue avec le Peuple de l'Ancien Testament et celui avec le judaïsme postchrétien d'aujourd'hui. Summary The second Vatican Council's declaration (Nostra Aetate, n. 4) was a turning point in the history of the Catholic Church's attitude towards

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Judaism. It can be regarded as a revision of so-called "substitution" theology. The text affirms the permanence of Israel faceto-face with the Church and emphasizes that when the Church examines her own mystery, she discovers her spiritual link with the descendants of Abraham. More than thirty years later, this new interpretation of the continuity between the Old and New Covenants is far from fully received. On both sides, the difficulties of the JewishChristian dialogue are becoming more apparent. My communication is not intended to assess the continuing discussions, but rather to attest the permanent difficulty of theological discussion between Jews and Christians. While not wishing to associate myself either with a Judaizing theology of Christianity or with any Christian triumphalism, I woud like only to point out the underlying ambiguities in three expressions which often recur in the official documents or in the commentaries of theologians. How should we think of a common heritage between Jews and Christians? How should we interpret the fulfilment of the first Covenant in Jesus Christ? How should we understand the situation of mutual contention between Israel and the Church until God's plans have been finally accomplished? We must make a distinction between Dialogue with the People of the Old Testament and with Post-Christian Judaism today. La Déclaration du 28 octobre 1965 sur les relations entre l'Église et le judaïsme {Nostra aetate, n° 4) a représenté un tournant historique dans l'attitude de l'Église catholique à l'égard du judaïsme. On est passé du temps du mépris au temps du respect et de l'estime. U n des signes indéniables de ce changement, c'est l'absence de référence à la tradition, qu'il s'agisse des Pères de l'Église ou des documents du magistère. Le texte affirme la permanence d'Israël en vis-à-vis de l'Église et souligne que c'est en scrutant son propre mystère que l'Église découvre le lien spirituel qui la relie à la lignée d'Abraham. Durant ces trente dernières années, d'autres documents officiels sont venus compléter cette Déclaration initiale, n faut signaler le document romain de 1974, « Orientations et suggestions pour l'application de la Déclaration conciliaire Nostra aetate, n° 4 », et surtout le texte de 1985, « Notes de la Commission du Saint-Siège pour les relations avec le j u d a ï s m e ». Ce dernier document a déçu plusieurs interlocuteurs juifs dans la mesure où il favorisait trop une lecture typologique de l'Ancien Testament, où il ne mentionnait pas explicitement la responsabilité de l'Église dans le drame de la Shoah et n'abordait pas le rapport d'Israël à sa terre à propos de la création de l'État d'Israël. Il apparaissait donc c o m m e en retrait et m ê m e c o m m e 1

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1. VoirLa Documentation catholique, 19 janvier 1975, p. 59-61. 2. Voir La Documentation catholique, 21 juillet 1985, p. 733-738.

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un correctif par rapport au document publié en 1973 par le Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme \ Il faudrait encore mentionner plusieurs déclarations importantes du pape Jean-Paul H, en particulier son discours à la synagogue de R o m e du 13 avril 1 9 8 6 ; parmi les documents les plus récents, on doit signaler surtout le texte du 16 mars 1998 de la Commission vaticane pour les rapports avec le judaïsme sur la S h o a h . Il faudrait évoquer par ailleurs plusieurs événements qui ont très directement affecté les relations entre l'Église et le judaïsme. Je citerai seulement l'affaire du Carmel d'Auschwitz et la reconnaissance en 1993 de l'État d'Israël par le Vatican. Mais mon propos n'est pas de faire un bilan des relations entre l'Église et le judaïsme depuis le dernier concile. Plus de trente ans après, en dépit de tous les efforts dans le sens d'une meilleure compréhension mutuelle, j e voudrais plutôt m e faire l'écho d'une conscience plus lucide quant à la difficulté permanente du débat théologique entre juifs et chrétiens. Pour ne pas rester dans les généralités, j'évoquerai les ambiguïtés qui sont sous-jacentes à des expressions qui reviennent souvent, soit dans les documents officiels, soit dans les commentaires des théologiens. Cependant, il convient de rappeler au préalable pourquoi le mot « révision » que j'utilise dans le titre de cette communication n'est pas trop fort pour désigner l'évolution de la théologie chrétienne depuis seulement trois décennies. C'est un fait que, jusqu'à Vatican H, la théologie la plus officielle n'a pas remis en question la croyance selon laquelle le peuple juif était rejeté par Dieu, remplacé par l'Église, et ne survivait que pour témoigner, par son abaissement, de la gravité de sa faute. A u mieux, selon Augustin, si le peuple juif c o m m e « peuple errant sur la face de la terre » garde toujours un sens, c'est en tant qu'il favorise la diffusion des Écritures parmi toutes les nations. Ainsi, pour des motifs théologiques, une mentalité chrétienne antijudaïque s'est forgée au cours des siècles et a pu alimenter un véritable antisémitisme, m ê m e si celui-ci avait déjà ses propres causes. En très gros, il a fallu attendre la seconde moitié du x x siècle pour que l'Église prenne ses distances à l'égard d'une théologie de la « substitution » ou « du transfert d'alliance » et affirme la permanence d'Israël en vis-à-vis de l'Église dans le dessein de Dieu. Et j'ajouterai volontiers qu'il est certainement insuffisant de caractériser cette évolution par l'abandon d'une théologie dite de la substitution. Notre expérience historique d'un nouveau rapport au 2

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1. Voir La Documentation catholique, 6 mai 1973, p. 419-422. 2. Voir La Documentation catholique, 4 mai 1986, p. 433. 3. Voir La Documentation catholique, 5 avril 1998, p. 336-340 : « Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah. »

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judaïsme, surtout en lien avec cet événement majeur du siècle que fut le drame de la Shoah, inaugure un nouvel âge de la théologie chrétienne. Après des siècles d'hellénisation du christianisme, ce dernier est en train de redécouvrir ses racines juives. D'une part, une plus grande attention au monothéisme strict dont témoigne le judaïsme (comme d'ailleurs l'islam) invite les chrétiens à une réinterprétation exigeante de ces dogmes fondamentaux que sont l'incarnation et la Trinité. D'autre part, l'événement de la Shoah a représenté un saut qualitatif dans l'ordre de la violence humaine. Alors, la question radicale posée à la théologie chrétienne c o m m e à la théologie juive est celle-ci : Est-ce qu'un discours sur Dieu est encore possible après Auschwitz ? Enfin, on découvre avec une plus grande acuité que le dialogue avec le judaïsme a une valeur de paradigme pour le dialogue œcuménique et le dialogue interreligieux. La théologie des religions la plus récente ne pose pas seulement la question du salut en dehors de l'Église. Elle s'interroge sur la signification du pluralisme religieux. D e m ê m e qu'il y a un irréductible du judaïsme par rapport au christianisme, il y a un irréductible de chaque grande tradition r e l i g i e u s e . N o u s commençons tout juste à concevoir que la vérité chrétienne n'est pas nécessairement exclusive d'autres vérités dans l'ordre religieux. En dépit de cette mutation proprement historique, la nouvelle théologie chrétienne du judaïsme est encore en plein chantier. Je m e contenterai ici de souligner l'ambiguïté de trois expressions qui servent communément à exprimer depuis le Concile le type de rapport qui peut exister entre le christianisme et le judaïsme. Ainsi, que penser d'un patrimoine commun entre juifs et chrétiens ? Par ailleurs, comment entendre la notion d'accomplissement quand on dit que la Première Alliance a été accomplie en Jésus-Christ ? Enfin, comment interpréter la contestation réciproque d'Israël et de l'Église jusqu'à l'achèvement du dessein de Dieu ? N o u s constatons que la plupart des textes privilégient la relation entre le peuple de la Première Alliance et celui de la Nouvelle Alliance. Mais un dialogue exigeant nous persuade de mieux en mieux combien il est difficile d'en rester là si l'on veut affronter toutes les implications d'une véritable rencontre entre l'Église et le judaïsme vivant d'aujourd'hui. l

1. Je me permets de renvoyer à mon article : « La singularité du christianisme à Tâge du pluralisme religieux », dans J. DORÉ-C. THEOBALD (ÉD.), Penser la foi. Mélanges offerts à Joseph hfoingt, Paris, 1993, p. 359-364.

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Un patrimoine commun. L'idée et l'expression « patrimoine commun » se retrouvent deux fois dans le n° 4 de Nostra aetate : « D u fait d'un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l'estime mutuelles... » Et, plus loin : « L'Église qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu'ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu'elle a en commun avec les juifs... » Si on cherche à expliciter ce patrimoine commun, on peut énumérer, selon les termes m ê m e s de Paul dans R m 9, 4-5 : « l'adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches, [...] de qui est né, selon la chair, le Christ ». Et on précise que, m ê m e si les juifs en grande partie n'ont pas accepté l'Évangile, « ils restent encore, à cause de leur pères, très chers à Dieu dont les dons et l'appel sont sans repentance ». Concrètement, les chrétiens sont fils d'Abraham selon la foi ; ils partagent en effet avec les juifs la m ê m e foi au Dieu unique et créateur qui a créé l'homme à son image ; ils se réclament de l'alliance avec Moïse sur le Sinaï et ils reçoivent le m ê m e Décalogue ; enfin et surtout, juifs et chrétiens reçoivent en commun c o m m e Parole de Dieu l'Écriture du Premier Testament. C'est pourquoi le texte de Nostra aetate fait état dès le début de cette idée très profonde selon laquelle c'est en scrutant son propre mystère que l'Église découvre son lien spirituel avec la lignée d'Abraham. Ainsi, la relation de l'Église avec le judaïsme n'est comparable à aucune relation avec d'autres traditions religieuses. Cette nouvelle conscience des racines juives du christianisme conduira le pape Jean-Paul II à affirmer, dans son discours à la synagogue de R o m e : la religion juive ne nous est pas « extrinsèque », mais d'une certaine manière, elle est « intrinsèque » à notre religion. Cette idée de patrimoine ou d'héritage commun est incontestable. Elle nous suggère que la pérennité d'Israël n'est pas seulement un problème de relations extérieures entre l'Église et le judaïsme, mais un problème intérieur qui touche à l'essence intime de l'Église ellem ê m e tant que le dessein de salut de Dieu n' est pas achevé. Mais avec le recul et en tenant compte des réactions de nos interlocuteurs juifs, nous percevons plus lucidement les ambiguïtés de cette quasiévidence d'un « patrimoine commun ». 1. Tout d'abord, il y a une asymétrie fondamentale dans notre perception de cet héritage commun. Il est vrai que le christianisme ne peut se définir en dehors de ses racines juives. Mais le judaïsme n'a nullement besoin de se référer à Jésus-Christ et au christianisme pour se définir et se comprendre. M ê m e si c'est le plus difficile, les chrétiens devraient chercher à comprendre l'existence juive c o m m e les juifs la comprennent eux-mêmes. C o m m e nous l'avons vu, c'est à

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partir d'elle-même et de son propre mystère que l'Église parle du peuple d'Abraham et de son lien avec lui. Or un tel discours ne pourra jamais coïncider avec ce que les juifs disent sur eux-mêmes. On peut sans doute dire avec le cardinal Etchegaray que le christianisme a besoin du judaïsme pour définir sa propre identité . Mais pour prévenir toute désillusion dans le dialogue judéo-chrétien, il vaut mieux savoir dès le départ que la réciproque n'est pas vraie. 2. D apparaît que la plupart des documents officiels de l'Église identifient les juifs en général avec le peuple de l'Ancien Testament, ce que l'on pourrait désigner c o m m e le monde juif « t e x t u e l ». On est alors tenté de chercher à comprendre le dialogue avec le judaïsme à partir du dialogue interne que l'Église entretient entre le premier Testament et le Nouveau Testament. Et on parlera volontiers de la Bible hébraïque du premier Testament c o m m e d'un patrimoine commun aux juifs et aux chrétiens. Or cette confusion entre le dialogue interne à l'Église et le dialogue actuel de l'Église avec le judaïsme vivant d'aujourd'hui conduit à de graves malentendus. Il est en tout cas significatif que les textes de l'Église parlent toujours du judaïsme en général et ne parlent jamais explicitement du judaïsme rabbinique. Or, qu'il s'agisse du judaïsme de l'État d'Israël ou de celui de la Diaspora, le véritable interlocuteur de l'Église, c'est pourtant bien ce judaïsme rabbinique qui a pris forme après la destruction du Temple et qui a atteint son plein développement autour de l'an 600. Ce judaïsme qui dure jusqu'à nos jours est très différent du paradigme royal ou davidique de l'époque monarchique et du paradigme théocratique du judaïsme postexilique de la fin du v r siècle. C'est un judaïsme où l'étude quasi cultuelle de la Torah a remplacé le service du Temple, où le rabbin a remplacé le prêtre et où la synagogue a remplacé le Temple. On comprend alors combien il est difficile de définir sans plus le peuple juif c o m m e le peuple de l'Ancien Testament et de parler de « patrimoine commun » aux chrétiens et aux juifs à propos de la Bible hébraïque. Il y a toute la distance entre la Bible lue par les chrétiens à la lumière du Christ mort et ressuscité, et la Bible lue par les juifs à la lumière de la Torah orale et du Talmud. Ainsi, la manière dont toute une littérature chrétienne contemporaine parle volontiers des « racines juives du christianisme » présuppose une certaine identification entre le peuple de l'Ancien Testament et le judaïsme postchrétien. l

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1. Voir R. ETCHEGARAY, « Est-ce que le christianisme a besoin du judaïsme ? », Conférence prononcée le 8 septembre 1997 lors du Colloque organisé par l'International Council of Christians and Jews, dans La Documentation catholique, 19 octobre 1997. 2.J'emprunte l'expression à G. COMEAU, « L e dialogue avec le judaïsme aujourd'hui », dans Chemins de dialogue 11 (1998), p. 36.

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3. U n e conscience plus lucide des ambiguïtés de la notion de « patrimoine commun » nous invite à prendre plus au sérieux la différence du judaïsme contemporain par rapport au christianisme en dépit de la parenté indéniable qui repose sur la continuité entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance. On comprend mieux pourquoi la lecture typologique de l'Ancien Testament pratiquée par les chrétiens indispose le plus souvent les représentants du judaïsme vivant et pourquoi il n'est pas si évident d'affirmer que « quiconque rencontre Jésus-Christ rencontre le judaïsme » (Jean-Paul II à Mayence en 1980). Plutôt que de chercher une filiation entre l'Église et la Synagogue, il faut dire que la relation entre juifs et chrétiens est sous le signe de la fraternité. « Vous êtes nos frères aînés » a déclaré le pape en visite à la synagogue de Rome. Par rapport au judaïsme ancien, ou ce que certains proposent d'appeler le proto-judaïsme, le judaïsme rabbinique et le christianisme ont opéré une transformation profonde. Mais ce serait profondément injuste de mettre en question la continuité entre le judaïsme de l'Ancien Testament et le judaïsme rabbinique. On reconnaît là la thèse polémique d'André Paul qui parle du judaïsme rabbinique et du christianisme c o m m e de deux faux jumeaux, ce qui aboutit à disqualifier le judaïsme rabbinique . Indépendamment d'une certaine continuité d'ordre ethnique, ce serait oublier la descendance du judaïsme de toujours par rapport à Abraham et sa fidélité à l'alliance conclue avec Moïse. Et historiquement, c e serait méconnaître la lente mutation du judaïsme qui s'était opérée dès l'époque du Second Temple bien avant la destruction du Temple en 70. À l'inverse, sous prétexte d'un certain parallélisme entre la mutation opérée par le christianisme et par le judaïsme rabbinique à l'égard du judaïsme ancien, la théologie chrétienne ne peut accepter de voir dans les deux religions deux voies de salut parallèles. C o m m e nous le dirons plus loin, ce serait renoncer à l'unique médiation du Christ et méconnaître la nouveauté chrétienne c o m m e accomplissement de l'Ancienne Alliance. Il faut tenir à la fois que le christianisme n'accomplit pas le judaïsme et que cependant Jésus-Christ est l'accomplissement des Écritures. Tel est bien le défi auquel la théologie chrétienne est affrontée. Il y a un irréductible du judaïsme postchrétien qui n'est pas résorbé dans l'Église. Et en m ê m e temps, ce serait compromettre l'identité m ê m e du christianisme que de ne plus parler de l'Église c o m m e tout à la fois plérôme des nations et plérôme d'Israël. N o u s sommes donc invités à réinterpréter théologiquement la notion d'accomplissement ou de récapitulation. l

1. Voir A. PAUL, Leçons paradoxales sur les juifs et les chrétiens, Paris, 1992.

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Un accomplissement non totalitaire. La théologie de Vatican II représentait l'abandon d'une ecclésiologie de la substitution. A v e c le recul, nous constatons qu'il faut dépasser aussi une ecclésiologie de l'accomplissement, si nous entendons par là un accomplissement du judaïsme par le christianisme. Ce serait ne pas prendre vraiment au sérieux l'altérité du judaïsme dans sa différence avec le christianisme. Et c o m m e nous l'avons dit, c e serait identifier trop vite le peuple de l'Ancien Testament avec le judaïsme tel qu'il existe aujourd'hui. Mais cela ne nous conduit nullement à remettre en cause l'enseignement de l'Église sur le Christ c o m m e accomplissement des Écritures. N o u s sommes seulement invités à réinterpréter cet accomplissement dans un sens non totalitaire \ Et c o m m e j e le disais dès le début de cet exposé, la révision de la théologie chrétienne du judaïsme est d'un enjeu décisif non seulement pour l'œcuménisme confessionnel, mais aussi pour le dialogue interreligieux. Le « schisme originaire » que constitue la séparation de l'Église naissante et d'Israël est l'indice du dialogue originaire qui est inscrit dans l'acte de naissance du christianisme. Dans la ligne de l'enseignement de Vatican II, l'ensemble des théologiens s'accordent pour reconnaître que, en dépit de la « réprobation divine », Israël demeure toujours le dépositaire de l'élection et des promesses de Dieu. L'auteur de l'Épître aux Éphésiens nous dit bien que les juifs (c'està-dire les judéo-chrétiens) et les païens (c'est-à-dire les helléno-chrétiens) sont déjà réunis pour constituer un seul corps, l'Église : « de ce qui était divisé, il en a fait une unité » (Ep 2, 14-16). Mais dans l'Épître aux Romains, Paul, alors m ê m e qu'il dénonce l'endurcissement des juifs qui n'ont pas reconnu le Christ, respecte l'existence d'Israël au point d'affirmer le salut final du Tout Israël : « Et ainsi tout Israël sera sauvé » (Rm 11, 26). C'est bien reconnaître l'existence religieuse d'Israël dans son altérité ; et c'est reconnaître la nécessité mystérieuse pour l'Église de cet autre qu'est Israël . En d'autres termes, il est permis de dire qu'Israël représente un irréductible qui ne se laisse pas intégrer dans l'Église historique. Il faut m ê m e reconnaître que, à l'échelle de l'histoire, l'Église n'a pas l'espoir de convertir Israël c o m m e s'il s'agissait d'une simple secte 2

1. J'ai déjà utilisé plusieurs fois cette expression dans divers travaux sur la théologie des religions, en particulier dans « La vérité du christianisme à l'âge du pluralisme religieux », dans Angelicum 84 (1997), p. 178, où je renvoie aux réflexions suggestives de J. MOINGT, « Une théologie de l'exil », dans C. GEFFRÉ (ÉD.), Michel de Cerîeau ou la Différence chrétienne, Paris, 1991, p. 131-156. 2. Voir C. PERROT, « La situation d'Israël selon Paul », dans A. MARCHADOUR (ÉD.), Procès de Jésus, procès des juifs ? Éclairage biblique et historique, Paris, 1998, p. 133-151.

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déviante à convertir. Le défi théologique que constitue pour la pensée chrétienne la pérennité d'Israël, c'est précisément ce face-à-face mystérieux d'Israël et de l'Église jusqu'à ce que le dessein de salut de Dieu soit achevé. Mais, à partir de l'irréductibilité d'Israël, la théologie moderne aborde pour la première fois le pluralisme religieux c o m m e question théologique et s'efforce de faire droit à la part d'irréductible que comporte toute tradition religieuse digne de ce nom. On peut déceler en effet une sorte d'homologie structurelle entre le rapport que soutenait le christianisme naissant avec le judaïsme et le rapport du christianisme contemporain avec les grandes religions du monde. U n théologien luthérien, G. Siegwalt, exprime bien le problème auquel nous sommes affrontés : « L'irréductibilité du judaïsme pose à la théologie de la récapitulation de toutes choses dans le Christ un problème irréductible. Israël est aussi en cela un type : il est typique de l'irréductibilité également des autres religions c o m m e d'une manière générale de tout le réel. La théologie chrétienne ne peut que vivre avec ce problème. Il exprime qu'elle est une theologia viatorum, une théologie en route, non déjà le Royaume de Dieu, théologie de la foi, non de la vue. La théologie chrétienne doit encore endurer ce fait que la richesse d'Israël n'est pas encore pleinement engrangée dans la foi chrétienne . » On doit pouvoir tenir à la fois et sans contradiction que les promesses du peuple d'Israël trouvent leur accomplissement dans le peuple de la Nouvelle Alliance et que pourtant l'Église ne se substitue pas à Israël. Cela nous invite à penser ce que pourrait être un accomplissement non totalitaire. M ê m e si, c o m m e nous l'avons vu, il faut se garder d'identifier purement et simplement le rapport des deux Testaments et le rapport du judaïsme d'aujourd'hui avec le christianisme, l'unité plurale du premier et du second Testament demeure éclairante. Les chrétiens considèrent le Nouveau Testament c o m m e l'accomplissement de l'Ancien, mais cela n'a jamais signifié que celui-ci serait dépourvu de sens en dehors de cet achèvement. Ou bien il resterait à expliquer la vitalité permanente du judaïsme postchrétien. Et si toute la plénitude de l'Ancien Testament se retrouve dans le premier, il faudrait se demander pourquoi les chrétiens continuent de recevoir le premier c o m m e Parole de Dieu. En fait, on doit penser l'accomplissement des Écritures c o m m e une nouveauté qui n'abolit pas ce qu'a d'irréductible le premier Testament. Le Nouveau Testament doit plutôt être compris c o m m e la conscience de c e qui manque à l'Ancien pour parvenir à la plénitude. En reprenant une intuition de Michel de Certeau, nous sommes invités à repenser le concept l

1. Voir G. SIEGWALT, Dogmatique pour la catholicité évangélique, 1/2, GenèveParis, 1987, p. 451.

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d'accomplissement en termes de déplacement, de distance, d'écart, de rupture et m ê m e de conversion \ M ê m e s'il s'agit d'une simple analogie, le rapport subtil entre les deux Testaments nous introduit à une meilleure intelligence du rapport entre le judaïsme et le christianisme. À parler strictement, Jésus n'a pas voulu substituer une nouvelle religion à l'ancienne. Il a seulement fait un écart, un pas de côté. Dans sa mort, Jésus a fait tomber le mur qui séparait Israël des nations (Ep 2, 14). Il élargit à l'ensemble des nations païennes l'héritage qui était le monopole exclusif du peuple élu. On est alors tenté de considérer l'abandon progressif de la culture juive par la primitive Église (son passage aux barbares) c o m m e exemplaire quant au rapport actuel de l'Évangile à l'égard des autres religions et cultures. Le face-à-face du juif et du grec tel que l'envisage saint Paul est devenu au fil des siècles le faceà-face du juif et du chrétien. Mais à l'âge du pluralisme religieux, nous avons de plus en plus conscience que ce face-à-face risque de devenir stérile pour le judaïsme c o m m e pour le christianisme s'il ne prend pas en compte un tertium quid, l'autre ou le tiers absent qui n'est ni juif ni chrétien, qu'il s'agisse de cet homme nouveau qu'est le grec de la modernité (ou encore l'athée héritier des Lumières) ou qu' il s'agisse de tous les non-grecs qui appartiennent à d'autres cultures et d'autres traditions religieuses. Sous prétexte de réviser une fausse théologie du judaïsme qui a été dominante durant des siècles, nous ne devons pas céder aux illusions d'une théologie judaïsante du christianisme qui risque de compromettre la nouveauté chrétienne. C'est justement la fonction des nouvelles théologies non occidentales, surtout asiatiques, de nous inviter à dépasser l'alternative AthènesJérusalem pour prendre en compte ce tertium quid, à savoir l'autre non occidental. D e m ê m e que l'Évangile, selon sa vocation à l'universel, a surmonté la dualité du juif et du grec, il doit encore faire tomber le mur de séparation entre le grec et le barbare. Ainsi la présence permanente d'Israël au flanc de l'Église invite les théologiens à souligner sa non-catholicité , c'est-à-dire la limite à sa capacité d'intégration. L'Église que les hommes voient ne s'identifie pas au Royaume. Le Christ est bien le oui définitif de Dieu c o m m e réponse à l'attente immémoriale de l'homme, juif ou païen. Mais le Nouveau Testament, saint Paul en particulier, nous rappelle que la plénitude du Christ, c'est-à-dire tout à la fois le plérôme d'Israël et des nations, est encore à venir dans le Royaume de Dieu. La nouveauté propre de l'Évangile, c'est justement de mettre en question la prétention à l'exclusivité d'Israël pour faire advenir la plénitude du 2

1. Voir M. DE CERTEAU, La Faiblesse de croire, Paris, 1988, p. 222. 2. Voir H . URS VON BALTHASAR, De Vintégration, Paris, 1969, p. 161-166, qui a développé cette idée.

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Royaume de D i e u dans l'histoire. Comment n'exercerait-il pas la m ê m e fonction critique (krisis) vis-à-vis de la prétention de l'Eglise à l'exclusivisme et à l'absolutisme ? D e m ê m e que l'Église n'intègre pas et ne remplace pas Israël, j e crois pouvoir dire que le christianisme n'intègre pas et ne remplace pas les richesses authentiques des autres traditions religieuses. La théologie chrétienne est alors invitée à reconnaître un pluralisme religieux de droit et pas simplement de fait. Le dialogue judéo-chrétien est donc d'un enjeu théologique important pour le dialogue interreligieux en général. On ne peut renoncer à la notion fondamentale d'accomplissement, mais on doit l'entendre dans un sens non totalitaire. Pour la foi chrétienne, le Christ est bien celui qui récapitule toute vérité dans l'ordre religieux mais en respectant chacune dans ce qu'elle a d'unique et de différent. Il s'agit en effet d'une « semence de vérité » qui a pu être suscitée par l'Esprit m ê m e de Dieu. En tant que religion historique, le christianisme ne saurait avoir la prétention de totaliser à la manière d'un système conceptuel absolu toutes les vérités disséminées au cours de la très longue histoire religieuse de l'humanité. Ce serait comprendre la plénitude chrétienne selon un modèle hégélien de « réduction-intégration », c'est-à-dire à la manière d'un savoir absolu. On doit accorder qu'il y a plus de vérité d'ordre religieux dans le concert diversifié des religions que dans le seul christianisme. La permanence d'Israël en vis-à-vis de l'Église demeure une énigme qui nous interroge sur l'essence m ê m e de l'Église en tension vers le Royaume à venir. On parlera d'un destin commun en vue du salut de l'humanité. Comment penser ce face-à-face d'Israël et de l'Église sans aboutir à l'idée de deux voies parallèles de salut ? Faut-il accepter de parler d'une mystérieuse complémentarité ? La théologie tâtonne encore. Les documents officiels utilisent l'expression « contestation réciproque », ou mieux « émulation réciproque ». Comment faut-il l'entendre ? « La question décisive n'est pas : "Que peut être la Synagogue sans Jésus-Christ ?", mais bien : "Qu'est-ce que l'Église aussi longtemps qu'elle a en face d'elle un Israël qui lui est étranger ?" » (cardinal Etchegaray).

La contestation réciproque d'Israël et de l'Église. Dans cette conférence du 8 septembre 1997, lors du Colloque organisé par Y International Council of Christians and Jews, le cardinal Etchegaray déclarait : « Ce qui m e frappe, ce qui m e bouleverse aujourd'hui, c'est de voir la persistance du peuple juif malgré tous les pogroms, sa survivance après les fours crématoires. N ' y a-t-il pas là le témoignage irrécusable d'une vocation permanente, d'une

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signification actuelle pour le monde mais surtout au sein m ê m e de l'Église ? C'est bien plus que de découvrir la richesse d'un patrimoine commun, c'est scruter dans le dessein de Dieu la mission que le peuple juif a encore et toujours à remplir. Que signifie pour moi chrétien ce vis-à-vis permanent qu'est le juif ? Que signifie pour moi ce peuple juif qui ne cesse de faire ressortir en quelque sorte le temps de l'Ancien Testament dans un temps que j e croyais une fois pour toutes le temps du Nouveau Testament et de l ' É g l i s e ? » Ce type d'interrogation ne trouve pas immédiatement sa réponse dans les textes de Vatican II. M ê m e s'il représente une avancée considérable, le texte de Nostra aetate a tendance à parler des juifs, soit pour évoquer les racines de l'Église, soit pour se situer dans une perspective eschatologique où tous les peuples se retrouveront. Quant à la situation réciproque de l'Église et du peuple juif dans le temps présent, le Concile s'en tient aux généralités sur l'amour universel. Or la question théologique fondamentale, c'est de savoir ce que l'Église dit de la vocation d'Israël aujourd'hui et de son élection par Dieu. On serait tenté de penser que Nostra aetate demeure encore dans une perspective linéaire et non dialectique. Israël apparaît c o m m e une première figuration ou un premier degré de l'Église. Il y a donc un risque de confondre la catholicité de l'Église et la catholicité du Royaume. Pour parer à ce danger, nous avons déjà vu qu'il est souhaitable d'éviter le vocabulaire de la substitution. L'Église ne prend pas la place d'Israël. Elle n'est pas un nouvel Israël. Elle est simplement le nouveau peuple de Dieu. Il n'y a pas de retour d'Israël à l'Église avant la rédemption du monde, quand Dieu sera tout en tous. La vocation propre du christianisme en face d'Israël consiste dans « la réconciliation des païens avec Dieu, dans laquelle s'annonce la rédemption du m o n d e » . Et ainsi, l'Église qui est greffée sur l'olivier franc (Israël) « représente le peuple élargi de Dieu qui avec Israël forme l'unique peuple de D i e u ». Dans une première approche, on peut parler d'une communauté de destin entre Israël et l'Église, et d'une solidarité dans la m ê m e espérance messianique. Selon l'enseignement m ê m e de Paul, l'alliance et la promesse faites à Israël sont sans repentance de la part de Dieu. Il ne suffit pas d'évoquer la survie d'Israël malgré la dispersion et la persécution. On doit parler de cette vocation spéciale d'Israël qu'est la sanctification du Nom divin qui fait de la vie et de la prière du peuple juif une bénédiction pour tous les peuples (c'est un aspect très heureusement souligné par le document épiscopal français de 1973). Si le peuple juif a toujours été persécuté, ce n'est pas parce qu'une 1

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1. Voir La Documentation catholique, 19 octobre 1997. 2. Voir J. MOLTMANN, L'Église dans la force de l'Esprit, Paris, 1980, p. 197. 3. Voir F. MUSSNER, Traité sur les juifs, Paris, 1981, p. 23.

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malédiction pèserait sur lui. D faut plutôt y voir, dans le sens de Is 5 3 , un effet et un rappel de sa condition prophétique. Cependant, en dépit d'une évolution considérable concernant la pérennité d'Israël c o m m e peuple élu, nous sommes obligés de convenir d'un commun accord que nous sommes en désaccord sur la question du salut. Ce serait déjà beaucoup si, au point de vue du dialogue théologique, juifs et chrétiens pouvaient chercher à se comprendre les uns les autres tels qu'ils se comprennent eux-mêmes. Le texte de 1985, Notes pour les relations avec le judaïsme, précise au n° 7 : « En vertu de sa mission divine, l'Église qui est "moyen général de salut" et en laquelle se trouve "toute la plénitude des moyens de salut", par nature doit annoncer Jésus-Christ au m o n d e . . . Église et judaïsme ne peuvent donc être présentés c o m m e deux voies parallèles de salut et l'Église doit témoigner du Christ rédempteur à tous, dans le plus rigoureux respect de la liberté r e l i g i e u s e . » Il est donc difficile d'admettre que le judaïsme puisse être une voie de salut parallèle au christianisme. Ce serait compromettre l'unicité du Christ c o m m e médiateur entre Dieu et les hommes. Cependant, à partir de l'enseignement général de Vatican II sur les « valeurs salutaires » contenues dans les religions non chrétiennes, il est possible d'affirmer que l'élection permanente du peuple juif est désormais regardée c o m m e une source de grâce pour la communauté croyante toute entière. La pérennité d'Israël atteste que « le salut vient des juifs » (Jn 4 , 2 2 ) et, c o m m e nous l'avons vu, lapermanence de l'élection du peuple juif est un signe qui pousse l'Église à s'interroger sur elle-même, afin de mieux découvrir son être profond et ultime. Dieu a voulu élire un peuple particulier pour réaliser son dessein universel de salut. Et, alors qu'Israël n'a pu accueillir le salut que lui apportait le Christ, les Gentils ont pu, eux, accéder à ce salut : nous savons que le plan divin sera totalement accompli le jour où l'Israël de la Première Alliance aura rejoint l'Église et lui apportera sa richesse propre qu'elle possède depuis l'origine. Dans cette perspective, « l'attente messianique d'un avenir lointain devient une espérance présente en action » (J. Moltmann). Israël et l'Église ne sont pas des institutions complémentaires. La permanence c o m m e en vis-à-vis d'Israël et de l'Église est le signe de l'inachèvement du dessein de Dieu. Le peuple juif et le peuple chrétien sont ainsi dans une situation de contestation réciproque ou, c o m m e dit saint Paul, de « jalousie » en vue de l'unité (Rm 11, 14). Dans R m 11, Paul considère l'endurcissement des juifs en fonction du salut des païens : les juifs sont devenus « ennemis selon l'Évangile, à cause de vous [les païens] ». Et « l'endurcissement » d'Israël durera seulement «jusqu'à ce que soit entrée dans le salut l

1. Voir La Documentation catholique, 21 juillet 1985, p. 737.

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messianique la totalité des païens (Rm 11, 25) et qu'à la fin « tout Israël sera sauvé » (Rm 1 1 , 2 6 ) . Ainsi, l'ordre du salut est inversé. La réprobation temporaire d'Israël et l'élection de l'Église c o m m e nouveau peuple est commandée par la mission auprès des païens. Par leur non-reconnaissance du Messie, les juifs qui sont les premiers deviennent les derniers. Et les païens qui, selon l'espérance juive, ne devaient être sauvés qu'après la rédemption d'Israël, deviennent les premiers. Mais, quand la mission auprès des païens sera accomplie, alors Israël se convertira et reconnaîtra Jésus c o m m e le fils du Père. « Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous. » Dans L'Étoile de la rédemption, F. Rosenzweig lie la rédemption à la remise du Royaume par le Fils au Père, c'est-à-dire à l'obtention du salut pour toute créature. Dans cette dialectique d'Israël et de l'Église sur l'horizon de l'eschatologie, on peut dire que l'espérance messianique devient une tâche commune. Et sans aller jusqu'à en faire deux institutions complémentaires, il est possible de comprendre la vocation propre et d'Israël et de l'Église selon une sorte d'émulation réciproque. « Face au "déjà là" de l'Église, Israël est le témoin du "pas encore", d'un temps messianique non pleinement achevé. Le peuple juif et le peuple chrétien sont ainsi dans une situation de contestation ou plutôt d'émulation réciproque » (cardinal Etchegaray). La vocation de l'Église est d'annoncer aux nations que la rédemption de toute créature est déjà à l'œuvre. C'est pourquoi l'Église ne peut rester à l'intérieur de la clôture d'Israël. Elle doit rendre présente en paroles et en actes l'espérance du Royaume à venir. À la différence du juif qui est tourné vers l'intérieur, le chrétien est davantage l'homme du dehors tourné vers l'extérieur. C'est pourquoi d'ailleurs, à cause de ce processus d'extériorisation permanente, le christianisme est menacé par une conception historique et immanente du Royaume de Dieu. Mais c'est la mission de l'Église d'attester que la réconciliation du monde avec Dieu est déjà anticipée dans le cœur de ceux qui confessent Jésus c o m m e Messie. En cela, l'Église demeure un aiguillon dans le côté d'Israël. L'Église « excite » Israël à la foi selon le mot de Paul. D e son côté, Israël, qui est toujours l'héritier des promesses, peut être un aiguillon dans le côté de l'Église, mais pour autant qu'il demeure fidèle à sa vocation propre. Il excite l'Église à l'espérance. Selon l'intuition de F. Rosenzweig, l'existence du juif impose au christianisme l'idée qu'il est toujours en exode, qu'il n'est pas parvenu au terme et que, si le Royaume est advenu en Jésus-Christ, il n'a pas été manifesté dans sa plénitude. « Le judaïsme inculque au

RÉVISION DE LA THÉOLOGIE CHRÉTIENNE DU JUDAÏSME ?

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christianisme l'expérience de la non-rédemption du m o n d e . » Le salut est déjà advenu en Jésus-Christ. Mais il demeure un salut spirituel invisible. Israël rappelle à l'Église que le salut manifesté de manière visible dans l'histoire demeure encore une réalité à venir, une espérance messianique. Israël et l'Église sont partenaires dans un témoignage donné à l'espérance pour la rédemption du monde. Mais, dans ce face-à-face contemporain entre juifs et chrétiens, Israël n'exerce sa vocation prophétique que s'il est fidèle à sa vocation messianique. On rencontre alors le problème le plus délicat, à savoir le rapport du peuple d'Israël à sa terre, ce qui implique le débat brûlant sur le sionisme et l'État d'Israël. On doit reconnaître l'ambiguïté fondamentale de l'État d'Israël. D ' u n côté, l'État d'Israël est un signe qui indique la fin de la dispersion et le commencement du retour à la source. Le fait que l'existence juive puisse être vécue dans sa terre peut être interprété c o m m e un signe de la fidélité de Yahvé à son peuple. « Grâce au sionisme, l'originalité mystérieuse de l'existence juive est redevenue visible, surtout dans son extension irréductible à l'égard du judaïsme dit d'assimilation . » Mais d'un autre côté, l'État porte en lui le danger qu'Israël devienne un peuple c o m m e les autres. Certains juifs religieux vont jusqu'à faire de l'état de diaspora la seule existence conforme au destin du judaïsme. Et on connaît le mot terrible du professeur Leibovitz qui déclarait : « La glorieuse victoire militaire de la guerre des Six Jours fut en réalité une calamité pour l'État d'Israël. » Pour lui, l'important, « c'est la survie du peuple juif. Or celle-ci est quand m ê m e moins problématique qu'aujourd'hui celle de l'État d'Israël ». Le document romain de 1985 déclarait au n° 25 : « Les chrétiens sont invités à comprendre cet attachement religieux, qui plonge ses racines dans la tradition biblique, sans pour autant faire leur une interprétation religieuse particulière de cette relation. Pour ce qui regarde l'existence de l'État d'Israël et ses options politiques, celles-ci doivent être envisagées dans une optique qui n' est pas elle-même religieuse, mais se réfère aux principes communs du droit international . » L'impasse permanente du processus de paix entre Israël et la Palestine donne plutôt raison à la prudente retenue de ce texte. Ce retour peut constituer un danger pour la vocation messianique universelle du peuple juif si Israël devient une nation comme les autres et si, au lieu d'être une bénédiction pour les nations, il devient une malédiction pour un certain nombre d'hommes et de femmes. Et de fait, la réalisation historique de l'État d'Israël ne coïncide pas purement et 2

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1. 2. 3. 4.

Voir J. MOLTMANN, op. cit., Paris, 1980, p. 198. Voir F. MUSSNER, op. cit., Paris, 1981, p. 33. Voir F entretien publié par le journal Le Monde du 13 octobre 1992. Vbir La Documentation catholique, 21 juillet 1985.

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simplement avec le retour d'Israël en Terre promise. La promesse divine attachée à la terre m ê m e d'Israël n'est valable que si cette terre est sanctifiée par sa vocation spéciale et par le règne de la justice. Dans la vocation messianique commune d'Israël et de l'Église pour le monde, le rôle permanent du peuple juif jusqu'à ce que le dessein de Dieu soit achevé n'est pas directement lié à l'existence historique de l'Israël moderne. Beaucoup de juifs de la Diaspora et d'Israël m ê m e refusent d'identifier le sionisme et le messianisme.

E n guise d e conclusion. La théologie chrétienne est donc invitée à continuer à penser le mystère d'Israël. À la lumière de notre réinterprétation des notions de patrimoine commun, d'accomplissement, de contestation réciproque, nous pouvons conclure que le judaïsme n'est pas seulement une pédagogie envers le christianisme. C'est dans son altérité m ê m e qu'il doit être récapitulé dans le Christ. D e m ê m e qu'il y a dans l'Ancien Testament une Parole de Dieu qui est irréductible au Nouveau Testament, de m ê m e il y a un irréductible d'Israël dans cet espace commun qu'est l'attente du Royaume de Dieu. Cette attente doit conduire à une émulation réciproque d'Israël et de l'Église en vue d'une plus grande fidélité à leur vocation propre. Selon le mot de Jean-Paul II, « juifs et chrétiens doivent être une bénédiction les uns pour les autres avant de l'être pour les n a t i o n s ». 1

1. Cité par P. BEAUCHAMP, « Un livre et deux communautés », dans A . MARCHADOUR ( É D . ) , op. cit., Paris, 1 9 9 8 , p. 2 7 .

PRIMITIVE JEWISH CHRISTIANS IN THE MODERN THOUGHT OF MESSIANIC JEWS* GERSHONNEREL

Hebrew University of Jerusalem

Résumé Un nouveau phénomène religieux est observé dans le monde depuis près de deux siècles : Vapparition d'individus et d'organisations qui développent une identité unique parmi les juifs qui reconnaissent en Jésus le Fils de Dieu et leur Sauveur, et cela d'une manière significative. Ces croyants forgent leur identité dans l'héritage biblique des premiers disciples juifs de Jésus. Ils acceptent par conséquent l'état canonique des Écritures saintes comme un fait accompli. Cependant, tandis qu'ils se concentrent sur leur désir défaire renaître de nouvelles assemblées messianiques selon le modèle de la communauté de Jérusalem au r siècle, ils fournissent avec insistance leurs propres interprétations de l'Ancien et du Nouveau Testament, le faisant souvent en contraste avec les traditions théologiques et liturgiques des Églises des Gentils. De plus, ils pratiquent la circoncision et observent le sabbat, ainsi que les fêtes bibliques, notamment Pâque. Summary A new religious phenomenon has been observed in the last two centuries: Jewish believers in Jesus who resist the option of assimilation and endeavor to shape their national identity around the biblical heritage of the early Jewish followers of Jesus. Modern Jewish Jesusbelievers seek to restore the first century "authentic identity" of the primitive Jewish Church in Jerusalem, as reflected in the New

* I owe special thanks to Professor Gedalyahu G. Stroumsa from the Hebrew University of Jerusalem, for supervising my research on the topic of modern Jewish believers in Jesus.

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Testament These contemporary believers accept the canonical status of Holy Scriptures comprising the Old and New Testaments and make no attempts to canonize new texts. While focusing on reviving new messianic congregations, they also insist on providing their unique interpretations of Scripture. This they frequently do in contrast with the theological and liturgical traditions of the Gentile Churches. They perform circumcision, observe the Sabbath, and keep the biblical feasts, mainly Passover. Modern Jewish believers in Jesus (Yeshua) of Nazareth have appeared as a new religious, national, and social phenomenon during the nineteenth and twentieth centuries, mainly known by the designa­ tions "Hebrew Christians" and "Messianic Jews" (Yehudim Meshihiim). The foundation for their self-determination is the acceptance of the divinity of Jesus as son of God, as a personal savior, and also as king messiah of Israel and the redeemer of the w o r l d . Interestingly, the personal and collective identity of these modern Jewish believers in Jesus is greatly shaped around the early believers in Jesus, espe­ cially as they are portrayed in the N e w Testament. This phenomenon simultaneously covers many cities worldwide: London, Warsaw, Kishineff, Budapest, and Chicago, to mention only s o m e . However, more than in any other place in the world, in Jeru­ salem and in Eretz-Israel, the Land of Israel, modern Messianic Jews find a special motivation to relate to the early Jewish followers of J e s u s . This ancient heritage is grasped by them as the source of their faith. Specifically, the authentic beliefs of the first Jewish disciples of Jesus become for them the platform for constructing their o w n 1

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1. G . NEREL, Messianic Jews in Eretz-Israel (1917-1967): Trends and Changes in Shaping Self-Identity, Jerusalem, 1 9 9 6 (Ph.D.) (in Hebrew); see an English synopsis inMishkan 2 7 ( 1 9 9 7 ) , p. 1 1 - 2 5 . See also B. H. STOKES, Messianic Judaism: Ethnicity in Revitalization, Riverside, California, 1 9 9 4 (Ph.D.). 2 . 1 . STANFIELD, Messianic Jews in the 19th Century and the Founding of the Hebrew Christian Alliance" in England (1866-1871), Jerusalem, 1 9 9 6 (Master's Thesis) (in Hebrew). E. E. BARKER, Sect, Saints or Sinners: Current Perceptions of Messianic Judaism, Oxford, 1 9 9 5 (Dissertation for the Diploma in Jewish Studies, Oxford Center for Hebrew and Jewish Studies, Yarnton, University of Oxford). 3 . K . KJAER-HANSEN (ED.), Jewish Identity and Faith in Jesus, Jerusalem, 1 9 9 6 ; see also A. HORNUNG, Messianische Juden zwischen Kirche und Volk Israel, Basel, (