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French Pages 175
L’Aide Sociale à l’Enfance et les jeunes majeurs Comment concilier protection et pratique contractuelle ?
Céline JUNG
L’Aide Sociale à l’Enfance et les jeunes majeurs Comment concilier protection et pratique contractuelle ?
© L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-11866-9 EAN : 9782296118669
À Bernard et Julie
INTRODUCTION
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PROTEGER LA JEUNESSE
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La protection de l’enfance : une culture professionnelle
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Présentation du dispositif de protection de l’enfance Histoire de la protection de l’enfant et évolution de l’autorité sur l’enfant La protection et son corollaire : le danger Entre usager et institution : le contrat La jeunesse dans les politiques sociales
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Emergence du sujet jeune La jeunesse : terrain d’expérimentation de l’insertion Jeunesse à insérer, jeunesse à protéger La logique de contrat
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Un outil de protection ? Un outil de travail social Un outil de la politique d’insertion LE CONTRAT JEUNE MAJEUR
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Le cadre
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Cadre légal L’activité de l’ASE sur le département Un dispositif
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Un dispositif facultatif Le ressort de la demande et du projet L’autonomie
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Une sélection
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Une sélection objective Le projet clé en main La culture du résultat Une disjonction des institutions et des publics
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La communication inter institutionnelle Le contrat jeune majeur sinon rien ? PROTECTION OU INSERTION La responsabilisation
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Qui s’engage ? Qui est protégé ? L’ambivalence
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Dans le discours Dans la protection Dans l’insertion Protéger ou insérer, protéger pour insérer
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L’insertion aléatoire Le positionnement de l’ASE La reconnaissance d’un besoin CONCLUSION
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ANNEXES
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BIBLIOGRAPHIE
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Introduction
Le système français de protection de l’enfance est organisé sur deux versants : l’un administratif relevant du Département (Aide Sociale à l’Enfance-ASE), l’autre judiciaire relevant de l’Etat (Protection Judiciaire de la Jeunesse-PJJ). Ces institutions sont chargées d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs et à leur famille dès lors qu’ils sont confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur développement. Cette protection peut être étendue au moment de la majorité et jusqu’à 21 ans au plus tard. Il s’agira alors d’une Protection Judiciaire Jeunes Majeurs (PJJM.) ou d’un Contrat Jeune Majeur (CJM) pour le versant administratif. Cette protection a été créée pour assouplir les effets de l’abaissement de la majorité de 21 à 18 ans en 1974. Elle est donc d’abord pensée comme une mesure transitoire pour palier les inconvénients que la loi entraîne pour les jeunes pris en charge par les services de protection. Le 18 février 1975, elle entre en application du décret 75-96 pour ce qui concerne le secteur judiciaire, puis du décret du 2 décembre 1975 relatif à la protection de l’enfance en danger correspondant à l’article L. 221-1 du Code de l’Action Sociale et des Familles pour le secteur administratif. Dans tous les cas il s’agit d’une mesure facultative : le jeune demande à faire valoir un droit qui peut lui être accordé, si le Juge des Enfants (JE) ou le Conseil Général (CG) selon les cas, estime cette demande motivée.
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La loi offre donc au majeur de moins de 21 ans, ou au mineur émancipé, la possibilité de demander au Département un placement approprié ou une action éducative lorsqu’il est, comme l’inscrit la loi du 5 mars 2007, « confronté à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement son équilibre ». Nous nous intéresserons ici à la mesure administrative, d’une part parce que la protection judiciaire en faveur des jeunes majeurs est en net recul depuis la réorientation des missions de la PJJ vers le pénal, ce qui pose de ce fait de nouveaux défis aux départements ; d’autre part, parce que l’organisation de l’aide aux jeunes majeurs des départements fonctionne sur le principe de la contractualisation, contrairement à l’aide judiciaire qui est ordonnée par le JE : si contrat il y a, il se négocie en marge auprès des services éducatifs mandatés et concernera l’organisation de la protection, non son obtention. La loi du 6 janvier 1986 fait du soutien aux jeunes majeurs une des missions de l’ASE, qui de ce fait n’est « plus une disposition réservée essentiellement aux adolescents pris en charge pendant leur minorité »1. Depuis la loi de 1984 définissant les relations des usagers et de l’ASE, cette aide est en principe systématiquement formalisée par un engagement contractuel2. En effet, de même que les parents sont amenés, lorsque l’ASE assure la protection administrative des mineurs (sans injonction judiciaire), à signer un contrat d’accueil pour leurs enfants, le jeune majeur devient l’interlocuteur de l’ASE pour la prise en charge de sa propre protection. 1
E. Kucza, G. Carpentier, « Contractualisation des relations », in C. De Robertis (dir.), Le Contrat en travail social, Paris, Bayard, 1993, P. 179180. 2 Selon les professionnels c’est d’abord la demande écrite qui est systématisée, la contractualisation prendra quelques années à s’installer.
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Cette pratique contractuelle s’inscrit dans le travail social en France depuis le début des années 80, au moment même où les politiques publiques prennent une nouvelle orientation basée sur le droit des usagers, mouvement qui s’accentue avec la décentralisation. Dans le cas de l’ASE, cette pratique est censée « garantir le droit d’expression des familles », et permettre de « redonner à l’usager sa place de citoyenacteur »1. Pour bénéficier de cette aide, le jeune majeur doit d’abord la solliciter. Une demande écrite et motivée quant aux besoins et au projet, sera la base à une évaluation des services de l’ASE, qui prononceront soit un refus, soit un accord entériné par un document stipulant les conditions de cette protection : les engagements réciproques du jeune et du service, ainsi que sa durée. Cette aide s’articule donc sur trois temps : demande, évaluation de la demande, définition des engagements et contreparties. On peut s’interroger sur le double objectif de cette aide, ancrée dans deux logiques : logique de protection et logique contractuelle. Par la transposition d’une pratique de protection des mineurs à la situation des jeunes majeurs, le bénéficiaire se trouve à la fois dans la position du mineur et dans celle du responsable légal : objet de la protection, et partenaire responsable de cette protection. C’est là une position originale et de ce fait, le contrat jeune majeur pose tout particulièrement la question de l’articulation entre protection et responsabilisation. Renseignements pris auprès de professionnels de terrain (éducateurs, chef de service, représentant de pupilles), il 1
B. Bouquet, « Contrat », in J-Y Barrère, B. Bouquet (dir.), Nouveau dictionnaire critique d’action sociale, Paris, Bayard, 2006, p. 141.
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apparaît que si l’ASE est toujours décisionnaire elle peut déléguer tout ou partie du suivi éducatif à des associations conventionnées, qui proposent parfois un hébergement. Si le CJM s’adresse aux jeunes en rupture familiale entre 18 et 21 ans, cette aide n’est pas automatiquement accordée jusqu’à cet âge. La durée initiale est définie dans le contrat dont la reconduction est sujette à une demande renouvelée de l’intéressé, suivie d’une évaluation et d’une négociation de nouveaux objectifs et de nouveaux délais avec l’ASE. Ces objectifs sont « obligatoirement de scolarité ou de formation professionnelle pour permettre au jeune d’accéder à l’autonomie » 1. Impératif qui s’efface parfois, notamment devant la nécessité d’une expertise psychiatrique. Le CJM devient alors « complètement autre chose et prend une orientation de l’ordre de la protection», le temps de mettre en place les dispositions adaptées, c’est-à-dire l’instruction du dossier pour la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) et la mise en place de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH). « Nous ne sommes plus alors sur des orientations vers l’autonomie ». Dans tous les autres cas, une déscolarisation, un refus de s’inscrire dans une formation, conduisent à interrompre la mesure de protection. Les jeunes dont la demande est rejetée ou dont le contrat n’est pas poursuivi sont alors orientés, soit vers des permanences d’accueil pour personnes SDF ou « en situation d’errance », soit vers leurs propres réseaux, notamment familiaux, pourtant auparavant estimés défaillants. Les professionnels insistent sur des objectifs de qualification, de projet, d’autonomie financière pour accéder au logement à la fin de la prise en charge, mais d’un autre côté le projet mis en place doit tenir compte du délai 1
Entre guillemets et en italique : propos des personnes rencontrées au cours de l’enquête.
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maximum de 21 ans. Le CJM permet d’ailleurs souvent de terminer une formation initiale (Bac, BEP, plus rarement BTS). On peut donc s’interroger sur sa réelle capacité à propulser le jeune vers l’autonomie, et cela donne à penser qu’il serait plutôt une première impulsion dans un parcours d’insertion. Ce qui conduit à faire l’hypothèse que le CJM n’est plus tout à fait une aide relevant de la protection mais déjà un dispositif qui vise l’intégration non dans la société, mais dans le « monde du social » et son offre de programmes dits d’insertion. Ceux qui ne sont pas éligibles (mineurs isolés devenus majeurs sans papiers, inadaptés au contrat – non respect des objectifs, non-adhésion), sont renvoyés à des services pour désaffiliés : permanences SDF, Samu social, Centres d’hébergement d’urgence, espaces associatifs. Sauf à trouver un soutien dans la sphère privée, on reste dans le circuit de l’assistance, soit dans la filière insertion professionnelle initiée dès le CJM, soit dans la filière insertion sociale. C. Guérin Plantin rappelle que l’insertion s’est construite dans l’action publique d’abord à travers l’action en faveur des jeunes et que dès le début la distinction entre insertion sociale et insertion professionnelle a été nécessaire, car « les jeunes étaient dans une situation sociale qui rendait irréaliste leur accès à l’emploi […]. L’insertion a été définie comme une sorte de socialisation »1. Dans le traitement de la jeunesse, les politiques « s’appuient sur des représentations multiples de la jeune génération »2, toutes placées au regard de la société : « individu en formation », « grand enfant » dans les politiques familiales, «victime de la crise » dans les 1
C. Guérin-Plantin, « Formation et insertion des liens déjà anciens », Recherche Sociale n°149, janvier-mars 1999, p. 12. 2 F. Labadie, « L’évolution de la catégorie jeune dans l’action publique depuis 25 ans », Recherche et Prévisions, n° 65, 2001, p. 9.
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politiques d’insertion, mais aussi « risque ». Ces représentations renvoient finalement à des relations entre les générations qui permettent de contextualiser ce qu’on entend par autonomie. Dans la protection de la jeunesse, le jeune est à protéger car aussi bien en danger, que dangereux. La socialisation du jeune va porter elle aussi sur un double registre : l’un centré sur l’individuation « s’attache à développer l’autonomie de la personne »1 et vise le développement personnel ; l’autre est centré sur les normes sociales auxquelles les jeunes doivent s’adapter. Ainsi, le dispositif du CJM concentre des outils de travail devenus exemplaires tels que le contrat et le projet, inscrits dans un souci d’autonomie de l’usager. Il prend corps dans un secteur dédié au principe de la protection de moins en moins perméable à la voie de la responsabilisation. Il s’applique à une population définie par un âge caractérisé par la formation : au carrefour du soi et du social. Enfin, ce CJM est une mesure facultative dans un secteur où les mesures s’imposent le plus souvent et aux personnes, et aux professionnels : ici la demande de protection émane du sujet lui-même. Il fallait aller voir de plus près comment se met en place cette mesure de protection des jeunes majeurs, et comprendre comment s’articulent ces différents ressorts dans la pratique. Comment les professionnels de la protection de l’enfance intègrent dans leur quotidien ces multiples facettes : voientils une difficulté particulière dans la mise en place de ce contrat jeune majeur ? Parviennent-ils à concilier les missions classiques de la protection de l’enfance avec la technique contractuelle directement appliquée au bénéficiaire ? Comment passent-ils d’une protection acquise à une 1
C. Guérin-Plantin, Genèse de l’insertion, Paris, Dunod, 1999, p. 89.
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protection négociée ? Quels sont les enjeux que pose l’aspect facultatif de la mesure aux services de l’ASE, à la fois sur le plan de la décision et sur le plan de l’action ? Nous avons choisi de limiter notre terrain d’investigation à un département d’Ile-de-France. Tout territoire comporte ses spécificités, il bénéficie d’une organisation particulière. Notre territoire se distingue par un maillage associatif important qui compte pour beaucoup dans l’organisation de la protection de l’enfance sur le plan local. De même, l’implantation des services de l’ASE dans un service localisé dans un lieu distinct des autres services sociaux et médico-sociaux de proximité, concourt à produire des cultures et des représentations professionnelles spécifiques. Nous nous appuierons essentiellement sur des entretiens menés auprès de travailleurs sociaux de l’ASE qui ont accepté de participer à cette étude à titre individuel. Il aurait été intéressant de pouvoir mettre en vis-à-vis les perceptions des jeunes et les positionnements professionnels, mais nous avons opté pour un centrage sur la pratique professionnelle. Il s’agit par ailleurs d’un département qui compte une forte proportion de jeunes majeurs parmi les jeunes accueillis. Ainsi, cet échantillon n’est représentatif que d’une politique locale, mais semble néanmoins pouvoir donner une indication de l’usage du contrat dans l’intervention sociale à partir des pratiques et de la manière dont les textes sont interprétés sur le terrain. L’objectif était en effet essentiellement d’analyser les pratiques professionnelles, de comprendre la vision des travailleurs sociaux, et de voir les questions qu’ils se posent et que nous pose cette mise en œuvre du CJM : à la fois sur la pratique de contrat et sur le principe de la protection, et la possible synergie de ces deux logiques.
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Une documentation du service nous a également été communiquée (rapport d’activité, schéma départemental, plaquettes). Pour vérifier nos hypothèses sur la nature réelle du CJM, entre insertion et protection, il nous a paru utile d’interroger d’autres services et institutions en lien avec la population jeune, afin d’analyser la situation des jeunes majeurs qui ont, ou auraient pu croiser l’ASE. L’objectif était de vérifier si le public concerné par le CJM se retrouvait dans ces institutions. Il s’agissait également d’obtenir un contrepoint, c’est pourquoi nous avons privilégié les discours des travailleurs sociaux cadres, en tant que référents de leurs institutions respectives et de leurs orientations générales. Diverses institutions sont représentées : hébergement d’urgence, permanence pour personnes SDF, services associatifs partenaires de l’ASE. Enfin, suite à un échange informel avec une assistante sociale de secteur, il nous a paru intéressant de vérifier si, comme le pensait cette professionnelle, de nombreux jeunes se présentant au service de premier accueil avaient bénéficié d’un CJM, en effectuant un recensement statistique sur un échantillon de dossiers.1 Ces recherches empiriques ont permis de saisir des dimensions essentielles de la mise en œuvre du CJM dans le département. L’articulation des logiques responsabilisante et protectrice se joue sur plusieurs niveaux (le public, les travailleurs sociaux, l’institution), et génère des effets à la fois dans l’intervention sociale et dans les parcours des jeunes.
1
Voir encart méthodologique en annexe 1.
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Pour étayer un questionnement autour de l’hypothèse selon laquelle le CJM, tel qu’il est pratiqué sur notre département, n’est pas une mesure de protection mais vise l’intégration aux dispositifs d’insertion, il convient d’en interroger les multiples dimensions. Dans un premier temps, nous proposons d’explorer les fondements historiques et culturels du secteur de la protection de l’enfance, ainsi que la place des jeunes en tant que catégorie sociale dans l’action publique. Cela nous permettra alors de situer dans un contexte général la notion de contrat dans l’intervention sociale. Nous verrons alors comment cette logique du contrat entraîne une pratique qui interroge la notion de protection, notamment dans le cadre de ce contrat jeune majeur, une mission de l’ASE à la fois explicite et floue. Enfin, il paraît nécessaire de questionner les rapports de l’insertion et de la protection sur les plans social et institutionnel, et leurs conséquences sur la pratique des travailleurs sociaux et l’itinéraire des jeunes.
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PROTÉGER LA JEUNESSE
La protection professionnelle
de
l’enfance :
une
culture
Définir la protection de l’enfant pourrait nous amener à définir le danger, à réfléchir en terme de risque. Mais on peut aussi penser cette protection sous l’angle de l’autorité. Protéger l’enfant c’est décider qui a autorité sur lui, et organiser cette autorité qui interroge la sphère publique comme la sphère privée, et pose la question de la place de l’enfant dans la société, et par là le modèle et le projet que véhicule cette société. C’est ce que l’on peut lire dans l’histoire de la protection de l’enfance et dans l’analyse de son évolution jusqu’aux modifications inscrites dans la loi du 5 mars 2007. Présentation du dispositif de protection de l’enfance une dualité institutionnelle La particularité du dispositif de protection de l'enfance français c'est qu'il repose sur une dualité institutionnelle qui s'est accentuée depuis 1983 et les lois de décentralisation. Depuis l'ordonnance de 1958 sur la protection de l'enfance et de l'adolescence en danger et le décret de 1959 relatif à la protection sociale de l'enfance en danger, se sont dessinés deux volets complémentaires de la protection : la protection judiciaire, fondée sur l’ordonnance de 1945, et la protection administrative depuis 1958. La loi entend par enfant le mineur, et depuis l'abaissement de la majorité à 18 ans en 1974, la protection de l'enfance peut être étendue jusqu'à 21 ans dans des conditions aménagées : en effet elle doit être demandée par le jeune luimême, et les services administratifs ou le Juge pour Enfants, 23
peuvent l’accorder ; elle n’est donc plus, ni de droit, ni imposée. L'organisation de la protection de l'enfance s'articule donc autour, d'une part des services de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) relevant de la responsabilité des présidents de Conseil Général, et d’autre part de la juridiction des mineurs, sous l'autorité de l'Etat. Il s’agit de proposer ou d’imposer des “mesures d'assistance éducative” qui vont du placement de l'enfant hors du domicile familial, à l'aide éducative à domicile en passant par des mesures d'investigation. Le Juge pour Enfants (JE), dont l’intervention au pénal s’adosse à l’ordonnance de 1945, intervient au civil dans un esprit de protection de l’enfant d’un foyer défaillant ou maltraitant. L’intervention du Département se trouve en amont, dans un esprit de prévention et repose sur l’adhésion de la famille qui doit demander cette aide ou à défaut manifester son accord. Par ailleurs, chacune de ces autorités, l'ASE ou le JE, détermine le service responsable de ces mesures. Ainsi, selon les départements, les mesures administratives en charge de l'ASE pourront être plus ou moins assumées directement par le service lui-même ou déléguées à des associations habilitées. De son côté, le JE peut confier la mise en oeuvre des mesures qu'il décide à l'ASE, ou la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), dont la direction relève de la compétence du ministère de la Justice. Le JE peut même, dans le cas d'un placement, confier l'enfant, selon la nature de son intervention, directement à un tiers digne de confiance. On voit bien que les deux branches du dispositif s'articulent sur un mode certes complémentaire mais parfois peu lisible tant leurs relations peuvent être entremêlées. Reste que sur le plan de la décision initiale, le partage est clair,
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puisque l'ASE fonctionne sur le mode du consentement des parents, manifesté par écrit, tandis que le JE dispose d’un pouvoir contraignant, même s'il est censé rechercher l'adhésion de la famille. un nouvel équilibre La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance apporte un partage des compétences nouveau et place clairement le président du Conseil Général comme le chef de file de la Protection de l'Enfance. Dès lors le recours au judiciaire devient subsidiaire, et se justifie uniquement en cas d'échec de la mesure administrative, de l'impossibilité de travailler avec la famille, ou de l'impossibilité d'évaluer la situation. C'est désormais le Département qui a la responsabilité de saisir l'autorité judiciaire, toutes les «informations préoccupantes» devant lui parvenir en premier lieu, sauf cas d'extrême gravité. A charge également pour lui de coordonner l’activité des services, y compris non départementaux, chargés par le JE d'une mesure d'assistance éducative, avec celle de ses propres services. Cette réforme de la protection de l’enfance ne va pas sans débat, notamment sur l’enjeu financier, mais l’inquiétude des professionnels vient surtout d’une déconstruction progressive des principes fondateurs de la protection des mineurs et notamment un durcissement des réponses répressives et un recul du primat éducatif, notamment dans les mesures de prévention de la délinquance. Elisabeth Chauvet voit dans les changements récents une inversion philosophique : le projet éducatif passe au second plan. Elle précise que la protection de l’enfance constitue un enjeu démocratique fondamental1. 1
E. Chauvet, « La protection des mineurs en zone de turbulence » , in Vie Sociale, n°3/2002, juillet-septembre 2002.
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Histoire de la protection de l’enfant et évolution de l’autorité sur l’enfant enfant en danger, enfant dangereux Cet enjeu démocratique que représente la protection de l’enfance anime le législateur sous la 3ème République et marque une rupture dans le droit de la famille. Jusque là unité privée où le père règne en maître, elle n’est plus étanche à l’intervention publique. Dès la loi de 1889, le juge peut intervenir contre le droit du père. En effet, l’article 2 prévoit que seront déchus « les père et mère qui par leur ivrognerie habituelle, leur inconduite notoire et scandaleuse ou par de mauvais traitements, compromettent soit la santé, soit la sécurité, soit la moralité de leurs enfants ». Certains termes sont toujours prévalents dans ce qui fonde l’intervention judiciaire dans la protection de l’enfance1. Cette loi s’inscrit dans une période de production législative concernant l’enfance qui va de 1874 à 1912. Lois qui touchent la mendicité enfantine, le travail des enfants, la scolarisation et en 1912, l’institution des tribunaux pour enfants et adolescents. Cet arsenal législatif, pas toujours suivi d’effet, est néanmoins dans l’esprit une brèche importante dans la muraille familiale, et pose les enjeux de la protection en termes d’autorité. 1
Article 375 du Code Civil modifié par Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ».
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tension entre deux approches : éduquer ou punir ? Les enjeux se cristallisent autour des politiques en matière de délinquance juvénile. Pendant la première moitié du 19ème siècle, l’approche essentiellement pénale cherche « les moyens à mettre en œuvre pour punir et rééduquer l’enfant coupable »1. D’emblée s’impose la nécessité de séparer, parmi les condamnés, les enfants des adultes, les aînés représentant une source de corruption pour les plus jeunes, signe d’une certaine manière de la vulnérabilité des uns et de l’autorité des autres. Créer des établissements pour les jeunes permet de réfléchir à un traitement spécifique : on ne parle plus seulement de punition mais aussi de rééducation. Chez les jeunes on distingue aussi deux catégories pénales fondées sur le discernement : on dissocie alors les « condamnés » des « acquittés mis à la disposition du gouvernement pour être éduqués dans une maison de correction »2. Le débat s’enclenche sur les orientations à donner : éduquer ou punir ? Il animera la seconde moitié du 19ème siècle. Dans un premier temps le système est même victime de son succès si l’on peut dire : « les juges qui hésitaient à condamner des enfants à la prison lorsqu’il n’existait pas d’établissements spécifiques pour les accueillis, envoient de plus en plus d’enfants acquittés dans ces maisons de correction […] qui ne peuvent plus faire face à leur mission éducative »3. Face à cet échec s’engage une réflexion plus large sur l’enfance en danger qu’il faut protéger plutôt que punir. Au début du XXème siècle, la notion de progrès social largement 1
M-S. Dupont-Bouchat, « Le mouvement international en faveur de la protection de l’enfance (1880-1914) », in Revue d’histoire de l’enfance irrégulière, n°5/2003, http:/rhei.revues.org/document1010.html, p. 2. 2 Idem, p.2. 3 M-S. Dupont-Bouchat, Op. Cit. p.3.
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partagée permet un certain nombre d’avancées en matière de politique sociale. De plus, il apparaissait primordial de sauvegarder les enfants pour garantir le renouvellement des forces de la République et de la Nation. Il aura fallu une longue évolution entre la prise de conscience du 19ème siècle de l’intérêt pour la société d’investir dans sa jeunesse, et l’abandon des méthodes correctrices au profit d’une éducation aux “ vertus transformatrices ”. transmission et correction : deux visions de l’autorité Entre éducation et correction s’opposent deux représentations de l’autorité de l’adulte vis-à-vis de l’enfant : transmettre ou imposer. L’une et l’autre impliquent une relation intergénérationnelle basée soit sur la reconnaissance mutuelle, soit sur l’obéissance. Pour la philosophe Myriam Renault d’Allonnes, l’autorité ne saurait être imposée, mais implique une relation dynamique, alors que la relation purement verticale serait une relation de pouvoir, assise en dernier ressort sur le recours à la correction. Cette dernière apparaît alors comme le signe d’un échec d’un processus, et s’inscrit dans une relation de pouvoir. Alors que la relation basée sur la transmission considère l’enfant dans sa dimension future, donc ses capacités de changement, la relation de pouvoir s’attache au contraire au non changement. Eduquer ou punir : si la question se pose dans l’intervention publique, elle se joue également et d’abord dans les relations familiales.
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famille et protection de l’enfance politiques sociales de prévention et de protection sous l'angle des relations familiales : dépasser les principes napoléoniens du code civil Le philanthrope comme le législateur mènent le débat sur les moyens de protéger l’enfant sur un autre mode que le mode répressif. Cette question amène à considérer non plus le seul enfant coupable, délinquant, mais aussi l’enfant victime. « L’enfance malheureuse, l’enfance en danger, s’étend désormais à toutes les catégories d’enfants, depuis les jeunes travailleurs jusqu’aux nourrissons, les petits vagabonds et mendiants, les enfants négligés par leurs parents, les enfants martyrs, victimes de l’exploitation et de l’immoralité de leur milieu »1. On assiste donc à un véritable renversement qui amène à considérer la problématique sous l’angle du milieu, de l’environnement, donc de la famille. Au sein de la famille, la puissance paternelle, principe consacré par le Code Civil, est un pilier qui semble inébranlable. Les questions se centrent donc sur une problématique articulée autour de l’enfant, la famille, l’Etat. Au nom de quoi intervenir, comment intervenir, que proposer à ces enfants désormais victimes ? La loi sur la déchéance paternelle de 1889 protège pour la première fois l’enfant contre ses parents. La puissance paternelle, héritée du droit romain, controversée et réduite à la Révolution, est consacrée sous Napoléon, affirmant une division très nette entre la sphère privée et la sphère publique. Comme le souligne Y. Knibiehler, le chef de famille est alors maître chez lui, « encore plus que sous l’Ancien régime, car il échappe désormais au contrôle des voisins, du curé, des
1
M-S. Dupont-Bouchat, Op. Cit., p.3.
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parrains, marraines, et autres intermédiaires »1. L’historienne insiste sur le rôle qu’a joué l’école de Jules Ferry dans le renversement de ce qu’on pourrait aller jusqu’à appeler la toute puissance paternelle. Cette école est obligatoire et impose par là une protection contre l’exploitation, l’ignorance et le vagabondage. En même temps, elle impose aux parents un partage de l’éducation. Peu à peu, la puissance paternelle apparaît nuisible à l’ordre social et en 1898 une loi sanctionne les mauvais traitements contre enfants. Pour P. Verdier, « l’ancien droit de correction qui permettait au père de châtier […], a été remplacé par l’assistance éducative : le père ou la mère peut saisir le Juge pour Enfants »2. vers une protection maternelle et infantile Le recul de la toute puissance paternelle rend la mère accessible à l’intervention publique, qui s’inscrit désormais dans un double mouvement : d’une part le rôle grandissant des femmes dans le mouvement pour la protection de l’enfance, et d’autre part, la place faite dans le secteur à la technique et à la science. Dès 1890, « les femmes commencent à jouer un rôle important […] d’abord par le biais de « comités de dames » qui siègent parallèlement à ceux des hommes et organisent leur propre programme »3. Le nouveau philanthrope, quant à lui, cumule souvent plusieurs casquettes : homme politique, juriste, médecin et homme d’œuvre. La protection de l’enfant passe, sous cette double influence féminine et scientifique par le soin à la mère, à commencer par les plus vulnérables, c’est-à-dire les mères 1
Y. Knibiehler, « Protection de l’enfance et autorité parentale », in Enfance Majuscule, n°4 Février/Mars 1999, p.7. 2 P. Verdier, L’autorité parentale, le droit en plus, Paris, Bayard, Col. Travail social, 1993, p. 38. 3 M-S. Dupont-Bouchat, Op. Cit, p.10.
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isolées. « Il s’agit de lutter à la fois contre l’avortement dans une perspective nataliste, mais aussi d’aider et de protéger les « fille-mères », désormais perçues non plus comme des coupables, mais comme des victimes, pour assurer l’avenir des enfants illégitimes »1. La moralisation cède le pas à la préoccupation sanitaire, et le secteur de la protection de l’enfance se féminise : mères des familles d’accueil responsables de l’éducation des enfants qui leur sont confiés, tutelle aux fille-mères, déléguées à la protection de l’enfance auprès des Juges pour Enfants. Cette féminisation scelle le recul de la prévalence du père. Pour MS Dupont-Bouchat, à côté de son rôle traditionnel qui se trouve consacré, la mère acquiert un « nouveau statut de protectrice de l’ordre familial et social », et pour l’auteur, s’il faut parler d’une “police des familles”, elle est incarnée non pas par l’Etat, mais par les mères2. une autorité désormais parentale La place de plus en plus forte des femmes dans la protection de l’enfance d’abord, mais aussi dans l’organisation sociale, et de manière flagrante après la seconde guerre mondiale, s’accompagne de modifications en termes de ce qui s’appelle dès lors politique de la famille, et qui n’est pas sans conséquence sur la protection dévolue à l’enfance, à travers les politiques familiales et le droit applicable à la protection de l’enfance. La loi du 4 juin 1970 est le signe majeur de cette évolution : la puissance paternelle cède le pas à l’autorité parentale. L’autorité sur l’enfant n’est plus l’apanage du père, renvoyée à celle du juge en cas de défaillance. Désormais c’est une autorité qui appartient aussi à la mère.
1 2
M-S. Dupont-Bouchat, Op. Cit. p. 14. Idem, p.20.
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De plus, l’autorité parentale n’est pas un droit mais une mission éducative, mission d’ordre public aménagée dans l’intérêt de l’enfant, que seul un juge peut modifier. Cette loi consacre donc l’autorité de la mère qui peut l’exercer seule. La famille, même monoparentale est le lieu premier de l’éducation de l’enfant mais la société garde un droit de regard sur l’intérêt de l’enfant. Les aménagements qui complèteront ou réformeront l’autorité parentale, amèneront une plus grande égalité des père et mère dans l’exercice de leur rôle. Comme le souligne Y. Favier, « le droit applicable à la protection de l’enfance a un champ très large qui ne se limite pas à la prévention administrative ni à l’assistance éducative. Il s’étend à l’ensemble du droit de l’autorité parentale et du droit tutélaire […] de l’enfance pour inclure également le droit de l’adoption »1. des droits de la famille aux droits de l'enfant L’autorité parentale, du fait qu’elle est une articulation de problématiques privées qui relèvent de l’ordre public, est au cœur de débats. C. Eliacheff note que certains, pour qui « la fonction parentale comme position d’autorité paraît dangereuse »2, feraient preuve d’un autoritarisme dans leurs missions de protection de l’enfant qui tendrait à nier les droits parentaux. De fait, dans les années 80 on assiste à une double revendication : le droit de parents usagers de l’aide sociale à l’enfance (1984) et les droits de l’enfant (1989). M. Becquemin parle de « parent usager responsable de l’enfant
1
Y. Favier, « Le droit et la protection de l’enfance. Règles et pratiques », in Informations Sociales 2007/4, N° 140, p.27. 2 C. Eliacheff, Vies Privées, de l’enfant roi à l’enfant victime, Paris, Odile Jacob Poches, 2001, 1ère édition, 1997, page 92.
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qui a des droits »1. Cette double logique se développe dans un contexte de défiance à l’égard des institutions publiques, taxées de “ police des familles ”, d’agents du “ contrôle social ”. M. Becquemin met en parallèle la construction évolutionniste des droits de l’enfant et les disqualifications des professionnels de la protection. Concernant les droits de l’enfant, les déclarations de 1924 et 1959, visaient à protéger l’enfant en tant que personne en formation, avec l’idée essentielle de protéger le milieu dans lequel celui-ci allait se développer, à savoir sa famille. « Quant à l’autorité sur l’enfant elle ne devait pas se traduire par un exercice de propriété sur la personne »2. La loi de 1970 sur l’autorité parentale préconise d’ailleurs bien le maintien, tant que possible, du mineur dans son milieu naturel, renvoyant à l’exception l’intervention publique. Mais, selon I. Théry, « la logique de l’enfant citoyen porteur de droits liberté qui découlent de la déclaration de 1989 est le signe que c’est la protection elle-même […] qui est intrinsèquement un abus de pouvoir »3. « L’enfant, parce qu’il est un homme serait considéré comme un individu de droit ce qui le place sur le même plan que l’adulte au nom du principe d’égalité. Qu’adviendrait-il alors de l’éducation et de la transmission des valeurs ? », interroge M. Becquemin en reprenant le questionnement d’Alain Renault4. Or, nous l’avons vu, la question de la transmission est cruciale dans la conceptualisation de la protection de l’enfance, car elle détermine une conception d’autorité, 1
M. Becquemin, « Parentalité, droits des usagers, droits de l’enfant. Quels enjeux pour l’Action éducative en milieu ouvert ? », in Vie Sociale, n°3/2002, juillet-sept. 2002, p.97. 2 Idem, p. 103. 3 I. Thery, Le démariage, justice et vie privée, Paris, Odile Jacob Poches, 2001, 1ère édition, 1993, page 411. 4 M. Becquemin, Op. Cit., p. 101.
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laquelle est bel et bien au cœur de la protection, car elle fonde l’intérêt de l’enfant. Myriam Renault D’Allonnes définit l’autorité comme une relation dissymétrique dont les deux parties reconnaissent la justesse et la légitimité, qui tiendrait à une certaine prééminence de celui qui exerce l’autorité. Pour la philosophe, l’autorité, c’est ce qui autorise à agir, grâce aux certitudes du passé et aux attentes du futur. Cette attente de l’avenir autorise le présent et s’incarne dans la succession des générations. Pour elle, le temps qui advient est un temps sans promesse, d’où un effondrement de l’autorité du futur. Cette analyse paraît tout à fait intéressante dans le cadre de la protection de l’enfant, et nous paraît au cœur du débat entre éduquer et punir. Eduquer tient à reconnaître la relation dissymétrique : la transmission est possible, car il y a une confiance dans l’avenir qui autorise la dissymétrie présente. Quand cet avenir n’apparaît pas, comment autoriser cette transmission ? L’autorité n’est plus reconnue, et son échec est signé par le recours à la force, au sens de forcer, du pouvoir qui s’impose. Eduquer ou punir, c’est l’opposition entre le modèle et l’exemple, entre la reproduction /répétition, et l’inspiration/invention. Si réapparaît aujourd’hui la remise en question de l’investissement dans la jeunesse par l’éducation c’est le signe que le concept de modernité est en crise. Pour I. Théry, « il y a en effet dans la pensée des nouveaux droits de l’enfant, dans la façon dont elle inverse le rapport à l’origine, pour substituer à la transmission des générations la recherche éperdue d’une permanente reconnaissance effaçant le passé, une sorte d’inversion du temps et des places »1.
1
Op. Cit., p. 440.
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La protection et son corollaire : le danger la notion de danger Le concept de protection pose immanquablement la question du danger. En effet, c’est la notion de danger qui détermine la saisine du Juge pour Enfants et lui permet d’aménager l’autorité parentale en ayant recours à l’assistance éducative. Fondamentale dans la protection de l’enfance, cette notion n’en reste pas moins difficile à définir. L’article 375 du Code Civil pose qu’il s’agit d’un danger pour la santé, la sécurité ou la moralité ou que les conditions d’éducation sont gravement compromises. Même si cela reste assez flou, il n’en demeure pas moins un point important : comme le souligne M. Huyette, « l’existence d’un danger ne suppose pas la réalisation et le constat d’un dommage »1. Ainsi le danger est aussi le risque de danger, comme cela est désormais inscrit dans la loi du 5 mars 2007. Pour l’aide sociale à l’enfance de notre territoire, « en l’absence d’intervention, cet enfant peut voir sa santé physique et/ou psychique se dégrader rapidement […] l’enfant en risque de danger peut être progressivement victime de carences […], ou de négligences […] qui deviennent dangereuses pour lui »2. De cette description émerge bien l’idée d’un processus, d’une recherche hiérarchique. « Il peut également souffrir d’un surinvestissement de son entourage »3. La notion couvre donc plusieurs dimensions : éducative, affective, relationnelle, physique, physiologique et psychologique. Charge aux professionnels d’évaluer ce 1
M. Huyette, Guide de la protection judiciaire de l’enfance, Paris, Dunod, 3ème édition, 2003, p. 116. 2 Brochure « un enfant en danger, du repérage au signalement judiciaire » du département, avril 2005. 3 Idem.
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danger à partir d’“informations préoccupantes”1 remontant de l’environnement de l’enfant, que ce soit un particulier ou un professionnel. En effet, depuis la loi du 5 mars 2007, le Département est dans l’obligation d’organiser le recueil et l’évaluation de ces informations et d’orienter, le cas échéant, vers le système judiciaire, qui devient subsidiaire. La loi réformant la protection de l’enfance consacre la protection administrative qui devient de droit commun. Cela signifie que l’adhésion des parents est systématiquement requise. Le recours au judiciaire sera justifié par l’urgence éventuelle dans le cas d’un danger avéré, ou en cas d’impossibilité de réaliser l’évaluation, ou d’impossibilité de recueillir l’accord des parents, ou bien encore lorsqu’une mesure administrative aura été tentée en vain. Ce principe de la subsidiarité du judiciaire ne va pas sans questions, car comme précise M. Huyette, « l’intérêt de la procédure judiciaire ne réside pas dans le juge, mais dans la procédure qu’il doit respecter pour permettre d’assurer cet équilibre entre intervention et respect de certains droits »2. Mais il n’est sûrement pas anodin de voir que 80% des mesures judiciaires sont confiées par le juge des enfants à l’ASE, qui en assume la charge financière 3. famille et danger L’enfant peut être en danger dans sa famille mais aussi représenter un danger dans la rue. C’est bien d’abord ceux-là qu’on a voulu protéger après les avoir réprimés : il aura fallu du temps pour réaliser que le fils d’aujourd’hui serait le père 1
Termes qui remplacent celui de “signalement” depuis la loi du 5 mars 2007. 2 Op. Cit, p. 6. 3 I. Frechon, « Les enjeux financiers de gestion. Une approche chiffrée », in Informations sociales 2007/4, n° 140.
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de demain, et réaliser que « la violence exercée sur l’enfant avait des effets néfastes sur l’adulte que cet enfant allait devenir, et que ces effets néfastes allaient avoir des conséquences sur sa propre descendance, voire sur la collectivité toute entière »1. Si l’on se reporte à la brochure de l’ASE on note que le danger issu de la famille peut relever de l’histoire et des caractéristiques individuelles de l’enfant, des caractéristiques familiales, voire de facteurs socio-économiques. Toutefois la brochure fait apparaître parmi les clignotants faisant craindre un danger, des difficultés scolaires telles que l’absentéisme ou le désinvestissement, ou des troubles du comportement tels que agitation, agressivité ou violence. Facteurs que l’on retrouvera dans le versant pénal. Le troisième rapport annuel au Parlement et au Gouvernement de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger en 2007, pointe fort justement que les mêmes familles, « selon le cadre considéré, se trouvent soit en position de victime, soit considérées comme responsables ». Le constat vaut pour les jeunes eux-mêmes, et s’incarne de manière exemplaire dans la problématique spécifique du mineur étranger isolé « dont il est opportunément indiqué qu’il est à la fois délinquant et en danger »2. En somme l’enfant en danger est potentiellement dangereux, si on ne peut le protéger il faut s’en protéger. maintien du lien et intérêt supérieur de l'enfant L’enfant en danger dans sa famille à la fin du 19ème siècle début du 20ème, posait la question de comment se substituer aux parents défaillants. Dès le milieu du 20ème, on pense l’action éducative préventive, en amont du placement. Cette 1
C; Eliacheff, Op. Cit., p. 11. 3ème rapport annuel au Parlement et au Gouvernement de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger (ONED), 2007. 2
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action se déroule dans la famille, qu’on appelle le « milieu naturel ». L’adhésion de la famille est requise dans le cadre administratif et recherchée dans le cadre judiciaire. Toutefois le modèle de la substitution familiale reste dominant jusqu’au milieu des années 70. Puis de 1976 jusqu’à la loi du 2 janvier 2002, ce mouvement de recherche d’adhésion de la famille progresse, s’appuie sur des recherches médicales et psychologiques, notamment sur les interactions précoces et la théorie de l’attachement de John Bowlby, dont les travaux débutés au cours de la seconde guerre mondiale ne trouvent un réel retentissement qu’à partir des années 80 en France, et sur la recherche en éducation familiale développée par Paul Durning. Cela ouvre un travail avec les familles fondé sur l’intérêt de l’enfant. Si la loi du 6 juin 1984 reste dans un premier temps sans grand effet, elle pose néanmoins les points essentiels qui seront repris et appliqués après le rapport Naves-Cathala en 2001, notamment avec la loi du 2 janvier 2002. Dans la logique du maintien des liens, « même le langage tend à se modifier : on préfère les termes accueil à placement, invitation des parents à convocation des parents »1. De cette logique du maintien du lien alliée à l’intérêt de l’enfant qui devient un droit de l’enfant, naît le concept de parentalité : au carrefour du droit de l’enfant et du droit des parents, il signe également un racornissement des positions privées et publiques. D’un côté, « le droit des parents usagers provoquerait le recul bien mérité du pouvoir des institutions »2, de l’autre, l’exigence de l’ordre public ne diminue pas et l’injonction sécuritaire se raffermit. Les parents sont ainsi renforcés dans leur autorité naturelle sur l’enfant, quelles que soient leurs difficultés, mais en cas de problème ils seront les premiers responsables.
1
C. Swed, « Protection de l’enfance : la protection c’est fini ? », in Journal du droit des jeunes, N° 258, oct. 2006, p. 35. 2 M. Becquemin, Op. Cit., p. 95.
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Le droit des parents avance parallèlement au retrait de l’Etat sur les questions sociales, et les propositions tournent de plus en plus autour de la sécurité. Le dispositif de prévention précoce de la délinquance hérité de pratiques nord-américaines qui a fait l’unanimité contre lui depuis la publication de l’expertise de l’Inserm sur « le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent » (septembre 2005), illustre ce discours sécuritaire et disciplinaire de l’action publique qui entoure ce concept de parentalité qui au départ, relevait d’un travail avec les familles. Entre usager et institution : le contrat L’avènement du contrat en protection de l’enfance La question de la responsabilité, liée à celle de l’autorité, est donc forcément cruciale dans le concept de protection de l’enfance. On a vu l’évolution du système judiciaire et l’émergence des pratiques éducatives à partir de la fin du 19ème siècle. Le point de départ de cette (r)évolution, c’est bien la question de la responsabilité. Eduquer ou punir, c’est aussi décider si l’enfant doit être tenu pour responsable de ses actes : est-il coupable ou victime ? Prendre en compte l’environnement dans lequel il évolue, à commencer par sa famille, c’est aussi s’interroger sur la responsabilité de la famille. Dès la fin du 19ème siècle, Jules Lejeune propose de « substituer au critère pénal qui distingue condamnés et acquittés sur la base du discernement et de la responsabilité, un critère social fondé sur le risque »1. Mais là encore, quelle attitude adopter vis-à-vis des familles ? On a vu que jusqu’à récemment, le pari éducatif l’avait emporté sur la réponse répressive et qu’une intervention sur le milieu familial dans un souci de travail avec les familles 1
M-S. Dupont-Bouchat, Op. Cit., p.11.
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avait pris le pas sur des mesures de séparation souvent définitives. Puis depuis une dizaine d’années on assiste à une sorte de brouillage entre faire plus de place aux droits des personnes y compris mineures, plus de place à l’individu dans sa spécificité à travers les pratiques contractuelles au cas par cas qui seraient plus adaptées au respect de la personne, mais aussi une volonté de réactivation de la sanction. E. Chauvet y voit l’application d’une analyse menant à considérer que « les désordres de la société proviennent d’un défaut de responsabilité des individus, trop souvent liés à un sentiment d’impunité. Il convient de restaurer et développer sanction et répression à titre de réponse responsabilisante de la société à tout acte anti-social »1. En somme, l’appel incantatoire aux droits de la personne serait surtout un renvoi aux devoirs de la personne. E. Kucza2 parle du Contrat Jeune Majeur (CJM), instauré en 1974 comme de la mesure inaugurant la notion de contrat entre usagers et ASE. En 1984, soit 10 ans plus tard, le contrat est un outil utilisé pour formaliser l’aide éducative administrative entre parents et ASE au domicile ou lors d’un placement. évolution législative de la contractualisation Le CJM doit comporter des engagements réciproques dans la mesure où il repose sur l’accord des deux parties, mais aussi dans le but « d’éviter les abus »3. Comme nous l’avons vu, la période des années 80 est marquée par le souci de la place des familles dans la
1
Op. Cit., p. 73. In C. De Robertis (dir.), le contrat en travail social, Op. Cit., p. 157. 3 E. Kucza, « contractualisation des relations entre parents, enfants, jeunes majeurs et les services de l’ASE, in C. De Robertis (dir.), Op. CIt., p. 158. 2
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protection de l’enfance. Le rapport Bianco-Lamy en 19801, sera en ce sens une étape importante dans la politique et la pratique professionnelle en protection de l’enfance. Entre 1984 et 1986, plusieurs lois et circulaires2 viennent encadrer l’accueil physique des enfants et l’action en milieu ouvert, en les adaptant au souci de la place des familles. Ainsi, la loi du 6 juin 1984 relative aux droits des familles dans leurs rapports avec les services chargés de la protection de l’enfance, établit « qu’aucune décision sur le principe ou les modalités de l’admission dans le service de l’ASE ne peut être prise sans l’accord écrit des responsables légaux du mineur, ou bénéficiaire lui-même s’il est mineur émancipé »3. Ce sera donc le contrat d’accueil provisoire, dans lequel sont consignés les modalités d’accueil, le référent de l’enfant à l’ASE, et la définition d’un projet. La notion de contrat permet notamment de définir une durée et vient ainsi souligner la dimension provisoire du placement quand le rapport Bianco-Lamy venait dénoncer des situations provisoires qui avaient tellement duré qu’on finissait par les oublier. Cette pratique contractuelle dans l’aide administrative relative à la protection de l’enfance s’est peu à peu installée, elle est même encouragée à se développer avec la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. L’ASE précise que ses missions comprennent en effet des actions tendant à « permettre aux intéressés d’assurer leur propre prise en charge et leur insertion sociale »4. A côté du contrat on trouve d’autres documents écrits : Document Individuel de
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« l’aide sociale à l’enfance demain », Ministère de la Santé et de la Sécurité Sociale, 1980. 2 Loi du 6 juin 1984, Décret du 23 août 1985, loi du 6 janvier 1986, circulaire du 18 février 1986. 3 articles 56-57. 4 Rapport d’activité 2007.
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Prise en Charge (DIPEC), le Projet Pour l’Enfant (PPE), entre autres. Le contrat d’accueil provisoire doit préciser les moyens d’action pour mettre fin à cette situation et formalise les engagements : l’ASE s’engage à prendre en charge l’hébergement et les conditions de vie quotidienne de l’enfant, et les parents s’engagent à agir sur leur situation et les motifs qui ont conduit à cette aide éducative. Celle-ci sera de plus en plus proposée plutôt que demandée, la loi du 5 mars 2007 encadrant strictement le recours à l’assistance éducative judiciaire, la recherche d’une solution administrative sera presque systématiquement recherchée. L’avènement du contrat en protection de l’enfance s’inscrit donc d’abord dans un nécessaire aménagement de l’intervention publique dans la sphère privée, dans ce qu’elle a de spécifique en France : une voie qui s’impose, la voie judiciaire, et une voie qui se négocie, la voie administrative. Le contrat participe dans un premier temps d’une volonté de redonner la parole aux familles dans un nouveau contexte où protéger l’enfant c’est aussi protéger sa famille. Toutefois, cette pratique contractuelle entraîne rapidement des interrogations. La question de la responsabilité serait renvoyée de la sphère publique à la sphère strictement privée, l’autorité publique ne s’incarnant plus que dans la sanction. Une autorité qui ne s’exerce que dans le pouvoir, donc en situation d’échec. M. Becquemin fait le constat d’un « assèchement de la politique d’action sociale, qui renvoie massivement les individus à leurs droits […] et leur fait porter toute la responsabilité des problèmes »1. Cette évolution s’inscrit dans le contexte plus général de la démocratisation de la vie privée où l’on peut voir dans les modes de vie privée, « une émancipation de l’individu à 1
Op. Cit., p. 93.
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l’égard des contraintes que faisait peser sur lui la famille traditionnelle »1. Dans ce contexte de développement individuel le jeune acquiert un statut propre. Il devient un acteur social qui pose des questions au politique : dangereux, en danger, il devient maintenant à insérer.
1
J. Commaille, C. Martin, Les enjeux politiques de la famille, Paris, Bayard, 1998, p. 39.
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La jeunesse dans les politiques sociales L’évolution des statuts privés se traduit en effet par une plus grande place des revendications de chacun dans la sphère publique. Ce qui se traduit par de nouvelles catégories sociales, objets de régulation politique. La jeunesse s’inscrit comme l’une de ces catégories et interroge l’intervention publique sur des modes nouveaux, liés au contexte social en changement. La famille évolue vers des échanges plus démocratiques, qui s’accompagnent d’une recherche de l’épanouissement individuel dans un contexte socioéconomique en mutation. Emergence du sujet jeune naissance du sujet jeune Comme nous avons pu le voir plus haut, la jeunesse fait l’objet d’un débat politique et sociétal depuis la fin du 19ème siècle. Ce débat est axé sur deux pôles : le danger qu’elle représente et le danger qu’elle encourt. Si cette dialectique est toujours présente, elle s’articule sur des représentations du jeune qui diffèrent. Si l’Ancien Régime voyait le jeune sous l’angle de la filiation, l’esprit des Lumières introduit une dimension éducative : le jeune est celui qui apprend. Le 19ème siècle « met l’accent sur une nouvelle image : la jeunesse comme rapport de générations »1, plus ou moins conflictuel ou conformiste selon les périodes. Avec le développement de la psychologie au 20ème siècle, on pense la jeunesse « comme un
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O. Galland, Sociologie de la jeunesse, Paris, Armand Colin, 4ème édition, 2007, p. 56.
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processus de maturation »1. C’est une période de crise, « un moment d’adaptation fonctionnelle »2. Enfin, à partir des années 60, la sociologie s’intéresse à son tour au sujet jeune et retient l’idée de passage, de transition, que propose la psychologie, mais en y intégrant d’autres paramètres, et regarde alors la jeunesse comme un « processus de socialisation », « une phase de préparation aux rôles adultes »3. Tout en étant contestée4, la catégorie jeune mobilise les sociologues, sans parvenir à une « définition stabilisée de la jeunesse ce qui conduit à envisager plusieurs niveaux de définition »5 : classe d’âge, fonction sociale, génération par exemple. Depuis les années 80, des évolutions majeures sont à prendre en considération : l’allongement de la jeunesse avec « des seuils qui l’encadrent qui se sont désynchronisés »6, et qui ne sont plus franchis de façon irréversible, que ce soit sur « l’axe scolaire-professionnel [ou] l’axe familialmatrimonial »7. Le contexte global est un contexte d’incertitude, marqué par une crise durable de l’emploi. Parallèlement, les mœurs ont évolué vers une plus grande liberté dans la vie quotidienne des adolescents, dans le choix de leurs fréquentations, leur parole, leur sexualité. Un contexte qui rend d’autant plus floues la catégorie jeune et ses fonctions sociales, et interroge d’autant plus la notion d’adulte. Mais pour O. Galland, « la définition 1
O. Galland, Op. Cit. Idem. 3 Ibid p. 127. 4 Notamment dans le texte qui fait date de P. Bourdieu, « La jeunesse n’est qu’un mot », 5 A. Vulbeau, « La socialisation urbaine des jeunes », in J. Beillerot, N. Mosconi (dir.), Traité des Sciences et pratiques de l’éducation, Paris, Dunod, 2006. 6 O. Galland, V. Ciccheli, Les nouvelles jeunesses, Paris, La Documentation Françoise, n° 955, déc. 2008, p. 8. 7 Idem. 2
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classique de la jeunesse comme phase préparatoire aux rôles adultes semble toujours opératoire [car malgré ces nombreux changements] les éléments les plus classiques du statut adulte – lié notamment au travail et à la famille – demeurent de solides référents dans les représentations qu’ont les jeunes de leur avenir »1, qu’ils y adhèrent ou pas. naissance du jeune majeur R. Chinaud déclare, lors des débats du 6 juin 1974 à l’Assemblée Nationale, que la jeunesse est un passage et non un droit, et que la famille est le « véritable foyer de notre civilisation ». C’est que le Premier Ministre de l’époque, J. Chirac, annonce le même jour ce qu’il déclare comme le projet le plus ambitieux du gouvernement nouvellement en place, le projet d’abaissement de la majorité. Cette mesure, érigée en symbole du changement, fait son chemin depuis une dizaine d’années déjà. Appliquée dans d’autres pays, la majorité à 18 ans est d’ailleurs recommandée par le Conseil de l’Europe. Il s’agit essentiellement d’abaisser l’âge légal du droit de vote, même si certains auraient voulu repousser la réforme de la majorité civile. L’enjeu est de rééquilibrer le corps électoral, qui s’élargit à une extrémité en raison de l’accroissement de l’espérance de vie. Il doit lui correspondre « un abaissement des conditions d’âge d’entrée dans la cité [afin d’éviter] le trop rapide vieillissement du corps électoral »2. En 1814, sous la Restauration, la majorité électorale est fixée à 30 ans, puis à 25 en 1830 (Monarchie de Juillet). En 1848 elle est abaissée à 21 ans, et coïncide alors avec la majorité civile fixée à 21 ans depuis 1875. En 1946, le projet 1
Op. Cit., p. 127. M. Poniatowski, ministre de l’intérieur, Assemblée Nationale, séance du 25/06/1974, Journal Officiel, 1974, n° 35 A.N. 2
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de la Constitution prévoyait de fixer la majorité civile à 20 ans, mais cette proposition n’a pas été retenue. Un certain nombre de droits étaient cependant accordés aux moins de 21 ans, par exemple en matière de nationalité, d’émancipation, ou encore de vie syndicale. La censure sur les films s’arrêtait à 18 ans. Cette mesure, qui concernait alors 2,5 millions de jeunes, est présentée comme nécessaire pour plusieurs raisons par les réformateurs. Sur le plan biologique, la puberté aurait avancé de deux ans. Par ailleurs, M. Terrenoire1 note que l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans et l’allongement des études supérieures favorisent une maturité précoce. Ce en quoi d’ailleurs il y a un débat : une grande partie des jeunes en 1974 ont encore une entrée précoce sur le marché du travail. Le développement de l’information, l’accès plus grand à la culture et aux voyages rendent les jeunes « capables de former leur jugement à un âge plus précoce que par le passé »2. Enfin, le gouvernement prône une démocratisation de la vie collective, pouvant créer chez les jeunes « un sentiment de responsabilité qui leur échappe parfois aujourd’hui et les porte à agir en dehors des règles de la société politique »3. Pourtant, R.A Vivien, lui-même auteur de propositions de loi allant dans le même sens et auparavant rejetées, insiste sur la population jeune active, et demande que ne soit pas confondu jeunesse et monde étudiant. Le devoir de la civilisation est, rappelle-t-il, de « faciliter l’insertion dans la
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Rapporteur de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. 2 M. Poniatowski, Op. Cit. 3 Idem.
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société de ceux qui accèdent à la vie adulte »1, et il insiste sur une solidarité intergénérationnelle. Le seuil de la majorité divise clairement la population jeune en deux, de façon d’autant plus claire après 1974. Elle établit un statut de majeur, opposé à celui de minorité. Aux premiers, se rattachent automatiquement tous les attributs de l’adulte : autonomie et responsabilité. Le mineur, considéré comme vulnérable, doit être protégé, d’abord par son milieu ; mais éventuellement de ce milieu, c’est ce qui fonde l’assistance éducative. L’appareil judiciaire, quand il est amené à intervenir, vient confirmer ce statut de mineur et marquer le projet de la société qui « reconnaît la “dette sociale” qui la lie à l’ensemble des jeunes, et essaye de se donner le maximum de chances pour qu’ils deviennent des adultes autonomes et responsables »2. Toutefois ce passage d’un statut à l’autre est organisé par une acquisition progressive de certains droits. Pour F. Labadie, cette situation induit des incertitudes concernant les statuts de mineur et de majeur, et en conséquence créé des « tensions entre les démarches à visée de protection et d’autres à visée de responsabilisation »3, qui ne peuvent pas se régler d’elles-mêmes à la date des 18 ans, et doit sans doute perdurer au-delà de la minorité. naissance du jeune adulte La question de l’allongement de la jeunesse vient notamment d’une plus longue dépendance familiale due à
1
Assemblée Nationale, séance du 25 juin 1974, Journal Officiel, 1074, n°35 A.N. 2 F. Bailleau, « Une autre lecture de la justice pénale des mineurs », in C. Bec, G. Procacci (dir.), De la responsabilité solidaire, Paris, Syllepse, 2003, p. 228. 3 F. Labadie, Op. Cit., p. 22.
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l’allongement des études et une vie active stable plus tardive due aux difficultés d’accès au marché du travail. La notion de jeune adulte remplace peu à peu d’autres déterminants de la jeunesse et elle a la particularité d’être transversale : « elle s’applique aussi bien aux jeunes scolarisés qu’aux jeunes en difficulté d’insertion professionnelle »1. Elle traduit des changements profonds dans les passages à la vie adulte : « là où on espérait des séquences ordonnées et normalisées […] on observe aujourd’hui une réversibilité des situations des jeunes adultes »2. Les auteurs parlent d’une familialisation de la jeunesse, héritée, pour F. Labadie, de la société du 19ème où le « jeune relève d’abord de la responsabilité de sa famille »3. Cette conception coexiste, comme nous l’avons vu, avec un Etat soucieux de traquer les dysfonctionnements de la famille. Comme le souligne V. Cicchelli, « l’expression “jeune adulte” unit deux éléments apparemment contradictoires […] et permet de classer idéalement les jugements portés sur l’allongement de la dépendance entre les parents et les jeunes, en saisissant ce qu’ils partagent »4. Le « jeune adulte » renvoie donc tant à une notion de manque qu’à une notion d’acquis, au moins partiels, nouvelle donne dans les rapports intergénérationnels. Toutefois, l’allongement de la dépendance a bien moins de références positives, lorsqu’il découle de la précarité professionnelle des jeunes, surtout de ceux qui sont peu diplômés.
1
Cicchelli, Martin, Pugeault-Cicchelli, « Les jeunes adultes en France : un débat politique et scientifique », in P. Loncle (dir.), Les jeunes, questions de société, questions de politique, Paris, La Documentation Française, 2007, p. 29. 2 Cicchelli, Martin, Pugeault-Cicchelli, Op. Cit., p. 30. 3 Op. Cit. p. 24. 4 V. Cicchelli, « les jeunes adultes comme objet théorique », Recherche et Prévisions,n° 65, septembre 2001, p. 40.
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Pour O. Galland, l’une des explications de l’allongement de la jeunesse, période de transition, serait que « nous sommes passés d’un modèle de l’identification à un modèle de l’expérimentation […] et qu’aujourd’hui le statut et l’identité d’adulte se construisent plus qu’elles ne s’héritent »1. Cette définition d’une jeunesse adulte fonctionne sur le mode de la dépendance générationnelle dans le groupe familial, reconnue par les politiques familiales. Les prestations sont versées jusqu’à 21 ans moins 1 jour, mais aux parents non au jeune lui-même, et le Code Civil fixe une obligation alimentaire le temps des études jusqu’à « l’occupation d’un emploi stable »2. L’Etat manifeste ainsi son choix contre l’instauration d’un statut social jeune. Et pourtant, la jeunesse continue d’interroger l’intervention publique, influencée par des représentations du jeune comme victime ou du jeune comme porteur de changement. La jeunesse : terrain d’expérimentation de l’insertion C. Guérin-Plantin relève que l’action publique en direction des jeunes, que ce soit l’éducation surveillée devenue protection judiciaire de la jeunesse, la prévention spécialisée, ou l’action sociale, « ne fait une place spécifique aux problèmes que rencontrent les jeunes en tant qu’ils ont à s’installer dans la vie »3, problèmes qui ont été pris en charge par des acteurs différents.
1
Op. Cit. , p. 165. C. Van de Velde, Devenir adulte, sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris, PUF, 2008, 156. 3 C. Guérin-Plantin, Genèse de l’insertion, Op. Cit., p. 19. 2
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la jeunesse révélatrice du changement Si la jeunesse est parfois vue comme une force positive, porteuse de changement, elle est en tout cas révélatrice du changement, qu’elle expérimente en premier. Si on se situe sur le plan socio-économique, les jeunes représentent la catégorie qui subit le plus les transformations du salariat. L’accès au monde du travail est caractérisé par des revenus faibles, des emplois précaires. C’est d’ailleurs d’abord la question de la qualité de l’emploi et des conditions de vie qu’il offre aux jeunes qui seront analysés : l’objet d’études est alors le jeune travailleur, dont les difficultés à se loger seront à l’origine de la création des Foyers Jeunes Travailleurs (FJT). La question du chômage, elle, « n’a pas surgi brusquement avec la crise, elle a en quelque sorte précédé les faits », pointe C. Guérin-Plantin1. Si en 1962 le nombre des chômeurs n’atteint que 208 000, plus des ¾ de ces personnes sont âgés de 15 à 24 ans. Ce n’est qu’avec l’augmentation rapide du chômage que l’on regarde la question comme un problème social grave, qui touche d’abord les plus jeunes : 45% des chômeurs avaient moins de 25 ans, en 1975, alors que cette tranche d’âge ne constituait que 18% de la population active. La massification du chômage étendue à toutes les populations, mais qui touche prioritairement les jeunes, porte la référence à l’insertion des jeunes en première ligne des préoccupations, tenant à elle seule la thématique plus large du passage à l’âge adulte.
1
C. Guérin Plantin, Genèse de l’insertion, Op. Cit., p. 25.
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la jeunesse terrain d’expérimentation d’une nouvelle politique la politique d’insertion Avec le rapport de B. Schwartz en 1981, les jeunes apparaissent sous une double problématique : à la fois victimes et ressource. Victimes de l’école qui échoue dans sa mission d’égalité, victimes du marché du travail, victimes de la société qui « les tient pour responsables de leur non intégration »1. Mais ressource, car capables d’innover si on leur en donne les moyens. B. Schwartz propose une vision novatrice, car pour lui la situation n’est pas seulement le fait de l’économie, il faut rendre la société plus accueillante pour les jeunes, et particulièrement le monde de l’entreprise. Il ne s’agit plus de parler de jeunesse en difficulté mais de difficulté d’être jeune. Si les jeunes ne sont plus des êtres à façonner mais qui se façonnent eux-mêmes, il faut leur donner les moyens de leur autonomie : le problème n’est donc pas le chômage mais une question de culture. Toutefois le ressort essentiel du dispositif d’insertion des jeunes va s’appuyer sur la formation, qui devient centrale désormais dans les politiques à destination de la jeunesse. « Un nouveau mode de socialisation post-scolaire se met en place […]. Il s’agit maintenant de gérer une situation de précarité de masse qui fait suite à l’école pour ceux […] qui en sortent sans qualification »2. Toutefois ces dispositifs de formation orientée vers l’insertion étaient revendiqués comme un palliatif temporaire, voué à la disparition, soit qu’on estimât que le problème du chômage lui-même comme un fait temporaire et passager, soit qu’on voulût se défendre d’instaurer « un système de 1 2
C. Guérin Plantin, Genèse de l’insertion, Op. Cit., p. 25. O. Galland, Op. Cit., p. 89.
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formation bis, une sorte de voie de formation spécialement conçue pour les pauvres »1. Pourtant « la disparition de ce système de formation parallèle ne s’est pas vérifiée, au contraire il a été très vite étendu aux adultes »2. La jeunesse a donc expérimenté tout un système qui s’est pérennisé et massifié. Mais en même temps que la question de l’insertion touche les adultes, elle bascule dans le traitement de la pauvreté. En accolant à l’insertion un revenu minimum, le dispositif d’insertion bascule dans l’assistance, dont les jeunes seront exclus. la politique de l’emploi « Il apparaît aussi normal aujourd’hui à un jeune […] de commencer sa vie post-scolaire par un stage qu’il apparaissait normal, il y a 20 ans […] de se faire embaucher dans l’entreprise où travaillait son père », écrit O. Galland3. L’accès des jeunes à l’emploi est souvent marqué par une période transitoire plus ou moins longue où alternent des périodes de chômage, des petits boulots, ou des statuts intermédiaires. Une situation en quelque sorte entérinée par la politique pour l’emploi des jeunes, qui a donné lieu à plusieurs dispositifs d’aide à l’emploi des moins de 26 ans, à la suite du rapport Schwartz, puis de la loi contre les exclusions de juillet 1998. Cette multiplication des statuts intermédiaires est concomitante d’une modification des politiques d’embauche des entreprises, qui « cherchent dorénavant à tester les compétences des jeunes qu’elles recrutent durant des périodes d’essai ou des phases probatoires qui ont tendance à s’allonger »4. Une posture qui s’adresse prioritairement aux jeunes mais qui semble se 1
C. Guérin Plantin, « Formation et insertion », Op. Cit., p.15. Idem, p. 19. 3 Op. Cit. p. 91 4 O. Galland, Op. Cit., p. 165. 2
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généraliser comme le montre l’exemple du Contrat Nouvelle Embauche (CNE). Comme les mesures concernant les jeunes, il s’agit de proposer à l’entreprise des conditions d’emploi aménagées : exonération de charges sociales, aménagement du préavis de licenciement par exemple. Par ailleurs, le RSA, entré en vigueur le 1er juin 2009, et dont les jeunes restent exclus1, peut faire craindre un élargissement et une pérennisation des statuts intermédiaires, créant ainsi une situation particulière : « à moitié un travailleur, et à moitié un assisté »2. Enfin, F. Lefresne remarque qu’un « grand nombre d’emplois non qualifiés ont été créés, bénéficiant en premier lieu aux jeunes diplômés »3. Les plus vulnérables, censés tirer le plus grand avantage de ces mesures, restent en dehors de l’entreprise. Il semble que les jeunes soient annonciateurs de changements qui concernent l’ensemble de la société. Les premiers touchés par le chômage au lendemain des années 70, ils sont maintenant les « premiers concernés par l’effritement de la norme du contrat à durée indéterminée et de certaines protections statutaires »4. Terrain d’expérimentation de la politique d’insertion, celle-ci leur échappe en partie quand elle est généralisée au reste de la population. Ainsi, traiter de la jeunesse va au-delà de ses aspects spécifiques, et touche aux transformations de la société de manière plus globale. 1
Ne peuvent bénéficier du RSA que les personnes de moins de 25 ans (sauf quand elles ont un enfant à charge). Les étudiants relevant du régime étudiant (jusqu’à 29 ans) ne peuvent en principe pas prétendre non plus à cette allocation, y compris quand ils ont une activité professionnelle ajointe. www.rsa.gouv.fr 2 R. Castel : www.forums.nouvelobs.com. 3 F. Lefresne, « les jeunes et l’emploi : parcours et dispositifs », in Les jeunes : questions de société, questions de politiques, P. Loncle (dir), p. 73. 4 F. Lefresne, Op. Cit., p. 75.
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Chantal Guérin-Plantin note1 que l’insertion va passer d’un statut de nouvelle variété éducative à celui d’une nouvelle variété d’assistance. En se généralisant, la politique pensée pour les jeunes peut perdre certains de ses aspects les plus novateurs. Jeunesse à insérer, jeunesse à protéger Ainsi, si l’insertion concerne tout le monde, elle est dirigée presque exclusivement vers l’emploi. De l’insertion subsiste surtout le volet professionnel, tandis que le volet social semble escamoté. L’idée de B. Schwartz concernant l’insertion des jeunes était pourtant une prise en charge globale des difficultés qui devait permettre, par la coordination des acteurs concernés, d’articuler insertion professionnelle et insertion sociale. Il semble que dès le départ, cette question ait posé problème. C. Guérin-Plantin cite B. Schwartz dans un entretien avec D. Mansanti2 : « nous savions que la partie sociale ne serait pas prise au sérieux » 3. Partant du principe que si tous les jeunes concernés rencontrent une difficulté d’emploi, rares sont ceux qui ne connaissent pas de difficulté dans d’autres domaines, qu’il paraissait nécessaire de prendre en compte, pour essayer de les régler, au moins en partie, avant même de s’attaquer à la question de l’emploi. Difficultés matérielles ou psychologiques devaient donc être prises en compte, et articulées avec l’emploi, lui-même pouvant amener des modifications dans la dimension sociale du sujet.
1
Genèse de l’insertion, Op. Cit. D. Mansanti, L’insertion des jeunes : élaboration d’une politique, 1995, sous la direction de RENARD D., Université Pierre Mendès-France de Grenoble, Institut d’Études Politiques. 3 Idem, p. 77. 2
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« L’insertion a […] donc été définie comme une sorte de socialisation »1. La proposition du rapport était à cet égard novatrice car elle insistait sur la nécessité de regrouper des acteurs issus de cultures professionnelles et institutionnelles différentes, en lien avec la jeunesse : protection, éducation, formation, santé, logement. « [les jeunes] devaient être considérés en tant qu’ils étaient chômeurs et non clientèle particulière d’une institution sociale »2, menant ainsi une politique d’insertion à destination des jeunes dans leur ensemble, chacun, à l’intérieur de ce tout, étant considéré dans sa propre globalité. Malgré ce principe d’indifférenciation des publics, les dispositifs sont critiqués sur des principes de sélection, induits par une concurrence des jeunes entre eux, « les plus dégourdis ou mieux dotés [prenant] les places en priorité »3. De plus, l’action de formation post-scolaire est devenue l’axe central de la politique sociale envers les jeunes. O. Galland note qu’il « s’agit maintenant de gérer une situation de précarité de masse qui fait suite à l’école »4. Il s’appuie sur C. Dubar et ses trois modes de socialisation liés à ces dispositifs qui hiérarchisent les publics, et classe au niveau le plus bas, les jeunes « qui relèvent de l’action sociale et de l’éducation spécialisée […] public cible des stages d’insertion. Leur socialisation relève d’une « gestion des risques sociaux »5. En haut de l’échelle se placent les jeunes déjà positionnés dans la sphère de l’emploi, avec une hiérarchie propre au monde de l’entreprise en lien avec le niveau de qualification. En position intermédiaire, l’auteur place ceux qui ont connu « des formes d’exclusion en
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Op. Cit., p. 12. C. Guérin-Plantin, Genèse de l’insertion, Op. Cit., p. 11. 3 Idem, p. 14. 4 Op. Cit. p. 89. 5 Termes empruntés à C. Dubar. 2
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douceur de l’école mais qui ne sont pas stigmatisés »1, qui vivent une « socialisation en termes de rescolarisation d’attente »2. L’idée d’un dialogue entre le social et le professionnel semble donc réduite à l’action de formation qui se dissocie de l’action culturelle et de l’action éducative. Parallèlement, l’idée d’indifférencier les publics disparaît derrière des processus de sélection et de reproduction. Malgré la tentative des missions locales, le clivage institutionnel demeure et conduit à des prises en charge et des trajectoires segmentées. Celles-ci semblent répondre à la commande institutionnelle et l’on peut se demander quelle est la place de la personne dans ces logiques d’action.
1 2
O. GAlland, Op. Cit., p. 89. Idem.
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La logique de contrat La place de l’usager va être de plus en plus mise en question. Les mesures liées à l’emploi et à l’insertion expérimentées sur la jeunesse, vont se développer alors même que la critique commence à percer. La puissance publique cherche comment répondre à la question sociale qui pose de nouveaux défis au travail social, désormais incontournable malgré les critiques de “contrôle social”. C’est dans ce contexte que va se développer la logique de contrat dans l’action sociale : va-t-elle permettre de faire face à ces nouveaux défis ? Un outil de protection ? La notion de contrat occupe la philosophie comme les sciences sociales, qui l’analysent en tant que ciment de nos sociétés organisées. Le contrat induit la notion de relation. Il désigne « un rapport interpersonnel, moral, social ou juridique, et signifie un engagement de deux parties, librement consenti »1. Dans le domaine du droit, le contrat fait figure de fondement juridique : il organise la vie sociale et la vie privée : mariage, propriété, commerce par exemple. Pour les solidaristes, ces contrats particuliers découlent d’un contrat à l’échelle de la société, qui s’incarne dans le principe de solidarité. Pour Malik Boumediene, l’Etat dispose de deux techniques pour organiser la protection sociale : la loi et le contrat, le contrat apparaissant quand il y a remise en cause
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B. Bouquet, « Contrat », in J-Y Barreyre, B. Bouquet, Op. Cit., p. 141.
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de la loi1. Il met alors en régulation les seuls contractants et non des systèmes collectifs. R. Castel montre comment, dans le domaine du travail, le contrat apparaît d’abord dérégulateur dans la société libérale du 19ème siècle. La liberté d’accès au travail, scellée par le contrat, s’inscrit en dehors de toute réglementation et protection. Mais au fur et à mesure que se construit un droit du travail et les protections collectives liées au salariat, le contrat peut marquer l’entrée dans cette protection, en tant qu’adhésion à un ensemble de règles négociées entre des partenaires sociaux2. La société salariale […] est une société composée non pas d’égaux, mais de semblables »3, certes hiérarchisée, mais qui repose sur des relations d’interdépendance, le collectif étant porteur pour chacun de droits communs. Le débat porte sur la capacité protectrice du contrat en tant qu’outil désaccordé d’une dimension collective. Pour M. Boumediene, « la technique contractuelle entraîne l’atomisation de la protection sociale c’est-à-dire l’individualisation des protections »4. Alors que P. Rosanvallon parle d’un “individualisme contractuel” dans lequel « le respect principal de l’individu va de pair avec la reconstruction du lien social »5, R. Castel voit dans la contractualisation « une recomposition de l’échange social sur un mode de plus en plus individualiste »6, et décrit un “individualisme négatif” qui
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M. Boumediene, La place de la loi et du contrat dans la garantie du droit à la protection sociale, de 1945 à nos jours, Paris, Editions Publibook Université, 2006. 2 R. Castel, La métamorphose de la question sociale, Paris, Fayard, 1995. 3 S. Paugam, « Repenser la solidarité, vers un nouveau contrat social ? », Partage, n° 192, janvier 2007, p. 5. 4 Op. Cit., p. 465. 5 P. Rosanvallon, La nouvelle question sociale, Editions du Seuil, 1995, p. 187. 6 Op. Cit. , p. 470.
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« soustrait la personne des collectifs et se décline en terme de manque »1. L’intervention sociale fait référence à cette logique de contrat pourtant ambiguë : manière de tenter de rééquilibrer un rapport de dépendance ou simple contrepartie ? Un outil de travail les origines Le contrat dans l’action sociale se développe d’abord aux Etats-Unis dans les années soixante sans grand retentissement, dans un premier temps, sur le travail social en France. Mais en 1977, l’association ATD Quart Monde décide de l’utiliser dans le travail avec les familles en voie de relogement. Partant du principe que « l’aide forcée ou imposée est perçue par le client comme une intrusion, comme une humiliation, elle devient alors totalement inefficace »2, le contrat en travail social implique « la reconnaissance du client comme responsable de sa vie […]. Il réaffirme l’importance de la participation active de l’usager dans la résolution de ses propres problèmes »3. Après le débat qu’a fait naître la critique du contrôle social, le contrat peut apparaître comme un outil de travail “éthiquement correct”, garantissant le débat contradictoire et l’engagement réciproque. Surtout il instaure l’usager comme acteur dans la relation d’aide, et non seul objet d’aide.
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R. Castel, La métamorphose de la question sociale, Op. Cit. C. De Robertis, « Le contrat : méthodologie professionnelle des travailleurs sociaux », in C. De Robertis (dir.), Op. Cit., p. 59. 3 Idem, p. 60. 2
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Pour autant, le contrat ne rend pas la relation égalitaire, et permet « d’établir une relation sur des bases explicites sans toutefois effacer les rôles et pouvoirs différents de chacun »1. les principes théoriques Le contrat va de pair avec le projet et les moyens de le mettre en œuvre, mais aussi l’évaluation des résultats au vu des objectifs fixés. C. De Robertis définit le contrat en action sociale en quatre phases. La phase préliminaire doit permettre d’établir une relation de confiance et d’évaluer les ressources. C’est au cours de la phase de négociation que sont posés les problèmes. Les objectifs doivent être définis d’un commun accord, ainsi que le plan de travail, et formalisés sous la forme du contrat. Suivent une phase de mise en œuvre et une phase d’évaluation. L’auteur pointe que « flexibilité et souplesse sont les conditions indispensables pour que le contrat reste une technique professionnelle « centrée sur le client, sur ses besoins et son évolution »2. Elle ajoute que le travail social médiatisé par le contrat doit rester vigilent vis-à-vis des difficultés qui peuvent nuire à l’intérêt de cette pratique. L’usager peut avoir des difficultés à investir cette forme de relation, le contexte économique et institutionnel peut rendre difficile la mise en œuvre des objectifs, et le travailleur social lui-même peut désinvestir cet outil ou le dénaturer en l’utilisant de façon routinière ou standardisée. De plus, B. Bouquet relève que parfois, « ce qui fonde le contrat (libre adhésion, volonté concordante) n’est pas vraiment respecté du fait de son caractère obligatoire dans la plupart des cas »3. Ce qui est le cas dans la protection de 1
C. De Robertis, Op. Cit., p. 59. Op. Cit., p. 73. 3 Op. Cit., p. 73 2
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l’enfance comme nous l’avons vu plus haut, mais qui s’est généralisé à d’autres secteurs de l’action sociale. Il faut dire que si l’apparition du contrat comme technique de travail social date de 1977, il ne s’impose que progressivement. Dans le cadre d’orientations visant à garantir les droits des usagers, le contrat devient un outil essentiel et officiel de la pratique, permettant de donner à l’usager sa place d’acteur. A partir de 1983, avec la décentralisation, le travail sur l’amélioration de l’accueil des usagers de l’ASE donne une large place à la notion de contrat, renforcée, mais peut-être éclipsée, dans le champ de l’hébergement, par le contrat d’adhésion au règlement intérieur. Avec le RMI, on assiste à un tournant : le contrat acquiert en quelque sorte une reconnaissance théorique, mais sa mise en œuvre va rapidement poser de nombreuses questions. Un outil de la politique d’insertion le RMI et le contrat d’insertion C’est en effet dans la politique d’insertion que le contrat prend une place centrale, puisqu’il devient l’outil obligatoire du dispositif du RMI en 1988. Devant l’ampleur du phénomène de l’exclusion, le politique décide de mettre en place une politique dite d’insertion. On a vu comment lui précède une pensée de l’insertion à travers les politiques sociales envers la jeunesse. Ici, toute la population est concernée : des individus adultes, en capacité de travailler, se trouvent privés de ressources pour assurer un niveau de vie minimum pour eux-mêmes et pour leur famille. D’un autre côté, le marché du travail s’est modifié et le chômage n’est plus un dérèglement passager qui touche une frange minime de la société (les jeunes et les femmes). D’où
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la préoccupation des politiques et leur tentative d’interagir sur cette double problématique. Les deux objectifs sont conjointement poursuivis par des « stratégies intégrées d’insertion, qui visent à transformer des mesures passives de soutien au revenu, en mesures actives sur le marché du travail »1. En principe définie comme un droit, l’insertion peut être considérée comme une contrepartie à l’allocation. Pourtant, dès le début, l’insertion est définie sur plusieurs niveaux, et la dimension professionnelle ne représente qu’un des axes possibles. L’insertion sociale, par le logement ou la santé par exemple, peut figurer comme objectif de contrat. Une Commission Locale d’Insertion (CLI) est chargée de valider ces contrats. Son rôle s’étend également à l’évaluation de la mise en œuvre du contrat en terme de respect des engagements qui conditionne le versement des allocations, lesquelles peuvent être suspendues à la demande de la CLI. Elle veille aussi à ce que la collectivité facilite la réalisation du projet. En d’autres termes, chaque partie s’engage en quelque sorte à être de bonne volonté. C’est cette bonne volonté qui sera évaluée, car l’allocation ne dépend pas des résultats mais de l’engagement. « Peu importe que l’insertion dans le marché du travail ne se réalise que de façon résiduelle »2. du transitoire qui dure Rapidement, on réalise que le RMI, pour une partie des allocataires, n’est pas un stade transitoire dans le parcours, mais un état durable, qui ne permet pas toujours d’accéder au volet professionnel de l’insertion. Pour ces allocataires, le volet insertion du dispositif ressemble davantage à de l’occupation : un “état transitoire durable” que R. Castel 1 2
C. Bec, G. Procacci (dir.), Op. Cit., p. 15. Idem.
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compare à celui que vivent « les jeunes qui errent de stage en stage »1, ou les chômeurs de longue durée. Le ressort essentiel va reposer sur la notion de projet, censé mobiliser les ressources positives du sujet et insuffler une dynamique. C’est pourtant une idée dangereuse pour R. Castel qui pointe qu’on « demande à un sujet démuni de se construire comme un sujet autonome, de faire un projet professionnel, ou même un projet de vie ; or cela ne va pas de soi2 ». un bilan mitigé Dans ce contexte, l’action sociale repose de plus en plus sur l’individu : ses ressources, ses projets, son engagement, sa responsabilité. P. Rosanvallon parle d’un “nécessaire réformisme de l’individu”, « réformisme adapté à la pluralité des situations dans lesquelles se trouvent les acteurs »3, mais l’individualisme dans l’action sociale c’est aussi déconnecter le sujet du contexte social qui concerne la collectivité, et faire peser sur lui la responsabilité de sa situation. L’usager doit s’activer en vue de son insertion. En somme, la validité du contrat en tant qu’outil d’insertion se résumerait, dans bien des cas, à n’insérer en fait que dans le dispositif lui-même4. C’est pourtant une formule qui perdure dans la politique du Revenu de Solidarité Active (RSA)5, dont le montant de l’allocation « peut être soumis à l’obligation d’entreprendre des actions favorisant une meilleure insertion professionnelle et sociale »6. 1
Op. Cit., p. 433. « Les métamorphoses de la question sociale, conférence-débat », Op. Cit. 3 Op. Cit., p. 222. 4 C. Bec, G. Procacci, Op. Cit. 5 Dans lequel sera fondu le RMI. 6 www.rsa.gouv.fr. 2
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Ainsi pour étayer notre recherche sur l’articulation entre logique de contrat et logique de protection dans la mise en œuvre du CJM, nous nous sommes d’abord interrogés sur les fondements de la protection de l’enfance : ses missions et ses orientations s’appuient sur des représentations de la famille, et mettent en jeu le principe d’autorité. La protection de l’enfance articule les notions de suppléance familiale et de justice sociale, et s’inscrit dans un souci de réduction des inégalités. Elle pose de ce fait une question politique qui lie protection et autorité : hiérarchie naturelle indiscutable ou démocratique (pouvoir émancipateur) ? Avec l’allongement de la jeunesse et les modifications du contexte social dont les jeunes sont les premières victimes, les questions de protection croisent celles de l’insertion, qui va s’étendre à la population générale, en modélisant des techniques nouvelles d’intervention sociale qui font débat, telles que le contrat. Le CJM va donc se trouver au carrefour de ces nouveaux enjeux.
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LE CONTRAT JEUNE MAJEUR
La mise en œuvre du CJM pose la question du positionnement des Départements puisque le législateur met à leur disposition une mesure inscrite dans la loi, mais à inventer dans la pratique. C’est en l’analysant que l’on peut comprendre l’orientation qui est donnée à ce cadre.
Le cadre Avant d’analyser la mise en œuvre du CJM sur notre territoire, nous proposons de poser le cadre légal dans lequel s’inscrit cette mesure, et de voir comment il est répercuté sur l’institution. Cadre légal Le Contrat Jeune Majeur (CJM), tel qu’on le nomme désormais1, est une aide qui s’adresse aux jeunes de 18 à 21 ans, rencontrant de graves difficultés d’insertion. D’abord essentiellement dirigée vers les adolescents pris en charge par l’ASE, cette disposition naît de l’abaissement de la majorité en 1975, et donne lieu à deux décrets : décret 75-96 du 18 février 1975 pour ce qui concerne le secteur judiciaire, décret du 2 décembre 1975 pour la protection administrative de l’enfance en danger. La loi du 6 janvier 1986 en fait une mission de l’ASE après la décentralisation et étend explicitement l’aide à tous les jeunes majeurs en difficulté, y compris ceux qui n’auraient pas été suivis mineurs. Dans l’esprit de la loi de 1984 définissant les relations entre usagers et ASE, il s’agit donc d’un engagement contractuel, mis en place selon l’évaluation des services départementaux. Une protection judiciaire jeune majeur, dans le prolongement de l’assistance éducative existe également : à 1
En effet, dans la pratique, le mot “contrat” s’est peu à peu substitué à ceux de “protection” ou “d’aide”.
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la demande du jeune, le juge décide de l’opportunité d’ordonner une mesure de protection et le cas échéant, confie l’exécution de la mesure à un tiers, souvent une association. Le financement relève alors de l’Etat, représenté par les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Si les mineurs accueillis à l’ASE peuvent l’être à la demande du JE, en revanche tous les jeunes majeurs accueillis à l’ASE relèvent du dispositif administratif. L’activité de l’ASE dans le département enquêté activité chiffrée En 2007, le service de l’ASE dénombre 4 933 jeunes (mineurs et majeurs confondus) accueillis à l’ASE (et par ailleurs 4 333 sont concernés par une mesure éducative en milieu ouvert, c'est-à-dire au domicile familial). La part des mesures administratives est de 33%, contre 67% pour les mesures judiciaires. Sur la totalité des jeunes accueillis, les jeunes majeurs représentent 22%, soit 1 115 jeunes, part qui représente en fait une hausse de 8 % sur les dix dernières années. Le mode d’accueil privilégié est l’accueil en établissement (63%), dont un quart en Foyer Jeunes Travailleurs. La durée moyenne de séjour des jeunes placés à l’ASE en 2007 est de 4 ans et 7 mois, alors que par définition un jeune majeur ne peut être accueilli plus de 3 ans. Ce jeune majeur est un garçon dans 55 % des cas. Un tiers des jeunes concernés par un contrat jeune majeur a été pris en charge en tant que Mineur Etranger Isolé (MEI). Il est à noter que nous prendrons le parti, dans nos entretiens, de ne pas traiter ces situations qui mettent en jeu des problématiques bien particulières liées au droit de séjour : en effet, arrivés mineurs en France, ces jeunes se retrouvent dans une situation de séjour complexe au moment de la majorité. La résolution de
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ce problème entraîne un positionnement particulier à la fois de l’institution et du travail éducatif auprès du jeune1. Il nous a semblé que ces situations constituaient une question à part entière, car elles posent des enjeux cumulatifs, qui dépassent notre questionnement sur l’articulation protectionresponsabilisation. l’activité des travailleurs sociaux Dans la pratique de notre échantillon, le travail avec les jeunes majeurs est très variable d’un professionnel à un autre. Globalement la part des jeunes majeurs est de 19 % sur la totalité des situations suivies, part qui varie donc de 9,5% à 31,5% parmi les personnes interrogées. Tous les professionnels sans exception nous ont précisé que l’accueil des jeunes majeurs n’était pas la priorité pour l’ASE, qui concentre son activité prioritairement sur les mineurs et leur famille. Le cadre socio-éducatif interrogé confirme et précise qu’il s’agit d’une mesure qui « va bien à des mineurs qui deviennent majeurs et qui sont dans la poursuite d’un projet ». Le travail avec les jeunes majeurs a toujours été minoritaire ; il est en augmentation faible mais constante depuis une dizaine d’années : 14,6% en 1997, 16,5% en 2002 et donc 22,6 % en 20072. Il semble que parallèlement, la demande de contrats jeunes majeurs (CJM) a largement augmenté sans que nous ayons pu obtenir de chiffres, non plus sur le pourcentage d’accords et rejets de ces demandes et son évolution récente. « Il y a de moins en moins de CJM ; on annonce de moins en moins de moyens de façon générale donc forcément les 1
A leur majorité, les jeunes étrangers isolés font l’objet, dans ce département, d’une évaluation particulière soumise à l’avis d’une commission spéciale, préalable à la procédure classique. 2 Sur le département.
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CJM sont les premiers qui payent », explique I1. Une préoccupation reprise par tous les interrogés : « je pense que les Conseils Généraux à l’heure actuelle en ont marre de donner de l’argent sans forcément savoir où il passe », déclare C, « peut-être qu’un jour il n’y aura plus de CJM parce que cela coûte trop cher », ajoute un de ses collègues (D). « C’est comme si le service de l’ASE disait l’ASE ce n’est qu’un bout des missions […], comme si on devait sérier dans les catégories de population », explique un éducateur. A priori ce sera plus une démarche voulue de l’inspecteur d’accueillir plus de jeunes majeurs ou moins », explique B. L’éducateur analyse : « il y a comme des normes tacites qui font que chacun s’autorise plus ou moins. Il y a une sorte de volonté hiérarchique, qui est là, verticale et descendante, et il y a les options politiques de chaque inspecteur ». On sent donc une incitation à réduire le nombre de CJM qui entraîne les éducateurs à se montrer à la fois exigeants dans leurs évaluations, et stratégiques dans leurs présentations. « Si on ne se débrouille pas trop mal, on les signe les CJM », déclare D. « Il y a l’énorme pouvoir des travailleurs sociaux qui évaluent et qui vont faire pencher la balance énormément » (B). En somme, il semble que dans la mesure où la norme tacite est suffisamment intégrée, elle permet de laisser une certaine liberté de manœuvre, maintenue à la marge de la tendance globale. Peut-être cet équilibre est-il rendu possible par les caractéristiques particulières de ce dispositif.
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Voir grille des personnes interrogées en annexe 1.
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Un dispositif L’abaissement de la majorité en juillet 1974 a conduit, comme nous l’avons vu plus haut, à la création d’une action de protection en faveur des majeurs âgés de moins de 21 ans, posée à travers deux décrets, chacun concernant les deux branches de la protection de l’enfance. Le décret du 18 février 1975 autorise le juge à prendre une mesure de protection concernant un mineur émancipé ou un majeur éprouvant « de graves difficulté d’insertion sociale ». La mesure administrative, qui nous intéresse ici, relève du décret du 2 décembre 1975, et fonctionne sur des ressorts particuliers. Un dispositif facultatif le texte La protection administrative des jeunes majeurs est inscrite au Code de l’Action Sociale et des Familles : l’article L 222-5, modifié suite à la loi du 5 mars 2007, est ainsi rédigé : « peuvent1 être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l’aide sociale à l’enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisant ». C’est donc une possibilité, en aucun cas une obligation, et la décision revient au Président du Conseil Général, représenté localement par l’inspecteur ou inspecteur de l’ASE2. Dans une circulaire du 21 mars 2005, le directeur de 1
Nous soulignons. Les fonctions sont les mêmes, seule l’appellation diffère selon les départements. 2
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la protection judiciaire de la jeunesse, Michel Duvette, pointe que des jeunes majeurs seraient pris en charge dans le cadre judiciaire au seul motif que « l’accès à une protection administrative a été refusé bien qu’ils paraissent relever de l’action sociale des départements ». Depuis la décentralisation, les conseils généraux, chargés de la mise en œuvre de l’action sociale en faveur des familles, pèsent sur les orientations de l’ASE et les budgets. Il en ressort des disparités selon les territoires. l’interprétation Selon un éducateur interrogé : « ce qu’il faut savoir à la base c’est que tous les conseils généraux n’ont pas l’obligation d’accorder, de mettre en place des contrats jeunes majeurs », E. « Ce n’est pas une obligation légale, c’est facultatif. Après, c’est vrai qu’en fonction du budget qui est consacré à l’ASE, il y a un certain nombre de recommandations qui sont faites, à savoir qu’on exige que les jeunes soient en situation de formation ou de scolarisation. […] Je pense qu’il y a un budget sur lequel on ne peut pas se poser de question, c’est-à-dire pour les mineurs qui nous sont confiés ; par contre sur les jeunes majeurs, comme ce n’est pas une obligation pour le département on peut dire non. » Le même éducateur (E) insiste sur la variabilité des interprétations que l’on peut faire du dispositif ; une analyse partagée par le reste des personnes interrogées. L’aspect subjectif de l’évaluation introduite par le caractère facultatif de l’aide est également repéré par tous les professionnels consultés, de l’ASE ou d’autres institutions. Pour les personnes ne travaillant pas à l’ASE cela est parfois mal perçu : « c’est à la tête du client » dit le directeur de l’association d’entraide des pupilles.
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C’est qu’en effet cette mesure ne s’inscrit pas sur un mode binaire, « c'est-à-dire celui où la demande de l’usager est satisfaite ou non en référence strictement aux conditions prévues par les textes »1. De ce fait, l’interprétation de l’agent prend une place importante et porte le risque d’un arbitraire. les incontournables la demande Dans la mesure où l’aide est facultative, elle doit être demandée par le bénéficiaire potentiel et évaluée par le service. Le Conseiller Socio-Educatif (CSE) interrogé explique qu’il s’agit d’une demande écrite par le jeune, adressée l’inspecteur qui prend une décision, ou à défaut cette décision reviendra au même CSE, en se basant sur l’évaluation des travailleurs sociaux. Le conseiller socioéducatif anime l’équipe des travailleurs sociaux et apporte un soutien technique. La personne rencontrée insiste sur les critères de l’évaluation : une rupture familiale, une inscription dans une scolarité ou une formation, être dans une démarche de projet. Un éducateur relève que « il y aurait à redire sur les critères ; l’éducateur qui fait l’évaluation, sur quels critères il se fonde, parce qu’il n’y a pas que ces trois critères-là, sinon on signe des contrats tout le temps. […] On va chercher dans le cadre légal, réglementaire, et c’est assez évasif, donc c’est de l’interprétation, […] l’interprétation est quand même assez aléatoire » (D). l’objectif De même, lorsqu’ils sont interrogés sur l’objectif du contrat, tous sauf un parlent d’autonomie. Le cadre interrogé 1
J. Commaille, C. Martin, Op. Cit., p. 113.
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précise que le but de cette mesure est « d’assurer au jeune l’accompagnement à l’autonomie, c’est-à-dire que ce n’est pas une obligation mais notre rôle c’est de les accompagner pour quand on ne sera plus là, qu’ils aient fini une formation pour trouver un emploi ». Toutefois, cette autonomie, si elle figure comme objectif dans la plupart des cas, apparaît également dans les pré-requis, de manière assez paradoxale, comme le résume D, quand il évoque les critères qu’il évalue avant la contractualisation : « la capacité du jeune d’être suffisamment autonome, suffisamment clair avec son projet, avec le contrat, […],il faut savoir si le jeune est capable de respecter les règles» ; ce en quoi il rejoint en effet les définitions du conseiller socio-éducatif : « les refus sont rares sauf si les jeunes sont déscolarisés depuis des mois ou s’ils ne veulent pas essayer de rentrer ou de collaborer dans ce qu’on leur demande ». Car en effet, cette aide contractualisée et facultative repose sur un ressort essentiel : le projet. Le ressort de la demande et du projet La nécessaire démarche de la demande Le Contrat Jeune Majeur (CJM) étant une aide facultative, elle ne peut s’imposer aux personnes, et l’institution doit en valider le bien fondé par le biais d’une évaluation. Elle repose, nous l’avons dit, sur une demande qui fera l’objet d’une évaluation sociale, dont nous avons évoqué les grands principes : rupture familiale, inscription dans un parcours scolaire ou de formation. Le travailleur social, à l’issue de cette évaluation, émet un avis, et la décision revient à l’inspecteur. D’après les professionnels interrogés, cette évaluation se fait dans la continuité pour les jeunes déjà suivis à l’ASE au cours de leur minorité, et pour les jeunes majeurs inconnus, elle donne lieu à un ou deux rendez-vous.
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« Dans tous les cas c’est toujours à la demande du jeune, c’est clair et net, ce n’est pas l’ASE qui va chercher le jeune, c’est le jeune qui vient à l’ASE », déclare F. Elle ajoute que « dans la théorie, la demande de CJM se fait minimum deux mois avant la majorité pour ne pas se retrouver dans l’obligation de faire un CJM et que le jeune croie que c’est acquis ». Tous les professionnels insistent sur la demande du jeune, qui est un document écrit inséré dans le dossier administratif, et lui prêtent une valeur pédagogique : c’est le premier pas dans l’appropriation de la place d’acteur, de sujet (« là démarre quelque chose dont il sera l’instigateur », K). C’est aussi compris comme une rupture avec le fonctionnement de la mesure en direction des mineurs. Rappelons que plus de 60% des enfants accueillis le sont à la demande du Juge. Il est d’ailleurs intéressant de voir que la plupart des assistants socio-éducatifs évoquent ces mesures judiciaires, ce qui donne à penser que des mesures administratives seraient, en dehors de leur moindre représentation numéraire, moins souvent suivies d’une mesure jeunes majeurs. Mais c’est une question qui ne nous est apparue qu’après analyse des contenus d’entretiens, et que nous n’avons pu confronter sur le terrain. support de l’évaluation Cette demande est aussi précieuse pour les professionnels, car elle va servir de support à leur évaluation. En effet, la grande différence par rapport aux mesures judiciaires qui représentent l’activité majoritaire de l’ASE, c’est qu’ici l’institution a pouvoir d’évaluation et de décision. Certains professionnels relèvent bien d’ailleurs, comme nous l’avons déjà noté, le pouvoir du travailleur social qui évalue les demandes.
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Cette évaluation repose sur des critères objectifs communs1, dépendant pourtant de la subjectivité et des interprétations individuelles (voir plus haut). Entrent aussi en compte des critères qu’on pourrait qualifier d’adaptabilité. H, définit ainsi le processus d’évaluation : « savoir quelles sont les motivations du jeune pour avoir un CJM, est-ce qu’il connaît bien la notion de CJM, les exigences que l’on va avoir envers lui ». Exigences qui vont dépendre de l’inspecteur : « des choses qu’on lui demande de faire et qu’il va falloir qu’il nous prouve qu’il fait » (H). Ainsi la demande est évaluée en fonction d’une pratique, d’une commande institutionnelle. Pour autant, les professionnels précisent qu’ils préparent les jeunes à cette demande : en les informant, en les “secouant” à l’approche de la majorité2. Ainsi même si « l’ASE ne va pas chercher les jeunes » (F), on sent une volonté, dans bien des cas, de ne pas laisser filer cette nouvelle étape. Par exemple, C nous explique qu’elle est actuellement au cœur du sujet puisqu’elle se trouve face à une jeune de 17 et demi, qui hésite fortement à contractualiser avec l’ASE à sa majorité : « Elle voudrait la contribution financière sans le suivi éducatif, mais un APJM3 ne va pas l’un sans l’autre, donc on travaille là-dessus en ce moment [….]. Ce que je lui dis, c’est qu’à 18 ans on n’a pas la même façon de travailler qu’avec un mineur ». L’éducatrice se trouve pratiquement en position de convaincre, de recruter la jeune. Si celle-ci hésite c’est « qu’elle n’a qu’une hâte c’est d’être majeure pour ne plus 1
On note en effet une présentation uniforme du cadre du contrat dans les premières minutes d’entretien. 2 Nombre d’entre eux en passant en revue les situations en cours, ont précisé qu’ils avaient un jeune à appeler dans les jours suivants pour lui rappeler de préparer sa demande. 3 Accueil Provisoire Jeune Majeur : expression couramment utilisée pour les jeunes sous contrat jeune majeur parmi les professionnels de l’ASE.
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rendre de compte à quelqu’un […] mais elle va signer le contrat, parce qu’elle sait bien qu’elle ne pourra pas faire sans, ne serait-ce que d’un côté financier » (C). Ce qui pose la question de la validité de la centralité de l’autonomie dans le discours éducatif. Et en effet, les professionnels interrogés confirment que « rares sont ceux qui y renoncent » (A) et qu’il « n’y en a pas beaucoup qui ne l’obtiennent pas » (K). A la question de savoir pourquoi quelques uns, l’ayant donc demandé, ne l’obtiennent pas, le même éducateur répond : « parce qu’il n’y pas de projet. Parce qu’ils n’ont rien mis en place, à 18 ans ils demandent un CJM on se demande pourquoi, parce qu’il n’y a rien ». la formulation du projet De fait la demande en elle-même n’est qu’un préalable : elle doit mettre en valeur un projet. Il est intéressant de noter que toutes les personnes entendues appuient fortement sur la notion de projet dans la demande et dans l’évaluation, mais peu se réfèrent à la notion de besoin. « L’obligation c’est d’avoir un projet d’insertion socioprofessionnelle ou alors scolaire, c’est la première des choses » (K). « On évalue la situation et si on estime que son projet est intéressant on continue la prise en charge à l’ASE […]. Le projet c’est essentiellement autour de la formation […]. L’évaluation c’est le projet, et dans ce projet il doit y avoir au cœur, la formation » (G). Le discours des professionnels est unanime sur la nécessité d’un projet articulé autour de la formation. Cependant une éducatrice récemment arrivée sur le département précise : « un CJM, dans ce département, c’est obligatoirement la personne qui doit être en formation. Pour avoir travaillé dans un autre département, ce n’est pas forcément le cas » (C). Cela soulève le problème des
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disparités départementales et pose la question de la stratégie des Conseils Généraux : il faudrait en effet chercher comment elle se définit, jusqu’à construire cette norme intégrée par tous sans que personne ne puisse la rattacher à un cadre. Quant à savoir comment cette règle se transmet, l’éducatrice répond l’avoir reçue de la Conseillère SocioEducative et du reste de l’équipe. Dans un autre entretien, la question est ainsi reformulée : « donc ce critère de la formation il est dans la coutume, non dans le cadre réglementaire ? » D répond : « non il est dans la coutume, dans le fonctionnement de service ». On peut s’interroger sur les conséquences de l’application d’une norme sans réelle connaissance des motifs qui la fondent et des objectifs qui la sous-tendent. Par ailleurs, une éducatrice en poste depuis 7 ans (I) fait le constat de changements assez radicaux concernant les CJM. En conséquence de la diminution des moyens « cela a tendance à se rigidifier : des jeunes en scolarité longue […] ça commence à devenir difficile, c’est BEP, CAP pour la plupart, il faut que très rapidement ils se prennent en charge ». Ce que confirme G : « le but, c’est la continuité de la prise en charge d’un mineur qui a commencé une formation pour la terminer, pour ensuite avoir son diplôme et trouver du travail […]. Le projet doit être viable. Il vaut mieux obtenir quelque chose de plus simple mais qui sera réaliste ». « C’est vrai que des jeunes qui veulent faire des études d’avocat on les met dans la réalité » ajoute F. La demande doit donc présenter un projet, qui doit entrer dans le cadre d’exigence de l’ASE, fondé sur la réalisation d’un objectif qui tient en un mot : l’autonomie.
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L’autonomie une difficile définition L’aspect « insertion sociale et professionnelle », inscrit dans le décret définissant l’aide aux jeunes majeurs, n’est pas toujours repris par les professionnels de l’ASE. Presque tous semblent lui préférer “l’autonomie”. Le cadre socio-éducatif précise les contours de cette autonomie : financiers, professionnels, « les amener à mûrir, à savoir gérer un budget ». Sur les 11 personnes rencontrées : 3 définissent un objectif en se basant sur la notion d’insertion 7 définissent un objectif en se basant sur la notion d’autonomie 1 s’appuie sur un objectif défini alternativement sur les deux notions Il ressort des entretiens des usages différents du mot insertion, auquel en effet une partie des acteurs préfèrent le mot autonomie. Il n’est certainement pas neutre de se référer à l’un ou à l’autre dans un travail basé sur le relationnel tel que le suivi éducatif dans le cadre de l’ASE. La question mériterait qu’on s’y attarde, mais peut-être pouvons-nous déjà y voir un signe important de la façon d’envisager cette relation au moment du passage à l’âge adulte et donc à la fin de la mesure : paradoxalement, la référence à l’autonomie, du fait qu’il s’agit d’un vocable davantage lié au champ lexical psycho-social, serait la marque d’une volonté inconsciente de maintenir le lien éducatif. En se situant sur ce plan on induit une continuité relationnelle. D’un autre côté, ce repli syntaxique sur des caractéristiques propres à la protection de
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l’enfance est peut-être une manière de se défendre d’être situé dans le champ des dispositifs d’insertion. La question de l’autonomie, bien que centrale dans le discours, n’est cependant pas toujours facile à définir. Ainsi, E décrit l’objectif du CJM comme étant celui de l’autonomie, mais se trouve en difficulté pour en donner une définition : « je ne vais pas le définir […] mais j’ai pu l’observer chez des jeunes en tant que mineurs ou en tant que majeurs, et je peux dire voilà, ils sont aujourd’hui autonomes » (E). Difficile aussi pour H, pour qui être autonome, « c’est ne plus avoir, je ne sais pas, ne plus avoir de comptes à rendre ». Pour D, c’est à la fois le but du travail éducatif du CJM et un critère d’entrée dans la mesure : « s’il n’est pas capable de se gérer seul, il n’y a pas d’autonomie, le contrat ne peut pas être fait ». un processus éducatif Pour cet éducateur, cette condition est le début d’un “processus d’autonomie” : « Il dépend de l’ASE mais il faut au moins qu’il devienne autonome, c’est-à-dire l’amener à prendre assez de recul pour comprendre les logiques qui arrivent dans sa vie […], d’avoir une certaine lisibilité pour agir en fonction de ce qui lui arrive, mais pour ça il faut de l’étayage, c’est ça pour moi le processus d’autonomie ». Plusieurs éducateurs soulèvent la question de la nécessité d’un accompagnement éducatif, parfois parallèle à un accompagnement psychologique, pour ces jeunes qui ont en effet une histoire et un passé familial souvent très difficiles. Pour certains, l’approche des 18 ans c’est parfois l’espoir de pouvoir réintégrer cette famille, « des fois il faut qu’ils fassent le deuil de leur entourage » (G). Pourtant, ce n’est pas la définition première qui est donnée de l’autonomie. Souvent associée à « se prendre en main »,
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c’est surtout l’autonome financière à l’issue du contrat qui est évoquée. une question d’argent L’autonomie financière s’acquiert par le biais d’un emploi : « il faut très vite qu’ils se prennent en charge. L’ASE estime qu’à 21 ans il faut que le jeune soit complètement autonome » regrette I. Mais cette autonomie financière est également recherchée en cours de mesure. La question de l’argent que représente cette aide est très souvent évoquée en entretien, et les travailleurs sociaux font état d’une sorte de pédagogie autour de l’argent avec le jeune, en lui indiquant que cette aide, facultative, se chiffre en termes d’hébergement, de personnel éducatif et parfois psychologique, mais aussi en espèces directement attribuées au jeune, pour se vêtir, se nourrir, etc.… « Le budget c’est le gros problème, l’argent leur brûle les doigts » (F). Cet argent leur est donné à la semaine ou au mois selon leurs capacités de gestion. Cet argent versé au jeune est soumis à l’appréciation de son référent éducatif qui évalue les sommes à allouer. «Il y en a qui donnent d’office. Moi non, c’est un peu au mérite, l’argent de poche c’est un droit mais pas une obligation » (F). Il est donc intéressant de voir que la question de l’autonomie, même si elle recouvre des niveaux plus ou moins subtils et particuliers au public ciblé, est souvent reliée à l’argent : celui qu’il faudra qu’ils gagnent à l’issue du contrat, celui qu’il doivent essayer, dès leur majorité, de gagner par eux-mêmes puisqu’il apparaît que parmi les exigences de l’ASE, et dans une perspective d’autonomisation, il est demandé de travailler « les soirées, les week-end, pendant les vacances scolaires, suivant leurs possibilités » (J). Enfin l’argent qu’ils “méritent”, puisque
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c’est une mesure facultative qui permet de mettre en œuvre des aides facultatives. Il est d’autant plus intéressant de voir quel poids dans le discours prend la dimension de la gestion de budget, quand les services extérieurs à l’ASE pointent souvent que les jeunes suivis à l’ASE « ne savent rien faire. Ils ne sont pas capables de gérer un budget » (association des Pupilles), « le CJM ça recule l’autonomie » (centre d’hébergement d’urgence pour femmes et jeunes femmes). Autonomie rime donc surtout avec argent, argent pour vivre : le projet est donc centré sur cette question, sur les moyens les plus rapides pour stabiliser la situation financière (formations courtes) sans poser la question du projet de manière plus générale. la recherche d’un statut Un seul travailleur social (B) ne s’est pas référé à cette notion dans la description et l’analyse de sa pratique. Il nous a donc semblé intéressant de relever cette particularité et de l’évoquer avec lui. « Le couplet sur l’autonomie ça marche […] mais en même temps ça veut dire quoi ? Les seuls aspects de la vie où je pourrais parler d’autonomie […] c’est le quotidien pratico pratique […] : se faire cuire un œuf, faire sonner son réveil ». L’éducateur préfère parler d’équilibre de la relation : l’enjeu ne serait pas l’autonomie mais la relation entre le jeune et l’institution/l’éducateur, qui tiendrait au statut même du jeune, une catégorie très floue, comme nous l’avons d’ailleurs vu plus haut. L’enjeu de cette relation serait dans la recherche d’un équilibre des statuts entre, d’un côté un « jeune » et de l’autre un adulte, le premier ayant besoin du second, pas seulement pour lui donner les moyens de réaliser son projet, « mais surtout parce qu’il n’est pas au même niveau et qu’il a besoin d’accéder à ce niveau pour accéder à cette société-là […]. Il y a quand même une forme de volonté d’accéder à un
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autre type de statut, qui n’est pas seulement lié à l’âge mais lié à une façon d’être en relation, de ne pas en rester à ce statut de pseudo jeune […]. Je pense que là on est dans une forme de protection où les compétences des acteurs de la protection de l’enfance peuvent parfaitement remplir leurs fonctions ». Pour lui, l’objectif du CJM ce n’est pas de vivre tout seul mais de vivre dans la société parmi les autres. La question est en effet de savoir ce que recouvre le mot autonomie et comment on lui associe la problématique de l’entrée dans la vie adulte dans sa dimension subjective, c'està-dire les façons de vivre ce passage. D’après les discours des éducateurs, ce mot est beaucoup utilisé sans pour autant être véritablement défini. Il semble surtout être favorisé par rapport au terme d’insertion, peut-être parce qu’il permet d’induire une dimension relationnelle éducative entre l’adulte et l’adulte en formation. Finalement, en quelque sorte ce terme d’autonomie peut renvoyer à une mission spécifique liée à la notion d’apprentissage. En même temps, elle s’incarne aussi dans des messages d’injonction, principalement articulés autour de l’argent. « Derrière le mot autonomie il y a une idéologie, cela va avec le discours politique style il faut se prendre en main » (B). Cet objectif d’autonomie est pourtant clairement établi dans le service, et inscrit dans le schéma départemental : « les jeunes majeurs sans soutien familial ont besoin d’être accompagnés dans leur insertion sociale et professionnelle. Il est important d’anticiper avant la sortie du dispositif de protection de l’enfance et en tout état de cause avant la date anniversaire des 21 ans, si la prise en charge se poursuit jusque là ».
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Le texte est clairement ciblé sur les jeunes majeurs qui auront bénéficié d’un suivi dès leur minorité. A travers ces multiples dimensions on peut se demander si ce concept d’autonomie ne participe pas d’un glissement de l’évaluation vers la sélection.
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Une sélection A travers ces premiers éléments de pratique, il ressort que le CJM fonctionne sur un mode sélectif. Une réalité que ne contestent pas les professionnels de l’ASE : « même dans le social il y a de la sélection et même dans le social on ne peut pas accepter tout le monde, sinon on serait débordé de demandes » (C). « Il faut être souple mais pas trop sinon on récupère tout le monde » (F). Une sélection objective la continuité de prise en charge Très clairement la position du service est de prioriser les jeunes déjà connus de l’ASE. Tous les discours recueillis mentionnent ce fonctionnement, très nettement exposé par la chef de service consultée : « quelqu’un qui vient à 18 ans ce n’est pas la priorité au niveau de l’ASE. Ça va bien à des mineurs [pris en charge] qui deviennent majeurs et qui sont dans la poursuite d’un projet ». Pour B, « le premier critère […] c’est le fait d’avoir été pris en charge préalablement en tant que mineur ». Le schéma départemental est bien axé, nous l’avons vu, sur des préoccupations concernant les jeunes majeurs dans une continuité de prise en charge. G qualifie d’ailleurs le CJM comme un service de suite. Il semble que dans ces conditions l’évaluation varie entre un jeune non connu de l’ASE et un autre auparavant suivi. « On est entre guillemets plus tolérants quand ce sont des jeunes qu’on connaît » (J). Alors que pour les demandes émanant de l’extérieur, « on part de zéro […] sans forcément mettre en cause ce que la personne nous raconte, il y a à 87
évaluer si ce n’est pas un peu exagéré […] en mettant en avant un angle, parcours familial chaotique par exemple » (J). l’histoire familiale L’histoire familiale rentre en effet pour beaucoup dans l’évaluation d’un CJM, qui s’adresse à des jeunes rencontrant des difficultés en raison d’un manque de soutien suffisant de leur entourage, d’où une compétence de l’ASE. Ce critère, énoncé par tous les professionnels, ne représente en fait un enjeu que dans les demandes de jeunes inconnus du service. De fait, les jeunes placés mineurs présentent des difficultés dans leurs relations avec leur famille. Pour ces jeunes-là, une fois majeurs, le travail éducatif au cours du CJM peut être justement de travailler à un rapprochement avec la famille. Un travail souvent lié à l’intervention d’un psychologue dans certaines structures d’hébergement ou à l’ASE, mais qui ne met pas forcément en relation directe les familles et les travailleurs sociaux qui, même s’ils peuvent envisager de la rencontrer de façon marginale, se positionnent dans une relation avec le jeune sans médiation de la famille. H cite un exemple : « je pense à une jeune qui rentre tous les week ends chez sa mère. Qui paye le train, qui crée le lien finalement par le biais des billets de train qui sont payés ? C’est l’ASE ». A contrario, une demande d’un jeune inconnu des services de l’ASE fera l’objet d’une étude approfondie de ses liens familiaux, et il devra être établi qu’ils ne fonctionnent plus comme un soutien. Le chef de service éducatif de l’association Z, intervenant auprès des jeunes, et partenaire privilégié de l’ASE pour ce qui concerne les jeunes majeurs1 1
Nous verrons plus loin comment l’ASE travaille avec cette association autour des jeunes majeurs, à qui elle délègue, pour les jeunes inconnus de l’ASE, à la fois l’évaluation et le suivi de la mesure le cas échéant.
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explique : « par rapport à une expérience de ce que l’on sait qui est octroyé ou pas par les services de l’ASE, on prétend ou pas au contrat ». Elle évoque ainsi la situation d’un jeune, à la porte de chez lui depuis trois mois en raison d’un conflit avec son père. « Ici nous voyons des choses très lourdes […] donc là ça paraissait léger […]. Il n’y avait pas assez d’éléments pour demander le contrat dans la mesure où juste une mésentente avec un père ce n’est pas suffisant pour que l’ASE prenne en considération la rupture familiale et décide de financer éventuellement un CJM ». On peut s’interroger sur la manière d’évaluer ce critère, qui s’applique différemment à des jeunes connus ou non. Ceux qui ont été suivis ont une histoire familiale difficile à l’origine de la mesure pour mineur. Pour autant la rupture familiale n’est pas totale dans tous les cas, dans la logique du travail sur le maintien des liens qui fait partie intégrante du travail éducatif en protection de l’enfance. D’un autre côté, un jeune inconnu de l’ASE devra prouver qu’il ne peut plus compter sur sa famille, comme si, d’une certaine manière, le fait que les services n’aient pas été sollicités plus tôt prouvait que la situation était saine. Paradoxe : seuls des faits marquants peuvent accélérer une issue favorable à la demande, prouvant bien par là que toutes les situations de dysfonctionnements, y compris les plus graves, ne sont pas nécessairement connues des services et que des jeunes peuvent évoluer dans un environnement hostile pendant leur minorité. Parfois ils ont attendu cette majorité pour solliciter de l’aide, parfois ce sont leurs parents qui l’ont attendue pour les exclure du domicile1. Cela dit, cette dimension se conjugue avec d’autres, et c’est la combinaison, l’équilibre entre ces paramètres, qui amène une décision.
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Selon les observations des acteurs en lien avec les jeunes en errance rencontrés pendant l’enquête.
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le projet Nous avons vu comment les professionnels insistaient à la fois sur la demande écrite et sur l’inscription dans un projet « viable », « qui fait sens », « cohérent », « réaliste », selon les expressions. La chef de service de l’association Z évoquée plus haut confirme : « rien ne se fait pour les jeunes majeurs sans demande de leur part et quelque chose de signé ». Elle ajoute que le « CJM est réservé aux jeunes qui ont des projets, c’est-à-dire qui arrivent à se tenir à des projets, et toute la population 18-20 ans […] qui n’est pas encore en état de faire des projets construits et qui est en rupture familiale, et il y en a plein, ceux-là plus rien n’existe pour eux », ajoutant encore que cette même population pouvait encore, dans une certaine mesure, se tourner vers la protection judiciaire, qui tend à se réduire de plus en plus. L’interrogée poursuit : « il demande une aide mais il faut qu’il montre pattes blanches et qu’il fasse preuve de sa bonne volonté dans ses démarches ». Pour elle, c’est très clair, « le profil du CJM, ce sont des jeunes scolaires ou en alternance qui sont dans quelque chose de solide, qui doit déboucher sur un diplôme qualifiant à la fin, c’est ça le profil des jeunes en CJM ». Une fois encore, on constate une certaine ambiguïté qui conduit à une sélection assez rude, fondée sur le cumul d’une rupture familiale sévère et d’une capacité à s’inscrire dans un projet solide. Une sorte de prime à la résilience. Ce qui rejoint les propos de H au cours d’un échange dont voici un extrait : « Quand ce n’est pas connu […], il faut des jeunes surmotivés, qui tiennent la route ». Question : « ils sont un peu triés sur le volet quand même ? » « Oui ». Question : « est-ce que ce sont eux qui ont le plus besoin d’aide, de protection ? » « Eh bien non ».
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Le jeu de forces entre les critères semble bien différent ici encore entre jeunes connus et nouvelles demandes. E présente dans un premier temps le critère de projet de formation, puis au cours de l’entretien tempère cet impératif : « la demande ce peut être aussi un soutien et un conseil pour accompagner vers cette démarche-là, c’est possible. » Pour reprendre l’exemple précédent du jeune suivi par l’association, la demande serait envisageable plus tard, si par ailleurs il peut présenter des garanties quant à son engagement dans son parcours scolaire, d’après le responsable du service. Une différence dans les exigences que confirme G : « pour les jeunes que l’on connaît c’est la continuité, on est moins restrictif […]. La prise en charge, elle se fait juste après, mais généralement c’est souvent après les premiers mois que cela peut s’arrêter […] quand on se rend compte que les objectifs n’ont pas été remplis ». Ainsi, une plus grande tolérance ne signifie pas une baisse des exigences dans la mise en œuvre du contrat, exigences qui semblent surtout accrochées à la notion d’engagement. l’engagement Le CJM ne fonctionne pas que sur des critères d’entrée, et fait l’objet d’un suivi pour être régulièrement réévalué. Les professionnels de l’ASE insistent sur le fait qu’en tant que contrat « il peut être rompu à tout moment1 par l’un ou l’autre des contractants, et qu’il peut aussi être renouvelé (dans la limite non franchissable de 21 ans) ; ce renouvellement est conditionné par une évaluation fondée sur les objectifs du précédent contrat. Dans le cas où les jeunes sont hébergés dans une structure éducative cette évaluation sera faite par l’éducateur du lieu de vie, à laquelle s’ajoutera un rapport du référent ASE (sauf 1
100 % des réponses.
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dans le cas où le doublon semble superficiel et où le service décide de retirer la référence ASE), le tout soumis à la décision de l’inspecteur afin d’évaluer l’opportunité d’un renouvellement. Une éducatrice travaillant dans l’une de ces structures estime que « le CJM vient appuyer sur l’engagement ». En effet, il s’agit en principe d’un engagement mutuel. L’ASE s’engage essentiellement en termes de moyens (financiers, éducatifs, hébergements), en contrepartie d’un engagement du jeune en termes de démarches (prendre rendez-vous pour sa santé, aller voir régulièrement le psychologue, être présent à sa formation, figurent parmi les objectifs qui reviennent le plus souvent). L’ensemble des professionnels s’accordent sur la valeur pédagogique du contrat : « on peut revenir à ce qu’il y a d’écrit et après on peut reprendre le contrat quand ça ne va pas » (C). Pour F, « il y a toujours une mise à l’épreuve et ça c’est pour tout le monde, il y a même des contrats mois par mois […]. C’est un contrat de partie à partie, il n’y a aucune obligation sauf à partir du moment où on a signé, il faut absolument qu’il suive les axes ». Si la sélection à l’entrée est moins rude pour les personnes déjà suivies, il n’en reste pas moins qu’il faudra qu’ils « prouvent que cela va tenir parce que mine de rien c’est de l’argent tout ça quand même […] donc pourquoi s’embêter avec des jeunes dont le comportement n’est pas celui qu’on attend d’eux, alors qu’il y en a d’autres qui sont vraiment motivés pour être suivis et soutenus » (H). Le contrat apparaît ainsi comme un outil de sélection : son accès est lui-même sélectif et sa forme permet de maintenir une pression tout au long de la mesure et chaque fois qu’elle est réétudiée. Cette sélectivité implique « une incertitude croissante des critères d’attribution »1. Les modes d’entrée 1
J. Commaille, C. Martin, P ; Cit., p. 118.
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privilégient les demandes en interne, c’est-à-dire des jeunes déjà suivis par l’ASE, mais le degré d’exigence se maintient pour tous dans la mise en œuvre du projet qui a été contractualisé. Le projet clé en main La formalisation de l’accord Cette pression est reconnue par les professionnels et elle se cristallise surtout au moment des rendez-vous de renouvellement et de signature : « ces rendez-vous là les angoissent » (I). Ces rendez-vous se font en présence du ou des référents éducatifs quand le jeune est par ailleurs suivi dans une structure, dans le bureau de l’inspecteur1. Le jeune remplit la partie qui comporte ses engagements et signe le contrat. Cette formalisation, qui pour certains a aussi une portée symbolique, rituelle, varie d’un département à l’autre. C, auparavant à l’ASE d’un autre département, précise que là-bas les contrats étaient pré-remplis : des contrats-type où il ne restait plus qu’à remplir les noms et signer. Cependant, comme le relèvent certains travailleurs sociaux de l’ASE, le passage à l’écrit n’est pas toujours simple : « parfois on peut se trouver face à des jeunes qui disent, je marque quoi ? » note E. I analyse que certains ne sont pas en capacité de faire des démarches précises, d’exposer un projet, mais aussi qu’il y en a qui sont « incapables pendant une heure d'entretien d’aligner deux mots et qui pour autant ont des projets ».
1
Le CSE peut suppléer l’inspecteur en cas de besoin et possède donc un pouvoir signataire.
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un impératif une limite Cette exigence du projet rencontre une autre limite, car il semble très difficile d’envisager des projets qui s’écartent des formations courtes et spécialisées. « A partir du moment où c’est une formation longue on m’a dit non, ce n’est pas pour les CJM, explique I, qui se souvient que cette logique a été poussée sur son secteur jusqu’à réorienter vers des filières professionnelles courtes (BEP) des sortants de bac général. Ce qui rejoint les propos de A, cadre socio-éducatif à l’ASE, qui explique ces orientations par l’état du marché du travail. « Il faut un minimum de diplôme, minimum CAP ou BEP, voire Bac pro, pour trouver un emploi, ce qui nous oblige à aller jusqu’à 21 ans et si le jeune n’a pas pris de retard. Pour les jeunes qui ont des difficultés scolaires on essaye tant que possible qu’ils soient en alternance […]. On fait peu de bacs généraux sauf s’ils sont jeunes, 17/18 ans, qu’ils n’ont pas de retard, et s’ils sont bons élèves, sinon on travaille avec la réalité ». Une situation que décrit déjà Chantal Guérin-Plantin dans son analyse des dispositifs d’insertion des jeunes dans les années 80. La préparation à des postes offrant des débouchés était privilégiée jusqu’à faire passer « cet élément de réalité avant les éventuels désirs ou préférences des jeunes »1. Une réalité qui n’est donc pas la même pour tout le monde. Comme nous avons pu le voir plus haut, les jeunes quittent le domicile familial plus tard et ont une entrée dans l’emploi stable tardive. J note un paradoxe entre la demande institutionnelle et la population cible : « on leur demande une maturité qui va au-delà de ce que l’on demande à un jeune lambda, qui est dans sa famille. Un jeune de 18 ans qui est dans sa famille […] ça peut complètement s’entendre qu’il 1
Genèse de l’insertion, Op. Cit., p. 90.
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soit scolaire ou dépendant de ses parents ou de quelqu’un d’autre, qu’il ne sache pas ce qu’il veut faire […] tandis que les jeunes que nous avons nous, ils ne peuvent pas se permettre cela, et on ne leur laisse pas complètement le choix ». une marge de manoeuvre Ainsi le projet est non seulement un vecteur de sélection (« ceux qui n’ont pas de demandes tant pis pour eux », regrette I), mais il reste aussi délimité par des contours assez nets. Comme nous l’avons déjà noté plus haut, aucune consigne officielle n’est établie en ce sens, mais une norme tacite s’est construite et fonctionne ici aussi grâce à une marge de manœuvre qui reste contenue : une exception, un cas particulier reste négociable ; il s’agit donc de bien sélectionner les situations exceptionnelles. Mme Y, chef de service de l’association Z confirme que « normalement les contrats sont réservés à des diplômes professionnels, pas des diplômes supérieurs, ceci dit quand il y a un bon scolaire avec un environnement familial très lourd, je n’ai jamais vu un inspecteur refuser, même s’ils font remarquer que ce n’est pas là la mission première ». vecteur de reproduction sociale ? L’ASE véhicule un discours autour de la formation qualifiante courte permettant d’accéder à une autonomie financière rapide. En réalité, celle-ci se décline le plus souvent, d’après les professionnels, en une poursuite, après 21 ans, d’une formation en alternance : « ils peuvent payer le FJT, avoir l’APL, plus quelques ressources pour manger et finir leur formation » (A). En somme, ce projet, qui doit permettre au jeune de décider pour lui, d’être acteur, d’être au centre de la relation,
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semble prédéfini, et laisse assez peu de place aux aspirations personnelles. C. Van De Velde cite L. Chauvelle qui observe des destins d’intégration sociale clivés entre ceux dotés d’un capital culturel ou économique enviable et les « laissés pour compte ». Ce projet clé en main laisse peu de place à l’expérimentation et à une évolution, et semble favoriser une certaine reproduction sociale. M. Marpsat et J-M. Firdion ont réalisé pour l’INED en 1998 une enquête auprès des jeunes sans domicile fixe et en situation précaire sur Paris, à la suite de laquelle ils ont publié un article1. Ils notent que la pauvreté héritée n’a pas disparu chez les jeunes. J-M. Firdion, de son côté, travaille sur l’influence des événements de jeunesse et l’héritage social chez les usagers des services sociaux pour sans personne domicile fixe, et propose de raisonner en termes de capital et de passé socio-familal2. Enfin, I. Frechon et A-C. Dumaret ont fait une synthèse des travaux sociologiques, psychologiques et des sciences de l’éducation sur le devenir à long terme des sujets placés dans leur enfance ou adolescence. Il en ressort que lorsque des personnes anciennement placées sollicitent un accompagnement social il concerne des difficultés qui surviennent au moment de l’entrée dans la vie active et affective3. Il apparaît dès lors légitime de s’intéresser au rôle des méthodes d’intervention dans ce processus de reproduction. La société, via les services d’aide sociale, accepte d’aider à réaliser des projets, qui sont d’ailleurs réduit au projet au singulier, et s’autorise du même coup à s’intéresser au 1
M. Marpsat, J-M. Firdion, « Les ressources sans domicile et en situation précaire », Recherches et prévisions, n°65, 2001. 2 J-M. Firdion, « Influence des événements de jeunesse et héritage social au sein de la population des utilisateurs des services d’aide aux sans domicile fixe », Economie et Statistiques, n°391-392, 2006. 3 I. Frechon et A-C. Dumaret, « Bilan critique de 50 ans d’études sur le devenir adulte des enfants placés », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, n° 56, 2008.
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contenu de ce projet et au possibilité du sujet de le réaliser, ce qui est une « manière d’être rappelé à l’adhérence de sa condition, alors même que le projet repose […] sur une capacité à se projeter hors de soi-même, ou en d’autres termes de s’arracher à sa condition »1. L’un des ressorts de la sélection consiste donc à exiger l’inscription dans un projet. Pourtant ce projet ne semble possible que s’il s’inscrit dans une feuille de route précise. On peut se demander dans quelle mesure la conception pré-établie de l’avenir qui est véhiculée à travers ce qui est mis en place dans le CJM, n’entraîne pas en même temps qu’une sélection, une exigence de résultat. La culture du résultat Une certaine ambiguïté ressort des entretiens : le parcours est plus ou moins prédéfini et limité à un certain type de trajectoire en vue d’un accès rapide à l’emploi, ne serait-ce qu’à l’emploi non stable (alternance notamment), permettant de s’inscrire dans une certaine autonomie financière, qui est en fait la possibilité d’avoir recours au système d’aide de droit commun. Le système se montre sélectif, comme si il y avait, par la suite, une grande exigence de réussite. Pourtant, l’exigence reste au niveau de l’engagement, pas du résultat. Elle ne se fonde donc pas sur une capacité d’intégration de l’emploi par l’acquisition de connaissances et compétences (diplôme, formation), mais sur une capacité de bonne observance du cadre. Le psychologue d’un service d’accueil pour SDF de moins de 25 ans analyse le discours des jeunes qu’il reçoit
1
M-C. Jaillet, « De la généralisation de l’injonction au projet », Empan, n°45, 2002, p. 23.
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qui ont connu l’ASE dans leur parcours1 : « ils ont vécu l’ASE comme quelque chose de chapotant, comme s’ils étaient pris dans une logique administrative qui les a empêché de désirer », ce qui pour lui explique que certains ne sollicitent pas l’ASE à leur majorité. Pour d’autres, qui s’essayent au contrat, il note un « effet pervertissant » du contrat, parce qu’on « leur propose des choses qu’ils ne peuvent pas endosser, donc cela amène à être dans la transgression ». Pour lui, on a affaire à des adolescents qui jouent le jeu, « qui savent très bien leur texte », mais de l’intérieur ce n’est pas investi du tout, ils se contentent de plaquer un discours. Il précise qu’il ne voit que ceux pour qui le système a échoué, mais il semble intéressant d’envisager qu’à trop vouloir formater les projets et les critères de sélection on arrive à une situation préfabriquée des deux côtés. « Plus on veut contrôler, cadrer, plus on suscite de faux », déclare-t-il. Pour lui la contractualisation amène le jeune à des stratégies perverses. La forme du contrat, censée ouvrir des possibles dans le travail social, du sur-mesure, est dupliquée tout en renvoyant l’usager à sa situation individuelle et à ses manques. Citant un exemple de jeune, la cadre socio-éducative de l’ASE explique : « il ne satisfait en rien de ses engagements, il était pourtant pris à l’ASE en tant que mineur mais on fait un contrat court, d’un mois, pour lui dire tu prends ou… c’est clair ». Cette sélection permet d’une certaine manière de gérer les accès à une socialisation hiérarchisée. O. Galland reprend en effet les trois modes de socialisation de C. Dubar2, dont nous avons parlé plus haut, et que l’on pourrait adapter ici. Le bas de la hiérarchie relevant de la gestion des risques sociaux pourrait être constitué ici de ceux qui, sans obtenir de 1
Ce psychologue voit environ 10% des jeunes reçus dans la structure. Parmi ce groupe, il estime que 40% ont connu une prise en charge ASE. 2 Op. cit.
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résultat permettant d’acquérir une qualification suffisante, sont néanmoins maintenus dans le dispositif du fait de leur « bonne conduite ». Cependant beaucoup n’arrivent pas à s’y maintenir et se retrouvent dans des services d’urgence, ou d’accueil pour SDF : ils sortent de toute hiérarchie et se retrouvent « en dehors ». Vient ensuite le niveau intermédiaire, ceux qui n’ont pas un très bon parcours scolaire mais qui « sont prêts aussi bien à saisir les opportunités de « petits boulots » ou celles qui leur permettraient d’obtenir des « petits diplômes ». Adapté au CJM, on pourrait voir les cas classiques de CJM qui fonctionnent de manière satisfaisante, c'est-à-dire où les objectifs fixés offrent un minimum de satisfaction au jeune et au service. Dans le troisième niveau, celui des jeunes situés dans ou proche de la sphère professionnelle, qui sont les cas les moins fréquents, apparaît un groupe marqué par une « volonté d’intégration la plus rapide possible » (voir F). Restent les exceptions, ceux qui rentrent dans des formations supérieures longues et sortent des trajectoires préconçues. Cette conception hiérarchisée qu’entraîne un fonctionnement sélectif conduit à des logiques de prises en charge compartimentées.
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Une disjonction des institutions et des publics Il ressort de l’enquête auprès des professionnels de l’ASE et des autres services en contact avec des jeunes en difficulté, une disjonction entre d’une part l’ASE et son public, et d’autre part les autres institutions et leurs publics.
La Communication interinstitutionnelle Ce clivage s’observe à travers les relations et les modes de communication et partenariats, entre l’ASE et les autres services. un dialogue difficile La communication entre les services de l’ASE et les autres institutions semble parfois délicate. Certains des professionnels interrogés ont parfois des positions marquées face à l’ASE, qui souffre d’une image parfois négative, attribuée à un certain pouvoir, voire à une toute puissance, qui semble résulter d’une communication difficile. Ainsi, des assistantes sociales de polyvalence interrogées1, qui ont parfois orienté des jeunes en vue d’un CJM, ont souvent été décontenancées par les comptes rendus d’évaluation que pouvait leur faire l’ASE. D’autres, qui ne se mettent pas en position d’interlocuteurs directs avec l’ASE, mais sont amenés à rencontrer des jeunes qui ont été suivis par elle (association des pupilles, centre d’hébergement d’urgence), sont également dubitatifs quant à la prise en charge de l’ASE et à son contenu éducatif, voire aux modalités par lesquelles elle est amenée à stopper son 1
De manière informelle au cours du recueil de données sur dossier pour notre enquête.
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action. Par exemple, nous avons rencontré une équipe1 d’un Centre d’Hébergement d’Urgence pour femmes, dont la capacité d’accueil est de 19 places pour les femmes de plus de 26 ans, et 24 places pour celles âgées de 18 à 25 ans. Le travailleur social s’étonne d’observer des passages directs de l’ASE au Centre d’Urgence à 18 ans, ou à 21 ans, à l’issue du CJM. Ce professionnel note aussi dans les parcours des jeunes femmes hébergées en urgence, des prises en charge par l’ASE au cours de la minorité donnant lieu à des conflits qui ont une répercussion sur leur parcours jeune majeur : soit elles fuient le service à 18 ans ou elles n’y ont plus accès, soit elles signent un CJM tout en connaissant une rupture en cours de mesure ou un échec en fin de mesure. Cela représente assez peu de situations puisque ce centre a ouvert en novembre 2008, que nous avons rencontré l’équipe au mois de mars 2009, et que la durée moyenne de séjour est d’une semaine en général, avec une amplitude d’une semaine à un mois. Comme le souligne le psychologue du service d’accueil pour jeunes SDF, ces services ne voient que ceux pour qui les choses se sont mal passées. La directrice de ce service regrette qu’il n’y ait aucune collaboration directe avec l’ASE alors que parmi le public reçu, une partie pourrait relever de l’ASE. Une communication serait bienvenue d’autant qu’en fin de mesure, si les choses ne sont pas assez solides ou quand un CJM doit être rompu, il n’est pas rare que les jeunes partent avec pour seule orientation l’adresse de ce service d’accueil. Ici encore, le public concerné ne représente pas la majorité du public reçu. D’un autre côté les jeunes ne souhaitent pas toujours faire état de leurs antécédents à l’ASE. Ce que relève la chef de service, c’est le manque d’ouverture de l’ASE vers les jeunes de 18 ans jusque là inconnus de ses services. 1
La directrice et le travailleur social.
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un circuit parallèle De ce fait, les services d’urgence se sont coordonnés, souvent de manière informelle ; seules quelques rares associations1 sont amenées à travailler en étroite collaboration avec l’ASE concernant les jeunes majeurs. Il en existe essentiellement deux. Nous avons rencontré la chef du service éducatif de l’une d’entre elle (= Z). Cette association travaille avec l’ASE concernant les jeunes majeurs qui n’ont pas été suivis au cours de leur minorité (ceux-là, nous avons vu qu’ils étaient évalués et suivis par les référents de l’ASE). L’association évalue les demandes et fait des propositions de prise en charge : « en fait l’ASE sous-traite l’évaluation […]. Pour de nombreux travailleurs sociaux c’est un peu la formule miracle le CJM, ils ne savent pas toujours très bien à quoi cela correspond, qui y a droit, dans quelles conditions. Donc l’ASE nous demande d’évaluer la pertinence de la demande ». Par ailleurs, la communication fonctionne dans l’autre sens, c’est-à-dire qu’elle peut proposer des situations nouvelles à l’ASE. D’autres services comme celui qui accueille les jeunes SDF sollicitent l’association Z, qui évalue alors la demande et propose, ou pas, un CJM à l’ASE. La communication se fait de l’association à l’inspecteur ou au conseiller socio-éducatif : l’évaluation est externalisée, tout comme le suivi, qui revient à cette même association. Il est intéressant de noter que tous les secteurs ne fonctionnent pas de la même façon : certains sollicitent plus ou moins l’association Z ou une association semblable, et par conséquent, font plus ou moins appel aux travailleurs sociaux de l’ASE. Ces derniers ne semblent pas très au fait des détails de cette collaboration, et nombre de professionnels des 1
Nous parlons ici des associations à même de repérer des jeunes et non des associations mandatées pour la mise en œuvre des mesures d’assistance éducative.
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services extérieurs sont dans le même cas : peu d’assistantes sociales de polyvalence imaginent que leurs rapports sociaux, qui viennent souvent en complément de la demande d’un jeune majeur, seront renvoyés sur une association ; dans le cas contraire elles s’adresseraient directement à elle, comme le font les travailleurs sociaux qui connaissent ce partenariat. une demande croissante Dans le même temps, on voit bien que l’ASE est énormément sollicitée parce que la précarité chez les jeunes augmente, et qu’il existe assez peu de dispositifs pour les aider, et aucun aussi complet que le CJM qui inclut l’hébergement. De plus, les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), qui prenaient en charge une partie des jeunes de 18 à 21 ans en difficulté, ont vu leur activité et leurs budgets réorientés vers des mesures pénales. Même si les magistrats peuvent continuer à ordonner des mesures de protection jeune majeur, le financement de la mesure n’est pas garanti. Les professionnels décrivent une friction entre les différentes tutelles, avec une pression pour que les départements prennent en charge le suivi des jeunes majeurs à la place du ministère de la justice ; ce qui place d’ailleurs certains professionnels qui travaillent à la fois avec l’ASE et la PJJ, dans des situations bancales. La chef du service éducatif de Z explique que cela les oblige à jongler, à la fois entre les budgets et entre les statuts des jeunes, d’autant que la Protection Judiciaire de Jeunes Majeurs (PJJM), équivalent judiciaire de la mesure de l’ASE, permettait de prendre en compte une population de moins en moins reçue à l’ASE, à savoir les 18-20 ans en rupture familiale et en incapacité de proposer et de s’inscrire dans un projet.
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Ainsi, on note une organisation partenariale assez inédite : peu connue des travailleurs sociaux de l’ASE, cette organisation est utilisée inégalement selon les inspecteurs ; elle reste largement méconnue des assistantes sociales sur le terrain (assistantes sociales scolaires, assistantes sociales de secteur), mais est utilisée comme médiateur par le service d’accueil pour jeunes SDF, qui reçoit pourtant des jeunes en fin de mesure. A coup sûr, ce manque de lisibilité n’améliore pas la communication et ne tend pas à désenclaver l’ASE, qui semble isolée et nécessite un médiateur auprès des services non spécialisés en protection de l’enfance, tout en continuant à devoir faire face à une demande croissante. Difficile d’accès et sélectif dans son fonctionnement, le CJM tel qu’il se pratique ici, n’est-il pas producteur d’une plus grande vulnérabilité ? Le contrat jeune majeur sinon rien ? En déterminant les modalités de notre enquête, nous voulions découvrir si dans les services d’urgence, d’accueil pour jeunes SDF ou d’accueil d’urgence des polyvalences de secteurs, un certain nombre de jeunes n’étaient pas des jeunes ayant bénéficié d’un CJM. Notre intuition était qu’à l’issue de cette mesure, ils n’étaient pas lancés dans un parcours d’insertion professionnelle et seraient représentés dans ces services. Force est de constater que ce n’est pas le cas. Si on retrouve dans ces institutions des jeunes qui ont connu un parcours à l’ASE, la plupart en sont sortis à 18 ans, d’autres ont signé un CJM sans toutefois le poursuivre : il semble bien qu’en général, les personnes rencontrées dans les structures ont connu une rupture, un échec de ce contrat jeune majeur et ne l’ont pas poursuivi.
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les jeunes majeurs et le service d’accueil pour SDF Si l’on regarde les chiffres du service d’accueil pour jeunes âgés de 18 à 25 ans sans domicile fixe, on voit pour l’année 2008 : parmi les jeunes accueillis, la proportion de jeunes âgés 18 à 21 ans est de 59%, soit 858 personnes ; parmi ces plus jeunes, 17% ont connu l’ASE durant leur minorité ; …………………….., 0,8% ont été pris en charge avec un CJM. Sur cette petite proportion de jeunes1 ayant connu l’ASE, la directrice note que « malgré la sécurité que peut apporter cette aide, ils ne veulent pas y aller : cela représente trop de pression et pas assez de choix ». Le psychologue de la même structure voit quant à lui 10% de la population totale reçue au service. Parmi ceux qu’il reçoit, il estime qu’environ 40% ont transité par l’ASE, et ont généralement connu un échec dans la mise en place du CJM, rapidement rompu. les jeunes majeurs et le service social de secteur Nous avons également réalisé une étude sur un service social de secteur. Nous avons relevé les dossiers des personnes de 18 à 25 ans reçues dans une section territoriale, au sein du service de premier accueil. En effet, toute personne n’étant pas déjà suivie est d’abord orientée sur un service social d’accueil qui évalue les premières démarches et l’opportunité d’entamer un suivi social à plus ou moins long terme, géré par une autre équipe d’assistantes sociales.
1
Ce qui ne diminue en rien la proportion de jeunes qui pourraient par ailleurs prétendre à cette aide, dont malheureusement nous n’avons pu obtenir le chiffre.
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Sur 33 dossiers, 19 correspondaient à des personnes se déclarant isolées et en rupture familiale, principalement des femmes, dont la moitié avait un enfant à charge ou à naître. Presque tous se présentent au service social pour un problème d’hébergement. Il s’agit de jeunes avec ressources pour plus de la moitié, provenant d’allocations familiales ou d’emplois, avec un niveau de rémunération qui atteint rarement le SMIC. Ceux qui sortent d’une filière technique ont plus souvent un diplôme, mais il existe aussi une déscolarisation avant la fin d’une formation, y compris au collège. Cette population en difficulté d’insertion et sans réseau d’aide, constitue la moitié de l’échantillon, mais parmi elle, un très faible pourcentage de personnes ont croisé une prise en charge de l’ASE. Il s’agit de 5 personnes, dont une n’a pas bénéficié d’un CJM, la mesure de protection s’étant terminée avant 18 ans ; les autres situations correspondent à des mesures jeunes majeurs interrompues, soit par le service, plus rarement par le jeune. Leur représentation n’est donc pas importante, et en tout état de cause, aucune personne ayant mené son CJM à son terme n’est représentée ici. De manière marginale par rapport à notre préoccupation, la surreprésentation des femmes ayant un enfant à naître ou à charge ne semble pas anodine et mériterait certainement d’être regardée de plus près. Entre le 1er septembre 2008 et le 28 février 2009, parmi les personnes reçues en urgence à l’accueil, 33 étaient âgées de 18 à 25 ans. A l’étude de ces 33 fiches, nous n’avons retenu que les personnes se déclarant isolées, qui représente 57,5%, soit plus de la moitié de l’échantillon (19 personnes). Il s’agit donc de résultats très modestes qui visaient à identifier une éventuelle prévalence parmi les jeunes reçus dans ce service
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non spécialisé, de jeunes ayant bénéficié d’un CJM ou correspondant à ses critères. Le détail de cette étude de dossier se trouve en annexe 2. deux itinéraires Ainsi, sur les 19 personnes se déclarant isolées, 47% ont relevé ou pourraient relever d’un contrat jeune majeur avec l’ASE, ce qui représente 27% de la population âgée de 18 à 25 reçues au service au cours de la période (6 mois). Aucun n’avait poursuivi un CJM jusqu’à son terme. Nous n’avons donc pas rencontré de jeunes en errance après avoir mené à bien un CJM. Peut-on pour autant en déduire que le CJM permet une socialisation ? Il faudrait peut-être distinguer les effets de cette mesure selon que le jeune s’est montré totalement ou suffisamment coopératif, ou qu’il n’ait pas réussi à répondre aux exigences du CJM et qu’il ait alors dû y renoncer par lui-même ou à l’initiative du service. Le psychologue du service d’accueil pour jeunes SDF pense « que justement quelqu’un qui a pu tenir la distance du contrat il est bien armé, c’est un bon indicateur. Par définition, mais mon regard est un peu faussé ». Cela peut paraître assez logique compte tenu du fonctionnement sélectif de cette mesure. La cadre socio-éducative de l’association Z résume bien les choses : « les CJM sont réservés aux jeunes déjà insérés ». Tout en notant que d’une certaine manière l’ASE est parfois loin des réalités. Contrairement à d’autres acteurs, ils sont peu en prise avec des jeunes en errance ou en risque de clochardisation, la question de l’hébergement est finalement écartée, le bas de l’échelle ce sera une chambre d’hôtel quand c’est le standard, voire le luxe pour d’autres structures1. 1
Le travailleur social du centre d’hébergement d’urgence précise en effet qu’une sortie hôtel est une sortie « par le haut ».
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De même les professionnels qui connaissent bien le CJM le qualifient de dispositif d’insertion professionnelle d’abord, le reste ne vient qu’en second, tout en pointant que les représentations de l’insertion sont datées, et que le personnel de l’ASE est assez peu en lien avec les acteurs de l’insertion ; s’ils connaissent bien les lieux de placement, ils ne se rendent que rarement dans les structures que fréquentent les jeunes dans leurs démarches.
Ainsi le CJM s’exerce en application d’un cadre qui se définit non dans un texte mais dans une coutume qui laisse place à l’interprétation des agents. Cette pratique met en jeu un principe de sélectivité qui s’illustre dans la disjonction des publics. Mais cette sélection est également assise sur la technique d’intervention sociale. Il semble bien que dans le CJM le principe de réalité affiché par les travailleurs sociaux exerce une pression vers une plus grande conformité à des principes que les professionnels ne s’appliqueraient pas à eux-mêmes.1 La contractualisation et la logique de projet forment une sorte d’épreuve qui amène l’éviction d’une partie du public cible. C’est ce qu’il convient d’analyser plus avant.
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En effet, il est à noter que plus de la moitié des personnes interrogées est actuellement en formation ou postule à d’autres situations d’emploi, prouvant ainsi que l’insertion réelle se déroule tout au long de la vie et fonctionne d’une certaine façon sur le ressort des aspirations personnelles.
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PROTECTION OU INSERTION
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La responsabilisation Le contrat, par essence, engage deux parties. Les travailleurs sociaux que nous avons rencontrés insistent bien sur l’aspect réciproque du contrat : « c’est un contrat entre deux parties qui sont d’accord sur des objectifs » (D). Tous les professionnels à l’exception d’un seul, et y compris dans les institutions distinctes de l’ASE, se montrent favorables à la pratique contractuelle, permettant ainsi de placer l’usager au centre de l’action, d’autant plus ici, selon les professionnels, que l’usager passe du statut de mineur à celui de majeur. Par ailleurs, ce contrat permet, selon les travailleurs sociaux de l’ASE, de responsabiliser les jeunes en leur montrant « que tout ne tombe pas tout cuit » dit J, qui insiste sur la notion de responsabilisation et que le contrat est « plus que symbolique comme disent certains », que « cela apporte surtout un objectif et un engagement mutuel ». « Ils prennent conscience que leur signature engage leur responsabilité » (E). Qui s’engage ? les engagements contractuels Cette question de l’engagement est très importante dans le discours des travailleurs sociaux. Nous avons vu plus haut la teneur de ces engagements : elle est définie en fonction d’objectifs et se décline en termes financiers pour l’ASE, et en termes de démarches pour le jeune. « C’est un contrat qui en plus est signé avec le inspecteur qui engage les finances du département au nom du président du Conseil Général ; il s’engage pour des prises en charge 111
en termes d’hébergement, d’alimentation, de vêture et de scolarité, mais le jeune s’engage à faire toutes les démarches qu’il a à entreprendre » (E). Il est intéressant de noter à nouveau combien la question de l’argent est présente, spontanément dans les entretiens. La plupart des travailleurs sociaux y font référence, et souvent de manière insistante. Le contrat est signé par le cadre du secteur (cadre administratif ou à défaut cadre socio-éducatif) qui a pouvoir de décision. « Je pense que ce n’est pas artificiel, car cela formalise l’engagement de part et d’autre, c’est-à-dire qu’il y a le Département qui s’engage, la personne est reçue par l’inspecteur, qui peut repréciser le cadre du CJM » (E). Il est dans ses prérogatives de nommer un référent éducatif au sein de l’institution. Ce référent éducatif est non seulement un « fil rouge » pour le jeune souvent suivi dès sa minorité, mais aussi une personne ressource dans la mise en œuvre pratique du contrat et l’évaluation de la situation au cours de son évolution. Pourtant, dans le discours du personnel socioéducatif, il y a une intégration forte de l’institution à travers la question de l’argent, y compris des glissements de langage : « si le projet ne tient pas la route, moi je ne finance pas. Enfin, ce n’est pas moi qui finance, mais je suis plutôt à dire non » (K). « Moi, je m’engage de mon côté » (H). enjeux financiers Cette incorporation de la question financière est d’autant plus marquante qu’elle est soulevée par les travailleurs sociaux mais n’apparaît pas dans le discours du cadre. Sans doute cet aspect financier est-il important dans le dialogue
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jeune majeur/travailleur social car il est à la fois un enjeu de service et un enjeu de relation. Enjeu de service, car comme nous l’avons vu la pression financière au niveau le plus haut fait peser une menace sur le dispositif en tant que dispositif facultatif, tant sur la forme (formations courtes, sélection), que sur son devenir (la crainte qu’il ne disparaisse car trop cher). Enjeu de relation, car dans cette revendication du « donnant donnant », qui revient chez une bonne partie des travailleurs sociaux, c’est parfois la seule contrepartie proposée par le travailleur social, de manière tangible, qui apparaît dans le contrat. Tout ce qui tient au travail et à la relation éducatifs ne figure pas par écrit. « On est exigeant avec les jeunes majeurs, qu’ils nous prouvent que cela va tenir, parce que mine de rien, c’est de l’argent tout ça quand même, ça se monnaye un CJM » (H). les places dans la relation éducative le jeune De la même façon, ce qui ressort dans le discours concernant le jeune est lié à ses engagements, bien plus rarement et de façon moins spontanée à ses besoins. Il doit ainsi s’engager dans des démarches et s’engager à respecter le cadre : celui de sa formation, celui de son hébergement, celui de son suivi éducatif, voire psychologique. « Bon je trouve que ça peut peut-être poser les choses et dire attends, tu avais signé là, regarde la date, tu t’étais engagé, ça c’est ton écriture, c’est pas la mienne. Tu t’étais engagé, je m’engage à ça, ça, ça. Tu as tenu ou tu n’as pas tenu ? Je pense qu’en termes de responsabilités cela peut aider » (H).
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le travailleur social D’un autre côté, les engagements propres de l’éducateur ne sont pas toujours clairs. « Je ne peux pas tenir des engagements sur un rythme, je ne m’engage jamais, ce n’est pas possible, mais je suis joignable, si il faut qu’on se voit on se verra, parce que je ne peux pas m’engager, mais j’ai l’esprit plus dégagé avec les CJM. On n’a pas les mêmes responsabilités. Je me sens moins dans l’obligation de répondre dans des délais très très courts. […]. La réponse peut être différée parce qu’ils sont majeurs » (E). Une psychologue intervenant dans une structure éducative et d’hébergement qui travaille avec l’ASE pour les grands mineurs et les jeunes majeurs, où le psychologue est le référent du jeune, nous a manifesté elle aussi, son adhésion au principe du travail contractuel, dont les valeurs responsabilisantes permettraient au jeune de prendre sa place d’adulte. Pour autant, elle insiste sur le fait qu’elle-même n’a pas de contrat avec l’association : elle s’engage au cas par cas, sur les situations qui lui sont confiées, mais conserve son titre de psychologue libéral. La question de l’engagement, revendiquée réciproque, est de fait assez subtile dans la pratique. Le département engage des fonds financiers et exige une contrepartie de la part des jeunes qui d’une certaine manière doivent se montrer méritants, et justifier ces dépenses. Ce dialogue-là est répercuté dans le dialogue éducateur/jeune, même s’il ne semble pas suffire complètement, puisque les travailleurs sociaux insistent : « si c’est juste pour une question d’argent je suis contre […]. Nous ne sommes pas la Banque de France » (F). « Il faut qu’il y ait une demande de suivi éducatif, si c’est pour une aide financière, ce n’est pas le bon dispositif » (E).
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On retrouve ici le même double niveau que dans les critères de sélection, articulés autour, d’une part, une bonne volonté, une coopération appuyée sur une solide motivation, et d’autre part, une vulnérabilité du jeune, qui doit nécessiter un accompagnement éducatif. L’engagement pèse essentiellement sur le jeune, car c’est ce qui conditionne la continuité de l’aide proposée. « Il y a des contrats qui s’arrêtent, si ces engagements ne sont pas tenus, nous ne sommes pas tenus de garder ce contrat, nous pouvons l’arrêter à tout moment, l’une des deux parties peut dire ça y est » (G). Qui est protégé ? le principe de réversibilité Le contrat, en tant que document écrit, engageant deux parties pouvant se rétracter à tout moment, est une notion qui revient dans tous les entretiens. Il semble important pour les professionnels de préciser qu’il peut être rompu. Cette caractéristique est avancée à la fois comme un avantage pour le jeune qui peut décider pour lui-même, même s’il est difficile d’y « renoncer » (A) tout autant qu’il peut être difficile de s’y tenir. Dans un premier temps on note que, parmi ceux qui accèdent au CJM, sont protégés ceux « qui peuvent tenir la distance » (discours du psychologue). Le fonctionnement sélectif, basé sur la demande-le projet-l’engagement, est actif tout au long de la mesure : moins sélectif à l’entrée pour les jeunes connus de l’ASE, mais d’autant plus difficile à tenir, du fait des exigences qui se maintiennent au cours de la mise en œuvre. Nous avons donc posé la question directement aux professionnels rencontrés. Les discours autour du CJM étaient axés sur la responsabilisation, alors que l’ASE est
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positionnée sur des missions de prévention et de protection ; à cet égard quel est l’apport de la contractualisation ? Il est apparu alors une tendance assez forte : définir la valeur protectrice du contrat par la réversibilité de l’engagement. « Je pense que le contrat c’est légalement quelque chose de l’ordre de la confiance, et un contrat peut être rompu à tout moment1 quand il n’y a plus ce lien de confiance avec le jeune. […] Si le contrat n’est pas respecté, on a quelque chose d’écrit, quelque chose de signé, normalement le jeune s’engage là-dedans, le jour où il n’a pas respecté le contrat, eh bien c’est terminé » (C). « Ces histoires d’objectifs c’est un peu l’épée de Damoclès, on a des raisons sur lesquelles s’appuyer pour botter en touche […]. L’’idée du contrat est intéressante dans le sens où il y a un réel engagement des deux côtés, il faut un certain équilibre, et non une menace pour l’un et une protection pour l’autre » (I). une protection pour les travailleurs sociaux En somme la valeur protectrice de la réversibilité du contrat semble surtout fonctionner pour le travailleur social. « Cela nous soulage et cela nous déculpabilise aussi, de dire mais attends je te l’avais dit, ne me dis pas que tu ne savais pas. C’est ça aussi, parce que c’est une chose qu’on ne peut pas faire avec les mineurs à part dire au juge c’est plus possible, il faut une main levée» (H). L’accent est effectivement souvent mis sur la différence entre mineurs et majeurs, entre aide contrainte et aide 1
Il est intéressant de noter que cet argument revient souvent, mais jamais assorti de la notion de préavis.
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facultative. L’aspect non obligatoire de l’aide aux jeunes majeurs est largement souligné. Comme si, avec cette pratique, c’était aussi le travailleur social qui était au cœur de l’action, comme si, dans sa relation supposée d’égal à égal avec l’usager de protection de l’enfance, dans sa relation d’aide demandée par l’usager et accordée par l’institution sur l’évaluation du travailleur social, ce dernier retrouvait une position d’acteur que beaucoup semblent ne pas trouver dans la protection des mineurs. Les professionnels pointent en effet que dans les suivis de mesures judiciaires, l’obligation ne s’applique pas qu’aux familles mais aussi aux professionnels. La nature et le sens de la mesure dépendent d’abord d’une situation initiale, et non de la situation d’arrivée, c'est-à-dire un objectif déterminé. En d’autres termes, l’injonction judiciaire vient prendre acte d’une situation de manque à laquelle la société doit remédier : c’est, pourrait-on dire, une fin en soi. En somme, c’est une mesure d’assistance dans sa tradition classique, qui vient interagir dans une situation où l’individu n’a pas accès aux conditions essentielles de son existence. Elle se fonde d’abord dans une mission de rétablissement plutôt que de changement. Si cette situation semble pesante pour les professionnels, n’est-ce pas par sa marginalité dans un système d’aide sociale où la crainte de la dépendance à un assistanat conduit à penser l’action sociale comme une négociation en termes d’objectifs à atteindre en un temps donné ? Toutefois, il faut aussi noter la difficulté de protéger des personnes en dépit de leur réticence. « Des fois on n’arrive pas à protéger les mineurs » (C) ; « C’est une obligation pour l’ASE de protéger les mineurs, mais il y en a plein qui n’en veulent pas de cette protection » (E). Une situation peu valorisante pour les travailleurs sociaux mais qui soulève aussi le problème des comportements des bénéficiaires face à ce qui leur est imposé, fut-ce de l’aide. Une question bien trop vaste et complexe pour être traitée ici, bien que jouant
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très certainement un rôle dans le confort que semblent trouver les intervenants sociaux dans l’aide négociée de partie à partie. Dans l’aide aux jeunes majeurs, plus de juge, ni de parents. En effet, ces derniers ne sont en principe plus reçus à l’ASE. Seule une professionnelle semble faire des entretiens avec des parents si elle en évalue l’opportunité ; pour les autres, l’âge de la majorité marque la fin du travail avec les parents, même si les relations filiales de l’intéressé peuvent être au cœur du travail éducatif, comme nous l’avons développé plus haut. Cette question de la relation avec le jeune, sans travail direct avec les parents, est fortement évoquée et nous semble symptomatique d’un glissement de la protection de l’enfance vers une plus grande place au soutien à la parentalité, au détriment, selon certains professionnels, d’un travail sur les besoins de l’enfant, qui s’évaluent alors en fonction de la situation des parents. Une éducatrice relève que de « plus en plus le travail avec les mineurs c’est le travail avec les parents » (F), ce qui pour J va se développer car la loi de 2007, « demande et le mot est faible », un travail avec les familles par la contractualisation, plutôt qu’un recours au judiciaire. On peut ainsi se demander si l’adhésion des travailleurs sociaux à la forme du CJM, notamment dans ses aspects responsabilisants, ne tient pas à une situation inédite à l’ASE : relation d’aide sans intermédiaires, provisoire (limitée à 21 ans), fondée sur l’évaluation sociale, et guidée par des objectifs dits réalistes et de ce fait observables, et enfin une relation facultative ; une situation apportant un certain confort comparé au travail avec les mineurs ?
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quelle protection pour le jeune ? Toutefois, il reste la question de savoir si les jeunes majeurs sont également sécurisés par cette forme d’aide contractualisée. L’éclairage de l’enquête auprès des professionnels tend à renverser la question, qui serait alors : quel jeune est protégé ? « Je dirais que les petites cases du CJM permettent de répondre à des jeunes qui ont envie d’accéder à un autre type de statut, qui savent aussi où se situer par rapport aux plus âgés. Mais il y en a aussi, moi j’en vois de plus en plus, qui relèvent vraiment de la protection, donc d’une vraie protection, exactement comme les mineurs » (B). Les jeunes dans cette position seraient donc incapables de tirer profit de la contractualisation, en raison de ses effets responsabilisants et individualisants. « Ce sont des jeunes qui ont une telle peur de la responsabilité corrélative à un contrat, que le fait même de signer un contrat, c’est fou au sens pathologique, c’est une violence, c’est une souffrance terrible et cela n’a aucun sens ». Ainsi, non seulement les critères qui guident l’évaluation pour l’entrée ou le maintien dans le dispositif conduisent à une sélection (« avec les critères qu’il y a ici, il y a quand même une majorité de la population qui est exclue », C), mais la forme même du contrat, dans ses effets responsabilisants, peut entraîner des conséquences en termes de protection. La constante référence à l’autonomie et à la responsabilité, liées aux exigences du service, ainsi que l’insistance sur les particularités des missions de l’ASE et des publics qu’elle accueille, semblent créer une tension permanente dans les enjeux de la pratique et contribuent à créer une certaine ambivalence des travailleurs sociaux.
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L’ambivalence Ce qui ressort des entretiens, c’est en effet une certaine ambivalence des professionnels de la protection de l’enfance. De manière très visible, c’est une ambivalence quant à une posture à la fois de tolérance et d’exigence. Nous l’avons vu plus haut, il y a d’abord une nette différence dans l’évaluation des demandes des jeunes connus et inconnus, les travailleurs sociaux se montrant plus tolérants avec les jeunes suivis mineurs, pour qui le CJM s’inscrit alors dans une continuité. D’après les personnes rencontrées à l’ASE, cette première étape dans le cursus du jeune majeur est assez facilement réalisée même si l’éducateur doit parfois se montrer stratégique dans sa présentation, en fonction de l’inspecteur. Les professionnels ont en effet bien conscience de ces paramètres subjectifs qui tiennent à la fois au positionnement de l’inspecteur vis-à-vis de la politique institutionnelle, mais aussi à la personnalité du travailleur social : certains pointent des problèmes de disponibilité, d’autres des compétences et une inclination plus ou moins adaptées au suivi des jeunes majeurs. La tendance est donc à une plus grande tolérance et donc une moindre rigidité concernant les critères pour les jeunes déjà suivis : parmi ces jeunes qui demandent l’aide contractualisée, la plupart l’obtiennent. Néanmoins, c’est par la suite que les exigences se manifestent. Les entretiens à cet égard sont très intéressants, mais il s’agit d’abord de mieux comprendre l’évolution du discours des travailleurs sociaux. dans le discours Nous avons pu observer dans chaque entretien deux niveaux de discours.
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un niveau institutionnel Au début de l’entretien, le discours est marqué par une définition du cadre presque mot pour mot identique, basée sur une culture institutionnelle plus que sur un cadre légal repéré. On note une forte intériorisation d’une norme tacite basée sur des représentations, à la fois de l’objectif du contrat (autonomie) et les moyens de le réaliser (formations courtes et petits boulots pour participer et économiser). Enfin, une autre caractéristique du discours tient à une forte intégration de la dimension financière avec pour conséquence de se montrer sélectif et exigeant, et de faire de l’argent un élément central du dialogue et de la relation éducatifs, sur le mode du donnant-donnant. C’est là un élément qui apparaît au fil de l’entretien et vient rationaliser un discours plus subjectif. un niveau subjectif Après les propos souvent fermes des débuts d’entretien qui semblent véhiculer un cadre bien défini, les travailleurs sociaux élargissent les contours, jusqu’à ce que le cadre redevienne flou, sujet à interprétation et variable d’une personne à l’autre, d’un secteur à un autre. « Ce qui est un peu compliqué dans notre service, c’est que chaque secteur procède différemment, il a des secteurs très rigides, à la limite ils ont des cases et ils cochent, il faut être honnête, et d’autres, notamment notre secteur, où il y a plus de CJM, qui sont particulièrement souples » (F). « Tout dépend de la disponibilité que nous avons » (E). « Ce sont des choses qui sont vues avec l’inspecteur, il faut négocier » (D). « On ne peut pas demander la même chose à tout le monde » (F).
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L’accent est mis sur l’aspect subjectif, la variable personnelle. Cette phase du discours met en jeu la relation du référent éducatif avec le jeune, y compris dans sa dimension historique. Généralement, cette étape vient illustrer a contrario ce qui a été dit dans le premier mouvement, par des exemples de prises en charge avec des critères bien plus souples qu’affichés au départ, sur des objectifs eux aussi différents : « J’ai été amené plusieurs fois à soutenir un CJM […] alors qu’il n’y avait pas de formation possible […], qu’il y avait un préalable » (E). Le CJM apparaît ainsi comme une intervention au cas par cas, revendiquée comme telle par les travailleurs sociaux, mais encore faut-il pouvoir, dans certains cas, dépasser ces logiques personnelles. I note par exemple que « pour des jeunes qui ont été très éprouvants pendant leur minorité, 18 ans ça peut aussi être le moment où nous, travailleurs sociaux, on peut se réjouir de terminer la prise en charge, alors que si on se pose bien la question […] ce n’est pas rien ce qu’ils ont mis en place […] et il y a encore besoin de quelque chose ». Beaucoup se souviennent d’un cas particulier qui vient montrer qu’on peut, malgré l’aspect sélectif, se montrer tolérants, mais pour autant le cadre normatif tacite reste à l’œuvre. D’où une ambivalence entre une adhésion au cadre institutionnel (à l’œuvre au moment de l’entrée dans le CJM et au plus tard dans la mise en oeuvre et les renouvellements) et une distanciation par rapport à cette norme, justifiée par la mission éducative de l’Aide Sociale à l’Enfance. Une situation inconfortable pour le travailleur social, comme le résume E : « assez souvent on peut en tant que travailleur social soutenir un projet, mais qui ne tient que parce qu’on est là ». Une situation qui résume toute l’ambivalence des travailleurs sociaux qui d’un côté semblent
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adhérer à cette logique du cadre qui peut leur servir de protection, tout en revendiquant une marge de manœuvre qui leur permet de renouer avec « les dimensions relationnelles et d’action globale qui ont constitué le cœur du travailleur social », comme l’écrit Michel Autès1, qui note que cette tradition s’affaiblit au profit d’une taylorisation de l’organisation du travail social basée sur la technicisation. Ici, cette organisation est informelle car basée sur une norme tacite, d’autant plus intégrée qu’elle ménage une zone d’interprétation, rendant possible des négociations à la marge. Ce qui pose la question de la fragilité du travailleur social qui doit se protéger de sorte qu’il conserve une certaine marge de manœuvre : curieusement le terme de responsabilité n’est attribué qu’au jeune. Le « pouvoir » des travailleurs sociaux s’exerce dans le cas par cas, dans la possibilité de « défendre » des situations. Dans la protection la protection dans le discours Comme nous l’avons vu, les professionnels rencontrés sont attachés à la dimension éducative du CJM, qui pour tous relève bien des missions de l’ASE, même si cela n’émerge parfois qu’à partir de la phase subjective du discours. Service de suite permettant de prendre le temps de terminer en sécurité des formations initiées avant 18 ans, le CJM, pour les professionnels consultés, c’est aussi une mission de l’ASE, car majorité civile ne signifie pas maturité, a fortiori pour des jeunes au parcours difficile avec un vécu de séparation familiale.
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M. Autès, « L’insertion, une bifurcation du travail social », Esprit n°241, mars-avril 1998.
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Le discours sur la protection est variable suivant la phase de l’entretien. Dans la phase institutionnelle, la plupart des travailleurs sociaux posent des limites claires : « quand on dit protection, c’est pour les mineurs » (J). C’est dans la phase subjective que le discours se renverse : ainsi, H, qui dans un premier temps estime que le CJM ne rentre pas dans le cadre de la protection de l’enfance et dans les missions de l’ASE, puis évalue que « lorsqu’il y a vraiment de grosses difficultés […], des conflits familiaux énormes, des jeunes qui se retrouvent sans rien, là le cadre de protection de l’enfance reprend quand même son sens », G. Le cadre bien délimité par les critères énoncés plus haut ne tient plus face à la vulnérabilité des jeunes « qui ont besoin d’un interlocuteur adulte parce qu’ils savent très bien qu’ils ne sont pas si adultes que cela » (F). Comme ils sont bien connus, et qu’on évalue un besoin de soutien, les critères et les objectifs se ramollissent au profit de l’aide éducative. Néanmoins, le cadre du CJM perdure, même si on essaye de remanier le dispositif, il n’est est pas moins nécessaire d’en respecter les formes : faire une demande écrite, avoir un entretien avec le décisionnaire, signer un document formulant les objectifs et le projet de l’aide. « La prise en charge je pense qu’elle se fait souvent juste après [18 ans], mais généralement c’est après les premiers mois que cela peut s’arrêter […] on s’aperçoit que cela ne va pas du tout et à ce moment-là on arrête ». A travers les exemples et le discours des professionnels, il semble que les jeunes amenés à signer un CJM avec l’ASE pour des raisons de vulnérabilité sont confrontés à des échecs, car si le mode d’entrée est assoupli, le ressort de la demande et du projet, et par là de la responsabilisation, demeure. Ainsi l’ambivalence du discours crée une situation réelle intenable pour le bénéficiaire : comme un candidat qui serait dispensé des sélections d’entrée mais qui serait ensuite
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soumis à des exigences auxquelles il ne pourrait faire face. En cas d’échec, celui-ci sera alors imputable à cet usager qui malgré la chance qui lui a été donnée, presque un passe droit, puisque les éducateurs parlent parfois de « bataille » pour une situation, n’a pu remplir sa part du contrat. protection et sélection Il y a là ambivalence entre protection et sélection. Cette position ambivalente peut conduire à une couverture (hébergement, alimentation, etc.) provisoire, mais implique aussi des exigences dont on peut se demander si elles ne sont pas contradictoires avec la vulnérabilité des jeunes. Contrairement à la protection judiciaire, ici la décision d’accorder la protection, et la négociation des conditions de sa mise en œuvre, de même que l’évaluation et la reformulation, tout dépend de la même institution. Alors qu’un juge va ordonner une protection, il en confiera la mise en œuvre à un service : à charge pour celui-ci d’organiser le suivi du jeune majeur. L’ASE, elle, part directement sur un « donnant-donnant » : le principe de protection est d’emblée affilié à des conditions en termes d’engagement et de responsabilité. Sauf à considérer que la protection nécessaire n’est que matérielle, ce que récusent tous les éducateurs, on voit ici le point de fragilité du dispositif, basé sur un engagement réciproque en vue d’un objectif d’insertion, mais inscrit dans une institution dédiée à la protection de principe, de l’enfant et du jeune. Un paradoxe qui crée dans la pratique des situations complexes pour les travailleurs sociaux. B explique qu’il existe des stratégies différentes selon les travailleurs sociaux. Pour lui, il n’est jamais bon « de détourner les dispositifs ». Selon lui, une des stratégies les plus courantes consiste, comme nous l’avons vu, « à faire entrer quand même le jeune dans le dispositif du CJM. Le problème, c’est
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qu’ensuite, comme au départ le sens même du dispositif est invalidé, on part sur des bases de travail très instables, avec des possibilités de résultat très faibles ». Pour lui, une autre stratégie consiste à poser cette problématique et mettre les institutions face au fait que « on a un dispositif qui ne correspond pas à ce que nous pouvons identifier comme des besoins, ou en tout cas ne correspond pas aux possibilités des personnes ». La question en effet est de savoir si on peut modifier non pas le mode d’entrée dans le dispositif mais son contenu. Car pour ceux qui bénéficient du CJM sans pour autant pouvoir en assumer les modalités, c’est souvent un échec. Le psychologue de la permanence pour jeunes SDF, insiste en effet sur le fait « qu’on leur propose des choses qu’ils ne peuvent pas endosser ce qui les amène à la transgression ». Mais d’un autre côté, les travailleurs sociaux sont pris dans un dynamique qui les pousse à trouver des solutions quitte, en effet, à placer les usagers dans des situations inadaptées. Le CJM est marqué par un aspect protecteur d’une part, et responsabilisant d’autre part ; chaque part semble fonctionner de manière autonome. Cet aspect responsabilisant s’incarne dans la technique contractuelle, elle-même fondée sur le projet et la motivation. Il perdure même quand la demande de protection est assez forte pour assouplir la sélectivité d’entrée dans le dispositif. Ce clivage entre responsabilité et protection est lui-même à questionner car on peut aussi considérer que donner accès à sa propre responsabilité c’est permettre de se construire comme sujet et donc offrir une forme de protection. C’est pourquoi on peut se poser la question : est-ce que cette mesure peut être du ressort d’une seule et même institution ? Il faut également demander quelle direction lui donner : dispositif d’insertion ou dispositif d’émancipation ? Une fusion des deux est-elle possible ? Car pour être acteur, l’usager de service socio-éducatif doit
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connaître et donc explorer ses propres ressources avant de s’inscrire dans un projet clé en main, « qu’il ne peut endosser ». En fait, on peut se demander si l’ambivalence des professionnels ne vient pas, d’une certaine manière, en écho à l’ambivalence institutionnelle qui se positionne moins sur une insertion en tant que socialisation, que sur une insertion basée sur l’activation du sujet telle qu’elle s’est développée depuis le RMI dans les politiques de l’emploi et de l’insertion. Dans l’insertion l’institution « insertion » On a vu comment l’insertion des jeunes, promue au rang « d’obligation nationale » au début des années 80, participe d’une réflexion sur les aspects à la fois sociaux et professionnels, qui conduit à une construction de l’insertion fondée sur ce double niveau. A sa fondation, le RMI s’inscrit dans cette direction. Souvent en débat, la question d’intégrer les jeunes dans le dispositif RMI a toujours été rejetée, sans doute en raison du volet « revenu » : en effet, la politique française tend à favoriser la solidarité familiale plutôt que la solidarité nationale comme nous l’avons vu1. Le RMI voit donc le jour en 1988, deux ans après la loi qui marque l’inscription de la contractualisation dans les pratiques de l’ASE. Par ailleurs, comme le note G. Mauger2, si le ressort de l’insertion socio-professionnelle des jeunes était la formation, 1
Une question qui dépasse la dimension de la jeunesse comme le montre le débat sur le RSA. 2 « Les politiques d’insertion, une contribution paradoxale à la déstabilisation du marché du travail », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 2001/1.
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celle-ci « est remise en cause au profit de la mise au travail »1 qui va s’étendre à d’autres populations que la jeunesse. Pour l’auteur, « la logique économique prévaut sur la logique éducative antérieure »2 et les stratégies d’intervention sociale s’articulent autour de la notion d’individualisation. Avec le RMI, le contrat devient certes un outil de travail social, mais aussi un outil de contrôle puisque de sa validité dépend le versement du revenu minimum. On peut se demander quelle influence cela a pu avoir sur le contrat dans le travail social et particulièrement sur le CJM. On voit bien comment agit le processus de responsabilisation à travers le statut d’adulte signataire de ses engagements en contrepartie d’une aide, dont le poids financier est bien établi. l’insertion standardisée D’autre part, G. Mauger souligne que les programmes d’insertion sont « surtout des activités de substitution destinés à faire illusion [« pseudo formation »] et/ou à faire patienter […], on parle d’occupationnel »3. Le psychologue intervenant auprès des jeunes SDF parle lui aussi de programme d’occupation. Pour lui, le temps du travail social n’est pas le temps du travail psychique, c’est pourquoi parfois sont initiées des actions qui ne sont pas tenables, mais qui seraient, selon lui, un passage obligé. Cette pression par rapport au temps est très présente dans le CJM ; tout doit aller vite : il faut rapidement se positionner sur un projet, pour rapidement (à 21 ans) être autonome, pouvoir se payer un toit et à manger. Mais par ailleurs, ce n’est pas le résultat qui compte mais la participation. I note à cet égard « comme nous bataillons pour que le contrat soit renouvelé, ce cadre du contrat il n’a pas grand sens […], si rien n’a marché et que 1
Op. Cit., p. 7. Idem. 3 Ibid., p. 3. 2
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l’on continue c’est un peu contradictoire ». En fait, la motivation est survalorisée : considérée comme ressort de la réussite, elle peut s’avérer être un leurre car l’individu doit pouvoir s’appuyer sur des ressources qui ne sont pas seulement monétaires. En valorisant la motivation plus que le résultat, on pense être dans une « tolérance » mais on évacue la question de l’accès à ces ressources et on propose une aide basée sur le mérite moral. l’ASE et l’insertion Le CJM semble hésiter entre ce modèle et celui d’une socialisation par la relation éducative et le développement personnel. Dans le travail de prévention ou de protection de la petite enfance, il est beaucoup question de sécurité et d’un travail sur le développement de l’enfant, non seulement du point de vue des acquisitions mais aussi de son bien-être. Cette préoccupation de la sécurité intra personnelle s’inscrit dans le discours, non seulement des travailleurs sociaux, mais de l’institution elle-même au cours de l’adolescence et du passage à l’âge adulte. Pourtant, dans la pratique, l’ASE semble se positionner sur un accompagnement vers une insertion avant tout économique, largement inspiré des programmes d’insertion qui valent pour la population générale ; peut-être parce qu’aucun autre dispositif aussi complet n’est accessible aux jeunes ? Beaucoup de travailleurs sociaux pointent en effet qu’il y a un vide entre 18 et 25 ans, non seulement en termes de revenus de subsistance mais aussi, et peut-être surtout, en termes d’hébergement. J note que le choix se résume aux dispositifs d’urgence, où le public jeune n’est pas dissocié des adultes, ou aux FJT : mais là encore, « il y a concurrence entre les jeunes » (J) car il faut un revenu minimum pour accéder à une place dans ces foyers, lesquels, de plus,
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favoriseraient très souvent les jeunes pris en charge par l’ASE pour des raisons financières1. Ainsi à travers le CJM se joue constamment une oscillation entre des représentations de l’insertion marquées par la logique individualiste qui naît avec le RMI, et une mission de protection propre à l’institution. Une ambiguïté qui semble satisfaire assez peu les professionnels de l’ASE et des divers secteurs au regard des publics qu’ils reçoivent. De plus, ce glissement vers le fonctionnement initié par les politiques d’insertion contribue à traiter le problème sur un plan strictement fonctionnel, en laissant de côté la spécificité de la fragilité du statut de majeur et la vulnérabilité liée à ce passage, ici accentuée par une problématique familiale entraînant des conséquences sur la construction de soi. Travailler sur l’insertion telle qu’elle a été “instituée” et standardisée, c’est écarter le reste des données, et entrer dans des logiques de sélection et de responsabilisation individuelle qui ne permettent plus de protéger les plus vulnérables mais de soutenir les plus solides.
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Le loyer d’un jeune suivi à l’ASE est à la hausse par rapport à un autre jeune, en raison de son supposé besoin d’aide éducative au sein du foyer. Cette différence de traitement amène parfois les éducateurs à adopter des stratégies diverses pour contourner ce qu’ils considèrent comme un abus.
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Protéger ou insérer, protéger pour insérer Le CJM semble incarner un dilemme entre protection et insertion. Cette division semble résulter du fait que l’insertion est devenue une technique plus qu’une pensée. En cela, la transposition de cette technique sur un dispositif tel que le CJM risque de dénaturer son principe fondateur : protéger des jeunes de 18 à 21 ans rencontrant des difficultés d’insertion sociale ou professionnelle du fait d’un manque de soutien familial.
L’insertion aléatoire Avant d’analyser les rapports de l’ASE avec cette technique de l’insertion à travers le CJM, il convient de revenir sur les ressorts qui caractérisent le domaine de l’insertion. inévitable espace de transition L’entrée dans le monde du travail ne se fait plus dans une logique linéaire. C. Dubar oppose la « situation présente d’insertion aléatoire » au « passage préprogrammé du système d’enseignement à la vie de travail »1, qui prévalait depuis l’instauration de l’école obligatoire pour tous. Le processus d’entrée dans le monde du travail n’est plus marqué par la séquence formation-emploi. C. Dubar analyse un nouvel espace qu’il appelle post-scolaire, « a priori considéré comme intermédiaire entre l’école et l’entreprise »2. Cet espace est aussi l’intermédiaire entre
1
C. Dubar, « La construction sociale de l’insertion professionnelle », Education et Sociétés, n° 7, 2001/1, p. 24. 2 Idem.
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plusieurs statuts : adolescent/adulte, âge scolaire/âge du travail. L’auteur note également qu’il s’agit d’un espace concurrentiel, marqué par l’enjeu d’être confronté à des choix multiples. Si l’emploi est l’enjeu principal c’est aussi qu’il conditionne ou influence pour beaucoup les autres domaines : choix de s’installer, choix d’un partenaire amoureux, choix de fonder une famille, implantation géographique. Dans cette période de remaniement personnel se jouent des logiques socialement construites à travers l’expérience familiale, scolaire et relationnelle, qui font des parcours d’insertion des résultantes d’interactions complexes qui ne peuvent se réduire à la seule logique économique. Cette dimension semble intégrée par les acteurs de l’action sociale tout en amenant, précisément, à un positionnement paradoxal. le paradoxe des trajectoires d’insertion initiative et injonction Cette prise en compte de la dimension subjective et donc individuelle, incite à « l’initiative personnelle au sein de dispositifs négociés, qui se définissent en termes de projets, de contrats, en bref qui visent à créer à la fois des innovations institutionnelles et des constructions subjectives »1. Dans le même temps, la relation d’aide sociale fonctionne sur l’injonction au travail, voire sur l’injonction à l’activité. On demande aux personnes de s’inscrire individuellement dans des parcours censés mener à l’emploi. Ces parcours restent prédéterminés de manière à en faciliter le comptage et l’évaluation, et reposent sur une logique paradoxale : individualiser les aides tout en les mettant face à des possibilités d’inscription stéréotypées, ce qui conduit à 1
E. Plaisance, « Socialisation » in J-Y Barreyre, B. Bouquet (dir.),Op. Cit., p. 549.
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insérer dans les dispositifs d’insertion ou des carrières d’insertion. Au lieu d’avoir un cadre dans lequel s’inscrivent collectivement les individus, on leur demande de s’inscrire individuellement dans un cadre non explicite mais d’autant plus sélectif : de ce fait, leur marge de manœuvre diminue ainsi que leurs possibilités d’investir ces trajectoires ; on aboutit alors à des parcours désincarnés. On peut se demander si cette logique de l’individuel n’est pas à l’œuvre quand l’ASE privilégie les jeunes qu’elle connaît. En dehors de l’aspect historique du dispositif, qui s’est effectivement d’abord tourné vers les bénéficiaires de l’ASE avant d’inclure, en 1986, tous les jeunes en difficultés du fait d’un manque de ressources familiales, la logique individualiste amène peut-être à considérer non pas la situation de la personne mais son parcours, ce qui conduit à classer les populations et opérer une sélection, nous l’avons vu. Les jeunes inconnus de l’ASE sont dans un rapport défavorable : on leur demande davantage alors que d’après leur situation familiale ils auraient dû bénéficier d’une aide au cours de leur minorité. On leur demande plus alors que la dette de la société à leur égard est d’autant plus lourde qu’elle n’a pas pu les protéger. une distance Par ailleurs, la relation d’aide n’aboutissant pas à un résultat concret (l’entrée sécurisée dans l’emploi), elle se tourne vers l’individu : mais au lieu d’orienter la relation vers « l’outillage » de la personne, de sorte qu’elle soit à même de s’approprier son histoire, elle la met face à des choix et des responsabilités, ici et maintenant, condition nécessaire à l’obtention de l’aide, signature à l’appui. Une façon de se distancier des échecs comme des réussites. R. Castel note que « le travailleur social est parfois condamné à vivre avec ses réussites et pas seulement ses échecs. Remettre quelqu’un à
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niveau pour qu’il soit capable de travailler est une réussite. Mais que peut-on faire si la personne ne trouve pas de travail ? »1. L’insertion est de moins en moins un état de transition, mais un état plus ou moins durable, de façon continue ou discontinue. Par ailleurs on insère dans l’insertion, en empruntant au marché du travail certaines de ses règles. exigences et compétences un dispositif exigeant Le CJM fonctionne sur un mode sélectif qui s’appuie sur un référentiel d’exigences notamment en termes d’engagement, comme nous l’apprend l’analyse des discours des travailleurs sociaux chargés de sa mise en œuvre. Le marché du travail est lui-même sélectif et fonctionne à fois sur la concurrence et la compétition. La question est de savoir si l’ASE peut préparer des populations vulnérables à cette sélectivité autrement qu’en la reproduisant ? Comment se connecter à l’insertion par le travail tout en conservant sa spécificité d’aide à la personne dans une dimension plus large ? De la même façon, on peut voir dans certaines de ces exigences une intégration d’un nouveau critère de la sphère du travail, celui de la compétence. la notion de compétence Au cours des « 30 Glorieuses », le critère de la qualification règle les entrées sur le marché du travail : à tel diplôme correspond un emploi, positionné sur une échelle, 1
R. Castel, « Les ambiguïtés de l’intervention sociale face à la montée des incertitudes », Informations sociales, n° 152, 2009/2, p. 26.
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validée par une convention collective. Cette équation n’est plus aussi opérationnelle, le modèle de la qualification ne suffit plus à régler les modes d’entrée dans la vie active. La forte concurrence des prétendants à l’emploi conduit à une diversification des conditions d’embauche, et des statuts d’emploi. Dans ce contexte, la « compétence » apparaît comme un nouveau critère de recrutement. Il implique, à côté de la qualification, « une expérience professionnelle en plus de qualités personnelles : autonomie, sens des 1 responsabilités, engagement pour l’entreprise » . Ce qui laisse penser que les capacités stratégiques ont une influence sur l’insertion des jeunes. Une stratégie dans laquelle le milieu social joue un rôle à travers les liens faibles, « pour parvenir à des emplois concurrentiels pour lesquels les recommandations et la participation aux mêmes réseaux sont souvent déterminants »2. Ainsi, l’ASE sélectionne parmi les jeunes en demande ceux qui pourront le mieux trouver une place dans le monde du travail en s’appuyant sur les mêmes modes sélectifs : la qualification (obligation scolaire ou de formation) et la compétence (savoir formuler une demande, un projet, faire des propositions). Pour autant, elle ne semble pas opérer de rattrapage social pour ces jeunes, puisqu’elle n’apporte pas d’aide à l’acquisition de ces compétences (elles sont requises dès le CJM), et ne permet pas de pallier le manque de réseau relationnel pouvant influer sur les parcours d’insertion. Comme le pointe C. Dubar : « le monde des dispositifs publics d’insertion, des stages d’attente et des professionnels de la relation d’aide est souvent le plus éloigné des segments du marché du travail au sein desquels se font les recrutements ordinaires. C’est la raison pour laquelle il n’est fréquemment
1 2
C. Dubar, Op. Cit., p. 25. Idem, p. 32.
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connecté qu’à des formes diverses “d’emplois aidés”, parmi les plus précaires »1. Ce positionnement de l’ASE dans son mode sélectif est d’autant plus source d’interrogation que par ailleurs ses rapports avec le monde de l’insertion et du marché du travail paraissent distants.
Le positionnement de l’ASE l’ASE et les modes d’accès au travail L’aide aux jeunes majeurs a été créée pour permettre aux jeunes, malgré l’abaissement de la majorité, de terminer les mesures en cours, notamment sur le plan de la formation. A l’époque, l’Aide Sociale à l’Enfance n’est pas encore décentralisée, et l’accès au marché du travail n’est pas encore entré dans une phase critique. En somme, le CJM permet alors à certains de compenser l’abaissement de la majorité afin de finir un cursus scolaire, et de sortir en douceur du système éducatif pour entrer dans le système de l’emploi. Aujourd’hui nous avons vu que ce passage n’est plus systématique mais bien problématique. Pour autant, le service reste positionné comme en 1975 : terminer ce qui a été commencé pour entrer dans le monde du travail à 21 ans au plus tard (phase institutionnelle du discours), tout en sachant que cette entrée dans le monde du travail sera une entrée dans le monde du travail précaire (alternance pour la plupart)2. Au vu des modifications des modes d’accès à l’emploi, la question de l’ASE ne devrait-elle pas être celle de la 1
C. Dubar, Op. Cit., p. 34. En effet, tous les professionnels ont été interrogés en fin d’entretien sur la situation des jeunes en fin de mesure, qui correspond en général à une place assurée en FJT, payée par une formation en alternance encore en cours. 2
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protection mais aussi de la préparation des plus fragiles ? Mais peut-elle se poser cette question dans un contexte où le problème global du soutien des jeunes dans la construction de leur identité d’adultes actifs (depuis la période d’études jusqu’à l’apprentissage des responsabilités et des prises de risques), n’est pas considérée comme relevant de la solidarité nationale mais reste du ressort de la famille, seule destinataire des mesures de politique publique ? Dans ce contexte, la demande de protection jeune majeur ne peut être qu’en expansion, faute de prise en compte politique de la question des jeunes indépendamment de la famille. Face à cette demande exponentielle l’ASE doit définir une stratégie. l’ASE et le mode sélectif Le positionnement de l’ASE vers une sélection des publics, à la fois pour les admettre dans le dispositif, et à la fois par le dispositif lui-même, pose, nous l’avons vu, la question de la spécificité de ses missions au regard de la protection, en tant que substitution à la défaillance familiale. Pour V. Girard1, l’être humain est menacé dès sa naissance sur deux plans : la dépendance biologique et la dépendance sociale. Il convient d’adapter les moyens de protéger l’homme contre ce qui menace son existence à ses différents degré de vulnérabilité, qui évoluent aussi avec son développement biologique. Ainsi, pour lui, « l’adulte selon l’apprentissage des rigueurs auxquelles l’éducation l’a préparé, organise lui-même le montant du coût des risques auquel il consent. Mais l’inégalité existe en regard du calcul et des possibilités de s’acquitter de ces coûts »2.
1
V. Girard, « Refondation de la notion de protection », in la protection en péril, Vie Sociale, n° 3/2002. 2 Idem, p. 52.
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Ainsi, il semble difficile de définir des âges ouvrant à protection et d’autres non. En adoptant un mode sélectif privilégiant la « compétence », l’ASE semble indiquer que la protection, acquise pendant la minorité, n’est plus aussi « naturelle » une fois passé le seuil de la majorité. En favorisant des parcours prédéterminés, elle sape la dimension expérimentale de l’homme, particulièrement de la jeunesse. Pour V. Girard, qui insiste sur l’aspect expérimental de l’apprentissage de la vie à travers les essais et les erreurs qui l’enrichissent, « la menace constante résiderait dans l’enfermement soit dans une dépendance à l’égard des exigences de l’apaisement d’une souffrance biologique, soit dans une dépendance à l’exigence abusive d’un milieu social ou éducatif »1. Il est intéressant de noter que cette dimension du risque est assez peu présente dans nos entretiens, excepté dans celui accordé par le travailleur social du centre d’hébergement d’urgence, qui s’interroge sur la façon dont est travaillée la question du risque au sein de l’ASE. Selon elle, les jeunes filles ont un « sentiment d’invulnérabilité » voire « d’invincibilité », et ne semblent pas en prise avec certaines réalités telles que « le danger de la rue, du quotidien, de la précarité ». Pour ce travailleur social, « il y a eu beaucoup de protection, ce qui est normal, mais est-ce que cette protection ne nuit pas à la bonne marche des choses, parce que pour beaucoup il y a eu mauvaise évaluation du risque ». Pour elle, comme principe, le risque ne serait pas assez travaillé, d’où une accumulation de difficultés dans des domaines divers tels que santé, endettement, répétition des échecs, par exemple. Ce qui pose une question simple : l’aide éducative durant la minorité permet-elle aux jeunes de se confronter à l’épreuve du CJM et au risque de ne pas pouvoir y entrer, sachant que, malgré la taille de notre échantillon nous avons 1
Op. Cit., p. 51.
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des raisons de penser que ceux qui échouent dans ce contrat se retrouvent dans des situations d’errance ou de précarité les amenant à solliciter les services sociaux en urgence. V. Girard propose qu’il « vaut mieux aborder la question de la “protection” en calcul de risques, plutôt qu’en termes de secours, assistance, prévention. Le “principe de précaution” semble plus approprié à “couvrir” le degré de responsabilité de ceux auxquels revient la prise de décision, que préparer l’Etre-vivant-étant-homme à savoir lui-même calculer ses risques pour mener sa vie de petit d’homme vers sa vie adulte »1. Il ajoute que plus l’institution fait confiance aux êtres qui la constituent, plus elle diminue les risques de désaffiliation. identité et environnement Ce parti pris supposerait de prendre en compte l’individu dans son environnement, plutôt que de le mettre face à un environnement sans interroger les interactions à l’œuvre ; tout l’intérêt du travail éducatif est d’analyser ces interactions pour permettre à la personne de se situer dans l’espace social, sans quoi on lui propose des choses « qu’elle ne peut pas endosser »2. La question de l’identité, en tant que construction génétique, éducative et humaine se constitue sur le versant social et le versant professionnel. Elle traverse les pratiques de travail social en général puisqu’elle est au cœur de l’inscription dans la société, et de l’ASE en particulier, en tant qu’acquisition fondamentale qui doit être soutenue et accompagnée bien au-delà de la prévention précoce chez l’enfant de moins de 6 ans3. 1
V. Girard, Op. Cit., p. 53. Voir plus haut. 3 6 ans est l’âge jusqu’auquel peut intervenir le Protection Maternelle et Infantile (PMI). 2
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Considérer des notions comme autonomie, insertion, socialisation ou identité comme des états finis et non comme des processus continus conduit à des interventions sociales figées sur des objectifs prédéfinis. Les délais et les attentes sont tels, qu’ils ne permettent plus les détours de l’expérimentation, de la nouveauté, de la surprise. Cette fixation peut présenter un avantage pour des professionnels soumis eux-mêmes aux interactions de leur institution avec l’environnement : comment celle-ci construit son identité, comment la fait-elle évoluer dans un environnement qui se modifie ? Une question qui ne pourra cependant pas être traitée ici.
La reconnaissance d’un besoin L’étude des entretiens avec les professionnels de l’ASE permet de dégager, à côté d’une intégration de la commande institutionnelle, une prise de conscience d’un certain décalage avec l’idée qu’ils se font de leurs missions. aide et contrepartie « La logique du service social devient celle de la contrepartie, du “donnant-donnant” », déclare R. Castel1, ce que nous avons également pu constater à travers notre enquête. Pourtant, l’analyse des discours montre que les travailleurs sociaux mettent à l’œuvre plusieurs niveaux de lecture de leur travail, et nombre d’entre eux se sont montrés assez critiques vis-à-vis des “effets pervers” de la contractualisation. Sur le plan juridique, les services compétents nous ont confirmé qu’il « s’agit bien d’une décision unilatérale de 1
R. Castel, « Les ambiguïtés de l’intervention sociale face à la montée des incertitudes », Op. Cit., p. 27.
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l’administration et non d’un contrat », alors que le discours institutionnel s’appuie sur la liberté de l’individu pouvant passer contrat. Le CJM apparaît alors, pour ce qui est de son aspect contractuel, comme une fiction tendant à faire disparaître le fait que le plus faible n’est pas en mesure de refuser les conditions qui lui sont imposées. D’où un décalage entre l’objectif éducatif exprimé surtout sous la forme de l’accès à l’autonomie, et un usager placé en position de subir. Ce face à face entre l’individu et l’institution qui a force d’imposition, place en fait tous les acteurs dans un leurre, et l’usager dans une position d’autant plus fragile. Robert Castel a bien montré comment les pratiques qui tendent à viser l’individu et non le collectif génèrent un « individu par défaut ». « Niée dans sa dignité de sujet, démunie de toute marge de manœuvre et de choix, la victime de l’individualisme négatif ne peux s’inscrire dans les rapports égalitaires (ou en voie d’égalisation) nécessaires à la démocratisation »1. Dans ces conditions on peut effectivement douter que la contractualisation sera le résultat de négociations égalitaires. Pour autant, les travailleurs sociaux de l’ASE et leurs partenaires doivent faire face à cet individu démuni. les jeunes vulnérables Nous l’avons vu à travers nos enquêtes, l’existence d’une jeunesse en rupture familiale ayant besoin d’être aidée dans cette étape transitionnelle de son parcours est bien identifiée par les travailleurs sociaux. des jeunes vulnérables en fin de mesure Comme nous l’avons constaté plus haut, le discours des travailleurs sociaux de l’ASE montre bien qu’arrivés à 18 1
J. Commaille, C. Martin, Op. Cit., p. 91.
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ans, les jeunes sont rarement en mesure de quitter l’ASE. Les rares qui décident de se passer de l’aide éducative semblent voués à des parcours difficiles. Selon les partenaires qui les rencontrent dans des services sociaux de droit commun ou d’urgence, ils ont d’abord eu recours au réseau familial, ce qui s’est rapidement montré inefficace, puis ont sollicité des aides amicales ; quand ce réseau arrive à épuisement, les jeunes se présentent dans ces services avec des besoins vitaux qui rendent le projet d’insertion prématuré : déscolarisation, addiction, prostitution, mauvaise santé physique et psychique, qui s’ajoutent aux difficultés particulières liées aux changements induits par cet âge de la vie. La majeure partie des jeunes pris en charge au cours de leur minorité sont donc demandeurs d’une poursuite en tant que jeune majeur. Les travailleurs sociaux de l’ASE nous confirment qu’il est rare que ce contrat leur soit refusé même si les situations ne sont pas en adéquation avec les objectifs. Leur demande est retenue en raison de leur vulnérabilité, mais la contractualisation ne leur permet que rarement de bénéficier d’une protection solide. Il existe donc bien, à l’issue d’une mesure éducative pour mineur, des jeunes majeurs vulnérables ; ils sont soit dans des conduites de prise de risque les mettant en danger, soit dans des inadaptations aux dispositifs ouverts. Une autre question tient à la demande des jeunes. En effet, certains, qui ont eux connu une prise en charge à l’ASE, ne souhaitent pas la resolliciter, évoquant une trop forte pression ; d’autres au contraire, « sont partants à cause des bénéfices secondaires » (voir plus haut) sans forcément investir le suivi éducatif proposé. Les professionnels décrivent aussi des jeunes qui ne formulent pas de demande.
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des jeunes vulnérables qui sortent du domicile familial Les services sociaux comme les associations se disent confrontés à un public jeune, entre 18 et 21 ans, dont la situation familiale est trop dégradée pour qu’ils puissent s’appuyer sur elle. Il s’agit parfois des jeunes qui ont connu une prise en charge à l’ASE comme de jeunes n’ayant jamais été connus. Ils ont vécu dans leur famille jusqu’à 18 ans avant de pouvoir s’émanciper d’un contexte familial dégradé. La première question serait peut-être de comprendre comment et pourquoi ces jeunes n’ont pas réussi à croiser les services de protection. Sans doute serait-il d’abord nécessaire de vérifier qu’ils ne l’ont pas fait : en effet, il est régulièrement fait référence aux jeunes placés sur décision judiciaire, mais qu’en est-il, pour ces jeunes vulnérables en rupture familiale, de la part réelle des jeunes ayant connu un accueil provisoire, donc une mesure administrative, voire une aide en milieu ouvert, judiciaire ou administrative ? Car en effet on constate que les jeunes majeurs ayant connu une prise en charge administrative n’apparaissent pas dans les discours des travailleurs sociaux de l’ASE qui font référence, soit à des jeunes jusqu’ici inconnus, soit à des jeunes auparavant pris en charge sur décision judiciaire. On peut donc s’interroger sur le devenir des mineurs qui ont connu des mesures administratives et des mesures en milieu ouvert, et leur éventuelle représentation dans la catégorie des jeunes dits “non suivis”. Enfin, il existe des jeunes qui ont une demande de protection importante qui ne peut être prise en compte dans le CJM, ni dans la Protection Judiciaire des Jeunes Majeurs qui tend à se raréfier : de ce fait, se développe une stratégie qui va consister à trouver une autre protection, transitoire à celle offerte dans le cadre du CJM.
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l’AED majeurs : un tremplin pour le CJM un phénomène encore marginal A priori l’Aide Educative à Domicile (AED), accolée au terme “majeur”, peut sembler insolite, car c’est surtout une aide préventive pour les mineurs et leur famille. C’est le pendant administratif de l’Action Educative en Milieu Ouvert (AEMO), mesure judiciaire qui prévoit une assistance éducative au sein de la famille. Dans le rapport d’activités 2007 de l’ASE, l’AED est ainsi présentée : « La mesure d’action éducative à domicile (AED) a pour objectif d’apporter aide et accompagnement, avec l’accord des parents, lorsque la santé du mineur, sa sécurité, son entretien ou son éducation l’exigent. Elle vise à protéger le mineur non émancipé et à apporter aide et soutien à sa famille en vue de prévenir et/ou de réduire les risques de danger pour le mineur, tout en favorisant son maintien dans sa famille et son réseau naturel d’appartenance. Elle peut aussi viser des jeunes majeurs âgés de moins de 21 ans, confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ». Il est également précisé que sur le département, ce type d’intervention est exercé par des services associatifs. Il faut d’abord noter que l’AED majeurs est très marginale : en 2007, sur 1536 bénéficiaires, 77 ont plus de 18 ans, soit 5 %. On voit ensuite que l’AED est conçue pour permettre au jeune d’être maintenu dans son environnement et de travailler sur le système famille1, et s’inscrit dans un contexte administratif, donc contractualisé avec les responsables de l’enfant. 1
Voir aussi en première partie le développement du travail avec les familles.
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une aide transitoire Peu de détails sur cette aide aux jeunes majeurs dans les documents de l’ASE ni dans les entretiens avec les travailleurs sociaux, lesquels ont sans doute peu de visibilité sur cette pratique entièrement déléguée aux associations agrées. Appliquée aux majeurs, l’AED fait l’objet d’un accord signé avec le jeune lui-même, puisque rien ne se fait sans sa demande ni son accord une fois franchi le seuil des 18 ans. L’association Z nous explique que cette mesure s’avère utile pour des jeunes inconnus de l’ASE, dans une situation telle qu’il fallait les protéger, sans pouvoir envisager rapidement un travail sur un parcours d’insertion correspondant aux exigences du CJM. Une part de ce public allait traditionnellement vers des mesures de protection judiciaire, celle-ci se montrant moins exigeante en termes de “compétences” (voir plus haut), mais la question de la protection des jeunes majeurs est progressivement redirigée vers les départements. L’association Z propose la solution de l’AED pour des situations de détresse auxquels les exigences d’insertion et de responsabilité (construire et tenir un projet) du CJM ne sont pas adaptées. Une solution qu’accepte l’ASE, trouvant là un compromis lui permettant d’accorder une protection qu’elle évalue nécessaire sans modifier ses modalités d’accès au CJM. Un compromis qui permet également de faire face aux contraintes de services (le suivi éducatif revient à l’association Z ou toute autre association habilitée, et non au personnel de l’ASE), et aux contraintes budgétaires. En effet, l’AED permet de proposer une aide à moindre coût pour l’ASE, qui ne finance “que” le suivi éducatif. Le suivi éducatif de l’AED peut s’orienter vers des « projets d’insertion beaucoup plus larges […] et pas
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seulement l’insertion professionnelle » (Y) mais dès que « le jeune devient plus sérieux dans son projet je demande aussitôt au travailleur social de faire une demande de CJM » (Y). Une fois le jeune sécurisé, l’association travaille sur la construction d’un projet afin de solliciter un CJM dès que possible, faisant ainsi de l’AED majeurs un tremplin pour le CJM. une aide à domicile ? Le D de AED signifie bien Domicile, mais qu’en est-il lorsque l’aide s’adresse à un majeur ? Il ne s’agit pas de jeune ayant leur propre logement mais bien des jeunes connaissant des « difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ». Le compromis de l’AED c’est donc que l’ASE finance la partie éducative, laissant l’association gérer l’hébergement du jeune. Celui-ci se fait en hôtel, puis une bonne part accède par la suite à un Foyer Jeune Travailleur (FJT), voire un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS). Comme pour d’autres catégories de population fragile, les jeunes sont donc renvoyés au système de l’hébergement hôtelier financé par l’aide sociale, qui s’est si bien développé sur le territoire qu’il atteint des sommes auxquelles plus personne ne peut faire face tout seul. L’aide aux jeunes majeurs rassemble donc de nombreuses composantes qui touchent la population générale : difficulté d’accéder à l’emploi stable et à un niveau de rémunération suffisant, difficulté de logement, difficulté de construction de soi, confrontation aux mêmes logiques d’individualisation. Du fait de leur position intermédiaire on estime pourtant que ces jeunes doivent bénéficier d’une protection et d’une éducation pour supporter ces conditions de vie, voire les améliorer.
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Conclusion Le point de départ de cette recherche consistait en une interrogation sur la possible articulation entre une logique de protection et une logique de contrat, à travers le cas exemplaire de la mise en œuvre du contrat jeune majeur sur un département. Une aide sociale qui en effet permet d’observer et d’analyser les positionnements institutionnels et professionnels à l’œuvre dans un dispositif qui s’inscrit dans la protection de l’enfance, en direction d’un public certes majeur, mais pas encore considéré comme adulte à part entière, et dont la technique d’intervention sociale lui a même donné son nom. Il est effectivement remarquable que cette aide se dénomme désormais par le terme “contrat”. Notre intuition, alimentée par des travaux préparatoires, laissait à penser que se jouait dans cette protection administrative des jeunes majeurs une ambiguïté entre dispositif de protection et dispositif d’insertion, essentiellement articulée autour de la question de la formation et du projet. Cette intuition nous a conduit à émettre l’hypothèse selon laquelle le contrat jeune majeur donnait priorité à la notion d’insertion formalisée dans un projet, par rapport à un besoin de protection. En somme le CJM serait la première marche d’un parcours dans le système social de l’insertion. Une hypothèse qui appelait une recherche sur différents niveaux : l’interprétation des acteurs sociaux et leurs pratiques réelles, confrontées au point de vue d’autres acteurs en prise avec le public ciblé, et une recherche quantitative. Il aurait été intéressant de pouvoir interroger la population directement ; pour autant une étude centrée sur les professionnels devait permettre de mieux cerner les logiques 147
de fonctionnement du contrat jeune majeur. Une étude rétrospective des contenus de contrats en termes d’objectifs et d’engagements a été envisagée sans pouvoir se réaliser. Les résultats de notre questionnement sur la possible synergie entre techniques responsabilisantes et visées protectrices ont dépassé nos hypothèses. En effet, lors de cette étude il nous est apparu que le contrat pouvait être un outil de protection ambigu, ses effets protecteurs pouvant s’appliquer à l’institution et aux travailleurs sociaux. Mais cette protection est-elle réelle et pourquoi le besoin s’en fait-il sentir ? Notre échantillon de professionnels de l’ASE, confrontés la plupart du temps à des mesures sur injonction judiciaire, semblent mis à mal par cette obligation d’aide qui leur est faite. Autre obligation qui pèse sur eux : le travail avec les familles, qui pour certains semble devenu prioritaire par rapport au travail avec l’enfant. Une double contrainte qui s’arrête avec l’âge de la majorité, qui ouvre une protection facultative. Mais dès lors, l’aide s’appuie sur des critères et des objectifs, ce qui entraîne un processus de sélection. Si les critères restent assez flous pour permettre aux agents d’exercer un pouvoir décisionnaire, les objectifs sont référencés puisqu’ils figurent sur le contrat. Mais dès lors on voit que le principe de sélectivité entraîne une culture de la performance, qui n’est pas une culture du résultat. En effet, plus que la réussite de l’objectif fixé, c’est l’attitude du jeune qui est valorisée. La performance devient celle de la bonne volonté, de la bonne observance des règles fixées. Peut-être que par sa motivation et sa bonne volonté, le jeune rassure le professionnel dans ses capacités, non seulement de sélection, mais aussi dans ses compétences éducatives ; dans le cas contraire, ce professionnel peut mettre fin à la relation éducative et se protéger d’une situation potentiellement anxiogène.
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Si le contrat en travail social fait fonction de principe de précaution pour l’institution et ses membres, on peut comprendre son succès auprès des travailleurs sociaux rencontrés. Mais, si cela était le cas, cette protection est-elle réelle ? Le fait qu’elle soit recherchée n’est-il pas le signe d’un malaise plutôt que d’une solution ? Conçu au départ comme un garde-fou préservant les familles d’une protection s’exerçant sans contrôle qui avait été mis au jour par le rapport Bianco-Lamy au début des années 80, le contrat se développe dans l’action sociale et l’Aide Sociale à l’Enfance dans un contexte qui, d’une part tend à considérer la protection elle-même comme un abus de pouvoir, et d’autre part attribue les désordres sociaux au défaut de responsabilité des individus. Le contrat se montre apte à répondre à ces deux exigences : à la fois fiction égalitaire, il se pratique dans un esprit de donnant-donnant. Reste à savoir comment cette demande de la société devient une demande des travailleurs sociaux eux-mêmes. Le grand tournant s’amorce avec l’instauration du RMI immédiatement assorti d’un contrat. Comme le contrat d'insertion, le CJM se veut un outil de travail social éthique qui « institue les contractants comme acteurs »1 mais s’inscrit également dans une certaine individualisation : jusqu’à quel point la protection peut-elle être déconnectée de sa dimension universaliste ? Pour R. Castel : « le contrat d’insertion essaye de faire appel à la fois aux ressources du sujet et à la mobilisation de l’entourage : c’est une idée dangereuse car on demande à un sujet démuni de se construire comme un sujet autonome, de faire un projet professionnel, ou même un projet de vie alors que ça ne va pas de soi ! C’est même quelque chose que l’on demande rarement à des gens qui sont parfaitement 1
B. Bouquet, « Contrat », Op. Cit., p. 141.
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intégrés »1. Cette pratique du projet s’est effectivement étendue à d’autres sphères du travail social. Telle que nous avons pu l’observer dans le cadre du CJM, elle devient également ressort de la sélection, et devient une compétence requise pour bénéficier de l’aide. Mais elle se développe également dans le déni des aspirations des usagers, au nom d’un principe de réalité, hérité d’un principe de maintien de position sociale. Désir et principe de réalité dans l’intervention sociale pourraient d’ailleurs faire l’objet d’une réflexion plus poussée. Si notre hypothèse faisait du CJM un accès aux dispositifs d’insertion, on peut finalement conclure qu’il est, de par son fonctionnement, lui-même un dispositif d’insertion. Il s’ancre dans la même logique individuelle de responsabilisation, et s’appuie sur l’association incontournable du projet et du contrat construits en référence à l’emploi via la qualification professionnelle. Comment cette mesure de protection de l’enfance destinée à soutenir l’entrée dans la vie des jeunes de 18 à 21 ans sans soutien familial est recouverte par des visées et des pratiques qui en font un dispositif d’insertion ? Dans quelle mesure prend-elle en compte la spécificité de la population qu’elle cible ? De fait, les résultats de notre recherche ont dépassé nos suppositions et montrent que le CJM, lorsqu’il est mené à son terme, permet d’éviter les services sociaux d’urgence concernant la recherche d’hébergement et de moyens de subsistance. On pourrait alors dire que la mesure réussit là son objectif de protection, mais au prix d’une sélection assez rude, qui met en concurrence des jeunes en fonction, non de leurs besoins, mais des institutions dont ils dépendent, et en fonction de compétences plus liées à leur personnalité et leur maturité qu’à des acquisitions. En effet, il semble bien que la dimension symbolique liée au passage à l’âge adulte soit 1
R. Castel, « les métamorphoses de la question sociale, conférérence-débat », Vie Sociale n°3/1995, mai juin 1995, p. 7.
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éludée dans le discours et la pratique du CJM. La problématique de l’entrée dans la vie, développée par G. Lapassade, liait une dimension objective liée aux conditions de vie, et une dimension davantage centrée sur le vécu de ce passage : elle conjuguait difficultés matérielles, psychologiques et symboliques. Même si les professionnels de l’ASE restent sensibles à la dimension psychologique, c’est surtout l’aspect matériel qui est pris en compte, et qui s’accompagne d’une pression pour que l’installation soit la plus rapide possible. Le principe de réalité est imposé sans que les jeunes puissent en faire leur propre apprentissage. Souvent cantonnés dans des trajectoires prédéterminées, une partie des jeunes est confrontée à des échecs menant à une fin de mesure. On pourrait déduire que les jeunes ayant pu se maintenir avec succès dans le CJM seraient dans un parcours professionnel ou pré-professionnel, mais cela reste à vérifier. Des recherches quantitatives et statistiques seraient à cet égard intéressantes à mener. L’objectif affiché par les professionnels de la protection de l’enfance est l’accession à l’autonomie. En réalité cette autonomie fait partie des compétences pré-requises, et l’objectif à atteindre est une autonomie financière vis-à-vis des services sociaux. L’argent est d’ailleurs au cœur du discours des intervenants et au cœur de la relation éducative. Il semble que l’enjeu soit moins de réussir un « projet » que de s’affranchir de l’aide sociale facultative. La plupart des intervenants soulignent qu’en fin de mesure, les jeunes les mieux armés sont ceux qui grâce à un emploi en alternance peuvent payer leur chambre en foyer jeune travailleur avec une allocation logement. En fait il semble que les intervenants soient pris entre leurs missions de protection de l’enfance qui s’inscrivent dans un idéal républicain de réduction des inégalités, et les logiques institutionnelles à l’œuvre. Dans un contexte social en crise où le traitement de la question des jeunes est
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essentiellement renvoyé à la famille, un dispositif tel que le CJM doit faire face à une demande importante. Face à cet afflux, l’ASE est-elle en mesure d’assurer sa mission de protection ? Comme on a pu le voir par le passé1 dans d’autres dispositifs éducatifs, l’afflux de demandes peut parfois détourner l’institution de ses missions. Si le dilemme de la protection judiciaire de la jeunesse réside dans « éduquer ou punir », celui de l’ASE est peut-être dans « émanciper ou insérer » : ou en d’autres termes, donner accès aux ressources ou donner accès aux dispositifs, l’insertion étant de plus en plus dénoncée comme étant non plus un processus mais un secteur fermé sur lui-même. Pour M. Autès, l’insertion n’est « rien d’autre que la poursuite de l’assistance par d’autres moyens, mais redoutablement plus efficaces puisqu’ils tiennent désormais éloignés tout projet de promotion et d’émancipation des individus et des publics auxquels ils s’adressent »2. Ce recouvrement des missions traditionnelles de l’ASE par la tradition récente de l’insertion, c'est-à-dire un ensemble de techniques et de logiques responsabilisantes, amène les acteurs à des stratégies de contournement pour continuer d’exercer leurs missions. C’est ce que montre de manière flagrante le recours à l’Aide Educative à Domicile (AED) pour les majeurs. Mais ces stratégies de contournement se font le plus souvent au détriment des jeunes, car elles s’appliquent à trier des publics et gérer des flux et des dispositifs. Ainsi l’AED, si elle découle d’un besoin de protection, devient un marchepied pour le CJM, consacrant ainsi ce dernier comme dispositif d’insertion. La disjonction des institutions entraîne la disjonction des publics.
1 2
Voir en première partie l’histoire de la protection de l’enfance. Op. Cit. p. 75.
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Nous avons vu qu’à l’origine, le partage des compétences entre justice et administration, c'est-à-dire, depuis la décentralisation, entre l’Etat et le Département, se définissait en une mission de prévention pour l’ASE, et une mission de protection dans des situations de danger avéré pour la justice. Les mesures judiciaires pouvant relever du civil ou du pénal, une grande majorité des décisions judiciaires sont redéployées sur le Département, qui du même coup, sur notre terrain d’observation, délègue au secteur associatif toutes ses missions de prévention. Ce décalage des missions s’accompagne d’une tension en termes de financement qui a conduit, avec la loi de 2007, à un nouveau dessin de la protection de l’enfance, où le judiciaire devient subsidiaire. Ainsi, il s’agit de faire rentrer des situations qui relevaient autrefois du Juge des Enfants dans des mesures administratives, qui fonctionnent elles aussi sur la base d’une contractualisation. La gestion financière amène une gestion des publics, elle-même entraînant un glissement des missions, rabattues sur le modèle de l’insertion. Les stratégies de contournement des acteurs sont là pour montrer que ce modèle n’est pas satisfaisant. La commission de concertation sur la politique de la jeunesse recommande dans son livre vert de refonder les mesures existantes pour les jeunes de 18 à 21 ans sans soutien familial, et de créer une mesure de protection dont le pilotage pourrait être assuré par le Conseil Général, et la responsabilité partagée entre le Conseil général et l’État.1 Cela pourrait permettre de dépasser un traitement en fonction de l’institution dont dépendent les jeunes, et de chercher à mieux cerner les besoins d’un public qui transcende les clivages institutionnels. Si la jeunesse a pu être un terrain d’expérimentation pour les pouvoirs publics, c’est qu’elle est un moment caractérisé 1
http://www.lagenerationactive.fr
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par la découverte, un moment de construction. Aujourd’hui cette jeunesse s’allonge, et se prolonge même au-delà des seuils classiques que représentent l’accès au travail et l’installation en ménage, seuils désormais réversibles1. Cette incertitude des statuts de mineur et majeur pose une autre question au CJM, qui est celle de la délimitation des aides en fonction des âges, question que nous n’avons pas pu traiter ici. Il semble que réfléchir précisément sur la question des jeunes majeurs peut permettre de comprendre les enjeux non seulement institutionnels mais aussi en termes d’intervention sociale, et met au jour l’interdépendance des systèmes de protection : sans politique globale, celle-ci reste facultative, donc soumise à l’arbitraire. Ainsi, la pratique du CJM semble se construire dans le temps sur le mode de l’assemblage, du croisement de données historiques propres à la protection de l’enfance et des évolutions de la société et de l’intervention sociale. Plusieurs dimensions sont à prendre en compte : la représentation de la jeunesse dans une dimension sociale, en tant que catégorie en difficulté d’insertion, l’évolution des pratiques d’intervention sociale vers la contractualisation, et les liens entretenus ou non entre le secteur de la protection de l’enfance et celui de l’insertion, et plus généralement entre intervention spécialisée et intervention globale. Le tout mis en œuvre dans un cadre réglementé relevant de l’aide facultative, de plus en plus détourné de son axe en raison des orientations des politiques publiques. 1
Dans son livre vert, la commission de concertation sur la politique de la jeunesse estime pourtant « qu’une fraction de la population âgée de moins de 25 ans, n’appartient plus à la catégorie « jeunesse » et se trouve déjà en emploi », considérant ainsi qu’une première entrée dans l’emploi, même précaire, serait un passage définitif dans l’âge adulte. Ce raisonnement avait déjà divisé en 1974, et mené certains débateurs à préciser que la jeunesse n’était pas assimilable au seul monde étudiant.
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ANNEXES
ANNEXE 1 - ENCART MÉTHODOLOGIQUE Nous proposons de détailler l’origine des sources et les méthodes employées pour recueillir ces données. L’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) du Département L’échantillon est constitué de 11 professionnels : - 1 Conseillère socio-éducative - 10 référents : 2 Assistantes Sociales (AS) et 8 Educateurs Spécialisés (ES). Ces professionnels représentent 3 secteurs sur 13, soit 6 grands quartiers : certains secteurs regroupent plusieurs grands quartiers, tandis que certains grands quartiers au contraire, sont découpés en deux secteurs, selon le poids de l’activité par zone géographique. Nous avons essayé de toucher tous les cas de figure, soit : un secteur représentant 3 quartiers; un secteur en représentant 2 ; et un secteur dédoublé sur un grand quartier. A travers ces entretiens, il s’agit de connaître la représentation que ces professionnels donnent de leurs missions dans le cadre du CJM, leur propre estimation de la portée du CJM, ainsi que mesurer leur adhésion à la commande institutionnelle, et à la contractualisation ; évaluer par là même la portée du contrat, ses enjeux, tant au niveau des jeunes qu’au niveau de l’ASE. Les entretiens étaient basés sur un guide relevant les informations à rechercher. De fait, très rapidement les entretiens se sont passés sous la forme d’échanges libres, guidés et/ou complétés par quelques questions plus précises. Ce questionnement était enrichi par les entretiens précédents.
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Nous nous référons aux professionnels de l’ASE rencontrés par des initiales; leurs propos sont rapportés en italiques et entre guillemets :
A B C D E
F G H
I J K
Fonction
Diplôme
Ancienneté
Conseiller Socio Educatif Assistant socio éducatif Assistant socio éducatif Assistant socio éducatif Assistant socio éducatif Assistant socio éducatif Assistant socio éducatif Assistant socio éducatif Assistant socio éducatif Assistant socio éducatif Assistant socio éducatif
Assistante Sociale
+ 15 ans
Proportion de CJM -
Educateur
6 ans
31,5 %
Educatrice
1 an
17 %
Educateur
2 ans
25 %
Educateur
6 ans
12,5 %
Assistante sociale
3 ans
30 %
Educateur
7 ans
11 %
Assistante sociale
2 ans
9,5 %
Educatrice
7 ans
19 %
Educateur
8 ans
16,5 %
Educateur
1 an
20,5 %
Autres institutions et associations interrogées en contrepoint de l’acteur principal Pour ces structures nous avons opté pour des entretiens libres basés sur quelques questions précises adaptées aux missions des structures et aux fonctions des professionnels rencontrés.
158
Association mandatée pour les mesures éducatives à l’attention des adolescents mineurs et jeunes majeurs (1621 ans), qui a la particularité d’effectuer des évaluations de demandes de CJM, mission déléguée par l’ASE. Appelons cette association : Z. - Sources documentaires. - Entretien avec la chef du service éducatif (référée par la lettre Y), entretien informel avec la directrice de la structure. Service communal d’accueil et de suivi social des personnes SDF âgées de 18 à 25 ans (sans enfants) : - Entretien avec la chef de service. - Entretien avec le psychologue. Association d’entraide des pupilles et anciens pupilles de l’Etat, des adoptés et des personnes admises ou ayant été admises à l’ASE du Département - Entretien avec le président de l’association. Deux associations à la fois lieu de placement et mandatées pour le suivi des jeunes en CJM : - Entretien avec une psychologue. - Entretien avec une éducatrice. Un centre d’hébergement d’urgence associatif pour jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans : - Entretien conjoint avec la directrice et le travailleur social. Dans l’ensemble, les entretiens avec l’échantillon principal comme avec les sources annexes, étaient d’une durée assez longue, variant de 45 minutes à 1heure 30.
159
Service d’accueil d’un service social polyvalent de secteur départemental : Analyse de dossiers concernant les jeunes entre 18 et 25 ans reçus en urgence au service social d’accueil sur une période de 6 mois (soit 33 dossiers entre septembre 2008 et février 2009). Nous avons déterminé les données à relever pour analyse quantitative et qualitative, en rapport avec les critères de prise en charge de l’ASE et les objectifs du CJM, à la fois pour la population susceptible de bénéficier d’un CJM (moins de 21 ans) et pour la population susceptible d’en avoir récemment bénéficié (25 ans maximum). Critères retenus pour sélectionner les dossiers : Age au moment du 1er accueil Enfant à charge (âge)1 Situation familiale (en rupture ou pas avec sa famille) Hébergement (isolement) Formation/Emploi/ressources Situation vis-à-vis de l’ASE : Ayant été suivi mineur Ayant été suivi mineur et majeur Ayant été suivi majeur Pour tous ceux qui ont été suivis majeurs : combien ont mené leur contrat jusqu’au bout Pour combien celui-ci a-t-il été rompu (motifs)
1
En effet, un jeune suivi en CJM ne peut avoir un enfant à sa charge ; une grossesse sera motif à réorientation.
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Pour tous ceux qui n’ont pas été suivis majeurs : combien relèvent aujourd’hui des critères de l’ASE selon les services sociaux combien de demandes ont été adressées à l’ASE et avec quelles réponses (si elles sont connues) Les résultats complets de cette étude sont présentés et analysés en annexe 2.
161
ANNEXE 2 – ANALYSE DE DOSSIERS Concernant les 19 personnes entre 18 et 25 ans reçues au premier accueil sur une période de 6 mois se déclarant isolées :
Répartition par genre : - 26% d’hommes ; - 32% de femmes seules ; - 42% de femmes avec un enfant à charge ou à naître. On note une grande majorité de femmes seules (3/4 de la population : 74 %), dont la moitié a au moins un enfant à charge ou à naître. Demande principale : 79% des jeunes se présentent avec une demande initiale qui concerne leur toit : soit pour un logement, soit pour un hébergement d’urgence. En effet, les ¾ des jeunes déclaraient un logement précaire ou instable, type 115 ou dépannage par des tiers lors du premier accueil au service social. Types d’hébergement déclarés par les jeunes isolés au moment du premier accueil : - 15 en logement instable ; - 1 en Foyer jeune travailleur ; - 1 en colocation ; - 1 en location ; - 1 situation non renseignée. 163
Liens familiaux : 73% des personnes se déclarent en rupture familiale. 2 personnes sont éloignées de leur famille sans avoir rompu leurs liens. Eléments concernant l’insertion professionnelle : Les diverses situations au regard des ressources des jeunes isolés au premier accueil du service social : - 5 se déclarent sans ressources ; - 6 déclarent un emploi ; - 4 bénéficient d’allocations familiales ; - 1 perçoit les assedics ; - 2 situations particulières recouvrent d’autres types de revenus ; - 1 situation n’est pas renseignée. 68% des jeunes isolés se présentant au premier accueil déclarent des ressources. Les revenus issus du travail se décomposent en 2 CDI et 4 CDD, dont un terminé depuis moins d’un mois. Le salaire maximum relevé est égal au SMIC. Il reste à noter que toutes les personnes déclarant des ressources issues du travail se présentent au service avec une demande d’aide financière. 63 % ont donné des renseignements sur leur niveau de scolarité : - 2 se sont arrêté au collège ; - 5 ont poursuivi jusqu’au BEP ou CAP ; - 3 ont poursuivi jusqu’au Bac pro ; - 2 ont un bac et sont inscrits dans le supérieur.
164
Il est à noter que les sortants de collège ou de lycée sortent souvent sans diplôme : la filière technique se conclue plus souvent par un diplôme. Personnes déclarant avoir été suivies par l’ASE: 5 sur 19, soit un quart (26%). Concernant les 5 personnes entre 18 et 25 ans, reçues sur une période de 6 mois, ayant été pris en charge par l’ASE Répartition par genre : Sur-représentation des femmes : 4 sur 5 personnes. Age moyen : Au moment de la première visite au service, ces personnes ont en moyenne 21 ans (21,2 ans). Contrat Jeune Majeur (CJM) dans l’historique des personnes : Toutes les personnes ont été prises en charge dès leur minorité, mais seule l’une d’entre elles n’a pas signé de CJM. Déroulé du CJM : - sur 4 CJM, tous ont été interrompus sans suite. - l’âge moyen de cette rupture de CJM est de 19,6 ans. - la rupture était : à l’origine du service dans 2 cas ; à l’origine du jeune dans une situation ; due à un changement de situation pour 1 jeune fille (en raison d’une grossesse).
165
Description des parcours : (comme pour toute l’étude, rappelons qu’il s’agit de données déclaratives relevées dans les dossiers) Scolarité/projet/ emploi
Situation actuelle
Situation au regard de l’ASE
P1 : jeune homme de 19 ans
- 1 CAP validé ; - 1 CAP non validé ; - projet : devenir pompier.
En errance : recherche constante d’hébergement
Placé à l’âge de 10 ans, pas de CJM à sa majorité, sollicité quelques mois plus tard par le jeune : il a alors 18 ans et 5 mois. Ce contrat sera rompu deux mois plus tard, au motif d’une « attitude de fuite ». Les acteurs se concertent pour une éventuelle reprise de la mesure éducative.
P2 : jeune femme de 25 ans
- Formations multiples sans validations ; - Expériences professionnelles : restauration, petite enfance, vente marchés.
166
En errance : recherche un hébergement ; prise de risque et mise en danger (prostitution, addiction)
Placée à l’ASE à 17 ans, elle signe un CJM à sa majorité, qu’elle rompt pour travailler (elle ne s’inscrit plus dans un projet de formation ou scolarité).
Scolarité/projet/ emploi
Situation actuelle
Situation au regard de l’ASE
P3 : jeune femme de 21 ans (un enfant à charge)
Actuellement en formation d’auxiliaire de puériculture via la mission locale.
Insertion en cours, pour l’instant hébergée par des tiers elle recherche un logement pour elle et son enfant.
Placée à l’ASE à 13 ans, elle signe ensuite un CJM à 18 ans, qui sera interrompu à 20 ans au motif qu’elle n’honorait pas ses rdv avec le psychologue Une demande en centre maternel est en cours.
P4 : jeune femme de 20 ans (un enfant à charge)
Actuellement en chantier d’insertion via la mission locale, avec le projet d’une formation d’agent technique de vente
Insertion en cours, pour l’instant hébergée par des tiers elle recherche un logement pour elle et son enfant
En tant que mineur étranger isolé (MEI) elle est prise en charge par l’ASE à son arrivée en France, à l’âge de 13 ans. A 18 ans elle signe un CJM, rompu au bout de 6 mois car elle est enceinte : elle passe un an dans un centre maternel.
P5 : jeune femme de 21 ans (un enfant à naître)
- CAP coiffure. Vient de terminer un CDD. Projet de reprise chez le même employeur après sa grossesse.
La grossesse perturbe son insertion professionnelle encore fragile (CDD). Pas d’hébergement stable
Placée à l’ASE à 16 ans pendant un an et demi, puis suivie en milieu ouvert (mesure éducative à domicile) pendant 6 mois : à 18 ans, fin de la mesure en milieu ouvert, pas d’information ni de proposition relatives au CJM. Demande en Centre maternel en cours.
167
Par ailleurs, il nous a paru intéressant de regarder si d’autres situations relèveraient potentiellement d’un CJM parmi les personnes reçues au service d’accueil. Nous avons posé un certain nombre de critères paraissant pertinents par rapport aux critères et objectifs décrits par les professionnels de l’ASE interrogés indépendamment de cette enquête. Composantes pour éventuellement relever d’un CJM : - être âgé de moins de 21 ans - être en rupture familiale - ne pas avoir d’enfant à charge ou à naître - ne pas vivre en famille - ne pas être locataire ou colocataire de son logement - être dans une scolarité courte ou une formation (pas de situation d’emploi partiel/précaire, ni de recherche d’emploi) - ne pas percevoir les assedics - ne pas être déjà hébergé dans un FJT seules 4 personnes pourraient éventuellement être orientées en vue d’un CJM. En l’occurrence, pour 2 d’entre elles les suites données à la première demande au service social ne sont pas connues, les personnes ne s’étant plus présentées, et 2 personnes ont été orientées vers un service spécialisé dans l’aide aux jeunes SDF.
168
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