La Deportation de Daniel Et de Ses Compa [PDF]

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Zitiervorschau

L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone

1

.

Alexandre Salomon

Août 2016

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L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone

L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone Pendant ou après le règne de Jéhoïakim ?

Par

Alexandre Salomon © Août 2016 Tous droits réservés.

Alexandre Salomon

Août 2016

L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone

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Sigles et abréviations av.n.è. : “avant notre ère”, en lieu et place de “av.J.-C.” (avant Jésus Christ). de n.è.: “de notre ère” plutôt que “ap.J.-C.” (après Jésus Christ). LXX : la Septante, une traduction grecque de la Bible hébraïque, produite à partir du IIIe siècle avant notre ère par des Juifs d’Alexandrie.

Citations de textes anglais Pour les quelques auteurs de langue anglaise que je cite dans cette étude, j’ai directement traduit de l’anglais en français. Le lecteur pourra, sur demande, m’envoyer une requête afin d’obtenir l’original en anglais à titre vérificatif.

Renseignements supplémentaires Pour plus de renseignements, vous pouvez contacter l’auteur à l’adresse suivante : [email protected]

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L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone

Introduction

G

RÂCE aux nombreuses découvertes archéologiques de ces dernières décennies, il est aujourd’hui possible

de

reconstituer

avec

précision

la

chronologie de plusieurs événements du passé relatés dans les Écritures. C’est le cas de Daniel 1 : 1 où nous lisons que “dans la troisième année du règne de Jéhoïakim, roi de Juda, Nebucadnetsar1, roi de Babylone, vint à Jérusalem et l’assiégea.” (Darby). On peut remonter à cet événement en consultant

l’abondante

information

provenant

des

chroniques babyloniennes (tablettes d’affaires, documents administratifs et légaux etc.) qui ont été découvertes à partir du XIXe siècle. Le pourquoi de notre présent article intervient en réaction à une chronologie erronée, croyons-nous, défendue par un groupement religieux très prosélyte connu sous le nom de Témoins de Jéhovah. Ayant effectué plusieurs recherches à partir de leurs écrits, depuis quelques années déjà, nous avons pu constater que la date (607 av.n.è.) qu’ils 1

Parfois orthographié “Nabuchodonosor” ou “Nébucadnezzar”. Dans cet essai,

vous rencontrerez différentes orthographes du même personnage.

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proposent pour la chute de Jérusalem devant les Babyloniens ne cadre pas avec les données bibliques et historiques2. C’est le même son de cloche avec la mention de “la troisième année du règne de Jéhoïakim” de Daniel 1 : 1—qui correspond à l’année d’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone. Nous ne visons pas la polémique, mais estimons que la vérité historique doit être dite. Ceci précisé, notre présente enquête consistera à élucider une seule et unique question : l’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone se situe-t-il pendant ou après le règne de Jéhoïakim ?

Daniel 1 : 1-2 : Perspectives historiques et herméneutiques Le livre de Daniel a longtemps été un champ de bataille intellectuelle entre spécialistes libéraux et conservateurs3. Le rouleau de Daniel débute avec ces deux premiers versets dont l’indication chronologique n’a pas échappé au feu des critiques : Dans la troisième année du règne de Yehoïaqim le roi de Juda, Neboukadnetsar le roi de Babylone vint à Jérusalem et entreprit de l’assiéger. Finalement Jéhovah livra en sa main Yehoïaqim le roi de Juda et une partie des ustensiles de la 2

Nous renvoyons le lecteur à notre étude Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle été

détruite?

(2012).

Disponible

sur

le

site

de

Jacques

Luc:

http://www.aggelia.be/livresalomon.html. 3

Voir Josh McDowell, Daniel in the Critics’ Den (San Bernardino, CA: Campus

Crusade for Christ International, 1979).

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L’exil de Daniel et de ses compagnons à Babylone

maison du [vrai] Dieu, de sorte qu’il les amena au pays de Shinéar, à la maison de son dieu ; et ces ustensiles, il les amena à la maison du trésor de son dieu.4

Les Témoins de Jéhovah font valoir que, puisque Yehoïaqim (Jéhoïakim) eut un règne total de onze ans (cf. 2 Chroniques 36 : 5), alors “la troisième année [de son] règne” dont il est ici question se rapporte en réalité à sa troisième année de vassalité à Neboukadnetsar—conformément à 2 Rois 24 : 1—soit à sa huitième année de règne. Dans le deuxième volume de leur ouvrage encyclopédique Étude perspicace des Écritures, on peut lire ce qui suit : Le passage de 2 Rois 24:1 indique que Neboukadnetsar fit pression sur le roi judéen, “et Yehoïaqim devint alors son serviteur [ou vassal] pendant trois ans. Mais il [Yehoïaqim] se retourna et se rebella contre lui [Neboukadnetsar]”. C’est apparemment à cette troisième année de Yehoïaqim comme roi vassal de Babylone que Daniel se réfère en Daniel 1:1. Il ne pouvait s’agir de la troisième des 11 années de règne de Yehoïaqim sur Juda, car à cette époque Yehoïaqim était le vassal, non de Babylone, mais de Néko, pharaon d’Égypte. Ce n’est pas avant la quatrième année du règne de Yehoïaqim sur Juda que Neboukadnetsar brisa la domination de l’Égypte sur la Syro-Palestine par sa victoire à Karkémish (625 av. n. è. [apparemment après Nisan]) (Jr 46:2). Puisque la révolte de Yehoïaqim contre Babylone provoqua sa chute après environ 11 années de règne, il faut 4

Daniel 1 : 1-2. Nos citations bibliques sont extraites de la version Traduction du

monde nouveau, éditée et publiée par les Témoins de Jéhovah. D’où le changement d’orthographe de certains noms propres. Sauf indication contraire.

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faire commencer sa sujétion de trois ans à Babylone vers la fin de sa huitième année de règne, soit vers le début de l’année 620 av. n. è.5

Ils font remarquer par ailleurs : Pour un Juif qui vivait à Babylone, la “troisième année” de Yehoïaqim était donc la troisième année où ce roi était vassal de Babylone. Daniel écrivit de cette perspective. Jérémie, quant à lui, écrivit de la perspective des Juifs qui habitaient à Jérusalem. Aussi fit-il débuter la royauté de Yehoïaqim au moment où Pharaon Néko l’établit roi. […] Dans la troisième année du règne total de Yehoïaqim, qui régna de 628 à 618 avant notre ère, Neboukadnetsar n’était pas encore “le roi de Babylone” ; il n’était que le prince héritier. […] C’est donc en 618, autrement dit durant la troisième année de la vassalité de Yehoïaqim à Babylone, que le roi Neboukadnetsar vint à Jérusalem une deuxième fois, pour punir ce roi qui s’était rebellé.6

On décèle plusieurs problèmes avec ce commentaire. Le premier problème consiste à confondre ce passage avec 2 Rois 24:1 et d’en déduire que Daniel parle de “la troisième année de la vassalité de Yehoïaqim à Babylone.” Comme le constate Mark K. Mercer : Cette solution est invraisemblable, car le texte de Daniel parle de Neboukadnezzar qui assiégea Jérusalem “dans la troisième année du règne de Jéhoïakim” (bšnt šlwš lmlkwt) 5

Étude perspicace, vol. II, p. 1188. (C’est nous qui soulignons).

6

Prêtons attention!, pp. 19, 32. (C’est nous qui soulignons).

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et non “dans la troisième année de servitude de Jéhoïakim” (bšnt šlwš l‘bwdh) comme il fallait s’y attendre si la déclaration de Daniel 1 : 1 correspondait à celle de 2 Rois 24 : 1.7

C’est là une précision pertinente. En effet, les Témoins de Jéhovah admettent que “Daniel écrivit son livre à Babylone, parmi les exilés juifs.”8 Pourtant, à Babylone, le comput des années de règne d’un roi n’incluait pas son année d’accession au trône, un fait connu par les Témoins9. En précisant qu’il s’agit de “la troisième année du règne (‫ל ַמ ְלכוּת‬,ְ ləmalkūt) de Yehoïaqim” et en rattachant cette expression à “roi de Juda” (‫הוּדה‬ ָ ְ‫מ ֶל ־י‬, ֶ melek-yəhūdāh), il est évident que Daniel évoque ici la troisième année du règne de Yehoïaqim en tant que roi de Juda et non en tant que roi vassal de Babylone, comme le suggèrent à tord les Témoins. Le deuxième problème que pose l’argumentation des Témoins a trait à l’affirmation selon laquelle “dans la troisième année du règne total de Yehoïaqim […] Neboukadnetsar n’était pas encore ‘le roi de Babylone.’” Ce raisonnement s’appuie sur le fait qu’en Jérémie 25 : 1, “la quatrième année de Yehoïaqim” équivaut à “la première 7

M. K. Mercer, “Daniel 1: 1 and Jehoiakim’s Three Years of Servitude”, Andrews

University Seminary Studies (1989), vol. 27, no 3, p. 180. Les italiques sont de l’auteur. 8

Prêtons attention, p. 19.

9

Étude perspicace, vol. I, p. 128.

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année de Neboukadretsar le roi de Babylone,” ce qui signifie que si l’on interprète littéralement l’expression “la troisième année du règne de Yehoïaqim” de Daniel 1 :1, cela irait en contradiction avec le fait que Jérémie ait situé la première année de Neboukadnetsar en tant que roi Babylone en la quatrième plutôt que la troisième année de Yehoïaqim. Or, il n’en est rien. Les Témoins reconnaissent qu’à la différence de Daniel, “Jérémie, quant à lui, écrivit de la perspective des Juifs qui habitaient à Jérusalem.” Dans le comput des rois judéens, l’année d’accession du roi était généralement inclut dans le comput des années de règne, contrairement au comput babylonien10. Le Dr. Flyord Nolen Jones fait observer ce point dans sa Chronologie de l’Ancien Testament : Habituellement, les rois de Juda se servaient de la datation avec année d’accession tandis que ceux d’Israël choisissaient le plus souvent la méthode sans année d’accession.11

On s’aperçoit par là que les deux prophètes suivent deux computs différents : l’un (Daniel) qui se trouve à Babylone 10

En 2 Rois 18 : 9, par exemple, la 4e année du roi Hizqiya (Ézékias) correspond à

la 7e année de Hoshéa (Osée), roi d’Israël, au cours de laquelle Salmanasar le roi d’Assyrie monta contre la Samarie. Mais le verset suivant stipule que la Samarie fut prise “au bout de trois ans ; ce fut dans la sixième année de Hizqiya, c’est-àdire la neuvième année d’Hoshéa le roi d’Israël.” Normalement, on devait aboutir, au bout des trois ans, à la 7e année d’Hizqiya (et non la 6e) et à la 10e année d’Hoshéa (et non la 9e). 11

F. N. Jones, The Chronology of the Old Testament (2004), p. 130. (C’est nous qui

soulignons).

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suit le décompte babylonien ; l’autre (Jérémie) qui se trouve à Jérusalem suit le décompte judéen12. Par conséquent, “la quatrième année de Yehoïaqim”—tel que le mentionne Jérémie 25 : 1—correspond exactement dans la perspective babylonienne à “la troisième année du règne de Yehoïaqim”—tel qu’indiqué en Daniel 1 : 1. Les données historiques séculaires le confirment comme on le verra par la suite ; bien qu’il fût le prince-héritier en ce moment, c’est au cours de cette même année que Neboukadnetsar accéda au trône de Babylone. Qui plus est, qualifier Neboukadnetsar de “roi de Babylone” (‫־בּ ֶבל‬ ָ ‫מ ֶל‬, ֶ melek babel) alors qu’il n’était que le prince-héritier n’est pas sans précédent dans les inscriptions babyloniennes. Belshatsar, par exemple, est qualifié de “prince-héritier” dans ces inscriptions13, tandis que le livre de Daniel (cf. 5 : 1-30 ; 7 : 1 ; 8 : 1) le désigne comme “roi.” Les Témoins de Jéhovah expliquent : Mais un vice-roi peut-il être considéré comme un roi ? Une statue exhumée dans le nord de la Syrie dans les années 70 indique qu’un chef pouvait être appelé roi alors qu’à strictement parler il portait un titre moins prestigieux. Cette 12

Voir Edwin R. Thiele, The Mysterious Numbers of the Hebrew Kings, 3e éd.

(Grand Rapids, MI: Zondervan, 1983), p. 183; Francis D. Nichol, éd. The Seventhday Adventist Bible Commentary, vol. 4. (Washington, DC: Review and Herald, 1977), pp. 747-748. 13

Jean-Jacques Glassner, Chroniques mésopotamiennes (Atlanta : Société de

Littérature Biblique [2004]), pp. 202-203 ; Jack Finegan, Light from the Ancient Past, Princeton University (éd. 1974), pp. 227-229.

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statue, qui est celle d’un chef de Gozân, porte une inscription en assyrien et une autre en araméen. La première qualifie l’homme de gouverneur de Gozân, alors que le texte parallèle en araméen le désigne par le mot roi. Il n’y a donc rien d’extraordinaire à ce que Belshatsar, qualifié de prince héritier dans les inscriptions officielles de Babylone, soit également appelé roi dans le récit araméen de Daniel.14

Ainsi, le fait que Neboukadnetsar soit désigné comme “roi de Babylone” alors qu’il n’était encore que le princehéritier au moment où il entreprit d’assiéger Jérusalem ne constitue pas un argument solide pour neutraliser le sens littéral de “la troisième année du règne de Yehoïaqim.”

L’exil à Babylone sous le règne de Yehoïaqim Vers le IIIe siècle av.n.è., Bérose, un prêtre babylonien, rédigea en grec une histoire de son pays. S’appuyant sur celle-ci, l’historien juif Flavius Josèphe (du Ier siècle de n.è.) a brossé quelques exploits de Neboukadnetsar (appelé “Nabocodrosor”), roi de Babylone. Josèphe écrit : Je citerai les paroles de Bérose qui s’exprime ainsi : “Son père Nabopolassar, apprenant la défection du satrape chargé de gouverner l’Égypte, la Cœlé-Syrie et la Phénicie, comme il ne pouvait plus lui-même supporter les fatigues, mit à la tête d’une partie de son armée son fils

14

La Tour de Garde, 15 septembre 1998, p. 9 ; Étude perspicace, vol. I, p. 292.

(C’est nous qui soulignons).

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Nabocodrosor, qui était dans la fleur de l’âge, et l’envoya contre le rebelle. Nabocodrosor en vint aux mains avec celui-ci, le vainquit dans une bataille rangée et replaça le pays sous leur domination. Il advint que son père Nabopolassar, pendant ce temps, tomba malade à Babylone et mourut après un règne de vingt et un ans. Informé bientôt de la mort de son père, Nabocodrosor régla les affaires de l’Égypte et des autres pays ; les prisonniers faits sur les Juifs, les Phéniciens, les Syriens et les peuples de la région égyptienne furent conduits, sur son ordre, à Babylone par quelques-uns de ses amis avec les troupes les plus pesamment armées et le reste du butin ; lui-même partit avec une faible escorte et parvint à travers le désert à Babylone. Trouvant les affaires administrées par les Chaldéens et le trône gardé par le plus noble d’entre eux, maître de l’empire paternel tout entier, il ordonna d’assigner aux captifs, une fois arrivés, des terres dans les endroits les plus fertiles de la Babylonie. Lui-même avec le butin de guerre orna magnifiquement le temple de Bel et les autres, restaura l’ancienne ville…”15

Ce récit évoque une bataille entre Neboukadnetsar et le “satrape chargé de gouverner l’Égypte”, jugé de “rebelle”, à l’issue de laquelle Neboukadnetsar “replaça le pays sous [la domination babylonienne].” Jérémie, le prophète, confirme cet événement en indiquant que la bataille advint “près du

15

F. Josèphe, Contre Apion livre I § 19.

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fleuve Euphrate, à Karkémish”, entre “Pharaon Néko16 le roi d’Égypte” et “Neboukadretsar le roi de Babylone, dans la quatrième année de Yehoïaqim le fils de Yoshiya [Josias], le roi de Juda.” (cf. Jérémie 46 : 1-28). Les indications fournies ici dans le texte biblique corroborent les données historiques séculaires: en “la quatrième année de Yehoïaqim”—qui, on l’a vu, correspond à “la troisième année du règne de Yehoïaqim” du point de vue babylonien—Neboukadnetsar, roi babylonien, vainquit les forces égyptiennes (dirigées par Pharaon Néko) près de l’Euphrate, à quelque 600 km de Jérusalem. Les Témoins de Jéhovah expliquent : Dans l’élan de sa victoire, Neboukadnetsar envahit la Syrie et la Palestine et, du même coup, mit fin à la domination égyptienne dans cette région. Seule la mort de son père, Nabopolassar, interrompit temporairement sa campagne. (…) Neboukadnetsar charge ses généraux de ramener les captifs et le butin ; lui, rentre précipitamment pour monter sur le trône laissé vacant par son père.17

Dans cette section rapportée par Josèphe, qu’il dit avoir puisée chez Bérose, il est précisé que les captifs dont Neboukadnetsar laissa à la charge de ses généraux incluaient “les prisonniers faits sur les Juifs, les Phéniciens, les Syriens 16

Il s’agit du Pharaon Nékao II, de la XXVIe dynastie égyptienne (cf. J. M. G.

Barclay, Flavius Josephus : Against Apion [Flavius Josephus : Transation and Commentary, 10 ; Leiden : Brill, 2006], p. 82, n°447). 17

Prêtons attention, pp. 31, 63. (C’est nous qui soulignons).

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et les peuples de la région égyptienne” ; et, avec le butin de guerre, il “orna magnifiquement le temple” de ses dieux. Les Témoins de Jéhovah contestent la mention des Juifs parmi les captifs : Bien que Bérose affirme que Nébucadnezzar emmena des prisonniers juifs en exil l’année de son accession au trône, cela n’est confirmé par aucun document cunéiforme. Plus important encore, Jérémie 52:28-30 indique avec beaucoup de précision que Nébucadnezzar emmena des prisonniers juifs la 7e, la 18e et la 23e année de son règne, mais pas l’année où il monta sur le trône. D’autre part l’historien juif Josèphe écrit que l’année où fut livrée la bataille de Carkémisch, Nébucadnezzar conquit toute la SyriePalestine, mais “n’entra point alors dans la Judée”. Cette affirmation contredit Bérose […]18

Le

premier

argument,

c’est

qu’aucun

document

cunéiforme ne le confirme. Or, la chronique babylonienne BM 21946 indique que l’année de son accession au trône— correspondant à

“la

troisième

année

du

règne

de

Yehoïaqim”—le roi Neboukadnetsar emporta à Babylone un lourd tribut du territoire de “Hatti” : Dans son année d’accession, Nabuchodonosor retourna au pays du Hatti et jusqu’au mois de Šabatu [janvier/février], il marcha sans opposition à travers le pays du Hatti, au mois

18

Que ton royaume vienne ! (1981), Appendice chap. 14, p. 188. (C’est nous qui

soulignons).

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de Šabatu, il prit le lourd tribut du territoire de Hatti et retourna à Babylone.19

À propos du terme “Hatti”, les Témoins admettent qu’il se rapporte à la Syro-Palestine.20 Le texte de 2 Rois 24 : 7 indique qu’avec la défaite subie par l’armée égyptienne, “jamais plus le roi d’Égypte ne sortit de son pays, car le roi de Babylone avait pris tout ce qui appartenait au roi d’Égypte, depuis le ouadi d’Égypte jusqu’au fleuve Euphrate.” Or, la Judée faisait partie de ce “tout ce qui appartenait au roi d’Égypte” (cf. 2 Rois 23 : 33-35). Alors, Neboukadnetsar aurait-il excepté la Judée dans le paiement du tribut ? L’affirmation de Josèphe selon laquelle Neboukadnetsar s’empara alors “de la Syrie jusqu’à Péluse, à l’exception de la Judée”21, qui constitue un autre argument pour écarter l’idée d’un premier exil juif dans l’année d’accession de Neboukadnetsar, ne contredit pas nécessairement Bérose. En fait, quelques lignes plus loin dans le même ouvrage, Josèphe reprend à nouveau les propos de Bérose en mentionnant la présence de Juifs parmi les captifs22. Ainsi, en parlant de la Judée qui fut exceptée, cela relève de la propre interprétation 19

A. K. Grayson, Assyrian and Babylonian Chronicles (1975), chronique ABC,

lignes 12-13, p. 188. (C’est nous qui soulignons). 20

Étude perspicace, vol. I, p. 1130; cf. Gerhard Larsson, “When Did the

Babylonian Captivity Begin?”, Journal of Theological Studies, vol. XVIII (1967), p. 420. 21

F. Josèphe, Antiquités judaïques, livre X, chap. 6 § 1.

22

Josèphe, Antiquités judaïques, livre X, chap. 11 § 1.

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de Josèphe23. “Toutefois, écrit le professeur Frederick F. Bruce, ni Bérose ni la narration biblique ne suggère à Josèphe que Juda fut exceptée ; cette affirmation découle de sa propre reconstruction fautive des événements de cette époque.”24 Dans son Contre Apion, Josèphe déclare que le récit de Bérose, basé sur les annales chaldéennes, “s’accorde avec nos livres et contient la vérité.” “Quant à ces faits, les annales chaldéennes doivent être considérées comme dignes de foi, d’autant que les archives des Phéniciens s’accordent aussi avec le récit de Bérose sur le roi de Babylone, attestant qu’il soumit la Syrie et toute la Phénicie.”25 Or, Bérose n’excepte pas la Judée, en confirmation avec Daniel 1 : 1-2. Le dernier argument auquel recourent les Témoins de Jéhovah est Jérémie 52:28-30. Puisque ce texte ne fait mention d’exilés juifs que dans la septième année, la dixhuitième année et la vingt-troisième année du roi babylonien, alors ils en concluent qu’il n’y a eu aucun exil en

23

Certains spécialistes, comme l’assyriologue Donald J. Wiseman, sont d’avis que

Neboukadnetsar n’entra pas personnellement sur le territoire de la Judée après sa victoire contre l’Égypte, mais que le roi judéen “se soumit volontairement à Nébucadnezzar et quelques juifs, incluant le prophète Daniel, furent pris comme captifs ou otages en destination pour Babylone.” — Wiseman, Chronicles of Chaldean Kings 626-556 B.C. [1956], p. 26. 24

F. F. Bruce, “Daniel’s First Verse,” The Bible Student n° 21.2 (1950), p. 74.

(C’est nous qui soulignons). Pour les erreurs de Josèphe sur le sujet, voir A. Salomon, Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle été détruite?, pp. 242-261. 25

F. Josèphe, Contre Apion, livre I § 20, 21.

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l’année d’accession de Neboukadnetsar. Est-ce vraiment le cas ? Absolument pas. Et pour cause : le total des exilés mentionné au verset 30 est de quatre mille six cents. Or, pour le seul exil qui advint sous le règne de Yehoïakîn (Jojakîn), fils de Yehoïaqim, on lit en 2 Rois 24 : 14 qu’il y eut “dix-mille [hommes] emmenés en exil” et qu’“on avait laissé que la classe des petites gens du peuple du pays.” Il est évident que le chiffre donné en Jérémie 52 :30 n’inclut absolument pas toutes les personnes déportées à Babylone, encore moins qu’il n’exclut qu’une élite juive ait été prise en otage l’année d’accession du roi babylonien. Comme le précise Carl Olof Jonsson : Différentes théories ont été proposées pour expliquer cette divergence, mais aucune ne peut être considérée autrement que comme une hypothèse. (…) Tous sont d’accord pour dire que Jérémie 52:28-30 ne fournit pas un nombre complet des déportés ; ainsi, certains commentateurs suggèrent que ce ne sont pas toutes déportations qui sont mentionnées dans le texte.26

Qu’il y eut bel et bien un exil au cours du règne de Yehoïaqim, cela est attesté par le scribe Ezra (Esdras) :

26

C. O. Jonsson, The Gentile Times Reconsidered, pp. 296, 297. (C’est nous qui

soulignons). Les Témoins de Jéhovah commentent : “Vu le nombre important de captifs cité en 2 Rois 24:14, le chiffre de 3 023 donné en Jérémie 52:28 semble désigner ceux qui occupaient un certain rang ou ceux qui étaient chefs de famille, et ne pas inclure les milliers de femmes et d’enfants.” — Étude perspicace, vol. I, p. 403.

Alexandre Salomon

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Yehoïaqim était âgé de vingt-cinq ans quand il commença à régner, et pendant onze ans il régna à Jérusalem ; il faisait ce qui est mauvais aux yeux de Jéhovah son Dieu. Contre lui monta Neboukadnetsar le roi de Babylone, afin de le lier avec deux entraves de cuivre pour l’emmener à Babylone. Et certains des ustensiles de la maison de Jéhovah, Neboukadnetsar les amena à Babylone et puis les mit dans son palais à Babylone.27

Remarquons que ce texte parle précisément de Yehoïaqim (‫יְ הוֹיָ ִקים‬, yəhōyāqīm28) et non de son fils Yehoïakîn (‫יְ הוֹיָ ִכין‬, yəhōyākīn29) qui est aussi simplement appelé Konia (‫כּ ְניָ הוּ‬, ָ kōnyāhu30). Il est indiqué que Neboukadnetsar monta contre Yehoïaqim, “afin de le lier avec deux entraves de cuivre pour l’emmener à Babylone.” La LXX31 et la Vulgate32 suggèrent qu’il fut effectivement emmené à Babylone. En fait, chaque fois qu’il est question de personnes liées avec des entraves de cuivre, il s’ensuit presque toujours une

27

2 Chroniques 36: 5-7.

28

“Ιωακιµ”, LXX.

29

“Ιεχονιας”, LXX.

30

“Ιεχονιας”, LXX. Cf. Jérémie 22: 24, 28; 37: 1.

31

Καὶ ἀνέβη ἐπʹ αὐτὸν Ναβουχοδονοσορ βασιλεὺς Βαβυλῶνος καὶ ἔδησεν αὐτὸν ἐν

χαλκαῖς πέδαις καὶ ἀπήγαγεν αὐτὸν εἰς Βαβυλῶνα. 32

Contra hunc ascendit Nabuchodonosor rex Chaldeorum et vinctum catenis

duxit in Babylonem.

Alexandre Salomon

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déportation de celles-ci33. Quoiqu’il en soit, que le roi de Babylone ait eu la simple intention de l’y emmener après l’avoir lié, ou qu’il l’ait effectivement fait, “on peut juger que [Yehoïaqim] fut ensuite relâché.”34 N’empêche que, selon le texte biblique précité, le roi de Babylone prit “certains des ustensiles de la maison de Jéhovah” pour les emmener dans son palais à Babylone. Il avait ainsi laissé d’autres ustensiles dans le temple de Jérusalem. Puis, parlant à présent de Yehoïakîn, son fils qui le succéda au trône, Ezra poursuit : Yehoïakîn était âgé de dix-huit ans quand il commença à régner, et pendant trois mois il régna à Jérusalem. (…) Durant ce temps-là les serviteurs de Neboukadnetsar le roi de Babylone montèrent vers Jérusalem, de sorte que la ville fut en état de siège. Alors Neboukadnetsar le roi de Babylone vint contre la ville, tandis que ses serviteurs l’assiégeaient. Finalement Yehoïakîn le roi de Juda sortit vers le roi de Babylone, lui et sa mère, ainsi que ses serviteurs, ses princes et les fonctionnaires de sa cour ; ainsi le roi de Babylone le prit dans la huitième année de son règne. Puis il fit sortir de là tous les trésors de la maison de Jéhovah et les trésors de la maison du roi, et mit ensuite en pièces tous les ustensiles d’or que Salomon le roi d’Israël avait faits dans le temple de Jéhovah, comme Jéhovah l’avait dit. Il emmena en exil tout Jérusalem et tous les princes et 33

Cf. Juges 16 : 21 ; 2 Rois 25 : 7 ; Jérémie 39 : 7 ; 52 :11 ; 2 Chroniques 33 : 11 ;

Psaumes 105 : 17-18. 34

M. L’abbé Sionnet, Sainte Bible expliquée et commentée, contenant le texte de la

Vulgate, tome 2e, Paris (1840), p. 403.

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tous les hommes forts et vaillants — c’est dix mille [hommes] qu’il emmenait en exil — ainsi que tout artisan et tout bâtisseur de remparts. On n’avait laissé que la classe des petites gens du peuple du pays. Ainsi il emmena Yehoïakîn en exil à Babylone ; la mère du roi, les femmes du roi, les fonctionnaires de sa cour et les principaux personnages du pays, il les emmena comme exilés de Jérusalem à Babylone. Et tous les hommes vaillants, sept mille, les artisans et les bâtisseurs de remparts, mille, tous les hommes forts qui faisaient la guerre, le roi de Babylone les amena alors comme exilés à Babylone.35

À cette nouvelle occasion, Neboukadnetsar se saisit de “tous les trésors de la maison de Jéhovah et les trésors de la maison du roi”, en détruisant “tous les ustensiles d’or” qu’il avait laissés la première fois. Il est précisé qu’il “emmena en exil tout Jérusalem et tous les princes et tous les hommes forts et vaillants,” en ne laissant sur place que quelques faibles gens. Il est toutefois évident, d’après les deux textes bibliques que nous venons de citer, qu’il y eut à deux reprises le déplacement des ustensiles ou objets de valeur du temple de Jérusalem en destination de Babylone : une première fois sous le règne de Yehoïaqim (où ce ne fut que certains ustensiles qui furent emportés) et une seconde fois sous le règne de son fils Yehoïakîn (où tous les trésors furent emportés).

35

2 Rois 24 : 8-17.

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Cela implique que sous le règne de Yehoïaqim, le roi de Babylone a effectivement pris du butin à Jérusalem. Mais ce butin ne se limitait-il qu’à certains ustensiles ? N’y a-t-il pas eu de captifs? Comparons attentivement 2 Chroniques 36: 57 et Daniel 1 : 1: 2 Chroniques 36: 5-7 Yehoïaqim était âgé de vingt-cinq ans quand il commença à régner, et pendant onze ans il régna à Jérusalem ; il faisait ce qui est mauvais aux yeux de Jéhovah son Dieu. 5

Contre lui monta Neboukadnetsar le roi de Babylone, afin de le lier avec deux entraves de cuivre pour l’emmener à Babylone. 6

Et certains des ustensiles de la maison de Jéhovah, Neboukadnetsar les amena à Babylone et puis les mit dans son palais à Babylone. 7

Daniel 1 : 1 Dans la troisième année du règne de Yehoïaqim le roi de Juda, Neboukadnetsar le roi de Babylone vint à Jérusalem et entreprit de l’assiéger. 1

Finalement Jéhovah livra en sa main Yehoïaqim le roi de Juda et une partie des ustensiles de la maison du [vrai] Dieu, de sorte qu’il les amena au pays de Shinéar, à la maison de son dieu ; et ces ustensiles, il les amena à la maison du trésor de son dieu. 2

Dire de Neboukadnetsar qu’il ‘monta contre Yehoïaqim’, équivaut à l’affirmation qu’il “vint à Jérusalem et entreprit de l’assiéger.” Le fait que Neboukadnetsar l’ait lié indique que “Jéhovah livra en sa main Yehoïaqim” puisque ce dernier “faisait ce qui est mauvais aux yeux de Jéhovah son Dieu.” Finalement, il est question de part et d’autre de “certains des ustensiles de la maison de Jéhovah” et d’“une partie des ustensiles de la maison du [vrai] Dieu” que le roi babylonien emporta dans sa maison et celui de son dieu. Cela fait écho aux propos de Bérose qui déclara que le roi de Babylone,

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“avec le butin de guerre orna magnifiquement le temple de [son dieu] Bel et les autres.” On peut en déduire que les deux textes bibliques précités relatent le même événement. Or, Daniel 1 : 3-6 a soin de préciser que Neboukadnetsar avait aussi pris “quelques-uns d’entre les fils d’Israël et de la descendance royale et d’entre les nobles” et “quelques-uns des fils de Juda.” Il y eut donc, non seulement une prise de butin (des ustensiles sacrés) à Jérusalem, mais aussi des captifs—parmi lesquels figurent Daniel et ses compagnons judéens—dans la quatrième année du règne de Yehoïaqim sur Juda, c’est-àdire dans l’année d’accession de Neboukadnetsar. Un autre détail vient conforter cette conclusion. Où était passé Yehoïaqim ? Au sujet de Daniel 1 :1-2, les Témoins de Jéhovah écrivent: Le récit de Daniel (1:1, 2) dit que Neboukadnetsar vint contre Jérusalem et l’assiégea, et que Yehoïaqim, ainsi que certains ustensiles du temple, furent livrés aux mains du roi de Babylone. Mais le récit de 2 Rois 24:10-15, qui décrit le siège de Jérusalem par les Babyloniens, montre que c’est Yehoïakîn, fils de Yehoïaqim, dont le règne dura seulement trois mois et dix jours, qui capitula et sortit vers les Babyloniens. Il semble donc que Yehoïaqim mourut durant le siège de la ville, peut-être au début de celui-ci. (…) On ne sait pas exactement de quelle façon Yehoïaqim fut ‘livré dans la main de Neboukadnetsar’. (Dn 1:2.) Peut-être est-ce dans le sens qu’il mourut au cours du siège et que son fils

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dut ensuite partir en captivité, si bien que la lignée de Yehoïaqim perdit la royauté aux mains de Neboukadnetsar. (…) Après le siège de Jérusalem durant la “troisième année” de Yehoïaqim (comme roi vassal), Daniel et d’autres Judéens, dont des nobles et des membres de la famille royale, furent emmenés en exil à Babylone. Comme aucune mention n’est faite d’un exil précédent à Babylone, il faut sans doute placer cet événement dans le court règne de Yehoïakîn, successeur de Yehoïaqim. — 2R 24:12-16 ; Jr 52:28.36

Décortiquons ce commentaire. Ils citent 2 Rois 24:10-15 pour indiquer que c’est Yehoïakîn, et non Yehoïaqim, “qui capitula et sortit vers les Babyloniens.” Ainsi, l’affirmation de Daniel 1 :2 selon laquelle c’est Yehoïaqim qui ‘fut livré dans la main de Neboukadnetsar’ est interprétée par les Témoins comme s’appliquant à son fils Yehoïakîn. Toutefois, ils omettent de citer un autre texte parallèle (cf. 2 Chroniques 36 : 5-10) qui montre clairement qu’avant que Yehoïakîn ne “commence à régner”, Neboukadnetsar était déjà monté contre son père Yehoïaqim et avait emporté à Babylone “certains des ustensiles de la maison de Jéhovah” (cf. supra). C’est seulement plus tard—en la septième année de Neboukadnetsar—que Yehoïakîn “capitula et sortit vers les Babyloniens.” Il va de soi que les Témoins avouent ne pas savoir “exactement de quelle façon Yehoïaqim fut ‘livré dans la main de Neboukadnetsar.’” Pourtant, ce n’est pas difficile à 36

Étude perspicace, vol. II, p. 1188. (C’est nous qui soulignons).

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comprendre : l’expression livrer en la main d’une personne requiert généralement le sens d’être sous le pouvoir ou sous la domination de celle-ci37. Yehoïaqim fut donc ‘livré en la main’ de Neboukadnetsar ce sens qu’il devint son ‘ebed (“serviteur” i.e. son vassal38). L’événement relaté en Daniel 1 :1-2 ne peut donc être placé “dans le court règne de Yehoïakîn, successeur de Yehoïaqim”, mais dans le règne de Yehoïaqim lui-même. Dans leur manuel biblique La Bible : Parole de Dieu ou des hommes ?, les Témoins de Jéhovah font constater ce qui suit : (…) la Bible rapporte que sous le règne du roi Jéhoïakin les Babyloniens mirent le siège devant Jérusalem et la prirent. Cet

événement

est

consigné

dans

la

chronique

babylonienne, une tablette en cunéiforme mise au jour par les archéologues. On y lit: “Le roi d’Akkad [Babylone] (...) s’établit devant la ville de Yahudu (Juda) et au mois d’addar, le deuxième jour (...) il prit la ville.” Jéhoïakin fut emmené à Babylone et emprisonné.”39

La tablette en cunéiforme dont il est ici question est la BM 21946. Elle déclare précisément :

37

Nombres 21 : 34 ; Deutéronome 1 : 27 ; 2 :29-30 ; 19 :12 ; Josué 8 : 18-19 ; 1

Samuel 23 : 20 ; 2 Chroniques 25 : 20 ; Néhémia (Néhémie) 9 : 23-24 ; Jérémie 20 : 4-5. 38

2 Rois 24 : 1.

39

La Bible : Parole de Dieu ou des hommes ? (1989), chap. 4, p. 48. (C’est nous qui

soulignons).

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La septième année, au mois de Kislev, le roi d’Akkad rassembla ses troupes et se mit en marche vers le pays du Hatti. Il assiégea la cité de Juda et le deuxième jour du mois d’Adar, il s’empara de la cité et captura le roi. Il désigna là un roi selon son cœur, reçut son lourd tribut et (les) envoya à Babylone.40

Ces informations dignes d’intérêt méritent qu’on s’y arrête un instant: le roi d’Akkad désigne Neboukadnetsar, roi de Babylone ; le mois de Kislev est le neuvième du calendrier babylonien, correspondant à novembre/décembre et Adar, douzième mois, correspond à février/mars. Il est indiqué qu’en sa septième année, le roi d’Akkad s’empara de la cité de Juda et captura le roi—qui n’est autre que Yehoïakîn—et il “désigna là un roi selon son cœur”, à savoir Tsidqiya (Sédécias41). Puisque Neboukadnetsar se mit en marche vers le Hatti (Syro-Palestine) à partir du “mois de Kislev” et arriva dans le Hatti au “mois d’Adar”, c’est qu’il fit environ trois mois de marche. Or, au sujet de Yehoïakîn, 2 Chroniques 36 :9 déclare qu’il régna à Jérusalem précisément “pendant trois mois et dix jours.” Ce qui implique qu’au moment où Neboukadnetsar quitta Babylone pour le Hatti, Yehoïakîn ne régnait que depuis seulement quelques jours, son père Yehoïaqim étant déjà mort (cf. 2 Rois 24 : 6). 40

Wiseman, Chronicles of Chaldean Kings, p. 73; Glassner, Chroniques

mésopotamiennes, p. 200; Étude perspicace, vol. I, p. 457. 41

2 Rois 24 : 12-17 ; 2 Chroniques 36 : 9-10.

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Par conséquent, si l’événement relaté en Daniel 1 :1-2 doit se situer dans le court règne de Yehoïakîn—comme le soutiennent les Témoins—alors pourquoi Daniel 1 : 2 déclare-t-il que “Jéhovah livra en sa main Yehoïaqim” (plutôt que Yehoïakîn), alors que Yehoïaqim devait être déjà mort depuis trois mois, avant même que Neboukadnetsar n’arrive sur le territoire ? La deuxième année du règne de Neboukadnetsar Daniel 2 :1-49 nous renvoie “dans la deuxième année du règne de Neboukadnetsar” au cours de laquelle Daniel, connu pour être l’un des “sages de Babylone” (cf. versets 1318), expliqua les rêves du roi babylonien et en donna l’interprétation. S’appuyant sur le fait que Daniel et ses compagnons ont été formés pendant trois ans avant de comparaître devant le roi (cf. Daniel 1 : 5, 18), certains critiques comme Louis Hartman ont déduit que l’indication chronologique fournie ici par Daniel n’a “aucune valeur historique.”42 Zdravko Stefanovic fait remarquer : Plusieurs suggestions ont été avancées en rapport avec l’expression “deuxième année”. (1) L’une de ces suggestions est qu’il est question de la “deuxième année” après la destruction de Jérusalem en 587 av.n.è. Cela voudrait dire que l’événement relaté dans ce chapitre s’est produit dans la deuxième année de règne du roi Nébucadnezzar, mais deux 42

Louis F. Hartman & Alexander A. Di Lella, The Book of Daniel: A New

Translation with Introduction and Commentary (Garden City, NY: Doubleday, 1978), p. 143.

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années après la destruction de Jérusalem. (2) Une autre suggestion est que “la deuxième année” signifie deux années après que les Babyloniens aient mis l’Égypte en défaite. (3) Un manuscrit provenant de la version grecque ancienne de Daniel (MS 967) date ce chapitre, non pas dans la deuxième mais dans la douzième année de Nébucadnezzar.43

Les Témoins de Jéhovah se font l’écho de deux de ces hypothèses mais ils penchent en faveur de l’une d’entre elles, à

savoir

que

la

“deuxième

année

du

règne

de

Neboukadnetsar” désigne en réalité sa deuxième année après la destruction de Jérusalem. Ils expliquent : Cet examen [de Daniel et de ses compagnons] qui révéla les qualités exceptionnelles de Daniel n’a pas pu avoir lieu avant la douzième année du règne de Nébucadnetsar. Dans ce cas, comment faut-il comprendre Daniel 2:1, où on lit : “La

seconde

année

du

règne

de

Nébucadnetsar,

Nébucadnetsar eut des songes. Il avait l’esprit agité, et ne pouvait dormir.” Tenant compte du fait que le roi oublia le songe et que finalement Daniel se proposa pour le lui rappeler et l’interpréter, certains hébraïsants sont d’avis que le texte hébreu de Daniel 2:1 devrait se lire “douzième année” au lieu de “seconde année”. Mais l’explication la plus logique et appropriée est qu’il s’agit de la “seconde année” à compter d’un événement important, en l’occurrence la destruction de Jérusalem par Nébucadnetsar en 607. En cette année-là, le roi de Babylone devint le premier

43

Zdravko Stefanovic, Daniel: Wisdom to the Wise. Commentary on the Book of

Daniel (Nampa, ID: Pacific Press, 2007), p. 82. (C’est nous qui soulignons).

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souverain à exercer la domination mondiale avec la permission divine.44

Premièrement, rien dans le texte ne suggère que le roi babylonien avait oublié les rêves et qu’il voulait qu’on les lui rappelle. Son véritable souci était que si les sages de Babylone—qui incluaient de grands astrologues—étaient vraiment intelligents, ils devaient être en mesure de lui relater les rêves, ce qui serait une indication de leur capacité à en donner l’interprétation (cf. verset 9). Daniel n’a donc pas rappelé au roi ses rêves, mais les a confirmés suite à une révélation du Dieu du ciel (cf. versets 17-23). Deuxièmement, l’hypothèse suggérant qu’il s’agit de la douzième année —et non de la deuxième année— soutenue par certains hébraïsants et un vieux manuscrit grec (le papyrus 96745) est contredite par la LXX46 et la Vulgate47 qui confirment la lecture du texte hébreu massorétique.

44

“Babylone la Grande est tombée !” Le Royaume de Dieu a commencé son règne !

(1971), chap. 10, p. 166. (C’est nous qui soulignons). 45

Ce manuscrit grec est daté du IIe siècle de n.è. — Ernest Lucas, Daniel

(Downers Grove, IL: Intervarsity, 2002), p. 62 ; Siegfried Kreuzer, “Papyrus 967”, Die Septuaginta-Texte, Kontexte, Lebenswelten: Internationale Fachtagung veranstaltet von Septuaginta Deutsch (LXX.D), Wuppertal 20.-23. Juli 2006 (éd Martin Karrer & Wolfgang Kraus; WUNT 219; Tübingen: Mohr Siebeck, 2008), pp. 64-82. 46

τῷ δευτέρῳ τῆς βασιλείας Ναβουχοδονοσορ.

47

in anno secundo regni Nabuchodonosor.

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Troisièmement, l’idée d’une “seconde année à compter d’un événement important” débute avec l’historien Flavius Josèphe qui fait remonter la “deuxième année du règne de Neboukadnetsar” à deux années après la dévastation de l’Égypte48. Or, il situe cette dévastation dans “la cinquième année qui suivit la dévastation de Jérusalem, c’est-à-dire la vingt-troisième année du règne de Nabuchodonosor.”49 Ainsi,

pour

Josèphe,

les

rêves

de

Neboukadnetsar

mentionnés en Daniel 2 : 1 seraient survenus en réalité dans sa 25e année de règne. Toutefois, selon les Témoins, cette “deuxième année de sa royauté—sans doute à dater de la destruction de Jérusalem” désigne “en réalité (…) sa 20e année de règne.”50 Mais de ces relectures forcées sont difficiles à digérer et négligent le fait que Daniel comptait les années des rois suivant le comput babylonien51 ; et d’après ce comput, “la deuxième année du règne de Neboukadnetsar” se rapporte à sa domination par rapport à Babylone et non par rapport à la destruction de Jérusalem ou de l’Égypte. Partant de ce fait, les trois années de formation de Daniel et de ses compagnons

48

Josèphe, Antiquités judaïques, livre X, chap. 10 § 3.

49

Josèphe, ibid., chap. 9 § 7.

50

Étude perspicace, vol. II, p. 385.

51

Daniel 1 : 1, 21 ; 2 : 1 ; 7 : 1 ; 8 : 1 ; 9 : 1-2 ; 10 : 1 ; 11 :1.

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coïncident52 avec la “deuxième année du règne de Neboukadnetsar” : Année accession (Neboukadnetsar)

:

1ère année de formation

1ère année du règne (Neboukadnetsar)

:

2e année de formation

2e année du règne (Neboukadnetsar)

:

3e année de formation

Conclusion L’analyse des données bibliques et historiques permet de tirer une conclusion : Daniel et ses compagnons ont été déportés à Babylone en la “quatrième année du règne de Yehoïaqim”, qui correspond à l’année d’accession de Neboukadnetsar, soit en l’an 605 av.n.è. Les hypothèses avancées par les Témoins de Jéhovah pour décaler cette date à la huitième année de Yehoïaqim ne résistent pas à un examen rigoureux.

52

Stephen R. Miller, Daniel (Nashville, TN: Broadman & Holman, 1994), p. 76.

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Bibliographie

Étude perspicace des Écritures (2 vols, 1997). Publié par les Témoins de Jéhovah.

Prêtons attention à la prophétie de Daniel ! (1999). Publié par les Témoins de Jéhovah.

Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle été détruite? Réponse aux Témoins de Jéhovah (2012). Par Alexandre Salomon.

The Gentile Times Reconsidered: Chronology and Christ’s Return (Commentary Press, Atlanta: 2004). Par Carl Olof Jonsson.

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