La democratie, je l'invente
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Zitiervorschau

Laurent Laplante est un ancien journaliste qui souhaite que tous les jeunes soient membres du Grand Club Démocratique. Si cela se produit, il n’y aura plus de guerre, les jeunes s’entraideront, les couleurs de peau n’auront plus d’importance. Merveilleux, n’est-ce pas ? Comme ce sera en 2000 le cinquantième anniversaire de ses seize ans, Laurent Laplante commence à être pressé de voir ce club grandir ! Es-tu membre de la cordée ?

Artiste, illustrateur et graphiste d’origine britannique, Paul Berryman a choisi de vivre au Québec francophone au début des années 1990. Il compte bien d’ailleurs y initier sa fille, Sarah-Anne, à la démocratie !

ISBN 2-921146-86-X

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LAURENT LAPLANTE

Ce Grand Club Démocratique te demande un petit quelque chose de plus que les autres clubs: la solidarité. Dans ce club, les membres sont attachés ensemble comme des alpinistes dans une cordée. Si tu dérapes pendant l’escalade, tout le monde t’aide. Si un autre grimpeur glisse, tu t’agrippes vite à ta corde et tu plantes bien tes crampons, car la vie de ton compagnon ou de ta compagne dépend de toi. Dans le Grand Club Démocratique, tous et toutes sont égaux, tout le monde a la même liberté, mais, en plus, tous les membres s’entraident, soutiennent les plus faibles, font disparaître les injustices. Ce club te tente?

LAURENT LAPLANTE

LA DÉMOCRATIE, je l’invente

L

aurent Laplante te propose de faire partie du plus grand et du plus sympathique de tous les clubs : le Grand Club Démocratique. Dans ce club, tu as les mêmes droits et la même liberté que tous les autres membres. Laurent Laplante sait que tu aimes ce genre de club, car tu détestes les tricheries et les injustices.

Illustrations de Paul Berryman

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Dans la même collection

La démocratie, j’aime ça!, 1997 La démocratie, je la reconnais!, 1998 La démocratie, je l’apprends!, 2000

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LAURENT LAPLANTE Illustrations de Paul Berryman

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Données de catalogage avant publication (Canada) Laplante, Laurent, 1934La démocratie, je l’invente ! Pour les jeunes de 13 à 15 ans ISBN 2-921146-86-X 1. Démocratie – Ouvrages pour la jeunesse. 2. Liberté – Ouvrages pour la jeunesse. 3. Égalité (Sociologie) – Ouvrages pour la jeunesse. 4. Solidarité – Ouvrages pour la jeunesse. I. Berryman, Paul. II. Titre. JC423.L363 2000 j321.8 C00-940255-1

Révision linguistique : Raymond Deland Photogravure : Compélec Impression : Imprimerie La Renaissance ISBN 2-921146-86-X Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2000 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada, 2000

© ÉDITIONS MULTIMONDES 2000 930, rue Pouliot Sainte-Foy (Québec) G1V 3N9 CANADA Téléphone: (418) 651-3885 Téléphone sans frais depuis l’Amérique du Nord: 1 800 840-3029 Télécopie: (418) 651-6822 Télécopie sans frais depuis l’Amérique du Nord: 1 888 303-5931 Courriel: [email protected] Internet: http://www.multim.com

DISTRIBUTION EN LIBRAIRIE AU CANADA Diffusion Dimedia 539, boulevard Lebeau Saint-Laurent (Québec) H4N 1S2 Téléphone: (514) 336-3941 Télécopie: (514) 331-3916 Courriel: [email protected] DISTRIBUTION EN FRANCE D.E.Q. 30, rue Gay-Lussac 75005 Paris FRANCE Téléphone: (1) 01 43 54 49 02 Télécopie: (1) 01 43 54 39 15

Les Éditions MultiMondes reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour leurs activités d’édition. Elles remercient également la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour son aide à l’édition et à la promotion.

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Bonjour ! « Aimerais-tu faire partie d’un grand club? » Dès la première ligne, voici ma grande question : « Veux-tu faire partie d’un grand club?» J’essaie ensuite d’imaginer ta réaction. Tu as sans doute réagi en multipliant… tes propres questions. Et, toi, quand tu questionnes, c’est comme le tir d’une mitrailleuse ! « Quel genre de club ? Pour faire quoi ? Avec qui ? Qu’est-ce que cela coûte? Combien y a-t-il de personnes? Qui décide dans ce club? Y a-t-il un uniforme? Y a-t-il une limite d’âge? Qui…?» Ouf! Cela m’apprendra à poser des questions larges comme le golfe Saint-Laurent. Si j’adresse la même question à tes amies et à tes copains, quelques-uns vont peutêtre réagir en faisant sautiller leurs épaules : « Non, moi, les clubs ça ne m’intéresse pas. » Toi, tu as eu la bonne dose de prudence : tu n’as pas dit oui et tu n’as pas dit non. Tu attends d’en savoir plus long. Certains clubs ne t’intéressent pas, comme le Club des collectionneurs de chauves-souris, mais d’autres clubs pourraient te tenter. En fait, il y a mille sortes de clubs et il y en a presque toujours un pour chaque goût. À quoi ressemble mon club ? Tu veux des réponses avant de te décider ? D’accord, je vais essayer de te répondre, mais, en échange, tu répondras ensuite à mes questions à moi. C’est quand même moi qui ai commencé ! Vas-y !

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– Quel genre de club ? Pour faire quoi ? Avec… – Pas trop vite, pas trop vite ! Tu es trop rapide pour moi ! Tu voulais savoir de quel genre de club je parlais ? Je dirais que c’est déjà un grand club et que nous pouvons, ensemble, en faire le plus grand et le plus beau club du monde. –

Est-ce qu’il a plus de membres que le réseau Internet? Plus que le Club des admirateurs de Céline Dion ?

– Il en a déjà beaucoup plus, mais ce n’est pas assez. – Est-ce qu’il a beaucoup de personnes de ma ville ? – Bien sûr ! Mais il faudrait que toute ta ville en fasse partie… – Drôle de club ! Mais alors les gens des autres villes doivent être frustrés de ne pas en faire partie ? – Mais non ! Ils peuvent en faire partie eux aussi. – Je ne comprends pas…

Au signal, on change de rôle ! – J’admets que je n’ai pas été très clair. Recommençons d’une autre manière. Dismoi quel genre de club te plairait et je te dirai si le mien ressemble à ce que tu veux. –

Moi, j’aime les clubs où je peux compter sur les autres, où personne ne me joue dans le dos. Je n’aime pas ça quand trois ou quatre se pensent plus fins et se tiennent le nez en l’air pour ne pas nous voir. Dans un vrai club, tous les membres doivent être mes amis ou mes copines. Et puis, j’aime les clubs où tout le monde a les mêmes chances. Si l’instructeur du club ou du chœur de chant s’occupe seulement de ses petites vedettes, moi je m’en vais.

– Tu fais bien de t’en aller si on te traite comme cela ! Mais, dans mon club, tu n’auras pas ces problèmes-là. Chez nous, les membres s’entraident et les plus forts s’arrangent pour que tous les membres aient les mêmes chances. Bon ! – Un instant ! Je n’ai pas fini. Je veux aussi que mon club me laisse libre. Je ne veux pas qu’on m’impose un horaire sans m’en parler. Je ne veux pas qu’on décide les activités sans que je sois là. Je ne veux pas que tout le monde pense avoir le droit de me donner des ordres. – Tu sais vraiment ce que tu veux, toi ! 2

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– Vous trouvez que j’en demande trop ? – Pas du tout. Ce que tu dis est très clair. D’ailleurs, dans notre club, on va respecter ta liberté. Mais à une condition. – Comment ça, une condition ? On est libre ou pas libre ? – Tu seras libre dans notre club, à condition d’accorder la même liberté aux autres. Si le club doit s’agenouiller devant tes caprices, ta liberté va causer des cauchemars aux autres…

– Ah ! Ça, ce n’est pas un problème : si j’ai la liberté, je laisse la même liberté aux autres. Mais qui mène dans ce club-là ? – Tout dépend du résultat de l’élection. – Mais qui peut être élu ? – N’importe qui. – Ah ! Je me souviens ! Votre club, c’est une démocratie ? – Oui. Notre club, c’est une grande démocratie. Et, dans une démocratie, tout le monde doit pouvoir voter librement. – Vous voulez dire que je pourrais être élu comme chef à votre place, même si je suis entré dans le club après vous ? – Premièrement, je ne suis pas chef de ce club. Deuxièmement, oui, tu peux essayer de te faire élire comme chef. Mais tous et toutes ont aussi le droit d’essayer. Est-ce clair ? – J’ai déjà vu des choses plus claires… 3

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– Mets bout à bout les trois choses que tu m’as dites et tu verras bien. C’est toi qui as parlé de liberté, tu te souviens ? – Oui. – L’égalité, c’est toi qui l’as demandée ? – Oui. – Mais te rappelles-tu aussi ce que tu m’as dit en premier ? – L’amitié à l’intérieur du club ? – Oui, tu voulais pouvoir compter sur les autres et que tout le monde aime tout le monde. On peut appeler cela, comme toi, l’amitié. D’autres appellent cela la fraternité ou encore la solidarité. Donc, tu veux la liberté, l’égalité, la fraternité. – Liberté, égalité, fraternité. Cela ne me dit pas d’où sort votre club ni ce qu’on y fait. Oh ! J’y pense. Est-ce que ce sont ces motslà qu’on voit sur les francs français ? Votre club, est-il réservé aux Français ou à ceux qui parlent français ? – Oui, non, non. – Oui, non, non ? Qu’est-ce que vous voulez dire ? – C’est toi qui décoches plusieurs questions à la fois. Oui, les mots liberté, égalité, fraternité sont inscrits sur le cinq francs français. Non, notre club n’est pas réservé aux Français. Non, il n’est pas réservé non plus aux francophones. C’est vrai que ces trois mots viennent de la France, mais la liberté, l’égalité et la fraternité, cela intéresse tout le monde. Ça va ? – Ce n’est pas encore la clarté totale, mais, oui, ça va mieux… – Ce sera encore plus clair tout à l’heure. Donc, tu aimerais faire partie d’un club où tu serais libre, où chaque membre serait l’égal des autres, où il y aurait beaucoup de fraternité? – Je suis à peu près d’accord, mais… –

Et tu donnerais aux autres tout ce que tu demandes pour toi : la liberté, l’égalité… ? 4

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– Ne vous inquiétez pas: si j’y vais, ils peuvent compter sur moi. Est-ce que la carte de membre coûte cher ? – Rien, à part quelques efforts ! – Vous avez besoin de me donner plus de détails… – Il y en a trois : liberté, égalité, solidarité.

Tout le monde veut être libre Commençons par la LIBERTÉ. Tu tiens à la tienne. À mesure que tu grandis, tu en demandes de plus en plus. Tu rêves du jour où tu auras la liberté des adultes. Tu as terriblement… raison ! Malheureusement, tout le monde n’est pas libre. Dans certains pays et à certaines époques, des milliers de personnes, y compris des enfants, ont été esclaves. Même aujourd’hui, des gens sont en esclavage, sans la moindre liberté.

Le prix d’un enfant Après de brèves présentations, Sowit me raconte son histoire. Elle commence vingt-deux ans plus tôt, dans une petite ville du nord-est de la Thaïlande. Sowit est la cadette d’une famille de six enfants; les parents sont des paysans simples mais tout le monde mange à sa faim. Un matin de mai 1978, Sowit est portée disparue. Son frère aîné l’a vendue à une petite usine chinoise en échange de quelques milliers de baths*. Enfermée dans une fabrique de tee-shirts, elle travaille quatorze heures par jour, dans les odeurs de colle et de peinture. Le contremaître, un Chinois d’une trentaine d’années, profite de chaque absence du patron pour s’enfermer pendant des heures avec l’enfant dans un débarras. Sowit est violée et battue à la moindre occasion. Par peur des représailles, elle se mure dans le silence. Quinze garçons travaillent dans ce local de soixante mètres carrés où Sowit est la seule petite fille. Lorsqu’un enfant quitte l’usine, personne ne sait ce qu’il devient. Aussitôt, un autre gamin rejoint le groupe et prend sa place dans la chaîne de travail. (Marie-France Botte et Jean-Paul Mari, Le prix d’un enfant, Laffont, 1993, p. 89). *Le bath thaïlandais vaut quatre sous.

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Cette liberté que tu as, tout le monde veut l’avoir. Beaucoup sont prêts à mourir pour obtenir la liberté ou pour que leur pays soit libre. Par exemple, Léonidas et Spartacus. Léonidas est grec, Spartacus, lui, est né en Thrace.

Léonidas meurt pour la liberté À peu près 500 ans avant Jésus-Christ, Léonidas était roi de la ville grecque de Sparte. Quand il apprend que Xerxès, roi de Perse, envahit la Grèce avec une immense armée, Léonidas sait ce qui l’attend. Ou bien les Grecs renoncent à la liberté et deviennent les esclaves de Xerxès, ou bien les Grecs défendent leur liberté, jusqu’à la mort s’il le faut. Tout de suite, Léonidas se rend aux Thermopyles, une sorte de corridor entre les montagnes et donc un endroit plus facile à défendre. Léonidas a avec lui 300 soldats spartiates et un certain nombre de mercenaires au courage nébuleux. Léonidas affronte les milliers de combattants perses. Il résistera longtemps. Puis quelqu’un les trahit et une partie de l’armée perse surgit dans leur dos. Ils mourront tous, mais Léonidas avait tenu parole : il avait défendu jusqu’à la mort la liberté de sa ville.

Spartacus ne sera plus une « machine à tuer » Spartacus, lui, faisait partie des milliers d’esclaves que les Romains du temps de César utilisaient comme gladiateurs dans les spectacles du cirque. On choisissait les esclaves les plus costauds, on les entraînait, on les armait, puis on les obligeait à s’entretuer pour amuser l’empereur et les spectateurs. Les gladiateurs savaient à quoi s’attendre. En entrant dans l’arène, ils allaient donc saluer l’empereur en lui disant :

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« Salut, César. Ceux qui vont mourir te saluent ! » Puis, le spectacle débutait et le sang coulait. Les gagnants revenaient au « programme » suivant. Les perdants, s’ils n’étaient que blessés, demandaient la vie à l’empereur. Il arrivait, mais rarement, qu’un vaincu soit épargné à cause de son courage. D’ordinaire, l’empereur tournait son pouce vers le bas et le vaincu était tué.

Plusieurs sortes de gladiateurs Le mot gladiateur vient du latin gladium : glaive ou épée. Mais les gladiateurs utilisaient aussi d’autres armes. Les Romains aimaient voir des gladiateurs armés différemment.



Le Samnite porte un énorme équipement: jambières, casque, bouclier, épée… Il est puissant, mais se déplace lentement.

• Le Thrace compte sur un équipement moins lourd. Il n’a qu’un petit bouclier rond et un casque. Il attaque avec un coutelas.



Le Rétiaire est mal protégé, mais très mobile. Il n’a en main qu’un long trident et un filet qu’il lance sur son rival.

Spartacus décida un jour, même s’il avait toujours gagné ses combats dans le cirque, qu’il ne voulait plus risquer sa vie pour amuser les Romains ni tuer d’autres esclaves pour survivre. Avec quelques gladiateurs, il s’évada de l’école où on les entraînait. En apprenant leur fuite, d’autres esclaves vinrent les rejoindre. Les soldats romains essayèrent de les ramener aux cellules, mais Spartacus et ses révoltés les firent reculer. D’autres esclaves s’ajoutèrent. En tout, 70 000. Pendant quelque temps, les révoltés remportèrent tous les combats. L’armée romaine appela ses légions et remporta la bataille décisive. Spartacus fut tué. Il n’avait pas libéré les esclaves. 7

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Des esclaves, il y en a eu beaucoup Si Léonidas, Spartacus et bien d’autres ont dû se battre pour la liberté, c’est signe que des gens enlèvent la liberté aux autres. Il n’y aurait pas d’esclaves si personne n’achetait des esclaves, n’est-ce pas ? Un peu partout, au Québec aussi, des gens se sont habitués à acheter des esclaves, à leur donner des ordres et à penser qu’ils ne sont pas de vrais humains.

Une de perdue, deux de trouvées Dans ce livre sur les aventures de Pierre de Saint-Luc, on voit que ce Québécois a eu des esclaves noirs pendant qu’il vivait en Louisiane. Il en a ramené un avec lui, après lui avoir donné la liberté, quand il est revenu au Québec. Une de perdue, deux de trouvées, c’est un grand roman d’aventures écrit vers 1850 par Georges Boucher de Boucherville. Prends garde si tu le commences: tu ne pourras plus le fermer et il a 500 pages !

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Dans les livres sur les esclaves noirs qui vivaient aux États-Unis et ailleurs il y a plus de cent ans, on raconte des choses horribles. Il y a, cependant, quelque chose de beau : les enfants, eux, faisaient souvent comme si l’esclavage n’existait pas. L’enfant du propriétaire d’esclaves jouait avec les enfants d’esclaves et les traitait comme des amis. Il était un enfant avec d’autres enfants. Les adultes, eux, séparaient souvent les enfants pour les habituer à « voir » les différences. On apprenait aux enfants que certaines personnes sont libres et que d’autres ne le sont pas. Souvent, l’enfant noir se faisait dire par ses parents: « Tu ne dois plus aller jouer avec les enfants du propriétaire. Reste avec les enfants noirs. » C’était comme si on avait fait passer une clôture au milieu de la population : à droite, les gens libres ; à gauche, les esclaves. D’où vient l’esclavage ? De très loin. Dans les guerres d’autrefois, le peuple gagnant faisait à peu près ce qu’il voulait avec les vaincus. Parfois, le gagnant préférait garder les perdants comme esclaves que de les tuer tous. Certains conquérants, comme Alexandre, préféraient laisser vivre les vaincus, mais exigeaient un impôt. Si les perdants payaient, le conquérant restait chez lui. Si des petits rusés « oubliaient » l’impôt en se disant que le conquérant était trop loin, celui-ci piquait une colère et «rendait visite aux amnésiques». Pendant sa visite, le conquérant livrait son message à grands coups de têtes coupées : une mémoire fidèle est la meilleure police d’assurance… Chose certaine, les vaincus perdaient la liberté.

Y a-t-il plusieurs sortes de liberté ? L’esclavage et l’impôt n’étaient quand même pas la même chose. Malgré tout, celui qui versait un impôt était plus libre que l’esclave. Aujourd’hui encore, il y a plusieurs sortes de liberté ou, si tu préfères, plusieurs échelons dans l’échelle de la liberté. Dans tel pays, on atteint tel échelon. Dans le pays voisin, on bloque au premier. D’ailleurs, la liberté parfaite, la liberté de faire tout ce que tu veux, au moment précis où tu le veux, cette liberté n’existe pas. Tu n’es pas libre de te lancer du haut d’un arbre comme un oiseau. Tu n’es pas libre de ne boire qu’une fois la semaine comme un chameau. Tu n’es pas libre de te gonfler les poumons et de demeurer sous la surface du Saint-Laurent aussi longtemps que les bélugas. Même si tu réussis des contorsions dignes du Cirque du Soleil, il y a quand même des limites que ton épine dorsale ne peut dépasser. Tes os ne sont pas « libres » de se tordre comme 9

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des spaghettis ! Tu as une certaine liberté, mais cette liberté a des limites. Quand le gouvernement exige un impôt raisonnable, il met un plafond à la liberté des gens, mais il ne les réduit pas en esclavage. Et si tes parents exigent que tu reviennes à la maison à une certaine heure, tu perds ton temps à porter plainte contre eux pour esclavage à la Direction de la protection de la jeunesse ! La liberté a donc des limites. Parfois, ces limites viennent des autres ou du gouvernement. Mais certaines limites viennent de toi. Oui, de toi. Pas seulement à cause de ton corps ou de ton âge ou de ton sexe, mais parce que tu sais mettre toi-même des limites à ta liberté. Ce n’est pas clair ? Pense à Spartacus. Pourquoi a-t-il perdu contre les légions ? Il dirigeait une immense troupe de 70 000 professionnels du combat. Ses hommes avaient vaincu les autres gladiateurs. Ils avaient tué les bêtes sauvages lancées contre eux dans le grand cirque de Rome. On aurait pu les considérer comme invincibles, n’est-ce pas? Pourquoi ces professionnels du combat ontils perdu ? Parce qu’ils ont manqué de discipline. Au lieu d’obéir à Spartacus, ils ont préféré se gaver tout de suite de tout ce qu’ils trouvaient dans les villes qu’ils pillaient. Ils se sont éparpillés en petites bandes et les légions romaines ont pu les vaincre. Les esclaves gladiateurs n’avaient pas mis eux-mêmes de limite à leur toute nouvelle liberté. « Je suis libre, se disait chacun d’eux. J’ai reçu assez d’ordres. Maintenant, c’est fini. N-I-NI ! » S’ils avaient obéi à Spartacus et mis une limite à leur nouvelle liberté, ils auraient peut-être été libres à jamais.

Ulysse s’arrange pour garder sa liberté Ulysse, lui, est plus rusé que les gladiateurs. Il est libre et veut le rester. Il accepte d’être moins libre pendant quelques minutes, si ce petit effort lui achète une longue liberté.

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Qui est Ulysse? Un guerrier grec qui joue un rôle important dans les histoires racontées par Homère. C’est lui qui permet aux Grecs de vaincre la ville de Troie, après une guerre de dix ans. Les Grecs ne parvenaient pas à faire tomber les remparts de Troie. Ulysse trouva alors une astuce. Les Grecs font semblant de renoncer à conquérir Troie. Ils embarquent sur leurs bateaux et hissent les voiles. Tout ce qu’ils laissent sur la plage devant Troie, c’est un monument d’adieu : un grand cheval de bois. Quand les Troyens voient partir les bateaux grecs, ils croient que la guerre est finie. Ils sortent de leur forteresse et tirent le grand cheval de bois dans la ville pour s’en faire un trophée. Le problème, c’est qu’Ulysse et quelques guerriers grecs s’étaient cachés dans le ventre du cheval de bois. Pendant la nuit, ils sortent du cheval et ouvrent les portes de la ville. Les Grecs, revenus devant la ville, s’emparent alors de Troie. Ça, c’est du Ulysse. Une fois cette guerre gagnée, Ulysse embarque sur son bateau (pour vrai cette fois!) et part retrouver sa femme, Pénélope. Pendant ce voyage de retour, Ulysse affronte bien des dangers. Il doit, par exemple, naviguer tout près de l’endroit où les Sirènes jouent une musique absolument irrésistible. Tous les marins sont attirés par cette musique comme par un aimant. Ils font alors un petit détour… et leurs bateaux se brisent sur les récifs. Ulysse-le-rusé va-t-il tomber dans le piège ? Prudemment, il demande conseil à la déesse Circé.

Que dit Circé? « Tu seras libre si tu es attaché…! » Circé alors m’adresse ces paroles : « Toi, écoute ce que je vais te dire… Tu arriveras d’abord chez les Sirènes, dont la voix charme tout homme qui vient vers elles. Si quelqu’un les approche sans être averti et les entend, jamais sa femme et ses petits enfants ne se réuniront près de lui et ne fêteront son retour; le chant harmonieux des Sirènes le captive. Elles résident dans une prairie, et tout alentour le rivage est rempli des ossements de corps qui se décomposent. Passe sans t’arrêter. Pétris de la cire douce comme le miel et bouche les oreilles de tes compagnons, pour qu’aucun d’eux ne puisse entendre. Toi-même, écoute, si tu veux ; mais que sur ton vaisseau rapide on te lie les mains et les pieds, debout au pied du mât, que l’on t’y attache par des cordes, afin que tu goûtes le plaisir d’entendre la voix des Sirènes. Et si tu pries et presses tes gens de te délier, qu’ils te serrent de liens encore plus nombreux… »

oi -m z e h tac Dé

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Grâce au truc que Circé lui a enseigné, Ulysse survit. Il limite sa liberté en se faisant attacher et il déjoue les Sirènes. S’il avait refusé de se faire attacher, il aurait fait le même détour que les autres capitaines et ses os blanchiraient eux aussi sur la plage… Être libre, c’est parfois limiter sa liberté.

La liberté, c’est un gâteau à plusieurs étages ! Être libre, c’est d’abord vaincre l’esclavage. Cette liberté est le premier étage du gâteau. D’autres étages doivent s’ajouter. Par exemple, il faut la liberté de dire ce qu’on pense sans aboutir en prison. Il faut la liberté de choisir entre plusieurs journaux ou réseaux de télévision. S’il n’y a qu’un journal, tu n’as pas le choix et tu perds un «étage de liberté». Il faut aussi la liberté de voter pour qui tu veux, la liberté de t’instruire, de te syndiquer… Avec beaucoup d’étages, c’est meilleur !

En plus de la liberté ? L’égalité ou la justice Voyons maintenant ta deuxième condition: l’ÉGALITÉ. Notre club t’intéresse s’il te donne les mêmes chances qu’aux autres. Si l’arbitre ou le professeur te fait des reproches pendant que ton copain ou ton amie fait la même chose et s’en tire sans réprimande, la fumée s’accumule entre tes oreilles. D’après toi, ce n’est pas « correct ». Tu veux la justice. Tu veux l’égalité. Justice et égalité sont presque des sœurs jumelles. Quand on parle d’égalité dans notre club, on a ceci en tête : des chances égales pour tout le monde. Les mêmes chances pour toi que pour tous les autres. Si la planète Terre réussissait cela, il y aurait, partout autour d’elle, comme une belle buée de bonheur. Mais ce n’est pas fait. Non seulement il y a beaucoup d’inégalités entre les êtres humains, mais, en plus, certaines inégalités sont presque invisibles. Avec tes lunettes à rayons X, tu vois si la justice est là ou si elle fait défaut. Allons-y !

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Dans une course juste, personne ne part avant Pour imaginer l’égalité, pense à une course de chevaux. Mais non, je ne veux pas te traiter comme un cheval de course ! Je ne veux surtout pas que la vie soit énervante comme une course. C’est une comparaison. J’en aurai une meilleure tantôt. Juste avant que la course commence, tous les LIGNE DE DÉPART chevaux sont à égalité sur la ligne de départ. Des petites portes empêchent les chevaux impatients de devancer les autres. Au signal du départ, toutes les petites portes s’ouvrent d’un coup sec. Grâce à ce truc, tous les chevaux partent exactement au même moment. Quand existe cette sorte d’égalité, peut-on dire que la course est juste ? Oui et non. L’égalité à la ligne de départ, c’est bien, mais il faut aussi que les chevaux qui courent les uns contre les autres soient, en plus, d’âge ou de force comparables. Faire courir un cheval pur sang de deux ans contre une pouliche née il y a six mois, cela ne donnerait pas une course correcte, même si le cheval adulte et le bébé partaient en même temps. Cette égalité des chances doit exister aussi dans les courses d’automobiles ou entre cyclistes. Dans chaque sport, dans chaque concours, on est censé rendre la concurrence toujours plus juste. Si quelqu’un triche, en prenant des produits chimiques pendant sa course cycliste ou en posant une «jupe» interdite sur sa Formule 1, tu diras : « Ce n’est pas juste. Ce n’est pas correct. Ce n’est pas égal. » Et tu auras raison.

Non, la vie n’est pas une course Je n’ai pas voulu comparer ta vie à une course entre des chevaux ou des bolides. Non, je ne voudrais pas que la vie soit une course où chaque personne essaie d’être la championne. La vie, d’après moi, ressemble plutôt à une longue marche. Toi et moi, comme chacun des êtres humains, nous marchons vers notre bonheur. Nous avançons chaque jour, petit peu par petit peu, vers notre idéal. Nous cherchons à développer nos talents et nos qualités. Nous ne cherchons pas à toujours dépasser les autres, mais à nous améliorer. Pourquoi ? Pour être plus heureux et pour devenir plus utiles. Ce qui gâte tout, c’est que certains enfants n’ont pas des chances égales de marcher jusqu’au bonheur et jusqu’au développement de leurs talents. 13

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Un as de pique, un sept de trèfle… Un peintre que j’aime beaucoup a bien vu que tous les enfants n’ont pas les mêmes chances de parvenir au bonheur. Antoine Dumas a peint ce tableau où tu vois une série de lits de bébés installés côte à côte dans une pouponnière. Au haut, tu aperçois une infirmière avec son uniforme blanc et sa petite coiffe immaculée. Quelque chose te surprend? Une chose qu’on ne voit pas dans une pouponnière? Sans doute ceci : l’infirmière brandit un drapeau comme pour un départ de Formule 1 ! Ce n’est pas la seule surprise. Les grands panneaux au pied et à la tête des lits de bébés, Antoine Dumas les a dessinés comme des cartes à jouer. Sur un lit de bébé, une dame de cœur. Sur un autre, un sept de trèfle. Tu aperçois sur un autre lit le roi de carreau. Et tu vois forcément, presque en plein centre de la pouponnière, un as de pique à côté d’un autre petit lit qui, lui, est un deux de pique. Quand Antoine Dumas, en plus, intitule son tableau « Ligne de départ », ce qu’il pense devient clair : même si ces La ligne de départ, enfants sont encore au berceau, ils ne Antoine Dumas, 24”  30” (61 cm  76 cm), 1988. Photo: C. Bureau sont pas égaux. Ils commencent à peine leur vie, ils n’ont pas encore fait le premier pas de leur marche vers le bonheur, mais, déjà, certains bébés ont une avance sur les autres. Déjà les chances ne sont plus égales. Certains enfants, parce qu’ils ont des parents plus riches ou parce que leur santé est meilleure, deviendront des as ; d’autres, sans que ce soit de leur faute ou celle de leurs parents, risquent de ne jamais devenir une « carte » importante. Antoine Dumas ne souhaite pas que les enfants se concurrencent dès le premier biberon, mais il pense qu’il n’y a pas d’égalité entre les enfants même au berceau.

Vois-tu bien toutes les inégalités ? Tu penses probablement la même chose que moi : « C’est vrai ce que dessine M. Dumas, mais il faudrait changer cela. Dans son prochain tableau, M. Dumas devrait pouvoir dessiner des as sur chaque lit de bébé. » Toi et moi, nous voudrions que tous les enfants du monde commencent leur vie avec des chances égales. Antoine 14

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Dumas aussi voudrait bien dessiner des as sur tous les lits de bébés! Tous les trois, nous voudrions que tous les bébés aient des parents qui les aiment, qu’ils soient bien traités, qu’ils mangent à leur faim, qu’ils aient tous les « étages » de libertés que tu trouvais dans ton gâteau. Nous voudrions qu’ils puissent tous et toutes s’instruire autant qu’ils le veulent, choisir le métier qu’ils préfèrent, voter librement, s’exprimer sans peur. Si cela se réalisait, tu dirais que « c’est juste ! », que « c’est égal pour tout le monde. » Ce rêve d’égalité, c’est encore… un rêve. Beaucoup d’enfants, dans d’autres pays, mais ici aussi, commencent leur marche avec du retard. Ils partent de plus loin que les autres et ils vont passer leur vie à essayer de les rattraper. En vain.

Même ici tous les enfants n’ont pas la même chance Même si tu regardes seulement les enfants de notre pays, ce n’est pas facile de savoir si tous ont des chances égales au début de leur vie. Dans certains cas, oui, tu vois le retard ; dans d’autres cas, l’inégalité est invisible. Regarde les enfants qui commencent la grande marche de la vie. Certains sont loin derrière la ligne de départ. Ils sont orphelins, malades, handicapés. Ceux-là, c’est clair, ne sont pas à égalité avec les autres. Ils commencent leurs études plus tard que les autres. Ils sont souvent regroupés dans des classes qui progressent moins vite. Ils mettront plusieurs années à parvenir à la classe suivante. L’égalité pour eux, c’est un idéal lointain, lointain. Il y en a d’autres qui ont l’air, mais seulement l’air, d’être à égalité, mais qui auront quand même beaucoup de difficulté à se rendre jusqu’au bout. Mets tes lunettes à rayons X. Tu vois, par exemple, un enfant qui est sur la ligne de départ, mais il est pieds nus et ses vêtements sont déchirés. Cet enfant est certainement pauvre. Il risque de se blesser s’il faut marcher sur des cailloux. Regarde l’enfant à côté de lui. Les autres ont apporté de quoi manger, mais lui n’a rien. Il n’y avait rien à la maison. Penses-tu qu’il sera aussi fort que les autres enfants quand on montera des côtes ? Si, en plus, tu vois que plusieurs enfants mangent seulement ce qu’on sert dans les « soupes populaires » et qu’ils n’ont qu’un coin de la petite table de cuisine pour faire leurs devoirs, tu seras aussi triste que moi. Ces enfants, même dans notre pays qui est riche, n’ont pas des chances égales de s’instruire. Grâce à tes lunettes, tu as vu des inégalités que beaucoup ne voient pas. 15

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Ailleurs, c’est souvent pire Je vais te donner quelques chiffres pour que tu puisses te comparer avec les jeunes qui vivent dans d’autres pays et qui ont à peu près ton âge. Tu verras l’inégalité.



Combien de jeunes reçoivent l’enseignement secondaire au Mali, au Rwanda, en Tanzanie ? Tiens-toi bien : 3 sur 100 !



Combien d’enfants, dans les pays suivants, ne reçoivent aucune instruction ou ne terminent pas le cours primaire ? Au Tchad, au Burkina Faso, en Somalie : 93 sur 100 ; en Haïti et au Pakistan : 91 sur 100.



Sur 1000 enfants qui viennent au monde, combien meurent avant d’atteindre l’âge de 5 ans? En Afghanistan: 300. Au Mozambique: 298. Au Mali et en Angola: 292. Au Sierra Leone : 266. Au Canada ou en Suisse : 8.

L’égalité n’est qu’un idéal lointain pour les jeunes de bien des pays. Si tu couchais les bébés de ces pays dans la pouponnière d’Antoine Dumas, tu devrais, tristement, les installer dans les petits lits avec des deux de pique. Ce n’est pas juste, car tous ont le droit d’être heureux. Quand arrive le soir de l’Halloween, beaucoup d’enfants recueillent de l’argent pour l’UNICEF. Cet argent sert à nourrir les enfants du monde entier, mais ce n’est jamais suffisant pour sauver tous les enfants ni pour les rendre heureux. Dans notre grand club, nous voulons que tous les enfants, dans notre pays mais aussi dans les autres pays, aient une chance égale d’être heureux. Plusieurs jeunes de ces pays sont encore presque des esclaves ; un plus grand nombre encore ne sont pas capables de commencer leur vie à égalité avec nous sur la ligne de départ. Non, ce n’est pas juste.

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Que faut-il faire ? C’est clair : embellir la ligne de départ ! La ligne de départ sera superbe si tous les enfants partent le ventre plein, avec des bonnes chaussures de marche ou de course, avec un bon entraînement… Tu vois ce que ce serait une belle ligne de départ : tout le monde à égalité. Ce n’est pas facile ? Tu as raison : ce n’est pas facile. Mais plus il y aura de membres dans notre grand club, plus nous serons nombreux à embellir la ligne de départ.

Heureusement, la solidarité arrive en renfort Tu te souviens de la première chose que tu m’as dite quand je t’ai parlé de notre club? «Moi, j’aime un club où je peux compter sur les autres. » Je t’ai répondu « d’accord », à condition que les autres puissent, eux aussi, compter sur toi. Un joueur de hockey qui ne remet jamais la rondelle à ses coéquipiers, ce n’est pas un joueur d’équipe. Et le musicien qui s’occupe uniquement de son solo n’a pas sa place dans un orchestre. C’était d’ailleurs cela la devise des trois mousquetaires : «Tous pour un, un pour tous. » Tu voulais l’amitié, la fraternité. Tu avais raison de placer la FRATERNITÉ au premier rang, car la liberté et l’égalité doivent s’appuyer sur elle pour se répandre. Si la fraternité, que tu peux appeler solidarité si tu le préfères, ne vient pas à la rescousse, beaucoup d’humains n’auront jamais la liberté et beaucoup de bébés dormiront avec un deux de pique au-dessus de la tête. La fraternité, c’est le géant qui intervient pour soutenir ses deux copains, la liberté et la justice. Comme Petit Jean dans l’histoire de Robin des bois.

Les trois qui étaient quatre… Les trois mousquetaires, ce sont des personnages inventés par Alexandre Dumas. Athos, Portos et Aramis étaient bons à l’escrime et ils n’avaient peur de personne. Si l’un avait un problème, les deux autres accouraient. Un jour, ils rencontrèrent d’Artagnan, un jeune militaire récemment arrivé à Paris, et en firent le quatrième membre de leur petit club. C’est pour cela que les trois mousquetaires étaient… quatre.

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La cordée, la fraternité à son plus beau Sais-tu ce qu’est une cordée ? Une cordée, c’est un groupe d’alpinistes. Le mot cordée vient de… corde, bien sûr, la corde qui les relie les uns aux autres par la taille pendant l’escalade. Celui qui grimpe en tête des alpinistes, c’est le « premier de cordée». D’où vient «alpiniste»? De la chaîne de montagnes appelée Alpes et située en Europe. Les Français, les Italiens, les Suisses, les Autrichiens, les Allemands qui pratiquent l’alpinisme vont surtout… dans les Alpes ! Pourquoi les alpinistes s’attachent-ils ensemble? Pour diminuer les risques et mieux s’entraider. Les alpinistes ont beau prendre mille précautions et embaucher les meilleurs sherpas, ils courent quand même d’énormes risques. Le pied peut glisser malgré les crampons. Un rivet peut ne pas être enfoncé assez solidement. Le morceau de roc ou de glace qui servait de marche peut se détacher. L’alpiniste se retrouve alors au-dessus du vide. Ce qui l’empêche de tomber, c’est la corde attachée à sa ceinture. Cette corde-là lui sauve la vie si les autres alpinistes supportent le poids inattendu de leur compagnon jusqu’à ce qu’il trouve un point d’appui. La cordée d’alpinisme, c’est un modèle de solidarité, une vraie fraternité.

Qu’est-ce que c’est un SHERPA ? L’Himalaya est la plus haute chaîne de montagnes du monde. L’Everest, qui en fait partie, est le point le plus élevé de la Terre. Il y a quand même des gens qui vivent dans ces montagnes. Ils en connaissent les pièges et les tempêtes mieux que les alpinistes étrangers qui viennent défier l’Himalaya. Ce peuple de montagnards, c’est celui des Sherpas. Même les meilleurs alpinistes se font aider par des Sherpas. Ils sont si réputés qu’on appelle maintenant sherpas ceux qui préparent, par exemple, les Sommets des chefs d’État. Quand Sir Edmund Hillary a escaladé l’Everest pour la première fois en 1953, il était accompagné d’un Sherpa nommé Tensing. Sur les photos, on voyait surtout Sir Edmund…

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Vois-tu la corde invisible ? Pour bien comprendre la solidarité qui existe entre les êtres humains, tu as besoin, encore une fois, de tes lunettes à rayons X. Regarde. Vois-tu la corde invisible qui attache ensemble tous les enfants du monde ? Cette corde-là, il ne faut jamais l’oublier. Même quand on ne sait pas qu’elle existe ou même quand on fait semblant de ne pas la voir, elle lie ensemble tous les enfants qui montent vers leur idéal. Comme si tous formaient une cordée d’alpinisme de dimensions mondiales. La fraternité est ce lien qui relie tous les enfants du monde. C’est un lien réel, mais qu’on ne voit pas. C’est comme la parenté: on ne voit pas le lien entre toi et ta sœur ou ton frère, mais vous avez «un petit air de famille». Vous êtes parents. La fraternité relie tous les enfants du monde et les aide à escalader la vie ensemble. Dans cette immense cordée, il y a, comme dans le tableau d’Antoine Dumas, des as, des reines de cœur, des deux de pique… Autrement dit, certains grimpent plus facilement et d’autres ont souvent besoin d’aide. Mais tous ces enfants, les plus forts comme les plus faibles, sont liés ensemble. Si l’un des enfants va plus lentement, tout le monde ralentit forcément. Si, par malheur, un des grimpeurs perd pied et glisse vers le vide, tous les autres grimpeurs se cramponnent avec plus de force. S’ils ne le font pas, la glissade de leur compagnon risque de leur faire perdre pied eux aussi. On monte ensemble ou on tombe ensemble. Certaines personnes vont te dire que j’exagère. «Il n’y a pas de corde invisible entre les enfants ou entre l’ensemble des êtres humains. Tu es responsable de ta vie à toi et de cette vie-là seulement. Occupe-toi de toi. Monte le plus haut et le plus rapidement possible. Ce qui arrive aux autres, tu n’y peux rien de toutes manières.» Des personnes comme cela, il en pleut ! Elles ne voient pas la « corde invisible ». Elles ne comprennent pas que si quelqu’un devient plus pauvre, tous en souffrent.

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«Je me moque de la solidarité, j’ai mon curriculum !» C’est une drôle de phrase que je viens d’écrire là ! Que veut dire ce mot étrange de « curriculum » ? En fait, c’est un mot latin que le français a gardé et que tu trouveras dans le dictionnaire. La plupart du temps, « curriculum » est suivi d’un autre mot latin, celui de «vitæ». Un «curriculum vitæ», c’est «le cours d’une vie ». Autrement dit, l’histoire d’une personne, le résumé de sa vie. Dans ton curriculum vitæ, tu donnes la liste de tes diplômes, des emplois que tu as occupés, des exploits que tu as accomplis… Tes erreurs, hum !, tu les oublies ou du moins tu n’en parles pas ! Pourquoi ? Parce qu’un curriculum vitæ sert à convaincre un employeur ou une université que tu es une personne intéressante. Quand 2 000 personnes se présentent pour obtenir un des 100 emplois disponibles, celles qui présentent un beau curriculum vitæ ont une meilleure chance d’être choisies. Elles sont « plus égales que les autres ». Elles prennent une avance grâce à leur curriculum vitæ. (Les gens pressés ne gaspillent plus de temps à parler d’un curriculum vitæ. Ils disent « mon CV ».)

Curriculum vitæ de

GUDULE-AUGUSTE LEMEILLEUR – Je suis né le 23 août 1986. La Terre a cessé de tourner pendant une minute pour s’habituer à ma présence. – Mes parents ont fait de leur mieux pour permettre à mon génie de se développer. Ils ont assez bien réussi. Malgré cela, je suis demeuré très humble. – J’ai fréquenté pendant deux ans la maternelle Géniobambini où j’ai obtenu un doctorat de plasticine avancée en plus d’un diplôme de « petit relax ». Ces diplômes sont affichés sur le frigidaire de la maison. – J’ai une longue expérience des missions de confiance : j’ai distribué le journal dans ma rue pendant deux ans, j’ai aidé mon père dans deux ventes de trottoir, j’ai pelleté deux fois les quatre marches de notre escalier d’en avant, j’ai fait mon lit tout seul au moins quatre fois l’an dernier. – Ma mère aime beaucoup me conduire en auto à l’école ou à la piscine. Elle adorerait me déposer à mon travail. – Si le salaire me convient, j’accepterais de travailler pour vous selon un horaire que nous devrons décider ensemble. C’est évident que j’ai inventé ce curriculum vitæ, mais tu vois à quoi servirait un vrai. Si tu écris le tien, ce serait prudent de te montrer plus modeste que notre ami Gudule-Auguste ! 20

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Voici un deuxième tableau d’Antoine Dumas. Il porte le titre de Curriculum vitæ. Tu vas voir pourquoi je t’ai donné plus tôt l’exemple d’une course de chevaux : pour les personnes dévorées par l’ambition, la vie, c’est une course de chevaux. Elles sont prêtes à tout pour terminer au premier rang. Tant pis pour les autres. Le curriculum vitæ peut faire oublier la solidarité. Bien sûr, tu as le droit de raconter ta vie et d’expliquer tes qualités. Mais le curriculum vitæ ne doit pas faire oublier la fraternité. Même si tu es un génie encore plus extraordinaire que Gudule-Auguste Lemeilleur, tu es encore et toujours solidaire des autres êtres humains. La « corde invisible » de la solidarité est toujours là.

Curriculum vitae, Antoine Dumas, 24”  40” (61 cm  102 cm), 1988. Photo : C. Bureau

«Moi, je grimpe tout seul. C’est plus rapide !» Toi, tu as des lunettes à rayons X. Ceux qui n’en ont pas ne voient pas la corde invisible. Quand ces gens-là préparent leur escalade de la paroi rocheuse ou glacée, ils pensent que chaque alpiniste doit se débrouiller seul. À chacun de se montrer fort, audacieux, «agressif» comme les conducteurs de chevaux de notre tableau. Ces alpinistes-là ne comptent pas sur les autres pour les dépanner; ils ne se demandent pas si un autre alpiniste a des difficultés. Ils escaladent la falaise en ne s’occupant que de leur petit moi. Ils sont si hypnotisés par leur ambition qu’ils en oublient les autres. Notre club ne les intéresse pas. Dans notre club, les gens ne tiennent pas seulement à être libres et à avoir des chances égales, ils se tiennent prêts à aider ceux et celles qui ont des difficultés.

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Le papillon, l’araignée et le clou du fer à cheval La solidarité, on la décrit de bien des manières. Voici trois exemples qui montrent que chaque petite chose, que chaque détail, que chaque personne a de l’importance dans la marche fraternelle des êtres humains vers la liberté et l’égalité. L’effet papillon Il y a presque 40 ans, le météorologue Edward Lorenz a calculé les conséquences d’un tout petit changement dans les mouvements de l’air. Il a baptisé son résultat l’effet papillon. Parce que, dit-il, «un monarque battant des ailes en Californie pourrait à la limite provoquer une tempête en Mongolie». Autrement dit, la solidarité entre les nombreux morceaux de l’univers est si grande qu’un détail à un bout de l’univers peut entraîner ailleurs des conséquences énormes. La toile d’araignée On peut aussi comparer la solidarité à une grande toile d’araignée. Si un insecte se prend à un fil de la toile, toute la toile est ébranlée et l’onde parvient à l’araignée. La toile peut compter des dizaines de fils, mais tous sont attachés et le choc qui frappe un fil se transmet à tout le réseau. Grâce à une sorte de «solidarité» entre les fils de sa toile, l’araignée surveille et contrôle tout son réseau. Le clou du fer à cheval Pour expliquer qu’un petit incident insignifiant peut avoir des conséquences terribles, on raconte aussi ce petit poème. À cause d’un seul clou, un des fers du cheval a été perdu. À cause d’un seul fer, un cheval a été perdu. À cause d’un seul cheval, un cavalier a été perdu. À cause d’un seul cavalier, une bataille a été perdue. À cause d’une seule défaite, le royaume a été perdu. Autant de façons d’affirmer que les personnes et les choses sont attachées ensemble. Ce qui semble toucher seulement une personne ou seulement un fil minuscule de la toile d’araignée ou seulement un fer à cheval, cela peut causer de gros dégâts. La cordée d’alpinisme aussi fait comprendre la solidarité.

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La fraternité aide à rendre les enfants égaux Tu te souviens, tu trouvais injuste que les bébés dans la pouponnière d’Antoine Dumas ne soient pas égaux. Tu aurais voulu que le peintre puisse mettre des as sur tous les petits lits, mais tu ne savais pas comment faire pour que tous les enfants commencent leur vie avec des chances égales. Maintenant que tes lunettes à rayons X t’ont permis de voir la « corde invisible » de la fraternité et de la solidarité, les choses changent: oui, tous les enfants pourraient avoir des chances égales. Si la fraternité avance, l’injustice reculera. Disons qu’un des enfants de notre cordée d’alpinisme est moins fort que les autres et grimpe plus lentement. Ceux et celles qui rêvent de la première place et qui écrivent des CV agressifs et prétentieux vont accuser cet enfant de les ralentir. «Si ce minable ne nous ralentissait pas, nous pourrions écrire dans notre CV que nous avons vaincu l’Everest plus rapidement que Sir Edmund ! » Ils vont tirer sur la corde de plus en plus fort. Ils vont précipiter le rythme de l’escalade. Forcément, quelques-uns des enfants plus faibles vont déraper. Mais ces impatients vont se plaindre encore: «Non seulement ces minables nous ralentissent, mais en plus ils sont un poids mort que nous devons tirer.» Pas besoin de te dire que ces gens pressés seront tentés de couper la corde et de monter sans regarder en arrière. Même s’ils ne poussent pas la cruauté jusque-là, ils vont au moins adresser les pires reproches à ceux et celles qui retardent leur glorieuse ascension. Ils vont ressembler aux conducteurs de chars de Curriculum vitæ. Ils vont ressembler à ceux pour qui les pauvres, les assistés sociaux, les malades, les handicapés coûtent trop cher. Si quelqu’un n’a aucune fraternité dans le cœur, ce quelqu’un-là ne travaille évidemment pas à embellir la ligne de départ. Toi, tu raisonnes autrement. Tu comptes sur les autres et tu veux que les autres puissent compter sur toi. En plus, tu vois toujours la «corde invisible» qui nous attache tous ensemble. Que vas-tu faire? Tu vas utiliser à la fois ton cœur et ta tête, ta générosité et ton intelligence. Tu vas faire à la fois le bon calcul et le beau geste. Si les plus faibles se laissent traîner vers le haut par les autres alpinistes, l’ascension devient tellement fatigante que tout le monde devra renoncer. Donc, ce n’est pas un bon 23

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calcul de laisser les plus faibles devenir passifs et pesants comme des sacs de ciment. Le bon calcul? Rendre les plus faibles capables de monter par leurs propres moyens. D’un autre côté, le beau geste, ce sera de ne pas reprocher aux plus faibles les maladresses dont ils ne sont d’ailleurs pas responsables. Si tu les encourages et si tu leur remets les mains et les pieds dans les bonnes anfractuosités et sur des clous plus solides, tu vas gagner de deux manières : ce sera moins lourd pour la cordée et plus stimulant pour les plus faibles. Tu auras produit l’effet papillon : un petit coup de main et… un gros résultat. La solidarité, tu vois, ce n’est pas seulement de montrer de la gentillesse, c’est de donner à tout le monde, même aux plus faibles, des chances plus égales. Par calcul et par générosité. Pratiquer la solidarité, c’est parler au génie de la lampe d’Aladin : «Puissant génie de la Solidarité, donne à tout le monde la Liberté et la Justice!» Je sais qu’il n’y a pas de génie qui s’appelle Solidarité, mais nous pouvons le remplacer. Ensemble, nous avons autant de force que lui.

Pourquoi ne pas copier la solidarité des animaux ? Quand tu regardes certaines espèces d’insectes, d’oiseaux ou d’animaux, tu te dis peut-être: « Si les humains se cherchent un modèle de solidarité, ils n’ont qu’à regarder du côté des animaux ou même des insectes. Les abeilles pratiquent la solidarité. Les fourmis aussi. Les grandes oies blanches aussi. Peut-être aussi que les loups pratiquent la solidarité. Alors ? N’inventons pas ce qui est déjà inventé… ! »

Danger : nid de guêpes ! Ce que tu dis est vrai. Au moins en partie. C’est certain que si tu mets la main sur un nid de guêpes, elles vont te piquer avec une immense solidarité. Même chose si tu t’aventures à ouvrir une ruche trop brusquement ou quand le temps est à l’orage: la «solidarité» de tout l’essaim va te sauter au visage. Tous les dards disponibles dans le nid ou dans la ruche réagissent avec une dangereuse unanimité si un agresseur se manifeste.

Le Grand Orchestre des Oies blanches Quand les grandes oies passent dans le ciel du Québec, elles se conduisent avec l’harmonie d’un orchestre professionnel. Une oie prend la tête et toutes les autres prennent place derrière elle pour former un grand fer de lance. Puis, l’oie qui volait à la 24

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pointe du grand V cède sa place et va se placer quelque part dans le groupe. Puis, une autre encore prend la tête. Tout se passe comme si chacune, dans le Grand Orchestre des Oies blanches, jouait un solo avant de retourner modestement dans le groupe. La solidarité des oies blanches va cependant plus loin. Si une oie blessée ou malade ne parvient plus à suivre le rythme du vol, on ne la laisse pas seule : une autre oie descend avec elle et fait de son mieux pour qu’elle retrouve des forces et rejoigne plus tard un autre grand V. Comme s’il y avait entre elles cette corde invisible que tu connais bien.

La Monarchie apicole Chez les abeilles, l’organisation est peut-être encore plus perfectionnée. La solidarité est totale, mais les abeilles se répartissent les tâches. Une éclaireuse n’a pas le même rôle qu’une guerrière. L’éclaireuse fait son travail à elle, mais elle ne se mêle pas du travail des autres abeilles. Quand elle a découvert un beau champ de trèfle, elle vient faire rapport à la ruche, mais elle ne prend pas les ouvrières par la main (?) pour les conduire à l’emplacement. Non, mademoiselle est une découvreuse, pas une guide touristique. Quand elle a localisé son champ de trèfle ou des pommiers en fleurs, elle vient danser devant les autres abeilles. Oui, danser en formant des arabesques que nous ne comprenons pas, mais que les autres abeilles lisent apparemment sans difficulté. Mademoiselle l’éclaireuse dit par sa danse où trouver le nectar, mais elle ne s’abaisse pas à les reconduire. Que les ouvrières se débrouillent ; l’éclaireuse retourne à ses explorations. Les abeilles sont solidaires, mais différentes.

La danse des abeilles Karl von Frisch est un savant né à Vienne en Autriche en 1886. Il a surveillé les abeilles pendant toute sa vie. Il a découvert comment les abeilles se «parlaient». Il a même mesuré les arabesques que dansent les éclaireuses pour dire aux ouvrières où est le réservoir de nectar ou de pollen qu’elles viennent de découvrir. Les reflets de la lumière sur les ailes semblent donner aux ouvrières des indications extrêmement précises.

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Les abeilles manifestent leur plus belle solidarité dans la protection de la reine abeille. Si, par exemple, le froid s’abat sur l’essaim, toutes les abeilles forment une boule autour de la reine. Elles la gardent au chaud le plus longtemps possible. Si le froid est trop vif et dure trop longtemps, toutes les abeilles mourront, mais la reine mourra la dernière, grâce à la solidarité et au dévouement de l’essaim. Tout se passe comme si les abeilles avaient fait le calcul suivant : «Tant que la reine demeure en vie, l’essaim peut se reconstituer, car la reine est la seule à pondre. Elle est capable de pondre 2 500 œufs par jour. Si je sauve ma vie pendant que la reine meurt, l’essaim disparaîtra quand même, car je ne ponds pas. »

Pourtant, ta solidarité est plus grande encore Jusque-là, je suis d’accord avec toi: la solidarité de certaines espèces d’insectes ou d’animaux est merveilleuse. Mais, mais, mais… la solidarité humaine, quand elle existe, est plus merveilleuse encore que cette solidarité des insectes ou des animaux. Pourquoi? Parce que la solidarité des humains est une décision que les humains prennent librement, tandis que les animaux ne pourraient pas changer leur comportement. Ils seront demain comme aujourd’hui et comme hier. Ils répètent les mêmes gestes d’une génération à l’autre, sans rien apprendre et sans rien perdre de leur instinct. C’est beau, mais c’est réglé une fois pour toutes. Les êtres humains inventent.

La solidarité humaine, tu l’inventes sans cesse Pense encore à notre cordée d’alpinisme. Toi, quand tu es solidaire des autres grimpeurs, tu ne te contentes pas de monter à ton rythme en te disant : « Les autres doivent savoir ce qu’ils ont à faire.» Tu essaies, au contraire, d’aider le plus faible à s’améliorer. Cela, une abeille ou une fourmi ne le fait pas, parce que ce n’est pas dans sa «programmation». Toi, tu regardes, tu découvres des choses, tu réfléchis et tu changes de comportement à volonté. Quand l’oie blanche aide une compagne blessée, elle le fait parce que c’est conforme à son instinct. Si toi tu aides quelqu’un, c’est que tu as choisi librement de te montrer solidaire. Les bêtes peuvent accomplir de belles choses ; toi, tu fais des choses « libres ». Toi, tu es capable de vouloir des changements. Les insectes et les animaux, eux, prennent les choses comme elles sont et les laissent à leur mort comme elles étaient à leur naissance. L’abeille vit de 21 à 35 jours quand elle doit travailler sans arrêt. Elle n’est pas capable de se ménager. Elle ne discute pas avec son instinct. Elle obéit à sa «programmation». Toi, c’est différent. Quand tu vois des enfants qui meurent de faim ou qui sont traités comme des esclaves, tu inventes les moyens de les rendre

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égaux aux autres. Les abeilles, même si elles ont une société très bien organisée, acceptent d’être gouvernées par une reine. Elles mourront pour elle bien qu’elles n’aient jamais voté pour elle. Une ruche, ça fonctionne, mais ce n’est pas une société démocratique. C’est la même chose pour les fourmis: quand elles élèvent des pucerons, c’est pour les utiliser comme du bétail à leur service. Elles n’essaieront jamais de rendre leurs esclaves aussi libres qu’elles. Toi, tu veux la liberté, mais tu veux que les autres aussi soient libres. Tu veux l’égalité pour toi, mais aussi pour les autres. Tu veux pouvoir compter sur les autres, mais tu veux que les autres puissent aussi compter sur toi. Ta solidarité, tu l’inventes, pas aveuglément du tout, pour augmenter la liberté et l’égalité.

Mais qui sont les autres ? Je viens d’écrire trois fois « les autres ». Ces « autres », qui sont-ils ? Peut-être tes copains et tes amies. Peut-être les enfants qui meurent de faim dans d’autres pays. Peut-être tous les êtres humains. C’est important de savoir qui sont « les autres », surtout si nous les invitons dans notre grand club.

Tout change si les extraterrestres parlent… Je vais d’abord te raconter une histoire. Tu la connais peut-être, car on en a fait un film. Dans le livre où il raconte cette histoire, Contact, le savant Carl Sagan nous parle d’une femme et d’un homme qui ont le même métier : celui d’observer le ciel et les étoiles. La femme habite d’un côté de la Terre, l’homme de l’autre côté. Elle travaille en Amérique du Nord, lui dans un observatoire russe. La femme et l’homme participent à des réunions internationales où des scientifiques comme eux racontent leurs découvertes. Leurs deux pays ne s’entendent pas trop bien, mais cette dame et ce monsieur finissent quand même par se dire ceci : ils ont découvert la même chose. Ils ont vu, tous les deux, qu’une étoile lointaine et inconnue émet des signaux. Signaux étranges et inquiétants, car leur rythme ne peut provenir que d’une… volonté! Comme la Terre tourne sur elle-même et que nos deux scientifiques habitent des continents différents,

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la seule façon d’enregistrer l’ensemble des signaux de l’inquiétante étoile, c’est de collaborer et de mettre les informations bout à bout. Quand l’observatrice perd contact avec l’étoile, son partenaire de l’autre moitié du globe prend la relève. À deux, ils enregistrent l’ensemble. Les gouvernements euxmêmes acceptent de se parler au moins un peu. Que découvre-t-on? Quelque chose d’incroyable. Quand ils sont regroupés, puis analysés par des ordinateurs, les signaux composent des images. Les «bits» d’information, peu à peu, définissent des images. Et ces images, ce sont celles des Jeux olympiques de Berlin qui ont eu lieu en 1936 ! Autrement dit, une étoile envoie à la Terre des images de ce que la Terre a vécu il y a plus d’un demi-siècle. Sagan, en effet, raconte l’histoire comme si elle se déroulait en 1992. Les Jeux olympiques de Berlin, ceux où Hitler a refusé de féliciter le quadruple champion noir Jesse Owens, datent de 56 ans ! Tu imagines le choc que cause cette révélation. D’un seul coup, on comprend que quelqu’un a filmé la Terre à partir d’une lointaine étoile. On calcule le temps qu’il a fallu, à la vitesse de la lumière, pour que les images de 1936 se rendent de Berlin à la mystérieuse étoile et pour qu’elles reviennent jusqu’à la Terre. Le résultat ? Vingt-huit ans pour l’aller; vingthuit ans pour le retour. Au total, 56 ans. De 1936 à 1992. Seule une civilisation extraterrestre suprêmement avancée a pu réussir cela. L’inquiétude se répand : «Ces êtres supérieurement intelligents et munis de moyens scientifiques incomparables, que nous veulent-ils ? Sont-ils menaçants ? »

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Solidaires seulement en face d’un ennemi ? L’histoire ne s’arrête pas là, mais moi, oui. J’arrête, non pas pour te priver de la suite, mais parce que nous en savons assez pour répondre à notre question sur « les autres ». Quand les Terriens constatent, dans l’histoire de Sagan, que des extraterrestres sont capables de les filmer à une distance de vingt-huit années-lumière, ils deviennent nerveux. Ils se sentent comme les microbes doivent se sentir quand un humain les examine au microscope. De toute urgence, les Terriens doivent organiser une défense, au cas où les extraterrestres les attaqueraient. Ils n’ont reçu aucune menace, mais ils savent qu’une civilisation supérieure les observe et ils n’aiment pas cela. Que font les Terriens? Ils deviennent subitement solidaires. Ils ne se demandent plus si Moscou est plus fort que Washington. Ils mettent d’urgence toutes les informations ensemble. Ils sont des alliés, des amis, des membres du même club. Ils ne se souviennent même plus de leurs anciennes rancunes ! Ils sont presque prêts à crier tous ensemble : « Vive la planète Terre ! » Être Américains, Russes, Chinois, c’est devenu secondaire. D’un coup, ils sont frères ! C’est un bon résultat, mais ce n’est quand même pas drôle s’il faut un ennemi commun pour nous rendre solidaires. La solidarité contre quelqu’un, c’est une solidarité négative, défensive, presque guerrière. Si notre fraternité a besoin de la peur pour se développer, elle peut fondre dès que la peur sera disparue. Dans notre grand club, la fraternité doit se construire sur une base plus solide et moins humiliante que la peur. Avoir peur, c’est perdre sa liberté. Nous, nous voulons la liberté, l’égalité, la solidarité. Pas la solidarité par la peur.

La petite maquette d’un grand club Les architectes et les ingénieurs recourent souvent à ce truc pour faire aimer leurs projets : ils font en petit ce qu’ils veulent bâtir en très grand. Ils construisent une maquette du stade ou du gratte-ciel qu’ils ont imaginé. On voit alors, d’avance, à quoi le projet ressemblera une fois réalisé. Tu peux faire la même chose avec la solidarité. On commence par rendre service à ceux qui sont tout près et puis, peu à peu, le cercle de l’entraide et de la fraternité s’agrandit. Dans l’histoire de la colombe et de la fourmi, La Fontaine, un poète que tu connais déjà, montre que c’est payant de s’entraider. La colombe sauve la fourmi qui allait se noyer et la fourmi sauve la colombe quand un chasseur veut tuer l’oiseau pour le manger.

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La colombe et la fourmi Le long d’un clair ruisseau buvait une Colombe, Quand sur l’eau se penchant une Fourmi y tombe. Et dans cet océan l’on eût vu la Fourmi S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive. La Colombe aussitôt usa de charité : Un brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté, Ce fut un promontoire où la Fourmi arrive. Elle se sauve ; et là-dessus Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus. Ce croquant, par hasard, avait une arbalète. Dès qu’il voit l’oiseau de Vénus, Il la croit en son pot, et déjà lui fait fête. Tandis qu’à le tuer mon villageois s’apprête, La Fourmi le pique au talon. Le vilain retourne la tête : La Colombe l’entend, part, et tire de long. Le soupé du croquant avec elle s’envole : Point de Pigeon pour une obole. La Fontaine

Comme tu le vois, c’est un tout petit début : la fourmi aide la colombe qui l’a aidée. Pour voir que la gentillesse à l’égard des amis et des copines est payante, on n’a d’ailleurs pas besoin de lunettes spéciales. La fraternité sera beaucoup plus belle si elle est un vrai cadeau et non pas le paiement d’une dette. L’exemple de l’aviateur Guillaumet, c’est autre chose. C’est un autre pilote, Antoine de Saint-Exupéry, dont tu as peut-être lu Le Petit Prince, qui a décrit le courage de son ami. Cela se passe il y a environ 70 ans. Les avions sont alors si petits que, la 30

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plupart du temps, le pilote est tout seul. Saint-Exupéry, Guillaumet, Mermoz font partie d’une équipe qui transporte le courrier. Ils ont créé le service postal entre la France et l’Afrique, par-dessus la Méditerranée. Puis, ils sont allés en Amérique du Sud. Ce jour-là, c’est la 92e fois que Guillaumet transporte les sacs de poste de Santiago, au Chili, à Buenos-Aires, en Argentine. Le pire dans ces envolées, c’est qu’il faut voler à travers la Cordillère des Andes, une chaîne de montagnes très haute que frappent de terribles tempêtes. Aujourd’hui, l’avion monterait très haut et sentirait moins la violence des vents. En 1929, ce n’était pas la même chose : l’avion de Guillaumet, un petit Potez, ne pouvait même pas monter jusqu’à la hauteur des sommets. Il devait donc slalomer entre les pics. Or, tu imagines à quelle vitesse le vent arrive dans ces espèces de corridors. Ce jour-là, au sommet d’une montagne, Guillaumet s’écrasa. Il était à des milles et des milles de toute civilisation et sans radio. Il dut d’abord attendre quarante-huit heures pour que la tempête se calme un peu. Puis, il commença sa descente. Qu’est-ce qui a gardé Guillaumet en vie pendant qu’il descendait vers le bas de la Cordillère ?

À quoi pensait Guillaumet… Le dimanche à 10 heures du matin, il se mit en route. Pendant les cinq jours et les quatre nuits suivants, Guillaumet marcha, les mains et les pieds gelés, gonflés et saignants, épuisé au-delà de tout, couvert de glace, conscient qu’à de telles températures, s’endormir revenait à signer son arrêt de mort. Il vit des traces de puma et de guanacos. Il trébucha, glissa, rampa, mais continua de marcher… Ce qui le sauva fut moins sa force que l’amour et la fierté : «Ma femme, si elle pense que je vis, croit que je marche. Les camarades croient que je marche. Ils ont tous confiance en moi. Et je suis un salaud si je ne marche pas.» Tombé à plat ventre sur une pente neigeuse, il fut remis sur ses pieds par le souvenir d’une petite phrase écrite en petits caractères : en l’absence de cadavre, l’assurance n’était pas tenue de payer quoi que ce soit à sa femme pendant quatre ans. Il était en effet « un salaud » s’il ne continuait pas : sa femme resterait sans ressources s’il ne descendait pas assez bas pour qu’au moins on retrouve son cadavre… Stacy de La Bruyère, Saint-Exupéry, Albin Michel, p. 205

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La solidarité de Guillaumet est très belle. Il croit mourir, mais il épuise ses dernières forces à rapprocher son corps des équipes de recherche pour que sa femme ait l’assurance-vie.

Les petits et les grands cercles de la solidarité Ce que Guillaumet a fait pour sa femme et ses camarades, ce que la colombe et la fourmi se sont fait mutuellement, tous les humains du monde peuvent-ils le faire pour tous les humains du monde ? Nous aurions alors une solidarité capable de répandre la liberté et la justice. Pas facile. Quand tu laisses tomber un caillou dans l’eau, surtout si l’eau est lisse comme un miroir, des cercles courent à la surface. Le premier petit cercle est très visible, le deuxième est plus grand, mais un peu moins accentué, les suivants sont de plus en plus larges, mais de moins en moins visibles. Loin de l’endroit où le caillou a coulé, l’eau n’a même pas frémi. Ce caillou peut te faire penser à notre solidarité. Tu aimes ou tu détestes très fort des gens qui sont près de toi. Ceux et celles qui sont plus loin, tu les aimes ou tu les détestes un peu, pas plus. Quant à ceux et celles qui habitent à l’autre bout du monde, ils te laissent dans l’indifférence. Dans notre grand club, nous ne te demandons évidemment pas d’aimer des inconnus autant que tu aimes ton meilleur copain, ton amie la plus proche ou tes parents. Mais nous souhaitons que les cercles de solidarité qui partent de toi, comme les ondes causées tantôt par le caillou, s’étendent le plus loin et le plus fortement possible. Être solidaire de sa famille, c’est assez facile. On se chicane un peu entre frères et sœurs, mais on défend farouchement son frère ou sa sœur si quelqu’un en dit du mal. C’est un premier petit cercle. Si ta classe participe à un concours de rédaction sur Internet, tu préfères voir gagner ta classe plutôt que les autres groupes. C’est un deuxième cercle. Quand ta région participe aux Jeux du Québec, tu as de la solidarité pour ceux et celles qui représentent ta région. Tu les encourages, tu les félicites, tu les applaudis s’ils te font honneur. C’est un cercle de solidarité encore plus grand. Et cela peut aller jusqu’aux limites du pays. Tu éprouves de la fierté quand tu t’aperçois que Céline Dion, Jacques Villeneuve, Charles Dutoit, Julie Payette ou Gaétan Soucy sont connus dans les autres pays. Tu ne ressens pas la même chose, du moins pas de la même manière, quand on te parle d’une comédienne 32

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allemande ou d’un champion de sumo japonais. Tes cercles de solidarité s’étendent parfois jusqu’aux dimensions de ton pays, mais ils ont de la difficulté à rejoindre les limites de la Terre. Ne te fais pas de reproches trop sévères, car la plupart des gens sont comme toi. Tout le monde veut la liberté et l’égalité, mais presque tout le monde met des limites à la solidarité. L’explication, c’est que la liberté et l’égalité sont des chances qu’on veut recevoir et que la solidarité est plutôt un cadeau qu’on doit donner. Ce n’est pas la même chose. Le problème, c’est que sans le cadeau de notre solidarité, les autres n’auront jamais les mêmes chances de liberté et d’égalité que nous. Pense à l’histoire de Sagan et améliore-la : ce serait beau si la planète Terre devenait solidaire non par peur, mais parce que les humains veulent répandre partout la liberté et l’égalité des chances. Si notre solidarité produit des cercles assez grands, la liberté élimine toutes les formes d’esclavage et tous les bébés ont des chances égales de dormir dans des petits lits marqués d’un as.

Les cercles qui perdent leur rondeur Le problème, c’est que, souvent, les cercles que fait démarrer le caillou se heurtent à des obstacles. Si, par exemple, ton caillou tombe à un mètre du quai, les cercles ne pourront pas être parfaitement ronds ni s’étendre également dans toutes les directions. Ils s’étendront vers le large, mais le quai leur dira très vite : « Ici, on ne passe pas. » Si nous voulons que les cercles de la solidarité s’étendent jusqu’au bout de la Terre, certains obstacles devront disparaître. Certains sont tout près, d’autres un peu plus loin.

L’esprit de clocher est tout près L’expression « esprit de clocher » veut dire ceci : les gens qui habitent un village trouvent toujours leur clocher plus important que celui des autres villages. C’est près de ce clocher qu’il faut installer la polyvalente, le CLSC, le centre commercial. Si on fusionne des villes ou des commissions scolaires, c’est le nom de MA ville ou de MA commission scolaire qui doit survivre. Si une entreprise parle de s’installer quelque part, les villes font de la surenchère. « Venez chez nous, nous vous donnerons le terrain.» «Non, venez ici : vous ne paierez pas de taxes pendant dix ans. » L’inégalité entre les vies, qu’on ne remarque même pas, bloque quand même le cercle de la solidarité.

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Quand un avion s’écrase, que disent les nouvelles ? «On compte 248 victimes, dont trois Canadiens…» Est-ce que les 245 personnes qui ne viennent pas de notre pays sont moins mortes que les trois autres? Est-ce que les autres vies sont moins importantes que les vies des Canadiens ? Si toutes les vies sont d’égale valeur, pourquoi accorder plus d’importance à trois vies d’une sorte particulière ? Dans la guerre du Kosovo, pourquoi a-t-on tant parlé de la capture de trois soldats américains, alors qu’on ne savait plus si les réfugiés étaient 600 000 ou un million ?

La longueur des racines, cela peut limiter la solidarité Des pays comme le nôtre, parce qu’ils sont riches et paisibles, reçoivent chaque année des milliers d’immigrants. C’est déjà une belle fraternité de les accueillir, mais notre solidarité ferait un plus beau et un plus grand cercle si elle accueillait ces immigrants non pas comme des étrangers, mais comme des membres de la parenté. Il faut que, très vite, les nouveaux venus aient le même droit de vote que nous, les mêmes chances d’instruction et d’emploi. Si on les fait attendre pendant des années en leur disant que leurs racines s’enfoncent moins profondément dans le sol québécois que celles des Québécois dont les familles sont ici depuis deux siècles, notre solidarité rétrécit son cercle.

La solidarité peut aussi trop calculer Nos gouvernements donnent parfois l’exemple d’une solidarité qui calcule trop. Quand, par exemple, un grand joueur de hockey étranger demande à être admis dans notre pays, on dit oui tout de suite. Pourquoi ? Parce que cela va rapporter des sous à notre pays : l’athlète aura un gros salaire, il paiera au moins une partie de ses impôts ici… La même chose se passe quand un médecin étranger veut entrer ici, ou un ingénieur, ou un professeur d’université. Notre pays dit oui rapidement, car ces personnes instruites ne demanderont jamais d’aide sociale. Notre pays profitera, au contraire, de l’instruction que ces personnes ont reçue ailleurs et que nous n’avons pas payée. Mais si la personne qui veut venir ici est pauvre, malade, handicapée, peu instruite, notre pays sera moins pressé. On voudra savoir si elle a un parrain, si elle a de la parenté pour l’assister, si elle connaît un métier dont notre pays a besoin… Quand les cercles de la solidarité heurtent ces obstacles, ils cessent de s’agrandir. 34

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Assez solidaires pour donner l’égalité et la liberté ? Notre club veut attacher aussi des gens faibles ou pauvres à notre grande cordée. Il veut étendre le cercle de la solidarité. Certaines personnes vont te dire que notre pays est quand même généreux à l’égard des pays plus pauvres. C’est parfois vrai, mais pas toujours. Quand il y a un tremblement de terre à Mexico, c’est certain que nous donnons de l’argent pour aider à reconstruire des écoles. Mais il y a souvent dans nos cadeaux une petite ruse. Notre pays dit, par exemple, à un pays pauvre: «Voici dix millions, mais vous devez les dépenser en achetant des produits canadiens.» Le pays pauvre est bien obligé de dire oui. Dans ces cas, c’est vrai que le pays reçoit quelque chose, mais ce sont surtout les Canadiens et leurs entreprises qui profitent du cadeau. Cela ressemble à une belle solidarité, mais la générosité n’est pas aussi grande qu’on le croyait.

Citoyennes et citoyens du Monde ? Alors, que faut-il faire ? Aimer de la même manière mon meilleur ami et la personne qui habite de l’autre côté de l’océan et que je ne verrai jamais ? Cela ne tient pas debout. Aimer seulement ceux qui sont proches de moi ou qui, au moins, font partie de mon pays ? Ce ne serait pas correct. Car je fermerais les yeux sur beaucoup d’injustices et je laisserais les pauvres mourir dans leur pauvreté. La solution ? C’est d’avoir une affection particulière pour ceux et celles qui sont près de moi et à qui je dois beaucoup, mais de travailler pour que tous les êtres humains, même ceux que je ne verrai jamais, aient les mêmes chances que mes amis. Une femme qui devient mairesse de sa ville aimera toujours ses enfants plus que tous les enfants du monde, mais elle ne réservera pas à ses enfants les meilleurs emplois de la municipalité. Si un professeur a des enfants à lui dans la classe, il va les aimer plus que les autres, mais il ne leur donnera les meilleures notes que s’ils les méritent. Tu peux donc aimer ton pays particulièrement, mais tu dois être assez solidaire des autres enfants du monde et de tous les pays pour leur donner les mêmes droits. Si tu réussis cela, tu es à la fois citoyenne ou citoyen de ton pays et membre du Club des Citoyennes et des Citoyens de tous les pays de la Terre. Tu as alors le cœur ici et la tête ouverte au monde entier. Pensons toujours à notre cordée d’alpinisme : on surveille particulièrement ceux qui sont proches, parce qu’on voit les dangers qui les menacent et qu’on peut les aider plus vite, mais on continue de voir que la même corde attache ensemble tous les gens de tous les pays, jusqu’à l’autre bout du monde. On ne peut pas oublier ceux qui glissent ou tombent à l’autre bout du monde parce qu’ils sont toujours 35

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attachés, eux aussi, à la même corde que nous. S’ils sont trop nombreux à demeurer suspendus, la corde, à notre bout, va devenir impossible à tenir. Et surtout nous nous sentirons gourmands et injustes.

Une petite brassée de proverbes Moi, j’aime bien les proverbes. Ce sont des phrases qui disent beaucoup en peu de mots. En voici trois. Le premier proverbe dit ceci : «La bonne façon de commencer un très long voyage, c’est de faire le premier pas.» D’accord ? Bon. Alors, nous allons bâtir notre grand club en commençant en petit. Par un petit pas. Par des petits cercles. En aidant ceux et celles qui sont proches, mais en allant le plus vite possible à l’aide de ceux et celles qui sont loin. Le deuxième proverbe a autant de bon sens que l’autre : « Avant d’entreprendre un voyage, on doit savoir quelle destination on désire. » Encore d’accord ? Alors, sortons la boussole et choisissons. Notre but, tu le connais : nous voulons, toi et moi, un grand club où il y a de la liberté, où tous les gens sont égaux, où la solidarité entre tous les humains du monde met la force des plus forts au service des plus faibles. Le troisième proverbe est plein de bon sens lui aussi : «Une bonne voiture a un accélérateur et des freins.» Si elle n’a que l’accélérateur, elle quittera la route au premier virage. Si elle n’a que des freins, elle ne se rendra nulle part. Si tu appliques ce proverbe à des êtres humains comme toi et moi, cela veut dire que nous devons équilibrer nos droits et nos responsabilités. Nous avons le droit à la liberté et à l’égalité, nous avons le devoir, par solidarité, par fraternité, de rapprocher tous les êtres humains de la liberté et de l’égalité. Si tu es d’accord avec tout cela, tu n’as pas besoin de carte de membre : tu fais déjà partie du Club des Citoyennes et des Citoyens de tous les pays de la Terre. Tu fais également partie des démocrates, car les citoyennes, les citoyens et les démocrates ont la même devise que toi : liberté, égalité, fraternité. Félicitations ! 36

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