Jean Dethier - Habiter La Terre [PDF]

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Zitiervorschau

HABITER LA TERRE

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JEAN DETHIER avec l’amicale complicité de Patrice Doat, Hubert Guillaud et Hugo Houben cofondateurs du CRAterre

L’ART DE BÂTIR EN TERRE CRUE T RA D IT IONS , M OD E RNIT É E T AV E NIR

Flammarion

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SOMMAIRE

INTRODUCTIONS

PLAIDOYERS POUR LA TERRE Pourquoi construire en terre crue ? Pourquoi les architectures de terre, aussi méconnues que remarquables, ont-elles été victimes d’une longue amnésie culturelle ? et de préjugés défavorables ? Pourquoi la construction en terre présente-t-elle tant d’atouts pour affronter les défis de notre temps ? Quels sont ses avantages, notamment écologiques, mais aussi ses limites ? Comment le bon usage de ce matériau peut-il contribuer à un changement de paradigme sociétal ? Pourquoi est-il porteur d’avenir ?

CHAPITRE 1

LOGIQUES CONSTRUCTIVES Quelles sont, à travers le monde, les diverses techniques traditionnelles, modernes et nouvelles de construction en terre crue ? Quelles sont les spécificités du pisé, de la bauge, du torchis, de l’adobe et des techniques hybrides ? Quelles expressions architecturales permettent-ils ? Pourquoi et comment les maçonneries en terre résistent-elles si bien, au temps notamment ? Comment améliorer les performances de ce matériau sans réduire ses atouts écologiques ? Comment « faire mieux avec moins » ?

CHAPITRE 2

TÉMOIGNAGES ARCHÉOLOGIQUES Quelles sont les civilisations antiques qui ont inventé les premières architectures de terre ? Quels usages ont-elles fait de ce matériau local ? Comment sont nés en Mésopotamie les premières villes, les premiers palais et temples, ainsi que les « gratte-ciel » (les ziggourats) tentant de relier les hommes et les dieux ? Pourquoi l’Égypte antique a-t-elle construit toutes ses habitations en terre, agglomérations et forteresses, alors que la pierre était valorisée dans son architecture monumentale ?

CHAPITRE 3

TÉMOIGNAGES HISTORIQUES Quels sont les plus remarquables sites architecturaux et urbains bâtis en terre à travers le monde entre le VII e et le XVIII e siècle ? Pourquoi l’Unesco en a-t-il classé 175 au patrimoine mondial ? Quels sont les apports les plus marquants des civilisations qui se sont épanouies en Iran, en Chine, au Maroc, en Inde, au Japon, en Afrique, aux Amériques et en Europe ? Sur ce dernier continent, quel chef-d’œuvre bâti en terre au XIII e siècle nous est parvenu presque intact ?

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CHAPITRE 4

PATRIMOINES VERNACULAIRES Pourquoi l’habitat vernaculaire (spécifique aux cultures populaires régionales), longtemps méprisé, est-il aujourd’hui devenu une source d’inspiration ? Pourquoi estime-t-on désormais que ces architectures rurales et urbaines sont pertinentes et porteuses de sagesse constructive ? Quelles leçons techniques et d’écoresponsabilité tirer de leur intelligence créative ? Alors qu’on considérait ce savoir-faire comme archaïque et fi gé, comment fait-il l’objet de réactualisations remarquables ?

CHAPITRE 5

MODERNITÉS ALTERNATIVES Comment s’est manifesté le renouveau des architectures de terre entre 1789 et les années 1960 ? Sous quelles formes et de quelles manières ces innovations ont-elles accompagné l’émergence de la modernité ? Dans quels pays ? Qui sont les pionniers de cette importante mutation ? Quelles étaient leurs ambitions sociales, culturelles et techniques ? Quels sont leurs apports et quelles influences ont-ils eues ? Quel contexte sociétal a stimulé ces évolutions ?

CHAPITRE 6

CRÉATIVITÉS CONTEMPORAINES Pourquoi les cinq dernières décennies ont-elles connu un vaste renouveau des architectures de terre ? Comment se manifeste cette mutation ? Pourquoi génère-t-elle aussi bien des logements pour les plus démunis que pour les plus nantis ? Comment a émergé une large gamme de bâtiments dédiés à l’éducation, la santé, le tourisme, la culture ou le commerce ? Quels sont les pionniers de ces changements ? Comment ces architectures concilient-elles innovation, attractivité, confort, qualité et écoresponsabilité ?

CHAPITRE 7

PERSPECTIVES D’AVENIR Au terme de ce parcours transhistorique à travers le patrimoine ancien et récent de 80 pays, quel bilan tirer de cette remarquable épopée culturelle ? Quel est l’avenir des architectures de terre ? Quels sont leurs points faibles et leurs points forts ? Pourquoi préconiser une révolution culturelle dans la formation des bâtisseurs, amenés à faire face à une demande croissante ? Comment l’économie circulaire permet-elle désormais de construire en terre dans les grandes villes ?

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INTRODUCTIONS

PLAIDOYERS POUR LA TERRE

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Échantillons de terre rassemblés à l’Auroville Earth Institute, en Inde (voir p. 384-385 et 481).

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PLAIDOYER POUR LA TERRE CRUE un matériau écologique pour une nouvelle conception de notre environnement bâti JEAN DETHIER

objectif premier de ce livre est de lutter contre une maladie sociétale, une déficience culturelle tenace : l’amnésie. Celle qui réduit à l’oubli un patrimoine transhistorique universel remarquable : l’immense famille des habitats, architectures et agglomérations bâtis en terre. Mais il faut préciser d’emblée que nous nous intéressons ici uniquement à la terre crue et non pas à la terre cuite (baked earth), qui est le résultat d’une transformation à haute température – artisanale ou industrielle, énergivore et polluante – visant à fabriquer des produits en céramique ou des « briques cuites » (burnt bricks). La différence entre le cru et le cuit, mise en évidence par l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, est essentielle car elle sépare deux logiques radicalement opposées d’usage d’une même ressource. La terre crue est le plus humble, le plus écologique et le plus répandu des matériaux de construction : c’est un trésor à portée de main, disponible sous nos pieds. Cette ressource précieuse de nos sols est à la fois la plus familière et nutritive – la terre agricole – et la plus méconnue, et pourtant tout aussi indispensable : la « terre à bâtir ». Elle n’est toutefois jamais prélevée dans la couche supérieure fertile du sol, de nature organique et à vocation agricole, mais uniquement en dessous de la terre végétale, dans le sous-sol. C’est avec ce matériau naturel abondant que dès l’Antiquité et jusqu’à nos jours de nombreuses civilisations et cultures du monde entier ont édifié leurs villages et villes. Des logements aux bâtiments communautaires, il est accessible à toutes les catégories sociales, des plus démunis aux plus nantis ; la construction en terre crue a ainsi longtemps assuré une forme méconnue de démocratisation de l’habitat.

De même, la majorité des professionnels du bâtiment et de l’architecture, notamment ceux des avant-gardes des années 1920, a témoigné d’une vision arrogante en ignorant les chefsd’œuvre bâtis avec ce matériau. Pourtant, cette prodigieuse épopée architecturale témoigne du génie bâtisseur d’une humanité longtemps confrontée à la nécessité de ne bâtir ses agglomérations et habitats qu’avec les seules ressources naturelles disponibles localement, au premier plan desquelles fi gurait très souvent la terre crue. Cette contrainte ancestrale apparaît désormais incontournable pour assurer notre avenir : il est vital de modifier nos logiques économiques afi n de construire un modèle privilégiant l’usage local des ressources naturelles, notamment dans le secteur du bâtiment.

L’

DE « L’ENFER » À LA LUMIÈRE La terre crue sort enfi n de son long purgatoire, voire de son « enfer », comme on appelait jusqu’à la fi n du XX e siècle, dans certaines grandes bibliothèques, le lieu où étaient conservés les ouvrages décrétés inaccessibles au public. Certes, il existe désormais des centaines de livres, souvent techniques, sur la construction en terre crue et des milliers d’articles savants dus à des chercheurs issus de multiples disciplines1. Mais ils sont rarement conçus pour le public non professionnel et encore moins pour ébaucher une synthèse culturelle historique. C’est le défi que tente de relever cet ouvrage, en se nichant dans la rubrique des livres d’art et de culture de diffusion internationale. Il couvre soixante-treize pays sur les cinq continents et donne à voir des architectures édifiées depuis plusieurs millénaires et jusqu’à nos jours, tout en illustrant de nombreux exemples disparus suite à des faits de guerre ou autres fléaux. Pour ébaucher ce panorama, l’option adoptée ici est celle d’un récit illustré se déployant selon une approche à la fois chronologique et thématique. Ce parcours est élargi par des références à des réalisations faisant usage du même matériau naturel dans d’autres domaines de la création : le génie civil et militaire, le paysagisme, le design, les arts plastiques : ceux dits « premiers », modernes ou contemporains, ainsi que le land art, qui cherche à réconcilier création artistique et nature.

UNE SAGA MÉCONNUE L’immense majorité de ce précieux patrimoine ne fi gurait jusqu’ici dans aucun livre dédié à cette forme de créativité spécifique. Il est pourtant d’une diversité vertigineuse et souvent d’une qualité et d’une intelligence conceptuelle remarquables. Même les livres savants, anciens ou récents, supposés évoquer l’histoire mondiale de l’architecture ignorent les témoignages les plus pertinents de cette saga culturelle et technique. Ainsi ce chapitre de l’histoire universelle de l’art n’avait-il pas encore été illustré par une approche globale de ces œuvres. L’archéologie a elle aussi longtemps sous-estimé les sites antiques où se déploient les vestiges de cités entières, de vastes temples, d’immenses forteresses ou de luxueux palais bâtis en terre crue.

1 – Voir la bibliographie en annexe de ce livre.

8 HABITER LA TERRE

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Double page suivante : École secondaire et pensionnat pour 540 adolescents de 13 à 18 ans. Elle a été édifiée en bois et en terre à Formoso do Araguaia, dans l’État du Tocantins, au Brésil, pour la Fondation Bradesco (2016). Architectes : Gustavo Utrabo et Pedro Duschenes (agence Aleph Zero), Marcelo Rosenbaum et Adriana Benguela. Ce « Children Village » a reçu en 2018 un Award for International Excellence attribué par le Royal Institute of British Architects (RIBA).

OBJECTIFS MILITANTS ET ÉMOTIONNELS

élargir l’usage de la terre, dans une logique d’écoconstruction. L’ample corpus des œuvres évoquées, qu’elles soient monumentales ou modestes, a en effet beaucoup à nous apprendre, du point de vue technique comme en termes culturels, sociaux et stratégiques. Il faut toutefois avoir la clairvoyance de ne pas considérer comme inéluctables les pratiques constructives actuellement dominantes, souvent abusives et dangereuses, qui ont été imposées par les lobbies des entreprises multinationales fabriquant les matériaux industrialisés qui composent aujourd’hui l’essentiel de notre cadre de vie. Ces pratiques induisent la surconsommation des ressources énergétiques d’origine fossile – pétrole, gaz et charbon –, une pollution massive et l’émission de gaz à effet de serre, des fléaux à l’origine de la crise climatique qui menace notre avenir. La terre crue permet d’éviter ces calamités : sa mise en œuvre ne nécessite pas d’apports énergétiques importants, puisqu’elle n’est pas transformée et qu’elle est utilisée localement ; de plus, son usage ne produit presque pas de gaz à effet de serre. Il est donc vital de valoriser cette ressource abondante aux vertus écologiques reconnues4, en priorité pour le logement, mais aussi pour d’autres bâtiments de petite ou moyenne ampleur.

Au cours des deux décennies qu’a nécessitées la préparation de ce livre, au-delà du désir initial de proposer une approche visuelle inédite de la diversité de ces patrimoines en terre, un autre objectif, plus militant, a été adopté. Le récit se développe ainsi selon un double registre, factuel et affectif, avec une trentaine d’essais interdisciplinaires dus à des acteurs reconnus et huit cents illustrations – photographies souvent inédites et dessins – choisies pour leur potentiel émotionnel. Cette double perspective a été adoptée dans l’espoir qu’elle soit porteuse de questionnements. L’évocation de ces exemples de patrimoine ancestral se veut provocatrice, pour stimuler des interrogations de fond, notamment sur les raisons qui ont amené notre société à marginaliser, voire parfois à tenter d’interdire l’art de bâtir avec un matériau aussi naturel et écologique que la terre crue. C’est d’autant plus paradoxal qu’on revendique aujourd’hui une relation holistique entre l’homme, son environnement bâti et la nature, ainsi que l’usage écoresponsable des ressources. L’ostracisme actuel à l’égard de la terre crue est d’autant plus inadmissible que le droit de bâtir en terre a toujours été implicite, dans toutes les cultures du monde. Cette liberté fondamentale doit être maintenue, encouragée et facilitée, pas seulement dans les campagnes ou les pays pauvres, de façon quelque peu paternaliste ou condescendante, mais aussi dans les villes nouvelles – comme le démontre le Domaine de la Terre, inauguré en France en 19852 – et même les métropoles, à l’image de Paris3. Les preuves de la pertinence, de la fi abilité et de la durabilité des architectures contemporaines en terre crue sont désormais nombreuses et convaincantes.

NOUVELLES INTELLIGENCES CRÉATIVES ET ALTERNATIVES

Afi n de remédier à l’amnésie culturelle évoquée, mais aussi d’éclairer le débat sur notre avenir, ce livre aborde à parts égales tradition et modernité, à travers quatre grands volets : l’évolution de l’art de bâtir en terre crue de l’Antiquité au siècle des Lumières ; les créations atemporelles dues au génie vernaculaire ; les développements modernes de la construction en terre, de 1789 à 1968 ; et sa réactualisation contemporaine, de 1980 à nos jours. L’ensemble de cette démonstration doit constituer le socle d’une réflexion prospective visant à actualiser et à

Pour illustrer concrètement ce potentiel porteur d’avenir, ce livre réunit dans le chapitre « Créativités contemporaines » une centaine d’exemples d’architecture contemporaine en terre crue édifiées dans le monde entier, tant dans les pays riches que pauvres, sous tous les climats. Leur diversité témoigne d’une intense créativité alternative. Ces bâtiments publics ou privés assurent une large gamme de fonctions utilitaires, et même celles correspondant à des goûts de luxe. Cette démonstration concerne aussi bien le domaine de l’éducation (de l’école primaire au campus universitaire) que de la santé (du dispensaire au centre chirurgical et à l’hôpital régional), de la culture (des œuvres d’art aux musées), du tourisme (des maisons d’hôtes aux hôtels), du sport et des loisirs (des piscines aux stades) ou du tertiaire (des immeubles de bureaux aux grands centres commerciaux). Ces réalisations récentes sont nombreuses, notamment en Europe, mais demeurent méconnues, même des professionnels. Elles illustrent pourtant le dynamisme d’une nouvelle fi lière de

2 – Voir le dossier relatif au Domaine de la Terre p. 392-395. 3 – Voir le nouveau quartier programmé aux portes de Paris, p. 472-473.

4 – Voir les textes d’Hubert Guillaud, p. 21, et de Dominique Gauzin-Müller, p. 24-25.

UN SOCLE DE RÉFLEXION PROSPECTIVE

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création écoresponsable porteuse d’avenir à laquelle participent autant des bâtisseurs encore peu connus que des architectes célèbres. Une telle profusion dément, mieux que tout discours, les préjugés négatifs relatifs aux constructions en terre crue. Certains de ces bâtiments comprennent une part modérée de ciment pour stabiliser leur maçonnerie en terre, mais bien d’autres se passent déjà de cet ingrédient industriel énergivore et polluant. Des recherches scientifiques récentes ont en effet confi rmé que cet additif n’est nullement indispensable pour assurer la stabilité et la durabilité des maçonneries en terre crue5.

révèle que notre société marche sur la tête. C’est évidemment l’usage de matériaux de construction naturels et écologiques comme la terre crue qui devrait être incité. Et non pas les pollueurs les plus inciviques. Les matériaux industrialisés, notamment le ciment, devraient quant à eux être frappés d’une taxe carbone proportionnelle à leur dangerosité pour l’environnement et la population, comme l’exigent certains professionnels8. Lester R. Brown affi rme ainsi qu’il est impératif de « concevoir une nouvelle économie des matériaux », et ajoute que « nous sommes en mesure de [la matérialiser] avec certaines technologies déjà existantes », par exemple celles de la construction en terre crue, qui a largement fait ses preuves. Réclamant l’équité et la transparence du marché, Brown précise aussi que le communisme « s’est effondré parce qu’il ne laissait pas les prix dire la vérité économique [et que] le capitalisme pourrait s’effondrer parce qu’il ne laisse pas les prix dire la vérité écologique ».

POUR UNE NOUVELLE ÉCONOMIE DES MATÉRIAUX La fi nalité de l’architecture écoresponsable n’est pas de résorber la crise écologique, car cela supposerait un retour à la situation antérieure une fois la phase dite critique résorbée. Il s’agit plutôt de contribuer à un changement global de paradigme, dont notre société a urgemment besoin pour assurer son avenir6. Cette mutation, tant philosophique et morale que technologique et politique, devra libérer le secteur du bâtiment du règne sans partage de la technoscience, qui conditionne lourdement nos destinées. L’usage excessif de matériaux de construction industrialisés, souvent encouragé au prétexte d’une prétendue rationalité, est en effet l’une des principales causes du dérèglement climatique. Ces matériaux menacent également parfois la santé publique, au point que certains fabricants pourraient être accusés de crime contre l’humanité. Par exemple ceux qui ont massivement vendu, tout au long du XX e siècle et encore aujourd’hui dans les pays émergents, des éléments en amiante-ciment, matériau responsable de milliers de morts à travers le monde. Ou encore ceux qui produisent de l’aluminium, dont les boues rouges suscitent une dramatique pollution des terres, des cours d’eau et des mers. Pourtant, comme l’a révélé en 2007 l’économiste américain Lester R. Brown (fondateur de l’institut Worldwatch en 1974, de l’Earth Policy Institute en 2001), cette fi lière industrielle est fortement subventionnée : « En France, l’État lui concède l’énergie électrique à un tarif quatre fois moins cher qu’aux autres industries et huit fois moins cher qu’aux utilisateurs individuels7. » Ce choix politique aberrant

VERS UN « CAPITALISME VERT » ? Dans ce débat crucial, les enjeux sont d’une telle importance qu’il apparaît indispensable d’évoquer les opinions de chercheurs et penseurs qui ont traité ce sujet durant ces dernières années. Et puisque le capitalisme est suspecté de ne pas oser révéler sa « vérité qui dérange » (Al Gore), référons-nous à Paul Hawken, Armory et Hunter Lovins, qui ont exposé en 1999 leur conception d’un « capitalisme vert » dans le livre Natural Capitalism, comment réconcilier économie et environnement9. Ils y affi rment que le « capitalisme tel qu’il est pratiqué se révèle fi nancièrement profitable mais constitue une aberration insoutenable en termes de développement humain. Il néglige d’attribuer une quelconque valeur au principal capital qu’il exploite : les ressources naturelles et les logiques du vivant, de même que celles relevant de la culture qui sont la base de tout capital humain. […] Depuis quelques décennies, la plupart des choix adoptés pour construire des bâtiments et sélectionner leurs matériaux ont été faits de façon irresponsable ». Les trois économistes poursuivent leur raisonnement en précisant que « désormais, on peut réactualiser les usages anciens de la terre crue en tant que matériau mis en œuvre sous forme de pisé ou d’adobe : une ressource naturelle saine

5 – Voir le texte d’Hugo Houben et Henri Van Damme, p. 36-39. 6 – Voir le texte de Romain Anger, p. 22-23. 7 – L.R. Brown, Éco-économie, une autre croissance est possible, écologique et durable, Paris, Seuil, 2001.

8 – Notamment l’architecte Anna Heringer en Allemagne ou l’ingénieur du CRAterre Hugo Houben en France. 9 – A. et H. Lovins, P. Hawken, Natural Capitalism: Creating the Next Industrial Revolution, New York, Little & Brown, 1999.

12 HABITER LA TERRE

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et non toxique, durable et versatile. […] Cette pratique relève d’une nouvelle façon de penser l’architecture. L’efficience économique et la pertinence écologique qu’elle assure ne sert pas seulement à éviter des pollutions industrielles. Elle satisfait aussi une de nos aspirations profondes en faveur d’une symbiose entre architecture et culture : une attente trop longtemps insatisfaite par les pratiques courantes de la construction et de l’ingénierie. Quand ces atouts sont valorisés et mis en synergie, il en émane une magie hautement valorisante et appréciée. Ce sont ces pratiques qui vont instaurer une révolution dans le secteur du bâtiment ; et aussi dans notre façon d’habiter ces bâtiments. […] Ces architectures écologiques ne contribuent plus à empoisonner notre air, ni notre âme saturée d’artificialités. Au contraire, elles instaurent plaisir et sérénité. Et leurs matériaux organiques nous remettent en relation avec le monde naturel. Elles ne sont génératrices d’aucun méfait envers leurs usagers, ni envers Terre. [Ces architectures nouvelles] nous offrent plus que ce qu’elles ont consommé pour les bâtir. La conciliation de ces atouts avec les exigences de fonctionnalité et de profitabilité exige un haut niveau d’intégration créative des processus de conception et matérialisation du bâtiment : ce n’est pas tellement un problème technique mais plutôt un défi culturel et spirituel ». On appréciera que le Wall Street Journal – la bible des businessmen – ait qualifié cet ouvrage d’« extrêmement important » (hugely important). Le Financial Times, une autre référence du monde des affaires, a quant à lui affi rmé le 19 octobre 2012 que « le matériau de construction le plus “primitif” est désormais utilisé pour édifier des demeures parmi les plus en pointe » (« most advanced homes »).

besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » a été largement pervertie par les acteurs du « business as usual » qui se sont engouffrés dans la pratique du greenwashing. Les fabricants de pesticides se sont ainsi regroupés sous l’appellation illusoire d’« Union des industries de la protection des plantes » et se présentent, « avec la complicité des États, comme […] soucieu[x] de la santé des sols et des humains10 ». En France, le lobby du béton affi rme en 2019 que son produit est « toujours plus intelligent [et qu’il] contribuera à construire la ville du futur ». Certes le béton armé, une invention géniale de la fi n du XIX e siècle, dont la fabrication a été récemment rendue un peu moins énergivore et polluante, est indispensable pour certains travaux de génie civil ou de grands bâtiments. Mais il faut le redire : on peut parfaitement le remplacer, dans la plupart des habitations et de nombreux bâtiments de petite ou moyenne taille, par des matériaux naturels non transformés industriellement tels que la terre crue. La propagande en faveur du ciment et du béton est contredite par des chercheurs, enseignants et scientifiques vigilants qui confi rment que « le bilan carbone du béton joue en sa défaveur : très coûteuse en énergie, la fabrication du ciment contribue à près de 10 % des émissions de CO2 à l’échelle du globe11 ».

LIBÉRER L’AVENIR / LIBERTÉ DE CONSTRUIRE Nombreux sont les auteurs ayant contribué à élargir ce débat de portée sociétale. Ainsi André Gorz, pionnier français de la réflexion philosophique sur l’écologie politique, affi rme-t-il que « la critique des techniques, dans lesquelles la domination sur les hommes et sur la nature s’incarne, est une des dimensions essentielles d’une éthique de la libération. […] Des choix de société n’ont cessé de nous être imposés par le biais de choix techniques, qui sont rarement les seuls possibles. Ce ne sont pas nécessairement les plus efficaces. Car le capitalisme ne développe que les techniques conformes à sa logique et compatibles avec sa domination. […] Sans la lutte pour des technologies différentes, la lutte pour une société différente est vaine12 ». C’est bien cette voie alternative que permet la construction en terre crue. Dans son livre-manifeste Freedom to Build (« La liberté de

PERVERSION ET DÉTOURNEMENTS L’optimisme de ces pionniers américains du capitalisme vert quant à la capacité qu’a le système de se réformer aussi radicalement peut être mis en question. Ainsi la notion supposée salvatrice de « développement durable » a-t-elle par exemple très vite été dénaturée. Ce concept visant à concilier économie, société et écologie a été défi ni en 1987 par l’ONU dans le célèbre rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, publié sous la direction de Gro Harlem Brundtland, et qui a servi de base au Sommet de la Terre organisé cinq ans plus tard à Rio et alimenté les débats d’innombrables conférences internationales. La promesse d’un « développement répondant aux

10 – Notre affaire à tous, Comment nous allons sauver le monde, manifeste pour une justice climatique, Paris, Massot, 2019. 11 – É. Guyon, J. Bico, É. Reyssat et B. Roman, Du merveilleux caché dans le quotidien, la physique de l’élégance, Paris, Flammarion, 2018. 12 – A. Gorz, « Écologie, politique et liberté », dans André Gorz, un penseur pour le XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2009.

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« Maison des hôtes » (Wa Shan) édifiée en pisé en 2013 au cœur du campus Xiangshan de la China Academy of Art à Hangzhou, en Chine. Architectes : Wang Shu (lauréat du prix Pritzker) et Lu Wenyu, cofondateurs de l’agence Amateur Architecture Studio (voir p. 361, 369 et 432-433).

construire »), l’urbaniste et sociologue anglais John Turner, proche d’Illich et de Schumacher, initiateur de stratégies progressistes en faveur de l’habitat populaire urbain en Amérique latine, précise : « Lorsque les citoyens – surtout les plus modestes – ont la possibilité de contribuer directement à la conception, à la construction et à la gestion de leurs logements, ce processus stimule le bien-être familial et social, tout comme il bénéficie à l’environnement. En revanche, lorsque les habitants n’ont – dans ce domaine essentiel pour eux – ni pouvoir d’intervention ni responsabilités dans les décisions clés, cela entraîne une insatisfaction sociale et devient aussi un fardeau pour l’économie. […] L’important dans le logement n’est pas ce qu’il est, mais ce qu’il apporte à ses usagers ».13 John Turner affi rme aussi qu’un matériau de construction n’est pas intéressant pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il apporte à ses usagers et à la société. Cette assertion est particulièrement appropriée pour justifier l’usage de la terre crue dans le domaine de l’habitat. « Libérer l’avenir », telle était en 1969 l’injonction de l’Autrichien Ivan Illich, philosophe et penseur de l’écologie politique : « Il nous faut un autre choix que ceux prétendus du “développement” ou d’une révolution uniquement politique14. » Erich Fromm, sociologue américain d’origine allemande, précise que « cette remise en question radicale n’est possible que si on ne tient pas pour évidentes les idées reçues de nos propres sociétés, telle par exemple la culture occidentale depuis la Renaissance. Il faut [comme dans le conte d’Andersen] s’apercevoir enfi n que “l’empereur est nu” et que ses vêtements splendides sont tissés d’illusions. […] Le doute radical est un instrument de libération de la pensée, encore esclave de ses idoles. Il permet un indispensable élargissement du champ de la conscience, une vision plus imaginative et créatrice de nos possibilités et de nos choix ». La sagesse écologique et minimaliste de la construction en terre crue nous permet d’éviter le recours idolâtre aux matériaux de construction industrialisés.

d’autodestruction qui en découle. Il plaide en faveur de la prohibition de toute technologie constituant une menace pour la société, et affi rme que, si une technologie peut avoir plusieurs conséquences possibles, « il faut décider de son avenir en fonction de l’hypothèse la plus pessimiste15 ». La terre crue, contrairement aux matériaux industrialisés, conventionnels, très énergivores et émetteurs de gaz à effet de serre, prouve depuis des siècles sa complète innocuité. Le sociologue allemand Ulrich Beck complète cette analyse critique en constatant les changements intervenus dans la société en raison du développement industriel et technologique, et la nécessaire prise en compte des « risques cumulés pour assurer notre avenir ». Il critique sévèrement « les acteurs qui sont censés garantir une indispensable sécurité et rationalité des choix prospectifs – l’État, la science et l’industrie – car ils imposent à la population de monter à bord d’un avion pour une destination où aucune piste d’atterrissage n’a été construite à ce jour ». Déplorant « un processus continu de rupture des traditions (une “détraditionalisation”), des savoir-vivre et des savoir-faire des sociétés qui implique une rapide érosion des solidarités sociales », il préconise l’avènement d’une « seconde modernité16 ». Les usages constructifs de la terre crue, hérités d’un savoir-faire ancestral universel, permettent précisément de matérialiser cette modernité alternative. Le philosophe français Dominique Bourg défi nit ainsi cette « nouvelle modernité » : « Consciente de l’irréductibilité de ses fondements spirituels, ayant renoncé au mythe d’une croissance infi nie, soucieuse des contradictions entre marché et libertés, ayant relativisé la notion de risque, réinterprétant les droits humains en tournant le dos tant à un anthropocentrisme qu’à un individualisme forcenés, redécouvrant la nature spéculative du savoir, et discernant dans les techniques plus un accompagnement de la nature qu’une domination-destruction. […] Si “l’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits” (Bergson), elle pourrait à l’avenir hurler de douleur face à leurs conséquences si elle ne parvenait pas à se libérer du tropisme de cette “mécanisationdestruction” indéfi nie du donné naturel, si elle ne parvenait pas à faire désirer à nouveau la simplicité de la vie ».17

À LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE MODERNITÉ Quant au philosophe allemand Hans 1979 le concept de responsabilité des à l’égard de celles à venir, il décrit sionné que l’homme a acquis avec la

Jonas, qui a initié en générations présentes le pouvoir surdimentechnique et le risque

15 – H. Jonas, Le Principe de responsabilité, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1979. 16 – U. Beck, La Société du risque, sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1986. 17 – D. Bourg, Une nouvelle Terre, Paris, Desclée de Brouwer, 2018.

13 – J. Turner, Freedom to Build: Dweller Control of the Housing Process, New York, McMillan, 1972. 14 – I. Illich, Libérer l’avenir, Paris, Seuil, 1969.

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Vue latérale de l’œuvre architecturale de land art réalisée dans l’extrême sud du Maroc vers l’an 2000 par l’artiste allemand Hannsjörg Voth : L’Escalier céleste. L’intérieur du bâtiment se déploie sur quatre niveaux en mezzanines et servait de logement minimaliste à son créateur (voir p. 292-293 et 466-467).

C’est bien cette simplicité que permet l’écoconstruction en terre crue. Ses usages architecturaux, empreints de sobriété, assurent une harmonie minimaliste de plus en plus revendiquée, au moins dans les pays riches, notamment en Europe. Ainsi pour Paul Ariès, avec son plaidoyer en faveur de la simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance18, de même visà-vis du Manifeste pour une frugalité heureuse et créative initié en 2018 par un collectif d’architectes et d’ingénieurs européens19. La terre crue est un matériau naturel ayant la vertu d’assurer, outre le confort thermique, un environnement bâti chaleureux et sensuel, aux textures vivantes, garant de plaisirs visuels, tactiles et psychiques qu’aucun matériau industrialisé n’est en mesure de procurer. Elle permet de façonner le cocon d’un nouvel art de vivre, celui d’une civilisation avancée sachant s’assurer l’essentiel sans se compromettre dans les excès du matérialisme. Un tel art d’habiter, centré sur un minimalisme épanouissant, a depuis longtemps été adopté par la civilisation japonaise, guidée par sa philosophie zen et le concept esthétique du wabi-sabi, qui privilégie les matériaux naturels.

menaces que la société actuelle leur oppose avec ses réglementations, normes et contraintes parfois déraisonnables, voire absurdes. Surtout celles visant à protéger les intérêts disproportionnés des sociétés multinationales fabriquant les matériaux industrialisés de construction responsables de redoutables dommages environnementaux. Les résultats remarquables obtenus par ces pionniers, que l’on considérait il y a quelques décennies comme des utopistes marginaux, ont été salués par l’un des plus éminents architectes de notre temps, Renzo Piano, lequel qui fait ainsi leur éloge : « Ce sont eux qui montrent le chemin. Ce sont eux qui ont de l’avance […] en nous transmettant un message indispensable pour la pensée architecturale contemporaine : […] construire avec la terre, la matière première la plus disponible et répandue, riche et belle22. » Ainsi s’ébauche un avenir prometteur, exempt de références nostalgiques, romantiques ou réactionnaires aux traditions de la construction en terre, car il s’agit bien de promouvoir un « bond en avant » de nature réaliste, mais selon une pratique du progrès ne constituant plus une course effrénée et aveugle vers l’abîme.

UNE DÉSOBÉISSANCE LIBÉRATRICE

L’APPEL SOLENNEL DE LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE

Les partisans du renouveau sont de plus en plus nombreux à revendiquer la sobriété en tant que choix inspiré par la raison. Cela suppose une « insurrection des consciences », réclamée notamment par le sociologue suisse Jean Ziegler. Cette démarche salvatrice est aussi préconisée par l’Indienne Vandana Shiva, philosophe et scientifique, directrice de la Fondation de la recherche pour la science, les technologies et les ressources naturelles. Activiste influente dans la lignée de Gandhi, elle pratique ce qu’elle nomme la « désobéissance créative20 », qui concilie subversion et inventivité. Cette voie audacieuse a été empruntée par des architectes, pédagogues, ingénieurs et entrepreneurs qui ont contribué au renouveau de la construction en terre crue : leurs témoignages ponctuent ce livre, notamment dans le chapitre « Perspectives d’avenir21 ». Pour aboutir à cette étape porteuse d’avenir, ces « contestataires de l’ordre établi » ont en effet dû combattre – avec acharnement – les multiples obstacles, freins et

L’économiste britannique Sir Nicholas Stern, ancien viceprésident de la Banque mondiale, affi rme que « les deux plus importants problèmes de notre temps – la pauvreté dans les pays émergents et le changement climatique – sont inextricablement liés. L’incapacité de résoudre l’un ruinera les efforts pour affronter l’autre23 ». De fait, des projets d’autoconstruction en terre (encadrée par des conseillers), menés notamment en Afrique et sur l’île de Mayotte24, ont démontré qu’il s’agit d’une stratégie incontournable permettant d’assurer aux plus démunis un habitat décent et des équipements tels qu’écoles et centres de santé, indispensables à l’amélioration durable de leur sort. En 2017, 15 364 savants ont publié le World Scientists’ Warning to Humanity (« Signal d’alarme lancé par la communauté scientifique mondiale à l’humanité »). Ils y affi rment que « nous approchons rapidement des limites de résistance de notre planète. Les dommages massifs que nous lui faisons

18 – Paris, La Découverte, 2010. 19 – www.frugalite.org/fr/le-manifeste.html. 20 – V. Shiva, Pour une désobéissance créative, entretiens avec Lionel Astruc, Arles, Actes Sud, 2014. 21 – Voir les textes de Lara K. Davis, Dominique Gauzin-Müller, Anna Heringer, Sébastien Moriset, Martin Rauch et S.K. Sharma, p. 480 à 486.

22 – Extrait de la préface de R. Anger et L. Fontaine, Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture, Paris, Belin, 2009. 23 – N. Stern, A Blueprint for a Safer Planet: How to Manage Climate Change and Create a New Era of Progress and Prosperity, Londres, The Bodley Head, 2009. 24 – Voir le dossier consacré au programme mené à bien sur l’île de Mayotte, p. 382-383.

16 HABITER LA TERRE

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subir pourraient impliquer l’effondrement de ses écosystèmes. Les pratiques courantes de l’économie dommageables à notre environnement ne peuvent pas se poursuivre. Un changement radical de comportement vis-à-vis de la Terre – et aussi de mode de vie – est indispensable si nous voulons éviter de la mutiler de façon irréversible ». Ils recommandent « une diminution drastique des pratiques de la société de consommation et des usages des énergies fossiles ». C’est notamment ce que permet la logique sobre et non énergivore de la construction en terre.

précédant la publication de ce rapport… L’objectif colossal de réduction des émissions de gaz à effet de serre préconisé par le GIEC suppose notamment un changement radical des choix de logiques de construction. Dans ce contexte, la terre crue a un rôle stratégique à jouer.

MOINS MAIS MIEUX L’économiste français Thomas Porcher rappelle que « tout le monde sait désormais ce qu’il faut faire pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique. 1o : Développer massivement les énergies renouvelables. 2o : Maîtriser notre consommation d’énergie. 3o : Développer l’économie locale et circulaire. Tous ces termes fi gurent dans les discours des élus mais, concrètement, aucun gouvernement ne veut les mettre en œuvre. Parce que pour relever le défi climatique, il faut remettre en cause nos modes actuels de production et de consommation25 ». La pratique à grande échelle de la construction en terre crue peut contribuer à ces objectifs. En effet, l’usage de ce matériau n’a de sens que dans le contexte restreint d’une économie locale en circuit court ; elle peut notamment s’inscrire dans le cadre d’une nouvelle économie circulaire en milieu urbain26. Edgar Morin, sociologue et philosophe français, affi rme que « des germes d’une nouvelle civilisation contemporaine sont

RÉDUIRE DE 70 % NOS ÉMISSIONS NOCIVES EN 30 ANS En 1988, l’ONU a confié au GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) la mission « d’évaluer, sans parti pris et de façon claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique nécessaires pour mieux comprendre les risques liés au réchauffement climatique d’origine humaine, cerner les conséquences possibles de ce changement et proposer des stratégies d’adaptation ». Dans le « résumé rédigé à l’attention des décideurs » de son rapport publié fi n 2018, le GIEC constate que « le CO2 issu des combustibles fossiles joue un rôle majeur dans le changement climatique », mais affi rme qu’« il est encore possible de limiter l’augmentation de la température à 2 °C (de plus en moyenne planétaire qu’avant la révolution industrielle) si les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont réduites de 40 à 70 % entre 2020 et 2050 ». Pourtant, la production mondiale de CO2 a augmenté de 2,7 % durant l’année

25 – T. Porcher, Traité d’économie hérétique, pour en finir avec le discours dominant, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2018. 26 – Voir le texte d’Hugo Gasnier, p. 478-479.

17 INTRODUCTIONS

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Projet (non réalisé) de tour d’habitation de 15 étages à Paris, avec éléments de façade en pisé préfabriqué (2015). Architectes : Joly & Loiret.

présents un peu partout, mais demeurent insuffisants et dispersés. Notre civilisation qui annonçait le bien-être matériel a suscité du mal-être spirituel. Il nous faut repenser le “développement” et son idée même. Il crée plus de problèmes qu’il n’en résout. Il est à terme insoutenable, y compris comme “développement soutenable”. Il faut remplacer le quantitatif “plus, plus” par du qualitatif “moins mais mieux”. […] L’instauration de nouvelles solidarités est un autre aspect essentiel d’une politique de civilisation. […] Elle réclame un objectif qu’on ne trouve dans aucun programme politique. C’est la nécessité de changer nos vies, mais surtout dans le sens de la qualité et de la poésie de la vie27 ». C’est un fait évident que les usages contemporains de la terre crue sont nombreux, mais dispersés et insuffisamment connus, ce à quoi ce livre cherche à remédier.

des uns provoque le fanatisme des autres : n’oublions jamais que la cause écologique est la pierre angulaire de la dignité humaine et de la justice sociale. […] Osons dire qu’un autre monde est d’ores et déjà possible ; mais que nous font défaut un état d’esprit universel, une intelligence, une vision et une volonté collectives. […] Osons dire que la violence capitaliste a colonisé tous les cercles du pouvoir ; et qu’il faut reprendre la main sur une industrie […] qui ignore l’intérêt général : brisons cet ordre cannibale. […] Osons l’humilité et la modération, l’insolence et l’utopie. […] La défi nition de la folie, c’est de répéter indéfi niment la même chose et d’attendre des résultats différents : osons ne plus être fous. Dans tous les domaines le changement est à l’œuvre ; les solutions existent, mais elles sont souvent trop peu connues. Il faut rendre hommage à tous ces acteurs du changement qui créent le monde de demain. Leur exemple mérite mieux que les félicitations accordées aux exceptions brillantes. Face à l’ampleur du défi climatique, il faut donner à ces initiatives isolées les moyens de devenir les pratiques de demain. C’est le moment de changer radicalement de paradigme et d’associer à la lutte contre le réchauffement climatique ces innovations sociales et économiques : [en inventant une nouvelle modernité] instaurant une alliance entre le meilleur de la science et des techniques et le bon sens des anciens ».

OSER PASSER À L’ACTE Il faut désormais oser passer à l’acte. Osons28 est précisément le titre du plaidoyer pour l’action publié en 2015 par Nicolas Hulot, militant écologiste français né en 1955 et devenu ministre de la Transition écologique et solidaire en 2017. Quinze mois plus tard, il démissionnait avec fracas de ses fonctions pour signifier sa réprobation face aux choix inconsistants du gouvernement. Dans Osons, il affi rme que « si la prise de conscience progresse, sa traduction concrète est dérisoire face à l’accélération des phénomènes [du dérèglement climatique] que nous sommes censés juguler. Nous sommes technologiquement époustoufl ants, mais culturellement affl igeants. […] Osons enfi n regarder la réalité en face : nous empoisonnons la terre autant que nos veines. […] Osons affi rmer que la crise écologique est l’ultime injustice : elle frappe d’emblée les plus démunis. […] Osons dire que le fatalisme

UN RÉCIT ARCHITECTURAL COMME INGRÉDIENT DU CHANGEMENT ? Cyril Dion est le coréalisateur du fi lm Demain, qui présente une sélection de réalisations récentes parmi les plus réussies en matière d’écologie appliquée. Dans son Petit manuel de résistance contemporaine, il affi rme que « de tout temps, ce sont les histoires et les récits qui ont porté le plus puissamment les mutations philosophiques, éthiques ou politiques. C’est donc avec ces récits que nous pouvons engager une véritable “révolution”. Mais pour qu’ils puissent émerger et se

27 – E. Morin, Mes philosophes, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2013. 28 – N. Hulot, Osons, Paris, Fondation pour la nature et l’homme, 2015.

18 HABITER LA TERRE

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améliorations que peut assurer le renouveau de la construction. Une architecture vraiment écologique peut et doit contribuer au changement de paradigme sociétal. Et l’art de bâtir en terre crue permettra de mieux « habiter la Terre ».

traduire en structures économiques et sociales, il est incontournable d’agir sur les architectures qui conditionnent nos comportements quotidiens29 ». Notre livre a pour ambition de mettre en valeur le récit méconnu des architectures de terre crue afi n de contribuer au débat, mais sans avoir la naïveté de croire que ce seul matériau puisse constituer une solution miracle : il doit être considéré comme l’une des composantes d’une large gamme d’actions stratégiques. C’est à Winston Churchill que l’on doit la défi nition de l’art de bâtir la plus éclairante : « La société conditionne l’architecture et dès lors l’architecture conditionne la société. » Parmi toutes les créations culturelles et artistiques, l’architecture est celle qui conditionne le plus durablement, consciemment ou inconsciemment, notre mode de vie, mais aussi une large part de notre comportement, de nos états d’âme et de notre santé. L’architecture constitue notre environnement matériel et psychique tout au long de notre existence : nous vivons, étudions, travaillons et pratiquons nos loisirs au cœur même des architectures, pour le meilleur et pour le pire, souvent sans même nous en rendre compte. C’est donc une raison majeure de considérer l’architecture comme une composante à part entière de notre mode de vie. Or elle n’est presque jamais prise en compte dans le cadre des politiques de transition écologique, sauf pour réclamer l’augmentation de l’isolation thermique des bâtiments afi n qu’ils soient moins énergivores. Mais ce n’est là qu’une parcelle, certes essentielle, des

Ci-dessus : l’entrepôt des plantes aromatiques de la société Ricola à Laufon (Bâle, Suisse), édifié en pisé préfabriqué par Martin Rauch (2014). Dimensions : 110 × 30 m. Hauteur des murs : 11 m. Architectes : Herzog et de Meuron, lauréats du prix Pritzker.

29 – C. Dion, Petit manuel de résistance contemporaine, récits et stratégies pour transformer le monde, Arles, Actes Sud, 2018.

19 INTRODUCTIONS

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LES VERTUS ÉCORESPONSABLES DE LA CONSTRUCTION EN TERRE CRUE HUBERT GUILLAUD

onsidérer les vertus écoresponsables de la construction en terre invite à prendre en compte l’impact du domaine de la construction sur nos environnements naturels, sociaux, économiques et culturels. Cette question ne peut s’abstraire de la critique du modèle de développement actuel et de son impact désastreux sur notre planète, le genre humain et l’ensemble des espèces vivantes. Mais « libérer l’avenir » de ce modèle hégémonique générateur d’épuisement naturel et de rareté culturelle nous confronte à une incontournable injonction : penser, agir et construire autrement.

nombreux emplois et font vivre les petites et moyennes entreprises ou micro-industries locales.

C

La construction en terre a bien d’autres vertus : elle renverse les standards de production mondialisés en valorisant une large diversité d’identités culturelles. Elle contribue au développement des territoires en bénéficiant aux acteurs locaux. Elle réinterprète les valeurs matérielles et immatérielles, savantes ou populaires, des sociétés dont les richesses architecturales sont souvent classées par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité. Elle régénère la production architecturale en revalorisant les métiers d’art et d’artisanat, dont la créativité stimule l’épanouissement humain, réhumanise l’acte de bâtir et redonne dignité et fierté aux ouvriers. La construction en terre offre aussi la possibilité de préserver l’échelle humaine dans la production architecturale. Elle assure aux bâtisseurs la continuité d’une logique de raison et de sagesse, de bon sens et d’écoresponsabilité, des valeurs de sobriété opposables aux architectures contemporaines marquées par l’arrogance d’une sanctification de la technique et par un culte de l’innovation formelle à tout prix.

Il est désormais indispensable d’adopter des stratégies d’action inspirées de celle proposée en 1999 par le philosophe et sociologue Edgar Morin en faveur d’une pensée complexe, transdisciplinaire et globale. Il est urgent de rétablir les conditions d’une création diversifiée, de faire émerger des solutions justes et viables du point de vue social et économique, compatibles avec la diversité culturelle mondiale et sans danger pour l’environnement. En accord avec cet objectif, la construction en terre crue possède un fort potentiel subversif car elle mobilise des valeurs et vertus écoresponsables. Contrairement aux matériaux de construction industriels dominants, qui nécessitent une technique de mise en œuvre sophistiquée et coûteuse, la terre crue est une matière naturelle abondante et accessible localement. C’est un matériau adapté à de nombreux modes de construction : pisé ou bauge, torchis ou terre allégée, adobe ou blocs de terre comprimée (BTC). La construction en terre privilégie le rapport à la nature car c’est un matériau brut très peu transformé. Elle contribue notamment à la préservation des ressources et matières rares non renouvelables, et réduit l’emploi des énergies fossiles (elle dépense très peu d’énergie grise) ainsi que la pollution industrielle. L’usage de la terre crue contribue ainsi à établir une plus juste relation avec notre environnement.

Le renouveau de la construction en terre contribue ainsi à revaloriser « une économie première faite de relations et d’échanges non marchands par lesquels sont produits le sens, la capacité d’aimer, de coopérer, de sentir, de se lier aux autres, de vivre en paix avec son corps et avec la nature ». C’est au rétablissement d’une éthique écoresponsable de la construction que nous convie la réactualisation des architectures en terre crue. Elle participe à l’ouverture de « la voie pour l’avenir de l’humanité ».

POUR EN SAVOIR PLUS Houben, Guillaud et CRAterre 1989, Morin 1999.

La construction en terre subvertit le modèle économique dominant en redonnant à la société civile et surtout aux populations les plus démunies la capacité de prendre en charge elles-mêmes leur habitat. Elle permet notamment la promotion de valeurs sociétales essentielles : autosuffisance, démarche coopérative et participative, entraide, troc de la force de travail, autonomie de la production des matériaux et autoconstruction. Les chantiers génèrent également de

Ci-contre : village du Mali au nord de Mopti (voir les textes p. 200 à 213).

21 INTRODUCTIONS

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LES CONTRIBUTIONS DES ARCHITECTURES DE TERRE À UN CHANGEMENT DE PARADIGME SOCIÉTAL ROMAIN ANGER

l est trop tard pour le développement durable, et l’humanité doit désormais se focaliser sur le concept de résilience. » C’est ainsi que s’exprime Dennis Meadows en 2012. En 1972, le rapport Meadows intitulé Les Limites à la croissance, fruit des recherches du MIT commanditées par le Club de Rome, utilise la dynamique des systèmes et les moyens informatiques de l’époque pour modéliser un « système monde » et les interactions entre populations, alimentation, industrie, ressources non renouvelables et pollution. Les simulations prédisent pour 2030 environ, en l’absence de changement de politique globale, un effondrement de l’économie, suivi du déclin de la population mondiale lié à une crise alimentaire et sanitaire. « Il y a quarante ans, il était encore théoriquement possible de ralentir les choses et de parvenir à un équilibre. Aujourd’hui ce n’est plus possible. Ce qui nous attend est une période de déclin incontrôlé, qui va nous mener à un nouvel équilibre, dont nous ne sommes pas capables de percevoir les détails. » À l’époque, le rapport Meadows est traduit dans 27 langues, publié à 12 millions d’exemplaires et lu par les dirigeants du monde entier. Par la suite, il influencera les premiers Sommets de la Terre, tout comme le rapport Brundtland de 1987, Notre avenir à tous, dans lequel est défi ni pour la première fois le développement durable. En 2019, les « générations futures » sont déjà nées. Le dernier rapport en date du GIEC est plus alarmant que jamais, et 2018 a été marqué par une nouvelle augmentation de 2,7 % des émissions mondiales de CO2. Pour Edgar Morin, « nous n’avons pas encore compris que nous allons vers la catastrophe et nous avançons à toute allure comme des somnambules ». À l’heure de l’anthropocène, l’humanité apparaît comme une force géologique majeure qui bouleverse la lithosphère, déséquilibre les grands cycles géochimiques et biologiques de la planète, et détruit les écosystèmes. Les dirigeants des puissances économiques dominantes sont incapables d’impulser un changement de cap, de donner un nouveau sens à notre avenir et de penser un projet de société qui sorte du dogme de la croissance.

Nous nous limitons aujourd’hui à la démarche angoissée du constat. Nous nous contentons de la pratique d’une écologie de réparation qui tente de rafistoler notre planète endommagée, mais avec le même mode de pensée que celui qui a généré les problèmes. Dans le domaine de l’architecture, cette vision du monde se traduit par une course technologique promouvant coûte que coûte l’efficacité énergétique du bâtiment, même si cela doit se faire au péril de l’harmonie entre l’homme et son environnement. Nous devons nous convertir à un nouveau paradigme : celui de l’écologie de fondation. Toutes les créations humaines, dont l’architecture, sont le reflet d’une vision spécifique du monde. Le principal défaut des constructions d’aujourd’hui – issues d’une idéologie héritée il y a un siècle du Mouvement moderne – est d’être décontextualisées, conçues littéralement « hors sol » et ainsi arrachées de leur environnement. Elles sont à l’image des êtres humains qui les ont bâties : déracinées et désincarnées. Et tant que nous ne tenterons pas de reconstituer le lien qui a été rompu en nous, nous resterons dans une écologie de réparation. Par défi nition, les racines, qui nous sont indispensables, plongent dans la terre : elles s’immergent dans la matière première. L’homme moderne déconsidère la terre, l’eau et l’air, éléments fondamentaux de son existence, et entretient un rapport maladif à la matière. Il n’a pas conscience qu’il est un être poreux et que ces éléments, qu’il voit comme des entités extérieures à lui-même et qualifie d’« environnement », le conditionnent à chaque instant. Acidifier les océans, réchauffer l’atmosphère et considérer la terre comme un déchet revient, in fi ne, à polluer son propre corps. Augustin Berque défi nit ainsi cette représentation du monde : « Nous, esprits modernes, distinguons la matière, la chair et l’esprit. Ce qui revient à séparer la planète, qui est purement physico-chimique, la biosphère, qui ajoute la dimension de la vie, et l’écoumène, qui ajoute la dimension des systèmes techniques et symboliques propres à l’humanité. On retrouve très souvent cette trilogie : la matière, la chair, l’esprit. » À la manière de Jacques Derrida, nous pourrions essayer de déconstruire les couples binaires qui fondent cette cosmologie contemporaine issue d’un dualisme cartésien qui cloisonne et sépare : humain et non-humain, nature et culture, esprit et matière, sciences humaines et sciences exactes, pensée rationnelle et sensibilité, main et cerveau, etc. Certains philosophes ont tenté de dépasser ce paradigme moderne, tel Maurice Merleau-Ponty, qui affi rme « mon corps est fait de la même chair que le monde ». Les cosmologies des sociétés traditionnelles proposent une autre représentation

«I

Une telle transition nécessite un changement de paradigme, c’est-à-dire une autre représentation de notre monde, une autre manière de voir le futur imminent et un autre modèle cohérent pour notre civilisation. Selon Carl Gustav Jung, « avoir une conception du monde [Weltanschauung], c’est se former une image du monde et de soi-même, savoir ce qu’est le monde, savoir ce que l’on est ».

22 HABITER LA TERRE

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du corps et de la matière. David Le Breton donne cet exemple : « Chez les Canaques, le corps emprunte ses caractères au règne végétal. Parcelle non détachée de l’univers, qui le baigne, il entrelace son existence aux arbres, aux fruits, aux plantes […]. Kara désigne à la fois la peau de l’homme et l’écorce de l’arbre. L’unité de la chair et des muscles (pié) renvoie à la pulpe ou au noyau des fruits. La partie dure du corps, l’ossature, est nommée du même terme que le cœur du bois. » Cette représentation du monde génère d’autres manières de concevoir, de produire et de vivre l’habitat. Ces visions se matérialisent de manière remarquable et inventive au sein des architectures vernaculaires bâties en terre crue. De tous les écomatériaux, elle est, de loin, celui qui possède la charge symbolique et affective la plus puissante. La charge émotionnelle de certaines de ces constructions issues de la créativité populaire provient précisément du fait qu’elles ne sont ni coupées ni séparées de leur milieu. Elles sont toujours contextuelles. Enracinées dans leur territoire, elles font corps avec le sol dont elles sont issues. Ces constructions nous font ressentir au plus profond de notre être que la matière est la chair de l’architecture. La matière est aussi la chair du monde et la chair de l’être. Notre chair. Elle nous relie à nous-mêmes et au monde.

permettant de construire des immeubles de cinq étages (voire plus). Les fibres végétales telles que la paille ou le chanvre permettent l’isolation thermique des bâtiments. La terre crue qui enveloppe l’ossature forme l’épiderme de l’architecture. Grâce au bois et à ces isolants végétaux, les murs composant nos bâtiments deviennent des « puits de carbone ». Ils doivent aussi être constitués de rebuts et de déchets, dans une logique vertueuse d’économie circulaire, afi n de valoriser les millions de tonnes de déblais de terre qui sont chaque jour excavés du sous-sol urbain et stockés à grands frais en dehors des villes. Il faut construire en terre avec l’immense ressource, jusqu’ici négligée, qui git sous nos pieds. Il faut construire avec ce qu’il y a sous nos villes, nous mettre en cohérence avec notre environnement et nous insérer dans l’ordre des choses.

Tout ce que nous produisons en tant qu’êtres humains, y compris l’habitat, devrait générer du vivant plutôt que le détruire. Comment « habiter la terre » tout en contribuant à la biodiversité ? Les réponses technologiques uniquement fondées sur l’efficacité énergétique du bâtiment sont insuffisantes. La cité de demain devra être résiliente et autonome, et donc ne plus dépendre des énergies fossiles : zéro carbone. Elle devra être vivante et résulter d’une économie circulaire au sein de laquelle elle consommera ses propres rebuts et déchets, comme le fait tout écosystème vivant. Notre future cité devra aussi être sensuelle et charnelle, en favorisant la présence en milieu urbain de matières naturelles telles que la pierre, le bois et la terre crue. Un enfant doit pouvoir comprendre l’environnement bâti qui l’entoure. Enfi n, tous les lieux de la vie quotidienne devront préserver la biodiversité, empiéter le moins possible sur la vie sauvage et rétablir une relation harmonieuse avec le règne végétal autant qu’animal. Le rêve de construire en milieu urbain avec de la terre crue associée au bois et à des isolants « biosourcés » (notamment à Paris, où ce processus novateur est engagé depuis 2017) doit devenir la norme. Le bois fournit l’ossature, la structure portante

23 INTRODUCTIONS

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AVANTAGES ET LIMITES DE LA CONSTRUCTION EN TERRE DOMINIQUE GAUZIN-MÜLLER

architecture en terre crue, dont les usages contemporains sont de plus en plus fréquents et diversifiés, est porteuse d’une modernité alternative qui répond aux exigences de la crise écologique. Face à l’impérieuse nécessité de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre pour freiner les dérèglements climatiques, ce matériau naturel, abondant et économe en énergie est promis à un bel avenir. Connus de manière empirique depuis des millénaires, ses multiples avantages pour la construction sont aujourd’hui vérifiés scientifiquement.

nécessite peu d’énergie et le transport est souvent nul : la terre est généralement extraite du site du projet ou de ses abords. La valorisation des déblais de chantier, en particulier lors de travaux de grande envergure en milieu urbain, offre la possibilité de remplacer un coûteux traitement des déchets en lointaine banlieue par la transformation des terres excavées en écomatériau. Par ailleurs, remplacer le béton par de la terre crue réduit les émissions de CO2 par effet de substitution.

L’

QUALITÉS TECHNIQUES PORTEUSE ET RÉSISTANTE L’architecture traditionnelle nous

ATOUTS ENVIRONNEMENTAUX

montre que la terre crue est un matériau mécaniquement résistant : à Shibâm, au Yémen, des maisons en adobe de sept niveaux défient le temps depuis le XVIe siècle (voir p. 108113) ; au cœur de Lyon, des immeubles en pisé de quatre à cinq étages sont habités depuis les années 1800. Le matériau est compatible avec tous les climats, même pluvieux, quand la conception prévoit une protection constructive avec, entre autres, « de bonnes bottes et un bon chapeau ». Les exemples contemporains sont de plus en plus nombreux et démonstratifs, telles les habitations aux murs porteurs en pisé élevées sur trois niveaux en France (voir p. 392-395) ou en Autriche (voir p. 406-407).

NATURELLE ET DIVERSIFIÉE La terre provient de la dégradation de la roche mère et dans certains cas de déplacements d’origine fluviale ou encore éolienne. Son utilisation pour construire ne fait pas concurrence à l’agriculture car la couche de surface, riche en matières organiques, lui est réservée et seules les couches inférieures, essentiellement minérales, sont utilisables pour la construction. Celles-ci offrent une grande variété de couleurs, de granularités et de propriétés physiques. Cette diversité et les caractéristiques socio-culturelles ainsi que l’histoire des peuples de chaque région ont conditionné l’adoption de différentes techniques. Les principales sont l’adobe, la bauge, le torchis et le pisé qui, chacune, possèdent de nombreuses variantes.

RÉPARABLE ET RECYCLABLE Si la terre crue n’a pas été « stabilisée » avec du ciment ou de la chaux, les murs se réparent aisément et de manière invisible : les raccords ne laissent pas de traces quand on utilise le mélange initial. Le matériau peut aussi être recyclé à l’infi ni. Quand le bâtiment arrive en fi n de vie, les murs peuvent être démolis et la terre mélangée au sol du site ou réutilisée pour une nouvelle construction.

ÉCOLOGIQUE L’extraction de la terre pour la construction est facile, même avec des outils rudimentaires. Elle se fait sans processus chimiques, sans déchets et avec peu d’énergie. La terre est directement utilisable dès qu’elle retirée du sol, avec éventuellement un ajout d’eau pour lui donner la plasticité voulue pour sa mise en œuvre. Dans certains cas elle est améliorée par addition d’autres matières naturelles (paille, chanvre, géopolymères naturels, etc.) qui compensent certains manques granulaires ou lui confèrent des caractéristiques mécaniques améliorées.

FACILE À TRAVAILLER ET CONVIVIALE Même si certains tours de main demandent un savoir-faire professionnel, la terre se prête bien à la participation collective. Elle n’entraîne pas de maladies professionnelles pour les ouvriers et ne provoque pas d’allergies. Sa mise en œuvre est sans risques pour les yeux et la peau. Elle est donc parfaitement adaptée à des chantiers participatifs et conviviaux, ainsi qu’à l’auto-construction (au moins partielle). Elle est compatible avec tous les autres matériaux de construction, traditionnels ou contemporains. Elle est aussi très appréciée en rénovation, car elle s’adapte facilement aux irrégularités des vieux murs. Ainsi, la terre crue peut couvrir une partie significative des besoins en

ÉCONOME EN ÉNERGIE La consommation d’énergie dite « grise1 » de la construction en terre dépend des techniques choisies, mais elle est généralement faible, voire très faible. La transformation de la matière première en matériau de construction

1 – Énergie consommée tout au long du cycle de vie d’un matériau : extraction, fabrication, transport, mise en œuvre, recyclage, etc.

24 HABITER LA TERRE

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logements et équipements communautaires, tant dans les pays émergents que dans les pays industrialisés.

absorbent les bruits émis à l’intérieur. Grâce à leur porosité, ils empêchent aussi la réverbération des sons dans les pièces.

CONFORT ET ESTHÉTIQUE

LIMITES

CHALEUREUSE ET SENSUELLE La terre offre une esthétique mini-

Bien sûr, l’emploi de la terre crue dans la construction a ses limites, qui appellent une complémentarité avec d’autres matériaux. Afi n d’éviter les remontées capillaires, les murs en terre sont ainsi généralement posés sur un socle en béton ou en maçonnerie de pierre ou de brique. Au-delà de certaines hauteurs et portées, le bois, le béton ou l’acier prennent le relais. La plupart des limitations d’usage de la terre crue sont dues à des normes et règlements trop stricts ou inappropriés, dont les exigences et restrictions ne cessent de croître, par manque de connaissances sur le matériau. Cet obstacle doit être surmonté au plus vite par la concertation et la formation de tous les décideurs et acteurs concernés : architectes, ingénieurs, artisans, entreprises, institutions officielles, bureaux d’études, services techniques des collectivités, etc. Quant aux blocages psychologiques et culturels, ils persistent en particulier dans les pays émergents, où la brique cuite et le parpaing de ciment sont devenus symboles de progrès, alors que ces technologies ont beaucoup plus d’impact sur la production de CO2 et donc le réchauffement climatique.

maliste, en adéquation avec la tendance actuelle à une frugalité créative. Ce matériau vivant présente une belle texture et une grande variété de teintes naturelles, du gris foncé au jaune éclatant, en passant par de multiples nuances de rose et de rouge. Cette diversité attractive est soulignée par les strates de certains murs en pisé. La terre est aussi un matériau sécurisant à forte charge affective. Elle séduit un nombre croissant d’architectes et de clients par la beauté de sa surface brute et chatoyante ainsi que par sa vaste palette de couleurs.

SAINE ET CONFORTABLE Les murs et les enduits en terre crue garantissent un climat intérieur sain. Ils ne diffusent aucun produit toxique et absorbent les odeurs. La structure granulaire de la matière, sa porosité et le changement de phase (alternance entre état liquide et vapeur) lui confèrent une propension à laisser passer la vapeur d’eau. Cela contribue à la régulation naturelle de l’hygrométrie : l’humidité en excès est absorbée puis restituée. Par ailleurs, les murs en terre, lourds et denses, ont une inertie thermique2 qui ralentit considérablement les échanges entre intérieur et extérieur : la chaleur accumulée pendant la journée dans l’épaisseur des parois est diffusée pendant la nuit dans le bâtiment. Les maisons restent ainsi fraîches en été et tempérées en hiver. Compacts, les murs en terre font obstacle aux nuisances sonores de l’extérieur et

Ci-dessus : immeuble de logement social de cinq niveaux bâti en 1983 en pisé et en blocs de terre stabilisée dans le quartier urbain du Domaine de la Terre (voir p. 392-395) à Villefontaine (Isère, France). Architecte : Jean-Vincent Berlottier.

2 – Capacité qu’a un matériau de stocker de la chaleur et de la restituer peu à peu.

25 INTRODUCTIONS

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CARTOGRAPHIE DE LA TERRE

Pisé Adobe Torchis

Les architectures de terre crue sont présentes sur tous les continents et dans la très grande majorité des pays du monde, quelles que soient leurs spécificités climatiques. Soixante-treize de ces nations sont évoquées dans ce livre.

J. D. et R. E.

Carte du monde : En orange : régions où la

construction en terre crue est une pratique traditionnelle. Les points rouges indiquent les principaux sites édifiés en terre crue classés au patrimoine mondial de l’Unesco (source : CRAterre). Carte de la France : En orange : régions où

la construction en pisé est dominante. En rouge : dans le sud-ouest du pays, l’usage de la brique de terre (adobe) est dominant. En jaune : régions où l’usage du torchis est privilégié (source : CRAterre). Carte de la Grande-Bretagne : En rouge : régions

où diverses techniques traditionnelles de construction en terre étaient d’usage courant (source : Ruth Eaton). Carte de líEurope du Sud-Ouest (Portugal, Espagne, Italie et France) : Chaque couleur ren-

voie à l’une des quatre principales techniques traditionnelles de construction en terre crue. En jaune : le pisé. En rouge : la brique de terre crue (adobe). En bleu : la bauge. En vert : le torchis (source : Terra Incognita). Carte de la Chine : En orange : régions où,

jusqu’aux années 1960, les diverses techniques traditionnelles de construction en terre crue étaient les plus fréquentes (source : Mu Jun).

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INTRODUCTIONS

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CHAPITRE 1

LOGIQUES CONSTRUCTIVES

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Construction de murs en bauge (zabur) près de la ville de Saada, au Yémen (voir p. 48-49). Et p. 242-245, les usages similaires de cette technique en Arabie.

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Diagramme du CRAterre présentant les douze principales familles de techniques de construction en terre, toutes décrites ci-contre.

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PANORAMA DES TECHNIQUES DE CONSTRUCTION EN TERRE CRUE HUBERT GUILLAUD

2 : TERRE COUVRANTE. La terre recouvre une structure construite

e registre des possibilités techniques, constructives et architecturales de la terre crue est très large et diversifié. L’étude des traditions et savoir-faire vernaculaires du monde entier – ainsi qu’un inventaire des réalisations modernes et contemporaines – a permis d’identifier une douzaine de modes d’utilisation de ce matériau : ils sont associés à une grande variété d’usages et de programmes familiaux ou communautaires, domestiques ou institutionnels, ruraux ou urbains. Ainsi s’est élaboré au cours des siècles un authentique art de bâtir en terre crue. Depuis la fi n du siècle des Lumières, il a connu trois grandes périodes de développement. Au début du XIX e siècle, sa première phase de modernisation a été initiée par François Cointeraux en France et d’emblée relayée à l’étranger (voir p. 308-317). Durant la deuxième moitié du XX e siècle, il est parvenu à maturité culturelle et technique – mais aussi scientifique et pédagogique –, une étape indispensable à la poursuite de sa croissance. Enfi n, en ce début de XXI e siècle commence la phase historique et prometteuse de son épanouissement mondial, notamment en tant que solution écoresponsable pour faire face au défi climatique et répondre aux enjeux d’une indispensable transition écologique. La numérotation des paragraphes ci-dessous correspond à celle du diagramme circulaire (ci-contre) élaboré par le CRAterre et publié dans le Traité de construction en terre (1989).

L

à l’aide d’autres matériaux, du bois le plus souvent. C’est le cas des constructions dont le toit – plat ou en pente douce – est recouvert de terre, plantée de gazon ou d’autres végétaux . On parle alors de « toiture végétalisée ».

3 : TERRE REMPLISSANTE. La terre est utilisée en remplissage de matériaux creux qui constituent l’enveloppe – porteuse ou non – du bâtiment. Plusieurs solutions ont été testées à partir du remplissage de blocs de béton creux, de matériaux textiles empilés, d’éléments isolants, de grillages tendus en parement extérieur et intérieur ou encore d’ossatures en bois où est prévu un vide interstitiel pouvant être comblé par de la terre versée en vrac ou des agglomérats à base de terre.

4 : TERRE DÉCOUPÉE. Des mottes de terre engazonnées ou des blocs de terre de dimensions variables sont directement découpés dans le sol puis utilisés en maçonnerie. L’usage des mottes de terre est nommé sod en Angleterre, turf en Irlande ou terrone en Amérique latine. Celui de blocs découpés aux formes régulières est appelé tepetate au Mexique, caliche aux États-Unis, mergel en Hollande, marl en Angleterre ou tuf dans la plupart des pays méditerranéens.

5 : TERRE COMPRIMÉE. Divers matériaux de construction sont réalisés en comprimant de la terre crue dans des moules (en bois ou en acier), des coffrages (banches) ou à l’aide de presses. La première presse, à usage manuel, portative et nommée Cinva-Ram, a été inventée par Raul Ramirez en Colombie en 1956. Elle a connu un succès mondial car elle a permis à de nombreux groupes sociaux d’assumer l’autoconstruction de leurs habitats avec des blocs de terre comprimée (BTC) – stabilisés au ciment ou pas – ainsi facilement produits en tous lieux. Parmi les nombreuses variantes qui ont été mises sur le marché international, deux se sont révélées particulièrement efficaces : la Terstaram, conçue en Belgique par Fernand Platbrood, et l’Auram, mise au point par l’Auroville Earth Institute, en Inde (voir p. 384-385). Par ailleurs, des presses plus sophistiquées, mécaniques ou pneumatiques, ont été commercialisées pour satisfaire les besoins de gros chantiers. L’autre technique de construction essentielle résultant de la compression de terre crue est le pisé. Ce terme français (on dit parfois « pisé de terre ») devient rammed earth

DOUZE MODES D’UTILISATION DE LA TERRE CRUE Les douze principaux modes d’utilisation de la terre crue pour construire sont associés à trois grandes familles de solutions constructives. Soit, la terre sert à la réalisation préalable d’une structure porteuse. Soit elle est utilisée sous forme monolithique et massive. Soit encore, elle prend la forme d’une maçonnerie composée de petits éléments.

1 : TERRE CREUSÉE. Pour donner forme à un espace architectural, on creuse dans l’épaisseur de l’écorce terrestre. Il s’agit surtout d’habitat troglodytique. Soit il est excavé horizontalement : de nombreux exemples existent en Espagne, en Italie ou en Turquie. Soit il est creusé verticalement. Deux sites témoignent de cette pratique ancestrale : l’un, dans le village de Matmata, dans le sud de la Tunisie ; l’autre en Chine, dans la vaste région dite de la « Ceinture de Lœss ».

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10 : TERRE COULÉE. Elle est coulée à l’état liquide – avec une gra-

dans les pays anglophones et tapia dans le monde hispanique. Vu l’importance majeure des développements contemporains du pisé, cette technique fait l’objet ci-après de précisions nécessaires.

nularité assez sableuse, voire graveleuse – dans des coffrages (comme un « béton maigre ») ou des moules à multiples compartiments. Ce procédé est associé à la réalisation de murs monolithiques coulés en place en couches successives, de petits éléments de maçonnerie ou encore de sols et pavements. Le problème le plus important à résoudre est celui du retrait linéaire et de la fissuration. Des recherches récentes commencent à pallier ces difficultés.

6 : TERRE FAÇONNÉE. Elle est généralement utilisée à l’état plastique (en pâte mi-ferme ou molle) pour dresser des parois minces directement façonnées à la main. Il s’agit principalement de constructions élevées selon la méthode du colombin de potier appliqué en couches superposées, ou encore de matériaux végétaux torsadés ou tressés, trempés dans de l’argile, puis utilisés pour édifier des parois minces. Ces pratiques ancestrales et rurales existent au Mexique, mais surtout en Afrique subsaharienne, chez les Mousgoum au Cameroun (voir p. 228-229), les Lobi au Burkina Faso ou les Batammariba au Togo (voir p. 226-227).

11 : TERRE-PAILLE ET TERRE ALLÉGÉE. La terre est utilisée sous forme de barbotine d’argile liquide mêlée à de la paille (céréales de tout type), des herbes ou même de la bruyère. Le matériau ainsi préparé présente un aspect très fibreux. En Allemagne, ce mélange de terre et de paille, disposé dans des coffrages simples (planches maintenues par des serre-joints), est en général employé pour remplir les vides d’une ossature en bois, à raison d’une épaisseur de 20 à 25 centimètres pour une paroi non porteuse ou de 30 à 40 centimètres pour une maçonnerie porteuse. Il est aussi utilisé pour réaliser des éléments de plancher sous forme de hourdis, ainsi que comme matériau isolant (grâce à la faible densité qu’il est possible d’obtenir, variant de 600 à 1 200 kilos par mètre cube). Des applications récentes se sont développées dans la plupart des pays européens car cette technique nécessite peu d’investissement et reste aisément appropriable.

7 : TERRE EMPILÉE. Elle est modelée sous forme de boules empilées pour réaliser d’épais murs porteurs constitués de strates successives. Ce mode de construction est presque abandonné en Europe. En Angleterre. Dans ce pays, de très nombreux cottages du Devon et d’autres régions témoignent de ses usages traditionnels, sous le nom de cob, tandis que le village de Milton Abbas, édifié en 1773, demeure un exemple éloquent de sa modernisation précoce (voir p. 260-261). Cette technique était aussi pratiquée dans certains villages du Yémen, de Najran en Arabie, d’Afghanistan et du Sénégal.

12 : TERRE DE GARNISSAGE. Sous forme assez plastique et mêlée de 8 : TERRE MOULÉE. Elle est mise en forme à la main ou à l’aide

fibres végétales, elle est appliquée sur un support de lattes de bois ou de bambou, voire sur un tressage de branches, pour garnir une structure porteuse généralement en bois. Ce mode d’utilisation, sans doute l’un des plus anciens, est nommé torchis. De nombreux exemples existent en France, tant en milieu rural qu’urbain, notamment en Normandie, en Picardie, en Alsace et en Champagne, de même qu’en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, en Hollande et en Scandinavie, mais aussi en Afrique et en Amérique latine.

de moules de formes diverses pour constituer des blocs ou des briques généralement séchés au soleil avant d’être mis en œuvre. Ce matériau est souvent enrichi de fibres végétales – paille et herbes locales – pour éviter le retrait linéaire et améliorer sa résistance à la traction. Cette logique de construction est surtout connue sous le nom d’adobe, terme provenant du mot égyptien thobe ou toub, devenu ottob en arabe avant que les Hispano-Portugais ne lui donnent son nom défi nitif. En Afrique, on utilise le terme banco. Des briques piriformes façonnées à la main existent encore dans certains pays comme le Nigeria : les tubali. Aux États-Unis, il est fréquent que le terme adobe soit utilisé pour évoquer indistinctement toute forme de construction en terre crue.

ÉVOLUTIONS ET INNOVATIONS RÉCENTES Depuis le début du XXIe siècle, la recherche fondamentale – centrée sur la terre crue en tant que matière « en grains » – ainsi que les recherches et applications expérimentales – sur les modes d’utilisation de ce matériau et ses techniques de mise en œuvre – ont entraîné des évolutions considérables par rapport aux pratiques traditionnelles de construction. Deux objectifs essentiels ont guidé ces recherches. D’une part, celui de rapprocher la terre crue des autres matériaux (béton, acier, pierre, bois et nouveaux matériaux composites) de façon à la faire sortir d’une marginalité pénalisante – elle était jusquelà jugée incapable de répondre aux nouveaux enjeux de production de masse de l’habitat et de performance structurale de plus en plus ambitieuse. Il s’agit aussi de revaloriser l’image de la construction en terre, souvent jugée désuète. D’autre part, l’objectif de répondre aux exigences de rentabilité de la production ainsi que de réduction des temps de chantier et de la maind’œuvre, corollaires d’une économie de croissance et de profit.

9 : TERRE EXTRUDÉE. Dérivé des modes de production de l’industrie de la brique cuite, ce matériau est le résultat de l’extrusion de terre crue au moyen de fi lières mécanisées pour former des adobes découpés, des boudins ou des pains de terre. Ce procédé a été utilisé aux États-Unis et en Allemagne – dès 1924, selon la méthode de construction dite « de Dünner Lehmbrotbau » (voir p. 52) –, et plus récemment, à titre expérimental, à l’université de Cassel. En France, durant les années 1980, il a fait l’objet de recherches ayant abouti à la mise au point de briques et de panneaux de terre crue stabilisée et extrudée (Stargil). Cela n’a toutefois pas donné lieu à des développements significatifs.

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PRINCIPALES TENDANCES PRIVILÉGIÉES La préfabrication d’éléments de construction en pisé a été initiée en France dans les années 1980 par le maître maçon Nicolas Meunier. Elle s’est largement développée depuis le début du XXIe siècle, surtout grâce à l’entrepreneur autrichien Martin Rauch, et est désormais parfaitement maîtrisée à l’échelle des unités de production sur les chantiers. Cette avancée décisive ouvre une voie nouvelle pour la construction contemporaine en terre, tout en lui conférant un « label » de modernité véhiculé par les médias. Les réalisations de cet inventeur (initialement formé au design de produits en terre cuite) et d’autres jeunes adeptes de ce procédé de construction lui assurent un avenir prometteur. Le principe de la préfabrication a aussi été expérimenté en France, en 2003, par l’architecte Jean-Yves Barrier, sur les éléments de façade en bauge de son immeuble d’habitation de six étages à Rennes, Salvatierra (voir p. 402-403). Les recherches dans le domaine de la physique appliquée à la « matière en grains » ont permis, dès le début des années 2000, d’aboutir à des résultats importants. D’une part, la résistance mécanique a été améliorée par une meilleure maîtrise de l’empilement des grains de différentes tailles. D’autre part, le rapport entre les trois composants de la matière – le minéral (les grains), l’eau et l’air – est désormais mieux compris. Cela permet d’assurer un meilleur contrôle de la qualité des matériaux de base des principales techniques évoquées – torchis, bauge, adobe, pisé et blocs de terre comprimée (BTC) –, mais aussi une meilleure compréhension des propriétés de rhéologie (le « coulage » de la matière), ouvrant ainsi la voie à la production de « bétons de terre » coulés dans des coffrages. Cette voie prometteuse reste dépendante de l’ajout de stabilisants (ciment ou chaux) et de dispersants chimiques, mais grâce aux recherches sur les dispersants naturels il ne sera peut-être bientôt plus nécessaire pour produire un « béton vert » ou « béton d’argile environnemental ». Les recherches sur la terre allégée grâce à l’adjonction de fibres naturelles – chanvre ou chènevotte – ont débouché sur la mise au point de « bétons d’argile » à haute performance hygrométrique, notamment grâce à la maximisation de la porosité fi ne de la matière. Les granulats minéraux, plus denses, sont remplacés par des granulats végétaux, plus poreux. On peut ainsi envisager la production de nouveaux matériaux composites qui garantiront des capacités très prometteuses d’adsorption des vapeurs d’eau et contribueront ainsi à la régulation de l’humidité ambiante et au confort des usagers : briques ou blocs de différentes tailles pour les murs, panneaux pour cloisons ou bétons de terre-chanvre allégés. Une autre voie d’avenir déjà engagée est celle de l’impression en 3D de structures architecturales au moyen de robots qui déversent, avec précision et rapidité, des couches de mortier de terre pour façonner des parois. Mais n’y a-t-il pas dans cette tendance une forme d’arrogance technicienne associée à un effet de mode prônant la primauté de la technique afi n d’instaurer des solutions innovantes pour nos sociétés industrielles ? C’est une voie qui s’éloigne du champ des vertus de l’art de bâtir en terre crue, dont la pertinence est pourtant en mesure de contribuer à l’avènement d’une indispensable révolution écologique.

POUR EN SAVOIR PLUS Doat et al. 1979, Houben, Guillaud et CRAterre 1989, Anger et Fontaine 2009, Moevus et al. 2016, Volhard 2016.

Minaret dans le village de Zinzana (région de Ségou), au Mali (voir p. 202-209).

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GÉOLOGIE, MATIÈRES ET MATÉRIAUX PATRICE DOAT

n étudiant la croûte terrestre, âgée de plus de 4 milliards d’années, les scientifiques nous permettent de comprendre l’origine de notre planète, composée principalement de terre, d’eau et d’air. Notre Terre, dotée d’une véritable cuirasse minérale, subit continuellement des intempéries (pluie, vent, neige, gel et dégel) qui font éclater les roches des massifs montagneux. Les fragments de pierre dévalent les pentes par avalanches successives pour se retrouver dans les torrents, rivières et fleuves. Au terme d’un très long périple, cette matière minérale morcelée (la plus répandue après l’air et l’eau) est largement dispersée et couvre une grande partie de la surface émergée du globe. Cette matière en grains, que nous nommons la terre, composée de cailloux, graviers, sables, limons et argiles est disponible presque partout. En la mélangeant avec de l’eau, on la transforme facilement en matériau de construction.

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C’est avec ces deux composants, la terre et l’eau, que l’homme a édifié, depuis les premières civilisations jusqu’à nos jours, sous tous les climats et sur tous les continents, ses habitations, ses agglomérations rurales et urbaines. En Égypte, l’exemple de la vallée du Nil est particulièrement éloquent : depuis des millénaires, les limons charriés par le fleuve et déposés le long de ses rives constituent la matière première essentielle de l’immense majorité de ses habitations, construite en briques d’adobe. Autant pour les constructeurs que pour les agriculteurs, l’eau est l’indispensable alliée de la terre. C’est dans la mouvance du siècle des Lumières, à la fi n du XVIIIe siècle, que François Cointeraux propose de créer une science nouvelle qu’il nomme « agritecture ». Elle entend fédérer les savoir-faire de l’architecture et de l’agriculture. Il anticipe de deux siècles les recherches actuelles en faveur d’une « architecture verte » et d’une « agriculture urbaine ». Sa vision pionnière dépasse ainsi l’opposition entre ville et campagne et propose un aménagement du territoire respectant les qualités et spécificités biologiques et paysagères des écosystèmes. Dans le sillage de la pensée de Cointeraux, il est primordial de comprendre que l’eau est une composante essentielle de toute architecture en terre crue.

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COMMENT RÉSISTENT LES MAÇONNERIES EN TERRE CRUE ? HUGO HOUBEN ET HENRI VAN DAMME

a terre crue est un matériau constitué d’une myriade de grains minéraux de nature et de taille très diverses. La terre est incontestablement une matière en grains ! Prenons l’exemple d’un mur en pisé de 1 mètre de longueur, 2,5 mètres de hauteur et 40 centimètres d’épaisseur : il contient approximativement 600 millions de milliards de grains. Les plus gros d’entre eux − des cailloux d’environ 5 centimètres de diamètre et de forme plus ou moins sphérique − sont 25 000 fois plus grands que les plus petits. Ces derniers se présentent sous la forme de plaquettes − les argiles − dont la taille est inférieure à 0,002 millimètres. Pour prendre véritablement conscience de ce que représente cette énorme quantité de grains, il faudrait les compter. Mais au rythme de 1 grain par seconde, cela prendrait 19 milliards d’années, soit plus que l’âge de l’univers (13,8 milliards d’années) !

C’est le frottement entre les grains qui détermine avec précision la pente du tas, appelée « angle de repos ». D’environ 35° pour beaucoup de sables, il est d’autant plus important que les grains sont anguleux et rugueux. Cette donnée est indépendante de la hauteur du tas.

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COHÉSION Le second mécanisme qui contrôle la résistance d’un mur en terre crue est la cohésion, à savoir la force moyenne qui attire les grains les uns vers les autres et qui renforce le frottement. Les grains, comme tous les corps physiques terrestres, sont soumis à deux types de forces : la gravitation et les forces qui résultent de l’interaction de charges électriques. L’attraction gravitationnelle, intrinsèquement très faible, est négligeable entre deux cailloux, deux grains de sable ou deux feuillets d’argile. En revanche, les forces électriques peuvent être considérables, même entre de très petits objets. Ce sont elles qui attirent les charges positives vers les charges négatives.

EMPILEMENT DES GRAINS Cette énorme masse granulaire n’est pas loin de constituer la plus grande quantité de grains qu’il soit possible d’entasser dans le volume d’un mur. Une très forte compacité est la première condition à remplir pour rendre un mur solide et durable, car tout espace vide est un point de rupture potentiel. Pour l’obtenir, il faut tout d’abord contrôler la granularité du matériau, c’est-à-dire la proportion de grains d’un diamètre donné, le but étant que les vides laissés par ceux de taille supérieure soient occupés. Il faut que chacun trouve sa place et que le mélange soit le plus homogène possible. Un bon mélange est donc une autre condition à satisfaire. Ce qui serait simple avec des liquides l’est beaucoup moins avec des grains car ils ont naturellement tendance à s’agglomérer en fonction de leur taille. Un mur n’est pas un simple empilement. C’est un assemblage résistant, capable d’assurer sa verticalité en résistant a minima à son propre poids. Il faut donc qu’il existe aussi des mécanismes empêchant les grains de rouler les uns sur les autres et le mur de s’effondrer. Ils sont au nombre de deux.

COHÉSION CAPILLAIRE Le sable est probablement la matière granulaire qui se prête le mieux à une illustration de la cohésion que les forces électriques sont capables d’induire à travers le mouillage. La cohésion d’un sable parfaitement sec est négligeable. Essayez donc d’ériger une paroi verticale, même très petite, avec du sable sec ! C’est presque impossible. Une avalanche se déclenchera dès que la hauteur de la paroi dépassera quelques grains. Tout change dès qu’il y a un peu d’humidité. Elle se condense sous forme liquide dans les espaces étroits qui séparent les grains, sous l’influence des forces qui attirent les molécules d’eau et la matière du sable. Sous cette même influence, l’eau liquide tend à s’étaler sur la surface des grains qu’elle mouille. Elle se met donc en tension, ce qui attire les grains les uns vers les autres. Ces « ponts » liquides, à la forme caractéristique en diabolo, sont appelés « ponts capillaires », et la cohésion qui en résulte est nommée « cohésion capillaire ». Elle augmente avec l’humidité relative de l’air ou par un apport modéré d’eau liquide, pour atteindre un équilibre optimal lorsque la quantité d’eau est de l’ordre de 1 %. La construction d’une paroi verticale en sable devient alors une opération certes toujours risquée, mais réalisable sur une hauteur appréciable. Avec du sable fi n, les calculs et l’expérience montrent que sur une base de 20 centimètres, on peut ériger une colonne de plus de 2 mètres. Au-delà de l’équilibre optimal, lorsque la quantité d’eau est telle que tous les grains sont mouillés et même noyés, la tension de l’eau

FROTTEMENT Le premier mécanisme est le frottement. La surface d’un grain, comme celle de tout matériau, est rugueuse, même s’il faut parfois descendre à l’échelle atomique pour déceler cette rugosité. Cette dernière, due à des aspérités, est à l’origine du frottement entre deux surfaces ; elle oppose une résistance au glissement d’autant plus forte que l’on presse les surfaces l’une contre l’autre. C’est ce frottement – ou cette friction – entre les grains qui permet à du sable sec qui s’écoule de ne pas s’étaler en galette, mais de former un tas conique.

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s’évanouit − tout comme la cohésion − et l’édifice s’écroule. Le mécanisme de cohésion capillaire à l’œuvre avec le sable s’applique aux autres grains présents dans un mur en pisé (ou une brique d’adobe), qu’ils soient plus gros (gravier et cailloux) ou plus petits : limons, argiles et autres grains très fi ns, dits « colloïdaux », comme les oxydes de fer, d’aluminium ou de manganèse, particulièrement présents dans les sols tropicaux. Plus les grains sont petits, plus il y a de ponts capillaires par mètre cube de mur et plus le mur est résistant. Diminuer la taille des grains d’un facteur mille augmente la résistance du mur d’un facteur dix, ce qui permet de construire dix fois plus haut ou d’augmenter d’autant la charge supportée. Autrement dit, avec un sol tropical riche en argiles et oxydes de fer, c’est une colonne de plus de 20 mètres que l’on pourrait ériger sans élargir la base (20 centimètres). Et pour la raison qui suit, on pourrait probablement faire plus fort encore…

s’assèche et que les ponts capillaires s’évaporent, les plaquettes s’approchent suffisamment les unes des autres et de la surface des autres grains pour que des forces électriques directes, n’agissant plus par l’intermédiaire d’un liquide mouillant, puissent entrer en jeu. Cette évolution continue des forces attractives dominantes en fonction de l’humidité relative permet à la construction en terre de s’adapter à tous les climats tant que l’arrivée massive d’eau à l’état liquide est évitée. Déjà suffisamment résistant dans des conditions atmosphériques très humides, un mur en pisé le deviendra encore plus dans des conditions très sèches. Il n’est pas étonnant que de nombreuses constructions anciennes bâties en terre crue aient si bien résisté au cours des siècles.

COHÉSION PAR FORCES ÉLECTRIQUES Le cas des argiles mérite un examen particulier. Contrairement aux autres grains, leur morphologie est le plus souvent feuilletée (ou « plaquettaire ») et ils sont lisses, ce qui augmente singulièrement la surface de contact et les possibilités de rapprochement. Ainsi, la surface qui serait développée par les plaquettes d’argile de notre mur en pisé placées côte à côte dépasserait 2 kilomètres carrés – ce qui représente plus de 250 terrains de football. Les conditions sont donc réunies pour que, lorsque l’atmosphère

Ci-dessus : les murs de maisons rurales traditionnelles de la région de Toulouse (France) associant des briques de terre crue à des éléments en pierre et en terre cuite.

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AMÉLIORER LES PERFORMANCES DE LA CONSTRUCTION EN TERRE SANS RÉDUIRE SES ATOUTS ÉCOLOGIQUES HUGO HOUBEN ET HENRI VAN DAMME

es couches supérieures du sol sont composées de diverses strates (ou horizons) résultant d’un long processus naturel de fragmentation, de migration, de précipitation, de cimentation et même de reconstruction. La strate superficielle, où s’enracinent les plantes, est un sol fertile dont la richesse en matières organiques et minérales est vitale pour l’agriculture. C’est sous cette première couche que gît la terre crue utilisée pour la construction, parfois en mélange de deux ou trois variétés de terre de façon à optimiser la constitution granulaire du matériau. Le caractère naturel de cette ressource explique principalement son excellent bilan environnemental. Correctement sélectionnée, préparée et mise en œuvre, la terre crue est un matériau de construction durable, totalement et indéfi niment recyclable. Elle présente une très faible empreinte écologique. Nombre de matériaux de construction industriels ne peuvent pas égaler ce bilan remarquable car ils résultent soit de l’exploitation de ressources limitées, soit d’une utilisation massive d’énergie, soit encore d’un traitement ou d’une formulation chimique complexes. Malgré cela, la construction en terre crue doit faire face à de nombreux défis. En laboratoire par exemple, elle réussit difficilement les tests de performance mécanique et de durabilité (résistance à l’érosion…) qui ont été élaborés pour les matériaux industriels et qui ne sont donc pas adaptés aux spécificités de la terre. D’autres défis sont liés aux particularités techniques de la construction en terre, qui implique souvent le recours intensif à une main-d’œuvre qualifiée. Cela entraîne, surtout dans les pays industrialisés, un coût relativement élevé et une durée de construction peu compatible avec les objectifs actuels de productivité. L’image peu moderne de la construction en terre, surtout aux yeux des populations autochtones des pays émergents, est enfi n une autre difficulté.

des architectures de terre, les volumes de liant ajoutés – de 3 à 10 % de la masse – sont considérables. L’autre évolution, plus récente, est le transfert vers la construction en terre de technologies industrielles liées au béton afi n de diminuer le besoin de main-d’œuvre et d’accélérer la mise en œuvre. Grâce au contrôle précis de la répartition des grains par tailles et à l’usage de dispersants des argiles, on formule désormais des mélanges de terre à faible teneur en eau (de l’ordre de 15 % seulement) que l’on peut déverser (« couler ») dans un coffrage comme on le fait avec du béton ordinaire. En permettant une meilleure densification des argiles après séchage, l’usage de dispersants améliore autant la résistance à la compression que si l’on ajoutait du ciment. Certaines terres fluidisées par des polymères « superplastifiants » de dernière génération se révèlent même « autoplaçantes » ou « autonivelantes ». Plus besoin d’assurer la vibration mécanique des terres ainsi enrichies pour qu’elles s’étalent lors de la fabrication d’une dalle de sol ou qu’elles se faufi lent entre les armatures d’un coffrage lors de son remplissage. D’autres mélanges, au contraire, se rigidifient suffisamment vite, une fois en place, pour pouvoir être utilisés selon la récente technique de l’impression 3D. Et la combinaison des deux techniques – fluidification dans un premier temps, puis rigidification accélérée – permet désormais de couler puis de décoffrer un ouvrage en terre aussi rapidement que s’il s’agissait de béton.

L

Du point de vue de l’impact sur l’environnement, ces évolutions soulèvent diverses questions. Même après stabilisation, la terre reste un matériau de construction modeste. Sa résistance à la compression est relativement faible, allant d’une fraction de mégapascal à une vingtaine de mégapascals dans le meilleur des cas, la moyenne tournant autour de quelques mégapascals (1 mégapascal correspond à 100 grammes par millimètres carré). Cela conduit généralement à ériger des parois massives, ce qui a des avantages – en particulier, pour les usagers, en termes de confort hygrothermique –, mais qui entraîne aussi une augmentation de l’empreinte carbone de la construction. Même une faible teneur en ciment peut représenter des volumes considérables. C’est également valable pour les dispersants synthétiques, qui ont en général une empreinte carbone plus importante que le ciment. On peut donc se demander dans quelle mesure ces usages préservent le caractère écologique de la construction en terre crue. Le pisé par exemple possède une empreinte carbone d’une vingtaine de grammes de CO2 par kilo de matière, ce qui est

Ces constats ont conduit à deux évolutions majeures. La première est l’ajout, désormais quasi systématique, surtout dans le pisé et les blocs de terre comprimée (BTC), d’une dose non négligeable de liant de fabrication industrielle (ciment, plâtre, cendre volante, laitier de haut-fourneau). Ce liant est destiné soit à corriger la composition d’une terre qui, sans cela, serait impropre à la construction, soit à en augmenter la résistance mécanique, à en limiter la sensibilité à l’eau et à en améliorer la résistance à l’érosion. Cette modification de la terre est appelée « stabilisation ». Compte tenu du caractère relativement massif

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remarquablement faible. Mais les choses changent du tout au tout si on le stabilise avec du ciment. L’empreinte carbone moyenne du clinker (la roche artificielle qui sort du four de fabrication et qui, après broyage, fournit la base du ciment Portland) est d’environ 830 grammes de CO2 par kilo, soit près de quarante fois plus que le pisé. L’incorporation, même modérée, de ciment dans la terre entraîne donc une augmentation significative de l’empreinte carbone.

climatiques ou environnementaux moyennant le respect de logiques architecturales appropriées et l’apport d’innovations constructives accessibles. La terre crue s’adapte aussi à des conditions sociales et économiques diverses, favorisant l’emploi lorsque la main-d’œuvre disponible est abondante ou, au contraire, permettant de privilégier la réduction des coûts et le rendement lorsque le prix de la main-d’œuvre risque de ne pas rendre le projet compétitif. La stabilisation avec des liants hydrauliques peut malgré tout se révéler la meilleure solution lorsque le bilan social ou tout simplement la faisabilité l’emportent sur le bilan environnemental. Enfi n, la recherche d’adjuvants et de technologies ouvrant la voie aux logiques de construction les plus avancées n’est en rien incompatible avec le développement de l’architecture de terre crue, pour autant que cela ne sacrifie pas la frugalité de ce matériau naturel au profit d’une abusive quête de modernité à tout prix. C’est à cette condition que la construction en terre crue pourra se généraliser au XXIe siècle, tout en gardant son âme et en valorisant ses atouts écologiques.

Il est également intéressant de mettre en perspective le gain de performance mécanique et le coût environnemental en fonction du taux de ciment utilisé pour la stabilisation. Le calcul a été fait pour différents modes d’utilisation de la terre crue (adobe, pisé, blocs de terre comprimée), et ces données ont été comparées à celles obtenues pour plus de mille sortes de bétons, allant des bétons ordinaires aux BTHP, les bétons à très haute performance. Les résultats sont pour le moins troublants. Il faut en effet incorporer 5 kilos de ciment par mètre cube de béton (dans un « bon » béton de type BTHP) pour obtenir une augmentation de la résistance de 1 mégapascal, alors qu’il en faut deux fois plus pour obtenir le même résultat avec les blocs de terre comprimée (BTC), entre six et huit fois plus avec le pisé, et encore plus avec les briques d’adobe stabilisées. Le calcul de l’empreinte carbone va dans le même sens. Alors que 1 mètre cube de BTHP émet moins de 5 kilos de CO2 par mégapascal d’augmentation de la résistance, les émissions de l’adobe ou du pisé stabilisés sont près de dix fois plus importantes pour obtenir le même résultat mécanique. La stabilisation des blocs de terre comprimée (BTC) est la meilleure solution – ou plutôt la moins mauvaise –, avec un indice comparable à celui des bétons de bas de gamme. La conclusion est évidente : la stabilisation de la terre crue avec du ciment n’est recommandable ni en termes mécaniques ni en termes environnementaux. Elle ne conduit qu’à de très modestes bénéfices, tout en utilisant de grands volumes de liant. Une même analyse sur la terre fluidifiée puis rigidifiée à l’aide de dispersants et de coagulants inorganiques ou organiques aboutirait à une conclusion similaire. L’empreinte carbone des composés utilisés peut considérablement diminuer le caractère écologique de la construction en terre. Est-ce à dire que la terre crue n’a pas droit au titre de « matériau moderne », ni vocation à accéder à une forme de rationalisation industrielle ? En aucune façon ! D’une part, la construction en terre non stabilisée et non « adjuvantée » reste une pratique durable quoique perfectible. Elle est capable de s’adapter aux aléas

POUR EN SAVOIR PLUS Van Damme et Houben 2018.

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HOMMAGE AUX ANIMAUX BÂTISSEURS

Très longtemps avant que les hommes ne construisent leurs premiers logements en terre crue – les plus anciens sont apparus en Mésopotamie il y a près de 10 000 ans –, les animaux utilisaient déjà ce matériau pour édifier leur habitat au sein de multiples écosystèmes. Ils font ainsi preuve d’un authentique génie bâtisseur. Les nids des oiseaux, d’une grande diversité de formes, sont bien connus. Au Canada, les castors construisent des barrages à travers les rivières afi n de réguler le flux de l’eau en fonction de leurs pratiques de vie collective. Certaines grenouilles du Brésil érigent autour d’elles une enceinte protectrice dont la logique constructive s’apparente à celle de la bauge. En Australie, un crabe est capable d’élever rapidement au-dessus de lui une voûte résistante en terre sableuse. Mais ce sont les termites qui ont élaboré la logique architecturale la plus sophistiquée. En Afrique, ces hautes levées de terre – mélangée à des sécrétions organiques – peuvent atteindre 8 mètres de hauteur (page de droite). La structure de ces « tours » est conçue pour assurer une ventilation passive et le maintien d’une température et d’une hygrométrie optimales. Ces écoconstructions remarquables garantissent ainsi un microclimat intérieur propice à la culture d’un champignon indispensable à la vie des colonies de termites. La température intérieure y est maintenue à 27 °C – avec un écart toléré d’un seul degré –, alors que celle de l’extérieur peut varier de 0 à 40 °C. Ainsi, le génie des termites leur permet de relever en permanence un défi climatique auquel l’homme du peine à répondre.

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HOMMAGE AUX ARTISANS DE LA TERRE

Ci-dessous : l’artiste Silla Camara assure (vers 1985) l’ornementation murale des maisons du village de Djajibinni en Mauritanie (voir p. 172-175). Page de droite : le maître maçon El Hadji Falké Barmou, lauréat en 1986 de l’Aga Khan Architecture Award pour sa mosquée de Yamaa édifiée en 1982 à Tahoua au Niger (voir p. 490).

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HOMMAGE À L’IMAGINAIRE DES BÂTISSEURS

Les hommes déploient parfois leur talent pour développer un imaginaire architectural qui complète avec bonheur le passage à l’acte sur le chantier. Cette dimension artistique est particulièrement bien illustrée par les compositions graphiques de l’architecte catalan Josep Esteve. Membre fondateur du CRAterre, il a participé durant les années 1970 au programme pilote d’habitat social de Rosso, en Mauritanie (voir p. 388). Pour mettre en valeur les savoir-faire locaux, il a développé des modes de construction en arc, coupole et voûte dite « nubienne » en brique crue. En complément de ces actions sur le terrain, le dessin a toujours été pour lui un moyen d’expression essentiel. Il exécute avec la même aisance les plans minutieux des bâtiments qu’il va édifier (ci-contre) et créations graphiques représentant des architectures fantasmagoriques et néanmoins fondées sur une connaissance profonde des logiques de la construction en terre. Au cœur de ce langage complexe et inventif,

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il révèle les qualités formelles et spatiales de ces systèmes constructifs, leurs contraintes fonctionnelles et leurs exigences techniques. Ses dessins aquarellés composent avec virtuosité un univers architectural féerique. Ils donnent à voir la dimension onirique des architectures de terre. Ces compositions harmonieuses donnent en partage la respiration ludique et poétique dont le monde de la construction a tant besoin. H. G.

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CONSTRUIRE EN PISÉ

Parmi les techniques de construction en terre crue, le pisé est l’une de celles qui permettent d’élever des murs porteurs sur plusieurs étages. De nombreux monuments anciens à travers le monde prouvent la remarquable résistance de cette maçonnerie monolithique. Sa mise en œuvre est assurée par un damage manuel ou mécanique dans des coffrages latéraux (en bois ou en métal), par couches successives de terre légèrement humide de 12 à 15 centimètres de hauteur. L’épaisseur de ces murs varie de 40 à 60 centimètres suivant le nombre d’étages. Cette technique ancestrale est présente partout dans le monde, mais c’est surtout au Maroc, en Espagne et en France qu’on en apprécie les applications traditionnelles ou contemporaines les plus élaborées et nombreuses. Modernisé en France par François Cointeraux dès 1790, le « nouveau pisé » s’est généralisé dans le monde durant le

XIX e

siècle.

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Cette actualisation se poursuit depuis la fi n du

XX e

siècle, notamment

avec le CRAterre et Martin Rauch en Europe, Rick Joy aux États-Unis

POUR EN SAVOIR PLUS

ou Elie Mouyal au Maroc. Hannsjörg Voth a élargi l’usage du pisé à

Houben, Guillaud et CRAterre 1989, CRAterre 2018 .

l’art contemporain en érigeant des œuvres monumentales de land art au Maroc. De nouveaux modes de mise en œuvre – dont le pisé préfabriqué inventé en 1986 en France par le maître maçon Nicolas Meunier – visent à alléger la tâche des ouvriers et à assurer une construction plus rapide. Un système de compression automatisé permet désormais de réaliser des éléments de mur qui, après séchage, sont mis en place avec des engins de levage. Si le pisé a une composition granulaire optimale (gravier, sable et argile), il n’a pas besoin d’être stabilisé à la chaux ou au ciment pour augmenter sa résistance.

J. D.

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CONSTRUIRE EN BAUGE

La bauge est une technique de construction traditionnelle à base de terre argileuse mélangée à de l’eau et de la paille, des herbes ou des branches fi nes. Ce mélange est souvent modelé en boules encore à l’état plastique. Pour élever un mur, on les accumule en couches horizontales successives de 40 à 60 centimètres de hauteur, puis on les ajuste et on les lisse. La bauge a notamment été mise en œuvre pour édifier les palais royaux d’Abomey au Bénin et les habitations de forme organique des cultures lobi et gourounsi au Burkina Faso, mais aussi en Afghanistan (technique du « pakhša »), au Yémen et en Arabie, dans la région de Najran (voir p. 242-245) et en Afrique subsaharienne (ci-contre). L’usage de la bauge était aussi fréquent en Angleterre, principalement dans le Devon, où elle est appelée cob. En France, cette technique ancienne était surtout employée dans les régions de Rennes (Bretagne), du Cotentin et du Bessin. Elle fait désormais l’objet d’innovations, notamment avec la construction en 2003 de l’immeuble d’habitation Salvatierra à Rennes, dont la façade sud a été érigée en empilant à l’aide d’une grue de gros éléments de bauge préfabriqués qui servent d’accumulateur de l’énergie solaire directe.

H. G.

POUR EN SAVOIR PLUS McCann 1983, Petitjean 1995, Scherrer 2003.

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Collection Alain Klein architecte ; p.233 (H) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.233 (B) © Mohand Abouda ; p.234-235 (B) © Gert Chesi ; p.235 (H) © René Gardi ; p.236-237 © javarman / Shutterstock.com ; p.238 (BG) © Christophe Boisvieux / Hemis.fr ; p.238 (HD) © Bastin & Evrard SPRL / Adagp, Paris 2019 ; p.239 (HD) © Trevor H. J. Marchand ; p.238-239 (BD) © Nick Ledger / Alamy / Photo12 ; p.240 (HG) © Harper Collins / TAA / Aurimages ; p.240 (BD) © Pascal et Maria Maréchaux ; p.240-241 © Christian Darles ; p.242 (HG) © Eric Lafforgue / Alamy / Photo12 ; p.242 (BG) © John Warburton-Lee Photography / Alamy / Hemis.fr ; p.243 (HD), 242-243 (B) © Parice Doat / CRAterre ; p.244 (H, B), 245 © Thierry Mauger ; p.246 (H) © Urs Flueeler / Alamy / Photo12 ; p.246-247 (B) Collection: André Stevens ; p.247 (H) © Houda Kassatly ; p.248 (H) © Tuul et Bruno Morandi ; p.248 (B) © Purepix / Alamy / Photo12 ; p.249 (H) © Tuul et Bruno Morandi ; p.249 (B) © Dinodia photos / Alamy / Photo12 ; p.250 (H), 250-251 (B) © Marie Schuiten ; p.251 (H) © Henry Westheim Photography / Alamy / Photo12 ; p.252 (H) © Ana Flasker / Alamy / Photo12 ; p.252-253 (B) © Tuul et Bruno Morandi ; p.254 © Ana Flasker / Alamy / Photo12 ; p.255 (H, B) © Marie Schuiten ; p.256 (H) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.256 (M) © Christian Lignon ; p.256 (B) © CRAterre / Romain Anger et Laëtitia Fontaine ; p.257 (H) © CAUE du Gers ; p.257 (B) © CRAterre / Patrice Doat ; p.258 (B) © Gilles Targat / Photo12 ; p.259 (H) © Richard Weil ; p.259 (M) © CRAterre / Philippe Bardel ; p.259 (B) © Mark Jones / Alamy / Photo12 ; p.260 (H) DR ; p.261 (HG) © travelib prime / Alamy / Photo12 ; p.260-261 (B) © Incamerastock / Alamy / Photo12 ; p.262-263 © Bahnmueller / Alamy / Photo12 ; p.264-265 © Lesley Lababidi ; p.265 (HD) © MCLA Collection / Alamy / Photo12 ; p.265 (BD) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. 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RMN-Grand Palais / image of the MMA ; p.322 (H) © Mary Evans Picture Library / Photononstop ; p.323 (HG, HD) © Jean Dethier ; p.322-323 (B) © Ministère de la Culture et de la Communication, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Dist. RMN-GP ; p.324 (H) © Ivo Roospold / Alamy / Photo12 ; p.324 (M) © America / Alamy / Photo12 ; p.324 (B) © Oliver Gerhard / ImageBROKER / Photo12 ; p.325 (H) © Cannon Photography LLC / Alamy / Photo12 ; p.325 (B) © Jay Goebel / Alamy / Photo12 ; p.326 (H, B) © R. M. Schindler papers, Architecture & Design Collection. Art, Design & Architecture Museum; University of California, Santa Barbara ; p.327 (HG, HD, M, B) © Adagp, Paris, 2019. © The Frank Lloyd Wright Foundation Archives (The Museum of Modern Art / Avery Architectural & Fine Arts Library, Columbia University, New York) ; p.328 (H, B) © Jean Dethier ; p.328 (M) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.329 (H) © Richard Mayer / Alamy / Photo12 ; p.329 (B) © Frans Lemmens / Alamy / Photo12 ; p.330 (H, B), 331 (H) Collection Alain Klein architecte ; p.331 (BG, BD) DR ; p.332 (H, B), 333 (H, B) © F.L.C. / Adagp, Paris, 2019 ; p.335 © Bastin & Evrard SPRL / Adagp, Paris 2019 ; p.336 (H), 337 (HG, HD) DR ; p.336 (B) © Deidi von Schaewen ; p.337 (M), 338 (H, B) © Bastin & Evrard SPRL / Adagp, Paris 2019 ; p.337 (B) © Aga Khan Trust for Culture /Albek A. & Niksarli M ; p.338 (M) © B.O’Kane / Alamy / Hemis. fr ; p.339 (B) © Aga Khan Trust for Culture / Christopher Little (photo) ; p.340 (H) © Adel Famy ; p.340 (M) © Olivier Sednaoui ; p.340 (B), 341 (B) © Bastin & Evrard SPRL / Adagp, Paris 2019 ; p.341 (H) © Bruno Ruffini ; p.341 (M) © Aga Khan Trust for Culture / Chant Avedissian (photo) ; p.342 (H), 343 (HG, HD) DR ; p.342-343 (B), 344 (B), 345 (H, B) © Bastin & Evrard SPRL / Adagp, Paris 2019 ; p.346 (M) DR ; p.346 (B), 347 (H, B) © Bastin & Evrard SPRL / Adagp, Paris 2019 ; p.347 (M), 348 (H, MH, MB, B), 349 (H, B) © Jean Dethier ; p.350, 351 © Jean-Marie Louis ; p.352 © Musée des Augustins, Toulouse, France / Bridgeman Images ; p.353 (H) © 2019 Banco de México Diego Rivera Frida Kahlo Museums Trust, Mexico, D.F. / Adagp, Paris 2019. Photo © Alamy / Photo12 ; p.353 (B) © Adagp, Paris, 2019. Photo © RMN-Grand Palais / RenéGabriel Ojéda ; p.354-355 © Adagp, Paris, 2019. Photo © Artcurial ; p.356-357 © Germain Rozo et Claire Guyet ; p.359 © Bruno Klomfar ; p.361 © Marc Auzet / Juliette Goudy ; p.363 © Blaine Harrington III / Alamy / Photo12 ; p.364 © Kurt Hoerbst ; p.365 © Studio Anna Heringer ; p.366 © Association la Voûte Nubienne (AVN) ; p.368 © Astrid Eckert / TUM ; p.369 (BG, BD) © Gino Maccarinelli ; p.371 © CRAterre / Pierre Eric Verney ; p.376 (H, B), 377 (H, B), 378 (H, M, B), 379 © CRAterre / Patrice Doat ; p.380 (H) © Florence Lipsky et Pascal Rollet ; p.380 (M, B) © CRAterre / Patrice Doat ; p.381 (B) © AE&CC / Maxime Bonnevie ; p.382 (H) © Vincent Liétard ; p.382 (MH, B) © CRAterre / Patrice Doat ; p.382 (MB), 383 (H, B) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.384 (HG, BG), 385 (HD, BD) © Satprem Maini (Auroville Earth Institute) ; p.384-385 (M) © CRAterre / Sébastien Moriset ; p.386 (M, B), 387 (H, B) © Gernot Minke ; p.388 (H) © Josep Esteve / ADAUA ; p.388 (B) © Marcelo Cortes ; p.389 (H, B) © Association la Voûte Nubienne (AVN) ; p.390 (H) © Dominique Appia ; p.390 (B) © Ruth Eaton ; p.391 (H) © Jean-Claude Planchet ; p.391 (B) © Jean Dethier ; p.392 (H), 393 (M, B) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.392 (MH, MB, B) © Dominique Pidance et Alain Lebahl ; p.393 (HG) © CRAterre / Patrice Doat ; p.394 (HD, HG) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.395 (H, B) © Gilles Perraudin et Françoise Jourda ; p.396 (HG), 396-397 (B) © Bill Timmerman / Studio Rick Joy ; p.396-397 (HM) © Undine Pröhl ; p.397 (HD) © Wayne Fuji / Studio Rick Joy ; p.398 © Paul Weiner / Design Build Collaborative ; p.399 (H) © Low Compound by Tim Hursley ; p.399 (B) © Johnson-Jones Residence by Tim Hursley ; p.400 (H, B), 401 © Luigi Rosselli Architects ; p.400 (M) © Edward Birch / Luigi Rosselli Architects ; p.402 (H, M), 403 (H) © Dario Angulo ; p.402-403 (B) © Andrei S. ; p.404 (HG, HD, B), 405 (MG, MD, B) © CRAterre / Thierry Joffroy ; p.405 (H) © Elie Mouyal ; p.406 (H), 407 (H) © Dominique Gauzin-Muller ; p.406 (B) © Bruno Klomfar ; p.407 (B) © Ralph Feiner ; p.408 (M, B), 409 (H, B) © Rama Estudio / JAG ; p.410 (H) © Thomas Ott / www.o2t.de; p.410 (M, B) © Pierre Mignot ; p.411 (H) © By Reg› - Régis L›Hostis ; p.411 (M, B) © Alberto Cosi / Chiangmai Life Architects ; p.412 (H) © Ossart+Maurières, architectes. Photo © Nicolas Schimp ; p.412 (M) © Onerva Utriainen ; p.412 (B) © Thomas Jay - Caracol Architectures ; p.413 (H) © Bluff Design Build ; p.413 (B) © Amateur Architecture Studio ; p.414 (H) © Lothar Steiner / Alamy / Photo12 ; p.414 (B) © Ingo Jezierski / Alamy / Photo12 ; p.415 (B) © Adam Eastland / Alamy / Photo12 ; p.416-417 (H) © Richard Rowland / Justine Girard / Marie Niccolazi ; p.416-417 (B) © David Mastalka / A1 architects ; p.418 (H) © Francis Kéré ; p.418 (M) © Architectural Review ; p.418 (B) © Francis Kéré ; p.419 (H, B) © Erik-Jan Ouwerkerk ; p.420 (M), 421 (H), 420-421 (B) © Kurt Hoerbst ; p.422 (H) (c) © Adagp, Paris 2019. Photo © Faly Randrianjatovo ; p.422 (MH, MB, B) © Kikuma Watanabe ; p.423 (H) © Mu Jun ; p.423 (B) © Chiangmai Life Architects ; p.424-425 © Erik Jan Ouwerkerk ; p.426 (H) © Christophe Malecot / Yann Letenier SCB / André Berthier et Joseph Frassanito Architectes ; p.426 (B) © Guillaume Lavesvre / André Berthier et Joseph Frassanito Architectes ; p.427 (H, M, B) © Encore Heureux et Co-Architectes ; p.428 (H) © Keith Morris / Alamy / Photo12 ; p.428 (M) © Pascal et Maria Maréchaux ; p.428 (B) © Cariddi Narulli ; p.429 (HG, HD) © Odile Vandermeeren ; p.429 (M) © Gustave Deghilage ; p.429 (B) © Kurt Hoerbst ; p.430 DR ; p.431 (HG, HD) © Michel Denancé ; p.431 (B) © Sandra Pereznieto ; p.432-433 (B), 433 (H) © Amateur Architecture Studio ; p.434-435 (H, B) © Miléna Stefanova ; p.436 (H) © Manuelle Roche / Adagp, paris 2019 ; p.436 (M) © Jean Dethier ; p.436 (B) © Luis Gordoa ; p.437 (H) © Andrea Maretto for Kéré Architecture ; p.437 (B) © Kéré Architecture ; p.438 (H, B) © RPBW ; p.438-439 (HD, BD) © Archivio Emergency ; p.440 (H) © Craig Lamotte ; p.440 (B) © Ben Wrigley ; p.441 (H) © Gregory Burgess Architects ; p.441 (M) © Gregory Burgess ; p.441 (B) © Trevor Mein ; p.442 (H) © Frédéric Hédelin ; p.443 (H) © Nic LeHoux / DIALOG ; p.443 (B) © CRAterre ; p.444 (H) © James Wang ; p.445 (H) © Eskaapi ; p.444-445 (B) © Robust Architecture Workshop ; p.446 (HG, HD, B), 447 (H, B) © BC Architects ; p.448, 449 (B) © Bill Timmerman / Studio Rick Joy ; p.449 (H) © Bruno Klomfar ; p.450 (MH, MB) © Renaud Leblevenec ; p.450 (B) © Alnatura / Marc Doradzillo ; p.451 (H) © Aga Khan Trust for Culture / Amir-Massoud Anoushfar (photo) ; p.451 (B) © Laurent Séchaud (architecte et photo). Source: Aga Khan Trust for Culture ; p.452-453 (B), 453 (H) © Héctor Santos-Díez ; p.454 (H) © John Gollings ; p.454 (M) © Greenway Architects ; p.454 (B) DR ; p.455 (HG) © Denis Coquard ; p.455 (MG, B) © Charlie Shepperd ; p.455 (HD, MD) © Bruno Ruffini ; p.456 (HG) © EDF / Dominique Guillaudin ; p.456 (HD, B) DR ; p.457 (H) © MC2 Patrick W. Mullen III ; p.457 (B) © Felix Beato ; p.458 © Nic LeHoux / DIALOG ; p.459 (H, B) © Bruno Klomfar ; p.460 (H) © Steven Jimel ; p.460 (M) © Abey-Smallcombe ; p.460 (BG) © Alain Klein architecte ; p.460 (BD) © Mathilde et Nicolas Béguin / Atelier Alba ; p.461 (HG) © Gisèle Taxil ; p.461 (HD) © Daniel Duchert, 2016 ; p.461 (B) © Tim Nolan 2014 ; p.462 (H) Andy Goldsworthy. Lambton earthwork. County Durham, England.1988 © Andy Goldsworthy ; p.462 (B) Richard Long, Red Earth Circle, 1989 (mur vertical) Argile de la rivière Avon sur mur de 12 x 20 m © Adagp, Paris 2019. Paddy Japaljarri Sims, Paddy Japaljarri Stewart, Neville Japangardi Poulson, Francis Jupurrurla Kelly, Paddy Jupurrurla Nelson, Franck Bronson Jakamarra Nelson, Towser Jakamarra Walker, membres de la communauté Yuendumu, Yam Dreaming, 1989 (au sol) © Warlukurlangu artists of Yuendumu. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI Bibliothèque Kandinsky, Dist. RMN-Grand Palais / Béatrice Hatala / Konstantinos Ignatiadis ; p.463 (H) Andy Goldsworthy. Clay wall. Musée Départemental de Digne, Digne-les-Bains, Haute Provence, France. June 1999 © Andy Goldsworthy. Photo © Camille Moirenc / Hemis.fr ; p.463 (B) © Adagp, Paris, 2019. Photo © Eloïse Dethier-Eaton ; p.464 (H) © Terunobu Fujimori. Photo © Alamy / Photo12 ; p.464 (B) © Mona Hatoum. Courtesy Galerie Chantal Crousel (Photo: Marc Domage) ; p.465 © Holt / Smithson Foundation/ ADAGP, Paris, 2019. Photo © Nathan Allred / Alamy / Photo12 ; p.466 (H), 467 (HG) © Ingrid Amslinger ; p.466 (B), 467 (B) © ImageBROKER / Photo12 ; p.467 (HD) © Hannsjörg Voth ; p.468 (H), 469 (HG, HD) © H+N+S landscape architects ; p.468-469 (B) © Irvin van Hemert ; p.470-471 © KCphotography / Alamy / Photo12 ; p.472-473, 479 © Joly&Loiret, L+R, Amateur Architecture Studio ; p.481 © Satprem Maini (Auroville Earth Institute) ; p.487 © James Wang ; p.488 (H), 489 (H) © Ron Cobb ; p.488 (B), 489 (B) © Luc Schuiten ; p.490-491 © James Wang ; p.493 (G, M, D) © Gino Maccarinelli ; p.510 © Marie Schuiten

511 CRÉDITS

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26/09/19 14:20

Directrice Èditoriale Julie Rouart Responsable de líadministration Èditoriale Delphine Montagne …ditrice Marion Doublet, assistée d’Anémone Soter Conception graphique Marc Walter Pierre-Yann Lallaizon / Studio Recto Verso Traitement et colorisation des dessins Arthur Besnard Iconographie Marie-Catherine Audet PrÈparation des textes Clémentine Bougrat Relecture des textes Colette Malandain

L’auteur a reçu le soutien du CNL dans le cadre d’une bourse à l’écriture.

Fabrication Corinne Trovarelli Photogravure Reproscan, Orio al Serio, Italie

© Flammarion, Paris 2019 N o d’édition : L.01EBUN000687 ISBN : 9782081442818

Cet ouvrage a reçu le soutien de QUARTUS dans le cadre de son engagement dans l’économie circulaire et la construction en terre crue.

Dépôt légal : novembre 2019 Cet ouvrage a été achevé d’imprimer en octobre 2019 sur les presses de GPS Group, Bosnie.

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30/09/19 18:12