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Encyclopédie Médico-Chirurgicale 22-009-T-10
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Immunité de la cavité buccale H Chardin
Résumé. – La cavité buccale est colonisée par une flore commensale abondante et extrêmement variée. La protection périphérique des muqueuses est assurée par une exclusion immune spécifique des antigènes ellemême assurée par des immunoglobulines A sécrétoires (IgAs), associée à des mécanismes non spécifiques. La production d’IgAs dépend de la stimulation de tissus lymphoïdes associés aux muqueuses. Différents tissus de l’anneau de Waldeyer et les plaques de Peyer sont impliqués dans la production d’IgAs salivaires. Les lymphocytes B et T présents dans ces tissus sont stimulés par la reconnaissance des antigènes, des interactions cellulaires directes et des cytokines. L’environnement en cytokines induit une commutation isotypique vers IgA. Les lymphoblastes B IgA+ stimulés dans ces organes sont adressés vers les sites sécréteurs, où ils se différencient en plamocytes. Les plasmocytes sécrètent des IgA dimériques associées à une pièce J. Après fixation sur son récepteur, ce complexe moléculaire est transporté vers la salive par les cellules acineuses ou canalaires. L’IgAs est constituée par le dimère d’IgA, la pièce J, et la partie extracellulaire du récepteur (composant sécrétoire). Les IgAs contribuent au contrôle de la flore buccale en limitant les capacités d’adhésion et en favorisant l’élimination salivaire des bactéries. Les déséquilibres écologiques au sein de la cavité buccale peuvent se traduire par des pathologies dentaires ou parodontales. © 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots-clés : immunité sécrétoire, immunoglobulines A sécrétoires, cavité buccale, immunité antibactérienne.
Introduction La cavité buccale est un espace ouvert sur l’extérieur, humide, de température stable (34-36 °C) et d’un pH avoisinant la neutralité. Chez l’adulte sain, deux types de tissus sont présents dans cette cavité : des muqueuses plus ou moins kératinisées selon leur localisation (langue, joues, gencive, lèvres, vestibule…) et un tissu dur minéralisé, l’émail dentaire. Ces surfaces baignent dans le fluide buccal et sont colonisées par une flore microbienne commensale. L’écosystème buccal est donc constitué d’une flore buccale diversifiée vivant dans un environnement donné, la cavité buccale [38]. Cependant, il existe dans la cavité buccale plusieurs niches écologiques définies par des conditions environnementales qui leur sont propres. Ainsi, les surfaces dentaires, les différentes muqueuses, ou le sillon gingivodentaire présentent des conditions écologiques différentes et une flore plus ou moins spécifique. En outre, les conditions écologiques au sein d’une niche peuvent varier selon l’âge de l’individu. L’intégrité des tissus de la cavité buccale dépend du maintien de l’équilibre de l’écosystème. Cette homéostasie repose sur divers mécanismes de compensation, qui agissent pour maintenir un état stable en s’opposant aux perturbations qui induiraient un déséquilibre [38]. Dans la cavité buccale, l’homéostasie doit être maintenue dans chaque niche écologique. Ainsi, les systèmes contrôlant le développement de la flore associée aux surfaces dentaires à l’origine de la maladie carieuse, ne sont pas identiques à
Hélène Chardin : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier, faculté de chirurgie dentaire, 1, rue Maurice Arnoux, 92120 Montrouge, France.
ceux contrôlant le développement d’une flore parodontopathique, et ces pathologies se développent indépendamment l’une de l’autre. L’homéostasie de la cavité buccale repose sur trois types de facteurs étroitement dépendants les uns des autres : la flore, l’hôte et les facteurs exogènes. Parmi les facteurs exogènes, l’alimentation, la prise de médicaments, l’hygiène buccale, le tabagisme, le port de prothèses, sont autant de facteurs qui peuvent affecter directement l’environnement buccal. Chez l’adulte sain, la flore buccale commensale est extrêmement diversifiée. Elle est composée de plus de 300 espèces bactériennes, auxquelles peuvent s’ajouter des levures. Les bactéries colonisent les différentes niches écologiques selon leurs capacités d’adhérence sur les tissus et les conditions métaboliques environnementales. En occupant l’espace, la flore commensale est un élément de protection contre l’installation ou le développement de bactéries pathogènes. Il est cependant nécessaire que sa prolifération soit contrôlée, tant quantitativement que qualitativement. Dans la cavité buccale, il est bien établi que la prolifération anormale de bactéries normalement présentes peut être à l’origine de pathologies. La température, le pH, l’hygrométrie de la cavité buccale et l’apport régulier de nutriments sont des éléments favorables à la croissance de nombreuses espèces bactériennes. Normalement, cette croissance est compensée par différents systèmes spécifiques et non spécifiques, qui participent à maintenir l’équilibre entre prolifération et élimination bactériennes. L’immunité périphérique repose principalement sur des facteurs solubles spécifiques et non spécifiques présents dans le fluide buccal. Ces facteurs participent à l’exclusion immune, c’est-à-dire limitent l’adhésion et la colonisation tissulaire, et favorisent l’agglutination et l’élimination des microorganismes. Dans certaines conditions de déséquilibre d’origine exogène (par exemple prises répétées d’aliments sucrés) ou
Toute référence à cet article doit porter la mention : Chardin H. Immunité de la cavité buccale. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Odontologie/Stomatologie, 22-009-T-10, 2002, 12 p.
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EMC 257
Immunité de la cavité buccale
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Facteurs non spécifiques
Glandes salivaires
IgAs
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clairance bactérienne. De plus, elles participent à la formation de la pellicule exogène acquise (film salivaire recouvrant l’émail des dents) et ainsi influencent la colonisation bactérienne sélective des surfaces dentaires.
SALIVE Flore buccale
MOLÉCULES ANTIBACTÉRIENNES
Dent Exclusion immune Sillon gingivodentaire Invasion tissulaire
¶ Lactoferrine
Infiltrat lymphocytaire
Réponse immunitaire spécifique --> IgM spécifique --> IgG spécifique --> IgA
Le lysozyme est une protéine de masse moléculaire 15 kDa et de point isoélectrique 10,5. Cette enzyme hydrolyse la liaison b1-4, liant l’acide N-acétyl muramique à la N-acétyl glucosamine du peptidoglycan bactérien. Le lysozyme possède donc une action bactériolytique par hydrolyse du peptidoglycan de paroi.
Gencive
Inflammation
Organes lymphoïdes périphériques
¶ Lysozyme
IgM, IgG, IgA
Compartiment vasculaire Transfert Lymphocytes stimulés Anticorps
1
Organisation générale du système de protection des muqueuses buccales. La protection périphérique de la cavité buccale est assurée par l’exclusion immune, qui représente un ensemble de mécanismes non inflammatoires permettant de limiter l’adhésion des micro-organismes sur les tissus et de faciliter leur élimination salivaire. L’exclusion immune spécifique est assurée principalement par les immunoglobulines A sécrétoires (IgAs), bien que des IgM, des IgG et des IgA provenant du fluide gingival puissent également y participer. Ces facteurs spécifiques coopèrent avec des facteurs salivaires non spécifiques. En cas de déséquilibre écologique, l’accumulation de la flore -en particulier dans le sillon gingivodentaire- peut conduire à une invasion tissulaire bactérienne. Cette invasion induit une réponse inflammatoire locale et une réponse immunitaire spécifique dans les organes lymphoïdes périphériques. Les produits de cette réponse spécifique participent au processus inflammatoire qui permet de circonscrire l’infection bactérienne. Ig : immunoglobuline.
endogène (déficit salivaire, immunitaire…), la prolifération d’une flore ou de certaines bactéries peut être à l’origine de pathologies dentaires (caries) ou parodontales, s’accompagnant d’une invasion tissulaire bactérienne. Lorsque les tissus sont envahis par des microorganismes, les réponses immunitaires non spécifiques et spécifiques sont stimulées, et elles contribuent à circonscrire l’infection et à neutraliser ou éliminer les agents pathogènes. La figure 1 illustre ces deux niveaux de protection. Dans cette revue, nous étudions quels sont les mécanismes immunitaires qui contribuent à l’homéostasie de la cavité buccale. Après un bref aperçu des systèmes de défense non spécifiques des muqueuses buccales, nous étudions surtout les facteurs spécifiques qui participent à l’exclusion immune, et en particulier le système sécrétoire. Nous nous intéressons également aux réactions immunitaires induites par l’invasion bactérienne, dans le cas de caries dentaires et de parodontopathies.
Protection non spécifique des muqueuses
La lactoferrine est une glycoprotéine de masse moléculaire 80 kDa liant le fer. In vitro, elle inhibe la croissance bactérienne par déprivation nutritionnelle en fer.
¶ Défensines
[48, 49, 56]
Le terme de « défensine » a été utilisé pour désigner des peptides antimicrobiens isolés à partir de polynucléaires humains ou de lapin. Chez l’homme, deux familles ont été identifiées : les a-défensines et les b-défensines. Structuralement, les défensines sont des peptides cationiques de 3 à 4 kD qui possèdent six résidus cystéine, permettant la formation de trois ponts disulfure intracaténaires. La position des cystéines est constante dans une même famille. Des résidus arginine, glycine et acide glutamique possèdent également une position conservée parmi les a-défensines de différentes espèces. Les a-défensines sont des peptides de 35 acides aminés riches en arginine et donc fortement cationiques. Les polynucléaires neutrophiles humains produisent quatre a-défensines (HNP1 à HNP4), alors que certaines cellules épithéliales de l’intestin grêle, les cellules de Paneth, en produisent deux autres (HD5 et HD6). Les b-défensines humaines sont au nombre de deux : HBD1 et HBD2. HBD1 existe sous plusieurs formes qui varient de 36 à 47 acides aminés selon leur clivage aminoterminal. La présence d’HBD1 a été montrée dans les glandes salivaires et les cellules épithéliales gingivales, mais pas dans les fibroblastes gingivaux. Le niveau d’expression de transcrits d’HBD1 est identique dans les tissus sains et enflammés, l’expression de ces molécules ne serait donc pas modulée par les médiateurs inflammatoires. HBD2 est un peptide de 41 acides aminés, d’une masse moléculaire d’environ 4,3 kD. Il a un effet bactéricide sur les bactéries à Gram négatif, et fongicide sur Candida albicans. HBD2 a été isolé à partir de l’épiderme et son expression est inductible ; elle est augmentée par une inflammation locale. La présence d’HBD2 a été montrée dans le tractus respiratoire, la peau et le côlon. Le mode d’action de ces peptides antibactériens est encore incomplètement connu. Certains résultats montrent que la formation de pores dans la membrane externe de la paroi des bactéries à Gram négatif ou dans la membrane plasmique aurait une importance majeure. Par ailleurs, certaines études indiquent que la synthèse protéique et/ou d’acide désoxyribonucléique (ADN) serait affectée. Il est difficile de savoir quel est le mécanisme responsable de la mort bactérienne, d’autant qu’il n’a pas été établi pourquoi certaines bactéries sont plus ou moins sensibles à l’action des défensines.
BARRIÈRES PHYSICOCHIMIQUES
Les tissus buccodentaires sont protégés par des mécanismes physiques et chimiques contribuant à l’élimination des microorganismes présents. Ainsi, la desquamation des couches superficielles des muqueuses buccales élimine les bactéries fixées sur ces tissus. Par ailleurs, le flux salivaire permet d’entraîner les microorganismes en suspension vers l’estomac lors de la déglutition. Les mucines salivaires jouent un rôle particulièrement important par leurs propriétés viscoélastiques et lubrifiantes, en modulant la 2
Exclusion immune spécifique L’exclusion immune est un système de protection périphérique non inflammatoire, permettant de limiter la colonisation des tissus par les micro-organismes. L’exclusion immune spécifique est essentiellement due à des IgAs propres au système muqueux. Les IgAs sont des anticorps (Ac) spécifiques capables de limiter
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Paratope VH IgA
CH1
IgA Chaîne légère (L) Charnière (h)
D5
D1
J
CS
Chaîne lourde (H)
2
Structure de l’immunoglobuline A sécrétoire (IgAs). L’IgAs est constituée par un dimère d’IgA identiques associé par des liaisons covalentes à une chaîne J et au composant sécrétoire (CS). Le complexe (IgA)2J est produit par un plasmocyte, alors que le CS est associé secondairement au dimère lors de son transport du conjonctif vers le produit de sécrétion.
l’adhésion des micro-organismes - et notamment des bactéries - en les agglutinant et en se fixant sur leurs adhésines. Le système sécrétoire décrit ci-dessous est donc un système spécifique stimulé par des antigènes (Ag). Cependant, certains auteurs insistent sur l’existence, dans la salive et d’autres sécrétions, d’auto-Ac sous forme d’IgAs polyréactives [7, 51]. Ces IgAs préexisteraient à tout contact avec un Ag exogène et seraient susceptibles de se lier à des auto-Ag, mais également à une grande diversité d’Ag, en particulier bactériens. Elles constitueraient donc une première barrière contre l’infection des surfaces muqueuses pendant la période pré-immune. STRUCTURE DES IgAs
La figure 2 schématise la forme majoritaire d’IgAs retrouvée dans la salive ou d’autres sécrétions. Les IgAs sont des polymères dont 90 % sont des dimères et 10 % des tétramères [27]. Elles sont donc le plus souvent constituées de deux molécules d’IgA monomérique identiques associées à une chaîne J et un composant sécrétoire (CS). Le polymère (IgA)2J est synthétisé et assemblé dans les plasmocytes [44], puis libéré dans le tissu conjonctif périglandulaire. Le CS est associé secondairement au dimère lors de la transcytose (cf infra). Les différentes molécules (IgA, J, CS) sont liées entre elles par des liaisons covalentes, formant ainsi un complexe moléculaire stable.
¶ IgA monomérique La figure 3 rappelle la structure générale des molécules d’Ig et les particularités structurales des IgA. Comme toute molécule d’Ig, l’IgA est formée de quatre chaînes : deux chaînes lourdes H (heavy) et deux chaînes légères L (light). Les chaînes lourdes et légères sont identiques deux à deux. Les chaînes lourdes a sont constituées d’un domaine variable (V H ) aminoterminal et de trois domaines constants (CH1, CH2, CH3 ou Ca1, Ca2, Ca3). Une région charnière h (hinge) est intercalée entre les domaines Ca1 et Ca2. La chaîne lourde se termine dans sa partie carboxyterminale par un peptide queue (t [tail]) de 18 acides aminés qui confère à la molécule sa capacité de polymérisation. Les chaînes légères sont constituées d’un domaine variable (VL) et d’un domaine constant (CL). Le site Ac (ou paratope) est formé par l’association des domaines VH et VL. Chaque molécule d’IgA est divalente : elle possède deux sites Ac identiques, et donc la capacité de fixer deux déterminants antigéniques (ou épitopes) identiques.
• Variabilité structurale des IgA [27] Chez l’homme, on retrouve deux sous-classes d’IgA (IgA1 et IgA2), ainsi qu’une variabilité allotypique des IgA2 représentée par les deux allotypes, IgA2m1 et IgA2m2. Les IgA1 possèdent une structure classique avec une région charnière constituée de 26 acides aminés. Des ponts disulfure intercaténaires s’établissent entre la cystéine 127 du domaine Ca1 et une cystéine du domaine CL, ainsi qu’entre les cystéines 251 et 314 des domaines Ca2. Chaque chaîne H est donc liée à une chaîne L par un pont S-S, alors que les chaînes H sont
VL CL
h = 26 aa
Ig A1
Fab
t
CH2 CH3
h = 13 aa
Fc
h = 13 aa
Ig A2
* A
Ig A2 m(1)
B Ig A2 m(2) *
3
Variabilité structurale des immunoglobulines (IgA). Les IgA sont des molécules constituées de quatre chaînes identiques deux à deux : deux chaînes lourdes (H) et deux chaînes légères (L). Les chaînes légères possèdent un domaine constant (CL) et un domaine variable (VL), alors que les chaînes lourdes possèdent trois domaines constants (CH1, CH2 et CH3) et un domaine variable VH. Une région charnière (h) est intercalée entre les domaines CH1 et CH2 et un peptide queue (t) succède au CH3 à l’extrémité carboxyterminale de la molécule. L’association des domaines VH et VL forme le site anticorps ou paratope qui se liera avec un épitope de l’antigène. Deux fragments distincts peuvent être isolés après clivage par la papaïne : un fragment Fab (antigen binding) qui conserve la propriété de lier l’antigène, et un fragment Fc (cristallisable) qui peut se fixer sur des récepteurs cellulaires. Les deux sous-classes IgA1 et IgA2 diffèrent par la longueur de la région charnière : 26 acides aminés pour les IgA1 et seulement 13 pour les IgA2. Les deux allotypes IgA2m(1) et IgA2m(2) diffèrent par les interactions entre chaînes lourdes et légères. Les IgA2m(2) possèdent une structure classique avec des ponts disulfures entre chaînes lourdes et légères, alors que les IgA2m(1) ne possèdent pas de liaison covalente entre chaînes lourdes et légères, mais un pont disulfure entre les deux chaînes légères. A. Schéma général d’une immunoglobuline. B. Différents monomère d’IgA humaine. aa : acide aminé.
liées entre elles par deux ponts S-S. La sous-classe IgA2 diffère principalement de l’IgA1 par la délétion de 13 acides aminés de la région charnière, qui est donc plus courte et moins glycosylée par la perte de cinq sérines O-glycosylées. Les IgA2 sont également plus résistantes à la protéolyse que les IgA1, car certaines enzymes bactériennes clivent cette molécule au niveau de la région charnière. Les ponts disulfure entre les deux chaînes lourdes des IgA2 sont identiques à ceux observés pour les IgA1 (C251 et 314). En revanche, des différences apparaissent pour les liaisons entre chaînes lourdes et légères : pour l’allotype IgA2m2, le pont S-S s’établit entre les cystéines 223B ou 198 du domaine Ca1 et une cystéine du domaine CL ; pour l’allotype IgA2m1, il n’existe pas de pont disulfure entre chaînes lourdes et légères, mais un pont disulfure lie les deux chaînes légères entre elles. L’allotype IgA2m1, majoritaire chez les Caucasiens, représente donc un cas unique d’Ig chez l’homme, dans lequel les chaînes lourdes et légères sont associées entre elles par des liaisons non covalentes.
¶ Chaîne J La chaîne J humaine est un polypeptide de 15 kD, composé de 137 acides aminés dont huit cystéines. Les cystéines situées en position 15 et 69 sont impliquées dans la formation de ponts disulfure avec les chaînes a ou µ des Ig, les six autres cystéines formant des ponts disulfures intrachaînes [30]. La chaîne J n’est pas indispensable à la polymérisation des IgA ou des IgM. En effet, si chez des souris knock out pour la chaîne J, le rapport IgA monomérique/IgA dimérique augmente, des dimères sont cependant présents dans le sérum [25]. La capacité spécifique de polymérisation de ces deux isotypes est liée à la présence d’un polypeptide queue de 18 acides aminés en position C-terminale des chaînes a et µ. Cependant, en conditions normales, la chaîne J est associée aux polymères et régulerait leur formation et leur fonction [30] . En particulier, différents résultats expérimentaux montrent que sa présence est nécessaire pour le transport transépithélial des Ig sécrétoires (cf infra). Plusieurs modèles de dimérisation des IgA ont été proposés. Dans l’un de ces modèles, la chaîne J formerait un pont entre les deux monomères d’IgA, alors que dans l’autre, la chaîne J ne serait liée de manière covalente qu’à 3
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un seul monomère. Le nombre de chaînes J par polymère est également encore discuté et pourrait varier en fonction du degré de polymérisation [30].
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Conjonctif périglandulaire
Ag
(IgA)2 J
¶ Composant sécrétoire Le CS est une glycoprotéine produite par différents types de cellules épithéliales, dont les cellules acineuses et canalaires des glandes salivaires. Il est constitué par la partie extracellulaire du récepteur aux Ig polymérisées (RpIg) et il est obtenu après clivage enzymatique de l’ancrage membranaire du récepteur et libération dans le canal excréteur des glandes salivaires de la partie extracellulaire (cf infra). Dans la salive, le CS est retrouvé lié à des polymères d’IgA, constituant ainsi une molécule d’IgAs, mais également sous une forme libre [41]. La forme membranaire de la molécule (RpIg) a une masse moléculaire d’environ 100 kD, alors que celle du CS est d’environ 80 kD [41] . Cette glycoprotéine comprend cinq domaines (D1 à D5) stabilisés par des ponts disulfure intracaténaires ; elle se lie aux polymères d’IgA par un pont disulfure entre la cystéine 467 de D5 et la cystéine 311 du Ca2 [30]. MODE DE PRODUCTION DES IgAs SALIVAIRES
Chez l’homme adulte, les muqueuses représentent une surface d’environ 400 m2 et la muqueuse intestinale est la première source d’Ig [11] . En effet, chaque jour environ 40 mg/kg d’IgAs sont transportés dans la lumière intestinale, alors que la production totale d’IgG de l’organisme est de 30 mg/kg. Le système sécrétoire salivaire fait partie de ce système général de protection des muqueuses qui implique un certain nombre de tissus ou d’organes lymphoïdes. Ces tissus ou organes ont été regroupés sous l’appellation mucosa-associated lymphoid tissues (MALT). Selon le site considéré, le MALT est lui-même subdivisé en gut-associated lymphoid tissue (GALT), bronchus-associated lymphoid tissue (BALT), nasal-associated lymphoid tissue (NALT) ou eusthachian tube-associated lymphoid tissue (TALT) [12]. Par sa situation anatomique, la cavité buccale fait partie à la fois des systèmes digestif et respiratoire. En 1884, Waldeyer décrit un ensemble de tissus lymphoïdes impliqués dans la protection muqueuse du carrefour aérodigestif. Cet ensemble de tissus lymphoïdes regroupés sous le terme d’« anneau de Waldeyer » comprend les amygdales palatines, les amas lymphoïdes situés en arrière du « V » lingual, les amygdales nasales (ou végétations) et les amas lymphoïdes associés à la trompe d’Eustache [50]. Les tissus lymphoïdes associés au tube digestif sont les plaques de Peyer de l’intestin grêle, l’appendice et des amas lymphoïdes disséminés [19]. Le système muqueux se caractérise par l’existence de sites inducteurs et producteurs distincts. Ainsi, les coopérations cellulaires nécessaires à la stimulation des lymphocytes B et à leur commutation isotypique vers les IgA, se déroulent dans les organes lymphoïdes associés aux muqueuses (amygdales, plaques de Peyer…), alors que la différenciation plasmocytaire et la sécrétion d’IgA ont lieu à proximité des sites de sécrétion (glandes salivaires pour la cavité buccale, mais aussi muqueuse intestinale, glandes lacrymales, glandes mammaires…). Cette organisation fonctionnelle implique l’existence d’un système d’adressage (homing) des cellules stimulées dans les sites inducteurs vers les sites de production. Ainsi, la production d’IgAs salivaires implique : – la stimulation par l’Ag de lymphocytes T et B dans les amygdales palatines ou les plaques de Peyer ; – la migration des cellules stimulées vers le tissu conjonctif situé autour des glandes salivaires ; – la différenciation plasmocytaire et la sécrétion de polymères d’IgA dans le conjonctif périglandulaire ; – le transport des pIgA du conjonctif vers la lumière de l’acinus ou du canal (transcytose). L’organisation de ce système est résumée sur la figure 4. 4
Cavité buccale
IgAs
Salive
IgAs
Glandes salivaires
Ag
Plasmocytes
Sang Organes lymphoïdes associés au MALT Lymphocytes stimulés
- Anneau de Waldeyer - Plaques de Peyer
Lymphe
4 Mode de production des immunoglobulines A (IgA) sécrétoires salivaires. Les antigènes (Ag) présents dans la cavité buccale sont transportés vers les organes lymphoïdes associés au système muqueux (amygdales palatines et linguales de l’anneau de Waldeyer et plaques de Peyer). Dans ces organes, les cellules M capturent les antigènes et les transfèrent aux cellules des follicules lymphoïdes sous-jacents. La stimulation antigénique locale de lymphocytes T et B se traduit par l’apparition de lymphocytes Th et de lymphoblastes B IgA+. Ces lymphocytes stimulés quittent les organes lymphoïdes par les vaisseaux lymphatiques, rejoignent la circulation sanguine et migrent jusqu’au conjonctif situé autour des glandes salivaires. Dans le conjonctif périglandulaire, les lymphoblastes B IgA+ se différencient en plasmocytes et sécrètent des dimères d’IgA ([IgA]2J). Ces dimères traversent les cellules des glandes salivaires pour rejoindre la salive et la cavité buccale. Le composant sécrétoire, caractéristique des IgAs, est associé au dimère au cours de cette transcytose. MALT : mucosa-associated lymphoid tissue. Villosités
CR PP
E F
PF
EAF F
F PF Paroi intestinale
5
F
F
* A
F
F
* B
Structure schématique des plaques de Peyer (A) et des amygdales (B). A. Les formations lymphoïdes des plaques de Peyer sont recouvertes d’un épithélium associé aux follicules (EAF) dans lequel on retrouve de nombreuses cellules M. La zone lymphoïde contient des follicules (F) composés majoritairement de lymphocytes B. Les régions parafolliculaires (PF) sont majoritairement constituées de lymphocytes T. B. Les amygdales palatines possèdent une architecture cryptique. L’épithélium de recouvrement (E) pluristratifié s’invagine au niveau des cryptes (CR) et perd sa structure classique pour devenir un lymphoépithélium. La zone lymphoïde possède des follicules (F) constitués de lymphocytes B et des zones parafolliculaires (PF) constituées de lymphocytes T.
¶ Structure histologique des organes lymphoïdes impliqués dans la production d’IgAs salivaires Plaques de Peyer Les plaques de Peyer (fig 5A) sont des formations lymphoïdes localisées préférentiellement dans l’iléon terminal [29]. Les follicules lymphoïdes sont recouverts d’un épithélium appelé « épithélium associé aux follicules » (EAF) qui contient environ 10 % de cellules M. Les cellules M ont été décrites par Owen en 1974 et successivement nommées microfolds cells et membrane cells [19]. Elles sont liées aux entérocytes par des jonctions étroites et des desmosomes, et se distinguent des cellules absorbantes par des microvillosités moins nombreuses, plus courtes et irrégulières. Les cellules M possèdent un noyau en position basolatérale, et une fine bande de cytoplasme apical contenant de nombreuses mitochondries, un système microvésiculaire très développé et peu (ou pas) de lysosomes. Par leurs extensions cytoplasmiques, elles entourent étroitement des lymphocytes et des macrophages [19]. Les cellules M sont spécialisées dans la capture et le transfert de macromolécules, de micro-organismes ou de petites particules de la
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lumière intestinale vers les cellules présentant l’Ag (CPA) auxquelles elles sont étroitement associées. La membrane basale qui sépare l’EAF des follicules lymphoïdes est discontinue, en particulier au niveau des cellules M [29], ce qui facilite les contacts entre les cellules M et les CPA ou les lymphocytes. Les plaques de Peyer contiennent trois zones distinctes selon leur contenu cellulaire :
CD4+) par des CPA, et leur différenciation en Th spécifiques de l’Ag, est donc un préalable indispensable à une stimulation B efficace. Les interactions séquentielles et réciproques entre lymphocytes Th et B se font directement par des molécules membranaires (CD154/CD40, CD28/B7) et indirectement par des facteurs solubles synthétisés par les Th. La commutation isotypique est sous la dépendance d’une coopération Th/B efficace.
– la zone du dôme qui contient des lymphocytes T et B et des macrophages ;
Les Ig sécrétoires salivaires sont très majoritairement des IgA. En effet, Iscaki et Bouvet [27] donnent un rapport IgA/IgA + IgG de 99,7 % dans le canal parotidien, et Brandtzaeg et al [13] décrivent un taux d’IgA dans les sécrétions parotidiennes légèrement inférieur à 100 % des Ig produites, avec un rapport IgA/IgM d’environ 70. Les glandes salivaires produisent 64 % d’IgA1 et 36 % d’IgA2, ce qui représente un pourcentage d’IgA2 important, équivalent à celui retrouvé dans la glande mammaire (40 %), et très supérieur à celui retrouvé dans les sécrétions nasales (7 %), bronchiques (25 %) ou lacrymales (20 %) [13] . Ce pourcentage élevé d’IgA 2 peut être fonctionnellement important, puisque ces molécules sont plus résistantes aux protéases bactériennes que les IgA1.
– les follicules proprement dits, majoritairement composés de lymphocytes B ; – les zones interfolliculaires contenant principalement des lymphocytes T [11]. Les plaques de Peyer possèdent un réseau lymphatique efférent qui conduit les médiateurs immunitaires vers les ganglions mésentériques et le canal thoracique. Amygdales palatines Les amygdales palatines (fig 5B) sont des formations lymphoïdes recouvertes d’un épithélium squameux stratifié non kératinisé. Dans la zone lymphoïde, on retrouve l’organisation classique des organes lymphoïdes secondaires, avec des follicules contenant une majorité de lymphocytes B et des zones parafolliculaires contenant des lymphocytes T. L’épithélium de recouvrement s’invagine pour former des cryptes amygdaliennes. L’organisation de l’épithélium de recouvrement en trois couches distinctes : basale, épineuse et superficielle, est moins évidente au niveau des cryptes, où l’épithélium est infiltré par des lymphocytes. Perry et Whyte [50] décrivent un lymphoépihtélium qui présente les caractéristiques suivantes : des cellules épithéliales de forme et contenu cellulaire modifiés, mais qui sont liées par des desmosomes, la présence d’un infiltrat de cellules mobiles non épithéliales (lymphocytes B et T, macrophages, cellules dendritiques interdigitées, cellules de Langerhans) et la présence d’une vascularisation intraépithéliale. La présence de cellules M dans les amygdales a été rapportée [26] et Sato et al [55] décrivent une population de cellules épithéliales étroitement associée aux lymphocytes infiltrés dans les cryptes, et possédant certaines caractéristiques des cellules M. Les amygdales sont drainées par un réseau lymphatique efférent analogue à celui des plaques de Peyer. Ce réseau est constitué de vaisseaux lymphatiques sous-folliculaires et interfolliculaires, mais on ne trouve pas de vaisseaux lymphatiques intrafolliculaires ou sous-épithéliaux [20].
¶ Stimulation antigénique La première étape de la stimulation est la capture et le transfert des Ag vers les follicules lymphoïdes. Les amygdales et les plaques de Peyer ne possèdent pas de vaisseaux lymphatiques afférents, le transport des Ag se fait donc par une voie transépithéliale. Les cellules M sont des cellules épithéliales associées aux follicules, et spécialisées dans les fonctions de capture et de transfert de macromolécules, de micro-organismes ou de petites particules. Les cellules M endocytent les Ag par leur pôle apical, et les transfèrent vers des vésicules d’exocytose sans passer par le compartiment lysosomal. Ainsi, la structure des molécules ne semble pas subir d’altération majeure au cours du transport, même si certaines modifications mineures dues à l’environnement acide des vésicules de transport peuvent être observées [18, 19]. Une fois libérées dans la zone folliculaire, les molécules à pouvoir antigénique vont stimuler des lymphocytes T et B. Un lymphocyte B est capable de reconnaître spécifiquement un Ag par ses récepteurs membranaires que sont les IgM et IgD. En revanche, les lymphocytes T ne reconnaissent l’Ag que si celui-ci leur est présenté par des CPA. L’activation de lymphocytes B dans les centres germinatifs et leur transformation en lymphoblastes à IgA nécessitent deux voies de stimulation complémentaires : la reconnaissance spécifique de l’Ag par les Ig membranaires, et la coopération directe avec des lymphocytes T helper (Th) exprimant le CD40L (CD154). La stimulation de lymphocytes T naïfs exprimant le marqueur CD4 (T
La stimulation des lymphocytes B à l’origine de la production d’Ig salivaires induit donc une commutation préférentielle vers les IgA. Le déterminisme du remaniement génétique à l’origine de la commutation isotypique n’est pas encore totalement connu. Cependant, de très nombreux travaux ont analysé les facteurs environnementaux influençant le choix de l’isotype. La nature de l’Ag semble être l’un de ces facteurs. Ainsi, les IgAs obtenues après stimulation par le lipopolysaccharide (LPS) des bactéries à Gram négatif sont généralement des IgA2, alors que celles obtenues après stimulation par des protéines seront majoritairement des IgA1 [11]. Les autres facteurs clairement impliqués dans le déterminisme isotypique sont les cytokines produites par les Th. Deux souspopulations de Th sont classiquement décrites et caractérisées par le profil de cytokines qu’elles produisent : les Th1 sécrètent de l’interleukine 2 (IL2) et de l’interféron c (IFN c), alors que les Th2 produisent de l’IL4, de l’IL5, de l’IL6, de l’IL10 et de l’IL13. Ces deux types de Th ont été identifiés dans les plaques de Peyer en quantités équivalentes [61]. Dans la fin des années 1980, de nombreux travaux sur des lymphocytes murins ont étudié le rôle des différentes cytokines produites par les Th sur la commutation vers IgA [4, 16, 37, 57]. L’ensemble de ces travaux montre que le transforming growth factor b (TGFb) est un puissant activateur de la commutation vers IgA, et que l’IL5 et l’IL2 augmentent la production d’IgA par les lymphocytes B ayant commuté. Les Th sécrétant le TGFb peuvent être désignés par le terme de « Th3 » [65]. L’IL2 et l’IL5 agiraient comme des facteurs de prolifération et de différenciation des lymphocytes IgA+ [35, 57]. L’IL6 est également un activateur de la sécrétion d’IgA en agissant comme facteur de différenciation terminale [5, 40]. Plus récemment, l’IL10 a été impliquée comme facteur de stimulation de la production d’IgA, et Brandtzaeg et al [11] rapportent que des lymphocytes B activés par leur CD40 ne requièrent que du TGFb et de l’IL10 pour sécréter des IgA. L’ensemble de ces données expérimentales montre que la production d’un isotype d’Ig donné dépend d’un équilibre entre différentes cytokines agissant à différents niveaux du cycle de stimulation des lymphocytes B. Pour atteindre leur stade terminal de différenciation, les lymphocytes B stimulés par l’Ag doivent coopérer avec les lymphocytes Th par un contact direct entre leurs molécules membranaires et indirectement par les cytokines synthétisées par les Th. Dans le système sécrétoire, il faut prendre en compte le fait que les premières étapes de la stimulation qui nécessitent le contact direct Th/B, ainsi que les cytokines responsables de la commutation et de l’expansion clonale, ne se déroulent pas dans le même site anatomique que la différenciation plasmocytaire et la sécrétion d’Ig [6]. Pour obtenir des IgAs salivaires, les cytokines nécessaires à la différenciation plasmocytaire et à la sécrétion d’[IgA]2J par les plasmocytes sont donc requises dans le conjonctif périglandulaire. La figure 6 résume le rôle des différents facteurs impliqués dans la production d’IgA. 5
Immunité de la cavité buccale
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Site inducteur = plaques de Peyer Stimulation
Th
B IgM+
Molécules membranaires impliquées TCR +CD4 CD154
Site sécréteur = glandes salivaires
Commutation Prolifération
Différenciation
Sécrétion
B IgA+
Lymphoblastes TGFβ Th3 ?
Plasmocytes
IL 2
CMH II / Ag CD 40
Odontologie/Stomatologie
IL5
IL10
IgA dimère
IL6
Th1 Th2 Th2
6
Effet des cytokines sur la production d’immunoglobulines A (IgA). Les lymphocytes B sont stimulés par la reconnaissance de l’antigène, des interactions membranaires directes avec un lymphocyte Th et des cytokines. Les interactions Th/B sont spécifiques (TCR+CD4/CMH II-Ag) et non spécifiques (CD154/CD40). L’environnement en cytokines détermine l’isotype des Ig produites. Dans les plaques de Peyer, le transforming growth factor b (TGFb) favorise la commutation vers IgA, l’interleukine 2
(IL2) et l’IL5 induisent la prolifération des cellules commutées et leur transformation blastique. Après migration des cellules vers le site sécréteur, l’IL5, l’IL6 et l’IL10 produites localement assurent la différenciation plasmocytaire et la sécrétion de dimères d’IgA. L’IL2 est produite par des Th1, l’IL5, l’IL6 et l’IL10 sont produites par des Th2 et le terme de Th3 a été proposé pour désigner les lymphocytes sécrétant du TGFb.
¶ Adressage des cellules stimulées
superfamille des Ig) exprimée par les cellules endothéliales. De plus, la molécule CD44, protéoglycan membranaire exprimé par les lymphocytes, est capable de lier la molécule MECA-367 murine, exprimée par les VEH associées au système muqueux. Le CD44 est également capable de lier l’acide hyaluronique, la fibronectine et le collagène, et pourrait donc jouer un rôle dans l’adhésion à la matrice extracellulaire après la diapédèse [54]. Le système décrit ci-dessus fait intervenir des molécules largement exprimées par différents types de VEH. Or, il a été montré qu’il existait un système d’adressage (homing) lymphocytaire conduisant à une migration préférentielle vers tel ou tel organe. Par exemple, des lymphoblastes stimulés dans les plaques de Peyer migrent préférentiellement vers la lamina propria intestinale, même s’ils peuvent également rejoindre d’autres sites sécréteurs [12]. Des travaux récents, rapportés par Brandtzaeg et al [12, 13], montrent que les cellules endothéliales des veinules de la lamina propria de la muqueuse intestinale expriment la molécule mucosal addressin cell adhesion molecule-1(MAdCAM-1) qui lie l’intégrine a4b7 (mucosal homing receptor, LPAM-1) qui est fortement exprimée par les lymphoblastes B IgA+ stimulés dans les plaques de Peyer. La molécule MAdCAM-1 est également exprimée par les VEH des plaques de Peyer, mais pas par celles des ganglions lymphatiques. MAdCAM-1 représenterait donc un élément d’adressage du système muqueux [13]. Cependant, MAdCAM-1 ne semble pas avoir été retrouvée dans les VEH du tissu conjonctif environnant les glandes salivaires, et le système d’adressage vers ce site sécréteur reste à ce jour encore mal défini.
Après leur stimulation dans les organes associés au tube digestif, les lymphocytes T activés et les lymphoblastes B IgA+ vont migrer vers les sites sécréteurs : lamina propria de la muqueuse intestinale ou glandes exocrines (salivaires, mammaires…). Ces cellules vont quitter leur site de stimulation par les vaisseaux lymphatiques, transiter par le canal thoracique, puis rejoindre la circulation sanguine. Les cellules lymphoïdes quittent la circulation sanguine au niveau des veinules à endothélium haut (VEH) dont les cellules endothéliales spécialisées expriment des molécules membranaires qui permettent le recrutement de leucocytes circulants. Les VEH sont retrouvées dans les organes lymphoïdes périphériques tels que les ganglions lymphatiques, les plaques de Peyer ou les amygdales, et permettent la colonisation de ces organes par des lymphocytes naïfs. La circulation permanente de lymphocytes naïfs ou stimulés permet une surveillance optimale de l’ensemble de l’organisme par les cellules immunitaires. Le recrutement de lymphocytes par les VEH passe par des interactions de molécules membranaires, permettant de fixer les lymphocytes circulants (ralentissement puis arrêt par rapport au flux sanguin) et d’induire leur diapédèse. L’expression membranaire des molécules d’adhésion, sur la cellule endothéliale comme sur les leucocytes, peut être constitutive et/ou inductible (par exemple en cas d’inflammation tissulaire). Différentes chimiokines jouent un rôle important dans l’activation du recrutement leucocytaire. Par exemple, la chimiokine 6-Ckine/secondary lymphoid-organ chemokine (6CK/SLC), de la famille des chimiokines CC, activerait l’adhésion rapide des lymphocytes sur les VEH des organes lymphoïdes périphériques. D’autres chimiokines de la famille CXC, telles que le BCA-1 et SDF-1a ont également été impliquées dans le recrutement des lymphocytes [13]. L’adhésion des lymphocytes aux cellules endothéliales se fait en plusieurs étapes successives : un attachement initial par des interactions sélectine/sucre qui permet le rolling des lymphocytes sur l’endothélium, puis l’établissement de liaisons plus fortes entre des intégrines exprimées par les lymphocytes et des molécules d’adhésion appartenant à la superfamille des Ig exprimées par la cellule endothéliale ; ces interactions fortes permettent l’arrêt des cellules par rapport au flux sanguin. Des molécules chimiotactiques induisent ensuite la diapédèse des cellules fixées. Les molécules membranaires classiquement impliquées dans les interactions fortes lymphocytes/cellules endothéliales sont les suivantes [11, 12, 54] : l’intégrine leucocytaire lymphocyte functionassociated antigen-1(LFA-1) (CD18/11a, aLb2 intégrine) lie les molécules intercellular adhesion molecule-1 (ICAM)-1 (CD54, superfamille des Ig) et ICAM-2 (CD120, superfamille des Ig) exprimées par les cellules endothéliales, l’intégrine very late antigen-4 (VLA)-4 (CD29/49d, a4b1 intégrine) exprimée par les lymphocytes lie la molécule vascular cell adhesion molecule-1 (VCAM)-1 (CD106, 6
¶ Différenciation plasmocytaire, production d’IgA et transcytose Après avoir rejoint le conjonctif périglandulaire, les lymphoblastes IgA + vont se différencier en plasmocytes et sécréter des IgA polymérisées (pIgA), majoritairement dimériques. La différenciation plasmocytaire et la sécrétion d’IgA sont sous la dépendance des cytokines produites localement (cf supra). Une fois libérées dans le conjonctif, les pIgA sont transférées vers la salive par les cellules acineuses ou canalaires. Les cellules des glandes salivaires capables d’effectuer cette transcytose sont celles qui expriment un récepteur spécifique pour les Ig polymérisées (RpIg). Ce récepteur (fig 7) est une glycoprotéine de 100 kD appartenant à la superfamille des Ig. Elle possède cinq domaines extracellulaires stabilisés par des ponts disulfures intracaténaires, un segment membranaire de 23 résidus et une queue cytoplasmique de 103 résidus [41]. En plus des deux ponts S-S classiquement retrouvés, le domaine D5 possède un troisième pont disulfure labile susceptible de former des liaisons covalentes avec une autre chaîne. La transcytose commence par la fixation des pIgA sur le RpIg au pôle basolatéral des cellules acineuses ou canalaires des glandes
Immunité de la cavité buccale
Odontologie/Stomatologie
NH2
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Tissu conjonctif
D1 Domaines extracellulaires
(IgA)2J
D2 649 aa D3
Plasmocyte
D4 D5
RpIg
GOLGI Cellule acineuse ou canalaire
SH SH
Membrane plasmique
23 aa
Domaine intracytoplasmique
103 aa COOH
7
Structure du récepteur aux immunoglobulines polymérisées (RpIg). Ce récepteur est une protéine présentant une partie extracellulaire de 649 acides aminés, un domaine transmembranaire de 23 acides aminés et un domaine intracytoplasmique de 103 acides aminés. La partie extracellulaire est constituée de cinq domaines (D1-D5), stabilisés par des ponts disulfures intracaténaires. Le domaine aminoterminal D1 interagit avec la chaîne J, et permet la fixation du polymère d’immunoglobulines sur le récepteur. Le domaine D5 possède deux cystéines susceptibles de former des liaisons covalentes avec les immunoglobulines fixées au récepteur. aa : acide aminé.
salivaires. Différents travaux expérimentaux ont montré que cette fixation se faisait entre la chaîne J et le domaine D1 du RpIg [31, 62]. Cependant, si la pièce J joue un rôle déterminant dans la phase initiale de liaison, il semble que des interactions non covalentes entre le RpIg et les domaines Ca2 et Ca3 soient également nécessaires [45]. La fixation de pIgA sur le RpIg induit l’endocytose du complexe et son transport vers le pôle apical dans des vésicules à surface lisse [41]. Au cours du transport, le RpIg s’enroule autour du dimère d’IgA, et il se forme un pont disulfure entre les domaines D5 et Ca2. Au pôle apical, la fusion de la membrane vésiculaire avec la membrane plasmique, et le clivage du RpIg à la base de son ancrage membranaire, libèrent l’IgAs dans la lumière de l’acinus ou du canal. La figure 8 résume les étapes de cette transcytose. Le RpIg n’est pas spécifique d’isotype, toute Ig polymérisée associée à une pièce J est donc susceptible de se fixer au récepteur et d’être sécrétée. Ainsi, les IgM peuvent subir une transcytose épithéliale. La sécrétion d’IgM est fonctionnellement importante dans les premiers mois de la vie, avant l’obtention d’un taux optimal d’IgA et chez les individus qui présentent un déficit en IgA, chez lesquels les IgM se substituent aux IgA pour assurer la protection périphérique des muqueuses [45, 46]. FONCTIONS DES IgAs
Les IgAs sont les principaux acteurs de l’exclusion immune, c’est-àdire qu’elles permettent l’élimination spécifique, non inflammatoire, des Ag présents sur les surfaces muqueuses. L’étude de souris knock out pour le RpIg, et donc déficientes en IgAs, a bien montré l’importance de cette protection périphérique [45]. Dans la cavité buccale, les IgAs permettent de maintenir l’équilibre écologique par différents mécanismes : – la fixation des IgAs sur les adhésines bactériennes limite les capacités d’adhésion et de colonisation tissulaire des bactéries ; – les IgAs possèdent quatre sites Ac, et sont donc douées d’un pouvoir agglutinant important. L’agrégation des bactéries favorise leur clairance salivaire ; – les IgAs sont susceptibles de neutraliser les toxines bactériennes par formation de complexes immuns.
RER
Lumière glandulaire
8 Sécrétion et transcytose des immunoglobulines A sécrétoires (IgAs). Après différenciation, les plasmocytes du conjonctif périglandulaire vont sécréter des IgA dimériques associées à une chaîne J ([IgA]2J). Ces polymères d’Ig se fixent sur les récepteurs aux Ig polymérisées (RpIg) exprimés par les cellules acineuses ou canalaires des glandes salivaires. Cette fixation provoque l’endocytose du complexe qui est transporté du pôle basal vers le pôle luminal des cellules. Au cours de la transcytose, le domaine D5 du récepteur se lie par un pont disulfure au domaine Ca2 de l’IgA. Au pôle luminal, le récepteur est clivé à la base de son ancrage membranaire, libérant ainsi dans la salive le complexe [IgA]2J-CS qui constitue l’IgAs. Dans un cadre plus général, il a également été montré que les IgAs pouvaient neutraliser les virus infectant les cellules épithéliales lorsque celles-ci expriment le RpIg [ 11 ] . Si cette fonction a probablement une portée limitée dans la cavité buccale, elle peut s’avérer importante dans d’autres sites sécréteurs, notamment au niveau intestinal.
Tolérance orale La tolérance orale se définit comme la capacité de diminuer ou d’abolir la réponse immunitaire systémique par l’administration orale préalable de l’Ag. Cette tolérance est spécifique de l’Ag. On constate en effet quotidiennement que le système immunitaire associé au tube digestif maintient un état d’équilibre permettant de contrôler l’invasion par des pathogènes, tout en tolérant les Ag alimentaires et ceux de la flore digestive commensale. Les modalités exactes de l’induction de tolérance sont encore mal connues. La nature et la dose de l’Ag, le fond génétique ou l’âge du sujet, la composition de la flore digestive, sont autant de facteurs qui vont influencer la réponse muqueuse. Cependant, différentes données expérimentales indiquent que les lymphocytes T CD4+ joueraient un rôle primordial dans la tolérance à un Ag [60, 65]. En effet, les Th différenciés à partir des T CD4+ sont les principaux activateurs de la réponse immunitaire. Il a été suggéré que les conditions de présentation des Ag à ces lymphocytes T CD4 + induiraient leur activation ou leur blocage. Ainsi, les cellules dendritiques présentes dans les formations lymphoïdes associées au tube digestif joueraient un rôle déterminant dans l’induction d’une réponse active ou d’une tolérance. Les CPA sont capables de stimuler les lymphocytes T CD4+ en leur présentant un Ag associé aux molécules de classe II du CMH, et en exprimant les molécules B7.1/B7.2 (CD80/CD86) qui interagissent avec le CD28 exprimé par le T CD4+. Le cosignal délivré par l’interaction B7.1/B7.2-CD28 est nécessaire à l’activation des T. En cas d’absence ou d’insuffisance de ce cosignal, les lymphocytes T CD4+ seraient orientés vers une voie tolérogène plutôt qu’activatrice [60]. L’expression membranaire de B7.1/B7.2 par les CPA serait dépendante de l’environnement en cytokines ou en d’autres facteurs inflammatoires. La tolérance T peut être due à une délétion, une anergie ou une suppression active des cellules. Le mécanisme de la tolérance 7
Immunité de la cavité buccale
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dépend de la dose d’Ag : de fortes doses induisent une délétion ou une anergie, alors que de faibles doses induisent une suppression active par des cellules T régulatrices [65]. Il est intéressant de noter qu’un facteur comme le TGFb est à la fois considéré comme un immunosuppresseur et un activateur de la commutation vers IgA, et donc de la réponse sécrétoire. L’hypothèse selon laquelle la voie buccale peut en même temps induire une réponse protectrice périphérique muqueuse et une tolérance systémique pourrait être particulièrement intéressante, puisque cette voie permettrait à la fois de protéger l’hôte contre la colonisation et l’invasion par les pathogènes, et de limiter le développement d’une réponse immunitaire générale potentiellement dangereuse [17]. Par ailleurs, il a été suggéré que des lymphocytes Tcd joueraient un rôle important dans la régulation de l’induction d’une tolérance orale [24, 34], sans que le mode d’action de ces cellules n’ait été décrit. L’utilisation de la voie buccale est envisagée pour traiter des pathologies immunitaires comme les maladies auto-immunes [65] ou les hypersensibilités, mais également pour le développement de nouveaux vaccins anti-infectieux [17]. Des travaux menés dans le cadre de l’allergie aux métaux ont étudié les possibilités de tolériser un animal ou de désensibiliser des individus allergiques par voie buccale. La tolérance au cuivre obtenue chez le cobaye est dépendante de la dose et de son fractionnement : une dose tolérogène unique induit une meilleure tolérance que la même dose fractionnée en plusieurs injections [64]. Chez l’être humain, il a été suggéré que le port d’un appareil orthodontique préalablement au percement des oreilles serait un facteur protecteur vis-à-vis du développement d’une allergie au nickel [63]. Cependant, les essais cliniques de désensibilisation par ingestion de sels de nickel ont donné des résultats variables [1].
Immunité buccale et carie dentaire PATHOLOGIE CARIEUSE
La carie dentaire est une destruction des tissus dentaires minéralisés d’origine bactérienne. Les bactéries cariogènes sont capables d’adhérer à la surface dentaire et/ou à la plaque dentaire, et possèdent un métabolisme fermentaire qui conduit à la libération d’acide lactique par fermentation des sucres d’origine alimentaire. Cette libération d’acide lactique entraîne la déminéralisation de l’émail et de la dentine, et donc le développement de la lésion carieuse. Cependant, si la présence de bactéries cariogènes est nécessaire au développement de la lésion carieuse, il est reconnu que la carie dentaire est une pathologie multifactorielle dans laquelle le facteur alimentaire et l’hôte sont des éléments déterminants. Les bactéries reconnues comme les facteurs étiologiques de la carie dentaire ont été successivement Steptococcus mutans et des lactobacilles. Il est maintenant admis que les streptocoques du groupe mutans, en particulier S. sobrinus et S. mutans, jouent un rôle majeur dans l’initiation et le développement du processus carieux [23]. Cependant, ces bactéries sont des constituants habituels de la flore buccale, et la carie dentaire ne se développe que lorsqu’il existe un déséquilibre entre la prolifération de ces micro-organismes et les capacités d’élimination de l’hôte. Généralement, le facteur alimentaire est un élément décisif : une alimentation sucrée, en de multiples prises, favorise le développement carieux. Soulignant l’importance du facteur alimentaire, Bowen [9] décrit cette pathologie comme a dieto-bacterial disease. En plus du facteur alimentaire, un déséquilibre salivaire quantitatif ou qualitatif peut être associé au développement carieux. D’un point de vue immunitaire, la protection contre la carie dentaire relève avant tout de l’exclusion immune. En effet, la déminéralisation des tissus dentaires commence en périphérie, par une atteinte amélaire, pour se propager dans la dentine et finalement atteindre la pulpe. La première protection contre la carie est donc représentée par l’ensemble des facteurs limitant la colonisation des tissus dentaires par les bactéries cariogènes. Nous avons vu que ces 8
Odontologie/Stomatologie
facteurs sont non spécifiques et spécifiques, et que les acteurs les plus puissants de l’immunité spécifique buccale sont les IgAs. Il a également été suggéré que des IgG d’origine sérique pourraient jouer un rôle. Dans la salive, les IgG sont en quantité beaucoup moins importante que les IgAs, et ont un pouvoir agglutinant plus faible ; leur efficacité est donc très limitée. Cependant, ces Ig pourraient moduler la colonisation bactérienne pendant l’éruption, lorsque la couronne émerge de la gencive et qu’elle est donc en contact direct avec l’exsudat gingival d’origine sérique [53]. La présence d’IgG dans les canalicules dentinaires a été montrée, mais la possibilité que ces Ig puissent limiter l’invasion bactérienne de la dentine en limitant l’adhésion sur le collagène n’a pas été évaluée [53]. VACCINATION ANTICARIE
Les premiers essais de vaccination contre la carie dentaire chez l’animal datent de la fin des années 1960 [8] et se sont ensuite largement développés. Le premier intérêt de ces études a été d’établir le rôle déterminant de S. mutans dans l’induction de la carie, et de démontrer le rôle protecteur des IgAs. En 1990, Michalek et al [42] chez l’animal et Childers et al [15] chez l’homme ont étudié la possibilité d’induire des IgAs contre le carbohydrate définissant les sérotypes de S. mutans. Le modèle animal montre que l’immunisation par voie buccale ou gastrique avec le carbohydrate inclus dans des liposomes induit une réponse IgAs qui réduit la présence de S. mutans dans la plaque, ainsi que l’activité carieuse [42]. Actuellement, les recherches concernant le développement d’un vaccin contre la carie dentaire s’orientent d’une part vers l’identification du ou des meilleurs Ag permettant d’induire une protection sans risque pour l’individu, et d’autre part évaluent les conditions vaccinales (adjuvants, voie d’inoculation…) nécessaires à l’obtention d’une réponse protectrice efficace. Compte tenu de l’existence d’autres méthodes de prévention de cette pathologie, il est également nécessaire de se poser la question de l’intérêt d’une telle vaccination. L’identification des Ag pouvant induire une réponse protectrice découle des connaissances acquises sur le développement de la lésion carieuse. L’Ag I/II est une adhésine de la surface de S. mutans qui permet son adhésion sur la pellicule acquise recouvrant la surface de l’émail. L’Ag I/II permet également l’adhésion de S. mutans sur d’autres micro-organismes préalablement fixés sur la surface dentaire (colonisateurs précoces). Cette coagrégation bactérienne se développe par l’intermédiaire de protéines salivaires qui forment des ponts entre les adhésines des colonisateurs précoces et l’Ag I/II de S. mutans [23]. L’AgI/II possède aussi la capacité de lier le collagène et d’autres molécules de la matrice extracellulaire, ce qui contribuerait à l’invasion dentinaire [23]. L’ensemble de ces caractéristiques fait de l’AgI/II un bon candidat comme Ag vaccinal. De plus, il a été montré que des IgAs anti-Ag I/II inhibent la fixation de l’Ag I/II et de S. mutans sur de l’hydroxyapatite recouverte de salive [23]. Par ailleurs, le développement de la plaque bactérienne s’accompagne de l’accumulation de S. mutans par un mécanisme d’adhésion saccharose-dépendant. Des glucosyltransférases (GTF) présentes sur la face externe de la paroi de S. mutans participent à la synthèse de glycans extracellulaires. Ces enzymes catalysent l’hydrolyse du saccharose libérant du glucose et du fructose, et le transfert du glucose vers la molécule de glycan en formation. Les GTF permettent la fixation de S. mutans aux glycans extracellulaires par une liaison enzyme/substrat. S. mutans et S. sobrinus possèdent différentes GTF qui produisent différents types de glycans solubles et insolubles. Les glycans insolubles semblent plus directement impliqués dans le pouvoir cariogène. D’autres protéines, les glucan binding proteins (GBP), qui ne possèdent pas d’activité enzymatique mais un site de liaison aux glycans, permettent l’adhésion de S. mutans sur les glycans extracellulaires. L’accumulation saccharose dépendante jouant un rôle déterminant dans le développement d’une plaque cariogène, les facteurs qui favorisent cette accumulation, tels que GTF et GBP, sont d’autres Ag candidats pour une vaccination. Il a été montré que des IgAs provenant de salive humaine neutralisent l’activité enzymatique de la GTF [59].
Odontologie/Stomatologie
Immunité de la cavité buccale
La voie d’inoculation de la solution vaccinale détermine le type de réponse immunitaire. Dans le cas d’une vaccination anticarieuse, le but est d’obtenir des IgAs salivaires limitant la colonisation des surfaces dentaires par les bactéries cariogènes et/ou le développement d’une plaque cariogène. L’obtention d’IgAs passe par la stimulation du système immunitaire associé aux muqueuses. La stimulation par voie orale semble la plus évidente, et différents travaux ont montré que cette voie permettait d’obtenir des IgAs salivaires spécifiques de l’Ag vaccinal [15, 42]. Cependant, la voie nasale a également été évaluée et semble potentiellement intéressante [53]. Des études chez les rongeurs ont montré que la voie nasale pouvait être plus efficace que la voie buccale pour obtenir des IgAs salivaires [53]. Chez l’homme, la voie nasale permet la stimulation de tissus lymphoïdes de l’anneau de Waldeyer, et il a été suggéré que les lymphoblastes stimulés dans ces tissus, notamment dans les amygdales palatines, étaient susceptibles de migrer vers un site effecteur associé aux glandes salivaires [28]. La forme vaccinale est également importante : la stimulation par des Ag solubles est souvent peu efficace, voire tolérogène (cf supra), et il est nécessaire de conditionner l’Ag avec un adjuvant et/ou un système d’enrobage. La toxine cholérique est un puissant adjuvant de l’immunité muqueuse qui a montré son efficacité chez l’animal. Cependant, elle ne peut être utilisée telle quelle chez l’homme du fait de sa toxicité. Des progrès technologiques récents permettent de produire une protéine recombinante contenant le site de liaison de la toxine cholérique au ganglioside (site actif du pouvoir adjuvant), et dépourvue de la sous-unité toxique. L’activité adjuvante de cette toxine recombinante a été montrée chez l’animal, et est donc une voie intéressante pour la vaccination humaine [23]. L’enrobage dans les liposomes [42] ou des microsphères permettant de délivrer l’Ag sous une forme particulaire a également montré son efficacité, probablement en protégeant l’Ag de la dégradation gastrique, et en favorisant sa capture par les cellules M. Des études récentes ont établi que l’encapsulation de l’Ag dans des liposomes ou des microsphères en association avec un adjuvant donnait des réponses en IgAs salivaires satisfaisantes chez la souris [23]. L’inclusion d’Ag vaccinaux dans des vecteurs microbiens tels que la forme avirulente de S. typhimurium est également à l’étude [23]. Dans le cas de maladies infectieuses, le protocole vaccinal classique avec plusieurs injections intramusculaires ou sous-cutanées de l’Ag va induire une réponse humorale et cellulaire secondaire et une mémoire immunitaire durable (rappels tous les 5 à 10 ans). Dans le cas d’une stimulation muqueuse, il a été montré qu’il existait une production d’IgAs spécifiques de l’Ag en réponse à la stimulation, mais la cinétique de la réponse secondaire et l’existence d’une mémoire durable ne sont pas démontrées. Ainsi, on peut penser qu’une stimulation muqueuse ne protège l’individu que pendant une courte période, par rapport aux durées habituellement attendues dans le cas de vaccinations classiques. De plus, il n’a jamais été établi que les individus qui présentent un indice carieux élevé possèdent une moins bonne réponse sécrétoire que les individus exempts de lésion carieuse. Par ailleurs, Brandtzaeg et al [13] insistent sur le fait que le système sécrétoire spécifique protège les muqueuses, en association avec les facteurs immunitaires non spécifiques. À la lumière de l’ensemble de ces données, on peut penser que l’intérêt de la vaccination anticarieuse n’est pas démontré et que la carie dentaire peut être prévenue par des moyens plus simples, tels que l’hygiène buccale et la réduction du nombre de prises et de la consommation globale de saccharose. Cependant, dans une revue récente, Hajishengallis et Michalek [23] décrivent une fenêtre d’infectiosité par S. mutans située entre 19 et 31 mois, avec un âge moyen de 26 mois, et montrent que l’infection précoce (autour de 2 ans) par S. mutans n’est corrélée avec un indice carieux à 4 ans plus sévère que lorsque l’infection est plus tardive. Ces auteurs proposent donc de « protéger » la période correspondant à cette fenêtre d’infectiosité par une vaccination, afin d’abolir ou de retarder la colonisation des dents par ces bactéries cariogènes. De plus, ces auteurs proposent une seconde période de vaccination pour protéger la période d’éruption des dents permanentes. La première immunisation serait donc donnée vers 13 ou 14 mois, et la
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seconde peu après l’âge de 5 ans. Cette vaccination ne serait proposée qu’à des individus reconnus comme à risque élevé : individus incapables de réaliser une hygiène buccale satisfaisante, individus présentant des défauts de structure de l’émail, enfants dont les mères ont un fort taux salivaire de S. mutans, classes socioéconomiques défavorisées [23]. En tout état de cause, il est nécessaire de prendre en compte le fait que la maladie carieuse ne met pas en jeu un pronostic vital, et donc que le risque vaccinal doit être négligeable. Dans les premiers protocoles vaccinaux, il avait été rapporté que des lapins hyperimmunisés avec des streptocoques mutans pouvaient développer une réponse contre des antigènes exprimés par le muscle cardiaque. Les Ag vaccinaux préconisés dans les nouveaux protocoles ne présenteraient pas ce risque [23]. De plus, un vaccin anticarieux doit être spécifique des bactéries cariogènes afin de ne pas déséquilibrer la flore commensale de la cavité buccale. En effet, il est admis que la flore commensale d’une niche écologique constitue l’un des éléments de l’équilibre écologique local et de la prévention contre l’installation des pathogènes. Cela a d’ailleurs été souligné dans le cas de la carie dentaire, puisque les auteurs qui préconisent une immunisation avant l’éruption des dents insistent sur le fait que protéger la période d’éruption permet d’une part que les couronnes dentaires soient colonisées par d’autres microorganismes moins - ou pas - cariogènes, ce qui pourrait rendre plus difficile la colonisation par S. mutans, et d’autre part que la maturation postéruptive de l’émail puisse se faire en l’absence des principales bactéries cariogènes [23].
Immunité du parodonte Les tissus parodontaux sont avant tout protégés par les médiateurs spécifiques (IgAs) et non spécifiques du système périphérique qui limitent la colonisation tissulaire par les bactéries de la cavité buccale. En cas de déséquilibre écologique (consommation fréquente de sucres, absence d’hygiène, déficit salivaire qualitatif ou quantitatif…), la flore buccale peut proliférer et envahir les tissus. L’invasion bactérienne des tissus parodontaux peut résulter d’une destruction dentaire (carie) avec infection pulpaire puis périapicale, ou de la prolifération d’une plaque sous-gingivale qui conduit à l’infection du parodonte par voie sulculaire. Dans tous les cas où il y a une infection bactérienne tissulaire, il existe une réponse inflammatoire locale et une stimulation de l’immunité spécifique générale dont les médiateurs participent à la réponse locale. L’inflammation contribue à protéger l’organisme de l’infection ; dans la majorité des cas, la lésion reste circonscrite au site infectieux. Cependant, l’association infection-inflammation s’accompagne d’une altération tissulaire locale qui peut, dans le cas du parodonte, conduire à une destruction osseuse et une perte d’attache. Cet exposé s’intéresse aux mécanismes immunitaires impliqués dans la réponse antibactérienne, et aux données actuelles sur leur implication dans différentes pathologies parodontales. IMMUNITÉ ANTIBACTÉRIENNE
Les bactéries qui pénètrent dans un tissu traversent le revêtement épithélial pour atteindre le tissu conjonctif. L’épithélium de recouvrement est constitué de kératinocytes et de cellules non kératinocytaires, parmi lesquelles on retrouve des cellules infiltrées qui proviennent de la circulation sanguine via le tissu conjonctif : les cellules de Langerhans et les lymphocytes Tcd. Lorsque les bactéries pénètrent dans le tissu conjonctif, elles induisent une réponse inflammatoire locale non spécifique, et une réponse immunitaire spécifique dans les organes lymphoïdes drainant le territoire infecté. Ces deux voies de l’immunité agissent en synergie pour circonscrire l’infection et éliminer les bactéries. Deux mécanismes principaux permettent l’élimination des bactéries : les protéines du complément et la phagocytose par les macrophages, et les polynucléaires neutrophiles. 9
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¶ Cellules de Langerhans Les cellules de Langerhans sont des cellules issues de la lignée monocyte/macrophage qui infiltrent les épithélia de la peau et des muqueuses. Elles sont identifiables morphologiquement en microscopie électronique par la présence de granules de Birbeck. Ces cellules expriment des molécules de classe I et de classe II du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH). Leur principale fonction est de présenter les antigènes aux lymphocytes T dans les organes lymphoïdes secondaires. Ainsi, après avoir capturé l’Ag, ces cellules migrent de l’épithélium vers le conjonctif, puis, par les vaisseaux lymphatiques, jusqu’aux ganglions lymphatiques. Les épithélia des muqueuses buccales possèdent de 160 à 550 cellules de Langerhans par mm2, en fonction de leur degré de kératinisation, et le nombre de ces cellules augmente en cas d’inflammation [58].
¶ Lymphocytes Tcd Deux sous-populations de lymphocytes T se distinguent par leur récepteur pour l’Ag (TCR) : les lymphocytes Tab et les lymphocytes Tcd. Les lymphocytes Tcd sont très minoritaires dans le sang circulant et sont retrouvés principalement dans les épithélia de la peau et des muqueuses. Les Tcd périphériques sont majoritairement CD4−, CD8− (doubles négatifs), alors que la muqueuse intestinale humaine contient des lymphocytes Tcd intraépithéliaux CD8+, mais dont le CD8 est un homodimère aa contrairement à sa forme habituelle ab. Les lymphocytes Tcd CD4+ sont extrêmement rares. Les Tcd reconnaissent l’Ag indépendamment des molécules de classe I ou de classe II du CMH, et les modalités de la reconnaissance par le TCRcd seraient plus proches de celles des Ig que de celles du TCRab [14] . Les Tcd seraient susceptibles de reconnaître des protéines de stress et représenteraient une première ligne de défense lorsque l’épithélium est altéré. Différents mécanismes effecteurs ont été décrits pour les Tcd [32] : d’une part ces cellules sont capables de produire différentes cytokines telles que IFNc, IL4, tumor necrosis factor a (TNFa) et d’autre part des Tcd stimulés en culture peuvent devenir cytotoxiques. Certains travaux ont montré qu’il existait peu de Tcd dans la gencive saine [33], mais que leur proportion augmentait avec l’augmentation de l’infiltrat inflammatoire en cas de gingivite ou de parodontite [21].
¶ Système du complément Le système du complément comprend neuf protéines (C1 à C9) activées en cascade par une voie spécifique (voie classique) ou non spécifique (voie alterne et voie des lectines). La voie classique commence par l’activation du C1 par un complexe Ag/Ac lorsque les anticorps (Ac) sont des IgM, des IgG1 ou des IgG3. La voie alterne permet une activation directe du C3 ; elle peut être activée par différents stimuli, dont le LPS de la paroi des bactéries à Gram négatif et les acides téichoïques de la paroi des bactéries à Gram positif . Dans l’ordre où elle se produit, l’activation des facteurs C2, C4, C3 et C5 se fait par clivage des composés inactifs en deux fragments : C2→C2a + C2b, C4→C4a + C4b, C3→C3a + C3b, C5→C5a + C5b. Les molécules C3a, C4a et C5a sont des anaphylatoxines libérées lors de l’activation, qui participent à l’inflammation en augmentant directement et indirectement la perméabilité vasculaire et le chimiotactisme des polynucléaires. Les autres composants se fixent sur les membranes cellulaires ou les parois bactériennes, et participent à la cascade d’activation qui conduit à la formation du complexe d’attaque membranaire qui perfore les membranes cellulaires. Le complexe d’attaque membranaire est constitué par plusieurs unités de C9 (au minimum six) qui s’associent aux composants C6, C7 et C8 activés fixés sur une membrane, s’insèrent dans la bicouche phospholipidique de cette membrane et forment des pores. La perforation de la membrane plasmique par le complexe d’attaque membranaire entraîne la mort de la cellule. Les bactéries possèdent une paroi qui recouvre la membrane plasmique, et dont la structure distingue les bactéries à Gram positif et à Gram négatif. La paroi des bactéries à Gram positif est constituée d’un peptidoglycan épais sur lequel le complexe d’attaque membranaire n’a aucun effet. La paroi des 10
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bactéries à Gram négatif est formée d’un peptidoglycan fin recouvert par une membrane externe constituée de phospholipides et de LPS. Les bactéries à Gram négatif sont donc susceptibles d’être atteintes par le complexe d’attaque membranaire du complément. Cependant, certaines bactéries à Gram négatif résistent à l’action lytique du complément. En particulier, Wilson et Genco [66] ont montré que Actinobacillus actinomycetemcomitans activait la voie alterne du complément par son LPS, mais n’était pas sensible au complexe d’attaque membranaire. En effet, certaines bactéries à Gram négatif possèdent un système de résistance à la lyse complémentaire par altération de l’assemblage C5-C9 à la surface de la paroi bactérienne, ou par inhibition de l’insertion du complexe d’attaque membranaire dans la membrane externe. Ainsi, il a été montré que les chaînes latérales du LPS pouvaient agir sur ces deux voies. De même, l’insertion du complexe d’attaque membranaire est prévenue par la présence d’une capsule chez les souches encapsulées. Certaines protéines insérées dans la membrane externe seraient également susceptibles d’altérer l’assemblage C5-C9 par un mécanisme analogue à celui de la protectine humaine (CD59), dont le rôle est de protéger les cellules de l’organisme de l’action lytique du complément [52]. En plus du complexe d’attaque membranaire, le système du complément participe à l’immunité antibactérienne par les anaphylatoxines libérées (C3a, C4a et C5a) et par le C3b qui est une opsonine non spécifique (cf infra). L’opsonisation par le C3b est un élément essentiel de la défense antibactérienne, en particulier pour les bactéries à Gram positif qui sont insensibles au complexe d’attaque membranaire. Il a été montré que certains facteurs de virulence des bactéries à Gram positif agissaient en altérant cette opsonisation. Ainsi, la présence d’une capsule prévient l’opsonisation médiée par le C3b, et la protéine M de S. pyogenes diminue les capacités de fixation du C3b sur la paroi, ainsi que la liaison du C3b sur son récepteur à la surface des polynucléaires neutrophiles [43]. Le système du complément est donc activé par une voie non spécifique et une voie spécifique. Lors d’un premier contact avec un antigène, la voie non spécifique est activée en premier ; la voie spécifique n’est activée que lorsque les Ig reconnaissant l’Ag sont produites, c’est-à-dire quelques jours plus tard. Lors d’un deuxième contact avec le même Ag, les Ac susceptibles de former des complexes immuns sont présents ou apparaissent très rapidement, et les deux voies d’activation sont déclenchées presque simultanément, la réponse est donc plus efficace.
¶ Phagocytes Les deux catégories cellulaires susceptibles de phagocyter et de détruire les bactéries sont les macrophages et les polynucléaires neutrophiles. Ces cellules sont non spécifiques et naturellement capables de phagocytose, mais leurs capacités de phagocytose sont fortement potentialisées par certaines molécules. Ce mécanisme d’amplification de la phagocytose est connu sous le terme d’ « opsonisation », et les molécules facilitantes sont appelées « opsonines ». L’opsonisation peut être spécifique ou non spécifique ; les opsonines sont, soit des IgG, soit le C3b. Wilson et Genco [66] ont montré que l’élimination d’A. actinimycetemcomitans nécessitait la présence de polynucléaires neutrophiles, et que cette élimination était optimale en présence de C3b et d’IgG spécifiques. La synergie entre les mécanismes non spécifiques et spécifiques est donc également retrouvée pour l’activation des phagocytes ; un individu préalablement stimulé qui a développé une réponse spécifique répond plus rapidement et plus efficacement qu’un individu non immunisé. IMMUNITÉ ET MALADIES PARODONTALES
La maladie parodontale apparaît lorsqu’une flore parodontopathique s’accumule dans le sillon gingivodentaire et induit une inflammation gingivale persistante. Elle se traduit par une destruction de l’os alvéolaire, une diminution de l’attache qui peut aller jusqu’à la perte de la dent. Il est admis que le facteur
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bactérien est indispensable et déclenche le processus qui conduit à la maladie. Cependant, la présence de bactéries parodontopathiques et de leurs facteurs de virulence ne suffit pas à expliquer la résorption osseuse, même si ceux-ci y contribuent. La destruction osseuse est attribuée au développement exagéré et/ou à la persistance d’une réponse inflammatoire de l’hôte, en réponse à l’infection bactérienne. La réponse inflammatoire est une réponse normale qui tend à circonscrire l’infection et à éliminer les pathogènes, mais qui peut aussi entraîner une destruction locale des tissus infectés. Ainsi, chez des individus immunocompétents, les atteintes parodontales sont rarement associées à une altération de l’état général, mais peuvent se traduire par une destruction importante de l’os alvéolaire. La résorption osseuse est un phénomène physiologique normalement compensé par une apposition. L’os alvéolaire est normalement remanié avec une alternance des phases de résorption ostéoclastique et d’apposition ostéoblastique. Ces mécanismes physiologiques sont largement contrôlés par différentes hormones et des cytokines dont certaines sont directement synthétisées par des cellules immunitaires spécifiques et non spécifiques [2]. L’IL1, l’IL6 et le TNFa ont été clairement associés à l’activation de la résorption osseuse. Graves [22] rapporte que, dans un modèle de parodontite expérimentale chez le singe, l’inhibition du TNFa et de l’IL1 entraîne une diminution de 56 à 80 % du recrutement de cellules inflammatoires dans le conjonctif gingival, une diminution de 67 % du nombre d’ostéoclastes et une diminution de 60 % de la résorption osseuse. Le TNFa et l’IL1 n’agissent pas directement sur la résorption osseuse mais modulent l’expression de chimiokines et de molécules d’adhérence. Ainsi, la production de la chimiokine macrophage chemoattractant protein 1 (MCP-1) est activée par le TNFa et l’IL1. Cette chimiokine est produite par des monocytes, des cellules endothéliales et des ostéoblastes stimulés par certaines infections bactériennes ; elle active le recrutement tissulaire de monocytes circulants et pourrait donc contribuer à l’inflammation locale et à la destruction de l’os alvéolaire [22]. Les cellules de la lignée monocyte/macrophages joueraient donc un rôle important en produisant de l’IL1 et du TNFa. Les polynucléaires neutrophiles sont considérés comme protecteurs car ils permettent l’élimination des bactéries pathogènes. Cependant, ils sont aussi capables de sécréter de l’IL1 et du TNFa. Différentes études dans le cas de parodontite apicale après infection pulpaire [39]
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ou dans un modèle murin d’infection par P. gingivalis [2] semblent montrer un effet globalement protecteur de ces cellules. Ceci est en accord avec le fait qu’un déficit qualitatif ou quantitatif des neutrophiles est associé à une plus grande fréquence et une plus grande sévérité des parodontopathies ; par exemple, la parodontite juvénile localisée a été associée à un défaut du chimiotactisme des neutrophiles. Les lymphocytes Th participent à la régulation de la réponse inflammatoire par leur sécrétion de cytokines. L’IL6 sécrétée par les Th2 est un activateur de la résorption osseuse [2]. Il a été montré que des souris knock out pour IL6 ou déficientes en T CD4 + ne présentaient pas de perte osseuse après infection par P. gingivalis [3]. De plus, les lymphocytes T activés peuvent exprimer le RANKligand, une protéine normalement exprimée par les ostéoblastes, et qui participe au recrutement des précurseurs des ostéoclastes en se liant à la protéine RANK [2]. Les lymphocytes T pourraient donc participer à la résorption osseuse, indirectement par la sécrétion d’IL6, et directement par le recrutement de précurseurs ostéoclastiques. Les parodontites sont associées à une augmentation du taux d’IgG sériques contre P. gingivalis et/ou A. actinomycetemcomitans [67] qui est corrélé avec celui du fluide gingival [36], ce qui traduit l’existence d’une réponse humorale systémique à l’infection bactérienne. Il a été montré que des cellules sécrétant des Ac spécifiques pouvaient également être isolées de la gencive enflammée [47]. Ces Ac ont un rôle protecteur en participant aux mécanismes de défense antibactérienne. Cependant, une activation polyclonale de lymphocytes B a été décrite dans l’infiltrat inflammatoire, sans que le rôle exact de cette activation non spécifique soit déterminé. En conclusion, la maladie parodontale est une maladie infectieuse d’origine bactérienne. Les réponses inflammatoires et immunitaires spécifiques sont des réactions physiologiques à une invasion tissulaire par des micro-organismes, et elles permettent de circonscrire l’infection en périphérie. Cependant, certains facteurs libérés lors de ces réactions peuvent contribuer à la destruction des tissus parodontaux. Les travaux portant sur les mécanismes de régulation des réponses inflammatoires et immunitaires devraient apporter une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques et contribuer à la prévention de ces maladies, d’autant plus que leur caractère familial laisse supposer l’existence de prédispositions génétiques.
Références ➤
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