(Hellywood) (FR) - Livre de Base [PDF]

  • 0 0 0
  • Gefällt Ihnen dieses papier und der download? Sie können Ihre eigene PDF-Datei in wenigen Minuten kostenlos online veröffentlichen! Anmelden
Datei wird geladen, bitte warten...
Zitiervorschau

TOUGH BEAR Pour Chloé et Noémie, quand elles seront plus grandes… Conception : Emmanuel Gharbi Développement : Emmanuel Gharbi, Raphaël Andere Système de jeu : John Grumph, Pascal Guillout, Raphaël Andere, Pierrick « Akhad » May et Emmanuel Gharbi Conception graphique et illustration de couverture : Pierrick « Akhad » May Illustrations intérieures : Pierrick « Akhad » May, Stephane De Caneva, John Grümph Maquette et mise en page : Pierrick « Akhad » May et John Grümph Logo Hellywood : Cécile Maurin-Costard Documentation : James Crook Relecture et corrections : Loris Gianadda, Ebatbuok, Guillaume « Ikaar » Vasseur, Frédric « Danilo » Toutain Suggestions, coups de main, fines remarques ou bottage de cul : Pascal Guillout, Jérôme Larré, Anthony « Yno » Combrexelle, Laurent Devernay, Frédéric « Lordsamael » Boulard, Matthieu « Myrkvid » Destephe, Antoine Bauza, Alexandre Clavel, Laurent Devernay Testeurs : Pascal Guillout, Aurélie « Udju » Guillout-Rossi, Anne Davoust, Pierrick « Akhad » May, Cécile Maurin-Costard, Raphaël Andere, Matthieu Gonbert, Isabelle Gharbi, Sandrine et Jean-François Couderc, James Crook, Benoît Felten, Loris Gianadda, Matthieu « M » Cuenin, Jiohn Guilliann, Saki, Adj, Melwen, Paul-Henri « Pitche » Verheve, Jérome Larré, Matthieu « Myrkvid » Destephe, Laurent Devernay, David Loubaresse et Fred, Philippe « Maître Evrard » Lhomme, Didier et M.C Guillaume, Marc « Welby » Bouvier ainsi que tous les sympathiques joueurs rencontrés en convention, notamment la CJDRA et Objectif Jeu. Merci à Raphaël, Pierrick, Grümph, Stéphane et Pascal pour leur talent, leur implication et leur motivation, sans lesquels Hellywood n’existerait pas. Merci à Isabelle, pour le soutien sans faille. Merci à mes parents, pour les soirées familiales devant « La dernière séance » de M’sieur Eddy. Merci à Jérôme Larré pour ses conseils avisés. Bises à tous ceux qui ont participé à l’aventure Ballon-Taxi, au sein duquel Hellywood a mûri. On a passé de sacrés bons moments ! « Go back to Jersey, Sonny. This is the City of the Angels and you haven’t got any wings » Dudley Smith, L.A. Confidential

RÉSERVÉ À DES LECTEURS MATURES

John Doe Editions 26, rue des Girolles 95280 Jouy-le-Moutier

SOMMAIRE INTRO..............................................................................6 WELCOME TO HEAVEN HARBOR................... 12 HEAVEN HARBOR FIELD GUILD.....................46 TAPIS VERT............................................................ 186 PUR NOIR................................................................234 HELLYWOOD STORIES.....................................270

4

INTRODUCTION

INTRODUCTION

5

INTRODUCTION « Vous cherchez un endroit pour vivre, travailler et prospérer ? Un lieu où fonder une famille ? Une ville dont vous serez fier ? Bienvenue à Heaven Harbor, la ville la plus accueillante de la Côte Ouest. Ici les terrains sont bon marché et il y a du travail pour tous. Ici, rien ne peut être refusé à un honnête travailleur capable de retrousser ses manches. Heaven Harbor aime les gens intrépides, courageux et décidés. Rejoignez-nous sur la route du progrès et goûtez à la douceur de vivre que seule notre belle cité est capable de vous offrir… » Communication de la mairie d’Heaven Harbor

BIENVENUE DANS HELLYWOOD, LE JEU DE RÔLE HARDBOILED FANTASTIQUE. VOUS TROUVEREZ DANS CE LIVRE DE BASE TOUT CE DONT VOUS AUREZ BESOIN POUR CRÉER DES PERSONNAGES TYPIQUES DE CET UNIVERS NOIR ET DÉSESPÉRÉ, AINSI QU’UN DÉCOR OÙ LES FAIRE ÉVOLUER : LA VILLE D’HEAVEN HARBOR.

«  Heaven Harbor, la perle de la Côte Ouest. Le lieu où il faut être vu. L’endroit où tout se passe. Ici et nulle part ailleurs, comme on dit dans les revues. Bienvenue, amigo  ! Oui, toi le bouseux débarqué de Ploucville directement dans l’endroit le plus à la coule du continent. Tu t’attends au paradis sucré comme sur les grands panneaux au bord de l’autoroute ? Perdu, mon gars, ici le glamour n’est qu’une façade. Les jolies lolitas des trottoirs refilent la bléno à leurs michés et t’as pas les moyens de frayer avec les putes de luxe. Mais t’es un affranchi, un vrai dur ? Tu viens ici pour réussir, hein  ? Heaven Harbor est un clapier puant où seuls les plus méchants gardent la tête hors de l’eau.

T’as intérêt à te mettre vite fait au parfum, ami bouseux, si tu ne veux pas profiter d’une visite de la baie par le fond. Ici, politicards et gangsters signent des pactes de nonagression avec des forces innommables et t’as pas intérêt à te mettre en travers de leur route ou la mort sera le cadet de tes soucis. Va falloir être futé pour creuser ton trou sans qu’il soit une fosse. Ici tout a un prix. Et pour te servir de guide, amigo, Whispers est le seul choix raisonnable. Le seul qui te dise tout sans rien cacher. Qui baise qui et qui touche les enveloppes de qui. Whispers est ton seul copain, foi de Harvey Weimbaugh ! »

«  J’ai toujours eu bien plus peur des ténèbres contenues dans le cœur de chaque homme que de celles auxquelles nous vouent les pasteurs dans leurs sermons. Parce que dans mon boulot, je vois tous les jours les ravages que peuvent causer la haine, la cupidité et la bêtise. Le mal à l’état pur est là, en chacun de nous. On raconte que l’Enfer s’est ouvert sur Terre et que les créatures infernales se sont mêlées aux hommes. Moi je dis que tout ça, c’était déjà là, c’est juste

sorti au grand jour. La colère et la haine étaient ancrées dans le cœur des hommes bien avant que l’Enfer ne devienne la porte d’à côté. Ce qui se passe derrière cette porte, j’en sais foutre rien, mais je ferai comme d’habitude : j’attendrai de voir ce qui en sort et je m’occuperai des salopards. De n’importe quel type de salopard… »

Article de Whispers

Un flic d’Heaven Harbor

La face sombre Crime. Violence. Corruption. Manipulation. Argent. Pouvoir. Sexe. Haine raciale…

Janvier 1949

Autant d’éléments quotidiens de la vie d’un « tough guy » à Heaven Harbor, qu’il soit flic, truand ou simple quidam tentant de survivre. Meneur de jeu – nous parlons pour notre part de Voix Off – Hellywood

vous propose d’entraîner vos joueurs et leurs personnages dans un monde sinistre et sans espoir. Un enfer urbain. La ville ici, est un piège, au sens littéral. Le danger est partout. Depuis le mystérieux Jour des Cendres, l’Enfer lui-même semble être plus proche  : des créatures non humaines sont apparues dans les rues d’Heaven Harbor et les velléités d’entités démoniaques sont venues exacerber les appétits humains. Que vos buts soient purs ou que vous soyez pourri jusqu’à l’os, n’oubliez pas : on peut courir longtemps, mais on est toujours rattrapé par son passé, sa nature profonde et ses démons, qu’ils soient intérieurs ou bien réels.

POURREZ-VOUS SURVIVRE ?

Le jeu Ce livre est tout ce dont vous aurez besoin pour explorer l’univers d’Hellywood et son décor, la ville d’Heaven Harbor, en 1949. Vous y serez guidé par Terry Doyle, un ex-flic qui connaît la réalité des choses. Plus que vous ne l’imaginez… Doyle n’est pas seulement un enquêteur hors pair, connaissant sur le bout des doigts le monde du crime et du vice. Comme quelques autres, Doyle est aussi capable d’invoquer et de négocier avec de puissantes entités surnaturelles, les Asservis, et leurs serviteurs, les Démons.

Le premier chapitre permettra à Doyle de se présenter, mais également de parler de l’histoire de sa ville et de ses secrets, des étranges événements du Jour des Cendres et des créatures qui ont fait leur apparition dans Heaven Harbor  : Golems, Succubes, Séraphins, Possédés… Suivra un long chapitre qui décrira Heaven Harbor par le menu, quartier par quartier, thème par thème. Nous quitterons Doyle pour le troisième chapitre qui vous présentera les règles du jeu. Puis, nous essaierons de vous donner conseils et outils pour bâtir vos parties. Enfin, deux scénarios et des pistes de campagne clôtureront cet ouvrage.

INTRODUCTION

9

Noir, c’est noir Le hardboiled est né dans les années 30. Pour la première fois, la littérature criminelle descendait dans la rue et ne se cantonnait plus aux assassinats feutrés dans des manoirs anglais. Le crime, présenté crûment, devenait un révélateur des travers de la société et des réalités de la rue, le tout sur un ton désenchanté et pessimiste. L’atmosphère, l’ambiance, l’étude de caractères et le réalisme social passent alors devant la simple résolution d’une énigme. Dans les tasses des héros, le Jack Daniel’s a remplacé le thé bergamote. Bien entendu, le cinéma s’est très vite emparé des atmosphères expressionnistes du roman noir et les principaux héros hardboiled, les Sam Spade et autres Philip Marlowe, ont rapidement pris vie sous les traits de Bogart ou de Mitchum. Le hardboiled a depuis lors vécu une vie prospère, aussi bien cinématographique que littéraire, et des auteurs comme Michel Connelly ou James Ellroy continuent aujourd’hui à alimenter notre soif de pages couleurs noir et sang… Hellywood se veut avant tout un hommage à ces œuvres noires. Ici, vous ne trouverez donc pas de héros immaculés. Tout le monde est gris. Hellywood est un monde d’aventures urbaines où se bousculent des thèmes aussi durs que la corruption généralisée, la violence et le crime, le désespoir et la fatalité. Les personnages qu’incarneront vos joueurs seront, dans le plus pur sens du terme, des durs-à-cuire (littéralement  : hardboiled), des survivants qui mènent leur bonhomme de chemin. En dehors des lois communes et de la morale, ne répondant à aucun autre code d’honneur que celui qu’ils se sont forgés avec leurs semblables, les tough guys mènent

10

INTRODUCTION

leur vie comme ils l’ont décidé et vont toujours jusqu’au bout, quoi que ça puisse leur coûter. Ils connaissent la réalité de la nature humaine. Pour la plupart, ils sont marqués d’un sceau indélébile par leur passé. Ils connaissent bien leurs propres travers, ces démons qui les rongent de l’intérieur. Ils ont beau caresser l’espoir de temps à autre, ils ne se leurrent jamais vraiment  : on n’échappe pas à son passé, pas plus qu’on n’échappe à sa vraie nature. Surtout dans un univers où vos désirs les plus secrets peuvent être réalisés par d’avides tentateurs démoniaques… Pourquoi avoir ajouté une dimension fantastique à Hellywood  ? Les thèmes abordés par le jeu - duplicité, trahison, noirceur de l’âme humaine, violence ou intolérance - sont plutôt éprouvants et pas forcément marrants à explorer de manière naturaliste. Le fantastique permet de les exacerber sans pour autant tomber dans un réalisme trop glauque. Le fantastique n’offre pas une excuse aux personnages vils et corrompus - ils le sont de leur propre fait – mais permet de grossir le trait sans tomber dans l’insupportable. Toutefois, nous avons voulu ce fantastique « discret ». Vous ne trouverez pas de magiciens dans les rues d’Heaven Harbor. Les manigances des Asservis tiennent plus de la lente corruption que de l’obtention de super-pouvoirs. Enfin, Hellywood n’e st pas un univers pulp. Pas de scènes d’action plus grandes que nature, pas de princesses sauvées par de nobles héros, pas de méchants ricanant sous cape. Ici, le mal a un visage humain. A Heaven Harbor, les princesses finissent dans les rues, à faire le tapin pour payer leur dose…

Le lieu et la date Pour situer les aventures urbaines d’Hellywood, nous avons décidé d’avoir recours à une ville imaginaire, une abstraction, une sorte de monstre de Frankenstein composé de tas de morceaux arrachés à d’autres cités, une véritable collection de clichés. Nous l’avons baptisée Heaven Harbor. Heaven Harbor est LA ville. Par essence, le hardboiled est un genre urbain. Les tough guys n’ont que faire de ce qui se trouve à l’extérieur de leur ville. Elle est leur terrain de chasse, leur domaine aussi bien que leur prison. Chère Voix Off, Heaven Harbor est donc votre ville. Ne vous sentez pas limité et mettez y tout ce qui vous plaît, tous les symboles urbains qui définissent, pour vous, le Noir et son ambiance. Elle n’est pas précisément localisée, sachez juste qu’il s’agit d’une ville de la côte ouest des EtatsUnis, vraisemblablement californienne, et qu’elle dispose d’un grand port. Vous pouvez décider de la situer ailleurs  : que le port s’ouvre sur le Pacifique ou les Grands Lacs

importe en réalité peu. Virez les palmiers et c’est bon  ! La ville doit être avant tout, dans Hellywood, une abstraction, un piège, un labyrinthe dont les personnages ne s’échapperont pas. Quant à la date, elle a été fixée de manière plus précise, en début d’année 1949. Mais Hellywood n’est pas une uchronie détaillée. Ce n’est pas son propos. D’ailleurs, à quoi cela servirait-il ? Les personnages ne sont pas là pour secourir le monde ou en changer les fondements. C’est déjà bien s’ils survivent à leur quotidien... L’état du monde, vous pensez bien qu’ils s’en tapent. C’est pour cela qu’à part de grandes lignes, vous ne trouverez pas d’état détaillé et descriptif du monde qui entoure Heaven Harbor. Ce n’est pas cela qui va changer la vie des tough guys. Considérez que les grands événements internationaux sont restés identiques. La seconde guerre mondiale s’est terminée comme dans notre réalité. La guerre froide l’a suivie et le Jour des Cendres n’y a finalement rien changé.

Petite précision à toutes fins utiles : Hellywood est un jeu, rien qu’un jeu. Bien entendu, certains thèmes du roman et du film noir sont durs et dans la grande tradition des ces histoires, Hellywood vous propose d’interpréter des types pas franchement sympathiques évoluant dans des milieux durs et dangereux. Mais nous sommes entre grandes personnes, hein ? Pour que les choses soient claires : nous ne faisons pas ici l’apologie du crime, du sexisme, du racisme, de la violence, de la drogue ou de la corruption. Ces thèmes ne sont utilisés qu’à des fins romanesques et nous espérons évident que nos textes les dénoncent avec véhémence. Pour autant nous ne jetterons pas non plus de voile pudique sur ces travers malheureusement bien réels… On compte sur vous pour appréhender ces thèmes avec prudence et intelligence. Tout comme on imagine bien que vous n’allez pas faire une invocation démoniaque après avoir lu ce bouquin ! Sur ce, bon jeu !

INTRODUCTION

11

CHAPITRE 1 WELCOME TO HEAVEN HARBOR

Coupures de presse

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

13

En guise de présentation… UN COIN DE PARADIS

Mon nom est Terry Doyle, j’ai 36 ans. Je vis depuis toujours ici, à Heaven Harbor, la ville que l’on surnomme parfois Hellywood. Je m’en suis parfois éloigné mais j’y suis toujours revenu. Pas que ce soit mieux ici qu’ailleurs. Mais j’ai cette ville chevillée au corps, quoi que je fasse. C’est comme mon boulot. Flic. J’ai beau ne plus l’exercer officiellement, j’é tais, je suis et je serai toujours flic. C’e st comme une odeur dont on n’arrive pas à se débarrasser, quel que soit le nombre de douches qu’on prend. Une seconde peau. Je pense en flic. Je réagis en flic. Putain, je mange même comme un flic. Avant d’aller plus loin, sachez-le  : je n’ai pas une très bonne réputation. On pourrait même dire qu’elle est exécrable. J’ai fait un peu de bien mais pas avec assez d’acharnement. J’aurais pu faire plus. On a dit pas mal de choses différentes sur moi  : que j’étais une ordure, que j’étais un vendu, que j’ai tué des gens. Tout cela est vrai. En partie et selon le point de vue qu’on choisit. Ceux qui me connaissent résument cela simplement  : je porte la poisse. C’est sans doute vrai. Les gens ont toujours eu une fâcheuse tendance à mourir autour de moi. Si rien de tout cela ne vous gêne et que mes informations, forcément partielles et orientées, vous intéressent, continuons…

14

Si vous avez envie de me suivre, je vous parlerai de ma ville, Heaven Harbor, de son histoire et de son actualité. Des étranges événements qui s’y sont déroulés et qui l’ont changée, à tout jamais. Des ordures qui la saignent à blanc et des gens bien qui sont son âme et son souffle. Ensemble, nous arpenterons ses ruelles et nous irons au fond des choses. N’attendez pas de moi la vérité. Je n’y crois pas. C’est un truc subjectif, la vérité, parce que chacun a la sienne. Qui est mauvais, qui est bon ? Tout ça c’est des conneries. Je suis flic, alors je crois aux faits, aux actes. Et c’est ce que je vais vous donner, des faits et des actes. Certains sont révoltants, sordides ou simplement tristes. Mais ils ne mentent pas. Ils sont ce qui arrive aux gens, ce qui brise les vies et engendre les drames. Je ne crois pas non plus au destin, à la rédemption ou à toutes ces conneries. Je ne crois pas qu’on naît bon ou mauvais. On est ce qu’on fait. Je n’ai jamais jugé un mec sur sa couleur, ses fringues ou sa tronche. Les salopards font des trucs de salopards, d’où qu’ils viennent. La capacité au mal est la plus communément répandue parmi les êtres humains. Heaven Harbor est à l’image de ses habitants  : ni bonne, ni mauvaise. Elle vit simplement sa vie. C’est cela qui est parfois dur à saisir : elle n’est pas une mais multiple. Et il n’y a pas de vérité immuable pour la définir.

DES MONSTRES PARMI NOUS

Le Jour des Cendres est sans doute ce qui vous intéresse en premier lieu. Rien de plus normal après tout, on ne vit pas la répétition de la fin du monde tous les jours. Un beau matin de mars 1942, les portes de l’Enfer se sont ouvertes au cœur d’Heaven Harbor. Dit comme ça, ça semble quelque chose, hein ? C’est à la fois vrai et faux.

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

Vrai parce que soudain, chacun eut la preuve qu’un autre monde, un au-delà, existait bien et qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’on apprenait dans les livres. Surtout, on découvrit avec horreur qu’il n’était pas vide. D’étranges créatures pénétrèrent dans notre réalité  : golems, succubes, séraphins. Des corps fraîchement décédés se relevèrent, habités d’une nouvelle conscience  : les possédés. Ceux d’entre eux qui s’exprimèrent, peu nombreux, nous parlèrent de «  l’autre côté » : un univers étrange, reflet maladif et distordu du nôtre, hanté par des démons avides d’émotions humaines, rassemblés sous la direction d’étranges entités  : les Asservis. Les nouveaux arrivants étaient en fait des réfugiés, fuyant une vie d’esclave. Quand à la barrière qui nous avait toujours séparés des Asservis et de leurs serviteurs, elle s’était soudainement affaiblie  : il était maintenant possible de joindre ces êtres. De leur demander service. Ils n’attendaient que cela. Faux parce que finalement, les choses continuèrent presque comme avant. Ce que je viens de vous dire, nous sommes très peu à l’entrevoir. Pour la plupart des gens, cela reste une lointaine abstraction qui se résume à la seule présence tangible de ces réfugiés, qu’ils appellent « cornus » ou «  infernaux  » comme ils qualifient de «  nègre  » l’homme à la peau noire. Il n’y

a d’ailleurs pas eu «  d’invasion  »  : voyant leurs esclaves se barrer, les Asservis ont eu vite fait de fermer les vannes et de bloquer le passage. Le reste, on en parle beaucoup mais on n’en sait finalement pas grandchose. Commercer avec les Asservis et leur clique est une chose difficile et dangereuse, que seules quelques personnes sont capables de faire. Aucune magie, aucune puissance divine, ne s’est manifesté. Aucun changement majeur, pas de révolution. Contrairement aux annonces des prédicateurs, ce ne fut pas le début de l’Apocalypse. Les transfuges ont fini par se fondre à notre population. Les pires histoires circulent mais qui a vraiment commercé avec un démon  ? Et qu’en a-t-il retiré ? En réalité, ça n’a fait que rajouter une couche de pourriture sur ce qui existait déjà, une possibilité de corruption de plus. Les démons ne sont à mon sens rien de plus qu’une mafia parallèle. Je reviendrais en détails sur ces événements, au fur et à mesure de notre découverte d’Heaven Harbor. Ce que je voulais juste vous dire, c’est qu’il faut garder à l’esprit que, comme tout ce qu’elle a vécu depuis son origine, la ville a également digéré ce qui s’est passé ce jour là. Avec d’autant plus de facilité qu’en matière de monstres, Heaven Harbor n’a jamais été avare.

Parcours d’un flic Puisque nous allons faire ensemble un bout de chemin, il est peut-être nécessaire que vous me connaissiez mieux. Comme vous le verrez, je ne suis pas objectif et cela est sans doute dû à mon histoire. Je reconnais facilement que je suis cynique et intransigeant. C’est sûrement pour camoufler la colère qui ne me quitte jamais vraiment. En savoir un peu plus sur moi vous permettra peut-être de faire la part des choses.

FILS DU HOOK

Je suis né dans le Hook Quarter, un des plus vieux quartiers d’Heaven Harbor. Autrefois, c’était un quartier de pêcheurs. Lorsque la ville grandit, on y construisit de belles maisons à colonnades, serrées le long des rues escarpées. Un vrai morceau de Nouvelle Angleterre face aux vagues du Pacifique. De ce passé glorieux, il ne restait déjà plus grand-chose lorsque j’étais gosse. Les riches avaient migré vers les collines. Seuls les moins aisés étaient restés et devaient partager leur vieux quartier avec de nouveaux venus débarqués d’Allemagne, de Pologne ou de Russie. Un sacré mélange, pas toujours réussi. Mon père adorait ce quartier et ne l’aurait quitté pour rien au monde. Lui, l’écrivain raté qui donnait des cours d’histoire pour survivre, n’était pourtant pas vraiment à sa place dans le Hook devenu populaire et ouvrier. Mais c’était chez lui. Mon enfance dans cet endroit fut écartelée entre deux mondes. D’un côté, il y avait la rue, dont je découvris très jeune la réalité, les codes et les dangers. Je sortais en douce de chez moi pour rejoindre les bandes de gosses du Hook et j’appris à me battre pour tenir ma place. Dans le même temps, je vivais au milieu d’intellectuels, réunis autour de mon père. J’appris très vite à lire et bientôt je piochais dans l’incroyable bibliothèque familiale, qui semblait inépuisable. Mon jeune frère Andy enfant doux, sage et studieux, refusa toujours de me suivre dans mes aventures urbaines.

16

Il n’a jamais compris cette compulsion et encore aujourd’hui, c’est une des choses fondamentales qui nous séparent. J’ai très longtemps refusé d’ouvrir les yeux mais j’ai finalement dû reconnaître que mon père était un alcoolo et un incapable. J’ai vu trop d’épaves comme lui dans ma vie de flic pour pouvoir encore le nier. Ce n’était pas un mauvais type, remarquez, juste un minable. Ne croyez pas pour autant que ce fut une crapule : il était bien trop trouillard et pas assez dégourdi pour cela. Il ne faisait tout simplement rien, blâmant les autres pour ce qu’il n’entreprenait pas, nous rebattant les oreilles de la grande œuvre qu’il finirait par écrire et qu’il n’a jamais mise en chantier. Il était en colère contre tout et buvait, sombrant peu à peu dans une apathie alcoolisée. Ses amis finirent par l’éviter et ma mère, nous traînant mon frère et moi derrière elle, mit les bouts avec son crétin de vendeur de piscines texan. Lui, c’était un gagnant, fier de l’être et de le faire savoir. Je ne supportais pas cette nouvelle vie, loin du Hook et de ma liberté. J’enchaînais les conneries. A l’école, on me disait à la fois brillant et asocial. Je finis par me faire virer. Je fis plusieurs fugues. Un jour, j’avais alors treize ans, Bill le Texan fit une remarque de trop. Je le cognai et bousillai sa caisse, sa plus grande fierté. Je passai alors quelques mois en maison de redressement, ce qui ne fit que m’endurcir. A ma sortie, ma mère refusa de faire face et me renvoya illico dans l’appartement crasseux de mon père, dans le Hook. A tout prendre, je préférais ça. Mon père était quasiment ivre en permanence et me laissait livré à moi-même  : je pus continuer ma découverte d’Harbor. Tout en poursuivant mes études, je traînais avec des types dangereux et méchants qui m’embarquaient dans leurs sales coups. Par chance ou par scrupule, je ne fis jamais la connerie de trop qui aurait pu me coûter la vie ou la liberté. Un temps, j’ai caressé l’espoir

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

de devenir écrivain, sans doute par esprit de revanche. J’aurais réussi là où mon père avait échoué et j’aurais pu lui cracher mon mépris à la gueule. Par curiosité, je suivais des cours de droit. Enfin, sur un coup de tête et profitant d’une large campagne de recrutement, je m’engageais dans la police. En réalité, le choix était logique, mais je ne l’ai compris que bien plus tard.

TROUVER SA VOIE

Depuis mon plus jeune âge, j’étais victime d’incoercibles cauchemars, emplis de pleurs, de douleur et d’effroi. Je n’en gardais au réveil qu’un souvenir flou mais profondément angoissant. La violence qu’ils suggéraient me fascinait autant qu’elle me révulsait. Je sentais confusément l’existence d’un mal primordial, profondément ancré en chacun de nous, comme une noirceur intérieure, un prédateur à l’affût. Un soir dans le Hook, je vis pour de vrai ce dont l’être humain était capable. Un jeune type que je connaissais, camé jusqu’aux yeux, s’en prit à un vieil homme du quartier pour lui piquer quelques dollars. Alors que le vieux était déjà à terre, le junkie se mit à le frapper comme un dément, des poings et des pieds, sa hargne redoublant au fur et à mesure que le vieux se recroquevillait sur le pavé. Il le tua ainsi, sur un coin de trottoir. L’injustice de cet acte et la honte de n’être pas intervenu me brûlèrent les entrailles. Mes rêves devinrent alors d’une troublante réalité. Ils étaient invariablement peuplés de meurtres atroces, de crimes horribles. Les fantômes blafards des victimes hurlant leur dépit hantaient mes nuits. En grandissant, je réussis à rejeter mes cauchemars vers la vaste décharge de l’inconscient. Mais le sentiment d’injustice et d’abandon resta sous-jacent et ce fut sans doute cela qui me poussa à signer le contrat du Heaven Harbor Police Department. Je savais dès le départ que je ne changerais pas grand-chose. Je ne pouvais rien réparer. Les flics arrivent toujours trop tard, quand le mal est déjà fait. Je pouvais juste, en quelque sorte, équilibrer un peu la balance. La loi et son respect ne m’ont jamais intéressé. Seule m’importait la souffrance des victimes.

Mon père se ficha de mon entrée chez les flics comme il se fichait de tout le reste. Il n’était déjà quasiment plus conscient de ce qui l’entourait tant il picolait. A ma sortie de l’académie, je fus confié aux bons soins du sergent Joel Cox, un colosse baryton. Il fut mon partenaire de patrouille pendant deux ans et m’apprit tout ce qu’un rookie doit savoir. Il m’aimait bien mais me reprochait continuellement d’être trop sérieux et trop distant. Je ne socialisais pas avec les collègues, je ne rigolais pas à leurs blagues. Il avait raison  : c’est à ce moment là que je forgeai ma réputation de prétentieux pédant. Mais je m’en foutais. Je voulais quitter l’uniforme pour devenir détective, le plus vite possible. Pour avoir plus de poids. En dehors de mes heures de patrouille, je bûchais comme un forcené.

MISSION ET COMPROMISSION

Un soir de janvier 1935, alors que mon partenaire était monté se faire tailler une pipe par une pute de Natividad, je surpris le braquage d’un drugstore. Comme un imbécile, je fonçais seul. J’abattis deux truands et je pris trois balles dans le corps. Je mis du temps à m’en remettre. Andy et ma mère vinrent me voir plusieurs fois mais cela ne contribua pas vraiment à nous rapprocher. A ma sortie de l’hôpital, le maire Kerney me remit une jolie médaille. Mais plus important, je reçus mon badge de détective de district. Deux jours après cette cérémonie, j’enterrais mon père. Je ne l’avais quasiment plus revu depuis mon entrée dans la police. Andy se déplaça aux funérailles mais nous échangeâmes à peine quelques mots. Nos relations se résument depuis à une carte de vœux, chaque année. Mon badge en poche, je pus me consacrer entièrement à ma mission. Rapidement, j’obtins une affectation aux Mœurs, puis, enfin, à la Criminelle. Je n’ai jamais su respecter les règles et ça m’a valu très tôt des ennuis. J’avais de l’instinct, comme disait Cox, mais je ne savais pas travailler en équipe. Je voulais chasser seul. Je multipliais les inimitiés et je n’avais aucun sens politique.

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

17

Devant la hiérarchie, je foutais les pieds dans le plat là où il aurait fallu la fermer. De toute façon, mon empathie «  naturelle  » avec les victimes mettait mal à l’aise les autres flics : dans la police on cultive le détachement comme une vertu cardinale. Être trop impliqué est considéré comme malsain. Or, je prenais chaque dossier comme une croisade personnelle. Acharné à combattre «  ma  » vision du mal, je n’ai jamais hésité à violer le règlement, à utiliser un moindre mal pour en détruire un plus grand. Mes fréquentations étaient jugées « peu reluisantes », je n’hésitais pas à pactiser avec certains criminels pour en atteindre d’autres. Dans le fond, ce n’est pas ce qui gênait les autres flics. Ce qui posait problème, c’est que je ne soutenais pas ceux qui avaient la « préférence » de mes collègues. Malgré le ressentiment et les tracasseries administratives, j’obtenais de bons résultats. Je pouvais enfin combler en partie cette envie brûlante de rendre la pareille, de faire mal à ceux qui font mal. De leur rentrer dedans, de leur faire cracher leur morgue et demander grâce. J’étais fait pour ce boulot. Ma vie personnelle était chaotique, au mieux. Des relations éparses et fugitives. Je n’ai jamais rien construit. J’ai même beaucoup cassé. En quelque sorte, j’avais peur de l’avenir, je ne voulais voir que le présent. Je savais mieux que quiconque ce qui arrive aux gens qui se croient heureux, à l’abri. Il valait mieux ne rien avoir à perdre et je m’y employais, parfois avec dureté.

FLIC ET MÉDIUM

Et puis vint le Jour des Cendres. Il aurait pu totalement changer ma vie si je l’avais voulu. L’événement en lui-même, je le vécus comme tout un chacun, dans l’hébétude et l’incompréhension. Mais les cauchemars revinrent. Plus intenses et plus profonds. Et pour la première fois, je savais quoi faire d’eux. Éveillé, je pouvais les faire surgir, leur répondre et leur imposer ma volonté. Et cela ouvrait des portes. L’apprentissage fut long et dangereux. Je commis plusieurs erreurs qui auraient pu être fatales. Je découvris peu à peu la vérité derrière les rumeurs : je découvris les Asservis et les démons. J’aurais pu devenir le

18

meilleur invocateur privé d’Heaven Harbor. J’aurais pu tout gagner. Mais j’étais un flic. Ces mecs là manigançaient des saloperies alors je leur suis rentré dans le lard. Je serais sûrement déjà mort si l’un d’entre eux, Mr Clay, ne m’avait pas trouvé à son goût. Mes obsessions l’amusaient et je pouvais lui être utile : ce type-là aime s’assurer que personne ne va trop loin, d’un côté comme de l’autre. Fin 1944, j’eu recours à lui pour résoudre une affaire dont je n’étais même pas chargé. Une gamine avait disparu et tout le monde savait que chaque jour passé réduisait les chances qu’elle soit encore en vie. Les flics piétinaient et la presse s’excitait. Cette histoire me foutait les nerfs, je n’en dormais plus. Alors, je fis un pacte avec le Diable. « Entre deux maux…  » comme on dit. Clay fut ravi et trouva la gamine pour moi. J’y allai dans un état second. Je butai le pervers et sortis la gosse de l’enfer. Pour elle, il avait pris la forme d’un simple pavillon de banlieue en stuc. Je n’ai jamais trouvé de meilleure, ni de plus terrible, image de cette réalité : l’enfer n’est pas celui de Dante. Il est en chacun de nous. Les journaux applaudirent, la mairie assura que j’avais toujours eu son entière confiance pour mener les recherches. Tapes dans le dos et félicitations  : mes collègues bouillaient d’une colère sourde mais j’étais la star du moment. Et puis Whispers, le torchon à scandale d’Harbor, lâcha sa bombe : j’étais l’un de ces « médiums » dont on parlait partout sans savoir qui ils étaient. Weimbaugh, le patron, expliquait que pour trouver la petite, j’avais dû plonger au cœur de la Forbidden City et arracher aux hordes démoniaques leurs affreux secrets. C’était terrifiant mais romantique. J’ai alors passé un sacré sale moment. Les écrivaillons me collaient aux pompes. Je passais de convocation en entrevue. On me menaça, on tenta de me faire expliquer des choses que j’étais moi-même quasiment incapable de verbaliser, on me tabassa même. Mais Harbor voulait son héros. La gosse me réclamait à son chevet. Alors je repris le boulot. Je le reconnais aisément, il s’en suivit un moment d’exaltation, pendant lequel je crus que tout était possible.

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

LA CHUTE

Pas longtemps. Un matin, je trouvais devant ma porte des collègues goguenards. Au tribunal, le juge agita devant mon nez les preuves de ma corruption. Vraies ou fausses ? C’est une longue histoire. Je vous l’ai dit, je n’ai jamais fait la fine bouche devant le type de moyens à employer pour atteindre mon but. Quoi qu’il en soit, ce fut la taule. Fini, le héros. Depuis ma sortie, je n’ai pas fait de vagues. Je fais des trucs, pour des amis. Je continue à utiliser Clay pour arriver à mes fins, tout comme lui m’utilise, en sachant fort bien qu’un jour ou l’autre, l’un des deux trahira

l’autre. Ses copains ont collé un contrat sur ma tête : faut croire que je suis très dangereux pour qu’ils m’en veuillent à ce point. Mais Clay a fait comprendre, à sa manière, que j’étais intouchable. Pour le moment. Je n’ai plus de badge mais je reste flic, quoi qu’il arrive. Certains de mes clients réussissent à me payer, d’autres non. Comme je connais bien la ville et que j’ai su entretenir quelques relations troubles, je survis en revendant des infos à cette crapule de Weimbaugh. Je dors toujours aussi mal : les cauchemars n’ont pas disparu.

Heaven Harbor : a primer Assez parlé de moi. Entrons maintenant dans le vif du sujet et visitons Heaven Harbor. Si vous n’y êtes jamais venus, il faut d’abord apprendre à vous y repérer. Jetez donc un œil sur la carte. Heaven Harbor occupe une presqu’île, une avancée rocheuse dans l’océan Pacifique sur la berge nord de la Sio River. La baie formée par l’embouchure de la rivière est protégée de la houle par une série de tombolos, des bancs de sable naturels, et cette protection en fait un cadre

idéal pour un site portuaire. La ville s’étend à présent sur les deux rives de la Sio River, mais Heaven Harbor au sens propre ne concerne que la presqu’île. C’est une zone très vallonnée, formée de plusieurs collines naturelles qui forment l’ossature de la cité. Vers l’est, à l’intérieur des terres, le paysage s’évase et s’aplanit, s’ouvrant sur la Grande Vallée, chaque jour plus urbanisée. Plusieurs îles émaillent la côte, les deux plus grandes étant Lucky Island et Santa Esperanza.

DOWNTOWN Downtown, c’est le cœur d’Heaven Harbor. La plupart du temps, quand un gars du coin vous parle d’Harbor, il sousentend Downtown. Elle occupe la rive est de Sio River, tout le sud de la péninsule jusqu’à l’océan. C’est une zone totalement urbanisée, si l’on excepte quelques parcs. Ça vous dit, une petite balade ? Commençons par City Hall. Après tout, c’est sans doute là que vous débarquerez, dans la magnifique Grand Central Station, l’une des fiertés de la cité. City Hall est le centre des institutions politiques d’Heaven Harbor : c’est donc aussi le centre de la corruption organisée qui dévore la ville de l’intérieur. C’est le quartier des grands bâtiments officiels comme le City Hall lui-même, le palais de justice, le commissariat central ou le Federal Building. On y trouve également l’imposante Public Library et le Saint John’s Hospital, aux larges murs noircis. Independance Park est une vaste zone arborée. Depuis son coin sud, on dispose d’une vue magnifique sur l’océan. Financial District est le cœur économique et commercial de la ville, là où se dressent les plus grands buildings d’Harbor : le Blaxo Hall, le Roster’s ou le Bergson’s Building. Le cave en visite ne manquera pas de déambuler sur le

20

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

Strand, la plus célèbre avenue d’Harbor, où s’alignent boutiques et hôtels de luxe, restaurants et théâtres. Tout Financial District est une ode au pognon, à la manière de l’accumuler et à la façon de le claquer avec classe. Moins connue est Natividad, pourtant le véritable cœur historique de la ville, au style espagnol. C’est un drôle de coin, tiraillé entre les mouvements de préservation des associations historiques et l’afflux de population hispanique paupérisée. On peut y voir la Mission reconstituée, visiter les halles couvertes, l’Hacienda et quelques façades typiques. On peut aussi aller tirer sa crampe dans les bordels les moins chers et les plus sales d’Harbor, dans la Calle de las Putas. Carnelly Hill est un joli quartier escarpé aux maisons victoriennes vieillottes. L’endroit a longtemps accueilli les émigrants européens, principalement russes et polonais, qui s’entassaient à douze dans une chambre. C’est aujourd’hui un coin à la mode, peuplé d’artistes, d’écrivains, de journalistes... On y baise entre intellos et la came n’est pas ici un vice, mais un art de vivre. La dernière ligne de cable-cars d’Heaven Harbor grimpe le long de Carnelly Hill.

Chinatown est l’un des plus anciens quartiers chinois du pays, un des plus grands aussi. Les restaurants à nouilles et les laveries camouflent les entreprises moins nobles des habitants. Mais vous n’en entendrez pas parler  : ici tout est propre et policé. C’est ce que j’aime à Chinatown  : on lave son linge sale en famille et on se découpe entre chinois sans faire de vagues. À Little Italy aussi on aime le business en famille. Le coin s’appelle normalement Rocket Point mais vu la concentration de trattorias au mètre carré, plus personne n’emploie ce nom depuis bien longtemps. Comme Chinatown, le coin est pittoresque pour le touriste, tranquille pour le flic pas trop regardant et dangereux pour l’imbécile qui veut jouer à l’affranchi sans recommandation. Paddy Hill est l’un des quartiers les plus populaires d’Heaven Harbor et il est traditionnellement occupé par la communauté irlandaise. Ici, tous les fils de famille sont flics… ou pompiers s’ils ont mal tourné. Hook Quarter, mon quartier d’origine, le plus vieux quartier anglo d’Heaven Harbor, descend jusqu’à l’océan et se voit prolongé par la Marina. C’est un coin triste et délabré, aux maisons usées et branlantes, qui ne s’est jamais vraiment relevé de l’incendie de 1908. Il abrite une population d’ouvriers pauvres, travailleurs mais misérables. Remington Heights est le lieu de résidence des riches et des puissants. Sur la jolie colline s’alignent les grandes et belles demeures victoriennes, les pelouses bien tondues et les voitures de prestige. Ici les policiers sont polis et

prévenants, mais seulement si vous êtes résident. Le crime n’est pas absent, il est juste mieux caché. Les sages façades camouflent tout ce que l’argent peut offrir de perversions. University District abrite les prestigieux établissements de savoir d’Heaven Harbor. Les campus sont propres et calmes, les parcs nombreux, l’automne y sent toujours bon. De temps en temps, on y ramasse un jeune en pleine overdose, victime du shoot de trop. Ou bien l’on croise une petite pépée qui paie ses études en écartant les jambes. L’insouciance de la jeunesse… Aisbury Park abrite le plus important ghetto noir d’Heaven Harbor. Dans ses immeubles de briques rouges noircis de crasse, violence et désespoir menacent chaque jour de faire sauter la marmite. Les jeunes gars du coin ont bien pigé que le rêve américain n’était pas pour eux, ou alors qu’il faudrait le gagner à la pointe d’une lame ou d’un flingue. Aisbury Park reste malgré tout l’endroit le plus swinguant d’Harbor pour qui apprécie le jazz. Forbidden City : le meilleur pour la fin, l’enclave que l’Amérique entière nous envie. Depuis le Jour des Cendres, c’est le ghetto des non-humains, les cornus. Forbidden City traîne la réputation d’être à la fois le lieu le plus dangereux et le plus couru d’Harbor. Les putes du Red Light District seraient les plus douées de la ville, la came y serait meilleure qu’ailleurs et même le jazz serait plus intense. Le premier bouseux venu de Ploucville veut faire un tour dans la Forbidden City. Il y laisse parfois plus que son portefeuille.

THE HARBOR On appelle «  The Harbor  » toute la côte nord de la ville, ouverte aux vagues du Pacifique. C’est traditionnellement un lieu de promenade et de loisirs, qui possède aussi sa part d’ombre. La Marina prolonge le Hook Quarter et accueille les navires de plaisance. Endroit étrange, à la fois neuf et vétuste, la Marina est partagée entre des pontons luxueux et de vieux embarcadères de bois pourri où quelque cabanes de pêcheurs n’en finissent plus de s’écrouler. C’est d’ici que partent les ferries qui relient Heaven Harbor à Lucky Island.

Heaven Fairy, le paradis des gosses. Cette fête foraine permanente, construite sur des pontons de bois, accueille chaque soir et week-end d’été la foule familiale d’Heaven Harbor. Un coin sympa malgré les petites frappes qui rackettent les mômes. L’hiver, alors que les attractions sont fermées, la Heaven Fairy se transforme en ville fantôme, où il ne fait pas bon traîner. Paradise Beach et Conception Beach sont réputées dangereuses pour les nageurs à cause de leurs eaux froides et des courants qui se révèlent régulièrement fatals aux surfeurs et aux baigneurs imprudents. Un peu plus loin commence la base militaire de Fort Darrow.

LA SIO RIVER La Sio River est un fleuve sale et boueux. Des deux côtés de son embouchure s’étalent les usines, l’habitat ouvrier, les piers du port, les entrepôts et les voies de chemin de fer. C’est le cœur industriel d’Harbor, là sont produites les véritables richesses. Les Piers regroupent les installations portuaires et sont prolongés par le Warehouse District, longue litanie d’entrepôts et de friches. Je vous conseille de vous méfier de tous ceux qui ne fréquentent pas ce quartier pour y travailler. Les Yards sont les chantiers navals d’Heaven Harbor. Redmond est un grand quartier populaire et ouvrier. Des familles irlandaises, russes, noires et hispaniques

22

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

s’entassent dans de vieux immeubles décrépis. Depuis peu, on y trouve aussi des cornus. Les Fields accueillent les industries d’Heaven Harbor. Usines et hangars se succèdent, certains en pleine activité, d’autres abandonnés et pourris par les mauvaises herbes. En plein milieu trône le no man’s land des Strangler Fields et les milliers de carcasses d’avions de guerre qui y sont entreposées. Ceux qui n’ont plus rien échouent à Hoboland, l’énorme bidonville d’Heaven Harbor, un chancre puant à ciel ouvert. Cabanes de tôles ou de toile, wagons désaffectés et carcasses de bagnoles s’entassent sur les bords de la Sio River.

THE VALLEY Les grandes collines de Mulberry et de Partridge séparent Downtown des districts de la Valley. Chaque jour, l’extension moderne d’Heaven Harbor gagne un peu plus de terrain sur les anciennes terres agricoles et les plantations d’agrumes. Mullberry Hills est le nouveau coin à la mode d’Heaven Harbor. Loin du conformisme de Remington Heights, c’est la colline du fric plaisir, qui se montre et se claque. Le nouveau repaire de ceux qui ont gagné très vite beaucoup d’argent, que ce soit dans le spectacle, les affaires ou le crime. Tout le monde est le bienvenu dans les belles villas de Mullberry Hills. Partridge Hills est un grand quartier populaire surplombant la ville, aux petites maisons coquettes et aux petits immeubles défraîchis. Les amoureux apprécient la vue panoramique depuis la « Promenade » mais évitent avec soin

les réservoirs qui alimentent Heaven Harbor. Depuis la découverte de nombreux cadavres mutilés dans les environs, ils ont une sinistre réputation… Crescent View bouffe chaque jour un peu plus l’espace de la Valley en alignant ses pavillons pour la classe moyenne. L’explosion quotidienne des constructions fait la fortune des promoteurs qui exproprient les vieux culs-terreux pour lotir les jeunes couples en mal de pavillon. Chaque jour une nouvelle route est tracée, un nouveau lotissement mis en chantier. C’est un mélange bizarre de terrains vagues en travaux, de petites maisons proprettes et de vieilles fermes isolées. Tortosa Valley a pour l’instant pu préserver ses belles haciendas et ses larges plantations de fruits où s’échinent les travailleurs clandestins. Pour combien de temps ?

LES ÎLES Deux îles fendent les flots de la baie d’Harbor. Si la première est devenue synonyme de plaisir, la seconde est loin d’être un lieu de villégiature. Lucky Island est le paradis du jeu, abritant hôtels de luxe et casinos. Sortie de l’esprit malade d’un truand new yorkais, Nat Vernon, construite en

grande partie sur les bancs de sable de la baie, l’île est une machine à fric qui tourne tous les jours, 24 heures sur 24. Santa Esperanza n’est qu’un caillou battu par les vents de la baie. Elle accueille les oiseaux de mer et les criminels : on y a bâti la prison du comté.

Histoire et Secrets Vous allez me dire, après le petit tour d’horizon que je vous ai donné d’Harbor, qu’on n’en a pas grand-chose à foutre de son histoire. C’est pas ça qui vous aidera à y voir plus clair. Pour ma part, je n’en suis pas si sûr : la ville saigne encore des blessures du passé. Et certains paient encore le prix d’actes depuis longtemps oubliés. En savoir un peu plus ne devrait pas vous faire de mal, non ? Mon père détestait cette ville et ses habitants. Il la tenait pour responsable de tous ses maux, de sa vie ratée, de ses échecs. Il la disait maudite, pourrie de l’intérieur. Il la

comparait souvent à un fruit trop mûr. Son jus est sucré, il colle aux lèvres et son parfum est enivrant, mais il a aussi un arrièregoût de pourriture dont on n’arrive pas à se débarrasser. Ce qui était drôle, c’est que malgré le dégoût que lui inspirait la ville et ses habitants, il en parlait tout le temps. Il ne pouvait pas s’arrêter. Il connaissait tout de son histoire et des squelettes qui débordaient de son placard. Entre deux cuites, il vitupérait en maillot de corps et j’écoutais patiemment ses incessants discours sur la triste histoire d’Heaven Harbor.

UNE RIVIÈRE ET DE L’OR LES SHOTONAS

Bien avant que les portugais, et à leur suite les espagnols, ne remontent la Sio River à la fin du 16ème siècle, les indiens Shotonas vivaient autour de la baie. D’après mon père, ils vivaient tranquillement là depuis on ne sait quand, profitant des richesses de Mèrela-Terre, sans jamais violer celle-ci, dans une harmonie qui faisait plaisir à voir. De temps à autres, bien sûr, avait lieu une petite guerre tribale parce qu’il faut bien se défouler et que l’homme est faible, d’où qu’il vienne. Mais à part ça, le bonheur. Mon père a toujours raconté beaucoup de conneries sur les indiens. D’après lui, il avait d’ailleurs – et moi aussi, par ricochet - du sang indien dans les veines, et ce malgré ses cheveux blonds et son patronyme à consonance irlandaise. Mais il y tenait dur comme fer à ce sang indien. Il disait que ça faisait de lui un être fier, libre et indomptable. Quelque part, cette terre lui appartenait, en tout cas plus qu’à tous ceux qui s’étaient déversés dessus depuis.

Mais au milieu de ses délires d’ivrogne, mon père disait au moins un truc vrai sur les indiens : Heaven Harbor a été bâtie sur leurs cadavres. Le truc, c’est que ça ne s’est pas arrêté là. Heaven Harbor a prospéré sur une montagne de cadavres venus de tous horizons, elle a grandi en sirotant leur sang. Celui des Shotonas fut juste le premier… Bref, la baie fut découverte à la fin du 16ème siècle, je l’ai dit, mais c’est en 1778 que les espagnols fondèrent la Mission Natividad. On retient aujourd’hui la date du 22 septembre pour célébrer ce non événement, allez savoir pourquoi. Pendant longtemps, ce qui allait devenir Harbor ne resta qu’un pueblo adossé à la mission, puis un fort. Lorsque les États-Unis récupérèrent tout le coin, ce n’était toujours qu’un bourg crasseux, ramassé autour des baraques de pêcheurs, de quelques saloons et magasins de planches, sillonné de chemins de terre prompts à se transformer en boue à la moindre averse. Et puis, la rumeur de l’or a enflé…

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

25

LES TEMPS HÉROÏQUES

En 1848, lorsqu’est soudainement survenue la ruée vers l’or, tout a changé très vite. Des hordes de prospecteurs ont débarqué dans la région et se sont entassés un peu partout, dans une joyeuse anarchie communicative. On cherchait de l’or partout, même là où il n’y en avait pas. Heaven Harbor a littéralement explosé hors de ses limites en quelques jours. On y bâtit à la hâte un labyrinthe de tentes et de baraques, jetant des planches sur la boue en guise de rues. Au rythme des rumeurs colportées par les prospecteurs, la ville se vidait ou s’emplissait soudainement, passant d’un état de ville fantôme désertée par les mineurs à une ruche bourdonnante dès que les filons n’étaient pas au rendez-vous. Quelques-uns faisaient fortune et dépensaient alors sans compter. Puis le cycle recommençait. Harbor se mit à grossir. Elle semblait même se solidifier. Derrière les prospecteurs a suivi toute une faune, des putains aux limonadiers, en passant par les banquiers. Ce sont ceux-là qui firent rapidement fortune et transformèrent un village de toile en une véritable ville. En 1852, quatre ans après l’arrivée des premiers chercheurs d’or, on comptait plus de 20 000 habitants dans les limites toujours fluctuantes d’Heaven Harbor. Cette période héroïque, celle que nos bonnes âmes célèbrent encore aujourd’hui comme la véritable « fondation », fut d’une extrême violence. Harbor eut son compte de sang et de cadavres. Les Shotonas furent au premier rang des victimes : les mineurs forcèrent des tribus entières à quitter leurs terres riches, ou supposées riches, en or. Et qu’importe s’il fallait les sortir de là par la force. Certains ont enrôlé de force les indiens pour creuser à leur côté. Naturellement, lorsque quelques villages eurent le front de se révolter, les bons

pères fondateurs d’Harbor formèrent des milices de volontaires, histoire de mater les indisciplinés. Malgré quelques héroïques résistances, on n’entendit quasiment plus causer des indiens Shotonas dès 1860. Avalés par l’histoire. Seul mon père devait encore se souvenir d’eux… Mais ils furent vite rejoints par d’autres camarades de douleur. Aucune loi ne régnait ici, et de toute façon, aucune autorité n’était là pour la faire respecter. On s’ouvrait mutuellement le ventre pour la taille d’une pépite ou la possession d’un rocher et d’une acre de boue. Lorsque les premières élites décidèrent de civiliser Harbor, la justice rendue ne fut pas plus douce, mais expéditive et meurtrière, dictée par leurs intérêts. Les mêmes types qui avaient été trop heureux d’avoir fait déguerpir les indiens se retrouvaient soudainement virés à leur tour de leurs concessions par des compagnies minières qui commençaient à s’organiser et n’allaient certainement pas reculer devant ça. La roue tourne, comme on dit. Harbor continua son essor. Quelques années plus tard, c’est la fièvre de l’argent qui s’empara des prospecteurs. Mais à cette époque, la ville avait déjà pris le tournant de la modernité, poussée par ses banquiers, ses marchands, ses premiers industriels et ses grands propriétaires terriens. Toutes les grandes fortunes d’aujourd’hui datent de cette époque. Dans la vallée s’installèrent les producteurs de coton et de fruits, au détriment des anciens ranchers dépossédés peu à peu de leurs terres. Le port vit gonfler son activité : on y amena les cultures mais aussi le bois de la vallée. Surtout, le train atteignit la côte et permit de multiplier échanges et activités. Manufactures, chantiers navals, affréteurs, tous suivirent le train et firent d’Harbor ce qu’elle est. Les temps héroïques étaient déjà révolus. Il fallait maintenant s’organiser, produire et prospérer…

LES TEMPS MODERNES L’AFFLUX

Le creuset d’Heaven Harbor continua à se remplir, jusqu’à dégueuler. Après les anglos, les hollandais ou les allemands vinrent les chinois. Plus tard, les juifs, les polonais, les ritals, les irlandais, les japonais... Enfin les mexicains, les noirs et ceux que personne n’attendait  : les cornus. Chaque communauté, prête à bouffer la main de celle d’à côté, dressa son petit ghetto. Depuis toujours, Heaven Harbor repose sur la peur. Elle s’en nourrit comme d’un lait aigre et noir. Les premiers parmi les nouveaux venus à comprendre ce que les Shotonas avaient vite pigé, ce furent les chinois, arrivés avec le chemin de fer et jamais repartis. Bientôt, ils furent l’objet d’une haine irraisonnée. Ces chinois fuyaient les conséquences des guerres de l’opium et prospérèrent dans la restauration, le commerce, la pêche et la blanchisserie  : Harbor était alors une ville d’hommes qui avait besoin de laveries. Le quartier chinois n’avait pas bonne réputation : on racontait que ces gens-là s’organisaient en sociétés secrètes pour régler leurs différends et que leur quartier était un labyrinthe hostile aux blancs. Faut croire que la faute incombe toujours à celui d’en face et bien vite, le chinois fut responsable de tout. Si la compagnie minière m’a viré de ma concession, c’est sûrement de sa faute. Si on le prend pour bosser au chemin de fer, c’est parce qu’il accepte tout passivement, même de trimer pour rien. En plus, avec ses gargotes, il se fait de l’argent sur notre dos. On prit donc l’habitude d’aller de temps à autre se défouler sur un chinois. Un soir de décembre 1875, pour une raison futile dont personne ne se souvient, eut lieu un des événements qui ont façonné Heaven Harbor et dont l’écho se répercute à chaque nouvel avatar de violence. Ce n’est naturellement pas le genre d’événement qu’on commémore. Une vague de colère déferla sur Chinatown et fit une quarantaine de morts en quelques heures. On brisa les vitrines, on tira les habitants hors de leurs logis et on les battit comme plâtre.

On mit le feu à certains bâtiments avant de lyncher quelques vieux désignés comme meneurs ou chefs de gangs. Ce qui tenait alors lieu de force de police ne fit pas grandchose pour endiguer cela. A vrai dire, mon père racontait qu’ils y allèrent allègrement de leur coup de matraque. Après tout, le chinois faisait l’unanimité contre lui. Personne ne fut jamais jugé pour les faits de cette nuit-là. Lorsqu’en 1887, prenant modèle sur d’autres bonnes idées du même genre, l’État décida d’interdire aux chinois la possession de terrain, ce ne fut guère une nouveauté pour eux. Personne n’aurait pu souffrir qu’un chinois cultive la terre de la vallée à ses côtés…

LE RÈGNE DE L’ARGENT

Au tournant du siècle, Heaven Harbor était prospère. Le port continuait d’étendre ses piers le long de la baie, alimentés par les fruits et le bois des grandes exploitations. Les chantiers navals fleurissaient. L’armée installa une base militaire. Harbor se spécialisa dans l’équipement électrique. Il fallait répondre aux besoins toujours croissants de la population. Des fortunes se bâtirent dans la confection. Le long de la Sio River commencèrent à s’entasser les usines et les hangars, zébrés de voies de chemin de fer. Plus tard, Harbor, avec un pragmatisme qu’il faut bien saluer, prit le train en marche de l’industrie automobile, puis aéronautique. La ville voulait être moderne, vivre avec son siècle. Les premiers cable-cars montèrent à l’assaut des collines d’Harbor en 1879. Les belles maisons victoriennes se construisirent et la nouvelle élite réclama une ville moderne, confortable et respectable. L’Independance Park fut inauguré en 1883, suivi par d’autres parcs dans de nombreux quartiers. On fabriquait à tour de bras des écoles, des églises, des théâtres, des monuments à la gloire, déjà, de la première génération de fondateurs. Malgré le tremblement de terre et le terrible incendie de mars 1908, qui brûla pendant trois jours, la croissance de la ville ne fut pas enrayée.

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

27

La ville bruisse, la ville fait des affaires, la ville grandit. Elle est déjà percluse par la misère de certains face à l’opulence d’autres, par le crime et la violence. Mais on continue de s’y déverser. Tout le monde a sa chance, non  ? Comme ce cireur de chaussures, devenu limonadier riche à millions juste parce qu’il a eu la bonne idée, au bon moment. Certaines voix s’élèvent bien contre la toute-puissance de certaines familles, ces magnats de l’équipement électrique et du train qui contrôlent sans contrepartie économie, richesses et pouvoir. Ils se piquent de politique, ils créent des journaux pour appuyer leurs campagnes de lobbying. Dans la vallée, la colère gronde : on accuse la ville de détourner l’eau des rivières. Certains petits propriétaires se voient exclure de leurs terres au profit de grandes exploitations ou du train, qui continue à bouffer les terres arables. Retrouvant de vieux réflexes, certains saisissent leurs fusils. Mais ce temps-là est révolu depuis longtemps… La Guerre du Comté, livrée sporadiquement en 1912, se soldera par quelques agents du fisc et banquiers tirés comme des lapins, quelques culs-terreux pendus et beaucoup de rancœurs. La banque a le dernier mot et enlève sa ferme à pépé. Pas grave, en ville, y a de l’embauche, des becs de gaz et de jolies promenades… En ville, les travailleurs tentent aussi de s’organiser face au pouvoir politique et économique des grandes fortunes d’Harbor. Le Harbor Chronicle, créé et possédé par Leland Royce Arbison, magnat de l’industrie, vitupère contre les syndicats, rejoint par l’association des marchands et fabricants, agrégat de grands cultivateurs et marchands locaux. La lutte s’ouvre et se durcit. Les dockers furent les combattants les plus acharnés face aux forces de polices réquisitionnées pour l’occasion  : on créa même une brigade spéciale chargée du cassage de grève. Les industriels firent aussi appel aux gangs, donnant un premier souffle au crime organisé.

28

LES NOUVEAUX VENUS

Il fallait nourrir le monstre. Plus de monde, plus de vie. Les noirs s’installèrent surtout au début du siècle. Dès les années 20, ils furent confinés à certains quartiers, comme Aisbury Park, qui recevaient déjà moins de subsides que le reste de la ville. Ceux qui vinrent plus tard en masse du sud, pendant la guerre, pour travailler à l’industrie de l’armement, s’entassèrent dans les mêmes lieux. Les problèmes de logement furent vite criants. La misère aussi. La violence commença à suivre… Comme celle des mexicains et des chicanos qui remontèrent eux aussi en masse à partir de 1910. Pour bien marquer leurs différences avec les habitants mexicains, les anglos avaient depuis longtemps décalé le cœur de leur nouvelle ville du véritable quartier historique, celui de Natividad, créant ce qui deviendrait plus tard City Hall, le Financial District ou Remington Heights. Les nouveaux arrivants s’installèrent dans le quartier hispanique « historique », parfois aux côtés d’autres immigrants, polonais ou irlandais… La haine habituelle des Harborians pour les chinois finit par s’orienter vers les mexicains – après tout, les chinois avaient au moins réussi à transformer Chinatown en un joli coin typique à visiter. Dans les années 30, on les accusa d’aggraver la crise économique et on commença à les expulser par camions entiers. Plus récemment, les jeunes chicanos, ces pachucos aux tenues zazou, cristallisent haine et peur et on les accuse - parfois non sans raison - d’être des gangsters responsables des pires exactions. Les soldats en permission se firent une joie d’effectuer quelques descentes dans les quartiers mexicains. En septembre 1940, la rumeur qu’une jeune fille blanche avait été violée par trois chicanos entraîna une violente émeute pendant laquelle flics, soldats et quidams passèrent à tabac de nombreux jeunes zazous. Au début du siècle, des travailleurs japonais débarquèrent également. Certains prospérèrent, achetèrent des terres pour cultiver fruits et légumes. Quelques coréens ou philippins firent aussi le voyage, histoire de compléter le tableau.

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

CRISES ET REPRISES LA GUERRE AU LOIN

La grande dépression frappa Harbor dans les années trente. Mais la croissance finit par reprendre et la ville continua à se moderniser. Autour du City Hall ont poussé les buildings. En 1937, on enleva les derniers rails des trams et des cable cars pour y faire passer des bus. Puis la guerre arriva… On eut bien un peu peur au début. Lorsque le Japon a attaqué Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, je me souviens d’être allé, comme les autres, scruter la mer au bord de la baie, pendant des heures. Mais aucun avion bridé n’est apparu. Les flics comme moi ont pourtant reçu l’ordre d’aller ramasser les soldats et les marins qui baguenauderaient dans les rues, pour leur faire rejoindre leurs cantonnements. Dans les jours qui suivirent, Harbor subit plusieurs blackouts. Tout le monde était persuadé d’avoir entendu des avions et des combats aériens. Mais ça finit par se calmer et bientôt, le seul effet de la guerre fut la multiplication des commandes. Les soldats embarquaient pour le Pacifique en masse et brûlaient leurs dernières heures en ville. On construisait des navires à la chaîne sur les Yards. On construisait aussi des avions, des camions, des jeeps et des munitions. Les noirs du sud arrivèrent en masse, attirés par l’explosion d’emplois.

Ceux qui ne rigolèrent pas, ce furent les japonais. Ils passèrent même un sale moment. On les envoya vers des baraquements temporaires situés près de la Heaven Fairy, avant de les déplacer plus à l’intérieur dans des camps d’internement. Mais à part ça, tout allait finalement très bien malgré la guerre…

LA TROUILLE DU SIÈCLE

On a bien cru que le Jour des Cendres allait foutre tout ça par terre. On a tous retenu notre souffle mais comme je vous l’ai déjà dit, rien ne s’est vraiment passé. Tout a repris comme avant malgré la présence des cornus dans nos rues. Après tout, on avait bien intégré tous ceux qui s’étaient présentés avant. Pourquoi pas eux  ? Harbor avait l’habitude d’ingérer ce qui se présentait, comme un ogre dément, et les cornus ne firent pas exception. Ils s’agrégèrent autour d’un quartier de Downtown, sans surprise celui où les «  manifestations  » du Jour des Cendres avaient été les plus intenses. On appela bientôt ce quartier la «  Forbidden City » et il devint même un endroit à la mode. Mais la ville n’oubliait pas ses traditions, ses peurs et sa paranoïa. A leur tour, les échappés de l’Enfer subirent une nuit de violence insoutenable, le 09 novembre 1944.

EN ROUTE POUR L’AVENIR Aujourd’hui, Harbor construit des voitures et des pneus, coud des vêtements, produit des équipements électriques et de l’électroménager… Revenant de la guerre, désireux de vivre leur rêve américain, les soldats veulent tous leur pavillon. Dedans, ils mettent un joli téléviseur et un imposant réfrigérateur. Les banlieues d’Harbor continuent à exploser chaque jour. On construit sans limites. On déroule les bandes d’asphalte et chaque jour y circulent plus de bagnoles. On parle de la construction prochaine d’une autoroute qui desservirait la baie. Les bailleurs de fonds, les magouilleurs

avisés, se font des fortunes en quelques semaines, revendant pour les lotir des terres impropres à la culture achetées une bouchée de pain. A côté de ça, la misère existe toujours : elle s’abat sur les travailleurs, elle entretient HoboLand, elle fournit à l’ogre sa ration quotidienne de cadavres. Le crime est endémique, prélevant son lot de victimes sans que personne ne puisse rien y faire. Et ce qui se cache dans les tréfonds de la Forbidden City ourdit de sombres plans. Mon père avait au moins raison sur un point  : cette ville a un arrière-goût de pourriture.

Crime et Châtiment ? L’histoire du crime est comme un miroir déformant de l’histoire de la ville, un raccourci saisissant. C’est comme une vue en coupe d’un corps malade. Je vais

donc vous dire un mot de l’histoire «  non officielle  » d’Harbor, celle qui compte souvent plus que ce qu’on lit dans les livres d’histoire.

LA LOI ET L’ORDRE La prospérité attire des tas de gens bien, travailleurs et dévoués, mais aussi de sales types. Dès lors qu’Harbor commença à grossir, elle reçut plus que sa part de crapules, de voleurs et d’assassins. Alors même que la prospérité se développait, il est très vite apparu qu’il fallait mettre un peu d’ordre… Les bons habitants d’Harbor prirent les choses en mains et créèrent dès 1855 le Harbor Committee of Vigilance, sur la base du volontariat. Ce fut le début d’une longue et belle tradition. Voleurs et criminels furent lynchés à tour de bras par la milice. On en profita aussi pour s’en prendre aux immigrants, un coup les chinois, un coup les irlandais, pour faire bonne figure. La justice ressemblait alors trait pour trait au crime : sale et boueux.

30

Le Committee disparut en 1863, sous l’impulsion de John G. Ovildson, le maire mythique d’Harbor, qui organisa les services municipaux et créa la première force de l’ordre officielle : les Harbor Guards. Les Guards étaient des durs à cuire qui paradaient en armes dans les rues en lissant leurs belles moustaches longues. Leur manière de faire régner l’ordre était une jolie parabole de la loi du Talion et ils restèrent dans l’histoire de la ville pour leurs virils passages à tabac à coups de bottes. Toute une époque… Les Guards furent remplacés en 1879 par un nouveau département à la tête duquel on plaça un ancien soldat, William J. Porter. Le Heaven Harbor Police Department était né. Premier chief of police de l’histoire d’Harbor, Porter le resta quinze ans, professionnalisant ses hommes et leurs méthodes. En 1900, ils

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

étaient plus de 70 officiers à arpenter les rues pavées dans leurs beaux uniformes bleus… Mais dans la vallée, les affaires se réglèrent encore longtemps à coups de fusil. Face à ces pionniers de l’ordre, le crime évolua lui aussi. Plus Harbor grossissait, plus le crime se diversifiait, étendant ses ramifications dans tous les domaines et tous les milieux. Dans les rues, les gangs d’origine ethnique s’étripèrent dès les origines pour se faire une place dans un nouveau monde hostile. Au delà de cette violence, souvent juvénile et motivée par la misère, s’organisaient les premiers réseaux criminels : racket, prostitution, trafic... Ses limites avec le business étaient flous, ses rapports avec la politique étroits et complexes. L’argent n’a pas d’odeur et certaines grandes familles d’Harbor ont camouflé dans leur respectabilité toute neuve les origines de leur aisance… 1913 vit la renaissance du Committee of Vigilance. Le groupe avait toutefois abandonné sa fonction de vigilante pour se

transformer en organisation mi-religieuse mi-civile, réunissant banquiers, industriels bien pensants ainsi que leurs épouses, réunies en clubs de femmes. Leur cible  : la prostitution, le jeu, l’alcool, les gangs de jeunes hommes, les prémices du crime organisé et ses liens avec le pouvoir d’Harbor. Faisant feu de tout bois, les bonnes dames du Committee occupèrent certains hôtels de passe, essayèrent de rendre responsables devant la loi les propriétaires d’immeubles de l’utilisation faite de leurs propriétés. Elles firent pression pour fermer bordels, tripots et bars. Elles organisèrent des « marches de la pureté sociale » devant les fenêtres du City Hall, exigèrent que la police soit réformée et nettoyée, que son recrutement soit plus « moral ». Les mêmes furent naturellement parmi les plus ferventes supportrices de la Prohibition. Lorsqu’en 1919, le Volstead Act entérina la Prohibition, le Committee militait déjà depuis plusieurs années pour l’interdiction de la vente d’alcool.

LE RÈGNE DES TRUANDS La Prohibition fut une période dorée. A Harbor comme partout ailleurs, l’alcool continua de couler à flots. La meilleure bibine provenait du Canada. La pire, ce qu’on appelait le « bathtub gin », mélangeant alcool industriel et poisons chimiques, fabriqua de nombreux aveugles et impotents. Speakasies et blind pigs prospérèrent. Il était bon d’être flic à l’époque : on se remplissait grassement les poches et on n’avait jamais soif. On raconte souvent que la culture du crime organisé est un truc de la Côte Est. C’est oublier un peu vite que, dès les années 10, les gangs italiens, juifs et irlandais avaient pris la mesure de ce qu’une solide organisation pouvait amener de profits. La Prohibition leur permit de passer à la vitesse supérieure. Alors, bien sûr, Harbor n’a jamais eu son Capone. Les mafias ont toujours donné une image fragmentée de gangs semi-indépendants prompts à se jeter à la gorge du voisin. Les cadavres se

mirent à pleuvoir, ce qui fit dire au maire de l’époque que le «  problème du crime organisé était en passe de se régler de luimême » ! Ce qui n’empêcha pas la violence entre gangs de déborder : le 7 mars 1928, le chief of police Howard Vendigger était assassiné sur les marches du palais de justice. Champion du Committee, il avait commis l’erreur de serrer de trop près les bootleggers ritals. On raconte que l’exécution fut décidée par Renaldo Grachetti lui-même. Quoi qu’il en soit, ce fut un mauvais calcul, qui se solda par une violente chasse aux truands et l’élection à la mairie de Theodore S. Kerney, un réformiste dur et puritain qui fit casser de la police un nombre respectable de flics marrons et mena la vie dure aux Grachetti et à leurs porte-flingues. Kerney entreprit de rénover le recrutement du HHPD : je fis moi-même partie de ces jeunes flics à la formation « renforcée ».

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

31

Mais même Kerney ne put empêcher l’abandon, en 1933, de la Prohibition. Le long du Strand, on vit défiler une étrange procession pour enterrer le Vostead Act dans une frénésie de champagne. Le bilan de la Prohibition était sacrément positif  : elle avait construit la fortune des gangsters et de la mafia… Le crime organisé continua à prospérer malgré la fin de la Prohibition, toujours avec Grachetti en figure centrale. S’il y eut un boss du crime à la grande époque, ce fut lui. Au début des années 20, il avait fait nettoyer pas mal de petits truands juifs et irlandais avant de mettre au pas les familles italiennes avec une violence extrême. Pour autant, les Dons de la côte Est le considéraient comme un « mustache pete », un vieux de la vieille incapable de prendre en marche le train de la modernité. Faut dire aussi qu’il refusa toujours de leur rendre hommage. En 29, il avait notamment refusé de participer à la Conférence d’Atlantic City. En février 1938 débarqua un flingueur de New York, beau gosse et grande gueule, Nat Vernon. Dans ses bagages, un blanc-seing de l’Organisation pour transformer enfin Harbor en une source de profits réguliers. Sa première victoire fut de débaucher de l’orbite des Grachetti l’ambitieuse famille Marsella, relançant ainsi une suite d’exécutions digne de la grande époque. Mais Vernon n’était sans doute pas un bon choix  : fantasque, fasciné par le glamour, il s’est pris de passion pour une langue de sable dans la baie d’Heaven Harbor. A la place des goélands, il a vu des casinos, des hôtels, des tapis verts et des gros texans bouffis de

fric. Laissant Michael Marsella gérer seul l’affrontement avec la clique Grachetti, il se lança dans la construction de Lucky Island. Qui aurait pu prévoir le Jour des Cendres  ? A nouveau, on vit débarquer gens bien et sales types. Mais des sales types sacrément motivés. Depuis la Forbidden City, le crime organisé d’Harbor fut radicalement transformé par une série de nouveaux joueurs décidés à relever les enjeux. Michael Marsella eut la présence d’esprit de négocier : avec ses nouveaux alliés, il est aujourd’hui au coude à coude avec l’héritier du clan Grachetti, Ange. En décembre 46, les chefs de l’organisation réunis à Cuba, à l’Hotel Nacional de la Havane, confirmèrent leur confiance à Marsella. Mais bien malin qui pourrait aujourd’hui établir une image claire du crime organisé à Heaven Harbor. Au-delà des affranchis en costards, les jeunes gangs hispaniques et noirs commencent à donner de la voix, réclamant leur écot sur la drogue, les filles, le racket… Les vieilles limites entre ce qui est raisonnable ou pas s’estompent. Face aux convulsions du monde criminel, le HHPD continua sa vie heurtée par les purges, les compromissions politiques et les scandales. Le département eut ses stars et ses anges déchus. Face à la violence endémique d’une ville toujours plus touffue, les flics d’Harbor sont les nouveaux centurions. Des héros modernes. C’est en tout cas ce que claironne Jack Doole, le héros du « Harbor’s Finest », le feuilleton radiophonique qui cartonne en ce début d’année 1949…

RAPIDE CHRONOLOGIE HARBORIENNE 22 septembre 1778 Date supposée de la Fondation d’Heaven Harbor par les missionnaires espagnols 1848 Ruée vers l’or 1852 Harbor compte 20 000 habitants 1855 Création du premier Committee of Vigilance 1863 Fin du Committee et création des Harbor Guards 12 décembre 1875 Massacre des chinois 1879 Création du HHPD, sous la direction de William J. Porter Juin 1879 La première ligne de cable car est inaugurée Mars 1883 Inauguration de l’Independance Park 14-mars 1908 HH est frappée par un tremblement de terre, suivi d’un terrible incendie. 1912 « Guerre du Comté » dans la Valley 1913 Renaissance du Committee of Vigilance, sous forme de groupe de pression 1919 Début de la Prohibition 07 mars 1928 Assassinat du chief of police Howard Vendigger sur les marches du palais de justice 12 avril 1928 Élection de Theodore S. Kerney à la marie 1933 Fin de la Prohibition 1937 Les derniers cable cars sont mis au rebut Février 1938 Arrivée de Nathaniel Vernon, chargé par les parrains de la côte est de reprendre HH en main 17 septembre 1940 Émeute des zazous 07 décembre 1941 Les japonais attaquent Pearl Harbor 22 mars 1942 Le Jour des Cendres 09 novembre 1944 Violentes émeutes dirigées contre les Cornus 16 avril 1946 Élection de Harold J. Palmer à la mairie

Des démons et des hommes J’ai déjà évoqué ce jour particulier, le 22 mars 1942. A bien y réfléchir, il y a comme une sorte d’oubli collectif du Jour des Cendres. C’est assez drôle parce qu’on était tous là, on l’a tous vécu et on s’en souvient bien si on en fait l’effort. Surtout de la trouille qu’on a eue. Mais je crois que la majorité d’entre nous refoule inconsciemment ce qui s’est passé ce jour là. Sans faire de psychologie de bazar, c’était tellement inattendu, décalé et « étranger » qu’il valait mieux laisser couler que chercher à comprendre. De toute façon, il serait exagéré de dire que c’est l’événement

qui a façonné l’image actuelle d’Heaven Harbor. Comme j’ai essayé de vous le montrer, l’histoire de la ville est foisonnante et les sources de corruption ont toujours été présentes. Ce n’en fut qu’une nouvelle. Ce qui est surtout intéressant, c’est ce qui s’est passé ensuite. L’effet le plus immédiat et le plus visible du Jour des Cendres fut l’arrivée des cornus. Quant au reste, on l’ignore  : si on parle beaucoup, peu connaissent les pouvoirs ténébreux que le Jour des Cendres a rendu si proches de nous, et encore moins y ont recours. C’est pourtant là, à mon avis, la véritable résonance de cet événement.

COMME UN GOUT DE CENDRES Sur le Jour des Cendres lui-même, il y a finalement peu à dire. Un de mes amis a fort bien résumé tout cela, lors d’une interview : « Après coup, on a appelé ça le Jour des Cendres. Sur le coup, on n’a pas appelé ça de quelque nom que ce soit. On a juste eu peur à en crever. Ça y était, le ciel s’ouvrait pour déverser la colère divine. Nous allions être broyés par le poids de nos péchés, hurlaient les prédicateurs dans les rues. Des rues vides à part eux, parce que toute personne sensée s’était réfugiée chez elle et ne foutait pas le nez dehors. Moi je patrouillais avec un collègue quand ça a commencé. Et dans les jours qui ont suivi, on est tous restés sur la brèche, en se demandant bien pourquoi, vu que tout semblait indiquer que c’était la fin, pour de bon. Juste parce qu’il fallait bien être là, je pense. Ça a commencé par la nuit qui tombe en plein jour alors que le matin était clair, sec et froid. Comme une éclipse, d’une obscurité si profonde qu’on n’y voyait pas à trente pieds. Ensuite, les cendres ont

34

commencé à tomber du ciel. Lentement, régulièrement. Il n’y avait pas un poil de vent pour déranger leur élégante descente. Cette saloperie a commencé à tout recouvrir d’une couche grise et friable. Ça se foutait partout, ça bouchait tout et ça laissait dans la bouche un goût de papier brûlé, de craie… Le lendemain, la pluie de cendres avait cessé, laissant derrière elle un monde uniformément gris. On ne voyait pas le soleil : le nuage de cendres était trop épais. Il a fallu cinq jours et une pluie diluvienne pour éclaircir l’horizon. Pendant la pluie de cendres, on entendait tout et n’importe quoi à la radio. Le central du commissariat avait sauté face aux appels de panique. Après le premier jour, pendant lequel tout le monde se terrait, les emmerdes ont commencé. Devant l’évidence que la cendre ne semblait pas dangereuse, les gens ont commencé à sortir. Les pillages ont débuté, le rassemblement spontané devant la mairie s’est transformé en émeute. Il y a eu quelques morts. La garde nationale a

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

débarqué pour nous aider à ramener l’ordre, mais les GI étaient aussi terrifiés que nous. Ce truc s’étendait à d’autres villes à travers le pays, disaient certains. Voire même au monde entier, pour le peu qu’on en savait. Les églises étaient bourrées de monde, on priait sans discontinuer, les mains liées ensemble, toutes confessions mélangées. Même si on a vite compris que la pluie de cendres n’était que la surface émergée du phénomène, les choses horribles qu’on raconte sont quasiment toutes des conneries. Bien sûr, il y eut des trucs bizarres. Des incendies se sont déclarés spontanément. On recevait des appels de gens qui affirmaient avoir vu des apparitions. Dans certains endroits, l’obscurité semblait prendre forme. Elle était à couper au couteau, comme solide, on n’arrivait même pas à la percer avec nos torches. Ça semblait se concentrer au sud de Downtown. Je crois que c’est de cette époque là que provient le nom qui lui est resté  : Forbidden City. Nous on appelait ça des trous d’enfer, les Hell Holes. On raconte que des Hell Holes se sont ouverts dans plusieurs endroits du globe, certains si petits qu’on ne les a même pas remarqués. Mais chaque Hell Hole, petit ou grand, était comme une putain de porte, ouverte sur ailleurs, sur le cœur même de l’obscurité. Et c’est de là qu’ils sont venus. Comme une

invasion de l’intérieur. Aussi désemparés que nous, je crois bien. Ils n’étaient d’ailleurs pas si affreux. Les mecs à tronche de pierre étaient sacrément impressionnants, c’est vrai, mais les nanas bien gaulées et les types avec leurs ailes semblaient surtout fragiles. Bon, il y a eu ces cons qui ont apparemment trouvé le moyen de s’introduire dans des cadavres, parfois sous les yeux des familles éplorées. C’est ça qui a fait le plus de raffut. Un mec de la morgue a fait une crise cardiaque. Il a bien fallu leur faire une place. Presque huit ans plus tard, ils sont toujours là. Pour le reste, je ne sais pas ce qui s’est passé, ni ce que tout ça signifie, ou représente, sur le plan cosmique ou spirituel. Je suis un mec pragmatique alors j’ai fait comme tout le monde  : j’ai fait avec. Aujourd’hui, mon partenaire est un golem. Un putain de machin de deux mètres de haut, baraqué comme c’est pas permis, avec une tronche à faire hurler les mioches. Mais c’est aussi un mec bien, sur lequel je peux compter et dont les intuitions, qui contrastent tellement avec son apparence d’armoire à glace, nous ont souvent aidées sur des enquêtes pas marrantes. Alors, je cherche pas plus loin. Il y a parmi eux des mecs réglos, et y a aussi des ordures. Comme partout et comme avant. » Déclaration du Sergent Eugene Tierney

PRIÈRE OU PARTOUZE ? J’ai l’air de sous-estimer les choses. N’en croyez rien. Il est indéniable qu’un fossé s’est véritablement ouvert sous les pieds des harborians, le 22 mars 1942. Le Jour des Cendres reste indubitablement une manifestation surnaturelle, la preuve de l’existence d’un au-delà. Le choc « métaphysique » n’est pas à négliger. Chacun y a réagi différemment. Les racontars ont été nombreux, au delà même des évidentes interprétations eschatologiques : attaque nazie ou japonaise, test raté d’une arme secrète américaine, visite d’extraterrestres... Chaque harborian semble tenir la vérité d’un ami qui le tient luimême d’un cousin drôlement au jus parce qu’il bosse pour le Département d’État. Vous entendrez tout et son contraire, sur la nature et le lieu d’origine des cornus, sur les sacrifices humains au clair de lune sur les collines surplombant Harbor, sur les bébés enlevés et dévorés, sur les invocations de puissance démoniaque et les pactes passés avec elle… On pourrait remplir plusieurs rayonnages de toutes ces élucubrations. Mais c’est plus un passe-temps qu’autre chose : le quidam s’est vite rendu compte que ces interrogations ne le menaient nulle part et que sa vie quotidienne n’avait pas changé, en bien ou en mal. Il fallait toujours travailler pour vivre. Alors chacun s’y remit. Dans les premiers temps, le repli sur soi des communautés était toutefois inévitable. Une véritable crise de foi a touché les harborians et pendant des mois les églises et synagogues de la ville ne désemplirent pas. Partout des messes improvisées, des groupes de prières, des cercles de réflexions ou de

repentance. Tout cela a fini par se calmer. Les autorités religieuses restent violemment opposées à la reconnaissance des infernaux et continuent à mettre leurs brebis en garde contre les errances, brandissant la menace de la fin du monde dont le Jour des Cendres n’aurait été qu’une répétition. Mais la peur de l’Apocalypse ne fait plus vraiment recette. Voilà sept ans maintenant que c’est arrivé et rien n’a vraiment changé. D’autres harborians, au contraire, comme rendus fous par la perspective de la fin des temps, se jetèrent dans une spirale de plaisirs sans fin. Plus rien n’importait. Là encore, les choses sont revenues à la normale, chacun retrouvant ses vices habituels. Certains conservateurs hurlent à la dépravation de la société, symbolisée par la Forbidden City, nexus de tous les vices. Ces cons-là n’ont jamais été flics. Bien avant le Jour des Cendres, j’avais vu tout ce qu’il est imaginable de voir. Je n’ai pas noté que les choses aient empiré. Elles ont juste pris des formes nouvelles. Reste l’effet de mode. Pour certains, fréquenter des infernaux, engager des employés infernaux ou avoir des relations sexuelles avec des infernaux est le nec plus ultra de la modernité. Cela va au-delà des cornus présents à Harbor  : les démons restés de leur côté des Enfers passionnent. Les charlatans et leurs simagrées sont innombrables : les soirées à thème, depuis la cérémonie guindée jusqu’à la partouze sauvage, sont à la mode. Inutile de dire que tout cela n’e st que du pipeau, des oripeaux agités par des illusionnistes plus ou moins doués.

AU-DELÀ DES CORNUS Les cornus ne sont que l’écume, euxmêmes des victimes. La véritable menace, ce sont les démons et leurs maîtres les Asservis. Je sais pas mal de choses sur eux. Je vous dirai tout, un peu plus tard, mais je ne vous conseille pas de vous pencher sur ce sujet. Pour l’instant, je serai juste pragmatique : ne croyez pas qu’on les trouve au coin de la rue. Malgré le passage du Jour des Cendres, ils restent dans une dimension qui nous est inaccessible. Il faut les faire venir. Les mystiques de tout poil, eux, ont donc très mal vécu l’après Jour des Cendres. Conneries que leurs livres sacrés, leurs traditions hermétiques, leur numérologie, leur kabbale ou leur vaudou. Ça ne sert à rien. Seules de rares personnes ont ce pouvoir. Faute de mieux, on les appelle «  invocateurs  ». La plupart travaillent exclusivement pour eux ou pour les puissants. Certains vendent leurs services, presque comme le ferait un expert-comptable. Croyez-le ou non, mais il y a maintenant un tas de gens qui se déclarent spécialistes des pactes et vous aideront à en négocier un, une fois le démon invoqué. La plupart d’entre eux sont avocats. J’ai toujours pensé que ces types-là étaient louches. C’est toute l’Amérique, ça : il y a du business à faire partout.

Ne croyez pas qu’invoquer un démon vous permettra de vous prendre pour Aladin ou Superman. La déception risque d’être grande. Il n’y a pas de « magie ». Ou s’il y en a, les Asservis ne l’utilisent visiblement pas à tort et à travers. Mais rassurez-vous : si vous avez de quoi négocier, ils pourront certainement vous aider. Leurs réseaux sont larges et efficaces. Bien sûr, vous mettez le doigt dans un engrenage dangereux. Comme je vous le disais, j’expliquerai tout ça en détail plus loin, mais j’espère juste que vous vous souviendrez de cet avertissement. Au niveau de la loi, rien n’a changé. Comment prouver une possession démoniaque devant un tribunal, ou une manifestation magique ? Certains procès sont restés bloqués quand les avocats ont invoqué une manifestation surnaturelle pour expliquer les actes de leurs clients. Le nombre de plaintes pour « possession » ou « ensorcellement » s’est multiplié. Il est très vite apparu que cela n’avait guère de fondement réel. Les législateurs sont restés pragmatiques : l’intention de nuire doit être établie, peu importe le moyen employé. Aucune intervention surnaturelle, de quelque sorte que ce soit, n’a pour l’instant été reconnue par une cour de justice.

Les cornus Lorsque les cendres se sont dispersées dans le caniveau, amalgamées en pâte noirâtre par l’averse, d’étranges créatures sont restées parmi nous. On les appelle aujourd’hui les « cornus » ou les «  infernaux  ». Vous en avez entendu parler. Vous les avez peut-être vus. Mais vous ne savez finalement pas grand-chose d’eux.

Leurs noms ont été choisis par les humains, références parfois maladroites à des créatures légendaires. Eux-mêmes ne se qualifient pas ou ont tout simplement accepté ces dénominations. Qu’est-ce que ça change, après tout ?

MONSTER MASH SOUVENIRS DE L’AU-DELÀ

Alors que les rumeurs les plus folles couraient sur le sexe des succubes, personne ne semblait se demander d’où venaient vraiment les cornus. Et peu s’étonnaient de leur facile adaptation. S’ils semblaient connaître aussi bien notre monde, c’est parce que le leur en était un ersatz, une copie distordue de notre réalité. Le reste, ils l’ont appris très vite, faisant preuve d’une impressionnante capacité d’adaptation. S’ils étaient aussi durs, c’est qu’ils avaient littéralement connu l’enfer de l’autre côté, sous la férule de leurs maîtres démoniaques. Et s’ils avaient débarqué ici, c’est avec l’espoir d’y trouver une vie meilleure, en aucun cas pour nous détruire, nous asservir ou nous dévorer. Ils appellent l’autre côté le Dédale. C’est le royaume des Asservis, qui en sont les maîtres absolus, et il est peuplé par des créatures sans substance matérielle que, faute de mieux, nous nommons démons. Malgré les interrogations anxieuses de certains, les cornus n’ont pas plus d’éléments que vous ou moi sur la nature de ce qu’ils appellent le Dédale, sur la vie après la mort ou sur l’existence de Dieu. Ils vivaient une vie d’esclave aux mains des Asservis et des démons. Ils n’ont connu, pour leur grande majorité, que les couloirs du palais de l’Asservi dont ils dépendaient. Ils en parlent avec réticence. J’ai entendu parler de ruelles boueuses, d’escaliers sans fin, de chambres d’hôtel pourrissantes, de terrains vagues. Guère plus. Les cornus se souviennent de leur vie de l’autre côté. Enfin, la plupart. Pour certains, depuis leur passage, leur ancienne vie dans les palais des Asservis n’est plus qu’une

vaste mosaïque floue et décousue, comme une pellicule de film à moitié brûlée. Pour d’autres, les souvenirs sont d’une redoutable et douloureuse acuité.

LA NATURE DES CORNUS

Les cornus sont des êtres profondément différents de nous. Trois des quatre races d’infernaux sont ce que j’appelle des « constructs », des créations artificielles. Ils ont été créés, peut-être ex-nihilo, par leurs anciens maîtres, les Asservis. Ce sont des créatures vivantes, elles peuvent mourir, mais pas se reproduire. A bien y réfléchir, c’est leur drame : elles sont voués à disparaître puisqu’il semble que l’apparition de nouveaux cornus soit devenue une chose très rare. On n’a actuellement aucune idée de leur longévité ou de leur fragilité visà-vis de la vieillesse ou des maladies : tous les cornus qui sont morts dans notre monde l’ont été de mort violente… La quatrième race, les possédés, n’en est pas vraiment une. Ce sont des démons, assimilés à ceux qui créèrent et exploitèrent les trois autres races, des créatures sans chair, sans existence physique, incapables de se manifester dans notre monde autrement qu’en possédant un véhicule, un corps humain. Les portes de notre réalité ouvertes, ils ont donc investi des corps, pour la majorité morts depuis peu de temps. D’autres, plus puissants et moins nombreux, ont apparemment possédé des humains vivants, souvent faibles. Il semblerait que cela ait duré quelques jours de plus que la pluie de cendres elle-même, avant de se tarir. Les Asservis ont dû flipper de voir toutes leurs petites mains se faire la malle. Des rumeurs parlent d’objets possédés mais je n’ai jamais croisé quoi que ce soit qui me laisse suggérer que ce soit vrai.

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

39

LES GOLEMS Whispers Fun Facts Ami lecteur, notre star de la semaine est Jimbo, le golem ! Un brave gars malgré sa sale tronche tatouée, je vous assure. Ok, c’est pas un rigolo, mais c’est un mec sérieux et bosseur. Tellement bosseur que ça fout en rogne les autres dockers, qui le traitent de jaune. Jimbo s’en fout, il a besoin d’argent. Il aimerait se payer une petite maison sur la colline. Il est comme ça Jimbo, tellement ordinaire sous sa face de pierre striée, que c’en est limite déprimant… Allez, quelques trucs marrants quand même. Jimbo n’a pas besoin de manger ou de boire. S’il le fait, c’est par mimétisme, pour se sentir dans le coup, un membre de la famille. Touchant, non ? Il n’a pas vraiment besoin de dormir non plus même si de temps à autre il sombre dans une espèce d’apathie. Quand aux galipettes, ami lectrice… réjouis-toi, notre ami Jimbo est tout à fait fonctionnel. Et cerise sur le gâteau, tu ne risques pas de te retrouver avec un petit Jimbo Jr dans les pattes. Il a vraiment toutes les qualités, ce gars-là. Comme d’habitude, Whispers vous dit tout et ne vous cache rien ! Reste à l’écoute, ami lecteur… Avec leur carrure et leur sale gueule, les golems sont les plus impressionnants des cornus. On les appelle souvent «  tronches de pierre » ou « tas de cailloux », en raison de l’argile dont semble être fait leur corps. Leur couleur varie grandement, du gris terne au rouge argile. On les dit brutes stupides tout juste capables de péter les doigts de mauvais payeurs. C’est une idiotie. Les golems sont aptes à toutes sortes de tâches. J’en connais qui sont devenus d’excellents musiciens de jazz. Ce qui ne les empêche nullement de pouvoir briser une colonne vertébrale en deux.

Ils ne disposent pas réellement d’organes vitaux, c’est pourquoi un golem en rogne est sacrément difficile à arrêter. Mais croyezmoi, c’est possible. Suffit juste d’avoir le bon calibre. Le visage et le corps des golems sont généralement couverts d’indéchiffrables inscriptions. Chez certains, cela ressemble à des tatouages élaborés, chez d’autres à des cicatrices ou à des gravures sur pierre. Ils gardent farouchement le secret de leurs scarifications. Celles-ci représentent les liens qui les unissent à leurs anciens maîtres. Celui qui sait les déchiffrer pourra faire d’un golem son esclave dévoué…

LES SÉRAPHINS Whispers Fun Facts Ami lecteur, tu l’as sans doute croisé, Mr le Séraphin. De loin tu le remarques à peine, mais de près, il t’a fait un drôle d’effet avec ses yeux tout tristes et sa peau si lisse. Alors aujourd’hui, je te parle un peu de lui, histoire de mieux le connaître. C’est vrai qu’il ne se fait pas remarquer. Bien élevé, le gars, il parle doucement et il a des manières. Belle gueule, un peu efféminée à mon goût, mais la classe. Faut le voir déployer ses jolies ailes miroitantes. Ça sert pas à grand-chose, si ce n’est à encombrer dans le bus, mais faut reconnaître que ça en jette. J’ai entendu comme toi, ami lecteur, les histoires d’ange gardien et de messager divin, les mémères en adoration devant notre ami ailé. A ta place, je me méfierais. Entre nous, c’est pas la première fois qu’une belle gueule cache un mauvais garçon, non ? Les séraphins sont sans doute les cornus les plus énigmatiques. Pas que je m’en méfie particulièrement : j’en ai croisé des tout à fait réglos. Mais ils intriguent. Ils ont des visages très humains, mais bizarrement androgynes, comme asexués. Surtout, leur peau est blanche, lisse, sans un défaut, presque comme un masque de porcelaine. Certains ont des yeux sans pupille, uniformément blancs ou noirs, vachement flippants. Leurs

ailes, surtout, fascinent, alors qu’elles ne leur permettent pas de voler vraiment. Elles sont en plus d’une grande fragilité, cassant comme du verre. Un golem que je connais m’a dit une fois que ces types avaient été créés pour être des émissaires, des messagers des enfers et ça me parait logique. Ça expliquerait pourquoi, par exemple, ils savent parler toutes les langues humaines, sans même avoir besoin du moindre effort pour les apprendre.

LES SUCCUBES Whispers Fun Facts Helloooooo poupée ! Cher ami lecteur, Whispers continue sa petite exploration des secrets et particularités de nos nouveaux amis cornus et se penche aujourd’hui, avec plaisir mais rigueur, sur le cas de ces petites poupées d’amour que sont les succubes. Allez, ami lecteur, pas de ça entre nous. On sait bien comment sont les choses et ce que les coquines font frétiller en chacun de nous… Faut croire qu’on aime le poil aux pattes, quand il est roux et soyeux ! Maintenant, un peu de calme, ami lecteur. Il semble exister plusieurs types de succubes. Sache que les apparences sont parfois trompeuses et que la jolie minette cornue que tu as attirée dans ton lit peut te faire l’effet d’une pochette surprise en se retrouvant d’un coup dotée d’attributs… masculins ! C’est la vie et après tout, tout le monde ne s’en plaindra pas. D’autres cornues ont la réputation d’avoir des appétits féroces… Recomptez donc vos doigts ! Et souvenez-vous, si Dieu – ou le Diable – a mis ces filles-là sur Terre, c’est pour une bonne raison. Il serait dommage de ne pas en profiter. Dans l’esprit des harborians, la succube est devenue comme une incarnation sulfureuse de la femme fatale, qui porterait sur elle les marques de sa tendance au péché. Ce qui ne les empêche pas, tout autant qu’ils sont, hommes comme femmes, de fantasmer sur elles. Les succubes furent créées par les Asservis pour être des esclaves sexuels, des jouets soumis à leurs tourments. L’ironie a voulu qu’une bonne partie d’entre elles vivent à présent la même chose aux mains des hommes. Leur simple présence, leur magnétisme, excite immédiatement un fort appétit sexuel. Je n’ai

jamais vu de succube laide, ou simplement quelconque. Ce sont toutes de superbes créatures. Bien qu’elles soient dotées d’attributs clairement démoniaques qui varient pour chacune d’entre elles – peau ambrée ou rouge, langue serpentine, queue fourchue, fourrure ou cornes – la plupart des succubes peuvent facilement passer pour humaines au prix de quelques accessoires. Certaines semblent plus troubles, plus androgynes : la plupart de celles-ci semblent capables de changer de sexe, à volonté. Ce ne sont pas celles qui rencontrent le moins de succès…

LES POSSÉDÉS Whispers Fun Facts Okay, amigo, là je ne rigole plus ! Tu connais Whispers, ami lecteur, et tu sais ô combien nous sommes réglos, mesurés et sacrément prudents avant de balancer une info. C’est tout nous, ça ! Mais sur la question des possédés, tu nous excuseras de nous en méfier comme de la peste et d’avoir un parti-pris pas franchement positif. Déjà, excusez-moi du peu, ils foutent la trouille. C’est vrai, personne n’a envie de voir leur tronche au réveil. Si il y a quelque chose qui ressemble à l’idée qu’on se fait tous d’un démon, c’est bien un possédé. Et puis, personne n’a oublié comment ils sont arrivés ici. Voir oncle Joe se redresser sur son lit de mort, on voit pas ça tous les jours ! Ils se traînent la réputation d’être des magouilleurs, des escrocs, voire des assassins. Peut-être qu’on les juge mal, hein, c’est peut-être injuste, mais c’est une réalité. Si j’ai aucun souci à laisser un séraphin remplir ma déclaration d’impôts, un golem tailler mes haies et une succube chauffer mon lit, pas question de filer 10 cents à un possédé. Rappelle toi, ami lecteur, c’est dans Whispers que tu l’as lu et nulle part ailleurs ! Avec sa finesse habituelle Weimbaugh dit un truc très vrai : personne ne fait confiance aux possédés. Hybrides ou parasites  : leurs petits noms en disent long. Même les autres cornus s’en méfient : après tout, ce sont des démons, identiques à ceux qui les tourmentaient, même s’ils ont choisi de venir eux aussi de l’autre côté goûter aux joies de la vie matérielle. Croyez-moi, les démons restés de l’autre côté ne les aiment pas plus : ils ont eu les couilles de se faire la malle et leurs ex-congénères ont pour eux un mélange de jalousie et de mépris. Pourtant, les liens sont nombreux  : démoniaques par nature, les possédés sont naturellement plus doués que n’importe qui pour entrer en contact avec leurs pairs et on a donc besoin

d’eux, des deux côtés. Ce qui ne veut pas dire qu’on y prend plaisir. Pour un peu, on les plaindrait presque. Après tout, ils ont – en grande majorité – seulement récupéré ce qui ne servait plus. Qui plus est, les cadavres possédés ont tous subi de nombreuses déformations au point de les rendre méconnaissables, ce qu’on appelle la «  souillure démoniaque  ». Quant aux histoires sur leur capacité à utiliser les souvenirs de leur hôte décédé, c’est de pure invention. Mais peu de monde le sait et personne n’oublie. Pourtant, leur choix est sans espoir de retour. Une fois fondu dans la chair, le démon est condamné à le rester. De plus, il est maintenant mortel. Tous ceux avec qui j’ai discuté m’ont dit la même chose : ça en valait la peine…

CORNUS ET FIERS DE L’ÊTRE LES PREMIERS TEMPS

Les débuts furent difficiles. Les nonhumains commencèrent par se cacher. On raconte pas mal de choses contradictoires mais j’ai quelques certitudes, de la bouche même de plusieurs amis cornus. Oui, il y eut des exécutions sommaires sous le coup de la colère et de la peur. Oui, la populace leur fit la chasse et il y eut des croix en flammes et des suppliciés. Oui, l’armée a raflé plusieurs nonhumains pour leur faire subir on ne sait quelles horreurs. Oui, certains cornus ripostèrent et ce ne fut pas beau à voir. Mais la police reçut très tôt l’ordre d’empêcher les exécutions sommaires, et même de protéger les nonhumains. Tout le monde a entendu parler du soi-disant accord de « non agression » entre le gouvernement et les entités infernales. Une rumeur parmi d’autres. Ce qui est sûr, c’est que les infernaux n’étaient finalement pas si nombreux, au plus quelques milliers. Ils apprirent vite à être discrets et à ne pas faire de vagues. En dehors de Downtown, on en parlait plus qu’on ne les voyait. Certains, comme les golems, trouvèrent vite du travail, leur force étant un atout non négligeable. La trouble beauté des succubes séduisait et l’apparence presque normale des séraphins rassurait. Ce fut beaucoup moins facile pour les possédés. Savoir qu’ils avaient investi des corps fraîchement décédés fut un premier choc. Voir ces mêmes corps grotesquement déformés par d’indéniables attributs démoniaques en fut un second même si, du coup, on en oubliait l’ancien possesseur. Ces types là furent assimilés à des parasites, non sans raison.

L’ÉMEUTE DE 44

Malgré la relative discrétion des cornus, les ressentiments étaient nombreux, la peur palpable et la haine évidente. Il y avait aussi une forme de fascination malsaine et certains s’encanaillaient déjà en s’offrant des « poulettes cornues ».

44

Tout explosa le 09 novembre 1944 lorsque Heaven Harbor s’enflamma. Menés par des prédicateurs protestants et catholiques en furie, les habitants d’Harbor se livrèrent à une orgie de violence. Les infernaux payèrent un lourd tribut, mais une fois la surprise passée, ils ne se laissèrent plus si facilement faire. La résistance des cornus contribua à faire flancher la détermination de la majorité de leurs assaillants, braves dans la multitude mais lâches face à un golem armé d’une planche cloutée… Quelques jours plus tard, dans un discours resté célèbre, le président Roosevelt accueillit «  dans la grande tradition américaine d’asile  » les nouveaux venus, leur offrant le statut « d’humains honoraires ». Les infernaux furent alors appelés à se faire connaître des autorités et purent obtenir la nationalité américaine. De violentes oppositions politiques eurent lieu sur ce sujet. Mais la fin de la guerre et la nécessité de se mobiliser face au nouveau spectre communiste firent taire les dissensions.

AMÉRICANA

Si certains firent le choix de rester cachés et de ne pas s’enregistrer auprès des autorités, la majorité des cornus fit la démarche. De toute façon, ils n’étaient pas venus de notre côté pour détruire, mais bien pour vivre. A Heaven Harbor, ils furent accueillis solennellement dans le City Hall, offrant l’étrange spectacle d’une file d’attente en proie aux regards des curieux et aux invectives des intégristes. Ils étaient devenus des citoyens à part entière. Cinq ans plus tard, on trouve des cornus dans plusieurs corps de métier de la ville. Ils ont le droit de faire des études et de faire valoir les diplômes ainsi acquis. Ils bénéficient des mêmes droits et ont les mêmes devoirs que tous les citoyens américains.

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

Les mouvements les plus conservateurs et les mouvements religieux les plus durs dénoncent toujours l’assimilation inacceptable de telles aberrations à des êtres humains. Certains mouvements restent vindicatifs et le KKK a trouvé là un nouveau « terrain de jeu  ». Les autorités entretiennent toujours une commission d’enquête sur la nature des infernaux, sous l’autorité de la HUAC, mais soyons clair  : l’ennemi d’aujourd’hui est le communiste.

HOME OF THE BRAVE

Idyllique, n’est ce pas  ? De bons américains, avec toutes leurs chances, pourvu qu’ils soient honnêtes et travailleurs ! On pouvait difficilement rêver meilleure illustration de l’efficacité de notre beau système. La réalité est bien plus contrastée. Leur place dans notre société et dans notre vie économique est, au mieux, marginale. Ils se contentent de ce qu’ils trouvent ou de ce qu’on veut bien leur offrir. Le reste du temps, ils se débrouillent. Il y a parmi eux des gens honnêtes et des ordures. Ils restent entre eux  : la plupart des harborians n’en veulent pas dans leur immeuble ou dans leur quartier. Les flics sont partiaux à leur égard et les discriminations sont réelles. Dans un restaurant chic, un infernal est comme un noir  : indésirable. Sauf si l’on parle d’une succube aux bras d’un riche industriel, bien sûr. Les possédés sont toujours les moins «  acceptables  » des cornus, surtout qu’on les soupçonne de continuer à se répandre insidieusement. Les agressions raciales ne sont pas rares, le plus révoltant restant le viol de succubes en réunion. Les salopards qui en sont coupables tentent de se justifier en disant «  qu’elles sont faites pour ça » ou « qu’elles n’attendaient que ça ». Je me suis personnellement occupé du cas de plusieurs de ces ordures. Ils sont nombreux à avoir choisi la voie facile du crime. On les retrouve donc aussi dans les prisons et les pénitenciers, où on leur réserve parfois un quartier par peur des

affrontements raciaux. Le 9 juillet 1947, on exécuta le premier cornu, un possédé, sur la chaise électrique... On s’y reprit à trois fois pour être sûr qu’il était bien mort. Bien sur, beaucoup racontent qu’il s’est fait la malle en possédant un nouveau corps. Vous seriez surpris du nombre de personnes qui croient dur comme fer à ces idioties. Cette triste réalité n’est malheureusement pas réservée aux cornus  : les chinois l’ont vécue, les noirs et les hispaniques la vivent avec tout autant de violence. C’est peut-être là la plus grande preuve de normalisation : on ne traite pas plus mal les cornus que nos autres minorités. Quant à dire que c’est une victoire…

POPULATION & GÉOGRAPHIE INFERNALE

La population non humaine d’Harbor se compte en quelques milliers de sujets tout au plus. Officiellement, elle ne grossit plus. Il semblerait que la brèche ouverte lors du Jour des Cendres est à présent refermée, empêchant toute nouvelle traversée. C’est plus compliqué que cela  : il subsiste des points de passage et je sais que quelques cornus réussissent encore à investir notre monde. Pareil pour les démons : les plus balèzes d’entre eux peuvent encore réussir à passer et à s’incarner dans une enveloppe. C’est toutefois rare. On ne croise pas forcément des cornus tous les jours, sauf à vivre ou travailler dans la Forbidden City. Celle-ci est restée le centre de la population non humaine. Même là, ne vous attendez pas à voir des hordes de créatures monstrueuses concupiscentes. La plupart tente de vivre normalement. A l’extérieur de la City, on trouve surtout des cornus dans les quartiers pauvres et ouvriers : Aisbury Park, sur les bords de la Sio River, à Redmond. Et dans le HoboLand, bien sûr. Personne n’est à l’abri de cette ultime déchéance. Quelques privilégiés ont fait fortune, illégalement la plupart du temps, ne nous leurrons pas. On les trouve principalement sur la colline à la mode, Mullberry Hills. Personne n’accepterait de vendre une propriété de Remington Heights à un infernal...

WELCOME TO HEAVEN HARBOR

45

CHAPITRE 02 : HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE 46

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Je vous l’ai dit, j’aime ma ville autant qu’il m’arrive de la détester. La somme qui suit n’est pas une confession, c’est une tentative maladroite de dresser un portrait fidèle de sa réalité fugitive et multiple. Harbor est une mosaïque et le seul moyen de s’en faire une image juste est d’y plonger. C’est ce que j’ai essayé de faire. Peut-être suis-je tombé à côté de la plaque et que tout cela ne contribuera qu’encore un peu plus à émietter l’image que j’essaie de donner de la ville. Quoiqu’il en soit, j’ai arpenté Heaven Harbor dans tous les sens. J’ai des dossiers sur plein de gens, des indics dans chaque quartier et quelques amis très bien informés. Bien sûr, je ne sais pas tout. Mais j’en sais déjà pas mal. J’ai essayé de m’en tenir aux faits mais lorsqu’elles sont intéressantes, je rapporte quelques rumeurs, en les identifiant comme telles. Tout simplement parce qu’elles participent aussi du tableau d’ensemble.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

47

Chère Voix Off, voici le gros morceau ! Heaven Harbor décrite par le menu, ses factions et ses secrets. Comme vous le verrez, nous alternons deux façons de présenter Harbor : par quartier et par thèmes. Les deux approches sont liées et se recoupent.Abordez cette somme comme vous le désirez et ne vous sentez pas obligés de tout lire d’une traite. Découvrez les quartiers dans l’ordre qui vous intéresse. Les machinations de nombreux PNJ se recoupent, bien au-delà de leur propre quartier. Nous avons des plans pour l’avenir de certains de ces PNJ, plans dont vous pourrez avoir un aperçu dans le dernier chapitre de ce livre, qui vous exposera dans la section « Unfinished Business » les grosses affaires et les points chauds du moment.

City Hall City Hall, si vous voulez mon avis, est un coin sinistre. Je reconnais volontiers que mes sentiments à ce propos sont biaisés par les années passées au HHPD. Il faut tout de même reconnaître que l’endroit n’offre que peu d’intérêt. A moins naturellement de se passionner pour les aléas de la politique harborienne, les conférences de presse sur les marches de la mairie et les procès à sensation. Auquel cas l’endroit est fait pour vous. On essaie aujourd’hui de nous faire avaler que City Hall est le cœur historique d’Heaven Harbor, mais c’est naturellement faux, et à double titre. Le vrai cœur historique est Natividad, siège de la première implantation espagnole. Quand à la seconde expansion d’Harbor, elle eut d’abord lieu autour du port de pêche. Lorsque les grabataires du club des « Amis des pères fondateurs  » nous racontent que First Mile Plaza fut l’emplacement du premier jalon d’HH, c’est naturellement du pipeau. Forcément, on reconnaît aujourd’hui l’endroit comme le «  pivot d’Harbor  »  : la place est située au croisement de la 1ère Rue et de Main Street et tous les grands bâtiments officiels se trouvent dans le coin. C’est d’ici qu’Heaven Harbor est dirigé.

48

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Mais même cela est contestable  : le vrai pouvoir se trouve-t-il vraiment ici ou dans les buildings du Financial District ? Si l’on compare souvent City Hall au Financial District, c’est que les deux quartiers sont très proches et les limites parfois floues. Mais la comparaison n’est pas flatteuse pour City Hall. Les buildings sont moins hauts et moins prestigieux. Malgré la profusion de monuments, les avenues y sont moins lumineuses, phagocytées par les longues façades des imposants bâtiments officiels de la ville, vides et tristes. L’architecture est pour le moins disparate : de petits immeubles de briques ou d’anciennes villas façon coloniale y côtoient les prétentieuses architectures des grands bâtiments. Si l’on trouve quelques épiceries, magasins de spiritueux ou restaurants, ils restent bien moins nombreux que dans d’autres quartiers. Surtout, City Hall est un quartier où l’on ne vit pas vraiment et c’est sans doute cela qui me gêne le plus. Malgré les quelques immeubles résidentiels de haut standing, avec concierge dans le hall et tout le tremblement, City Hall n’est pas Remington Heights. Les rues ne se remplissent vraiment qu’aux heures d’entrée et de sortie des bureaux. A l’heure du

déjeuner, les employés pressés se bousculent pour engloutir un sandwich. Le soir venu, City Hall se vide, jusqu’à devenir un désert, la nuit. Une fois les quelques bars fermés, il ne reste plus grand-chose à faire. On n’y entend guère plus que les sirènes des voitures de police quittant le Police HQ et celles des ambulances venues déverser leur récolte aux urgences du St John’s Hospital… Si le jour, City Hall est sans conteste le quartier le plus sûr d’Harbor, c’est une toute autre affaire la nuit et il est déconseillé de s’y promener seul. City Hall n’a pas toujours ressemblé à cela. First Mile Plaza a été autrefois, aux temps héroïques, un véritable lieu de vie, de protestation, de contestation et même de violence. Mais lorsque les banquiers et les politiciens ont définitivement pris

le pouvoir, City Hall a commencé à devenir ce qu’elle est aujourd’hui : une ville administrative. Aujourd’hui, on ne trouve sur la place qu’une magnifique fontaine dans le plus pur style florentin et des roulottes à hot dogs. Le soir, c’est désert. En face de First Mile Plaza se dresse le City Hall lui-même, siège du gouvernement d’Heaven Harbor depuis 1918. Il occupe deux blocs à lui seul et offre au visiteur son architecture prétentieuse : frontispice et colonnades à la grecque, rotonde, grand escalier et statues. Forcément, ça impressionne. Si vous voulez voir le maire, c’est ici qu’il a son bureau, tout comme ses proches collaborateurs et une partie des services administratifs de la ville. D’autres, comme le cadastre,

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

49

l’état civil ou les archives municipales, sont hébergés dans un autre bâtiment, par manque de place, un peu plus soin sur la première avenue  : le Newman Building, un bel immeuble de briques rouges. En tant que flic, c’est sans doute le bâtiment officiel que j’ai le plus fréquenté, avec le palais de justice… Les services du Comté d’Harbor, eux, sont localisés dans un tout moche bâtiment de Main Street. Un peu plus loin, le Federal Building, haut de 25 étages, accueille l’antenne locale du FBI et des autres agences gouvernementales, ainsi que l’administration fiscale fédérale. Des gens très ouverts avec qui mes rapports ont toujours été très enrichissants. De l’autre côté de la place se dresse la superbe Public Library et son immense fonds d’ouvrage. Précisons tout de suite que oui, il existe une section « Occultisme » mais que non, vous n’y apprendrez pas grand-chose de vraiment utile. En toute honnêteté, la majorité des publications sur le sujet sont un mélange de superstitions judéo-chrétiennes et de mysticisme à la noix écrites par des charlatans. Mais la section est gérée par la charmante Elizabeth Porter et elle vaut à elle seule le déplacement, sans même compter le fait qu’elle maîtrise admirablement bien son sujet. Le nombre d’étudiants qui sont tombés amoureux d’elle est tout bonnement astronomique… Lorsqu’après le Jour des Cendres, les accusations de «  meurtres rituels  » ont fleuri, plusieurs détectives du HHPD, dont je faisais partie, ont quasiment campé ici pendant plusieurs semaines. Le petit jeu préféré des flics était de tenter de séduire la demoiselle mais pas un n’a réussi. On raconte maintenant qu’elle fréquenterait pourtant un flic, du genre tronche de briques tatouée venue de l’Enfer… Y a vraiment des types qu’ont un pot pas croyable. Mais je me disperse. A quelques pas de la bibliothèque, sur Hanover Street, se trouve le Harbor Museum of Art.

50

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Le Palais de Justice d’Harbor n’est alors plus qu’à quelques encablures. C’est une «  merveille  » néo-gothique qui ne dépare pas dans le mélange de styles qu’aime à nous offrir City Hall. C’est sur l’escalier monumental du Palais que fut assassiné le chef de la police Howard Vendigger, le 7 mai 1928. Beaucoup de monde gravite autour de cet endroit, à commencer par la clique du District Attorney  : adjoints, enquêteurs et petites mains. Pour ma part, j’ai appris à me glisser dans les interstices. Rien de mieux que de fraterniser avec un planton ou un greffier. Il existe des tas de combines. Ne croyez jamais un procureur qui vous dit que les membres d’un jury sont intouchables ou qu’un témoin est protégé : on trouve toujours le moyen de les toucher et ça commence bien souvent par une petite enveloppe glissée à un sous-fifre ou un gratte-papier.

ELIZABETH PORTER, BIBLIOTHÉCAIRE ÉMÉRITE ++ / 40, 120, 90 / 10 La plupart des types qui passent en jugement au Palais sont logés tout près, au Heaven Harbor Detention Center, que tout le monde appelle bien plus simplement le «  Dépôt  ». Ce n’est qu’une prison de transit où s’entassent les suspects arrêtés par le HHPD et les justiciables en attente de verdict. L’endroit n’est naturellement ni gai ni accueillant.

Au coin d’Hanover et de Chandler Street, soit à cinquante mètres du Palais de justice, se trouve un des rares bars de City Hall, Downey’s. L’endroit est classe et confortable. C’est sans surprise le point de chute de tous ceux qui gravitent autour du Palais. Il s’est sans doute conclu ici bien plus de deals entre procureurs et avocats que dans les bureaux. Forcément, on tombe ici sur des flics, souvent parce qu’ils ont à témoigner ; sur des accusés, s’ils comparaissent libres, et sur des journalistes qui laissent traîner leurs oreilles. Enfin, on raconte que l’endroit est parfait pour recruter un avocat prêt à traiter des cas… spéciaux. Les meilleurs passeurs de deals infernaux se retrouvent souvent ici. Adressez-vous au patron, Leo, mais ayez l’air solvable et sérieux. Il n’y a plus qu’un pas à faire et vous découvrirez le Griffin Building, quartier général du HHPD. Mon unique demeure pendant de longues années. A l’origine, l’endroit était destiné à devenir un hôtel mais les bailleurs de fonds firent banqueroute. La ville racheta l’endroit et y plaça donc les services de police d’Harbor. C’est un beau bâtiment, remarquable pour sa façade de

style Renaissance italienne en brique brune, sa cour intérieure, ses nombreux escaliers et ascenseurs. Il a un côté labyrinthique très plaisant et ménage des surprises : songez que la fosse où ont été dressées les étagères des sommiers est en fait une piscine aux parois en mosaïque. Je crois que tous les flics y sont sentimentalement attachés, malgré l’exiguïté des bureaux et leur vétusté. Le manque de place s’y fait cruellement sentir. La mairie a officiellement mis en chantier la construction d’un immeuble moderne pour le HHPD qui devrait y gagner en efficacité ce qu’il y perdra en âme. Revenons à la Première Avenue. Elle se prolonge jusqu’à l’Independance Park. Le St John’s Hospital et ses longs murs gris, qui le font plus ressembler à une prison qu’à un hôpital, clôturent l’avenue. C’est l’énorme hôpital central d’Heaven Harbor, une ruche bruyante et surmenée. Il est aussi vétuste et peu pratique. L’endroit que j’ai le plus fréquenté en tant que flic est bien sûr l’institut médico-légal où finissent les macchabées recrachés par notre charmante ville.

Le légiste en chef, le Dr Edward Killifer, est un sombre connard bureaucratique dont la seule joie semble être de pourrir la vie des flics chargés de résoudre un crime. Il ne s’écrase que si les ordres viennent d’en haut. Son adjoint, le Dr Rudolf Stritzel est un petit homme charmant et très compétent, même s’il est complètement accro à la morphine. Enfin, si les cadavres sont vraiment votre truc, faites donc la connaissance de Ricky, l’un des laborantins. Une bonne caisse de whisky ouvre bien des portes qui devraient rester fermées. Ricky a également une très belle collection de photos de cadavres. Pour cinq dollars, la starlette Betty North sera à vous dans son ultime scène  : nue sur une table d’acier, le bide ouvert après son overdose. Des starlettes attirées par les lumières de la ville, il en débarque presque tous les jours à Grand Central Station. La gare d’Heaven Harbor est magnifique, avec son dôme aux reflets métalliques et ses grands escaliers aux rampes d’acier ouvragé. Le Terminal des Bus se trouve un peu plus au Nord. Vétuste et sale, dégorgeant de grandes poubelles, ce coin de City Hall n’est pas très bien fréquenté. De nombreux sans-abris se réfugient dans le coin. Régulièrement, le HPPD vient les déloger pour les renvoyer là où ils ne blesseront pas la vue des bonnes gens d’Harbor, à Hobo Land. Comme tous les flics, j’ai parfois été assigné à la planque régulière au terminal et ce n’est pas l’un de mes meilleurs souvenirs. L’idée est de mémoriser le visage de ces jeunes gens, garçons ou filles, qui débarquent à Harbor, souvent paumés, parfois persuadés que le bonheur les attend, presque toujours condamnés. On n’est pas les seuls à les accueillir : nombreux sont les prédateurs. Et ce défilé d’un genre particulier se révèle toujours utile  : il n’est pas rare qu’on retrouve les mêmes visages dans un caniveau…

52

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

DR EDWARD KILLIFER, LÉGISTE OBTUS ++ / 20, 100, 60 / 20

DR RUDOLF STRIZEL, MÉDECIN LÉGISTE ++ / 40, 150, 100 / 10

RICKY, LABORANTIN OBSÉDÉ + / 80, 40, 40 / 5

Mais tout n’est pas complètement noir et les amateurs de verdure peuvent se réjouir  : il nous reste encore à visiter Independance Park. C’est le plus grand parc d’Heaven Harbor et à sa pointe sud, dite « le Belvédère », il offre une vue imprenable sur la mer. Parmi les curiosités, on trouve plusieurs plans d’eau, une petite rivière qui coule sous de jolis ponts de bois, un vaste kiosque à musique et un jardin botanique. Au nord du parc a récemment été bâti le Harbor Concert Hall qui accueille concerts et opéras. Enfin, à l’est du parc se trouve la luxueuse Bexley Mansion, façon plantation coloniale. C’est

officiellement la résidence que la ville met à la disposition du maire qui n’y réside en fait que très peu. Il y organise quelques fois des réceptions officielles. On peut visiter le jardin d’agrément où l’on peut admirer les statues des pères fondateurs de la ville, une hideuse verrue érigée à la gloire d’une bande de criminels et d’assassins. Je me suis toujours dit que ça en disait long sur la ville et la véritable nature du pouvoir. Se promener dans Independance Park est assez sûr le jour : on ne risque guère que d’y croiser quelques clodos avinés. La nuit, c’est une toute autre affaire et je ne m’y aventurerais pas seul…

Law & Order City Hall. Le pire coupe-gorge d’Heaven Harbor. Plus feutré qu’une ruelle d’Aisbury Park, mais pas moins meurtrier. Soulevons

un coin du voile et voyons qui gouverne, qui incarne la justice, qui fait respecter la loi et l’ordre dans ma ville…

LA POLITIQUE Vous croyez être un malin, rompu à tout type d’arnaque  ? Vous ne savez même pas ce qu’est l’arnaque tant que vous n’avez pas fréquenté les milieux politiques d’Harbor. Une horde d’élus, de conseillers, d’avocats, d’avoués et de financiers gravitent autour du City Hall et ces gens réunis forment le pire sac de nœuds qui puisse s’imaginer. L’un des rares endroits de la ville où je ne me suis jamais senti à ma place. Gouverner Harbor est une chose compliquée. Nous avons hérité de notre histoire un système complexe aux pouvoirs imbriqués et aux jeux d’influences croisés. Un exemple concret  : le port d’Harbor. Selon l’endroit, la gestion du port dépend soit des services de la mairie, soit de ceux du Comté, soit de ceux de l’état. Mais l’autorité de régulation des transports et la capitainerie interviennent également. Certaines zones

sont soumises à des réglementations spéciales, gérées par des commissions. Il y en a même une dépendante de la Navy. Les différents syndicats, qu’ils représentent les dockers ou les armateurs, ont également leur mot à dire. Élections, représentants, avis consultatifs… La démocratie, mec ! Imaginez maintenant ce même bordel à l’échelle d’une ville. La charte d’Harbor et ses 6 000 pages, fierté de nos pères fondateurs, forment une incroyable somme où les niveaux de responsabilités se chevauchent. Le seul et unique moyen d’huiler ces rouages imbriqués, c’est le pognon. Seul garant du système, le pognon circule à tous les étages. C’est pourquoi la politique tue parfois aussi sûrement qu’une balle de .45. Au-dessus de la myriade d’affairistes affamés et de la nuée de fonctionnaires qui font vivre City Hall trône le maire d’Heaven

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

53

Harbor, présentement l’honorable Harold J. Palmer, un démocrate. Traditionnellement, le maire d’Harbor est à la fois maire de la ville et du Comté. Ce sont bien deux administrations complètement différentes qui gèrent chacune de ces communautés. Tout est donc quasiment dédoublé, à l’image de la police : dans les limites de la ville officie le Heaven Harbor Police Department. Au-delà c’est le territoire des services du shérif du Comté. Les limites sont floues, les allégeances différentes et logiquement, les heurts nombreux. Désigné par son parti, le maire d’Heaven Harbor est élu au suffrage universel pour quatre ans et il ne peut briguer plus de deux mandats consécutifs. Il détient le pouvoir exécutif, nomme et dirige les directeurs des services municipaux, un sacré pouvoir au vu des salaires et des pouvoirs attachés à ces charges. Il établit le budget et dispose d’un veto pour s’opposer aux propositions du City Council. Voilà presque trois ans que l’ami Palmer occupe ce fauteuil et il n’a pas le moins du monde envie de le quitter. Il s’y sent bien et pour lui, être maire est un accomplissement, pas une étape. Sa position comble à peu près toutes ses ambitions. Contrairement à beaucoup de ses collègues politicards, il ne se voit pas gouverneur, sénateur ou même président. Il connaît ses limites, pourrait-on dire. J’avoue avoir de la sympathie pour lui, un peu comme on aime, de loin, un oncle blagueur un peu poivrot. Il n’a jamais fait preuve d’une intelligence redoutable et ce n’est pas non plus un bourreau de travail. C’est une sorte de gentil incapable, un attentiste porté par les événements, misant sur son bagout pour se sortir de la panade et laissant ceux qui bossent pour lui gérer les affaires quotidiennes. Palmer n’est ni un penseur, ni un théoricien mais il a toutefois parfaitement réalisé une chose  : ce qui compte, dans son business, c’est le réseau et il est très fort dans ce domaine. Palmer a partie liée avec les 9 depuis ses jeunes années d’entrepreneur textile et s’est toujours ménagé leur appui en servant leurs intérêts au mieux. Les scandales bien actuels comme l’attribution des chantiers d’autoroute ou de

54

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

la gestion de l’eau dans le Comté sont là pour en témoigner. Palmer est aussi un Bonesman et a profité à fond du réseau d’influence de la confrérie. Sa bonhomie cache un homme politique efficace et sans scrupules, rusé à défaut d’être intelligent. Il n’éprouve aucun scrupule à détruire un adversaire, même s’il faut pour cela recourir à la calomnie ou au chantage.

HAROLD J. PALMER, POLITICIEN HÂBLEUR +++ / 60, 80, 250 / 40 La campagne municipale s’amorce et les adversaires de Palmer aiguisent leurs griffes, à commencer par le premier d’entre eux, le District Attorney Lawrence Gordon. Scandales financiers et frasques sexuelles mettant en cause ce bon Harold se bousculent à la une des journaux. Je n’ai pas vraiment d’infos sur les histoires de gros sous. Que Palmer ait laissé des collaborateurs mal intentionnés s’en mettre plein les poches pendant qu’il était lui-même à la pêche ou au pieu, je suis prêt à le croire. Qu’il trempe dans les magouilles des 9, c’est une certitude. Qu’il se soit lui-même honteusement enrichi, je n’en ai pas l’impression. Concernant les histoires de cul, j’ai par contre pu vérifier par moi-même leur véracité. Tous les flics du HHPD connaissent son penchant pour la cuisse bien galbée, de préférence noire. Ses petites expéditions nocturnes dans Aisbury Park mettent invariablement sur les dents les flics chargés de sa sécurité. Sans parler des soirées privées auxquelles il aime participer ou les rumeurs d’enfants illégitimes. On ne compte plus les fois où le maire a été pincé

le pantalon sur les chevilles. Ça faisait même partie de son charme mais avec le début de la course à la mairie, c’est le défouloir et la presse se régale. Gordon boit du petit lait en se lamentant en compagnie des rombières du Committee of Vigilance, désolées de voir la grande civilisation américaine partir à vau l’eau entre les jambes de putes nègres. Des rumeurs plus sinistres font état d’un lien entre Palmer et le crime organisé, sa bienveillance à l’égard de certains patrons du crime, le fantasque Nat Vernon en tête. Les choses ne m’ont pas l’air aussi évidentes, malgré les complaisantes accusations déversées par la clique de Gordon. Bien sûr, des types pas nets ont tourné autour de lui, profitant de ses largesses, de sa naïveté et de ses penchants pour la bagatelle. J’ai ainsi le souvenir de ce blagueur de Jay Carnetta, un petit dealer que j’avais moi-même cravaté plusieurs fois. Un beau jour, j’ai vu sa trogne de crevard syphilitique sur une photo officielle, impérial dans un costard immaculé. Quelqu’un a dû tuyauter l’entourage de Palmer parce que, quelques jours plus tard, les gros bras de la Brigade de Contention ont offert au brave Jay une balade aux limites du Comté dont il n’est à ce jour pas revenu… Mais à part ce genre d’oiseaux, je n’ai jamais eu la moindre preuve que Palmer ait fricoté avec les véritables patrons du crime. Au-delà de l’acharnement de Gordon, la pire épine dans le pied de Palmer sera peut-être bien sa propre femme, l’aristocratique Patricia Anderson Palmer. Nul doute qu’épouser cette belle héritière de l’influente famille Anderson a dû sembler une bonne idée au jeune Palmer  : ce fut son ticket d’entrée dans l’orbite des 9. Sauf que Patricia ne s’est jamais sentie l’âme d’une potiche et qu’elle ne se satisfait absolument pas des finalement petites ambitions de son mari. Elle qui se voyait déjà première dame vient de se rendre compte qu’elle a misé sur le mauvais cheval et ça la met dans une sacrée rogne. Elle est prête à toutes les compromissions pour torpiller Gordon et relancer la carrière d’Harold et ira sans doute jusqu’à inviter un ou plusieurs Asservis dans la partie si besoin est.

Elle a déjà entrepris de placer ses protégés autour de Palmer et a chargé son homme de confiance, Darby Alexander, de « limiter  » les délires de Palmer et de le protéger malgré lui. Ancien de l’OSS, en poste à Londres pendant le blitz puis à Berlin après la libération, Alexander a navigué dans des eaux très troubles et on le dit, entre autres choses, docteur es torture. Le fait de le voir négocier des soutiens au maire, sans que celui-ci ne soit au courant des engagements pris, est loin d’être rassurant. Et si, comme on le murmure, les 9 décidaient finalement de soutenir Gordon plutôt que Palmer dans la course à la mairie, Patricia vivrait cela comme une terrible trahison et la campagne risquerait alors de devenir particulièrement intéressante…

PATRICIA ANDERSON PALMER, MADAME LE MAIRE ++ / 30, 100, 120 / 30

DARBY ALEXANDER, HOMME DE MAIN +++ / 120, 120, 60 / 10

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

55

56

Palmer est bien sûr entouré de nombreux collaborateurs. Le plus notable, toujours dans l’ombre, est sans conteste son Chief of Staff et premier conseiller, Anthony Parks. Il est totalement dévoué à Palmer car il sait pertinemment que si la carrière politique de son boss s’arrête, la sienne suivra dans la cuvette. Il faut dire que les milieux conservateurs d’Harbor – et soyons honnête, le citoyen moyen également – voit d’un mauvais œil cet homosexuel élégant devenu incontournable dans la gestion quotidienne des affaires de

la cité. L’autre homme dont tout le monde parle, sans pourtant rien savoir de concret, c’est Nathaniel Peabody, nommé Special Advisor pour conseiller le maire Palmer sur les questions liées au surnaturel. Qui dit surnaturel, dit essentiellement gérer la «  question  » des non-humains, comme en d’autres temps on a géré la « question » indienne. Peabody est à ma connaissance un invocateur brillant, en cheville avec plusieurs Asservis. Comme par hasard, il est de plus en plus visible dans l’entourage de Patricia…

ANTHONY PARKS, POLITICIEN DÉVOUÉ ++ / 50, 200, 100 / 30

NATHANIEL PEABODY, INVOCATEUR BIEN INFORMÉ +++ / 80, 220, 70 / 30

L’autre organe dirigeant Harbor est le City Council, qui se réunit au City Hall tous les mardis et jeudis Il a principalement un rôle législatif. Avant de voter chaque nouvel arrêté, il tient des public hearings où chaque harborian est le bienvenu. Ratifié, l’arrêté échoue sur le bureau du maire qui peut alors y opposer son veto. Le Council comprend quinze membres, chacun représentant l’un des quinze districts administratifs de la ville et l’un d’entre eux est choisi par ses pairs pour être Speaker. Chaque conseiller est élu, comme le maire, pour un mandat de quatre ans et son élection donne lieu à une véritable foire d’empoigne dans les quartiers. Être conseiller, c’est toucher une rente très confortable. Par ailleurs, chacun des quinze dispose d’un budget destiné à promouvoir des projets divers et son utilisation est totalement

discrétionnaire. C’est donc un très bon plan. Le plus drôle, c’est le découpage administratif, devenu une véritable science capable de faire ou de défaire un maire. Palmer est régulièrement dénoncé par ses détracteurs pour ses manipulations de la carte électorale, qu’il tente de rendre le plus favorable possible à ses partisans. Mais la cote du maire est à la baisse dans le Council. Le génie du D.A Gordon, c’est de l’avoir gentiment noyauté à force de cajoleries, de promesses et, dit-on, de menaces, quand il ne s’est pas débrouillé pour y placer des gens favorables à sa politique et à ses intérêts. Résultat, alors que les élections sont dans presque un an, le Council s’oppose quasi quotidiennement au maire Palmer, entretenant une atmosphère délétère qui nuit encore un peu plus à la crédibilité de ce dernier.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Je ne détaillerai pas les différents départements administratifs qui dépendent du City Hall. La municipalité est responsable de l’éducation publique, des bibliothèques, de la sûreté publique, de l’hygiène, de l’approvisionnement en eau, de l’énergie, des services d’assistance sociale, des établissements pénitenciers, des transports et de l’équipement de loisirs. Le plus gros service municipal est le Heaven Harbor Department

of Water and Power (HHDWP), fondé en 1908 pour délivrer eau et électricité aux habitants d’Harbor. Il est suivi de près par le HHPD. Je ne vous ai pas parlé du Comté ? C’est quasiment la même chose. Le County Board remplit le même rôle que le City Council mais ne compte que cinq membres, élus comme les conseillers municipaux. Les magouilles y sont tout aussi prolifiques. La politique est un beau métier.

LA JUSTICE On dit que le crime ne paie pas. Dans la plupart des cas, c’est vrai. Ayant été flic avant de devenir accusé, c’est un sujet que je maîtrise bien. Si vous faites des bêtises, vous aurez à en répondre devant la justice. La plupart du temps. Sachez tout d’abord que si vous avez déconné avec une loi fédérale, vous serez jugé devant la cour fédérale. Un truc aussi banal que de voler du courrier est un crime fédéral par exemple.… Sinon, vous serez jugé par une cour d’état. Dans les deux cas, la même procédure criminelle s’applique et vous disposez des mêmes droits. Notre bienaimée constitution vous donne en effet des garanties, des droits que les flics et les juges sont censés respecter. Votre aventure au sein de la justice harborienne va commencer avec votre arrestation. Avant qu’on ne vous passe les menottes et que vos propriétés puissent être fouillées, le 4ème amendement établit qu’une «  cause probable  » doit exister. Forcément, si vous venez de vous faire prendre avec un fusil à canon scié brandi sous le nez d’un limonadier, il y a des chances pour vous ayez «  probablement  » eu de mauvaises intentions. Le 6ème amendement vous donne quant à lui le droit de savoir pourquoi on vous arrête. En clair, les flics ne doivent pas vous embarquer ou vous détenir sans vous dire de quoi vous êtes suspecté. Le même amendement vous garantit un procès public et rapide : vous ne devez pas être laissé

en prison sans possibilité de vous expliquer devant un juge. Le 5ème amendement vous donne le droit de garder le silence lors de votre arrestation et même lors de votre procès  : vous n’êtes ainsi pas tenu de vous incriminer vous-même. Enfin, vous avez le droit à un avocat dès votre arrestation. Un joli arsenal contre l’arbitraire, non ? Sachez-le, tout cela est bien relatif. La majorité du temps, les flics se foutent tout simplement de vos droits. Tout dépendra en fait de votre notoriété, de l’aura de votre avocat et de la taille de votre porte-monnaie. Si aucun de ces éléments n’est à même d’impressionner les flics, vous serez arrêté sans qu’on vous dise pourquoi, juste pour que vous restiez là à mouiller votre chemise. Les flics fouilleront tout ce qui leur plaira et se préoccuperont plus tard d’obtenir un mandat, s’ils trouvent quelque chose. Dans certains cas, ils colleront la preuve euxmêmes. Si vous ne savez pas que vous avez le droit à un avocat, ne comptez pas sur eux pour vous l’apprendre, pas plus qu’ils ne vous rappelleront votre droit à vous taire. Ces types forment une belle famille soudée, et leurs amis du bureau du procureur sont sur la même longueur d’ondes. Vous serez ensuite présenté à un juge. Lors de la première audience, ne sortez pas les grands moyens, on ne vous entendra pas : elle servira juste à déterminer si vous représentez un danger pour la société et donc si vous devez rester en prison. Si le juge permet votre libération, il fixera une caution qui vous

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

57

sera rendue lorsque vous vous présenterez au procès, histoire d’avoir quelque assurance que vous n’allez pas vous tirer à Tijuana sitôt sorti du palais de justice. Vous n’avez pas le fric pour payer la caution  ? Ce n’est pas un problème dans notre beau pays, le business pense à tout : vous pourrez trouver des gens prêts à payer pour vous, moyennant un pourcentage, comme Billy «  Juicy  » Crumb et son « Friendly Loan ». Vous le verrez souvent traîner ses 150 kilos près des salles d’audience, distribuant ses cartes de visite graisseuses aux familles éplorées qui attendent des nouvelles des leurs. Si vous ne vous présentez pas à votre procès, l’argent sera perdu et ça, c’est mauvais pour le business. En plus des flics, vous aurez vite fait un chasseur de primes aux fesses chargé de vous ramener pieds et poings liés devant le juge pour que Juicy puisse récupérer son pognon.

58

BILLY « JUICY » CRUMB, PRÊTEUR DE CAUTION + / 120, 80, 60 /10

l’accusation va devoir prouver votre culpabilité. Le jury devra être unanime avant que le juge ne déclare la peine. Le 8ème amendement nous dit qu’un citoyen ne doit pas être sujet à un châtiment cruel mais il faut croire que griller sur une chaise électrique n’est pas cruel : la peine de mort est légale dans notre bel état. Sachez-le avant de flinguer votre prochain. Si vous êtes innocenté, vous avez tiré le gros lot : même si de nouveaux éléments surgissent plus tard, vous ne pouvez pas être jugé deux fois pour le même crime. Être jugé à Heaven Harbor, c’est un peu comme jouer à la tombola. Y a les mecs qu’ont de la chance, et les autres. Ceux qui n’ont pas de chance, par exemple, seront présentés à un juge de la trempe d’Ebenezer Ryker. Cette vieille baderne décrépite, sèche comme une trique, devait déjà sucrer les fraises pendant la guerre de sécession. Mais faut croire que la haine, ça entretient son homme. Si Ryker a été surnommé «  Electric Eb  » par les assistants du procureur, ce n’est pas pour rien. Remarquez qu’ils ne passent pas forcément un bon moment, eux non plus, tant le vieux Ryker se fait un plaisir de pointer la moindre faille d’un dossier et de crucifier l’accusation au besoin. D’après lui, ça s’appelle l’intégrité mais je le soupçonne d’aimer tout simplement écraser le commun des mortels. Membre actif du New Committee of Vigilance, le vieil Eb déteste tout ce qui n’est pas blanc et protestant. On n’en fait plus des comme ça.

Vous reviendrez devant le juge au moins une seconde fois, pour la mise en accusation. Il vous sera alors demandé de plaider coupable ou non coupable. La majorité des affaires jugées ne dépassent pas cette étape  : vous plaidez coupable, l’accusation et la défense ont déjà négocié un accord qu’ils présentent au juge, celui-ci prend la décision et annonce la sentence. Rapide et moins onéreux pour le contribuable. Quand à savoir si cela respecte vos droits constitutionnels, tout le monde s’en fout, même la Cour Suprême. Si vous plaidez non coupable, les choses se compliquent. Il va falloir réunir un jury populaire devant lequel

EBENEZER RYKER, JUGE HAINEUX + / 20, 100, 70 / 30

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

D’autres, plus chanceux, se retrouveront face à un juge comme Terrance Rothstein. Pas que le mec soit particulièrement coulant, mais il ne poursuit pas avec acharnement une quelconque croisade personnelle dont il apprécierait la progression à l’aune des têtes qu’il ferait rouler. Ce petit bonhomme à lunettes sait écouter et comprendre. Il sait être dur quand il le faut et donner une chance quand c’est nécessaire. Un type bien qui fait correctement son boulot.

TERRANCE ROTHSTEIN, JUGE INTÈGRE ++ / 40, 120, 120 / 30 Naturellement, la palette est large entre ces deux extrêmes… Et je ne vous parle même pas des vilaines rumeurs qui sont légion dans les couloirs du palais, à propos des grasses enveloppes que toucheraient certains juges. Si le rôle du juge est de rendre la sentence, le District Attorney représente l’état dans l’accusation des criminels et il supervise un staff d’assistants, les substituts, à qui il délègue cette représentation. Leur boulot est de monter et défendre un dossier contre l’accusé afin de prouver sa culpabilité. Chargés d’instruire les affaires criminelles, le D.A et ses substituts travaillent directement avec les flics du HHPD. Le but partagé étant de monter un dossier solide qui permettra de coincer le prévenu – ou à tout le moins de le convaincre d‘accepter un marché et de plaider coupable – les choses se passent généralement bien. C’est du gagnant-gagnant, flics et accusation ont donc intérêt à travailler main dans la main. Mais cette relation est parfois pervertie. Les procureurs sont des hommes de loi mais

également des politiciens dans l’âme et ils ne foutront pas leur carrière à la benne pour couvrir une poignée de flics. Chacun se couvre et compte les points. Dans l’esprit de beaucoup de gens, la loi à Heaven Harbor s’appelle Lawrence Gordon. Beau gosse aux allures sportives, sourire ravageur et poigne ferme, foutrement élégant avec ses tempes légèrement blanchies et ses costumes sur mesure, le District Attorney d’Harbor en jette un maximum. Il s’est imposé comme l’image du gendre idéal, cultivant son image de type droit dans ses bottes, héros rédempteur acharné à la défense de ses concitoyens. Comme s’il avait fait sienne la loi du Talion, il a mis son charisme au service d’une justice dure et revancharde. Aimé des journalistes devant qui il est toujours à l’aise, il leur bourre le mou à l’envi, surtout depuis qu’il ne fait plus mystère de son désir de gagner la mairie d’Harbor. Il n’a de cesse de fustiger la corruption et l’incompétence de l’administration Palmer. Se posant en chantre d’un retour aux valeurs morales, il a su faire vibrer la fibre des vieux boucs du parti républicain qui n’ont pas tardé à en faire leur champion pour la prochaine élection municipale.

LAWRENCE GORDON, DISTRICT ATTORNEY +++ / 100, 150, 200 / 40 Ce qui m’ennuie avec Gordon ? Ce type est trop propre et trop lisse pour être honnête. Ça cache forcément quelque chose. Il faut le voir sourire aux photographes au bras de sa femme, suivi de leurs quatre magnifiques bambins. Il l’a d’ailleurs bien choisie  :

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

59

60

belle, mais pas trop, juste ce qu’il faut pour briller sans trop d’ostentation. Récemment, Gordon a opéré un rapprochement avec le groupe des 9, les assurant sans doute qu’il ne toucherait pas à leurs intérêts même s’il torpille Palmer. Pour l’instant, les magnats d’Harbor soutiennent le maire sortant. Mais pour combien de temps ? Dans son sillage, une vague de jeunes loups a fait son entrée au palais de justice d’Harbor. Ambitieux, dévoués et téméraires, émoustillés par les succès de leur Pygmalion, les dents rayant les vénérables planchers de notre belle institution judiciaire, ils ont copié leur modèle avec plus ou moins de réussite. Gordon est apparemment un mentor exigeant. Il ne pardonne pas l’erreur et retire sa confiance plus vite qu’il ne la donne. Le plus servile et le plus efficace des collaborateurs de Gordon se nomme Stuart Perry. On dirait le même en plus jeune. Même élégance et même aisance, malgré des restes d’accent plouc qui trahissent parfois ses origines modestes. Pour un flic du HHPD, c’est l’un des substituts les plus difficiles avec qui l’on puisse être amené à travailler. Il ne semble jamais dormir, se pointe sur les scènes de crime, ne lâche rien, fait tout vérifier plusieurs fois, met son nez dans les interrogatoires… Forcément, c’est le fils prodigue, le préféré du patron qui prépare déjà le terrain pour que son poulain le remplace lorsqu’il aura luimême posé ses fesses sur le cuir du fauteuil de maire. Seule ombre au tableau, la relation

de Perry avec une succube nommée Patsy. Il l’a même depuis peu installée dans son propre appartement de Carnelly Hill et c’est une décision que Gordon désapprouve de manière véhémente. Perry doit trouver une solution s’il veut correctement préparer sa campagne électorale. Le temps des choix déchirants est arrivé. Faut savoir grandir, comme aurait dit mon imbécile de père… Autre étoile montante du bureau du procureur, la sévère Elizabeth Greene compense l’a priori lié à son sexe dans le monde fermé et masculin de la justice par un surcroît d’intelligence et de travail. Elle a étudié en profondeur tout ce qui tourne autour du surnaturel à Harbor et c’est à présent à elle qu’échoient les dossiers comportant un volet «  démoniaque  », qu’il s’agisse de simples rumeurs ou d’aveux circonstanciés de la part du prévenu d’avoir eu recours à une invocation pour commettre un acte délictueux. Ne vous y trompez pas  : la justice n’a reconnu jusqu’à présent ni cas de «  possession  », ni «  intervention surnaturelle  ». Le job de Greene est justement de s’assurer que les élucubrations surnaturelles ne poseront pas souci à l’accusation et ne viendront pas polluer le procès. Je dois toutefois reconnaître que Greene a une connaissance pointue de son sujet. Elle dispose d’un très bon informateur capable de la rencarder sur les histoires de hiérarchie des Asservis mais je n’ai pas réussi à identifier celui-ci.

STUART PERRY, ADJOINT AU D.A ++ / 90, 130, 100 / 30

ELIZABETH GREENE, ADJOINTE AU D.A ++ / 50, 200, 70 / 20

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Lorsqu’il faut étayer une affaire, s’assurer que les flics ont fait du bon boulot ou éventuellement les court-circuiter, le bureau d’enquête du D.A entre en scène. Ce sont des flics, sauf qu’ils ne prennent pas leurs ordres de la hiérarchie du HHPD mais du staff du D.A. Ces mecs peuvent venir mettre leur nez quasiment où bon leur semble et ne s’en privent pas. Le chef du bureau se nomme Oliver Bronzinsky, un grand échalas au regard d’aigle. Ce mec est tout simplement l’un des meilleurs flics que j’ai jamais rencontré. Espérant à son tour entrer en politique, il s’emploie fortement à polir son image. Il est ainsi le conseiller de l’émission de radio Harbor’s Finest. Olivier reste néanmoins un type foncièrement honnête et un enquêteur hors pair.

OLIVER BRONZINSKY, ENQUÊTEUR +++ / 100, 120, 90 / 20 Un mot enfin sur le Grand Jury, qui se tiendra sans doute en début d’année prochaine et dont les travaux préparatoires battent leur plein. Dans notre beau système, le rôle d’un grand jury est de déterminer s’il est probable qu’un crime ait été commis et s’il y a suffisamment de preuves pour instruire un ou une série de procès. Son but sera simple  : prendre la mesure de la subversion communiste dans le district d’Harbor et extirper le cancer bolchevique des esprits avant qu’il n’engloutisse notre belle démocratie. Des équipes d’enquêteurs

détachées du HHPD ont été chargées, sous la supervision du D.A de compiler des listes, de cibler des témoins, de réunir sur eux documents compromettants et moyens de pression en vue de leur déposition devant le jury et d’investiguer les rumeurs de réseau d’espions à la solde de Staline. La peur du rouge a supplanté celle du cornu dans les esprits et de très vilaines choses se préparent. On murmure que la mafia filerait un coup de main, histoire de se débarrasser des agitateurs et de reprendre en main les syndicats, que les 9 bandent dur pour le jury, au point que Gordon le leur aurait servi sur un plateau pour les brosser dans le sens du poil. Que Nathan Maxwell, dont la paranoïa s’exacerbe dès qu’on parle de communisme, n’a pas hésité à financer la croisade antirouges et à y affecter des nervis à lui… Voir tous ces gens coucher dans le même lit n’augure rien de bon. M’étonnerait pas que tout ça soit piloté en sous-main pour faire du Grand Jury une grande bombe politique. Reste à savoir sur qui elle sera pointée… Je sais de source sûre qu’un ex-flic, Noah Van de Kamp, a été chargé par Gordon de coordonner les investigations. Ce type est une dangereuse raclure, impliqué dans je ne sais combien d’affaires louches. Il n’a vraisemblablement pas changé depuis qu’il corrigeait du métèque à coups de nerfs de bœuf.

NOAH VAN DE KAMP, ORDURE VIOLENTE ++ / 200, 120, 100 / 20

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

61

THE BADGE : HEAVEN HARBOR’S FINEST Je suis un ancien du HHPD et j’en garde une incompréhensible fierté. Je suppose que l’esprit de corps m’a intoxiqué à mon insu. D’autant plus étrange que je n’ai pas été débarqué de façon très glorieuse et que je n’ai guère d’illusions sur la probité de cette vénérable institution. Vénérable. C’est le maître mot. Le Heaven Harbor Police Department est une vieille maison, percluse de traditions, de non dits et de règlements tacites qui n’ont jamais été écrits et ne le seront jamais mais qui gouvernent la vie de chaque policier. Devenir flic, c’est entrer dans une véritable famille et accepter un pacte bien plus contraignant que le simple contrat qu’on vous demandera de parapher. Vous verrez plus votre partenaire que votre femme ou vos gosses. Votre vie dépendra de lui, tout comme la sienne dépendra de vous. Croyezmoi, vous lui direz des choses que vous n’avez jamais dites à personne d’autre. L’esprit de famille cimente la vie des flics d’Heaven Harbor. Vous soutenez vos collègues et ils vous soutiennent, c’est comme ça que ça marche et que l’institution perdure. On ferme sa gueule et tout le monde se serre les coudes. On ne refuse pas le verre dans le bar en face du commissariat avant de rentrer chez soi. Chacun contribue aux caisses de solidarité, légales ou pas, et personne ne rate le rituel du bal annuel de la police. L’une des pires conneries que puisse faire un criminel est donc de buter un flic. La chasse à l’homme ne se terminera que très rarement par une arrestation. Que le flic

62

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

mort ait été populaire ou pas n’y change rien  : c’est une question de principe. J’ai vu des patrons du crime balancer en personne le petit connard responsable de la mort d’un flic. C’est comme ça que les choses marchent. Certaines lignes tacites ne se franchissent pas. Quand je parle de famille, c’est parfois au sens propre. Le HHPD est encore souvent une affaire de famille de sang. On endosse l’uniforme comme son père ou son frère avant soi. Les dynasties de flics existent, avec leurs règles et leurs drames  : affrontements père-fils, pression pour être «  à la hauteur  » de l’héritage familial… De la même façon, le HHPD reste encore un club de garçons. Si la première femme flic a été embauchée par le HHPD en 1922, on en voit encore peu dans les voitures de patrouille et encore moins avec un badge de détective. Tous les flics du HHPD sont passés par son académie de police et ses sept mois de formation avant de rejoindre les patrouilles. Un rookie fait toujours équipe avec un senior pour la première année. Le boulot de patrouille sera son quotidien pendant les deux ou trois années suivantes. Au bout de quatre ans, il pourra alors tenter l’examen de sergent ou de détective. Ce sont deux grades parallèles  : sergent et détectives peuvent ensuite postuler au rang de lieutenant et espérer gravir les échelons du HHPD. Rappelez-vous ce qu’on a dit sur la famille : on ne devient pas quelqu’un

au sein du HHPD sans des appuis et sans une réputation. Celle d’être quelqu’un en qui l’on peut avoir confiance est sacrément vitale. Être un mouton noir, comme dénoncer ses collègues, c’est accepter de passer sa vie professionnelle seul, avec le risque de se faire poignarder dans le dos à la moindre faiblesse. Pourtant avec le chef Benneville, c’est possible et plusieurs flics ont eu de l’avancement en dénonçant des collègues. Le chef en a fait des exemples mais la vie de ces flics est un enfer quotidien. Il faut des couilles en acier, ou une ambition dévorante, pour faire ce genre de choses. Le HHPD est un service de la municipalité. Le Chief of Police est donc nommé par le maire, pour une durée de cinq ans. En cas de problème, le maire peut exiger sa démission bien avant ce terme. Le patron du HHPD se nomme Terrence Benneville. C’est un homme dur, droit et juste, quasiment issu du rang, admiré par ses hommes pour sa connaissance de la rue et de la réalité du terrain. Benneville est devenu chef du HHPD après une série de scandales qui ont culminé le 24 juin 1947, lorsque deux types entrèrent comme dans du beurre dans le commissariat central avec de faux insignes et flinguèrent à bout portant un suspect dans

une salle d’interrogatoire, avant de ressortir sans être inquiétés. L’enquête révéla alors que plusieurs détectives arrondissaient leurs fins de mois en braquant des commerces et qu’ils avaient commandité l’exécution, distribuant des enveloppes pour que tout le monde regarde ailleurs. Benneville fut nommé deux semaines plus tard et investi d’une mission simple : nettoyer la police. Dès son discours d’entrée en service, il affirma vouloir faire du HHPD une force de police moderne, insoupçonnable et incorruptible. Une élite. Il n’a pas hésité à renvoyer les moutons noirs même lorsqu’il s’agissait d’officiers décorés et respectés. J’ai fait partie du lot… Le fer de lance de Benneville, c’est le Internal Affairs Group, créé en mars 48 et placé sous le commandant du Capitaine Thomas Larsen Jr, un de ses fidèles, une fouine inquisitrice dotée d’un flair infaillible. Le D.A Gordon a applaudi des deux mains les avancées du Chief of Police et a même souhaite enrôler ce dernier dans sa clique électorale mais Benneville a su garder ses distances. Il lui faudra sans doute mettre de l’eau dans son vin  : de sacrés appuis lui seront nécessaires pour mener à terme son ambitieux projet d’installer le HHPD dans un nouvel immeuble moderne.

TERRENCE BENNEVILLE, CHEF DE LA POLICE +++ / 60, 160, 90 / 40

CAPITAINE THOMAS LARSEN JR, FLIC FOUINEUR ++ / 70, 120, 60 / 30

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

63

Beneville et ses fidèles remuent donc un gros tas de boue et ce n’est pas du goût de tout le monde  : les petits arrangements avec la pègre, les notables ou les politiques, les passe-droits, les caisses de solidarité occultes… La corruption a toujours été une réalité quotidienne de la vie du HHPD. Ne pas payer son café ou accepter un repas du tôlier, c’est déjà du racket. D’autres se paient sur la bête, barbotent des trucs chouravés, un peu de came ou de pognon, un manteau pour Madame lorsqu’on retrouve des objets braqués stockés dans un hangar… Certains franchissent le pas et acceptent des enveloppes, de plus en plus grasses en fonction de leur statut et des services qu’ils rendent, qu’il s’agisse de prévenir de l’organisation d’une descente, de détruire des preuves ou de participer activement à un crime… Les hommes de Benneville sont aujourd’hui partagés entre leur respect pour l’homme et leur haine pour un traître aux «  traditions familiales  ». Ceux qui cherchent à lui nuire n’hésitent pas à fouiller son passé et comme tout un chacun, Beneville a ses petits secrets. Marié et père de trois grands enfants, il est aussi le père d’une fille illégitime de neuf ans, qu’il aime comme un fou. Il subvient à ses besoins et à ceux de sa mère, avec qui il a néanmoins rompu sa relation amoureuse. Beaucoup plus gênant, Benneville a participé dans les années 30 à une quasi-milice composée de flics désireux de se substituer aux jurys, tristement connue sous le nom de « Black Squad ». Cette bande de durs a débarrassé Heaven Harbor de plusieurs truands, les exécutant après un simulacre de procès. C’est une erreur de jeunesse qui peut lui coûter cher, sans compter les remords avec lesquels il doit vivre chaque jour… Le HHPD est organisé en cinq secteurs, eux-mêmes divisés en districts. Chaque secteur est sous l’autorité d’un deputy chief et chaque district est dirigé par un capitaine, à la tête d’un commissariat. Il y gère aussi bien les agents de patrouille que les détectives chargés des crimes commis dans leur district. Un sixième deputy chief, Bob Barnett, est rattaché au commissariat central et prend

64

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

en charge le bureau des détectives. Sous son commandement, les capitaines en charge des groupes « spécialisés » de détectives. Le Vice Squad est chargé de surveiller le jeu, les paris clandestins, la prostitution et la pornographie. Bosser aux Mœurs n’est pas une sinécure et c’est là que Benneville a fait le plus de coupes franches. Je ne jette pas la pierre aux flics de cette brigade. Rien de plus usant que de fréquenter quotidiennement les putes, leurs macs et leurs michetons. Rien de plus épuisant que de remuer chaque jour la fange humaine, de mettre au jour ses horreurs et sa misère. Le Juvenile Squad est une création récente, chargée de renforcer les autres équipes lorsqu’un crime inclut un gosse, d’une manière ou d’une autre. Déprimant, si vous voulez mon avis, surtout au vu de nos belles traditions, pour lesquelles corriger un gamin à coups de ceinturon est encore considéré comme un moyen éducatif. Les flics des Narcotics cultivent leur image de cow-boys d’élite mais suent à grosses gouttes depuis la création des IA. Faut dire que leur politique a toujours été de contrôler les trafics de manière « raisonnable », c’est dire en choisissant quels réseaux devaient survivre. Tant que la dope s’écoule chez les noirs d’Aisbury ou les latinos de Natividad, tout va bien… Enfin, le Robbery & Homicide, c’est un peu la voie royale. On a coutume de dire, parfois avec ironie quand ça sort de la bouche d’un détective de district, que la Criminelle n’accueille que les meilleurs. Les homicides, les braquages  : ces mecs-là ne se déplacent pas pour rien. Dès lors que du sang a coulé, ils peuvent récupérer toutes les affaires que les détectives de district ont commencé à traiter, mais ne se saisissent en fait que des plus grosses. Joe « Moutain » Smith est un ces flics d’élite. C’est aussi le premier golem à avoir décroché une plaque de détective, dans le 22ème district, avant d’être nommé à la Criminelle. J’aimerais pouvoir dire que c’est mon ami mais ce n’est plus le cas. Il n’empêche que ce type est un putain de bouledogue, qui ne lâche jamais rien et semble prendre sur lui toute la souffrance des victimes. Comme si c’était à lui, et personne d’autre, de leur

rendre justice, de faire en sorte qu’on ne les oublie pas. Benneville tient là l’un de ses meilleurs atouts et il le sait. Si tous les flics d’Harbor ressemblaient à Joe, le crime ne disparaîtrait peut-être pas, mais les criminels dormiraient beaucoup moins bien…

fréquentes. Benneville estime que ses flics sont responsables devant lui et personne d’autre, mais il n’a pas le choix. Miss Theresa Banks est l’une des cinq civils du Board et son cheval de bataille est l’image du HHPD devant la population, notamment les jeunes. Elle s’invite parfois dans les commissariats de district et on l’a vu prendre place dans une patrouilleuse, histoire de s’assurer que les agents en patrouille sont au service du public, restent corrects et courtois. Inutile de dire que c’est une calamité pour les pauvres flics sur qui elle jette son dévolu.

BOB BARNETT, CHEF DES DÉTECTIVES ++ / 100, 100, 120 / 30

MISS THERESA BANKS, BONNE CONSCIENCE DU HHPD + / 40, 100, 180 / 30

JOE « MOUNTAIN » SMITH, GOLEM ET DÉTECTIVE D’EXCEPTION +++ / 220, 200, 100 / 20 Malheureusement, c’est loin d’être toujours le cas et souvent les civils, même raisonnablement honnêtes, craignent les flics autant qu’ils reconnaissent leur utilité. La ville a mis en place le Board of Police Commissionners, composé de cinq civils désignés par le maire et confirmés par le City Council. Le Board en est une sorte de directoire, chargé de s’assurer que la police fait honnêtement son travail. On pourrait croire que ce serait l’idylle entre le Board et Benneville mais les intérêts politiques sont particulièrement lourds et les tensions sont

Deux groupes bien particuliers sont au cœur des polémiques actuellement, relayées avec gourmandise par la presse. Dans le 22ème district officie le 22th Squad, une brigade de choc chargée de pacifier la Forbidden City. Le Squad a été monté avec l’accord express de Benneville qui voulait bénéficier d’une équipe aux multiples compétences mais les choses semblent avoir dérapées, comme un écho sinistre de son propre passé… Tout aussi sinistre, la «  Brigade de Contention  » dirigée par Seamus Murphy, officie sur tout le territoire d’Harbor. Sorte de résurgence de l’ancien Black Squad, elle est chargée de s’assurer de mettre sous contrôle, voir d’éloigner, les « éléments les plus dangereux » de la communauté criminelle. De jolis euphémismes pour dire que ces mecs tabassent, extorquent et tuent, sans rendre de comptes à quiconque. Murphy, une ordure

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

65

comme on en voit peu et qui tient sous son joug tout Paddy Hill, est dans le collimateur de Benneville. Mais les mains de celui-ci sont liées : Murphy connaît son passé et il dispose d’appuis non négligeables, à commencer par le Committee of Vigilance… Faire tomber Murphy sera une sacrée gageure. Le HHPD n’est pas la seule force de police à arpenter le territoire chaque jour plus large que phagocyte la cité. Là où se termine la ville, derrière les collines, commence le Comté et le terrain de chasse du shérif. Le gros Darrin M. Horton est en charge de deux divisions de patrouilleurs, d’un bureau de détectives et gère aussi les prisons du Comté. Les relations avec le HHPD sont au mieux tendues et souvent ouvertement hostiles. Il faut dire qu’Horton ne subit pas la pression anti-corruption des flics de la ville et que ses relations « amicales » avec Nat Vernon entretiennent sa réputation d’infâme pourri. Il y a quand même quelques très bons flics dans les rangs de ses détectives mais cela ne suffit pas à effacer leur image de flics vendus. Sans compte la violence avec laquelle ils opèrent, plus marquée que celle du HHPD, ce qui n’est pas un mince exploit… Quand aux fédéraux, ils ne laissent pas grand monde mettre le nez dans leurs affaires. Au-delà des crimes qui leur

incombent (violations inter-états, attaque d’une banque fédérale, enlèvements ou fausse monnaie…), ils enquêtent sur le crime organisé mais sans grande conviction. Après tout, le bon Edgar Hoover a lui-même dit que la mafia était une vue de l’esprit, et la parole d’Edgar a valeur d’évangile chez ces messieurs du Bureau… Malgré les rumeurs sur leur groupe d’enquête des crimes surnaturels, ce qui occupe surtout les Fédéraux en ce moment, ce sont les communistes. Ça leur tient tellement à cœur qu’ils coopèrent même avec les guignols du Grand Jury monté par Gordon. C’est dire si notre belle Amérique est bien protégée…

DARRIN H. MORTON, SHÉRIF VENTRIPOTENT - / 40, 40, 100 / 30

Financial District City Hall est peut-être le cerveau d’Harbor, mais le Financial District en est le cœur, une pompe géante qui envoie chaque jour le précieux liquide vital, le billet vert, aux quatre coins de la ville. Vous et moi avons suffisamment de bouteille pour savoir que quoi qu’on fasse, à la fin c’est toujours

le cœur qui l’emporte sur le cerveau. Tout simplement parce que si le cœur s’arrête de battre la mesure, c’est la fin de la chanson, byebye Johnny et rendez-vous en enfer. Et n’allez pas m’objecter qu’on ne peut pas vivre sans cerveau, je pourrais vous présenter quelques anciens collègues qui y arrivent très bien…

LES BUILDINGS Mais revenons à nos moutons, ou à nos buildings plutôt. Le Financial District, c’est le quartier des affaires, le quartier où tout est plus haut, plus rapide, plus puissant, plus inhumain… Bien que des milliers de personnes s’y rendent tous les matins pour peupler les bureaux des immenses tours de métal et de béton, personne ne vit dans le Financial District, pas même les propriétaires des immeubles, dont les noms sont écrits en grandes lettres sur les façades. La nuit tombée, ils rentrent dans leurs pavillons de Remington Heights, sur la colline. Ne restent dans le Financial District que les vigiles, les flics et ceux que la grande machine à faire de l’argent a oubliés sur son chemin. On pourrait croire qu’un rat des basfonds comme moi n’aurait rien à faire dans un quartier comme le Financial District. C’est sans doute vrai, mais vous seriez surpris de voir le nombre de banales affaires de coucheries qui se révèlent en fait avoir des ramifications dans les hautes sphères de la politique et de la finance. Et dans ces cas-là, mieux vaut que je connaisse un peu le quartier, parce qu’on peut vite s’y perdre ou frapper à la mauvaise porte, ce qui n’est souvent pas mieux. Le premier gratte-ciel d’Heaven Harbor est le Roster Building, du nom d’un entrepreneur qui après avoir bâti toute sa fortune sur la bourse s’est jeté du haut du trente-neuvième étage un certain jeudi

d’octobre 1929. Malgré ses airs de cathédrale gothique, la douzaine de gargouilles pas franchement souriantes qui ornent son toit et sa sale réputation – il faut dire que pas moins de cinq personnes ont suivi l’exemple de ce brave Bill Roster – ce building doit probablement être mon préféré du Financial District. Je lui trouve un charme d’une autre époque, qui manque cruellement à la plupart de ses voisins. Actuellement, il est principalement occupé par des cabinets d’avocats, dont le célèbre Woods, Woods et Kelly, qui possède d’ailleurs l’immeuble. En 1912, les frères Woods, en bons vrais jumeaux, sont tous deux sortis de la même promotion de la Harbor Law School, quelques années avant votre serviteur, et ont fondé leur cabinet de droit privé juste après, plein de la fougue et de l’arrogance de la jeunesse. Deux choses ont pu faire qu’ils n’ont pas connu le même sort que le Titanic  : leur talent, d’abord, issu d’une savante répartition des rôles – Nathan pour les connaissances juridiques, Edgar pour les plaidoiries enflammées – et surtout le fait de s’être spécialisés très rapidement dans la défense du milieu mafieux. Ils en ont longtemps gardé une réputation d’ordures, mais l’argent finit par tout aplanir et de l’argent, ils en ont gagné beaucoup. Comme point final à leur entreprise de réhabilitation, l’entrée du fils cadet du clan Kelly, Michael, a achevé de les rendre incontournables dans toutes les soirées mondaines d’Harbor.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

67

N’en déplaise aux méchantes rumeurs qui affirment que Woods, Woods et Kelly aurait un quatrième associé caché, tout droit sorti de la Forbidden City… Je ne sais pas ce qu’il en est, mais une chose est sûre : si c’est vrai, ça serait tout à fait le genre de mon copain Mr Clay. A mon grand regret cependant, le Roster Building n’est plus depuis longtemps le plus grand bâtiment de la ville. Il a été remplacé par toute une série de constructions plus ou moins laides, la dernière en date étant le Bergson Building. 213 mètres de métal et de béton à la démesure de son créateur, qui ne lui a donné son nom que pour devoir le revendre, moins d’un an après son inauguration, à Walter Anderson, le magnat de la bourse, qui s’est empressé de le louer aussi sec à quelques compagnies et à la radio KHH. Les rumeurs les plus invraisemblables courent sur cette transaction. Anderson aurait joué de ses nombreux appuis dans les milieux politiques et économiques pour faire pression sur le vieux Bergson et il aurait usé de moyens moins recommandables encore. En parlant de pourritures, laissez-moi vous dire un mot de la banque Goldings, située juste à côté du Bergson Building. A l’origine il s’agit de l’un des nombreux établissements qui ont prospéré pendant la glorieuse époque de la ruée vers l’or, et qui avec les années a gagné en sérieux et en respectabilité. Elle a été rachetée dans les années trente, en pleine crise, par Ryan Kelly, le patriarche du clan, qui en a fait le vaisseau amiral de son armada politicofinancière. Ce n’est que juste après la guerre qu’il a vraiment décroché le jackpot : certains croient au coup de bol, d’autres disent qu’il a filé quelques coups de main à quelques gros poissons nazis pour qu’ils puissent prendre leur retraite au soleil avec leurs millions. Pas impossible, vu que le cher grand-père n’a jamais caché une admiration certaine pour les idées du caporal Adolf…

68

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

RYAN KELLY, VIEUX ROUBLARD +++ / 60, 230, 200 / 30

PATRICK KELLY, POLITICIEN AMBITIEUX ++ / 100, 120, 160 / 30 Enfin, au milieu de tous ces sièges sociaux rivalisant de hauteur et d’arrogance se trouve un unique bâtiment public, le Blaxo Hall, construit pour palier au manque de place du palais municipal. De l’avis des fonctionnaires qui y travaillent, passer du City Hall aux bureaux gris et sans âme du Blaxo Hall est une forme de dégradation, mais pour un type débrouillard comme vous ou moi, c’est surtout le bon endroit pour dénicher des bureaucrates suffisamment dégoûtés par leur travail pour vous filer quelques bons tuyaux ou parfois même un coup de pouce. A condition bien sûr de savoir adoucir leur café de ce petit whisky que vous gardez toujours avec vous, dans la poche de votre imper.

LE STRAND Lassé de travailler, marre de n’entendre que le martèlement des machines à écrire ? Je vous comprends  : moi aussi d’ailleurs, il commence à me démanger de m’en jeter un petit derrière la cravate. Et ça tombe plutôt pas mal, parce qu’à deux pas des buildings du centre des affaires se trouve l’avenue la plus chic d’Heaven Harbor : le Strand. En fait, l’avenue est l’une des plus longues de la ville, elle va de City Hall jusqu’au cœur de la Forbidden City. Mais si vous voulez passer une bonne soirée, suivez le conseil de votre pote Terry : restez dans la partie centrale, celle du Financial District. Vous ne pouvez pas la manquer  : la nuit, c’est l’endroit le plus lumineux de la ville, les panneaux publicitaires, les enseignes des restaurants et les porches des théâtres se font la guerre pour savoir qui brillera le plus. Et ça marche. Un peu comme les mouches qui s’agglutinent bêtement autour de la moindre ampoule, les fêtards viennent de toute la ville pour passer la soirée dans le dernier bar qui vient d’ouvrir ou assister à la première de la comédie musicale dont tout le monde parle. Il se passe toujours quelque chose sur le Strand  : pas forcément quelque chose qui intéressera les types comme vous et moi, remarquez, plutôt quelque chose pour le fermier du Midwest en goguette dans la grande ville ou pour le fils à papa dont l’unique préoccupation est de faire la fête. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit  : je n’interdis pas aux gens d’aimer les comédies musicales, mais moi mon truc, voyez, c’est plutôt le club de jazz crado au fin fond de la Forbidden City. Il arrive quand même que je fasse des entorses à la règle, pour les beaux yeux d’une starlette par exemple  : la dernière fois c’était pour aller voir Becky je-sais-plus-comment, qui avait décroché un tout petit rôle dans un grand show au Moony Hall, la plus célèbre et la plus grosse salle du Strand. S’il faut en croire les critiques et le succès qu’a eu le spectacle, c’était le truc à ne pas manquer de l’année… J’ai pour ma part trouvé l’intrigue assez

plate et surtout complètement irréaliste  : comment une pauvre actrice peut espérer affronter toute une clique de gangsters, histoire de venger la mort de son benêt de petit copain, et s’en sortir à la fin ? Ce genre de choses n’arrive jamais, pas dans mon monde en tous cas. Ce n’est d’ailleurs pas la pauvre Becky, qu’on a retrouvée poignardée dans les loges peu après cette représentation, qui dira le contraire. Paix à son âme ; j’ai refilé l’argent qu’elle m’avait donné pour sa protection aux orphelins de la police. Le Moony Hall est situé au croisement de la 16ème avenue et du Strand, un endroit appelé Harbor Central Point, mais si vous voulez passer pour un véritable harborian, dites simplement « Central ». C’est à partir de ce croisement que les avenues se séparent en est ou ouest, nord ou sud, mais c’est surtout l’épicentre de la vie nocturne du Strand, et un endroit toujours rempli de monde à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Ce qui peut être un avantage si vous avez besoin d’un lieu de rendez-vous avec beaucoup de témoins et beaucoup de flics. Toujours sur le Central, on trouve le Central Market Place, le grand magasin chic d’Heaven Harbor, racheté l’année dernière par Terrence Arbison. Spécialité de la maison, si votre compte en banque est à la hauteur  : le vendeur personnel, qui mettra un point d’honneur à satisfaire le moindre de vos caprices et à vous trouver l’article rare ou même, parait-il, illégal. Bizarre que la brigade des stups n’y ait pas encore mis son nez – sans jeu de mot – mais je suis sans doute mauvaise langue. Histoire de continuer à mener la grande vie, vous pourrez passer la nuit dans l’un des plus vieux hôtels de la ville, le Californian, actuellement possédé par l’un des amis d’Arbison, James Howard Vandelheim. J’ai moi-même passé quelques mois dans la plus petite de ses quelques six cent chambres, mais je dois avouer que je n’en garde pas un souvenir impérissable : le hall est splendide,

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

69

mais les étages laissent un peu à désirer et j’ai toujours soupçonné les concierges, trop polis pour être honnêtes, d’attendre le bon moment pour me faire un sale coup dans le dos. Par contre, je n’ai que des bonnes choses à dire à propos du bar du rez-de-chaussée, le Harry’s. Pendant mon séjour au Californian, j’ai d’ailleurs dû y passer plus de temps que dans ma chambre grise et minuscule. Et puisque le Harry’s tient son nom d’un bar à cocktail parisien assez fameux, je vais en profiter pour vous parler de Little France, une petite portion du Strand, de quelques blocs à peine, qui renferme les restos les plus chers, et parfois les meilleurs, de la ville. On y croise souvent des célébrités ou des gens importants, alors si vous avez un truc à leur dire, profitez-en pendant qu’ils dégustent leurs escargots. Pour ma part, je ne suis pas un grand amateur de cuisine française, je préfère de loin l’italien, mais je dois reconnaître qu’ils ont de sacrés bons vins. Allez faire un tour du côté de Chez Antoine, vous m’en direz des nouvelles… Et si vos papilles ne sont pas satisfaites, vous pourrez toujours profiter du deuxième service offert

par le restaurant : écrivez un nom sur la note, laissez un pourboire suffisant pour acheter une petite maison et d’ici une petite semaine votre associé, mari, rival, patron ou ennemi juré connaîtra le repos éternel. Inutile de dire que plusieurs générations de flics se sont échinées à lier Antoine aux assassinats, mais après plusieurs milliers de dollars de frais de bouche dépensés en pure perte, ils ont préféré jeter l’éponge.

ANTOINE, TUEUR À GAGES DISTINGUÉ ++ / 150, 150, 120 / 20

La couleur de l’argent Je l’ai dit et je le répète, c’est le pognon qui dirige cette ville. Et n’allez pas croire qu’il s’agit d’une simple figure de style : à Heaven Harbor, pouvoir politique et pouvoir financier, c’est du pareil au même. Palmer et Gordon ont beau se faire la guerre à coup de discours et de promesses électorales, l’avenir de la ville se joue ailleurs, dans les salles de réunion feutrées des milliardaires du Financial District. Pourquoi s’intéresser à un bête scrutin municipal lorsqu’on a déjà la fortune et la notoriété  ? Parce que diriger une entreprise de la taille de Maxwell Inc. ou de la Butterbilt Corp. est autre chose que gérer la petite épicerie à l’angle de Park et de la 57e. A ce niveau, les décisions du maire ou du gouverneur en place peuvent vous faire perdre, ou gagner, des millions. La politique influe sur l’argent, alors l’argent s’intéresse à la politique. Je vous vois venir : vous allez me parler de corruption, d’enveloppes discrètement passées sous la table, d’échanges de valises… Je ne dis pas que ça n’existe pas et croyezmoi, je suis bien placé pour le savoir parce que le privé est souvent le type qui porte la valise, mais le contrôle exercé par l’argent sur la politique passe souvent par d’autres biais, plus tordus. Une campagne, c’est cher, alors les chèques des généreux donateurs sont toujours les bienvenus. Et puis, n’est-ce pas servir la communauté que de trouver un arrangement avec un gros industriel pour que les grands chantiers soient moins

onéreux  ? Avouez aussi qu’avec le boulot qu’il a, notre bon maire mérite bien quelques vacances au soleil, ou une villa sur la colline de Remington Heights, aux frais des citoyens les plus riches de la ville, bien évidemment. Là où ça se corse, c’est quand les généreux amis commencent à demander des comptes. Comment dire non au type qui finance votre campagne ou la garde-robe de votre femme  ? Les politiciens d’Heaven Harbor, et d’ailleurs, n’ont toujours pas trouvé la réponse. Ils crient au scandale lorsque de pauvres flics comme moi ont le malheur d’arrondir leurs fins de mois, mais ils répartissent les juteux marchés de la ville entre leurs amis et font allègrement sauter toutes les contraintes légales qui les empêcheraient de devenir encore plus riches. Chaque milliardaire a son champion, chaque homme politique a ses supporters. Ceux du maire Palmer, ce sont les 9. Regroupés autour du patron du Harbor Chronicle, Terrence Arbison, on y retrouve, entre autres, Rita Butterbilt, dont les entreprises ont du construire la moitié des maisons d’Heaven Harbor, l’hôtelier James Howard Vandelheim, l’avocat d’affaire Dennis Royce et le magnat de la bourse, Walter Anderson. Le groupe a une longue histoire d’accointances pas très nettes, depuis son origine comme Association des Marchands & Fabricants, notamment avec la mafia, ou selon les plus récentes rumeurs, avec un Asservi du nom de Mr Johnson.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

71

72

TERRENCE ARBISON, PATRON DE PRESSE +++ / 60, 200, 120 / 40

DENNIS ROYCE, AVOCAT D’AFFAIRES +++/ 60, 250, 100 / 40

RITA BUTTERBILT, ENTREPRENEUR +++ / 50, 250, 100 / 40

WALTER ANDERSON, MAGNAT DE LA BOURSE +++ / 80, 160, 200 / 40

JAMES HOWARD VANDELHEIM, HÔTELIER RICHISSIME ++ / 90, 120, 180 / 40

NATHAN MAXWELL, MAGNAT PARANOÏAQUE ++ / 50, 200, 200 / 40

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Les activités du groupe comprennent évidemment des relations privilégiées avec le pouvoir en place, mais aussi des actions plus discrètes et plus musclées, pour convaincre les syndicalistes ou les concurrents les plus butés. Une de mes vieilles connaissances de fac, qui travaille pour le cabinet Royce, affirme également avoir vu son patron et d’autres membres des 9 traîner avec un type au drôle d’air, un possédé vraisemblablement envoyé par Mr Johnson. Ce qui explique peutêtre pourquoi les ennemis du petit club d’industriels tombent les uns après les autres, sans qu’on puisse faire la moindre connexion avec les milliardaires. Et si les 9 soutiennent encore, du moins provisoirement, le maire sortant, il ne faudrait pas croire que son principal adversaire, Gordon, soit sans ressource. Il faut chercher ses appuis du côté de l’Irlande, et plus précisément du très conservateur clan Kelly. Le fils, Patrick, a apporté publiquement son soutien au District Attorney dans la course à la mairie, mais cela cache un autre soutien, beaucoup plus matériel cette fois, de la part de la banque Goldings détenue par son père, Ryan. Lequel adopte d’ailleurs les méthodes de la concurrence en plaçant ses hommes dans toutes les administrations, en graissant la patte de nombreux fonctionnaires et en faisant chanter les autres. Ils savent y faire, les Kelly. Ils ont su garder le pragmatisme brutal de leurs origines criminelles à Paddy Hill. La partie semble donc devoir se jouer entre les 9 d’un côté, les vieilles fortunes d’Harbor, et la famille Kelly, nouvelle venue aux dents longues. Mais rien n’est aussi simple : Gordon déploie actuellement toute son énergie pour se rapprocher des 9. Ce qui signifierait rompre ses liens avec les Kelly que de sombres disputes opposent aux 9 depuis de longues années. Ce qui veut dire aussi que le pauvre maire Palmer se retrouverait les fesses dans l’eau. La trahison est un art.

Reste le fouteur de merde, celui par qui tout peut être renversé. Nathan Maxwell, vieux papy dépravé, pourrait bien jouer les arbitres, ou les trouble-fêtes, au choix. Maxwell dispose d’une immense fortune, héritée de son industrie d’armement pendant la guerre. C’est aussi un taré paranoïaque et fantasque, obsédé par le cul, qui entretient un véritable harem réparti dans toute une série d’hôtels particuliers disséminés dans Harbor. Son fric lui permet d’acheter le silence de la police et de s’assurer que ses petites protégées ne manquent de rien, même si l’on parle de came et pas seulement de chinchillas. Nathan adore l’idée de se la jouer gangster et recrute des nervis ou des ex-flics marrons pour régler ce qu’il appelle ses «  affaires  ». Persuadé que les Bolcheviks défileront dans le Strand d’un jour à l’autre, il investit massivement dans la lutte anti-rouges, chargeant ses «  garçons  » de débusquer les agitateurs parmi les syndicalistes et de les rééduquer à coups de crosse. Forcément, Maxwell n’est pas très fréquentable et il n’est pas dans les petits papiers de la vieille bourgeoisie harborienne. N’empêche que son soutien financier, à l’un ou l’autre des candidats à la mairie, a de sérieuses chances de faire pencher la balance. Palmer et Gordon n’ont pas encore osé s’afficher auprès de Maxwell mais les manœuvres d’approche vont forcément démarrer. On murmure déjà que le vieux taré a beaucoup apprécié la détermination du jeune Gordon à organiser le Grand Jury… Rassurez-vous : même si les gros poissons d’Harbor font la pluie et le beau temps à coups de millions, il y aura toujours des ratés, des tâches de sang sur la moquette et des cadavres qui traînent. Et il y aura toujours besoin de types comme nous pour nettoyer tout ça.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

73

A la Une Le seul truc qui fait encore peur aux milliardaires et aux barons de la politique, c’est l’information. Ils sont protégés par des armées d’avocats et de gardes du corps, ils tiennent la police et tous les niveaux du gouvernement, mais il reste une chose contre laquelle ils ne sont pas protégés  : l’opinion publique, les types comme vous et moi. Tout va bien tant que leurs petites affaires restent dans l’ombre, mais si par malheur un fouillemerde quelconque vient mettre son nez dedans et s’avise d’en faire un papier ou une chronique sur les ondes, le château de carte s’effondre, et eux avec. Sur le papier, c’est un sacré métier que celui de journaliste. Champion du peuple, garant de la démocratie, il s’en va, armé d’un calepin et d’un appareil photo, traquer la vérité, démasquer le mensonge, révéler les scandales. Ouais. Sur le papier, flic aussi c’était un beau métier, et j’ai rapidement déchanté. Le problème du journalisme, c’est qu’il ne suffit pas de faire un article, encore faut-il qu’il soit publié. Il faut donc passer par un journal, qui appartient à quelqu’un. Si ce quelqu’un est un ami de celui que vous descendez dans votre article, vous pouvez dire adieu à la publication. Et à votre job, par la même occasion. Prenez le quotidien le plus lu de la ville, le Harbor Chronicle. Une institution, une réputation en béton, et quelques jolis coups à son actif, comme l’enquête sur la mort du chef Vendigger, en 28. Le seul problème, c’est que dans les années trente, en pleine crise, le journal a été racheté par Terrence Arbison, qui en a fait un véritable outil de propagande à son service. Vous pouvez chercher dans les colonnes du Chronicle les articles qui parlent des entreprises Arbison sans en chanter les louanges : pas un seul. Quelques courageux journalistes s’y sont risqués  : on les a retrouvés quelques jours plus tard en train de pointer au chômage.

74

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Et pourtant, même si chaque matin, du haut de son bureau au sommet de la tour du Harbor Chronicle, le milliardaire épluche minutieusement l’édition du jour pour en épurer le contenu, même s’il faut souvent lire entre les lignes, sauter des articles qui ne font que servir les intérêts du directeur ou attaquer ses adversaires, le quotidien reste la source d’information principale de nombreux harborians, moi y compris. J’y ai d’ailleurs un contact, un ancien copain de fac du nom de Charlie Tobbs, journaliste d’investigation comme on en fait plus, en charge des dossiers politiques les plus brûlants. Par un étonnant miracle, il a conservé son job, même s’il prépare ses cartons à chaque nouvel article, juste au cas où. Je soupçonne en fait ce bon vieux Charlie de garder sous le coude quelques infos croustillantes sur son patron, qui lui donnent une certaine liberté, notamment quand il s’agit de taper sur l’un des amis de M. Arbison, le maire Palmer. J’aime bien les articles de Charlie et je ne rechigne pas à l’occasion à lui filer des révélations de première main, d’autant qu’il m’a souvent dépanné de quelques tuyaux bien utiles sur le milieu politique.

CHARLIE TOBBS, JOURNALISTE D’INVESTIGATION ++ / 80, 140, 100 / 10

Si par contre vous voulez un journal véritablement indépendant, vous pouvez toujours vous tourner vers Whispers, le quotidien à scandale d’Harvey Weimbaugh. Imprimé sur du papier de mauvaise qualité, vendu dans la rue et écrit avec les pieds le plus vite possible, pas de doute : ici on privilégie le fond à la forme. Et le fond, c’est souvent des rumeurs, pas forcément vérifiées mais pas forcément infondées pour autant, qui traînent dans la boue l’image des politiques, des patrons d’industrie ou des stars. Le HHPD et le Harbor Chronicle font aussi

partie des cibles privilégiées des journalistes anonymes du journal. Le cul, le pognon et la came : ces trois mots donnent des suées à Weimbaugh. Dernièrement, campagne électorale oblige, Whispers s’est déchaîné, Weimbaugh promettant à chaque éditorial de grandes révélations sur des scandales qui pourraient faire tomber les têtes les plus illustres d’Harbor. Sauf que pour l’instant, on n’a toujours rien vu. Certains pensent qu’il a bluffé pour attirer plus de lecteurs, d’autres qu’il a la trouille. Sachant qu’il

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

75

a engagé il y a un mois un garde du corps golem sorti de la Forbidden City et que ce dernier s’est fait descendre dans la semaine, je vous laisse faire le calcul. Après que son ange gardien en brique se soit fait refroidir, il m’a appelé, mais j’ai dit non, merci. Le jour où j’aurai décidé d’en finir avec la vie, je préférerai m’en charger tout seul.

HARVEY WEIMBAUGH, ROI DES FOUILLES MERDE +++ / 80, 120, 250 / 20

de vous dépêcher de lire ses chroniques, parce qu’avec la vie de jazzman débauché qu’il mène, entre les cocktails, la poudre et les bagarres avec ses collègues critiques, je crains que Sammy ne fasse pas de vieux os. Enfin, il y a la radio  : celle d’Heaven Harbor s’appelle K.H.H., elle diffuse à partir du Bergson Building. Beaucoup de musique, quelques feuilletons radiophoniques comme le célèbre Harbor’s Finest version romancée des flics du HHPD, et surtout une émission nocturne qui vaut son pesant d’or, celle de Mike «  The Voice  » Peters. L’animateur alterne les chroniques de la vie nocturne d’Harbor avec quelques ragots bien sentis sur les puissants de la ville, vraisemblablement tuyauté par quelques flics rigolards. Vu l’heure, il ne doit pas y avoir grand monde qui l’écoute, mais ça m’étonne quand même que Peters ne se soit pas encore fait descendre. A moins que les flics qui se servent de lui pour se faire justice assurent sa protection de manière discrète et efficace…

Et puis, je l’avoue, Whispers, ça n’est pas ma tasse de thé. J’ai beau avoir encaissé quelques chèques signés Weimbaugh en échange de petites enquêtes minables, personne n’est parfait, je suis un type de la vieille école, qui aime le journalisme bien écrit et l’information qui repose sur des faits bien établis. La seule rubrique qu’il m’arrive de lire, c’est celle du critique de jazz Sam Eagle, musicien raté mais véritable amateur de bonne musique, qui n’hésite pas à aller dénicher des types incroyables dans des clubs au fin fond d’Aisbury Park ou de la Forbidden City. Vous feriez d’ailleurs mieux

MIKE « THE VOICE » PETERS, ANIMATEUR JUSTICIER ++ / 60, 110, 150 / 10

Natividad Quand on se promène à Natividad, on ne se dit pas que c’est ici que tout a commencé. Et pourtant si, un beau jour de 1778, au mois de septembre pour être précis. Il devait faire aussi chaud qu’en enfer à cette période de l’année. Peut-être bien que ça aurait dû mettre la puce à l’oreille des missionnaires espagnols… Mais quand on se promène à Natividad, on ne voit pas le cœur historique de la ville, on ne voit qu’un vieux quartier espagnol qui tombe en ruines. Il y a bien longtemps qu’Heaven Harbor a déplacé son centre plus au sud, abandonnant ses racines, laissant le berceau qui l’a vue naître dépérir doucement.

Il y a quelques jolies façades, pourtant. Des maisons très basses, d’un ou deux étages au plus, dans un style qui rappelle le Mexique  : plâtre coloré, poutrelles apparentes et larges terrasses. Mais les couleurs s’écaillent et faute d’entretien, les maisons se transforment peu à peu en taudis. L’avantage, du coup, c’est que les loyers ont considérablement baissé dans le quartier depuis les années 20. Ce qui a attiré les immigrés hispaniques, notamment les clandestins, ceux qu’on appelle familièrement les dos-mouillés, ainsi que quelques originaux un peu fauchés, dans mon genre.

LE NOUVEAU NATIVIDAD Mais la grande question qui se pose en ce moment à Natividad, c’est de savoir si ça va durer. D’après les plans de la grande autoroute prévue pour l’année prochaine, une bonne partie du quartier devrait disparaître purement et simplement de la carte pour laisser la place à un joli réseau de bretelles et de routes d’accès. Et tant pis pour les grands discours enflammés de Palmer sur l’attachement d’Heaven Harbor à ses origines. D’ailleurs la mairie a prévu le coup, puisqu’elle a décidé de la construction, en parallèle, d’un grand musée sur l’histoire de la ville et de l’état. Et les pauvres types qui vivent là, dans tout ça ? Très simple. Vu que la plupart sont clandestins, il suffit de les renvoyer chez eux avec un bon coup de pied dans le derrière. Et comme ils ne votent pas, c’est tout bénef. Il faut dire que la présence d’immigrés hispaniques aussi près du centre-ville agaçait depuis un bout de temps toute l’élite politicienne et bourgeoise de notre chère cité et qu’ils ont sauté sur l’occasion de faire d’une pierre deux coups.

Natividad va donc devoir s’habituer pour quelques temps à vivre au rythme des bulldozers, des pelleteuses et des coups de bélier dans les portes. Et moi je vais probablement devoir me chercher un autre coin de paradis pour couler mes jours. Mais je ne vais pas me plaindre  : au moins personne ne pourra me renvoyer dans un autre pays. Le projet qui avance le plus rapidement, c’est celui du musée. Le «  nouvel espoir pour Natividad  », selon les termes de ce bon Howard, a commencé à éclore en face de la Mission qui a donné son nom au quartier et dont la mairie entend faire l’un des hauts lieux touristiques de la ville. C’est une bâtisse qui rappelle les haciendas mexicaines, tout en pierre ocre, avec une grande cour centrale hérissée de quelques palmiers squelettiques, au milieu de laquelle trône une minuscule chapelle, Santa Maria de la Natividad, qui ne sert plus que pour la décoration. Quant aux autres parties du bâtiment, elles ont pendant quelques années servi de refuge à

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

77

78

des dos-mouillés trop pauvres pour pouvoir payer le loyer des habitations miteuses des alentours. Évidemment, avec le projet de réhabilitation du quartier, la mairie a demandé au HHPD de les expulser manu militari, ce que mes anciens collègues se sont empressés de faire avec un zèle bien exceptionnel. De l’autre côté de la rue se trouve le chantier du fameux musée dédié à l’histoire d’Heaven Harbor, joint à une annexe de l’université UCHH. Le terrain nécessaire couvre plusieurs blocs, ce qui a obligé la mairie à raser quelques taudis, non sans avoir expulsé, à leur tour, les familles hispaniques qui y logeaient. Ce qui n’empêche nullement, d’ailleurs, la majorité des ouvriers du chantier de faire partie de la même communauté. Ironique, mais quand on ne trouve pas l’argent pour nourrir sa famille, ce genre de contradictions, on les laisse aux philosophes. Le grand responsable de ce projet, et alibi officiel de la mairie, c’est le professeur Luis Uriega, l’un des rares à avoir accédé à ce poste à l’UCHH sans être blanc et protestant. A ce titre, c’est une sorte de héros pour sa communauté et c’est bien cela qui a poussé les huiles de la mairie à le choisir pour diriger le projet  : sa popularité et son charisme de latin entre deux âges, aux cheveux toujours gominés et au sourire toujours éclatant sont censés éblouir la population hispanique

de Natividad et leur faire oublier que ce sont eux qui paient les frais de cette grande réhabilitation du quartier historique. Le professeur Uriega a tout de même quelques adversaires de taille, notamment le Père José Escuador, prêtre catholique qui jouit de par sa fonction d’une grande influence et qui a toujours été le poil à gratter de la mairie. Tout le temps de son long ministère dans la paroisse de Santa Maria de la Esperanza, il n’a cessé de se ranger du côté des immigrés clandestins, allant même jusqu’à les héberger dans son église pour les protéger des autorités. En réalité, les gens bien informés, dont je fais évidemment partie, savent que l’intérêt du père Escuador pour ses frères dos-mouillés est justement assez intéressé… Il entretient des relations troubles avec le syndicat des propriétaires agricoles, une bande de riches culs-terreux qui se trouvent être de grands consommateurs de main d’œuvre clandestine. Ce groupe, représenté par un gros lard à chapeau répondant au nom d’Eddie Fergusson IV, constitue d’ailleurs une opposition discrète mais bien réelle aux projets d’urbanisme de Palmer et des ses alliés, les 9. Ne reculant devant aucune bassesse, Eddie aurait même tenté un rapprochement avec la famille Grachetti afin d’abattre ses adversaires, moralement ou physiquement.

LUIS ORIEGA, UNIVERSITAIRE + / 80, 120, 120 / 30

PÈRE JOSÉ ESCUADOR, PRÊTRE PAS SI NET + / 60, 100, 160 / 20

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

EDDY FERGUSON IV, LOBBYISTE MARRON ++ / 120, 80, 150 / 20 Mais pour l’instant, on ne peut pas dire que la bataille tourne à l’avantage de nos fermiers. Il faut dire que les rumeurs sur le penchant de leur champion José Escuador pour la chair fraîche des jeunes prostituées de sa communauté n’arrangent en rien leurs affaires. Je n’ai guère plus de sympathie pour un camp ou pour l’autre, mais j’avoue que la perspective de les voir s’entre-déchirer m’amuserait assez. En attendant, malgré les difficultés, le projet avance et le renouveau du quartier également. Tout autour du futur musée, les vieilles habitations délabrées sont peu à peu rachetées par des promoteurs pour être retapées, et sont revendues à prix d’or à la nouvelle population de Natividad, les riches qui voudraient renouer avec leurs racines en s’installant à proximité du centre

historique. Et pour convaincre l’ancienne population de quitter les lieux, rien ne vaut les bonnes vieilles méthodes mafieuses, qui ont fait leurs preuves  : dégradation progressive des services publics de base, de la distribution d’eau au ramassage des ordures, quelques rats qu’on laisse traîner dans les cages d’escalier, des bandes de voyous à qui on laisse faire tout ce qu’ils veulent sans être inquiétés… Le tout orchestré de main de maître, dans une belle unité, par la mairie, les services de police, la mafia et les promoteurs. Les promoteurs en question, justement, ce sont ceux de la Cyphre Corporate, une société apparue récemment sur le marché et qui s’est spécialisé dans l’investissement à grande échelle, généralement sur tout un quartier. Investissements consolidés par des moyens plutôt douteux, ce qui lui a permis en peu de temps de réaliser quelques coups superbes, comme le chantier de l’aqueduc ou le rachat de larges parcelles dans la Valley. Nul ne semble vraiment savoir qui se cache derrière cette entreprise, l’identité même de son principal actionnaire restant floue. Mon intuition de flic de l’occulte aurait tendance à me faire penser à une implication plus ou moins directe des Asservis, mais allez savoir… A force de voir leur main derrière toutes les saloperies d’Harbor, vous allez me croire parano. Après tout, il doit bien exister des domaines qui ne soient pas souillées par leurs haleines putrides. Je suis tout prêt à le croire, il suffit qu’on me le montre…

L’ANCIENNE NATIVITÉ En tous cas, avant que tout le quartier ne soit vidé de son âme, excusez le jeu de mots, et de ses habitants pauvres et bronzés, il reste quand même largement de quoi faire dans le Natividad authentique, crado et criminel. Prenez l’attraction locale, la célèbre Calle de la Putas, que le monde ne nous envie pas mais qu’il vient pourtant visiter en douce, pendant que sa femme est à l’église pour faire la charité. Rue des Putes, pour ceux qui ne parlent pas l’espagnol, dommage car dans le

quartier c’est souvent plus utile qu’une bonne maîtrise de l’anglais. C’est donc une rue, ou plutôt une avenue assez large, qui débouche tout droit dans la Forbidden City, quartier qui ressemble pas mal à une grande Calle de la Putas d’ailleurs. Des tas d’hôtels bordent les deux côtés de l’avenue, ainsi que tout un tas de bars : mais ne vous y trompez pas, ils ne sont pas faits pour les touristes, les chambres se louent à l’heure, et les boissons, hors de prix, sont servies avec une fille en bonus.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

79

C’est d’ailleurs dans un de ces hôtels, crasseux mais bon marché et garantissant surtout une appréciable discrétion, que j’ai élu domicile. Juste en dessous de ma chambre loge Mariza, sans doute pas la gagneuse la plus jolie de la Calle, surtout depuis qu’un malade l’a lardée de quelques coups de scalpel un soir de déveine. Mais c’est une pro pour vous faire oublier toutes vos misères de la journée. Et c’est aussi une informatrice de choix sur le milieu de la prostitution. Le connard de flic qui aura toutefois pour idée de la passer à tabac pour obtenir ses infos a de fortes chances de passer en retour un sale quart d’heure en ma compagnie…

MARIZA, PROSTITUÉE + / 80, 60, 100 / 5 Tout comme Natividad est le cœur historique d’Heaven Harbor, on pourrait dire que la Calle de la Putas est le cœur historique de la prostitution. Si c’est votre truc, vous êtes sûr d’y profiter de la longue expérience des établissements ainsi que de certaines filles, comme Mariza, bien qu’il y ait aussi un paquet de jeunes arrivantes qui viennent tout juste de franchir la frontière, en toute illégalité bien sûr. Mais tout comme Natividad a peu à peu perdu son statut de centre d’Harbor, la Calle a du céder sa prédominance sur les choses du sexe à la Forbidden City. Plus varié, plus intense, plus sordide : le Red Light District de la Forbidden City a fait quelque peu passer de mode les belles putes à la peau bronzée et sucrée de Natividad.

80

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

À l’autre bout de la Calle de la Putas se trouvent les anciens studios de Jerry Ford, le producteur malheureux qui avait voulu se mesurer aux grands d’Hollywood et qui s’est retrouvé ruiné du jour au lendemain, ses studios repris par les banques et laissés à l’abandon. Il y a là une gigantesque surface de décors hétéroclites, d’accessoires, de costumes, qui prennent gentiment la poussière. On raconte pourtant quelques histoires croustillantes à propos des studios, des histoires de rendez-vous mafieux au milieu du western carton-pâte, de règlements de compte dans des arènes antiques, de gangsters en cavale… Mais pour ce que j’en sais, les studios désaffectés de Jerry Ford Productions servent désormais surtout aux films pornographiques tournés par la mafia. Pour finir ce tour d’horizon, il faut parler de mes anciens collègues et néanmoins pourritures, j’ai nommé le Finest du HHPD. Natividad est pour les huiles du département un modèle de réussite : malgré le contexte difficile, on enregistre très peu de violence, très peu de plaintes, et le crime organisé semble avoir de réelles difficultés à s’implanter sur place. L’homme qui a réussi ce tour de force, le capitaine Franck Smith, est considéré comme un véritable héros par ses supérieurs comme par ses hommes, ce qui est plutôt rare.

CAPITAINE FRANCK SMITH, FLIC ET TRUAND ++ / 140, 100, 180 / 30

En fait, pour l’avoir vu à l’œuvre de mes propres yeux, je dirais que sa méthode est relativement simple  : puisqu’endiguer le crime dans le quartier relève de toute façon de l’utopie, il ne reste qu’à trouver un moyen de le contrôler. Poussé jusqu’au bout, ce raisonnement a conduit Smith à mettre tous les trafics, rackets et réseaux de prostitution sous sa botte, devenant en quelque sorte

le nouveau parrain de Natividad. Tout en ayant le soutien à la fois du maire Palmer et du procureur Gordon, dont il fait semblant de partager le goût immodéré pour l’ordre et la fermeté maximale. Il cultive aussi, bien qu’il soit amené à travailler quotidiennement avec des criminels mexicains, un racisme affiché qui ne peut que plaire à la majorité des policiers d’Heaven Harbor.

La Religion Tous ceux qui connaissent vraiment Heaven Harbor vous le diront  : Dieu, quel qu’il soit, a déserté cette satanée cité. Mais, évidemment, ça n’a pas empêché ses adorateurs de se livrer à tous les coups tordus possibles, en son nom très saint. Comme le reste de la Californie, notre chère ville peut se vanter d’abriter une foule de religions, sectes, et cultes différents, des grands classiques indémodables aux curiosités locales les plus consternantes. Officiellement, on recense dans le Comté 25% d’épiscopaliens, presque autant de baptistes et de protestants divers, 20% de catholiques, 7% de bouddhistes, 3% de saints des derniers jours, ou mormons, et 2% de juifs. Évidemment, ces statistiques ne prennent en compte que les citoyens en bonne et due forme : si l’on veut compter les immigrés chicanos, il faut encore ajouter quelques pourcents aux catholiques.

Si je peux vous donner ces chiffres, c’est que les politiciens nous les resservent régulièrement pour vanter les mérites de la liberté de culte à la mode d’Heaven Harbor. Sauf que lorsqu’on y regarde de plus près, les religions sont loin d’être égales entre elles. Les protestants tiennent le haut du pavé et les catholiques ne sont pas loin derrière, à condition toutefois d’être italien ou irlandais. Mais si on va plus loin, ça se complique. D’ailleurs les beaux symboles de notre grande nation annoncent la couleur  : «  in God we trust » sur les billets verts, la bible pour prêter serment dans les tribunaux… Liberté de culte OK, mais à condition de croire dans le même dieu et de lire le même bouquin tous les dimanches. Je vous vois venir : vous allez me dire que les symboles, ça ne veut pas dire grand-chose, et après tout on ne va pas imprimer des

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

81

billets de banque spéciaux pour les taoïstes, les animistes et la secte des adorateurs de Jim Rock. Laissez-moi vous dire que vous avez tout faux, parce que ça va plus loin que ça : les pagodes bouddhistes se comptent sur les doigts de la main et si tous les politiciens courent après le soutien des pasteurs et des évêques, il n’y a plus grand monde pour représenter les intérêts des communautés dites minoritaires. Mais surtout, la religion est souvent un prétexte de plus que brandissent tous les racistes que compte cette charmante cité pour se justifier d’aller peindre des insultes sur la porte de leur voisin, défoncer sa voiture ou même, dans un grand jour, le passer à tabac devant ses gosses. Comme s’il ne leur suffisait pas de s’acharner sur ceux qui n’ont pas la même couleur, ou qui ont des cornes sur le haut du crâne. Puisqu’on parle des nouveaux venus, je suppose que vous vous demandez à quoi ils peuvent bien croire. A pas grand-chose, de ce que j’en sais. Quelques prêcheurs qui se croyaient revenus au bon temps de l’évangélisation des indigènes ont bien essayé de leur inculquer des rudiments de christianisme, mais ils n’ont réussi qu’à énerver les golems et à tirer un sourire moqueur de la part des succubes. Quant aux séraphins, avec leurs faux airs d’anges et leur voix d’hypnotiseur, c’est plutôt les prêcheurs qui sont tombés sous le charme. Quelques-uns se sont installés à leur compte en fondant une énième secte protestante à la frontière de la Forbidden City et l’on raconte même qu’un certain Gabriel Edwings serait devenu le conseiller personnel de l’Archevêque Levinster, qui croit voir dans le rusé séraphin un envoyé du très haut. Monseigneur Levinster, le maître de l’imposante Westchester Cathedral, avec sa silhouette de grand squelette dégingandé, tremblant de partout, me ferait plutôt l’effet d’un vieux gâteux, mais il conserve une influence certaine dans la bourgeoisie épiscopalienne de la ville. Ses lubies et la forte odeur d’urine qui flotte autour de lui n’ont pas effrayé Madame Gordon, la femme de notre cher District Attorney, qui continue de le recevoir régulièrement pour le thé.

82

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

GABRIEL EDWINGS, CONSEILLER SPIRITUEL SÉRAPHIN ++ / 60, 200, 200 / 20

ARCHEVÊQUE LEVINSTER, VIEUX CROULANT - / 20, 40, 60, 30 Quant à moi, je crois que j’ai vu trop de choses pour croire encore à un bien suprême, ou à un grand barbu qui voudrait notre bien. Surtout quand on voit à quelles extrémités immondes des commandements aussi simples que « aimez-vous les uns les autres » poussent certains. Les bancs des églises sont remplis de types qui enfilent la toge blanche du Klan juste après l’office. Certains ont même fondé des cultes spécialement tournés vers l’étripage de l’étranger, de l’infidèle, du démon. Il y a par exemple cette charmante petite bâtisse de briques blanches, surmontée d’un petit clocher, sur le Strand, un peu avant d’arriver à la Forbidden City. C’est la maison des Resurrection Crusaders, un petit groupe d’allumés qui mériteraient cent fois leur place à l’asile, mais qui au lieu de ça gagnent des points dans la presse et la politique, et s’amusent en toute impunité à casser du cornu à longueur de temps.

Le plus marrant, c’est que leur gourou n’est qu’un môme à la gueule d’ange, même pas en âge de boire de l’alcool ou de conduire : Elijah Parker, le fils du capitaine du 22ème district. Les chiens ne font pas des chats. Je n’ai jamais mis les pieds dans l’une de leurs réunions, mais à ce qu’il paraît, le petit Elijah aurait des transes où il parlerait avec la voix du tout-puissant… Comme si ce vieux truc n’avait pas été usé jusqu’à la corde par des générations de prêcheurs va-t-en-guerre depuis la nuit des temps. Mais ça marche, à tel point que les professionnels de la foi bien implantés commencent à prendre Elijah et ses croisés très au sérieux  : excommunications, articles dans la presse, pressions auprès de la mairie et du gouverneur et surtout surenchère dans le délire mystique et les appels à la haine des cornus.

Ça n’est vraiment pas mon genre de jouer les marchands d’apocalypse, mais j’ai l’impression que les temps qui viennent vont être sacrément bibliques.

ELIJAH PARKER, GOUROU ++ / 80, 80, 250 / 20

Carnelly Hill et le Hook CARNELLY HILL Pour tous ceux qui y vivent, Carnelly Hill est le vrai cœur d’Heaven Harbor. Et j’ai beau avoir traîné ma bosse dans tous les coins de cette satanée ville depuis le temps où, gamin, je m’échappais de mon enfer domestique pour arpenter ses ruelles, je suis toujours du même avis. Il faut dire que si les historiens datent la naissance d’Heaven Harbor à la mission Natividad dans le quartier du même nom, jamais la cité n’aurait atteint une telle importance sans les quartiers de la pointe sud, ceux qui ouvrent directement sur l’océan. On y a même déplacé le centre-ville au cours du XIXème siècle et Carnelly est soudain devenu le quartier chic par excellence, l’endroit où tous ceux qui avaient profité de l’expansion de la cité pour faire fortune ont construit leur maison victorienne, toujours plus grande et toujours plus tape-à-l’œil que celle du voisin. Tout aurait continué pour le mieux sans l’incendie de 1908, auquel les belles demeures de Carnelly ont payé un lourd tribut. C’en était trop pour nos bourgeois qui ont déserté la colline comme un seul homme, pour aller s’installer sur celle plus au nord de Remington Heights. C’est là que les choses ont commencé à se dégrader pour Carnelly Hill. Faute d’argent, on n’a pu restaurer les maisons endommagées par le feu et on a dû se résoudre à les louer pour une bouchée de pain, ce qui n’a pas manqué d’attirer dans le quartier une population plus modeste et essentiellement immigrée. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour lui attacher durablement une sale réputation, en partie justifiée d’ailleurs. Ce n’est que très récemment, à peu près au moment où je partais explorer d’autres horizons, que Carnelly Hill est redevenue

84

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

à la mode. Rien de mieux pour un artiste dans le vent qu’un atelier dans un immeuble d’apparence sordide, si possible dans un ancien quartier populaire… Tout est parti du parc situé au milieu du triangle de Carnelly Hill, le Carnelly Park, que les habitants du coin appellent plus volontiers «  le Park  », parce que même s’il y en a d’autres dans la ville, il n’y a vraiment aucune raison qu’ils soient aussi intéressants que celui de Carnelly Hill. Ce n’est pas qu’il soit particulièrement grand, ou beau, ses pelouses sont d’ailleurs un peu défraîchies et ses arbres ont des silhouettes de junkies, mais il a ce charme typique de Carnelly Hill, ce mélange permanent et souvent contre-nature d’artistes branchés et de gangsters à la manque, d’accordéon musette et de be bop, de lecture publique de Shakespeare et de divagations de clochard alcoolo, de prières en plein air et de parties de jambes en l’air dans les buissons. Depuis que les artistes ont investi les alentours, le parc est devenu comme une sorte de vaste scène en plein air pour toutes les formes de performances  : jazz et musique en extérieur dans le kiosque au centre du parc, séances de peinture publiques ou encore théâtre amateur. Tous les dimanches après-midi, c’est aussi le rendez-vous d’une poignée d’orateurs plus ou moins influents, qui prennent la parole avec une étonnante liberté sur des sujets généralement politiques ou moraux. La mairie y est souvent descendue en flammes mais elle laisse courir, en se contentant de faire discrètement surveiller les réunions par la police. Au nord-est du parc s’étend le nouveau Carnelly Hill, celui des artistes et de tout ce qu’Heaven Harbor compte de gens vraiment « branchés ». Juste à côté du parc se dressent les vieilles demeures victoriennes reconverties en habitations ou en ateliers pour les artistes.

C’est un coin calme qui ressemble à une sorte de village où tout le monde finit par se connaître. Évidemment, pour un regard un peu moins idéaliste, comme celui de votre guide, l’endroit compte son lot de petits secrets, de cadavres dans le placard, le milieu des artistes n’étant pas en reste pour ce qui est des jalousies, des haines parfois mortelles et des affaires de coucheries qui tournent mal. Ce qui m’amène à ce petit secret de fabrication de nos chers artistes : la poudre magique. Dans le nez ou dans les veines, il leur faut leur dose quotidienne et c’est un habitant du quartier, un blanc-bec qui se fait passer pour un musicien de jazz, du nom de Frankie Cage, qui approvisionne tout ce beau monde. Bien sûr, Frankie arrose un peu les flics du quartier pour pouvoir continuer son petit commerce et les mauvaises langues disent même qu’il paie les patrons de bars pour qu’ils l’autorisent à s’époumoner dans son instrument chez eux. Quant à ses fournisseurs, Frankie irait les trouver directement à la Forbidden City…

FRANKIE CAGE, DEALER + / 80, 60, 100 / 10 En continuant un peu vers l’est, on tombe sur le cœur du marché de l’art pour la région. Trois rues où s’entassent deux douzaines de galeries de tous styles : toiles, sculptures, ancien, moderne, bon ou mauvais, chacun y trouvera son bonheur. La galerie qui tient le haut du pavé est celle de la fille aînée du magnat Arbison, Blanche. Ce qui, avec son joli minois d’aristocrate, en fait le parti le plus en vue du milieu artistique.

BLANCHE ARBISON, MARCHANDE D’ART + / 80, 100, 120 / 20 Enfin, l’endroit le plus important de ce Carnelly Hill des artistes est bien sûr la 3ème rue, devenue «  Thirst Street  » dans la bouche des habitants, et son enfilade de bars, de restaurants à la mode et de scènes de spectacles. S’il y a un coin pour sortir le soir à Heaven Harbor, en dehors de la sulfureuse Forbidden City, c’est bien là. L’une des scènes les plus réputées en matière de stand-up est celle du bar restaurant le Cellar Café, dont je conseille également la carte des vins, presque tous d’importation française. Les prix sont raisonnables, l’ambiance y est détendue mais on y croise tout de même régulièrement des célébrités du quartier ou d’ailleurs. En plus, ce qui ne gâche rien pour les gens de mon espèce, le patron, George Klemenski, est une mine de renseignements de premier choix. Dans un autre style, l’East Tavern mérite le détour  ; c’est en quelque sorte le quartier général des intellectuels du secteur, qui y viennent pour prendre leur petit déjeuner, travailler, prendre les dernières nouvelles du monde et débattre à bâtons rompus sur toute une variété de sujets. Vous y trouverez à toute heure journalistes influents, écrivains reconnus et aussi obscurs penseurs qui alimentent leurs théories du complot à grand renfort de bière. Mais ne vous moquez pas trop vite  : il se pourrait que vous ou moi en fassions partie un jour ou l’autre, au train où vont les choses.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

85

Il est en tous cas un client régulier de l’East Tavern qu’il ne me viendrait pas à l’idée de dénigrer, du moins pas en sa présence, il s’agit du poète contestataire et golem Vic Drake. Très virulent, il pointe dans ses œuvres et dans ses discours les discriminations subies par ses frères cornus et préconise une lutte radicale pour l’obtention de l’égalité des droits. Il a ses admirateurs et moi-même je dois bien avouer que ses textes ne manquent pas de punch, mais il a aussi ses ennemis, parmi les fanatiques religieux ou même la police. On a plusieurs fois tenté de le passer à tabac pour le forcer à se taire, mais vu son gabarit, ça s’est révélé plus compliqué que prévu.

VIC DRAKE, POÈTE CONTESTATAIRE GOLEM ++ / 180, 120, 120 / 10

RUSSIAN HILL De l’autre côté du parc, on est dans le Carnelly Hill des immigrés d’Europe de l’Est, ceux qui ont fui la misère avant 39, la guerre avant 45 et le communisme aujourd’hui. Dans les rues de ce Russian Hill qui s’étend à l’ouest jusqu’à Heaven Fairy, vous n’entendrez pas beaucoup parler anglais. Ne comptez pas non plus acheter un hot dog au restaurant du coin  : ici c’est goulasch ou rien. La réhabilitation du quartier et l’augmentation dramatique des loyers ont joué leur rôle  : de plus en plus d’immigrés sont obligés de plier bagage pour aller s’installer hors du centre-ville, dans la vallée ou de l’autre côté de la Sio River. Mais pour quelques temps encore, Russian Hill conserve cette atmosphère si exotique de village russe, qu’il avait lorsque je m’y baladais du haut de mes dix ans. Le niveau de vie y est très bas, ceux qui ont un boulot travaillent dans le bâtiment, aux usines ou aux chantiers navals, mais grâce à une solidarité assez exceptionnelle, tout le monde arrive globalement à s’en sortir. Et quand je dis solidarité, bien sûr, je pense système mafieux bien implanté, vous m’aviez compris.

86

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Le cœur du quartier est le croisement de la 3ème rue et de Pacific Avenue, où l’église orthodoxe de Saint Nicolas fait face à un grand marché tenu quotidiennement, où vous pourrez trouver à peu près tout ce que vous voudrez de légal ou d’illégal. Autour de ces deux institutions s’organise à peu près toute la vie de la communauté de Russian Hill. Les commerçants paient une protection au parrain local, Viktor Voritch, qui verse lui-même une partie des recettes de son business à la paroisse Saint Nicolas, pour être reversée aux membres les plus nécessiteux de la communauté.

VIKTOR VORICH, PARRAIN LOCAL + / 100, 90, 100 / 20

J’ai rencontré Voritch plusieurs fois lorsque je vivais dans le quartier, je lui dois même certaines de mes plus précoces leçons de boxe – encaisser et attendre le bon moment pour prendre la tangente. A l’époque, il se contentait de jouer les durs, de secouer quelques commerçants pas assez solidaires, de faire un sort aux criminels qui voulaient s’établir sur son

territoire et bien sûr de flanquer une correction aux gamins qui volaient sur les étalages. Aujourd’hui c’est toujours une brute sans une once de finesse, mais il ne fait plus le boulot lui-même, il délègue. Aux dernières nouvelles, il serait en affaire avec les italiens de la famille Grachetti, pour réaliser son vieux rêve : étendre son emprise sur tout Carnelly Hill.

LE HOOK La pointe sud du triangle, pour finir, c’est le Hook, l’endroit où je suis né et où j’ai grandi tant bien que mal avant de m’en échapper pour arriver là où j’en suis aujourd’hui. C’est là où a vécu mon saoulard de père avant d’y rester, entre deux bouteilles de scotch bon marché. C’est le Carnelly Hill qui n’est ni délicieusement artiste ni délicieusement exotique, il est juste délicieusement pitoyable. Mais ça ne m’empêche pas de l’aimer, parce que même si on y rencontre autant de pourris que partout ailleurs, ils ne portent pas de masques. Et il suffit d’enlever sa veste pour s’expliquer. Apparemment le nom du quartier viendrait du surnom d’un gardien de phare du siècle dernier qui avait perdu sa main au cours d’une partie de poker avec un militaire un peu éméché. C’est en tous cas l’une des multiples histoires qu’on raconte ici, car s’il y a bien une chose à laquelle les hookers sont attachés, c’est l’histoire de leur bout de rocher. Ils ne sont pas les seuls, d’ailleurs. Pour chaque bâtiment du quartier ou presque, il y a une association de défense prête à faire pression sur la mairie. Les deux plus connues sont celles des Amis du Phare et le lobby de Miss Ira Donovan pour la protection de la toute dernière ligne de cable cars en fonction dans la ville. La ligne fait la jonction entre le bas du Hook Quarter et le Carnelly Park, en haut de la colline. Si un jour on finit par la supprimer, j’aurais probablement un pincement au cœur en repensant à toutes les fois où je courrais pour m’accrocher au wagon en

pleine course, sous les exclamations de la foule et les hurlements du contrôleur. Enfin, il y a sans doute des choses plus graves dans la vie. Ou peut-être pas. Quoiqu’il en soit, Miss Donovan, habitante de Remington Heights et légataire de l’immense fortune de feu Robert Lee Donovan, est du haut de son mètre soixante une sacrée épine dans le pied de ceux qui veulent faire table rase du Hook Quarter pour y bâtir un nouveau quartier flambant neuf juste derrière la Marina. Le problème, c’est qu’elle a un solide argument pour appuyer son obstination de vieille fille un peu dérangée  : elle est l’une des principales contributrices de la campagne du maire Palmer. Heureusement, il n’y a pas que les riches siphonnées pour essayer d’améliorer un peu les choses dans le Hook. En témoigne la mission franciscaine Saint Barthélemy, implantée ici depuis le début du siècle, et qui vient en aide à tous les clochards et autres miséreux que compte le quartier… Enfin, venait en aide, plutôt, puisque les moines, qui n’étaient pourtant pas du genre à aimer la publicité, ont fait les gros titres il y a deux mois de ça, lorsqu’on les a retrouvés éparpillés en mille morceaux dans leur chapelle, avec tout un tas d’inscriptions cabalistiques peintes sur les murs. Depuis la mission est désaffectée, personne n’ose s’en approcher et on ignore si elle rouvrira un jour ses portes. L’enquête piétine, la police ne semble même pas en mesure de déterminer s’il s’agit d’un crime lié à l’occulte ou un « simple » règlement de comptes.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

87

C’est qu’il ne faudrait pas se laisser abuser par mon regard nostalgique sur le quartier qui m’a vu grandir : le Hook est et reste un endroit violent, dangereux, où des policiers idéalistes et ambitieux trouveraient largement de quoi s’occuper. La plupart des gosses avec qui je traînais autrefois ont mal fini. Les plus chanceux sont devenus les voyous qui font la loi dans le quartier, certains sont en taule et les autres ont trouvé la mort au bout d’une lame, d’une matraque de flic ou d’une seringue. Dans la première catégorie, on trouve mon pote Ari Brown, le juif le plus à la coule de tout Carnelly Hill, et selon ses propres dires, le roi du Hook Quarter. C’est un gangster, mais juste parce qu’il pense que ça plait aux filles, et avec le recul je dois bien lui concéder que ça marche beaucoup mieux que le badge. Il vit des revenus de quelques travailleuses qui l’escroquent au passage

assez largement, et de quelques rackets sur les commerçants de sa rue. Il lui arrive aussi de filer quelques tuyaux à la police, ou un coup de main à un ami d’enfance, ex-flic devenu privé…

ARI BROWN, PETITE FRAPPE ++ / 70, 100, 120 / 10

La culture La culture. L’art. Le divertissement. L’industrie du spectacle. Tout a tendance à se mélanger, ces temps-ci. J’imagine la gueulante que pousserait mon père en voyant le vaste fourre-tout qu’on met désormais derrière ce mot. Philosophe ou danseur de claquettes, peu importe tant qu’il rapporte du fric. C’est une lutte sans merci où ceux qui gagnent seront ceux qui feront le plus d’argent. Et dans toute mon existence, j’ai vu beaucoup de choses mais je n’ai jamais vu un type honnête gagner beaucoup d’argent. Bienvenue dans le monde des petites crasses entre amis, des crocs acérés derrière les sourires éclatants, du poison dans les coupes de champagne… Bienvenue dans le monde de la culture. Sur les planches, la comédie musicale est toujours reine sur le Strand, mais les comédiens de stand up sont de plus en plus en vogue dans les petites salles de Carnelly Hill. La star du moment s’appelle Ronald Bingo, il triomphe tous les soirs au Cellar Café grâce à une invention «  révolutionnaire  »  : il n’écrit presque rien à l’avance et passe son show à prendre des spectateurs à parti et à improviser des histoires qui les tournent en dérision. Une pratique évidemment hilarante pour le reste de la salle, mais attentions aux ego

trop sensibles… Il n’y a pas si longtemps, Ronnie est passé à un cheveu de se retrouver dans la Sio River pour avoir fait la moitié d’une blague sur le garde du corps d’un membre de la famille Marsella. En tous cas l’humour plait aux femmes, si l’on en croit les sublimes créatures l’on peut admirer au bras du pas si joli Bingo…

RONALD BINGO, STAND UP COMEDIAN ++ / 60, 100, 200 / 10 Côté cinéma, en revanche, Heaven Harbor n’a pas franchement la cote. Il y a quelques acteurs locaux et un ou deux cornus qui ont fait une apparition dans « Cendres sur la ville », le film de John Huston inspiré

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

89

des évènements de 42. Mais Harbor n’est définitivement pas Los Angeles, il faudra bien s’y faire. Il y a bien eu l’expérience malheureuse de Jerry Ford, ce jeune entrepreneur plein d’ambition à peine sorti de l’université, qui voulait créer un studio de production égalant ceux d’Hollywood dans notre bonne vieille ville. Au bout de quelques années, il s’est retrouvé tellement criblé de dettes qu’il a dû se lier avec la mafia pour pouvoir s’en sortir. Aux dernières nouvelles, il produirait des films pornos à Natividad, une forme de divertissement qui a l’avantage de toujours rencontrer son public.

JERRY FORD, PRODUCTEUR DE FILMS PORNO + / 90, 150, 80 / 10 Vous devez vous dire que tout ça manque un peu d’altitude, que je ne m’intéresse qu’aux formes de divertissements les plus primaires. C’est pas totalement faux, mais vous auriez tort de me prendre pour un parfait inculte. Après tout, je suis un fils d’écrivain. C’est d’ailleurs grâce à un des vieux copains de mon père, l’un des rares encore en vie, que je me tiens au courant des derniers potins croustillants du monde des arts dits sérieux. Bill Boone a beau être un hobo comme tant d’autres, il est toujours sapé comme le maire à une soirée de gala et surtout c’est l’un des types les plus brillants et cultivés que j’aie jamais rencontré. Un authentique génie, si vous voulez mon avis, un bonhomme qui aurait pu être à peu près n’importe quoi, mais qui a choisi de n’être rien du tout. Le plus clair du temps, il se débrouille pour s’inviter dans

90

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

les cocktails et les vernissages les plus en vue de la ville, histoire de ricaner en se faisant passer pour un type de la haute et de remplir son ventre de petits fours champagne.

BILL BOONE, HOBO CULTIVÉ ++ / 90, 200, 100 / 0 C’est lui qui m’a rencardé sur un certain Peter Sandman, le peintre contemporain que tous les riches de Remington Heights veulent accrocher dans l’entrée de leurs palaces en ce moment. La bonne idée de Sandman a été de surfer sur la fascination pour les démons en retranscrivant sur ses toiles des visions du Maelström, qui lui seraient directement inspirées par une Asservie. Furieusement tendance et si c’est vrai, furieusement dangereux aussi. D’ailleurs ce vieux camé de Boone m’a raconté en rigolant que certains des heureux possesseurs de ses toiles auraient été victimes de sautes d’humeur assez spectaculaires…

PETER SANDMAN, PEINTRE SOUS INFLUENCE ++ / 80, 100, 200 / 10

Cela ne fait en tous cas qu’augmenter la popularité de Sandman. Au fond, l’amateur d’art harborien ressemble à monsieur tout le monde : il se gausse de mots savants, prend des airs snobs, mais ce qui lui fait dresser les poils sur les bras, c’est le parfum de souffre. Il y a un exemple flagrant en littérature  : Emmett Garbes. Pas vraiment le plus grand auteur de romans noirs de sa génération, si vous voulez mon avis, mais ses bouquins se vendent comme des petits pains. Tout ça parce qu’un maniaque comme notre ville en fabrique beaucoup a décidé de le prendre, lui et ses histoires, comme modèles pour ses crimes. A chaque nouveau roman correspond une nouvelle série de meurtres. Pas mal de flics ont bien sûr soupçonné l’écrivain, d’autant que le personnage est plutôt sombre et mystérieux, à l’instar de son œuvre, mais aucune preuve tangible n’a pu être découverte. Emmett Garbes continue donc à publier et son double à tuer, et ni l’un ni l’autre ne semblent prêts à s’arrêter en si bon chemin. Le dernier roman du maître colle de près à l’actualité puisqu’il met en scène la lutte pour le pouvoir de deux hommes, une fresque épique et sanglante à travers tout Heaven Harbor, ponctuée de cadavres par dizaines. Dans son style bien à lui, Garbes a déclaré qu’il espérait qu’en donnant beaucoup de travail à son tueur suiveur, celui-ci finirait

par commettre une erreur qui conduirait à sa capture par la police. Qui a dit que les citoyens n’aimaient pas la police ? Mais pour le meilleur ou pour le pire, selon la façon dont vous voyez les choses, les auteurs de polar n’ont pas tous la même aura. Les tâcherons dans mon genre, qui n’ont pas la chance de connaître les gros bonnets de l’édition, doivent se contenter des revues imprimées sur du papier de mauvaise qualité comme celle que dirige à ses heures perdues Pat Reardon, le patron du Paddy Echo. Les nouvelles qui y sont publiées ne valent pas grand-chose, la plupart du temps, mais il arrive parfois que vous y trouviez une petite pépite d’authenticité bien noire comme je suis sûr que vous les aimez.

EMMETT GARBES, ÉCRIVAIN HAUTAIN ++ / 80, 150, 100 / 5

Chinatown, Paddy Hill & Little Italy CHINATOWN Chinatown est au cœur de Downtown. La 21ème rue la sépare du Financial District et ses ruelles finissent par se perdre dans la Forbidden City. Le dépaysement tranquille au coin du bloc  : voilà ce que représente Chinatown pour la majorité des harborians. C’est comme une antichambre de la Forbidden City, une plongée contrôlée dans un exotisme rassurant, sans risque, proche des relents de souffre du Red Light District sans y mettre vraiment les pieds… Le quartier chinois d’Heaven Harbor ne couvre guère plus de quelques blocs. Mais on ne peut pas les confondre avec d’autres. Après être passé sous l’une des cinq Chinese Doors, on découvre des rues encombrées par les étals, les devantures festonnées, les néons et les lampions multicolores qui soulignent les toitures, les cabines téléphoniques en forme de pagodes. Du monde, toujours, une agitation un brin fiévreuse, affairée mais silencieuse. On vend aussi bien dedans que dehors. Dehors, tout un bazar empilé sur des étals surchargés au milieu des odeurs de nourriture. Dedans, dans des boutiques tout en longueur, dégorgeant de marchandises improbables. Le marché de Culver Street, l’avenue principale qui traverse Chinatown, est un immanquable de toute visite. On y foule aux pieds une pulpe indéfinissable composée de restes de fruits et légumes pourris mélangés au papier journal utilisé pour emballer les articles alimentaires dont regorgent les étals. Gargotes, magasins d’épices, échoppes d’antiquité et de bidules ésotériques, bazars et salons de thé s’alignent de chaque côté de la rue. Cherchez, au beau milieu de l’avenue, la devanture de Noodles.

92

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Ce n’est rien qu’une gargote sur le trottoir mais selon moi, on y mange les meilleures nouilles de Chinatown. Un peu plus loin, le Bao Za Theatre est une merveille d’architecture. Le visiteur occasionnel se presse chaque année à la célébration du nouvel an chinois  : parades et défilés font beaucoup pour la réputation de Chinatown. J’aime bien Chinatown. Les gens d’ici, ceux que le harborian qualifie hautainement de «  chinks  », ont souffert plus qu’à leur tour et pourtant, ils restent dignes, ils travaillent dur et certains croient encore au rêve américain. Le quartier accueille les immigrants asiatiques depuis le milieu du dix-neuvième siècle. A l’époque en marge du cœur économique sans cesse grandissant de la ville, ils se sont installés dans ce qu’on voulait bien leur laisser : taudis de bois croulants, tentes de toile et cabanes précaires le long des allées boueuses. Au fil des incendies et des destructions, le quartier s’est rebâti en dur mais, bouc émissaire de choix, il a toujours été en proie à la colère et à la violence sporadique des harborians. Le massacre de 1875 en reste le triste et culminant souvenir. Les chinois sont restés et continuent à affluer : de nombreux nouveaux arrivants, fraîchement débarqués et déjà sous la coupe des passeurs s’entassent dans de mauvais logis. Les familles qui réussissent à quitter Chinatown et ses bâtiments vétustes s’installent dans des demeures modernes en dehors de Downtown, récréant dans la Valley de petites communautés asiatiques. Derrière les façades de Chinatown, on trouve des ateliers surpeuplés. Difficile de véritablement dénombrer la population du

quartier chinois: le nombre de personnes qui arrivent à Harbor par des moyens détournés, pour se retrouver immédiatement enchaînées à un établi, est impossible à estimer. Il y a surreprésentation d’hommes entre deux âges, séquelle des lois d’immigration. Il n’est pas rare qu’un homme ayant réussi passe commande d’une épouse. J’ai moi-même été engagé par une famille de la Valley pour aller chercher une jeune fille dans les tréfonds de Chinatown et ce n’est pas le genre d’affaire que j’accepterai tous les jours. Mais j’ai aussi à Chinatown des amitiés plus solides que le plus dur des rocs. Si tu connais les bonnes personnes, tu es quasiment inexpugnable ici. Je me suis planqué six mois dans Chinatown sans être inquiété une seule fois. Ça m’a coûté sacrément cher mais j’ai pu dormir pour de vrai… Il est à noter que malgré la proximité de la Forbidden City, on rencontre très peu d’infernaux dans Chinatown. L’ostracisme n’est pas pire qu’ailleurs, mais il est ici affiché. Un possédé occupant le corps d’un décédé chinois fera bien de ne jamais remettre les pieds ici… Malgré leur agitation, les rues de Chinatown sont plutôt sûres  : au pire, on risque d’être pris dans une altercation de garçons de café. Les parrains du coin y veillent. Rien ne doit transpirer. Ici, on ne racole pas dans la rue  : quelques salons

cossus accueillent le miché en quête de douceurs chinoises bien galbées. Pour ça comme pour le reste, les chinois sont des gens discrets. Chinatown cultive ainsi son image de lieu tranquille mais secret. Fatalement, les gens fantasment sur ce qu’ils ne connaissent pas. Les légendes entretenues par les harborians à propos de Chinatown sont donc nombreuses : on parle de temples secrets dans les hangars servant de lieu de culte pour des sectes redoutables, de sociétés secrètes féroces poursuivant sur le sol américain des guerres millénaires. Navré de casser l’ambiance, mais ce que j’ai vu des arrières cours de Chinatown respire plus la misère que le mysticisme chevaleresque  : familles entassées dans le dénuement, arrières cuisines grasses et puantes d’innombrables gargotes et ateliers enfumés où se cultive la tuberculose. Rien de sexy. Le charme de l’Orient version Harbor sent la misère, la sueur et l’huile de friture. Ce qui est sûr, c’est que les traditions importées de Chine restent vivaces : diseuses de bonne aventure, herboristes, médecins traditionnels et exorcistes ont ici pignon sur rue. J’ai assisté dans le coin à des trucs sacrément épicés. Mais rien qui puisse me faire changer d’avis : ils ne les appellent pas comme ça, mais c’est bien la patte puante des Asservis qu’on sent ici aussi…

Les bâtiments de Chinatown sont parmi les plus délabrés de Downtown. Difficile de blâmer les habitants  : Heaven Harbor a largement sous-équipé le quartier dès lors que le noyau d’émigrés chinois a semblé s’y fixer, à la fin du siècle précédent. Aller jusqu’à dire que proprios et services publics ont sciemment cherché à laisser pourrir l’endroit, il n’y a qu’un pas que je franchirai allégrement. L’entraide au sein de la communauté a évité les plus gros drames et permet aussi que des officiels ne viennent pas trop souvent jeter un coup d’œil dans les arrière-cours surpeuplées. Ainsi, Chinatown dispose d’un corps volontaire de pompiers civils très efficace qui, le plus souvent, éteint les sinistres avant même l’arrivée du Heaven Harbor Fire Department. Ça ne suffit pas toujours  : le 03 mai 1932, un incendie ravagea un entrepôt de confection, avant de détruire un bloc quasi complet d’ateliers de confection, tuant treize ouvrières. Les chinois sont des gens discrets, je le disais. Il n’est pas facile de lire en eux, moins encore de gagner leur amitié ou même leur confiance. Même Whispers se casse régulièrement les dents ici malgré ses fabuleuses manchettes : « le crime organisé noyaute Chinatown  », «  Le péril jaune au cœur de la ville » ou « Les parrains chinois arrosent et le HHPD ferme les yeux ! ». Ce qui est certain, c’est que les chinois vivent entre eux, la famille et la communauté ayant ici une importance capitale. On se serre les coudes et on la ferme, surtout devant les flics. On ne tue pas les flics ici, du moins c’est une extrémité à laquelle on ne se résout qu’en dernier recours. Mais on ne leur dit rien, aucune porte ne s’ouvre. Les flics du 17ème District, dont le périmètre d’action inclut Chinatown, ne font guère que de la figuration. Depuis sa nomination il y a trois ans, le capitaine Terry Bendelak a pourtant essayé de soulever la chape de plomb, utilisant notamment les rares jeunes gens d’origine chinoise à avoir endossé l’uniforme du HHPD. Chose rarissime, il a ainsi perdu trois hommes et s’est heurté à l’opposition de ses propres flics, surtout lorsqu’il a commencé à donner des coups

94

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

de pied à la tradition bien établie des plateaux garnis d’Oncle Chu. L’aventure extraconjugale de Bendelak avec l’une de ses collègues a été montée en épingle, avec les bons soins de Whispers, Weimbaugh bouffant à tous les râteliers. Suite à cela, la femme de Bendelak est partie avec les gosses. J’ai de la peine pour Terry, c’est un type bien. Je me suis accroché avec lui par le passé mais c’est un mec réglo, sans doute trop réglo pour ce quartier où il faut savoir fermer les yeux. Sa nomination à Chinatown était déjà une punition pour sa dureté et son manque de souplesse - il avait refusé de lécher les pompes à la mode du moment. On m’a dit qu’il passe maintenant ses journées enfermé dans son bureau, à attendre la retraite. Sale affaire. Soucieux de leur image, à l’instar des italo-américains, les chinois ont créé un conseil de quartier, composé de « respectables ». Il est notamment chargé de l’organisation des festivités du quartier et d’un rôle de médiation avec les autorités, plus spécialement le HHPD. Parmi ses membres, on trouve le Dr Stanley Kwan, l’une des figures les plus en vue de Chinatown. Progressiste, il milite pour une meilleure intégration des chinois dans le respect de leurs traditions, tout en n’hésitant pas à dénoncer les plus perverses, comme les conditions de vie de certaines filles, vendues par leurs familles et exploitées dans les maisons de plaisir, ou celles des arrivants illégaux assujettis à leurs « patrons ». Kwan est naturellement menacé par les Tong mais pour l’instant, sa meilleure défense semble être l’attaque : il préside le comité d’organisation de la parade du nouvel an, parle aux médias et aux flics, se rend un interlocuteur indispensable pour tout le monde et cultive sa popularité en offrant des soins aux plus démunis. Si vous me demandez mon avis, je vous dirais que personne n’est jamais aussi blanc que Kwan semble l‘être  : on raconte qu’il joue pour ses propres intérêts, liés à ceux d’un jeune chef criminel aux visées expansionnistes. Rien ne me permet toutefois d’étayer cette affirmation.

Ce qui est par contre de notoriété publique, c’est qu’Oncle Chu est le parrain du crime de Chinatown. C’est un vieux monsieur calme, qui élève des chats dans l’arrière boutique de la blanchisserie tenu par ses deux fils. Aimable et souriant, le vieux. C’est en fait une vieille ordure qui a plus de sang sur les mains qu’on ne peut l’imaginer. Il règne d’une main de fer sur Chinatown, ordonne les exécutions et les punitions, a la haute main sur le trafic de drogue, la prostitution, le jeu. Il coordonne également l’arrivée et l’asservissement des

immigrés illégaux. Sa réputation a même calmé les ritals qui rêvaient d’expansion et il a ainsi signé une paix avec le vieux Grachetti, jusque là respectée par le jeune Ange. Mais Chu est un vieil homme, on dit qu’il se ramollit et que son goût pour la chatte fraîche lui fait perdre le sens de la raison. Il a offensé la fille d’un de ses plus vieux lieutenants, Johnny Ho, lançant une guerre larvée. Et les jeunes loups de Chinatown respectent de moins en moins les anciens usages. Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’oncle Chu.

TERRY BENDELAK, FLIC INTÈGRE ++ / 100, 130, 80 / 10

ONCLE CHU, PARRAIN LOCAL + / 20, 160, 100 / 40

DR STANLEY KWAN, POLITICIEN ++ / 60, 100, 180, 30

JOHNNY HO, GANGSTER CHINOIS ++ / 140, 80, 80 / 20

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

95

Mais je sais ce qui vous branche vraiment. Une partie de fesse asiatique, c’est pas vrai ? On ne me la fait pas… Une seule adresse, celle de la pension de Mme Ming. Des filles belles et fraîches comme des roses, dressées dans l’art par Mme Ming ellemême. Et malgré sa trombine fripée, balafrée d’un éternel sourire édenté, elle en connaît un rayon, la Ming. Elle paie son obole à Oncle Chu, forcément, et l’on raconte que c’est elle qui lui organise ses après-midis coquins, auquel il se rend sous bonne protection. N’empêche, si j’en voulais à la vie d’Oncle Chu, c’est ici que je tenterais de le coincer…

MME MING, MAQUERELLE + / 80, 70, 100 / 20 Histoire de continuer la balade, ne manquez pas de faire une visite à la Maison de Soins de M. Hong. Hong tient un salon de thé plutôt distingué, à la fine décoration, porcelaine raffinée et paravents ouvragés. Mais c’est la seconde salle qui nous intéresse, celle où Hong officie en tant que médecin traditionnel. Herbes et épices séchés, emplâtres et poudres, Hong soigne tout, avec une efficacité redoutable. Je sais ce que je dis. J’ai passé deux nuits entre la vie et la mort, sur une paillasse de sa réserve, avec trois balles dans le corps.

96

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

MR HONG, MÉDECIN TRADITIONNEL +++ / 40, 220, 70, 10 Le Palace de Jade ne porte pas bien son nom. C’est un taudis, un cloaque puant, à l’architecture improbable. Agrégat des caves de plusieurs bâtiments, sous les ateliers de confection embrumés par la vapeur, on y trouve des passerelles de bois, des alcôves douteuses et des salles où sont entassés les fumeurs d’opium en proie à leurs vapeurs de bonheur. On vient ici pour oublier, pour fuir le réel. La majorité des clients ne sont que des zombies efflanqués. Il y a peu, un sacré règlement de compte a eu lieu ici, au milieu des fumeurs envapés. Il semblerait que deux groupes de gangsters aient décidé de régler leurs différends. A l’arrivée de la police, qui a vidé l’endroit et les ateliers, on n’a retrouvé aucun corps. On se demande encore où sont allés se loger les dizaines de coups de feu qui ont résonné et à qui pouvait bien appartenir le sang répandu en larges flaques… Reste encore à visiter le tout récent Railroad Museum, inauguré l’année dernière par Kwang. Il commémore le travail des immigrés chinois sur les chantiers de chemin de fer où ils crevèrent par centaines.

Enfin, ami touriste, si tu veux une visite guidée de Chinatown, fais signe à Woo. Il pilote l’un des quelques poussepousses pour touristes qui officient dans le quartier et pourra t’emmener partout, te conseiller les meilleurs palais des plaisirs et te conseillera de manger chez son beaufrère, ce qui est sacrément risqué si tu veux mon avis. Mais le reste de ses conseils valent le coup d’être suivis. Woo sait tout et il monnaie tout ce qu’il sait.

WOO, GUIDE BAVARD ++ / 100, 40, 120/ 5

PADDY HILL Pour peu que vous soyez roux avec un accent rocailleux et un goût prononcé pour la bière, Paddy Hill aura pour vous un goût de paradis. Rien de comparable ici à Boston ou Chicago. Mais la communauté irlandaise d’Heaven Harbor, si elle n’est pas aussi large, est au moins aussi soudée. Je ne m’y balade pas souvent : Paddy Hill est un peu excentrée et mes affaires m’entraînent plus souvent vers la Forbidden City... Mais j’y ai gardé pas mal d’amis, du temps où je patrouillais avec le HHPD. Le genre d’amitiés qu’on ne brise pas. Paddy Hill est une des collines de la péninsule d’Harbor. Peu escarpée, elle offre au visiteur ses rues en pente douce qui se déroulent jusqu’à Aisbury Park. Le quartier est notamment célèbre pour ses escaliers en palier permettant de passer de rue à rue. Un vrai rêve de dealer, sauf qu’ici, les pères de famille n’hésitent pas à castagner les fauteurs de trouble, parfois suffisamment durement pour les tenir définitivement à distance… Malgré les revenus au mieux modestes de ses habitants, Paddy Hill a la réputation d’être un quartier calme et tranquille, où le sens du mot « communauté » ne se serait pas perdu. Paddy Hill a en effet été le point de chute de prédilection des immigrants irlandais depuis la crise de la patate. Naturellement, on trouve aussi des irlandais ailleurs dans Harbor. Mais il y a de

fortes chances que ceux-là aient encore de la famille « sur la colline ». C’e st typiquement mon cas, même si je ne suis plus vraiment le bienvenu. Toutefois, les irlandais sont loin de former la globalité de la population du quartier. Des immigrants portoricains ont commencé à s’installer dans le quartier, récupérant les logements les plus délabrés. Aux alentours d’Aisbury Park, vers le bas de la colline, on trouve de nombreuses familles noires. Cette tendance est amplifiée par la jeune génération irlandaise, véritablement scindée en deux. Il y a ceux qui restent à Paddy Hill et tentent d’y vivre. Et il y ceux qui s’en sortent et partent étudier à University District pour ne plus revenir au quartier. Les liens subsistent malgré tout : les riches familles irlandaises n’habitent plus Paddy Hill depuis longtemps mais restent impliquées dans des actions caritatives, à l’image du clan Kelly. L’une des plus grandes fortunes d’Harbor s’est construite ici, sur la base d’un simple commerce de fret – et un pied dans le crime local, si l’on en croit les mauvaises langues. Si les Kelly vivent aujourd’hui dans l’une des plus luxueuses demeures de Remington Heights, ils restent actifs à Paddy Hill. Le patriarche, Ryan, ne manque pas une messe du dimanche

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

97

à la St August Cathedral. Son fils aîné, Patrick, a fait de Paddy Hill son bastion et le point de départ d’une carrière politique à présent proche de lui offrir un siège de gouverneur… Un modèle de réussite, et un tombereau de choses à cacher. Le quartier est majoritairement résidentiel. Il est constitué de nombreux petits immeubles de briques datant du début du siècle. On y trouve également quelques maisons à un étage, en briques ou en bois, serrées les unes contre les autres et s’ouvrant sur de petites arrière-cours séparées par des palissades. Une bonne partie des habitations est sévèrement défraîchie malgré les efforts des habitants. Les rues en pente ont vu leurs pavés noyés sous le bitume mais quelques îlots ont mystérieusement échappés à ce traitement. Les trottoirs sont parfois défoncés et quelques terrains vagues ornent le paysage. Mais Paddy Hill vit. On trouve ici de très nombreux commerces : épiceries fines et magasins de liqueurs, bouchers et cordonniers, barbiers et petits magasins de confection pimpants aux couleurs joyeuses. Quelques espaces de jeux, pour jouer au baseball. Et des pubs, forcément. Le pub est ici une institution. On y joue aux fléchettes autant qu’on y boit. Mes deux établissements préférés sont Hennesy’s et Dooley’s Harp. Hennesys’ est un lieu feutré, calme et distingué. On y mange bien, on y boit de l’excellente bière et on y parle business dans les salons privés. L’endroit idéal pour conclure un deal avec un représentant de la famille Kelly. Chez Dooley, on est dans le domaine du pub de coin de quartier, dans la partie la plus pauvre de la colline, celle qui lorgne sur Aisbury Park. On y boit beaucoup sur un bar de bois sale et décoloré à force d’être lustré par les manches d’innombrables dockers. J’aime bien l’endroit pour sa rusticité, même s’il a fallu longtemps pour qu’on arrête de me regarder comme un pestiféré. A bien y réfléchir, c’est toujours le cas mais le patron me sert maintenant sans discuter. J’y passe parfois les nuits où je n’arrive pas à dormir, poussant les pintes de bières avec de petits verres de whisky…

98

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Si vous vous intéressez à la culture irlandaise, dont certains vous soutiendront qu’elle ne se limite pas au pub, visitez l’Irish Cultural Center, une grosse demeure de briques restaurée par une amicale du quartier. On y trouve notamment le hall of fame de tous les flics que Paddy Hill a donné à la police d’Harbor, avec leur faits d’armes. Le HHPD a payé pour cette plaque commémorative. Le reste est un assemblage de bidules historiques. Un peu plus loin, le War Heroes Memorial est encore une fois dédié aux enfants du quartier, tombés dans les deux guerres mondiales. De nombreuses cérémonies ont lieu ici. Immanquable aussi, les festivités de la Saint Patrick, qui voient une parade verte s’ébranler du haut de Paddy Hill – Stable Mile – et descendre jusqu’au City Hall. L’Irish Festival annuel est aussi un moment festif agréable. Quant au Paddy Echo, il est à ma connaissance le seul journal purement «  ethnique  » d’Harbor. Son rédacteur et propriétaire, l’ineffable rouquin à la carrure de baleineau Pat Reardon, est un sacré déconneur doublé d’un descendeur de bibine redoutable. Redoutable aussi son étroitesse d’esprit dès lors que l’on n’est pas d’accord avec ses fondamentaux : le whisky irlandais, la foi catholique, la sainteté de sa mère et les Harbor Hawks. Mais c’est une mine d’informations…

PAT REARDON, JOURNALISTE DE QUARTIER + / 120, 80, 100 / 10

En ce qui concerne la foi, la St August Cathedral est le siège de l’épiscopat catholique. On trouve aussi plusieurs églises catholiques à Paddy Hill. L’une des figures les plus actives de la communauté est sans conteste le Père Henry Flannagan. Il anime tout un tas de groupes, depuis le soutien aux jeunes jusqu’à la lutte contre l’alcool et la violence familiale en passant par le renouveau de la culture celtique. Débonnaire et compréhensif, aimé de tous, Flannagan est type adorable, seulement sensible à un seul sujet  : celui de la situation politique de son pays. Plus qu’un sympathisant, Flannagan - à l’époque où il s’appelait encore Henry Kirby - a participé à l’insurrection irlandaise de 1916 et a été compagnon de Michael Collins au sein du Sinn Féin et de l’IRA. Il se dit aujourd’hui dégoûté par la violence, mais reste convaincu par la cause qu’il soutient aveuglément.

PÈRE HENRY FLANNAGAN, PRÊTRE ACTIVISTE ++ / 120, 100, 90 / 20 Ici, la mère patrie reste présente, de façon quasi permanente. On envoie de l’argent à la famille restée au pays et on garde des liens. Ce n’est pas un secret  : certains ici soutiennent l’IRA et collectent des fonds pour la cause. On dit aussi que quelques activistes sont venus se mettre au vert à Paddy Hill. Mais vous ne trouverez personne pour reconnaître cela, et si vous insistez, vous risquez clairement d’en prendre plein la poire. Paddy Hill n’est pas un quartier très riche, les demeures y sont simples. Les familles qui vivent ici sont modestes et très

souvent nombreuses, foi catholique oblige. Une vie difficile et chiche, mais digne comme qui disait mon père, qui n’était pas avare en conneries. La vérité  ? La pauvreté sclérose Paddy Hill et son cortège habituel n’est pas loin  : alcool, violence, abus familiaux. La différence, c’est qu’ici on n’affiche rien en public et que tout le monde se connaît. On picole ensemble au pub, le soir après le travail. On se voit à la messe le dimanche et le prêtre catholique est un personnage essentiel du quartier. On se voit aux mariages et aux enterrements. On garde les secrets de famille au chaud. Tout le monde sait que Neal Mc Ginley est un abruti d’alcoolique qui frappe sa femme et ses gosses à chaque fois qu’il est imbibé. Mais hé, ça ne regarde personne. Au pire, il recevra une correction de la part des flics du coin, un soir dans l’arrière salle du pub, histoire qu’il se tienne tranquille… ce qu’il fera pendant quinze jours. C’est la même chose pour le crime. Les irlandais n’ont jamais développé leurs activités au point de créer un véritable crime organisé qui déborderait les limites du quartier. Mais dans celui-ci, les parrains irlandais tiennent la main haute. Ils ont la réputation de pouvoir trouver n’importe quoi  : cigarettes de contrebande, armes, alcool. Les irlandais sont les rois des trafics illicites sur le port, dont ils tiennent les syndicats de dockers. On les retrouve aussi chez les syndicats de camionneurs. Ces deux domaines sont des zones de friction avec la mafia mais les irlandais sont des gens mesurés. Ils savent rester à leur place, servent d’intermédiaire, ne touchent pas à la drogue, peu aux filles. Ils aiment les paris illégaux mais se tiennent tranquille à Paddy Hill. Tant qu’ils ne dépassent pas certaines bornes, ils sont libres de poursuivre leur business local. Ici, pas de prostitution, ou très encadrée. Quelques filles sont acceptées, mais surtout pas des filles du coin. Les pépères qui s’encanaillent sont encouragés à faire un tour à la Calle de las Putas ou à Aisbury Park tout proche. La chatte noire ou espingo est un bon pis-aller et c’est moralement plus acceptable que de fourrer la fille camée de votre voisin de messe.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

99

Représentatif du savoir-faire irlandais, les frères Muldoon, Lian et Aidan, ont tout ce qu’il faut, principalement des armes. Reconvertis du trafic de bibine – qu’ils pratiquent encore en dilettante avec un tord-boyaux de patate à décorner un bœuf – dans la vente de flingues, ils font merveille et exaucent tous les désirs. Leurs bureaux sont sur les docks mais leur quartier général reste la maison familiale de Paddy Hill et le pub de leur oncle, le Muldoon’s. Leurs deux petits frères sont flics et ferment les yeux. Ils ont des connexions dans l’armée et sont capables de récupérer pas mal de choses hautement illégales. Leurs caches d’armes sont réparties à plusieurs endroits du port et ils ont même réussi à rendre rentable leur couverture  : une entreprise de barges de déchargement. Un commerce familial florissant où tout le monde participe.

LIAM & AIDAN MULDOON, TRUANDS IRLANDAIS ++ / 140, 60, 60 / 20 Derrière ce mélange d’entraide communautaire et de crime, on trouve souvent Sean Mc Cullen. Ancien flic médaillé, Mc Cullen a pris sa retraite parmi les siens. Ses liens avec l’administration d’Harbor et, naturellement, le HHPD, sont très forts. Sur Paddy Hill, il règne sur l’alcool, le jeu, la prostitution. C’est un homme pragmatique qui sait où sont ses limites et qui ne les dépasse pas. Tout cela n’empêche pas certains d’avoir parfois envie de jouer selon leurs propres règles. Les jeunes gangs irlandais sont parfois difficiles à contenir, malgré les efforts de leurs aînés Ces

100

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

jeunes excités font souvent les deux mêmes conneries. S’en prendre aux habitants de Paddy Hill est la première. La seconde est de vouloir toucher aux domaines réservés, que ce soit des pontes irlandais ou de la mafia. La réponse de Mc Cullen est toujours la même et elle est extrêmement violente. Plusieurs jeunes cons récidivistes ont payé de leur vie leurs velléités de grandeur, entraînant parfois des vendettas sanglantes qu’on ne renierait pas à Little Italy. Cette politique est naturellement soutenue par les flics, qui n’aiment rien d’autre que le calme et les grasses enveloppes sous le sapin de Noël. Tout cela donne à la mafia locale, mélange de flics violents et de truands « altruistes », une couleur à nulle autre pareille. C’est vraiment un lieu sympa, Paddy Hill…

SEAN MC CULLEN, FLIC À LA RETRAITE ET TRUAND ++ / 140, 80, 100 / 30 Les liens entre le quartier et le HHPD sont quasiment légendaires. On dit ici que lorsqu’un gamin de Paddy Hill réussit, il devient flic. Sinon, il finit pompier… Force est de constater qu’on trouve beaucoup d’irlandais de souche dans la police d’Heaven Harbor, que la plupart viennent de ce quartier et y vivent toujours. A ce propos, s’il y a un homme ici dont il convient de se méfier, c’est du lieutenant Seamus Murphy, détective de l’homicide du HHPD. Un type remarquable, à qui l’on a donné le commandement de la fameuse «  Brigade de Contention  », désormais tristement célèbre. Que les choses soient claires :

Paddy Hill est son pré carré. Sa famille vit ici, et Dieu sait qu’elle est large. « Murph » semble un homme débonnaire et jovial, à la bonne trogne rouge, mais c’est une véritable ordure qui n’aime rien de plus que de tabasser du négro au nerf de bœuf. Se tenir éloigné de cet homme est la meilleure idée qui puisse traverser l’esprit d’un truand… ou d’un flic honnête. Mc Mullen et Murphy se regardent en chiens de faïence. Aucun n’a jusque là pris le risque de contrarier l’autre.

SEAMUS MURPHY, ORDURE AVEC UN BADGE +++ / 220, 100, 150 / 30 L’omniprésence des flics et les règles édictées par Mc Cullen font beaucoup pour la réputation de calme de Paddy Hill : braquer un commerce sur la colline est généralement une très mauvaise idée. Cela n’empêche

pas le quartier de connaître son lot de criminalité occasionnelle, notamment au cours d’affrontement entre gangs de jeunes irlandais. Mais la plupart du temps, ceux-ci se tiennent les coudes quand l’agression est extérieure. Et l’ennemi commun est très facilement désigné : le noir d’Aisbury Park, vers lequel Paddy Hill descend en pente douce. La ligne de démarcation est le Saint Andrews Square, à la désastreuse réputation, véritable no man’s land pour les jeunes des deux communautés. Pour les habitants d’Harbor, ce n’est déjà plus Paddy Hill, malgré les statues élevées à la mémoire des victimes de la famine irlandaise. Les irlandais accusent aussi les noirs d’Aisbury Park d’avoir piqué les jobs sur les docks. Encore aujourd’hui, de nombreuses familles de Paddy Hill vivent de l’activité portuaire. Alors, les affrontements ne sont pas rares. Bridés par leurs aînés pour les activités criminelles, des bandes de jeunes irlandais désœuvrés s’en prennent aux habitants noirs et se heurtent aux gangs noirs. Les débordements sont parfois très sanglants. Le parrain blanc d’Aisbury Park, Mickey Ballantine, entretient de bonnes relations avec Mc Cullen mais refuse tout assujettissement de son territoire. Malgré ces réalités, le promeneur occasionnel a toutes les chances d’apprécier Paddy Hill et ses habitants à l’accent chantant. Tant qu’il ne pose pas trop de questions…

LITTLE ITALY J’aime Little Italy. On y mange bien et ça, c’est déjà plus que l’on ne peut dire de pas mal d’endroits. On y meurt avec style. Parfois, on fait les deux en même temps. Le 15 août 1924, en pleine fête de la Vierge, le vieux César Palmiotti recevait une balle dans la nuque alors qu’il était assis à la meilleure table du Primo Vino Ristorante. Il a fini sa vie le nez plongé dans son assiette de cannellonis à la ricotta. Entre nous, il y a de pires façons de mourir. Depuis le jour où mon père m’a raconté cette histoire, j’ai toujours vu Little Italy comme une espèce de territoire étranger exotique où tout sentait meilleur et tout semblait plus vivant. On y parlait fort et on riait le soir dans les rues. Les Affranchis étaient comme des princes. A eux les plus belles voitures et les plus belles filles. Surtout, on y avait le sens de la famille, quelque chose qui me manquait cruellement. On savait ce que voulait dire le mot « honneur ». La réalité, comme souvent, est moins belle que la fiction. Les Affranchis sont bien souvent des abrutis ventripotents, ce qui ne les rend pas forcément moins dangereux. Les cadavres troués de balles sur le trottoir n’ont rien de glamour, surtout quand ce sont ceux de gamins passant là par hasard. Et la pauvreté a la même couleur qu’ailleurs. Little Italy est un endroit bizarre, à cheval entre un folklore parfois fantasmé et une réalité plus glauque. Little Italy a longtemps été appelée Rocket Point, à cause du parc du même nom. L’arrivée massive des immigrants italiens ne date que de la fin du dix-neuvième siècle et le quartier prit alors son inimitable coloration, autour du point focal que représente pour tout bon rital catholique l’église San Paolo. Les immigrants se répartirent dans un premier temps par région d’origine : génois, calabrais et siciliens au nord de Rocket Point Green, piémontais et toscans au sud, napolitains de part et d’autre. Malgré la dureté de la vie et le dénuement terrible de la majorité des immigrants, Little Italy a prospéré. C’est aujourd’hui un quartier

102

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

riant et vivant où les trattorias pimpantes s’alignent le long des rues, où l’Italian Market et ses produits frais attirent chaque semaine la foule, où quelques flics circulent à pied entre les étals en sifflotant et où les familles tirées à quatre épingles se pressent dans les petites églises, le dimanche matin. On y trouve certains des restaurants les plus chics et les plus côtés d’Heaven Harbor. Les maisons brownstone de cinq ou six étages ont survécu en majorité à l’incendie de 1908, donnant leur cachet vieillot aux rues de Little Italy. Même si le quartier est percé par de larges boulevards, dont le plus important est Border Street, il est majoritairement constitué de petites rues étroites. A Rocket Point, on est fier d’être italien et on l’affiche. Le quartier devient ainsi chaque année un peu plus une véritable attraction touristique. Tout cet apparat cache mal la réalité  : Little Italy se rétrécit et s’appauvrit. Chinatown s’étend de plus en plus au sud. Surtout, les familles italiennes les plus fortunées ont depuis plusieurs années commencé à quitter le quartier pour s’installer ailleurs, dans des demeures plus vastes et plus confortables. Les hispaniques ont commencé à coloniser le quartier, d’abord par son aile ouest, ce qui n’est pas sans entraîner quelques heurts parfois très violents. Cela change aussi la donne au niveau criminel  : là où le racket était organisé depuis des décennies et ronronnait tranquillement, des jeunes portos aux dents longues veulent leur part du gâteau. Les statistiques d’agressions et de meurtres de commerçants ont explosé cette année. Le crime a toujours été associé à Little Italy, dont la légende a fait, non sans raison, l’épicentre des activités criminelles d’Harbor. Les mauvais garçons auraient importé du pays leurs sales habitudes et les anciennes vendettas familiales. Durant les années 20, la réputation criminelle de Little Italy atteignit son paroxysme, lorsque le vieux Renaldo Grachetti, alors dans la force de l’âge, décida de prendre le contrôle des affaires. Le sang

se mit à couler au fil des exécutions, les mamas pleuraient des rivières de larmes et les églises du quartier ne désemplissaient pas. Funérailles sur funérailles. Lorsque le vieux parrain, César Palmiotti, se fit rétamer, ce fut la fin, un palier fut franchi. Étonnamment, la situation se calma alors à Little Italy. Chacun avait compris qu’il fallait maintenant négocier la paix. La violence se déplaça ailleurs, contre les gangs irlandais et juifs, et culmina avec l’assassinat du chef de la police en 1928. La réputation d’épicentre du crime de Little Italy était définitivement ancrée dans l’esprit harborian. Aujourd’hui, l’Association des italos-américains se défend avec virulence des accusations de crime organisé auxquelles on relie un peu vite leur communauté. Après tout, le bon J. Edgar Hoover lui même n’a t-il pas dit que la mafia était un fantasme  ! Une chose est indéniablement vraie  : les grandes familles criminelles de la mafia ont depuis longtemps acquis de belles résidences loin de Little Italy, qui a du mal, en dépit de son exotisme, à cacher sa décrépitude grandissante. Mais une bonne partie de leurs business légitimes est encore située ici, dans les restaurants ou les laveries automatiques du quartier. Et malgré les dénégations offusquées des officiels de Little Italy, les règlements de compte réguliers entre soldati qui ensanglantent les ruelles restent une réalité tangible. Surtout que la tension n’a jamais été aussi forte entre les familles Grachetti et Marsella, anciens frères d’armes… N’empêche que l’apparat des Affranchis en a pris un coup. Ceux qui restent à Little Italy sont les sous-fifres, les Giametto, Barbini, Di Pozzesi, Lizzani, Ferchetti et Grinetti. Porte-flingues des vrais boss dont les belles villas surplombent Harbor, ce sont ceux que les flics d’Harbor appellent les Graisseux. Leurs points de chute sont toujours les mêmes. Les sous-fifres des Grachetti se retrouvent tous les soirs au Napolitano, le club le plus branché de Little Italy. Vous et moi, qui sommes à la coule, savons ce que ça veut dire : l’endroit est pour les caves et on y joue de la musique de ménagère. Si vous aimez les crooners sirupeux, l’endroit

est pour vous. Un de ces quatre, je ne serais pas surpris d’y voir Sinatra. Avec un peu de chance, vous éviterez les insoutenables one man shows de Giovanni Barbini, le patron du racket dans le quartier, persuadé d’être drôle et encouragé par les hurlements de rire de ses amis. Je vous conseille de rire aussi. Ça se fâche vite, un rital avec des prétentions artistiques. A quelques encablures de là, le Bang ! est le quartier général de la clique Marsella. C’est un bar-spectacle plutôt crado, célèbre pour ses tables de billards. Il faut voir ces ritals ventripotents assis sur le trottoir devant leur rade, auréoles sous les aisselles et sandwichs au pastrami à la main, jouant aux échecs ou aux cartes et prenant des airs de seigneurs.

GIOVANNI BARBINI, TRUAND BLAGUEUR + / 120, 60, 80 / 20 Little Italy reste donc malgré tout fortement teintée de traditions. Ainsi, les processions catholiques sont toujours plébiscitées par une foule fervente. La plus célèbre est sans conteste celle de l’Assomption, célébrant la montée au ciel de la mère du Christ, particulièrement populaire ici. Le festival commence le 15 août et dure quatre jours. Le premier jour voit une longue procession se mettre en branle depuis le parvis de l’église San Paolo. Une statue de la vierge est trimbalée à dos d’homme, suivi par de nombreuses effigies de saints, une poignée de flagellants allumés et les gosses du quartier endimanchés. La foule prie à haute voix et loue Marie en italien. Toute cette procession traverse alors Rocket Point et remonte

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

103

Border Street. Les trois jours qui suivent voient la fête battre son plein : les restaurants prévoient de véritables banquets, un marché se tient en plein air, on offre aux gamins des sucreries, des jeux et cavalcades et bien sûr, la nourriture est partout ! On peut dévorer ici son propre poids en douceurs italiennes en se contentant de déguster sur les stands. Sur toute sa longueur de Border Street se succèdent ainsi des étals de spécialités culinaires, de souvenirs et d’objets religieux, ainsi que des autels consacrés aux Saints patrons du quartier, sur lesquels les fidèles épinglent des billets, offrandes pour que les Saints bénissent l’année à venir. Le festival est un véritable récital d’odeurs et de goûts : olives noires, jambon cru, parmesan, pains dorés… Puisqu’on en est rendu à ce qui se mange, il est évident qu’on ne peut pas parler de Little Italy sans parler de nourriture. Ne cherchez pas les meilleurs restaurants d’Harbor sur le Strand, malgré ce que pourront bien vous dire les critiques en vogue. C’est à Little Italy que vous les trouverez. Chaque harborian a son adresse préférée, voici les miennes. J’ai déjà évoqué le rôle quasi historique du Primo Vino dans la guerre des gangs qui ensanglanta Little Italy dans les années 20. Le restaurant, typique avec ses nappes à carreaux et ses bouteilles d’huile d’olive aux murs, offre une cuisine particulièrement fine. Aux fourneaux, Luigi est un orfèvre. N’hésitez pas à demander à le remercier, il adore venir en salle pour régaler le client de ses histoires. Beaucoup moins cher, mais à mon sens tout aussi succulent, Valerio’s est un incontournable où il vaut mieux réserver au vu de l’exiguïté de la salle et du monde qui la fréquente. Vous n’aurez droit ici qu’à un seul plat du jour mais il vaut le détour ! La cuisine familiale de Mama Valerio est tout bonnement succulente. Cafés et trattorias sont également fabuleux. Si une fringale vous prend, je ne saurais trop vous conseiller le Lounge Michaelangelo. Je me damnerais pour une gelati du Gros Tony et ses pâtisseries sont du même acabit. Si vous voulez goûter du vin, du véritable vin, une seule adresse : Lezno’s beverage sur Border Street. Little Italy reste

104

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

donc appréciée pour sa vie de quartier, ses boutiques, pâtisseries, trattorias, pizzerias, fabriques de pâtes fraîches et restaurants. Tout un monde bigarré reste chevillé à la rue : tailleurs, barbiers, cordonniers, épiciers et métiers de bouche. Bennelli Street est une rue prisée des amateurs d’art pour ses galeries et ses brocantes, qui ne le cèdent en richesse qu’à celles de Carnelly Hill. Mais ce qu’elles proposent est aussi bien moins cher. Forcément, il faut parfois fouiller pour trouver la perle rare entre une croûte représentant les pentes du Vésuve et un affreux masque vénitien en carton pâte. Parmi les endroits que je préfère au monde, il y a le bookstore de Renato Fusacchia. C’est une petite boutique à l’angle de Bennelli et Cross Street, toute en longueur, qui sent la poussière et le pastrami. On y trouve un choix incroyable d’ouvrages entassés sur des étagères prêtes à s’écrouler et le vieux Renato est toujours disponible pour vous aider. Il a ce don incroyable, quasi magique, de plonger dans un carton moisi et d’y dégoter pile le bouquin que vous cherchiez en vain depuis des années. Je le soupçonne de ne pas être totalement humain… Rocket Point Green est un joli petit parc arboré en plein cœur de Little Italy. L’endroit est prisé par les amoureux et les vieux du quartier, les derniers surveillant souvent les premiers du coin de l’œil. Ici, on parle plus italien qu’anglais. On raconte que le vieux Renaldo Grachetti vient encore ici nourrir les pigeons. Je ne sais pas si c’est vrai mais connaissant la paranoïa de la famille, c’est une véritable armée qui doit accompagner le croûton dans sa balade. Un peu plus loin, sur Cross Street, Alla Prima Fine Lingerie est une boutique un peu friponne – dans les limites du bon goût imposé par l’association des commerçants de Little Italy, naturellement – spécialisée dans la lingerie européenne. Pour faire plaisir à une femme, rien de mieux. La jolie Antonia a été longuement la maîtresse d’un lieutenant d’Ange Grachetti, Daniele Mazzierri. Première gâchette à la réputation de sadique cruel, le bon Daniele aurait sortie la jolie brunette de la rue où elle tapinait pour lui offrir

la boutique. Ils seraient à présent en froid, mais on raconte que Daniele veille toujours jalousement sur Antonia. Au point d’avoir brisé les doigts d’un jeune garçon boucher du quartier qui faisait les yeux doux à la belle. Il a du boulot sur la planche, l’ami Daniele, au vu de la réputation de cuisse légère de sa dulcinée. Et que dirait-il s’il apprenait qu’Antonia se fait reluire par l’un de ses propres hommes, Marcello «  Animal  » Bonini, qui doit son surnom à la magnifique pelisse qui orne sa poitrine. J’aime ces histoires tragiques, façon drame antique chez les truands et les putains… Romano Pietrozi est le fleuriste le plus réputé de Little Italy. C’est un protégé de la famille Marsella, ce qui lui a valu quelques ennuis avec les Grachetti. Traditionnellement, il fournit les compositions florales de la procession de l’Assomption. En ce moment, il sent revenir la mode des couronnes mortuaires… On peut visiter son magnifique jardin de roses. Notre petit voyage se termine. Little Italy semble un endroit où il fait bon vivre, hein ? Ici comme ailleurs, la violence quotidienne et la petite délinquance existent. Même si les

graisseux tiennent le quartier, ils ne peuvent empêcher la came d’affluer, les portos de racketter les commerces et quelques abrutis de mettre leurs petites sœurs sur le trottoir. Mais le quartier reste finalement tranquille, comme confit dans ses traditions. Le flingage de flics est ici passé de mode et mes excollègues peuvent passer ici une carrière tranquille. C’est dingue comme quelques bonnes bouteilles de chianti peuvent pousser les gens à être amicaux…

DANIELE MAZZIERRI, PREMIÈRE GÂCHETTE ++ / 150, 70, 60 / 20

Le crime LA PYRAMIDE DU CRIME Il faut bien le dire, les temps héroïques sont finis. L’âge d’or des gangsters, la Prohibition, est révolu. Aujourd’hui, les riches truands rêvent de devenir de respectables hommes d’affaire. La drogue a remplacé le whisky frelaté et de nouvelles formes de violence émergent, foulant aux pieds les anciennes règles. Sans parler des Asservis, qui s’emploient à chambouler l’échiquier. Le crime, à Heaven Harbor, prend la forme d’une mosaïque en pleine mutation. Le monde criminel est une pyramide. Au sommet se tiennent les grands patrons du crime. Ils ne se salissent plus vraiment les mains mais ne vous y méprenez pas  : ils tirent les ficelles et leur fortune est bâtie sur le crime, la violence, le meurtre. Dans les limites d’Heaven Harbor, seuls Ange Grachetti et Nathaniel Vernon entrent dans cette catégorie. Ange a repris le business de son grand père, le mythique Renaldo, et entreprend sa modernisation avec une poigne de fer. Ses airs de jeune chef d’entreprise ne doivent pas vous tromper : son argent provient du jeu, des paris, de l’usure, de la prostitution, du recel… Il a même brisé le veto familial sur la drogue mais a du mal à rattraper ceux qui ont pris le tournant plus tôt. Vernon, parachuté par les parrains de la côte Est pour doubler les Grachetti, s’est construit un rêve à la mesure de son ego, l’îlecasino Lucky Island. Là encore, sa dégaine de nabab mégalo cache ce qu’il est vraiment : un flingueur qui blanchit à tour de bras l’argent sale de la mafia. Juste derrière eux, le clan Marsella, menée par Michael Marsella Leur guerre contre les Grachetti dure depuis des années et prélève son dû dans les rangs des nombreuses familles et gangs ayant juré fidélité à l’un ou l’autre clan. Plantés par Vernon, alors qu’il était chargé de les épauler,

106

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

les Marsella ont été les premiers à briser deux tabous des truands italo-américains  : ils se sont lancés dans la drogue, jusque là chasse gardée des truands noirs ou irlandais et ils ont magouillé avec les Asservis. Mais les grands boss ne maîtrisent pas tout et il existe de nombreux parrains locaux, leur pouvoir assis sur une base ethnique, sur le quartier dont ils sont issus. Le noir Ray Constance et l’irlandais Mickey Ballantine se partagent Aisbury Park. Sean Mc Cullen tient Paddy Hill, Oncle Chu est le maître de Chinatown, le golem Barney régente Redmond et Viktor Voritch est le patron de Russian Hill. Tout ce beau monde est lié par des accords de non agression plus ou moins clairs et se partage les juteux territoires d’Heaven Harbor selon un découpage au cordeau digne de Yalta, dans lequel la moindre rue est un enjeu stratégique. Sous leurs ordres, une myriade de truands plus ou moins professionnels, plus ou moins violents, plus ou moins puissants. Tenir un territoire est une gageure. Certains se foutent des règles et ne respectent rien, surtout pas leurs aînés. Ils sont décidés à faire leur trou et ne reculent devant aucune violence pour y parvenir. D’autres sont juste trop cons, ou trop jeunes, pour savoir que des règles existent. Et les Asservis font ce qu’ils veulent, faisant de la Forbidden City leur pré carré. Enfin, il y a les intérimaires du crime. Tous ceux qui ne s’imaginent pas comme truands ou criminels, mais qui volent, blessent ou tuent, que ce soit sur un coup de tête ou pour améliorer leur condition. Je ne crois pas aux conneries qui voudraient que votre propension au crime dépende de votre sang ou de votre héritage familial, comme une maladie qu’on se repasserait de père en fils. Le premier truc qu’un flic apprend, c’est

que le crime, au sens large, touche tous les milieux et toutes les personnes. Tout dépend de l’occasion. Si elle se présente, chacun peut commettre un crime, qu’il s’agisse de voler à la tire, d’arnaquer votre grand-mère ou de tuer votre mari… J’ai dîné une fois avec un enquêteur d’assurance. Il m’a dit des trucs pas croyables sur la façon dont certains tentent d’arnaquer leur assureur. Pour lui, un incendie sur deux est allumé par le proprio et des tas de gens collent eux-mêmes leur bagnole au fond de la Sio River. Deux choses importantes à retenir sur le crime : il engendre fatalement la violence et il ne paie que rarement. On dit qu’on ne prête qu’aux riches. C’est pareil pour le crime. Les petits truands ne s’en sortent jamais parce qu’ils commettent toujours une connerie. Les flics ne résolvent pas toutes les affaires, c’est une évidence, mais ils en résolvent assez. Comme un truand ne raccroche jamais, il se fait fatalement avoir à un moment ou un autre. D’ailleurs, bien souvent, les flics sont le dernier souci des criminels. C’est de leur propre engeance que vient le danger. Quand à la violence, ceux qui voient le crime comme une activité glamour et s’imaginent avec la tronche d’Humphrey Bogart, ils n’ont jamais du tenir la main d’un mec mourant, la poitrine déchirée par des chevrotines, hurlant de douleur au milieu du sang et de la merde. Vous n’imaginez même pas ce que l’homme est capable d’infliger à son prochain. J’ai vu des gosses brûlés au fer à repasser ou les membres fracassés par des coups assénés avec une poutre ; des femmes frappées avec des outils de jardin ou découpées avec des couteaux de cuisine ; des hommes torturés avec des cintres en fer ou assassinés à coups de pelle. Les chairs éclatent, les os se brisent et le pire, c’est que la plupart du temps, les victimes ne meurent pas tout de suite. Elles souffrent et elles gueulent, toute dignité engloutie dans les affreuses blessures qui déchirent leur corps.

RENALDO GRACHETTI, VIEUX PARRAIN ++ / 20, 200, 80 / 40

ANGE GRACHETTI, JEUNE PARRAIN IMPITOYABLE +++ / 100, 160, 140 / 40

MICHAEL MARSELLA, PARRAIN ET CHALLENGER +++ / 100, 150, 100 / 40

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

107

PANORAMA CRIMINEL Impossible pour moi de vous faire une description détaillée de toutes les activités criminelles que l’on peut exercer à Heaven Harbor. On y consacrerait trois annuaires sans en faire le tour. Le vol et le cambriolage sont deux grands classiques, pratiqués par toute une pléthore de criminels aux compétences variées, allant du jeune crétin au professionnel le plus aguerri. Tout se vole. Vous seriez surpris de ce qu’on trouve chez les receleurs, entassé dans les caves de simples particuliers adeptes de la fauche ou dans les entrepôts de la mafia. Tout ce qui se vend se vole, quel qu’en soit le prix ou l’utilité. On commence par faucher un illustré ou un soda et, l’espace d’un souffle, on s’introduit chez les gens pour piquer tout ce qu’on trouve, de préférence ce qui brille. La violence n’est généralement pas la motivation mais elle devient vite un recours évident si l’on tombe sur un os. Même chose dans la rue quand il s’agit de dépouiller un passant. L’argent est plus abondant et plus accessible dans les commerces et les banques, alors on les braque au fusil de chasse. C’est la voie la plus rapide et la plus dangereuse pour devenir un petit caïd. Certains boutiquiers n’hésitent pas à vous décharger leur shotgun dans le ventre et les parrains comme Ray Constance surveillent de près les commerces de leur fief, qu’ils rackettent pour leur protection. Il est plus rare que le crime organisé se préoccupe de vol, sauf bien sûr lorsqu’il s’agit de grosses opérations, comme vider un entrepôt de fourrures, voler un camion rempli de postes de télévision ou de faire main basse sur une cargaison de câbles en cuivre. Faut dire que c’est plus tranquille de piquer un container quand on a payé les vigiles et qu’ils vous laissent bosser tranquillement. Il existe des as de la cambriole, qui ne travaillent que sur commande et qui connaissent mieux leurs produits que les fabricants de coffresforts. Certains gangs, les plus dangereux, se spécialisent dans certaines formes de braquages. Le gang de Pete Grafton s’est

108

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

ainsi fait plus d’une dizaine de banques, laissant sur le carreau deux des siens, trois flics et quatre caissiers qui ont voulu jouer au héros. Comme ils ont franchi deux fois les limites de l’état, ils ont le FBI au cul en plus du HHPD. On dit que Pete et ses gars se planqueraient quelque part dans la Forbidden City.

PETE GRAFTON, BRAQUEUR ++/ 150, 60, 80 / 5 Le pire vol, c’est le rapt. Il est très rare qu’un rapt se finisse bien. Y a toujours quelqu’un qui panique et qui fait une connerie. Les flics n’ont aucune tendresse pour les ravisseurs. Là où il y a vol, il a recel et revente. Là encore, on passe de l’amateurisme au professionnalisme. Dans Aisbury Park, j’ai arrêté successivement les cinq frères d’une même famille. Ils revendaient des postes de radios et des montres volés et chaque fois que l’un tombait, le frérot reprenait le commerce. A l’autre extrémité, vous avez des gens comme Stan Barillo qui écoule meubles de valeur, bijoux et œuvres d’art. Les flics ne l’ont jamais coincé et ne savent pas où il planque sa marchandise. En tout cas pas dans son joli bureau de Carnelly Hill. Il semble avoir un sixième sens pour repérer les types qu’on lui envoie en sous-marin en se faisant passer pour des acheteurs. Il les raccompagne poliment mais fermement, assurant qu’il ne voit pas de quoi il s’agit.

STAN BARILLO, RECELEUR ++ / 60, 120, 110 / 10 Le vol de bagnole, c’est déjà un autre business. Y a de l’argent à se faire et c’est moins dangereux que de braquer une épicerie  : rare qu’un quidam dorme dans sa caisse avec un fusil chargé, encore que ça se soit vu. Lorsque les petits jeunes des mauvais comme des beaux quartiers piquent une tire, c’est généralement pour impressionner leur copine, faire les cons sur la corniche ou du stock-car dans les terrains vagues de la Valley. Le trafic de bagnoles est bien plus complexe : il faut une formation, du matériel, un local pour maquiller les caisses et un circuit de distribution. A Redmond, j’ai l’adresse d’un petit garage cradingue adossé à une casse de bagnoles miteuse. Mais le carrossier est un orfèvre : il m’a redressé une petite Buick 38 toute cabossée et on ne voit plus un pli. Il bosse pour les Reali, des affiliés des Marsella spécialisés dans le casse de bagnoles. La contrebande est aussi une grosse galette. Tout ce qui est soumis à des taxes ou à une loi restrictive s’écoule par un marché parallèle. Les temps héroïques de la Prohibition sont loin mais l’alcool de contrebande continue de se vendre et les cigarettes sont un très gros marché. Et je ne parle pas des armes, spécialité des irlandais de Paddy Hill ou de Mickey Ballantine à Aisbury. Forcément, ça demande de l’organisation et des moyens. Si tout le monde peut revendre quelques cartouches de cigarettes ramenées du Canada par Tonton, liquider des camions entiers,

c’est un autre taf. On contrefait aussi un tas de trucs, histoire que les boutiquiers malhonnêtes puissent augmenter leurs marges. Les faux papiers se trouvent très facilement  : filez-moi cent dollars et en deux heures, je vous ramène un permis de conduire et un extrait d’acte de naissance. Allongez la monnaie et vous pourrez même choper un passeport qui vous permettra de sortir du pays sans être inquiété. Quand à la fausse monnaie, c’est le plus juteux mais le plus dangereux  : contrefaire les billets de l’oncle Sam est un crime fédéral. J’ai entendu parler d’un allemand, un certain Gustav Landschoff qui aurait embarqué avec lui des plaques que les nazis utilisaient pendant la guerre pour imprimer des faux dollars. Je ne sais pas pour qui il bosse. Grand classique et assise de toutes les organisations criminelles, le racket et l’extorsion prennent des tas de formes mais reposent sur la trouille. C’est impossible à éradiquer  : tout le monde a quelque chose à perdre, qu’il s’agisse de ses doigts ou de ses gosses. Même méthode pour les prêts d’usure à des taux exorbitants et même punition en cas de manquement. Dans les quartiers ethniques, les bandes de jeunes viennent relever les compteurs dans le voisinage. Les plus gros poissons les laissent faire et collectent leur part, ou bien leur collent une dérouillée parce qu’ils ont fait la connerie de chasser sur leurs terres. Quand aux boss, ils font la même chose mais c’est plus classe : ça se passe dans de beaux restaus ou de chouettes clubs. Pas un contrat de travaux publics dans cette belle ville qui ne soit pas soumis à un prélèvement mafieux. Vous voulez bosser dans le textile  ? Vous paierez aux Grachetti. Vous voulez monter une entreprise de traitement des ordures  ? Une partie de votre budget finira dans la poche des Marsella. Parfois, faut même payer les deux, juste histoire d’être tranquille. L’escroquerie prend toutes les formes mais c’est souvent un boulot de gagne-petit. Les petits malins trouvent toujours à piéger le pigeon. C’est même un art en soi. Les flics ont d’incroyables histoires d’arnaque à raconter, depuis les abonnements bidon à

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

109

de fausses publications paroissiales jusqu’à la vente de parcelles de terrain sur une île luxueuse qui n’existe pas. Nico Belbo était le roi des arnaqueurs dans les années 30, à Harbor. Une légende. Je l’ai revu un jour à la soupe populaire : il a écrémé le mauvais gars, un porteur de valise des Grachetti. Ils lui ont coupé les pouces des deux mains et bousillé les genoux avec une masse.

JOSEPH HIERBSCHEL, BOOKIE ++ / 40, 120, 60 / 20 Les vices ont toujours été une source d’argent importante. Le jeu et les paris sont sans doute les plus «  anodins  ». Qui n’a jamais misé sur un cheval ou tenté quelques quarters dans une machine à sous  ? Quoi qu’on en dise, c’est illégal. Les bookies lèvent des fortunes grâce aux parieurs, petits ou gros. Puis vient l’envie forte de maximiser les revenus en s’assurant que l’on gagne à tous les coups. Alors, l’argent circule, les matchs sont truqués, les canassons dopés, les sportifs achetés ou menacés. De temps à autre, il faut faire un exemple et nous y revoilà  : la violence est le dernier recours. Les irlandais de Paddy Hill se débrouillent pas mal dans les paris mais les ritals ont toujours été les rois. Avec l’alcool frelaté, c’est la base de la fortune des Grachettis et c’est toujours l’une de leurs principales sources de revenu. Il est très dangereux de jouer au bookie sans être affilié à un « bienfaiteur ». Un book sérieux, c’est une vraie petite entreprise. Joseph Hierbschel officie dans un petit immeuble de City Hall et récolte une bonne partie des paris du coin. Ses clients sont aussi bien

110

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

des petits employés que de grands avocats. Les paris du jour sont notés sur de grands tableaux noirs et plusieurs types se chargent de collecter les paris et l’argent. Jo conserve tout dans un petit carnet qui ne le quitte jamais, depuis la cote des chevaux et leur état de santé jusqu’au détail des versements qu’il fait aux Grachetti. Le jeu génère aussi un max de fric. On trouve des tripots dans chaque quartier. Ceux de Chinatown sont réputés mais là encore, les ritals ont la main haute et n’hésitent pas à «  punir  » ceux qui veulent monter un business indépendant. Il y en a pour tous les goûts, depuis l’arrière salle puante d’une cuisine italienne jusqu’à la salle luxueuse d’un hôtel du Strand. La star, forcément, c’est Nathaniel Vernon qui a réussi le tour de force de transformer un banc de sable en paradis du jeu légal ! Même s’il a floué la mafia au passage, elle la ferme car l’argent coule littéralement à flots. La prostitution est vieille comme le monde. Certaines familles n’y touchent pas, chez d’autres c’est traditionnel, comme à Chinatown. Les ritals ont toujours trouvé cela un peu répugnant mais ne sont pas prêts pour autant à laisser passer une bonne source de fric. Alors ils délèguent. L’émergence de la Forbidden City a fait baisser les recettes des macs traditionnels : les Asservis touchent directement le consommateur. Mais les obsessions des harborians restant les mêmes, on peut encore gagner sa vie dans ce business. Le mac est sans doute la catégorie de criminel que je déteste le plus. Y a comme un sale relent d’esclavagisme attaché à cette « profession ». Dieu sait si j’en ai connu des putes, des braves filles pour la plupart. L’envie de défoncer la tronche de leur souteneur est toujours ancrée au fond de moi. Ça doit venir des films de Douglas Fairbanks. Et pourtant, la «  reine des macs  », la succube Veronica Smith, je lui mange dans la main. Allez comprendre… Pendant longtemps, la mafia n’a pas voulu entendre parler de la drogue. Le jeu, les filles et les casses, ok. Mais la drogue était bonne pour les noirs. Qu’ils gèrent ça entre eux. C’est ce qu’ils ont fait et bientôt,

Aisbury Park et les gangs nègres étaient à la pointe. Ray Constance et Mickey Ballantine ont pris le marché et la dope est fatalement sortie du ghetto noir. Les Marsella ont décidé de saisir le taureau par les cornes et de lancer la machine, ce qui leur a valu les foudres du vieux Grachetti. Forcément, Ange n’a pas les mêmes scrupules et la bataille est maintenant rude. D’autant plus que de nombreux indépendants tentent leur chance : importer de la came n’est pas si dur et le retour sur investissement est immédiat. Nouveaux venus dans le jeu, l’Asservi Pieces semble faire de la Forbidden City son lieu d’expérimentation pour de nouveaux produits. Il reste enfin à fluidifier tout cela, à effacer les inévitables petits écueils. Le meilleur tueur à gages d’Heaven Harbor, que l’on dit meilleur que l’insaisissable Antoine, est une femme. Je ne connais pas son nom mais je l’ai déjà vue. Élégante et discrète, belle mais pas éblouissante, de la

distinction comme une dame anglaise. Elle prend très cher mais ne loupe jamais. A vrai dire, ça relève un peu de la légende, mais c’est une belle histoire, non ? Si vous cherchez un effaceur, vous aurez l’embarras du choix. Une vie humaine ne coûte pas cher. Toutes ces masses de fric qui remontent de la rue finissent par s’accumuler et les billets, c’est lourd et ça prend de la place. Alors il faut réinjecter. Les casinos c’est génial pour ça et Vernon y règne en maître. La mafia investit dans des business légaux : ramassage des ordures, restaurants, cinémas, drivein, laveries automatiques. Mais ça ne suffit toujours pas alors on investit dans l’industrie, qu’on connaît bien puisqu’on braque les entrepôts et qu’on aide les industriels à tabasser les grévistes. Au final, l’argent est devenu du bon argent, on ne peut plus faire la différence et on le retrouve même dans les caisses de campagne de nos politiciens. La limite s’efface, la boucle est bouclée. C’est un peu ça, la magie de l’Amérique.

« Ça enregistre, là ? — Oui Monsieur Carlotti. Vous pouvez y aller. — Ok, ok... J’peux fumer ? — Pas de problème, M. Carlotti, ça n’affecte pas l’enregistrement. Si on commençait ? — Ouais, ouais. Par quoi vous voulez qu’on attaque ? — Si vous nous parliez de Renaldo Grachetti ? — Ouais. Le Don, hein... Que voulez-vous que je vous dise ? Il a la main sur tout, même s’il est gâteux. Jeune, c’était une sacrée pourriture. Un tueur, un vrai. J’veux dire, il est pas arrivé là uniquement en léchant les bottes des boss de la côte Est. Vous vous souvenez lorsque le patron des flics s’est fait descendre devant le palais de justice ? Mais aujourd’hui, il joue les grand-pères modèles. Le vieux passe ses dimanches à l’église, à prier, et il joue avec ses arrière-petitsenfants. Avec l’âge, je crois que la peur du jugement l’a rattrapé. Il aimerait mourir en homme respectable, absous de ses crimes devant Notre Seigneur. Pas gagné, si vous voulez mon avis. Il a plus de sang sur les mains qu’un boucher de Little Italy. Mais il fait comme si… Faut surtout pas parler du business pendant une réunion de famille où il est là. C’est devenu tabou, sale. Misère. — Il n’est plus au courant des activités de la famille ? — Non, ça c’est ce qu’il veut qu’on croie. Mais quoi que fasse Ange, il est derrière. Il a toujours les rênes. C’est toujours lui qui décide qui doit vivre et qui doit mourir. — Ange, c’est Ange Grachetti ? — Ouais, le petit-fils, le jeune loup. Le préféré du Don. — Merci de citer les noms clairement, M. Carlotti. Pour l’enregistrement. — Ah, ouais. Désolé. Ange Grachetti, quoi. Il a repris en main toutes les affaires de la famille. Assaini les affaires. Réglé les différends. Il est directement impliqué dans la mort de Fabio Carsoni. C’est lui qui l’a tué. Et il a ordonné l’exécution du frère de Fabio, Carlito, le débile. Une honte d’abattre ce pauvre gars qu’avait jamais fait de mal à personne. — Pour quelle raison l’a t’il tué ? — Pour faire un exemple. Carsoni avait barboté des bénéfices sur les machines à sous, et cherchait à faire cavalier seul. Ange a nettoyé l’ardoise histoire de montrer que personne ne pouvait lui chier dans les bottes. — C’est un message aux Marsella ? — Les Marsella  ? Ouais, bien sûr. Mais pas qu’à eux. A tous les cons qui croient qu’ils peuvent lui piquer son blé. — Et Daniele Mazzierri ? — Quoi, Mazzierri ? C’est un de ses lieutenants, un porte-flingue. Un moins que rien. Non, celui qui compte vraiment c’est Nicolo Lizzani. Lui, c’est une tête. Toujours derrière Ange à lui souffler dans les oreilles. Pas con, le petit, et sacrément vicelard. On raconte qu’il est, enfin, vous savez, qu’il aime les garçons, quoi. Ça m’étonnerait parce que Ange, il est à cheval sur ce genre de choses. Ça lui vient de sa mère, vous savez. N’empêche, il est malin. Tous les vieux, Ange les a renvoyés devant leurs fourneaux. Sauf le gros Paolo Di Pozzesi. Lui, il l’écoute avec respect. Le gros a toujours su quelle était sa place, alors je suppose qu’Ange sait qu’il ne risque rien avec lui et que son expérience compte.

112

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

NICO LIZZANI, JEUNE CAPO ++ / 100, 90, 120 / 30

PAOLO DI POZZESI, CONSEILLER MAFIEUX ++ / 60, 100, 120 / 20

— Pouvez-vous regarder cette photo, M. Carlotti et me dire qui est cet homme ? — Ouais. C’est le juif. Moishe Meyer. L’avocat d’Ange. Il gère les affaires légales et s’occupe de sortir les gars de prison. Enfin, pas les graisseux, hein, les lieutenants. Les autres, ils se démerdent. Ange, il veut pas en entendre parler des sous-fifres. Tiens, regardez ma famille. Tous des gens bien, les Carlotti. Comme les Lizzani, les Ferchetti ou les Grinetti. Des mecs dévoués, avec le sens des affaires et de la famille. Mais plus assez bien pour Ange. Alors, Meyer, il s’occupe des jolis entrepôts d’export, et des camions aussi, et des immeubles. Tout ce qui permet à Ange d’investir son pognon. Il parait qu’il dîne avec le maire, le juif. Moi je dis que c’est un peu la fin des traditions, ça.

MOISHE MEYER, AVOCAT DE LA MAFIA +++ / 50, 200, 180 / 30

SADLER, POSSÉDÉ MAFIEUX ++ / 240, 80, 100 / 20

— C’est ce que pensent les Marsella ? C’est pour cela qu’ils refusent l’autorité d’Ange ? — Bah, les Marsella. Ils ont toujours été foireux, ces gars-là. Et tous ceux de leur clique, les Reali et les Santanielo, pareil. Renaldo a jamais pu les blairer. Ils géraient les filles dans l’ancien temps et Renaldo aime pas ça. Il disait qu’ils étaient vulgaires. Et puis ça s’est envenimé lorsqu’ils sont allés lécher le cul des pépères de New York et de Chicago. Dites, vous allez faire quoi pour ma protection ? Parce que je parle, je parle mais pour le moment, je vois rien venir et le hamburger que j’ai demandé, il est toujours pas là et…

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

113

— Il va falloir nous donner plus, Monsieur Carlotti. — Je vais tout vous donner. Déconnez pas, je suis dedans, hein, qu’est ce que je peux gagner à vous entourlouper ? — Il va nous falloir plus de détails sur les nouveaux associés de Michael Marsella. —… — Monsieur Carlotti ? Je suis sérieux. — Ben, c’est que j’ai rien à dire. Je veux dire, je les connais pas. Vous savez comme moi ce qu’on dit. Ils viennent de la Forbidden City. J’en sais pas plus. Toute façon, Marsella a plus le choix. La came, ça marche pas si bien, il parait. Leo Santanielo, il parait qu’il rame pour faire son chiffre. Les nègres lui faisaient de l’ombre et maintenant, ces mecs à cornes, là. Santa Maria. Rien que pour ça, faudrait liquider les Marsella, un par un jusqu’au dernier. Putas. — Vous avez vu ces gens ? Vous avez des noms, des adresses ? — Je m’en approche pas. Y a un des types, là, Mamma mia, un salopard de cadavre ambulant, vous savez ? Ils l’appellent Sadler. Une gueule à vous flanquer la chiasse et des dents comme des rasoirs. Il a tué à mains nues un des gars Grachetti, qu’il parait. — Et Aldo, le frère aîné de Michael ? Il sort bientôt. — Ouais. C’est pas une fiotte comme son petit frère, ça c’est sûr. Un dur. Il parait que la tôle l’a secoué, qu’il est enragé. Ça peut faire du vilain quand il sortira. De toute façon, ça va péter. Y a plus assez de place pour tout le monde. Ange, ses conneries d’entrepreneurs, il va en revenir. Faudra bien. Ça a déjà commencé, il a remplacé Luigi Bacci par un mec à lui, Tonio Stefannelli, histoire de reprendre la dope en mains. Un de ces jours, il va falloir se payer Vernon, histoire de récupérer les casinos et de montrer aux vieux parrains qui est le patron à Harbor. C’est moi qui vous le dis. Et mon hamburger ? »

Remington Heights TAKE THE SNAKE ROAD C’est vrai que la route qui emmène sur les hauteurs de Remington Heights ressemble assez à un serpent, accroché à sa colline. Veillant tranquillement sur la ville ou plutôt prêt à la dévorer ? Mon père m’a raconté qu’il y a longtemps, elle portait un autre nom, celui d’une ville de l’est ou d’un type célèbre, peut-être. Mais comme personne ne l’appelait comme ça, la mairie a fini par la rebaptiser « Snake Road ». La route la plus dangereuse d’Heaven Harbor : douze miles et demi d’asphalte suspendus au-dessus de l’abîme, coincés entre la colline et le fossé qui la sépare de la ville basse. La vue est imprenable, surtout pour les dizaines de fêtards qui font chaque année la grande bascule, par-dessus la rambarde et un aller simple pour les sapins, cent mètres plus bas. Pas que des fêtards, d’ailleurs, si le HHPD se donnait un peu de peine, je suis sûr qu’il trouverait que quelques-unes des victimes de la Snake Road étaient mortes avant que leur voiture ne s’é crase au sol. Mais les flics du coin savent qu’il vaut mieux pour leur pension qu’ils ne cherchent pas à en savoir trop. C’est que Remington Heights n’est pas tout à fait un quartier comme les autres. C’est un peu comme Aisbury Park, un quartier qui n’appartient qu’à une seule communauté. Sauf qu’ici, la communauté, c’est les millionnaires. Même les flics locaux roulent sur l’or, il n’y a qu’à voir la baraque de mon vieux pote d’académie Danny Cheddar, perchée à l’entrée de la colline, un peu comme s’il gardait le fort. C’est d’ailleurs probablement ce qu’il fait et ce qui lui vaut d’avoir un portail en fer forgé qui à lui seul vaudrait plusieurs années de son salaire de détective du HHPD.

N’oubliez pas, d’ailleurs, à chaque fois que vous vous rendrez là-bas, de passer le bonjour à ce brave Danny, et surtout de lui expliquer précisément ce que vous venez faire dans le quartier. Histoire d’éviter les ennuis. Il faut les comprendre, aussi, ces rupins qui ont payé suffisamment cher leur petit bout de terrain sur la colline pour éviter d’être embêtés par des gêneurs ou des flics.

DANNY CHEDAR, FLIC AU SERVICE DES PUISSANTS ++ / 12°, 80, 120 / 20 Il m’est quand même arrivé plus d’une fois de devoir me rendre à Remington Heights pour bosser pour l’un d’entre eux. Il faut dire que l’enquêteur privé, c’est souvent l’enquêteur qu’ils préfèrent  : pas de risque qu’il se mêle de ce qui ne le regarde pas et quand on a envie qu’il arrête de fouiner, il suffit d’arrêter de le payer. Enfin, en principe. Il m’est arrivé plus d’une fois de me faire jeter comme un malpropre d’un de ces petits palais, par un domestique recruté parmi les blocs de béton de la Forbidden City. Quoiqu’il en soit, ça n’est pas un quartier que j’aime. Je suis né et j’ai grandi juste en bas, dans son ombre pourrait-on dire, mais de tous les coins d’Heaven Harbor,

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

115

c’est là où je me sens le moins chez moi. J’imagine que c’est l’impression que doit donner le quartier à tous ceux qui n’y habitent pas. Et j’imagine que c’est exactement ce que veulent ses habitants. Il faut dire aussi qu’il y manque tout ce qui me fait généralement apprécier un quartier  : pas la peine de chercher un bar, un restaurant ou même n’importe quel genre de magasin. Remington Heights n’est qu’un long alignement de pavillons, soigneusement rangés les uns à côté des

autres, soigneusement entretenus, soigneusement à l’abri derrière leurs hautes clôtures. Effrayant. Très joli, sans doute, mais proprement effrayant. Et je suis bien placé pour savoir qu’il y a définitivement quelque chose de pourri dans le paradis des riches. Je ne sais pas si l’argent rend heureux, je n’en n’ai jamais eu assez pour faire l’expérience, mais après ce que j’ai vu à Remington Heights, je peux assurer qu’il rend dingue. Et pas qu’un peu.

HEAVEN TERRASSE Prenez Nathan Maxwell, par exemple, l’homme le plus riche d’Heaven Harbor, depuis que la guerre a fait exploser son petit business d’armement. Sa maison est la plus belle de Remington Heights, ce qui n’est pas peu dire. La plus dingue aussi, à l’image de son propriétaire : derrière un système de protection digne d’une base de l’armée de l’air trône une petite réplique de la maison blanche, avec colonnades et bureau ovale. A la mesure de la mégalomanie et de la paranoïa du milliardaire, qui, dit-on, passe le plus clair de son temps à assouvir ses deux passions  : les putes et la morphine. Inutile d’espérer vérifier par vous-même  : le nabab ne sort quasiment plus de chez lui, et il distribue ses invitations au compte-goutte. Ses voisins ne sont pas en reste. Mrs Lauren Arbison, par exemple, la ravissante épouse du magnat Arbison. Pendant que son mari est occupé à faire la pluie et le beau temps dans sa tour du Financial District, Madame dépense sans compter pour assouvir sa passion : l’art et les artistes. Une aubaine pour tous les peintres, poètes ou jazzmen crève-la-faim qu’elle héberge, nourrit, habille et fournit abondamment en drogues et alcools divers. Pas besoin d’être franchement bon, une seule condition : être dans le vent, à l’avant-garde de la révolution artistique. Ou bien être suffisamment décoiffé pour faire comme

116

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

si. Les plus chanceux auront même droit à une visite guidée de la chambre à coucher des Arbison, par Mrs Lauren elle-même. C’est qu’elle ne manque pas d’un charme assez hypnotique, qui lui assure une cour assidue de la part de ses jeunes protégés. J’avoue d’ailleurs être passé assez près d’y succomber lors d’un précédent boulot. La preuve que la prudence paye toujours, j’ai entendu depuis certaines rumeurs selon lesquelles le magnétisme surhumain de la belle trouverait ses origines dans la fréquentation de certains Asservis… Et le fait est que plusieurs artistes ont disparu sans laisser de trace après leur séjour dans le palais des Arbison. Coïncidence ?

MS LAUREN ARBISON, MÉCÈNE À LA CUISSE LÉGÈRE + / 60, 100, 140 / 30

La somptueuse demeure de la famille Arbison, avec son parc immense, ainsi que la propriété de Mr Maxwell font partie du même coin de Remington Heights, le quartier chic du quartier chic, j’ai nommé Heaven Terrasse. Accessible uniquement au bout d’une petite route privée, on y a une vue imprenable sur la ville et au-delà, l’océan. Et comme le voisinage est plutôt tranquille, on ne s’étonnera guère que ça soit là que toutes les très grosses pointures d’Harbor aient élu domicile. Dans une saine atmosphère de haines cachées et de sourires

de façades cohabitent donc le maire Palmer, le procureur Gordon, la famille mafieuse des Grachetti ou encore le clan Kelly. Heaven Terrasse, c’est le vernis de Remington Heights. C’est là que se prennent les grandes décisions, que se joue l’avenir d’Heaven Harbor, mais vous et moi savons bien que nous ne sommes pas invités. Moins on en sait, mieux ils se portent  : les types comme nous, c’est juste bon pour nettoyer leurs petites saletés, un peu comme leurs domestiques basanés, le flingue en plus.

UN VILLAGE SUR LA COLLINE Mais sous le vernis, dans le Remington Heights qui n’a pas encore pris la petite route menant à Heaven Terrasse, se trouve la classe moyenne des riches  : ceux qui ne sont pas encore aussi riches que les plus riches, ceux qui ne le sont plus, et ceux qui ne le seront jamais. Ceux qui n’auront droit qu’à l’amer privilège de vivre dans l’ombre des tout-puissants. On pourrait croire que je les plains, mais c’est juste ma plume de vieux romantique qui me joue encore un sale coup  : amertume et jalousie n’ont pas rendu le commun des mortels de la colline moins pourri, bien au contraire. Les ménagères du comité d’animation de Remington Heights trouvent que leur quartier ressemble à un petit village. Je suis bien d’accord avec elles : même atmosphère pesante de suspicion, de bigoterie, de racisme, d’hypocrisie… Mêmes histoires soigneusement enterrées de filles abusées par l’amant de maman, mêmes bringues dégénérées pour tromper l’ennui et aussi, souvent, tromper la mort et la loi… Certaines des histoires les plus dégueulasses auxquelles j’ai été confronté dans ma chienne de carrière se sont passées en haut de cette colline maudite. Mais la loi du silence qui règne ici vaut bien celle de Little Italy, et même aujourd’hui, je me ferais descendre dans la semaine si je vous racontais certains des trucs que j’ai appris. De toute façon, faites-moi confiance, vous n’avez pas envie de savoir.

YSABELLE ROBINSON, MAQUERELLE ++ / 80 ; 100 ; 180 / 10 En ce qui concerne les cornus, vous vous doutez bien qu’ils ne sont ni les plus courants ni d’ailleurs les bienvenus ici. Laissez-moi toutefois vous en conter une bien bonne sur la maison du 1113 Hill Rd. Officiellement, elle appartient à une certaine Madame Ysabelle Robinson, veuve de son état. Je connais bien Ysabelle, elle et moi avons été comme qui dirait intimes pendant un certain temps : je peux vous dire que si elle s’habille généralement de cuir noir, ce n’est pas pour porter le deuil. Elle n’a du reste, jamais été mariée et ne risque pas de l’être de sitôt… Galbée comme une déesse, Ysabelle est une succube, une de celles qui sont capables

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

117

de plier la volonté d’un homme d’un seul battement de sourcil. C’est précisément ce que viennent chercher tous les gentils pères de famille de Remington Heights qui rendent régulièrement visite à elle et à sa petite dizaine de protégées, tout aussi expertes. Le commerce d’Ysabelle est très prospère et elle a dans les petits carnets qu’elle tient scrupuleusement de quoi faire chanter quasiment tous les officiels de la ville et du Comté. Il n’empêche que si pour beaucoup de bons paroissiens, mon Ysa est une dingue et une dégénérée, pour moi elle reste l’une des personnes les plus saines d’esprit de cette colline de fous. A l’inverse, nous avons le bon Révérend Georges Peterson  : c’est un membre de la communauté et un père de famille exemplaire, un ministre enthousiaste pour la petite communauté de Saint Vincent, et un grand ami du maire Palmer, qui ne manque aucun de ses sermons emplis de belles valeurs morales. Je me suis rappelé toutes ces choses un soir d’été où j’étais planqué dans des buissons en train de regarder un groupe d’encapuchonnés du Klan brûler un jeune séraphin et que j’ai reconnu à la lueur du bûcher le visage du bon pasteur Peterson. Je me suis rappelé toutes ces choses, et voyezvous, ça ne m’a pas empêché de le haïr de tout mon cœur de mécréant. La paroisse Saint Vincent est l’une des trois grandes institutions de Remington Heights : les deux autres sont le Country

Club et le Lycée Privé Saint Margaret. Ce dernier est le vivier surprotégé dans lequel est formée la nouvelle génération des maîtres d’Heaven Harbor  : je n’ai certes pas eu une enfance idyllique, mais pour rien au monde je n’aurais échangé ma liberté contre cette prison dorée, dans laquelle il ne reste plus qu’à attendre que les idées bien-pensantes qu’on vous inculque à longueur de journées prennent racine dans votre tête. Quant au Country Club, propriété du magnat Nathan Maxwell, je n’ai pas grand-chose à en dire : peuplé de détestables individus, gardé par de détestables anciens flics, servant un whisky détestable, dédié à la pratique d’un sport détestable, le golf. A part ça, c’est un endroit charmant.

RÉVÉREND GEORGE PETERSON, ATTISEUR DE HAINE ++ / 100, 80, 180 / 30

Les lobbies, pouvoir de l’ombre Tout le monde a un avis sur tout et ce n’est pas mon pote Jake, qui passe ses journées à siroter son whisky au comptoir du Charlie’s Corner, qui me contredira. Trop d’étrangers, trop de cornus, trop de rouges, trop d’homos, trop d’aides sociales, trop de gaspillage, trop de grands travaux, trop de lois, pas assez de lois, trop de morale, pas assez de morale, trop de flics, pas assez de flics… Moi aussi j’ai un avis : trop de types qui donnent leur opinion, alors que franchement, qu’est-ce que ça peut bien me faire ? Toujours est-il que les citoyens de Remington Heights sont pareils  : ils ont un avis sur tout. La différence, c’est qu’avec leur carnet d’adresse et les millions cachés dans leur matelas, ils ont les moyens de faire en sorte que leur opinion ne soit plus seulement leur opinion, mais la loi de l’Etat de Californie, ou au moins celle de la ville d’Heaven Harbor. Il y en a qui n’ont qu’à claquer des doigts pour que les portes des sénateurs et des conseillers de la ville leur soient ouvertes  : ce sont les Kelly, les Arbison, les Maxwell, les véritables maîtres d’Heaven Harbor. Et il y a les autres, ceux qui ne pèsent pas suffisamment lourd pour pouvoir chanter en solo. Ils sont obligés de se réunir en chorales, qu’on appelle lobbies. L’Amérique est un beau pays : si vous êtes un groupe de citoyens «  concernés  » qui avez à cœur de défendre votre façon de voir les choses, le système des lobbies vous permet en toute légalité de marchander des voix, de menacer ou d’acheter des candidats ou des élus. Les lobbies ont poussé à Heaven Harbor comme la mauvaise herbe. Il faut dire que le terrain est favorable à ce genre de culture. Chaque métier, chaque communauté a son groupe de défense  : femmes, italiens, juifs, médecins, avocats… Je fais pression, donc j’existe. L’échiquier politique n’est finalement

qu’un grand terrain de jeu pour les lobbies, qui s’affrontent par candidats interposés, finançant les campagnes, dictant les discours et parfois même usant de méthodes plus sinistres. Les types dans mon genre sont souvent employés pour faire le sale boulot des lobbies, de la pêche aux infos au coup monté en bonne et due forme, avec prostituée dans le lit et photographe à la fenêtre. Le genre de boulot que je n’accepte que lorsqu’il ne me reste plus un penny pour payer le loyer, et qui me laisse toujours un arrière-goût de pourriture au fond de la gorge. Il y a aussi ceux pour lesquels je n’accepterai jamais de bosser, quitte à passer quelques nuits sous un carton à Hoboland. Parmi eux, le New Committee of Vigilance figure en bonne place. Troisième incarnation de l’organisation qui a fait les beaux jours de la justice populaire et du lynchage à Heaven Harbor, il a été refondé par une poignée d’harborians de bonne famille juste après le Jour des Cendres. Un évènement qui a dû représenter pour eux rien moins que la réalisation de leur pire cauchemar. Officiellement, le NCV se préoccupe du climat d’anarchie qui a suivi l’ouverture du hell hole. Officieusement, il milite activement contre les nouveaux arrivants cornus, faisant adopter des statuts spéciaux de plus en plus contraignants, jusqu’à l’objectif final qui doit ressembler aux camps de prisonniers dans lesquels on avait parqué les japonais d’origine pendant la guerre. Parmi les membres du New Committee, on retrouve mon bon ami le Révérend Peterson, avec une bonne partie de ses paroissiennes, ainsi que la très catholique Eleanor Kelly. Les intérêts du clan irlandais coïncident d’ailleurs si bien avec ceux du lobby qu’il le finance pour une bonne part. En politique, le champion du NCV est bien sûr le très conservateur et

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

119

très moraliste D.A Gordon, qui prête une oreille plus qu’attentive aux propositions de ces citoyens «  vigilants  », notamment sur un retour à la prohibition. Dans le même esprit de défense de la morale et de l’ordre, on trouve les vieux briscards de la Harbor Guards Foundation. A l’origine association des retraités du HHPD, elle s’est transformée depuis en groupe de défense des intérêts de la police. Pas des mauvais bougres lorsqu’il s’agit de demander un peu plus de moyens pour les pauvres types qui patrouillent dans les rues, ou quand il faut défendre la réputation souvent malmenée de ceux qui portent le badge. Mais les flics ont cette fâcheuse tendance à considérer qu’ils connaissent la réalité mieux que n’importe qui et qu’ils ont la réponse à tous les problèmes. Surtout, la Fondation, par esprit de corps, a fait pression pour étouffer pas mal d’affaires pas très nettes ces derniers temps. Je sais que je suis mal placé pour critiquer les pourris et j’avoue qu’un petit coup de pouce il y a quelques années ne m’aurait pas fait de mal, mais le problème c’est que la Harbor Guards Foundation choisit très scrupuleusement les flics qu’elle couvre. Et j’avais visiblement trop d’ennemis dans le département pour correspondre à leurs critères. En attendant, ces vieux cons cherchent par tous les moyens à débarrasser le HHPD du Chief of Police Benneville et de sa politique de probité. Même si je dois à Benneville d’avoir été débarqué de la police, je m’en voudrais de laisser faire ces pourris.

Mais tous les lobbies ne sont pas forcément mauvais. Celui dirigé par Miss Ira Donovan, par exemple, la Cable Car Preservation Association, qui a pour but de préserver le patrimoine d’Heaven Harbor et en particulier la dernière ligne de cable cars, qui relie Carnelly Hill à Remington Heights, est plutôt sympathique. D’autant qu’en s’opposant à la plupart des grands projets de la ville, de l’autoroute à la restauration de Natividad, l’énergique grand-mère met des bâtons dans les roues de pas mal de petits princes des affaires, dans le genre Arbison ou Butterbilt. Elle met aussi le maire Palmer dans une position des plus inconfortables, puisque son association contribue pour une large part au financement de sa prochaine campagne… On raconte qu’il y a un contrat en cours sur sa tête, mais j’ai entendu dire qu’elle aurait engagé un garde du corps particulièrement efficace, et jusqu’à présent invisible, pour sa protection.

MISS IRA DONOVAN, BIENFAITRICE ET LOBBYISTE ++ / 40, 100, 200 / 30

University District Pour beaucoup d’habitants d’Heaven Harbor, University District évoque le tendre souvenir de leur jeunesse, du temps où ils roupillaient sur les bancs de la fac, draguaient les petites étudiantes et allaient se dévergonder en dansant le swing tous les week-ends. En fait, University District c’est presque ça  : un quartier plein de parcs, de bibliothèques, de terrains de sport, plein de jeunesse et d’insouciance. Enfin presque, parce que bien sûr si tout était si parfait, les types comme moi n’auraient pas de boulot… Le quartier est délimité à l’ouest par Paradise Beach, au nord par la colline de Remington Heights et au sud par Carnelly Hill. A l’est s’étend le centre-ville et la Forbidden City, bref tout ce qu’il faut pour que nos chers étudiants ne s’ennuient pas, si d’aventure ils ne trouvaient pas de quoi faire sur place. Ce qui serait difficile, vu que toute la vie est ici organisée autour des énormes campus et des installations sportives. D’ailleurs la majeure partie de la superficie d’University District

appartient aux universités ellesmêmes, ce qui rend le boulot de flic dans ce secteur assez coton, j’en sais quelque chose. Pas le droit de mettre un pied dans l’enceinte de l’école sans la permission du Doyen, ce qui veut dire passer par la voie hiérarchique, formuler de belles raisons valables. Pendant ce temps-là, celui que vous êtes venu chercher a eu tout le temps de mettre les voiles… Les trois principales universités d’Heaven Harbor sont la Harbor Law School, publique mais assez sélective, un cursus de référence pour tous ceux qui veulent approcher le droit de plus ou moins près, la Donovan Academy of Arts, un institut privé pour les gosses de riches qui veulent devenir musiciens, acteurs ou écrivains, et enfin l’University of California Heaven Harbor, plus souvent abrégée en UCHH, université d’état généraliste et assez fourre-tout, qui ne soutient pas vraiment la comparaison avec ses cousines californiennes comme UCLA ou Berkeley.

THE HARBOR LAW SCHOOL Commençons par la Harbor Law School, en l’honneur de cette vénérable institution où j’ai eu le plaisir de passer quelques mois, à une époque de ma vie où je pensais que décrocher un diplôme de droit, devenir avocat ou entrer en politique m’aiderait à améliorer un peu le monde.

Comme pas mal de ceux qui fréquentent la HLS, j’étais un grand idéaliste, peut-être un peu moins que les autres, ce qui m’a valu de partir me chercher un gagne-pain moins ambitieux plus vite. Mais je ne regrette pas une seconde de mon séjour là-bas, j’y ai appris quelques leçons essentielles sur la politique ;

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

121

pas dans les cours de droit californien, non, mais en observant le comportement de mes collègues et futurs pontes du système. Il faut dire que j’y ai croisé quelques-uns de ceux qui ont été mes patrons plus tard. D’ailleurs je crois que si cette demi-portion de chef des inspecteurs ne peut toujours pas m’encadrer, c’est qu’il n’a toujours pas digéré que Suzy Hope n’ait jamais eu d’yeux que pour moi… Le campus de la HLS est le plus petit, et si vous voulez mon avis le plus moche, des trois grands campus. En son centre se trouve le bâtiment principal où ont lieu tous les cours, et autour on peut trouver l’internat ainsi que la bibliothèque, dans laquelle on trouve notamment les copies des comptesrendus des principaux procès qui ont eu lieu à Heaven Harbor depuis le début du siècle. La même chose qu’au palais de justice donc, sauf que si vous vous débrouillez bien, vous n’aurez pas à demander la permission. Le doyen des professeurs de la HLS est le Docteur Allan Lyman, détenteur de la chaire d’études politiques. Il a l’air assez décrépi, encore plus qu’à l’époque où j’étais

son étudiant, mais ne vous fiez pas aux apparences  : il est très loin d’être gâteux et pour peu que vous sachiez y faire, il saura vous en raconter des vertes et des pas mûres sur la politique passée ou actuelle de la ville. Étonnant d’ailleurs qu’avec tout ce qu’il sait, personne n’ait encore eu envie de le dessouder, ce qui tend finalement à confirmer les rumeurs selon lesquelles il conseillerait quelques grosses huiles…

DR ALLAN LYMAN, PROFESSEUR ET CONSEILLER ++ / 50, 150, 100 / 20

THE DONOVAN ACADEMY A un bloc de la HLS se trouve l’entrée grand luxe du parc qui abrite la Donovan Academy. C’est la bienfaitrice Ira Donovan qui a donné son nom à l’institution dans les années 20, histoire de s’alléger un peu de la fortune que son mari avait amassé plus ou moins légalement… Quel meilleur blanchisseur que l’art  ? Quoiqu’il en soit l’académie est devenue assez réputée depuis que quelques-uns de ses protégés ont commencé à avoir du succès dans les galeries branchées de Carnelly Hill ou sur les planches des théâtres du Strand. Je n’ai visité le campus qu’une fois mais je dois dire que j’ai été assez impressionné. Croyez-moi, il en faut pas mal. Les frais d’inscription sont parait-il exorbitants, mais au moins tout cet argent ne va pas uniquement dans les poches des administrateurs : le parc est immense et bien entretenu, les bâtiments

122

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

sont du dernier chic architectural, rien à voir avec les bunkers de l’HLS, et il y a plein de sculptures modernes sans doute très remarquables disséminées un peu partout. Et surtout, les étudiants disposent de leur propre restaurant et d’un vrai bar où le dry martini est plus que correct. Accessoirement, pour justifier leurs années de bringue aux frais des parents, les artistes en herbe peuvent passer quelques heures dans les ateliers, sur les planches du théâtre privé de l’école ou dans les salles de répétition. Luxe suprême, il y a même dans l’enceinte du campus un musée qui regroupe certaines toiles modernes assez prisées. Mais que les as de la cambriole soient prévenus : la sécurité est aussi efficace qu’elle manque d’humour, ma nuque s’en souvient encore. Si la Donovan Academy a tout de la garderie pour grands enfants riches, ses gardiens sont bien à la mesure de l’enjeu…

Dernièrement j’ai entendu des rumeurs concernant le nouveau professeur de sculpture, une européenne du nom de Karnia Kazuska. Selon certaines sources bien informées, elle aurait proposé à quelques élèves des séances d’art « vivant » aussi douteuses que nimbées de mystère, puisque aucun de ceux qui y ont participé n’ont accepté d’en parler. En revanche, ils en sont tous revenus changés. De là à soupçonner quelque lien avec l’occulte qui aurait poussé Miss Kazuska à venir s’installer à Heaven Harbor… Je vous laisse tirer vos propres conclusions.

KARNIA KAZUSKA, PROFESSEUR ET CORRUPTRICE ++ / 60, 150, 100 / 5

UCHH Le campus de la UCHH, enfin, occupe à lui seul la moitié de la surface d’University District, avec ses six départements, son administration qui n’a rien à envier à la mairie d’Heaven Harbor, son poste de police privé, sa ville étudiante et sa galerie marchande. Le Doyen Mark O’Bowen, le professeur de littérature qui dirige l’université, a donc fort à faire pour gérer les quinze mille étudiants et deux mille professeurs et chercheurs. De l’avis général, c’est un homme de culture et de sagesse, dont l’ego porte à peine la marque de son prix Pulitzer. Il parle toujours d’une voix égale et mesurée, écoute avec attention son interlocuteur et prend en compte tous les avis avant de prendre une décision. Si vous me demandez mon avis, bien sûr je vous dirai que ce salaud cache bien son jeu et que son sourire de beau vieillard cache un cœur pourri d’extrémiste nostalgique du bon temps où l’université était interdite aux noirs, aux femmes et aux cornus. Et qu’il est probablement en cheville avec les plus atteints des membres des fraternités grecques. Voilà d’ailleurs une tradition universitaire bien sympathique  : histoire de passer le temps pendant ses études, un taré s’associe avec une poignée d’autres tarés pour fonder une société secrète avec, passages obligés, son nom en alphabet grec et son rite d’initiation si possible dangereux,

voire potentiellement mortel. Je ne vous raconte pas le boulot de flic dans ce secteur à chaque rentrée, surtout qu’en matière de loi du silence, le milieu universitaire est au coude à coude avec le crime organisé.

MARK O’BOWEN, DOYEN ++ / 40, 100, 100 / 20 Dans le meilleur des cas, ces fraternités se contentent de réunions nocturnes, de projets intellectuels secrets et de blagues de potaches, mais certains vont beaucoup plus loin. Pas plus tard que l’année dernière, la fraternité phi omega a été au centre d’une sinistre affaire de meurtres rituels, tandis que les chimistes de beta delta epsilon revendaient de la drogue de synthèse mortelle au beau milieu de la cafétéria…

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

123

Évidemment, dans les deux cas, seuls ceux dont les parents n’étaient pas assez puissants pour étouffer l’affaire ont plongé, payant pour les autres. Et ce n’était pas toujours les plus coupables. Le panorama de l’UCHH ne serait pas complet sans sa rubrique sportive, et la figure carrée mais rassurante du coach Buck Morgan, entraîneur de l’équipe locale de football, réputé pour ses manières de pitbull mal luné et ses démêlés avec mes copains du Vice Squad. Le coach aurait prêté en toute discrétion à quelques riches dérangés de la colline de Remington Heights quelques-uns des jeunes athlètes dont il a la responsabilité, moyennant bien évidemment une importante contrepartie financière.

Espérons qu’elle lui suffise pour se payer un bon avocat si on venait à retrouver un jour les corps de Vince DiLeoni et Bob Wells.

BUCK MORGAN, COACH + / 200, 50, 80 / 10

EN DEHORS DES CAMPUS University District n’offre pas grandchose en dehors de ses campus, à part d’autres campus plus petits et toute une économie dépendante des campus, mais on notera quand même trois institutions sportives majeures de la ville, à savoir le Royce Stadium, siège de l’équipe de baseball de la ville, le Harbor Grand Stadium qui abrite les compétitions d’athlétisme ainsi que l’équipe des Harbor Hawks, et enfin le champ de course. C’est surtout le week-end que cette partie du quartier s’anime et que

des hordes de gamins et d’adultes déchaînés déferlent sur les gradins pour hurler leur haine de la ville adverse – un grand moment de convivialité, comme disent les médias. Enfin, n’oublions pas de faire un détour par le petit parc du Mémorial, qui abrite la statue de bronze aussi laide qu’énorme du Grand War Memorial, une donation de la Donovan Academy devant laquelle le maire ne manque pas de faire chaque année un sentencieux discours sur la mémoire, le sacrifice et la nécessité de le réélire…

Sports Illustrated Si University District est le haut lieu du savoir et de la connaissance, ne croyez pas que ce soit pour cela que les habitants d’Heaven Harbor s’y rendent en masse chaque dimanche. Savoir et connaissance sont bien plus loin dans les priorités de l’américain moyen que les résultats de son équipe de baseball ou de football favorite. Je ne fais d’ailleurs pas exception à la règle, j’avoue même avoir un faible pour les Harbor Hawks, mais je ne suis pas dupe : les bons résultats sportifs des équipes locales tombent souvent à pic pour passer sous silence des mesures politiques impopulaires ou un énième fiasco du HHPD. Plus fort que la Rome antique, maintenant même si le pain vient à manquer, le peuple ne moufte pas, parce qu’il a ses jeux. En tous cas, certains gagnent leur pain avec le sport, et plutôt bien. Chaque année l’argent gagne de nouveaux terrains : il y a eu une époque où il se réservait les champs de courses et les rings de boxe, mais il envahit de plus en plus les pelouses de baseball et de football… Les salaires des joueurs grimpent en flèche, en un an un batteur un peu doué gagnera plus qu’un flic en dix, ce qui ne manque pas d’attirer comme des mouches autour des joueurs toute une catégorie de profiteurs  : agents, avocats, gardes du corps pour protéger leurs intérêts ; dealers, filles et escrocs pour les aider à dépenser leur argent. Mais les joueurs ne sont pas les seuls à toucher, loin de là : entre la location des stades, les transferts

juteux, les paris – illégaux en Californie, rappelons-le pour la forme – et la publicité financée par les sponsors, de plus en plus sport rime avec gros sous. Et gros sous rime souvent avec magouilles et crapules. Votre serviteur n’est peut-être pas un spécialiste du baseball, mais les magouilles et les crapules, ça, ça le connaît. Quand on parle de sport, il faut d’abord faire la distinction entre le circuit professionnel et le circuit universitaire. Heaven Harbor, comme toutes les grandes villes, offre les deux, avec notamment trois équipes en Ligue Majeure et des équipes universitaires dans pratiquement tous les sports. Même si la Harbor Law School et la Donovan Academy fournissent des équipes pour le championnat universitaire, les seules qui comptent vraiment sont celles de l’UCHH. Une blague répandue parmi les étudiants des autres universités prétend même que «  si t’es bon en maths, tu vas à Stanford, si t’es bon en droit, tu vas à la HLS, et si t’es bon à rien d’autre qu’au foot, tu vas à l’UCHH  ». Enfin de toute façon j’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette équipe et de son entraîneur juste avant, inutile d’y revenir. En ce qui concerne le sport professionnel, les choses deviennent un peu plus sérieuses. La première question que pose un harborian à un autre lorsqu’il le rencontre pour la première fois n’est pas pour savoir s’il est républicain ou démocrate, mais pour lui

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

125

demander s’il soutient plutôt les Harbor Hawks ou les Heaven Angels. La rivalité entre les deux équipes de football, qui a culminé en 47 quand elles se sont affrontées en finale pour le titre de champion de Californie, est l’un des sujets de conversation et d’empoignades les plus inépuisables de la ville. Il serait difficile de retrouver aujourd’hui les raisons qui ont poussé à l’émergence de deux équipes rivales dans la même ville, les Hawks au Harbor Grand Stadium et les Angels au Angels Stadium de Crescent View. Aucune des deux équipes n’a semblé prendre le pas sur l’autre jusqu’à la saison dernière, où les Harbor Hawks ont recruté Jim Rock, impressionnant quarterback, inépuisable et inébranlable, et golem de son état, qui les a conduits tout droit jusqu’au titre. La plainte déposée devant la NFL par les autres équipes n’ayant pas aboutie, les cornus sont officiellement autorisés à jouer au football, mais il y a un paquet de racistes qui voudraient faire appel de la décision à leur manière, avec des briques et des battes. Dommage pour Jim, j’aimais bien son style… Heureusement, les choses sont plus simples en ce qui concerne le base-ball. Une seule équipe, les Heaven Harbor Gold Diggers, qui joue dans le stade flambant

126

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

neuf que Dennis Royce a fait construire par son amie Rita Butterbilt il y a deux ans. Pas de scandales liés aux cornus, mais des suspicions de plus en plus précises entourant les bons résultats de l’équipe, qui semblent tenir davantage de la puissance financière de ses actionnaires que du talent de ses joueurs.

JIM ROCK, QUATERBACK GOLEM +++ / 300, 60, 100 / 20 C’est que ce bon vieux sport collectif n’est pas qu’un divertissement pour la famille. Avec l’essor des bookmakers, qui malgré la loi ont fleuri à tous les coins de rue d’University District et d’ailleurs, baseball et football sont devenus une histoire de gros sous pour des

gens qui ne sont pas uniquement motivés par l’amour du sport. La plupart des bookies paient une assurance aux familles mafieuses ou à la police, et ceux qui ne le font pas finissent en général assez mal – l’océan n’est pas très loin. Autre sport qui connaît son lot d’affaires douteuses, la boxe. Elle traîne une longue histoire d’amour avec les paris d’argent et le milieu de la mafia, dont elle finit toujours par retomber amoureuse malgré les sales coups, les arnaques et la mauvaise presse. J’ai moi-même disputé quelques rounds dans le championnat universitaire pendant mon bref séjour sur les bancs de la Harbor Law School, mais il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre qu’il ne suffisait pas d’être plus rapide ou plus fort pour être le roi des rings. Il fallait se plier aux règles des vrais rois, ceux qui restent en dehors du ring, s’assoient au premier rang et ne veulent pas tremper leur costume trois-pièces.

Mais Rudy s’en est remis, notamment grâce à son association avec LG Simmons, un monstre de quelques cent trente kilos pour un mètre quatre-vingt-dix, qui lui a permis de régner sur tous les rings d’Heaven Harbor pendant une bonne décennie. Le combat que tous les fanas de boxe attendent désormais, c’est celui du vétéran LG contre le petit jeune qui monte, Sammy «  Ninety-Nine  » Clay, le jeune protégé de Ray Constance. Un combat qui a déjà commencé en dehors des cordes, puisque cela fait plusieurs semaines que Simmons, aux convictions conservatrices nettement marquées, proche du D.A Gordon, provoque son adversaire par des insultes quotidiennes au sous-entendu raciste évident. Rudy Stein et son protégé jouent avec le feu, mais en attendant l’excitation monte autour de ce match qui n’est même pas encore officiel et les places vont pouvoir se vendre très cher.

RUDY STEIN, MANAGER SANS SCRUPULES ++ / 90, 120, 200 / 20

LG SIMMONS, BOXEUR POIDS LOURD +++ / 220, 40, 80 / 20

Et dans ce milieu, le roi parmi les rois, c’est Rudy Stein. Un immigré juif qui a monté son affaire tout seul, recrutant dans les universités les futurs champions, négociant avec les pontes de la mafia jusqu’à devenir, pas après pas, celui avec qui il fallait négocier. Je crois que je lui ai brisé le cœur le jour où après avoir démoli son poulain black Troy Moss, j’ai refusé son invitation de rejoindre sa bande. Pas que ça me dérange de me coucher de temps en temps, mais je n’aime pas qu’un autre me dise quand je dois le faire. Ça a toujours été mon problème numéro un.

Contrairement au foot, les cornus n’ont pas eu l’air de plaire aux officiels de la boxe et ils n’ont pas accès aux rings professionnels. Chez les amateurs, et dans les combats clandestins, c’est une toute autre affaire. Naturellement, les golems se taillent la part du lion et la réputation de certains combattants non officiels commence à faire de l’ombre aux champions. Comme il y a du fric à se faire, ça ne m’étonnerait pas que, comme par miracle, un organisateur de combat change son fusil d’épaule et décide d’opposer son poulain à un combattant issu

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

127

du circuit underground. Il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis. Les courses de chevaux ne sont pas en reste non plus en ce qui concerne les liens avec le crime organisé. Là c’est la bonne vieille famille italienne des Grachetti, en la personne de l’oncle Mario, qui possède le champ de courses et en récupère l’essentiel des bénéfices. Faire des pronostics sur des canassons à l’humeur changeante n’étant pas une sinécure, il a souvent recours à des méthodes plus fiables comme la corruption de jockeys, la drogue dans l’avoine des bêtes ou le racket des plus gros gagnants.

SAMMY « 99 » CLAY, BOXEUR CHALLENGER ++ / 180, 80, 80 / 10

Aisbury Park «  Nègreville  », «  le Ghetto  », «  Hells Harbor » : juste quelques-uns des noms que les flics donnent à Aisbury Park. Le quartier des records dans les statistiques de la ville : premier pour la criminalité, premier pour la came, premier pour le chômage, premier pour la population issue des minorités… Tout a commencé lorsque le maire Morton a décidé en 1906 que les noirs n’auraient le droit de posséder de maison qu’au nord-est du centre, dans une région située entre la Sio River et la colline de Paddy Hill. Promulguée quarante ans après la

fin de la guerre de sécession, c’est cette loi ségrégationniste qui a fait d’Aisbury Park ce qu’il est aujourd’hui. Depuis, la cour suprême a beau avoir déclaré la loi Morton anticonstitutionnelle, le quartier reste réservé aux noirs. Il faut dire que les quelques familles qui ont essayé de s’installer hors de ses limites l’ont payé cher  : les Grant, dont la maison fraîchement acquise sur les hauteurs de Remington Heights a été complètement détruite dans un incendie, emportant leur fillette de quatre ans, s’en souviennent encore.

REGENT’S AVENUE Évidemment, le fait de parquer une population déjà pas particulièrement favorisée dans un unique endroit n’a pas aidé à la prospérité du quartier, qui ne s’est jamais remis, contrairement au reste de la ville, de la crise de 29. L’économie légale d’Aisbury Park est au point mort, mais en revanche, les trafics souterrains en tous genres pullulent et rapportent gros. Toujours pas au bénéfice de la majorité des habitants du coin, cela dit. La criminalité d’Aisbury a deux visages : un blanc, un noir. Le blanc, c’est celui de

128

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

la mafia irlandaise qui tient les rênes des plus importants trafics, la drogue et la prostitution, depuis la glorieuse époque de la prohibition. Le noir, ce sont les gangsters locaux, qui font leur affaire des miettes qui restent, mais qui ne demandent qu’à toucher plus gros. Le blanc, c’est Mickey Ballantine, petit irlandais teigneux exilé de Paddy Hill, aussi traître que le whisky qu’il avale tous les jours. Le noir, c’est l’ancien champion de boxe poids lourd Ray Constance, qui tient toute la partie nègre d’Aisbury Park dans ses

énormes poings. Pour l’instant l’accord tacite entre les deux organisations tient toujours mais Constance doit sans cesse subir les pressions de sa base. Il suffirait d’un rien pour qu’Heaven Harbor se réveille un matin avec une guerre des gangs sur les bras. Une chose est sûre : ça ne serait pas joli-joli.

MICKEY BALLANTINE, PARRAIN LOCAL ++ / 80, 100, 150 / 30

RAY CONSTANCE, PARRAIN LOCAL ++ / 200, 150, 90 / 30 Le territoire des irlandais, c’est ce qu’on pourrait appeler le «  quartier des affaires  » d’Aisbury Park  : Regent’s Avenue, qui constitue la frontière est avec le quartier irlandais de Paddy Hill. C’est le seul endroit d’Aisbury que la plupart des blancs auront jamais l’occasion de visiter, et probablement le seul aussi où ils ne seront pas regardés de travers. Il faut dire que c’est une plate-forme absolument vitale pour tout le business légal et illégal du quartier, ce dont tout le monde est parfaitement conscient. Une plate-forme

dirigée de main de maître par Ballantine, qui a réussi le tour de force de fédérer tous les petits dealers et macs noirs du quartier, au nez à la barbe de Ray Constance. Il importe la came grâce à ses contacts sur les docks, la vend aux clients qui viennent de partout en ville pour s’approvisionner sur Regent’s et en refile une partie à Big Ray pour que celui-ci puisse en distribuer dans les rues d’Aisbury. Mais pour le visiteur blanc, évidemment, tout cela est invisible  : Regent’s Avenue est avant tout un supermarché où il pourra trouver de quoi prendre son pied au rayon filles, de quoi se fournir rayon came, et même de quoi se distraire, rayon clubs de jazz. C’est en effet sur Regent’s Avenue qu’on trouve le plus ancien club de la ville, le King’s Hall. Il date du début du siècle, mais c’est plutôt vers les années 20 et 30 qu’il a connu son heure de gloire, lorsqu’il a été repris par le clarinettiste et chef d’orchestre juif Al King. Il lui a donné son nom actuel et l’a orienté vers la musique jazz venue tout droit de Chicago et New-York. C’est d’ailleurs sur sa piste de danse que mes parents se sont rencontrés, et mon père en parlait toujours avec une pointe de nostalgie. A la fin des années 30, Al King a commencé à avoir de sérieuses difficultés pour faire tourner le club et lorsqu’un incendie d’origine indéterminée ravagea l’endroit, ce fut la fin : il vendit le King’s Hall à Mickey Ballantine, qui en fit sa vitrine et son quartier général. Aujourd’hui c’est toujours un lieu clé dans le paysage culturel d’Heaven Harbor. Son apparence de vieux théâtre à l’européenne, avec ses balcons où l’on peut régler ses affaires en toute discrétion, ainsi que la programmation qui privilégie les big bands et les crooners en fait le club de jazz préféré de la bourgeoisie blanche. D’ailleurs on raconte que le maire et le chef de la police en sont des clients assidus, ce qui ne doit pas nuire aux affaires de ce bon vieux Mickey B. Mais tout le monde ne vient pas sur Regent’s pour écouter Duke Ellington, Frank Sinatra ou Lady Sam, loin de là. Il suffit d’y passer en voiture à n’importe quelle heure, de la tombée de la nuit jusqu’aux premières lueurs de l’aube, pour observer l’alignement ininterrompu des prostituées attendant leurs

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

129

clients et des vendeurs de drogue. Malgré cela, Regent’s Avenue n’est qu’une façade, le cœur du trafic se situe en retrait, dans Aisbury Central Park pour la came et dans Whoretown pour la prostitution. Le parc qui a donné son nom au quartier, et qui était censé égayer le paysage, a quelque peu manqué son objectif. Il est devenu le principal marché en gros d’Heaven Harbor en ce qui concerne les ventes d’armes et de stupéfiants, gérées par ce bon vieux Mickey. Il y a bien longtemps que les enfants ont déserté les pelouses, remplacés par les junkies et les gangsters. Seul vestige encore debout de ce rêve enfantin au milieu de l’enfer noir d’Aisbury, le grand Aquarium de la ville, de moins en moins visité à cause des risques représentés par le quartier environnant, mais qui possède quand même son intérêt. Personnellement, je ne me lasse pas du spectacle des requins, surtout quand ils font leur repas d’un imprudent qui a osé défier Mickey B. Quant à Whoretown, il s’agit d’une zone de quelques blocs, attenante à Regent’s Avenue, et où sont regroupées dans des hôtels ou de petits immeubles la plupart des filles qui opèrent sur le quartier. Même si elles versent un pourcentage aux irlandais, elles ont réussi à imposer une certaine autonomie, notamment dans la gestion de Whoretown, qui reste en quelque sorte leur sanctuaire inviolable, même pour les hommes de Mickey. Leur

organisation est plus anarchique qu’autre chose, mais il y a tout de même une figure qui sort du lot, celle de Janice Knight, qui faisait d’ailleurs partie de mes connaissances, du temps où je patrouillais dans le secteur. Janice est une tapineuse, mais ça ne l’empêche pas d’être futée, et chic fille avec ça. C’est elle qui a eu l’idée de monter cette sorte de syndicat du trottoir, histoire de se débarrasser des macs qui sous prétexte de protection, couchent, frappent et volent. Il faut dire que la Janice, sous ses airs d’aristo du tapin, vaut mieux pas la chercher. Je me souviens encore de la dérouillée qu’elle a collée à mon coéquipier d’alors, Chuck le Dégueulasse. Cela dit, après ce que j’ai entendu sur son compte l’autre jour, j’ai peur qu’elle ne fasse bientôt une sacrée connerie. Apparemment les relations avec tonton Mickey ne sont pas au beau fixe. L’irlandais veut en finir avec Whoretown et Janice veut en finir avec Mickey. Pour ça, elle n’a rien trouvé de mieux que d’aller voir du côté des grands cornus de la Forbidden City. Une cage contre une autre, et la pire n’est sans doute pas celle qu’elle croit…

JANICE KNIGHT, TAPINEUSE EN CHEF ++ / 120, 80, 140 / 10

LE CŒUR D’AISBURY A l’est de Whoretown, on entre dans le cœur d’Aisbury Park, comme un autre monde  : la ville ne semble plus ici avoir la même pulsation, l’ambiance a changé, indistinctement. Peut-être parce que votre peau est blanche et que la leur, sans exception, est noire comme la nuit. Peutêtre parce que si vous avez tout pouvoir sur eux au-dehors, ils ont tout pouvoir sur vous ici. Peut-être parce que les seuls blancs qui s’aventurent dans le cœur du ghetto sont les hommes de Mickey Ballantine, les flics et les milices racistes. Ce n’est pas un endroit où j’aime aller  : je ne m’y sens ni en danger ni dégoûté, mais je sais que je n’y suis pas à ma place. Mais que voulez-vous, les affaires sont les affaires, et j’ai du transgresser cette règle à plusieurs reprises. Si vous commencez à fouiner dans ce quartier, vous vous retrouverez assez rapidement à parler avec le seul maître à bord, Ray Constance. Et là je peux vous dire que vous avez plutôt intérêt à ce que votre explication tienne la route. Son quartier général est situé dans les bureaux de son club de boxe personnel, celui où il s’entraînait plus jeune et qu’il a racheté lorsqu’il a quitté l’intérieur des rings pour voir les choses sous un autre angle. L’avantage de cet endroit, du coup, c’est que personne ne vient chercher des noises à Big Ray chez lui, parce qu’il faudrait se coltiner toute une salle de futurs champions poids lourds avant. Ça, personne n’en a vraiment envie, même le plus dingue des irlandais. Car Ballantine a beau tenir le commerce de Regent’s Avenue, dès qu’on s’enfonce à l’intérieur d’Aisbury Park, il n’y a plus que Ray Constance, à la fois parrain, maire, juge, chef de la police et principal employeur local. Il a dû se résoudre à abandonner à l’irlandais les juteux trafics de la périphérie, se concentrant sur son pouvoir sur la communauté. Ses hommes tiennent véritablement le quartier : ils récoltent la «  taxe Constance  », patrouillent pour maintenir l’ordre et parfois même enquêtent

sur les crimes commis sans l’aval de leur patron. Une vraie petite police parallèle, en somme, qui a d’ailleurs tous les défauts de la vraie, mais qui a l’avantage de maintenir un semblant d’ordre dans un quartier qui aurait sinon tout d’une poudrière. Le chef de cette police privée est un ancien flic, Eddy White, qui est malgré son patronyme l’un des seuls noirs à avoir porté le badge. Courte période au cours de laquelle il s’est illustré à la fois par une remarquable intelligence et une collaboration sans faille avec les autorités mafieuses. Comme quoi, ça arrive même aux meilleurs… Quoiqu’il en soit, si j’ai un conseil à vous donner, c’est de ne pas trop vous la raconter devant White. Si avec son air maigrichon et ses costumes trop grands il est loin d’être aussi impressionnant que son boss, c’est un rancunier qui fait toujours payer les affronts qu’on lui a faits, intérêts compris.

EDDY WHITE, TRUAND ++ / 120, 120, 80 / 20 Quant aux flics officiels, entre les pots de vin de Mickey B et la trouille que leur fiche Big Ray, ils essaient plutôt de se faire oublier. Remarquez que c’était aussi mon credo quand j’étais de patrouille dans le secteur. De toute façon, les huiles du HHPD ont une politique très claire sur les crimes impliquant uniquement des noirs  : qu’ils s’entretuent, c’est pas nos oignons. Le capitaine Joseph Porter, qui dirige le commissariat de

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

131

132

Regent’s Avenue, est bien d’accord. Ce gros lard amateur de cigares et de fesses bronzées attend sagement sa retraite, en priant Jésus chaque matin pour que rien de vraiment grave n’arrive. Le problème, c’est qu’il a fermé les yeux sur tellement de trucs bien dégueulasses, que le Jésus risque bien de se retourner contre sa pomme…

de Ray Constance. Il a monté un gang pour protéger le quartier des milices racistes, mais tout le monde se demande si ça ne serait pas aussi pour déloger le roi Ray de son trône… L’inévitable affrontement entre les deux frères Clay, Rufus et Sammy dit NinetyNine, le boxeur protégé de Constance, promet alors d’être shakespearien.

CAPITAINE JOSEPH PORTER, FLIC CORROMPU + / 90, 80, 100 / 20

RUFUS CLAY, JEUNE GANGSTER RÉVOLTÉ ++ / 100, 100, 100 / 10

Et les ennuis risquent bien de venir des rangs des hommes de Constance. Sa politique d’entente cordiale avec les irlandais et la police a beau être une vieille tradition dans le quartier, elle est loin de faire l’unanimité dans la jeune génération. Le racisme, la ségrégation dont les anciens s’accommodaient tant bien que mal sont devenus des points de crispation très forts pour leurs enfants, d’autant plus qu’ils en sont de plus en plus marqués. La tension monte des deux côtés. Il n’y a pas si longtemps une voiture de jeunes fanatiques blancs a fait une virée nocturne sanglante dans les rues d’Aisbury, laissant une demidouzaine de cadavres battus à mort sur leur chemin, sans que la milice de Constance ne puisse rien y faire. Les voix s’élèvent pour demander des représailles, ce que le parrain ne semble pas pour l’instant près de décider : mauvais pour les affaires. Alors les jeunes se disent qu’ils vont peut-être s’en charger eux-mêmes. L’un des leaders du mouvement est un dénommé Rufus Clay, un jeune gangster qui n’a peur de rien, ni de la police, ni des blancs, pas même de Mickey Ballantine ou

Rufus n’est pas seul dans son combat contre le racisme  : Dieu est de son côté. Dieu, ou plutôt le pasteur de l’église St Mark, le très influent Révérend Solomon Williams. Charismatique, possédant une belle et forte voix de basse, plutôt bien fait de sa personne, d’une élégance légendaire, il séduit toutes les ménagères d’Aisbury Park mais sait aussi enflammer les esprits des hommes avec ses discours. Son modèle est l’idéologue jamaïcain Marcus Garvey, et comme lui il prêche la fierté de ses racines africaines, l’union du peuple noir et la lutte contre les injustices. Mais il n’est pas qu’un penseur : c’est aussi un musicien de church music, ou gospel, particulièrement doué. Son public à l’église St Mark est plutôt noir, mais j’ai eu l’occasion de l’écouter une fois avec grand orchestre et choristes et je dois confesser que j’ai bien failli me remettre à croire ce jour-là. Mais en fin de compte, j’aurais plutôt tendance à penser que tout ça n’est que de la musique, aussi belle soit-elle, et qu’aucun être suprême ne viendra accorder son salut à cette ville, à part peut-être le diable en personne.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

RÉVÉREND SOLOMON WILLIAMS, PASTEUR ENGAGÉ ++ / 50, 100, 140 / 20 L’autre face de la musique écoutée par les habitants d’Aisbury, c’est le blues, ou le rythm and blues, peu importe le nom qu’ils donnent à tout ça maintenant. Tout aussi belle que le gospel, mais si vous voulez mon avis, elle a compris un truc en plus : elle ne chante pas la grâce, mais la damnation, celle de l’amour et celle du criminel. Et pour aller écouter du rythm and blues, il faudra se rendre dans la partie la plus moche d’Aisbury Park, celle qui jouxte les Docks. Là, la mairie a fait raser les petits pavillons crasseux qui forment l’essentiel du paysage dans le reste du quartier, pour construire à la place des petits immeubles de brique rouge tout aussi crasseux, où les noirs les plus miséreux s’entassent. C’est au pied de l’un de ces immeubles que se trouve le Memphis Café, un bar peuplé pour une bonne part d’alcooliques qui ne décollent pas du matin jusqu’au soir, mais dans lequel vous pouvez écouter chaque nuit des sessions de blues à se pendre sur place, ou de rythm and

blues pour vous faire danser jusqu’à ne plus sentir vos pieds. On y croise même parfois quelques amateurs blancs, à leurs risques et périls, mais c’est très rare. A un pâté de maison de là, toujours dans le quartier des Docks, vous trouverez la boutique la plus bizarre de toute la ville, puisqu’il s’agit d’une échoppe vaudou, tenue par un haïtien répondant au nom de Jean-Fort Toussaint. Un bonhomme aux airs mystérieux de sorcier, qui vend des drogues artisanales au nez et à la barbe de Mickey B et de Big Ray, mais comme tout le monde le soupçonne d’être de mèche avec les Asservis, on le laisse tranquille. J’ai mené ma petite enquête de mon côté et il semblerait que du côté de la Forbidden City on ait également peur de lui. Se pourrait-il que ce vieux bonhomme possède un pouvoir plus puissant encore que celui des Asservis ? Peu probable, mais après tout même les choses les plus improbables arrivent parfois à Heaven Harbor…

JEAN-FORT TOUSSAINT, SORCIER VAUDOU ++ / 60, 200, 80 / 10

La Musique Certains soirs, à Aisbury ou ailleurs, la seule chose qui fait encore apprécier la vie, c’est la musique. Il n’y a pas à dire, le son rauque du saxophone, sortant des portes entrouvertes d’un club alors que vous vous préparez à vous jeter dans une autre sale affaire, ça en jette. Heaven Harbor est une ville de musique. Vous n’avez qu’à fermer les yeux, et vous commencerez à l’entendre. Bien sûr, le style, les instruments et les tempos changent selon les quartiers, mais c’est toujours la même musique, le même blues qui chante la désillusion, la fatalité et la mort. Pas étonnant donc qu’il se passe autant de choses dans ses clubs. Harbor n’est pas New York, mais le vent de la révolution musicale souffle aussi ici. Quoiqu’en disent les vieux caciques de la rubrique « concerts » du Harbor Chronicle, notre époque est un sacré âge d’or  : à n’importe quel moment, vous trouverez toujours un type, quelque part, occupé à briser les règles, à mélanger les genres, à tordre les standards, à changer la manière de jouer. Le bebop en est un parfait exemple : il est né dans le club Minton’s, à New York, entre les mains de quelques jeunes jazzmen fous furieux, et lorsqu’il a commencé à se répandre un peu partout dans le pays, il a mis une sacrée pagaille. Il faut dire qu’avec ses chorus qui partent dans tous les sens, son tempo de mitraillette et sa batterie fracassante, c’est un style à réveiller les morts. Sonny Chase, mon vieux pote tromboniste, m’a dit un jour, avant de disparaître sans laisser de traces, que pour lui l’invention du bebop, c’était comme le Jour des Cendres. Même fureur, même sentiment d’apocalypse, mêmes certitudes sur le lendemain qui s’envolent. Et aussi, pour des types comme Chase ou comme moi, tout un tas de nouvelles opportunités. La première fois que j’ai entendu du bebop, c’était en 45, un peu avant que je ne sois viré de la police. J’avais été tuyauté sur un saxophoniste porté sur la dope et j’avais prévu d’aller lui mettre la main au collet dans

134

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

le club où il jouait, le Devil’s. C’était Charlie Parker. Il était en plein chorus sur A Night in Tunisia. Je me suis assis, j’ai écouté, et à la fin du chorus, je savais que ce soir-là, je n’arrêterais personne. Il faut dire que pour arriver à enchaîner trois sets dans la même soirée et faire le bœuf jusqu’à l’aube, les boppers ne se contentent pas d’eau fraîche et de cigarettes au chocolat. Ils ne sont pas les seuls, d’ailleurs  : le jazz est un sacré milieu, où alcool, drogue, filles et nuits blanches font partie du quotidien. Rien de bien étonnant pour une musique née dans les bordels de la Nouvelle Orléans, soit-dit en passant. Cela ne l’empêche d’ailleurs en rien d’être particulièrement en vue dans la bonne société. Le bebop reste encore un peu difficile d’accès mais le swing des big bands, à la Count Basie ou à la Duke Ellington, attire tout un tas de blancs qui viennent s’encanailler dans les clubs comme le King’s Hall. Heaven Harbor a même sa star maison, en la personne de la somptueuse Lady Sam  : une succube qui joue du piano, qui chante d’une voix tour à tour mielleuse et rauque et qui dirige d’une main de maître son grand orchestre. J’en suis raide dingue, comme tous ceux qui sont allés l’écouter, mais la belle a déjà sa bête, et pas commode en plus  : Mickey Ballantine, le parrain irlandais en personne.

LADY SAM, CHANTEUSE SUCCUBE +++ / 80, 100, 160 / 20

A côté des véritables big bands de jazz, on trouve les orchestres des crooners blancs qui passent en boucle sur K.H.H. De la musique pour ménagère bourgeoise, si vous voulez mon avis, mais il en faut pour tous les goûts. Et on peut dire que ça plait : les chanteurs lancés par le producteur Sid Morlow ont beau tous se ressembler, ils finissent toujours en tête des meilleures ventes. Une réussite qui fait oublier, un peu vite à mon goût, ses fréquentations douteuses, à l’accent italien bien prononcé, et l’influence assez déplorable qu’il a eue sur ses petits protégés à la voix de velours. Il y a quelques mois de ça, on retrouvait Tony Constanza dans l’arrière-cour de la salle du Strand où il se produisait, vraisemblablement victime d’une famille rivale… La belle Dina Hesley a été vue, complètement shootée, en train de faire des cajoleries à quelques vieux parrains de la famille Marsella.

Le seul avantage de la situation, c’est que le blues est devenu en quelque sorte le porte-parole de la population noire. En témoigne cet harmoniciste noir, Charley Reed, qui serait en affaire avec l’Asservi Pieces, qui aurait donné à son blues une portée surnaturelle, capable de lutter contre l’oppression. Je n’ai jamais vu Charley Reed à l’œuvre, mais ce que je sais, c’est qu’il est recherché par tous les flics d’Harbor suite à la mort de deux des leurs dans un club d’Aisbury Park.

CHARLEY REED, MUSICIEN INSPIRÉ ++ / 80, 160, 100 / 5

SID MORLOW, PRODUCTEUR PAS NET ++ / 60, 90, 180 / 20 Il faut croire que c’est le prix à payer pour être célèbre et vendre des milliers de disques. Une destinée complètement hors de portée, en revanche, des artistes classés dans la catégorie «  race records  », à savoir les musiciens de blues, gospel et rythm and blues. N’oubliez pas que la préoccupation majeure de pas mal de mes compatriotes est d’éviter de se retrouver dans les mêmes endroits que les noirs, et ça vaut aussi pour la musique : chacun la sienne, et pas question de mélanger les genres.

Reed n’est pas le seul dans son genre. Depuis le Jour des Cendres, les rumeurs sur les musiciens qui auraient vendu leur âme aux Asservis pour atteindre la perfection dans leur jeu se sont multipliées. On raconte même qu’il y aurait un club de jazz, au plus profond de la Forbidden City, dans lequel les musiciens damnés joueraient toutes les nuits pour une assemblée de démons. Une chose est sûre : si un endroit dans ce genre existe, et si Sonny Chase est toujours vivant, c’est là que je le trouverai. Il va falloir que j’y fasse une petite virée un de ces jours.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

135

The Forbidden City La Forbidden City alimente les fantasmes de l’Amérique. Pourtant, j’ai connu des caves qui, après avoir parcouru des centaines de kilomètres pour venir s’encanailler dans la Forbidden City, l’ont traversé de part en part sans même s’en rendre compte… A quoi s’entendaient-ils  ? A l’arrière-cour de Sodome et Gomorrhe ? Faut croire que les conneries prêchées dans les églises par des puritains exaltés se sont durablement imprimées dans les esprits étroits. Non, petit voyeur, vous ne verrez pas ici les corps agglutinés et dénudés des pêcheurs perdus dans leurs extases contre nature, léchés par les flammes de l’enfer, forniquant au milieu des chats et des chiens.

Non, la Forbidden City, ce sont des rues et des allées que rien ne semble vraiment différencier des autres rues et des autres allées d’Heaven Harbor. Sauf si on sait où regarder. Car la Forbidden City cache son jeu et présente deux visages bien distincts. Le jour, c’est un quartier pauvre et sans relief, qui semble toujours vide. Comme ailleurs, on y travaille et on y vit, mais on le fait avec discrétion, presque avec gêne. La nuit, la Forbidden City s’anime et, en certains endroits, devient frénétique. Enivrante et clinquante mais cachant mal la pourriture engendrée par les obsessions des Asservis, elle mérite alors véritablement son qualificatif « d’interdite ».

HOME OF THE BRAVE Ce qu’on appelle aujourd’hui la Forbidden City est tout simplement le quartier de quelques blocs où se concentrèrent les événements du Jour des Cendres. Ils ne s’y cantonnèrent pas mais l’endroit fut sans conteste l’épicentre du phénomène. Ne me demandez pas pourquoi. Avant que cela n’arrive, ces rues de Downtown ne s’étaient jamais faites remarquer, ni en bien ni en mal. C’est pourtant arrivé là plutôt qu’ailleurs. Certains vous raconteront des histoires de fosse commune bourrée d’indiens suppliciés, ensevelis sous les fondations des immeubles. Pourquoi pas? «  Forbidden City  » n’est en aucun cas une dénomination officielle. Le maire déteste d’ailleurs la formule. Le quartier est toujours considéré comme faisant partie intégrante de Downtown. Chacun est libre d’y circuler, d’y entrer ou d’en sortir. Aucune limite visuelle. Mais il n’est pas forcément besoin d’un mur pour créer un ghetto. Suffit de bien faire sentir aux gens qu’ils ne sont nulle part ailleurs à leur place… Les non humains

136

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

se concentrent donc dans la Forbidden City et font comme tout le monde : ils tentent de survivre. Forcément, ce n’est pas tous les jours facile. Difficile de suivre ses aspirations, on prend ce qui vient et on entretient les clichés : golems videurs, dockers, routiers ou gardes du corps  ; succubes serveuses, entraîneuses ou assistantes  ; séraphins traducteurs ou secrétaires particuliers… Sans compter tous ceux qui choisissent la voie plus rapide du crime. Chacun fait ce qu’il peut et cette populace s’entasse dans de vieux immeubles de rapport mal entretenus ou dans des chambres meublées minables qu’on paye à la semaine, dans un quartier où les services urbains sont bien déficients. Encore un fantasme pourfendu : le fric ne coule pas à flot pour tout le monde dans la City et la plupart des cornus, comme leurs voisins humains, travaillent dur pour pas grand-chose. Depuis peu, des mouvements s’organisent. Le plus efficace est sans doute le Forbidden City People Association, un groupe de pression réunissant aussi bien humains que cornus en son sein, sous

la direction du charismatique séraphin Tom Moore, le premier de son peuple à avoir obtenu un diplôme d’avocat. Moore dénonce inlassablement, et avec raison, le peu de réactivité de la mairie face à la vétusté du quartier, la partialité de la police et la difficulté pour les habitants d’accéder à l’éducation ou à l’emploi. Mais hé, entre nous, c’est pareil partout ailleurs, et pas que pour eux. Demandez voir aux noirs d’Aisbury Park ou aux espingos de Natividad si la vie est plus douce pour eux. N’empêche, Moore est à la mode, a reçu le soutien de plusieurs intellectuels et organise avec succès des rassemblements de protestation. Dernièrement, un propriétaire d’immeuble qui refusait d’entretenir ses cages à misère a dû plier devant le harcèlement organisé par Moore et a rénové en urgence plusieurs taudis. Je ne sais pas où sa croisade emmènera Moore mais il est sûr qu’il va rapidement se faire des ennemis.

TOM MOORE, SÉRAPHIN AVOCAT ++ / 80, 150, 100 / 10 Ceux qui n’ont pas de situation stable se logent souvent dans des résidences miteuses pour célibataires ou dans des hôtels meublés, au gré de leurs revenus erratiques. Si vous voulez vraiment découvrir Forbidden City, descendez vous aussi dans une de ces pensions. Je vous conseille le Heartbreak Hotel. Les piaules y sont bien entretenues et les draps propres mais on ne peut pas faire grandchose contre les cafards qui pourrissent le quartier. Ici est réunie une véritable cour des

miracles sous la surveillance de Miranda, la tenancière aux allures de vieille sorcière. Vous entendrez beaucoup de choses sur elle et les rituels qu’elle mène dans la cave humide de son hôtel. Tout est vrai. Cet hôtel aux couloirs tarabiscotés est l’endroit idéal pour se faire oublier. Pour peu que vous ne dérangiez pas les autres locataires, personne ne viendra vous ennuyer.

MIRANDA, INVOCATRICE +++ / 20, 250, 100 / 5 Comme je le disais, plein de gens sont très déçus par l’apparence de la City. A première vue, elle n’a rien de dantesque. Les immeubles décrépis se succèdent et on trouve comme ailleurs épiceries, bars et boutiques. Naturellement, on trouve moins de petites boutiques de luxe ou de jolies bijouteries que de monts de piété crasseux. Si vous avez vraiment besoin d’argent vous finirez tôt ou tard par pousser la porte de la boutique de Joe Marino. Ce type vit de la misère des autres, c’est un fait acquis, mais il s’avère être raisonnablement honnête. Il ne trichera pas avec les objets que vous mettrez au clou et il s’efforcera de les estimer à leur véritable valeur. C’est déjà beaucoup. Pour le chineur désœuvré et peu regardant sur la propreté, sa boutique est un trésor où s’amoncellent les objets les plus hétéroclites. Quand à Joe lui-même, si du moins vous supportez les effluves corporelles à base de sueur et d’ail, c’est un type volubile et particulièrement bien renseigné. Une sorte de témoin passif du monde qui se déroule de l’autre côté de sa vitrine crasseuse.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

137

Ce qui choque le plus quand on traverse la City de jour, c’est qu’elle semble vide. Les habitants, cornus ou non, sortent travailler et rentrent chez eux. Comme si personne ne souhaitait s’attarder dehors plus que nécessaire. Il y a dans l’air une drôle d’atmosphère, comme si les choses étaient en suspens, comme si chacun attendait la nuit. Comme si tout le monde se retenait. Avant de se laisser aller… JOE MARINO, PRÊTEUR SUR GAGES + / 80, 50, 80 / 10

« LÀ OÙ TOUT SE PASSE » La Forbidden City est composée de strates. Pour en découvrir la nature véritable, il faut en soulever couche après couche jusqu’à la mettre à nue. En arriver au cœur, là où l’on trouve la marque des Asservis, les dirigeants des hiérarchies démoniaques. Depuis le Jour des Cendres, leur monde, le Dédale, est lié intimement lié à la Forbidden City. Ils s’entremêlent et se recoupent de manière obscène. Ça commence avec la nuit. Une fois les néons allumés, la Forbidden City prend une autre couleur. Elle s’anime et pulse. Elle brille de mille feux et rit à gorge déployée, d’un rire de crécelle haut perché à la limite de l’hystérie. Elle ouvre les cuisses et offre au visiteur une sarabande de plaisirs. Pour la découvrir vraiment, il faut plonger, au risque de ne pas en revenir. Strate par strate. En premier lieu, la fête, la musique et la boisson. Bars, boites louches et night clubs branchés, restos à la mode ou fastfoods, cinémas et cabarets se partagent les trottoirs. On peut y manger, écouter de la musique ou se saouler jusqu’à plus soif, voir tout faire en même temps. Difficile de faire la liste des établissements incontournables : elle changerait toutes les semaines, au mieux. Surtout, les plus piquants et les plus osés n’ont pas pignon sur rue et leurs adresses s’échangent entre habitués.

138

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Quelques points de repère, toutefois, pour le provincial qui ne veut pas donner l’impression d’avoir loupé sa virée. Le Pit accueille quelques uns des bands les plus en vue et son patron, le classieux Joseph Abramovitch est l’un des types les mieux connectés d’Harbor ce qui assure toujours à son établissement la visite des gens qui comptent. Forcément, le service de sécurité est ad hoc. Le Tropical est moins classe mais plus branché et s’est spécialisé dans les chanteuses à la fois talentueuses et superbement balancées. Le French Festival fait dans le cabaret limite coquin et remporte un gros succès même si son patron, Eli Webster, est aussi français que moi inuit. C’est un sacré roublard qu’on trouve dans tous les bons coups. Si vous voulez une atmosphère calme et sophistiquée, vous préférerez le Century Club de la belle et branchée Nina Clarke et son ambiance dandy à contretemps. On y croise de jolies créatures mais je garde un mauvais souvenir de son videur, Bernard, un possédé particulièrement mal léché. Chez Philippe se la joue également frenchy mais tendance choute. C’est un des rares clubs à forte fréquentation homo d’Harbor. Plein de jolis cœurs s’y pressent dans l’espoir de lever le gros bourgeois friqué tétanisé par la trouille mais enfiévré par le désir. Le club a subi pas mal d’exactions mais celles-ci ont subitement

cessé il y a quelques mois. On raconte que le patron, Oliver Nichols, a conclu un accord de protection sacrément blindé. Je ne sais pas avec qui mais il a visiblement des arguments. Les fous de Be-bop ne jurent que par le Devil’s. C’est là que j’ai moi-même découvert ce qui a changé ma perception de la musique. Ça pue la sueur, le vin aigre et les camés ne s’y cachent même pas. Mais ça ne fait rien, il faut tenter le voyage. Enfin, quand l’envie me prend d’écouter de la bonne musique et d’écluser un bon verre, je choisis invariablement le Charlie’s Corner. Les clients de Charlie Barstow, un ancien flic qui connaît tous les recoins d’Harbor, sont principalement des habitués capables de passer outre la décoration sommaire du lieu pour apprécier la compagnie de l’hôte, ses choix judicieux de programmation et son tord-boyaux artisanal, qui sort je ne sais d’où mais illumine la nuit. Du coup, devant la profusion d’enseignes, la rumeur voudrait que, niveau musique, la City ait volé la vedette à Aisbury Park. C’est seulement en partie vrai. Les clubs les plus in et les plus novateurs sont toujours dans le quartier noir. Mais les plus frénétiques sont ici. On y danse jusqu’au jour, dans une étrange mixité sociale et raciale piquée de désir que seule l’aube vient défaire. C’est là que se révèle vraiment la Forbidden City, dans son incroyable diversité. Tout semble à la fois plus vrai, plus intense, plus chaud et plus piquant, comme une fièvre à la fois enivrante et révélatrice. Une strate de plus  : tout cela nous amène au sexe. Et qui dit Forbidden City pense, souvent sans oser le dire, sexe. C’est indéniable. Si les putes de tout sexe et de tout âge ne se cantonnent pas au ghetto et si la réputation de la Calle de las Putas de Natividad n’est plus à faire, c’est bien ici que vous en trouverez le plus et, dit-on, les meilleures. A mon sens, c’est encore une fois la particularité de la Forbidden City de transformer une simple baise en inoubliable expérience. On appelle ces quelques rues le Red Light District : vous voilà au cœur de ce que certains considèrent comme le nexus de la débauche et du stupre sur la côte ouest. Le sexe est roi dans les arrières cours, les allées et les sous-sols de la Forbidden City.

OLIVER NICHOLS, PATRON DE BOITE + / 60, 80, 100 / 10

CHARLIE BARSTOW, PATRON DE BOITE ET EX-FLIC ++ / 120, 100, 120 / 10 Croyez-moi, ici comme ailleurs, le sexe a la même couleur et c’est souvent celle de la misère humaine. Si les flics d’Harbor tombent parfois sur des trucs innommables, l’écrasante majorité des actes perpétrés ici restent classiques et tristement sordides. Le chaland un peu rusé saura trouver des librairies particulières aux rayons bourrées de revues porno, depuis les jolies revues coquines au porno léché jusqu’aux publications les plus crades en passant par les outils particuliers pour égayer ses soirées. La mode est aux mises en scène «  infernales  », décors gothiques de série B, costards naphtalinés et maquillage rouge sang. Les saloperies extrêmes se négocient toutefois sous le manteau mais l’amateur décidé saura forcément y accéder. Même chose pour les bobines pornos, qu’elles viennent du Mexique ou qu’elles soient

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

139

tournées ici-même, mettant en scène l’une des innombrables starlettes qui débarquent chaque année à la Gare Centrale pour, parfois, ne plus reparaître. On trouve là encore de tout, depuis la bande luxueuse jusqu’aux enregistrements amateurs flous. Le Club Eros est réputé pour ses projections privées mais on n’y entre pas facilement. Il faut être coopté et chaque soirée se déroule dans un endroit différent dont on est averti le jour même par carton. L’amateur d’action réelle n’est pas en reste, avec le plus grand choix de clubs de strip d’Harbor. Classique ou sordide, gentil effeuillage ou accouplement bestial avec un âne ? Name it, you’ve got it. Le plus gros bordel de la Forbidden City est sans conteste celui tenu d’une main de fer par la succube Veronica Smith. Elle travaille à la gloire de sa patronne Asservie, Ashes, dont on dit qu’elle se vautre elle-même dans la luxure et a inventé les succubes pour augmenter son plaisir. Veronica est à la tête d’une armée de putes et offrent une incroyable palette de service. Ses relations avec les flics restent bonnes car elle assure rester dans les bornes de la légalité. Vous me permettrez d’en douter. Mais tout le monde semble apprécier l’arrangement. La structure de son établissement est difficile à saisir, il s’étale sur plusieurs bâtiments et plusieurs étages, dispose de plusieurs entrées, vraisemblablement en fonction de la « spécialité » souhaitée par le client. Sous l’œil des gars de la sécurité, une hôtesse vous accueille, vous met à l’aise et s’efforce de réaliser vos rêves. Il y a même un catalogue avec de belles photos couleur dedans. A l’intérieur, c’est un autre monde. Un parcours alambiqué le long de couloirs feutrés dessert des salles «  à thème  », alcôves privées et chambres de passe baignées dans les odeurs d’encens entêtantes. On entend résonner musique douce, murmures, soupirs, frôlements, cris et coups de fouet. On croise parfois un client en rut poursuivant une fille dénudée riant aux éclats. Le seul tabou ici : lever la main sur une employée. Sauf bien sûr si c’est ce que vous avez sollicité. Je vous l’ai dit, il y en a pour tous les goûts. Mais dans ce cas, le prix ne sera pas le même.

140

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

VERONICA SMITH, MAQUERELLE SUCCUBE +++ / 80, 150, 160 / 20

MANLEY, EX-MARINE ++ / 200, 60, 60 / 10 Malgré plusieurs visites, je n’ai aucune idée du plan réel de l’endroit. On parle d’une organisation en strate, à l’image de la Forbidden City  : plus l’on descend et plus l’on découvre de plaisirs interdits, jusqu’à arriver dans le domaine d’Ashes. Juste avant, Veronica s’occuperait elle-même de vous, dans une apothéose d’abandon des sens. Je n’ai jamais pu vérifier cela et ça ressemble à une légende. Veronica ne paie de sa personne qu’avec des clients très particuliers. Le service de sécurité mis en place par Manley, un ancien marine, est aussi efficace qu’il est violent. Comme tous les mecs qui bossent ici, ce gros bras est sous le charme et le contrôle absolu de Veronica. Il faut dire que peu de gens, hommes ou femmes, peuvent lui résister. A chaque fois qu’elle m’envoie sa protégée, la petite Karolina, je me dis qu’il faut que je sois fort, intraitable et que j’envoie

promener sa patronne. Et puis j’accepte de la voir, persuadé que je pourrai lui dire moimême ce que je pense de ses plans foireux. Invariablement, je ressors avec une mission, le sourire aux lèvres comme tous les crétins qui se retrouvent sur le trottoir, au sortir du bordel. Bah, on ne se refait pas. Au moins, elle paie cash. Dans la Forbidden City, la dope accompagne souvent le cul. Si beaucoup de came circule, ce n’est pas pire que dans les taudis d’Aisbury Park. Avec deux importantes différences toutefois. D’abord, de nombreux clients ont les moyens de se payer de la bonne camelote, la merde à la mode, les nouveautés pour planer. C’est là encore une preuve du sacré mélange de la City : le friqué à la coule qui sniffe sa dose entre les nichons d’une jeune mannequin s’approvisionne au même endroit que le junkie en phase finale, obligé de se piquer dans les couilles pour trouver une veine qui ne soit pas pourrie. Les revendeurs vont et viennent, tous persuadés d’avoir trouvé l’eldorado. Les longues carrières sont rares ici. La seconde différence, c’est la nature de la drogue. On trouve bien sûr tout ce qu’on trouve ailleurs. Mais si on sait à qui s’adresser, on trouve d’autres choses, plus puissantes, plus bizarres et aussi plus addictives. C’est là encore la main d’un Asservi, celui qu’on appelle Pieces et dont je vous parlerai plus loin. Les accidents sont nombreux mais ça n’empêche pas les crétins hagards avides de nouveautés de gober, sniffer ou s’injecter toutes les merdes qu’on leur propose. Juste pour ne pas passer à côté de celle qui sera vraiment inoubliable. Enfin, des tas de junkies m’ont raconté la même chose : un trip dans la Forbidden City, c’est toujours meilleur, toujours plus intense et plus profond… Alcool. Musique. Cul. Dope. Forcément, les flics des mœurs et ceux du 22ème sont toutes les nuits sur la brèche. Malgré les hurlements des ligues de vertus, nettoyer le quartier est une utopie. Pas seulement parce que les réseaux sont bien établis, mais à cause de la nature même de la Forbidden City. Tant que tout reste sous contrôle, que les enveloppes

sont au rendez-vous et que les bonnes gens ne sont pas importunées, les flics s’emploient à écrémer le petit pourcentage de saloperies réellement dangereuses et c’est déjà pas mal. Vous connaissez comme moi les rumeurs qui détaillent les plus horribles dépravations, les enlèvements, les mises à mort sacrificielles, le tout sous la coupe de réseaux obscurs et tout-puissants. J’ai vu des choses terribles ici, mais rien ne m’a semblé pouvoir accréditer cette thèse… Mais l’absence de preuves ne signifie pas que ça n’existe pas. Malgré les efforts de la police qui essaie de patrouiller ici comme ailleurs, on sait qui fait vraiment la loi. Les cornus ont tendance à gérer seuls ce qu’ils considèrent comme leur territoire mais l’influence des ritals, surtout celle des Marsella, reste forte. Notamment parce qu’ils ont eu l’intelligence de savoir déléguer au bon moment. Et puis les rumeurs se font insistantes sur les liens entretenus par les Marsella avec Mr Johnson, un autre des Asservis qui pourrissent Heaven Harbor. Le deal est simple : profiter du juteux commerce de tous les vices réunis dans un seul quartier tout en s’assurant que les débordements restent raisonnables. La situation est toutefois mouvante dans la Forbidden City. Le crime est éparpillé et les allégeances vite renversées. En face, on trouve les flics du 22ème district, ni meilleurs ni pires que les autres flics d’Harbor. Histoire de tenter de faire pencher la balance et de rassurer la mairie, le capitaine Willard Parker a été chargé directement par le Chief of Police de mettre sur pied une brigade de choc, multi-talents, capable de connaître intimement le quartier et de renseigner efficacement les collègues es différents bureaux. La mission officielle de ce 22th Squad : « pacifier » la Forbidden City. Le groupe a été composé d’une dizaine de flics confirmés, des durs à cuire issus des Mœurs, de la Crime et des Stups, renforcés par quelques agents en tenue ayant battu le pavé des rues de la City. Le lieutenant Neil Farrell en a pris la tête. Je ne le connais pas mais on m’a parlé d’un mec dur, exigeant avec ses hommes mais également bon flic. Si les succès ont été rapidement au rendez-vous, les polémiques aussi. Intimidation et pas-

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

141

sages à tabac sont la règle et on parle – peutêtre un peu vite – d’exécutions sommaires. Certains disent que Farrell a pris la grosse tête et s’imagine en parrain local. Ce qui est sûr, c’est que les gros bras de la Brigade de Contention de Seam Murphy ne sont pas les bienvenus ici et que les deux équipes sont à couteaux tirés. Même chose pour les flics des Stups ou des Mœurs descendus du commissariat central. A ce compte là, on se fait vite des ennemis. Farrell est toutefois loin de disposer des appuis de Murphy et son équipe n’est déjà plus en odeur de sainteté depuis quelques temps. L’endroit est également le terrain de chasse favori des pires fouilles-merde d’Harbor, comme la crème des « reporters » de mon pote Weimbaugh et son torchon Whispers. Ils sont à l’affût du moindre visage connu en espérant qu’il se laisse aller à son penchant caché, bibine, dope, minette ou jeune micheton. Certains flics du 22ème District sont connus pour toujours avertir les photographes avant de procéder à une arrestation juteuse. Chopez une star le nez blanchi ou le biscuit en plein trempage et c’est une enveloppe bien grasse assurée. Tout ce vice accumulé ne peut que faire hurler les bien-pensants. Mais ils ne se contentent pas de crier au diable. Certaines ligues de vertu se paient de temps à autre une petite marche de protestation et des prédicateurs exaltés viennent jusque dans ces terres maudites tenter d’expurger le mal et les démons. Apocalypse Bill est le prédicateur fou le plus connu de la Forbidden City. Il occupe une chapelle décrépie et crie à la folie du monde, à la malignité des monstres qui l’entourent et à la colère de Dieu qui fera sacrément mal le jour où elle s’abattra. Ce n’est en fait qu’un vagabond crasseux puant l’alcool et la pisse. La plupart des cornus le trouvent plutôt drôle, le considérant presque comme une curiosité locale. De temps à autre, certains lui tombent dessus et le rossent jusqu’à plus soif. La tronche de Bill arbore toujours une série de croûtes en train de sécher du plus bel effet…

142

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

CAPITAINE WILLARD PARKER, FLIC ++ / 100, 100, 120 / 30

LIEUTENANT NEIL FARRELL, FLIC DE CHOC +++ / 150, 120, 100 / 20

APOCALYPSE BILL, PRÊCHEUR ILLUMINÉ + / 60, 40, 80 / 0

PUISSANCE, PLAISIR ET JOUISSANCE DES SENS Il faudrait être naïf pour croire que le cancer du crime et de la haine se cantonne aux murs de la Forbidden City. Mais la véritable noirceur de la Forbidden City est ailleurs, dans sa pulsation malsaine… Moi, je me sens bien ici et j’aime y vivre. Comme quoi je ne dois pas être complètement net. Il faut toutefois que je vous dise pourquoi la City est différente, réellement différente. Il y a une raison à la concentration des plaisirs interdits dans la City. Ici, on boit, on baise et on se drogue avec une plus grande acuité qu’ailleurs. Tout est plus profond, exacerbé. Tout semble meilleur et plus vrai. Plaisir, défonce, désespoir, violence. On s’enivre plus vite et plus fort qu’ailleurs. On tombe amoureux ou on tue avec plus de facilité parce qu’on le sent là, à fleur de peau, comme une évidence qui vous pousse en avant. Le recours aux extrêmes parait soudain évident, limpide, comme pour celui qui voit la femme à qui il déclare sa flamme lui rire au nez ou celui qui est persuadé que ses partenaires vont le doubler. Je n’ai aucun chiffre, mais j’en suis sûr. On vit plus intensément dans la City. Et on y meurt plus vite, parfois de sa propre main. Juste parce que sur le moment, ça paraissait une bonne idée. La Forbidden City cache dans ses entrailles les portes vers l’autre côté. Les frontières avec l’au-delà s’y estompent. Plus on s’y enfonce et plus on s’approche dangereusement d’un autre univers, incompréhensible à l’homme, qui gît à quelques encablures de notre réalité. La City n’est qu’une zone tampon dont les jointures des briques suintent la corruption. Celle des Asservis, les maîtres d’un monde obscur, qui se repaissent des désirs, des sentiments et des frustrations des hommes. Cette zone frontalière, certains l’appellent le Dédale. Vous risquez tout doucement d’y glisser. Si vous vous enfoncez un peu trop loin dans les arrière-cours de la City ou un peu trop profondément dans ses sous-sols. Si vous prenez le mauvais ascenseur ou le mauvais escalier. Si vous frappez à la mauvaise porte. La plupart

des gens ne s’en rendent pas compte mais pour les mecs comme moi, aux sens disons développés, c’est une putain de corne de brume qui nous vrille les tempes si l’on descend trop bas. Les murs de la Forbidden City sont poreux. Et ils ont des oreilles. Littéralement.

WILLIAM CORBEN, AVOCAT HUMANISTE ++ / 60, 200, 80 / 10 Si vous êtes intelligent, vous ne chercherez pas à en savoir plus sur les Asservis et vous ne lirez pas ce que je dis d’eux plus loin. Retenez juste cela : les Asservis ne sont jamais vos amis. Jamais. Si vous devez vous en convaincre, passez donc rendre visite à William Corben. Difficile de reconnaître l’un des plus brillants avocats d’Harbor sous ce costume fatigué et derrière ces yeux délavés par l’abus d’alcool. Bill pourrait gagner des fortunes en négociant des accords entre Asservis et gros bonnets, mais il préfère aider ceux qui ont fait la connerie de croire qu’un pacte pourrait les aider à améliorer leurs vies merdiques. Il est souvent trop tard pour qu’ils évitent les leurres mais ce type a une vocation de samaritain et cherche à recoller les morceaux, à arrondir les angles et à sauver le peu d’âme que les Asservis n’ont pas arraché à ces pauvres idiots. Si vous êtes assez bête et suffisamment désespéré pour croire qu’un Asservi pourra vous être utile, Bill est le meilleur ami que vous puissiez avoir. Croyez-moi, je sais de quoi je parle.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

143

Hell on Earth

«  Tu sais ce que j’ai découvert ? Que j’aime ne pas savoir. Ça fait cinquante-deux ans que je ne sais pas. Et je dors bien en ne sachant pas. » Hellboy, Au nom du Diable. Je n’ai pas la prétention de détenir la vérité. Ce qui suit n’est que mon interprétation d’une réalité que j’ai sans doute seulement touchée du doigt. Ce que je vous rapporte là est un agrégat de mes propres expériences, des informations que j’ai pu rassembler et de ce que j’ai compris des divagations des démons et Asservis que j’ai fréquentés. Il faut donc prendre les réflexions qui suivent pour ce qu’elles sont : sans doute parcellaires et peut-être faussées par ma propre interprétation. Mais je ne ferai pas preuve de fausse modestie. Elles valent clairement mieux que les racontars que vous risquez d’entendre ailleurs. Si je peux me targuer d’une chose, c’est bien d’une certaine expérience avec ce que nos bons amis les culs bénis appellent les hordes démoniaques. Oui, «  ils  » existent, mais pas forcément comme vous les imaginez. Oubliez toutes les conneries sur les anges déchus, l’enfer et le

paradis qu’on vous a enseigné au catéchisme. Si un guignol vous vante ses connaissances des légions de Lucifer, évitez-le comme la peste. Au mieux, c’est un escroc, au pire un inconscient. Croyez-moi, il ne sait rien de ceux qui s’agitent derrière la porte de nos consciences. Ce à quoi on a vraiment affaire est bien différent et bien plus pervers que ça. Rien ne nous avait vraiment préparé à cela. Bien entendu, eux-mêmes prendront un malin plaisir à vous embrouiller. Après tout, si le dogme chrétien c’est votre truc, ils auraient bien tort de vous détromper. C’est le point le plus important à retenir  : ils mentent. Toujours et sans exception. Et leur plus grand mensonge est de vous faire croire que vous avez besoin d’eux. C’est faux, ils ont bien plus besoin de vous que l’inverse. Mais tout leur génie est de vous faire gober le contraire pour vous faire venir à eux. Une fois le contact établi, il est déjà trop tard…

LE MAELSTROM DE L’AUTRE CÔTÉ

OK. Attaquons par le gros morceau : il existe d’autres mondes, d’autres lieux, voire d’autres temps, au-delà de la réalité que nous connaissons. Dans un comics de Superman, on appellerait ça des « dimensions », j’imagine. Je n’ai pas de meilleur terme mais l’idée est là. Au delà de notre réalité gît ainsi ce que les Asservis eux-mêmes appellent le Maelström, une spirale sans fin où la matière hurlante naît et finit par se diluer, une sorte de chaos pur, originel et démentiel. Cette dimension est impossible à concevoir

144

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

pour l’e sprit humain : la seule vision des tourbillons de matière du Maelström suffirait à rendre irrémédiablement fou l’imprudent qui s’y risquerait... La spirale démente du Maelström est hantée par de monstrueuses Entités aux consciences aveugles, capables de discerner d’autres plans et d’autres temps de leurs yeux morts. Ces monstruosités aux formes changeantes ont le pouvoir de briser les réalités et de se repaître de toute création. Leurs motivations - si tant est qu’elles en aient - sont totalement incompréhensibles à l’échelle humaine. Ils sont la fin de toute

chose, une puissance absolue sans conscience morale, la consumation de toute existence. Ces Seigneurs aveugles n’ont pas de nom  : même les Asservis ne se risquent pas à parler d’eux autrement qu’en termes déguisés. Les Asservis, justement. Sont-ils des émanations des monstrueuses entités du Maelström ou tout à fait autre chose ? Quoi qu’il en soit, ils se sont extraits du néant de la spirale et se sont singularisés, agrégats d’obscurité chaotique animés d’une inextinguible faim de sens et de causalité aiguisée par le spectre miroitant de notre réalité. Assujettis aux monstruosités aveugles du Maelström, les Asservis sont à la fois enchaînés à la spirale du chaos et poussés en avant par leur faim. Autour des Asservis se sont bientôt agrégés d’autres créatures, comme dans un simulacre de société. Là encore, l’origine de ce que nous appellerons démons est ambiguë. Certains pensent que les Asservis ont essaimé et donné naissance à ces rejetons, d’autres qu’il s’agit plutôt de créations, simulacres de vie sculptés du néant et arrachés au tourbillon hurlant du Maelström. Il se pourrait enfin que ces consciences se soient elles-mêmes extirpées de la Spirale. Toujours est-il qu’elles s’agrégèrent autour des Asservis, les considérant comme leurs guides ou leurs maîtres. Ainsi, Asservis et démons sont-ils prisonniers d’une dimension adjacente à la nôtre, uniquement mais pourtant irrémédiablement séparée d’elle par une infranchissable barrière spirituelle. De leur côté de cette barrière, annexant des morceaux du Maelström, les Asservis ont bâti des bastions sensibles, sortes de royaumes abritant les hordes démoniaques à leur service et reflétant, comme un miroir déformant, l’évolution de notre propre monde. Cet endroit est le Dédale, sinistre ersatz du monde humain, froid et vide. Malgré leurs grands airs, les Asservis ne sont pas des créateurs. Ils n’ont rien inventé, leurs domaines ne sont que de tristes versions de notre réalité. Pour les peupler et se distraire, ils fabriquèrent d’autres créatures : golems, succubes, séraphins, là encore images déformées d’intouchables modèles.

Asservis et démons n’ont pas seulement singé notre monde. Ils ont également vu en nous des proies idéales, faibles et faciles à tenter. Notre réalité charnelle a toujours été pour ces entités du néant un incroyable aimant, un phare au milieu de la non-existence du Dédale. Ils jalousent l’individualité des humains, eux qui côtoient la folie toujours changeante du Maelström et qui ne craignent rien de plus que d’y replonger et de s’y diluer. Les émotions humaines sont la plus importante source de sens que recherchent désespérément les démons et leurs maîtres Asservis  : peur, passion, haine, violence, désespoir… nourrissent et attirent les êtres du Maelström, faisant de l’humanité un formidable vivier. Croyez-moi, ils bavent d’envie devant nos insignifiantes petites vies et ragent devant leur incapacité à passer de notre côté. Au cours de notre histoire, ils n’ont eu de cesse d’entrer en interaction avec nous malgré cette barrière et certains ont réussi. Parfois, un être humain aux sens particulièrement développés était capable de ressentir l’au-delà et les consciences affamées qui s’agitent aux bords du Maelström. Poussés par les chuchotis infernaux, certains entrèrent volontairement en contact avec les démons alors que d’autres ne furent que d’involontaires canaux. Les démons pouvaient alors utiliser ce lien comme médium pour exacerber les passions de leur hôte et s’abreuver de ses émotions. Dans de très rares cas, ils pouvaient même tenter de créer une brèche et de s’infiltrer sur notre plan, possédant ainsi pour un temps un corps humain leur permettant de goûter à la source même les plaisirs et sensations mortels. Cela demandait pourtant des efforts considérables et les démons attendaient depuis toujours le moment où ils pourraient briser définitivement la barrière entre les dimensions afin de se repaître sans limites. En attendant, les Asservis déployaient des efforts considérables pour nous atteindre, nous influencer et mener leurs petites conjurations, le reste du temps étant employé à se foutre sur la gueule entre eux pour les plus taquins, à chercher d’autres moyens de nous nuire pour les moins marrants. Tout allait pour le mieux…

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

145

L’ACCIDENT

… Jusqu’au Jour des Cendres. Notre réalité aurait alors dû disparaître. Je suis incapable de dire ce qui a bien pu se passer, et je pense que c’est aussi le cas pour les Asservis, qui camouflent leur ignorance sous leurs salades ésotériques. Peut-être une conflagration à l’échelle cosmique a bousculé l’ordonnancement des plans d’existence. Peut-être que les monstruosités de l’au-delà eurent un sursaut dans leur sommeil aveugle. Peut-être quelque chose est-il né, ou mort… Peut-être aussi qu’un Asservi a fait une grosse connerie, ce qui au final ne me surprendrait guère. Quoi qu’il en soit, les barrières entre les mondes furent brisées et certaines sphères d’existence se heurtèrent. C’est ainsi que s’ouvrirent dans notre réalité bien tangible des portes vers des lieux bien au-delà de notre réalité. Les Entités du Maelström s’ébrouèrent, à deux doigts de sortir de leurs rêves et de consumer jusqu’au souvenir de notre existence. Certains démons exultèrent à l’idée de voir leurs indicibles maîtres réveillés et se réjouirent de l’apocalypse et de la perspective de l’orgie de destruction à venir. Malgré leurs pouvoirs et les nombreuses créatures qu’elles ont créées pour les servir, les Asservis n’ont jamais pu s’affranchir complètement de leurs maîtres, les entités du Maelström. Lorsque l’accident eut lieu, les Asservis auraient dû ouvrir grand les portes… Les hordes démoniaques auraient du se répandre sur notre monde pour le dévorer, préparant l’arrivée de leurs indicibles maîtres. Tout était réuni pour la grande partouze interdimensionelle. Sauf que ce ne fut pas le cas… Les Asservis, ou du moins leur majorité, ont trahi leurs maîtres. Désireux de conserver pour eux le réservoir d’âmes et de sensations humaines, ils n’étaient pas prêts à voir les Dieux du Maelström consumer toute réalité. Empêchant le réveil des entités cosmiques, les Asservis ont tenté de fermer les accès les plus ouverts sur notre monde, ne réussissant pas forcément à empêcher tous les transfuges de passer de notre côté. Ainsi, avides de liberté, se déversèrent dans certaines villes humaines les esclaves des

146

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

démons, ceux qu’on appelle aujourd’hui golems, succubes ou séraphins. Certains démons purent eux aussi franchirent la barrière et mêler définitivement leur essence à la chair, prenant possession de corps humains fraîchement décédés : les possédés. Mais l’apocalypse n’eut pas lieu pour autant et les Dieux du Maelström se rendormirent. Pour les Asservis, cette histoire a été une vraie putain de bénédiction. La réalité matérielle s’est fissurée, elle s’est rapprochée d’eux et elle est devenue bien plus accessible. La barrière spirituelle nous séparant d’eux est à présent particulièrement ténue, voir inexistante dans les endroits qu’on appelle les «  Hell Holes  », comme la Forbidden City de ma bonne ville d’Heaven Harbor. Le nombre de personnes réceptives à leur contact a augmenté. Du reste, les hommes sont maintenant au courant de leur présence, de leur puissance occulte tapie derrière l’obscurité  : l’avidité naturelle et la soif de pouvoir inextinguible des humains n’ont plus qu’à faire le reste… Mais les Asservis et les démons qui dépendent d’eux semblent vouloir se refuser à intervenir trop violemment dans la réalité. Aussi étrange que cela puisse paraître, ils semblent suivre des règles, comme s’ils redoutaient une trop forte contamination de notre réalité. Ils ont ainsi fermé les vannes et, coincés dans le Dédale, les cornus ne sortent plus des hell holes. Du moins ils sont peu nombreux. Croyez-moi, c’est pourtant encore tout à fait possible. Mais les Asservis ne le permettent tout simplement pas. Ils empêchent aussi leurs démons d’utiliser à tout va les enveloppes charnelles si attirantes, sauf quand leurs plans l’imposent. Comme je le disais, ils ont trahi leurs véritables maîtres et ils ne veulent pas que ceux-ci s’en rendent compte. Si les Asservis se foutent sur la gueule par agents et réseaux interposés, ils se retrouvent au moins sur ce point. J’ai entendu murmurer que nous étions loin de connaître tous les Asservis et que certains œuvrent toujours au réveil des Entités, de l’autre côté. Si c’est vrai, on n’a pas encore vu le pire. Ce qui n’empêche pas certains malades de vouer un culte à ces puissances aveugles et brutes.

Tout ceci vous paraît être un satané fatras incohérent  ? Pas de souci, ce n’est pas étonnant. En définitive, d’où viennent ces saletés n’est pas notre plus grande préoccupation. Elles sont là, on ne peut rien y faire. Ce dont il faut se préoccuper, c’est pourquoi elles sont là… Ce ne sont en fait que des parasites qui phagocytent notre créativité, nos émotions et parfois nos corps. Le reste n’est que de la littérature. C’est peut-être bien du pipeau ou peutêtre est-ce un plan encore plus retors pour détruire notre réalité. Peut-être que ce n’est que le début. Pour le schmuck comme moi, dont la seule préoccupation est de survire aux rues d’Heaven Harbor, quelle différence ça fait, franchement ?

LES HELL HOLES ET LE DÉDALE

Le principe d’un «  Hell Hole  » est simple : c’est un pont entre deux mondes, le nôtre et ce qu’il convient d’appeler l’Enfer, les méandres du Dédale créé par les Asservis dans les replis du Maelström. C’est par là que les créatures infernales ont pu entrer mais ça marche dans l’autre sens et un humain peut ainsi accéder physiquement aux domaines des Asservis, même si ce n’est pas simple. L’utilité première des hell holes pour nous, humains, est de profiter de la perméabilité de la barrière permettant un contact plus facile avec les démons. En vue de négocier avec eux, bien sûr… Le Dédale est-il un lieu unique ou en existe-il plusieurs, comme autant de kystes de réalité construits par l’esprit malade des Asservis  ? Soyons francs, je n’en ai aucune idée. Je ne saurais donc dire si tous les hell holes répertoriés ouvrent en définitive sur le même «  endroit  ». De la même façon, je serais bien incapable de dire si tu peux entrer dans un hell hole à, disons, Caracas, traverser le Dédale et ressortir d’un autre hell hole à Heaven Harbor. Certains allumés assurent qu’au-delà du Dédale, on peut accéder à d’autres réalités, voir même au Maelström. Certains démons parlent en effet parfois d’autres temps, d’autres mondes. Mais comment savoir ? La plupart ne sont que de petits branleurs prétentieux… En tout cas,

je n’ai rien entendu permettant d’affirmer qu’un inconscient ait tenté le coup. Ces histoires auraient plutôt tendance à me coller la migraine et je préfère m’en tenir éloigné. Au cours de mes relations avec les Asservis, j’ai pu voir quelques portions du Dédale mais je n’ai aucune envie d’en savoir plus et d’y foutre les pieds plus longtemps que nécessaire. Après tout, j’ai au moins un bon pote golem qui ne veut même pas parler de ce qu’il a connu là-bas. C’est pas fait pour me rassurer. Si vous traînez dans la Forbidden City, vous entendrez forcément parler de John Doe. On raconte que ce type était un médium d’exception, le genre capable à lui tout seul d’aller chatouiller les doigts de pied des Dieux du Maelström. Il se faufilait tellement bien dans les frontières de l’Enfer qu’il a fini par y rester coincé. Il est maintenant prisonnier de la Forbidden City, dans l’espèce de non lieu qui existe entre notre monde et le Dédale. On l’aperçoit de temps à autre, trench fatigué et mégot au bec, apparition fugitive au visage marqué. On dit aussi que le temps n’a plus de prise sur lui et qu’il en a perdu la tête, incapable de savoir d’où il vient et quand il est. La superstition fait le reste : tout le monde est sûr de l’avoir aperçu se glisser entre deux averses. John Doe s’adresserait même de temps à autre à un passant, toujours sur un ton à la fois énigmatique et cynique. Et ce ne serait pas de bons présages.

JOHN DOE, INVOCATEUR GRILLÉ +++ / QUI PEUT SAVOIR ? / 0

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

147

Aujourd’hui, les hell holes (du moins ceux qui se sont stabilisés, sont connus et répertoriés) sont intégrés dans le tissu urbain des villes où ils se sont ouverts. La plupart sont aussi devenus des ghettos pour les non-humains qui les ont utilisés comme porte d’entrée, exactement comme dans la Forbidden City de ma bonne ville d’Harbor. On n’a pas beaucoup d’informations sur ce qui s’est passé en dehors des USA. Mais les hells holes ne sont pas limités aux grandes zones urbaines. On peut en trouver à divers endroits, de diverses tailles, temporaires ou non, comme des points de passages « naturels » vers l’Enfer. D’une manière générale, ils apparaissent là où la malignité, la cruauté et la violence des hommes créent un pont avec le Dédale. M’étonnerait pas qu’il y en ait un au beau milieu du City Hall, avec toutes les malversations politiques, les coups de poignard dans le dos et les saloperies qui doivent s’y dérouler quotidiennement. J’ai ainsi entendu parler de gros tarés de cultistes rednecks qui recevaient direct dans leur grange de bouseux la visite d’un avatar d’Asservi. Ça me rappelle d’ailleurs une très sale histoire, celle des trois frères Mc Clung et de leur ferme pourrie de la Valley. Un endroit pas très accueillant, surtout pour les gosses qui y ont été torturés et découpés en morceaux. L’affaire fut résolue par le sergent Joe «  Mountain  » Smith, sacrément en pétard pour le coup. Je n’étais là qu’en tant qu’observateur. On est juste arrivé trop tard pour sauver le dernier gamin. Mais les Mc Clung ont payé, vous pouvez me croire. J’entends encore leurs hurlements… A priori, les Mc Clung, au-delà de leur folie familiale dégénérée, n’avaient jamais eu l’idée d’une quelconque «  invocation  ». Trop sophistiqué pour eux, ce genre de chose. Rien ne peut donc les exonérer de l’atrocité de leurs crimes. Mais l’endroit a été tellement saturé de violence et de douleur que la ferme est aujourd’hui quasiment devenue un hell hole. Il est donc très facile d’invoquer ici, même si j’y répugne. A chaque fois, je crois voir les petits corps suppliciés tendre leurs bras vers moi…

148

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

La plupart des humains ne sont pourtant pas très sensibles à cette aura et ne se rendent pas forcément compte de la proximité du Dédale. Cela contribue toutefois, de manière inconsciente, à la réputation de la Forbidden City. Si près du Dédale, les repères spatiaux ou temporels deviennent un peu flous, les recoins plus bizarres, les rencontres plus étranges et la tentation des Asservis sur votre esprit plus prégnante. Pour le péquin, cela se traduit surtout par une sensation de vertige des sens : on oublie de regarder l’heure et de rentrer chez bobonne, l’alcool grise plus vite et plus fort, la drogue a de drôles d’effets et les petits désirs pervers et cachés de votre âme sont excités. Pour un médium comme moi, c’est tout bonnement exaltant, comme une incroyable fête foraine dans ma tête. Si on ne fait pas gaffe, on peut fort bien se paumer dans les recoins du hell hole et errer à la frontière entre les deux mondes, voire entrer pour de bon dans le Dédale. Le Dédale n’est qu’une version corrompue et distordue de notre réalité urbaine. Ce que j’en ai vu n’est qu’arrière-cours crasseuses, immeubles pourris, grands couloirs vides, chambres d’hôtels distordues et crasseuses, ascenseurs métalliques sans fin, terrains vagues pouilleux cachant mal d’étranges restes organiques, friches et hangars ouverts comme des fours noirs et menaçants. On n’y entend que grincements de chaînes et hurlements étouffés. La perte des repères y est totale. Un séraphin m’a parlé une fois d’une immense vallée rocailleuse plongée dans une glaciale nuit perpétuelle, mais je n’ai jamais vu cet endroit de mes yeux. Même pour quelqu’un d’aguerri comme moi, le Dédale reste un fantasme. Je n’ai soulevé qu’un coin du voile et je n’ai aperçu qu’une portion de cette autre réalité. Et les non-humains, s’ils l’ont connue, n’y sont pas pour autant les bienvenus. Leurs souvenirs sont d’ailleurs trompeurs. Ils n’ont vu que ce que leurs maîtres ont bien voulu leur montrer et le Dédale n’a de substance que celle que les Asservis ont bien voulu lui donner. Ses limites sont floues et sa réalité fluctuante.

LES ASSERVIS DE LEUR NATURE ET DE LEURS SERVITEURS

La première chose à retenir est qu’en aucun cas, les démons n’exonèrent l’homme du mal qu’il fait. Le mal est dans l’homme et les démons n’aident au mieux qu’à le révéler. S’ils réussissent à vous pousser à quelque chose, c’est que vous l’aviez en vous. Fréquenter les démons est donc la dernière chose à faire si vous n’êtes pas vraiment sûr de ce qui se cache dans votre tête ou vos tripes. Les Asservis sont des créatures issues du chaos originel. Elles n’ont pas de substance propre. A l’origine, ils n’étaient même pas vraiment différenciés du reste du Maelström, la notion d’individualité n’existait pas pour eux. Mais à mesure que le Maelström s’est rapproché de notre monde, ils ont peu à peu développé des personnalités et ça leur a plu, ils en ont voulu encore, de plus en plus… Depuis le Jour des Cendres, leur accès aux mortels est bien plus simple et leur quête d’individualité et d’identité se poursuit d’autant plus férocement. Les Asservis ont tissé des véritables nébuleuses de pouvoir, nœuds d’influence, de chantage et de manipulation basés sur les services qu’ils rendent aux humains et les paiements qu’ils exigent en retour. Pour l’humain qui fait appel à eux et signe un pacte, ce sont ces paiements qui comptent et par lesquels il estime ou pas avoir fait une bonne affaire. Mais ce que recherche vraiment l’Asservi, c’est la pointe de haine, d’envie ou de jalousie qui a poussé l’humain à faire sa démarche. Ce coin fiché dans l’âme qu’il va pouvoir affermir, faire grossir comme une putain de tumeur. Au-delà des services parfois terre à terre que l’Asservi exige et qu’il enregistre scrupuleusement, base de son organisation tentaculaire, c’est avant tout un morceau de son client qu’il absorbe. Une part de son identité, de sa personnalité, de son âme, qui l’aidera encore un peu plus à affirmer la sienne. Parce qu’au final les Asservis ne sont que ça : un agrégat de personnalités

tourmentées, d’émotions, de désespoirs, d’ambitions, de haines, de jalousies. Bref tout ce qui constitue le pire de l’humanité. C’est la même chose pour les démons, sous-fifres des Asservis rassemblés de manière plus ou moins serrée en familles. Comme au sein d’une famille humaine, les intrigues sont légion dans ces clans. Alliances, guerres internes ou trahisons, les clans démoniaques ressemblent à une vaste Cosa Nostra surnaturelle. Exactement comme une mafia parallèle, les Asservis tissent ainsi des réseaux d’influence sur notre réalité, mais même leur autorité a des limites. Les démons sont des êtres fantasques et retors et certains refusent de jouer selon les règles des Asservis. Certains continuent à vouloir s’incarner dans des enveloppes charnelles pour profiter directement des plaisirs mortels. D’autres réussissent à se matérialiser directement pour poursuivre leur quête du plaisir et des émotions humaines. Certains enfin ne répondent à aucune hiérarchie. Dans mon jargon, on les appelle les Rogue.

WHO’S WHO DÉMONIAQUE

Il s’agit bien ici de vous parler des Asservis que nous connaissons et fréquentons, parfois à notre corps défendant, dans cette bonne ville d’Heaven Harbor. Les noms sous lesquels ils se présentent vous semblent bien loin des Astaroth ou autres Belzébuth dont on parle dans la Bible ? Peut-être mais c’est comme cela qu’ils se sont présentés à nous, que ce soit directement ou via leurs sbires démoniaques. Les salopards qui suivent sont donc ceux que je connais, ou dont j’ai entendu parler. Leurs réseaux, tant humains que démoniaques, sont vastes et divers. Existe-t-il d’autres Asservis que ceux que je connais ici ailleurs dans le monde, ou s’agitil des mêmes partout, peut-être sous d’autres noms et avatars ? Je n’en ai aucune idée. Je vis à Heaven Harbor, mon ami, et savoir à quoi m’en tenir ici, dans mes rues, me suffit…

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

149

Même ici, on entend des rumeurs concernant d’autres Asservis que ceux que je connais. Je n’ai pu réunir aucune information sur eux. Il est possible qu’il s’agisse des fameux salopards fidèles aux entités aveugles du Maelström et dont ils prépareraient le retour. Ce qui est sûr, c’est que j’ai vu des démons dans cette bonne ville sans parvenir à savoir ce qu’ils venaient y trafiquer, ni pour qui… La forme véritable d’un Asservi peut rendre un humain fou. La plupart du temps, notamment dans le Dédale, ils se présentent donc sous la forme d’un avatar, doté d’une apparence vaguement humaine. Ils peuvent investir un hôte afin de se manifester dans le monde physique mais c’est un cas très rare car la majorité des enveloppes physiques n’y résistent pas. Ils peuvent aussi tout simplement se tenir hors de vue, camouflés derrière un rideau par exemple. Chaque Asservi a aussi

MR JOHNSON

Les buts de certains Asservis sont difficiles à décrypter. Pas ceux de Mr Johnson. Maladivement et compulsivement attiré par le pouvoir, dans ce qu’il a de plus brutal et concret, il entretient le réseau d’influence le plus efficace d’Heaven Harbor, aussi bien humain que nonhumain. Johnson sait que l’argent est l’un des meilleurs moteurs de l’humanité, à égalité avec le cul. Et Johnson aime l’argent. Pas pour ce qu’il lui permettrait d’acheter, naturellement, mais pour le pouvoir qu’il apporte à ses fidèles, la confiance en soi qu’il leur procure, la hargne dont ils font preuve pour le garder et les plaisirs dont ils se gavent lorsqu’il coule à flots… Le réseau de Johnson est une nébuleuse d’investissements, de participations, de malversations financières, de services et de réseaux d’informations. Ses activités plongent au cœur des familles les plus riches d’Heaven Harbor, dans les compromissions des milieux politiques et des industries avec le crime organisé. Tout ce qu’Harbor compte de décideurs, de manipulateurs ou de

150

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

ses lieux de prédilection. Que ce soit dans une salle de réunion pour Johnson ou une cave pourrie pour Pieces… D’autant plus vrai dans les rares occasions où ils décident de se matérialiser eux-mêmes. Mais la plupart du temps, c’est un de leurs sous-fifres qui se présentera. Certains Asservis sont néanmoins très proches de leurs « clients », surtout les plus importants. Ils aiment leur déléguer des hommes de confiance ou même leur apparaître directement, sous leur avatar préféré. Un moyen idéal pour que le gogo se sente flatté, important et unique. D’autres Asservis, les plus cryptiques, s’en foutent royalement et leur réseau est plus lâche. Mais cela peut changer avec le temps ou l’humeur du moment. La vérité est à mon avis très simple : l’intérieur de l’esprit d’un Asservi doit être un tel bordel qu’eux-mêmes doivent fatalement s’y paumer de temps à autre.

magouilleurs est lié, d’une manière ou d’un autre et parfois sans le savoir, au business rampant de Johnson. Il entretient une armée d’avocats qui poussent ses pions et défendent ses droits. Il aime acheter, vendre, posséder et priver les autres de ce qu’il accumule. Il aime les clubs privés, les cocktails, les réunions de soutien, les lobbies. Il est l’incarnation sinistre du rêve américain. Ce qui alimente Johnson, c’est l’avidité des hommes. Leur soif inextinguible de pouvoir. C’est aussi la violence qu’ils exercent sur les autres pour l’obtenir, pour garder leur rang ou simplement parce qu’ils le peuvent. C’est l’esprit du prédateur qu’il réveille en chacun. Lorsque l’on traite avec lui, on sait qu’on devra forcément en payer le prix. Johnson est avide d’informations, de services, de moyens de pression sur ses adversaires, de prises de positions, de soutien et d’assistance – légaux ou illégaux à ses pions. Mais il attend aussi des marques de soumissions, des humiliations, physiques ou mentales. Des actes de violence gratuits, simplement perpétrés parce qu’on peut se le permettre, parce que la loi et la justice

ferment leur gueule… Rien ne plait plus à Johnson que les soirées huppées qui se finissent en partouzes déchaînées. Et si quelques putes sont frappées à en crever et finissent leur soirée dans une décharge publique, ça n’en est que mieux. Le domaine de Johnson au sein du Dédale est une succession labyrinthique de pièces au décor vulgairement riche cachant mal une décrépitude malsaine. Salle d’opéra rococo aux fauteuils pourris, salon de musique surchargé de meubles précieux sentant le moisi, salles de réunion, bureaux et intérieurs bourgeois écœurants. L’avatar qu’il met le plus souvent en avant est celui du Magnat. Corpulent, richement habillé, c’est un homme pressé, très occupé, qui ne veut pas perdre son temps et attend qu’on s’exprime clairement, en mettant en avant les bénéfices qu’il pourra retirer d’une association. Mais sous le costume de l’entrepreneur perce le Prédateur. C’est l’autre personnalité de Johnson, celle qui lui fait parfois oublier le profit et l’influence à l’assouvissement de pulsions brutales. Certains des pires assassins d’Harbor sont secrètement liés à cet Asservi… Sauf si l’on est un client important, il est difficile de rencontrer Johnson en personne. Il délègue beaucoup. Pour ma part, les rares fois où j’ai eu à frayer avec cette engeance puante, j’ai négocié avec Miss Drayne, l’un des démons de Johnson aux allures mélangées de secrétaire coincée et de salope corruptrice. Un de mes collègues a pour contact Paperclip, un démon à tronche de vieux comptable coincé, aux petits yeux lubriques camouflés par des lunettes rondes et à l’haleine fétide. Je me tiens à l’écart de ces gens là autant que je le peux. Les rumeurs sont insistantes sur les liens entre Johnson et les milieux d’affaires d’Harbor. On parle notamment du groupe des 9 mais je n’ai aucune preuve en ce sens. Au vu de la toile d’araignée que représentent les intérêts de Johnson, je n’en serais pas le moins du monde surpris. Ce qui est certain, c’est que les gens de Baxter et Mailer, un cabinet de financiers et d’avoués du Financial District, travaillent directement pour l’Asservi.

MR JOHNSON, ASSERVI, STATUT : 40

MISS DRAYNE, DÉMON DE JOHNSON, MOJO 80, HUMANITÉ 220

PAPERCLIP, DÉMON DE JOHNSON, MOJO 120, HUMANITÉ 100

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

151

Le pouvoir, dans ce qu’il a de plus dur et de plus révoltant, a pour fondement la prise d’ascendant sur l’autre, pouvant aller jusqu’à son annihilation. C’est pourquoi Johnson ne fait guère de différence entre le businessman assoiffé de domination et le tueur psychopathe. Illustration parfaite des pires penchants de l’Asservi, Edward Keller était un tueur sadique qui a bénéficié de toute sa mansuétude. On aura rarement

MR CLAY

S’il y a un Asservi dont je me sens proche, c’est Clay. Alors proche, naturellement, tout est relatif. On ne prend pas nos vacances ensemble et je ne lui tournerai jamais le dos. Mais pour des raisons que j’ignore, il semble m’apprécier – ce qui ne l’a pas empêché de me faire plusieurs sales coups – et pense souvent à moi pour certaines missions. Ce n’est pas que j’aime travailler pour lui ou l’un de ses sbires, mais le salopard connaît mon point faible et sait faire vibrer ma fibre altruiste.

MR CLAY, ASSERVI, STATUT : 40 Clay semble avoir volontairement endossé le sacerdoce de «  policer la frontière », comme il dit. Il pérore à propos de l’équilibre qu’il faut respecter et de la dose de retenue qu’il faut savoir mettre en toutes choses, histoire que les choses restent « mutuellement profitables ». La plupart du

152

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

vu pire pourriture et tout le monde a soufflé lorsqu’un gars du HHPD lui a collé son chargeur dans la poitrine, même s’il avait oublié de lui lire ses droits. La mairie et les flics ont gentiment étouffé la majorité des crimes de Keller, histoire de ne pas effrayer le quidam. On raconte que Johnson a luimême laissé tomber son protégé lorsqu’il a commencé à devenir plus embarrassant que distrayant.

temps, Clay s’intéresse donc aux contrats et pactes signés entre ses petits camarades et leurs avides clients et joue une sorte de rôle d’arbitre, de flic. Un peu comme un bureau de contrôle qui s’assurerait que chacun respecte ses engagements et que personne ne profite de manière trop éhontée de son partenaire. Avec le temps, je crois bien avoir décodé l’un des ressorts de ce bon vieux Clay. Sa véritable came, c’est l’information. La curiosité le dévore et il a besoin de tout savoir, tout contrôler. C’est un véritable taré de l’information. Il a un besoin brûlant de savoir qui contrôle qui, qui manipule qui et qui sait quoi sur quoi. Il collecte, classe et recoupe. Je sais que dans certains cas, il utilise ce qu’il sait pour faire pression sur son interlocuteur… Son rôle autoproclamé de gardien des limites cache un besoin compulsif de contrôle. Dans l’absolu, je pense aussi qu’il crève de trouille : il s’emploie à empêcher les débordements, professe des discours édifiants sur la «  rentabilité mutuellement profitable » des activités entre Asservis et humains. J’ai l’impression que Clay apprécie le statu quo comme il s’est installé à la suite du Jour des Cendres et que le chaos qui pourrait résulter du non respect des « règles » lui fout la trouille. A mon sens, Clay est très bien informé de la réalité des saloperies qui gisent dans le Maelström et il emploie le plus clair de son temps à s’assurer que personne ne tue la poule aux œufs d’or en abusant de la situation. Drôle de penser que d’une certaine manière, la survie de notre réalité dépend en partie de cette ordure.

fois apparu dans Forbidden City, et même en dehors. A vrai dire, il ne semble pas être très friand des visites dans sa partie du Dédale, peut-être parce qu’il cache des choses. Ce que j’en ai vu n’avait toutefois rien d’ostentatoire : de longs couloirs fatigués, des bureaux vitrés et des tiroirs à soufflet que ne renierait pas un privé d’Harbor. NICK VAN LODEN, AVOUÉ ++ / 60, 140, 120 / 30 Que l’on soit Asservi ou client, on fait donc souvent appel à Clay pour régler des cas précis d’abus ou de non respect des clauses. Pour ce que j’en sais, Clay a également bonne presse auprès des puissants. Il a notamment aidé les flics à plusieurs occasions, souvent par mon intermédiaire, par exemple dans les cas où un connard de démon s’imagine pouvoir fouler aux pieds les règles et s’incarner dans notre bonne ville pour en sucer la moelle. J’ai vu au moins une fois le conseiller occulte du maire, Peabody, traiter avec Clay et il est certain qu’il entretient des liens avec la mafia En gros, tout le monde compte sur lui pour que les choses restent acceptables pour tous et que les vagues restent limitées. C’est souvent là que j’entre en scène, dans les cas d’abus, du genre démon un peu trop gourmand ou conneries de possession. C’est un peu mon fond de commerce et qu’il m’embauche directement ou qu’un tiers fasse appel à moi, je me retrouve souvent face à Mr Clay. Je n’ai jamais bien compris si Clay était craint par les autres Asservis ou s’ils s’en servaient comme d’un pantin. La seule chose que je sais, c’est que Clay est à ma connaissance le seul Asservi capable de faire reculer Johnson. Clay aime rencontrer ses clients ou ses contacts en personne. Son avatar est toujours très sobre, classe et tiré à quatre épingles. Il aime les rencontres informelles, c’est même l’un de ses signes particuliers. Clay semble avoir une facilité à franchir les limites du Dédale assez impressionnante, ce qui m’a toujours inquiété. Il m’est plusieurs

TRAVIS, DÉMON DE CLAY, MOJO 200, HUMANITÉ 150

LE BIBLIOTHÉCAIRE, DÉMON DE CLAY, MOJO 80, HUMANITÉ 150 Le réseau de Clay semble sans limite. Les démons qui bossent pour lui ressemblent généralement : discrets, efficaces et bien renseignés, camouflant leurs dépravations sous une apparente bonhomie. J’ai passé pas mal de temps avec le Bibliothécaire, un des démons employés par Johnson pour classer son incroyable masse de documentation, une tronche de fouine que ne renierait pas le patron de Whispers, toujours à l’affût de la moindre bribe d’informations. Travis

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

153

entretient pour son patron un tout petit réseau uniquement composé de démons très spécialisés, qu’il « loue » aux clients de Clay, qu’ils soient humains ou qu’ils s’agissent d’autres Asservis. Des sortes de super cadors, chacun dans leur domaine. L’Asservi semble apprécier tout particulièrement les séraphins et ils sont nombreux à travailler pour lui. Clay utilise aussi de nombreux relais humains

PIECES

De tous les Asservis avec qui je suis entré en contact, à l’exception de Six of Ten, Pieces est celui que j’ai été le moins capable de décrypter. Je serais bien en peine de vous dire ce qui le motive. Il est pourtant très actif. A mon sens, ce n’est qu’un fou psychopathe que la majorité des invocateurs privés se gardent bien de déranger. Ses clients sont plutôt des marginaux, des désespérés prêts à tous les risques et toutes les compromissions. Pieces est plutôt difficile à prévoir, il tue facilement, il aime la douleur et la violence et il privilégie les dingues. Pieces a une très forte influence dans Hoboland où plusieurs hordes de clodos décérébrés semblent travailler pour lui, lui rendant une sorte d’admiration malsaine au point de se scarifier, d’organiser des combats rituels ou de faire des descentes punitives dans les wagons squattés, à coups de manches de pioche et de planches cloutées. En ville, il privilégie les quartiers les plus délabrés, les voisinages les plus miséreux. La colère de ceux qui n’ont rien semble particulièrement l’attirer. La violence gratuite et la bêtise aussi. J’ai vu son ombre derrière plusieurs gangs de jeunes merdeux, dans Aisbury Park ou du côté des Fields. Sans surprise, il adore la dope dont il alimente apparemment plusieurs réseaux en cheville avec des trafiquants bien humains. Au point de s’être retrouvé quasiment en opposition frontale avec des caïds de la mafia. Dans ces cas comme dans les autres, aucune finesse. Leur marchandise

154

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

comme ce bon vieux Nick Van Loden, une sorte d’avoué officiant depuis un bureau vieillissant de Carnelly Hill. Mélange entre un majordome anglais et un vieux prof de grec, Nick semble servir de secrétaire et de représentant à Clay. C’est toujours lui qui me signe mes chèques. Ne serait-ce son goût immodéré pour les chaînes et les fouets dans l’intimité, je considérerais presque Nick comme un ami.

est souvent pourrie, coupée au point d’être inefficace en plus de dangereuse. Les nervis qui bossent pour lui ont la violence pour seule réponse et l’augmentation régulière de celle-ci dans des endroits comme Aisbury Park n’est pas pour me rassurer. Encore une fois, les Asservis ne provoquent pas la haine et la violence : ils en profitent et s’engraissent dessus. Le dénuement dans lequel on laisse certaines zones de cette ville ne peut que lui profiter. Aux gangs plus ou moins liés au réseau de Pieces, j’ai pu rattacher pas mal de sales coups en plus de la dope : braquages de boutiques ou de camions, prostitution forcée, racket sauvage. Inutile de dire qu’il contribue plus qu’à son tour à la bonne atmosphère d’Heaven Harbor. Son réseau de démons est vaste mais là encore, on n’y trouve que la lie. C’est par exemple le cas de Philby, une espèce de vieille chose fripée puant le charnier, enveloppé d’un trench trop large pour lui, aux mains parcheminées de momie. Il s’occupe principalement des fameux trafics de substances chers à Pieces. Je me suis heurté à lui en recherchant un jeune gars qui avait disparu après une dispute familiale. Je l’ai retrouvé dans une vieille baraque, dans les Fields, camé jusqu’à l’os en compagnie d’une demi-douzaine de junkies tout aussi délabrés que lui. Philby se servait d’eux pour tester sa merde. Je me suis assuré que les gamins soient correctement pris en charge, même si aucun d’eux n’a une chance de véritablement s’en remettre, et puis j’ai fait cramer la cahute. Philby m’en veut terriblement depuis. Je l’attends, ce fumier.

Chose marrante, Pieces est le seul Asservi qui semble aimer à s’entourer de possédés. Les autres le font par nécessité, tout en les méprisant, lui semble les apprécier. L’infâme Barney Boddle est un bon exemple. Ce démon merdique a possédé lors du Jour des Cendres le corps bouffi d’un obèse mort d’une crise cardiaque. On le voit souvent sur le port, revendant sous le manteau tout un tas de camelote volée, laissant traîner ses oreilles sales et ses sourires mielleux. C’est le principal informateur de Pieces et si l’Asservi a besoin de faire passer un message, c’est souvent par lui qu’il transite. On m’a dit que Barney aimait les petits garçons. Il fait partie des ordures que je lesterais bien de plomb, juste pour me détendre. Faudra que j’y pense à l’occasion. Du coup, avec son organisation chaotique et incontrôlable, Pieces ne peut que marcher sur les plates-bandes des autres. Les intérêts de Johnson dans le crime organisé, particulièrement, ne sont guère en phase avec les actes de Pieces. Mais celui-ci semble regarder tout cela avec un certain détachement, affirmant qu’il ne pilote en réalité rien, se contentant de donner un coup de main à ceux qui le lui demandent sans pour autant endosser la responsabilité de leurs actes. A l’occasion, il n’hésite d’ailleurs pas à punir sauvagement certains de ses protégés, lorsque Clay hausse le ton par exemple. On ne retrouve alors que des morceaux. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne sait pas où part le pognon prélevé sur les saloperies perpétrées par ses contacts. Lui-même ne semble pas l’utiliser et il n’investit pas comme pourrait le faire un Johnson. Peut-être bien qu’il le crame, juste pour le plaisir. Je n’ai vu qu’une fois l’avatar de Pieces. Pouilleux, la gueule en morceaux rapiécés, c’est une vision qui n’aide pas à dormir la nuit. Son coin de Dédale ressemble à une décharge et partout où il passe, on écrase des saloperies de cafards juteux.

PIECES, ASSERVI, STATUT : 40

PHILBY, DÉMON DE PIECES, MOJO 100, HUMANITÉ 120

BARNEY BOODLE, SALOPARD POSSÉDÉ + / 100, 60, 100 / 0

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

155

ASHES

Ashes a la particularité de ne s’intéresser qu’à une seule chose : le sexe et ses diverses manifestations, même et surtout dans ce qu’elles ont de plus extrêmes. Contrairement à Johnson, qui n’y goûte que pour la soumission et le rapport de domination, ce qui branche Ashes, c’est l’éclate des sens, la recherche permanente de nouveaux plaisirs et de nouvelles formes de débauche. C’est sans doute l’une des Asservis les moins complexes, surtout intéressée par le moment immédiat. S’il lui arrive à l’occasion de jouer à l’intrigante, elle se tient la plupart du temps à l’écart des manigances des autres Asservis, de leurs réseaux d’influence et de leurs agents. Elle est trop sanguine pour faire une bonne comploteuse. Elle se contente de développer son propre culte, qui prend parfois des proportions inquiétantes. C’est sans doute la seule Asservie à goûter autant d’être présente parmi ses fidèles et de les inspirer. Aucun autre Asservi sauf, peut-être Six of Ten mais d’une manière plus mystique, n’a cette espèce de volonté de passer pour un pouvoir quasi divin. Elle apparaît au milieu des partouzes de ses adorateurs, dans des mises en scène orgiaques soignées, utilisant soit son avatar androgyne, changeant de sexe à volonté, soit possédant des humains, volontaires ou contraints. Parfois, ça dérape et Clay doit y mettre bon ordre. Le culte qui se développe autour d’Ashes est assez complet : certains utilisent des icônes, des représentations, des autels et mettent au point des cérémonies complexes et ridicules à base de niveau d’initiation. Elle semble apprécier. Je sais pertinemment que certains de ces connards ont été beaucoup trop loin. Il faut dire qu’Ashes offre surtout ce dont rêvent ces pervers : du plaisir brut, sous toutes ses formes. Cette cour de junkies obsédés du cul a ses avantages. Ses adorateurs se livrent complètement à elle, lui donnent et lui disent tout. Ashes est elle-même accro à ses débauches mais elle n’est pas bête : elle sait voir où est son intérêt et elle est toujours prête à exploiter les faiblesses de

156

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

ses « clients », parfois à la demande d’autres Asservis en quête d’informations ou de moyens de pression. Ses partouzes sont le lieu idéal pour piéger un pigeon. Des photos sont prises, des documents sont volés et des secrets révélés dans un râle de plaisir. Elle constitue ainsi une base d’informations pléthorique facilement monnayable en services. Johnson et Clay y ont souvent recours. Mais elle se garde bien d’entrer dans les luttes d’influence de ses camarades, préférant son coin de Dédale, un lupanar aux proportions dantesques où être admis est le rêve des accros qui se bousculent pour adorer leur déesse. On associe assez facilement les succubes à Ashes, qu’elles fassent partie des cornus d’Harbor ou qu’elles soient restées dans le gigantesque hôtel de passe que représente le Dédale façon Ashes. C’est à la fois vrai et faux. Vrai parce que certaines des plus éminentes succubes sont effectivement liées à l’Asservie. C’est notamment le cas de Madame Ysabelle Robinson qui officie au beau milieu de l’océan puritain de Remington Heights. C’est aussi le cas de Veronica Smith, patronne d’un des plus gros bordels de la Forbidden City, beaucoup moins glamour que les soirées fines de Mme Robinson. Faux, car de nombreuses succubes ont justement fui le Dédale lors du Jour des Cendres pour échapper au contrôle d’Ashes, très proche de l’esclavage. Faux aussi parce que des succubes travaillent pour d’autres Asservis, parfois à des postes à responsabilités. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le bras droit d’Ashes n’est pas une succube, mais un séraphin du nom d’Anthony, qui tient une boutique d’antiquités à Carnelly Hill et organise pour elle des soirées très privées. N’aurait-elle donc pas confiance en celles que l’on nomme parfois ses « filles » ? Typique des démons affiliés à Ashes, et peut-être son favori, A.k.a, « le démon aux milles visages », est imprévisible et fantasque. Il aime les humains pour ce qu’ils sont, ce qu’ils réalisent et créent. Cela ne le rend pas moins dangereux : il les aime tellement qu’il lui arrive de les casser…

SIX OF TEN

Ne demandez pas pourquoi elle se nomme ainsi.Y a-t-il dix Asservis ? Y a-t-il un quelconque ordre qui ferait d’elle la sixième ? J’en sais foutre rien. D’ailleurs, personne ne sait rien sur Six of Ten, à part qu’elle est totalement flippée, impossible à prévoir ou à comprendre. Je dis elle car c’est un des rares Asservis, avec Ashes, à privilégier un avatar féminin. Ce n’est pour autant que ça nous éclaire sur ses motivations. ASHES, ASSERVIE, STATUT : 30

SIX OF TEN, ASSERVIE, STATUT : 30 ANTHONY, SÉRAPHIN ORGANISATEUR DE SOIRÉES PRIVÉES ++ / 100, 80, 180 / 20

A.K.A, DÉMON DE ASHES, MOJO 80, HUMANITÉ 180

Si Six est aussi imprévisible, c’est peutêtre parce qu’elle est la plus proche du Maelström et des choses qui y dorment. D’après ce que j’ai recueilli auprès de ceux qui l’ont fréquentée, elle semble particulièrement attirée par la manipulation de la réalité. On raconte ainsi que c’est elle qui a créé les séraphins à partir du chaos brut. Si c’est vrai, elle est peut-être l’Asservi le plus puissant. Son réseau, peu organisé, est très lâche Elle semble privilégier les individus solitaires mais puissants. Certains des démons qui bossent pour elle sont parmi les pires fils de pute que j’ai jamais croisés mais il faut reconnaître qu’ils sont bons, bien trop bons. C’est notamment le cas de celui qui se fait appeler Andrew et qui semble investir notre monde au travers d’involontaires porteurs avec une facilité déconcertante. Je me suis plusieurs fois heurté à lui et je ne l’ai jamais coincé. Même Clay semble circonspect à son égard. Même chose pour les humains avec qui elle commerce. Les invocateurs qui traitent avec elles sont de sacrées pointures.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

157

Insaisissable, Six n’a qu’une seule faiblesse visible  : l’apparat. Elle sembler adorer l’idée de voir se développer des cultes à sa personne. Six est l’Asservi de prédilection des cabalistes et autres ésotéristes de salon, amateurs des soirées costumées, des cérémonies d’intronisation, des serments solennels et des branlettes pseudo religieuses. Soi-disant qu’elle les aiderait à comprendre l’univers. Reste qu’elle ne fait quasiment jamais l’effort de se déplacer en réponse à leurs élucubrations, ni même de leur envoyer un représentant assermenté. Elle se mérite, qu’il paraît. J’espère surtout qu’elle a un sens de l’humour bien caché et qu’elle se fout de leur gueule. Si la plupart des groupes épars se tiennent à carreau, se contentant de se réunir entre illuminés farouches de conserver leurs petits secrets, quelques uns se sont révélés dangereux. Terrence Partridge est de ces gourous frappés qui s’aventurent dangereusement loin. Son truc à lui et ses disciples est de servir d’hôte volontaire à des possessions spectaculaires. Une façon d’abattre les ponts entre les hommes et le Maelström dans lequel Partridge professe que les élus se dissoudront un jour pour renaître. Un salmigondis de profondes débilités qui a entraîné plus que son lot de problèmes. Depuis une très méchante affaire, Partridge se tient un peu plus tranquille mais les réunions continuent dans sa belle villa de Mullberry Hills, à l’abri grâce aux solides relations de papa Partridge. Reste que je n’ai aucune idée de l’implication de Six of

Ten dans ces délires, même si les cinglés se réclament d’elle. Je serais bien en peine de vous dire à quoi peut ressembler les morceaux du Dédale assujettis à Six of Ten. A vrai dire, je ne sais même pas si elle en a.

ANDREW, DEMON DE SIX OF TEN, MOJO 250, HUMANITÉ 70

TERRENCE PARTRIDGE, GOUROU ILLUMINÉ + / 60, 80, 160 / 20

TRAITER AVEC LE DIABLE

Mécanique infernale  : tout cela ne vous a pas suffisamment alarmé et vous voulez maintenant savoir comment contacter les Asservis ou leur clique  ? Vous voulez y aller ? Dépasser les limites de votre propre perception ? Soit. Je vous aurai pourtant prévenu. Bien sûr, la démonologie est à la mode à Heaven Harbor et on se la joue fêtes païennes et orgiaques, rituels et cérémonies. Tout crétin qui se dit sorcier, médium ou initié se fait du fric en arnaquant les bourgeois. On mêle de l’exotisme maléfique aux partouzes. On raconte qu’on fricote avec le vrai pouvoir occulte. En réalité, comme pour la mafia, le mal, s’il est bien présent, est plus caché : on en parle plus qu’on ne le voit. Les incapables sont légion et le premier piège est de ne pas en faire les frais. Pour commencer, oubliez tout ce qu’on vous a appris et toutes les conneries que vous croyez connaître. La « véritable » démonologie n’a aucune base judéo-chrétienne. Et de ce que j’en sais, elle n’a aucun rapport avec aucune autre religion. Et pourtant ça marche. Vous trouverez des invocateurs spécialisés dans les salamalecs, que ce soit du Vaudou ou de l’ésotérisme. Rien de plus normal, le quidam n’a aucune idée de la réalité de ce qu’il entrevoit et les entités n’ont qu’une envie : entrer en contact avec nous et en abuser. Ce n’est pas le type de colifichet que vous agitez qui va les empêcher de le faire. Et ils vont pas non plus perdre du temps à vous expliquer la vie. Donc, si pour la majorité des harborians, démon équivaut à Satan, à cornes et sabots et à l’enfer biblique, allons-y. La seule et unique chose qui permet le contact avec le Dédale et les Asservis, c’est votre jus interne. Le fluide, on l’a ou pas. Plus on l’a, plus on peut taper haut. Les rituels ne servent à rien de plus que de vous permettre de focaliser votre volonté. Bien sûr, certains aiment le décorum, ça impressionne toujours le client. Mais gardez à l’esprit que tout cela, c’est du pipeau. La vérité est qu’aucune tradition ésotérique ne vous permettra de pallier au manque de fluide. Que vous apparteniez à un culte dément d’adoration des Asservis n’y changera rien.

D’ailleurs, ne croyez surtout pas ceux qui vous disent que l’ésotérisme est un truc sérieux, un machin d’ascète ou d’ermite érudit en robe de bure. C’est sans doute la pire bêtise que vous pourriez croire. La connaissance livresque ne vous sauvera pas des Asservis. Dealer avec eux, c’est un truc d’allumés, de joueurs de poker, d’arnaqueurs. Tout revient à cela : qui arnaquera l’autre le premier… Invoquer un démon nécessite en fait de connaître son nom et de se tenir dans un endroit propice. Aussi simple que cela. Idéalement, savoir à quelle hiérarchie il se rattache est idéal pour ne pas se planter. Comment les connaître ? Il n’existe aucun annuaire et il va falloir vous constituer le vôtre. Il n’y a qu’en recoupant les informations, en achetant des renseignements, en sondant les démons invoqués et en les piégeant que vous y parviendrez. La plupart du temps, son carnet d’adresses est d’ailleurs la seule vraie richesse d’un invocateur privé. C’est ce qui lui permet d’invoquer le bon interlocuteur en fonction du besoin de son client, en maximisant les bénéfices par rapport aux risques. Celui qui invoque sans précaution et sans connaissance préalable pourra facilement être trompé et invoquera n’importe qui, comme un Rogue qui lui bouffera l’âme directement ou l’utilisera comme véhicule pour jouer au con dans les rues d’Harbor. C’est un métier, pas un passe-temps. Des règles  ? Oubliez les conneries à propos de règles, d’interdits, de tabous et de vielles obligations. Connaître le nom d’un démon vous permettra de l’invoquer, en aucun cas de le contrôler. C’est comme un numéro de téléphone, pas un truc cryptique vous donnant un ascendant sur lui. Les êtres infernaux n’ont aucune autre règle que celles qu’ils s’imposent. Leur seule limite est la conscience qu’il ne faut pas aller trop loin. Les autorités du monde infernal n’imposent des règles à leurs ouailles que parce que celles-ci les servent. C’est l’unique raison. Les meilleures règles du monde ne vous protégeront pas si un Asservi prend un coup de sang ou décide de faire de votre cas une affaire personnelle. De même, la seule règle importante qui s’impose à vous est de ne

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

159

jamais leur faire confiance. On ne devient pas ami avec un Asservi ou un démon, même s’ils aiment à vous le faire croire. N’oubliez pas : leur force, c’est que vous n’y connaissez rien. Vous ne connaissez pas leurs limites, leurs forces ou leurs faiblesses. Vous ne savez même pas si celui qui répond à votre appel est bien celui qu’il dit être. Ces salopards là ne connaissent qu’un seul moyen de fonctionnement  : le mensonge. Moins vous en savez – et plus vous croyez en savoir – plus ils seront à l’aise pour vous arnaquer. Ne prenez jamais une chose pour acquise. Jamais, même si vous traitez avec la même bestiole pour la cinquantième fois… Une fois la bestiole invoquée, il faut négocier. Là encore, les services d’un pro sont tout à fait les bienvenus. Les magouilleurs les plus experts savent négocier avec ces esprits retors. Et vous connaissez plus retors qu’un avocat, vous ? Entre nous, je les classe dans la même catégorie de nuisible que les démons. Ils se sont bien trouvés, et en dehors de toute loi, les avocats vous proposent un pacte mutuel aux petits oignons, spécifiant bien les devoirs et obligations des deux parties qui contractent l’accord. Ça peut se faire oralement, en crachant dans sa main, ou très solennellement, en signant un contrat en bonne et due forme dans un cabinet aisé de Remington Heights. En l’état, ça vaut ce que

160

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

ça vaut : rien n’oblige un démon à respecter sa part du marché. Mais un Asservi n’aimera pas beaucoup qu’un de ses subordonnés ne tienne pas sa parole et son rang : il a un réseau de services à entretenir. Une sorte de question d’honneur biaisée. Il risque aussi de voir le client s’adresser à un autre le prochain coup. L’un des Asservis, Mr Clay, s’est même fait une spécialité d’assurer le respect des contrats. Dans les deux sens. Mais encore une fois, tout cela, ça vaut ce que ça vaut. Un parrain de la mafia vous promet un truc et ne tient pas sa promesse : vous faites quoi l’ami ? Vous allez lui péter les genoux au manche de pioche  ? Bon courage. Ben, c’est un peu pareil avec les Asservis. Sauf qu’ils n’ont pas réellement de genoux… Malgré tous mes avertissements, vous êtes sur qu’un pacte résoudra vos problèmes ? Ok, alors voilà une bonne adresse. Ça va vous coûter un max de pognon, mais votre âme mérite au moins cela et on ne fait pas mieux que Clayton, Grover & Gramercy. C’est le nec plus ultra. Naturellement, leur cabinet art-déco est situé dans les beaux quartiers de Remington Heights. Leurs plaques n’indiquent pas qu’ils commercent avec le Dédale mais croyez moi, c’est aujourd’hui leur business le plus rentable. Leur travail est sérieux, froid, posé et ils vous rappelleront clairement les risques que vous courrez. Ils

se réservent le droit de ne pas donner suite à votre demande si celle-ci est « ouvertement illégale ». Rassurez-vous, ils prennent tout ce qui se présente à moins bien sûr que vous ne soyez un fugitif activement recherché où que vous n’ayez en tête l’annihilation d’un pâté de maison. Je déteste cordialement ces poseurs mais il faut l’avouer, ils sont à la hauteur de leurs tarifs. Si vos moyens sont limités, je vous conseille Thelma Shoonmaker. Son bureau est dans Downtown, à quelques encablures de la Forbidden City. Ne vous fiez pas à ses airs d’assistante sociale à lunettes. Thelma est dans le business pour le fric, comme tous les autres. Elle est loin de bénéficier du carnet d’adresses et des ressources de C, G & G mais elle bosse sérieusement et saura régler les détails de votre pacte. Dans les deux cas, ce sont les avocats qui s’occuperont de trouver l’invocateur le mieux adapté à vos besoins. Le trouver par vous-même est possible mais particulièrement dangereux. Quand à moi, inutile d’y penser. Je ne prends pas de clients et entre nous, je ne suis pas si bon. Trop de scrupules…

THELMA SHOONMAKER, AVOCATE DÉMONISTE ++ / 50, 180, 80 / 10 Une fois votre petite affaire réglée, gardez bien en tête les conditions et obligations du contrat. Et croyez-moi, ceux qui y touchent en se jurant que ce sera l’unique fois finissent tous par replonger. Mon conseil est simple : gardez scrupuleusement la trace de tout ce que vous aurez signé et de tout ce que vous aurez conclu. Et remplissez toutes vos obligations. Ne jouez pas avec ça…

Pactes et pouvoirs : j’imagine que si voulez joindre un Asservi, c’est pas pour sa discussion, mais pour lui demander quelque chose. Je ne connais pas leurs limites. Par principe, j’aurais tendance à penser que les Asservis peuvent quasiment tout se permettre depuis le Jour des Cendres. Ils ont un pouvoir sur la réalité et en y injectant l’énergie du Maelström, ils peuvent la modifier. Quand aux démons qui bossent – ou pas – pour eux, c’est pareil mais à plus petite échelle. Alors j’imagine qu’il suffit de demander. Mais tout ce qui transite par le « trou » l’agrandit. Plisser le temps, la matière ou l’espace, c’est ouvrir un peu plus la brèche Et ça c’est mal. Ça peut provoquer le réveil des monstruosités qui gisent de l’autre côté. Et la dernière chose que les Asservis veulent, c’est les réveiller. Ça signifierait la fin de la récréation. Par ailleurs, le but d’un Asservi n’est jamais la domination complète. Au contraire, leur friandise c’est la petite étincelle mauvaise qui brille au cœur de l’homme et le pousse vers sa damnation. Ils ont besoin que les gens agissent par eux-mêmes, fassent des choix personnels, s’engagent dans la perversion de leur plein gré. Un Asservi ne va jamais utiliser toute la plénitude de son pouvoir pour aider un de ses pions. Ce n’est pas son intérêt. Il vaut mieux le laisser se débattre jusqu’à ce qu’il demande de l’aide ou qu’il transgresse de nouvelles limites. Un Asservi est une araignée au milieu de sa toile, se nourrissant des vibrations des gens qui s’y engluent, mais qui évite d’en provoquer lui-même pour ne pas déranger l’ordonnancement naturel du chaos humain, un maelström qui n’a rien à envier à celui d’où il vient. Clairement, les Asservis dealent principalement de l’influence et de l’info. C’est une strate de pouvoir qui est venue s’ajouter à celle déjà présente dans la ville et qui n’a rien de surnaturelle. Après tout, si vous demandez que votre belle-mère disparaisse sans laisser de races compromettantes pour que vous touchiez le joli héritage, peu vous importe qu’un nervi de la mafia lui règle son compte ou qu’un trou sulfureux s’ouvre sous ses pieds pour la précipiter en enfer.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

161

Seul compte le résultat, non ? Les Asservis ont suffisamment de pouvoir «  temporel  » pour régler la majorité des problèmes qu’on leur soumet sans toucher à l’énergie du Maelström. Hé oui, c’est la vérité  : ces salopards s’économisent ! Il arrive toutefois qu’un démon ou un Asservi se remue vraiment le cul pour un client. Deux règles semblent présider à leurs « dons ». D’abord, c’est assez aléatoire et à la vue de la nature du Maelström, ça n’a rien d’étonnant. Deuxièmement, l’Asservi demandera toujours au receveur un sacrifice

personnel, qu’il soit physique ou moral. Quelque chose d’important, qu’on est obligé de laisser derrière soi et qui va venir s’ajouter à la collection de l’Asservi. Ces pourritures ne vivent que pour ça. Typiquement, les Asservis adorent marquer le corps de leurs clients spéciaux, par tatouage ou scarification. Un peu comme s’ils marquaient du bétail. Pratiquement, le client va recevoir purement et simplement un morceau de Maelström, comme un lien avec la spirale démente. Et ce truc, c’est du pur chaos. Se lier avec, ça tâche et ça laisse des traces.

La majorité des services rendus par les Asservis ne sont pas surnaturels. Et même leurs cadeaux surnaturels ne sont pas de nature à changer drastiquement la réalité, de peur qu’une entité du Maelström ne renifle la transaction. Il arrive toutefois, par jeu ou par défi, qui sait, qu’ils aillent un peu plus loin… Ces « clients » vivent tous dans ou autour d’Heaven Harbor. Walter Penningham, fondateur d’un empire industriel, a toujours voulu connaître l’avenir. Depuis qu’il a fait le sacrifice de ses deux yeux dans le cadre d’un Pacte avec l’Asservi Six of Ten (il est donc irrémédiablement aveugle), il a des flashs sur l’avenir proche, des visions incoercibles et parfois très flippantes. Il n’a qu’un contrôle très relatif sur ce qu’il voit. Mais le peu qu’il entrevoit et comprend lui a permis de faire fructifier ses investissements au delà de ce qu’il croyait imaginable. Alors, pour que ça continue, il est prêt à endurer les atroces migraines et les abominables cauchemars qui l’assaillent en permanence. Howard Goldman a cru qu’il rêvait lorsqu’il a pour la première fois embrassé Diana. Comment cette jeune et sublime créature, intelligente et cultivée, pouvait-elle être tombée amoureuse du petit tailleur juif au physique ingrat, dépourvu de classe et de distinction, devenu entrepreneur à la force du poignet ? Le doute est comme un poison. Quand allait-elle se rendre compte ? Quand allait-elle le quitter, brisant à jamais sa vie ? Depuis qu’il a signé son pacte, il est rassuré même si ça lui a coûté tout ce qu’il possédait : elle l’aimera pour toujours, elle aura toujours besoin de lui. Bien sur, c’est parfois dur de la voir en proie à ses crises de folie, avaler des insectes, se vautrer dans ses excréments, scarifier ses bras et hurler comme une damnée. Mais il est là pour elle. Il le sera toujours. Bill Mc Cowley est un dur. Il a tracé sa route depuis la rue jusqu’au sommet. Il n’a jamais hésité à tuer. Avec le temps, il s’est fait des ennemis, des gens puissants et dangereux. Lorsqu’il a souhaité, avec légèreté, devant l’un de ses contacts démoniaques, « pouvoir tous les tuer de mes mains nues », il n’en espérait pas tant.

162

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Mais M. Johnson a été efficace. Depuis, ceux qu’il a touchés sont morts en quelques jours, victimes d’une atroce maladie dégénérative. On le craint à nouveau. Mais depuis qu’il a involontairement été touché par sa cadette, qui est morte comme les autres, Mc Cowley ne vit plus que reclus dans une chambre de sa grande maison. Voilà deux ans qu’il n’a plus touché sa femme et ses autres enfants... Martha Middleton, héritière de l’empire Middleton, a toujours vécu avec l’assurance que ses moindres désirs seraient immédiatement comblés. Comment supporter, alors, de vieillir ? Comment accepter d’entendre un crétin de médecin lui annoncer sa fin prochaine  ? Mais depuis qu’elle a trouvé de nouveaux associés, tout va bien. Naturellement, elle a donné la gestion de ses avoirs financiers à leurs avocats mais cela vaut mieux que de ne pouvoir profiter de ses dividendes, non ? Même si elle doit camoufler les étranges excroissances qui recouvrent son abdomen, même si elle doit quotidiennement satisfaire d’horribles appétits et que sa propre voracité l’effraie, l’essentiel est assuré : elle est là. Et elle entend rester là encore longtemps... Carlo Strozzi est un sale camé. Jusqu’à l’os. Il le sait bien, il ne se cherche pas d’excuses. C’est juste trop bon. Il a tout bousillé autour de lui mais c’est pas grave, tant qu’il survit jusqu’à la prochaine dose. Alors quand un envoyé de Pieces lui a proposé le trip ultime, il a signé tout de suite. Et il ne regrette pas. C’est comme un putain d’orgasme permanent, comme un feu d’artifice dans sa moelle osseuse, comme du plaisir liquide charrié par ses veines et qui lui explose le cerveau... Pour rien au monde il ne reviendrait en arrière. Surtout pour le petit prix qu’il a payé : il se fout totalement de ce qu’il peut bien faire pendant les périodes où son corps ne lui appartient plus. Ça le reposerait presque, comme une bonne sieste réparatrice. Quand il est de retour, il faut parfois qu’il jette ses fringues et qu’il frotte très fort sa peau pour en faire partir le sang. Rien de bien difficile...

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

163

LES HOMMES DU PRÉSIDENT Ce qui suit relève au mieux de la rumeur, au pire de l’affabulation. Rien ne me permet d’affirmer quoi que ce soit. Il n’y aucun doute sur le fait que les autorités, à tous les niveaux, ont fait, et font encore, commerce avec les Asservis. Personne ne s’en prive, je serais donc très surpris qu’on puisse me prouver le contraire. Mais audelà des magouilles sexuelles du maire Palmer ou de ma propre contribution à quelques enquêtes du HHPD ayant eu recours à des tractations surnaturelles, il reste la question des gros poissons, notamment le gouvernement fédéral. Vous avez entendu comme moi les racontars d’ivrogne sur le gouvernement de mèche avec les cornus. «  Mieux vaut Satan que le communisme !  » ou «  Satan est capitaliste !  » a proclamé Whispers. J’ai souvent entendu qu’après le Jour des Cendres, un pacte de non agression avait été signé entre les Asservis et le gouvernement. L’idée de ce pacte serait simple : les Asservis pourraient faire fructifier leur petit commerce tant qu’ils garderaient les portes fermées et qu’ils empêcheraient la déferlante des cornus Ce qui pourrait expliquer les inquiétudes de Clay… ou pas. Après tout, il est suffisamment taré et n’a pas vraiment besoin d’aide extérieure. Mais le parallèle entre le gros Edgar Hoover et mon Asservi de référence est parfois troublant. Je suis assez enclin à croire quelque chose dans ce goût-là. Pour les Asservis, capables à présent d’influer directement le plan de notre réalité, obtenir un statu quo qui leur éviterait un affrontement direct avec les forces humaines semble être une bonne idée. Après tout, ils ont eux-mêmes décidé de ne pas déclencher l’apocalypse… Au lieu d’un terrible et définitif Armageddon, ils ont préféré une lente mais certaine intoxication des âmes humaines. Du côté humain, là encore, il s’agissait de minimiser les effets de ce qui fut perçu dans l’opinion comme une incroyable révélation. Ce n’est pas être paranoïaque que de noter que les officiels

minimisent à chaque occasion la réalité et la profondeur de ce que nous avons vécu lors du Jour des Cendres. Avec d’autant plus de facilité que cela n’a pas touché toutes les villes, et même pas tous les habitants des villes concernées. Le traumatisme a tendance à s’effacer. Si ce pacte a bien été conclu, il précisait sans doute que les démons se tiendraient à l’écart des affaires humaines, même s’il était bien évident que leur influence serait difficile à discerner. Et il aurait été bien illusoire de croire que cette influence n’existerait pas : les Asservis ont tout intérêt à voir les s’amplifier les passions extrêmes des humains. Si c’est donc bien le cas, le gouvernement a gentiment donné aux Asservis le droit de jouer avec nos âmes. Ce qu’il y a gagné en échange  ? Les Asservis auraient accepté de fermer les vannes, d’empêcher toute nouvelle entrée de créature infernale dans notre réalité tout en s’engageant à ne pas influer sur les destinées des sociétés humaines. J’ai tendance à penser que tout le monde a été pris le pantalon sur les chevilles et qu’ils ont sans doute apprécié de s’en tenir à bon compte. Mais je suis d’un naturel optimiste… Ce qui est effectivement sûr, si tu veux faire de vieux os dans notre belle Amérique en cette bonne année 1949, c’est qu’il vaut mieux croire aux démons que de prendre sa carte du parti communiste. Les rumeurs parlent aussi d’un bureau gouvernemental spécialement créé pour l’occasion, incorporant des éléments du FBI et de l’Air Force et chargé de veiller à ce qu’aucun débordement n’ait lieu. Ces temps-ci, j’ai pourtant l’impression qu’on chasse plus le coco qu’autre chose mais bon, pourquoi pas. J’ai bien croisé quelques G-Men intéressés par les Asservis. Mais il s’agissait d’agents du FBI tout ce qu’il y a de plus classique, c’est-àdire arrogants mais avant tout désireux de monter de jolis dossiers d’accusation. Leur intérêt pour les pactes démoniaques était donc tout ce qu’il y a plus prosaïque et seule ma réputation «  d’arrangeur  »

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

165

m’a valu ces entretiens – un mot un peu exagéré tant ces types là ne savent que poser des questions, pas y répondre… Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’arnaque en cours. Un bon ami à moi, ancien de l’OSS, m’a donné quelques billes sur des savants allemands gentiment extraits d’Allemagne pour servir les intérêts de la grande démocratie américaine. Parmi ceux-ci se trouvait un obscur chercheur en ethnologie, le Dr Helmut Kemper. Il s’avère que ce bon monsieur faisait partie de la clique des ésotéristes tarés qui alimentaient les délires millénaristes d’Hitler. Figurez-vous que je l’ai vu à Harbor, dans la Forbidden City, en grande discussion avec un possédé que je sais proche de « mon ami » Clay. Des magouilles  ? Bien sûr qu’il y en a. Vous connaissez mon avis sur la nature humaine et sur celle du pouvoir. Un pacte au

plus haut niveau  ? Peut-être… Ce serait en tout cas l’un des secrets les mieux gardés du monde d’aujourd’hui. Mais après tout, vous avez vu quelque chose venir avant qu’on ne balance deux bombes atomiques sur le Japon ?

HELMUT KEMPLER, ÉSOTÉRISTE NAZI +++ / 60, 150, 100 / 20

The Harbor La péninsule d’Heaven Harbor est entourée par la mer.Au sud, l’embouchure de la Sio River est devenue un gigantesque chantier en permanente explosion, sous l’impulsion du port de commerce et des chantiers navals. Au nord, tout est différent. Ce que les harborians

appellent «  The Harbor  » commence avec la Marina, qui s’étale sous Carnelly Hill. En remontant la côte, on découvre de belles et longues plages et une nature presque intacte dont une large portion fait en réalité partie de la base militaire de Fort Darrow.

LA MARINA Aucune balade dans Downtown ne peut se terminer sans une virée dans les rues et sur les quais de la Marina, dressée face à l’océan, à l’extrémité du Hook Quarter qu’elle prolonge. Il est d’ailleurs parfois difficile, lorsqu’un habitant d’Harbor vous parle de la Marina, de savoir s’il a en tête les pontons ou les rues adjacentes au Hook Quarter. Gamin, je n’y accordais d’ailleurs pas d’attention. Nos balades se finissaient sur les pontons, histoire d’aller pêcher avec un bout de ficelle.

166

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Heaven Harbor a d’abord été un village de pêcheurs. De ce passé il ne reste rien que les maisons décrépies du Hook, quelques navires de pêche artisanaux aux équipages fatigués et des entrepôts décrépis, à l’abandon, abritant quelques indigents. Il y a longtemps que les pontons de la Marina ont été envahis par les plaisanciers. Aujourd’hui, c’est surtout un lien de promenade. Il est difficile de trouver à Harbor un quartier plus disparate que la Marina.

Comme le Hook, le quartier a longtemps été passé de mode. Mais ses belles maisons sur pilotis ont toujours été entretenues et la présence des plaisanciers a limité la désaffection qui a touché et détruit le Hook. Toutefois, de nombreux riches propriétaires préfèrent amarrer leurs navires dans les charmants petits ports de la côte, plus au nord et ont délaissé la Marina d’Harbor. Tout le quartier subit donc cette double dynamique et présente une double face : à certains endroits flambant neuf, à d’autres sévèrement fatigué. Du coup, les quais se répartissent en deux catégories. La première accueille de luxueux navires de plaisance amarrés à des pontons flambants neuf. La seconde rassemble des pontons vermoulus, parfois augmentés de cabanes de bois pourries. De vieilles coques de noix au fond percé y sont amarrées. Dans tous les cas, il n’est guère conseillé de se déplacer seul, la nuit, dans les allées piétonnes de la Marina : les agressions ne sont pas rares. Les beaux navires amarrés ici disposent de pontons privés protégés par des grilles et surveillés par des vigiles, souvent des flics, qu’ils soient retraités ou désireux d’arrondir leurs fins de mois en cumulant deux jobs. La plupart sont employés par la Cork Security. Fondée par Nathan Cork, lui-même ex-policier, c’est une entreprise florissante à qui l’on reproche souvent d’être bien complaisante à l’endroit de ses meilleurs clients. Elle s’en défend farouchement : après tout, un pourboire laissé à un vigile, même s’il est aussi flic, ça n’a rien à voir avec de la corruption, pas vrai ? A travailler ici, on voit parfois passer du beau monde. Le maire Palmer a par exemple l’habitude de faire des parties de pêche sur le magnifique voilier de Philip Arbison… Parties de pêches souvent doublées de parties de jambes en l’air si on en croit les rumeurs… Une partie de la Marina accueille des entrepôts et des entreprises de rénovation. Troy Pikes a ainsi monté une petite entreprise de maintenance. Il s’occupe des réparations et assure l’entretien de nombreux bateaux amarrés ici. Les tatouages bleus délavés qui ornent ses bras musculeux

ne laissent guère de doute sur son passé tumultueux mais je ne connais personne qui ait eu à se plaindre de ses prestations. On dit toutefois que Pikes a laissé quelques lourdes ardoises auprès de « vieux amis » et qu’on pourrait un jour venir lui demander de solder ses comptes… Ça m’attristerait s’il lui arrivait quelque chose, Pikes fait partie de ces gens que j’aime bien, parce qu’ils sont droits dans leurs bottes, bosseurs et francs. Si vous voulez impressionner Madame en ramenant quelques beaux poissons, vous trouverez dans le coin plusieurs loueurs de bateaux et magasins d’articles de pêche.

NATHAN CORK, EX-FLIC ++ / 120, 60, 100 / 20

TROY PIKES, REPRIS DE JUSTICE + / 160, 90, 80 / 5 Depuis l’installation des casinos sur Lucky Island, le terminal des ferries reliant l’île à Harbor est en plein essor. Les rotations ont été multipliées et cette zone de la Marina est plus active que jamais. Du coup, pas mal de

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

167

monde transite par la Marina. Si vous voulez arriver tranquillement à Harbor, choisissez la Marina. Si vous avez des choses douteuses à convoyer, on pourra aussi vous faciliter la vie. Le HHPD n’a pas d’unité maritime et les garde-côtes sont loin de pouvoir surveiller concrètement toute la côte. Beaucoup d’harborians apprécient La Promenade, large allée de bois liant les différents pontons et avancées sur pilotis de la Marina. On peut y admirer certaines des plus belles et anciennes demeures d’Harbor. A son extrémité, elle débouche sur la Heaven Fairy. Une bonne partie de la Promenade a été rénovée. Il reste malgré tout quelques zones défoncées. L’été, de nombreux commerces et bars sont ouverts le long de la Promenade. Jusqu’à une heure avancée, des promeneurs viennent déguster là un hot-dog et une bière. Les amoureux observent l’océan depuis les nombreux bancs. Combien d’harborians partagent les mêmes souvenirs  ? J’en fais partie et je me souviens comme si c’était hier de la première fille que j’ai pelotée ici, face à l’océan. Si vous voulez goûter aux meilleurs plats de fruits de mer d’Harbor, une seule adresse  : Meredith’s, sur les pilotis. Le restaurant n’est pas très connu et semble un peu crado, mais croyez moi, vous ne trouverez pas mieux. Le homard est juste à se damner et les prix restent plus que raisonnables. L’hiver, la Promenade devient un endroit fantomatique. Tous les emplacements commerciaux sont fermés, barricadés par des planches de bois et seuls

quelques promeneurs courageux arpentent alors la Promenade. Dans le coin, pas grand-chose ne peut échapper à Teddy, un vieil hobo qui survit dans une cabane dégueulasse dressée sur l’un des plus vieux pontons. Son âge est indéfinissable et son odeur abominable. Je pense que ses vêtements doivent à présent adhérer à sa peau. Il pêche souvent au bout d’un des ponts et son fumet si particulier tient éloignés les autres amateurs. Mais le vieux Teddy a des yeux et sait s’en servir : il sait à peu près tout ce qui se passe dans la Marina, à qui appartiennent les bateaux de plaisance et à quoi ils servent, que ce soit pour des coucheries extraconjugales ou des trafics. Lui extirper ces renseignements ne vous coûtera pas cher mais encore faut-il qu’il ne soit pas complètement rond lorsque vous viendrez le questionner.

TEDDY, HOBO CRASSEUX + / 60, 40, 40 / 0

HEAVEN FAIRY Au bout de la Marina, à la pointe nord de la péninsule, se dresse la Heaven Fairy, fête foraine permanente d’Heaven Harbor. En partie construite sur des pilotis de bois, elle surplombe les flots du Pacifique et dresse sa grande roue face à l’océan. C’est sans doute le lieu préféré de la jeunesse d’Harbor durant l’été. Elle s’y retrouve chaque soir, le week-end étant plutôt familial. Les baraques à douceurs

168

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

côtoient les stands de tir, les manèges et les chapiteaux où se déroulent des spectacles crapoteux ou des exhibitions glauques. A part que c’est l’endroit idéal pour s’empiffrer de choses sucrées et grasses, ce n’est pas un endroit que je fréquente énormément. Gamin, j’y ai bien sûr passé des nuits entières avant de me faire rosser par mon père pour être rentré trop tardivement. N’empêche, ça valait le coup.

Malgré la populace, l’endroit n’est pas forcément très sûr  : excités par l’alcool, on ne compte plus les bagarres de jeunes. Les gangs qui s’y retrouvent s’emploient à leurs jeux crétins et à leurs parades de coqs. Il y a aussi beaucoup de jeunes soldats, venus de la base navale. Les échauffourées sont fréquentes, tournant parfois à la semi émeute comme ce fut le cas en 1940 entre les soldats et les jeunes zazous portos. La Fairy est aussi le cauchemar des pères de familles : c’est souvent l’endroit où les jeunes filles bien comme il faut d’Harbor, la tête embrumée par un verre de bière, sont déflorées par leurs petits copains, derrière un stand ou sous un pilotis. Le New Committee of Vigilance a plusieurs fois dénoncé la Fairy comme un lieu de perdition qu’il faudrait absolument fermer, mais elle reste plus que populaire auprès des harborians qui la considèrent comme un des lieux emblématiques de la ville. Après tout, on n’oublie pas facilement l’endroit où on a perdu sa virginité… Reste que quelques rumeurs plus inquiétantes se font régulièrement entendre : des jeunes gens auraient disparu lors d’une virée à la Fairy. Difficile de savoir s’ils ont simplement rejoint le rang des nombreux fugueurs, voyant là une occasion de fuite comme une autre, ou si quelque chose de plus sinistre est à l’œuvre sous les néons de la foire… Forcément la présence, assez récente mais notable, de forains cornus n’a pas arrangé les choses. Plusieurs stands, une tente de diseuse d’avenir et plusieurs exhibitions sont désormais tenus par des possédés, golems ou succubes. D’un côté, la foire est un peu plus sûre depuis que plusieurs golems épaulent les forains gros bras pour calmer les excités. Mais il semblerait que les choses ne se soient pas faites forcément dans la douceur. Les forains d’Harbor forment une petite communauté assez fermée, vivant d’expédients lorsque la foire est fermée, et n’ont jamais été réputés pour voir la concurrence d’un bon œil… Il est de notoriété commune que les forains

trempent dans de nombreux trafics louches et que le recel est pour eux une sorte de seconde nature. Pour ma part, je suis toujours allé à leur rencontre avec un poing américain serré entre mes phalanges et du renfort à portée de voix. A chaque fois, on a fini par m’orienter vers Ma Golpi, une énorme bonne femme aux incroyables bajoues, qui désape chaque soir ses gargantuesques melons sous la tente de « la femme la plus grosse du monde ». Une couronne que je veux bien lui attribuer sans réserve. Apparemment, c’est la femme forte du coin, sans jeu de mots. Peut-être que la moitié des forains sont ses propres gosses, allez savoir.

MA GOLPI, FEMME LA PLUS GROSSE DU MONDE ++ / 120, 60, 80 / 5 L’hiver, la Fairy n’est pas ouverte. Les accès en sont normalement fermés mais il n’est pas bien difficile de s’y introduire. On découvre alors une ville fantôme aux sinistres enseignes bariolées. Les stands sont hermétiquement fermés, grillages et panneaux de bois interdisant le passage. C’est alors le lieu idéal pour une rencontre discrète. C’est ce qu’ont dû se dire les porteflingues des familles Grachetti et Marsella, il y a deux ans. Pas de bol, l’endroit n’a pas inspiré d’intentions pacifiques et le bilan a été lourd des deux côtés dans ce qui reste l’une des plus belles fusillades de l’histoire d’Harbor…

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

169

PARADISE ET CONCEPTION BEACH Laissant derrière soi la Heaven Fairy, on continue à remonter le long de la côte nord de la péninsule en suivant les deux longues plages de sable de Paradise et Conception. Elles ne sont en réalité séparées que par un éperon rocheux s’avançant dans l’océan. Ces deux larges plages sont réputées dangereuses pour les nageurs à cause de leurs eaux froides et de leurs courants qui se révèlent régulièrement fatals aux surfeurs ou

aux baigneurs imprudents. Cela n’empêche pas l’endroit d’être le point de chute de la jeunesse d’Harbor et le coin rêvé pour un pique-nique familial. Quelques belles villas sont construites aux abords de la plage, mais la plus prestigieuse est Emerson Estate, qui occupe le promontoire. Malgré mes régulières interrogations, je n’ai pas su déterminer à qui elle appartenait vraiment ni qui pouvait bien l’occuper.

FORT DARROW “All my sorrow Comes from Darrow”

Ballade locale

Après Conception Beach, le terrain s’élève et la largeur des plages se réduit, devenant langues de sable surplombées par des falaises rocheuses de petite taille et des collines herbeuses. C’est ici, aux abords d’une rade naturelle, qu’a été construit Fort Darrow. En service depuis sa création en 1911, il accueille plusieurs unités de la marine et de l’armée US, une rade militaire, un des plus importants hôpitaux militaires de la côte Ouest, un aérodrome, un important cimetière et plusieurs terrains de manœuvres. Notez enfin que Fort Darrow accueille également les navires des gardes-côtes. La zone officiellement couverte par les activités militaires est large et elle est restée en grande partie naturelle. Tout son périmètre n’est d’ailleurs pas grillagé. De nombreux harborians en ont fait un lieu de promenade, notamment ceux dont le hobby est de regarder les oiseaux ou les jeunes en train de se bécoter. Ornithologue ou amoureux, il vaut mieux ne pas tomber sur une patrouille, sous peine d’être éjecté sans ménagement.

170

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Depuis la fin de la guerre, Fort Darrow a naturellement vu son activité se réduire. A cette époque, la rade militaire ne désemplissait pas et l’hôpital débordait de soldats blessés ou tombés malades dans le Pacifique. Plus de 120 000 personnes vivaient dans ou aux abords de la base. On construisit aussi à la va-vite des zones de contention pour les familles japonaises internées pour «  raisons de sécurité nationale ». A l’époque, Fort Darrow avait la réputation d’une sorte de pays de cocagne où l’on pouvait tout se procurer, pour peu qu’on puisse y mettre le prix. Les bons filons ayant la vie dure, on entend toujours des rumeurs voulant que des marchandises pas vraiment licites transitent par la base militaire. Mais pour les flics du HHPD, Fort Darrow est doublement hors limite. C’est la police militaire qui a autorité ici, et seulement elle. Quant aux environs de la base, ils sont sous la juridiction des services du shérif. Inutile de dire que, fidèle à sa réputation, la police militaire lave son linge sale en famille. Et ce n’est pas le commandant de la base, le Colonel Shawn Sullivan, qui changera cela. Il a la réputation d’être un homme intraitable mais qui fait toujours corps avec ses hommes.

COLONEL SHAWN SULLIVAN, MILITAIRE INFLEXIBLE ++ / 120, 80, 100 / 30

Le cœur de Fort Darrow est le «  Château  », une sorte d’aberration architecturale en briques dont a hérité l’armée en récupérant les terrains au début du siècle. Il accueille le commandement de la base. L’hôpital militaire a été construit au pied du Château et de nombreux baraquements et bâtiments annexes étendent encore les installations. Les familles des soldats sont logées dans de jolis pavillons de construction récente, formant une véritable petite ville aux belles pelouses et aux allées jalonnées d’arbres…

The Sio River Sio River désigne à la fois le fleuve qui se jette dans l’Océan et la zone portuaire d’Heaven Harbor qui s’é tale sur ses deux rives. On entend parfois parler de Warehouse District : ce nom ne désigne normalement que les entrepôts liés au port de commerce mais il est souvent utilisé pour désigner tout l’e stuaire. La puissance d’Heaven Harbor prend sa source ici : dans la chaleur des fonderies et des usines, dans l’agitation des docks et des entrepôts. Ironiquement, c’e st aussi ici que la misère la plus noire broie quotidiennement les âmes...

On pourrait dire que je ne suis pas à ma place dans le Warehouse District. A vrai dire, je suis un fils d’intellectuel et je n’ai pas été élevé dans le dénuement et le désespoir que les gosses des Fields ont chaque jour à subir. Je n’ai jamais travaillé de mes mains, même si certains de mes ex-collègues se font un devoir d’assouplir la couenne des contrevenants à coups de poing. Et pourtant, je me sens chez moi dans le quartier portuaire d’Harbor. J’adore m’y promener le matin, au sortir d’une insomnie. Difficile de dire pourquoi. Peut-être simplement parce que la vie d’ici est dure et que les gens n’ont pas le temps ou le loisir d’avoir recours à des artifices…

LES PIERS ET LE WAREHOUSE DISTRICT Les Piers sont les quais du port commercial et s’étalent principalement sur la rive nord de la Sio River d’Heaven Harbor. Là encore, limites et dénominations ne sont pas nettes : on trouve des quais sur l’autre rive. Forcément, le coin est une ruche. Le commerce international, relancé par la guerre, ne faiblit pas et le ballet des cargos est incessant, tout comme l’agitation auprès des installations portuaires comme les impressionnantes grues de transbordement.

JOHN O’ BANNION, LEADER SYNDICAL ++ / 160, 80, 120 / 30

BOWL, GOLEM GARDE DU CORPS ++ / 240, 60, 60 / 10

172

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

Les gens qui travaillent ici sont durs à la tâche et n’aiment pas trop qu’on les chatouille. On raconte des tas de choses sur les dockers et les employés du port et c’est bien souvent exagéré. Il est certain que le syndicat est noyauté par la mafia, principalement irlandaise. Il est vrai qu’un tas de produits passent ici sous le manteau et qu’un pourcentage de « perte » est toléré par les autorités portuaires parce qu’elles savent bien qu’il faut lâcher du lest. Honnêtement, si cela améliore parfois le quotidien des familles des dockers, ça ne me gêne pas. Vous croyez franchement qu’on fait ce boulot par plaisir, encore moins par choix ? Si c’était le pactole, ça se saurait et les cols blancs du FD débouleraient ici en masse, troquant leurs serviettes pour une paire de gants et un croc de docker, outil symbolique s’il en est, dont l’emploi n’est pas toujours conforme à son utilité première… Il est en réalité totalement faux d’imaginer que tous les dockers sont des truands en puissance. La plupart sont des pères de famille durs à la tâche. Si on n’est pas d’accord avec les magouilles, on ne la ramène pas et tout va bien. Être indiscret est ici l’un des deux seuls impardonnables défauts. L’autre est d’être un tire-au-flanc… John O’Bannion est le grand patron du syndicat des dockers. C’est une armoire à glace aussi large que haute, à la poigne monstrueusement forte. Ses liens avec la mafia de Paddy Hill sont bien connus et il ne se cache pas d’être un ami de Mc Cullen. On raconte qu’il a tabassé à mort à coup de tuyau deux porte- flingues des ritals venus lui expliquer à qui il devait allégeance. De plus, qui veut approcher O’Bannion doit passer sous les fourches caudines de Bowl  : un golem monstrueux à la gueule de pierre à moitié défoncée. O’Bannion a la haute main sur la caisse de solidarité des dockers, alimentée par les contributions de tous ceux qui travaillent sur le port. Il

en use comme il l’entend. Les familles des accidentés, et elles sont nombreuses, n’ont pour l’heure pas eu à se plaindre. C’est une des raisons pour lesquelles O’Bannion est réélu chaque année, depuis plus de 25 ans. Depuis peu, O’Bannion fréquente une petite cornue bien balancée dont on dit qu’il est sacrément amouraché. Au point d’en oublier ses devoirs envers ses pairs ? L’un des endroits que je ne manque pas de visiter lors de mes virées portuaires est le bar de Suzie Lefferts. Oui, c’est un bouge repoussant de crasse mais c’est un bouge comme je les aime. Ici on est accueillant juste comme il faut avec l’étranger et on sait aussi lui foutre la paix et ne pas lui poser de questions. La bière est bonne, ce qui ne gâte rien. C’est toujours le dépaysement assuré, on entend de nombreux accents et en tendant l’oreille, on peut se régaler des fanfaronneries des marins qui tentent d’impressionner cette brave Suzie. Cette femme abîmée par la vie est un ange au visage fatigué mais encore sacrément séduisant. Pas mal de types tombent amoureux d’elle quand les soirées se noient dans l’alcool et je fais partie du lot. Elle et moi, on se voit épisodiquement, sans rien attendre de l’autre qu’un peu de douceur et de réconfort. Si j’étais un type bien, je ferais d’elle une honnête femme. Lorsque l’on s’éloigne des berges et des quais, on découvre d’interminables rangées d’entrepôts. C’est le Warehouse District proprement dit. Près des piers, l’activité est permanente. La majorité des marchandises englouties par Harbor ou convoyées au loin passent par ici à un moment ou à un autre. On ne trouve naturellement pas que des entrepôts ici  : des usines et des ateliers complètent l’activité.

SUZIE LEFFERTS, ANGE DÉCHU ++ / 50, 80, 150 / 5 Plus l’on va vers le nord, plus la zone devient sale et vide pour finalement déboucher sur le Hoboland, la zone de déjection d’Heaven Harbor. Cette portion du Warehouse District est bien sûr un coin que je ne recommande pas à ceux qui s’effarouchent facilement. Certains des entrepôts les plus reculés sont désaffectés depuis des années et Dieu seul sait ce qui peut bien s’y passer. Quelques vieilles maisons de briques décrépies survivent encore entre les hangars et là encore, il y a belle lurette que les propriétaires ont tiré un trait dessus. J’ai traqué jusqu’ici un tueur malade, histoire d’épurer certains vieux comptes. Il s’était terré dans l’une de ces baraques et l’en débusquer fut l’un des pires putains de cauchemars de ma vie. Et si vous trouvez déjà que le HHPD est toujours à la bourre, faites bien attention de ne pas vous faire planter par ici. Personne n’y vient. Jamais. Ou alors pour des choses tellement inavouables qu’on ne sera guère disposé à vous filer un coup de main. Le seul truc qui vit par ici, ce sont les lignes de chemins de fer qui filent tout droit vers le cœur de la ville et Grand Central Station.

HOBOLAND Au bout du Warehouse District, juste après sa zone désertique, commence Hoboland. Une vaste cuvette, anciennement des marécages putrides; forcément inondable. Et une concentration de population à faire pâlir Downtown. Hoboland, c’est un peu la fin du rêve américain : quand on se réveille, on découvre Hoboland. La cité des déchus, des réfugiés et des oubliés. Ici s’entassent les déshérités d’Harbor, ceux qui n’ont même plus envie de se battre, qui ont tout perdu. Un chancre à la lisière de la ville, visible depuis les immeubles de City Hall et dont les remugles peuvent même indisposer Remington Heights, les jours où le vent n’est pas dans le bon sens. Ce que tous les harborians désignent sous le nom de Hoboland n’a aucune dénomination officielle. C’est une vaste zone où s’entassent les déshérités d’Heaven Harbor et des environs. Sur les berges de la rivière, au milieu d’entrepôts pourris et des voies de délestage du chemin de fer, a bourgeonné un invraisemblable bidonville, où les conditions de vie et d’hygiène sont tout simplement déplorables. Cabanes de bois et de tôles, tentes rafistolées, vieux wagons transformés en habitats précaires, caravanes défoncées, voire caisses et cartons pour les moins chanceux… Malgré ce qu’en disent les âmes bien pensantes d’Heaven Harbor, le véritable enfer sur Terre n’est pas dans la Forbidden City, mais bien ici. Le monde ferme les yeux devant la misère de Hoboland et chacun s’emploie à oublier ses habitants. La mairie refuse de gérer ce qu’elle qualifie d’habitat spontané et anarchique. Les propriétaires des hangars du Warehouse District tout proches se contentent de recruter des gros bras et leurs chiens pour tenir les pauvres hors de leurs entrepôts. Même les ouvriers tournent les yeux quand ils se rendent au boulot, trop conscients que le chemin n’est pas si long entre leur petite vie et celle des damnés.

174

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

De temps en temps, on s’émeut dans les beaux quartiers : quelques belles dames viennent se rendre compte du désastre, sous bonne garde quand même. Elles distribuent quelques friandises aux enfants, s’émeuvent à haute voix sur le dénuement de leurs semblables, s’indignent de l’immobilisme des autorités de la Cité et applaudissent les rares exemples de solidarité dans la misère. Quelques jours plus tard, les bulldozers débarquent et poussent tout devant eux dans une tentative dérisoire de cacher la misère, histoire de dire qu’on a fait quelque chose. Aucun relogement, aucun plan à long terme. Trois jours de plus et les baraques ont été reconstruites. La vie dans Hoboland ne vaut pas grandchose. Ici on tue pour un peu de pain. Des gangs se sont naturellement créés, comme agrégés par la souffrance et le désespoir. Mais leur violence est bien souvent aveugle. La promiscuité est totale et il n’y a aucun moyen sanitaire. On y trouve de la drogue bon marché et de la gnôle qui rend aveugle, des flingues déclassés qui risquent de te péter à la gueule et des putes vérolées qui sucent avec leurs bouches sans dents. Les petits jeunes issus de bonnes familles viennent de temps en temps ici faire une descente punitive, prenant leur pied à tabasser quelques clodos. Si on leur résiste, ils foutent le feu : ça prend très vite ici, et bientôt, c’est tout Hoboland qui flambe. Les pompiers n’osent pas vraiment s’y risquer, alors on attend que tout ait cramé. Là encore, comme une mauvaise herbe sur du fumier bien gras, Hoboland renaît de ses cendres presque aussi vite qu’il avait disparu. Un véritable Phénix merdeux. Il serait franchement présomptueux de ma part de dire que je connais Hoboland. J’y fous les pieds le plus rarement possible et c’est une de mes lois que je brise le moins souvent. Il n’existe naturellement aucun plan d’Hoboland, et il est difficile d’établir des repères qui ne soient pas balayés une semaine plus tard. Ce qui y ressemble le plus est peut-être la Chapelle des Désespérés

du Père Jordan Carmichael. Ce prêtre s’évertue à aider ses prochains, organisant des distributions de vêtements et de vivres. A chaque destruction, il reconstruit patiemment sa chapelle de bois, qui n’est guère qu’une pauvre baraque. Ces tempsci, je trouve qu’il tourne mal, le vieux padre. Trop d’années passées à s’évertuer en vain, sans doute, mais ses discours anti-cornus, saupoudré d’apocalypse bon marché, sentent franchement le frelaté… Récemment, j’ai entendu dire que pas mal de désespérés s’étaient rassemblés sous la direction de Ghost, un hobo semble-t-il particulièrement violent. On parle de guerre entre bandes rivales de hobos. Je ne sais rien de plus mais ça ne me donne pas envie de changer mes plans de vacances… A présent, les choses qui font vraiment peur. Vous avez remarqué que je ne tire pas la sonnette pour rien. Depuis le début, je vous dis de vous méfier des charlatans et de leurs élucubrations sur le mal. Donc vous pouvez me croire quand je vous dis que quelque chose de très très noir est à l’œuvre ici. Au beau milieu du chancre qu’est Hoboland s’est ouvert un Hell Hole. Pas étonnant au vu de la violence et du désespoir qui fleurissent ici. Forcément plus petit, il n’en est pas moins plus dangereux que celui de la Forbidden City. Le hic, c’est que jusqu’à présent, il semble qu’il n’en soit rien sorti et que personne n’ait pu y entrer. Mais la sensation de pure terreur qui vous broie l’échine quand vous approchez de cette zone désertée par les clodos n’a rien à envier à celle qui peut vous étreindre dans le lacis de ruelles de la Forbidden City. Un truc se prépare ici et ça ne va pas être joli.

Bref, personne n’a jamais de bonnes raisons pour se rendre à Hoboland. Lorsqu’on est en fuite et qu’on a épuisé toutes les autres possibilités de planque, on peut toutefois finir ici. Généralement, on n’en revient pas…

PÈRE JORDAN CARMICHAEL, PRÊTRE DÉVOUÉ + / 60, 100, 100 / 10

GHOST, CHEF DE BANDE VIOLENT ++ / 200, 50, 100 / 0

LES FIELDS & LES YARDS Passons maintenant de l’autre côté de la rivière en empruntant l’un des trois ponts qui enjambent la Sio. D’amont en aval, vous pourrez emprunter le Shotona Bridge, l’Old Green Bridge et le Redmond Bridge. La visite continue avec le cœur industriel d’Harbor. Bien sûr, on a tendance à dire qu’Harbor ne concerne que la péninsule, qu’au delà des collines au nord et de l’autre côté de la rivière, c’est autre chose. A mon sens, la seule différence notable est que vous êtes à présent sur les terres du Comté et donc, du shérif. Avantage ou défaut, à vous de me le dire. Ça doit dépendre de qui vous avez le moins énervé dernièrement. Les Yards sont les chantiers navals d’Harbor. On y construit des bateaux dans d’énormes rades et bassins hors d’eau. Les bureaux des armateurs sont logés dans des bâtiments de brique surplombant les bassins. On fait beaucoup d’argent ici, même si la reconversion d’après-guerre est difficile. D’un seul coup, l’effort de guerre s’est arrêté et les commandes de navires militaires ont baissé. Ce que l’on appelle les Fields accueille l’industrie lourde d’Heaven Harbor. D’innombrables lignes de chemin de fer traversent les zones industrielles comme de longues saignées d’acier. Ici, Harbor construit des voitures, produit des kilomètres de câblage électrique, fabrique des pneus, assemble des équipements électriques… La diversité est incroyable, l’énergie énorme, les

profits colossaux. Les Fields sont donc une zone en permanente mutation. Au milieu des zones occupées par les ouvriers, on trouve aussi de vastes zones en friches, où les vieux bâtiments industriels abandonnés jalonnent les voies de chemins de fer. C’est notamment le cas des impressionnants Strangler Fields. Ces usines de construction d’avions de combat ont été montées à la va-vite pendant la guerre et abandonnées depuis. Aujourd’hui, les hangars inutilisés sont vides. Autour des hangars se dresse presque à perte de vue une forêt fantomatique d’énormes carcasses d’avions de chasse et de bombardiers désossés. Les gosses de Redmond viennent y jouer à la guerre au milieu de quelques marginaux qui préfèrent se réfugier ici que dans le Hoboland. Le vieux Pete et quelques autres vigiles fatigués sont censés surveiller les Strangler Fields et prévenir les accidents, qui ne sont pas rares, mais ils passent le plus clair de leur temps dans leur caravane à écouter la radio et à bouquiner des revues porno. Les grillages sont tellement mités de trous que c’en est une plaisanterie et Pete raconte à qui veut l’entendre que depuis qu’il a surpris une cérémonie bizarre au cœur des Fields, avec sacrifice de nanas à poil et tout le toutim, on ne l’y reprendra plus à faire sa ronde tout seul. Les flics n’ont trouvé aucune trace de quoi que ce soit, mais ça na veut pas forcément dire grand-chose…

REDMOND Redmond est le coin de paradis des cols bleus, un grand quartier ouvrier, où vivent ceux qui travaillent sur le port ou dans les usines des Fields. Avec le boom industriel qui ne se dément pas, Redmond grossit presque chaque jour. Une véritable ville en soi, de par son étendue. Les gens qui vivaient là à l’origine étaient moins riches que ceux d’Aisbury Park ou de Paddy Hill. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse. Bien sûr, les habitants de Redmond ne roulent pas sur l’or mais le coin est plutôt agréable à vivre, même si le voisinage est moins classe que dans la Valley. De petits immeubles, parfois décrépis mais souvent bien entretenus, des pavillons en stuc déjà crades alors qu’ils n’ont que cinq ans… Bagnoles et Barbecue, l’incarnation de mon cauchemar. Redmond abrite de nombreuses communautés : hispaniques, grecques, russes, noires et cornus. Avec le besoin de main d’œ uvre incessant que connaît Harbor, on a fait venir ici de nombreuses familles noires, faisant de Redmond le quartier le plus coloré après Aisbury Park. Même chose pour les cornus  : Redmond abrite la plus grosse communauté d’infernaux après la Forbidden City, entraînée par de nombreux golems, fort appréciés sur les docks. Sous leur protection, on trouve ici succubes, possédés et séraphins. Ici, on bosse dur, on se tient les coudes et on est loin du quartier sulfureux façon Forbidden City. Toutes les communautés, dont les cornus, vivent plutôt en bonne harmonie mais la situation se dégrade lentement, au gré des rancœurs et des préjugés. Tout le monde se regarde à présent en chiens de faïence et les tensions sont fréquentes, encore accentuées par les flics du Comté qui apprécient particulièrement de s’offrir un petit tabassage de négro à l’o ccasion.

C’est Barney le golem qui tient le quartier sous sa coupe. Grosso modo, tout ce qui passe par ici passe par lui. On le dit sympathique et débonnaire mais je sais de source sûre que le type pense avant tout à lui et à ses potes, ne crachant ni sur l’extorsion ni sur la revente de saloperies nuisibles à ses concitoyens. Mais lorsque quelques tarés illuminés débarquent à Redmond, en pensant casser du cornu plus facilement que dans la Forbidden City, Barney et ses gars les renvoient d’où ils viennent, leurs tronches tuméfiées porteuses d’un message on ne peut plus clair. Rien que pour ça, les habitants le respectent. Idem pour les patrouilleurs du shérif, qui bizarrement, ne lui cherchent jamais noise.

BARNEY, GOLEM PARRAIN LOCAL ++/ 160, 90, 100 / 20 Au-delà de Redmond, de maigres champs ornent les collines et la côte devient falaises rocailleuses. Les quelques fermes qui subsistent ici sont des ruines où les rednecks s’échinent à gratter un sol pourri de pierre. Mon père disait souvent, pour rigoler, que les gens d’ici plantaient des champs de cailloux et qu’il fallait reconnaître que ça poussait drôlement bien. Vous ne les ferez pourtant pas partir d’ici. Je n’envie aucunement les adjoints du shérif qui viennent régulièrement dans le coin régler des différends familiaux sordides…

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

177

The Islands Face à la péninsule d’Harbor, deux îles. La première est immanquable  : c’est Lucky Island, dont les bâtiments récents illuminent la nuit harborienne. La seconde est généralement cachée par les brumes :

c’est Santa Esperanza, un sinistre caillou battu par les vents… J’ai visité les deux. Je ne suis plus le bienvenu sur la première et je n’ai aucune envie de retourner sur la seconde.

LUCKY ISLAND A l’origine, il n’y avait qu’une île herbeuse prolongée par des bancs de sable redoutés par les pêcheurs d’Harbor. Seuls bâtiments dressés sur l’île, un vieux sanatorium désaffecté, sa serre fracassée, ses quelques dépendances et son ponton vermoulu. Les oiseaux de mer n’étaient guère dérangés que par quelques familles venues pique-niquer le dimanche. Et les légendes de fantômes effrayaient à bon compte les gosses d’Harbor. Aujourd’hui, cette île est une petite ville en pleine effervescence, une machine à fric qui tourne tous les jours, 24 heures sur 24. Lucky Island.

NATHANIEL « NAT » VERNON, TRUAND AMBITIEUX +++ / 120, 80, 220 / 40 Lucky Island est d’abord la concrétisation du rêve fou d’un homme, Nathaniel « Nat » Vernon, truand mégalomane hanté par des désirs de grandeur et de respectabilité. Venue de la Grosse Pomme, Vernon débarque à Harbor en 1938, envoyé spécial

178

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

de l’Organisation chargé de reprendre la ville en main et de la soustraire aux Grachetti, trop indépendants au goût des parrains de la côte Est. Vernon a un style inimitable  : flambeur, beau gosse aux allures de dandy, séducteur invétéré et beau parleur. Sous le style, la dureté  : Vernon est un tueur sans état d’âme, au tableau de chasse sacrément chargé. L’homme idéal pour le job… Sauf que très vite, Vernon semble se désintéresser de sa mission, jetant le trouble chez les parrains. Trouble confirmé lorsqu’il abandonne purement et simplement la majorité de ses activités à ses lieutenants, les Marsella, se jetant corps et âme dans un projet immobilier sur un bout d’île. Vernon essuie les moqueries de ses pairs. Seraitil définitivement cinglé  ? Ce n’était pas la première fois que la folie des grandeurs le touchait, lui qui avait déjà voulu faire fortune dans le cinéma, la musique et même tenté plusieurs fois une carrière politique avortée sitôt son casier judiciaire publié. Si on l’avait envoyé à l’Ouest, c’était aussi pour le calmer. Mais ce que personne n’a vu venir cette fois-là, c’est que Vernon avait un plan. Lorsqu’il fit débuter la construction d’un hôtel de luxe, en 1940, il avait déjà remué ciel et terre, soudoyé et menacé, activé tout ce qu’on lui devait de services et de retours d’ascenseur pour faire légaliser le jeu sur son île. Alors même que la construction du Nathaniel Resort se finissait, le gouverneur annonçait que la zone pourrait accueillir légalement des établissements dédiés aux jeux de hasard. A ce moment là,

Vernon avait acheté la majorité des terrains de ce qui allait bientôt s’appeler Lucky Island… Le casino ouvrit ses portes à la fin de la guerre et la première fête fut, dit-on, monumentale. Le succès fut phénoménal. La recherche du plaisir immédiat, telle une ardente frénésie, frappa les harborians désireux d’oublier la guerre. Lucky Island est devenu une sorte d’assemblage hétéroclite et vulgaire de bâtiments construits à la va-vite où pas un cm2 n’est épargné par les néons. C’est un chantier à ciel ouvert. Trois grands hôtels-casinos se partagent les joueurs  : le Nathaniel Resort, le Pyramid et le Harbor Paradise qui vient à peine d’ouvrir. Vernon possède le premier et détient des parts dans les deux autres, sans compter la somme faramineuse pour laquelle il a cédé les terrains. La construction d’au moins trois autres établissements est déjà prévue dans les années à venir. Bars et boites de nuit complètent l’offre. Les ferries ne désemplissent pas, il a fallu d’abord doubler, puis tripler les rotations. Vernon a réussi son pari : Lucky Island est rentable. Vernon règne sur son nouveau royaume depuis le dernier étage de son hôtel-casino. Il touche des commissions sur les recettes de tous les établissements installés sur l’île. Mais sous ses dehors de grand homme, Nat reste un truand. L’argent de la construction, il l’a tout simplement piqué à l’Organisation. Aussi simple que ça  : il a pioché dans la caisse. Sauf qu’il s’est retrouvé presque immédiatement avec un contrat juteux sur la tête. Aujourd’hui, la situation est floue : Vernon aurait finalement négocié de fructueux accords avec la mafia, qui utilise les établissements de jeu de Lucky Island pour blanchir un paquet de pognon. Les versements aux parrains de la côte Est couvriraient largement les « emprunts » de Vernon et l’avenir s’annonce vert… comme le dollar. Vernon a-t-il racheté sa tête  ? Pas sûr. La rentabilité de sa petite entreprise attire bien des convoitises et les parrains n’ont pas vraiment avalé le double coup de pute de Nat. Si pour l’instant, tout le monde sourit et se bécote les joues lors des réunions

de famille, les couteaux sont tirés et Vernon ferait mieux de se méfier. Sauf que Nat est complètement parti dans son rôle de nabab de pacotille et qu’il ne se méfie pas assez… Sur l’île elle-même, le client est roi. Forcément, on attend de lui qu’il crache son fric durant toute la durée de son séjour, alors tout est fait pour lui simplifier la vie et lui faire oublier qu’une fois de retour sur le continent, les réalités de la vie le rattraperont. Dans l’enceinte même du casino, on lui offre spectacles et divertissements. Une fois séché aux tables de jeu, il peut se consoler, le nez dans la poitrine d’une escort girl. Les filles doivent avoir une autorisation pour exercer ici. Les putes qui ne se plient pas au règlement ont vite fait de se retrouver les fesses sur la Marina d’Harbor, la tronche tuméfiée. Lucky Island est un des endroits les plus sûrs d’Harbor : le chaland doit se sentir en sécurité et une armée de gros bras s’assurent que les petites frappes de la ville ne viennent pas s’en prendre à la clientèle. Quelques exemples bien frappants ont eu vite fait de décourager la majorité des candidats. Les plus inconscients qui tentent quand même leur chance reviennent à terre en piteux état… la première fois. Il n’y a pas de seconde fois. Mais le principal ennemi, ici, reste le tricheur. Vernon a constitué un corps de croupiers d’élite, pour la plupart exjoueurs professionnels rompus à toutes les techniques de gruge et là encore, aucune pitié envers les contrevenants. On joue beaucoup moins bien aux cartes avec les doigts brisés ou le pouce tranché… D’une manière générale, tous les visiteurs indésirables sont inscrits sur une liste noire et celle-ci est scrupuleusement utilisée, notamment au débarcadère du ferry. Je suis moi-même indésirable sur Lucky Island depuis une certaine affaire… embarrassante. Sans doute l’une des plus intenses dérouillées de ma vie. Heureusement que Vernon a un petit faible pour moi, il paraît que je le fais rigoler : j’ai pu conserver mes couilles… Un dernier truc rigolo  : l’île est sous juridiction du Comté, pas de la ville. Le HHPD n’a donc rien à faire ici et ce sont les services du shérif qui assurent sécurité et

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

179

ordre. Encore une bonne planque : il n’y a qu’à laisser faire les nervis de la mafia et le tour est joué. Mais les flics du HHPD, quand ils ne sont pas en service, sont accueillis sur l’île avec les honneurs, la maison se faisant une

joie d’offrir une centaine de jetons en guise de cadeau de bienvenue aux «  héros de la police harborienne ». Le tout avec un sourire mielleux et une grande tape dans le dos… Peu d’entre eux goûtent la plaisanterie.

SANTA ESPERANZA Santa Esperanza n’est qu’un morceau de rocher émergé de l’océan. On y trouve une végétation rase et famélique, quelques oiseaux et une jolie plage battue par les vents. Le seul bâtiment de l’île ne se visite pas, du moins pas de son plein gré  : c’est la prison d’état, une forteresse de briques entourée de barbelés Vous êtes un dur, un vrai ? Pas tant que les tatouages rituels de Santa Esperanza n’ornent pas vos biceps. Dans les rues d’Harbor, c’est le genre de choses que l’on respecte, une sorte de passage obligé pour le petit délinquant qui veut entrer dans le monde des véritables gangsters. Dès lors qu’il a écumé toutes les maisons de redressement et les camps disciplinaires pour «  jeunes en perdition  », c’est ici qu’il finit par arriver. Au milieu des tueurs, des truands et des violeurs. Il apprend vite fait les codes de la prison. Certains ne le supportent pas et finissent pendus au cadre de leur lit. D’autres encaissent, parfois marqués à vie par les violences physiques, sexuelles et morales qu’ils endurent. Certains sont plus durs que les autres et finissent bourreaux, petits caïds de la tôle intégrés à jamais dans la confrérie des salopards. Mais une fois dehors, attention : tu es devenu un homme, petit. Connerie de fierté de machos. J’y ai moi-même fait mon temps et non, ce n’était pas une partie de plaisir pour un ex-flic accusé de corruption. Heureusement, il fut court. J’ai aussi eu la chance d’avoir quelques services à me faire rembourser. Et puis, ma réputation de magouilleur occulte m’a quelque peu épargné les vicissitudes de la vie carcérale  : on préfère se méfier de ce qu’on ne connaît pas. Malgré tout, on tisse des liens. On se surprend un jour à

180

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

considérer comme un ami, presque un frère, un type que j’aurais cravaté sans une once de regret à l’époque où je trimbalais un badge. Juste parce qu’on se rend compte qu’on n’est finalement pas si différent. Qu’on aurait pu être comme lui. Que tout est une question de choix malheureux, de coups de malchance et de bêtise tristement humaine. Ces liens-là survivent à tout, même à la sortie.

NIGEL SPENCER, DIRECTEUR DE PÉNITENCIER + / 80, 80, 80 / 20

SIMON PHIBES, SÉRAPHIN CAÏD DU PÉNITENCIER ++ / 90, 160, 120 / 10

Le directeur de la prison de Santa Esperanza s’appelle Nigel Spencer. Ce qu’il veut n’est pas compliqué  : que tout soit calme. Pas une ride sur l’eau. Déjà qu’il ne supporte pas de devoir loger dans un bungalow paumé sur une île pourrie… Du coup, les matons ont carte blanche. Ils ne s’en privent pas. De temps à autre, ils se choisissent un bouc émissaire, une forte tête, un fanfaron. Et ils le brisent. Consciencieusement. Juste pour l’exemple, pour que le calme continue à régner en surface. Ces gars-là pensent aussi à leurs fins de mois et à leur retraite. Du coup, tout ici est monnayable. Certains grands criminels viennent à Santa Esperanza presque comme si c’était un club de vacances. Réunis entre eux dans des cellules personnalisées, on ne vient pas les emmerder pour qu’ils sortent en promenade ou qu’ils passent à la fouille. Bien sur, c’est un confort hors d’atteinte du prisonnier moyen. Depuis peu, une aile de la prison a été entièrement dédiée aux prisonniers cornus. On m’a raconté que les brimades y étaient encore plus dures et fréquentes,

mais également que les matons avaient une trouille blanche de certains meneurs. J’ai connu Simon Phibes, un élégant séraphin, quelques temps avant qu’il ne plonge pour trafic de drogue. Apparemment, il se serait taillé un joli petit royaume dans ce bloc maudit. Je garde de lui le souvenir d’un type extrêmement intelligent et totalement dénué du moindre scrupule ou considération pour la vie humaine. Je n’ai donc été qu’à moitié surpris. Se tirer de là ? Pas mal de gens essaient. Santa Esperanza n’est pas une citadelle imprenable. Réussir à se tirer de sa cellule n’est pas le plus difficile. Les matons sur les miradors sont déjà une autre paire de manches. Ils tirent à vue. Reste ensuite à rejoindre la côte. Mieux vaut être bon nageur. L’autre possibilité est le bateau de ravitaillement, qui assure aussi la relève des matons et le transfert des prisonniers. Il est sévèrement gardé et là encore, on ne discute pas avec un convict en fuite, on tire d’abord… Mais rien n’est impossible et plusieurs prisonniers ont réussi à s’enfuir de Santa Esperanza. L’espoir fait vivre…

The Hills & The Valley Notre balade touche presque à sa fin. Deux grandes séries de collines, Mullberry et Partridge Hills, surplombent Downtown, la séparant de la Valley et de ses districts. A l’origine recouverte de

plantations, la Valley se transforme chaque jour un peu plus en une interminable banlieue. C’est principalement ici que s’installent tous ceux que la vitalité industrielle d’Harbor attire.

THE HILLS Mullberry Hills est le nouveau coin à la mode d’Heaven Harbor, où il faut être vu. Ses pentes douces sont sillonnées de larges avenues bien propres au long desquelles s’alignent de belles résidences. Ici, le mot d’ordre est originalité et on y trouve aussi bien des répliques de manoir à la française que de grandes villas californiennes… Plus c’est clinquant, mieux ça vaut. De larges grilles en fer forgé ont pour but de décourager les curieux et des molosses en costumes trop serrés s’assurent que vous ne lorgnez pas sur les Cadillac dernier modèle de leurs clients. Mullberry Hills pue le fric et l’arrivisme mais il est bien plus glamour que Remington Heights et on n’y trouve pas le même type de résidents. Riches héritiers bohèmes, mafieux à succès, stars du sport et de l’entertainment, avocats marrons et financiers audacieux : autant de résidents qui malgré leur portefeuille ne seraient pas les bienvenus dans la société sclérosée de Remington Heights. On accepte même sans souci les non-humains, pour peu qu’ils aient du pognon. A chaque fois que j’ai traîné mes guêtres à Mullberry Hills, je l’ai regretté. Un peu comme à Remington Heights, on m’y appelle toujours pour de sales affaires cachées sous une couche de strass. La dope, aiguille dans le bras ou poudre dans le nez, règne ici en maître et les dealers sont accueillis comme des stars par les abrutis qui veulent être dans le coup. De temps à autre, une descente de flics, généralement rencardée par les sbires de Whispers qui se réservent ainsi une jolie une, vient flinguer l’ambiance d’une partie fine. On

182

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

embarque alors de tout : riches propriétaires, putes et macs de luxe, genre à la coule, négros jazzy et tarlouzes friquées. Mais tout cela ne sert qu’à épater la galerie. Le trafic de dope est protégé ici. Si vous voulez mon avis, un camé reste un camé, quel que soit son compte en banque : un jour ou l’autre, il fait une connerie de plus, une de trop… C’est au cœur d’une vaste propriété bucolique qu’est bâtie la clinique privée du Docteur Vandelheim, le frère du baron des hôtels. Sa réputation n’est plus à faire  : des soins de haute qualité, un personnel trié sur le volet et tout le confort que l’argent peut offrir. La clinique est aussi spécialisée dans les soins mentaux et les troubles du comportement. En clair  ? La clinique de Vandelheim est en fait réservée à de riches junkies qui tentent leur énième desintox. Vous seriez surpris par le nombre de gamins de bonne famille jetés là par leurs parents pour cause de piquouse ou de mœurs «  déviantes  », sous couvert de «  dépression  » ou de «  cure de repos  ». Certains appartiennent à l’aristocratie de Remington Heights  : Mullberry Hills est suffisamment éloignée pour que les indésirables rejetons ne foulent pas la pelouse de leurs respectables aînés. D’autres viennent d’eux-mêmes se mettre au vert, histoire d’en finir avec l’alcool, les cachetons ou les shoots. Un pavillon de soins est réservé à ces clients « volontaires », ainsi qu’une série de petits bungalows proprets, sous les palmiers. Ce qui se passe vraiment ici ? Difficile à dire tant Vandelheim a forcé la dose côté gros bras. Surtout depuis qu’un

photographe de Whispers a réussi à prendre des photos d’une partouze aromatisée à la coke autour de la piscine... Ce qui est certain, c’est que Vandelheim est une petite ordure sous ses dehors de bon samaritain. Seul le fric l’intéresse et je sais de source sûre qu’il est capable de fournir à ses clients à peu près tout ce dont ils rêvent en termes de paradis chimique. Récemment, je suis tombé par hasard sur l’un des petits protégés de Vandelheim, une petite frappe prénommée Johnny. Le petit con a semble-t-il pour grand plaisir de torturer et de dépecer des animaux. Son autre hobby est de s’introduire dans les chambres des jeunes filles pour se faire du bien avec leurs dessous, qu’il taillade ensuite au rasoir. Je n’ai pas réussi à déterminer à qui j’avais vraiment affaire mais les coutures blanches sur les coins de sa gueule me font penser qu’il a profité d’une petite retouche faciale made in Vandelheim… Contrairement à Mullberry, Partridge Hills est beaucoup plus populaire et la concentration d’habitation y est moindre. Pavillons et villas sont bien plus modestes que sur la colline voisine mais l’on cultive tout de même ici un certain art de vivre. La mode d’avoir une belle demeure avec vue sur la ville a toutefois commencé à déteindre sur Partridge  : toute la partie ouest de la colline est donc très recherchée par la classe moyenne et les prix augmentent très vite. La partie est reste nettement plus pauvre. Elle offre une vue plongeante sur le Hoboland et on trouve encore quelques habitats précaires sur ses flancs. Quoiqu’on en dise, j’aime beaucoup Partridge Hills et je me verrais bien y prendre ma retraite. Un petit chalet sur un coin de pente me suffirait et je pourrais écouter le chant des coyotes depuis ma terrasse, le soir, une bière fraîche à la main. J’ai un copain flic qui a pile ce qu’il me faudrait et chez qui on a passé de longues et douces soirées à écouter du jazz sur son pick-up. Malheureusement, j’ai bien peur qu’avec le développement de la Valley, tout cela disparaisse. Les projets de percement de voies routières risquent de laisser de jolies tranchées d’asphalte dans les collines.

PROFESSEUR VANDELHEIM, MÉDECIN VÉREUX ++ / 60, 160, 100 / 20

JOHNNY, PETITE FRAPPE CINGLÉE + / 120, 40, 60 / 0 Pour l’instant, les amoureux peuvent encore profiter de la « Corniche » et de sa vue panoramique sur Heaven Harbor et l’océan. Tous les samedis soirs, le coin est rempli de jeunes couples en bagnole, venus finir ici la soirée après un double programme au Star Drive-In tout proche. Régulièrement, une patrouilleuse du HHPD vient s’assurer que les flirts ne se transforment pas en attentats à la pudeur. Ça me rappelle d’ailleurs une anecdote savoureuse à propos d’un flic du HHPD qui avait pour petit jeu de surprendre les couples, de les menacer des les dénoncer à leurs parents et qui les laissaient repartir après une petite gâterie de la demoiselle. Il paraît que ça marchait presque à tous les coups. Le « bon plan » a duré jusqu’à ce qu’un jeune gars de la Valley lui plante un couteau à cran d’arrêt dans le ventre. On ne peut pas gagner à tous les coups.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

183

C’est sur Partridge Hills que l’on trouve les réservoirs, plusieurs châteaux et retenues d’eau qui forment les réserves de flotte de la ville. Le coin, assez désertique, a acquis une sinistre réputation depuis qu’un tueur cinglé, baptisé « le Hachoir » par la presse, avait pris pour habitude de balancer les morceaux de ses victimes dans les conduits de drainage. Lorsque le charnier fut découvert par de jeunes gamins, il fallut plus de deux semaines aux services du légiste pour récupérer et classer tous les morceaux. Certains cadavres n’ont d’ailleurs été que partiellement reconstitués. La fin de l’histoire reste encore nébuleuse : les flics encerclèrent une maison où s’était retranché le tueur et celui-ci préféra y mettre le feu et périr brûlé plutôt que de se rendre. Toutefois, une légende tenace veut que le corps calciné n’ait pas été retrouvé.

Pour la police, une intervention dans les collines est souvent l’occasion d’un joyeux bordel à base de problèmes de juridiction. Officiellement, le HHPD a autorité sur Partridge et Mullberry Hills, mais les limites du pouvoir des services du shérif sont parfois floues, surtout sur les pentes orientées du côté de la Valley. De plus, il n’est pas rare que les flics du Comté soient plus rapidement sur les lieux que ceux de la ville. Le cafouillage que cela entraîne, notamment sur les scènes de crime, est du pain béni pour les criminels. Si vous devez vous débarrasser d’un corps ou d’une bagnole, assurez-vous de le faire dans l’une des ravines de Partridge Hills. Avec un peu de chance, des sagouins du Comté viendront piétiner les preuves, juste pour emmerder les flics du HHPD.

THE VALLEY Au-delà des collines commence la grande vallée, divisée en plusieurs districts sous la responsabilité de l’administration du Comté. Aujourd’hui, c’est là que s’étend chaque jour un peu plus Heaven Harbor, bouffant les terres agricoles. A l’origine, il n’y avait ici que de larges plantations d’agrumes et des fermes. A l’exception de quelques endroits encore épargnés par l’urbanisation, les fermes ont quasiment disparu. On trouve encore quelques masures délabrées paumés sur des champs poussiéreux mais la plupart disparaissent dans les projets de lotissement. Pour l’instant, les grandes plantations d’oranges et de pamplemousses ont résisté. Elles s’étalent à l’est de la Valley, dans ce qu’on appelle encore la Tortosa Valley, embauchant à chaque récolte une main d’œuvre bon marché d’ouvriers clandestins. Une tradition bien établie voulait que la mafia vienne ici pour les besoins d’une exécution. Il y aurait pas mal de tombes entre les allées d’arbres fruitiers… Mais malgré le pouvoir des vieilles familles propriétaires de ces plantations, la surface aiguise les appétits. Certains ont déjà décidé

184

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

de vendre, que ce soit sous la pression des promoteurs ou simplement par le paquet de pognon que l’on peut se faire en privilégiant l’immobilier. Combien de temps résisteront les grandes haciendas à l’espagnole trônant au milieu des orangeries ? En effet, la Valley est un gigantesque chantier à ciel ouvert. Depuis la fin de la guerre et le retour des soldats, la demande de logements est énorme. Le mot d’ordre est : « Chaque vétéran doit avoir droit à sa maison » et de très longues listes d’attente en résultent. Les emplois créés par l’industrie harborienne alimentent cette explosion : à peine a-t-on noté un léger ralentissement à la fin de la guerre. Il y a bien sûr beaucoup d’argent en jeu. Crescent View est l’un de ces nouveaux districts sortis de terre. C’est la quintessence du rêve américain, celui de la classe moyenne propriétaire de son pavillon. Crescent View s’étend un peu plus chaque jour, alignant sans fin les vastes zones pavillonnaires tracées au cordeau sur des plans rectilignes, où les maisons s’alignent les unes derrière les autres. De temps à autre, un mall et

une école, une église et un terrain de sport émaillent le quadrillage déprimant. Déjà, certains quartiers se ghettoïsent entre les beaux pavillons aux larges pelouses et les petites baraques en stuc construites en 10 jours sur un bout d’herbe….

NEIL SULLIVAN, ARNAQUEUR NÉ ++ / 60, 200, 120 / 10 Pour l’instant, si vous voulez disparaître, la Valley est un coin presque idéal. Entre les chantiers en cours et ceux abandonnés à cause d’un souci administratif, il y a plein de baraques en construction dans lesquelles se planquer. Le tout bourgeonne tellement vite que les flics du Comté ont bien du mal à être partout à la fois. Un de mes amis, Neil Sullivan, avait monté une juteuse arnaque dans le coin. Muni de cartes de visite bidon, il faisait visiter des pavillons témoins qui ne lui appartenaient pas avant de faire signer de jeunes couples excités par leur achat. Il empochait immédiatement une provision sur le prix de la future maison, parce que «  vous comprenez, la demande est très intense en ce moment ». Il disparaissait avec le fric et les pigeons se retrouvaient avec un papelard sans aucune valeur, salement

imprimé sur du papier de mauvaise qualité. Juste avant de se faire choper, Neil claironnait qu’il avait barboté un sacré paquet de biftons. Ce que j’aime chez ce type, c’est l’incroyable intelligence et les efforts qu’il déploie pour ne pas avoir à travailler. Tout un art de vie, qu’il exerce pour l’instant à Santa Esperanza pour encore quelques mois. J’ai hâte de voir quelle combine il mettra sur pied à sa sortie. Pendant ce temps, les arnaqueurs « légaux », eux, continuent de s’enrichir… La Valley, ce sont aussi quelques lacs, le barrage de Banyon Canyon et tout le réseau d’adduction qui permet à Harbor de boire et d’utiliser ses toilettes. Après une première guerre de la flotte au début du siècle, beaucoup pensent que l’on risque de revivre la même situation. Les lotissements de la Valley consomment de plus en plus d’eau, au détriment des plantations et parfois d’Harbor elle-même. Qui contrôlera l’une, ou les deux compagnies de distribution d’eau aura la haute main sur les différents projets immobiliers. C’est au nord de la Valley qu’a été crée en 1929 l’aéroport d’Heaven Harbor. A l’époque, c’était un aérodrome avec un hangar et une seule piste en terre battue au milieu d’un champ de patates. Mais avec le début des vols intérieurs réguliers il y a trois ans, l’extension est régulière. Forcément, le trafic grandissant joue pour beaucoup dans les différents projets autoroutiers en cours d’étude. De tous côtés, les enjeux financiers sont tellement énormes qu’ils engendrent corruption, prises d’intérêts et affrontements légaux et illégaux. La Valley semble être vouée à devenir le champ de bataille des avocats et des financiers. Je ne suis pas sûr que cela sera moins violent qu’une guerre entre gangs.

HEAVEN HARBOR FIELD GUIDE

185

CHAPITRE III TAPIS VERT

Les habitants d’Heaven Harbor ne sont pas des héros ni des surhommes – même ceux qui sont originaires des tréfonds de l’enfer. Les personnages joueurs, les «  tough guys  », ne dérogent pas à la règle. Leur force est ailleurs. Leur vie n’a jamais été simple mais ils se sont toujours révélés plus chanceux ou plus coriaces que les autres. Leur ténacité et leur hargne les définissent tout autant que leurs connaissances ou leur savoir-faire. Leur capacité à encaisser, encore et encore, tous les sales coups que la vie réserve est primordiale. Mais la chance n’est jamais à négliger : la vie n’est pas juste, c’est la première chose que l’on apprend dans les rues d’Heaven Harbor.

Afin d’illustrer ces vérités, le système d’Hellywood repose principalement sur deux axiomes :

LES DÉS ET LE HASARD

Le hasard a tout à fait sa place dans le système de jeu d’Hellywood, parce qu’il représente la fatalité, qui finit toujours par vous rattraper et peut flanquer par terre le plan le plus abouti. Les dés ne servent pas seulement à déterminer qui est le meilleur ou comment un personnage réussit une action. Ce sont aussi des agents du destin et de la chance. Leur rôle est de répondre «  oui  », «  non  » ou «  peut-être  » et de déterminer ainsi comment l’histoire avance et se déroule. Les talents d’un personnage peuvent bien sûr influencer la chance mais la sanction des dés est toujours un risque. Naturellement, il est possible de tricher : les règles le permettent, de diverses manières… Vous y encouragent, même. Mais jouer avec le destin ne peut que finir par se retourner contre vous.

ÊTRE LE DERNIER DEBOUT

Comme un personnage ne peut pas grand-chose contre le hasard et ses avanies, sa seule possibilité de réussir ce qu’il entreprend ou d’affronter des adversaires est d’être encore debout quand tout le monde est couché. Vous en prendrez plein la figure : c’est inévitable. Vous serez malmené, jeté à terre, ralenti ou même arrêté dans vos tentatives de faire avancer votre vie. C’est le lot de tous, amis comme ennemis. Mais si vous êtes assez costaud, assez volontaire, assez résistant, assez hargneux ou assez en rogne, vous pourrez vous relever une fois de plus, une fois encore. La fois qui compte vraiment. Réussir à se relever, ne serait-ce que sur un genou, quand tous les autres ont jeté l’éponge : voilà ce qui définit réellement un tough guy. C’est sa seule vraie qualité. Avec ces deux concepts bien en tête, vous êtes maintenant prêt à vous lancer dans les règles nécessaires pour créer un personnage et jouer à Hellywood.

Tough guy Afin de créer votre tough guy (ou votre hot chick si vous préférez), vous allez suivre trois étapes, qui sont détaillées un peu plus loin : Vous devez choisir deux  natures, qui vous apportent chacune un avantage ou une capacité ainsi qu’une limitation ou un désavantage.

Vous devez définir  l’histoire  de votre personnage : périodes de vie, ressources, statut ou relations… Vous pouvez enfin répartir des points dans les neuf attributs de votre personnage et choisir quelques talents qu’il maîtrisera.

Les termes techniques employés dans la création du personnage vous seront expliqués plus loin dans ce chapitre.

NATURES Avant de commencer, souvenez-vous d’une chose : il n’y a pas de héros hardboiled entièrement blanc, pas plus que leurs adversaires ne seront invariablement noirs. À Hellywood, tout le monde est gris. Un personnage cache des faiblesses, des secrets inavouables, des dérangements, des obsessions. A vrai dire, Hellywood n’est pas très optimiste sur la nature humaine. Un personnage sera donc toujours plus complexe qu’il n’y paraît. Le plus monolithique des gardes du corps cache, sous son apparente violence stupide, des fêlures et un passé qui le hantent. Les natures représentent les inclinaisons profondes et les motivations de votre personnage. Elles sont la petite flamme qui brûle au plus profond de lui, celle que ni les événements, ni la vie, ne pourront souffler. Les natures le poussent à agir, le maintiennent en vie et, parfois, le handicapent ou carrément le paralysent.

On avait pourtant répété à Rick que cette réception était importante. Qu’il fallait se tenir à carreau, sourire et faire des ronds de jambe. C’était la dernière chance du groupe de se faire bien voir des investisseurs. Mais ça n’a pas loupé : Rick s’est dirigé tout droit vers le buffet et a commencé à picoler. Une demi-heure plus tard, il était bourré, avait déboutonné sa chemise jusqu’au nombril et racontait des blagues salaces à la fille terrorisée de Terrence Arbinson. C’est ce qui peut se passer quand on a choisi une nature : « Alcoolo » Choisissez  deux  natures.Vous ne pouvez pas choisir deux fois la même mais toutes les autres combinaisons sont possibles. Il est donc tout à fait possible de choisir des natures conflictuelles. Si vous voulez jouer un cornu, l’une de ces deux natures sera forcément celle du peuple (golem, succube, séraphin, possédé). La liste complète des natures disponibles figure à la fin des règles de création de personnage.

HISTORIQUES La plupart des héros du Noir sont des gens marqués par la vie, qui traînent avec eux un lourd passé et pas mal de casseroles. Vous disposez de 50 points pour acheter des historiques  : des périodes de votre vie, des possessions ou des richesses, des relations... Tous ces historiques pourront vous être utiles en cours de jeu, qu’il s’agisse d’aide matérielle ou de source d’information. Ils vous permettront aussi tout simplement de mieux incarner votre personnage.

PASSÉ

Un passé représente une période de vie du personnage, suffisamment marquante pour avoir encore des répercussions dans sa vie actuelle, au moins en tant que souvenir obsédant. Un passé peut être une période large, une série d’événements, voire un groupe social régulièrement fréquenté. Il suffit, le plus souvent, de réfléchir au parcours de vie du personnage, à ce qu’il a fait, aux événements qui l’ont marqué. Il est possible d’utiliser un passé comme source d’information, surtout s’il recouvre la fréquentation d’un groupe social particulier. Ces informations seront toujours d’ordre général et représentent ce que tous les gens d’un milieu donné savent et tiennent pour acquis. Aucune information précise ne pourra être obtenue par ce moyen  :

pour en savoir plus, il faut bénéficier de contacts privilégiés. Au mieux, pouvez-vous espérer « prendre la température ». Si vous avez fréquenté la haute société d’Harbor, vous avez sans doute entendu parler des nombreuses conquêtes féminines du maire Palmer. Mais pour identifier une fille en particulier, seul un proche du maire pourra vraiment vous renseigner. Les passés vous permettent également de déclencher les Flashbacks. Vous verrez plus loin ce que ceux-ci permettent de faire, mais sachez qu’un Flashback doit obligatoirement être lié à l’une de vos périodes de vie. Le coût d’un passé est toujours de 10 points.  Notez bien  : tout personnage possède un passé gratuit à la création. Quelques exemples  : a participé à la construction du pont de Brooklyn, a vécu un divorce douloureux, a passé 10 ans en tôle, a fait un tour du monde, a participé à la seconde guerre mondiale, a été policier municipal, a longuement fréquenté le monde de la nuit, a rejoint les Brigades Internationales en Espagne, a perdu un enfant en bas âge, a été interné à la suite d’une longue dépression, est devenu membre d’une confrérie étudiante pendant son séjour à l’université…

LE PASSÉ DES CORNUS Tous les cornus, avant le Jour des Cendres, ont vécu de l’autre côté, dans le Dédale, sous la férule démente des Asservis. Pour l’écrasante majorité d’entre eux, ce fut une vie d’esclave, où toute notion de temps était effacée. Il est donc logique que de nombreux cornus partagent le même passé «  Esclave des Asservis » et qu’il s’agisse de leur passé gratuit. Toutefois, ce n’est en rien une obligation. Certains cornus ne se souviennent plus de cette vie antérieure. Le passage traumatisant dans notre réalité a déchiré leur mémoire, ne laissant que de vagues souvenirs épars. Si vous choisissez cette option, choisissez librement votre passé gratuit. Mais sachez que vous ne pourrez jouer aucun flashback relatif à votre vie dans le Dédale.

190

TAPIS VERT

RELATIONS

Les relations représentent les gens que le personnage connaît et à qui il peut éventuellement faire appel pour obtenir de l’aide ou des renseignements. Bien entendu, ce genre de chose ne fonctionne jamais à sens unique : il n’est pas rare qu’une relation réclame à son tour de l’aide. Et plus leur lien sera fort, plus les services rendus seront importants. Pensez donc à soigner vos relations. Deux éléments sont importants dans la définition d’une relation  : le type de lien entre le personnage et la relation ; et le niveau d’influence de cette dernière, son statut. Les relations d’un personnage peuvent être des contacts (5 points), des alliés (10 points) ou des amis (15 points). Le statut du contact

coûte également des points : monsieur toutle-monde  (5 points),  autorité mineure  (10 points),  caïd local  (20 points) ou  gros ponte (30 points). Quelques exemples : Marvin Vanlow, détective privé que vous avez déjà eu l’occasion de croiser sur une enquête (5 pour le contact, 10 parce qu’il a quelques moyens – coût total : 15) ; Meager Mike, junky et informateur que vous avez déjà tiré d’affaire plusieurs fois (10 parce que c’est un allié, 5 parce que c’est un gars de la rue – coût total : 15) ; Johnson Jonesey, juge à la cour d’appel et roommate à la fac qui a fait de vous le parrain de son fils aîné (20 parce qu’il a de l’influence et des relations, 15 parce que c’est un ami – coût total : 35).

Faire jouer ses relations, c’est avant tout connaître la bonne personne, pas forcément la plus puissante. Ça ne sert à rien d’avoir un adjoint au maire dans la poche si vous n’avez pas les moyens de lui retourner l’ascenseur. Et croyezmoi, il finira toujours par vous demander une contrepartie. Sans compter que ce genre de type est souvent extrêmement occupé. Pensez plutôt à sa secrétaire personnelle, la vieille madame Zilberstein, dont vous promeniez le chien, enfant. Elle vous aime tellement qu’elle ne peut rien vous refuser. Un bouquet de fleurs et une boîte de bonbons suffisent à la rendre heureuse et elle ne refusera pas un peu d’excitation, histoire de combler sa morne vie de vieille fille… Pourtant c’est une madame tout-le-monde, non ? Alors bien sûr, elle ne pourra jamais peser sur un juge ou vous avancer cent mille dollars. Mais vous raconter les rumeurs d’alcôve ou subtiliser un dossier du bureau de l’adjoint au maire, ça pourrait se révéler tout aussi utile.

POSSESSIONS

Les possessions sont des objets mobiliers ou immobiliers possédés par le personnage. Bien souvent, ces objets ne sont pas banals  : pas la peine de dépenser des points d’historique pour votre rasoir ou pour une paire de mocassins. L’objet sera souvent un élément de votre passé et vous entretiendrez un lien fort avec lui. En général, ces objets ne peuvent être aisément perdus (sauf si le personnage les met en jeu

ou en gage) et doivent être remplacés d’une manière ou d’une autre en cas de casse. 5 points : arme sur mesures, bagnole, garderobe, carnet d’adresses... 10 points : petite baraque, refuge sûr 20 points : haras de course, bateau sur le lac... 30 points : hôtel particulier ou une affaire comme un club, un rade ou une petite entreprise 40 points : des parts dans les casinos ou une grande compagnie, un territoire chez les Affranchis.

TAPIS VERT

191

FRIC

Allouez des points d’historique à votre Fric pour en fixer le score. Il s’agit essentiellement d’un revenu ou d’une rente, provenant des activités de votre personnage. Chaque personnage commence avec un niveau de Fric de 5, offert sans dépenses de points. Voici quelques exemples de revenus : 5 points : ouvrier 10 points : contremaître ou employé, flic en uniforme 15 points : col blanc, détective, petit avocat 20 points : avocat connu, agent immobilier 30 points  : grande finance, très haute bourgeoisie rentière de Heaven Harbor

STATUT

Il est possible que votre personnage appartienne à une organisation et y possède un statut et une autorité, avec les droits et les devoirs associés. Le statut +5, celui de monsieur tout-le-monde, est offert à chaque personnage. Attention, certaines positions

pourront ne pas être acceptées par la Voix Off. Assurez-vous en avant de dépenser les points d’historique. Vous remarquerez que les statuts sont les mêmes que ceux dont vous devez payer le coût lors de l’achat d’une relation, à une différence près : vous ne pouvez pas avoir de relation avec un statut de 40 dès la création du personnage. 0 points : racaille 5 points : monsieur tout-le-monde 10 points : autorité mineure : policier, chef de gang 20 points : caïd local : détective, consigliere, conseiller du maire, avocat 30 points : gros ponte : détective de la crime ou agent du FBI, capo, adjoint au maire 40 points : puissance : chef de la police, chef de famille mafieuse, maire de la ville Il est possible, comme vous le verrez plus loin, de choisir des statuts négatifs, dont la valeur sera donc retranchée de votre statut. Celui-ci pourra donc au final se révéler négatif.

Le statut est une notion très spéciale dans Hellywood. Par principe, la Voix Off devrait permettre à ses joueurs de ne choisir cet historique que sous certaines conditions précises, fixées par le type de campagne qu’elle a en tête. Nos règles de création de personnage et notamment la valeur de 50 points d’historique sont conçues pour donner naissance à des tough guys, des durs qui doivent lutter pour survivre sans réel statut ni pouvoir, et sans véritables connexions parmi les puissants, autrement que comme larbin. Dans ce cadre, la VO peut autoriser certains personnages à choisir un statut à 10 points, représentant un poste un peu plus prestigieux. Aller au-delà peut clairement déséquilibrer une table orientée « proche de la rue », qui est l’approche de base d’Hellywood. Néanmoins, il est tout à fait possible de raconter des histoires très particulières. Jouer un groupe de flics vétérans chargés de lutter contre la corruption au sein de la police, incarner les membres dirigeants d’une famille mafieuse en proie à une guerre des gangs et des problèmes de succession  ; ou encore des hommes politiques ambitieux gravitant autour de la mairie d’Harbor  : toutes ces idées peuvent être la base de campagnes mémorables. Dans ce cas, laissez les joueurs accéder aux statuts équivalents et n’hésitez pas à augmenter le nombre de points d’historiques : une fois payé un statut de 30, il en reste peu et le frère d’un parrain de la mafia a certainement de nombreux contacts et possessions à définir. Les statuts sont une indication principalement destinée au jeu de rôle. C’est une mesure arbitraire de la façon dont les autres réagissent à votre présence. Une bande de flics n’hésitera jamais à tabasser une racaille mais se posera de sérieuses questions avant de malmener un avocat de renom. Enfin, le statut présente un intérêt particulier si vous utilisez les conseils sur l’intensité dramatique, donnés à la fin du chapitre Craps.

RÉPERTOIRE DÉMONIAQUE

Cet historique est réservé aux inconscients qui veulent faire commerce avec les forces du Dédale. Ce répertoire n’est pas un objet physique  : c’est une sorte d’abstraction de la familiarité du personnage avec les forces des Asservis, sa connaissance de leur hiérarchie, sa capacité à appeler le bon interlocuteur. Son fonctionnement vous sera expliqué dans la section « Asservis et démons  ». Chaque niveau de répertoire coûte 20 points d’historique.

HISTORIQUES DÉSAVANTAGEUX

Parfois le passé se révèle très lourd à porter. On traîne comme des boulets certaines expériences passées ou certaines erreurs de jeunesse. Certains stigmates ne s’effacent pas aisément. Vous pouvez donc choisir jusqu’à trois historiques « négatifs » qui rapportent un certain nombre de points permettant d’acheter d’autres historiques. Broke (-20) : l’inverse du passé « Fric ». Le personnage n’a plus un rond. Au choix il peut être sans rien du tout (donc hobo) soit disposer d’un toit, de quelques fringues propres et de 2 ou 3 possessions, mais être

TAPIS VERT

193

en contrepartie criblé de dettes. Dans ce cas, il risque naturellement de voir ses créanciers débarquer, désireux de lui briser les doigts pour lui rappeler ce qu’il doit. Ennemis  : les ennemis se calculent exactement comme les relations amicales, en fonction de l’intérêt qu’ils portent au personnage et de leur pouvoir. Plus ils sont puissants et hargneux, plus ils rapportent de points et plus ils se révéleront être une plaie. Statut négatif  : un statut négatif est soit une réalité (on ne choisit pas sa couleur de peau et on ne peut rien contre sa tronche de pierre), soit une réputation que le personnage a acquise au cours de son existence. Qu’elle représente une réalité ou pas est alors laissé à l’entière appréciation du joueur mais, quoi qu’il en soit, elle continuera à le poursuivre. Cette mauvaise réputation est soustraite au statut du personnage, pouvant ainsi le réduire à zéro ou même le rendre négatif. Ainsi, un flic golem ne bénéficiera-t-il pas de son statut de policier (10) puisqu’il est

annulé par son statut négatif de cornu (–10). Dans la tête des gens qu’il croise, il a beau porter un uniforme, il reste une créature surgie de l’enfer. -10 : homosexuel, japonais, communiste... -20 : balance, déserteur... -30 : pédophile, assassin psychopathe… Notez bien : tous les cornus possèdent automatiquement (et sans que cela ne leur rapporte de points) un statut négatif de « cornu » à –10. Séquelles  : Une séquelle est une cicatrice, physique, mentale ou sociale, quelque chose qui persiste après un épisode fort et dramatique de la vie du personnage. La séquelle peut parfois influer sur les actions du personnage en réduisant sa cave ou en augmentant un score de dommages (de manière permanente ou non). Reportezvous à la section «  séquelles  », dans les règles de jeu, pour savoir comment celles-ci fonctionnent.

ATTRIBUTS Un tough guy possède neuf attributs. Ils représentent à la fois la force et la motivation qu’un personnage peut exercer pour accomplir des actions, ainsi que sa capacité à encaisser les déconvenues, les revers et les échecs pour continuer à agir, envers et contre tout. Chaque attribut possède un  score  fixe. Ce score est utilisé comme une  cave  – une réserve – permettant de miser pour accomplir une action. La cave peut grandement descendre et remonter au cours du jeu, tandis que le score reste constant, augmentant seulement avec l’expérience. Votre personnage possède une  base de 40 dans tous ses attributs. Vous pouvez ensuite répartir 400 points entre tous. Attention, à la création du personnage, aucun score ne peut être supérieur à 200, sauf exceptions accordées par la Voix Off ou par certaines natures. Le pallier minimum

194

TAPIS VERT

des attributs est de 5  : vous ne pouvez donc pas allouer 52 points à un attribut, seulement 50 ou 55. Les neuf attributs sont répartis en trois catégories  : attributs physiques, attributs mentaux et attributs sociaux. Dans chaque catégorie, vous noterez la présence d’un attribut dit  de résistance  (respectivement Solidité, Tripes, Aplomb).

ATTRIBUTS PHYSIQUES

Le Doigté – Il représente le savoir-faire et la précision manuelle du personnage, sa capacité à manipuler objets et matériels. Idéal pour effectuer des actions un peu complexes comme déverrouiller une serrure récalcitrante. Le Punch – Il représente la patate brute, la pugnacité combattante, la rapidité et la souplesse, l’énergie du fauve. Frapper fort ou frapper précis, tout cela dépend du Punch.

La Solidité  – C’est la ressource de la survie et de la puissance physique du personnage, sa capacité à accomplir des efforts physiques importants ou à ne pas se faire décaniller bêtement.

ATTRIBUTS MENTAUX

Les Méninges  – Elles représentent la capacité d’abstraction, d’improvisation et la mémoire du personnage, son astuce et ses connaissances. Le Mojo  – Ce terme désignait le «  fluide  » vaudou, la maîtrise des forces ténébreuses. C’était aussi un terme désignant le « magnétisme » masculin qui fait se pâmer les femmes. Dans Hellywood, le Mojo désigne plus simplement l’affinité du personnage avec les forces surnaturelles du monde, à la fois sa résistance et son empathie envers le Maelström.

Les Tripes – Elles représentent les nerfs et le sang-froid du personnage, tout ce qu’il faut pour être capable de sortir un feu et de défourailler sans trembler.

ATTRIBUTS SOCIAUX

La Trogne  – Elle représente l’aura, la présence physique, la grande gueule du personnage, sa capacité à intimider, à brutalement séduire en faisant appel aux réactions les plus primitives. Le Bagout  – Il représente l’éloquence, l’aisance verbale, la capacité à embobiner son prochain ou à séduire par son baratin. L’Aplomb – Il représente la maîtrise de soi en société, la capacité à encaisser n’importe quel sarcasme, insulte ou accusation et rester de marbre, imperturbable.

LES DOMMAGES Les trois scores de dommages (physique, mental, social) sont égaux à 0 à la création

du personnage. Ils peuvent augmenter par la suite lors des oppositions.

LES TALENTS Par principe, les attributs suffisent à effectuer ou tenter n’importe quelle action. Néanmoins, les talents d’un personnage définissent ses points forts  : les domaines dans lesquels il est meilleur qu’un autre, où il s’est entraîné ou a été formé. Notez bien qu’il n’est pas nécessaire de posséder un talent pour accomplir une action qu’il recouvre. Les talents s’échelonnent en 3 degrés – professionnel, expert et virtuose – et modifient la manière dont on lit les dés, comme cela vous sera expliqué plus loin dans le chapitre. À la création, votre personnage possède  9  niveaux de talent que vous pouvez répartir entre les talents de votre choix. Néanmoins, il lui est pour l’instant impossible de posséder un talent de niveau 3 (virtuose).

Administrateur : maîtrise de l’économie, de la politique, du droit et des finances. Arpenteur  : vivre dans la rue, survivre sur le trottoir et utiliser les ressources naturelles de la cité. Artiste : maîtrise des disciplines artistiques comme le dessin, la peinture, la photo, la sculpture… Athlète : recouvre l’ensemble des disciplines sportives  : sauts, escalade, course de vitesse, natation… Bagarreur  : le corps à corps, avec ou sans tesson de bouteille. Casseur : ouverture de coffres, de casiers ou de serrures avec ou sans matériel. Chauffeur  : conduire les voitures, camions et motos. Comédien : jouer un rôle, prendre un accent, baratiner, se déguiser…

TAPIS VERT

195

Commerçant  : connaissance, évaluation et marchandage des biens et des personnes, capacité à mener une négociation commerciale Démoniste  : connaissance des démons et mise en place des divers sacrifices nécessaires, des tractations et de la diplomatie à déployer pour commercer avec eux. Diplomate  : trouver des arrangements, convaincre l’autre du bien-fondé de son opinion. Savoir comment se comporter dans tel ou tel milieu social. Enquêteur  : déduction, fouille exhaustive d’un lieu, méthodes d’investigation. Entertainer  : c’est le talent du showman  : danse, chant, stand-up comedy… Joueur  : habilité à compter les cartes ou à bien lancer les dés. Mécano  : réparation, entretien et fabrication d’un peu tout ce qui peut tomber en panne. Pilote  : conduire les véhicules volants et marins.

Psychologue : comprendre les méandres de l’inconscient, savoir reconnaître les signes physiques et verbaux du mensonge, de la gêne ou de la culpabilité… Scientifique  : les disciplines scientifiques, des mathématiques en passant par la chimie ou la biologie. Séducteur : utilisation de sa voix et de son physique pour obtenir satisfaction (en tout genre). Technicien  : bricoler, réparer, modifier le matériel ou les armes. Tireur : utilisation de toutes les armes de jet et de distance. Toubib  : médecine d’urgence, soins des petits bobos... Videur : contrôler les gens par l’apparence, l’intimidation ou la technique, être physionomiste. Voleur : ne pas se faire voir, ne pas se faire entendre, subtiliser les objets avec discrétion ou assommer un vigile sans se faire repérer.

UN MOT SUR LES TALENTS Vous aurez constaté que les talents sont larges et donc, versatiles. Cela devrait permettre au joueur d’utiliser de manière originale l’étendue des capacités de son personnage. Par ailleurs, certains talents habituellement présents dans les règles de jeux de rôle, comme ceux relatifs à la Perception, n’apparaissent pas dans la liste. En fait, n’importe quel talent est utilisable pour modifier un jet de perception. Simplement, il faut qu’il soit applicable à l’action et qu’il découle du domaine d’expertise du personnage  : Enquêteur permettra de fouiller une pièce avec attention, Videur de reconnaître un déguisement, Voleur d’écouter aux portes ou Chauffeur de lire une plaque d’immatriculation lointaine ou couverte de boue… Chaque talent permet donc de faire des jets relatifs à son domaine. C’est un peu la même chose pour les connaissances : un bon tireur connaîtra forcément les différents modèles d’arme et saura les entretenir correctement.

196

TAPIS VERT

DERNIÈRES TOUCHES Voilà. Votre personnage est prêt. Donnez-lui un nom, décrivez sommairement son apparence et son style, mettez-lui une

cigarette à la lippe, enfilez-lui un trench-coat, vérifiez son chargeur… Il est prêt à se lancer dans les rues sombres d’Heaven Harbor.

RÉCAPITULATIF DE LA CRÉATION DE PERSONNAGE 1. Choisissez  deux natures. Si vous êtes cornu, vous devez prendre la nature correspondante comme l’une de vos deux natures. 2. Choisissez vos historiques : vous disposez de 50 points et d’un passé gratuit. Si vous êtes cornu, vous inscrivez le statut négatif «  cornu  » sans gagner de points supplémentaires. Passé : 10 points par passé supplémentaire Relations : 5 à 15 points pour le niveau de relation et de 5 à 30 pour le statut de celle-ci Possessions : richesses mobilières ou immobilières pour 5 à 40 points Fric : 5 à 30 points pour définir les revenus du personnage. Les 5 premiers points sont offerts Statut : seulement si la VO vous le permet Répertoire démoniaque : 20 points par niveau Historiques négatifs : jusqu’à trois historiques. Les points rapportés permettent d’acheter de nouveaux historiques. 3. Attributs : base de 40 points dans chaque et 400 points à répartir. On ne peut pas dépasser 200 dans un score. 4. Talents : 9 points à répartir. On ne peut pas avoir de talent au rang 3 à la création.

UN EXEMPLE ? Tout cela sera sans doute plus parlant si nous nous penchons quelques instants sur le cas de Sergueï, sombre brute à l’accent slave rocailleux qu’il vaut mieux ne pas croiser le soir, dans les ruelles d’Harbor. Sergueï est une sorte de survivant qui revient à chaque coup, là où un homme normalement constitué serait déjà mort ou aurait jeté l’éponge. Cela colle parfaitement avec la nature « Déjà Mort ». Il a toutefois vécu beaucoup de choses éprouvantes, qui l’ont prématurément vieilli  : sa seconde nature sera « Sur le retour ». Sergueï était un valeureux soldat de la grande Armée Rouge. Comment et pourquoi arriva t-il à Heaven Harbor  ? C’est un mystère dont il refuse de parler. Mais ce sera tout de même son premier historique, qui est gratuit  : il a participé à la seconde guerre mondiale, sur le front de l’est. Une fois en Amérique, Sergueï a vécu une vie de vagabond. Il choisit un second passé : « hobo », qui lui coûte 10 de ses 50 points d’historique. Il arriva à Harbor un soir, par le train, hobo parmi les hoboes. Il venait de fracasser le crâne du contrôleur qui voulait le faire sortir de la bétaillère à pleine vitesse et la tête la première. Traînant le long des voies, Sergueï se retrouva rapidement dans une zone à moitié abandonnée de la gare de fret, dans les Fields. C’est là qu’il sauva la vie de Benito Efficcelli, neveu d’un capo la famille Grachetti. À genoux, son beau costume en pure laine vierge tâché par la graisse des rails, Benito attendait que les deux durs envoyés par la concurrence lui collent une balle dans le visage. Ils n’en eurent jamais l’occasion  :

Sergueï sortit son Tokarev et fit le ménage. Dès lors, il avait du travail… dans la Famille. Le Tokarev ouvragé et équilibré de Sergueï est une possession d’une valeur de 5 points d’historique. Quand à Benito, c’est un contact d’une grande valeur. Sergueï lui a sauvé la vie, c’est donc un ami (15 points) et son statut au sein de la famille Grachetti est non négligeable (20), soit 35 points en tout. Voilà pour les historiques de Sergueï. Il n’a acquis aucun statut : sa relation avec les Grachetti dépend uniquement du bon vouloir de Benito. Comme tout un chacun, il est donc un « monsieur tout-le-monde ». Il n’a pas non plus investi de points en Fric : il ne dispose qu’un de niveau de Fric de 5, qui est offert à la création. Restent les attributs et les talents. Avec 100 en Punch et 140 en Solidité, c’est une force de la nature. Ce type là sait encaisser : il aura des Tripes à 100 et un Aplomb à 100. Les attributs restants seront forcément un peu moins élevés, même si avec une Trogne à 70, le bougre est assez impressionnant. Sans surprise, Sergueï dispose des talents qu’on est en droit d’attendre chez un exsoldat : il maîtrise les armes à feu (Tireur), sait faire le coup de poing (Bagarreur), peut conduire et réparer des véhicules (Chauffeur et Mécano) et est en bonne condition physique (Athlète). Sa vie de hobo justifie qu’il sache détrousser son prochain (Voleur) et survivre dans la rue (Arpenteur). Comme il parle peu et regarde beaucoup, Sergueï a le temps de détailler les gens qu’il rencontre (Psychologue). Il peut dès à présent faire sienne les rues d’Heaven Harbor…

Natures : Déjà mort, Sur le retour Historique  : Passé (Deuxième guerre mondiale (gratuit), Hobo (10)) ; Possession (un Tokarev réglé à sa main (5)) ; Contact (Benito Efficcelli (15+15=35)). Attributs : Doigté (90), Punch (100), Solidité (140), Méninges (60), Mojo (50), Tripes (100), Trogne (70), Bagout (50), Aplomb (100). Talents  : Mécano 1, Chauffeur 1, Tireur 2, Voleur 1, Bagarreur 1, Athlète 1, Arpenteur 1, Psychologue 1

198

TAPIS VERT

LES NATURES ACCRO/ALCOOLO

C’est arrivé sans que tu t’en rendes vraiment compte, et sans doute refuses-tu toujours de l’admettre. Mais si tu ouvres les yeux, ne serait-ce qu’une fois, l’évidence est incontournable  : tu vis uniquement à travers le prisme de ta dépendance. Que ce soit l’alcool, la drogue, le sexe ou le jeu, tu es profondément accro. A tel point que même si tu parviens à le cacher, c’est devenu sousjacent dans tout ce que tu fais. Tu ne peux plus t’en passer, tu ne peux plus revenir en arrière. Et tu n’hésiteras pas à tout sacrifier pour obtenir ta dose et tenir une journée de plus, loin des affres du manque. Références  : Warrick Brown (Les Experts), Matt Scudder (Lawrence Block), Eddie Valiant (Roger Rabbit) Avantage  : si le personnage réussit à mettre la main sur une dose de son produit miracle, il gagne une recave gratuite additionnelle pour l’une de ses caves. Inconvénient : en situation de manque, ses caves tombent à la moitié de leur valeur normale.

AMBITIEUX

Quand t’étais gamin, tu faisais marrer tout le monde avec tes rêves de grandeur. Mais aujourd’hui, tu y es arrivé et plus personne ne se permet de rire. Oh, tu as bien dû écraser quelques personnes pour obtenir ce que tu voulais, mais ça en valait le prix et tu es prêt à recommencer. Parce que tu ne peux tout simplement pas t’arrêter en si bon chemin. Références  : Ed Exley (LA Confidential), Tony Montana (Scarface) Avantage  : si le personnage réussit les objectifs du scénario, la VO est obligée de lui proposer un nouveau poste plus élevé, ou de nouvelles responsabilités. Inconvénient  : il gagne un niveau d’ennemi par scénario (soit un ennemi de niveau 1, soit un niveau supplémentaire pour un ennemi existant)

AMI DE TOUT LE MONDE

Ce quartier c’est chez toi. Tu en connais les moindres ruelles et surtout les moindres visages. Cela ne veut pas dire que tout le monde t’apprécie, mais tout le monde te connaît. Tu n’es pas la fierté locale, tu es mieux que ça : tu fais partie du décor. Références  : Patrick Kenzie (Dennis Lehane) Avantage : le personnage bénéficie d’un niveau de relation de 1 avec tous les habitants d’un quartier donné. Il lui faudra par contre payer le plein tarif pour les niveaux suivants. Inconvénient  : il ne peut pas passer inaperçu dans son quartier.

AMNÉSIQUE

Un grand vide et plein de questions, c’est tout ce qui te reste de ton passé. Tu sens qu’il contient des trucs importants, si seulement tu pouvais te rappeler quoi… A vrai dire tu ne sais même pas qui tu es, d’où tu viens, où tu as gagné tes cicatrices, ni pourquoi ton esprit a choisi d’oublier plutôt que de supporter le poids de son passé. Références : XIII (la BD), Harry Angel (Angel’s Heart), Jason Bourne Avantage : le personnage dispose de 100 points d’historiques à répartir à la création. Inconvénient  : c’est la VO qui choisit ses historiques et les lui fera découvrir petit à petit.

AMOUREUX

Elle t’a bien eu, hein ? Tu ne penses qu’à elle, tu rêves d’elle, tu la vois dans la rue, dans le reflet du miroir. Tu sens son odeur, tu frissonnes au contact de sa peau sur la tienne. Mais elle n’est plus là, elle est partie et pour de bon. La dernière fois, elle t’a balancé tout ce qu’elle avait sur le cœur, tout ce qu’elle pensait vraiment de toi. C’était pas beau et ça t’a fait mal. Mais tu lui pardonnes, parce que sans elle, ta vie n’a plus de sens. Et promis, tu vas faire ce qu’il faut, tout ce qu’il faut, pour qu’elle comprenne, pour qu’elle revienne. Tout…

TAPIS VERT

199

Références  : Sam Rothstein (Casino), Buzz Meeks (Le Grand Nulle Part) Avantage  : en présence de l’être aimé, le personnage peut ignorer les effets de ses séquelles. Inconvénient  : il doit réussir un test de Tripes difficile pour ne pas céder à une exigence de sa moitié.

BALANCE

Tu t’es si souvent retrouvé dans de sales draps que tu as fini par apprendre une chose : quelle que soit l’envie qu’a ce type de te casser la tête, il y a forcément quelqu’un à qui il en veut encore plus. Et jusqu’ici, tu t’en es toujours tiré en donnant le bon nom, au bon moment, à la bonne personne. Mais ce qui t’a sauvé la peau si souvent risque bien de finir par te la coûter : dans ton milieu, on n’aime pas trop les balances. Références  : Huggy les bons tuyaux (Starsky & Hutch) Avantage  : le personnage a toujours un nom à balancer pour se tirer d’un mauvais pas. Inconvénient  : chaque nom lui coûte un FBP et éventuellement un ennemi si ça venait à être su.

CAMÉLÉON

C’est comme ça, les gens t’aiment bien. Où que tu ailles, tu te fais des amis, avec ta bonne bouille, ton sourire charmeur et ta capacité à rire à leurs blagues les moins drôles. Évidemment, la profondeur des sentiments, les grandes amitiés, c’est pas ton truc. Mais au fil des rencontres, ton carnet d’adresse commence à s’épaissir, à compter quelques gros bonnets sur qui ton charme a fait son petit effet. Références  : Jack Vincennes (LA Confidential) Avantage : à la création, le personnage paie le coût du statut de ses contacts moitié prix. Inconvénient  : il ne peut acquérir que des contacts ou des alliés (niveau 1 ou 2), jamais d’amis.

200

TAPIS VERT

CINGLÉ

C’est irrémédiable  : quelque chose a claqué dans ta petite tête. Depuis, ça ne tourne plus rond. La plupart du temps, tu es calme, comme avant. Comme si de rien n’était. Et soudain, ça pète. Et là, tu fais des choses complètement dingues. Ça bouillonne à l’intérieur et ça veut sortir. Les docteurs ont parlé de traumatisme et de tu sais-plus-quoi qui se termine en -isme aussi. Ils ont sans doute raison, ils savent de quoi ils parlent. Références : Mr Blonde (Reservoir Dogs), Bubba (Dennis Lehane), Marv (Sin City) Avantage : le personnage est insensible aux dommages mentaux. Inconvénient  : en grillant des FBP, la VO peut l’obliger à des actes de folie pure, même (et surtout !) s’ils sont dangereux pour lui-même ou ceux qui l’entourent.

CODE D’HONNEUR

Ça pose bien plus de problèmes que ça n’en résout, mais tu t’y tiens. L’honneur, c’est la dernière chose qui ne s’achète pas, c’est le seul moyen de rester droit dans ses bottes, de suivre le bon chemin sans dévier. Tu as établi des règles et tu les suis. Aussi simple que ça. Un homme a besoin de limites, de repères. C’est comme ça que les choses devraient tourner. Quoi que tu fasses, tu sais toujours où est la ligne et de quel côté tu te tiens. Références  : Ghost Dog (le film), Carlito Brigante (l’Impasse) Avantage : une fois par scène, lorsque le personnage effectue une action dictée par le code, il a droit à une relance gratuite. Inconvénient  : chaque incartade au code se paie en FBP, de 1 à 3 selon la gravité.

CROYANT

Tu n’es pas sûr qu’il ressemble exactement à ce qu’en disent les pasteurs et les curés, mais tu sais qu’il y a quelqu’un làhaut. Quelqu’un qui regarde ce que tu fais et qui veille sur toi. Oh, certains jours, tu te dis bien que tout ça c’est des salades et tu as envie de tout envoyer balader. Mais si tu n’as plus ta foi sur laquelle compter, alors tu ne sais pas ce qui te restera.

Références  : Jesse Custer (Preacher), Papa Midnite (Hellblazer), Jacob Fuller (Une nuit en enfer) Avantage  : une fois par scénario, le personnage a droit à une recave à n’importe quel moment. Elle doit être justifiée par le joueur comme un appel à ses convictions intimes. Inconvénient  : à chaque fois que les évènements lui font douter de sa foi, il gagne dix points de dommages sociaux.

CYNIQUE

On ne te la fait pas, à toi. Les grandes idées, les beaux sentiments, les gens  : tu es revenu de tout ça. Contrairement à la plupart des gens, tu vois le monde tel qu’il est  : un sale endroit. Pessimiste, dépressif, toi  ? Même pas. Tu as compris qu’il n’y avait rien à espérer, alors autant se contenter de ce qu’on a et essayer de tirer son épingle du jeu. Une jolie fille, un verre de scotch, il faudrait vraiment être un naïf pour croire que la vie a quelque chose de mieux à vous offrir… Références : Phil Marlowe (Chandler), Sam Spade (Hammett), John Constantine (Hellblazer) Avantage  : si le personnage gagne des séquelles sociales, elles ne s’appliqueront qu’à la fin du scénario. Inconvénient  : il gagne des FBP à chaque fois qu’il se comporte de manière exclusivement altruiste, de 1 si ça ne lui coûte qu’un peu de temps ou d’argent, à 3 s’il va jusqu’à risquer sa vie.

DÉJÀ MORT

Tu es déjà mort. Tu es revenu de tout, tu as traversé l’enfer et tu y as laissé quelque chose. Tu n’es plus qu’une enveloppe. Tous ces types qui se la jouent, comme s’ils avaient tout vu et tout fait, jugeant le monde du haut de leur cynisme bourgeois, ça te ferait bien rire si tu riais encore. Toi, tu sais ce que ça coûte vraiment de voir le mal dans le fond des yeux. Alors, peu importe ce qui peut t’arriver. Tu es déjà mort. Références  : Pale Rider (le film), The Punisher, William Munny (Impitoyable)

Avantage : on peut mettre le personnage out, mais on ne peut pas le tuer. Inconvénient  : outre qu’il est plutôt effrayant, il n’a plus aucune existence officielle.

DÉVIANT

Il y a un truc qui ne va pas avec toi. Va savoir d’où ça vient. Va savoir où ça te mènera… Tu fais des choses bizarres, des choses que les autres, s’ils les apprenaient, qualifieraient sûrement de tordues, de moches ou de sales. Ils ne peuvent pas comprendre que c’est là, et que ça te bouffe et que tu n’es bien que lorsque tu l’as fait. Bien sûr, tu peux regretter, mais y échapper ? Alors une bonne partie de ta vie est consacrée à cacher qui tu es vraiment… Références : Danny Upshaw (Le Grand Nulle Part), Arthur « Cody » Jarrett (James Cagney dans White Heat) Avantage  : le personnage sait intuitivement détecter les tendances les plus perverses de son interlocuteur. Inconvénient  : il doit effectuer un test de tripes contre une difficulté de 30 lorsqu’il est en présence de sa tentation. La difficulté augmente de 20 à chaque fois qu’il parvient à résister.

EN QUÊTE DE RÉDEMPTION

Peu importe ce que tu as fait – ou ce que tu crois avoir fait. Chaque jour et chaque nuit, tu y penses. Tu donnerais tout pour repartir en arrière, pour changer ce tout petit moment d’existence, pour effacer l’ardoise. Ça n’arrivera jamais. Alors tu cherches le moyen de te racheter. Comme si ça allait changer quoi que ce soit. Comme si quelqu’un allait enfin venir et te dire que tu n’y étais pour rien, qu’il faut oublier maintenant. Peu importe, tu cherches, encore et encore. Peu importe les moyens, peu importe le résultat. Tu commences à comprendre que certaines choses ne se pardonnent jamais. Qu’on vit avec, jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’on meure avec. Références : Jansen (Le Cercle Rouge) Avantage  : qu’il soit out ou non, le personnage peut miser en utilisant des points de dommage. À chaque fois qu’il

TAPIS VERT

201

devrait normalement perdre de la Cave, il gagne alors des points de dommage. Inconvénient  : une fois par partie, la VO peut invoquer un FB négatif lié à ce passé qu’il veut effacer.

FEMME FATALE

Il y a ce truc, dans les yeux des hommes, lorsqu’ils te regardent. Une sorte de lueur bizarre qui te fait peur et qui te plaît en même temps. C’est devenu une drogue, à la longue, et rien ne te met plus en rogne qu’un type indifférent à tes charmes. Tu feras ton possible pour que lui aussi finisse par t’appartenir, même si tu sais comment ça finit. Références  : Dinah Brand (La moisson rouge), Claire de Haven (le Grand Nulle Part), Phyllis Dietrichson (Assurance sur la Mort). Avantage : la femme fatale a droit à un Flashback supplémentaire par scénario, à condition qu’il s’agisse d’une ancienne aventure amoureuse. Inconvénient : les hommes qui tombent amoureux d’elles sont irrémédiablement condamnés.

FEMME LIBRE

On dit des grandes séductrices qu’elles tiennent les hommes à leur merci, mais tu sais que ce ne sont que des salades. Si elles sont si puissantes, si libres, pourquoi restent-elles cantonnées à ce rôle de belle plante silencieuse ? Très peu pour toi : tu n’as qu’une seule ambition, faire tout ce qu’un homme peut faire sans recevoir d’ordre de personne. Évidemment, c’est mal vu, mais ce n’est pas ça qui t’arrêtera. Références : Anne Riordan (Adieu ma jolie), Jackie Brown (Tarantino), Rose Sayer (Katharine Hepburn dans African Queen) Avantage  : le personnage bénéficie de l’avantage de la surprise lorsqu’elle se bat contre des hommes : ils ont un malus de cave de -20. Inconvénient : certains hommes ont du mal à cause de ce qu’elle représente. Elle subit un malus de -20 sur tous ses tests de Bagout face à des représentants du « sexe fort ».

202

TAPIS VERT

FLAMBEUR

Le fric, les femmes, les belles voitures, tout te brûle les mains. La fourmi qui amasse en prévision de l’hiver, tu ne sais pas ce que c’est. Tu dois absolument montrer ta réussite, il faut que tu brilles d’une lumière aveuglante, même si elle doit s’éteindre la seconde suivante. Le bon côté des choses, c’est que nombreux sont ceux qui s’attachent à toi pour profiter de ta générosité. Le mauvais, c’est qu’ils ne sont plus là lorsque tu es à sec. Références : Tony Montana (à la fin de Scarface), Fast Eddie Felson (Paul Newman dans l’Arnaqueur) Avantage  : le personnage dispose d’un Flashback supplémentaire gratuit mais il s’agit forcément d’un individu envers qui il a été particulièrement généreux. Inconvénient  : la VO peut utiliser des FBP pour faire baisser temporairement son score de Fric, à l’échelle de 5 points de Fric par FBP.

FUGITIF

Peu importe la raison, il y a des gens qui te cherchent et s’ils te trouvent, ils te feront la peau. Cela fait quelques temps que ça dure, tu y es presque habitué. Fermer les rideaux des chambres d’hôtel où tu loges, glisser un flingue sous l’oreiller, ne jamais rester plus d’une nuit au même endroit… La fuite est devenue ta vie. Tu sais qu’elle ne durera plus très longtemps et que chaque jour est un pied de nez au destin. Références  : Dr Richard Kimble (le Fugitif ), Max Dembo (la trilogie de la bête d’Ed Bunker), Lincoln Burrows (Prison Break) Avantage  : chaque case du barillet de la roulette russe vaut pour deux utilisations. Cela permet donc, en particulier, de recourir dix fois à cette règle dans un même scénario. Inconvénient : il risque à chaque instant d’être rattrapé par ceux qui le poursuivent, quels qu’ils soient.

GOLEM

Les gens te voient comme une brute. Difficile de leur donner tort, après tout. Ils n’ont aucun moyen de savoir ce que tu as enduré de l’autre côté ou que, tout comme eux, tu as des aspirations. Et puis, c’est pareil pour tout le monde. On est toujours jugé sur son apparence. La tienne fout les jetons et fait qu’on ne te marche pas sur les pompes : c’est déjà pas mal. Avantage  : Les dommages de cave et de gros moyens que le golem encaisse sont réduits de moitié. De plus, il inflige 10 points de gros moyens lorsqu’il se sert uniquement de ses poings. Inconvénient  : un invocateur qui connaît ses tatouages et réussit son jet de démoniste pourra réciter les mots de pouvoir qui l’asserviront.

HANTÉ

Certains appellent ça la vocation, mais tu sais qu’il s’agit d’autre chose. Au fond, ce boulot n’a aucune importance : seuls comptent les visages, les voix, le regard de ceux que tu as pour mission de défendre. Chaque victime, chaque affaire hurle justice dans ta pauvre tête fatiguée. Il n’y a que toi qui puisses y répondre. Références  : Harry Bosch (Michael Connelly), Batman. Avantage  : quand le personnage décide de rendre justice à une nouvelle victime, il gagne un pool de 100 points de cave à usage unique, qu’il peut répartir librement. Inconvénient  : il gagne une séquelle mentale de 10 points pour chaque affaire non résolue.

JUSQU’AU BOUTISTE

S’arrêter à temps, temporiser, opérer un retrait stratégique… Autant de notions qui te sont totalement étrangères. Tu vas à fond, tu vas au bout, quoi qu’il arrive. Ça fait souvent mal, mais tu ne sais pas faire autrement. Ce qui est commencé doit se finir… même mal ! Références  : John MacLane (Die Hard), Jimmy «  Popeye  » Doyle (French Connection) Avantage  : le personnage ne peut pas être « out » tant qu’il lui reste de la cave ou que ses dommages ne sont pas au maximum. Inconvénient : si à un moment ou à un autre, il décide d’abandonner ou même de temporiser, il gagne des FBP.

LÂCHE

Le courage, c’est bien et puis ça plait aux filles, mais rester en vie, c’est pas mal non plus. Tu as fait ton choix et quand tu repenses à tous ces durs à cuire qui nourrissent les cyprès du cimetière, tu te dis que tu as bien fait. Bien sûr, ça t’a obligé à quelques compromis, mais après tout, le bien le plus précieux d’un homme, si ce n’est pas sa vie, qu’est-ce que ça peut être ? Références : Leo Getz (L’Arme Fatale), Mr Pink (Reservoir Dogs) Avantage : le personnage arrive toujours à faire suffisamment pitié à ses ennemis pour qu’ils ne l’achèvent jamais, au moins pas volontairement. Inconvénient  : il doit rompre une opposition dès que sa cave descend en dessous du double de ses dommages.

LOSER

Quoi que tu fasses, tu as toujours raté tout ce que tu as entrepris. Grandes ambitions et célèbres modèles, tu en avais. Toi aussi tu pouvais devenir quelqu’un, rafler la mise, séduire la fille. Mais ça rate à chaque coup. A se demander si tu n’es pas né pour ça, après tout. Cette idée que tu es voué à l’échec te mine. Pas besoin que les autres te le rappellent, tu le sais bien : au final, quels que soient les beaux habits que tu portes et

204

TAPIS VERT

les grands discours que tu balances, tu es et restes un loser… Mais un loser, ça peut devenir dangereux. Tu leur montreras un jour, qui se cache vraiment derrière le pauvre mec qui les fait rigoler. Références : Nick Belane (Pulp), The Big Lebowsky (les frères Coen), Jerry Lundegaard (Fargo). Avantage : le personnage a appris à tirer des leçons de ses échecs : il gagne toujours le maximum de points d’expérience prévus, qu’il ait atteint les objectifs du scénario ou non. Inconvénient  : ses gains de FBP sont doublés.

MÉTHODIQUE

L’improvisation, c’est pas ton truc. Ce que tu aimes, c’est un bon plan bien complet, où toutes les éventualités sont prises en compte. Et souvent, ça marche. Tu es même connu pour ça  : ton sens de l’organisation te fait parfois passer pour un type un peu froid, un maniaque. Peu importe. Ça fait partie du plan. Références  : Harry Bosch (Michael Connelly), Gil Grissom (les Experts). Avantage : le personnage peut faire un jet de préparation contre une difficulté libre pour gagner une réserve de cave pour la prochaine scène, équivalente à la difficulté choisie pour le premier jet. Inconvénient : il perd 30 points de cave à chaque fois que son plan déraille.

POSEUR

Tu aimes jouer dans la cour des grands, même si tu n’en es pas encore un. La plupart du temps, ça les agace, mais c’est toujours mieux que l’indifférence. Et surtout, ça te permet de t’élever au-dessus de la médiocrité crasse de ceux de ton rang. Références : Danny Upshaw (le Grand Nulle Part) Avantage  : le statut du personnage parait toujours supérieur de 10 points à son statut réel. Inconvénient  : il subit un malus de -20 pour tous ses tests sociaux avec des personnages de statut supérieur au sien.

POSSÉDÉ

Savoir que tu occupes l’enveloppe d’un mec décédé et que tu n’es après tout qu’un cadavre animé par une entité démoniaque, ça défrise la majorité des gens. Le plus drôle, c’est que tes anciens collègues démons te la battent tout aussi froid : ils jalousent le fait que tu aies maintenant un corps. C’est la vie et tu sais quoi ? Elle vaut sacrément la peine d’être vécue ! Avantage  : le possédé a accès aux connaissances du Maelström  : il gagne un niveau supplémentaire de Talent sur tous ses jets de connaissance. Inconvénient  : la difficulté de tous ses tests de Bagout est augmentée de 50.

POURRI JUSQU’À L’OS

Tu peux la jouer réglo au dehors, mais dedans, tu n’es qu’une pourriture. Corrompu jusqu’à la moelle, tu ne recules devant aucune compromission, aucune trahison, aucune. Ton intérêt personnel passe avant tout et tout le monde. Lorsque ta conscience te turlupine et s’agite, tu penses à toutes les bonnes choses qui te sont arrivées depuis que tu as appris à penser d’abord à toi. Et ta conscience se tait. Avec le temps, ça devient de plus en plus facile. Comme on dit, c’est le premier pas qui coûte. Références  : Dudley Smith (LA Confidential), Capitaine Hank Quinlan (la Soif du Mal) Avantage  : le personnage peut refiler ses FBP à ses contacts, alliés et amis, qui en subiront alors les effets. Inconvénient  : on ne lui fait pas confiance, jamais.

PROTECTEUR

Quelque part, là dehors, il existe des gens qui comptent pour toi et ils passeront toujours avant le reste. Qu’ils le sachent et qu’ils t’aiment en retour ou qu’ils ne te connaissent même pas, peu importe. Ils sont ta force : ils t’inspirent et tu trouves le repos en sachant qu’ils vont bien, qu’ils sont à l’abri loin des saloperies de ton

monde. Mais tu sais trop bien qu’ils sont aussi ta faiblesse, car il n’y a pas meilleur moyen de t’atteindre qu’à travers eux… Références : Hartigan (Sin City), Soda (la BD), Vic McKey (The Shield) Avantage  : le personnage partage un lien empathique intangible avec son protégé, grâce auquel il sent toujours lorsque celui-ci est en danger. Inconvénient : si au cours d’un scénario le protégé venait à mourir, alors il serait inconcevable que le personnage survive au scénario. Mais il n’est pas dit qu’il partira tout seul.

RÉVOLTÉ

Ton moteur à toi, c’est la colère. Un brasier de haine sacré et dévorant qui te pousse en avant. Et pas n’importe quelle colère  : elle est blanche et glacée, dirigée, concentrée, inextinguible… Quelle que soit ta cause ou les pourris que tu veux abattre, tu as laissé cette colère t’imprégner si profondément qu’elle est devenue ton seul but. Références  : Shaft (l’original  !), John Rambo (l’original aussi !) Avantage  : être témoin d’une injustice procure immédiatement un bonus de 20 à 60 points au personnage pour la cave de son choix, au cas où il déciderait d’intervenir. Inconvénient    : s’il ne le faisait pas, il engrangerait de 1 à 3 FBP.

SÉRAPHIN

Tu laisses tout le monde circonspect. Ils ne savent pas où te situer, tu leur parais à la fois étonnamment proche et étrangement irréel. Certains ont une peur irraisonnée, d’autres au contraire te vouent une étrange adoration. Mais la plupart du temps, on te fiche la paix. Avantage  : le séraphin parle toutes les langues et il peut voler. Inconvénient : il est aussi fragile que du verre. Les gros moyens qu’il encaisse sont doublés.

TAPIS VERT

205

SUCCUBE

On ne peut aller contre sa nature  : tu en es l’incarnation suprême. Ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas essayer. On peut s’en contenter ou lutter contre, mais c’est une vérité que tu as malheureusement découverte. Ils te désirent. Même s’ils te crachent dessus ou essaient de te démolir juste pour nier ton existence, le désir qu’ils ont pour toi est toujours un feu brûlant dans leur poitrine. Avantage  : au choix, elle peut changer de sexe à volonté ou bien ses phéromones démoniaques lui font gagner un bonus de +50 en cave pour tous ses tests de séduction. Inconvénient  : quel que soit son vice, sexe, soif de sang, domination, souffrance, il est le seul moyen pour elle de recaver.

SUR LE RETOUR

T’es plus tout jeune, et tes os qui craquent sont là pour te le rappeler chaque jour. Tu sais bien que tu ne fais plus le poids face aux jeunots plein d’envie et d’énergie, mais tu as juste ce qu’il faut pour un dernier tour de piste et tu comptes bien faire en sorte qu’on s’en souvienne longtemps. Références  : Terry McCaleb (Créance de sang), William Somerset (Se7en) Avantage : le personnage a droit à deux flashbacks par partie, au lieu d’un seul. Inconvénient  : il n’a plus ses vingt ans, et quand il recave il ne le fait plus que de la moitié de ce qu’il a perdu (arrondi à la dizaine supérieure).

TENDRE

Tu as mis du temps à l’admettre, mais tu es un tendre. Tu as beau avoir une jolie carapace, te la jouer grand fauve urbain et rouler des mécaniques, la vérité c’est que tu craques devant ce qui est faible, incapable de se protéger ou innocent. Ça peut être une faiblesse ou une force, tu ne le sais pas encore. Se la jouer désabusé, se draper dans le cynisme et se retirer du monde pour ne pas avoir à regarder sa cruauté en face, ça va un moment. Pourras-tu le supporter longtemps ?

206

TAPIS VERT

Références  : Ransom Stoddard (L’homme qui tua Liberty Valance) Avantage  : les gens se sentent en confiance avec le personnage et lui confieront tous leurs petits problèmes moyennant un jet de bagout de difficulté 50. Inconvénient  : il doit réussir un jet de tripes contre une difficulté de 30 pour s’attaquer à quelqu’un et contre une difficulté de 50 quand il s’agit de le tuer.

TRANQUILLE

Ce n’est pas de la lâcheté, c’est plutôt que contrairement à d’autres, il te reste quelque chose à perdre. C’est ta force : tu as une maison, une femme, des gosses, des trucs à quoi te raccrocher quand tout devient dingue autour de toi. Il y a moins de chance que tu pètes les plombs, mais c’est aussi plus dur de te faire prendre des risques, même pour une cause qui en vaut la peine. Références  : Jerry Edgar (Michael Connelly), Meyer Meyer (87ème District) Avantage  : le personnage peut choisir de ne pas participer à une scène pour revenir avec ses caves au maximum et ses dommages au minimum. Inconvénient : il gagne un FBP à chaque fois qu’il met sa vie ou sa situation en jeu.

VENDU

Le fric, ça te rend dingue. L’odeur du pognon, sa couleur, sa texture… Et son pouvoir. Le fric ouvre toutes les portes, réalise tous les rêves et transforme un homme en quelque chose d’autre, quelque chose de supérieur qui n’a pas à s’inquiéter des contingences de la vie quotidienne ou des règles qui s’appliquent aux crétins sans fric. Avec du pognon, tu entres dans un autre monde où tout est toujours beau, bien rangé, poli et doux. Avec le fric vient le respect. Tu ne vas sûrement pas l’oublier… Références  : Buzz Meeks (Le Grand Nulle Part) Avantage  : si le joueur le lui demande, la VO est obligée de donner le prix de n’importe quel PNJ. Si son personnage réunit la somme, il pourra le corrompre.

Inconvénient  : lui aussi a un prix qu’il devra donner à la VO à chaque fois qu’elle le lui demandera.

VENGEUR

Il s’est passé un truc, un truc dégueulasse, un truc qui n’aurait jamais dû arriver. Ça t’a changé, ça t’a mis à vif et bizarrement, ça t’a endurci en même temps. La colère est passée. Ou plutôt elle est canalisée. Tu es froid maintenant, calme. Déterminé. Tu sais ce qu’il reste à faire. Rendre la monnaie. Rétablir ce qui est juste. Tuer s’il le faut. Mourir si on en arrive là. Références: The Bride (Kill Bill), Porter (Payback), The Punisher Avantage  : le personnage cause toujours 10 points de gros moyens supplémentaires dès que la personne en face est l’une des cibles de sa vengeance (à définir à la création) Inconvénient : il ne peut se contraindre à laisser échapper la moindre occasion de poursuivre sa vendetta.

VIOLENT

C’est en toi, tu ne peux pas le nier. Quand la colère te submerge, quand tu ne sais pas quoi faire ou que tu te sens déstabilisé, cette rage qui sommeille prend le dessus. A chaque fois. Et à chaque fois, ça fait mal. Pas seulement à toi, mais aussi à ceux sur lesquels ta violence s’abat. Bien souvent des gens que tu aimes. A chaque fois tu te dis que ce sera la dernière, que tu sais ce que ça engendre et que tu sauras te contrôler à l’avenir, que t’arrêteras de casser tout ce qu’il y a de bon et de propre dans ta vie. Mais pour l’instant, ça a toujours foiré. Références  : Bud White (LA Confidential), l’inspecteur Harry (les films), Tommy de Vito (Joe Pesci dans les Affranchis) Avantage  : le personnage inflige 10 points de gros moyens supplémentaires au corps à corps. Inconvénient  : lorsqu’un autre personnage l’agace, la VO peut utiliser des FBP pour le forcer à lui flanquer la raclée qu’il mérite, au coût d’un FBP plus un par rang de statut.

Craps Le Craps est un jeu de dés et de hasard très populaire aux États-unis. Pour jouer, il suffit de miser quelques dollars puis de lancer deux dés à six faces. Si la somme des deux dés donne 7 ou 11, vous gagnez. Si le résultat est 2, 3 ou 12, vous perdez. Pour tout autre résultat, les mises restent en jeu et vous devez relancer pour obtenir des combinaisons particulières (ce qu’on appelle le point-come). C’est le principe de ce jeu qui est au cœur de la mécanique d’Hellywood. Nous l’avons légèrement simplifié – notamment en enlevant les combinaisons de relance – afin

de mettre en évidence l’implacable fatalité du hasard. Les dés roulent seuls et énoncent leur verdict : oui, non, peut-être. C’est un peu comme de tirer à pile ou face mais avec des probabilités plus subtiles puisqu’on peut tomber sur la tranche. Face à l’incertitude du destin, le personnage ne peut que tenter la chance en espérant que ça passera et qu’il fera sauter la banque. Et dans le cas contraire, il lui reste à prier que sa cave sera assez profonde pour qu’il puisse rester à jouer assez longtemps pour se refaire.

RÉGLAGE ET DOSAGE L’une des grandes difficultés que nous avons rencontrée avec le réglage du système durant les tests tenait à sa simplicité formelle et à une certaine forme d’imprécision qu’il véhicule. Il permet de gérer avec élégance (nous l’espérons) toutes les situations, mais il ne propose pas forcément de mode d’emploi précis. Quelle cave utiliser ? Quelle cave impacter ? Où appliquer une séquelle et quand la faire entrer en jeu ? Toutes ces choses dépendent des circonstances, de l’instant présent, de la description que la VO aura faite de la scène. Nous nous sommes rendus compte que nous ne pouvions pas détailler chacune de ces possibilités, même en transformant ce manuel en annuaire. Parce que tout dépend de vos joueurs, de votre rythme, de l’ambiance que vous souhaitez donner à votre partie. Avec un peu de bon sens – non fourni dans ce livre – vous devriez toutefois pouvoir vous sortir de toutes les situations possibles en restant logique et en gardant en tête que ce jeu essaie de coller à une certaine ambiance hardboiled. Les mécanismes présentés ci-après sont simples dans leur conception (bien qu’ils puissent prendre les habitudes de certains à contre-pied) mais comme pour toute chose simple, ils laissent une grande part d’interprétation aux joueurs et à la Voix Off.

208

TAPIS VERT

LE TEST Dès qu’un personnage tente une action ni triviale ni impossible, il effectue un test. Un test consiste à lancer 2d6 pour obtenir certaines combinaisons gagnantes. Il met en jeu les talents et peut faire appel à une cave.

SHOTGUN

Le test le plus simple est le Shotgun. On utilise le Shotgun lorsqu’on veut un résultat brut, quand une action est immédiate, sans enjeu autre que de savoir si oui ou non l’action est réussie. Les jets de perception, par exemple, sont souvent des jets de Shotgun. Pour faire un Shotgun, lancez 2d6. L’objectif est d’obtenir un  7  ou un  11  en additionnant les deux dés – c’est toujours un coup gagnant. Si vous obtenez un 2, un 3 ou un 12, c’est toujours un coup perdant. Tous les autres résultats sont des jets neutres, des  peut-être, des  c’est-possible, des  çadépend-faut-voir… Dans ce cas, c’est à la VO de décider des suites de l’action, simplement en considérant les circonstances et en trouvant un mi-chemin. Comme vous le constatez, c’est uniquement le hasard, la pure chance qui indique comment se déroule une action. Base + ++ +++ ++++

Succès sur 7 et 11 6, 7 et 11 6, 7, 8 et 11 5, 6, 7, 8 et 11 5, 6, 7, 8, 9 et 11

Vous remarquerez qu’il est possible d’avoir plus de deux +. C’est normal parce que vous pouvez aussi tricher pour avoir des + supplémentaires. Cela vous sera expliqué dans la section sur la triche un peu plus loin. Exemple : Sergueï conduit sa Dodge coupé de 47 à fond la caisse dans les rues d’Heaven Harbor. À l’arrière, Nicoleï saigne comme un porc et il faut l’emmener

Néanmoins, vous pouvez tout de même manipuler un peu les probabilités grâce à vos talents ou en trichant.

UTILISER DES TALENTS

Les talents possèdent trois niveaux (professionnel, expert et virtuose). Chaque niveau vous permet d’agir un peu sur la lecture du résultat des dés : Le rang professionnel vous donne un + dans le tableau ci-dessous. Le rang expert vous donne un deuxième  + (soit ++ au total) dans le même tableau. Le rang virtuose vous donne ++ comme le rang expert mais, en plus, vous pouvez lancer TROIS dés et ne garder que les deux plus intéressants pour atteindre la combinaison gagnante. Lorsque vous lancez les dés, consultez le tableau ci-dessous. Rassurez-vous, vous le connaîtrez par cœur au bout de moins d’une heure de jeu ! Le tableau indique quels sont les résultats gagnants en fonction du nombre de + que vous possédez pour l’action : Échec sur 2, 3 et 12 2, 3 et 12 2, 3 et 12 2, 3 et 12 2, 3 et 12

Neutre sur Autres résultats Autres résultats Autres résultats Autres résultats Autres résultats

d’urgence chez un toubib radié qui travaille au noir à l’arrière d’un tripot dans la Forbidden City. Sergueï est chauffeur professionnel. Il conduira Nicoleï à temps s’il obtient un 6, un 7 ou un 11. Il sera pris dans des embouteillages ou arrêté par les flics – Nicoleï crèvera alors comme un chien – sur un résultat de 2, 3 ou 12. Pour tout autre résultat, Sergueï arrivera chez le toubib mais pas assez vite pour que Nicoleï ne subisse pas une séquelle de sa blessure.

TAPIS VERT

209

FAIRE JOUER LES RELATIONS Pour faire appel à un contact, il suffit de faire un jet de Shotgun en modifiant la lecture du dé comme si le contact était un talent (contacts, alliés ou amis équivalant respectivement aux rangs professionnel, expert ou virtuose). Si le jet est un succès, le contact pourra aider le personnage ; si le jet est un échec, le contact ne pourra rien pour lui ou ne sera pas joignable (si le service ne peut être refusé) ; sur un résultat neutre, le contact devra être convaincu ou payé d’une manière ou d’une autre.

MODIFICATEURS DE CIRCONSTANCE

Parfois, la VO peut vouloir donner un bonus ou un malus de circonstance à certaines actions – parce que le personnage utilise du bon matériel, parce qu’il pleut à torrent, parce que le personnage peut se concentrer, parce qu’il est entouré de trop de gens qui parlent tous trop fort… Un bonus prend alors la forme d’un + à utiliser dans le tableau de lecture des jets de Shotgun. Un malus enlève un +. Le personnage peut alors se retrouver avec juste la base à tirer… Quoi qu’il arrive, on ne peut jamais disposer de plus de 4 +, comme indiqué sur le tableau.

210

TAPIS VERT

COOPÉRATION

Il est possible que votre personnage souhaite en aider un autre à accomplir une tâche. Pour cela, faites un Shotgun modifié par votre talent. En cas de succès et uniquement en cas de succès, vous donnerez un + à celui qui réalise l’action. Le seul souci, avec les gens de bonne volonté, c’est que lorsqu’ils sont trop nombreux à vouloir aider, on n’accomplit plus rien. Le premier assistant donne ainsi un +. Mais pour avoir un second +, il faut deux nouveaux assistants, qui réussissent chacun leur Shotgun. Et pour un troisième +, trois assistants supplémentaires qui… vous avez compris le principe. La plupart du temps, ça ne sert à rien d’avoir une armée mexicaine d’assistants derrière soi, si ce n’est à vous déconcentrer. Encore une fois, on ne peut jamais disposer de plus de 4 + pour entreprendre une action.

TEST CONTRE UNE DIFFICULTÉ

Certaines actions ne sont pas aussi directement résolues que par oui ou non. Parfois, vous voudrez avoir un peu plus de latitude pour exprimer une certaine difficulté, des circonstances particulières… Difficulté Facile Moyen Difficile Très difficile Quasi impossible

Le personnage doit maintenant – sans forcément connaître la banque – miser des points qu’il tire d’une de ses caves. On ne peut miser que des  multiples de 5  et cette règle ne souffre aucune exception. Exemple : Sergueï a manqué se faire arrêter par les flics quand il conduisait Nicoleï se faire recoudre. Celui-ci va crever à l’arrière si on ne fait rien rapidement. Sergueï gare sa bagnole et passe sur la banquette arrière, pleine de sang. Il va tenter de contenir l’hémorragie pour se donner un peu de temps. La VO estime (secrètement) que la difficulté de l’action est de 40 – une bonne compression et un shoot de morphine permettront de tenir encore un peu. Sergueï décide de miser 30 des 60 points de sa cave de Méninges. Le personnage peut maintenant lancer les dés – exactement comme pour un Shotgun, avec la même lecture des dés en fonction des talents utilisés. On obtient donc trois résultats possibles : Succès : le personnage réussit son action de la valeur de la mise. Si la mise est supérieure ou égale à la banque, l’action est complètement réussie (ou mieux). Si la mise est inférieure à la banque, l’action est partiellement réussie, au prorata de la mise. Par exemple, sur un jet de fouille, le personnage ne trouve qu’une partie des indices ou des informations ; sur jet de connaissance, le personnage ne

Dans ce cas, le Shotgun devient un test contre une difficulté – contre la banque si vous préférez. La Voix Off doit commencer par déterminer la difficulté de l’action. Le tableau ci-dessous donne quelques repères : Banque 10 15 50 100 200+

se souvient que de bribes plus ou moins importantes ; sur un jet d’athlétisme lors d’un parcours physique, le personnage met plus de temps, se salit, fait du bruit ou manque de style… Ainsi, dès lors qu’un jet est un succès, l’action est accomplie. Plus ou moins adroitement mais elle est accomplie. Neutre  : le personnage réussit son action de la moitié de la valeur de sa mise. Comme précédemment, ce qui reste (si on a misé gros) peut tout de même être assez élevé pour réussir complètement ou partiellement l’action. Par ailleurs, le personnage perd l’autre moitié de sa mise, en diminuant sa cave d’autant. Vous trouverez des informations plus complètes plus loin sur la manière dont les caves descendent et remontent. Échec : le personnage perd la totalité de sa mise (et diminue d’autant sa cave) et ne réussit pas du tout son action. Exemple : Sergueï lance les dés (sans talent) et obtient un résultat neutre. Il perd 15 points de sa cave de Méninges (qui passe donc de 60 à 45) et réussit son action avec 15 points contre les 40 de la difficulté. Nicoleï grimace et s’évanouit tandis que Sergueï appuie sur la blessure en glissant un morceau de charpie dans la plaie pour contenir le flot de sang. Sergueï a gagné quelques précieuses minutes mais pas autant qu’il l’aurait voulu. Il va falloir maintenant montrer qu’il est meilleur chauffeur que médecin !!!

TAPIS VERT

211

TEST EN OPPOSITION Lors d’un test en opposition, contre un autre personnage ou contre un figurant, on utilise toutes les règles précédemment énoncées (Shotgun, mise, etc.) avec quelques variantes mineures. Tout d’abord, précisons que dans Hellywood, il n’y a pas de jet de résistance ou de défense. Chaque personnage agit et impose les conséquences de ses actions à ses adversaires… et vice-versa. Ensuite, les règles d’opposition concernent tous les types d’affrontements  : une bonne bagarre, un échange de coups de feu, une discussion envenimée dans une alcôve de velours, une plaidoirie grandiloquente devant la cour, un interrogatoire à coups de pompe dans une ruelle sombre, une course-poursuite dans des bolides fonçant dans les avenues désertes d’Heaven Harbor. Tous ces cas de figure obéissent aux mêmes règles.

QUI AGIT QUAND ?

En toute honnêteté, on s’en fout  ! Non, oubliez. Je voulais dire  : les actions d’opposition sont censées être simultanées. On peut se flinguer mutuellement lors du même tour de jeu. La rapidité peut être vue comme une prise de risque et en tant que telle, elle est intégrée dans la mise. La règle est donc  : en l’absence de net avantage d’une des parties, il n’y a pas d’initiative. En revanche, lorsqu’un avantage est évident (dans le dos, pris par surprise, arme dégainée contre arme encore dans le holster, etc.), le personnage ayant l’avantage a une tentative d’avance  : il mise, fait son jet et applique les conséquences avant que l’opposition proprement dite ne commence. Un coup gratuit, en quelque sorte  : débrouillez-vous pour que ça compte !

212

TAPIS VERT

MISER

Lorsque c’est son tour de jouer, le personnage peut engager un ou plusieurs adversaires. Pour cela, il doit miser toute ou partie de sa cave et lancer les dés : Succès  : le personnage diminue la cave de son adversaire de la totalité de sa mise. La perte peut être divisée entre plusieurs adversaires. Neutre  : le personnage perd la moitié de sa mise (et sa cave diminue d’autant) mais fait perdre l’autre moitié à son ou ses adversaires. Échec : la cave du personnage diminue de la totalité de la mise. Essayons donc d’appliquer tout cela ! Bill doigts cassés et Nick le boxeur, deux brutes susceptibles et fières, se heurtent dans un bar. Chacun tente de faire baisser les yeux à l’autre. Les insultes puis les menaces fusent. La Voix Off décide qu’il s’agit d’une opposition de Tripes. Bill a une cave de 120 en Tripes, c’est pas un demi-sel ! Nick prend de grands airs mais sa cave de Tripes n’est que de 80. Ils disposent tous les deux du Talent Videur au second degré et la Voix Off estime qu’il s’applique ici. Aucune autre circonstance ne s’applique  : leurs jets seront donc des réussites sur 6, 7, 8 et 11. Les deux coqs commencent leur affrontement. Décidé à ne pas perdre de temps, Bill mise directement 50, lance les dés et obtient 5, un résultat neutre. Sa cave descend de la moitié de sa mise et passe donc de 120 à 95. Celle de Nick baisse du même montant, 25, et passe donc de 80 à 55. Quand à Nick, prudent, il n’a misé que 20. Grand bien lui en a pris, car avec un résultat de 3, son jet est un échec. Sa cave passe donc de 55 à 35 et celle de Bill ne bouge pas.

Malgré la dureté des phrases qui viennent d’être échangées, aucun des deux ne s’avoue vaincu. L’assistance du bar, des gros durs, s’est rendue compte de l’épreuve de force et tout le monde se tait à présent, profitant du spectacle. Nick mise 20 des 35 qui lui restent et obtient un résultat de 7 sur son lancer de dés. Belle réussite, la cave de Bill baisse de 20 points, passant de 95 à 75. Bill, lui, a un peu hésité et n’a cette fois misé que 30.... Ses dés

lui sortent un 11. Bien joué. La cave restante de Nick est réduite à 5. Balbutiant, se rendant compte que les choses sont allées trop loin, Nick finit par se taire. Il récupère sa veste et quitte le bar. Les consommateurs commencent à râler  : ils voulaient une bonne bagarre. Bill se retourne et demande si quelqu’un à quoi que ce soit à redire. Chacun se tait et remet le nez dans son verre.

CHOISIR LES CAVES La difficulté pour les joueurs et pour la VO est de définir quelle cave doit être utilisée pour miser et surtout quelle cave sera impactée chez l’adversaire. Les maîtres mots à retenir ici sont « souplesse et adaptation » ! La plupart du temps, une mise d’une cave donnée impactera son équivalent chez l’adversaire – Aplomb contre Aplomb, Trogne contre Trogne, Punch contre Punch. Mais tout cela manquera très vite de variation. L’important alors est de s’attacher à l’intention des adversaires et non à la réalisation proprement dite des actions. Quelques exemples parmi beaucoup : Les personnages se font tirer dessus. Celui qui s’expose bravement au feu perdra des points en Solidité (sans doute un tir direct) tandis que celui qui reste planqué derrière une caisse perdra des points en Tripes (la peur d’aller au feu, la trouille engendrée par les esquilles de bois qui volent et la fumée étouffante). Le tireur, quand à lui, peut décrire qu’il tire dans le tas (il infligera une perte de Solidité), qu’il cherche à blesser ses adversaires pour les empêcher d’agir (il fera baisser le Punch ou le Doigté), qu’il cherche à leur faire peur (il impactera alors Tripes ou Aplomb) ou à les déconcentrer (et les Méninges morfleront). La même logique s’applique à toutes les actions en opposition  : le joueur décrit ses actions et la Voix Off doit décrypter ses intentions visibles pour déterminer quelle cave adverse est impactée. Dans tous les cas, assurez-vous que cela ne se transforme pas en discussions à l’infini entre les joueurs et la Voix Off. Au pire, gardez en tête qu’en cas de litige, c’est elle qui a raison. Nous l’avons déjà dit : la vie n’est pas juste. En plus, elle n’est même pas obligée de vous dire quelle cave a baissé chez votre adversaire. Ah ben voilà, c’est ça que de vouloir faire le kakou avec la Voix Off !

TAPIS VERT

213

OPPOSITION SIMPLE ET OPPOSITION DRAMATIQUE

Les oppositions peuvent être sommairement divisées en deux catégories : les oppositions simples qui ne présentent aucun autre risque que celui de perdre ; et les oppositions  dramatiques  dont l’enjeu est la santé physique, mentale ou morale du personnage. Dans le premier cas, comme dans notre exemple ci-dessus, le personnage ne risque aucun effet à long terme. Le but est de descendre la ou les caves de l’adversaire pour obliger celui-ci à se coucher. Quand on ne peut plus miser, on ne peut plus s’opposer – c’est aussi simple que ça. Vous comprendrez donc l’importance d’être le dernier encore debout quand tout le monde est vidé. Dans le second cas, par contre, en plus de se retrouver avec des caves à plat, le personnage risque des dommages à plus longue échéance – ce qu’on appelle des séquelles. En général, il y a une opposition dramatique dès lors qu’une ou plusieurs personnes emploient de  gros moyens. Un gros moyen est une arme – physique dans le cas d’un pistolet ou d’un couteau par exemple, ou sociale dans le cas de preuves physiques ou d’arguments comme un secret qu’on menace de dévoiler (ou qu’on dévoile soudainement) – qui possède un score variant entre 10 et 200. Dès lors qu’un personnage se voit infliger une perte de cave par un adversaire qui emploie de gros moyens, il se passe deux choses : Le personnage perd des points dans sa cave comme indiqué plus haut ; Le personnage augmente immédiatement ses dommages (physiques, mentaux, sociaux) d’un chiffre équivalent au gros moyen employé. Quelque soit la cave impactée et l’intention de l’action, un gros moyen augmentera toujours les dommages de sa catégorie (physique pour une arme par exemple).

214

TAPIS VERT

Exemple : Sergueï a retrouvé la petite frappe qui avait poinçonné Nicoleï. Il l’attend à la sortie d’un restaurant et lui colle une méchante petite balle dans le foie. Après mise et jet, Sergueï inflige une perte de 80 points en Solidité (ce qui couche le gamin pour le compte, cave à 0). Il lui inflige aussi 20 points de dommages physiques grâce à son fidèle Tokarev. Pour faire bonne mesure, il double le tir et inflige ses gros moyens une nouvelle fois au tour suivant tandis que les passants fuient affolés devant ce nouveau règlement de comptes qui fera les gros titres du lendemain. Le môme, s’il survit, ne passera pas Noël en famille !

ACHEVEZ-LES !

Tout cela est bel et bon. Votre adversaire a perdu de la cave, il a même mangé du gros moyen… Mais comment est-ce que tout cela se termine ? A quoi servent les dommages ? Voici plusieurs points à bien noter : Lorsque la cave d’un personnage tombe à 0, il ne peut plus utiliser celle-ci tant qu’il n’a pas pu recaver (retrouver tout ou partie de celle-ci). Lorsque la cave d’un personnage tombe sous le score de dommages de son groupe (par exemple les dommages physiques pour le Doigté, le Punch ou la Solidité), il ne peut plus l’utiliser non plus. Et oui, le score de dommage sert en fait de plancher d’action ! Autant dire qu’il ne faut pas qu’il augmente trop et trop vite ! Lorsque la cave d’un attribut de résistance (Solidité, Tripes ou Aplomb) passe sous le score de dommage de son groupe (ou atteint 0), le personnage tombe dans les pommes, entre en catatonie, craque moralement, etc. En tout cas, il ne peut plus rien faire du tout. Il est OUT ! Encore une fois, vous constatez que le plus important est d’en avoir assez sous la semelle pour parer aux coups du sort et à la fortune des dés. C’est ça, être un tough guy !

CHANGER D’ATTRIBUT

Que se passe-t-il lorsque qu’on commence une opposition avec un attribut et que la cave de celui-ci tombe en dessous des dommages  ? Peut-on continuer à agir  ? Et bien, dans certaines situations, la Voix Off peut autoriser le personnage à poursuivre son test en changeant simplement d’attribut. Exemple : Georgio, blessé au ventre, ne parvient plus à calmer ses nerfs pour viser avec son flingue mais fonce sur ses adversaires pour les écraser. (son Doigté est passé sous les dommages physiques mais son Punch reste au-dessus). A coté de lui, Di Romani, le porte-flingue, blessé lui aussi peut à peine se traîner. Il reste en arrière du groupe avec assez de cartouches pour dégommer tout ce qui passera à portée (son Punch est passé sous ses dommages physiques mais pas son Doigté).

MULTIPLES ADVERSAIRES

Un tough guy peut tout à fait engager plus d’un adversaire en même temps : il lui suffit de diviser sa mise entre chacun d’entre eux et l’on ne procède qu’à un seul jet. Quant à la riposte des adversaires multiples, deux possibilités : Si ce sont d’importants PNJ, des tough guys eux aussi, ils attaquent le personnage chacun de leur côté. Ce tour-ci, le personnage seul encaisse donc plusieurs attaques. Si ce sont des figurants, rassemblez-les et ne faites qu’un seul jet pour le groupe. Faites la somme des caves et prenez le meilleur talent du groupe. S’ils utilisent des gros moyens, appliquez-les une seule fois. Ainsi 5 flics (cave de 40) formeront un adversaire unique, muni d’une cave de 200. Dès que ce « groupe » perd une fraction de sa cave équivalente à la cave des éléments qui le compose, un des bonshommes du groupe est hors de combat. Dans notre exemple, infligez 50 points de mise au groupe et l’un des flics voltige (cave individuelle de 40).

LES SÉQUELLES Une bonne bagarre, ça laisse toujours des traces. Parfois, elles sont beaucoup plus profondes qu’on ne le souhaiterait. Dans Hellywood, on appelle ça des séquelles. Pour vérifier si un personnage prend une séquelle ou non, il faut comparer le score d’un des attributs de résistance (Solidité, Tripes ou Aplomb) avec le score de dommage. Attention : il s’agit bien du score permanent de l’attribut, pas de la cave ! Si le score de dommages est supérieur au score de l’attribut de résistance, le personnage accuse le coup et prend une séquelle de 10 points. Si le score de dommages est supérieur de 20 points au score de l’attribut de résistance, il prend une séquelle de 20 points. Dans ce dernier cas, si la Solidité est en jeu, le personnage risque la mort. Il doit donc effectuer une Roulette Russe (cf. Jokers) en suivant les règles normales. S’il se rate, il est mort ! Et s’il survit, il encaisse la séquelle. Vous avez déjà entendu parler des séquelles lors de la création du personnage, dans la section sur les historiques. Une séquelle est un passé et sera donc notée dans la section correspondante de la fiche de personnage. Elle agit un peu comme un flashback déclenché par la Voix Off  : dans certaines circonstances, elle se rappelle à la mémoire du personnage. Voici comment elles fonctionnent : une séquelle possède un score de 10 ou 20 points et une description. À chaque fois que c’est applicable sur une action ou un test, la séquelle rentre en jeu. Elle peut diminuer d’autant que sa valeur la cave que peut miser un personnage pour un test, lorsque la séquelle agit comme un handicap. Elle peut donner, d’entrée de jeu, un score de dommage équivalent, à sa valeur fragilisant ainsi le personnage lorsque la douleur ou les dégâts mentaux ou sociaux se réveillent.

216

TAPIS VERT

Généralement, une séquelle s’applique à un type d’action ou à un attribut mais ne concernera pas forcément les autres attributs du même groupe. Encore une fois, tout est relatif et circonstanciel. Des exemples de malus possibles sont proposés dans la description de chacune des séquelles de la liste. Exemple : Marco est un ancien alcoolique marqué par une séquelle neurologique à 10 points. Dans certains cas, la VO peut imposer un malus de 10 points en cave de Doigté pour effectuer des tâches de haute précision ; à d’autres moments, Marco peut avoir, d’entrée de jeu, un score de dommages sociaux de 10 points au moment où il rentre dans un bar qui hume bon le double malt frelaté. Ce ne sont que deux exemples de la manière d’utiliser et de détourner les séquelles…

ABSENCES

Le sujet perd sa concentration pendant de courts instants où il semble être « ailleurs ». Cause possible : coup à la tête. Exemples d’effets : malus en Méninges pour tout ce qui nécessite de la concentration, dommages mentaux.

AMNÉSIE PARTIELLE

Troubles de la mémoire se caractérisant par des pertes à court terme et une difficulté à mémoriser les détails. Cause possible : coup à la tête. Exemples d’effets  : malus en Méninges pour se rappeler un élément précis, dommages mentaux.

BÉGAIEMENT

La diction est contrariée, particulièrement en situation de stress. Cause possible : choc émotionnel. Exemples d’effets : malus en Bagout.

BRAS ENGOURDI

Les muscles du bras sont endommagés, causant une forme de paralysie partielle de ce membre. Cause possible  : blessure au niveau de l’épaule. Exemples d’effets  : malus en Punch pour porter des coups.

CAUCHEMARS

L’inconscient du sujet lui fait revivre encore et encore la même scène de son passé, ce qui peut le conduire aux portes de la folie. Cause possible : situation traumatisante. Exemples d’effets  : malus en Aplomb, Méninges, dommages mentaux.

DÉFIGURÉ

Le visage du sujet est marqué par de profondes marques disgracieuses et impossibles à dissimuler. Cause possible : blessure à la figure. Exemples d’effets  : malus en Trogne pour séduire, bonus pour impressionner.

DOULEUR FANTÔME

Des dommages irréparables aux nerfs sont la source d’une douleur quasi permanente qui handicape fortement le sujet. Cause possible : blessure quelconque. Exemples d’effets  : malus en Punch, dommages physiques.

FILET DE VOIX

Les cordes vocales sont touchées, le sujet est contraint de parler avec une voix éraillée. Cause possible : blessure à la gorge. Exemples d’effets : malus en Bagout.

GRILLÉ

L’appartenance du sujet à un groupe ou à une catégorie jugée infamante est rendue publique, ce qui le rend indésirable dans un certain nombre de milieux. Cause possible : révélation d’une tare sociale rédhibitoire. Exemples d’effets  : malus de cave pour convaincre dans un milieu conservateur, dommages sociaux.

LA TROUILLE AU VENTRE

Quelque chose s’est brisée dans l’esprit du sujet, qui vit dans un état de peur permanente. Le moindre danger est source chez lui de grandes craintes. Cause possible : situation traumatisante. Exemples d’effets : malus en Tripes.

LENT

Le cerveau a subi des lésions irréversibles, faisant régresser le quotient intellectuel de son sujet. Cause possible  : blessure à la tête, traumatisme psychologique. Exemples d’effets  : malus en Méninges, dommages mentaux.

ŒIL CREVÉ

Les dégâts sur la cornée sont graves et irréversibles, entraînant une perte totale de vision sur cet œil et une altération sensible des facultés visuelles chez le sujet. Cause possible : blessure au visage. Exemples d’effets  : malus en Méninges ou Doigté pour les actions liées à la vue, dommage physiques.

PHOBIE

Une scène traumatisante a laissé des traces dans l’esprit du sujet, qui perd toute contenance lorsqu’il est à nouveau confronté à l’objet de sa phobie. Cause possible : expérience pénible Exemples d’effets  : malus en Aplomb, Tripes, Méninges ou Doigté en cas de confrontation avec l’objet de la phobie.

PLAIE MAL REFERMÉE

La cicatrisation de la plaie est contrariée, elle est susceptible de s’ouvrir à nouveau des suites d’un effort violent. Cause possible : blessure ouverte quelconque. Exemples d’effets  : malus en Solidité, dommages physiques.

TAPIS VERT

217

POUMON ENFONCÉ

Le poumon est comprimé à cause d’une déformation de la cage thoracique, ce qui entraîne chez le sujet un essoufflement rapide. Cause possible  : chute, choc, balle dans la poitrine. Exemples d’effets  : malus de cave pour toutes les actions d’endurance, dommages physiques.

RIDICULISÉ

Une bourde ou un échec monumental dans l’exercice de ses fonctions est rendu publique, ce qui occasionne une perte importante de crédibilité pour le sujet. Cause possible : mauvaise presse. Exemples d’effets : malus en Bagout dans le cadre de sa fonction, dommages sociaux.

ROTULE EN MIETTES

L’os du genou a été brisé et s’est mal consolidé, le sujet souffre de douleurs chroniques et d’une motricité réduite. Cause possible : choc dans le genou. Exemples d’effets : malus de cave pour toutes les actions nécessitant un déplacement, dommages physiques.

SIFFLEMENTS

Lésion du tympan entraînant un sifflement désagréable dans l’oreille. Gêne importante et difficulté à se concentrer chez le sujet. Cause possible : blessure ou coup sur l’oreille Exemples d’effets : malus en Méninges.

TIC

En cas de grande nervosité, par exemple lorsqu’il ment, le sujet ne peut s’empêcher de faire le même geste extrêmement révélateur. Cause possible : choc émotionnel. Exemples d’effets  : malus en Bagout pour mentir.

TREMBLEMENTS

Les nerfs de la main sont endommagés, causant des spasmes et autres tremblements incontrôlés. Perte de précision au niveau du membre touché. Cause possible : blessure à la main. Exemples d’effets : malus en Doigté pour les actions de précision.

UN DOIGT EN MOINS

Le doigt est sectionné au niveau de la première ou de la seconde phalange, occasionnant une gêne importante pour le sujet. Cause possible : blessure à la main. Exemples d’effets : malus en Doigté lorsqu’il faut assurer sa prise sur un objet.

VISIONS

Après avoir entrevu l’autre côté, l’invocateur développe une appréhension à traiter avec les forces démoniaques. Cause possible  : accident lors d’une invocation Exemples d’effets  : malus en Mojo, dommage mentaux.

TABLES ALÉATOIRES

Les tables suivantes vous donnent la possibilité de déterminer au hasard une séquelle résultant d’une blessure physique. Choisissez la bonne table en fonction de l’arme utilisée, lancez un dé à 10 faces et reportez-vous aux listes précédentes pour la description de la séquelle. 1d10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Armes à feu Absences Amnésie partielle Blessure à la gorge Douleur fantôme Filet de voix Lent Plaie mal refermée Poumon enfoncé Rotule en miettes Tremblements

1d10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Lames Bras engourdi Défiguré Doigt en moins Douleur fantôme Filet de voix Œil crevé Plaie mal refermée Poumon enfoncé Sifflements Tremblements

1d10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Poings et armes contondantes Absences Amnésie partielle Bras engourdi Défiguré Douleur fantôme Lent Poumon enfoncé Rotule en miettes Sifflements Tremblements

LA SANTÉ Au fur et à mesure des aventures, les caves se vident et se remplissent, les dommages s’inscrivent et s’effacent. Seules restent les séquelles et les cicatrices…

QUAND RECAVER ?

Tout dépend, encore une fois, du rythme de la partie. Les caves ne sont pas des dommages et n’ont donc pas à suivre un «  rythme de guérison  » mais plutôt le découpage du scénario. La règle est la suivante  : un personnage ne recave que s’il s’octroie un temps raisonnable de repos. Fumer une cigarette entre deux bastons, adossé à un réverbère, ne suffit pas. Il faut se couper de l’action en cours et prendre du temps pour soi. Il n’est pas nécessaire de dormir, bien que cela puisse être une possibilité. Regardez vos natures, faites vivre votre personnage. Untel ira rendre visite à sa famille et passera quelques heures à jouer

avec son petit neveu. Tel autre ira s’asseoir sur une banquette de son bar préféré et éclusera une bouteille. Un troisième sortira ses vieux cartons d’affaires non résolues et les relira pour trouver enfin un angle d’attaque. D’une manière générale, 4 heures de temps personnel, loin des considérations de l’affaire en cours, nous paraissent une bonne moyenne pour recaver. Bien entendu, la Voix Off peut tout à fait décider de moduler cette durée afin de coller au rythme de sa partie. Un scénario échevelé enfilant les scènes très intenses pourra par exemple donner l’occasion de recaver entre chaque scène.

RÉTABLISSEMENT

Comment récupérer des dommages infligés par les gros moyens  ? Là encore, il s’agit essentiellement d’une considération dramatique :

TAPIS VERT

219

Les dommages physiques, mentaux et sociaux se réduisent simplement au rythme de 10 par nuit de repos. Si des soins appropriés sont apportés, le rythme peut éventuellement être doublé : actes médicaux pour les dommages physiques, passage chez un psy pour les soins mentaux ou bonne soirée au calme pour les soins sociaux, par exemple…

Lorsque le personnage souffre d’une séquelle, sa récupération est plus longue  : avec des soins appropriés, il ne commence à récupérer qu’après une journée par dix points de séquelles ; sans soins, il ne commence à récupérer qu’au bout d’une semaine par dix points de séquelle.

LES JOKERS Depuis le début de ces règles, on vous le répète : vous pouvez tricher  ! Si  ! Avec l’assentiment de la VO et tout ! Ce n’est après tout pas comme si le Craps était un jeu noble et honorable, joué par des enfants de chœur !

F*CK*N’B*ST*RD POINTS

Les F*ck*n’b*st*rd points (aussi notés FBP) sont la première manière de tricher avec le destin. Sauf que ça vous revient toujours dans la gueule. Vous pouvez demander à relancer les dés – une et une seule relance par tentative. En échange, vous notez un FBP sur votre feuille de personnage. Vous pouvez en cumuler autant que vous le désirez, jusqu’au moment où ça vous pète à la figure. Ce moment là, il est laissé à l’entière discrétion de la Voix Off. Lorsqu’elle le souhaitera, elle pourra vous retirer un ou plusieurs FBP et déversera sur vous, pour la peine, petits tracas ou grandes catastrophes. 1 point : votre bagnole tombe en panne au moment où vous en avez un besoin plus qu’urgent, voire vital. 2 points : la valeur des gros moyens employés contre vous est doublée. 5 points : vous voyez votre informateur se faire écraser par un bus avant qu’il n’ait eu le temps de vous donner l’information cruciale que vous attendiez. 10 points : votre belle-mère vient manger ce soir ; vous avez oublié les jouets du kid

220

TAPIS VERT

pour Noël et votre ex va en profiter pour vous sucrer le droit de visite ; un démon habite votre tête depuis que vous vous êtes évanoui pendant la dernière bagarre… L’échelle est donc très fluctuante et c’est la VO qui a exactement le dernier mot en la matière. Vous n’avez rien à dire  : on est toujours rattrapé par la fatalité et vous étiez prévenu. Rinaldi a un peu trop tiré sur la corde du destin : il a accumulé pas moins de 9 F*ck*n’B*st*rd Points. Pour l’instant, la Voix Off, sournoise, a laissé faire. Et voilà que l’on retrouve Rinaldi courant à perdre haleine dans une ruelle, espérant atteindre sa bagnole avant les trois nervis qui lui veulent du mal. Rinaldi exulte  : il a réussi à les distancer et se glisse au volant. Sauf que le destin le rattrape : malgré ses efforts paniqués, la bagnole ne démarre pas. Les trois gusses fracassent la vitre et tirent Rinaldi hors de l’habitacle. Il a gagné un ticket pour un tabassage en règle… Lorsque Rinaldi reprend conscience plus tard dans la ruelle, couvert de bleus et crachant ses dents, ses F*ck*n’B*st*rd Points sont redescendus à 4. Super… Souvenez-vous  : si la VO utilise votre Nature pour vous pousser dans une direction, elle doit vous racheter un FBP en échange.

MISER POUR AUGMENTER SES CHANCES

Vous pouvez aussi puiser dans vos caves pour obtenir un ou deux + à utiliser dans la table des talents (voir Shotgun). Bien sûr, si l’action vous demande de miser contre une difficulté ou un adversaire, les points dépensés pour augmenter vos chances ne s’ajoutent pas au montant de la mise. Un + coûte 10 points de cave Un ++ coûte 20 points de cave Vous ne pouvez dépenser ces points qu’une seule fois pour une tentative : en gros, ils ne sont plus valables si vous prenez un FBP pour refaire le jet. Ce joker est parfait si vous avez un peu de temps devant vous et de grosses réserves de cave.

ROULETTE RUSSE

La roulette russe est l’ultime recours, le saut de la foi pour savoir si le personnage peut se sortir d’une situation très dangereuse. La VO peut opposer son veto, si elle estime que les conditions ne sont pas suffisamment désespérées. Cochez une case de votre choix sur le barillet de votre feuille de personnage et jetez 1d6. Si la face correspondante n’est pas tirée, le personnage s’en sort purement et simplement. Pas besoin de décomposer la scène en actions ou de jouer les péripéties  : le personnage a atteint son but, contre toute attente.

Si la face est tirée, le personnage est mort. Ou il le sera certainement à la fin de la scène. À chaque nouveau jet, le joueur coche une nouvelle case, augmentant ses chances d’échouer car la ou les cases précédentes restent cochées. Ce n’est qu’au début d’une nouvelle séance de jeu que le barillet se vide.

C’est la fin. Les gardes-frontière encerclent la cabane et Donovan sait que tout est foutu. Il ne pourra pas tenir sa promesse : jamais il ne récupérera la petite, jamais il ne pourra lui offrir la vie qu’elle mérite. Rageur, Donovan compte les balles qu’il lui reste. 4. Il serre les dents. Autant aller jusqu’au bout ! Le joueur qui interprète Donovan s’est fichu dans une situation inextricable. Impossible de se rendre : il est recherché pour meurtre et aura droit à la chaise. Il décide de recourir à une roulette russe et fonce dans le tas. Il choisit le 4. Sur tout autre résultat, il s’en sortira. Miracle ou incroyable fait d’armes, il s’extraira de la cabane et s’enfuira sans dommages. Mais sur un 4… Le joueur lance, mais ce n’est pas son jour. C’est le 4 qui sort. Hurlant comme un damné, Donovan sort de la cabane. Il est impitoyablement fauché par les balles des gardes-frontières et s’écroule, ensanglanté, pensant à sa gamine qu’il ne reverra jamais…

FLASHBACKS Les Flashbacks sont un élément très important du système d’Hellywood. Chaque personnage dispose d’un Flashback par séance de jeu qu’il peut déclencher au moment où il le souhaite. Certaines natures octroient un second Flashback. Un Flashback est TOUJOURS lié à un passé – c’est d’ailleurs pourquoi chaque personnage possède un passé gratuit dans ses historiques. À n’importe quel moment, le joueur peut prendre la main à la VO et commencer à raconter un élément de son passé qui influe sur la narration actuelle, changeant éventuellement la situation ou apportant des informations  : le personnage est déjà venu sur les lieux ; il a connu quelqu’un de présent ; il a une histoire à raconter sur le moment, etc. L’important est de faire fonctionner son imagination et de relier le Flashback au passé du personnage. Cette prise de contrôle ne doit pas durer plus de quelques minutes : trois avec un sablier si vous désirez être carré. La VO peut et doit intervenir, rebondir, donner des idées – voire jouer la scène passée avec le personnage. Il ne s’agit pas de donner un blanc-seing à ce dernier pour raconter n’importe quoi mais simplement pour faire évoluer la narration et l’histoire vers de l’inattendu pour tout le monde, tout en mettant en perspective le fait que les héros hardboiled voient toujours leur passé resurgir. La VO peut s’opposer au déclenchement d’un Flashback – cela peut lui coûter un FBP qu’il enlève alors au personnage. Il peut aussi déclencher des Flashbacks en relation avec les passés des personnages. Dans ces deux cas, le personnage ne dépense alors pas son opportunité.

Les joueurs pénètrent de force dans le bureau de l’avocat d’un de leurs ennemis, bien décidés à lui faire cracher des informations. Ils attrapent l’avocat par le col et s’apprêtent à le cuisiner lorsque la porte s’ouvre et qu’entre une montagne de muscles : le garde du corps ! Ça risque de chauffer. C’est alors que Loris dépense un point de Flashback et raconte comment ce type a servi sous ses ordres en Normandie, comment ils ont pris d’assaut ensemble un bunker et comment il l’a traîné à l’abri, blessé. Le garde du corps reconnaît son ancien lieutenant. La Voix Off décide alors que le type, bien embêté, ne va pas fracasser la tête d’un ancien compagnon d’armes. Il commence à expliquer à son patron que ces types sont sûrement des gens bien et qu’on peut peut-être les écouter… Lors d’une enquête, deux flics du 22ème district apprennent qu’un gang, sous les ordres d’un certain Slick, terrorise un quartier et y gère la prostitution. Dans son scénario, la Voix Off avait prévu que Slick soit une petite frappe arrogante, à peine sortie de l’adolescence. Mais l’un des détectives dépense un point de Flashback et raconte comment ce Slick, un vieux salopard, lui a échappé continuellement alors qu’il était aux mœurs. Le personnage a un compte à régler avec cette vieille ordure qui a ordonné l’exécution de son ancien partenaire. Voilà qui amène de la couleur et de la tension à la scène. Pas de souci, Slick correspond à présent à la description qu’en a faite le joueur…

LES GROS MOYENS Un gros moyen fait mal puisqu’il permet d’infliger des séquelles : blessures physiques (couteau, balles, etc.), psychiques (duel de volonté, horreurs), sociales (annonce avec force preuves de l’homosexualité d’une personnalité dans l’Amérique des années 40...),

psychologiques (perte physique ou descente aux enfers d’un être cher... oui, on est bien dans le Noir). Voici quelques exemples d’échelles pour les gros moyens à appliquer.

ARMES Arme Mains nues Arme légère Arme moyenne Arme lourde Explosif

Gros Moyens 0 10 20 40 100 -10/mètre

Exemple d’arme Couteau, chaise, crochet de boucher, petit calibre Barre à mine, batte, faucon maltais, extincteur, moyen calibre Hache de pompier, shotgun à bout portant, gros calibre TNT... un fêlé qui bossait à la dynamite, toute une époque !

MENACES Chute Collision Maladie 2m 20km/h Rhume 3m 40km/h Grippe 4m 60km/h Pneumonie 5m 80km/h Choléra 6m 100km/h Grippe espagnole

Poison Alcool fermenté Tord-boyaux de la prohibition Venin de cobra Venin de veuve noire Curare

PROTECTIONS

Asphyxie Gros Moyens 1min 10 3min 20 5min 40 7min 70 9min 100

Les gros moyens subis peuvent être réduits par de l’équipement ou même des éléments du passé du personnage. Protection Fringues Tenue de soldat Gilet pare-balle

Gros Moyens 0 -10 -10 à -20

Noirceurs Les règles qui suivent vous permettront d’animer, de faire vivre l’univers autour des personnages, ainsi que l’évolution de ces derniers.

GÉRER L’ADVERSITÉ Les personnages non joueurs sont interprétés par la Voix Off et, en règle générale, s’opposent aux personnages. On peut les classer en deux catégories : La première est celle des tough guys. Ces PNJ sont très importants pour une histoire ou représentent des oppositions particulièrement subtiles à opposer aux personnages. Créez-les exactement comme vous pourriez créer un personnage et gérez-les de la même manière. Connaissez leurs séquelles, leurs talents et l’état de leurs dommages. Faites en des adversaires dont on se souviendra. La seconde est celle des figurants secondaires. Secondaire ne signifie aucunement qu’ils ne peuvent pas être très, très puissants. Simplement, on n’a pas besoin de tout connaître en détail sur eux. En fait seules certaines informations sont vraiment utiles les concernant. Tout d’abord, un tel figurant a une occupation professionnelle  : policier en tenue, petite frappe, parrain de Chinatown, marchand de biens, barman, escroc, joueur de jazz, etc. Ensuite, il possède un score noté par des +. Il peut avoir + s’il est professionnel dans son occupation, ++ si c’est un expert ou +++ s’il est carrément une grosse brute. En général, appliquez ce

224

TAPIS VERT

modificateur à tous les jets directement liés à son occupation professionnelle. Enlevez un ou deux + pour des jets tangents à cette occupation et ne lui donnez rien pour tous les autres jets. Le figurant possède ensuite trois scores de caves  : une cave physique, une cave mentale et une cave sociale. Pas besoin de faire la distinction entre solidité, doigté et punch  : la cave physique est une moyenne tout à fait suffisante. Bien entendu, vous pouvez décider d’affiner, au cas par cas  : il vous suffit alors de faire varier la cave moyenne en fonction de l’image que vous avez du figurant. Par exemple, un flic en tenue a une cave physique de 60. Vos personnages croisent deux flics en patrouille, un jeune musclé et un vieux enveloppé. Le premier pourra avoir 80 en Punch parce qu’il est très costaud tandis que son collègue, toujours calme et expérimenté, aura seulement 40 en Punch en raison de sa bedaine… Enfin, une dernière valeur représente le statut du figurant. Noter les caractéristiques d’un figurant devient alors très simple  : Nom / Occupation professionnelle / modificateur de talent / Cave physique, cave mentale, cave sociale / Statut.

DES EXEMPLES ? SIMON NICERP AGENT IMMOBILIER RIGOLARD + / 40, 40, 80 / 10

BETTY GRAMMELL ENTRAÎNEUSE AMBITIEUSE + / 30, 40, 90 / 10

CARMINE BONNIFACIO PORTE-FLINGUE SEC ET VIOLENT ++ / 170, 90, 60 / 20

SIMON KNUT JEUNE FLIC EN PATROUILLE + / 60, 40, 40 / 10

JULIE HERMANN SECRÉTAIRE DE DIRECTION AUX LONGUES JAMBES - / 20, 30, 60 / 5

CHRISTIAN HOLDEN DÉTECTIVE DE LA CRIMINELLE ENDURCI ++ / 80, 120, 100 / 20

JIMMY « FINGERS » BREND ARNAQUEUR BIEN SAPÉ ++ / 40, 50, 130 / 10

LINUS LEWIS PETITE FRAPPE SOUPE AU LAIT + / 80, 30, 50 / 5

RAY NICHELLI TUEUR À GAGES TACITURNE DE MICHAEL MARSELLA +++ / 120, 100, 40 / 30

SARAH ADAMS INVOCATRICE PRIVÉ SALEMENT SÉRIEUSE +++ / 40, 180, 70 / 20

JONAH K. KENSINGTON AVOCAT MARRON ++ / 30, 100, 100 / 20

EDUARDO VIDEUR GOLEM ++ / 200, 50, 50 / 10

ANDY BARMAN TRANQUILLE + / 80, 40, 80 / 5

LUTHER STEWART JAZZMAN DÉSINVOLTE ++ / 50, 60, 80 / 10

SIMON NOLAN BOOKIE SURVOLTÉ + / 40, 70, 70 / 10

STUART THORP PRIVÉ HARGNEUX ++ / 100, 120, 60 / 10

TAPIS VERT

225

QUELLE ÉCHELLE POUR LES CAVES ? Pour fixer rapidement la cave d’un PNJ, reportez-vous au barème ci-dessous : Passant, quidam : entre 20 et 40 Ayant reçu une formation professionnelle, un entraînement : entre 40 et 80 Est un bon professionnel : 80 et 150 Est un champion dans son domaine : 150 et pas de limite

INTENSITÉ DRAMATIQUE Voici une règle complètement optionnelle mais qui devrait vous aider à tenir vos scénarios à l’abri de la férocité bête des joueurs. Dans les romans noirs, même quand les héros détestent profondément une personne – surtout quand elle est bien placée (procureur ou flic véreux, parrain d’un gang, personnalité politique détestable) – ils ne l’allument pas d’entrée de jeu, juste parce qu’ils en ont les moyens physiques. Il reste toujours un vieux fond de jeu social qui assieds la puissance de chacun et qui suffit à les protéger de la plupart des agressions. En d’autres termes, on ne tue pas le parrain juste parce qu’il vous a mal parlé. Or, les joueurs, bien à l’abri derrière leur personnage, ne se préoccupent vraiment de ce jeu social que lorsque ça les arrange. Faire peur au parrain en le menaçant avec un flingue ? Hé ! Pourquoi pas ? On est des héros ! Pour essayer de retranscrire le poids d’un statut et empêcher d’éventuels dérapages, la VO peut assigner à chaque scène un score d’intensité dramatique.

226

TAPIS VERT

0. Calme : l’aventure commence ; la situation est « normale » ; les personnages sont au repos. 10. Stressant  : les premiers ennuis commencent sans trop qu’ils y voient clair ; la tension s’installe ; les personnages sont impliqués dans une action stressante comme une filature. 20. Agité : la première bagarre, les premiers coups de feu ; le moment où tout dérape ; il y a des enjeux importants (la liberté, l’argent, la respectabilité) mais ce n’est pas forcément une question de vie ou de mort. 30. Très agité  : Une question de vie et de mort, des enjeux cruciaux... 40+. Apocalyptique  : la scène finale, la confrontation ultime, c’est plus qu’une question de vie ou de mort ; les personnages sont au-delà de tout... Attention, le score peut monter et descendre – on n’est pas dans le linéaire pur : 10 puis 20 puis 30. Rien n’empêche de passer d’une scène à 0 à une scène à 20 ou 30 avant de revenir à une scène à 10.

Ce score d’intensité dramatique joue sur deux éléments : D’une part, c’est le «  blind  », la mise minimum en cas d’opposition. Vous ne pouvez pas miser moins que cela pour vous engager. Trop de choses sont en jeu. Au pire, vous devez faire tapis et miser tout ce que vous avez ! D’autre part, il est impossible, interdit, d’engager une confrontation, notamment physique, contre quelqu’un dont le statut

social est supérieur au score d’intensité dramatique. Ainsi, pas question d’insulter le parrain quand la situation est calme  ! Cela est aussi intéressant pour les personnages : pour peu qu’ils aient un statut social, les figurants ne peuvent pas non plus les agresser sans vraies raisons. Un flic peut toujours se promener au milieu des criminels sans risquer un coup de couteau – du moins tant que la situation n’est pas au moins agitée !

LE FRIC Nous avons vu, lors de la création de personnage, que les joueurs pouvaient acheter pour leurs personnages un niveau de « Fric ». L’argent est souvent une composante importante du hardboiled : on se tue ou on se trahit pour sa possession, il est souvent plus fort que l’Amour et de nombreuses histoires tournent autour de son acquisition ou de sa perte. Avidité et cupidité alimentent les vices et les pulsions. Histoire de ne pas avoir à tenir une comptabilité éreintante, le Fric est une mesure relative de la richesse d’un personnage  : ses revenus, son style de vie et ses capacités d’investissement. Le score de Fric (qui va de 0 à 30 et plus) permet de déterminer rapidement ce qu’un personnage peut acheter ou pas.

ACHETER

Pour acheter un objet ou payer un service, il faut comparer sa valeur à celle du Fric du personnage. Si la valeur de l’objet ou du service est inférieure ou égale au Fric, le personnage peut en profiter sans se poser de question. Ce sont des dépenses triviales. Si la valeur de l’objet ou du service est supérieure au Fric du personnage, dans la limite de deux fois le score, vous devez faire un jet de Shotgun. Vous pouvez modifier celui-ci par des talents comme Commerçant. Si le jet est réussi, vous avez l’objet. Si le jet est neutre, vous avez l’objet mais perdez un + pour le prochain jet de Fric que vous aurez à faire (selon la règle des modificateurs). Si le jet est raté, vous n’avez pas l’objet ou le service. La valeur de l’objet est deux fois supérieure au score de Fric, l’objet ou le service est trop cher pour vous. Exemple : Sergueï doit acheter une boîte de balles pour son Tokarev. Il a 5 en Fric et les cartouches coûtent 3. Il peut donc se les offrir sans souci. Par contre, s’il veut acheter un de ces tout nouveaux réfrigérateurs pour conserver sa vodka au frais (coût 9), il devra faire un jet de Shotgun.

QUELQUES EXEMPLES DE PRIX Moins de 5 : un repas dans un restaurant routier, un ticket de cinéma, une nuit dans un hôtel minable, le loyer d’un petit appartement, des vêtements chez un tailleur chinois… Entre 5 et 10 : un repas dans un très bon restaurant, le loyer d’un bel appartement, des vêtements de bon faiseur, de l’électroménager, un billet pour une croisière, un fusil de chasse, une voiture d’occasion, un flingue au marché noir… Entre 10 et 15 : le loyer d’une petite maison dans un quartier très tranquille, une voiture neuve, un serviteur à temps complet, des vêtements chics… Entre 15 et 20 : le loyer d’une belle villa sur les hauteurs de Mullberry Hills, quelques serviteurs, de quoi donner une très belle réception pour lever des fonds pour le maire ou arroser quelques personnalités dans le monde politique et judiciaire… Entre 20 et 30 : un yacht, un manoir, une série de belles voitures, un staff complet de serviteurs et gardes du corps… Plus de 30 : la tranquillité.

GAGNER ET PERDRE DE L’ARGENT

Vous savez maintenant ce que vous pouvez vous acheter avec vos richesses. Mais le plus important, finalement, c’est «  comment augmenter votre score de Fric pour pouvoir vous payer tout ce que vous ne pouvez pas encore vous offrir ? » Les gains : tout d’abord, un gain d’argent est toujours temporaire. Il se présente sous la forme d’un ou plusieurs «  +  » que vous pouvez soit conserver, soit utiliser comme modificateur positif sur un jet de Shotgun pour acheter quelque chose. Que vaut une mallette bourrée de plusieurs centaines de milliers de dollars  ? Quelques «  +  », c’est sûr, à se partager… ou pas. Dans certains cas, le gain d’une dizaine ou d’une vingtaine de «  +  » d’un coup peut parfaitement s’envisager : un gros gain au jeu ou un retour sur investissement, par exemple.

228

TAPIS VERT

Exemple  : Sergueï a bossé cinq nuits d’affilée pendant la période de présentation des collections de mode, à protéger des pouffes et leurs jules qui s’amusaient de boîtes en boîtes. Il n’y a pas eu de soucis et son patron lui a filé une prime pour la peine. Il gagne deux « + » qu’il pourra utiliser quand il le souhaite Mais vous pouvez aussi accumuler le magot au lieu de le flamber, en conservant les « + » pour les transformer en score définitif de Fric. Plus vous êtes riche, moins vous devez faire de jets de Shotgun et plus vous pouvez conserver vos « + » pour vous enrichir encore plus ! Ainsi, cinq « + » peuvent être dépensés d’un coup pour donner un point de score de Fric. Vingt-cinq « + » conservés donnent les 5 points de Fric qui vous font changer de catégorie sociale. Le capitalisme est roi à Heaven Harbor.

Les pertes et les emprunts : de même, une perte d’argent est d’abord temporaire et se présente sous la forme d’un « – », c’està-dire que vous perdez automatiquement un «  +  » pour le prochain jet de Fric selon les règles de modificateur. Vous êtes normalement obligé d’appliquer ce malus mais vous pouvez choisir de délayer le moment de le faire. En général, cela signifie que vous acquérez des dettes. Parfois, vous voulez vraiment obtenir un objet qui est bien trop cher pour vous. Vous pouvez alors emprunter de l’argent. Chaque point de score de Fric que vous empruntez – et qui augmente temporairement votre score pour lui permettre d’atteindre le niveau suffisant pour la valeur de l’objet – vous donne un « – » pour un jet à venir. Exemple  : Sergueï a commencé à sortir avec Lola, du One-Two-Three. Il a envie de la balader sur les boulevards mais tirer une caisse n’est pas une option. Il reste

à en acheter une, et une belle encore ! Il lui faut emprunter de l’argent à des « amis », 5 points pour être exact, soit cinq « – » qu’il devra progressivement éponger. Avec sa prime de la semaine (deux «+»), il n’aura plus que trois « – » à rembourser. Ses trois prochains jets de Fric auront donc un modificateur négatif. Vous pouvez bien entendu, refuser de rembourser un emprunt en ignorant les malus. En fonction du bon vouloir de vos créditeurs, la VO peut accepter un ou plusieurs jets sans malus avant de devoir vous envoyer des gros bras ou un repo-man. En règle générale, vous ne pouvez pas emprunter plus d’argent que votre score actuel de Fric sans prendre un FBP et les ennuis qui vont avec. Vous pouvez aussi être criblé de dettes. Tant de « - » que vous n’en verrez jamais le jour. Vous pouvez donc choisir de perdre définitivement un point de score de Fric pour effacer trois « - » sur votre ardoise.

LE NOIR A la fin d’un scénario, la Voix Off attribue aux joueurs un certain nombre de points, appelés « Noir ». En moyenne, vous obtiendrez entre 10 et 50, ce qui correspond respectivement à «  vous étiez présent mais n’avez pas fait grand chose à part lancer les dés quand on vous le disait et grignoter des biscuits  » et «  vous étiez là, vous avez interprété votre personnage en tenant compte de vos natures, sauvé la poupée et réglé son compte au gros bonnet ». Ces points de Noir, vous allez pouvoir les utiliser pour faire progresser votre personnage, en utilisant pour cela les indications ci-dessous : Cave  : chaque point de cave coûte 3 points de Noir. Comme les scores de cave sont forcément des multiples de 5, vous ne pouvez donc acheter que des tranches de 5 points de cave (pour un coût de 15 points de Noir).

Talent  : augmenter votre talent vous coûtera  : le niveau de talent souhaité x 30. Seul un niveau peut être acheté à la fois. Il faudra donc débourser 30 points pour obtenir un nouveau talent à 1, 60 points pour le faire passer à deux et enfin 90 pour le faire passer à 3. En tout, la progression de ce talent vous aura coûté 180 points de Noir. La vie est difficile. Relation  : Qu’il s’agisse d’acheter ou de faire progresser une relation existante, il faut une raison liée à la campagne en cours. Il a fallu rencontrer, fréquenter, aider ce personnage pour que la Voix Off vous autorise à l’acquérir. Dans tous les cas, obtenir un nouveau contact nécessitera de payer son statut en points de Noir. Une nouvelle relation ne pourra être qu’un contact. Comme pour un talent, les trois niveaux de relation coûteront 30, puis 60, puis 90 points de Noir, en sus du statut.

TAPIS VERT

229

Toutefois, il est tout à fait possible à la Voix Off d’offrir une réduction, voire la gratuité, de cette relation si durant l’aventure vous lui avez fait une forte impression, vous lui avez rendu service ou vous lui avez même sauvé la vie. Statut : un statut ne s’acquiert pas avec des points de Noir. Il ne vient qu’avec la

position qu’il représente et on ne devient pas policier juste parce qu’on le souhaite. Toutes les questions de statut seront donc gérées en cours de jeu, en fonction des possibilités qui s’offrent, ou pas, aux personnages. Pour le  Fric  et les  Possessions, c’est la même chose.

Asservis et démons Malgré les bons conseils de Terry Doyle, je suis persuadé que vous avez envie de toucher à l’interdit. Les règles qui suivent vont vous le permettre, mais rappelez vous : nous déclinons toute responsabilité.

MÉCANIQUE INFERNALE Un démon est un être immatériel, terré dans une autre dimension à l’orée de notre propre réalité. Il n’a donc pas de substance physique, même lorsqu’il se manifeste dans notre plan d’existence, comme à la suite d’une invocation. S’il s’incarne dans un corps humain, il acquiert alors les caractéristiques de son enveloppe, notamment sa fragilité et sa mortalité. Dans tous les autres cas, un démon est uniquement défini, d’un point de vue technique, par deux caves. Son Mojo : c’est sa « puissance » surnaturelle, sa proximité avec les Entités du Maelstrom. Cette cave peut monter très haut pour les démons les plus «  étrangers  ». Typiquement, les démons qui entourent un Asservi comme Six of Ten auront souvent une cave de Mojo élevée, bien plus que ceux œuvrant pour Mr Johnson, trop liés aux petites fourmis humaines qui les passionnent tant. Son Humanité : elle représente sa proximité avec les humains, son niveau de mimétisme. Plus ce score sera élevé et plus le démon sera présent dans le monde réel, aura un réseau humain étendu et

230

TAPIS VERT

solide... Les démons au service de Mr Clay ou de Mr Johnson ont souvent tendance à disposer d’une Humanité plus forte que leur Mojo. A l’inverse, un démon plus proche du Maelstrom aura un score d’Humanité assez faible : il ne comprend pas grand-chose aux besoins ou aux préoccupations des humains et aura tendance à les traiter sans finesse. Il existe bien entendu, comme pour les PNJ, des démons très différents. Utilisez la même échelle de valeur : un démon mineur disposera d’une cave de 20 alors qu’un démon supérieur, bras droit d’un Asservi, aura lui une cave supérieure à 150. Nous ne donnons pas de valeur aux caves des Asservis. Ces êtres là dépassent de loin l’entendement humain et si vous traitez directement avec eux, vous ne pouvez être sûrs de rien, et surtout pas de leur niveau de puissance ou de l’intérêt qu’ils portent à vos manigances. L’intervention d’un Asservi dans une partie relèvera donc uniquement de l’interprétation, pas de valeurs chiffrées.

DÉMONS & POUVOIR Comme vous l’avez vu dans le guide rédigé par Terry Doyle, il n’existe aucune « magie immédiate » dans le monde d’Hellywood. Oubliez les boules de feu, les sorts de soins ou les bénédictions. Un démon ne vous rendra pas ce genre de service. Le Mojo permet bien au démon de plisser notre réalité mais il le fait avec beaucoup de réticences et tout effet « magique » demandera d’énormes sacrifices personnels de la part de l’invocateur… sans parler de l’interprétation toujours facétieuse qu’un démon peut faire de votre demande. Les « dons » surnaturels présentés dans le guide, comme la prescience de Walter Penningham ou le toucher mortel de Bill Mc Cowley, en sont de bons exemples. Ils sont aussi extrêmement rares. Si vous voulez aller dans cette direction, choisissez un démon doté d’un Mojo très important… et préparez-vous à devoir payer le prix. C’est une transformation radicale et irréversible du personnage, qui, en tout état de cause, ne sera tout simplement plus humain. Il n’existe donc pas de listes de « pouvoirs ».

LES DÉMONS ENTRE EUX Les valeurs de Mojo et d’Humanité peuvent vous servir à déterminer l’influence des démons et l’effet de leurs éventuels affrontements. Même au sein d’une même famille de démons, travaillant pour le même Asservi, les manigances personnelles et les coups fourrés ne sont pas rares. Entre démons liés à des Asservis différents, c’est encore plus impitoyable. Plus le score d’Humanité est important, plus le démon dispose d’un réseau étendu, efficace, capable de rendre des services variés. Si vous et vos adversaires utilisez chacun un démon, ou un réseau, différent pour obtenir quelque chose (gagner une élection par exemple), celui dont l’Humanité est la plus haute décrochera le pompon. Si les choses s’enveniment et que les deux démons s’affrontent ouvertement, les choses seront différentes : le démon avec le Mojo le plus important imposera sa volonté à l’autre, quelle que soit la qualité du réseau de ce dernier. Bien entendu, le truc drôle là dedans, c’est l’escalade. Il est toujours possible de faire intervenir un démon plus puissant. Et ainsi de suite. Jusqu’à ce que les Asservis doivent s’en mêler. On vous avait prévenus.

TAPIS VERT

231

JOUER UN INVOCATEUR Pour que votre personnage soit capable d’invoquer les forces démoniaques, il suffit de lui donner un score de Mojo respectable (ça sera utile) et de lui acheter un ou plusieurs niveaux dans l’historique «  Répertoire démoniaque  », comme indiqué dans la création de personnage. Chaque niveau de répertoire coûte vingt points d’historique et apporte les avantages suivants : Plus de démons dans le répertoire, donc une meilleure chance de réussite au jet d’invocation. A part le premier niveau (qui autorise juste à pouvoir faire le jet), chaque niveau supplémentaire ajoute un + au jet (par exemple si je mets 40

points dans l’historique, je ferai mes jets comme si j’avais un talent de niveau 1) Un démon « associé » par niveau. C’est un démon que l’invocateur connaît bien, il a donc un + supplémentaire à son jet pour l’invoquer. Lui et pas un autre. Ce bonus est cumulable. De plus, le talent « Démoniste » apporte une connaissance théorique du Maelstrom, des différents démons et Asservis, de leurs organisations, de la nature de leur univers... Cela ne remplace pas le Répertoire, mais c’est utile pour éviter de se faire arnaquer lors d’une négociation, par exemple.

INVOQUER UN DÉMON ET PACTISER L’INVOCATION

Pour invoquer un démon, il faut tout simplement réussir un jet de Mojo contre une difficulté égale à la cave de Mojo du démon. Ce jet est modifié par le niveau de Répertoire et le fait que le démon soit associé ou pas. De plus le lieu et les conditions modifient également la donne en augmentant ou diminuant la difficulté. Dans une rue standard de la Forbidden City, il n’y aura aucune incidence. Mais un endroit très propice (comme dans une cave proche du Dédale ou au beau milieu d’une partouze organisée par des suivantes de Ash), vous pouvez donner un + à l’invocateur. Si la difficulté n’est pas atteinte, même de très peu, l’invocation n’a pas lieu. Pour réussir une invocation, il faut donc : Miser autant de Mojo que le Mojo du démon, et espérer faire un succès sur son jet. Miser deux fois plus de Mojo que le Mojo du démon, auquel cas un résultat neutre sur le jet suffira pour réussir l’invocation.

232

TAPIS VERT

Exemple  :  Terry Doyle, invocateur avec un Répertoire de niveau 3 (ça fait longtemps qu’il est dans la partie) et 150 en Mojo, choisit d’invoquer Miss Chamberlain (Mojo : 120, Humanité : 180), un démon travaillant pour Mr Clay, avec qui il a une relation privilégiée. Il a donc trois + pour son jet. Il n’a guère le choix : il lui faut miser 120 points de son Mojo et il devra donc réussir le jet  : un résultat neutre ne suffira pas. Doyle réussit. Miss Chamberlain apparaît, superbe dans son tailleur strict qui souligne son incroyable chevelure rousse. Il va maintenant falloir négocier. Vu la cave d’Humanité du démon, il y a fort à parier que le marché sera surtout à son avantage… Si l’invocation est un échec, l’invocateur peut simplement se retrouver bredouille ou bien recevoir la visite d’un indésirable (dont le Mojo ne pourra toutefois pas dépasser la mise de l’invocateur). C’est là que le talent Démoniste prend tout son intérêt… Il se peut que ce démon ne soit pas du tout bien disposé envers l’invocateur, ou qu’il essaie de se faire passer pour ce qu’il n’est pas ou

même qu’il soit tout fait disposé à aider ce dernier… Mais traiter avec un inconnu est toujours risqué. Si l’indésirable est animé de mauvaises intentions, la Voix Off peut mettre en scène une opposition, comme pour un combat ou une joute sociale. Notez qu’un imbécile qui fout en rogne le démon qu’il a invoqué pourra tout à fait subir le même sort. L’invocateur et le démon utiliseront tous deux leur Mojo pour miser. Le talent démoniste de l’invocateur pourra modifier les jets, et la Voix Off décidera du niveau de talent du démon. Enfin, le démon peut même décider d’employer de gros moyens (tentative de possession, choc mental…). Si le Mojo de l’invocateur baisse au point d’atteindre zéro, des choses très désagréables peuvent ainsi lui arriver. Son corps peut être tout simplement possédé durant une durée que la Voix Off définira. Pendant ce laps de temps, le joueur ne maîtrisera donc plus la destinée de son personnage, mais il devra en assumer les conséquences. Si l’invocateur subit une séquelle, soyez inventif : cauchemars récurrents, absences, terreurs irraisonnées, phobies, absences, visions apocalyptiques. On ne joue pas impunément avec son esprit !

MENER LA NÉGO

Une fois le démon face à vous, il reste la délicate étape de la négociation. Deux possibilités s’offrent à vous. Vous pouvez tout simplement gérer la négociation en « roleplay ». Après tout, il est intéressant de savoir jusqu’où seront prêts à aller les joueurs, ce qu’ils seront prêts à sacrifier. Il est d’ailleurs tout à fait possible qu’un démon soit très heureux de leur rendre service si leur demande va dans le sens de ses propres plans ou s’il espère s’attacher les futurs services du groupe. Il n’est alors pas envisageable d’avoir recours à un jet de dés qui pourrait faire échouer l’accord. Si l’issue de la négociation n’est pas préalablement définie, vous pouvez la gérer comme une opposition orale, où la cave du démon sera son Humanité. Le joueur pourra modifier son jet en utilisant au choix un talent social : Commerçant s’il essaie de rester dans un domaine purement commercial, sans laisser d’éléments passionnels entrer en ligne de compte, Comédien ou Videur s’il essaie de baratiner ou d’impressionner le démon, ce qui est souvent une très très mauvaise idée. L’échec d’une négociation peut alors prendre plusieurs formes : refus du démon ou pacte très désavantageux. Là encore c’est à la Voix Off de décider, selon l’intérêt du scénario.

CHAPITRE 04 PUR NOIR

Comme tout genre, le Noir est très codifié. Ces codes, nous les connaissons tous et ils ont été stéréotypés il y a longtemps. Il suffit d’une voix off désabusée, d’un plan sur la vitre dépolie d’un bureau de privé et d’une longue paire de jambes galbées de nylon pour savoir qu’on y fait référence. C’est même le B.A-BA de la parodie. Mais un genre ne se limite pas à ses codes. Le Noir, c’est bien plus qu’une série de stéréotypes. On ne fait pas du Noir juste parce qu’on colle un chapeau mou et une badass attitude à un personnage. Le Noir brasse de nombreux thèmes, symboles et situations. C’est aussi une façon bien particulière de raconter les histoires. En premier lieu, dans «  Mauvais Genre  », nous parlerons des références d’Hellywood, films et romans noirs. Ensuite, dans « Pratiques douteuses », nous aborderons la mise en place des parties de jeux de rôle dans cet univers, avec conseils et pistes de campagne.

Mauvais genre Plutôt qu’une longue liste de livres et de films placée en vrac dans une annexe, nous vous proposons pour commencer un éclairage de quelques auteurs et de quelques œuvres. Ce petit aperçu, forcément partial et partiel, n’a rien d’un exposé rigoureux mais pourra servir de tremplin à vos propres découvertes dans un genre foisonnant, aux visages multiples. Plusieurs œuvres citées ci-dessous ne sont pas des inspirations «  directes  » pour

Hellywood, au sens «  immédiatement utiles pour bâtir un scénario de jeu de rôle ». En effet, décor et époque ne cadrent pas forcément avec ceux choisis pour Hellywood, la côte ouest en 1949. Mais les bonnes histoires sont intemporelles et elles ont toutes, à leur niveau, influencé le jeu, son atmosphère et ses thèmes. Quelques inspirations fondamentales d’Hellywood ont toutefois été rassemblées dans l’encadré « Les incontournables », un peu plus bas.

SURVOL HISTORIQUE ROMAN NOIR

Les romans noirs de l’école hardboiled (littéralement « dur à cuire »), née aux EtatsUnis à la fin des années 20 sous la plume de  Dashiell Hammett  et  Raymond Chandler, forment l’inspiration séminale d’Hellywood. La première figure de ces romans hardboiled est le privé, forcément désabusé même s’il suit ses propres règles morales. Il explore un monde corrompu où pouvoir, argent et crime se confondent. Si le roman noir parle de crime, il ne se préoccupe pas vraiment d’intrigue criminelle, au sens « résolution d’énigme ». Ce qui importe, c’est avant tout la peinture sociale. Dès lors, le roman noir ne se limite plus au détective privé. Il parle aussi des criminels, gangsters ou petits truands  ; il donne la vedette aux naïfs, aux losers et aux pusillanimes.  James M. Cain  décrit des quidams commettant l’irréparable, William R. Burnett invente le roman de gangster avec Le Petit César. Sur ses racines, le roman noir vit, évolue et mute. Il devient ethnique chez C hester Himes, il se pare d’humour (Himes encore,  Elmore Leonard). Il célèbre les parias et les exclus avec  Jim Thompson  ou  David Goodis. Il

236

PUR NOIR

flirte avec le «  roman procédural  » pour écrire la vie quotidienne de flics plus humains que nature, chez Ed Mc Bain. Dans les années 80, le génie  James Ellroy  commence avec la trilogie  Lloyd Hopkins  une synthèse ébouriffante avant de mettre à l’air les tripes de Los Angeles dans son fameux Quatuor, quatre romans hargneux dévoilant l’histoire cachée de la Cité des Anges. Les années 90  :  Michael Connelly  crée  Harry Bosch, un flic hanté par les crimes qu’il est chargé d’élucider. Ed Bunker l’ex-taulard se fait chantre du désenchantement du gangster, de la vie alternative de la taule.  Dennis Lehane ajoute douceur et pudeur à la plus noire violence et signe avec Mystic River un chef d’œuvre déchirant, magnifiquement porté au cinéma par Clint Eastwood. Et ce ne sont là que quelques noms… Le Noir est un genre éminemment américain, nourri de violence et d’obsession urbaine. Mais la France réserva au genre un accueil enthousiaste, notamment via la mythique  Série Noire, reconnaissant à leur juste valeur certains auteurs (Goodis, Thompson) injustement méconnus chez eux. On peut également rattacher au genre

de nombreux auteurs français. Nestor Burma, le privé anar’ de Léo Malet est, entre autres choses, un héritier des privés américains. Plus proche de nous, le flic marseillais de  Jean-Claude Izzo,  Fabio  Montale, révolté jusqu’à la nausée par la corruption qui l’entoure, est une belle figure du roman noir à la française.

FILM NOIR

Preuve en est : c’est la France qui invente le terme «  film noir  » pour qualifier les bandes désenchantées qu’elle découvre à la Libération. Roman noir et cinéma vivent très tôt une histoire d’amour vivace et féconde. Enfant illégitime de l’expressionnisme à l’allemande, dont il récupère au passage Fritz Lang, précurseur avec son  M le Maudit, le film noir adapte les romans hardboiled et donne un visage à ses héros. Le plus connu est celui d’Humphrey Bogart qui incarnera les deux plus grands privés de roman noir,  Sam Spade  et  Philip Marlowe. Le film noir est un cinéma de série B, dans le noble sens du terme. La liste des réalisateurs est longue et on y trouve de nombreux européens : Jacques Tourneur, John Huston, Billy Wilder, Fritz Lang, Howard Hawks, Robert Siodmak, Raoul Walsh, Sam Fuller, Otto Preminger, Robert Aldrich, Orson Welles… Comme le roman noir, le film noir est multiple. Il donne des polars âpres et durs, explorant le monde des gangsters : Le carrefour de la Mort  (Kiss of Death,  Henry Hattaway  1949),  L’enfer est à lui  (White Heat,  Raoul Walsh, 1949). Il flirte avec l’espionnage : Le 3ème homme (Carol Reed, 1949) ou Le port de la drogue (Pickup on south street,  Samuel Fuller, 1953). Il donne des chefs d’œuvre à la limite des genres, comme  Boulevard du Crépuscule  (Sunset Boulevard,  Billy Wilder, 1950),  La nuit du Chasseur  (Charles Laughton, 1955) ou  La Dame de Shangaï, 1948, d’Orson Welles. Tiens, puisqu’on parle de Welles… On dit souvent que  La soif du mal, 1958, est le dernier film noir classique. C’est en tout cas un film monstrueux, où Welles

traîne sa carcasse dans la peau du flic pourri Hank Quinlan. Le genre disparaît mais subit régulièrement des mises à jour.  Chinatown  de  Roman Polansky  est le maître étalon du «  Néo Noir  », entre hommage et réinterprétation. Une renaissance parfois brillante (Miller’s Crossing des frères Coen), mais où les plus appliqués ne sont pas toujours les meilleurs. De toute façon, le film noir a muté, bourgeonné, rendant caduque les hommages trop classiques. La saga mafieuse aux accents de tragédie grecque devient un genre à part entière avec  Le Parrain  de  Coppola. Le Noir contamine le polar urbain, nourrissant les exécutions du  Justicier dans la ville  de  Michael Winner, les errances du  Taxi Driver  de  Martin Scorsese ou la justice expéditive du Dirty Harry  de  Don Siegel. Il est prégnant dans la peinture de la vie criminelle, qu’il s’agisse des tableaux picaresques à la Scorsese (de Mean Streets à Casino) ou de la froideur professionnelle des braqueurs du  Heat  de  Michael Mann. Le cinéma asiatique a absorbé les mêmes influences et a créé ses propres héros hardboiled, dont le tueur de The Killer, de John Woo (1989), les gangsters d’Election, de  Johnny To (2005) ou bien encore les yakuzas chers à  Takeshi Kitano  (Sonatine, 1993). Pas étonnant, finalement, que la trame d’Infernal Affairs  (2002) ait pu être transposée à Boston par Martin Scorsese dans  Les Infiltrés (The Departed, 2006). Dans ses avatars les plus modernes, le Noir reste multiple. Élégant rétroglamour avec l’adaptation de  L.A. Confidential par Curtis Hanson, polar cru et viscéral avec Narc de Joe Carnahan ou BD animée avec le  Sin City  de  Robert Rodriguez…

AUTRES GENRES

Où commence et où s’arrête le Noir  ? Les codes visuels et narratifs du Noir ont largement inspiré tout un pan de la sciencefiction cinématographique, dont les meilleurs exemples restent Blade Runner ou Dark City. Cette contamination n’a pas épargné le

PUR NOIR

237

Fantastique, ce qui intéresse Hellywood au plus haut point. La corruption de l’univers propre au Noir se marie naturellement bien avec l’horreur intérieure.  Angel  Heart, d’Alan  Parker  (1987), est l’une de nos œuvres de référence (voir l’encadré, Les Incontournables). Pas étonnant non plus que le héros du Lord of Illusions de Clive Barker (1995), soit un privé, Harry d’Amour, en butte à un culte maléfique. Même si ce n’est pas un film noir, le décor urbain des hallucinations de l’Échelle de Jacob d’Adrian Lyne (1990) y ressemble à s’y méprendre. La bande dessinée s’y abreuve aussi. Outre les œuvres dont l’inspiration Noir est évidente, ils sont nombreux les personnages qui empruntent au Noir ses codes et ses obsessions : Batman, Daredevil ou le Punisher, dans certaines de leurs plus extrêmes variations. Sam & Twitch, les deux flics désabusés de l’univers torturé de Spawn sortent tout droit d’un polar.

Et comment ne pas citer Sin City, de Frank Miller, et ses tough guys ultra-violents. Inspiration directe des invocateurs privés d’Hellywood, le sorcier John Constantine, héros du comic Hellblazer, a tout du privé harboiled, imper et cynisme grinçant à la clé. A la télé, on donne plus souvent dans le whodunit façon Arabesque que dans le pur Noir. Et pourtant, on a tous découvert le privé Mike Hammer non pas dans les livres de Mickey Spillane mais dans la série télévisée du même nom, avec la tronche de  Steacy Keach. Et bien sur, classique des classiques, les Incorruptibles  ont popularisé les histoires de gangsters. Les flics de télé ne sont pourtant pas tous des Columbo, enquêtant avec un rythme de retraité, ni des parangons de vertu comme le Jack Webb de Dragnet : ceux de Hill Street Blues, de  NYPD Blue, de  The Shield  ou  The Wire  se confrontent à la rue et à sa violence. Avec les Sopranos, la vie de famille des truands n’a plus de secrets pour nous et ceux qui n’ont pas de chance finissent à Oz…

LES HÉROS DU NOIR PRIVÉS EN SÉRIE

Il est le premier héros du Noir et définit même le hardboiled. Le privé explore la face cachée de la ville et met au jour corruption et compromission. Il met dans le même sac truands et puissants, se foutant des convenances. Conséquence évidente  : il se fait en permanence engueuler par les flics « officiels ». D’ailleurs, quand on l’assimile à ceux-ci, il se récrie avec véhémence. Prenez  Sam Spade  héros de l’œuvre séminale de  Dashiell Hammett, Le Faucon de Malte, paru en 1930. Froid et cynique, Spade est souvent à la limite du sadisme. Lorsqu’il l’incarne sous la direction de John Huston en 1941,  Bogart  n’est pas le premier Spade mais il restera le plus iconique. Pourtant, contrairement au Spade décrit par Hammett, Bogart n’était pas blond et il était bien trop petit. Mais Bogart est Spade. Il parait, dans le film comme dans le roman, que Spade recherche un faucon en bronze… Mais en réalité, on se fout de ce fameux faucon et de l’histoire alambiquée qui se noue autour. Ce qui importe ce sont les rebondissements, les faux-semblants, les allées et venues autour d’un Spade imperturbable, que même la mort de son associé, Archer, n’ébranle pas et que les menaces des flics ne font pas ciller. Un dur, on vous le disait. Sous ses dehors de dur, le  Philip Marlowe  de  Raymond Chandler  est volontiers philosophe, parfois presque poète, un rien plus vulnérable que Spade. Si Marlowe prend au fil du temps le visage de  Robert Mitchum  ou d’Elliott  Gould, c’est encore la gueule de Bogart qui restera. Dans l’adaptation du  Grand Sommeil  par  Howard Hawks, en 1946, face à Lauren Bacall, il est Marlowe, plongé malgré lui dans la famille déviante du général Sherwood. Chargé de retrouver les photos compromettantes de Carmen, l’une de ses filles, Marlowe se heurte à l’autre fille, la fantasque Vivian, et à ses très mauvaises

fréquentations. Secrets de famille, bourgeois persuadés que le fric peut tout acheter… L’intrigue du roman, comme celle du Faucon de Malte, est un grand bordel ? Et alors ? Après la guerre, le succès du roman noir ne se dément pas. Mickey Spillane publie son premier  Mike Hammer  en 1947. Spillane pousse à l’extrême l’archétype bâti par Hammett. Violent et intraitable, Mike Hammer n’est pas seulement interprété par Stacy Keach. Avant ça, il est par exemple le héros de  En  4ème vitesse (Kiss me deadly)  de  Robert Aldrich  en 1955. Hammer recueille sur la route une jeune femme poursuivie par de mystérieux agresseurs mais il ne parvient pas à la protéger. Elle meurt et il décide de découvrir pourquoi. Tout tourne autour d’une mystérieuse boîte noire, pour laquelle on n’hésite pas à tuer. D’autres privés jalonnent l’histoire du roman noir.  Ross Mac Donald  met en scène  Lew Archer  et dénonce un monde corrompu. Lawrence Block met en scène les aventures d’un ex-flic alcoolo devenu privé, Matt Scudder. Au cinéma, Huit millions de façon de mourir (1986) transpose l’action du roman de New York à Los Angeles et offre à Matt Scudder les traits de  Jeff Bridges. Après avoir flingué un dealer dans l’exercice de ses fonctions, Scudder plonge dans l’alcool et perd sa femme et son job. Une prostituée, Suny, l’engage pour la racheter à son souteneur mais elle est assassinée. Il rencontre Sarah, une autre prostituée elle aussi alcoolique, et s’intéresse à Angel, un dealer psychotique. Sarah devient un enjeu entre les deux hommes… Plus récemment,  Dennis Lehane  explore le quartier populaire irlandais de Boston par les yeux d’un couple de privés, Patrick Kenzie et Angela Gennaro. On est loin de Spade ou Marlowe, même si la filiation reste évidente. Kenzie est une grande gueule mais c’est aussi un mec fragile, dont les états d’âme entre révolte et nostalgie

PUR NOIR

239

alimentent cinq romans marqués du sceau de la violence imbécile contre laquelle les héros ne peuvent pas grand-chose.  Gone Baby Gone, peut-être le plus dur et le plus émouvant bouquin de la série a été porté au cinéma par  Ben Affleck  en 2007. Sur la trace d’une gamine enlevée à sa mère junkie, Kenzie et Gennaro vont voir toutes leurs certitudes s’écrouler.

L’ENGRENAGE

Si le privé est devenu la tarte à la crème de tout ce qui se réclame du Noir, accompagné de ses oripeaux (imper, voix off désabusée, secrétaire, bourbon et passage à tabac), le Noir ne se limite pas à lui. Loin de là. James M. Cain  s’est penché sur le péquin qui devient criminel, poussé par l’appât du gain, une atmosphère délétère et l’influence de la femme fatale. L’homme faible qui se résout au meurtre et s’avance ainsi vers sa propre damnation. Le facteur sonne toujours deux fois, publié en 1934, connaît deux adaptations cinématographiques « officielles », en 46 et en 81. Franck Chambers est engagé comme mécano par Nick, un type sympa. Rapidement, Franck est attiré dans le lit de la jeune femme de Nick, Cora. Et bien vite, l’idée d’éliminer Nick est évoquée… Mais il va s’avérer que l’assassinat de Nick ne sera pas le plus épineux des problèmes du couple criminel. Dans  Assurance sur la Mort  (Double Indemnity), publié en 1935 et adapté au cinéma par  Billy Wilder  en 1944, Walter Neff, obscur employé d’assurance, tombe dans la toile de Phyllis. Devenus amants, ils trament la mort du mari de Phyllis, à l’alléchante assurance-vie.  Barbara Stanwyck  est une inoubliable femme fatale, qui définit un genre à elle seule.

240

PUR NOIR

Au-delà du loser criminel, il y a aussi le paumé, le raté. Ceux de  David Goodis  sont inoubliables. Mal aimé dans son pays, adapté en France (Tirez sur le Pianiste de Truffaut ou  Rue Barbare  de Gilles Béhat), il livre dans Sans espoir de retour, 1956, le portrait à l’arraché du clodo Whitey. Tentant de retenir les lambeaux de son ancienne vie, il subit la terrible violence d’un quartier poubelle dont les flics hargneux le pourchassent, persuadés à tort qu’il a tué l’un des leurs, alors qu’il ne voulait que l’aider. Au cinéma, le réalisateur coup de poing, Samuel Fuller, est le pendant de Goodis. Si son adaptation tardive (1989) de Sans Espoir de Retour n’est pas son meilleur film, il assène en 1963 Shock Corridor, glaçante plongée d’un journaliste dans l’univers de l’hôpital psychiatrique. Avant cela, dans Le Port de la Drogue (Pickup on south street, 1953), il coince Richard Widmarck, minable pickpocket, dans une violente histoire d’espionnage pour avoir piqué le mauvais portefeuille… Les romans de  Jim Thompson, c’est aussi la plongée sans retour dans des univers noirs et désespérés, hantés par des personnages hantés par leurs vices. Alcool et cure de désintox, qu’il a lui-même connus, composent le sujet de son roman  Les Alcooliques, qui décrit le quotidien d’une clinique pour alcoolos. Quand à  Chester Himes, il mêle intrigue noire, humour et constat social en décrivant le cœur du ghetto noir de Harlem. Il sait aussi de quoi il parle, Himes, il a connu la tôle. C’est pourtant un brave gars naïf qui est le héros de La Reine des pommes, paru en 1958. Il tombe amoureux d’une belle qui s’est taillée avec le magot et c’est le début des emmerdes. C’est  Forrest Whitaker  qui prêtera ses traits au personnage dans l’adaptation de Bill Duke, 1991, A rage in Harlem.

LES INCONTOURNABLES Voici en quelques lignes les inspirations les plus importantes d’Hellywood. Tout d’abord, difficile d’échapper au socle du genre hardboiled, les privés de Hammett et de Chandler. Sam Spade ou Philip Marlowe se baladent, avec l’air de se foutre de tout, dans des intrigues embrouillées, prétextes à des rencontres musclées et cyniques avec une masse d’adversaires corrompus. La plupart du temps, ils paient cash leur insolence et leur curiosité. On trouve chez les deux auteurs le même cynisme, le même style imagé, fait d’ellipses et de portraits incisifs. Le style (parfois faussement) désabusé de Hammett et de Chandler, c’est pile ce que nous imaginons pour les personnages d’Hellywood. La seconde inspiration directe d’Hellywood, c’est le Quatuor de Los Angeles, de James Ellroy  : le Dahlia Noir, le Grand Nulle Part, L.A. Confidential et White Jazz. Quatre romans gigantesques pour mettre à nu l’histoire secrète de Los Angeles, des années 40 aux années 60, et nous offrir d’inoubliables portraits de flics. Des hommes durs, à la fois corrompus et en quête d’absolu, bouffés par leurs vices mais capables de s’unir pour une cause perdue d’avance. La vue en coupe de L.A. par Ellroy, c’est la référence que nous avons utilisée pour décrire Heaven Harbor par la voix de Terry Doyle. Sin City, la bande dessinée hardboiled de Frank Miller est un incontournable d’Hellywood à plus d’un titre. D’abord pour ses personnages de durs jusqu’auboutistes. Dans le premier volume, Marv la brute bousillera tout ce qui se dressera entre lui et l’assassin de Goldie, la femme qui l’a aimé pour une seule nuit. Dans le quatrième volume, le flic Hartigan sacrifiera tout pour sauver la jeune Nancy des griffes d’un pervers, se moquant des protections de ce dernier. Le rythme et la violence des histoires de Sin City sont idéales pour Hellywood. Graphiquement, ce sont aussi de purs chefs d’œuvre. Enfin, Hellywood est un jeu fantastique. Cette part de l’univers est volontairement feutrée, comme une couche de corruption supplémentaire, insidieuse et maladive. Notre référence absolue est à ce titre Angel Heart, le film d’Alan Parker. Harry Angel est un privé crasseux, à la recherche du crooner disparu Johnny Favorite, pour le compte d’un mystérieux commanditaire. De New York à la Nouvelle Orléans, il s’enfonce dans un monde moite de messes noires et d’adorateurs de Satan. Un tueur semble le suivre à la trace, éliminant un à un les témoins de la fuite de Favorite et Angel est bientôt soupçonné de ces meurtres. A suivre les pas de Favorite, c’est son âme qu’Angel met en péril. Si vous vous demandez à quoi peuvent ressembler les manigances d’un Asservi et le prix à payer pour son assistance, Angel Heart est fait pour vous.

PUR NOIR

241

GRANDEUR ET DÉCADENCE DU GANGSTER DYNASTIE CRIMINELLE

William R Burnett  invente le roman de gangster avec  Le Petit César (Little Caesar) en 1929, qui sera incarné au cinéma par  Edward G. Robinson  dès 1931. Le film narre l’ascension, suivi de la chute tragique, du truand Rico, dans une atmosphère de violence et de trahison. En 1932, Howard Hawks réalise Scarface et décrit lui aussi la grandeur et la décadence d’un truand, Tony Camonte, fortement inspiré par Capone. En 1983, Tony Camonte devient Tony Montana dans le remake de  Brian de Palma.  Al  Pacino  livre une interprétation furieuse de cet exilé cubain qui a décidé que le monde serait à lui et qui n’hésitera pas à mettre Miami à feu et à sang, dans un ouragan de violence et de coke. Al Pacino, c’est aussi Michael Corleone, le héros de la saga mafieuse de  Francis Coppola, d’après le roman de Mario Puzo,  Le Parrain. Trois films pour l’histoire d’une famille qui emprunte tout autant à la tragédie grecque qu’aux codes du film noir. Dans le premier film, le jeune Michael dit avoir choisi « la modernité » et laisse à son frère Sonny l’héritage criminel de leur père, le parrain Vito Corleone. Mais lorsque des assassins manquent de tuer Vito et que Sonny est abattu comme un chien, Michael prend en main la famille et devient à son tour le Parrain. Sa vengeance sera implacable. La saga criminelle au long cours a été magnifiée par Sergio Leone, dans Il était une fois en Amérique (1984), nous faisant suivre pendant plus de 40 ans le destin de «  Noodles  » Aaronson (Robert de Niro) et ses amis, jeunes gangsters juifs de Brooklyn qui vont profiter de la Prohibition pour réaliser leur rêve américain mais dont l’amitié ne peut finir qu’en tragédie.

242

PUR NOIR

Martin Scorsese s’approprie presque le genre, avec son incroyable maestria, et fait des Affranchis ou de Casino des fresques sur la vie quotidienne des gangsters, comme une photo en négatif du rêve américain. D’aussi loin qu’il s’en souvienne,  Henry Hill  (Ray Liotta) a « toujours voulu être un gangster ». De casse en trafic, il y réussira, entrant dans une famille d’adoption aussi solidaire qu’étouffante. C’est son histoire et celle de ses amis gangsters, sur une durée de 30 ans, que raconte les Affranchis (Goodfellas, 1990). Mais lorsque les temps changent, qu’Henry plonge dans la drogue et se fait coincer, quel choix lui reste-t-il  ? Le film de gangsters est un genre foisonnant et comporte ses perles comme le  King of New York  (1990), d’Abel Ferrara qui offre à  Christopher Walken  le rôle d’un trafiquant de drogue ambigu…

LE GANG

Il n’y a pas seulement des dynasties de criminels, régnant sur des empires familiaux. Il y aussi le gang, qui prépare – et réussit souvent – son casse, avant de devoir en gérer les conséquences. C’est généralement là que les problèmes commencent. Revenons à  William Burnett  : il écrit  Quand la ville dort  en 1949 et  John Huston  le porte à l’écran l’année suivante. Mémorable notamment pour Marylin Monroe, que le film révéla, on y suit l’histoire du gang de Doc Riedenschneider, qui projette le casse d’une bijouterie et rassemble autour de lui un groupe de spécialistes. Or, les dangers ne sont pas forcément ceux qu’on attend… Même chose chez les truands d’Ultime  Razzia  de  Stanley Kubrick  (1956). Le gang de Johnny Clay réussit le fructueux braquage d’un champ de courses mais là encore, le danger vient de l’intérieur et prend l’apparence

d’une femme. Tensions, suspicions et braquages qui tournent mal, des thèmes que l’on retrouve jusque dans le  Reservoir Dogs de Quentin Tarantino (1992). Il y a toutefois de la noblesse chez les truands. Des codes d’honneur qu’un samouraï ne renierait pas. Regardez Le Cercle Rouge, le chef d’œuvre de  Jean-Pierre Melville, le plus américain des réalisateurs français, pour vous en convaincre. Truands old school, Delon et Montand font face à un imperturbable flic campé par André Bourvil qui les traque sans relâche après le casse audacieux d’une bijouterie. Même face à face dans Heat, de Michael Mann. Le film met en scène deux professionnels  : un flic pugnace et obsessionnel, Vincent Hanna (Pacino) ; un truand méthodique au code de conduite strict, Neil Mc Cauley (De Niro). Les deux hommes se ressemblent sur bien des points et se respectent, mais s’affronteront sans pitié. Lorsqu’un dernier coup tourne mal, Mc Cauley se retrouve face à un choix difficile : s’en sortir ou prendre le risque de régler ses comptes, au risque de donner l’occasion à Hanna de resserrer les mailles de son filet… Mais le monde du crime, ce ne sont pas que les coups fumants et les grands destins tragiques de gangsters cornéliens. C’est aussi la vie quotidienne en marge de la loi, les petites frappes et l’impossibilité de rester dans le droit chemin. C’est aussi la prison. La tôle,  Ed Bunker  connaît bien. A 17 ans, il est le plus jeune prisonnier à entrer au pénitencier de Saint Quentin. Le chemin qui y mène, il en parle dans Aucune bête aussi féroce, faisant de Max Dembo une sorte d’alter ego de sa propre histoire, de révolte adolescente en petit casse, jusqu’aux braquages à main armée et à l’inévitable incarcération. Sorti enfin de prison, Dembo veut retrouver le droit chemin. Mais comment réussir alors que le seul univers que l’on connaît, ce sont les bas-fonds de Los Angeles, les putes et les dealers  ? La prison elle-même, c’est le sujet de  La Bête contre les murs  (Animal Factory, porté au cinéma par Steve Buscemi). Le jeune Ronald Decker entre à Saint Quentin et découvre la brutalité carcérale, les haines

raciales et la violence institutionnelle. Il se lie avec Earl Copen, un récidiviste qui sait comment fonctionne l’univers miniature du pénitencier. Cela sera-t-il suffisant pour y survivre  ? Bunker abandonnera finalement les oripeaux de la fiction  : son autobiographie,L’éducation d’un malfrat, est un incroyable et véridique roman noir qui, une fois n’est pas coutume, finit bien…

FLIC ET VOYOU

Agent du pouvoir, souvent corrompu, le flic n’a pas la part belle dans le roman noir, là où il est incontournable dans le roman policier « classique ». Pourtant, c’est le témoin quotidien de la violence des hommes. Il peut se retrouver coincé entre un devoir qu’il considère comme une mission sacrée et des lois qu’il juge favorables à son irréductible ennemi, le criminel. Ou bien il peut chuter lui aussi, dévoré par les tentations. L’humanité des flics, c’est le cœur de l’imposante œuvre d’Ed  Mc Bain, plus de 50 romans décrivant le quotidien des inspecteurs du 87ème District. Ils sont tous là : les flics pourris et les flics intègres, les flics violents et les flics compréhensifs, parfois tour à tour. Ceux qui se tiennent à l’écart pour ne pas être bouffés par leur boulot et ceux qui y plongent sans retenue au risque de s’y perdre. Le 87ème District, c’est le moule pour toutes les séries policières modernes, type NYPD Blue. Mais c’est aussi bien plus : Mc Bain ne se contente pas d’une formule, il expérimente sans arrêt, change les points de vue, le rythme ou le sujet. Une seule chose ne varie pas : la fascination de la ville fictive d’Isola. En 1984,  James Ellroy  crée  Lloyd Hopkins, détective du LAPD, dans  Lune Sanglante. Un flic limite, cet Hopkins, obsédé et violent, héros d’une trilogie d’écorché vif. Si son adaptation cinématographique,  Cop  (James B. Harris, 1988) ne fait pas l’unanimité, la gueule à la serpe de  James Woods  s’impose. Ellroy laisse tomber Hopkins et n’écrira jamais le quatrième roman, pourtant entamé. En lieu et place, il nous donne le  Quatuor de Los Angeles,

PUR NOIR

243

où le flic est un révélateur de la pourriture de la société. Dans le troisième roman du cycle, L .A. Confidential, on assiste à l’enquête croisée de trois flics : Jack Vincennes, l’ami des stars qui noie son dégoût dans l’alcool ; Bud White, la brute, amoureux fou de la belle Lynn Bracken  ; Ed Exley, jeune inspecteur ambitieux qui veut absolument faire mieux que sa légende de père même s’il faut piétiner d’autres flics pour y arriver. Des hommes que tout oppose et qui s’affrontent mais finissent par s’allier pour tenter de démêler l’incroyable écheveau caché derrière un massacre sanglant dans un Dinner’s, le Hibou de Nuit. Le film de  Curtis Hanson  (1997), s’il se base sur une version très simplifiée de l’intrigue tentaculaire d’Ellroy, offre une magnifique reconstitution du Los Angeles des années 50 et des acteurs tout simplement fabuleux. Des flics, il en est encore question chez le chroniqueur judiciaire devenu romancier,  Michael Connelly.  Harry

Bosch  est un personnage complexe. Rétif à l’autorité hiérarchique, hanté par les victimes des meurtres qu’on lui demande d’élucider, Bosch prend chaque nouvelle enquête comme une mission sacrée. Il crée de toutes pièces un lien intime, presque fusionnel, avec la victime décédée et suit un code d’honneur inflexible  : «  tout le monde compte ou personne ne compte  ». Le fait que sa propre mère ait été assassinée alors qu’il n’était encore qu’un enfant n’est naturellement pas anodin dans le choix de vie de Bosch. Une croisade qu’il poursuivra même de son propre gré, sans contrepartie, une fois qu’il aura quitté la police. Formidable plongée dans le Los Angeles moderne, les romans de Connelly sont des merveilles de précision et de réalisme. Privés, flics, truands, assassins… Autant de facettes offertes par le Noir, que vous allez à votre tour pouvoir explorer. Nous allons à présent vous donner quelques tuyaux pour mettre en place scénarios et campagnes.

Pratiques douteuses Ce qui suit est destiné à vous aider dans la mise en place de vos parties d’Hellywood. Soigner l’ambiance, c’est favoriser l’immersion et faire d’un scénario l’occasion d’une plongée intrigante dans un monde noir et sinistre. Naturellement, il n’existe pas une façon de jouer et loin de nous l’idée de vous asséner « notre » vérité. Jouez à Hellywood comme

il vous plaît, le but est de prendre du plaisir ! Rien de ce qui suit n’est donc à prendre au pied de la lettre. C’est une somme d’infos, de réflexions, d’idées, de conseils et de pistes qui, nous l’espérons, vous simplifieront la vie, vous aideront à mettre sur pied votre campagne ou vous donneront l’envie d’un one shot en marge de celle-ci.

JOUEZ PLUS NOIR LE CONTRAT

Notre premier conseil est tout simplement de bien définir ce que vous voulez faire de votre campagne et de bien l’exposer à vos joueurs. OK, cela paraît l’évidence même. Mais chacun s’est sans doute fait une idée bien précise de ce que sont le Noir et le Hardboiled. Il n’est donc pas forcément évident que les options que vous prendrez soient celles auxquelles s’attendent les personnages. Vous voulez du Noir pessimiste, nihiliste, sans aucun espoir et où les personnages se brûleront forcément les ailes ? Assurez-vous simplement que les joueurs n’attendent pas des aventures pulp débridées. Ce serait dommage de les décevoir. De la même façon, la place du fantastique dans Hellywood mérite une explication. Il est conçu comme un pourvoyeur d’intrigue, une couche malléable de corruption mais pas comme un moyen explicite de résoudre les énigmes ou de détruire les adversaires. Il est donc nécessaire de savoir quelle ambiance vous voulez privilégier. Le thème est aussi un pré-requis important puisqu’il

influencera directement la création de personnages et le choix, par exemple, de leurs Natures. Que vous prévoyiez de jouer des flics ou des truands, c’est une première chose. Mais si vous voulez opposer vos flics au lieutenant Seamus Murphy dans une guerre fratricide, il peut être intéressant de privilégier des personnages foncièrement honnêtes. Même s’ils ont recours à des moyens extrêmes, qu’ils cachent des déviances ou de sinistres secrets, leur but commun sera de mettre à bas les pratiques de Murphy. A l’inverse, la même campagne mais avec des flics fondamentalement pourris ne prendra pas le même chemin : les joueurs chercheront certainement à reprendre à leur profit les business de Murphy. Quand à panacher les deux options, c’est encore une troisième voie, loin d’être inintéressante si gérer les ruptures au sein du groupe ne vous fait pas peur. Bref, il ne s’agit pas de dire à vos joueurs ce que vous « attendez » d’eux, mais juste de s’assurer que tout le monde soit sur la même longueur d’ondes.

PUR NOIR

245

LE STYLE « HEAVEN HARBOR » VÉRITÉS ET ENJEUX

Hellywood offre aux personnages des challenges particuliers, que l’on peut résumer en trois principes : Il n’y a pas forcément de «  vérité  » ultime. Tout le monde est gris, toutes les convictions sont viciées, toutes les prises de position sont dictées par l’intérêt personnel. Pour faire le «  bien  », certains utiliseront des moyens dégueulasses et justifieront ces moyens par la fin. D’autres seront considérés comme mauvais alors qu’ils poursuivent peut-être des buts légitimes. Chacun prend « sa » vérité pour « la » vérité et agira avec le sentiment profond de faire les choses comme elles doivent l’être. Chacun possède son échelle de valeurs et n’en démordra pas. S’il voit ses valeurs balayées, un personnage peut s’effondrer, comme cet homme politique idéaliste réalisant enfin que le jeu est toujours truqué et qui avale le canon de son flingue. A moins qu’il ne devienne devient blasé, cynique et détaché. Le corollaire du premier principe est que les bons ne gagnent pas à tous les coups. L’injustice est la norme. Les plus puissants et plus riches s’en sortent. Si on veut vraiment les faire tomber, il faut se griller, peut-être définitivement. Et ce n’est pas pour autant que la justesse de l’acte sera reconnue. Jouer hardboiled, c’est assumer qu’on ne récoltera aucun laurier. N’hésitez pas à insister làdessus  : l’idéaliste est toujours broyé. Seuls les pragmatiques s’en sortent. Et au mieux, on ne gagne que de petites batailles, jamais la guerre. On ne résout rien, on gagne juste le droit de continuer. La fin, la chute, est toujours écrite. On ne peut que la retarder. Les enjeux ne sont pas à grande échelle. A Hellywood, on ne sauve pas le monde. Les machinations sont locales et parfois tristement triviales  : obtenir la domination d’un quartier, souffler un gros contrat à un concurrent, plomber la réputation d’un adversaire politique, se venger de sa femme adultère ou piquer une mallette de

246

PUR NOIR

pognon… Ce qui n’empêche absolument pas l’utilisation de moyens extrêmes, au contraire. Le contraste entre la réalité des enjeux - un peu plus ou un peu moins de fric, la plupart du temps - et la violence déployée pour les atteindre est particulièrement intéressant.

VARIATIONS SUR LE THÈME

Tout en restant dans une optique noire et dure, il est possible de faire varier ambiance et niveau de réalisme. Nous avons ainsi discerné trois variations, que vous pouvez alterner ou mixer. Sans surprise, elles correspondent aux principales inspirations d’Hellywood, comme présentées dans « Mauvais genre ». Le Noir classique. C’est un peu le « mode par défaut » d’Hellywood, fortement inspiré des histoires de Dashiell Hammett et Raymond Chandler. Les histoires, très codifiées, utilisent souvent la structure décrite plus haut. C’est nickel pour jouer des héros cyniques et rusés à la Marlowe, qui encaissent en souriant et finissent par s’en sortir. Le héros n’est jamais un surhomme mais il est tenace. La ville a beaucoup d’importance dans ce style : beaucoup de ces romans sont centrés autour d’une ville où Spade ou Marlowe débarquent et commencent à fouiller. Toutefois, l’ambiance est privilégiée par rapport à une description clinique. Ce style privilégie un coté très expressionniste : les personnages sont peu décrits, seulement par petites touches marquantes… Le Noir clinique.  La référence de ce style est à chercher du côté des pavés de James Ellroy. Les héros sont ici dramatiquement plus « humains » : torturés, ils subissent le poids de leur passé, de leurs choix et de leurs obsessions. Ils ne sortent jamais indemnes de leurs aventures, qui les obligent à aller au bout d’eux-mêmes. En bref, on ne rigole plus du tout et la mort est fréquente et arbitraire. La ville est un personnage à part entière, exposée jusque dans ses moindres

détails, de manière quasi «  anatomique  ». C’est un style beaucoup plus réaliste. Il peut même tendre au « Noir de procédure », à la Mc Bain ou à la Connelly, privilégiant les enquêtes réalistes et précises fouillant dans les tréfonds glauques de l’âme humaine. Le Noir hyperviolent.  C’est un style violent et bourré d’action dont l’inspiration est à chercher dans le Sin City de Frank Miller. Par son côté décalé, il se rapproche du Noir classique, mais en « bigger than life  ». Les personnages sont plus archétypaux, la violence est omniprésente et les hommes de main volent dans tous les sens. C’est le plus spectaculaire, le plus cinématographique, des trois styles.

SÉVÈRE… MAIS JUSTE ?

Hellywood n’est pas un jeu tendre. C’est un univers où la violence, physique ou morale, est omniprésente. La Voix Off n’a pas vocation à être sympa avec les joueurs ou à arrondir les angles quand les choses tournent mal. La vie est injuste et dure et, tôt ou tard, les tough guys mordront la poussière. Bien sûr, rien ne vous oblige à vous en tenir à cette orientation. Si vous souhaitez un ton plus léger, foncez ! Après tout, le Noir a cette particularité de pouvoir se marier à tout. Il le fait notamment très bien avec l’humour, il suffit de lire Chester Himes pour s’en persuader. Pour notre part, nous avons été plus influencés par le cynisme de Chandler ou le pessimisme d’Ellroy. Si vous décidez de nous suivre, voilà quelques considérations pratiques. Les personnages de hardboiled développent bien souvent un côté maso : ils sont passés à tabac plus souvent qu’à leur tour, se retrouvent couverts de blessures et de pansements. Ce qui ne les empêche pas de remettre le couvert le lendemain. Les  fucking bastard points  sont à ce titre votre meilleur outil pour imposer la dangerosité de l’univers. Ils vous permettront très facilement de coller une bonne branlée aux personnages ! Les joueurs

ont souvent du mal à se résoudre à courber l’échine, même devant une bande de brutes, et ce genre de raccourcis scénaristiques est assez difficile à mettre en place avec les règles générales d’un jeu de rôle. Avec les FPB, n’hésitez pas à mettre en scène un bon passage à tabac à la Marlowe, dont le personnage sortira la tronche violacée et la lèvre fendue jusqu’au nez. Ajoutez à cela la violence du système de jeu, le système des séquelles et la règle de roulette russe, et vous pourrez reproduire cette vision du héros hardboiled, sous la pluie, la gueule ravagée, le flingue à la main, décidé à régler une fois pour toutes ses comptes même s’il n’a aucune chance de s’en tirer. De la même façon, tuer un personnage ne doit pas être un frein. Entendons nous bien : les joueurs n’aiment pas perdre un personnage mais la mort fait partie intégrante du Noir. Elle est parfois totalement arbitraire. Ellroy a cette tendance incroyable à flinguer en une phrase bien sèche, genre « la balle de .45 emporta son visage et il s’écroula », un personnage que l’on suit avec passion depuis 600 pages. La mort survient parfois de manière « idiote », au coin d’une rue, alors qu’on pense s’en être tiré. Au niveau de la mise en scène de la violence, rappelez-vous d’une chose : on n’est pas dans un film de Hong Kong ou dans un blockbuster américain. Dans le hardboiled, la violence n’est pas marrante ou fun. Elle n’est pas non plus aérienne ou artistique. La violence doit toujours faire mal. Dans le Noir, tout est contondant et laisse des traces. Il n’y a rien de plus dévastateur qu’un poing qui s’écrase sur un visage, éclatant le nez, les débris de dents déchirant les lèvres. Et je ne vous parle même pas d’une balle dans le gras du ventre ou dans la rotule. Rappelez toujours cette réalité à vos personnages : un blessé, ça saigne et ça hurle. Les morts ne s’effacent pas comme dans un jeu vidéo, ils restent au sol et pissent le sang. Surtout, la violence a toujours des conséquences  : un mort a des amis prêts à le venger, une famille qui sera peut-être brisée. Les autorités vont s’y intéresser.

PUR NOIR

247

M. BLONDE EST DE SORTIE

Incarner un personnage hardboiled, c’est souvent se mettre dans la peau d’un personnage sans règle morale autre que celle qu’il s’impose à lui-même. Ça ne signifie pas pour autant le massacre systématique d’innocents, mais pour certains joueurs, ça ouvre visiblement la porte au défouloir. Il est très facile de calmer ces ardeurs. Comme dit plus haut, la violence a toujours une conséquence. Commencez à répandre des cadavres partout et vous aurez tous les flics d’Harbor aux fesses. Si vous continuez, une campagne de presse viendra motiver encore un peu plus nos amis policiers. Et si les politiciens s’en mêlent, les flics ne prendront même plus leurs weekends. Flinguez un policier et la recherche se transformera en chasse à l’homme. Et ne vous attendez pas à être arrêté : vous serez exécuté comme vous avez exécuté vos victimes. Chez les truands, le code d’honneur est rarement un vain mot. Certains gangsters peuvent se livrer aux pires exactions tout en suivant pourtant des règles strictes : on ne vend pas de drogue près d’une école, on ne touche pas à la famille… Un Affranchi qui bat sa femme sera par exemple sévèrement corrigé, parce que la famille, c’est sacré.

Le statut ne protégera pas plus le personnage : il y a un moment où vous cessez d’être un atout pour devenir une gêne. Si vous multipliez, sans aucune finesse, les actes les plus dingues, votre hiérarchie vous lâchera, quelle que soit sa nature. Un ponte de la mafia n’a pas forcément intérêt à garder dans son équipe un tueur psychopathe incapable de contrôler ses nerfs. Le personnage risque fort de finir dans un trou au milieu d’une plantation d’oranges… Si vous avez affaire à de «  petits  » dérapages, contentez-vous de rendre la vie plus difficile aux PJ : à tous, s’ils cautionnent les actes de leur partenaire, parce qu’ils lui seront assimilés par les tiers. La police quadrille Aisbury Park pour retrouver le «  décapiteur de dealers  » et l’enquête des personnages devient un enfer à gérer. Ils perdent un gros contrat car leur employeur estime qu’on ne peut leur faire confiance pour livrer du «  travail soigné  ». Régulièrement, un pote du type qu’il a torturé et étouffé avec une serviette de bains tombe sur le râble du personnage, ou l’un de ses proches, pour le venger. Action, réaction… Si ça ne suffit pas à calmer le jeu, rien de mieux qu’une explication posée et hors jeu sur le fait que l’attitude du joueur gêne tout le monde…

LE FANTASTIQUE Un flic enquête sur un tueur en série qui n’est autre que lui-même, accomplissant chaque nuit d’horribles meurtres dans un état proche de l’hypnose. Un privé s’occupe de sa dernière affaire  : retrouver ceux qui l’ont assassiné. Un soir de beuverie un personnage se retrouve dans un étrange lieu où il est témoin d’un meurtre, mais le lendemain c’est comme si cet endroit n’avait jamais existé… Hellywood ajoute ce type d’histoires décalées et étranges aux intrigues classiques du polar noir. C’est le rôle du fantastique, en particulier des Asservis et de leurs serviteurs, les démons. En tant que Voix Off, il s’agit donc d’un outil qui vous permettra d’utiliser les ficelles scénaristiques les plus tordues qui sortiront de votre imagination.

A l’inverse, Hellywood ne repose pas sur de grands mystères qui seraient à découvrir sur la nature du Maelstrom, des Asservis ou de leurs maîtres, les Entités. Ces êtres et la dimension dans laquelle ils vivent sont inaccessibles à l’esprit humain, seule leur subtile influence sur notre monde est à la portée des simples mortels. Le héros hardboiled est avant tout un pragmatique.

PLUS DE FANTASTIQUE ? Dans Hellywood, le fantastique reste donc relativement discret. Mais après tout, c’est votre jeu : libre à vous d’injecter un peu de Hellboy dans votre campagne. Nous vous conseillons alors de vous tourner vers le style «  Noir hyperviolent » et de veiller à un principe de base : quel que soit le niveau de fantastique de votre campagne, la puissance des personnages des joueurs devrait toujours être très en dessous de celle de leurs ennemis. Hellywood est un jeu de tough guys, pas de super-héros.

LA RÈGLE D’OR

Terry Doyle le dit lui-même : avec le Jour des Cendres, le monde s’est rendu compte que l’Enfer existait réellement, mais le mal n’est pas apparu avec les démons. Il était ancré dans l’âme humaine depuis bien plus longtemps et malgré toute leur perversité, les Asservis n’y sont pour rien. Ce qui nous amène à la règle d’or du fantastique dans Hellywood : il ne doit jamais devenir une excuse pour les crimes des êtres humains. S’il n’y avait pas la duplicité et

l’avidité humaine, les Asservis et leurs séides n’auraient strictement aucun pouvoir. Au mieux, les Asservis encouragent les pires penchants de l’humanité, mais en aucun cas ils n’en sont à l’origine. Ce serait trop simple. De la même manière, évitez de mettre un Asservi à la tête de chaque groupe criminel ou de chaque conspiration. Ils ne sont pas présents partout et lorsqu’ils interviennent c’est le plus souvent pour servir les plans de crapules tout ce qu’il y a d’humaines – comme les Neuf, par exemple.

PUR NOIR

249

LES ASSERVIS ET LEURS POUVOIRS

Lorsqu’il s’agit de mettre en scène les Asservis dans une partie d’Hellywood, les deux mots-clés sont puissance et discrétion. Puissance, parce que chacun d’entre eux pourrait probablement rayer notre réalité de la carte en claquant des doigts, s’il le désirait. Discrétion, parce qu’ils vivent dans la crainte du réveil des Entités, les seuls êtres dont ils ont peur. Les Asservis sont donc très avares d’effets surnaturels et Hellywood n’offre donc aucun pouvoir «  immédiat  », de type sortilèges, même à ceux qui sont capables de converser avec les Asservis. Cela peut vous donner des pistes sur la manière dont ils doivent intervenir dans vos scénarios. Tout d’abord, comme dans le film d’Alan Parker, Angel Heart, les Asservis ne montrent jamais leur véritable visage. Ils adoptent une apparence banale bien que légèrement inquiétante. De même pour leurs serviteurs ou la puissance surnaturelle qu’ils manifestent. Nul besoin d’effets spéciaux, donc, mais vous devez amener petit à petit vos joueurs à comprendre que quelque chose de monstrueux et de terrifiant se joue derrière une foule de petits faits étranges. L’atmosphère se rafraîchit, les animaux deviennent soudain silencieux, un personnage ne peut empêcher sa main de se

mettre à trembler… Comme le dit la formule : le diable est dans les détails. Évidemment, lorsque vous voudrez mettre en scène une « descente aux enfers », qui finira au cœur même du Dédale, vous pourrez doser vos effets pour créer un crescendo infernal… Le final dépendra de vos goûts et de votre inspiration, mais nous ne saurions trop vous conseiller, là encore, de privilégier un fantastique subtil et ambigu… Pensez à l’ascenseur d’Angel Heart.

LES CORNUS

L’un des attraits d’Hellywood vient de ses tough guys tout droit sortis de l’Enfer : succubes à la beauté vénéneuse, golems taillés comme des armoires de béton, séraphins légers et aériens, possédés difformes et retors. Ils permettent à la Voix Off d’ajouter de la couleur et du relief à ses PNJ, à condition toutefois de ne pas en abuser. Les cornus représentent une infime minorité de la population d’Heaven Harbor, aussi il faut éviter de tomber dans des systématismes ennuyeux : tous les gardes du corps ne sont pas des golems, toutes les tapineuses ne sont pas des succubes et tous les grands méchants ne sont pas des possédés. Cela ne rendra la présence d’un cornu dans votre scénario que plus emblématique.

MOTIVATIONS ET GROUPE Le Noir est souvent associé à l’idée de personnage solitaire et d’histoire tragique dont la seule issue est le drame. Effectivement, Hellywood se prête très bien au one-shot. Quand on aborde une campagne, on se heurte à quelques questions  : comment gérer plusieurs fortes individualités dans un genre souvent associé à la figure solitaire  ? Comment donner des buts au groupe ?

MOTIVATIONS

L’important, c’est la motivation des personnages. Vous ne vous en tirerez pas en léguant aux joueurs la maison d’un vieil oncle et en espérant qu’ils foncent tête baissée dans

250

PUR NOIR

l’aventure. Va falloir trouver mieux que ça. La grande difficulté du Noir réside dans le fait que l’on a souvent affaire à des personnages solitaires, cyniques, désabusés et volontairement en retrait. Mais le cinéma nous a toutefois enseigné que même le plus endurci des vétérans, qui s’est retiré du monde et s’est promis «  plus jamais  », finit toujours par accepter une « dernière mission ». Bien sûr, si vous jouez des flics ou des capos de la mafia, la Voix Off n’aura pas besoin de vous convaincre. On vous donnera des missions et on attendra de vous qu’elles soient correctement remplies. Mais même dans ce cas, vos véritables motivations seront ailleurs :

faire avancer votre statut, profiter de votre position pour atteindre un but personnel, réaliser une vengeance, assouvir des démons personnels, détourner la mission au profit de votre croisade privée... Il y a donc toujours besoin d’une seconde couche de motivation et celle-ci est toujours personnelle. Impliquez toujours personnellement les personnages. Jouez sur la corde sensible. Faites en sorte que, même s’ils se drapent dans une attitude cynique et désabusée, ils aient envie de savoir ce qui se cache derrière votre accroche. Les Natures choisies par les joueurs pour leurs personnages peuvent à ce titre être d’une grande aide. Celui qui a une famille à protéger sera naturellement motivé pour que rien ne leur arrive. Celui qui est dévoré par un désir de vengeance n’hésitera pas à foncer dans le tas si l’occasion se présente de se rapprocher de son objectif : faire mal à celui qui lui a fait mal. Et si seul le fric intéresse le personnage, il est tout à fait possible de placer une carotte sur son chemin. D’ailleurs, l’argent n’est jamais à sous-estimer, il est toujours une motivation très puissante dans le Noir. Les privés désabusés, après tout, ne se mettent au boulot que contre un gros chèque. Et si les joueurs ne mordent pas à l’hameçon, pas de panique. Une campagne Noir, c’est par définition non-linéaire et surtout «  volatile  ». Rien de plus normal puisque les Natures de personnages, leurs travers vont s’exprimer. Ils refusent d’aider quelqu’un  ? Aucun souci, passez à autre chose. Quelques mois plus tard, ils auront peut-être des remords en découvrant le cadavre mutilé de celui qu’ils ont refusé d’aider. Ou peut-être bien qu’à leur tour ils se retrouveront dans une situation inextricable et que ce sera au tour de ce type de refuser de les aider. La roue tourne…

DYNAMIQUE DE GROUPE

Les motivations personnelles ne sont pas antinomiques avec un but de groupe. Le type uniquement motivé par le fric dispose peutêtre de compétences utiles pour le groupe. A la limite, il se foutra du but commun tant qu’il y a moyen de s’enrichir au bout. Bien sûr, il faudra tout de même le surveiller de

près : on ne sait jamais, on pourrait lui faire une meilleure offre pour trahir le groupe  ! Et pour être honnête  : quelqu’un lui fera fatalement une telle proposition. N’hésitez donc pas à construire des groupes formés de personnages bigarrés, avec des buts personnels très différents mais qui recoupent le même objectif. Sans aller jusqu’au buddy movie, avec ces flics qui se détestent et finissent meilleurs potes du monde devant un barbecue familial, l’un des ressorts du Noir est la capacité à utiliser tous les moyens pour arriver à ses fins. Se retrouver dans le même lit que des gens diamétralement opposés peut être une nécessité pour abattre un ennemi commun. Un exemple éclatant est donné par Ellroy, dans L.A. Confidential mais c’est loin d’être le seul. Les vicissitudes de la campagne se chargeront ensuite de rapprocher les extrêmes…

AFFRONTEMENTS ENTRE PERSONNAGES JOUEURS

Les personnages d’Hellywood ne sont pas des tendres et ils ont généralement de fortes personnalités. Si rassembler des gens avec des natures et des objectifs très différents peut enrichir le jeu, cela augmente également le risque que des affrontements surviennent. Même si ce n’est pas forcément à encourager, ça peut très bien servir le genre Noir. Rien de choquant dans une ambiance de corruption généralisée qu’un personnage en trahisse un autre, le vende au plus offrant ou tout simplement décide de faire les choses «  à sa façon  » en allant à l’encontre des choix du groupe. Et si ça doit se finir par un règlement de compte entre personnages joueurs dans un entrepôt crasseux, pourquoi pas ? Il faut « simplement » que la Voix Off sache que son scénario vient de changer drastiquement d’optique. Le seul souci de cela, c’est si l’animosité dépasse les limites du personnage pour envenimer la situation entre joueurs. La seule chose à faire dans ce cas là, c’est de tout arrêter et de recadrer immédiatement. A aucun moment, les différences de vue des personnages ou leurs animosités ne doivent déborder sur les joueurs.

PUR NOIR

251

LE SCÉNARIO NOIR Loin de nous l’idée de donner dans la littérature comparée ou l’analyse filmique. Mais les quelques réflexions qui suivent peuvent vous être utiles pour bâtir un scénario.

LE PRINCIPE

Ce qui rend les intrigues policières du Noir si particulières, c’est que ce ne sont pas des intrigues policières. Holmes, Poirot ou Julie Lescaut, passez votre chemin. Le héros du polar noir n’est pas un enquêteur ; c’est un explorateur. L’enjeu n’est pas de résoudre un crime, mais de comprendre une situation, un quartier, une ville. Il ne s’agit pas d’identifier le coupable, mais de découvrir le rôle de chacun des protagonistes de l’histoire – y compris le sien. Le crime est ici multiple et divers, de même que ses auteurs. Concevoir vos scénarios d’Hellywood comme des explorations plutôt que comme des enquêtes revient à créer un petit monde miniature, une petite mécanique qui tournait bien jusqu’à l’arrivée des PJ enquêteurs. Ceuxci sont toujours le grain de sable qui fait ripper la machine. Le rythme ne sera pas non plus le même  : plutôt qu’un puzzle d’indices qui attend sagement vos limiers, on aura ici une machine infernale qui va les happer sans leur laisser la possibilité de lui échapper.

LA STRUCTURE

En lisant attentivement les grands classiques du roman hardboiled, on peut dégager une structure générale en quatre étapes qui peut vous aider à écrire vos scénarios, à condition de ne pas en faire un systématisme. La première étape est l’accroche qui va servir à impliquer les PJ dans le scénario, par exemple le job ou l’affaire s’il s’agit de privés ou de flics. Dans tous les cas, il s’agit d’une histoire en apparence assez simple, qui peut prendre la forme d’une mission ou d’une demande. Bien entendu, tout n’est pas clair : il y a dans cette accroche un mystère qui ne sera résolu qu’à la fin du scénario. Mais les personnages doivent avoir l’impression que rien de grave ne se joue ici, et qu’ils vont pouvoir rentrer faire un bon repas après avoir expédié l’affaire. Les personnages sont engagés pour retrouver quelqu’un ou quelque chose, pour protéger quelqu’un, pour effectuer une transaction, ils se retrouvent par hasard en possession d’un objet ou d’une information clé, ils sont impliqués dans un meurtre ou une fusillade…

‘‘ÇA CACHE FORCÉMENT QUELQUE CHOSE…’’ En jeu de rôle, cette première étape pose un souci particulier. Les joueurs savent toujours qu’un mauvais coup se prépare derrière les apparences. Et ils risquent de renâcler : pourquoi faire semblant que tout va bien se passer quand on sait pertinemment que le contraire va arriver ? N’hésitez donc pas à faire varier les formes d’accroches. Utilisez le hasard en les mettant devant le fait accompli : pas de bol, vous êtes tous témoins d’un événement et tout s’emballe. Utilisez à fond les Natures, les entraves des personnages. Au pire, sautez carrément ce passage obligé : l’histoire commence au moment où la mission de routine se met à gravement dégénérer…

252

PUR NOIR

Arrive alors la seconde étape, où tout se complique. C’est le moment où apparaissent les nombreux protagonistes, ou PNJ, du scénario. Certains d’entre eux vont même rentrer en contact avec les PJ pour exiger, demander ou engager leurs services – selon les cas. Si ce n’est pas déjà fait, la police entrera dans la danse, de même que la pègre locale. Quant à la petite intrigue du début, on commence à se rendre compte qu’elle n’est que la partie émergée d’un iceberg beaucoup plus important et que tous ces nouveaux protagonistes y sont liés d’une façon ou d’une autre. Le premier commanditaire a des choses à se reprocher, il a caché sa véritable identité, sa tête est mise à prix, la cible de la première mission propose aux personnages de les engager à son tour pour une somme plus importante, une autre affaire sans lien avec la précédente (en apparence seulement) se présente, l’un des protagonistes est retrouvé assassiné et les personnages sont soupçonnés, le colis que les personnages savent pertinemment avoir livré semble avoir disparu… Les choses s’accélèrent dès la troisième étape, l’étau se resserre autour des PJ qui se retrouvent coincés entre les différents protagonistes, sans compter leurs employeurs aux intérêts pas toujours convergents. Il va leur falloir être particulièrement vifs pour esquiver les balles et les coups, et continuer à démêler les fils de l’histoire. Un gangster passe les personnages à tabac pour les convaincre de laisser tomber, la police les interroge durement, des tueurs sont à leurs trousses, la presse s’intéresse à leur cas, ils ont un cadavre sur les bras (qu’ils en soient responsables ou non), ils doivent une forte somme à quelqu’un… Enfin, la dernière étape est celle des confrontations. Car la vérité ne surgira pas d’un éclair de génie, mais d’une série de discussions houleuses, souvent revolver en

main, avec les autres protagonistes. Outre s’en sortir vivants, le but des personnages sera de soutirer aveux et compléments d’information aux PNJ impliqués. La «  justice  » n’est pas forcément le but, ici. Certains héros hardboiled se contentent de « savoir » et laissent les hyènes s’entredéchirer. Mais pour arriver à cela, il leur faudra un moyen de pression ainsi qu’une théorie, même incomplète, à faire confirmer. Grande fusillade entre tous les protagonistes, audition devant la police ou un jury, retrouvailles avec un protagoniste fugitif, les personnages débarquent juste au moment où le plan des protagonistes allait fonctionner, ils ont été suivis et se retrouvent pris entre deux feux, ils déballent les secrets les plus sinistres devant un auditoire médusé…

POUR QUELQUES FICELLES DE PLUS

En plus de cette trame type, certaines recettes classiques du roman hardboiled peuvent vous aider à noircir votre scénario. Il y a presque toujours un protagoniste féminin extrêmement séduisant et difficile à cerner : c’est la fameuse femme fatale. L’intrigue évolue du particulier vers le général : si elle commence comme un banal fait divers, par effet boule de neige elle se retrouve liée à des enjeux beaucoup plus importants, par exemple politiques. L’inverse est tout à fait possible  : une très grosse affaire montée en épingle par les différentes parties n’est en réalité qu’un petit et pathétique incident, qui a gonflé juste sous l’effet de l’opportunisme, de la corruption et de la médiocrité humaine. L’histoire a une résonance particulière avec le passé de l’un des PJ, que ce soit sous forme d’éléments de son passé qui remontent à la surface ou de similitudes troublantes. La nostalgie est souvent une composante intéressante du Noir. À la fin de l’enquête, tout semble accuser un protagoniste, mais si les PJ décident de creuser un peu, ils s’aperçoivent que le véritable coupable était celui qu’on soupçonnait le moins.

PUR NOIR

253

Les PJ se retrouvent directement impliqués dans l’enquête de la police, comme suspects ou témoins. Dans les deux cas, ce n’est généralement pas bon pour eux. Un des personnages développe des liens - d’affection, de dépendance ou de soumission - avec l’un des PNJ. Vu la façon dont l’histoire évolue, il sera forcément amené à le soupçonner par la suite, à tort ou

à raison, ce qui ne manquera pas de lui poser un cas de conscience. Les personnages sont obligés d’enquêter sur un crime qu’ils ont euxmêmes commis. Il va falloir trouver une excuse viable, et peut-être même un bouc émissaire idéal, pour préserver leur secret tout en donnant l’impression qu’ils ont pris leur mission à cœur.

LA FIANCÉE DU TAPIS VERT Accroche

Les personnages sont engagés par Nat Vernon pour retrouver une joueuse de poker qui est en dette avec son casino. Rien de méchant : il faut mettre la main dessus et la convaincre « gentiment » d’honorer ses dettes. Tournant Les personnages retrouvent la jeune femme mais elle déclare qu’elle ne doit pas d’argent à Vernon : elle était sa maîtresse et celui-ci veut la supprimer pour l’empêcher de livrer des informations compromettantes au FBI. Elle connaît en effet le détail des livres de comptes du gangster. Elle supplie les personnages de l’aider à se cacher. De son côté, le FBI interroge les personnages et leur demande de rester en dehors de l’affaire. Quand à Vernon, il a vraisemblablement fait suivre les personnages depuis le début de leurs recherches. Accélération Qu’ils l’aient aidée ou pas, la jeune femme disparaît. Le FBI tient les PJ pour responsables. Quand aux sbires de Vernon, ils traquent les personnages pour les obliger à leur dire où elle se trouve, persuadés qu’ils l’ont aidée à fuir. Showdown Au terme de leur enquête les PJ retrouvent la jeune femme. Ils découvrent alors qu’elle s’est jouée d’eux et du FBI : elle a piqué une très forte somme d’argent à Vernon et veut disparaître. Elle ne sait absolument rien des comptes de Vernon et n’a joué la carte FBI que pour retarder les hommes de Vernon. Sauf que ceuxci ont réussi à suivre les PJ et débarquent à leur tour. Les personnages vont-ils décider de défendre la jeune femme, de s’en laver les mains et de prendre l’argent ou d’être les arbitres d’une entente à l’amiable ?

254

PUR NOIR

Broyer du Noir Le Noir a hérité des traits de l’ex-pressionnisme. L’ambiance et le style y sont très importants. Quelques caractéristiques physiques ou comportementales suffisent généralement à typer un personnage. Et l’ambiance prend une large place dans les histoires. Histoire de vous immerger plus avant dans les plaisirs amers du Hardboiled, voici quelques pistes à explorer pour appuyer l’ambiance et donc l’immersion.

STYLE ET FOND Le style est une affaire importante dans le Noir. La plupart du temps, les personnages ne sont typés que par quelques gimmicks, comme leur façon de s’habiller, de parler ou de fumer leur cigarette. Cela n’exclut toutefois pas le fond. A vrai dire, les deux se mêlent. On parle ainsi de style « comportementaliste » à propos du Noir : les personnages sont définis par ce qu’ils font. On juge un homme à ses actes. Réfléchissez par exemple à comment peuvent se présenter les personnages. Plutôt qu’une description statique, on peut imaginer une présentation par l’action. Comme ces films collégiaux où, avant que l’intrigue ne s’enclenche, chaque personnage a droit à « sa » scène d’exposition montrant en situation ses traits les plus particuliers. Être « le golem bien fringué qui vient de faire

sauter la mâchoire du videur parce qu’il avait mal parlé à la petite pépée qu’il trimballe à son bras », c’est plus stylé que de simplement décrire un grand cornu baraqué. Par ailleurs, le Noir a cette particularité de peu décrire les décors où se déroule l’action. Beaucoup de choses restent dans l’ombre, seuls quelques éléments sont éclairés, mis en évidence. Pour vos descriptions, n’hésitez pas à adopter le style bref et concis, un brin cynique et désabusé, des auteurs de série noire. Allez à l’essentiel et optez pour un langage direct et dépouillé. N’hésitez pas à rester flou : pas la peine de décrire un lieu avec force détails. Restezen aux impressions : dire d’un cercle de jeu clandestin qu’il sent la bière et la sueur, qu’il est embrumé par la fumée et que la tension est palpable est suffisant.

LES ÉLÉMENTS DE DÉCOR Le Noir est très lié à l’environnement. Si les décors peuvent n’être qu’esquissés visuellement, l’environnement dans lequel évoluent les personnages est très important  : le Noir est avant tout un genre social. Rappelez aux personnages leur condition, d’où ils viennent, où ils évoluent. Liez-les à ce qui se passe autour d’eux. Ils vivent finalement dans un microcosme et leurs actions ont des effets sur celui-ci. N’hésitez pas à verser dans le symbolisme.

LA VILLE

La ville est le thème central du Noir. On la compare souvent à une femme, vue par le filtre déformé du genre : mystérieuse, dangereuse, séduisante, se dérobant et s’offrant tour à tour. Les personnages pensent la connaître, la maîtriser, et pourtant elle recèle toujours un coin dérobé, dangereux, inattendu. Si vos joueurs développent une relation ambivalente, faite de haine et de passion pour leur ville, ce n’en est que mieux.

PUR NOIR

255

Vous pouvez à loisir changer l’échelle. La ville est une maîtresse aux visages multiples. Chez Chandler, elle apparaît vaporeuse, vaguement définie, mais elle n’en impose pas moins ses limites au héros. Chez Mc Bain, Isola est décrite dans ses moindres détails, quasiment rue par rue, ce qui n’empêche pourtant pas le lyrisme. Quand à la fascination exercée par le  Quatuor de Los Angeles  d’Ellroy, elle est en partie due à la description minutieuse de L.A. et de ses sales secrets. Un événement comme la mort du Dahlia Noir devient ainsi une allégorie de la ville elle-même. C’est à vous de choisir quelle place vous voulez donner à la ville de vos personnages. Heaven Harbor vous paraît trop détaillée  ? Vous préférez un environnement plus flou, à peine esquissé ? N’hésitez pas à l’estomper, à la rendre plus archétypale, à ne pas nommer les quartiers. Au lieu d’Aisbury Park, dites simplement « le ghetto noir ». Vous pouvez tout au contraire décider de limiter vos scénarios à une unité de lieu  : le quartier où vivent vos personnages ou même une simple rue, détaillée à l’extrême. L’aspect de microcosme local sera alors exacerbé, les questions d’affrontement entre héritage du passé et modernité sans doute mises au premier plan. Chez Dennis Lehane, les privés Kenzie et Gennaro évoluent ainsi dans un quartier très particulier, celui où ils sont nés, où ils ont grandi, qu’il ont vu s’enfoncer dans la violence. Les types qu’ils retrouvent en face d’eux sont parfois d’anciens amis d’enfance… Chaque personnage pourra ainsi avoir un lieu de prédilection. Il est aussi possible de jouer sur la nostalgie : « lorsque j’étais gamin, il y avait un bazar à la place de ce parking. J’y passais chaque matin sur le chemin de l’école pour y acheter 2 cents de chewinggums… » Quel que soit votre choix, faites de la ville un personnage. Elle vibre et change au rythme des saisons. Elle a ses règles internes. Elle résiste aux changements ou se donne au plus offrant. Donnez-lui un visage…

256

PUR NOIR

LA NUIT

Le Noir ne s’épanouit réellement qu’à la nuit tombée. Lorsque les néons s’allument et se reflètent dans les flaques, les gagneuses descendent sur le trottoir et les mauvais garçons sont de sortie. La nuit voit la normalité s’effacer. Les ombres s’étendent, particulièrement dans le monde d’Hellywood, et le crime s’épanouit. N’hésitez pas à faire de vos personnages des oiseaux de nuit. Dans le monde du Noir, les gens « normaux » vivent le jour, mais les choses importantes se passent la nuit… L’intérêt de la nuit, c’est aussi le jeu de l’ombre et de la lumière. Les rues sont plongées dans l’obscurité, seulement rompue par les plages de lumière crue des lampadaires. Les halos lumineux se reflètent dans les vitres et brouillent le regard. Ce qui fait peur, c’est ce que tu ne vois pas, c’est ce qui se cache dans le noir et attend pour frapper. C’est un symbole fort, aisément déclinable pour décrire une organisation dont une grande partie reste plongée dans l’ombre et dont on ne sait jamais quand et où elle va se venger. Typiquement, les personnages de jeux de rôle sont souvent incapables de vivre une vie «  régulière  ». La plupart du temps, ils mènent l’enquête et poursuivent l’aventure sans se soucier réellement des repères temporels, dans une espèce de flou bien pratique. Utilisez ce flou. Glissez dans une description les tronches de déterrés que se trimballent les personnages, la peau blanchie par l’absence de soleil. Rappelez-leur qu’ils ne fréquentent que des lieux nocturnes et vides, que leur seule confidente est la serveuse de nuit du Dinner’s. Lorsqu’ils voudront aller poser quelques questions au conseiller municipal qui les emploie, rappelez-leur qu’il est incongru de le faire à trois heures du matin. Et juste quand ils s’écrouleront de fatigue et essaieront de prendre quelques heures de repos, on frappera à la porte du bureau pour leur remettre une convocation : les braves gens travaillent dans la journée, eux… Cette « dérive temporelle » peut avoir un côté très déstabilisant. Pensez donc aux errances urbaines et nocturnes de Travis Bickle, dans Taxi Driver.

LE CLIMAT : PLUIE, NEIGE, CHALEUR…

La pluie est un élément souvent utilisé dans le Noir. Elle crée une atmosphère sombre, reflet extérieur des tourments agitant les personnages au dedans. N’hésitez pas à mettre en scène une ville sous le déluge, où la flotte dégueule des caniveaux et charrie tout un tas de saloperies. Rien ne vaut, en termes d’ambiance, une course-poursuite sous une pluie battante : revoyez donc Seven. Là encore, les symboles sont prépondérants  : un orage qui éclate, c’est la tension accumulée qui explose, dont la violence peut être le reflet des actions des personnages. En poussant un peu, on obtient des relents d’apocalypse, comme si l’orage n’allait jamais se terminer, qu’il allait tout emporter. La pluie peut aussi bien être symbole de pourrissement, lorsqu’elle stagne ou abîme, que de renaissance, de purification. Comme lorsqu’elle efface le sang de la victime qui a giclé sur le visage du meurtrier La neige est une variation intéressante des aléas climatiques. Elle recouvre la crasse

d’un manteau immaculé, étouffe les bruits et enserre le monde dans une sorte de cocon ouaté. Elle peut même tout paralyser, ce qui peut être un excellent facteur de tension dès lors que la mobilité ou la rapidité deviennent importants. Rajoutez-en dans les inégalités sociales : les clochards crèvent de froid dans la rue alors que les bons bourgeois préparent les fêtes en empilant les cadeaux au pied du sapin. Et puis, le blanc de la neige, ça fait un joli contraste avec le rouge du sang… La chaleur, enfin, est un excellent moyen de coller la pression aux tough guys. Quand la chaleur monte, la ville est écrasée sous une chape de plomb. C’est une véritable marmite sous pression. Les chemises collent à la peau, les ventilateurs n’arrivent plus à rafraîchir un air poisseux, les rues sentent le goudron fondu. Même la nuit, la température ne baisse plus, on ne peut que tourner dans des draps mouillés, sans trouver le sommeil. Les gamins tentent de se rafraîchir en ouvrant les vannes dans les rues, mais rien à faire, tout le monde est sur les dents. La moindre contrariété peut alors tout faire péter.

LA MUSIQUE POUR SOUTENIR L’AMBIANCE Il n’y a pas de bande-son idéale. Tout dépend de vos goûts, de ceux de vos joueurs et surtout de l’ambiance de votre scénario ou de votre campagne. Selon que vous vous approchiez plutôt du style de Chandler, d’Ellroy ou bien de Miller, vous pourrez en effet choisir de privilégier les musiques des grands classiques du film noir, la playlist de 1949 ou encore des morceaux aux accents plus modernes. Voici cependant quelques propositions pour accompagner certaines scènes clés. Tout d’abord, pour plonger d’emblée vos joueurs dans l’ambiance nocturne et urbaine d’Hellywood, rien de tel que les grands classiques  : les big bands de  Duke Ellington ou de Count Basie, avec leurs harmonies sombres et leur son rauque et cuivré, seront parfaits. Dans un genre légèrement différent mais tout aussi efficace, la trompette solitaire et aérienne du prince des ténèbres,  Miles Davis, évoquera le blues du privé dans les rues désertes d’Heaven Harbor. La BO d’Ascenseur pour l’échafaud  est un must, mais vous pouvez jeter une oreille sur les autres disques de la même période, celle du premier quintet avec John Coltrane. Chaque quartier apporte bien sûr son style musical privilégié. N’oubliez pas  Sinatra  pour le Strand, la musique symphonique pour Remington Heights ou même, à petite dose pour éviter que votre bande originale ne se transforme en compilation hétéroclite, les musiques traditionnelles irlandaises, asiatiques ou hispaniques. A Aisbury Park, vous

258

PUR NOIR

aurez l’embarras du choix puisque vous pourrez piocher dans le cool blues de  Charles  Brown, le blues électrique de  Muddy  Waters, le be-bop ou encore le Rythm and Blues incarné notamment par Memphis Slim. Vous voudrez aussi être paré pour l’inévitable moment où vos PJ pousseront la porte d’un club de jazz. En 1949, on peut y voir jouer plusieurs styles de musique. Dans les clubs traditionnels, on entendra surtout du swing, comme celui de Basie ou du pétillant  Lionel  Hampton. S’il s’agit d’un bar à chanteuse, on recommandera  Billie  Holiday  ou, plus moderne, Nina Simone. Enfin, pour créer l’ambiance survoltée d’un club à la pointe de la modernité, vous passerez les grands noms du be bop : Charlie Parker, Dizzie Gillespie ou Thelonious Monk. La bande-son peut aussi être l’occasion de distiller la pointe de fantastique propre à Hellywood, par exemple lorsque les PJ se trouvent dans la Forbidden City. Vous pourrez alors vous permettre de piocher dans un répertoire plus récent, par exemple dans celui de Charles Mingus, dans le free jazz ou encore en allant emprunter son jazz électrifié à la BO de Sin City. Il est possible de jouer avec la musique pour poser une ambiance. Utilisez un morceau comme thème récurrent par exemple, pour évoquer immédiatement une atmosphère. Le simple fait de lancer un morceau au début de la partie impose le silence : on est dedans et les choses peuvent commencer…

Les thèmes du Hardboiled Hellywood se voulant un humble hommage au Noir et au Hardboiled, il brasse de nombreux thèmes et références issus de ce genre littéraire et cinématographique. Le monde du Noir est fondamentalement un monde de cauchemar, dans lequel les histoires se déroulent au gré d’un destin inéluctable ne pouvant aboutir qu’au drame, à la violence ou au désespoir. Bien souvent le Noir décrit une descente aux enfers : dans Hellywood, cette expression est à prendre au sens littéral. La plupart du temps, ce sont leurs propres défauts qui condamnent les héros hardboiled : certains ont d’ailleurs souligné, avec raison, la parenté entre le Noir et la tragédie grecque.

LE RÉALISME SOCIAL LA VIOLENCE

La violence a toujours eu une place inaliénable dans le Noir. Hellywood ne fait pas exception à la règle. Plongés dans un univers sans concession, les personnages font eux-mêmes preuve de violence. Pour certains des gens qu’ils croiseront, la violence est même l’unique moyen d’expression, le seul mode de vie. C’est tout ce qu’ils ont jamais connu, c’est tout qu’ils sont capables de reproduire. C’est alors une violence affichée, ostentatoire, quotidienne et effrayante par sa régularité gratuite. Les institutions ellesmêmes ne savent la plupart du temps réagir qu’avec violence. La violence peut être intérieure, cachée, et bouffer les protagonistes comme un cancer, que l’on parle d’un flic aux pulsions destructrices ou d’un mec qui cogne sa femme quand il n’arrive pas à contrôler ses bouffées de colère. Cette violence cachée, comme celle d’un tueur compulsif, peut être un thème fort pour un scénario d’Hellywood, d’autant plus qu’avec l’aspect fantastique du jeu, vous pouvez mettre en avant les illuminés millénaristes ou les tueurs en série inspirés par des démons. Quand vous mettez en scène un personnage violent, réfléchissez à la facilité avec laquelle il y a recours. Quels sont les déclencheurs ? Est-ce qu’elle contamine tous les domaines de sa vie, comme ses relations amoureuses

par exemple  ? Et quels moyens utilisera-til  : est-ce qu’il ressent le besoin de frapper de ses poings nus à perdre haleine, est-ce qu’il brisera une bouteille pour taillader son adversaire avec un tesson ou est-ce qu’il préférera attendre d’avoir quelqu’un à sa merci pour exercer une violence froide et implacable ? Il existe par ailleurs plusieurs types de violence auxquelles peuvent être confrontés les personnages  : si la violence physique est la plus immédiate, la violence sociale, économique, administrative ou morale n’est pas à négliger. Par exemple, dans un hôpital, le personnage est traité comme un objet, on ne répond pas à ses sollicitations, on ne lui explique rien et il doit subir.

INTOLÉRANCE, RACISME ET SEXISME

Voilà une série de thèmes forts qui peuvent donner le socle à des aventures mémorables d’Hellywood. Attention, toutefois ! Ce sont des thèmes très puissants mais difficiles à manier. Moteurs de rancœurs et de haine, conduisant à des actes inqualifiables, ils ne sont pas à prendre à la légère. Rappelez-vous que tout ceci est un jeu, pas question d’imposer cela à vos joueurs s’ils sont mal à l’aise avec ces thèmes. Ce serait toutefois dommage de se voiler les yeux sur la réalité de ces phénomènes. La

PUR NOIR

259

haine raciale est un thème puissant du Noir. Dans Hellywood, la question est d’autant plus complexe que l’homme n’est plus seul. En contrepartie, il est sans doute plus facile de mettre en scène la haine de l’homme de la rue pour le cornu, l’infernal. Cela peut «  contaminer  » la vie quotidienne : on regarde le personnage d’un sale œil et on murmure dans son dos. Les vieilles se signent, les gosses invectivent ou se sauvent, apeurés. On refuse au personnage l’entrée dans un club privé ou de le servir dans un restaurant luxueux. Pour les flics, le cornu est toujours un coupable tout désigné. A l’inverse, le quidam interrogé par deux flics fait semblant de ne pas entendre les questions posées par le flic golem. Et ainsi de suite… Mais cela peut aller beaucoup plus loin. La haine raciste peut être un mobile de crime, depuis l’agression jusqu’à l’assassinat. Les imbéciles sont notoirement des lâches mais ils peuvent facilement se laisser entraîner par un mouvement de foule et l’émeute n’est alors plus loin… Rappelez-vous simplement de manier ces thèmes avec précaution.

belle mais innocente, compréhensive et aux ordres de son patron qu’elle chouchoute lorsqu’il prend une dérouillée et qu’elle attend sagement au bureau le reste du temps. Mais dès lors qu’elles sont indépendantes et fortes, les femmes sont présentées comme mauvaises. Avide et cynique, utilisant son corps comme une arme, la Femme Fatale est une veuve noire, entraînant l’autodestruction de l’homme. En fait, la plupart du temps, elle se comporte simplement comme… un mec ! Sexiste ou pas, le Noir est dans tous les cas très pessimiste sur la nature humaine : une femme débarrassée des chaînes de la société peut être aussi dangereuse que n’importe quel homme. Une variation fréquente, c’est le thème de la femme-courage  : pour sauver ceux qu’elle aime, elle n’hésite pas à descendre aux enfers, à s’avilir même, ou à prendre tous les risques. Les femmes de tête font donc d’excellents tough guys dans Hellywood. Elles ont plus à prouver que les hommes tout en disposant d’une arme peu conventionnelle : peu de durs se méfieront d’elles.

Depuis qu’on a retrouvé le corps frappé à mort de Teddy Simmons, un jeune noir, la colère gronde à Aisbury Park. Ray Constance a du mal à tenir en laisse les plus révoltés. La mairie commence à redouter une émeute. Les flics font de la prévention des risques à coups de matraque. Plusieurs jeunes cons venus tabasser du noir repartent avec leurs couilles dans un sachet. Chacun fait de Teddy un exemple, certains de l’oppression du pouvoir, d’autres de la violence des minorités. Mais qui a vraiment envie d’apprendre que ce sont ses propres potes qui l’ont roué de coups pour une simple histoire de quelques joints volés ?

Il existe deux lois immuables dans l’univers d’Hellywood :

C’est la même chose en ce qui concerne le sexisme. Malgré un début de prise d’indépendance dans les années de guerre, la société des années 40 et 50 n’est pas à franchement parler progressiste. A ce niveau, le Noir a souvent été taxé de sexisme. La femme « respectable » est la mère de famille ou l’archétype de la secrétaire du privé,

260

PUR NOIR

CORRUPTION & CHANTAGE

1. Tout le monde peut être acheté, il suffit simplement de savoir y mettre le prix. 2. Tout le monde a quelque chose à cacher. Le monde est un endroit pas très fréquentable, où tout s’achète et tout se vend. Les meilleures amitiés s’écroulent devant l’appât du gain. Le Noir donne complaisamment dans la critique sociale, à la limite du nihilisme  : tout le monde est pourri. Les flics sont pourris, les avocats sont marrons, les élus sont corrompus. Aucune position n’est honnêtement gagnée  : elle est toujours monnayée. Aucune fortune n’est innocente  : elle est toujours bâtie sur le mensonge, l’exploitation ou le meurtre. Pour devenir riche, on a forcément écrasé son prochain. C’est dans la nature humaine, tout simplement. Au final, on ne peut donc compter que sur soi-même. Pour s’assurer la coopération de quelqu’un d’autre, mieux

vaut avoir des informations sur les squelettes qui encombrent ses placards. Ceux qui s’accrochent à des valeurs comme l’honneur en paient fatalement le prix. De toute façon, l’intégrité, c’est de la coquetterie, la justification des losers. Quand on a retrouvé la call-girl de luxe Donna Meyer écorchée dans une benne à ordures, son carnet d’adresses n’était pas sur elle. Tout ce qu’Harbor compte de notables s’emploie à présent à le retrouver, que ce soit pour s’assurer de ne pas être dedans ou pour voir si un concurrent y est. Les personnages se retrouvent au cœur de cette tempête d’hypocrisie  : plusieurs personnes aux intérêts divergents pensent en effet qu’ils détiennent, ou qu’ils savent où trouver ce carnet. Si ça se trouve, il n’existe même pas, ce carnet. Ou bien il est écrit dans un code indéchiffrable. Le plus drôle, c’est qu’on n’a même pas besoin de posséder le carnet pour en faire une arme  : le mentionner suffit. Mais c’est un jeu dangereux…

ÉTRANGER CHEZ SOI

C’est l’histoire de ce type parti combattre au delà des mers plusieurs années durant et qui, lorsqu’il revient, ne reconnaît plus rien. Tout a changé, on ne l’a pas attendu. Il est chez lui et pourtant il se sent exclu. Personne ne comprend ce qu’il a vu, ce qu’il a dû faire ni ce qu’on lui a fait. Et, à la limite, tout le monde s’en fout. C’est pareil pour le mec qui sort de tôle : comme si le simple fait de retrouver les siens pouvait effacer la réalité de la vie en cage, des années perdues. Comme si on pouvait vivre normalement, trouver un travail et des gens qui vous font confiance, marqué au fer rouge infamant de la tôle. Ce thème déstabilisant se marie fort bien avec une exploration pointue d’une vie de quartier. Franck Mc Ginley n’avait pas imaginé que les choses puissent changer autant, aussi vite. Brûlé, le garage de son père. Sa sœur s’est mariée à un type terne et borné. Elle refuse de voir Franck, le rendant responsable. Quant à son jeune frère, il s’est allié avec celui que son père avait combattu toute sa

vie. Les choses changent, lui a-t-il dit, il faut vivre avec son temps. Une déclaration d’intentions assortie d’une menace à peine voilée : reste à ta place, Franck. Ne cherche pas les ennuis. Et surtout, ne demande pas à tes amis de venir t’épauler. Ne vous mettez pas dans la tête de vouloir changer les choses. Cet endroit n’est pas le leur. Le quartier est tellement tranquille, maintenant…

L’INNOCENCE PERVERTIE

Le hardboiled, c’est aussi la perte des idéaux, ce moment terrible où l’on découvre que ce à quoi l’on croit n’est que poudre aux yeux, mensonges ou hypocrisie. Rien n’est pire que l’innocence pervertie. Certains criminels embauchent de simples gosses qui finissent par se faire bêtement tuer. Personne n’hésite à exploiter les naïfs. Le drogué est lui-même le résultat de cette perversion. Le pire, c’est qu’il finira à son tour par être le manipulateur  : rappelezvous du film L’homme au bras d’or et du dealer qui prostitue sa petite amie. L’innocence pervertie est un sujet très sensible à manier avec précaution. Oui, on colle des gosses dans la rue ou on les livre à des malades adorateurs des Asservis contre quelques dollars. Mais vous n’avez pas forcément envie de mettre ça en scène, en tout cas pas de manière frontale. C’est une brave femme, Madame Barnes. Venue de son Kentucky natal, elle tient la photo de sa fille comme une flûte de cristal qu’elle aurait peur de casser. Jolie, la cheerleader. Madame Barnes ne comprend toujours pas pourquoi elle a fugué et s’est retrouvée ici, dans le chancre urbain. Accepter cette affaire, c’est suivre pas à pas la déchéance d’une innocente. De sa première dose de morphine à ses photos porno, en passant par le club de strip, les partouzes vécues dans un état second et les coups de rasoir de Willy le possédé. Sauf que Willy ne l’a pas tuée. Qu’elle reste introuvable. Que tout le monde s’en fout parce que tout le monde a profité d’elle et préfère l’oublier. Le pire, c’est que Madame Barnes ne perd pas espoir et vient tous les jours demander des nouvelles.

PUR NOIR

261

LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ

Il arrive souvent qu’un homme s’entête à découvrir la vérité alors que tout le monde préfère fermer les yeux. Certaines vérités dérangent, certains vieux secrets font peur et certaines personnes préfèrent oublier, jeter un voile sur une réalité trop dure. Des victimes oubliées crient du fond de leurs tombeaux anonymes, des innocents paient pour des crimes qu’ils n’ont pas commis, des coupables s’en tirent impunément et croient pouvoir vivre sans être rattrapés par leurs actes. Pour ceux qui se révoltent et cherchent à faire éclater la vérité, la route est longue, car la plupart des gens préfèrent la tranquillité aux questions qui ouvrent l’abîme… On leur mettra des bâtons dans les roues, on cherchera à les discréditer, en invoquant le respect de la mémoire, la cohésion sociale ou la bienséance. Et même en cas de victoire de la vérité, celle-ci ne peut qu’être éphémère : les gens préfèrent oublier rapidement ce qui ne colle pas avec leur mode de pensée étriqué. C’est une autre facette du réalisme social du Noir  : la société est égoïste, tant pis pour celui qui n’a pas eu de chance, on est juste content d’être passé à côté du coup du sort. Elle préfère les vérités simples, bien noires ou bien blanches et n’aime pas se confronter à ce qui se passe vraiment. Être endormie, ça lui va bien. Il est facile d’utiliser ce thème pour ajouter à l’ambiance de vos parties, surtout

si vos personnages veulent « faire le bien », révéler les scandales ou réveiller l’opinion. Le pire ennemi sera toujours la versatilité de cette fameuse opinion : les gens oublient, pensent à leurs intérêts. Les sourires du D.A lui assurent le succès auprès des électrices et il pourra balayer du revers de la main vos accusations de corruption pourtant étayées. Ces trois types n’avaient rien demandé. Ils sont venus ici pour trouver du travail, c’est tout. Pour essayer de s’en sortir. Ils n’ont simplement pas eu de chance : quand on a retrouvé le corps du jeune Peter, un habitant du coin s’est souvenu qu’ils avaient logé dans ce terrain vague, dans leur vieille caravane, et qu’il avait vu les trois jeunes discuter avec Peter. Ça a suffi pour motiver les gens du coin à les trouver, à les tabasser et à les pendre. Seul l’un d’entre eux a survécu et il attend maintenant son exécution après un magnifique procès modèle. Sauf que rien ne colle dans cette histoire. Pourquoi personne n’a demandé au père de Peter ce qu’il fabrique dans son garage, pour qui il travaille vraiment ? Pourquoi personne ne semble se souvenir que Peter appréciait ces trois jeunes gars de son âge, au point de leur apporter parfois à manger ? Personne ne souhaite voir cette sale affaire rouverte, ni la police qui a expédié l’affaire, ni la presse qui a pu gloser sur la jeunesse pervertie, ni la justice qui a en fait un exemple, ni la populace qui est persuadée d’avoir eu raison…

LA FATALITÉ Rien ne peut arrêter le destin, rien ne peut effacer le passé. On ne change jamais vraiment, on reste toujours le même au plus profond de soi, quel que soit le nombre de couches de dorure qu’on applique sur ses vieux démons. Tout cela, un véritable tough guy s’en fout : il s’y résout et fait ce qu’il a à faire. Le Harboiled se déroule la plupart du temps comme un véritable cauchemar, où les personnages ont beau se débattre, ils n’en continuent pas moins à s’enfoncer et à se diriger vers un inéluctable destin, le plus souvent tragique.

SEUL CONTRE TOUS.

Les personnages sont livrés à euxmêmes. Ils ne peuvent guère compter sur l’aide de leurs semblables. Ou alors, ce ne sera jamais gratuitement, ça se paiera au prix fort. En clair « ne dépendez de personne… ne comptez sur personne… ». Dans l’absolu, un personnage d’Hellywood essaiera toujours de rester indépendant, et saura très bien que personne ne se lèvera pour le défendre. Le seul contre tous, c’est aussi l’idée que bien souvent, les PJ auront le monde entier contre eux. Qu’ils se dressent contre un puissant, et tout le monde détournera les yeux. Comme si ça pouvait les arrêter. Si vous jouez dans une optique « organisation », vos personnages font partie intégrante d’un groupe. Or, il se peut qu’ils se retrouvent, par leur choix ou par le hasard, en porte-à-faux avec les valeurs du groupe. S’ils décident d’aller à contre-courant, ils sont à présent les ennemis jurés du système qui les faisait vivre, d’autant plus dangereux qu’ils en maîtrisent les secrets. L’une des variations les plus connues de ce thème est le « wrongfully accused », qui voit les personnages être accusés d’un crime ou d’une atrocité qu’ils n’ont pas commis. Ils se retrouvent poursuivis, traqués, les anciens amis se détournent et les voilà seuls. Au mieux ils essaieront de prouver leur innocence, au pire de simplement survivre.

Se présenter comme un gang ambitieux et faire des affaires avec les Marsella ne fut pas facile. Il a bien souvent fallu renier ce en quoi vous croyez. Lorsque le seul homme à savoir que vous êtes sur le payroll du HHPD, le capitaine Perry, fut torturé, il eut le temps de révéler votre implication. Ça ne lui a pas sauvé la vie. Toute la famille Marsella est à vos trousses, jusqu’au dernier porte-flingue. Impossible d’aller chez les flics : ceux qui ne sont pas payés par les Marsella sont persuadés que vous avez flingué Perry.

LE POIDS DU PASSÉ

L’impossibilité d’échapper à son passé est un des éléments fondamentaux du polar Hardboiled. Quoi qu’on fasse, on reste ce qu’on est, et le passé vous rattrape toujours. C’est ce qui arrive au personnage de L’Impasse (Carlito’s way). Au moment où il pense avoir enfin laissé son passé derrière lui et tiré un trait sur la violence, celle-ci resurgit soudainement et Carlito fait alors face à son destin : celui du petit truand qu’il n’a jamais cessé d’être… Le passé doit être un fardeau auquel les tough guys essaieront toujours d’échapper. Il est toujours présent, à la lisière, menaçant, prêt à surgir pour briser l’équilibre. On se cache de ses démons intérieurs, mais ils reviennent fatalement à la surface. Il est impossible d’y échapper. Et un jour, on devra répondre de ses actes... Autour des tough guys, le passé peut prendre différentes formes. Des souvenirs aliénants, un traumatisme ancien qu’on s’efforce d’oublier. Qu’on ait vécu la guerre et ses horreurs, eu une enfance traumatisante ou vu s’écrouler sa vie en quelques instants, on ne peut oublier ces moments. Ça vous poursuit, ça vous bouffe la gueule et parfois, ça finit par avoir votre peau. Que ce soit par des cauchemars, des crises d’angoisse ou des flambées de haine, le passé est toujours bien trop présent…

PUR NOIR

263

Une vie antérieure qu’on a tenté d’effacer, d’oublier, parfois avec succès. On veut refaire sa vie, tirer un trait sur son passé : fortune mal acquise, participation à des actes dégueulasses ou trahison de ses meilleurs amis. Pendant un moment, on peut croire que ça va réussir mais c’est sans compter sur la fatalité. Le passé finit toujours par resurgir, d’une manière ou d’une autre  : un vieil ami frappe à votre porte un beau matin, un journaleux déterre une sale histoire ou votre ancien amour trahi vient demander des comptes, bouleversant votre nouvelle vie bien

rangée, lacérant votre respectabilité toute fraîche. Il reste toujours une ardoise à payer quelque part… Des regrets ou un fort sentiment de culpabilité. On regrette ce qu’on a fait. On regrette ce qu’on aurait dû faire et qu’on n’a pas fait. On se dit que les choses auraient pu, ou même dû, tourner autrement. On ressasse ça dans sa tête. On a beau savoir, parfois, qu’on y est pour rien, on ne se sent pas moins coupable. Alors on cherche la Rédemption. Bien souvent, on ne se rachète vraiment que par la mort…

MORALITÉ ET FAIBLESSES HUMAINES Le Noir serait-il moralisateur  ? Dans un sens, oui  : ce sont les faiblesses de l’homme qui le perdent, ses travers qui le conduisent à l’échec, à la déchéance ou à la mort. Mû par ses pulsions, il finit par perdre le fil. Mais la morale est tordue : à la fin, il n’est plus question de mérite. Certains, qui au vu de la morale, devraient être punis, s’en sortent. D’autres perdent alors qu’ils auraient dû gagner. C’est un thème facile à exploiter en partie  : les personnages peuvent perdre. L’enfoiré peut s’en tirer. Il n’y a pas de justice. Il n’en reste pas moins que la plupart du temps, le coup de pas de bol excepté, on a en soi les ferments de sa damnation… Voici quelques thèmes classiques :

DEVOIR ET CODE D’HONNEUR

Les codes d’honneur, on se les forge soi même. Les héros du Noir ont souvent tendance à suivre leurs propres règles. Bien sûr, elles ne collent pas forcément à celles de la société, mais elles n’en sont pas moins fortes. On fait toujours face à ses devoirs : le père de famille face à ses gosses, le flic face aux victimes, l’Affranchi face à sa « famille ». Le serment et le prix à payer pour le tenir sont donc un formidable moteur pour des aventures d’Hellywood.

264

PUR NOIR

L’AVIDITÉ

Le besoin de posséder. Depuis le braqueur d’épicerie jusqu’au magnat de la finance, il en faut toujours plus. L’argent fait tourner le monde. Ne pas en avoir, c’est n’être rien. En avoir, c’est tout se permettre, être intouchable. Insistez sur le pouvoir que confère l’argent. Plus vous en avez, moins les règles communes s’appliquent à vous. Insistez aussi sur le fait qu’il salit tout. On peut se résigner aux pires extrémités pour le fric. Et pourtant, il ne soigne pas la mélancolie, le manque d’amour ou les erreurs passées. Typiquement, le thème du «  dernier gros coup avant de se retirer  » est une belle illustration. On ne se résout jamais à raccrocher tant que miroite encore la possibilité de gagner.

LE POUVOIR

Certains recherchent l’argent pour ce qu’il peut acheter. D’autres pour la puissance qu’il donne. L’argent n’est plus une fin en soi mais un moyen. Avoir du pouvoir sur les autres. Détruire l’adversaire juste parce qu’on peut se le permettre. Organiser et voir les autres exécuter. Broyer sans remords tout ce qui se dresse devant soi. La recherche du crime parfait est une illustration originale de ce thème  : prouver qu’on peut échapper

au jugement parce que personne n’est aussi fort que soi. Comme tout fan de Columbo le sait, c’est naturellement illusoire  ! Même les assassinats perpétrés par un tueur en série peuvent aussi découler de ce besoin de toute-puissance. D’une manière générale, le pouvoir corrompt et pousse à des actes qu’on aurait auparavant jugés inacceptables.

L’AMOUR FOU.

On ne choisit pas de qui on tombe amoureux. On idéalise toujours l’être aimé. On projette sur lui ses propres fantasmes d’amour éternel, d’avenir heureux, de

bonheur familial… Beaucoup de variations sont possibles sur le thème de l’amour fou. La manipulation d’un des deux amoureux par l’autre est le fondement des histoires de femmes fatales. Totalement perdu dans la toile tissée par le conjoint, que celui-ci s’offre ou promette de le faire, l’amoureux transi brise toutes les barrières. L’amour fou peut aussi être partagé et se transformer en fuite éperdue. C’est le grand thème des couples en cavales, le trip Bonnie & Clyde. Plus ils veulent être libres, plus ils s’enfoncent et se dirigent vers leur damnation. Plus rien ne compte au monde qu’eux.

Pistes de campagne Voici plusieurs pistes de campagne. Il existe deux façons principales d’aborder une campagne d’Hellywood : soit les personnages sont indépendants, soit ils appartiennent à une organisation. Nous allons donc détailler ces deux approches, en vous donnant des accroches pour chacune.

LES INDÉPENDANTS Jouer des Indépendants est plus complexe à mettre en œuvre mais offre aussi plus de liberté. C’est le choix que nous avons mis en avant avec nos personnages prêts à jouer. Nous faisons de même dans nos scénarios, afin que vous puissiez facilement les adapter à des groupes plus orientés. La principale caractéristique des indépendants est que personne n’est là pour les envoyer en mission. Seuls des stimuli extérieurs peuvent alors les pousser à se réunir et à agir : les doléances d’un ami, le hasard, l’intérêt commun. Ils peuvent alors se heurter à d’autres indépendants ou à une organisation mais restent libres de leurs choix  : choisir un camp, ou pas, laisser tomber si les choses deviennent trop chaudes… L’indépendant n’a pas les contraintes qu’impose une organisation mais, en contrepartie, il ne bénéficie pas

non plus de son appui et du statut qui l’accompagne. Le groupe d’indépendants le plus évident est le cercle de durs à cuire, comme nous vous le proposons avec le petit monde de l’agence Metropolis  : privé, ex-flic, vétéran revenu de tout, voyous plus ou moins assumés ou truands travaillant pour leur propre compte. Ils ont la détermination, l’habitude et généralement les moyens de leurs ambitions. Ils choisissent leur cause et font ce qu’il faut. Ils peuvent être désintéressés ou se comporter en mercenaires, ça ne change rien  : ce sont des professionnels qui n’ont pas peur de se frotter à ce qui pique. Le groupe peut aussi être spécialisé  : quelques journalistes freelances décidés à couvrir la prochaine élection municipale, malgré les dangers, peuvent faire un très bon sujet de campagne.

PUR NOIR

265

Barney a eu une longue vie et il s’est fait de nombreux amis. Il faut dire que ce brave type en a sorti plus d’un de la panade, durant les longues années où il a animé la soupe populaire de Redmond. Il a permis à plusieurs hobos de recevoir des soins, de retrouver un toit. Il a trouvé du boulot sur les docks à quelques jeunes gars qui risquaient dangereusement de tomber du mauvais côté de la loi. Il a prêté de l’argent à plusieurs familles. Parfois Barney ne faisait rien de plus que donner une accolade ou de dire un petit mot gentil, mais c’était la bonne chose à faire au bon moment. Alors quand Barney a été assassiné, que la police a fait traîner l’enquête parce que ce genre de type ne compte pas vraiment, plusieurs personnes du quartier se sont souvenues de ce qu’elles devaient à Barney. Ils se foutent de ce que racontent les flics sur le passé de Barney et sur les trucs qu’il aurait fait. Ce qui leur importe, c’est simplement de lui rendre justice. Une variante très intéressante peutêtre de donner la vedette à M. Tout le Monde. Le Noir est plein de héros malgré eux, dépassés par les événements, pris dans un engrenage meurtrier ou qui découvrent le monde « réel », dont ils ne soupçonnaient ni la corruption, ni la dureté. C’est l’histoire de l’agent d’assurance pris dans les filets d’une femme fatale, du type qui croyait bien faire et se retrouve embarqué dans une sale histoire dont il ne peut plus se dépêtrer (comme dans Fargo, par exemple) ou de ce mec dont la femme a été tuée et qui abandonne tout pour exercer une terrible vengeance. Ça peut être idéal pour un oneshot mais également se décliner en une suite de scénarios.

266

PUR NOIR

Nous sommes des gens normaux. Ni plus honnêtes ni plus pourris que le commun des mortels. Ce jour là, on a simplement manqué de chance. On a vu ce qu’on n’aurait jamais dû voir. Certains ont immédiatement pensé à la police, d’autres ont compris qu’il valait mieux la fermer et n’ont pas bougé. Mais «  ils  » ne pouvaient pas prendre ce risque : même ceux qui supplient en jurant qu’ils ne diront jamais rien doivent y passer. Maintenant, nous l’avons compris. Et on ne va certainement pas se laisser faire… La figure du gang indépendant est tout aussi intéressante. Sans lien avec la mafia, ils vivent de braquages ou de coups audacieux, doivent composer avec les receleurs ou les intermédiaires en s’assurant de ne pas marcher sur les mauvaises plates-bandes. Au programme, la préparation minutieuse du coup, sa réalisation et ses impondérables et puis le partage ainsi que les éventuelles conséquences du coup… Lucky Island. Personne n’a encore osé braquer Nat Vernon. Nous serons les premiers. La première étape est de disparaître : derrière Vernon, il y a la mafia et ces gens-là n’aiment pas voir leur argent s’évanouir. On agit en autarcie complète, on ne dépend de personne, on ne parle du plan à personne. Chacun est responsable de l’autre et on est tous d’accord  : celui qui déroge à la règle est éliminé. La seconde étape, c’est le matériel. Là encore, il faudra être discret. On ne peut pas se permettre de laisser une trace qui permettrait de remonter jusqu’à nous. Il nous faut un bateau rapide, plusieurs voitures et des armes. Pour la diversion, on aura besoin d’explosifs. Le plus compliqué à organiser, c’est la panne de courant…

LES ORGANISATIONS Nous avons mis dans le même sac flics et mafieux. Même si les buts sont diamétralement opposés (enfin, la plupart du temps), flics et Affranchis ont en commun d’être soumis à une organisation, avec ses règles, ses devoirs, ses rituels, ses pesanteurs mais aussi ses avantages. Dans les deux cas, il existe une hiérarchie, pourvoyeuse d’ordres, ainsi qu’un « code », dont certains éléments sont clairs et d’autres tacites. Dans ce type de campagne, tout le sel du jeu vient de la façon dont le personnage gère son rapport au code, comment il s’en arrange, voire le contourne, pour arriver à ses fins ou servir son propre intérêt. Car comme nous le disions à propos des motivations, quels que soient les buts de leur organisation, les personnages vont poursuivre des aspirations personnelles, comme devenir chef des inspecteurs ou parrain à la place du parrain. Jouer au sein d’une organisation n’empêche donc pas les buts personnels mais offre un cadre aux personnages. Il permet de donner des objectifs immédiats et clairs, de les remettre sur les rails, de leur offrir des ressources. Parfois, le cadre se révélera toutefois un carcan : mais quand on y entre, c’est pour la vie… Jouer tous le même type de personnages peut parfois sembler restrictif. Mais lorsque chaque personnage a la même occupation, cela force en fait à définir le personnage dans les détails, à le différencier par son passé, sa vie privée, ses problèmes. Bref, à le faire vivre.

LES FLICS

En 1949, et particulièrement à Heaven Harbor, la police est presque un gang comme un autre. Souvent, les flics emploient des méthodes de gangsters. Oubliez Miranda et les droits qu’on récite au suspect. Les mecs s’arrangent comme ils veulent avec la loi, seul compte le résultat et la violence est quotidienne. Les flics se voient comme une famille et cultivent l’idée du «  nous contre

eux » : toucher à un flic, c’est les toucher tous. Ce « gang en uniforme » est en guerre contre les autres gangs. Tous les coups sont permis mais pas seulement les coups  : les alliances aussi. Les liens avec le monde du crime sont donc nombreux et complexes. Pour beaucoup, ce n’est pas de la corruption, c’est une facette nécessaire du boulot de flic. C’est encore plus le cas dans certaines brigades comme les narcotiques ou l’antigang, qui agissent comme des groupuscules quasiment indépendants. Le cynisme est souvent la norme  : puisqu’on ne pourra jamais empêcher la drogue de s’écouler, autant mettre sa distribution sous contrôle. En autorisant certains réseaux, on peut donc «  contenir  » la drogue dans certains quartiers… Mais même si vous êtes un flic pourri régnant en caïd sur un bloc de Downtown, vous devez quand même gérer votre hiérarchie, la paperasse, les procédures judiciaires et les ordres de vos supérieurs. Qui dit organisation dit forcément politique. C’est le royaume des coups de pute entre chefs de districts, entre bureaux de détectives, entre services... Voici une petite classification des flics par leur couleur. Il s’agit naturellement de couleur symbolique, pas de couleur de peau. Il existe quelques flics «  blancs  », complètement dévoués à la tâche et persuadés qu’ils peuvent changer les choses, façon  Serpico. Les flics «  noirs  » sont des ordures, de véritables pourris. Seamus Murphy, le flic truand de Paddy Hill et patron de la Brigade de Contention, en est un excellent exemple. Entre ces deux extrêmes, la majorité des flics sont «  gris  »  : ils font leur boulot avec plus ou moins de sérieux, piétinent la loi quand ils en ressentent le besoin, croquent éventuellement plus ou moins, mais ça n’en fait pas forcément de «  mauvais  » flics. Ils peuvent se passionner pour une affaire ou le sort d’une victime…

PUR NOIR

267

Jouer des flics blancs est une gageure. Combien de temps resterontils immaculés  ? Comment vont-ils réagir quand ils se rendront compte que leurs adversaires ne jouent pas selon les règles et qu’eux-mêmes sont limités par leur refus d’utiliser tous les moyens  ? Quand succomberont-ils au coté obscur, plus rapide et plus séduisant ? Et s’ils le font, estce qu’au final ce sacrifice valait le coup ? Sur les Piers, un braquage dans un entrepôt tourne à la fusillade croisée entre les braqueurs, les flics de la Brigade de Contention qui les surveillaient et des flics du district, débarqués là grâce à l’info d’un indic. Un des hommes de Seamus Murphy reste sur le carreau, ainsi que deux policiers du district. Officiellement, c’est une tragique méprise. Mais les rumeurs vont bon train et la plus insistante veut que les hommes de Murphy n’étaient pas là pour surveiller mais bien pour superviser les braqueurs. Benneville voit là l’opportunité de faire tomber Murphy et passe un accord avec le D.A Gordon pour mettre en place une équipe de policiers d’élite. Ils devront travailler en coordination avec les Affaires Internes et mettre au clair les affaires de Murphy. Naturellement, Seamus devient immédiatement leur némésis. Mais les choses sont plus compliquées que prévu. Les plans de Gordon sont avant tout de gagner la mairie et Murphy peut être un atout. Au sein de l’équipe de Murphy, les avis sont divergents mais pour les exploiter, il ne faudra pas hésiter à se mouiller. Enfin, si Benneville les soutient, son propre passé n’est pas clair et Murphy le tient… Comment rester blanc ? Les flics gris sont idéaux pour faire vivre une campagne orientée sur la vie quotidienne d’un commissariat. Le modèle littéraire est naturellement les romans du  87eme District  d’Ed Mc Bain et toutes les séries, de Hill Street Blues à NYPD Blue, qui s’en sont inspirées. Prenez un commissariat de district, comme le 22nd de la Forbidden City ou le 19th d’Aisbury

268

PUR NOIR

Park et utilisez les éléments donnés dans le guide d’Harbor. Les personnages vont devoir s’intéresser à la «  politique  » locale. Ce genre de campagne insiste sur le niveau local et sur l’aspect quotidien du boulot de flic ; où les personnages devront chaque jour faire la part des choses entre leur devoir, leurs principes et la réalité de la rue. Messieurs, je veux ce type. C’est la cinquième victime en douze jours. Vous avez tous vu les photos : on doit le coincer. C’est à nous de le faire. Les as de la Crime ramènent leurs gros sabots et vont tout nous saccager. C’est notre district, nous connaissons ses habitants alors on le trouve nous-mêmes. Vite. Oubliez vos vacances et vos soirées. Je veux tout le monde sur le pont. On se reposera quand on l’aura eu. On repart de zéro. On réinterroge tout le monde. Secouez vos indics, pourrissez-leur la vie s’il le faut. Quelqu’un a forcément vu quelque chose et je veux ce quelqu’un dans mon bureau le plus vite possible. Chacun récupère son affectation auprès du sergent Dryer. Au travail, messieurs. Et si vous flanchez, rejetez un œil à ces photos.

LES MAFIEUX

La mafia est une famille, c’est bien connu. Et comme dans toutes les familles, il y a le fils préféré, l’oncle dont on a un peu honte, la cousine à la cuisse légère, les secrets du passé qui pèsent lourd, les trahisons que personne n’a oubliées. Si vous voulez jouer une grande saga familiale façon le Parrain, ce thème est fait pour vous. Initiation et codes d’honneur, luttes d’influence, guerres fratricides, choix cornéliens, amours impossibles… C’est le domaine de la tragédie grecque que vous revisiterez à coups de mitraillette. Dans le Parrain II, Michael Corleone fait tout de même exécuter son propre frère ! Pepe Romanzi vient de mourir de sa belle mort, le nez entre les jambes d’une jolie prostituée… La succession est donc ouverte et les appétits s’aiguisent. Depuis peu, les Romanzi gèrent en effet les activités de distribution de drogue pour le compte

des Grachetti. Sujet délicat car si le jeune Ange veut rattraper le temps perdu, le vieux Renaldo s’y est toujours opposé. Que sera donc l’avenir des Romanzi  ? Fautil prendre le parti des jeunes loups, qui rêvent de piquer le marché de la drogue aux Marsella et n’hésitent pas à loucher du côté de la Forbidden City ? Faut-il privilégier les solutions classiques, moins rentables mais plus sûres ? Et le jeune frère qui se demande si l’herbe n’est pas plus rose chez les Marsella ? Ange attend que les choses se décident vite. Sinon, il prendra lui-même la question de la succession en main. Dans ce genre de campagne tout est une fois de plus politique : jongler avec les accords tacites, gérer les liens avec les politiques, la finance, la justice et la police. Vous pouvez aussi choisir de vous éloigner des instances dirigeantes pour vous rapprocher du milieu des petites frappes, des Affranchis « graisseux » qui gèrent le business au jour le jour pour le compte des grandes familles. Tout comme les flics de district, cette approche est souvent liée à une exploration locale. Les valeurs se perdent. Les jeunes n’ont plus de respect pour les anciens. Avant, les Affranchis étaient les rois du quartier. On les admirait. Aujourd’hui, de petits cons arrogants imaginent pouvoir faire du business dans le quartier sans autorisation. Ça commence avec le racket des commerçants du quartier. Là où nous, on parlait de « caisse de solidarité », ces petits abrutis viennent mettre le bazar et frapper les tenanciers. Nous, on comprenait que le commerce n’est pas toujours bon, on accordait des délais et puis on prenait des nouvelles de la famille quand on rendait visite. On était « civilisés ». Mais ils ne s’arrêtent pas là et ils se sont mis dans l’idée d’écouler ici leur dope achetée à des revendeurs négros du Park. Et l’autre jour, ils ont tailladé un des fils de Mama Spezzi. Bien sûr, c’était un crétin, mais il va falloir que ça s’arrête. Et vite…

Enfin, il peut être intéressant d’explorer les velléités de rédemption de quelques personnages corrompus, se rendant compte qu’ils ont peut-être vendu leurs âmes un peu vite et que le prix à payer est maintenant sacrément élevé. Comment se ranger quand vous êtes encore un atout pour le Milieu et que votre défection est pas envisageable pour vos employeurs ?

AUTRES ORGANISATIONS

Il est possible de jouer en organisation en dehors de ces deux grandes familles que sont la police et la mafia. Le guide d’Harbor vous présente quelques ordures pas piquées des hannetons capables de mettre sur pied un réseau. Au premier rang d’entre eux, les 9, dont seulement 5 sont clairement détaillés, vous laissant toute latitude pour créer les vôtres. Quand aux Asservis, ils représentent une possibilité très intéressante de rendre encore plus sinistre les histoires de crime organisé. Nathan Maxwell poursuit son délire paranoïaque et met tout dans le même sac : la mafia veut lui piquer ses entreprises, les communistes noyautent les institutions et en veulent à son pognon, son comptable est une tante mais saute sa dernière maîtresse en date, l’armée veut lui piquer ses prototypes et le gouvernement lui-même cherche à l’abattre. Bourré de cachetons de benzédrine et persuadé que la Terre entière lui en veut, il a décidé de monter une équipe de gros bras, ses « nettoyeurs ». C’est le moment de faire le ménage et de montrer qui est le patron. Il y a des syndicalistes à tabasser, des maîtresses infidèles à corriger, des journalistes un peu trop curieux qui devraient savoir rester à leur place et pas mal de conneries dites ou faites par Nathan lui-même à étouffer.

PUR NOIR

269

CHAPITRE 05 HELLYWOOD STORIES

270

HELLYWOOD STORIES

L’Agence Metropolis

En plein cœur de la Forbidden City, au-dessus du Charlie’s Corner, se trouve l’une des nombreuses agences de détectives privés de la ville, l’agence Metropolis. Fondée il y a cinq ans par un ancien du bureau du procureur, Jack Stinger, elle n’a jamais vraiment décollé, mais elle a réussi tant bien que mal à joindre les deux bouts, engageant même un autre détective, Sonny Motta, et une secrétaire, Ann O’Riley. Il y a quelques mois, l’agence a changé de propriétaire, puisqu’une inconnue aussi belle que mystérieuse du nom de Dinah Gold est désormais aux commandes. Les locaux de l’agence se composent d’une salle d’attente où l’on trouve également le bureau d’Ann O’Riley, d’une salle des archives et des bureaux des deux détectives. Dinah Gold ne travaille pas sur

place, préférant gérer ses affaires depuis une table du Charlie’s Corner quelques étages plus bas. Les tarifs de l’agence s’élèvent à un dollar vingt cents de l’heure, plus les frais.

HELLYWOOD STORIES

271

272

HELLYWOOD STORIES

DINAH GOLD, LA PATRONNE Bien dissimulée derrière un sourire angélique, tu caches un lourd secret. Une langue serpentine qui trahit ton origine aussi sûrement qu’un tatouage sur ton front : succube. Tu sais d’expérience que le même homme qui était prêt à quitter sa femme et ses gosses pour toi une seconde avant pourrait d’un coup vouloir te tabasser à mort. L’extraordinaire pouvoir d’attraction que tu possèdes est à double tranchant.

Depuis que tu as quitté le Dédale, il y a un peu moins d’un an, tu n’as eu de cesse de cacher ce que tu es et d’amasser des armes pour te protéger. Ce monde est hostile et si tu n’es plus intouchable, tu ne comptes pas te laisser abattre par le premier fauve venu pour autant. Tu as suffisamment côtoyé les plus terribles puissances de cet univers pour savoir comment survivre et comment devenir, à ton tour, un fauve. Autrefois tu t’appelais Tysha, un pion dans l’organisation de la plus sensuelle des Asservis  : Ashes. Tu sais ce que racontent les invocateurs à son propos. La plupart vous diront que c’est une chic fille, qui a surtout en tête son propre plaisir et qui ne fait de mal à personne. C’est sa force  : elle est la reine de la séduction. Homme ou femme, il suffit de jeter un simple coup d’œil sur elle pour tomber immédiatement sous son charme surnaturel. Et pour croire toutes les salades qu’elle vous servira.

Mais tu sais mieux que personne que derrière la luxure apparente, d’autres facettes plus sombres de la personnalité de l’Asservie sont soigneusement cachées. Tu le sais car tu en as été l’instrument pendant des années, depuis l’ouverture du Hell Hole en réalité. Tu as fait des choses si horribles que ton esprit refuse aujourd’hui de s’en souvenir, ne te laissant que quelques visions fugaces et glaçantes lorsque tu fermes les yeux. Tu ne sais même pas comment tu as trouvé la force de quitter son emprise, d’affronter Andrew, son âme damnée, de renier celle qui est peutêtre la mère des succubes, de franchir la frontière… Certains prétendent même que ce serait désormais impossible, mais tu es la preuve que ce n’est pas vrai. Simplement, le plus difficile n’est peut-être pas de passer d’un monde à l’autre. Heureusement il y avait Ysabelle, ta presque sœur, qui est passée par là avant toi et qui a pu t’aider. Et ce qui t’a fait tenir, jusque-là, c’est l’espoir que tu arriverais à réparer le mal que tu as fait au nom d’Ashes. Tu ne pourras pas y arriver seule. Les employés de l’agence Metropolis, qui t’appartient désormais, ne seront pas de trop pour t’aider à accomplir ta mission. Natures : Succube, En quête de rédemption Historiques : Réfugiée du Maelstrom (historique gratuit), Cornue (Statut automatique à -10), Organisation de Ashes (historique), Allié  : Ysabelle Robinson (20  : allié de statut 10), Possession  : Agence Metropolis (30), Fric 15, Ennemi : Anthony (-20). Attributs  : Punch  (40), Doigté  (80), Solidité  (60), Méninges (80), Mojo  (80), Tripes  (60), Bagout  (100), Trogne (160), Aplomb (100). Talents  : Séductrice 2, Diplomate 2, Psychologue 1, Démoniste 1, Comédien 1, Tireur 1, Joueur 1

HELLYWOOD STORIES

273

SONNY MOTTA, LE PRIVÉ Il y a des gens qui préfèrent oublier d’où ils viennent  : c’est ton cas. Les gamins de Little Italy qui ne finissent pas par travailler directement ou indirectement pour l’une des familles mafieuses, c’est rare, mais ceux qui deviennent flics, ça l’est encore plus. Tu te souviens du jour où tu as annoncé ta décision à tes parents, autour de la pasta dominicale. C’est la dernière fois que ton père t’a adressé la parole. Quant à ta mère, tu as toujours été son préféré et tu penses qu’elle est plutôt fière, malgré les commentaires acides de ses amies de la paroisse. Mais quoiqu’il en soit, tu n’es quasiment pas retourné à Little Italy depuis ce jour-là.

Ta nouvelle famille, pendant quelques années, ça a été la police, et plus particulièrement la criminelle de Downtown. Mais il faut croire que les familles, c’est pas ton truc, parce que celle-là aussi, tu l’as quittée. Tu as ouvert les yeux un beau matin et tu t’es rendu compte que la plupart des flics n’avaient pas la même obsession de la jus-

274

HELLYWOOD STORIES

tice que toi. Pour eux, les victimes étaient surtout un prétexte pour porter un badge et un calibre. Pas pour toi. La devise que tu as gardée de cette époque c’est «  Stand for the dead », se lever pour les morts. Évidemment, comme à Little Italy, on ne pas mettre tout le monde dans le même panier. Il y a quelques types corrects, comme ton ancien partenaire, Matt Zerinski, un sale caractère mais un cœur à peu près aussi large que son tour de taille. En tous cas tu t’es retrouvé sans famille et sans boulot, alors quand l’ancien adjoint du procureur Jack Stinger t’a demandé de rejoindre son agence de détective, tu n’as pas hésité une seconde. Tu savais que tu allais devoir endurer toutes les sales combines qui font le quotidien du privé, mais tu y as gagné une chose essentielle  : ta liberté. Et par chance, la nouvelle patronne de l’agence Metropolis, Dinah Gold, n’a pas l’air de vouloir changer ça. Natures : Cynique, Hanté Historiques  : Enfant de Little Italy (historique gratuit), Ex-flic (historique), Privé (Statut à 10), Allié : Détective Zerinski (20 : allié de statut 10), Fric 15. Attributs  : Punch  (80), Doigté  (100), Solidité  (80), Méninges (140), Mojo  (60), Tripes  (80), Bagout  (80), Trogne (60), Aplomb (80). Talents  : Arpenteur 2, Enquêteur 2, Comédien 1, Tireur 1, Bagarreur 1, Chauffeur 1, Athlète 1

JACK STINGER, L’AVOCAT T’aurais pu être un type brillant à qui tout réussissait, mais il faut croire que le destin t’avait réservé un autre rôle. Le destin et ta passion pour l’argent et le jeu. Mauvaise combinaison : d’un côté tu es prêt à toutes les compromissions pour en gagner, de l’autre tu ne peux t’empêcher de le perdre à la première occasion.

La première grande connerie de ta vie remonte au temps où tu bossais au bureau du D.A. Une affaire en béton que tu as volontairement bousillée contre une liasse de billets de la part de Don Marsella. Tu as perdu l’argent le soir même au craps et ton job dans la foulée, dès le lendemain. Et tu as perdu toutes tes chances avec la mignonne Lucy, la secrétaire de Gordon. Alors tu t’es mis à enchaîner différents jobs en gardant comme cap ta guigne légendaire. Avocat de petits truands comme Angelo Motta ou Lester Lewis, ou invocateur lorsque l’occasion s’est présentée. C’est qu’il y a un truc qu’on ne peut pas t’enlever  : tu es de première force quand il s’agit d’embrouiller les gens, même ceux qui sortent droit de l’enfer. C’est sans doute ce qui plait tant à cette garce de Miss Purple, l’associée de Mr Clay que tu invoques quand tu as

besoin d’une info un peu confidentielle. Red Boy, le démon psychopathe de Pieces, tu l’as invoqué par hasard un jour et tu ne sais toujours pas vraiment pourquoi il s’est attaché à toi. Peut-être que tu le fais marrer. En tous cas c’est devenu ton joker, la carte que tu sors dans les situations désespérées et uniquement dans celles-là, parce que quand tu l’invoques, tu ne sais jamais vraiment ce qui va se passer. A part que ce sera un beau bordel bien sanglant. De fil en aiguille, tu en es venu à ouvrir ton agence de détective privé avec l’aide de cet ancien flic italien, Sonny Motta. Et c’est là que tu as fait la deuxième grande connerie de ta vie, le jour où tu as rencontré la vénéneuse Dinah Gold. Tu ne te souviens plus vraiment contre quoi tu as joué tes parts dans l’agence, mais tu sais que ses yeux n’ont pas quitté les tiens lorsqu’elle a jeté les dés. Sept. Définitivement pas ton chiffre fétiche. Tu as bien fini par te faire une raison : après tout tu as toujours ton job et il y a pire supplice que de bosser pour une femme bâtie comme Dinah Gold. Reste à savoir quelle sera ta prochaine grande connerie… Natures : Vendu, Accro au jeu Historiques : École de droit (historique gratuit), Bureau du D.A. (historique), Avocat (Statut à 10), Répertoire démoniaque niveau 2 (Miss Purple, Red Boy), Contact : Lucy Goones (10 : contact de statut 5), Broke (-20). Attributs  : Punch  (40), Doigté  (80), Solidité (80), Méninges (100), Mojo (100), Tripes  (50), Bagout  (150), Trogne (60), Aplomb (100). Talents  : Administrateur 2, Comédien 2, Démoniste 2, Joueur 1, Tireur 1, Diplomate 1

HELLYWOOD STORIES

275

ANN O’RILEY, LA SECRÉTAIRE Tu as été élevée par un père irlandais, flic et qui voulait un garçon. Le genre d’éducation qui a tendance à endurcir. A huit ans, tu recevais ton premier flingue, un derringer que ton père avait récupéré dans la planque d’un dealer minable, et tu commençais à t’entraîner. La même année, tu prenais ton premier cours de boxe avec ton oncle, Tom le champion.

Les quatre années qui suivirent furent les plus belles de toute ta vie. Jusqu’à cette Saint Patrick 1941 où tout a volé en éclats. Ton père s’est pris une douzaine de balles dans une ruelle de Carnelly Hill où il n’avait rien à faire, tu t’es retrouvé orpheline, obligée d’aller dans cette pension de la côte Est parce que ton oncle était en prison pour avoir tabassé un type dans un pub. A Green Bay, tu as appris la patience. Ta soif de vengeance a failli te consumer, mais tu as compris que pour faire payer ceux qui t’avaient volé ton père, il faudrait bien plus que la colère d’une jeune fille. Les soirs où le chagrin devenait trop lourd à porter, tu serrais la crosse du pistolet qu’il t’avait offert peu avant de mourir. Et tu te réfugiais dans les histoires policières que tu écrivais dans ton cahier à spirales, des histoires où la jeune détective finissait toujours par venger les morts dans un bain de sang.

276

HELLYWOOD STORIES

Cela dit, ange vengeur, c’est très bien, mais ça ne nourrit pas  : à tes dix-huit ans, il a bien fallu que tu te mettes à trouver un job. Alors tu t’es inscrite dans des études de sténographe et tu es rentrée dans l’agence Metropolis comme secrétaire. C’est Charlie, l’ancien coéquipier de ton père et l’un des seuls amis qui te restent dans la maison avec le vieux Sergent Toole que tu appelles encore « tonton », qui t’a trouvé le job. Pas le boulot de tes rêves mais ça te permet d’apprendre le métier de détective, petit à petit, pour pouvoir un jour retrouver ceux qui ont tué ton père et leur faire payer. Grâce à Motta, l’ancien flic, tu as appris une chose essentielle : juste avant de mourir dans cette ruelle, ton père avait menacé le train-train de quelques flics ripoux confortablement installés. Ca ne te facilite pas la tâche, mais ça fait redoubler ta colère. En attendant ton heure, tu as réussi à te rendre indispensable auprès de Jack et Sonny, comme secrétaire mais aussi comme la fine gâchette que tu es. Ils ne te regardent plus comme la secrétaire un peu gourde de service  : c’est ta plus grande fierté. Et si l’héroïne de tes nouvelles policières n’a rien perdu de sa soif de vengeance, elle a gagné en sagesse et en intelligence. Natures  : Femme libre, Vengeur (flics ripoux) Historiques : Fille de flic (historique gratuit), Pension de Green Bay (historique), Possession : le flingue de son père (5), Allié : Charlie Barstow (20  : allié de statut 10), Contact  : Sergent Toole (15  : contact de statut 10), Fric 5. Attributs  : Punch  (100), Doigté  (150), Solidité  (80), Méninges (100), Mojo  (50), Tripes  (60), Bagout  (60), Trogne (80), Aplomb (80). Talents  : Tireur 2, Artiste (écriture) 2, Administrateur 1, Bagarreur 1, Toubib 1, Enquêteur 1, Psychologue 1

MARTIN CHESTER ROYCE, LE JOURNALISTE Tu signes les articles que tu écris pour Whispers, le torchon où tu travailles, du nom de Martin Chester, mais en réalité tu t’appelles Martin C. Royce. Comme les Royce de Remington Heights, comme Dennis Royce, l’avocat d’affaire des plus gros bonnets d’Heaven Harbor. Ton père. Autant dire que tu es né avec une cuiller en argent dans la bouche. Une cuiller que tu t’es empressé de recracher.

Tu ne te souviens plus vraiment quand c’était, mais un beau jour Martin Royce a cessé d’exister, laissant place à ce Chester. Peut-être que tu avais ça en toi depuis tout petit, peutêtre que tu étais une erreur du destin, inadapté à la vie de luxe et d’ennui qui aurait du être la tienne. Peut-être que ce dégoût de l’injustice qui te prend encore parfois aujourd’hui ne pouvait cohabiter sous le même toit que la quinzaine de domestiques noirs des Royce. Toujours est-il qu’il y a treize ans, au lieu de poursuivre tes études à Harvard, tu es parti aider un petit pays de la lointaine Europe en proie à la guerre et au fascisme. Plus tard on vous a appelés les Brigades Internationales. Le premier d’une série de malentendus qui devrait te coller l’encombrante étiquette de communiste. Pas que ça te dérange, remarque, pourvu que ça puisse faire enrager ton paternel. Après l’Espagne, il y a eu la guerre mondiale. Un sacré bordel, le genre qui te marque à vie en te laissant suffisamment

de cicatrices dans le corps et dans l’âme pour le restant de tes jours. Tu as pas mal bourlingué pendant ces cinq ans, du front russe à la France occupée, en passant par Berlin ou Londres sous les bombes, et bien sûr les camps. Tu aimerais pouvoir dire que tu as joué les héros, dans le genre aventurier américain volant au secours des résistants, sauvant des juifs, combattant les nazis… La vérité c’est que tu t’es surtout contenté d’observer. Et qu’est-ce que tu aurais bien pu faire, toi tout seul face à un continent entier transformé en machine à broyer les humains  ? Chouette argument, dommage qu’il ne t’aide pas mieux à dormir. Pour ça, tu as ton remède personnel  : bourbon, scotch, gin ou vodka, pourvu que ça t’envoie loin de tes cauchemars et loin de ta vie. Tu veux oublier à quel point, en passant ton temps à échapper à un destin trop bien tracé, tu as bousillé le tien. Ce que tu as de plus proche d’un ami, maintenant, c’est ton patron, le dernier éditeur qui accepte encore d’engager un rouge alcoolique et caractériel comme toi  : Harvey Weimbaugh. Ce qu’il te verse en échange d’articles au doux fumet de purin suffit à couvrir tes dépenses de boisson. Pour le reste, il y a les services que tu échanges avec l’agence de détectives Metropolis. Natures : Révolté, Alcoolique Historiques  : Enfance dorée (historique gratuit), Correspondant de guerre (historique), Nom célèbre (Statut à 20), Allié : Harvey Weimbaugh (30 : allié de statut 20), Communiste (Statut à -10), Fric 5. Attributs  : Punch  (60), Doigté  (110), Solidité  (80), Méninges (120), Mojo  (50), Tripes  (80), Bagout  (120), Trogne (60), Aplomb (80). Talents  : Enquêteur 2, Comédien 1, Arpenteur 1, Tireur 1, Toubib 1, Bagarreur 1, Artiste (Photographie) 1, Diplomate 1

HELLYWOOD STORIES

277

LESTER LEWIS, LE GOLEM On ne peut pas vraiment dire que tu passes inaperçu et ça tombe bien, t’as horreur de ça. Les videurs des clubs de jazz où tu te produis ont toujours un léger frisson en s’écartant sur ton chemin, comme s’ils craignaient que tu changes soudainement d’avis et que tu décides de leur écrabouiller le crâne entre tes énormes paluches de pierre. Et quand tu déballes ton instrument, un titanesque sax baryton, fabriqué sur mesure par un luthier fou de la Forbidden City, il y a toujours quelques murmures dans la salle. C’est vrai qu’il est beau, ton sax, et le son grave, rauque et chaud qui en sort, c’est probablement ce qu’il y a de mieux sur terre.

Il y a autre chose pour laquelle tu aimes qu’on te remarque : les fringues. Sur mesure également, chez des tailleurs d’Aisbury Park, pour l’épate, ou de Little Italy, pour le chic. Tu en changes tous les soirs, collectionnant les manteaux, les chapeaux et les cravates aux formes et aux couleurs improbables, mais toujours avec un goût très sûr. Inutile de dire que tout ça n’est pas donné et que les maigres cachets que tu touches en faisant des sets de jazz n’y suffisent pas. Tu as un autre job à côté : tu vends des trucs. Le genre de trucs plutôt chers, plutôt recherchés et plutôt illégaux. Le type qui te fournit la dope que tu revends, c’est Eddy White, le bras droit du parrain Ray Constance,

278

HELLYWOOD STORIES

d’Aisbury. Un type réglo ce Eddy, quasiment un pote. Pas comme ton vieux frère d’armes Buddy Clarke, bien sûr, le batteur avec qui t’as partagé dieu sait combien de jam sessions jusqu’à l’aube, à retourner les standards dans tous les sens, sur tous les tempos, dans toutes les clés. Dommage que Buddy soit aussi un si bon client, tu sais bien comment finissent les trop bons clients. Toi en tous cas, la came, c’est pas ton truc. Il y a bien assez de raisons d’y passer comme ça. La dernière fois, c’était dans une ruelle d’Aisbury Park, à la fermeture du club où tu avais joué. Murphy et ses flics exterminateurs t’ont coincé avec quelques flingues et des barres de fer, t’as bien cru que c’était la fin de ta carrière. C’est alors que ce journaliste a déboulé de nulle part, appareil photo en main, et qu’il a commencé à faire crépiter son flash. Furax, le Seamus Murphy. T’as cru qu’il allait servir au journaliste le même genre de menu qu’il avait préparé pour toi, mais non. Il a déguerpi sans demander son reste. Tu dois la vie à ce Chester. Dans ton code, ça veut dire que tu feras tout ce qu’il te demandera jusqu’à ce que tu aies fini de rembourser ta dette. Ce sera long. Natures : Golem, Code d’Honneur Historiques : Réfugié du Maelstrom (historique gratuit), Cornu (Statut automatique à -10), Possession  : Sax baryton à sa taille (10), Caïd (Statut à 10), Contact : Eddy White (25 : contact de statut 20), Allié : Buddy Clarke (15 : allié de statut 5), Fric 15, Ennemi : Seamus Murphy (20). Attributs  : Punch  (150), Doigté  (40), Solidité  (120), Méninges (60), Mojo  (40), Tripes  (80), Bagout  (80), Trogne (110), Aplomb (80). Talents : Artiste (musique) 2, Commerçant 2, Bagarreur 2, Videur 2, Arpenteur 1

ANGELO MOTTA, LE MAFIOSO Ton prénom veut dire ange en italien, mais pour la plupart des gens tu serais plutôt l’incarnation du diable. Un diable au sourire ravageur et au costume impeccable. Contrairement à ton frère Sonny, tu as choisi de suivre les traces de ton père et d’honorer le nom de ta famille en rentrant au service des Marsella. D’abord le vieux Tonio, puis son fils, Michael, quand le Don a cassé sa pipe.

T’as vite appris les ficelles du métier, il faut dire que ce n’est pas compliqué. Ramasser des enveloppes, faire les gros yeux, casser quelques doigts… Rien qui ne soit dans tes cordes. Comme t’es plutôt un garçon malin, t’as pas tardé à gravir les échelons de la famille, jusqu’à devenir capo, un titre qui en impose… Ce n’est plus toi qui te salis les mains, maintenant, d’autres le font pour toi, comme ce bon Gianni, barbier et tueur à l’occasion. Bien sûr, tout n’a pas toujours été si simple. Il y a eu ce type, ce sous-fifre des Grachetti, qui empiétait sur ton territoire et que tu as été obligé de refroidir. Dommage que ce minable ait été un indic pour le HHPD… T’en as été quitte pour tirer quelques années

à l’ombre de Santa Esperanza. La vie là-bas a beau être plus facile quand on a l’accent du sud de l’Italie, l’expérience t’a coupé toute envie d’y retourner. Si la mafia a ses règles, le pénitencier est une jungle où seule la loi du plus fort règne. Avec ton joli minois et ta grande gueule, tu n’aurais probablement pas fait long feu si tu n’étais pas tombé sur Tom O’Riley, l’ancien champion de boxe, qui t’a pris sous son aile. Mais tu as aussi trouvé un autre truc en prison : Jésus. Dit comme ça, on a plutôt envie de se marrer, mais tu prends cette histoire très au sérieux. Tu sais bien qu’avec toutes les saloperies que tu as faites dans ta vie, il y a de fortes chances pour que tu ailles brûler dans les flammes de l’enfer, mais tu as cru le prêtre quand il t’a expliqué que le Seigneur pouvait accorder sa miséricorde à tout le monde, même à un pécheur comme toi. Depuis, c’est quelque chose que tu gardes avec toi, ça ne t’empêche pas de faire la fête et de casser des doigts comme avant, mais tu as l’impression que ça te rend un tout petit peu meilleur. Natures : Flambeur, Croyant Historiques : Enfant de Little Italy (historique gratuit), Prison (historique), Capo (Statut à 20), Contact  : Gianni le barbier (10 : contact de statut 5), Fric 15 Attributs  : Punch  (100), Doigté  (120), Solidité  (80), Méninges (60), Mojo  (40), Tripes  (60), Bagout  (120), Trogne (100), Aplomb (80). Talents  : Bagarreur 1, Tireur 1, Voleur 1, Séducteur 1, Comédien 1, Chauffeur 1, Arpenteur 1, Videur 1, Casseur 1

HELLYWOOD STORIES

279

TOM « CHAMP » O’RILEY, L’EX-BOXEUR

280

L’autre soir, dans la boîte de Charlie où tu passes désormais toutes tes soirées, il y avait ce minable qui se prenait pour un dur parce qu’il avait vingt ans de moins que toi et un imper en cuir. Trop jeune pour te reconnaître. S’il t’avait vu combattre du temps de tes exploits, il n’aurait pas commis la même erreur. Résultat, il s’e st retrouvé la tête plantée dans la table de billard et, aux dernières nouvelles, il devrait pouvoir manger solide à nouveau d’ici trois ou quatre mois. Une chance que le patron, Charlie Barstow, l’ancien coéquipier de ton frère Wallace, t’ait retenu à temps.

mutuellement entre les cordes, vous êtes devenus de vrais amis dans la vie. Tu sais que si tu as besoin d’un coup de main, il sera prêt à faire n’importe quoi. Davis est d’ailleurs la seule chose qui te reste de ta vie d’avant, celle d’avant la prison. Tu as toujours ton crochet du gauche et ton regard de méchant, mais c’est plus pareil. Même ta réputation a changé. Tu n’es plus Tom le Champion, tu es cet ancien champion d’O’Riley. Oh, pas la peine de t’en prendre à la terre entière, tu n’as qu’à te regarder dans une glace pour trouver le responsable. Les mêmes poings qui t’ont apporté plus que tu ne pouvais rêver te l’ont repris en un instant… Ce que tu regrettes le plus dans cette histoire, c’est d’avoir laissé tomber ta nièce, Ann, au moment où elle en avait le plus besoin. Après la mort de Wallace, tu aurais dû être là pour veiller sur elle, pour qu’elle ait quelqu’un sur qui compter. Si tu ne peux pas revenir sur le passé, tu peux au moins essayer de te rattraper aujourd’hui. Le Champ’ a bien quelques crochets du gauche en réserve, reste à espérer que tu ne les gaspilleras pas.

Ca n’aurait pas été la première connerie de ce genre, tu me diras. La dernière en date a mis fin à ta carrière de boxeur et t’a envoyé à l’ombre pendant neuf longues années. Juste avant ça, la vie commençait à être plutôt sympa avec toi. L’abeille irlandaise, on te surnommait. Il faut dire que ton crochet du gauche venu de nulle part a envoyé plus d’un poids lourd au tapis, à commencer par ton vieux pote Tyrone Davis, le protégé de Ray Constance. A force de vous tabasser

Natures : Violent, Sur le retour Historiques : Gamin des rues (historique gratuit), Milieu de la boxe (historique), Prison (historique), Ancien Champion (Statut à 10), Ami : Tyrone Davis (20 : ami de statut 5), Fric 5 Attributs  : Punch  (200), Doigté  (70), Solidité  (120), Méninges (40), Mojo  (40), Tripes  (70), Bagout  (60), Trogne (80), Aplomb (80). Talents : Bagarreur 2, Athlète 2, Videur 2, Arpenteur 2, Séducteur 1

HELLYWOOD STORIES

Liste de contacts Si l’inspiration vous manque, voici une liste de contacts variés qui devraient remplir tous les besoins de vos tough guys. Selon leur statut social et leurs compétences, ils n’apporteront pas les mêmes choses aux personnages des joueurs, c’est pourquoi nous avons précisé pour chacun le type d’aide qu’il fournit. De plus, chaque contact est muni d’une amorce d’intrigue ; il n’y a aucune raison de penser que la relation entre eux et le tough guy soit à sens unique, par conséquent il y aura des cas où le contact aura besoin d’un coup de main. Reste à savoir jusqu’où le personnage sera prêt à aller pour conserver son amitié. Ces amorces sont donc là pour donner vie aux contacts de vos joueurs, en complément des petits détails d’interprétation que vous distillerez savamment  : traits de personnalité, petites exigences, lieu de rendez-vous, etc. Le but étant que ces personnages deviennent plus que des distributeurs à informations sans âme.

BUD STEINER, JOURNALISTE MONDAIN

- / 60, 80, 130 / 10 Type d’aide : informations Quartier : Carnelly Hill

C’est pour cela qu’il a demandé à ses fidèles copains de trouver quelques secrets bien croustillants sur son compte pour l’amadouer… Parce qu’il sait mieux que personne que dans ce milieu, tout le monde a quelque chose à cacher.

JACK FRANCIS, JOURNALISTE PHOTOGRAPHE

+ / 40, 120, 60 / 5 Type d’aide : informations Quartier : Financial District

Profil : Bud a une passion, un but dans la vie : la fesse. Mais avec ses cent quarante kilos et sa tronche à l’envers, c’était pas gagné d’avance. Et pourtant, on ne compte plus les starlettes et jolies pépées en tout genre qu’il s’envoie tous les soirs de la semaine. Son secret ? Être l’un des types les plus connectés d’Harbor et surtout se débrouiller pour apprendre les secrets les plus inavouables de ces demoiselles. Un talent qui lui vaut aussi les bonnes grâces de son patron, Harvey Weimbaugh. Amorce  : Cette fois, ça y est, Bud est accro. L’heureuse élue s’appelle Kristin Sanders, l’étoile montante des comédies musicales du Strand. Le hic, c’est qu’elle n’a que du mépris pour le pauvre Bud.

Profil  : Photographe freelance travaillant notamment pour le torchon Whispers, il est plus que n’importe quel détective du HHPD la mémoire criminelle d’Heaven Harbor. Quelle que soit la scène de crime, vous pouvez être sûr d’y croiser le cigare et la casquette usée de ce vieux Jack, dont la fascination pour le morbide fait plus que friser la folie.

HELLYWOOD STORIES

281

Amorce : Francis a découvert une piste dans le noir et blanc de ses photos, un lien qui relie plusieurs meurtres sur les derniers mois et qui aurait échappé aux gars de la criminelle. On le prend pour un dingue, mais il décide de mener sa propre enquête. Quelques jours plus tard, on le retrouve décapité dans la Sio River. Et s’il avait eu raison ?

CAPITAINE WAYNE SMITH, VÉTÉRAN DES STUPS

+ / 140, 100, 120 / 30 Type d’aide  : informations, protection, drogues, argent Quartier : City Hall

DÉTECTIVE JASON LANG, LIMIER DE LA CRIMINELLE

++ / 90, 110, 80 / 20 Type d’aide  : informations, accès, coup de main Quartier : City Hall

Profil : Sa silhouette longue et élancée passe rarement inaperçue sur les scènes de crime où il passe la plupart de son temps. Froid et méthodique, il est l’un des meilleurs enquêteurs de la criminelle, respecté par ses collègues même si on ne peut pas dire qu’il soit d’un naturel cordial. Car si Jason Lang ne sourit jamais, c’est qu’il y a une raison  : il y a quelques années, sa femme a été victime du Hachoir. Il n’a pas cru à la thèse officielle et collectionne les coupures de presse et copies carbone du dossier, persuadé que le tueur va refaire surface, un jour… Amorce  : C’est bien ce qui va se passer. C’est le moment où le Détective Lang va définitivement passer de l’autre côté. On ne le voit plus dans les bureaux de la criminelle, il sillonne HoboLand à la recherche de «  son  » tueur, maltraitant les témoins, laissant même quelques cadavres derrière lui…

282

HELLYWOOD STORIES

Profil  : Comme son frère Franck, Wayne Smith fait partie des légendes de la police. C’est l’un des officiers les plus décorés et respectés de la prestigieuse brigade des stups. C’est aussi l’un des principaux organisateurs d’un système basé sur la corruption généralisée. Quelques dealers ou truands sans envergures finissent en taule pour faire plaisir au D.A. et au chef de la police, mais les huiles peuvent dormir sur leurs deux oreilles tant qu’elles arrosent le capitaine Wayne et ses collègues. Amorce  : Smith est devenu un peu trop gourmand, ou bien Mickey Ballantine en a marre de devoir partager le gâteau. Quoi qu’il en soit, le truand irlandais a engagé un tueur pour s’occuper de manière permanente du flic des stups. Dilemme  : faut-il laisser les crapules s’entretuer en paix ou intervenir pour sauver Smith ?

PAUL CRAMER, ROOKIE DES MŒURS

+ / 80, 80, 60 / 10 Type d’aide : informations, coup de main Quartier : Natividad Profil : Cramer est entré dans la police il y a deux ans, par conviction. Il voulait vraiment combattre le crime, protéger les honnêtes gens, faire une différence…

Parachuté dans l’une des brigades les plus corrompues du HHPD, il a rapidement déchanté. Difficile d’être le seul flic honnête des Mœurs et dans son dos ses collègues font des paris sur ce qui adviendra du jeune idéaliste : finirat-il par manger le canon de son arme de service ou par croquer dans le gâteau comme tout le monde ?

Amorce  : C’est pour les beaux yeux d’une métisse de la Calle de las Putas que Paul va faire sa première entorse au règlement. Il rend visite à son mac, glisse quelques sachets d’héroïne dans la poche de son veston et le coffre. Un acte chevaleresque s’il ne servait pas les intérêts d’un autre truand sans aucune morale qui n’ambitionne rien moins que de prendre le contrôle de la Calle par tous les moyens. Et voilà notre jeune incorruptible dans de bien sales draps…

Profil  : Qui croirait que le paisible vieillard qui imprime Whispers sur ses antiques machines a été l’un des meilleurs faussaires de sa génération, véritable cauchemar pour le FBI ? Mais ce temps-là est révolu, et Ramirez préfère désormais goûter aux joies de la vie de famille… Sauf si un ami avait désespérément besoin de nouveaux papiers. Amorce  : Antonio disparaît après que des individus d’un genre plutôt louche soient venus lui parler à son travail. Il ne lui est rien arrivé, mais il pourrait faire une grosse bêtise si on ne l’arrête pas à temps  : des gangsters sans scrupules ont enlevé son petit-fils et s’en servent comme moyen de pression pour que le faussaire à la retraite fabrique de faux billets de vingt dollars.

RICHIE ALLEN, PERCEUR DE COFFRES

++ / 150, 40, 20 / 5 Type d’aide : informations, serrurerie Quartier : Hook

ANTONIO RAMIREZ, FAUSSAIRE À LA RETRAITE

++ / 120, 100, 70 / 5 Type d’aide : expertise, contrefaçons Quartier : Natividad

Profil  : Depuis sa naissance, Richie Allen vit dans son monde intérieur, prisonnier de lui-même. Il a grandi dans un hôpital psychiatrique après que sa camée de mère se soit débarrassé de lui. C’est là qu’il a découvert son don : quelle que soit sa complexité, aucun verrou ni aucune serrure ne pouvaient lui résister. Ses problèmes n’étaient pas réglés, mais au moins avait-il trouvé un moyen de gagner sa vie. Amorce : Richie a ouvert le coffre d’un gros bonnet de Remington Heights qui

HELLYWOOD STORIES

283

possède de solides connexions avec la mafia. Il a envoyé un groupe de tueurs sur les traces du jeune prodige des serrures pour l’obliger à lui rembourser les sommes volées. L’ennui, c’est que les types avec qui Richie a fait le coup se sont volatilisés dans la nature avec l’intégralité du butin…

DIEGO « DEE DEE » HERNANDO, TAULARD

- / 70, 50, 100 / 5 Type d’aide : informations, mise en relation, drogues Quartier : Santa Esperanza

Profil  : Pas facile de grandir à Natividad quand on a une gueule d’amour et un penchant pour les garçons. Dee Dee a enduré plus que son lot de coups et d’injures, mais il a pourtant fini par trouver un moyen de faire de l’argent avec les cartes que lui avait servi le destin, en vendant son corps d’éphèbe bronzé aux blancs friqués. Ça a fini par le conduire en taule, mais là encore, il a fait son trou au milieu des gros durs, ajoutant même le trafic de came à la liste de ses talents. Amorce  : Le petit frère de Dee Dee, Rico, a été découvert dans une poubelle de Natividad, après avoir été visiblement

284

HELLYWOOD STORIES

battu à mort. Depuis sa cellule Dee Dee est impuissant, mais il demande aux personnages de mener l’enquête à sa place. Reste à savoir si la mort d’un pauvre truand vaut la peine de prendre le risque d’affronter les véritables parrains du quartier latino…

LYLE HOPE, CONTREMAÎTRE SUR LES DOCKS

- / 50, 80, 140 / 10 Type d’aide : informations, mise en relation Quartier : Sio River

Profil : Avec sa silhouette gracile de séraphin, Lyle détonne un peu parmi les dockers, mais sa capacité à parler toutes les langues en fait pourtant un allié précieux du syndicat. Pour l’instant la confiance que lui accorde O’Bannion ne va pas audelà d’un simple rôle d’interprète, mais ça n’empêche pas Hope d’être de plus en plus populaire sur les docks. Amorce  : Le Grand Jury et Noah Van de Kamp mettent la pression sur le séraphin pour qu’il leur livre des informations compromettantes sur O’Bannion et le syndicat. Le voilà pris entre deux feux, une bien mauvaise situation où il aura besoin de toute l’aide disponible pour éviter d’y laisser toutes ses plumes.

MADELEINE PRESTON-SMITH, ÉCRIVAIN ET COMMUNISTE

+ / 30, 120, 100 / 20 Type d’aide : protection, informations, mise en relation, argent Quartier : Remington Heights

Profil : Veuve d’un riche industriel, Madeleine Preston-Smith s’est mise à écrire d’abord par ennui. Mais avec le succès inattendu de ses pièces de théâtre policières, c’est une nouvelle vie qui s’est ouverte pour elle. Du haut de ses quatre-vingts ans, elle fait figure de grand-mère indigne de la scène culturelle d’Harbor, d’autant que ses opinions résolument communistes ne sont un mystère pour personne. Amorce : Après y avoir goûté une première fois lors d’une opération chirurgicale, Madeleine est devenue accro à l’héroïne. Or son dealer particulier, Omar Jackson, vient juste de se faire mettre en prison. Elle est prête à payer très cher pour qu’on lui fournisse son petit quatre heures quotidien, à moins que Van de Kamp et ses sbires ne profitent de l’occasion pour la faire chanter…

golem dans un ring, ça fait du spectacle et le spectacle, ça fait monter les enchères.

Amorce : Un combat où le poing de Briggs vient s’écraser un peu trop durement sur le crâne de son adversaire, qui reste au sol. L’ennui, c’est que le frère du type ne l’entend pas de cette oreille et veut retrouver le golem pour lui faire sa fête à coup de barre à mine. Si la police commence à s’en mêler, les choses risquent de sérieusement chauffer pour Colin…

WALTER GOINES, LIFTIER

- / 30, 40, 70 / 5 Type d’aide : information, accès Quartier : Financial District

COLIN BRIGGS, BOXEUR GOLEM

+ / 220, 50, 40 / 5 Type d’aide : informations, coup de main Quartier : Forbidden City Profil  : C’est pas qu’il aime particulièrement se battre, Colin, mais il faut avouer qu’il est plutôt doué pour ça. Et puis c’est de l’argent facile à gagner, dans les combats clandestins organisés par quelques mafieux cupides. Un

Profil : On a l’impression qu’il a toujours été là, assis sur sa chaise dans l’ascenseur de l’hôtel Californian, le vieux Walter. C’est vrai que ça fait bientôt trente ans qu’il occupe le même poste, à faire monter et descendre les riches clients du palace de Mr Vandelheim. On peut dire qu’il en voit et qu’il en a vu, des choses. Ce qui

HELLYWOOD STORIES

285

arrange bien les affaires de Whispers, d’ailleurs, toujours preneur d’anecdotes savoureuses sur les grands de ce monde. Amorce  : Parce qu’il a découvert les petits trafics du nouveau concierge de l’hôtel, le vieux Walter s’est fait mettre à la retraite anticipée. Hors d’âge peut-être, mais il ne compte pas tirer sa révérence sans renvoyer l’ascenseur, d’une façon ou d’une autre. Cela promet d’être pour le moins distrayant…

DUKE BEAUMONT, JOUEUR ET HOMME DE MAIN

++ / 100, 120, 180 / 20 Type d’aide : informations, protection, mise en relation, argent Quartier : Lucky Island

Profil : Arrivé de France à l’âge de dix-sept ans, Beaumont s’est rapidement fait une fortune en jouant aux cartes ainsi qu’un surnom, «  Duke  », grâce à son élégance et la facilité déconcertante avec laquelle il dépense son argent. La fréquentation des casinos lui a fait côtoyer le milieu mafieux de Californie pendant plus de vingt ans, et c’est donc assez naturellement qu’il est devenu l’un des hommes de confiance de Nat Vernon. Mais la fièvre du jeu ne l’a pas quitté pour autant et on le trouvera la plupart du temps autour d’une table de Black Jack ou de Poker, entouré comme à son habitude de femmes superbes. Amorce  : Les apparences sont parfois trompeuses et Duke Beaumont préfère les garçons musclés. L’un de ses amants, le jazzman Scottie Taylor,

286

HELLYWOOD STORIES

est retrouvé mort d’une overdose et le français demande à ses alliés de faire discrètement disparaître les preuves de leur liaison, pour protéger sa réputation dans un milieu peu tolérant. Mais plus l’enquête avance et plus l’hypothèse de l’accident semble douteuse… Et si Duke avait quelque chose à y voir ?

BILL CAINE, EX-MILITAIRE

++ / 160, 30, 50 / 5 Type d’aide : coup de main, armes Quartier : Strangler Fields

Profil  : Caine est un héros de guerre, un vrai. Son courage et sa précision inégalée au tir lui ont valu honneurs et médailles au sein des parachutistes. Mais lorsqu’il a commencé à avoir plus que de la sympathie pour les idées des nazis qu’il était censé combattre, l’armée a décidé qu’il était temps de se séparer de lui. Depuis, il vit dans une chambre de motel dans les Strangler Fields, attendant une nouvelle guerre où prouver sa valeur. Amorce : La veuve d’un militaire noir tombé en 1944 a la conviction que son mari a été tué par l’un de ses compatriotes, en l’occurrence Bill Caine. Depuis qu’elle a retrouvé son adresse, elle le surveille, engage des détectives privés pour fouiller son passé et a même acheté un revolver dans l’intention de le tuer. En réalité Caine n’y est pour rien, mais l’histoire peut très vite salement dégénérer si l’on n’y prend garde.

JAY JAY PARKER, HOBO MUSICIEN

GENA FLEMING, MÉDECIN BÉNÉVOLE

+ / 80, 80, 100 / 5 Type d’aide : informations, surveillance Quartier : tout Downtown

- / 50, 80, 90 / 10 Type d’aide : informations, soins Quartier : HoboLand

Profil : Tout le monde à Harbor a croisé un jour ou l’autre ce grand noir hirsute, courbé sur sa trompette, jouant un chorus de blues pour quelques piécettes. C’est que Jay Jay aime se balader : rares sont ceux qui connaissent mieux les rues de Downtown que lui. Moyennant le prix d’un bon repas et d’un bon whisky, ça en fait l’un des meilleurs informateurs d’Harbor sur pratiquement tous les sujets. Amorce  : Un nouveau trompettiste blanc fait fureur dans les clubs branchés de la Forbidden City  : Slim Holland. Mais ceux qui connaissent Jay Jay le musicien de rue ne peuvent s’empêcher d’y voir une ressemblance plus que troublante : vont-ils chercher à éventer la supercherie ?

Profil : Pour la loi, c’est une criminelle, pour ceux qu’elle soigne, une sainte. Quoi qu’il en soit, même si Gena Fleming n’a pas de diplôme de médecine, elle est la seule à prodiguer des soins aux âmes errantes de HoboLand, dans une sorte de clinique clandestine qu’elle a bricolée dans un coin de garage désaffecté. Son taux de mortalité est très élevé, mais c’est mieux que de mourir dans la rue et surtout ça évite d’avoir à faire une déclaration officielle. Amorce  : Une nuit, une bande de types armés jusqu’aux dents débarquent et réquisitionnent de force la clinique pendant quelques heures, flanquant tous les patients à la porte. Terrorisée, Gena refuse de parler, mais si l’on enquête on pourra découvrir qu’il s’agissait d’un groupe de Resurrection Crusaders amochés par leur rencontre avec quelques cornus de la Forbidden City.

HELLYWOOD STORIES

287

Des démons et des hommes Chère voix off, cet article a deux objectifs. Tout d’abord, vous aider à gérer cette partie un peu particulière d’Hellywood que constituent les rapports entre humains et démons. Si la mécanique exposée dans le livre de base est simple, prendre en compte ses effets dans votre narration et dans votre campagne n’est pas toujours évident. Dans une seconde partie, vous découvrirez une liste de démons prêts à l’emploi pour étoffer les répertoires démoniaques de vos joueurs. Notre conseil primordial, c’est d’utiliser les rencontres surnaturelles dans un mode « ambiance ». Les règles du livre de base vous permettent de savoir si un démon répond

ou non à une invocation. Pour le reste, gérez la rencontre comme si les personnages se retrouvaient face à un parrain de la mafia – ou l’un de ses lieutenants. Tout est affaire de négociation, de limites et de compromissions. Une invocation est donc toujours une opportunité servant le scénario en cours et participe à ses répercussions à long terme. Gardez toujours à l’esprit les clauses auxquelles se sont astreints les personnages et utilisez-les. Le Noir se prête magnifiquement aux intrigues touffues et aux intérêts divergents ne cessant pourtant pas de se croiser : le recours au surnaturel ne pourra que l’alimenter.

DOING THE JOB LA BONNE PERSONNE POUR LE BON JOB

Le répertoire démoniaque est l’arme de l’invocateur, mais ne doit pas se limiter à une notation sur une fiche de personnage. Dans ce business, ne pas savoir avec qui l’on traite est très dangereux. De la même façon, on ne demande pas n’importe quoi à n’importe quel démon : chacun a ses spécialités. Étendre, c’est bien  : consolider c’est encore mieux. L’invocateur avisé ne se contentera jamais d’un premier contact. Il en apprendra au contraire le plus possible sur son interlocuteur. Quels sont ses relations, ses plans, ses moyens, ses habitudes de paiement ? Autant de points à vérifier s’il ne veut pas, un jour, voir se retourner contre lui une relation qui, quoi qu’on en dise, restera toujours contrenature. Il faut toutefois rester prudent  : certains démons n’aiment pas qu’on vienne

288

HELLYWOOD STORIES

fouiner autour d’eux. Et c’est le cas de tous les Asservis, sans distinction. Une invocation se prépare en amont. Tout d’abord, il convient de se renseigner sur les interlocuteurs possibles, en fonction de ce que l’invocateur souhaite demander et de ce qu’il est prêt à payer. Chaque démon, chaque Asservi, a ses propres domaines d’influence, ses préférences et ses manies. Connaître celui qu’on va appeler est essentiel, être capable de s’assurer qu’on a bien en face de soi celui qu’il prétend être l’est tout autant. Le travail de renseignement est essentiel et peut tout à fait occuper des PJ non-invocateurs tant les réseaux des Asservis phagocytent notre réalité. La Voix-Off peut donc facilement construire de nombreux éléments de narration autour d’un simple nom sur un répertoire démoniaque. Un invocateur ne devrait jamais connaître la tranquillité d’esprit. La paranoïa est salutaire dans ce métier.

SAVOIR SE PRÉPARER

Première règle  : toujours réfléchir à l’avance à l’étendue de ce qu’on va demander et à ce qu’on est prêt à payer. Se fixer une ligne rouge à ne pas dépasser, même en pleine excitation, est une discipline vitale. Pour la Voix Off, c’est au choix un point à rappeler systématiquement à l’invocateur ou un moyen efficace de piéger ses joueurs. Dans l’excitation de la négociation, on a tendance à oublier ses limites et à s’engager plus que de raison. Le choix du lieu de l’invocation est primordial. Comme indiqué dans le livre de base, plus le Dédale est proche et plus l’invocation sera facilitée. Les lieux réceptifs sont assez simples à trouver  : la Forbidden City en est truffée. Hors City, on peut y ajouter de nombreux lieux présentant des «  affinités  » avec l’un ou l’autre Asservi. Ces lieux propices sont toujours marqués par un passé sinistre ou accueillent des activités récurrentes proches des intérêts des Asservis. Certains lieux ne sont pas spécialement proches du Maelstrom (en terme de jeu, ils n’apporteront donc pas le bonus d’un «  +  » au jet) mais ils flattent les Asservis, facilitant la négociation qui suivra l’invocation. Tout se résume souvent à une question de décorum. Pousser les joueurs à réfléchir à la préparation de l’invocation permet à la Voix Off de mettre en scène des lieux originaux ou atypiques. Dessins, cercles, psaumes, panoplies d’invocateur et borborygmes  : décorum, encore une fois. L’invocateur puise dans son Mojo et il peut le faire en silence, assis sur une chaise les yeux fermés si cela lui chante. Toutefois, les simagrées peuvent tout à fait le rassurer ou l’inspirer, lui permettant de se mettre en condition. N’hésitez pas à pousser les personnages jouant des invocateurs à «  typer  » leur activité. Certains démons peuvent également y être sensibles, voir l’exiger. Respecter ce genre de desiderata peut «  détendre  » l’atmosphère et lancer la négociation sur une bonne base. C’est pourquoi, surtout pour les plus « mystiques » des Asservis et de leurs suivants, cérémonies et offrandes sont préparées.

MISE EN RELATION

Une fois l’invocateur en transe, il contacte les forces qui attendent de l’autre côté et appelle celui qu’il veut contacter. Le démon peut être «  injoignable  » au moment où l’invocateur le sollicite, par exemple s’il occupe à ce moment-là un corps humain dans notre réalité. Il peut aussi tout simplement décider de ne pas répondre. L’invocateur n’a aucune assurance sur ce point. Oui, certains démons lâchent leurs clients, même de longue date, cela s’est vu plus d’une fois. Les démons sont englués dans leurs propres rapports de force, et sont liés par une toile d’obligations envers leurs contacts humains. Si l’invocateur accepte le contact, le démon fait alors son apparition. Rappelezvous qu’un démon n’est qu’une ombre issue du Maelstrom. Il peut projeter dans notre réalité l’image qu’il souhaite, de quelques forme ou sexe que ce soit  : depuis une apparition fantomatique translucide jusqu’à la représentation parfaite d’un être humain dont on ne peut déceler la facticité qu’en essayant de le toucher. Il n’est limité que par son propre Mojo  : s’il est faible, il aura du mal à traverser. Il peut aussi se contenter de n’être qu’une voix, de parler via un objet (comme un microphone ou un pick-up) ou de se manifester sous la forme d’une brume de fumée verdâtre. Bien souvent, un démon a une forme préférée, habituelle, c’est son «  avatar  », une projection «  fantasmée  » de la façon dont il s’imagine. Mais rien ne l’empêche d’en changer. C’est également sous cette forme qu’on le rencontrera si on s’aventure dans le Dédale. Un démon ne peut s’incarner dans notre monde que dans un hôte, c’est-à-dire en possédant un corps humain, vivant ou mort récemment. S’il le fait, il possède alors les capacités physiques de ce corps, et la même fragilité. Contrairement à un Possédé qui a décidé de s’unir définitivement à la chair, il peut toutefois se retirer quand il le souhaite. Tenir un corps prêt à disposition du démon invoqué peut-être une habitude, ou même une exigence du démon.

HELLYWOOD STORIES

289

NÉGOCIATION

Le démon invoqué, la négociation peut commencer. Elle se fait oralement. La matérialisation du contrat qui va résulter de la négociation peut-être orale ou écrite. Clay, par exemple, fait toujours établir un contrat papier signé par un de ses avoués, dans un simulacre d’accord commercial. Avec cigares à la clé. Cette partie concerne tous les personnages, pas seulement les invocateurs. Les groupes qui ne possèdent pas d’invocateur peuvent tout à fait y être confrontés s’ils paient un invocateur privé. Le boulot de celui-ci s’arrête souvent quand le démon fait son apparition  : les plus malins refusent de savoir ce qui se décide entre le démon et ses clients. Poussez les joueurs à peaufiner leurs arguments ! Voici quelques conseils qui pourraient bien sauver leurs miches : Choisir clairement les termes des contrats  : fuir comme la peste les clauses vagues comme «  le demandeur sera sollicité pour un service à définir ultérieurement ». Fixer une date butoir et surtout, définir le service à rendre au démon dans le moindre détail. Fuir les services entre amis comme la peste. Tout leur art est de faire croire au client qu’il compte pour eux, qu’il fait partie de l’organisation, qu’il est un ami. Ils vont donc proposer des services informels, «  gratuitement et sans contrepartie  », comme gage d’amitié. Refuser systématiquement et exiger d’établir sa part à payer, même s’ils jouent les offensés. Tenir à jour ses contrats : savoir à quoi l’on s’est engagé, s’en souvenir et s’y tenir. Au fil du temps, les personnages peuvent accumuler les obligations. Assurez-vous qu’ils fassent le tri, qu’ils gèrent bien leur agenda et qu’ils honorent leurs contrats. Il ne faut pas rater les échéances. Le meilleur conseil est de payer ce que l’on doit, vite et bien. Et de ne jamais essayer de doubler les démons. Varier ses interlocuteurs et leur hiérarchie. Il n’est pas bon d’être captif d’un Asservi. Avoir plusieurs interlocuteurs assure une certaine indépendance.

290

HELLYWOOD STORIES

Rappelez vous que tous les Asservis sont à la tête de larges organisations, en grande partie humaines, que les joueurs seront amenés à côtoyer. Les choses ne sont jamais à sens unique  : démons et Asservis les solliciteront tout comme ils le font, leur proposant deals et affaires ou leur demandant à leur tour un service. Ne lâchez pas la bride aux personnages : ils ont voulu mettre le doigt dans l’engrenage, faites-leur sentir le poids de leur engagement.

EN CAS DE SOUCI

Tout le monde peut avoir des problèmes et louper une échéance. D’autant plus simple si un personnage doit un service et qu’il n’arrive pas à le réaliser, parfois pour des raisons indépendantes de sa volonté. S’il ne s’acquitte pas de sa part du contrat, le démon exigera réparation. Il peut envoyer des sbires humains ou se déplacer en personne s’il est adepte de la possession corporelle. La plupart du temps, il permettra le report du paiement, histoire de mieux tenir le personnage par la suite  : les intérêts seront forcément lourds. Mais tout a ses limites, surtout si ce qui a été promis est urgent ou vital pour l’organisation de l’Asservi. Là, tous les moyens sont bons  : après tout, le personnage est en faute. Ce qui l’attend dépend de l’interlocuteur et de l’importance de la dette : tabassage par plusieurs nervis, dénonciation, extorsion, assassinat pur et simple… ou plus simplement, mise sous tutelle  : après tout, tant qu’il peut encore être utile, il n’y a pas de raison de jeter le personnage si on peut le tenir à la gorge. Mais personne n’est irremplaçable et il faut parfois faire des exemples pour l’éducation des autres clients… On a même vu des démons, souvent des Rogues, « racheter » les crédits, effectuant les paiements ou services à votre place ! Efficace, mais très dangereux  : vous appartenez généralement corps et âme à celui qui a épongé vos dettes. Les choses peuvent encore se compliquer  : si les manquements des personnages engendrent de grosses

perturbations, c’est Clay qu’ils risquent d’avoir sur le dos. Clay n’a pas un rôle officiel de «  police surnaturelle  », mais il s’emploie à éviter les trop gros débordements qui pourraient nuire aux Asservis dans leur ensemble. Bien que sa came soit l’info, il ne peut être au courant de tous les accords passés entre humains et démons. Mais il sera

à coup sûr au parfum de toute lutte ouverte entre démons et clients malhonnêtes ou malchanceux. L’inverse est également vrai  : on peut faire appel à lui si un démon n’a pas rempli sa part du contrat. Cela peut être efficace, mais c’est toujours dangereux. Ne pas se faire remarquer, c’est durer. Exactement comme dans le crime organisé.

LIEUX PROPICES Démons de Johnson : le salon cossu d’un club privé, la salle de réunion des actionnaires d’un groupe financier, un grand bureau du City Hall, le théâtre d’une série de meurtres abominables, la chambre SM d’un bordel. Démons de Clay : une bibliothèque privée ou publique, l’arrière-salle d’une librairie, un cabinet d’avocat, une cellule de prison, une salle d’interrogatoire dans un commissariat, une salle de rédaction d’un journal. Démons d’Ashes  : la garçonnière d’un Don Juan, un cinéma porno, un bordel crasseux de Natividad, le boudoir d’une bourgeoise wasp et nymphomane de Remington Heights, la chambre d’un hôtel de passe où se sont déroulés des sévices, au beau milieu d’une partouze dans un appartement de Carnelly Hill. Démons de Pieces : une cave humide, un wagon désaffecté au cœur du HoboLand, un terrain vague, une cabane de chantier, un caniveau où ont été retrouvés les corps démembrés par un tueur en série, une maison abandonnée des Fields. Démons de Six of Ten : une librairie occulte, en pleine église lors d’une congrégation religieuse, un souterrain, au beau milieu d’un cloître.

MR JOHNSON Johnson est prêt à rendre toutes sortes de services, pour peu qu’ils n’entrent pas en conflit avec ses propres plans - et ils sont nombreux – et qu’ils ne soient pas trop pusillanimes. Sa préférence va naturellement aux intrigues politiques, aux magouilles financières, aux luttes d’influence et aux groupes de pression, bref au jeu du pouvoir, dans quelque domaine que ce soit. L’organisation de Johnson est très hiérarchisée  : il veut tout savoir et tout contrôler. Même s’il ne négocie pas directement un deal, laissant faire l’un de ses démons, vous pouvez être sûr que c’est lui qui fixera la marge de négociation et tranchera en définitive. Il n’hésite jamais à piéger ses clients, pour prendre l’ascendant sur eux ou les mettre dans une position de faiblesse. Monter ses clients ou ses subordonnés les uns contre les autres, prêcher le faux pour brouiller les pistes et assurer sa domination font également partie de ses sports favoris… En guise de paiement, Johnson et ses subordonnés privilégient les demandes de services. Leur principal objectif est de s’attacher leurs clients (Johnson lui-même préfère le terme de « partenaires ») dans une relation à long terme, afin d’étoffer le réseau et d’affermir leurs positions. C’est la clé de la toile d’araignée que tisse Johnson. Johnson a une préférence pour les clients importants. À ceux-là, les demandes de services sont invariablement de «  gros coups  »  : il peut exiger une participation occulte dans une entreprise, des informations et des moyens de pression sur des concurrents ou des alliés, des parts dans des projets immobiliers ou financiers, des appuis pour obtenir des avantages ou des passe-droits… Il peut à l’occasion demander la mise hors d’état de nuire d’un concurrent, de manière temporaire ou définitive. À ses clients de moindre envergure, il peut demander des services basiques et parfois même incompréhensibles : se rendre à l’hôtel Excelsior et donner le mot de passe « Rétribution » au type qui sera assis dans un

292

HELLYWOOD STORIES

des fauteuils du hall à 19h40 précises… Rien de plus normal, les plans de Johnson sont vastes, compliqués et on a souvent besoin d’une petite main. Enfin, Johnson ne crache pas sur la violence gratuite et garde toujours sous son aile quelques-uns des pires psychopathes d’Heaven Harbor. À cette exception près, Johnson n’aime pas les fauchés, les gagnepetit ou les idiots, même s’il est parfois obligé d’y avoir recours. Il aime être impressionné par la violence, l’avidité ou l’efficacité d’un «  collaborateur  ». Mais ne vous leurrez pas : seuls les gens disposant d’un véritable pouvoir peuvent espérer être durablement pris en compte dans les projets de Johnson.

LA SECRÉTAIRE

MOJO 60, HUMANITÉ 120 La secrétaire est l’archétype de l’assistante de direction : discrète, tirée à quatre épingles, aussi élégante qu’efficace. M. Johnson lui délègue ses clients les moins influents et l’emploie parfois pour déstabiliser ses clients réguliers après avoir refusé de les rencontrer, histoire de les faire gamberger sur leur place au sein de l’organisation. La secrétaire dispose d’une certaine latitude pour conclure les accords, mais réfère à Johnson pour toutes les demandes inhabituelles. Typiquement, faire tuer quelqu’un nécessite une validation. Concentrée et à l’écoute, elle prend des notes en sténo sur son bloc tout en jouant un peu de son charme, mais toujours avec raffinement. Elle se montre compréhensive, reconnaissant que son patron est « parfois bien difficile ». En vérité, c’est une manipulatrice de premier ordre. Sadique, elle prend un grand plaisir à pousser ses clients aux pires extrémités.

LE PRODUCTEUR

MOJO 100, HUMANITÉ 160 Le bras droit. L’homme de confiance. Celui qui parle pour le patron et peut prendre de vraies décisions. Votre meilleur partenaire. Exubérant, des fringues plus criardes que le pire des macs d’Aisbury

Park, le Producteur vous tape dans le dos de sa main pleine de bagouses et vous assure que tout va bien se passer. Comme il aime à le répéter, il est l’homme de la situation. Il assure. Oui, il recrute pour Johnson, mais il mène aussi ses propres affaires et il serait ravi de vous y associer. Ça tombe bien, il a un plan pour tout et connait tout le monde. Dans la hiérarchie de Johnson, il est celui qui prend en charge les « célébrités » et les « espoirs prometteurs », qu’il est chargé de faire éclore.

LA PETITE VOIX

MOJO 80, HUMANITÉ 40 C’est le compagnon des psychopathes, la face obscure des activités de Johnson. La

petite voix rechigne à s’incarner et même à se présenter sous la forme d’un quelconque avatar. Blottie dans les replis du Maelstrom, elle préfère susurrer à l’oreille des tueurs. C’est généralement Johnson qui la charge de gérer l’un de ses clients les plus «  particuliers  », mais il lui arrive de se mettre en chasse ellemême. Certains ne savent même pas qu’un démon est à leurs côtés, se repaissant de leurs actes. En réalité, la petite voix n’a aucune imagination : elle ne s’emploie qu’à gratter la psyché malade de ses clients, à révéler leurs envies et à les convaincre que rien d’autre ne compte que leur assouvissement... Le mal est profondément humain et elle ne sert que de révélateur, une tâche qu’elle accomplit avec délectation.

CLAY Clay s’est attribué un rôle de contrôle sur les liens qui unissent notre monde avec les royaumes des Asservis. Si tous ses plans sont loin d’être clairs, il semble s’être fixé une mission de maintien de l’ordre, sur le thème de la contention  : éviter les excès, d’un côté comme de l’autre, pour assurer que les affaires restent bonnes. Pour accomplir ses objectifs, Clay utilise une arme très puissante : l’information. Clay est à même de rendre toutes sortes de services, son réseau est assez étendu pour cela. Il répond à une sollicitation en fonction de ses objectifs du moment. Ses préférences vont aux demandes qui peuvent déstabiliser ses concurrents trop sûrs d’eux (Johnson en premier lieu), consolider ses propres acquis et étouffer tout ce qui pourrait mettre en péril l’équilibre actuel des forces. D’où cette image de «  bon  » Asservi que servent souvent les invocateurs privés à leurs clients. Clay a effectivement contribué à redresser certains torts, mais il y a sans doute trouvé autant d’intérêt personnel que de contentement altruiste. Clay a tendance à laisser une grande marge de manœuvre à ceux qui travaillent pour lui, si ceux-ci ont réussi à lui prouver leur

fidélité ou leur efficacité. S’il ne s’implique pas forcément sur le terrain, il demande des comptes-rendus détaillés à ses subordonnés, nécessaires au maintien d’un bon niveau de connaissance. Tout comme Johnson, Clay a besoin de moyens de pression et demande donc très souvent des services en guise de paiement. Mais il met encore bien plus l’accent sur l’information. Tout est bon à prendre et servira bien un jour  ! Plus que tout autre Asservi, Clay aime entraîner ses clients dans des relations à long terme qu’il présente comme «  mutuellement profitables  ». Certains n’ont pas eu à s’en plaindre et d’autres y ont trouvé leur damnation.

PERK

MOJO 70, HUMANITÉ 130 Cordialement surnommé «  le fouillemerde  » par ceux qui travaillent avec l’organisation de Clay, Perk est l’avantgarde de l’Asservi. Très indépendant, Perk gère ses informateurs comme il l’entend et fourre son nez partout où cela lui plaît, de préférence dans tout ce qui sent mauvais et relève du scandale bien gras. La plupart des gens qui invoquent Perk le font pour

HELLYWOOD STORIES

293

obtenir des informations précises. S’il ne les a pas, il saura auprès de qui les trouver. Il est si efficace que Clay le laisse opérer comme il l’entend, même s’il ne fait aucun doute qu’il informe son patron de tout ce qu’il apprend.

MR NICHOLS

MOJO 90, HUMANITÉ 80 Ce démon apparaît toujours sous la forme quasi archétypale d’un comptable coincé. Il est souvent employé par Clay pour approcher les clients en bisbille avec les démons qu’ils ont invoqués, généralement pour des histoires de paiement ou d’interprétation de clauses de contrat. Il peut aussi être sollicité par un invocateur ayant besoin d’un médiateur. En fait, c’est un peu comme un huissier chargé de s’assurer que les « dossiers de surendettement » sont bien gérés, avec le moins de vagues possible. Bien souvent, si vous déconnez avec les limites fixées par Clay, c’est d’abord lui que vous verrez arriver. Il essaiera de trouver une solution amiable et satisfaisante pour toutes les parties. Si ça ne fonctionne pas ou que

les interlocuteurs refusent la conciliation, il passera vraisemblablement le dossier à l’Inquisiteur.

L’INQUISITEUR

MOJO 150, HUMANITÉ 40 Clay a recours à l’Inquisiteur dans les cas où sa patience a atteint ses limites. C’est sa force de frappe, celui qui aide le boss à punir les écarts, à réguler la vie des démons et de leurs clients. Comme son nom l’indique, il est également un spécialiste de l’extraction d’informations à l’aide de tenailles. Lorsqu’il se manifeste, l’inquisiteur semble toujours prendre une apparence différente et il ne rechigne pas non plus à la possession. Il semble disposer de quelques agents humains bien choisis capables de donner la chasse à toute personne désignée par Clay. On raconte qu’il fait pareil dans le Dédale et que les démons en ont une sainte frousse. Il est arrivé que certains invoquent directement l’Inquisiteur, espérant sans doute le gagner à leur cause : c’est très dangereux.

ASHES Ashes ne s’intéresse pas vraiment au jeu de pouvoir qu’adorent certains de ses semblables. Il lui arrive de leur fournir les informations que ses protégés ont recueillies sur l’oreiller, mais elle se garde bien de prendre parti ou de chercher à les concurrencer. De fait, l’organisation d’Ashes est assez lâche. Les démons qui travaillent pour elle lui ressemblent et sont avant tout attirés par les désirs charnels des humains. Ils entretiennent peu de plans à long terme. La plupart des services que l’on demande à l’organisation d’Ashes sont donc d’ordre passionnel, sensuel ou ouvertement sexuel. Découvrir de nouveaux plaisirs ou espérer séduire la femme de ses rêves sont des demandes typiques. Ashes et ses démons peuvent naturellement répondre à des sollicitations différentes et plus complexes – piéger quelqu’un en l’engluant dans une liaison arrangée, par exemple – mais ne le feront que si ça les amuse. Et Ashes se lasse très vite. Les moyens de paiement préférés d’Ashes tournent autour de l’avilissement volontaire du demandeur, encouragé à satisfaire tous ses instincts. Avilir un tiers, généralement innocent, est aussi un moyen de paiement commun. Quelques services plus traditionnels – menaces, rétorsion, investissements - sont également nécessaires pour assurer que la partie «  humaine  » du réseau d’Ashes reste florissante.

LE VOYEUR

MOJO 70, HUMANITÉ 60 Démon pervers à l’avatar de vieillard cacochyme et concupiscent, le Voyeur aime regarder et diriger. Il prend son pied quand on abandonne ses inhibitions devant lui ou quand un client se résout à ce qui le répugne, juste par appât du gain ou nécessité d’un service. Peu d’invocateurs chevronnés font appel à lui  : ses exigences sont toujours d’ordre sexuel et surtout, il n’a pas les moyens de ses ambitions. On n’obtient donc de lui que des services à faible valeur

ajoutée. Cela n’empêche pas son business d’être prospère : il n’est jamais en manque de débutants mal informés ou de désespérés. Il a même quelques habitués volontaires qui semblent apprécier ses directives. On peut éventuellement négocier des échanges d’informations avec le Voyeur, mais son terrain de chasse n’inclut pratiquement jamais les hautes sphères.

CHERYL

MOJO 100, HUMANITÉ 50 Cheryl aime à se présenter comme un objet sexuel à la disposition de ses clients. C’est le seul genre de service qu’elle accepte de rendre. Pour ce faire, elle possède toujours la même enveloppe charnelle : une jeune femme à la limite de l’autisme, Élisabeth Trent, qui vit d’une pension versée par son industriel de père dans un appartement de Carnelly Hill. Jolie malgré sa pâleur et ses vêtements informes, Élisabeth devient sous l’impulsion du démon une insatiable nymphomane livrée aux désirs, même les plus brutaux, des clients de Cheryl. Les moyens de paiement exigés par Cheryl sont toujours des cadeaux de luxe ou de l’argent liquide qu’elle utilise pour s’étourdir de plaisir avant d’abandonner Élisabeth, épuisée et meurtrie, dans un état proche de la catatonie.

LE PRÊTRE

MOJO 120, HUMANITÉ 140 Le Prêtre est en quelque sorte le fer de lance de la tendance d’Ashes à organiser une sorte de culte païen autour de sa personne. Il se présente toujours sous des dehors mystiques, promettant illuminations, révélations et élargissement des sens. Tous ses grands discours ésotériques finissent invariablement par une partouze en hommage à sa patronne. L’influence du prêtre est forte dans certains milieux aisés d’Heaven Harbor qui camouflent leurs appétits sous un vernis de respectabilité. Le Prêtre peut donc être une bonne source d’informations.

HELLYWOOD STORIES

295

PIECES Sorte d’incarnation malsaine du chaos, Pieces ne semble suivre aucun plan rationnel. Il piétine ce qui lui chante, se heurtant aux autres Asservis ou aux organisations humaines avec dédain et détachement. Son vaste réseau est composé de démons plus dingues les uns que les autres, souvent incapables de collaborer et qui n’hésitent pas à se nuire mutuellement. Les clients de Pieces et de sa clique sont invariablement désespérés – ou totalement ignorants. On peut y ajouter quelques ambitieux audacieux qui s’imaginent miser sur un outsider prometteur sans se rendre compte que la versatilité de Pieces ne peut cadrer avec des plans à long terme. Celuici touche à tout, avec une préférence pour tout ce qui corrompt et bouscule l’ordre établi. Actuellement, il s’amuse beaucoup avec la drogue, mais personne ne sait si cela révèle un plan mûri. Il se peut que Pieces s’en détourne subitement, par ennui ou par inspiration soudaine, pour toute autre chose. Il n’y a donc pas de règles sur les demandes que Pieces et ses démons acceptent ou déclinent. Cela s’applique également aux paiements demandés même si Pieces s’emploie actuellement à mettre son nez dans les réseaux de distribution de drogue et a donc besoin de quelques services bien ciblés. Les démons de Pieces sont très indépendants. En recourant à son « organisation », on peut s’attacher des spécialistes efficaces, mais aussi s’acoquiner avec des monstres répugnants. C’est toujours une grande loterie.

LURK

MOJO 50, HUMANITÉ 40 Méchant et mesquin, Lurk est une sorte de démon frappeur qui aime avant tout tourmenter ses victimes. Il s’attaque souvent aux plus faibles, aux impressionnables ou aux moins stables, que ce soit dans les orphelinats ou les maisons de repos d’Heaven Harbor. S’il n’est guère dangereux en soi, son acharnement entraîne souvent

296

HELLYWOOD STORIES

des drames  : automutilations, suicides ou explosions de violence. Pieces le charge justement de ce genre de mission et certains invocateurs le contactent pour s’attaquer à un tiers. En paiement, il ne demande que des petits objets personnels de ses victimes, qu’il semble collectionner avec un appétit féroce. Peu onéreux, mais sans aucune assurance  : Lurk est imprévisible et on ne peut pas lui faire confiance. Il lui arrive même de se retourner contre ses clients.

LE CHACAL

MOJO 100, HUMANITÉ 80 Un démon vicieux et violent, qui exauce toutes sortes de vœux en échange de services divers, mais toujours brutaux. Son avatar de prédilection est un hobo pouilleux à la peau malade et de fait, il emploie régulièrement des clodos désespérés du HoboLand pour assurer la réalisation des services qu’il a promis. Inutile de l’invoquer pour des conspirations complexes  : le fond de commerce du Chacal est le meurtre brutal, la destruction de biens et la violence sous toutes ses formes.

PUZZLE

MOJO 60, HUMANITÉ 120 Étrangement posé pour un démon de Pieces, Puzzle est un as de la déstabilisation. Il s’amuse à saper toute forme de confiance ou d’organisation par tous les moyens possibles. Il utilise entre autres la désinformation, le chantage, la mise en scène, la création de faux documents. Miner les fondations de tout esprit humain est pour lui un sport. Son talent lui vaut d’être courtisé, notamment par l’organisation de Johnson, mais Puzzle reste fidèle à Pieces. Comme son maître, ce n’est pas le but qui importe, mais la manière : Puzzle aime ce qu’il fait, mais ne sert aucune cause. Il accepte donc toutes sortes de clients pour peu que le challenge semble intéressant. En paiement, il demande généralement des services pour l’assister dans les autres cabales qu’il gère au même moment.

SIX OF TEN Personne ne sait décrypter les choix et les objectifs de Six of Ten. Son réseau n’a aucune cohérence et la plupart des gens qui y font appel sont des ésotéristes qui cherchent des réponses aux grands mystères ou l’accession au véritable pouvoir. Il n’y a donc aucune règle en termes de services possibles ou de méthodes de paiement. Traiter avec Six of Ten ou l’un des siens, c’est entrer dans l’inconnu…

L’ESTHÈTE

MOJO 80, HUMANITÉ 160 L’esthète aime l’art. Il ne collectionne pas les œuvres en tant que telles  : il préfère posséder les artistes eux-mêmes. S’il assure la survie de plusieurs d’entre eux, en subvenant à leurs besoins, il régente aussi leur vie, que ce soit directement sous la forme de son avatar (une élégante femme d’une cinquantaine d’années) ou à distance par le biais de plusieurs hommes de main. Sa prévenance prend parfois des formes étranges, voire violentes. Après tout, l’inspiration prend de nombreux visages : la peur, le deuil ou la douleur en font partie. Bien sûr, ses goûts changent avec le

temps et il lui arrive aussi de détruire ce qu’il aime. Pourtant, nombreux sont ceux qui requièrent son attention, persuadés qu’il les aidera à marquer l’Histoire…

PROPHÉTIE

MOJO 200, HUMANITÉ 30 Ceux qui invoquent Prophétie le font invariablement pour la même raison  : connaître le futur. Ils n’obtiennent en réalité que des bribes d’information toujours cryptiques. Mais la plupart sont persuadés de la pertinence de ces éléments qui ne demanderaient qu’à être interprétés pour être clairs et efficaces. Les clients de Prophétie sont très différents, depuis le capitaine d’industrie jusqu’à la jeune femme esseulée avide de savoir si elle va enfin rencontrer l’âme sœur. Mais invoquer Prophétie est une tâche très délicate et même lorsqu’elle se présente, elle ne répond pas toujours aux sollicitations. Dernière particularité de Prophétie  : qu’elle parle du futur ou pas, elle ne demande jamais aucun paiement d’aucune sorte. Ce qui ne manque pas d’alimenter les rumeurs…

LES ROGUES Il n’y a pas de règles qui régissent l’activité des Rogues. Aucun garde-fou, aucune assurance. La plupart du temps, ça ne diffère pas beaucoup du tout venant, mais l’on peut parfois tomber sur de véritables prédateurs sans limites que les Asservis, par-dessus tout Clay, ne permettraient pas d’exister au sein de leurs légions.

L’ARRANGEUR

MOJO 100, HUMANITÉ 120 L’arrangeur rachète les crédits. Deux options : ou bien il fait réaliser par un tiers les services que vous devez à un démon ou un Asservi, ou bien il s’adresse directement à ce démon pour qu’il efface votre ardoise

moyennant compensation. Dans un cas comme dans l’autre, vous devenez son obligé. Plus vos dettes sont lourdes et plus vous lui serez redevable. Sans surprise, son réseau d’obligations est très étoffé, mais peu d’indices existent sur ce qu’il entend en faire à long terme.

L’ÉTREINTE

MOJO 140, HUMANITÉ 60 C’est une sorte de croque-mitaine dont même le plus aguerri des invocateurs parle à mi-voix. Certains affirment d’ailleurs qu’il n’est qu’une légende urbaine. On raconte qu’il aime à se faire passer pour d’autres démons, court-circuitant les invocations.

HELLYWOOD STORIES

297

D’autres disent qu’il reçoit les demandes des plus désespérés. On dit qu’il répugne à s’immiscer dans un corps humain alors que d’autres affirment qu’il est presque en permanence incarné dans le corps d’un vivant qu’il mutile consciencieusement avant d’en changer. Dans tous les cas, il semble bien que seules deux choses l’intéressent : la

mort et la souffrance. La plupart du temps, il ne respecte pas les clauses des marchés qu’il passe avec les inconscients qui l’invoquent. Certains auront toutefois satisfaction, mais le paieront cher, parfois de leur propre vie, souvent de celles de leurs proches. On dit que Clay a mis sa tête à prix, mais qu’ils sont peu nombreux à vouloir s’en occuper.

Play it again, Sam PRÉAMBULE Ce scénario à la trame assez simple propose aux personnages de découvrir Heaven Harbor en les lançant sur la piste d’une jeune femme enlevée. Pour la retrouver, ils vont devoir se balader d’un coin à l’autre de la ville, mettre à nu le passé trouble de la victime, secouer pas mal de gens dont certains ont le bras long et faire preuve d’opiniâtreté. L’homme qui va embaucher les personnages se nomme Charlie Barstow. C’est un ex-flic qui a pris sa retraite peu de temps après le Jour des Cendres et a ouvert une boite de jazz dans la Forbidden City, le Charlie’s Corner. Afin de faciliter les choses, partez du principe que les personnages connaissent bien Charlie Barstow. C’est le cas de plusieurs des personnages prêts à jouer de l’agence Metropolis, dont les bureaux sont d’ailleurs situés au dessus de la boîte. Dans tous les cas, Charlie aime

298

HELLYWOOD STORIES

bien les PJ et les PJ aiment bien Charlie. Ils traînent souvent dans sa boîte et Charlie a pu à l’occasion leur rendre des services. Cette amorce part du principe que les personnages jouent des indépendants. S’ils sont flics, pas de souci  : Charlie a gardé des contacts dans la maison et fera appel aux personnages « off the record ». Si vous faites jouer des mafieux, ce sera plus compliqué, Charlie ne fricotant pas avec le crime organisé. Toutefois, des liens personnels peuvent unir Charlie et certains personnages.

JAZZ ET BASTON POUR SE METTRE EN JAMBES

Lorsque notre histoire commence, les personnages sont tous attablés dans la boîte de Charlie Barstow, le Charlie’s Corner, un club de jazz au cœur de la Forbidden City. La soirée est très avancée  : à vrai dire, il ne reste plus que quelques habitués et les employés de Charlie qui commencent à ranger les chaises et à passer le balai. Les personnages eux-mêmes attendent que Charlie se montre : il leur a fait savoir qu’il voulait leur parler mais pour l’instant, il fait les comptes de la soirée dans son bureau avec son comptable Dean. Malgré l’heure tardive, tout le monde est encore sous le charme  : la belle Lucy, perle métisse à la voix rauque découverte par Charlie, a enchanté toute la salle lors de son tour de chant, ce soir. Elle est depuis peu l’attraction numéro 1 du Charlie’s Corner et on murmure qu’un producteur s’intéresse de près à elle. Alors que les personnages sirotent leur dernier whisky, elle prend un verre avec les membres du groupe. C’est le moment choisi par une bande de petits merdeux pour venir mettre le boxon. Ils sont sept jeunes noirs chargés de cachets jusqu’aux oreilles qui essaient de jouer aux durs malgré leurs boutons d’acné. Armés de chaînes, de battes de base-ball ou de planches, ils commencent à hurler en bousculant le mobilier. Reconnaissant Lucy, devenue blême, ils se mettent à l’insulter, la traitant de tous les noms. Si personne n’intervient, l’un d’entre eux, le plus vieux et le plus vicieux s’approche d’elle en brandissant une lame à cran d’arrêt. Il est peut-être temps de mettre fin à cette mascarade, non ? Ça ne devrait pas poser de soucis aux tough guys. Les gamins ne sont pas réellement dangereux, à l’exception peutêtre du meneur, Howie. Mais même lui n’est pas venu ici ce soir pour mourir. Dès qu’un argument un peu sérieux, comme un calibre, sera sorti, ils essaieront tous de

se tirer. Il est bien entendu possible d’en attraper un au collet et il dira que c’est leur chef, Eddy, qui leur a demandé de mettre un peu de désordre, juste pour rappeler à Lucy d’où elle vient et ce qu’elle doit.

MEMBRE DES AVENGERS PETITE FRAPPE - / 50, 30, 30 / 0 Si les personnages décident de ne pas intervenir, les musiciens et le barman s’interposeront entre les gamins et Lucy avant que les deux videurs, occupés à déguster un steak dans la cuisine, ne se rendent compte du grabuge et ne débarquent à leur tour, suivi de Charlie et sa batte. Après avoir rassuré Lucy, terrifiée, Charlie demandera à parler en privé aux personnages. Si ceux-ci ne sont pas intervenus, toutefois, il hésitera avant de se confier à eux, ce qui peut remettre en cause la suite de l’aventure.

UN ENDROIT SYMPA

Le Charlie’s Corner n’est pas la plus connue des boites de la Forbidden City mais sa réputation grandit, notamment depuis que Lucy s’y produit régulièrement. On y croise un public varié et pas mal de flics du 22   District venus saluer Charlie. Depuis peu, quelques personnalités en vue ont fait leur apparition pour assister à la prestation de Lucy. N’hésitez pas à faire vivre la boîte en utilisant par exemple ses employés : ème

HELLYWOOD STORIES

299

Buddy, le Barman du Charlie’s Corner est un golem, superbe dans son costume blanc. C’est un rigolo et un bavard, copain avec tout le monde et jamais à court d’anecdotes tordantes. Mais il déteste les ennuis et fait tout pour s’en tenir éloigné. Deux frères, Mickey et Clay Gorman, s’occupent de la sécurité du Charlie’s Corner. Ce sont deux grandes brutes aux regards bovins, bêtes et méchants mais totalement dévoués à Charlie. Le plus clair de leur travail consiste à éjecter les indésirables ou les clients trop imbibés pour rester corrects. Ils sont très bon pour ça mais ce ne sont pas des héros : la vue d’un canon de revolver fait fondre illico leur aplomb… Charlie accueille sur sa scène de nombreux musiciens, souvent des découvertes. Actuellement, c’est le Wilbur Somerset Band qui accompagne la belle Lucy. Ces cinq types sont fort sympathiques mais,

la plupart du temps, camés jusqu’aux yeux. Andrea est la plus jolie serveuse du Charlie’s Corner. Cette fille est une sympathique écervelée, adorable mais inconséquente. Elle semble avoir un penchant naturel pour les imbéciles musclés et méchants, ce qui lui a parfois valu de sérieux problèmes. Mr Dean est le comptable de Charlie. Ce possédé grimaçant se trimballe une sale réputation, on raconte qu’il sert d’invocateur à Charlie et à d’autres… C’est du pipeau  : Dean est vraiment comptable et passe le plus clair de son temps à gérer sa propre petite affaire, une chaîne de laveries automatiques réparties dans tout Heaven Harbor. Et puis, bien sûr, il y a Lucy, frêle métisse à la voix rauque et sensuelle. Lucy est une très jolie fille mais elle est timide et farouche. Elle semble en permanence effrayée et ne se lie pas facilement.

UNE AFFAIRE QUI ROULE RENDRE SERVICE AUX AMIS

Charlie explique rapidement la situation aux personnages. Il a récupéré Lucy dans la rue et ce fut comme un cadeau de Dieu. Il l’a fait décrocher de la cocaïne. Depuis, il veille sur elle comme un cerbère. Malgré les rumeurs, il ne couche pas avec elle, la considérant presque comme la fille qu’il n’a pas eue. Aujourd’hui, il veut lancer sa carrière et lui offrir la vie qu’elle mérite. Charlie sait qu’elle en a bavé par le passé mais ne connaît pas les détails. Lucy a notamment été prostituée par un gang de jeunes noirs d’Aisbury Park, des gamins qui jouent aux durs et se font appeler les Avengers. Leur chef, un roquet nommée  Eddy, a contacté Charlie pour lui extorquer de l’argent. Il détient des photos compromettantes de Lucy, dont Charlie pourra montrer quelques exemples aux personnages. Charlie a refusé de payer et la petite descente de ce soir est certainement la réaction d’Eddy à son refus.

300

HELLYWOOD STORIES

Charlie ne veut pas mettre la police dans le coup : il craint pour l’avenir de sa protégée et ne veut pas que cette histoire s’ébruite et nuise à Lucy alors que de belles opportunités s’offrent à elle. Il veut qu’elle oublie son passé et que plus rien ne le lui rappelle. Charlie demande donc aux personnages de s’occuper des Avengers. Rien de définitif  : il suffit de leur faire peur, de bien leur faire comprendre qu’ils ne jouent pas dans la même catégorie et de récupérer les photos. Charlie est prêt à rémunérer les personnages si ceux-ci en font la demande.

BALADE AU PARK

Tout cela a l’air d’une promenade de santé. Les Avengers sont de petites frappes d’Aisbury Park, sans grande envergure. Si les personnages sont prudents, ils activeront leurs contacts pour s’assurer que rien ne se cache derrière ces minables, et surtout pas Ray Constance ou Mickey Ballantine. Apparemment, aucun lézard  :

les Avengers sont des petits joueurs, qui se sont faits plusieurs fois rosser par les durs de Constance et restent sagement dans leur rue, à vendre les quelques doses qu’ils réussissent à se procurer et à prostituer leurs petites sœurs.

EDDY CHEF DES AVENGERS + / 80, 30, 30 / 5 Les tough guys peuvent donc sereinement aller leur secouer les puces. Les Avengers se réunissent autour d’Eddy dans un petit entrepôt crasseux. Ils sont prêts à se défendre, les plus enragés comme Howie peuvent même sortir un couteau ou un rasoir, mais ils n’ont pas d’armes à feu et ne sont pas idiots. Peu de chance donc que cette rencontre se transforme en bataille rangée. Eddy joue au caïd, appelle Lucy «  ma meilleure gagneuse » ou « ma petite sœur », explique qu’il a été le seul à s’occuper d’elle quand sa mère, qui l’avait élevée seule, est morte. Il tente d’impressionner les personnages, du moins si ceux-ci lui en laissent le temps avant de s’énerver. Si les personnages ont des arguments vraiment frappants, ils peuvent facilement récupérer les négatifs des photos de Lucy. Une fois la tronche en morceaux, Eddy jurera qu’il a déjà oublié Lucy et qu’il ne cherchera jamais à la revoir. Promis, juré, si je mens je crache mes dents.

CA SE COMPLIQUE

Rien de plus efficace qu’un peu d’activité physique pour se tenir en forme. L’affaire est classée, Charlie paie une

tournée, félicite les personnages et brûle ostensiblement les photographies. Les personnages viennent d’offrir une nouvelle vie à Lucy, dit-il avec emphase. Mais on n’efface pas le passé aussi facilement. Laissez les personnages revenir à leur routine. Lancez-les sur quelque chose d’autre, éventuellement. Quelques jours après leur petite promenade à Aisbury Park, Charlie les contacte, dans tous ses états  : Lucy a été enlevée, dans son petit appartement de la City. Les ravisseurs n’ont pas fait de détails et se sont promptement débarrassés des deux crétins de videurs à qui Charlie avait demandé de garder un œil sur sa protégée. D’après la logeuse, Lucy a été jeté dans une grosse voiture et la seule chose qu’elle a vue, c’est la tronche ricanante d’un possédé à la peau rouge brique. Charlie n’a pas parlé des personnages aux flics chargés de l’affaire et leur demande de faire leur propre enquête. Il est bien placé pour savoir que retrouver une chanteuse noire ex-junkie ex-prostituée ne sera jamais une priorité pour l’honorable HHPD.

RETOUR À AISBURY PARK

Si on leur avait dit qu’ils retourneraient aussi vite à Aisbury Park, les personnages ne l’auraient sans doute pas cru. Même si le modus operandi  des kidnappeurs ne cadre pas avec ses petits moyens, Eddy est naturellement le premier sur leur liste. Il a encore des pansements plein la figure (si les personnages ont bien fait leur travail lors de la première rencontre) et il jurera ses grands dieux qu’il n’est pour rien dans l’enlèvement de Lucy. Attention, toutefois : depuis leur visite, Eddy s’est trouvé un flingue. S’il a suffisamment la trouille pour craindre pour sa vie, il peut tout à fait faire monter les enjeux et tirer comme un imbécile. Si les personnages réussissent à calmer le jeu – par exemple en le désarmant et en lui recassant le nez – Eddy pourra leur expliquer qu’il

HELLYWOOD STORIES

301

s’est passé du temps entre le moment où Lucy s’est enfuie de son quartier et sa récupération par cette bonne âme de Charlie. Lucy a donc pu se mettre dans plein d’embrouilles pendant cette période. En creusant un peu, on peut même se rendre compte qu’Eddy est vraiment amoureux… Sacré Eddy, va.

ENQUÊTE

Les tough guys repartent donc de zéro et doivent commencer à enquêter sur le passé de Lucy. C’est auprès des quelques

«  gagneuses  » des Avengers – en fait de pauvres gamines camées – que l’on pourra décrocher la piste la plus intéressante. L’une d’elles, Belinda, se souvient que lorsque Lucy est partie, c’était pour rejoindre un de ses clients réguliers, un blanc, « un petit jeune friqué qu’avait le béguin pour elle et lui avait promis une vie de princesse, un certain Johnny Junior  ». En secouant les puces de tout ce petit monde, on pourra affiner cette info et apprendre qu’un certain John Farnsworth Junior venait s’encanailler dans le quartier il y a encore quelques mois…

Les photos de Lucy peuvent être l’occasion de compliquer l’intrigue en y insérant plusieurs fausses pistes. Nous avons estimé que sur ces photos, on ne voyait que Lucy, dénudée mais seule ou avec des partenaires inidentifiables. Et si ce n’était pas le cas ? Si plusieurs têtes connues apparaissaient sur ces clichés ? Autant de raisons de faire disparaître Lucy et de balader les personnages dans des impasses

RICHES, PUISSANTS ET DÉVIANTS LES FARSNWORTH

Voilà une belle et grande famille américaine. Le père, John Senior, est un redoutable investisseur qui a bâti sa fortune en rachetant des entreprises en faillite pour les démanteler. Histoire de se détendre, il aime bien les parties fines entre gens de bonne compagnie. Ce qui ne l’empêche pas de se désespérer des tendances de son rêveur de fils, John Junior, qui n’a rien trouvé de mieux que de s’encanailler à Aisbury Park, parmi la racaille ! Sans parler de sa fille, Lize, une nympho dévergondée déjà irrémédiablement alcoolique à 19 ans. Sa femme, la pieuse Nathaly, tente d’oublier dans la prière et les médicaments que sa famille est en passe de se désintégrer…

302

HELLYWOOD STORIES

Mais approcher les Farnsworth et apprendre tout cela n’est pas une mince affaire. Ces gens-là n’ont pas de temps à consacrer aux personnages, ils sont trop occupés à gagner de l’argent et à le dépenser. Se mettre dans l’orbite des Farnsworth est donc une aventure en soi. On peut éventuellement s’intéresser à l’avoué de John Sr, un certain Henry Marduck qui a des nombreuses choses à cacher, à commencer par ses dettes de jeu. On peut tenter une approche directe de John Sr dans son club mais le type est hautain et peu ouvert à la discussion, surtout avec des inconnus visiblement loin de son standing. Bien sûr, face à une arme ou le nez en sang, John Senior se déballonne immédiatement.

Mais c’est la porte ouverte aux ennuis… Les Farnsworth n’ont pas le pouvoir de nuisance de l’un des 9, mais leur réseau de relations n’est pas à sous-estimer…

entichée de Lucy mais papa a mis bon ordre là dedans. Hors de question qu’une liaison «  colorée  » dénature la famille. Johnny est parti en Europe « pour se laver la tête de la belle Lucy » et la gamine a retrouvé la rue. Fin de l’histoire.

LES CULCULTISTES

Sauf que papa Farnsworth oublie toutefois de dire qu’il a revu Lucy depuis qu’il l’a congédiée de sa belle maison…

SOIRÉES PARTICULIÈRES

JOHN FARNSWORTH SENIOR ENTREPRENEUR ++ / 40, 80, 100/ 10

Farnsworth a en effet fréquenté quelquesunes des soirées « exotiques » organisées par Marylin Mayweather, gourou d’une bande de wasp allumés du cul et accessoirement succube qui se camoufle bien. Marylin organise le plus souvent ses soirées à thème démoniaque, gentiment décadentes, dans sa villa moderne de Partridge Hill, la colline chic d’Heaven Harbor. Après son aventure avec Junior, Lucy a replongé dans la drogue. Pour se payer sa dose, elle a accepté la proposition de Marylin et a payé de sa personne dans une douzaine de « cérémonies » du culte des sens de Marylin.

LIZE FARNSWORTH PETITE FILLE RICHE DÉVERGONDÉE + / 40, 60, 120 / 5 L’approche parallèle, par exemple via les nombreux serviteurs qui briquent la belle maison victorienne de Remington Heights, peut être fructueuse. Enfin, il y a matière à creuser du côté de la jolie mais vulgaire Lize. Il ne faut toutefois pas avoir peur de se retrouver avec un boulet alcoolo au pied, sans compter les balèzes que papa emploie pour ramener à la maison sa fille défoncée à chaque fois qu’elle sort. Que du beau monde… Bref, quel que soit le moyen, on apprendra le même chose : Johnny s’est bien

MARYLIN MAYWEATHER SUCCUBE GOUROU ++ / 60, 100, 150/ 20 C’est là, à sa grande surprise, que papa Farnsworth s’est retrouvé nez à nez avec Lucy, qui, complètement shootée, ne l’a même pas remarqué.

HELLYWOOD STORIES

303

REMONTER LE COURANT

Cela, Farnsworth ne le révélera aux personnages que s’il y est contraint par la force. Mais il y a d’autres moyens de le coincer. Si les personnages l’ont harcelé à propos de Lucy, Farnsworth organisera un rendezvous avec Marylin, dans un restaurant chic du Strand, pour l’avertir que des curieux risquent de poser problème. Par ailleurs, Lize sait tout des mauvaises fréquentations de papa, elle l’a déjà suivi et fouille sans vergogne dans les papiers personnels de son paternel. Si elle voit une réelle opportunité d’emmerder son père, elle n’hésitera pas. Une fois identifiée Marylin, il ne reste plus qu’à donner un grand coup de pied dans cette ruche d’obsédés. C’est un jeu dangereux : Marylin a des clients influents et a chargé Robert, un gigantesque golem, de la sécurité de sa petite entreprise. Par ailleurs, un flic des Mœurs, le détective Ray Coop, couvre Marylin en échange d’enveloppes régulières et pourra se révéler une sévère contrariété. Enfin, Marylin, jusque là indépendante, est en négociation avec le réseau de l’Asservi Ashes… L’invocateur privé de Marylin, le sinistre Mike Kelby, contacte régulièrement un démon nommé Kyp et pourra demander à celui-ci de l’aide si les personnages deviennent trop envahissants. Bref, c’est une guerre à petite échelle qui peut s’enclencher entre Marylin et les personnages s’ils choisissent l’affrontement ouvert. Une négociation raisonnée aura de meilleures chances d‘aboutir. Laissez-les toutefois choisir leurs méthodes.

ROBERT LE GOLEM GARDE DU CORPS ++ / 200, 50, 50 / 5

DÉTECTIVE RAY COOP FLIC CORROMPU ++ / 80, 120, 90 / 20

MIKE KELBY INVOCATEUR ++ / 40, 180, 70 / 20

304

HELLYWOOD STORIES

LE FOU LE GENDRE IDÉAL

En réalité, Marylin n’a rien fait à Lucy et n’est pas responsable de sa disparition. Mais si on secoue suffisamment le cocotier, au risque de lui faire de la mauvaise publicité, elle finira par donner aux personnages le nom de Robert Corkindale Gardner III, jeune héritier d’une usine métallurgique et obsédé déviant. Marylin a été contrainte de l’exclure de son cercle : il allait trop loin. Après tout, ces petites réunions restent folkloriques et cela ne suffisait plus à Robert. Il a « dérapé » à plusieurs reprises avant de complètement péter un plomb. Obsédé par Lucy, il a commencé à la frapper avant de vouloir graver son nom sur elle avec un coupe-papier. Sa façon à lui de dire «  je t’aime  »….Marylin n’a pas revu Robert depuis cette soirée mais il n’est pas impossible qu’il ait cherché à revoir Lucy… Robert Corkindale Gardner III est bien l’homme qui a fait enlever Lucy. Il a chargé de cette besogne son homme de main, le possédé Leech. Robert est introuvable chez lui ou dans ses bureaux du Financial District mais il fait construire une nouvelle résidence dans la Valley. La maison n’est encore qu’un squelette de bois au milieu des terrains vagues et des chantiers de construction. C’est là qu’il retient Lucy prisonnière, sous la surveillance de Leech et de quelques hommes de main.

VIRÉE DANS LA VALLEY

Espérons que les tough guys se dépêcheront  : Robert martyrise la jeune femme. Jaloux, il la veut «  entièrement pour lui » et finira, dans un accès de colère, par lui trancher les cordes vocales avant de s’occuper de chacun de ses membres si on lui en laisse le temps... Après tout, une femme tronc muette, quoi de plus fidèle et aimant ? S’ils veulent récupérer Lucy en un seul morceau, la subtilité n’est plus de mise. C’est le moment pour un joli showdown dans la vaste maison en construction, au milieu des planches et des bâches. Leech et ses hommes ne sont pas les mômes d’Aisbury Park : le sang va couler. Quand à Robert, à vous de décider s’il est présent et subira la juste colère des tough guys, ou s’il est absent. Dans ce cas, il se retranchera derrière une armée de tueurs et d’avocats et clamera ses grands dieux n’être au courant de rien. Mais les tough guys savent bien que personne n’est réellement intouchable si l’on est suffisamment motivé…

LEECH TUEUR POSSÉDÉ ++ / 150, 100, 60/ 10

ROBERT CORKINDALE III PSYCHOPATHE ++ / 90, 120, 120 / 20

HELLYWOOD STORIES

305

ÉPILOGUE Les personnages ont sauvé Lucy… … ou pas. A vous de voir s’ils ont été rapides ou s’ils ont traîné, auquel cas ils ne découvriront qu’un cadavre martyrisé. Si Lucy est vivante, les personnages auront gagné sa reconnaissance éternelle et celle de Charlie. Une jolie carrière s’ouvre devant la jeune femme et elle se souviendra de ce qu’elle doit aux personnages. Dans le cas contraire, Charlie remerciera les personnages pour

leur aide, fermera sa boîte et commencera une sanglante vendetta jusqu’à ce qu’il estime avoir vengé la jeune femme. Ça risque de faire des tâches… Les personnages laisserontils Charlie s’autodétruire, tenteront-ils de le raisonner ou le rejoindront-ils dans son voyage sans retour ? Dans tous les cas, nos amis tough guys auront vraisemblablement remué beaucoup de vase. Selon la façon dont ils auront mené leur enquête, ils peuvent même s’être attirés de très violentes rancunes. Il va falloir vivre avec…

La Prison de Verre PRÉAMBULE La Prison de Verre est un scénario qui s’inspire directement de la construction complexe des histoires de Dashiell Hammett et Raymond Chandler. Il est recommandé pour des tough guys avec un peu de bouteille, qui ne se laisseront pas désarçonner par le fait d’être dans le flou pendant une bonne partie du scénario ou d’être directement menacés par diverses factions. Prévoyez aussi un peu de temps devant vous, le scénario étant plutôt long, surtout si vous développez toutes les intrigues parallèles et autres fausses pistes. Pour des besoins de clarté, le scénario a été écrit de façon linéaire, mais il n’est évidemment pas nécessaire de le faire jouer tel quel. En particulier l’ordre des

306

HELLYWOOD STORIES

scènes d’enquête, où les personnages rendent visite à tel ou tel protagoniste pour l’interroger, dépendra grandement du choix des joueurs.

UNE PROPOSITION QU’ON NE PEUT PAS REFUSER Lorsque le scénario commence, les personnages sont dans un restaurant chic de Little Italy, face à  Don Michael Marsella  et à quelques-uns de ses plus féroces lieutenants. Une fois ceux-ci congédiés, le parrain leur explique la raison de leur présence. Son frère aîné,  Aldo, vient d’obtenir sa libération sur parole après douze années passées au pénitencier de Santa Esperanza pour meurtres avec actes de barbarie. Officiellement, Michael est ravi de retrouver son frère, mais officieusement, l’ambitieux parrain craint les débordements et surtout les éventuelles ambitions de l’incontrôlable Aldo. C’est justement là qu’interviennent nos tough guys  : ils sont les plus qualifiés pour rendre une petite visite de courtoisie à ce cher Aldo, en essayant au passage d’en savoir un peu plus sur ses projets, et en lui secouant

un peu les puces pour le convaincre de se tenir à l’écart des affaires de son petit frère. Un boulot simple, en somme, et qui rapporte gros : mille tout de suite, mille une fois que ce sera fait.

ALDO MARSELLA EX-TAULARD CINGLÉ ++ / 120, 40, 60 / 20

QUELS PERSONNAGES ? Selon que vos joueurs incarnent des indépendants, des flics ou des mafieux, il y a différentes façons de les impliquer dans ce scénario. La plus simple est sans doute celle d’en faire des mafieux à la solde de Michael Marsella. S’ils servent une autre organisation criminelle, en revanche, un petit travail d’adaptation sera nécessaire pour transposer l’intrigue chez les irlandais, les russes ou à Aisbury Park. Mais il est également tout à fait possible de faire jouer ce scénario à des indépendants ou à des flics jouant le rôle d’indépendants pour arrondir leurs fins de mois, c’est d’ailleurs dans cette optique qu’il a été écrit. Pour accrocher davantage vos personnages, vous pouvez décider qu’ils ont chacun une raison d’en vouloir à Aldo Marsella et que c’est pour cette raison que le parrain les a choisis. Enfin, vous pouvez bien sûr utiliser les personnages prêts à jouer présentés dans ce livre. Il s’agira alors d’un travail confié à l’agence Metropolis par Don Marsella, avec Angelo Motta en observateur. Quant à Lester Lewis, Tom O’Riley et Martin Chester, il n’est pas impossible qu’ils aient besoin de quelques dollars pour se payer du bon temps ou améliorer le quotidien.

HELLYWOOD STORIES

307

L’AUTRE MARSELLA Les personnages se retrouvent donc en bas de l’hôtel miteux du Hook Quarter où Aldo a élu domicile après sa libération. S’ils sont très attentifs (test de Vigilance contre 60) ils pourront apercevoir une Ford de couleur sombre garée non loin de là et semblant attendre quelque chose. S’ils s’approchent, elle décampera aussitôt. La chambre d’Aldo, quant à elle, ne recèle pas de surprise, hormis peut-être la présence d’une blonde sculpturale, Heather, que l’ex-convict congédie rapidement afin de pouvoir discuter en toute sérénité avec les PJ. S’il était déjà un peu fêlé avant son séjour en prison, les choses ne semblent pas vraiment s’être arrangées. Il est comme absent durant toute la conversation, ne semblant pas comprendre les enjeux dont lui parlent ses interlocuteurs. De fins psychologues pourraient peut-être déceler de la peur au milieu de ce comportement incohérent, mais impossible d’en savoir plus.

Si les personnages se décident à employer la manière forte, comme l’avait prescrit Don Michael, les réflexes de taulard reprennent le dessus et le grand frère se révèlera un adversaire acharné. Mais le nombre est en principe du côté des PJ qui devraient donc s’en tirer sans trop de problèmes.

HEATHER WESTMORE ÉGÉRIE DE LA MAFIA + / 20, 60, 120 / 10

POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS Décidément, le boulot ne manque pas pour les personnages. A peine sontils revenus de chez Aldo Marsella qu’ils sont contactés par un homme qui se fait appeler Jeremy Smithson pour leur donner rendez-vous au Charlie’s Corner. Il leur explique qu’il est victime d’un odieux chantage  : il est en relation avec un privé du nom de Nick Belowski qui dit posséder des photos de lui dans une position particulièrement compromettante. Sans en dire plus, il explique aux PJ que ce Belowski ne demande pas d’argent mais un service que Smithson est bien décidé à ne pas lui rendre. Il est donc prêt à donner une somme rondelette aux tough guys pour qu’ils règlent le problème par un autre moyen.

308

HELLYWOOD STORIES

Le bureau du privé se trouve en plein quartier irlandais, à Paddy Hill, juste en face de la cathédrale. Il ressemble à ceux qu’on peut voir dans les films, avec un nom écrit sur la porte en verre, une antichambre où trône le bureau d’une secrétaire qui, à en juger par l’aspect des lieux, n’a pas du y mettre les pieds depuis un moment. La pièce suivante est le bureau du détective, lequel est en train de piquer un somme la tête la première sur sa machine à écrire Remington, entouré de cadavres de bouteilles de scotch et de gin. C’est un homme entre deux âges, aux yeux fatigués, au teint rougi par la pratique régulière de la boisson et à l’embonpoint proéminent. La pièce dans laquelle il travaille trahit un manque sérieux d’organisation et de professionnalisme. En un mot, Belowski est un minable.

grand-chose qui puisse faire peur à Belowski, y compris la violence physique. Par contre, la promesse d’une bouteille pourrait rapporter gros, non seulement la combinaison mais en prime le nom de son employeur, un certain  Corwyn Marty, une petite frappe irlandaise actuellement derrière les barreaux.

NICK BELOWSKI PRIVÉ MINABLE - / 60, 40, 40 / 10 Il mettra plusieurs longues minutes avant d’émerger et de s’apercevoir de la présence de ses visiteurs, ce qui laisse le temps aux tough guys de fouiller rapidement les lieux, à la recherche des photos. Ils ne les trouveront pas, mais tout indique qu’elles sont à l’abri du coffre encastré dans le mur derrière le bureau. Reste à obtenir la combinaison  : dans son état, il n’y a pas

CORWYN MARTY PETITE FRAPPE - / 40, 40, 60 / 5

DU POULET AU PETIT-DÉJEUNER Si nos tough guys pensaient s’accorder quelques vacances grâce à leurs récentes rentrées d’argent, c’est râpé… Ils sont réveillés dès la première heure par deux flics bien décidés à les emmener dans les bureaux de la criminelle pour un petit interrogatoire matinal. Sans café ni croissant. Évidemment, ils ont tout loisir d’échapper à cette amicale invitation en fonçant dans le tas, mais cela reviendrait à être en cavale jusqu’à la fin du scénario, et surtout ce n’est peut-être pas nécessaire, comme ils ne vont pas tarder à s’en rendre compte. Les deux inspecteurs qui les interrogent se nomment Malcolm et Hobbes : le premier est un petit irlandais pas très costaud, mais rusé et particulièrement vicieux, tandis que son collègue est une grande brute de près d’un mètre quatre-vingt dix, tout en muscles et sans un gramme de finesse.

C’est évidemment Malcolm qui mène l’interrogatoire, Hobbes ne servant qu’à imposer le respect et à donner quelques coups dans les murs de temps à autre. Assez rapidement, les policiers mettent les personnages au parfum : Aldo Marsella vient d’être retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel, une balle dans la nuque. D’après le légiste, la mort remonte à peu près au moment où les PJ lui ont rendu visite. Les voilà donc plutôt dans de sales draps, même si les deux inspecteurs ne semblent pas accorder une grande importance à l’affaire. Après tout, cet Aldo était une crapule qui ne risque pas de manquer à la société. Reste donc à trouver une explication à peu près plausible, en mouillant éventuellement Michael Marsella à l’histoire, s’ils ne craignent pas trop les conséquences…

HELLYWOOD STORIES

309

MALCOLM FLIC VICIEUX + / 60, 100, 80 / 10

HOBBES FLIC BRUTAL + / 160, 40, 40 / 10

LE CHAGRIN D’UN FRÈRE Et puisqu’on parle de l’autre Marsella, il ne risque pas de mettre très longtemps à leur tomber dessus. Lui ou plutôt ses sbires, à savoir son âme damnée de géant sicilien, Luca, et une demi-douzaine de porte-flingues aux anchois. Toute résistance ne servirait, au mieux, qu’à donner un peu de temps aux PJ, parce que s’ils ne se rendent pas tout de suite aux nervis de Marsella, c’est tout Little Italy qui finira par leur tomber dessus.

LUCA BRUTE SICILIENNE ++ / 150, 20, 20 /10 Ils seront donc en fin de compte conduits dans l’arrière-boutique du restaurant du début pour y pleurer sur le sort du pauvre Aldo. Et si les larmes ne leur viennent pas spontanément, Luca se fera un plaisir de les y aider. Une fois qu’ils seront suffisamment amochés, Don Marsella fera son entrée,

310

HELLYWOOD STORIES

tout en noir et avec la tête de circonstance. C’est le moment de sortir le grand jeu pour convaincre le parrain qu’ils ne sont pour rien dans la mort de son frère. Quant à lui, difficile de savoir. Il n’a pas vraiment l’air aussi triste qu’il veut bien le faire croire, mais il est très embêté par les soupçons qui pourraient faire beaucoup de mal à son autorité morale sur sa famille.

LES PORTE-FLINGUES DE MARSELLA + / 60, 30, 30 / 5 Il lui faut donc, quoi qu’il arrive, des coupables à livrer à la justice du clan Marsella et les personnages sont parfaits dans le rôle… Le seul moyen d’y couper est donc de trouver le véritable coupable dans les plus brefs délais. Don Marsella acceptera de les laisser en vie à condition qu’ils lui apportent des réponses exploitables avant l’enterrement de son frère.

LE TÉLÉPHONE N’ARRÊTE PAS DE SONNER Sitôt remis de leurs émotions et du traitement que leur a infligé Luca, les personnages seront contactés par un nouveau commanditaire, un certain Antonio Genovino. Il s’agit d’un ancien du clan Marsella, un fidèle parmi les fidèles… Et pourtant, il est aujourd’hui sur la touche. Il faut dire que son attachement aux valeurs traditionnelles et le fait d’avoir remis en cause certaines décisions du Don, en ce qui concerne la drogue ou l’alliance avec la Forbidden City, ne sont pas pour plaire au très autoritaire Michael Marsella. C’est dans un endroit neutre et relativement discret, par exemple le Charlie’s Corner, qu’Antonio Genovino

donnera rendez-vous aux personnages. Fine moustache, sourire de séducteur et costume coupé à la perfection, malgré son âge il reste l’incarnation de l’élégance à l’italienne. Le job qu’il leur propose ne devrait pas leur poser de problème, puisqu’il s’agit de retrouver le meurtrier d’Aldo Marsella. Et de lui donner la primeur de l’information. En clair, si Michael est responsable de la mort de son frère, Genovino tiendra l’outil de sa vengeance ou au moins un bon moyen de faire chanter le parrain. Mais il sait aussi qu’il ne peut pas se permettre de lancer ce genre d’accusation à la légère, il lui faut des preuves solides.

CHERCHEZ LA FEMME Une autre question se pose : qui a bien pu dénoncer les personnages à la police  ? Trois personnes seulement étaient au courant de leur visite à Aldo Marsella  : Aldo, Michael et la blonde dans la chambre, Heather. Le premier étant mort et le second n’ayant aucun intérêt à mêler la police à cette histoire, cela ne laisse guère de possibilités. En laissant traîner leurs oreilles à droite à gauche, ils pourront apprendre son nom de famille et le fait qu’elle est l’ex-petite amie d’Aldo. En ce moment, elle serait sous la coupe de l’un des lieutenants d’Ange Grachetti, Vito Cameroni. Une fois qu’on a goûté aux charmes de l’Italie… La maison d’Heather Westmore est située à Mulberry Hills, dans une petite rue chic et charmante. Fille unique, la jeune femme l’a héritée de son père, l’amiral C.W. Westmore, décédé il y a quelques années. Qu’ils viennent en début de matinée ou en pleine soirée, elle accueille les personnages dans un peignoir de soie très court,

vraisemblablement importé du Japon, un verre de Bourbon à la main. Elle tente de se donner une contenance, mais elle a bien du mal : elle change constamment d’attitude, se faisant tour à tour aguicheuse, inconsolable ou méprisante, sans qu’il soit possible de démêler le vrai du faux.

VITO CAMERONI LIEUTENANT AMOUREUX ++ / 80, 80, 100 / 20

HELLYWOOD STORIES

311

Elle finira par avouer avoir dénoncé les personnages à la police, bien qu’elle semble avoir quelques doutes sur leur culpabilité. En donnant quelques preuves de leur bonne foi, ils pourraient même gagner sa confiance  ; elle leur expliquera alors qu’elle soupçonne son petit ami actuel, Vito Cameroni, jaloux d’Aldo, de l’avoir tué.

Le seul problème, c’est qu’elle ne peut en parler ni à Michael Marsella, ni à la police sans risquer de déclencher une guerre entre les deux plus importantes familles mafieuses d’Heaven Harbor… Elle demande donc aux tough guys d’enquêter discrètement sur Vito afin de découvrir s’il a oui ou non assassiné Aldo Marsella, en leur promettant qu’ils seront « largement récompensés » de leurs efforts…

LA PISTE CAMERONI Voici donc les personnages lancés sur la trace de ce brave Vito, un vrai dur dont le cœur de guimauve ne bat que pour les beaux yeux d’Heather Westmore. Il sera assez aisé de le retrouver, par contre l’approcher est une autre paire de manches. A Little Italy, la famille Grachetti tient le haut du pavé et le bonhomme est plutôt bien placé dans sa hiérarchie, recevant ses ordres d’Ange luimême. Où qu’il se rende, il est accompagné de deux gorilles dont les deux passions dans la vie sont la pizza et trucider les importuns. Et lui-même n’étant pas né de la dernière pluie, il risque de se rendre compte assez rapidement d’une filature ou d’une surveillance, ce qui conduirait nos tough guys dans une position fâcheuse. Plusieurs options s’offrent néanmoins à eux. Ils peuvent tenter un coup de poker en

allant confronter directement Vito, pour voir sa réaction ; le plus dur sera sans doute de le convaincre de les laisser repartir après. Ils ont aussi la possibilité d’aller à la pêche aux informations en interrogeant leurs contacts à Little Italy ou dans la mafia. Enfin, s’ils ont suffisamment de cran, ils peuvent aller voir le patron de Vito, Ange Grachetti, pour lui proposer un marché. Celui-ci n’aurait en effet aucun intérêt à tirer d’une guerre entre sa famille et celle de Don Michael et pourrait donc être convaincu que sa tranquillité vaut bien le sacrifice d’un de ses lieutenants. Le seul détail qui coince, dans tout cela, c’est que Vito n’est pas le meurtrier. Non pas qu’il n’ait pas eu l’intention de se débarrasser de son rival, mais il semblerait que quelqu’un s’en soit chargé avant lui. Retour à la case départ.

DE VIEILLES CONNAISSANCES Comme si cela ne suffisait pas, le commanditaire aux photos compromettantes, Jeremy Smithson, décide de les recontacter. Au ton de sa voix au téléphone, il est furax. Et à vrai dire il y a de quoi  : les fameuses photos sont ressorties comme par miracle et l’ont mis dans un sacré pétrin. Il commence par passer un savon aux personnages, les accusant d’avoir voulu le doubler, puis quand il comprend qu’ils n’y sont pour rien, il exige qu’ils lui apportent une explication sur ce qui a bien pu se passer.

312

HELLYWOOD STORIES

Visiblement au courant de leurs démêlés judiciaires dans l’affaire Marsella, il menace de faire jouer ses relations pour les faire plonger s’ils ne coopèrent pas. Et il n’est pas du genre à bluffer. Il s’agit donc de rendre une nouvelle visite à ce vieil alcoolique de Belowski, le privé qui avait les premières photos. Arrivés en bas de son immeuble, ils remarquent une Ford noire étrangement familière… La même que celle qui était garée devant chez Aldo Marsella peu avant qu’il ne se fasse refroidir.

Voilà qui devrait en toute logique mettre la puce à l’oreille de tough guys avec un peu de bouteille. En se dépêchant, ils pourront arriver dans le bureau du privé avant qu’il ne soit trop tard… Mais ils seront accueillis par une volée de plomb  : on ne dérange pas l’exécuteur de Mr Clay en plein travail sans en assumer les conséquences. C’est en effet un certain Blind qui officie, un démon extrêmement puissant capable de posséder temporairement et à volonté n’importe quel humain, même vivant, pour accomplir les besognes de son employeur.

BLIND DÉMON EXÉCUTEUR DE MR CLAY +++ / 300, 300, 300 / Bien qu’en très nette infériorité numérique, Blind reste un adversaire implacable qu’il serait malvenu de sousestimer. Il parait capable de voir dans le noir total, sait se repérer d’instinct dans n’importe quel lieu et son sens tactique est

digne des vétérans les plus aguerris. Il est illusoire d’espérer le tuer mais si les tough guys se montrent suffisamment à la hauteur, ils peuvent espérer détruire son enveloppe mortelle du moment – un pauvre type qui n’avait rien demandé à personne. Ce n’est cependant qu’une solution temporaire, puisque Blind ne tardera pas à revenir dans un autre corps. Les personnages feraient donc mieux de ne pas s’éterniser. Une fois l’exécuteur parti, il est temps de s’intéresser à l’affaire des photos, et accessoirement essayer de comprendre pourquoi le démon qui a vraisemblablement assassiné Aldo Marsella s’en est pris à un minable comme Belowski. Celui-ci, selon le zèle des personnages, est d’ailleurs plus ou moins en état de répondre à leurs questions. S’il est encore en vie, il a compris qu’il est en danger et il acceptera de révéler ce qu’il sait s’ils s’engagent à assurer sa protection. Il confirme donc qu’il ne possédait qu’un exemplaire des fameuses photos, celui que les PJ ont récupéré au début du scénario, mais il pourra leur livrer les tenants et les aboutissants de l’affaire : son commanditaire, Corwyn Marty, voulait se servir de ces photos pour faire chanter le  juge Walgrove, alias Jeremy Smithson, afin qu’il prononce sa libération sur parole. Une fouille du bureau du privé confirmera également ces éléments : il s’agit donc d’une nouvelle piste qui fait le lien entre les deux affaires et explique en partie la présence de l’envoyé des Asservis.

LA JUSTICE CÔTÉ COULISSES Aldo Marsella ayant été libéré sur parole par l’honorable juge William Henry Pounds, il peut être intéressant de commencer par vérifier si celui-ci a bien été victime d’un chantage… Il va sans dire que le magistrat n’est pas facile à approcher et qu’il connaît ses droits sur le bout des doigts. Toutefois, en faisant croire qu’ils en savent plus long sur l’affaire Aldo Marsella que ce qu’ils ont déjà réussi à réunir, les tough guys peuvent

lui faire peur et l’inciter à sortir de sa tanière pour leur parler. Grand et sec contrairement à ce que son patronyme laisserait croire, il les reçoit dans son bureau de City Hall, à portée immédiate d’une armée de flics détachés à la garde du tribunal… Pas la peine donc d’espérer pouvoir s’en sortir par la force cette fois-ci. Il propose dans un premier temps aux personnages d’acheter leur silence, et leur fournit au passage

HELLYWOOD STORIES

313

toutes les informations qu’ils demandent  : le chantage a été orchestré par l’avocat de Marsella, un certain Simon Young. Cela n’empêchera pas le juge d’engager deux tueurs pour se débarrasser des PJ, juste histoire de s’assurer qu’ils ne parleront vraiment pas. Libre à la Voix Off de les faire surgir au moment opportun, si le rythme ralentit un peu ou au moment où d’autres groupes, comme la police ou les sbires de Marsella, viennent s’en prendre aux tough guys  : confusion et quiproquos saignants garantis. Quoiqu’il en soit, la nouvelle piste mène tout droit chez Simon Young, un avocat juif véreux spécialisé dans la défense des petites frappes et des camés… Mais lorsque les

personnages arrivent, la piste est déjà tiède : Young vient d’être abattu d’une balle en pleine tête. D’ailleurs, ce n’est pas une Ford noire qu’ils ont croisée en arrivant ? Sans doute prévenus, les forces de l’ordre accourent sur les lieux alors que les tough guys sont encore sur place… Ils ont juste le temps de jeter un coup d’œil rapide au bureau de l’avocat avant de se frayer un chemin à coup de poings, ou de tenter leur chance avec la loi. Ils remarquent en tous cas une enveloppe, bien en évidence sur le bureau de Young, à leur nom : elle contient une carte non signée sur laquelle on lit ces simples mots : « Laissez tomber ». C’est mal les connaître, non ?

UN PEU PERDU ? Il faut dire que c’est un peu normal, toute cette affaire n’est pas très simple. Logique donc que les personnages et les joueurs naviguent à vue. Un peu plus gênant pour la Voix Off, c’est pourquoi un petit récapitulatif de ce qui s’est vraiment passé s’impose. Vous l’aurez compris, il y a deux affaires distinctes, celle de la mort d’Aldo et celle des photos compromettantes de Jeremy Smithson (alias le juge Walgrove), la seconde servant dans le scénario à éclairer la première. En effet, tout part de Louie Gates, un ingénieux invocateur qui fait chanter les juges pour qu’ils accordent des libérations sur parole à ses clients, des taulards comme lui. Il a ainsi fait chanter le juge Pounds pour qu’il fasse sortir Aldo Marsella et il essaie de réitérer l’opération avec Jeremy Smithson, juge lui aussi. En échange de ce service, Gates demande aux ex-prisonniers de lui rendre un service une fois dehors. Aldo s’étant défilé, il l’a payé de sa vie. Et les Asservis dans tout ça ? En fait, Louie Gates travaille pour Mr Clay, grâce à qui il obtient toutes les informations compromettantes dont il a besoin. Et c’est bien sûr Mr Clay, par l’intermédiaire du démon Blind, qui a fait exécuter Aldo.

314

HELLYWOOD STORIES

HELL IN A CELL Tout semble mener au pénitencier d’Heaven Harbor, Santa Esperanza la mal nommée. Un endroit sinistre et violent : les quelques interdits moraux qui ont cours au-dehors n’ont pas de place ici. Tout se monnaie, tout s’achète, que ce soit la vie d’un homme ou la bienveillance d’un gardien. N’hésitez pas à le rappeler aux joueurs s’ils se montrent trop intimidés par le monstre de béton et d’acier.

LOUIE GATES POSSÉDÉ INVOCATEUR ++ / 40, 180, 80 / 10 C’est probablement la meilleure façon d’avancer dans l’enquête  : corrompre un gardien ne donnera pas toutes les solutions aux personnages, mais leur permettra néanmoins d’avoir quelques minutes seuls avec Corwyn Marty. Une fois qu’ils auront trouvé un moyen de le faire parler – inutile de chercher très original – il leur racontera avec force gémissements que celui qui lui a proposé le marché est un prisonnier de la section spéciale, celle réservée aux cornus, un possédé du nom de Louie Gates. Et le moins qu’on puisse dire est que ce Gates lui fout sévèrement la trouille. Il faut dire qu’il y a de quoi  : d’une laideur insupportable, scarifié des pieds à la tête, les yeux révulsés, le dénommé Louie Gates a de quoi inquiéter même le plus blasé des tough guys. Il accueille les personnages en leur disant qu’il les attendait, avant de partir d’un grand rire de

dément. Mais il ne faudrait pas se fier à ses airs de malade mental : il est bien le cerveau derrière toute cette histoire de chantage et il pourra aider les enquêteurs à remplir les blancs dans leur théorie. Il confirme notamment que c’est bien Mr Clay qui a fait assassiner Aldo Marsella  : en échange de sa libération, ce dernier devait aider l’Asservi à déclencher une guerre entre les deux grandes familles mafieuses afin de les affaiblir, mais, pris de scrupules, il n’a pas rempli sa part du contrat. Et s’il y a une chose que Mr Clay n’aime pas, ce sont les gens qui ne respectent pas les contrats. Si le possédé peut se permettre de leur raconter cela, c’est qu’il n’a aucune intention de les laisser repartir en vie, et il a les moyens de ses ambitions. Il marmonne quelques mots dans sa barbe et un golem qui se trouvait à proximité se jette sur les personnages, bientôt suivi par plusieurs de ses semblables – autant qu’il en faudra pour opposer une résistance sérieuse à vos tough guys. En quelques instants l’endroit, que ce soit la cellule de Gates ou le parloir, se transforme en véritable zone d’émeute et les personnages se retrouvent coincés entre les golems contrôlés par Gates, les autres prisonniers qui essaient de profiter de l’occasion et les gardiens qui tentent de rétablir un semblant d’ordre en distribuant des coups de matraque à l’aveuglette. Au milieu de cette confusion, le possédé serait même capable, si on lui en donne le temps, de prévenir son patron, Mr Clay. Cela signifierait qu’un autre participant viendrait se joindre à la fête, en la personne de Blind, plus que ravi de pouvoir en découdre avec ceux qui se sont mis en travers de son chemin dans le bureau de Belowski. Selon votre degré de sadisme et votre envie de voir les personnages terminer le scénario libres et en vie, le démon pourra prendre possession du corps d’un simple prisonnier ou celui d’un gardien… Les tough guys se retrouveraient alors en prime avec un meurtre plutôt difficile à justifier.

HELLYWOOD STORIES

315

ÉPILOGUES Sortir vivants de Santa Esperanza, aussi difficile que ce soit, ne marque pourtant pas la fin de l’histoire pour les personnages. Il leur reste en effet à trouver un coupable à livrer en pâture à la police et surtout à Don Michael. Il y a plusieurs possibilités, c’est pourquoi nous laisserons ouverte la fin de ce scénario. La première idée consiste à raconter la vérité à Don Marsella, mais cela ne va pas sans quelques difficultés  : d’une part elle est relativement extravagante, d’autre part éliminer proprement le véritable assassin, à savoir le démon en Ford noire, n’est pas une partie de plaisir… A moins de passer un marché avec Mr Clay, mais le prix risque d’être particulièrement élevé. Si Louie Gates est toujours en vie après l’épisode de la prison, il fera bien sûr un bouc émissaire parfait. Le bras de Michael Marsella s’étendra alors jusqu’à

Santa Esperanza pour mettre un terme à l’existence du possédé. Les personnages peuvent également se servir de la fausse piste, Vito Cameroni. S’ils arrivent à la manier avec habileté, ils ont en leur possession une arme qui peut déclencher une redoutable guerre entre les deux plus grandes familles mafieuses d’Harbor. Mais attention : si la supercherie est éventée, ce sont eux qui se retrouveront en première position sur la liste noire de tous les gangsters italiens de la ville. Une chose est sûre en tous cas : Michael Marsella n’est pour rien dans la mort de son frère. Mais si les personnages prétendent le contraire à Antonio Genovino, leur autre client, ils ont les moyens de déclencher une petite guerre civile au sein du clan Marsella. Ils peuvent aussi décider de n’en rien faire, ou d’aller tout raconter à Don Michael en guise de bonne foi…

ET SI ON INVOQUAIT UN DÉMON ? Cela peut être une façon de conclure l’enquête. Deux cas de figure peuvent alors se présenter, selon le démon invoqué. Soit il s’agit d’un démon de Mr Clay, auquel cas l’accord inclura nécessairement le fait que les personnages abandonnent toutes leurs investigations et ne révèlent l’existence du trafic au chantage de Louie Gates à personne et surtout pas à Don Marsella. S’il s’agit en revanche d’un démon affilié à un autre Asservi, les tough guys ont la possibilité d’engager un jeu très dangereux qui consiste à dresser les organisations démoniaques les unes contre les autres. Cependant, disons-le tout net : si cela promet quelques jolis moments, à la fin il y a toutes les chances pour qu’ils en soient les principales victimes.

316

HELLYWOOD STORIES

Unfinished Business Heaven Harbor est un panier de crabes dont Terry Doyle vous a fourni quelques clés. Afin que vous disposiez, chère Voix Off, de tous les éléments pour utiliser ce cadre, voici maintenant un tableau de tous les « points chauds » de la ville, de toutes les sales affaires et les gros coups qui vont se tramer dans Harbor pendant les mois à venir. Pour en connaître l’issue, il faudra un peu patienter  : ce sont ces situations qui serviront de socle à la campagne

d’Hellywood à paraître aux Éditions John Doe. N’hésitez toutefois pas à semer les germes de la destruction en impliquant au fur et à mesure vos tough guys dans ces sac de nœuds, à leur insu. Ces pistes sont autant de pelotes de laine que des personnages de tous horizons pourront être amenés à démêler, petit à petit. C’est la nature d’Heaven Harbor  : soulevez un coin du drap et vous vous retrouvez empêtrés jusqu’au cou.

LA COURSE À LA MAIRIE Harold Palmer est loin d’avoir la certitude de conserver son siège de maire. Il reste un an de campagne. Son adversaire, Lawrence Gordon est talentueux et déterminé. Tout va se jouer en fonction des appuis que chacun réussira à s’attacher. Palmer traîne de nombreuses casseroles. Pour l’instant, il dispose de l’appui des 9, en contrepartie de sa mansuétude vis-à-vis de leurs projets. Mais cela peut changer : Gordon est un beau parti, déjà soutenu par l’influent New Committee of Vigilance. Il reste beaucoup d’inconnues. Comment réagira l’ambitieux clan Kelly, supporter de Gordon, si celui-ci se rapproche effectivement des 9  ? Jusqu’où sera prête à aller la femme de Palmer, Patricia, si les 9 trahissent son mari  ? Elle a des moyens, aucune conscience morale et un très mauvais caractère. A qui ce fou de Nathan Maxwell offrira son soutien, son portefeuille et ses nervis  ? Enfin, les Asservis souhaitent-ils jouer un rôle dans cette histoire  ? Leur silence est trop assourdissant pour que cela cache quelque chose de bon… Il y a de très nombreuses manières d’inclure la course à la mairie dans la vie des personnages. Des indépendants peuvent

être embauchés pour salir un adversaire politique, l’intimider, le soudoyer ou même le supprimer. Toutes les parties, de Patricia Palmer à Nathan Maxwell, peuvent avoir recours à des gens discrets et efficaces. La question est  : les personnages parieront-ils sur le bon cheval ? Les personnages peuvent aussi devenir une cible, parce qu’ils savent une chose qu’ils ne devraient pas ou que leur position est gênante pour l’une des parties. Ils peuvent être victimes des différentes manœuvres des prétendants, notamment avec le terrible Grand Jury anti-communiste que prépare Gordon. Le D.A va notamment s’en prendre de manière frontale aux mouvements intellectuels de gauche et aux syndicats, ce qui ne peut que plaire aux 9. Des flics peuvent facilement se retrouver en porte-à-faux avec le District Attorney  : Gordon a besoin de se faire reluire et se payer quelques flics corrompus est toujours bon pour la popularité. Ils peuvent aussi se retrouver à enquêter sur un meurtre ou une disparition en apparence anodine mais directement liée à la course à la mairie. Le crime organisé d’Harbor adore les élections : quel meilleur moment pour monnayer ses services et son appui ?

HELLYWOOD STORIES

317

LES MANIGANCES DES 9 Les magnats d’Heaven Harbor n’aiment pas qu’on mette le nez dans leurs affaires. Et ils aiment encore moins que l’on cherche à contrecarrer leurs plans. Deux grands projets très juteux sont en cours. Le premier concerne l’adduction d’eau dans la Valley. Alimenter les innombrables lotissements en cours de construction est un énorme marché mais il n’y a pas assez d’eau pour tout le monde. Et notamment pas pour les plantations d’agrumes et les quelques fermes qui tentent de survivre. Beaucoup s’attendent à voir une nouvelle « guerre de l’eau » se déclarer. Plusieurs entreprises « légales » de la mafia sont également sur le coup et la tension peut très vite monter… Le second dossier est encore plus prometteur : il s’agit de choisir qui construira les

autoroutes reliant Heaven Harbor au reste de l’état. Les travaux ont déjà commencé et la foire d’empoigne est terrible. Au milieu de tout ça  : le quartier espagnol de Natividad va être bouleversé. Expulsions, menaces, pot de vins, scissions dans la communauté hispanique dont les deux chefs de file sont Luis Uriega et le père José Escuador. Ange Grachetti mise beaucoup sur le renouveau de Natividad pour faire entrer son organisation dans la respectabilité. Les enjeux sont énormes et il va y avoir des dégâts. Là encore, tous les coups sont permis et les personnages peuvent facilement se retrouver au milieu. Qui se soucie vraiment de ce qu’il advient de quelques clandestins ? Pourtant, ils doivent bien finir quelque part.

LE CRIME ORGANISÉ Le crime organisé à Heaven Harbor a toujours été fragmenté, malgré la domination des Grachetti. Officiellement, pour les parrains de la Côte Est, Nat Vernon. Mais il ne s’occupe que de Lucky Island et laisse les Marsella se démener seuls. La donne risque de changer.Ange Grachetti a décidé de reprendre en mains sa famille et de la moderniser. Premièrement, il va tout faire pour rendre légales de nombreuses affaires et devenir un honorable chef d’entreprise. Le choc avec les 9 peut-être violent ou ils peuvent trouver un terrain d’entente. En second lieu, Ange n’entend pas laisser aux Marsella le monde du crime et les bénéfices que l’on peut y faire. Il va donc entreprendre de rattraper son retard dans la drogue, de manière très agressive. Dans le même temps, il joue le jeu de l’apaisement apparent, allant jusqu’à proposer à Vernon et aux Marsella une « conférence de paix »… Les Marsella ne sont pas dupes et misent sur leur accord avec l’Asservi M. Johnson pour prendre enfin le dessus. Reste cet illuminé de Nat Vernon Il continue ses rêves de grandeur, pense à

318

HELLYWOOD STORIES

nouveau à ses délires de politique et se fout de tout, mettant en péril les investissements de la mafia en croyant naïvement que son accord avec le shérif du Comté suffira à le tenir à l’abri. La vérité, c’est que les parrains de l’est n’ont jamais pardonné à Vernon d’avoir utilisé leur argent pour lancer son délire utopique. Ils sont prêts à s’en débarrasser, promettant à la famille qui y parviendra leur appui sans restriction pour la domination d’Harbor. Qui des Grachetti ou des Marsella décidera d’éliminer Vernon ? Une guerre des gangs généralisée n’est donc pas à exclure dans les prochains mois et ce genre de période n’est bon pour personne, surtout en période d’élection. En attendant, la tension monte. Les flics ont l’ordre de se débrouiller pour que les vagues n’éclaboussent pas les dirigeants d’Harbor. Les Affranchis sont en première ligne. Vernon semble se diriger tout droit vers un destin tragique mais ne semble pas le réaliser. Il est donc fort simple d’impliquer les personnages, quel que soit leur bord.

LES FLICS Les flics d’Heaven Harbor vont avoir les mains pleines en cette année 1949, à la fois officiellement et officieusement. Ils seront forcément impactés par les affaires politiques et mafieuses. Qui plus est, le chef Benneville a décidé d’abattre Seamus Murphy et va se résoudre à ne pas le faire de manière officielle. Murphy vend ses services au plus offrant et il n’est pas impossible qu’il réussisse à se placer dans la roue de l’un des puissants d’Harbor, rendant l’affrontement encore plus dangereux. Des personnages flics peuvent avoir à choisir leur camp. Pour ne rien arranger, un tueur en série frappadingue va commencer à dépecer ses victimes près du Hoboland. Vu l’endroit,

le HHPD met l’étouffoir et refuse d’y voir l’œuvre d’un tueur unique, mais ça n’empêche pas certains curieux de fouiller. Et peut-être de se rendre compte qu’il y a quelque chose de gros là derrière. On murmure alors que le tueur des réservoirs, le Hachoir, ne serait pas mort comme l’affirme la police. Bientôt, le tueur va commencer à frapper en dehors du bidonville d’Heaven Harbor, rendant impossible l’étouffement de l’affaire et terrifiant la population… Sans surprise, les groupes extrêmes en profitent pour dénoncer la perversion des âmes par les cornus et prônent l’éradication des non-humains. Le New Committee of Vigilance entretient le foyer et les rues menacent de s’enflammer…

LES ASSERVIS Chez nos amis les Asservis, Mr Johnson continue son petit jeu de noyautage des institutions et contre-pouvoirs humains. Il est tout autant derrière les 9 que derrière les Marsella, se repaissant des drames qu’engendre l’avidité de ses clients humains. Johnson serait ravi de voir éclater une guerre des gangs dans Heaven Harbor. Clay n’est pas de cet avis et pourrait tout à fait manipuler des personnages joueurs pour mettre des bâtons dans les rues de l’organisation de Johnson. C’est un jeu dangereux d’être un fusible pour les Asservis.

Mais le véritable danger réside dans la personnalité démente de Pieces. Décidé à régner sur le marché de la drogue à Harbor, il va employer des moyens extrêmes. S’en prenant aux réseaux de distribution existants, il va tout faire pour provoquer une dangereuse pénurie. Les stups sont sur les dents, tout comme les junkies d’Harbor et la situation coûte aussi cher aux Grachetti qu’aux Marsella. Pieces, de son côté, en profite pour écouler dans les rues son propre produit, une violente saloperie directement issue du Maelstrom…

Chère Voix Off, il est temps de se dire au revoir. Nous laissons Heaven Harbor à vos bons soins. Faites tout de même gaffe : ses rues ne sont pas sûres. Bon jeu, et à bientôt…

HELLYWOOD STORIES

319

TABLE DES MATIÈRES Tough Bear.......................1 Sommaire...........................2 Introduction...................6 La face sombre................................ 8 Le jeu............................................... 9 Noir, c’est noir................................ 10 Le lieu et la date............................. 11

Welcome to Heaven Harbor..............12 Coupures de presse....................... 13 En guise de présentation…............ 14

Un coin de paradis.................................. 14 Des monstres parmi nous..................... 14

Parcours d’un flic........................... 16

Fils du Hook............................................ 16 Trouver sa voie........................................ 17 Mission et Compromission.................. 17 Flic et Médium........................................ 18 La Chute................................................... 19

Heaven Harbor : a primer............. 20 Downtown.........................................20 The Harbor........................................22 La Sio River........................................22 The Valley...........................................24 Les Îles.................................................24 Histoire et Secrets......................... 25 Une rivière et de l’or...........................25 Les Shotonas........................................... 25 Les temps héroïques............................... 26

Les temps modernes.........................27 L’afflux....................................................... 27 Le règne de l’argent................................. 27 Les nouveaux venus................................ 28

Crises et reprises................................29 La guerre au loin..................................... 29 La trouille du siècle................................. 29

En route pour l’avenir.......................30

320

Crime et Châtiment ?.................... 30 La loi et l’ordre....................................30 Le règne des truands.........................31 Des démons et des hommes.......... 34 Comme un gout de cendres.............34 Prière ou partouze ?..........................36 Au-delà des cornus............................37 Les cornus..................................... 38 Monster Mash...................................39 Souvenirs de l’au-delà............................. 39 La nature des cornus.............................. 39

Les golems ..........................................40 Les séraphins......................................41 Les succubes ......................................42 Les possédés.......................................43 Cornus et fiers de l’être.....................44 Les premiers temps................................ 44 L’émeute de 44......................................... 44 Américana................................................ 44 Home of the brave.................................. 45 Population & géographie infernale..... 45

Heaven Harbor Field Guide................................46 City Hall....................................... 48 Law & Order................................. 53 La politique.........................................53 La justice..............................................57 The Badge : Heaven Harbor’s Finest...................62 Financial District.......................... 67 Les Buildings......................................67 Le Strand.............................................69 La couleur de l’argent..................... 71 A la Une........................................ 74 Natividad...................................... 77 Le nouveau Natividad......................77 L’ancienne Nativité............................79 La Religion.................................... 81 Carnelly Hill et le Hook................ 84 Carnelly Hill.......................................84 Russian Hill........................................86 Le Hook..............................................87 La culture...................................... 89

Chinatown, Paddy Hill & Little Italy.................................. 92 Chinatown..........................................92 Paddy Hill...........................................97 Little Italy..........................................102 Le crime......................................106 La pyramide du crime.....................106 Panorama criminel..........................108 Remington Heights.....................115 Take the Snake Road......................115 Heaven Terrasse..............................116 Un village sur la colline...................117 Les lobbies, pouvoir de l’ombre....119 University District......................121 The Harbor Law School...............121 The Donovan Academy.................122 UCHH.............................................123 En dehors des campus....................124 Sports Illustrated........................125 Aisbury Park...............................128 Regent’s Avenue...............................128 Le cœur d’Aisbury...........................131 La Musique.................................134 The Forbidden City....................136 Home of the Brave..........................136 « Là où tout se passe ».....................138 Puissance, plaisir et jouissance des sens......................143 Hell on Earth..............................144 Le Maelstrom...................................144 De l’autre côté........................................144 L’accident................................................146 Les Hell Holes et le Dédale................147

Les Asservis......................................149 De leur nature et de leurs serviteurs.149 Who’s Who démoniaque....................149 Mr Johnson............................................150 Mr Clay..................................................152 Pieces.......................................................154 Ashes.......................................................156 Six of Ten................................................157 Traiter avec le diable.............................159

Les hommes du président..............165 The Harbor.................................166 La Marina.........................................166 Heaven Fairy....................................168 Paradise et Conception Beach......170 Fort Darrow.....................................170

The Sio River ..............................171 Les Piers et le Warehouse District.....................172 HoboLand........................................174 les Fields & les Yards.......................176 Redmond..........................................177 The Islands..................................178 Lucky Island.....................................178 Santa Esperanza..............................180 The Hills & The Valley...............182 The Hills...........................................182 The Valley.........................................184

Tapis vert......................186 Les dés et le hasard...............................188 Être le dernier debout..........................188

Tough guy...................................189 Natures..............................................189 Historiques.......................................190

Passé........................................................190 Relations.................................................191 Possessions.............................................191 Fric...........................................................192 Statut.......................................................192 Répertoire démoniaque.......................193 Historiques désavantageux................193

Attributs............................................194

Attributs physiques..............................194 Attributs mentaux................................195 Attributs sociaux..................................195

Les dommages..................................195 Les talents.........................................195 Dernières touches............................197 Un exemple ?.....................................198 Les natures........................................199

Accro/Alcoolo......................................199 Ambitieux..............................................199 Ami de tout le monde..........................199 Amnésique.............................................199 Amoureux..............................................199 Balance....................................................200 Caméléon...............................................200 Cinglé......................................................200 Code d’honneur....................................200 Croyant...................................................200 Cynique..................................................201 Déjà mort...............................................201 Déviant...................................................201 En quête de rédemption......................201

321

Femme fatale.........................................202 Femme libre...........................................202 Flambeur................................................202 Fugitif......................................................202 Golem.....................................................203 Hanté......................................................203 Jusqu’au boutiste...................................204 Lâche.......................................................204 Loser........................................................204 Méthodique...........................................204 Poseur.....................................................204 Possédé....................................................205 Pourri jusqu’à l’os..................................205 Protecteur..............................................205 Révolté....................................................205 Séraphin.................................................205 Succube...................................................206 Sur le retour...........................................206 Tendre.....................................................206 Tranquille...............................................206 Vendu......................................................206 Vengeur...................................................207 Violent....................................................207

Craps...........................................208 Le test.................................................209

La santé..............................................219 Quand recaver ?....................................219 Rétablissement......................................219

Les jokers...........................................220 F*ck*n’b*st*rd points...........................220 Miser pour augmenter ses chances...221 Roulette russe........................................221

Flashbacks.........................................222 Les gros moyens...............................223 Armes.....................................................223 Menaces..................................................223 Protections.............................................223

Shotgun..................................................209 Utiliser des talents................................209 Modificateurs de circonstance...........210 Coopération...........................................210 Test contre une difficulté.....................211

Noirceurs....................................224 Gérer l’adversité...............................224 Intensité dramatique.......................226 Le fric.................................................227

Qui agit quand ?....................................212 Miser.......................................................212 Opposition simple et opposition dramatique........................214 Achevez-les !..........................................214 Changer d’attribut................................215 Multiples adversaires...........................215

Le Noir..............................................229 Asservis et démons......................230 Mécanique infernale.......................230 Jouer un invocateur.........................232 Invoquer un démon et pactiser.....232

Absences.................................................216 Amnésie partielle..................................216 Bégaiement............................................216 Bras engourdi.........................................217 Cauchemars...........................................217 Défiguré..................................................217 Douleur fantôme..................................217 Filet de voix............................................217 Grillé.......................................................217 La trouille au ventre..............................217

Pur Noir........................234

Test en opposition...........................212

Les séquelles.....................................216

322

Lent.........................................................217 Œil crevé................................................217 Phobie.....................................................217 Plaie mal refermée................................217 Poumon enfoncé...................................218 Ridiculisé................................................218 Rotule en miettes..................................218 Sifflements..............................................218 Tic............................................................218 Tremblements.......................................218 Un doigt en moins................................218 Visions....................................................218 Tables aléatoires....................................219

Acheter...................................................227 Gagner et perdre de l’argent...............228

L’invocation............................................232 Mener la négo........................................233

Mauvais genre.............................236 Survol historique.............................236 Roman noir............................................236 Film Noir................................................237 Autres Genres.......................................237

Les héros du Noir............................239 Privés en série........................................239 L’engrenage............................................240

Grandeur et décadence du gangster........................................242 Dynastie criminelle..............................242 Le gang....................................................242 Flic et voyou...........................................243

Pratiques douteuses....................245 Jouez plus Noir................................245 Le contrat...............................................245

Le style « Heaven Harbor »..........246 Vérités et enjeux....................................246 Variations sur le thème........................246 Sévère… mais juste ?.............................247 M. Blonde est de sortie........................248

Le fantastique...................................249 La règle d’or............................................249 Les Asservis et leurs pouvoirs............250 Les cornus..............................................250

Motivations et Groupe...................250 Motivations............................................250 Dynamique de groupe.........................251 Affrontements entre personnages joueurs.............................251

Le scénario noir................................252 Le principe.............................................252 La structure...........................................252 Pour quelques ficelles de plus.............253

Broyer du Noir............................255 Style et Fond.....................................255 Les éléments de décor.....................255 La Ville....................................................255 La Nuit...................................................256 Le climat : pluie, neige, chaleur….......257

La musique pour soutenir l’ambiance..........................258 Les thèmes du Hardboiled..........259 Le réalisme social.............................259 La violence..............................................259 Intolérance, racisme et sexisme..........259 Corruption & chantage.......................260 Étranger chez soi...................................261 L’innocence pervertie...........................261 La recherche de la vérité......................262

La Fatalité..........................................263 Seul contre tous.....................................263 Le poids du passé..................................263

Moralité et faiblesses humaines....264 Devoir et code d’honneur...................264 L’avidité...................................................264

Le pouvoir..............................................264 L’amour fou............................................265

Pistes de campagne......................265 Les indépendants.............................265 Les organisations.............................267

Les flics....................................................267 Les Mafieux...........................................268 Autres organisations............................269

Hellywood Stories.....270 L’Agence Metropolis...................271 Dinah Gold, la patronne................273 Sonny Motta, le privé.....................274 Jack Stinger, l’avocat.........................275 Ann O’Riley, la secrétaire..............276 Martin Chester Royce, le journaliste......................................277 Lester Lewis, le golem.....................278 Angelo Motta, le mafioso..............279 Tom « Champ » O’Riley, l’ex-boxeur.........................................280 Liste de contacts..........................281

Bud Steiner, journaliste mondain......281 Jack Francis, journaliste photographe......................281 Détective Jason Lang, limier de la Criminelle..........................282 Capitaine Wayne Smith, vétéran des stups...................................282 Paul Cramer, rookie des mœurs........282 Antonio Ramirez, faussaire à la retraite.............................283 Richie Allen, perceur de coffres.........283 Diego « Dee Dee » Hernando, taulard.....................................................284 Lyle Hope, contremaître sur les docks...................284 Madeleine Preston-Smith, écrivain et communiste........................285 Colin Briggs, boxeur golem................285 Walter Goines, liftier...........................285 Duke Beaumont, joueur et homme de main...................286 Bill Caine, ex-militaire..........................286 Jay Jay Parker, hobo musicien.............287 Gena Fleming, médecin bénévole.....287

323

Des démons et des hommes........288 Doing the Job...................................288 La bonne personne pour le bon job..288 Savoir se préparer.................................289 Mise en relation....................................289 Négociation...........................................290 En cas de souci.......................................290

Riches, puissants et déviants.........302

La secrétaire...........................................292 Le producteur .......................................292 La petite voix.........................................293

Le fou.................................................305

Mr Johnson.......................................292

Clay....................................................293 Perk..........................................................293 Mr Nichols............................................294 L’Inquisiteur..........................................294

Ashes..................................................295 Le Voyeur...............................................295 Cheryl.....................................................295 Le Prêtre.................................................295

Pieces..................................................296 Lurk.........................................................296 Le Chacal...............................................296 Puzzle......................................................296

Six of Ten..........................................297 L’Esthète.................................................297 Prophétie................................................297

Les Rogues........................................297 L’Arrangeur............................................297 L’Étreinte................................................297

Play it again, Sam........................298 Préambule.........................................298 Jazz et baston....................................299 Pour se mettre en jambes....................299 Un endroit sympa.................................299

Une affaire qui roule........................300 Rendre service aux amis......................300

324

Balade au Park.......................................300 Ca se complique....................................301 Retour à Aisbury Park........................301 Enquête..................................................302 Les Farsnworth.....................................302 Les Culcultistes.....................................303 Soirées particulières.............................303 Remonter le courant............................304 Le gendre idéal......................................305 Virée dans la Valley..............................305

Épilogue.............................................306 La Prison de Verre.......................306 Préambule.........................................306 Une proposition qu’on ne peut pas refuser................................307 L’autre Marsella................................308 Pour quelques dollars de plus........308 Du poulet au petit-déjeuner..........309 Le chagrin d’un frère.......................310 Le téléphone n’arrête pas de sonner....................................311 Cherchez la femme..........................311 La piste Cameroni...........................312 De vieilles connaissances................312 La justice côté coulisses..................313 Hell in a Cell.....................................315 Épilogues...........................................316 Unfinished Business....................317 La course à la mairie........................317 Les manigances des 9......................318 Le crime organisé.............................318 Les Flics.............................................319 Les Asservis......................................319

REMERCIEMENTS

Boutiques Partenaires Arcadia (Nancy) Le Bazar du Bizarre (Rouen, Caen, Lille) La Crypte du Jeu (Marseille) Game FU (Saint Médard-en-Jalles) La Libraire du Manoir (Montpellier)

Philibert (Strasbourg) Rocambole (Lille) ROLE Games (Marseille) Trollune (Lyon)

Justiciers Joffrey ANDRIEU Charles ANDRUSYSZYN Olivier BARBEAU Cédric BLAISE Marc BLONDEAU Raphael BOMBAYL Yohann BRAULT Etienne CETAIRE Christophe DEL ROSARIO Sébastien HALLER Yann HERPE Germain HUC Benjamin LE JEUNE Didier LEVEQUE

Frédéric LUDGER Carl MAQUERE Clémence MARCHAND Yves MUCKENSTURM Stéphane PAQUAY Miguel PECA Pierre-Etienne QUINTIN Lia ROQUES Julien ROTHWILLER Eric SEJOURNANT Guillaume THEREZ Oliver VULLIAMY Denis WICHER

Tough Guys Thomas BAUDART Philippe MARTINOU

Quentin VASSEUR Pallier VINCENT

325

Godfathers Nicolas ABRIOUX Karim AISSAOUI Frédéric AMADON Jeff-Clyde ANDERS Jérémy ANDRE Franck ANDRIEU Guillaume ASSET Marwan BADAWI Antoine BAUZA David BEAU Jerome BECUWE Sebastien BELLET Mehdi BEN NAAMANE Nicolas BERNARD Arnaud BERTHOUMIEU Julien BERTON Gwénolé BIGOT Edouard BLAES Julien BLAISE Immanens Blaise LAPORTE Hugues BLAZART Nicolas BOIZOT BONAVENTURE Olivier BOS Bruno BOSC-ZANARDO Timothée BOSSIN Sébastien BOUCHER Guillaume BOUTIGNY Samuel BRECHBIEHL Fabrice BRECHENMACHER Thomas BRIONNE Franck BRISON Vincent BUFFEY Jean-Stéphane CABEZA Jérôme CADIOU Olivier CAIRA Pierre CAMPAN Pierre CANIVEZ Matthieu CARBON Jean-Marie CARRE Cyrille CARRETERO Romain CAUSSE Benjamin CAVALIER Sébastien CELERIN Jean-Sébastien CHERUBINI Jean-Michel CHESNOY

326

Jean-François CHEVALIER Baptiste CHEVREAU Pierre CAPEAU Kevin CIVY Alexandre CLAVEL Anthony CLOSA Sylvain COLLAS Pascal CONDON Edouard CONTESSE Pierre COPPET Serge COURLEUX Simon COUTURIER Olivier CRESPIN Christophe CRINON Adrien CRUCHON David DARDOU Olivier DARLES Coralie DAVID Philippe DEBAR Nadège DEBRAY Fabien DECULTOT Bertrand DEHAIS Frederic DELHAYE François DELPEUCH Olivier DEMOULIN Benjamin DIEBLING Marc DIEU Nicolas DOBIN Alexandre DOBLY Benjamin DORMAL David DOUPEUX Ludovic DRIGEARD Maxime DROUOT Christophe DUBREUIL Florian DUFOUR Romain DURAND Christophe ECKENFELS Guillaume ESCRIVANT Gilles ETIENNE Arnaud FALCON Philippe FENOT Claude FéRY Côme FEUGEREUX Patrick FLOISSAC Sacré FLORENT Didier GAZOUFER

Christophe GENOUD Davy GERARD Gary GIAMBRONE Loris GIANADDA Bruno GIOVANNOLI François GLOTIN Etienne GOOS Axel GOTTELAND Stephane GOUGET Jean-Paul GOURDANT Nicolas GREVET Etienne GUERRY Nicolas GUICHARD Jérôme GUILLET Samuel GUILLON Vincent GUSSEMBURGER Pierre-Yves HAINAUX Sebastien HAUGUEL Eric HAUTEMONT Patrice HEDE Nicolas HEITZ Gael HENRY Thomas HERVET Christian HOCHART Denis HUNEAU Jérôme ISNARD Raphael ITZYKSON Steve JAKOUBOVITCH Nicolas JANAUD Christophe JANKOWSKI Joris MARTINEZ Thomas JOUBERT Sébastien JULES Stephane JULLIAN Francois KERLOCH Rémy KERRINCKXX Nicolas LACOURTE-BARBADAUX François LALANDE Valérie LAPROYE Jérôme LARRE Joaquim LASSELIN Régis LAUBRY Marc LE BORGNE Erwan LE DELETER Arnaud LECOINTRE Marc LEDUC Philippe LEGER Jean-François LEVEQUE Jessy LIVOLSI Jean-yves LOISY

Mathieu LORANGE Cédric LORENZON Benoît LOTS Sylvain LUMINI Gregoire MACQUERON Sébastien MALANGEAU Yragaël MALBOS Guillaume MANIER Philippe MARICHAL Fabien MARTINET Freddy MARTINEZ Julien MASSET Laurent MATA Johnny MATHIAS Florent MERCEY Thibaut MERMET Patrice MERMOUD Frédérick MESTRE Thomas MICHELIN Cédric MONIN Aurèle NICOLET Emmanuel NOBLANC Thierry NOUZA Olivier NOWAK Laurent OGER Dogan OGRETEN-WEISS Jean-Philippe PALANCHINI Benoit PAPY Patrick PAYSANT Pierre PECCOZ Jean-Pierre PERALEZ Olivier PERRONNY François PERSEVAL Paul PESQUET Sylvestre PICARD Arnaud PICHON Nicolas PICQ Jeremy PIGNAT Benoist PITON Fabien PLASSIER Frédéri POCHARD Matthieu POIROT Jérôme PONTHOREAU Stephane POUDEROUX Alban QUADRAT Quentin RAMORINO Stephane RENARD-STEPHANE Thomas REY Fabien RIBOT Guillaume ROBERT

327

ORP & Dragon Mouche Aurélien ROLLET Robillard ROMAIN Pierre ROSENTHAL Renaud ROUGERON Dominique ROULLAND David ROUSSEL Olivier ROYER Frédéric RUYSSCHAERT Nicolas SANCHEZ Nicolas SAVARY Alban SCHUITEN Cédric SEKETA Laurent SÉRÉ David SIKIC Timothy STORY Adrien TAGAN Marius TAVERNIER

328

Jean-François THIERRY Jerome THOMAS Fabrice TICAR Sebastien TORRES Renaud TRAUCHESSEC Nicolas VANDEMAELE-COUCHY Olivier VANHULST Thomas VANSTRAELEN Gérard VARRE Cyrille VEAU Edwige VENDEVOGEL BOFFY Philippe VERGE-BRIAN David VIAL Florian VILMOT Francis WIEDERKEHR Nathalie ZEMA Thomas ZULIANI