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· FINANCES ET FINANCIERS DE L'ANCIEN RÉGIME
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OUVRAGES DE o1EAN BOUVIER
Le Krach de l'Union générale, 1878-1885, Presses Universitaires de France, 1960. Les RotlLschlld, Club français du Livre, 1960. Le Crédll Lyonnais de 1868 d 188S; les années de formation d'une banque de dép6ts, S.E.V.P.E.N., 13, rue du Four, • AUalres et gens d'allalres f, 2 vol., 1961.
OUVRAGES DE M. HENRY GERMAIN-MARTIN
De la prétf'ndue talUite des lois économiqllU depuis 1914, ParIs, 1925. Réglementation de fe:llportation des capitaU:ll, Paris, 1926.' Cours d'histoire et d'organisation des banques, Centre d'Etudes supérieures de Banque, 1948. COur8 de documentation el de méthode écono,rniques, Centre d'Etudes sUpWleures de Banque, 1951. . La documentation des seruices d'études économiques dana les banque8, Centre d'Etudes supérieures de Banque, 1963. La banque en France, ln Banking Systems, Columbia University Press, New York, 1954. Monnaie, ln Dicllonnaire des sciences économiques, Presses Universitaires de France, 1958.
« QUE SAIS-JE? » LE POINT DES CONNAISSA..~CES ACTUELLES
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FINANtES ET FINANOERS DE L'AN[IEN RÉGIME par
Jean BÙUVIER DodBur ès LeI/res Aqrlg4 d. l'UmrersiU
DiNCletw d'UtIIfA A l'Éeolt Pratique du Bllulea É/tIIfA
et
Henry GERMAIN-MARTIN Pro/_
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CmIre d'ÉItIIfA ~ à Ballqllf
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BotJLEVABD SAINT-GEBMAlN, PARIS
1964
D~POT L~GAL
1re édition
1er trimestre 1964
TOUS DROITS de traduction, de reproduction et d'adaptation réserVés pour tous pays
© 1964, Presses Universitaires de France
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INTRODUCTION 1. - Ambigulté des mots. Ambigulté des fBits. L'EncyClopédie méthodique, dans son édition de 1783, définit ainsi le mot Finance: « Ce terme s'entend le plus ordinairement des deniers publics du Roi et de l'Etat; il signifie cependant quelquefois de l'argent monnayé. Ce banquier a bien de la finance dans son coffre; les jeunes gens ne sont pas beaucoup chargés de finance. On dit aussi un baril de finance, pour dire un baril d'espèces monnayées. » Dans le même ouvrage le «financier» est « l'homme qui manie des finances, c'est-A-dire les deniers du Roi. En général on donne ce nom A toute personne connue pour être intéressée dans les fermes, régies, entreprises ou affaires qui concernent les revenus du Roi.· A cette définition, le peuple, on doit entendre par ce mot le vulgaire de toute condition, ajoute l'idée d'un homme enrichi et n'y voit guère autre chose ». Au tome II du Dictionnaire universel du Commerce de Savary des Brûlons le verbe « financer» est défini : «Fournir de l'argent comptant»; et quant au mot « financier» : « Celui qui manie les finances du Roi. On ledit dans le négoce pour signifier un homme extrêmement à son aise, qui a fait une grande fortune. Il est riche comme un financier. » La Bruyère dans ses Portraits a été féroce pour les « traitants », nom « autrefois» donné, dira l'Encyclopédie méthodique à « tout homme qui, moyennant une avance d'argent, se charge oit du recouvrement J:l~un droit nouvellement établi, ou de la perception
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de ceux que l'on attribuoit à des offices de nouvelle création ». Mais les mots de « finance» et « financier Il ainsi cernés sont bien antérieurs aux XVIIe et XVIIIe siècles. En français médiéval « finance » se rapportait à toute taxe payable périodiquement, aussi bien qu'aux revenus en argent des princes et des villes. Froissart écrit de l'Italien Dino Rapondi, courtier favori des ducs de Bourgogne au xv e siècle : c( Par lui, se p~uvent faire toutes finances. » Dès le xv e siècle, les expressions d' «hommes de finance », « gens de finance », « financiers » s'appliquaient indistinctement à la fois aux fonctionnaires responsables des deniers publies, et aux gens d'affaires de statut privé qui collaboraient étroitement avec les précédents à l'entretien des recettes de l'Etat. Ces « financiers» des xv e et XVIe siècles étaient dits partitanti (c< partisans ») en Italie - le « parti» ou partito représentant toute opération d'argent conclue avec un prince - , hombres de negocios, asentistas en Espagne - d'asiento, contrat de crédit passé entre les financiers et le prince. Ainsi les frontières ont été de tout temps indécises et mouvantes qui permettraient de cerner l'exacte signification des vieux mots de « finance », « finances Il, « financier Il. Ils demeurent entourés d'un certain halo d'indétermination et d'ambiguité. Ils pouvaient avoir, selon les circonstances et selon les textes, soit un sens étroit et technique se rapportant aux paiements et au numéraire; soit un sens large et, en quelque sorte, « politique» quand ils avaient trait à tout ce qui touchait à la marche de l'Etat; mais, à partir de là, le sens des mots se diluait et s'abâtardissait à nouveau : « financier li en venait à être utilisé comme synonyme de riche banquier ou négociant et était indifféremment
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employé, dans le langage courant du moins, à propos d'opérations privée!! ou publiques. . Or, il importe de distinguer, et surtout pour les "iècles passés, le « financier Il du « banquier lI. Selon un dictionnaire de la fin du XVIIIe siècle (1), Banque signifie « commerce et trafic d'argent qu'on fait .remettre de place en place, d'une ville à une autre, par des lettres de change et par correspondance Il ; et les « Banquiers sont des personnes qui font profession publique du commerce de la banque et du change pour faire profiter leur argent, tant· dans l'étendue du royaume que dans les pays étrangers». Le banquier aide ainsi au négoce des marchandises en réglant les paiements, et en faisant crédits et transferts de place en place, de pays à pays. Négoéiant pour son compte en même temps qu'intermédiaire dans les paiements, trafiquant à la fois des denrées, des marchandises, des monnaies d'or ou d'argent et des lettres de change, le banquier ne fait alors qu'affaires privées. Mais qui ne voit précisément ici la source de certaines ambiguttés de vocabulaire tout à l'heure signalées? Le banquier, manieur d'espèces et de créances, pourra devenir un « homme de finance Il s'il met ses capacités d'intermédiaire, son crédit, ses disponibilités et celles de ses amis et correspondants, son habileté en affaires au service du Roi et de l'Etat. Il passe, à ce stade, au rang de prêteur et de fournisseur d'argent et de services pour le compte du prince. De là, le pas est vite franchi qui peut lui permettre de devenir une sorte de fonctionnaire, si le prince donne pouvoir au banquier de prélever pour son propre compte telle ou telle (1) Claude-Joseph de F'El'lt'ÈRE. DfclfoMafre de droft el de pralfque. t. lu 1779.
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ressource fiscale pour se rembourser lui·m~me des avances qu'il a faites. Ainsi, selon les opérâtions qu'il. entreprend, un homme d'affaires peut être" successivement ou à la fois, « banquier» et « financier ». Il en alla effectivement de la sorte durant des siècles, du XIIe auxvm e siècle. L'ambigutté des mots de « financier» et « finance »tient ainsi à un,certain état de fait. Le «financier» demeure un homme à double face, tout à la fois entrepreneur privé et collaborateur des affaires publiques. On a pu même avancer l'opinion, non sans quelque exagération cependant, qu'il n'y eut pas avant l'ère des grands établissements de crédit - la fin du de banquier proprement dit, seul XIXe siècle existant auparavant le « financier », homme qui n'a pas de rapports avec le public, qui ne dépend pas de lui, mais du prince et des « Grands» ; instrument' de l'appareil fiscal d'Etat, fournisseur du budget, et non pas serviteur des besoins du commerce. Ce qu'il ya de vrai dans ce point de vue, c'est que le banquier des siècles passés, celui d'avant l'ère de la « révolution industrielle », n'était effective~ ment pas en contact avec le public, au sens où nous entendons ce mot aujourd'hui. Sa clientèle était restreinte à des proches, des amis, des parents. Les banques étaient des « maisons de banque » à structure' et assise familiales, dont les ressources provenaient de la fortune des promoteurs, de quelques dépôts importants mais peu nombreux, et dont les emplois se cantonnaient à quelques opérations de grand négoce, d'industrie et de finance (rapports avec l'Etat ou le prince) : opérations peu nombreuses, mais grosses de profits - ou de périls. Il n'empêche que ces banquiers d'ancien type étaient loin d'être accaparés par le seul service des « affaires d'Etat » et que, des
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changeurs du XJ8 siècle aux: « maisons » huguenotes du xVIn8 , en passant par les grandes « compagnies» d'hommes d'affaires italiens des XIve-XV 8 siècles et par les entrepreneurs du XVI8 siècle (du type des Fugger) ils ont effectivement aidé au dévelop- pement des forces de production, des échanges ' int,emationaux: et à l'établissement progressif du. marché mondial. Pour les temps contemporains, la querelle de vocabulaire rebondit. Que peut bien être un financier aux: XIXe et xxe siècles ? Le ministre des Fin"nces et les quelques grands maîtres des deniers publics ? Les chefs des établissements bancaires importants - lorsqu'ils se font les intermédiaires entre l'Etat et les épargnants au moment du lancement des emprunts publics? Ou lorsqu'ils sont en contact direct avec le gouvemement pour lui fournir d~s avances à court terme et lui permettre par exemple, au cours du xxe siècle, de payer ses fonctionnaires aux: fins de mois? Mais n'est-ce pas un financier aussi que l'homme d'affaires - ce peut être un banquier ou un grand industriel - qui « lanceD une entreprise nouvelle, « finance» l'établissement nouveau en organisant la constitution du capital, puis son expansion ultérieure ? On connait la distinction entre le crédit nécessaire à une entreprise pour aSS1U'er ses fournitures, ses règlements, son « roulement » d'argent, et les moyens de financement qui lui permettront de se moderniser, de s'équiper, de s'agrandir; dans cette perspective, le crédit à court terme relève du domaine bancaire; le crédit à long terme du domaine financier. D'où la distinction actuellement classique des marchés il monétaire D et « financier D. D semble cependant que l'on ait intérêt à fixer . certaines limites à l'emploi Ile mots dont le champ
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d'application s'étend avec les modifications économiques elles-mêmes. Les termes de financiers et de finances demeurent profondément marqués par leur emploi originel. Le sens « noble » de ces mots, débarrassés de leur gangue, réduits à l'essentiel, se rapporte toujours en dernière analyse amI opérations de l'Etat. Il n'y a de vraies « finances» que celles de la collectivité publique, et de véritable « financier II que le collaborateur de l'Etat. II. - Spécüicité des affaires de finances Longtemps le financier, fonctionnaire à demeure du prince, ou personne privée faisant des affaires occasionnelles avec l'Etat, est demeuré dans une position difficile. Le prêt à intérêt, prohibé par l'Eglise, éta~t la matière première de la finance; mais son industrie gardait quelque clandestinité dans ses formes, puisqu'il s'agissait de tourner les interdictions canoniques. Naturellement, le financier était un réprouvé par nature s'il était Israélite. Chrétien, il ne pouvait pas sans risque pratiquer ouvertement son métier; il demeurait en marge de la loi ecclésiastique, du moins de la lettre de cette loi. Il rusait et fraudait par raison professionnelle. D'où le mutisme du financier sur lui-même. La pénombre lui convenait~ Une autre circonstance est venue ajouter à l'obscurité qui entoure toute opération de finance: au « secret des affaires », arme de toujours dans la concurrence, à la prudence raisonnée vis-à-vis de l'attitude de l'Eglise, le « secret du prince lI, c'est-àdire celui de l'Etat, a additionné ses effets. Les finances, pas plus que la diplomatie, n'ont jamais été opérations dont on débat sur ]a place publique. Mais J'absence de pub1icité des opérations, le caractère « couvert » des démarches, les décisions
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plises en comité restreint entre le prince, ses ministres et ses banquiers, l'éloignement du financier du public, et la haine que ce dernier lui portait souvent en· tant que collecteur d'impôt, tous ces éléments d'une situation de fait pouvaient, selon les temps, être favorables ou funestes aux gens de finance. Leur martyrologe est long, si leurs fortunes éclatantes ont défrayé les chroniques; de 1315 à 1522, d'Enguerrand de Marigny à Semblançay - c'est-à-dire de Louis le Hutin à François 1er - , sur douze administrateurs en chef des finances du roi de France, hui,t ont péri de mort violente, victimes du « bon plaisir Il du prince, trois ont connu la proscription, l'exil, la prison, un seul a pu tirer profit d'une retraite paisible. A côté de ces illustres victimes de la « finance du roi », on ne saurait oublier les séquestrations et confiscations visant les Juifs ou les « Lombards », le supplice des Templiers, les « Chambres de Justice» des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles à l'encontre des « traitants », le procès et la mort lente de Nicolas Fouquet... A la vérité, le métier de financier n'acquiert quelque sécurité que dans la seconde moitié du XVIIe siècle en Angleterre et au XVIIIe siècle en France - encore faut-il omettre ici la triste fin de certains « fermiers généraux » sous la Révolution - époques où le pouvoir discrétionnaire du prince n'est plus aussi absolu et où les bourgeoisies, dans leur essor, limitent la liberté d'action du roi. Epoques aussi où les ~apacités fiscales de l'Etat sont bien au-dessus de celles des siècles du Moyen Age, et où certains procédés extrêmes sont abandonnés. Que le métier de financier ait ainsi mêlé les plus grands honneurs et les plus grands périls est explicable. On flatte le financier quand on a besoin
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de Jui, quand le Trésor du prince est aux abois. Le t'inancier est,. à ces moments, celui qui a « ducrédif», . plus de crédit que tout le monde; il avance immédiatement les sommes nécessaires;i1 se Jes procure auprès de ses amis et met sa fortune à contribu:tion•. Mais, en contrepartie, Jes intérêts qu'il réclame sont considérables et la frontière deVient indécise entre les avances qu'il fait, sa cassette personnelle, et le Trésor. n attire alors aisément l'envie et la dénonciation. On l'a loué comme sauveur de l'Etat. On peut aussi bien le condamner comme vampire des finances royales : les· deux ehoses sont vraies, ' , suecessivement et à la fois. Quant à l'historien, s'il est mieux placé que )e grand public pour être au fait de la finance et des financiers, il s'en faut qu'il en sache autant sUr ces sujets, encore aujourd'hui, que sur les actes des chefs d'Etat. TI est aisément dépaysé - il le fut longtemps du moins - devant les tec~ques finan.. cières. La finance a conservé pour lui d'autant plus un certain caractère de mystère qu'il est fréquem-, ment à court de docu.nientation sérieuse : en France, les archives financières de J'Ancien Régime? dès le début du XVIIIe siècle, ont subi d'irréparables dégâts; rares aussi jusqu'ici sont les correspondances d'affaires des siècles passés qui permettraient de reconstituer des opérations continues; d'ailleurs autrefois déjà - et de nos jours bien davantage ... de grands faits en matière d'opérations financières n'ont fait robjet que de décisions orales. Dans ces dernières decennies mê~e, où l'histoire économique des siècles passés a fait des progrès' décisifs, les historiens se sont plus intéressés à la « marchandise D, c'est·à·dire aux techniques, aux courants, aux lignes de force des 't début du XVIe siècle, les marchands-banquiers ' ,: '-, ," italiens: ils disposaient, en tant que vende~' ;~\; :' . ,prod~t.s ~éditerranée~, d'une balance comm~rc~kle; . bénéflcuure; par la sUIte, et surtout à p~; des, ' années 1510-1530,Jes Florentins, victimes des ~odi"';:, , :, ficatiolls en cours dans le négoce européen,cèd~n.t _ ' :.,,: 'la place aux négociants allemands qui diilpo~t .. , à leur tour, à Anvers, de soldes commercia~ actif$j: . c'esi .' ,disponibles pour des opérations de prêt. ,à cette époque, que, avec l'arrivée de Cbm::l(ls Quint à la tête d'un énorme héritage de territoirèl!l : et d'Etats, le centre de gravité de la politique . , habsbourgeoise se transféra aux Pays-Bas. Leseré--; " dits aux pouvoirs publics ouverts à Anvers par;Jes ',' seuls Fugger s'élevèrent de 18500 livres de gros;" de Frànce en 1527, à 24 500 en 1533, à 187000;' ," 'en1546 - on voit ici le saut des années 1540-;et à 360000 en 1560. A côté des Fugger, d'autres:.·' gens de Nuremberg et d'Augsbourg, et à côté d~eUx encore, des firmes espagnoles, flamandes et italiennes : la plupart d'entre ellès ayant teîldànc~,', : à délaisser la « marchandise » pour les opérations .. '.' . moins pénibles et plus fructueuses des prêts. :La . population elle-même participait au mouvement en . l'alimentant: elle versait de l'argent en dépôt,·à·· intérêt fixe (7 % à 12 %) chez les marchand~-l>!1~c quiers. Qui empruntait ? Les villes des Pay~-Ba8, :le gouvernement de Bruxelles sous l'autorité 4e Charles Quint, le « facteur» représentant le gouver-~· , nement portugais, l'agent royal de la Couro~e. britannique, le' très célèbre Thomas Gresham,:.«fû .'. ... séjourna. à Anvers de 1551 à 1574. Prêts couverts, naturellement, par 'd'amples garanqes : DUlfcha~~.,
. ; : ."
' vœ..daii à"des particuliers le droit de percevoirde~' ,', ", ,,~uités
; leur paiement était garanti par le produit certains impôts. Les parts d'eJllprunts, assiDri- " "lables'à ,des titres de rente, étaient dites luoghi d,i " 'monte. Ce système d'emprunt entra à Rome' en '.: " application à partir de 1526; mais il était_ tradi, " tionnel dans les grandes cités italiennes ou espa:.. gn~les depuis le XIVe siècle; Florence et Gênes 'le 'pratiquaient régulièrement; leurs. banquiers se ',contentèrent de le mettre à la dispositioll des , .,finances pontificales. Le service de la dette, absor"bait à lui seulles trois quarts des revenus de l'Etat ,:romain. Les luoghi di monte étaient vendus dans le ' . ' -,public, et pas seulement romain, à commission; un , ::marché s'établissait et la Ville Etèmelle devint une , boUrse des rentes. Les monti pontificaux se plaçaient ' . dans toute l'Italie; les banques publiques nées dans la péninsule à la fin du siècle consacrèrent à leur "achat une forte part de leurs dépôts. n est possible' ", que le système soit devenu finalement pour de', "l1ombreux épargnants, romains en particulier, «une' . .invitation à la paresse économique » (Delumea'Q.). " n,fut en tout cas l'un des mécanismes d'enrichis,,'-:~meli.t des banquiers de la ville. Si leur fortune :semble avoir été en général inférieure à celle des: 'principaux cardinaux et neveux des papes, M. Delu-' '~~au cite quelques exemples de belles réussites : , ,.... .;A.- Chigi, .mort en 1520, aurait eu un revenu annuel' '. "Aquivalent à 237 kg d'or; G. Ceuli laisse à sa mortt "en 1579, l'équivalent de 14 700 kg d'argent ... Les financiers du Saint-Siège, au XVIe siècle, appa'raissent de toutes manières comme les continuateurs des _,marchands-banquiers de la Cour d'Avignon, mais, à plus vaste échelle. " , c, ; ' , /
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. B) Les finances de Charles Quint et de PhilippeD. - Les·. affaires financières de Charles Quint, puiS de·, Philippe II, dominent· incontestablement· toutes les grandes opérations du siècle. Elles sont de même. type dans l'un et l'autre règne, mais leur équilibrè interne évolue. Jusqu'au milieu du siècle le Nouveau Monde et ses apports métalliques ne jouent qu'mi· raIe / médiocre dans les forces vives de l'Empire. Les Pays-Bas - c'est-à-dire Anvers - fournissent alors une part considérable des revenus impériaux; ,la rupture se placera entre 1540 et 1550 et, à partir de 1560, Séville devient le centre fournisseur de , l'Empire. Le temps de Charles Quint n'est pas encore celui de. Philippe II. Charles Quint, selon M. Braudel, est « une collection de princes, d'EtatS et de budgets, de possibilités et de faiblesses financières » (1). Or, si l'on est en passe, grâce. aux tra.vaux de l'historien espagnol R. Carande, de tout connaître sur les finances de Castille, rien de tel pour les Pays-Bas; on connait· bien Jes mécanismes des affaires traitées par. Charles. Quint avec les grandes firmes fixées à Anvers; on est moins bie~ renseigné sur leu:t volume total - on l'était du moins, jusqu'à une date toute récente. Le gouvemement des Pays-Bas entretient en permanence pour le compte de l'empereur une dette flottante, à' court terme, sur la place d'Anvers: celle-ci se situait au niveau de 10 à 50 000 livres, en 1515; elle est à 7 millions, en i556. C'est à partir de 1525-.1530 que le centre d'Anvers commence à jouer son grand raIe de pourvoyeur de capitaux : les Fugger, Gualterotti, Hervart, Hochstetter, Mai-· tadiprennent des taux de 12 % à 15 % l'an sur ces (1) BRAUDEL, Les emprunts de Charles Quint sur la Dlaee d'Anvers (Colloque Charles-Qllfnt, C.N.R.S., 1959). Et le rapport de B. c.ua.um:s li Cologne (CollOqlltwn Karl V, 1958). . ..
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE
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'avances renouvelées de trois mois en trois mois. Lorsque l'accumulation des arriérés non payés .des dettes à court terme en arrive à une. sorte de .saturation, ~n « consolide» ces dettes par le moyen d'émission de rentes, viagères ou« héritières» (c'est-àdire perpétuelles), ce qui entratne le non-remboursement du capital prêté. C'est le mécanisme même des futures banqueroutes de Philippe II. Le montant de ces consolidations n'a· cessé d'augmenter : 80000 livres en 1516, 1 miIlion en 1554. « Sans doute, à partir de 1550, les. Pays-Bas ne peuvent plus supporter à plein le poids de la politique impériale. Tout l'effort, peu à peu, devient exclusivement le lot de l'Espagne et, au-delà, de . l'immense aventure du Nouveau Monde» (F. Braudel). Viendra alors le temps des asientos. La permanence du trafic des créances entre le gouvernement de Bruxelles et les hommes d'affaires d'Anvers entraîna la présence de « facteurs» du souverain, 'chargés de suivre le mouvement de-la dette aussi bien que de passer des contrats de 'four~tures et d'équipements pour les armées: Lazarus . Tucher joua ce rôle de 1529 à 1541 ; Gaspar Ducci de 1542 à 1550 - qui se fit dans sa charge une solide réputation de spéculateur et d'aventurier. Philippe II utilisera les services d'un Flamand, Gaspar Schetz (1555-1561) ; à la fin du siècle le Génois Fieschi tiendra le poste. n faudrait pouvoir suivre, à trave7-'S l'histoire exemplaire des Fugger, les hauts et les bas des rapports entre Charles Quint et ses f$nanciers prêteurs. L'analyse des dessous financiers de l'élection impériale de juin 1519 est à peu près faite •.Elle _marque le début de l'union étroite entre Jakob le . Riche et ses successeurs et Charles Quint : elle l'eXplique, en. vérité, car les deux puissances sont J. BOUVIER ET H. GEl\IIIAIN-MARTIN
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FINA.NCES DB L'A.NCIBN 1t8G1MB
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.d.4l1orDlaiS attaohées l'u6 à l'autl'G
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mthèt:
xoéoipJ'oqu.e. L'éleotion reviont ell tctut, l Charles. Quint, à 852 000 :florin.e, dont 548 000 fo'l.lmis pu les Fusge:r, 143000 par les Welser, le .:reete p~ deux banqu.iers génois et par le Florentin Gu.alt~... . rotti~ Jakob fut contrablt llour III première fois de faire· oe p1'êt Bans garantie, plQ"ce qu'il avait alofs besoin de l'al!p'li de Charles Quint pOUl" sauver SOs oréanoes $ur Maximilien défunt et $e$ vastes riaar.. ohé. de cuivre. Déso~ais « J akoh Fugf5el' pel'd sa liberté, celle de refuser des crédits " (L. Sçhiok). Uue pattie de la som,me avancée devait être rem... boursée en Espagne; J akobdut réclam~ avec fermeté, pour être payé, dims une· lettre célèbre du 24 mai 1523 : « Il est aussi connu et avéré. ~ 8U18 mon aide Votre Majesté n'aurait ja:rnais pu obtenir la couronne romaine ••• Si j'avais voulu ab~donner la Maison d'Autriche et favoriser la Fl-anee, j'au.raie obtenu heaucoup d'argent et de biens, comme 0Jl :me l'a p1'Opos&. " C'est alOl'll (1525) qu'il obtient de l'empereur la ferme des mtJ8strallSos qui devait finalement relayer avec d'autres fennes en Espagne (mercure d'AImaden) le cuivre honS!0is dans la g'ographie des grandes affaÙ'es des Fugger. MaÛI la contrepartie fut que, apl'~s Jakob, ·sea S~OeS&81U'8, cle plus en plus aeoaparés par les affaires anvçraohtel , et espagnoles, furent enp-atnés dans la l'onde ipJ~ nale des emprunts de Cha1'les QUÙlt et de Phi.. lippe II. TI Y eut 1Ul véritable « déplacement du oeDtre da gravité Il (1) de l'entreprise. Les Fuggex' en IU'l'ivà:rent, à pll1'tÜ' de 1540, à avoh eux·:m.&v.ee "aooUl'8 au "l'édit 8m' la plaee d'AnvQ" po~ ali~ mente:!;' leups prêts aux priJlC)8S : OD appeladt alors
Fusse,
obligatio:as à co\U't· te1'D.J.e qu'Ua (~) P. JIAmIlJI', AWllllH, 18155. C'f.IIl\ lIA. saü qu'M_ F1asstr 8lI~ OOD.tralnt d'atiQdoDD.81' le OWW4I ho~lI.brtef.
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HOMMES D'AFFAIRES AU XYIe SIlJCLE
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J.i4gooiaieu.t el/. BO'l1l'se. Laurs faote~ à ÂJl~eJS .'11, milieu du lIiècl~, mal cQlltr61ée,poWJsèJ'ent',.,wc affab;es financièJ:'68 : Veit Ha!l entraina la fimlo dans df!JS opérations oomidérables aveo la' Cour d'Angletel'1'e; son sucees,eUl' Mathails Oertel prêta 8UlS meS'!11'e à Philippe II en 1555·1557. Ehrenberg avait compté 17 prêts espagnols des Fugger; Carande en a dénombré plU$ de 100. Maie la première banqueroute de Philippe II (1657) marqua le début du déclin de la maison. « La Bourse d'Anvers, écrit: EhreDberg, fut fatale .ux ;Fugger, comme elle le .:fut à bien' d'autres maillons de oommerce. » Cepen. dant la firme déclina au,ssÎ en quelque sone plU.' pClnte nat'U,l'elIe. Après Anton (1525-1560), les IJUç~ C6SSeUl'S ne surent pas demeurer unis; ni s'adapter à l'évolution de la conjonoture. Il est vrai que Gênes, à 1'6poque des foÎl'es « de BeSlU1çQn II, était désormais mieux placé qu'ÂnV8I'S (et ~'Augs .. bourg). En tant que puissance financière, les Fugger disparalssent dans 1. première moitié du "VIle siècle. Ils avaient été les hommes d'affaÎl'es d'uns époque. Les avatars fin.ancÏers du' gouvernement de Phi.. lippe II montrent avec assez de netteté que le flot de l'argent américain, malgré ~on volume Cl'Olsllant jWlqu'à la f:in. du. siècle, ne suffit jamais aux hOIlOlnS, ni ne répondit aux rythJI16S des; besQins du gouvern.ement de l'Espagne. Philippe) II dépensa' toUjOU-ti plUl! que ses ressources. Portée en qUelque sorte par le dynamisme de la pl'oduction des JIlétaux précieux, l'la politique européenne excéda toujO'\l'E'e 'les Uloyens fo'l,lmÏs par l'argelit d'.Amérique. Et oe paotolç lui.même ne rendit pas Philippe Il intU.. P,' endlU'lt des hommes d'affaÜ'es. Les métaQ préa. oieu tl"averlilaient l'Espagne sans la féconder; l'argent venu .des « Indes » à. titre privé ne floldait' fina1e:œent que les ill1portat.iollitÎtrangn, aux-
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quelles l'Espagne s'habituera aux dépens de son propre développement économique; quant à l'argent introduit dans le pays pour le compte du souverain, il était à l'avance engagé entre les mains des banquiers du roi, qui arrivaient toujours à le sortir du pays. Les foires de Medina deI Campo, qui eurent une grande activité des années 1550 à 1580, permettaient règlements commerciaux et financiers, mais les perfectionnements mêmes de leurs compensations, comme le souligne Ehrenberg, « fournissaient aux bourses mondiales un bon moyen pour tourner l'interdiction del'usure ... et masquaient une demi-banqueroute perpétuelle lI. Le défaut permanent, structurel, du ravitaillement en argent par le Nouveau-Monde résidait en effet dans son irrégularité. Les galions n'arrivaient qu'une fois l'an, d'un coup, et à une date plus ou moins tardive. Or ] a guerre avait des exigences quotidiennes ; seuls les hommes d'affaires pouvaient assurer des fournitures d'argent avec régulariité, grâce à l'armature internationale des foires et des Bourses. D'où la mise à l'encan des revenus espagnols de toutes sortes - revenus castillans essentiellement - et l'escompte du stock métallique apporté par les galions. Les hommes d'affaires se chargeaient des transferts, assuraient les paiements de par l'Europé et, surtoùt, avançaient l'argent nécessaire. Le tout par le jeu de& changes, puisqu'il s'agissait de régler aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, en Italie, partout où l'expansion espagnole marquait sa présence, des sommes en monnaies nationales, dont la contrepartie était libellée en monnaie espagnole. A l'échelle des possessions écartelées de Philippe II, c'était le triomphe des techniques bancaires mises au point au Moyen Age, et dont les Génois devinrent alors les grands maîtres, après la première banqueroute
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de Philippe II (1557). Comme l'a souligné L. Febvre à propos de la thèse de M. Braudel, l'Empire espagnol du XVIe siècle pose d'abord un « problème de liaison Il : « Une bonne moitié des gestes de Philippe II s'expliquent uniquement ... par la nécessité de maintenir ses liaisons, d'assurer ses transports, d'effectuer dans chaque lointain district de ses royaumes les indispensables transferts d'argent. Routes des armées, des lettres de change, des métaux précieux ... Il A ces besoins répondaient les asientos. Les asientos, financièrement, équivalaient à une opération de change puisqu'ils comportaient crédit, transfert, et passage d'une monnaie dans Une autre. Mais, juridiquement, ils avaient une complète ori. ginalité en tant que contrats bilatéraux entre le roi . d'Espagne et un (ou plusieurs) hommes d'affaires. Les contrats indiquaient avec précision toutes les conditions de l'opération: somme avancée, montant du remboursement, prix du change, époque du remboursement. En tant que contrats, ils correspondaient alors à ce· que l'on appelait en France un « parti Il. Ils servaient surtout à financer la guerre aux Pays-Bas à partir de 1566, dont la CastUte faisait les frais. Il était exceptionnel que, d'Espagne, le gouvernement put faire passer directement du numéraire à Anvers: il le fit en 1567, lors de l'envoi du duc d'Albe. Mais nous savons que ]a voie maritime du numér~e par la mer du Nord devint rapidement impraticable et, ni du caté de la France, ni du côté de l'Italie, la Couronne ne parvint à organiser ellemême les envois de numéraire. Les asientos devinrent ainsi une obligation. Généralement ils étaient assortis de privilèges ou de libéralités : par exemple, le droit d'exporter du numéraire hors d'Espagne. Mais il existait deux modalités d'asientos : ils
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pouvaient être conclus soit à Madrid, Il oit en Flandre. " aveeles gouvemeurs6l1pagnols. Lespremièrs étaie~t directement discutés" avec la monarchie, étudiés attentivement, et remboursables en Espagne: partie en paiements comptants, partie en assignations (libranzàs) sur l'argent A venir des « Indes» ou sur divers revenus de la Couronne, à des échéances plus ou "·moins éloignées. Les seconds étaient souvent négociés à chaud, en raison d'urgentes nécessités, et devaient être ensuite acceptés par le pouvoir de Madrid, ce .qui impliquait des risques pour les hommes d'affaires. Pour les asientos importants de véritables consortiums de négociants se constituaient et, fréquemment, les mêmes maisons se rencontraient dans des contrats différents; chaque participant pouvait d'ailleurs fractionner son lot et le céder à des tiers. Ces négociations entraînaient d'étroits rapports entre fonctionnaires espagnols de la Ha%Ïenda et hommes d'affaires; les faits de corruption ne pouvaient être que. fréquents. Le mépris et la haine de l'étranger en Espagne s'exerçaient avec force contre les banquiers allemands. puis génois, qui tiraient profit des besoins du Trésor. Les ,banqueroutes qui se succédèrent jusqu'au milieu du XVIIe siècle - 1557, 1575, 1596, 1608, 1627, 1647 - n'étaient pas tout A fait des interruptions de remboursement, car Philippe II et ses successeurs n'avaient pas la liberté de ruiner tout à fait leurs prêteurs. Ils se contentaient de « consolider» la dette flottante grossie par l'accumulation des asientos, c'est-A-dire d~en étaler le remboursement en donnant A leurs créancie:fs ·des juros, c'est-A-dire des rentes (1). Celles-ci pouvaient être, par la suite, . (1). Sur les ,rapports étroits entre (IIcienlos et luros, voir le très suggestif article de M. A. CASTILLO, Dette flottante et dette consoen Espa(p1e de 1557 à 1600'(Annales. no 4;1963).
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négo.ciées, et les préteurs, avec plus ou moins !ie pertes, .rent;rer dans leur capital. D'ailleurs, très au (ait de!1 pratiques princières, les hommes d'affaires s'efforçaient toujours de tirer pied ou aUe de leurs engagements; il arrivait souvent qu'une partie dU. prêt faisant l'objet d'un contrat déterminé était versée non pas en numéraire, mais en marchandises, à bon prix; ou mieux encore, en anciennes créances du gouvemement laissées en souffrance. Ainsi prospérait la « finance », alors que l'économie espagnole s'anémiait. La première moitié du XVIIe siècle verra s'étendre, après la mise à l'encan des métaux d'Amérique et des richesses du pays, « la crise de la puissance et de la conscience espagnole» (1) et co~en cer la décadence séculaire de la péninsule ibérique.
C) Les finances françaises: nouveautés et tradition. - Etant donné la natUre même de l'économie, . de la société et de l'Etat, la contradiction permanente demeure entre ressources publiques et dépenses publiques. . . Quant à l'administration financière d'abord, elle se modifie sans doute assez profondément de François 1er à Henri IV, mais comme à tâtons et par à-coups. . . . La monarchie tend à unifier, à simplifier et à rendre plus efficace l'administration fiscale; elle brise de 1523 à 1536 l'admini!1tration concussionnaire des grands officiers, « Messieurs des Finances» . - exécution de Jacques de Beaune, sieur de Semblançay, en 1527 - et met en place, très empiriquement, par des réformes qui se poursuivent jusqu'à Henri IV, une achninistration centrale et provinciale des finances qui a pour piliers « Conseil des ., (1) P. VILUl, Le templ du QuIchotte, Europe, 1956.
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Finances» d'une part, « généralités» d'autre part. Mais les hypothèques pesant sur les finances n'en sont pas levées pour autant : la vente des offices (Bureau des parties casuelles, 1522), leur hérédité, et leur multiplication font qu'une partie de la « fo:qction publique » commence à échapper au pouvoir. D'ailleurs ni du côté des officiers de finances, ni du côté du prince, les habitudes ne changent; l'argent ne rentre pas mieux, alors qu'iJ est dépensé de plus en plus rapidement. , D'où l'extension des « rentes sur l'Hôtel de Ville », à partir de 1522, qui commencent à fonder la notion de crédit public et la pratique de la dette à long terme. D'où l'épanouissement du second type d'emprunt royal, celui-là même que les conditions économiques nouvelles du XVIe siècle permettaient à grande échelle: l'emprunt à court terme, « 'de foire ll, passé avec les grands marchands-banquiers qui puisent dans les disponibilités monétaires des places commerciales qu'ils contrôlent. C'est là le rôle de la place lyonnaise et des hommes d'affaires toscans et allemands. On a provisoirement dénombré 209 sociétés de marchands-banquiers en France au XVIe siècle, dont 169 avaient leur siège à Lyon (143 Italiens, 15 Allemands ou Suisses). Ainsi prépondérance lyonnaise, et prépondérance italienne. Ce sont les guerres d'Italie, à la charnière des Xve et XVIe siècles, qui entraînent de plus en plus les marchands-banquiers de la péninsule dans les affaires de prêts au roi. Sous Charles VIII. Louis XII et au début du règne de François 1er, les banquiers génois traitaient les affaires de prêts en collaboration avec « Messieurs des Finances li; ceux-ci offraient fréquemment leur garantie personnelle, plus solide que celle du prince .. Ainsi en 1496, en 1507, en 1515 et 1516. Après 1528, la rupture entre Gênes et la
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France est complète. La place sera libre, à Lyo~ pour d'autres hommes d'affaires italiens et pour les Allemands du Sud. Il est vrai que les rapports entre François 1er et les Florentins de Lyon passent aussi par des hauts et des bas, selon l'état des rapports politiques entre les Médicis de Florence et la Cour de France. Mais c'est à partir des années 1530, une fois définitivement liquidée ou amoindrie l'ancienne oligarchie des hauts officiers de finance, que la monarchie tente de donner quelque régularité au système des emprunts de foire à court terme. De 1536 à 1538, sous l'impulsion du cardinal de Tournon, lieutenant général dans le Sud-Est, et de quelques grands officiers royaux, une série d'opérations de prêts en foire de Lyon fournit à Fran~ois 1er et Henri II des disponibilités importantes. « Plus encore qu'Anvers, a écrit Ehrenberg, la Bourse de Lyon résulte d'un effort conscient des souverains. » C'est que les motifs politiques -le règlement des dépenses de guerre - sont pressants. A partir de 1542 - on retrouve encore ici l'importance des années 1540 dans les affaires financières européennes - les emprunts royaux à court terme, renouvelés trimestriellement de foire en foire, à 14-16 % l'an, deviennent réguliers chaque année. A cette date, Tournon ne réside plus régulièrement à Lyon, mais est représenté par des commissaires royaux qui utilisent les services de J'intermédiaire allemand Jean Kléberg (mort en 1546, créancier de François 1er pour 13500 livres). Hommes d'affàires allemands (tels les Welser) et italiens participent aux opérations. Cette nouveIle série d'emprunts demeure cependant mal connue; il Y en eut en 1542, 1543, 1545, 1546; en 1547, à la mort de François 1er, l'ensemble de la dette royale à court terme, à Lyon, s'élève à 6860000 livres - soit,
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selon R. Doucet, le' total des recettes du Trésor pour l'année ••• Si en 1548 les deux tiers dé cette é première» dette sont remboursés, le JD.ouvement reprend, sans interruption de 1549 1,1557. Les créanciers demeurent toujours l la fois des maisons italiennes et allemandes; parmi ces dernières, on connaît plus particulièrement le raIe très actif de 'deux banquiers de Strasbourg, MinItel e~ Obrecht ,qui, quoique Réformés, ont été banquiers de Henri 11 et de Charles IX. Au début de 1555, la dette s'élevait à 4937000 livres. Comme les emprunts étaient garantis sur divers biens du roi et des commissaires royaux, les ,obligations royales étaient négociées et avaient un cours sur la place: « Rudiment d'une bourse des valeurs» (R. Doucet). Le « grand par'y » mis sur pied en 1555 ne fut à aucun degré ~e révolution dans les te'Chniques des, prêts à court terme, mais le prolongement et l'ess'ai de inise en ordre des opérations des années ~té. rieures; par contrat en bonne et due forme avec ses créanciers étrangers (pany) Henri II a l'ambition d'unifier les créances anciennes, d'étaler leUr remboursement sur dix ans, en 41 foires, « véritable plan d'amortissement de la dette» (Ehrenberg), en donnant aux prêteurs des assignations sur les recettes générales de Lyon, Toulouse, Montpellier - et en leur demandant de nouvelles avances, incluses dans le contrat. Mais l'opération demeura ouverte, c'est-à-dire que d'autres prêts vinrent s'ajouteJ:', dès la fin de 1555, à la masse primitive. , Finalement, le total des créances du « grand party » - qui n'aurait été viable que si les premiers engagements n'avaient pas été dépassés - 'atteignit J2 200 000 livres, soit la plus forte dette qU'l:1D- roi de France ait' jamais eue jusqu'à cette époque. Comme dans la plupart de cessort!'s d'opératioilB,
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. o~ J;levoit pas avec précision avec quels fonds traM v~ai~nt.les banquie~;
il semble qu'ils devaient, une fois le contrat signé, revendre « au détail » au moins une partie de leurs créances, et intéresser par là' aux emp~ts de nombreuses personnes. C'est ce fait qui a frappé bien des contemporains et qui donne une certaine allure de nouveauté, de « souscription publique» à l'ensemble de l'opé ration. La « chute» du « grand party» .n'est qu'une banqueroute princière classique, qui commence en 1558 : le roi réduit les trois quarts de ses paiements, verse à ses creanciers des rentes sur la ville de Lyoni .. La mort de Henri II e;n 1559 donne le coup de grâce à l'opération; la liquidation des contrats de 1555-1558 trllfnera jusqu'aux années 1580 et ne sera d'ailleurs jamais close, en ce sens que les dettes royales ne furent pas tout à fait éteintes - il s'en fallut même de beaucoup. « Le grand parti avait accordé dix ans de répit au royaume »selon R. Doucet. Il avait fonctionné parallèlement aux foires d~ Lyon, qui étaient sa base réelle. Mais l'infidélité royale retentit à son tour. sur la place de· Lyon, pour .laquelle' les banqueroutes de la seconde moitié du siècle - d'autres suivirent celle de 1558, et dès 1567M1568 - furent l'un des éléments .' de son affaiblissement. Dans le dernier tiers du siècle, époque des banqueroutes d'Etat sur le continent, de la crise des centres d'Anvers et de Lyon, de l'infJ.a:tion en Franc.è des « mauvaises monnaies », et des troubles civils et . religieux qui agitent les profondelJU .du royatm;le, les relations entre hommes d'affaires et monarchie en France voient s'accuser des tx'aits anciens, mais cp,i' acquièrent' désormais un certain oaractère de généralité. On entre dans l'ère des « partis », des « fermes », des « traiiés », .qui se. ProM
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longera durant les XVIIe et XVIIIe siècles. Evolution inéluctable : la défiance des prêteurs du roi' 'êtaiit accrue, les administrateurs des finances royales, pour obtenir des prêts, devaient de plus' en plus hypothéquer certains revenus fiscaux du Trésor. D'où les « partis» : plusieurs hommes d'affaircs, groupés lorsque l'opération était d'importance, affermaient,telle ou telle ressource fiscale, c'est-A-dire se faisâient percepteurs de droits pour rentrer daD.s leurs avances. Le principe de l'affermage fiscal n'était pas nouveau; la pratique non plus. Mais cette dernière prend désormais des proportions nouvelles et aboutit Ala mise en place dans l'appareil d'Etat lui-même d'une oligarchie de financiers étrangers drainant en France même l'argent ddnt ils ont besoin et dont les pouvoirs succèdent, A tout prendre, A ceux de « Messieurs des Finances lI, contre lesquels la monal'chie avait· tant lutté dans la période précédente. Pour les recettes du domaine royal, pour celles des aides, traites et gabeHes (impositions « indirectes lI) les fermes sont de règle. Elles permettent sans doute au roi l'économie d'une admi;' nistration et lui assurent des rentrées dans des délais meilleurs, puisque les « fermiers » font des avances. Mais les fermes sont A l'origine d'innombrables concussions au moment de l'adjudication des baux et elles entrainent, pour les contribuables, les conséquences les plus néfastes. Sans doute distingue-t-on au XVIe siècle les débuts. d'une .concentration des fermes, dispersées au niveau' des paroisses : d'où la multiplication des fermes dites « générales » fusionnant en .un contrat des' traités jusque-lA différents; l'exemple le plus connu en est le « bail des cinq grosses ·fermes » (1584) qui, après quelques tâtonnements, est définitivement appliqué A partir de 1598. Les « receveurs », dans les
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" généralités », se contentent d'encaisser le montant des baux et ont un droit de contrôle fort théorique sur la gestion des fermiers. Les {( fermiers » ou « traitants » deviennent ainsi des officiers publics provisoires, pendant la durée des baux qui varient de 2 à 8 ans, et sont renouvelables. Mais une fois la pratique de la ferme bien entrée dans les mœurs, son application ne peut que s'étendre à d'autres objets que certaines rentrées fiscales : le roi peut conclure un « parti» ou un « traité» pour les objets les plus divers : ravitaillement des troupes, fournitures d'armement, négociation en bonne et due forme des « offices » désormais vénaux et bientôt héréditaires ... Les « traitants» deviennent des entrepreneurs polyvalents. De ces personnages, qui ont défrayé la chronique du temps, on connaîtra surtout les Toscans de Lyon, fixés à Paris dans le dernier tiers du siècle. A l'extrême fin du siècle seulement, semble-t-il, quelques noms de traitants d'envergure, d'origine française, apparaissent. Les Florentins qui, dans la première moitié du XVIe siècle, ont progressivement perdu leurs positions en Angleterre et aux Pays-Bas, et qui doivent laisser aux Génois les grandes opérations des Habsbourg, ont désormais, avec certaines firmes lucquoises, la France comme terrain réservé. Le fait que deux Médicis soient devenues reines de France sous Henri II (Catherine) et sous Henri IV (Marie) explique d'ailleurs la solidité des positions conquises par eux : ils les conserveront, malgré l'intermède d'un Sully, qui ne les aime guère, mais est contraint de s'en servir, j1:l8qu'au milieu du XVIIe siècle. Les Salviati, Strozzi, Capponi, Albizzi, Guadagni, Diaceto, Rucellal, Gondi, Bandini ont fourni non seulement des financiers, mais des hommes de guerre ou d'Eglise à la monarchie. Parmi les Lucquois : les Bonvisi et, à la
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, tiD, du lièol6, les Cenaud et Zametti. La plu.,~!Sl&bfÇ d.e. fermes de l'6poque fu.t l'entreprise dite lQ grand party du '61(1585) par laquelle fultent affenn:i1s les (1 greniers à sel» des promces du Nord et de l'Ouest; à un mo:œent de pénurie de sel, le 8f(Jntl p(Jrty, avec Zametti, détenait le monopole d'aohat du sel ibérique et de sa vente dans oertaines l'égions !ran... 9aises •.• De grands personnagel'l de la COU1' avaient été intéressés aUx bénéfices de l'af'faix'e. Sully· en parlera dans ses M'rrwiru. à titre d'exe:rnple de rapacité des. financiers. A quelques· reprises (en 1584, en 1597) furent agitées cont1'e le8 b'aitants des menaoe~ de poUl'8uites. La monarchie n'exigea le plus souvent que de simples versements d'amendes. Mais il· faut bien reoonnaitre. encore une fois, fJ1ltl tous les défauts de l'organisation. financiboe du. temps tenaient à des (lauses profondes ~ ne dis~ paraib'ont CJU'avec les transformations radicales de la' fin du :X:VIUQ siècle.
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n se~le bien, tout oompte fait, que" l'espresllliou.
de « modernité )1 attachéè au XVIe siècle doive ê'b'e 0mployée avee précaution. Les grands ho.mes d'affaires du XVIe sièclenerullJparaiS$ent.üs pas, de la scène finalement, en tant qu'entrepreneU1'8 ? Et l'on' a pu poser, aveo l'alson, cette question:' (( Ne rep:résentent@Û6 pas bien un Moyen Àg8DloUR l'ant ?» (1). Les Clonditiou.s de leU1' réussite ~ oo~e lei oauael!l de leUl'8 écheos ~de!qeQ,1'ent œalgré tout , d'au.cie:u. type; iIli'I ont e~ploité dei p08ition. ~ . œ.onopole, 'travaillé S'Q.1' de. maroh61l in6guliel'i et disC)op.tm,us, Ile 18l>nt 'levés pal,' 1ell U'afiosd'm~ f!lW1oell, . ont 6troittlmeut att.aché lev' f01'tae
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de~ pèe@s. Il y a danll tOut cela de l'cwennn'.; 011 n'y rCQonnaÎt PA" lell UQit8 fort différents du o!\pitwmo copwmpfJrlsin qui de1UJlJlde une cmame régularité et ".atioJ1a1it~ clUlI'J le. affaires et qui recherche davantage l'exten. liOU: ~antitative des op6ratioD$ qu.fil le pal'i risCJ"é sUl' ~elquel'J grosses affaires. Au. fond, ,,'ést la speculation sur It;ls ohanges Cf\Û, comme au !\1oyen Age, l'elite la grande préO«,1cupatiQJl des JUlll'Chands-banquiers du XVle siècle. Elle demeu.. :rera 4'ailleUl's, jusqu'au m.i1ieu du XIX" siècle, }'op4. ration favorite. de la pl'Ofe8Sion bancaire. Mais ce no ,eront p11l8 a101'8 les «cambistes li qui joueront le l'Ôle de mattres de jeu. dans les grandes opérations de (( l'iIldustrialism,e )J. Ds apparaitront au contraire; à cette date, comme gens d'Ull a'Q.tre âge, à l'arrière. garde du mouvement capitaliste. Or, la tentation - et l'erreur d'appréciation - serait de voir en eux, au XVIe siècle, une avant-garde du futur systbme de production et d'6ehanges. Ce q1U C/lt frappant, tout au contraire, c'est « le faiLle développement des structures du capitalisme au XVIe siècle dans la vie économique générale » (1). A propos de l'extension des affaires financières des grands marchands-banquiers on a pu écrire, non sans raison : « Il s'agit moins des débuts du capitalisme que de l'extension du prêt à intérêt à des taux le plus souvent uSuraires » (2). L'excroissance des phénomènes de ,finances (prêts aux princes sous toutes leurs formes) est, du point de vue du développement économique général, un fait négatif; Tout ce qui va dans les Trésors d'Etat, avances diverses, capitaux des offices et des rentes, etc., est détourné du secteur de la production. La mentalité même des hommes
-ü.Pogoeto ..... 6. çelle
(1) P. JEANNIN. Le81Jlal'e1umdB du XVIe siècle,p. 91·92. (2) L MOMNJEB, Annales, 1948.
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d'affaires du temps n'est-elle pas une sorte detraduction de cette stérilisation par la « finance »..de capitaux qui auraient pu être actifs? Ce n'est pas un trait propre à la seule société française. que le passage de la « marchandise Il à l' ( office li, ou à une· position sociale rentière (1). En bref, les Fugger, pris ici comme symbole, ne sont pas les précurseurs des (( rois Il du capitalisme triomphant du XIXe siècle. Mais cela ne signifie pas, répétons-le, que malgré eux ils n'aient pas préparé certaines des conditions de l'épanouissement ultérieur d'un autre système économique. Les assentistas, (( b'anquiers de Cour li, ( traitants Il passeront; le .marché, les marchés - marchés nationaux, marché international demeureront. Grâce à eux - sans oublier d'autres facteurs de développement - le capitalisme ( commercial Il pourra se transformer en capitalisme ( industriel Il. (1) Excellents développements sur ce point dans lntroduction à la France moderne.
lIiANDROU,
CHAPITRE
III
VUE PERSPECTIVE DES AFFAIRES DE FINANCE' AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES I. -
Economies et finances d'Etat
« Au siècle des Génois, 1550-1630, succède le siècle de Colhert, qui n'est pas de prospérité» (1). Une malédiction commune plane sur le « long XVIIe siècle» de 1630-1640 à '1720-1730; avec la haisse de production des mines américaines, le métal lancé dans la circulation représente une proportion décroissante de la masse monétaire totale européenne. Même si les faits monétaires ne sont pas, à eux seuls, déterminants et explicatifs, il n'en est pas moins vrai qu'au dynamisme chaotique du XVIe siècle succèdent des temps de rémis.sion, de plafonnement et de secousses extrêmement hrutales entre hausses et haisses des prix, dans le court terme. Dans toutes les zones touchées Pl:lr la « haisse séculaire des prix » - mouvement visihle dans le long terme - se reconnaissent des phéno.mènes identiques: langueur des affaires, haisse du taux des revenus, haisse du rendement des· impÔts. . . Il est alors justifié de rattacher à ces phénomènes (1) F. BRAUDEL, De l'or du SoudaD. •• (Annales, 1948). J •. BOUVIER ET H. GERMAIN-MARTIN
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nNANCES IJE L'AiVCIÈN R:tGIME-:
d'ensemble tout ce qui touche à la politique etatique en matière de' finances, de monnaies et' de dévelop:". pement . économique. A la base, la déjà vieille contradiction, mais qu.i prend, en temps de « réces~ sion lI, une acuité dramatique entre les besoins d'argent des souverains et les difficultés de ~'en pro.curer. Il faut citer Colbert: « Je crois que l'on demeu:rera facilement d'accord de ce principe qu'il n'y a que l'abondance d'argent dans un Etat qui fasse la différence de sa grandeur et de sa· puissance» .• (Rapport à Louis XIV, 3 août 1664). Une conjoric,; .. tian, génératrice de tensions plus vives encore qu'au . . XVIe siècle, se produit dans le long XVIIe siècle .entre la grandeur et le désir de grandeur des monar~ .chies .et l'état de faiblesse des instruments de la i!andeur : le développement économiqp.e, la riches~e nationale, la capacité contriby.tive, les res80urcea .en argent frais. D'où les divers aspects de la théotie . -' ii théorie véritable il y eut jamais - et de~a pratique mercantiliste et l'importance du rôl~ attribué aux mf.taux précieux par les gouvernante de ce temps, qui recherchaient d'autant plus à en capter les sources - essentiellement par le commerce extérieur - que leur rythme d'accroissement avait faibli. Le mercantilisme dans ses pratiques très empiriques était adapté à une ère de constriction monétaire. « Les hommes, dit Marc Bloch, furent impuiSsants contre une gêne monétaire qui dépais- . ~ait leurs possibilités d'action Il (1). . ; Politique monétaire et finances de l'époque mercan1;iliste sont alors mieux explicables. A la « guerre d'argent Il (Colbert) -'- c'est-à-dire la guerre commerciale appuyée sur la force militaire - s'ajoutent lcs ,mutations monétaires en série, « ..... dévaluations» (1) Marc BLOCH, Aspects ·économiques du siècle de Louis XIV (C.D.U., 1 9 3 9 ) . . .
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que' ne ~em'lent pas .fondamentalement contrarier "quelques « renforcements» opportuns :en1700 '.la livre tournois ne représente plus que 7,02 g 'd'argent fin contre 17,96 g en 1513. Ces muta'ti~ns, plus nettement encore que dans les siècles précédents, représentent à la fois un effacement partiel des dettes de l'Etat, un expédient fiscal, "un artifice de trésorerie. Quant aux méthodes fiscales et affaires de finance, elles se poursuivent ,dans. la France du XVIIe siècle selon l'exacte trajectoire, de, la seconde moitié du xVIesiècltf : le mot e « traitant » succède au mot « partisan lI, mais les réalités demeurent les mêmes; la monarchie fait '~frlt de tout; plus encore qu'au XVIe siècle la , po~tique.gouvemementale relève de la conjoncture .' de' guerre extérieure, et presque continuellement d'Henri IV à Louis XIV les finances sont finances de temps de guerre. Mais comment percevoir aisément taille et taxes en période de pénurie moné.taire? D'où, précisément, avec l'inflation' des '1,>e!!oins d'argent-, l'indispensable rôle des financiers . et des banquiers, gens « ayant du crédit» - plus que Je ministre, plus que le souverain ...-:. et que ministre et souverain protègent tout en les maudiss'ant, Autre signe de la continuité des méthodes financières anciennes dans la France du XVIIe siècle, l'absence de crédit public", Ce sont de~,particUlier8 en tant que tels qui prêtent au roi; prêtent-ils' d'ailleurs? Le roi vend des offices, des billets de loterie, des rentes (perpétuelles ou viagères), il n'emprunte pas. Qui sOUBCrit une rente ou achète une charge aliène son capital; l'Etat ne le rem, bOUrsé pas. Dans le même sens, l'avantage présenté par les financiers du roi - du point de vue royal c'est qu'ils se remboursent directement sur le contri-
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FINA.NCES DE- L'A.NCIEN R:tGIME
Jm.able ; le roi n'a pas à puiser dans ses disponibilités ,pour les pàyer. D'~ù la rigidité d'un tel sysièmè. Ce qui manque toujours, aux -moments aigus de pénurie budgétaire, c'est un « volant de trésorerie ». On constate cependant une nette divergence d'évolution entre l'Angleterre et la France : la très provisoire « Caisse des Emprunts » de Colbert ne soutient pas la. comparaison avec la Banque d'Angleterre et finalement. si l'expérience de Law échoue· à Paris à l'entrée du XVIIIe siècle, c'est que le contexte français est' encore trop en retard pour. supporter sans dommage les médications nouvelles. de l'apôtre modeme de l'inflation de papiermonnaie. Au caractère traditionnel des affaires de finances sous Louis XIV correspond ·l'insù.ffisance es· mo ens monétaires de crédit et de han e à l'interieur même du royaume. Situation en Angleterre (1) • . S'il existe des points communs dans la situation des finances publiques des· deux pays aU cours des xvue et XVIIIe siècles (augmentation de la pression fiscale directe et indirècte, recours croissant à l'emp~t; élargissement de la circulation fiduciaire, rôle considérable d'adminis4'ations financières centrales spécialisées) les divergences sont bien· 'plqs importantes. Mais elles ne prennent leur vr~ relief' qu'à partir de l'extrême fin du XVIIe siècle: dans un pays,' l'~leterre, où le dévelôppement économique est p us accéléré qu'en France, où le sens de rentrêprise, des « âffaires », a gagné à la fois monneyeà men et landed men, où les changements sociaux et politiques ont donné poids et efficacité à l'influence. des grands négociants, banquiers et manu(1) Voir. R. MOUSNIBB.L'4volutiOD des. fiDaDces ,publlquea en FraJlcII et en Angleterre pendant les. guerres de la llgue d'AujsbOUrg et de succession d'Espagne (.Rell. hilitOJ"ique; 110 l, 1951). -
AFFAIRES AUXXVIJe ET XVIIIe SIÈCLES
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facturiers, on constate qu'après les révolutions du siècle, tant par le self gOfJemment local que par le rôle des institutions politiques centrales (Parlement, Cabinet) les ens aisés les tabl s les bour eois ou ro ri . - ciers contrôle ec-ti' ent ud : financièrement,fiscalement la monarchie est subordonnée. En second lieu, par comparaison à l'administration fiscale française, célle d'Angleterre a des traits plus modernes et plus d'efficacité: un corps de fonctionnaires des finances dépendant du seul gouvernement est en voie de se constituer à la fin du XVIIe. Il n'y a pas c( d'officierS )) ni de « fermiers» disputant au pouvoir d'Etat lès bénéfices de l'adnrlnistration du royaume. Si les deux pays, d'autre part, empruntent de plus en plus, le gouvernement anglais est en mesure de le faire à d'autres conditions et sous des formes plus modernes que la France. Grâce à la formation de la Banque d'Angleterre, à :t!D-e circulation monétaire Weux orgatllsêe et plus sftre. à une confiance plus g!ande envers l'Etat, peut se constituer une dette publique, fidèlement -respectée par le gouvernement, alors que la monarchie française devra toujours recourir à des particuliers (traitants, banquiers, grands officiers, fermiers généraux) pour survivre. Mais la dette anglaise, en raison de l'efficacité plus grande du systèltle -fiscal, est bien inférieure à la dette française. Ainsi les particularités des systèmes :(inanciers des deux pays sont bien liées à leurs régimes économique, social et politique propres. Au XVIIIe siècle l'atmosphère change en ]!;urope, à partir de 1720-1730 : augmentation des productions de métaux p;récieux américains, montée des prix .et des profits, stabilités monétaires (Angletërre 1719, France 1726), poussée démographique, expansion au commerce colonial, début, -en AngleXVIIe
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FINANCES DE, L'ANCIEN,R:tGIME
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. ' terre d'abord, de la « révolution induàtrielle» ': ' . ' le, t,out aboutissant à rérosion, plus ou moins, a~~:, lérée, selon les régions 4;lt les Etats, de l'ancienne économie et de l'ancienne société. Le temps vien.l du triomphe de la « bourgeoisie active dans ses ',',' . mult;iples catégories» (M. .Labrousse). ,.', Le démarrage décisif du XVIIIe ,n'a pas sur,les" '. affaires financières les mêmes incidences en Angle- , terre, qu'en France en raison de la disparité des' co~ditions sociales et politiques, et de l'inégalité" . des développements éconoPlÎques. Dans un cas,une situation d'Etat consolidée, une « révolution bourgeoise» qui a passé compromis avec l'ancienne anstocratie, une prospérité accrue, permettent de fonder largement le crédit public: les ressources de l'em- . , pruilt d'Etat de type contemporain peuvent s'ajou-. ter à celles de la fiscalité. Dans l'autre càs - le cas français - avec des st~ctures sociales et politiques inchangées, le rendement effectif de l'ÏJnpôt n'augmente pas sUffisamment ; hausse des, prix ,et prospérité d'inflatio~ s'accompagnent de la baisse du salaire réel, de la diminution du pouvoir , d'achat et de consomma,tiondes paysans et artisans. paW! une situation économique en expansion, le contraste ' lent éc ors entre la ri hesse t ' est en derriière eoise et la auvreté de an se, ce e e a masse • Il n'existe ni mstitution manCI re, m co lance sociale, ni régime politique qui permettraient de fonder le. ~redit public sur de nouvelles bases; et d'ailleurs l' li. axpérience » de Law n'a pas arrangé les choses de ce po~t 4e vue. L~égalité fiscale serait probablement un remède, mais comment toucher au système d'impôts sans atteindre les privüèges, c'est-à~dire sans détruire les fondements mêmes de l'ordre monarchique ? I,.aRévolution naîtra ainsi, dans $es
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