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FILTRES GEOTEXTILES: DIMENSIONNEMENT ET INSTALLATION FIABLES GEOTEXTILE FILTERS: RELIABLE DESIGN AND INSTALLATION
J.P. GIROUD GEOSYNTEC CONSULTANTS RESUME Il est possible aujourd’hui de dimensionner et installer les filtres géotextiles de façon fiable comme le montre cette communication. ABSTRACT Today, it is possible to design and install geotextile filters with a high degree of reliability, as shown in this paper.
Le Barrage de Valcros (1970), symbole de la fiabilité des filtres géotextiles. Valcros Dam (1970), a symbol of geotextile filter reliability.
NOTE IMPORTANTE / IMPORTANT NOTE Texte français / French text, pages 171F – 186F Tables et figures bilingues / Bilingual tables and figures, pages 187FA – 196FA Texte anglais / English text, pages 171A – 186A (after the figures)
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1 INTRODUCTION 1.1 Presque quarante ans d’expérience Voici presque quarante ans que l’on utilise des filtres géotextiles. Quarante ans de succès et d’erreurs, quarante ans d’expérience qui font qu’aujourd’hui le concepteur et l’utilisateur disposent d’outils perfectionnés pour dimensionner et sélectionner les filtres géotextiles. Au cours de ces quarante années, on a tantôt encensé les filtres géotextiles, on les a tantôt condamnés. Il y a, dans la filtration, une passion qui n’existe pas dans les autres branches de la géotechnique, passion entretenue par les croyances irrationnelles qui résultent de la difficulté du phénomène de filtration et par la crainte inspirée par le spectre du colmatage. Une armature qui se rompt, c’est comme une jambe cassée, c’est soudain, évident, facile à comprendre, et le traitement rationnel s’impose. Un filtre qui se colmate, c’est comme une maladie mystérieuse qui se développe lentement, que l’on découvre généralement trop tard, que l’on comprend mal, et pour laquelle il n’y a pas de traitement évident. Et, cependant, la fonction d’un filtre semble si simple! 1.2 Une fonction simple, mais un mécanisme complexe La fonction d’un filtre dans un ouvrage de géotechnique est de laisser passer l’eau tout en retenant le sol. Autrement dit, un filtre doit jouer deux rôles fondamentaux: laisser passer l’eau et retenir le sol. Il est important de noter que l’on dit retenir, non pas arrêter, et que l’on dit le sol, non pas particules de sol. La fonction d’un filtre dans un ouvrage de géotechnique est différente de la fonction d’un filtre placé en travers d’un fluide qui s’écoule chargé de particules en suspension. Un tel filtre arrête les particules tandis qu’un filtre placé dans un ouvrage de géotechnique retient le sol, c’est-à-dire l’empêche de se mettre en mouvement. Autrement dit, dans le cas d’un filtre placé en travers d’un fluide chargé de particules en suspension (air poussiéreux, thé), les particules arrêtées par le filtre s’accumulent petit à petit sur celui-ci (et donc le colmatent progressivement), alors que, dans le cas du filtre d’un ouvrage de géotechnique, le filtre empêche le sol dans son ensemble de se mettre en mouvement, ce qui fait que la plupart des particules demeurent immobiles et, par conséquent, ne s’accumulent pas sur le filtre (et donc ne le colmatent pas). Il y a cependant toujours des particules fines qui se déplacent, entraînées par l’eau: le filtre doit les laisser passer. Ceci est un aspect essentiel du fonctionnement d’un filtre dans un ouvrage de géotechnique. La rétention ne doit pas être totale: le sol doit seulement être retenu dans son ensemble et, si des particules se déplacent individuellement, il ne faut surtout pas que le filtre les arrête car il se colmaterait. Il y a, par ailleurs, certaines situations critiques où l’eau, qui s’écoule dans le sol, transporte une grande quantité de particules en suspension. Un filtre exposé à une telle situation ne peut que se colmater. Il est donc important d’identifier ces situations et de les éviter par une conception appropriée de l’ouvrage qui contient le filtre : c’est une chose que l’on sait faire et qui sera discutée plus en détail dans la suite de cette communication. 1.3 Des méthodes de dimensionnement influencées par la tradition Le dimensionnement d’un filtre se fait traditionnellement à l’aide de deux critères, un critère de perméabilité et un critère de rétention. Ces deux critères correspondent aux deux rôles fondamentaux contenus dans la fonction de filtre: laisser passer l’eau et retenir le sol. Le critère de perméabilité exprime que le filtre est suffisamment perméable (c’est-à-dire a des ouvertures suffisamment grandes) pour laisser passer l’eau librement et le critère de rétention exprime que le filtre a des ouvertures suffisamment petites pour retenir le sol. Cette approche traditionnelle par deux critères fournit au concepteur un outil qui est satisfaisant dans la majorité des cas. Cependant, cette approche traditionnelle par deux critères tend à masquer la dualité du mécanisme de rétention et une approche traduisant mieux la réalité est décrite ci-dessous. Une réflexion sur la fonction de filtration, telle que décrite au Paragraphe 1.2, montre que le dimensionnement d’un filtre doit répondre à deux exigences opposées (mais non contradictoires) concernant les ouvertures du filtre : (1) le filtre doit avoir des ouvertures assez petites pour retenir le sol dans son ensemble; et (2) le filtre doit avoir des ouvertures assez grandes pour laisser passer l’eau librement et aussi, ce que l’on oublie souvent, pour ne pas arrêter les particules de sol qui sont transportées par l’eau. La seconde exigence étant double, il en résulte trois critères: un critère de rétention (du sol dans son ensemble), un critère de perméabilité, et un critère de non-rétention (des particules en mouvement). Cette approche du dimensionnement des filtres à l’aide de trois critères est plus correcte que l’approche par deux critères car elle correspond exactement aux exigences de fonctionnement d’un filtre. On pourrait argumenter que les critères de perméabilité et de non-rétention font double emploi puisque le respect du critère de perméabilité implique que les ouvertures du filtre ne sont pas petites, ce qui entraîne le respect du critère de non-rétention. Ceci est peut-être vrai dans le cas des filtres granulaires mais ne l’est certainement pas dans le cas des filtres géotextiles. En effet, les géotextiles, ayant généralement une très grande perméabilité,
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vérifient pratiquement toujours le critère de perméabilité, même avec des ouvertures très petites, ce qui ne garantit pas que ces ouvertures satisferaient le critère de non-rétention. Le critère de perméabilité étant pratiquement toujours vérifié dans le cas des filtres géotextiles, l’effort de conception et dimensionnement doit se concentrer sur la rétention (du sol dans son ensemble) et sur la nonrétention (des particules en mouvement). En conséquence, cette communication ne traitera que des mécanismes et critères de rétention et non-rétention. 1.4 Des modes de dysfonctionnement bien connus Il résulte de la discussion présentée plus haut (Paragraphe 1.2) qu’il y a trois modes de dysfonctionnement d’un filtre: (1) manque initial de perméabilité (c’est-à-dire perméabilité insuffisante du filtre même en l’absence de colmatage) qui se traduit par un passage insuffisant d’eau à travers le filtre; (2) rétention excessive qui se traduit par une accumulation de particules fines sur ou dans le filtre, c’est-à-dire le colmatage; et (3) rétention insuffisante qui se traduit par un transport excessif de particules à travers le filtre (excessif, c’est-à-dire en excès par rapport au transport désirable à travers le filtre des particules qui de toutes façons sont entraînées par l’eau). Ce phénomène de transport de particules a reçu divers noms comme lessivage ou érosion interne, ainsi que “renard” dans le cas où l’érosion revêt la forme d’une renardière. Le colmatage réduit la perméabilité du filtre; par conséquent, le colmatage et le manque initial de perméabilité ont les mêmes conséquences: un drainage insuffisant du sol situé à l’amont du filtre, ce qui se traduit par une teneur en eau élevée du sol (ce qui est indésirable si le but est d’assécher le sol) et par une pression interstitielle élevée (ce qui peut avoir une influence catastrophique sur la stabilité du sol). Le transport excessif de particules peut avoir des conséquences néfastes à l’amont et à l’aval du filtre: à l’amont, le départ de particules peut se traduire par un affaissement du sol et, à l’aval, l’arrivée de particules peut se traduire par un colmatage du drain, s’il y en a un. On verra au Paragraphe 5.2 que l’importance relative des différentes conséquences néfastes potentielles que peut avoir un filtre dépendent de l’ouvrage dans lequel le filtre est placé. Il est clair que le dysfonctionnement d’un filtre peut avoir des conséquences très néfastes. On peut donc se réjouir de constater qu’il existe aujourd’hui des méthodes fiables pour dimensionner les filtres, en particulier les filtres géotextiles. 1.5 Des progrès remarquables et des outils fiables pour la conception des filtres géotextiles Au cours de ces vingt dernières années, des progrès remarquables ont été faits dans quatre domaines essentiels concernant les filtres géotextiles: (1) on a appris à identifier, donc à éviter, les sols qui conduisent à de grands risques de colmatage quel que soit le type de filtre utilisé (filtre géotextile ou granulaire); (2) on a appris à intégrer dans les critères de rétention les paramètres importants qui régissent le comportement du sol en contact avec le filtre; (3) on a appris à quantifier les paramètres qui régissent les caractéristiques de filtration des géotextiles, ce qui permet de rationaliser la sélection et la fabrication des filtres géotextiles; et, enfin, (4) on a appris à utiliser les filtres géotextiles correctement, c’est-à-dire à bien les installer et bien les insérer dans l’ouvrage, pour qu’ils puissent assurer leur fonction avec un maximum de sécurité. En développant les quatre points ci-dessus, cette communication montre le chemin parcouru ces vingt dernières années, un chemin parsemé d’erreurs mais aboutissant à des connaissances aujourd’hui bien établies. Il est important de rappeler certaines erreurs qui sont autant de pièges dans lesquels on veut éviter de retomber. Il est essentiel surtout de savoir que les connaissances d’aujourd’hui reposent sur des bases solides et fournissent des outils fiables qui permettent d’utiliser les filtres géotextiles avec une grande sécurité, donc avec une grande confiance. 2 LES SOLS A RISQUES 2.1 Une erreur sur le terrain Un entrepreneur me montrait fièrement ce qu’il croyait être un excellent travail: dans une tranchée drainante en gravier, il avait placé un tuyau drainant perforé, comme l’indiquait le dessin d’exécution; mais, ce que n’indiquait pas le dessin d’exécution, il avait ajouté un filtre géotextile autour du tuyau (Figure 1). Il avait, disait-il, “amélioré la conception” du système de drainage en ajoutant un filtre. (Bien entendu, à l’origine de cette “bonne action”, il y avait le fait que l’entrepreneur avait obtenu ce tuyau équipé d’un filtre géotextile pour un prix inférieur à celui du tuyau spécifié sans filtre géotextile.) J’ai demandé que l’entrepreneur reconstruise la tranchée drainante sans le géotextile autour du tuyau. En effet, le filtre géotextile autour du tuyau était inutile et nuisible. Il était inutile parce qu’il n’y avait pas lieu de retenir le gravier qui était trop gros pour risquer de passer par les perforations du tuyau. Il était nuisible parce que le gravier, comme c’est souvent le cas en tranchées drainantes, n’était pas propre; par conséquent, dès que de l’eau traverserait le gravier en direction du tuyau, elle entraînerait les particules fines présentes à la surface du gravier et les déposerait sur
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ou dans le filtre géotextile. Il faut bien comprendre qu’un filtre, à moins que ses ouvertures soient très grandes, arrête les particules transportées par le fluide qui le traverse: c’est ainsi que fonctionnent les filtres à air, à huile, à thé, etc. En géotechnique, un filtre ne doit jamais, absolument jamais, être dans une situation où il arrête des particules en suspension dans l’eau: ce filtre se colmatera automatiquement, quelles que soient ses caractéristiques. 2.2 Sols à granulométrie discontinue La mésaventure de l’entrepreneur peut s’exprimer d’une manière plus générale en disant que le filtre géotextile était en contact avec un sol à granulométrie discontinue où la fraction fine est en faible proportion. En effet, le gravier sale de la tranchée est un sol dont la courbe granulométrique contient un palier (Figure 2), ce qui représente une discontinuité dans la granulométrie; de surcroît, ce palier est très bas, ce qui indique que la proportion des particules fines est faible. Les particules fines, étant en petite quantité, n’occupent pas tout le volume des pores du gravier qui, de ce fait, demeure très perméable. L‘eau peut donc s’y écouler à grande vitesse et entraîner les particules fines. Il est donc clair que l’on ne doit pas placer de filtre en contact avec un sol à granulométrie discontinue où la fraction fine est mobile parce qu’en faible proportion. La proportion critique de particules fines en dessous de laquelle les particules fines sont mobiles dépend de la granulométrie et de la densité du matériau qui constitue la fraction grossière du sol à granulométrie discontinue. En première approximation, on peut noter les valeurs suivantes (obtenues à l’aide de calculs élémentaires) pour la proportion critique de la fraction fine: de 24 à 30 % si la fraction grossière a une granulométrie étroite et une faible densité; de 17 à 23 % si la fraction grossière a une granulométrie étroite et une forte densité; et de 11 à 16 % si la fraction grossière a une granulométrie étendue (Figure 3). 2.3 Instabilité interne Les sols qui contiennent des particules fines qui peuvent se déplacer entre les particules plus grosses sont appelés sols à instabilité interne. Les sols présentant un risque d’instabilité interne sont les sols à granulométrie discontinue dont on a parlé ci-dessus (Paragraphe 2.2) et les sols à granulométrie continue très étendue, c’est-à-dire des sols ayant un coefficient d’uniformité de 50 ou plus, par exemple 100 ou même 1000. Dans le cas des sols à granulométrie discontinue il est assez facile de distinguer ceux qui présentent un risque d’instabilité interne compte tenu de la proportion de fines, comme on l’a indiqué plus haut (Paragraphe 2.2). En revanche, dans le cas des sols à granulométrie continue mais très étendue il est difficile de distinguer quantitativement ceux qui présentent un risque d’instabilité interne; toutefois, dans le cas des sols sans cohésion, cela peut se faire d’après la forme de la courbe granulométrique comme l’ont montré Lafleur et al. (1989). 2.4 Conclusion sur les sols à risques Il ressort des discussions qui précèdent qu’il y a des sols à risques, les sols à instabilité interne. Il est important de savoir que l’on dispose de techniques pour identifier ces sols, comme on l’a montré ci-dessus. Ces techniques peuvent se résumer ainsi: (1) si le sol a une granulométrie discontinue, il est instable si la proportion de la fraction fine est inférieure à une certaine valeur qui dépend de la fraction grossière (voir Paragraphe 2.2); et (2) si le sol a une granulométrie continue, il est généralement stable mais il peut être instable si sa granulométrie est très étendue, c’est-à-dire si son coefficient d’uniformité est de 50 ou plus, par exemple 100 ou même 1000. Si l’on est en présence d’un sol qui est clairement instable, il n’est pas question de mettre un filtre en contact avec ce sol. Dans certains cas, cela peut conduire à changer la conception du projet. Si l’on est en présence d’un sol qui n’est pas clairement instable mais qui est à la limite et pourrait présenter un risque d’instabilité, il est recommandé de faire appel à un expert et il est possible que des essais de filtration en laboratoire s’avèrent indispensables. Si, enfin, on se trouve en présence d’un sol doué de stabilité interne, on pourra envisager l’utilisation d’un filtre, autrement dit, on pourra considérer que ce sol est “filtrable”. Il faudra, bien entendu, pour que le filtre fonctionne correctement qu’il soit dimensionné, sélectionné et mis en place de façon adéquate, c’est-à-dire en respectant les principes présentés dans les Sections 3, 4 et 5. 3 PRISE EN COMPTE DES CARACTERISTIQUES DU SOL REGISSANT LA RETENTION 3.1 Une première erreur du bon sens Le bon sens indique sans hésitation que, pour retenir les particules d’un sol, un filtre doit avoir toutes ses ouvertures plus petites que la plus petite des particules du sol. Il est clair que, dans ces conditions, aucune particule de sol ne peut passer à travers le filtre. On a donc une rétention absolue, ce qui semble donner raison au bon sens. Cependant, un tel filtre aurait beaucoup de chances de mal fonctionner pour les deux raisons suivantes: (1) le filtre, ayant de très petites ouvertures, aurait une très faible perméabilité et ne laisserait pas passer l’eau librement, ce qui est contraire à l’un des deux rôles fondamentaux d’un filtre; et (2) GIROUD
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le filtre aurait de fortes chances de se colmater car il capterait les fines particules en mouvement qui, même dans le cas d’un sol doué de stabilité interne, existent toujours, du moins au début du fonctionnement du filtre. (Ce dernier point sera discuté plus en détail plus loin dans ce même paragraphe.) Lorsqu’un sol est filtrable, c’est-à-dire doué de stabilité interne (voir Paragraphe 2.4), les petites particules sont imbriquées dans la structure formée par des particules de dimension supérieure (Figure 4a) et, par conséquent, ne sont pas libres de se déplacer. Il est donc inutile de les retenir. Il convient cependant de distinguer deux cas: (1) le cas des sols à granulométrie étroite, c’est-à-dire des sols ayant un coefficient d’uniformité entre 1 et 3; et (2) le cas des sols à granulométrie étendue, c’est-à-dire des sols ayant un coefficient d’uniformité supérieur à 3. Il a été montré que, dans le cas des sols à granulométrie étroite (coefficient d’uniformité entre 1 et 3), il suffit que le filtre retienne les particules les plus grosses pour que le sol soit retenu (Giroud, 1982a). Ces particules les plus grosses forment un “squelette” continu (Figure 4b) qui emprisonne les particules de dimension moyenne; l’ensemble des particules grosses et moyennes forment une structure stable qui emprisonne les particules un peu plus petites, etc.. Il en résulte que, dans le cas des sols à granulométrie étroite, toutes les particules d’une dimension donnée sont complètement emprisonnées dans la structure formée par toutes les particules de dimension supérieure. En revanche, dans le cas des sols à granulométrie étendue (coefficient d’uniformité supérieur à 3), les particules les plus grosses ne sont pas en quantité suffisante pour former un “squelette” continu (Figure 4c). Le squelette est alors formé par l’ensemble des particules supérieures à une certaine dimension, laquelle dépend du coefficient d’uniformité du sol; cette dimension est inférieure à celle des plus grosses particules mais elle est toujours nettement plus grande que la dimension des plus petites particules du sol (Giroud, 1982a). Par conséquent, dans tous les cas, la rétention du sol est assurée par un filtre retenant des particules nettement plus grosses que les particules les plus fines du sol. Il est très important de noter qu’à l’interface entre le sol et un filtre, et au voisinage de cet interface, il y a des particules qui ne sont pas emprisonnées dans le squelette, comme on le voit sur la Figure 4d, parce que le squelette est interrompu à l’interface et légèrement désorganisé au voisinage de l’interface. Dès que l’eau commence à s’écouler, elle entraîne ces particules vers le filtre. Si les ouvertures du filtre sont trop petites, les particules en mouvement sont arrêtées par le filtre et s’accumulent petit à petit sur celui-ci, le colmatant progressivement. Si, au contraire, les particules en mouvement ont la possibilité de passer à travers le filtre, ce qui est le cas idéal, il se forme dans le sol, au voisinage de l’interface, une zone de perméabilité légèrement supérieure à celle du reste du sol. Cette zone assure une excellente transition entre le sol et le filtre. Il est clair, d’après les discussions précédentes, qu’en matière de filtration le bon sens se trompe lourdement: il n’est pas nécessaire, et il est même généralement nuisible, de retenir toutes les particules de sol; au contraire, il faut que le filtre laisse passer certaines petites particules et il lui suffit de retenir les particules qui forment le squelette pour assurer la rétention du sol. En retenant le squelette, le géotextile lui permet de jouer le rôle de filtre pour les particules de dimension immédiatement inférieure à celle des particules du squelette; à leur tour, ces particules jouent le rôle de filtre pour les particules de dimension immédiatement inférieure, etc.. En d’autres termes, en assurant la stabilité du squelette, le géotextile agit comme un catalyseur qui permet au squelette de servir de base à un autofiltre qui se développe dans le sol et qui ne pourrait pas se développer si le squelette n’était pas stable. On voit que la filtration est un phénomène trop complexe pour être confié au bon sens. 3.2 Une erreur de la tradition Le fait qu’il suffise de retenir certaines grosses particules pour retenir l’ensemble du sol a été reconnu de longue date en mécanique des sols. Cependant la distinction, importante du point de vue de la filtration, entre le cas des sols à granulométrie étroite (coefficient d’uniformité entre 1 et 3) et le cas des sols à granulométrie étendue (coefficient d’uniformité supérieur à 3) n’a pas été faite clairement dans les travaux sur la filtration faits dans le cadre de la mécanique des sols traditionnelle. C’est pour cela que tous les critères de rétention proposés en mécanique des sols traditionnelle, c’est-à-dire les critères pour les filtres granulaires, font référence à d85 , c’est-à-dire pratiquement à la dimension des plus grosses particules du sol. Dans le cas des sols à granulométrie très étendue, ceci conduit à des absurdités que les ingénieurs géotechniciens connaissent bien et qu’ils ont pris l’habitude de contourner par des procédures conventionnelles qui entretiennent un air de mystère autour du dimensionnement des filtres granulaires. À ses débuts, le dimensionnement des filtres géotextiles s’est naturellement inspiré du dimensionnement des filtres granulaires et a malheureusement hérité des problèmes liés au dimensionnement de ces filtres. En particulier, des comités influencés par des ingénieurs géotechniciens attachés aux traditions de la mécanique des sols, ont adopté des critères de rétention pour les géotextiles qui perpétuent les problèmes liés au dimensionnement des filtres granulaires pour les sols à granulométrie étendue. Ce que l’on sait aujourd’hui sur la filtration impose une mise à jour des critères de rétention proposés par certains comités pour les filtres géotextiles utilisés en présence de sols à granulométrie étendue. On dispose depuis quinze ans de critères de rétention spécialement développés pour les filtres géotextiles et qui résultent d’une GIROUD
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analyse quantitative basée sur les principes exposés ci-dessus (Paragraphe 3.1). Dans le cas des sols à granulométrie étendue, ces critères conduisent à un dimensionnement fiable des filtres géotextiles; en revanche, les critères directement imités des critères pour filtres granulaires peuvent conduire à des catastrophes. Ainsi, il a été montré que, si l’on avait utilisé au Barrage de Valcros un filtre géotextile dimensionné selon certains critères directement imités des critères pour filtres granulaires, le barrage aurait couru un grave danger d’érosion interne (Giroud, 1988). Comment expliquer autrement que par un aveugle attachement à la tradition le maintien d’un critère qui aurait conduit, s’il avait été utilisé, à la ruine du Barrage de Valcros, le premier barrage construit avec un filtre géotextile? 3.3 Une deuxième erreur du bon sens Le bon sens n’a pas de chance avec la filtration. N’étant qu’un ramassis aléatoire de croyances établies sur la base de réflexions simplistes, le bon sens est mal équipé pour fournir des solutions rationnelles à des problèmes comme la filtration qui requièrent des analyses sophistiquées. D’après le bon sens, pour retenir une particule de sol de dimension donnée, une ouverture de filtre doit être de dimension inférieure à la dimension de la particule (Figure 5a). C’est oublier que les particules de sol sont rarement seules en présence de l’ouverture d’un filtre et qu’elles forment des pontages tels que certaines particules plus petites que l’ouverture du filtre ne passent pas (Figure 5b). La stabilité de ces pontages dépend de la cohésion et de la densité du sol. Dans le cas des sols cohérents, comme les argiles, des pontages de l’ordre de 100 micromètres, c’est-à-dire comprenant plusieurs dizaines de particules peuvent être stables. Dans le cas des sols sans cohésion, comme les sables, ou à faible cohésion, comme les silts, des pontages de deux à trois particules peuvent être stables si le sol est dense, ce qui est souvent le cas dans les ouvrages de géotechnique. Moyennant certaines approximations, il a été montré que, dans le cas des sols denses, l’ouverture du filtre pouvait être égale à deux fois la dimension des particules à retenir (Giroud, 1982a). Cependant, si le sol est dans un état peu dense, ce qui est le cas dans certains ouvrages mal construits ou dans des situations difficiles comme, par exemple, les glissements de terrain, il n’y a pas de pontage stable et il faut un filtre dont l’ouverture soit de dimension inférieure à la dimension de la particule à retenir. Les critères de rétention développés spécialement pour les filtres géotextiles tiennent compte de l’effet de pontage. Il ne faut donc pas s’étonner de voir que, dans certains cas, ces critères autorisent des ouvertures de filtres plus grandes que la dimension des particules à retenir, au risque de sembler défier le bon sens. 3.4 Conclusion sur la prise en compte des caractéristiques du sol dans les critères de rétention Les discussions qui précèdent peuvent se résumer ainsi: (1) un filtre géotextile doit être dimensionné pour retenir les particules qui forment le squelette du sol; (2) la dimension de ces particules dépend de la granulométrie du sol et elle est donnée directement par les critères de rétention développés spécialement pour les filtres géotextiles; (3) ces critères de rétention tiennent également compte du phénomène de pontage des particules dans le cas des sols denses. La Figure 6 présente schématiquement l’esprit des critères de rétention développés spécialement pour les filtres géotextiles. On voit sur cette figure que: (1) dans le cas des sols peu denses (c’est-à-dire les sols où il n’y a pas de pontage des particules de sol au dessus des ouvertures du filtre), l’ouverture de filtration autorisée est égale à la dimension des plus grandes particules du sol si le coefficient d’uniformité du sol est inférieur ou égal à 3 et est inférieure à la dimension des plus grandes particules du sol si le coefficient d’uniformité du sol est supérieur à 3 puisque, dans ce cas, les particules qui forment le squelette sont plus petites que les plus grandes particules du sol; et (2) , dans le cas des sols denses, du fait du pontage des particules de sol au dessus des ouvertures du filtre, l’ouverture de filtration autorisée est plus grande que dans le cas des sols peu denses ce qui se traduit par le fait que la courbe représentant le critère de rétention est alors au-dessus de celle qui correspond au cas des sols peu denses. Ainsi, dans le cas des sols denses, l’ouverture de filtration est plus grande que la dimension des plus grandes particules du sol lorsque le coefficient d’uniformité du sol est supérieur à 5 approximativement, comme le montre la Figure 6. Un exemple de critère de rétention qui tient compte de caractéristiques du sol régissant la rétention est le critère de Giroud (1982a) présenté dans le Tableau 1 et la Figure 7. La différence d’aspect entre les courbes des Figures 6 et 7 vient du fait que la dimension de base utilisée pour établir la Figure 6 est la dimension des plus grosses particules de sol (représentées schématiquement par des sphères) alors que, dans la Figure 7, la dimension de base est le d50 du sol (Figure 7a) ou le d85 du sol (Figure 7b). D’un point de vue didactique, il était préférable d’utiliser la dimension des plus grosses particules de sol dans la Figure 6, alors qu’il était plus pratique d’utiliser le d50 ou le d85 du sol dans le critère représenté par la Figure 7 car la dimension des plus grosses particules d’un sol n’est pas facile à mesurer avec précision du fait de la présence, toujours possible, d’une grosse particule erratique. En conclusion, on voit que les critères de rétention actuels développés spécialement pour les filtres géotextiles sont sophistiqués en ce qui concerne la façon dont ils prennent le sol en compte car ils tiennent compte de trois caractéristiques du sol régissant la rétention: la dimension des particules (la seule GIROUD
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caractéristique du sol prise en compte par les critères traditionnels), la forme de la courbe granulométrique (par l’intermédiaire du coefficient d’uniformité) et la densité du sol. 4 PRISE EN COMPTE DES CARACTERISTIQUES DU FILTRE REGISSANT LA RETENTION 4.1 Limitation des critères de rétention actuels Les critères de rétention actuellement disponibles pour les filtres géotextiles sont très sophistiqués en ce sens qu’ils tiennent compte de plusieurs paramètres relatifs au comportement du sol en contact avec le filtre géotextile, mais ils sont moins sophistiqués en ce qui concerne la façon dont ils prennent en compte le filtre géotextile. Un seul paramètre relatif à la fonction du filtre géotextile est pris en compte: l’ouverture de filtration. Ainsi, les critères actuels de rétention considèrent comme équivalents deux géotextiles ayant la même ouverture de filtration, quand bien même ces deux géotextiles auraient de grandes différences en ce qui concerne d’autres caractéristiques susceptibles d’avoir une influence sur leur comportement en tant que filtre. Par exemple, un tissé mince et un nontissé épais sont considérés comme équivalents, selon les critères de rétention actuels, s’ils ont la même ouverture de filtration. Il est clair qu’il y a là matière à recherche et l’on peut prévoir, d’après les résultats encourageants des travaux en cours, qu’un jour on disposera de critères de rétention sophistiqués qui tiendront compte de plusieurs paramètres importants relatifs au filtre géotextile aussi bien que les critères de rétention actuels prennent en compte plusieurs paramètres importants relatifs au sol. Pour pouvoir améliorer les critères de rétention actuels, il faut des connaissances approfondies sur la filtration par géotextiles. Il est donc intéressant de présenter, dans les paragraphes qui suivent, certaines connaissances récemment acquises sur le fonctionnement et la structure des filtres géotextiles. Ces connaissances permettent notamment: (1) de mieux comprendre le mécanisme de filtration des particules de sol par les filtres géotextiles (Paragraphes 4.2 à 4.5); et (2) de mettre en évidence les paramètres de structure des filtres géotextiles qui ont une influence sur l’ouverture de filtration (Paragraphe 4.6). 4.2 Caractérisation de la structure des filtres géotextiles: constrictions et ouvertures La caractérisation de la structure des filtres géotextiles sera présentée en utilisant l’exemple des géotextiles nontissés. Les concepts ainsi définis s’étendront aisément au cas des géotextiles tissés qui est plus simple. Pour passer à travers un filtre géotextile nontissé, une particule doit passer entre les fibres. On définit une constriction comme étant le passage délimité par trois fibres ou plus (Figure 8a) et la dimension d’une constriction comme le diamètre de la sphère qui passe juste à travers la constriction (Figure 8b). Si l’on considère un bloc de matériau nontissé (c’est-à-dire un échantillon tridimensionnel, non pas un échantillon bidimensionnel comme un géotextile), et si ce bloc est assez grand pour être représentatif, il contient un ensemble représentatif des constrictions qui existent dans le matériau nontissé considéré. Cet ensemble de constrictions est représenté par une courbe de distribution des constrictions (Figure 8c). La dimension de la plus petite constriction est désignée par C0 et celle de la plus grande par C100 . On pourrait argumenter que la dimension de la plus petite constriction est C0 = 0 car il y a toujours la possibilité que trois fibres se rencontrent en un même point, délimitant ainsi un passage de dimension nulle. Cependant, du point de vue de la filtration, les constrictions de dimension nulle ou très petite ne doivent pas être considérées car une particule rencontrant une telle constriction ne sera pas arrêtée mais seulement déviée vers une constriction de dimension non nulle. (Les particules ne sont pas tenues de suivre un parcours absolument rectiligne et choisissent naturellement le parcours de moindre résistance.) Une particule de sol qui se déplace à travers un filtre géotextile nontissé emprunte un chemin de filtration (Figure 9a) dont le parcours quelque peu tortueux suit en gros une direction perpendiculaire au plan du géotextile. La particule considérée se déplace à travers le géotextile jusqu’à ce qu’elle rencontre une constriction qui est plus petite qu’elle et qui, par conséquent, l’arrête. Bien entendu, si la particule considérée n’est pas arrêtée par une constriction, elle passe à travers le géotextile. Un filtre comprend une multitude de chemins de filtration, et ces chemins sont tous différents. Une particule donnée peut être arrêtée dans un certain chemin de filtration et peut passer à travers le filtre en suivant un autre chemin. Dans chaque chemin de filtration, il y a une constriction plus petite que les autres: c’est elle qui détermine la dimension des particules qui peuvent traverser le géotextile par ce chemin et on l’appelle la constriction critique de ce chemin. Dans un chemin de filtration donné, la dimension de la constriction critique est l’ouverture du chemin de filtration; en d’autres termes, c’est la dimension de la plus grosse particule qui peut traverser le filtre géotextile en empruntant le chemin de filtration considéré. Dans un filtre géotextile nontissé, il y a une multitude de chemins de filtration, chacun étant caractérisé par son ouverture. Par conséquent, un filtre géotextile est caractérisé par une courbe de distribution des ouvertures (Figure 9b). La dimension de la plus petite ouverture est désignée par O0 et celle de la plus grande par O100 . La courbe de distribution des ouvertures est une caractéristique du géotextile et, en particulier, la plus grande ouverture est appelée l’ouverture de filtration du géotextile ou simplement
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l’ouverture du géotextile. Autrement dit, l’ouverture d’un géotextile est l’ouverture du chemin de filtration qui a la plus grande ouverture dans ce géotextile. 4.3 Relation entre constrictions et ouvertures pour différents types de filtres géotextiles Il est important de noter que la courbe de distribution des constrictions est une caractéristique intrinsèque du matériau qui constitue un géotextile alors que la courbe de distribution des ouvertures est une caractéristique du géotextile. La relation entre la courbe de distribution des constrictions du matériau qui constitue un géotextile et la courbe de distribution des ouvertures de ce géotextile dépend de l’épaisseur du géotextile. Pour établir la relation entre ces deux types de courbes, considérons trois géotextiles nontissés d’épaisseurs différentes, mais fabriqués à l’aide du même matériau nontissé: deux cas extrêmes seront considérés en premier lieu, le cas d’un géotextile nontissé d’épaisseur nulle et le cas d’un géotextile nontissé d’épaisseur infinie; puis le cas d’un géotextile nontissé d’épaisseur finie sera considéré. Considérons d’abord un géotextile nontissé hypothétique infiniment mince. Dans ce géotextile, chaque chemin de filtration n’a qu’une constriction. Par conséquent, l’ouverture de chaque chemin de filtration est égale à la dimension de l’unique constriction de ce chemin de filtration. Il en résulte que, dans le cas d’un géotextile nontissé hypothétique infiniment mince, la courbe de distribution des ouvertures est identique à la courbe de distribution des constrictions (Figure 10a, courbe 4). Considérons ensuite le cas d’un géotextile nontissé hypothétique infiniment épais. Dans ce géotextile, chaque chemin de filtration contient un nombre infini de constrictions. Par conséquent, avec ce géotextile, il y a une probabilité de 100% pour que toutes les dimensions de constrictions se trouvent présentes dans chaque chemin de filtration. Par conséquent, chaque chemin de filtration contient la plus petite constriction, C0 . Lorsqu’un chemin de filtration contient la plus petite constriction, celle-ci est bien entendu la constriction critique. Donc, dans le cas d’un géotextile nontissé hypothétique infiniment épais, tous les chemins de filtration ont la même constriction critique, c’està-dire la même ouverture (O0 = On = O100 = Cn ). Par conséquent, la courbe de distribution des ouvertures de ce géotextile est une ligne verticale (Figure 10a, courbe 1). Autrement dit, dans le cas d’un géotextile nontissé hypothétique infiniment épais, tous les chemins de filtration ont la même ouverture qui est l’ouverture du géotextile. Considérons enfin le cas d’un géotextile nontissé d’épaisseur finie. Un calcul élémentaire montre que, dans un géotextile nontissé typique, le nombre de chemins de filtration est supérieur à 100/cm2. Donc, si l’on considère un échantillon suffisamment grand pour être représentatif, il contient un nombre très grand (quasi infini) de chemins de filtration. La probabilité pour que l’un d’eux au moins contienne la plus petite constriction est quasiment 100%. Quand un chemin de filtration contient la plus petite constriction, celle-ci est, bien entendu, la constriction critique, c’est-à-dire l’ouverture du chemin de filtration. Le chemin de filtration qui a une ouverture égale à la dimension de la plus petite constriction est évidemment le chemin de filtration qui a l’ouverture la plus petite. Autrement dit, O0 = C0 . Dans un chemin de filtration donné, le nombre de constrictions, dans le cas d’un géotextile nontissé typique, n’est pas très grand (par exemple, de 10 à 50). Par conséquent, la probabilité pour que la plus petite constriction soit présente dans tous les chemins de filtration est bien inférieure à 100%. Il en résulte qu’un certain nombre de chemins de filtration ont une constriction critique (c’est-à-dire une ouverture) plus grande que C0 . La plus grande valeur que peut avoir une constriction est C100 , donc la plus grande valeur que peut avoir une ouverture est C100 . Cependant, pour qu’un chemin de filtration ait une telle ouverture, il faudrait que toutes les constrictions de ce chemin de filtration soient égales à C100 . Mais, dans un chemin de filtration donné, la probabilité pour que toutes les constrictions soient égales à C100 est quasi nulle. Par conséquent, l’ouverture maximale que peut avoir un chemin de filtration (c’est-à-dire l’ouverture maximale du filtre) est inférieure à la constriction maximale (O100 < C100 ). La relation ainsi démontrée entre la courbe de distribution des constrictions et la courbe de distribution des ouvertures d’un géotextile nontissé d’épaisseur finie est illustrée par la Figure 10b. La courbe de distribution des ouvertures d’un géotextile nontissé d’épaisseur finie est également illustrée dans la Figure 10a par deux courbes correspondant à deux géotextiles d’épaisseur différentes, l’un plus épais (courbe 2), l’autre plus mince (courbe 3). Enfin, il est important de noter que, dans la Figure 10a, la courbe 4 qui est la courbe de distribution des ouvertures pour le géotextile nontissé infiniment mince est également la courbe de distribution des constrictions commune aux quatre géotextiles nontissés. Le cas d’un géotextile tissé est analogue à celui d’un géotextile nontissé infiniment mince: puisqu’il ne contient qu’une constriction par chemin de filtration, la courbe de distribution des ouvertures est identique à la courbe de distribution des constrictions. Il y a cependant une grande différence entre les deux matériaux: la courbe de distribution des constrictions/ouvertures d’un tissé (Figure 11a) est verticale (tissé idéal où toutes les ouvertures sont rigoureusement identiques) ou quasi verticale (tissé réel) tandis que celle d’un nontissé infiniment mince (Figure 10a, courbe 4) traduit, par son inclinaison, la variété de dimensions de constrictions et d’ouvertures dans un nontissé. D’un point de vue didactique, il est intéressant de comparer un géotextile nontissé très épais et un géotextile tissé. Tous deux ont une courbe de distribution des ouvertures presque verticale (Figure 12a pour le nontissé et Figure 11a pour le tissé) et l’on peut supposer, à titre d’exemple, que ces deux géotextiles ont la GIROUD
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même courbe de distribution des ouvertures, et par conséquent la même ouverture de filtration. Il est très important de remarquer que, bien qu’étant caractérisés par la même ouverture de filtration, ces deux géotextiles retiennent les particules de sol de façon différente. En effet, lorsqu’une particule est retenue par le filtre, elle est retenue à la surface du filtre dans le cas d’un géotextile tissé (Figure 11b), tandis que, dans le cas d’un géotextile nontissé, la particule est retenue, dans le filtre, à un certain niveau qui dépend du chemin de filtration (Figure 12b). On voit donc que deux filtres géotextiles ayant non seulement la même ouverture, mais aussi la même courbe de distribution des ouvertures, peuvent donner lieu à des mécanismes de filtration différents: ceci est dû au fait que ces deux géotextiles ont des courbes de distribution des constrictions très différentes, courbe verticale ou quasi verticale pour le tissé (Figure 11a) et courbe très inclinée pour le nontissé (Figure 12a). Les critères de rétention actuels ne tiennent compte que de l’ouverture du filtre géotextile. On peut conclure des discussions qui précèdent qu’un critère de rétention idéal devrait tenir compte de la courbe de distribution des ouvertures (au lieu de seulement tenir compte de l’ouverture du géotextile qui n’est que la plus grandes des ouvertures d’un géotextile considéré) ainsi que de la courbe de distribution des constrictions. Actuellement, un tel critère n’existe pas. On peut cependant utiliser les courbes de distribution des constrictions et des ouvertures pour analyser qualitativement le mécanisme de filtration et en tirer des enseignements utiles, comme cela est montré dans le paragraphe suivant. 4.4 Analyse du mécanisme de filtration considérant la structure des filtres géotextiles Considérons les deux courbes définies au Paragraphe 4.2 qui représentent la structure des filtres géotextiles, la courbe de distribution des constrictions (qui caractérise le matériau dont est fait le géotextile) et la courbe de distribution des ouvertures (qui caractérise le géotextile). Ces deux courbes sont des courbes de probabilités cumulées. Ainsi, la courbe de distribution des constrictions donne la probabilité, PC , pour qu’une particule de dimension d soit retenue à la surface du géotextile et, corrélativement, la probabilité, 1− PC , pour que la particule ne soit pas retenue à la surface du géotextile (Figure 13). Les particules qui ne sont pas retenues à la surface du géotextile soit sont retenues dans le géotextile soit passent à travers le géotextile, et c’est la courbe de distribution des ouvertures qui permet de distinguer entre ces deux possibilités: la courbe de distribution des ouvertures donne la probabilité, PO , pour qu’une particule de dimension d soit retenue dans ou sur le géotextile et, corrélativement, la probabilité, 1− PO , pour que la particule ne soit pas retenue, c'est-à-dire passe à travers le géotextile (Figure 13). Ainsi, les probabilités suivantes peuvent être définies: probabilité pour qu’une particule passe à travers le géotextile, PPASS = 1−PO ; probabilité pour qu’une particule soit retenue dans le géotextile, PIN = PO −PC ; probabilité pour qu’une particule soit retenue sur le géotextile, PON = PC ; et probabilité pour qu’une particule soit retenue dans ou sur le géotextile, PRETAIN = PO = PON + PIN . Quatre cas peuvent être considérés selon la façon dont la dimension, d , de la particule se situe par rapport aux points qui représentent les extrémités des deux courbes, O0 , O100 , C0 , C100 : (1) si d > C100 , la particule est retenue à la surface du géotextile parce que, dans ce cas, il n’y a pas de constriction plus grande que d (PRETAIN = PON = 1 = 100%, PPASS = 0); (2) si O100 < d < C100 , la particule ne passe pas à travers le géotextile parce qu’il n’y a pas de chemin de filtration avec une ouverture plus grande que d et la particule ou bien reste à la surface du géotextile ou bien pénètre dans le géotextile jusqu’à ce qu’elle rencontre une constriction qui l’arrête (PRETAIN = PON + PIN = 1 = 100%, PPASS = 0); (3) si O0 < d < O100 , la particule a les trois possibilités, elle peut être retenue sur ou dans le géotextile ou elle peut passer à travers le géotextile (PON + PIN + PPASS = 1 = 100%); et (4) si d < O0 , la particule passe à travers le géotextile (PRETAIN = 0, PPASS = 1 = 100%). 4.5 Utilisation des courbes pour comparer les modes de rétention par différents géotextiles On peut utiliser les probabilités mentionnées ci-dessus et illustrées par la Figure 13 pour comparer le mode de rétention d’une particule par différents géotextiles. Pour faire cette comparaison rationnellement, il ne faut pas oublier que la rétention est un mécanisme complexe qui comprend la rétention des particules du squelette et la non-rétention des particules fines (voir Paragraphe 3.1). Par conséquent, pour faire cette comparaison, on considérera deux particules: une particule fine de dimension df et une particule du squelette de dimension ds . Pour tenir compte du pontage effectué par les particules du squelette au dessus des ouvertures du filtre (Figure 5b), la dimension des particules du squelette sera multipliée par un facteur λ supérieur à 1 (d’où une “dimension corrigée” λds). Deux géotextiles nontissés, l’un fin et l’autre épais, sont comparés sur la Figure 14. Pour les besoins de la comparaison, on suppose que ces deux géotextiles ont la même ouverture de filtration, O100 . Il s’agit d’une situation typique dans laquelle se trouve le concepteur amené à choisir entre deux géotextiles apparemment équivalents du point de vue de la filtration. ( Il est important de noter que deux géotextiles ayant des épaisseurs différentes ne peuvent avoir la même ouverture de filtration, O100 , que si leurs courbes de distribution des constrictions sont différentes, c'est-à-dire s’ils sont constitués de deux matériaux différents.
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Ceci sera discuté plus en détail au Paragraphe 4.6.) On voit sur la Figure 14 qu’une particule de dimension ds telle que sa dimension corrigée est supérieure à l’ouverture de filtration (λds > O100 ) est: (1) plus susceptible d’être retenue sur le géotextile dans le cas d’un nontissé mince que dans le cas d’un nontissé épais; et (2) corrélativement plus susceptible d’être retenue dans le géotextile dans le cas d’un nontissé épais que dans le cas d’un nontissé mince. En ce qui concerne la particule fine (df ) on voit sur la Figure 14 qu’elle a une plus grande probabilité d’être retenue dans le cas du nontissé mince que dans le cas du nontissé épais (les deux géotextiles ayant la même ouverture de filtration, O100 ). Cependant, si une particule est plus petite que la plus petite ouverture (c'est-à-dire la plus petite des deux valeurs de O0 ) elle a une probabilité de 100% de passer à travers les deux géotextiles. Le concepteur qui utilise la méthode décrite ci-dessus, et illustrée par la Figure 14, doit évaluer les conséquences des modes de rétention identifiés. À titre indicatif, on peut faire les commentaires suivants: (1) comme cela a été indiqué au Paragraphe 3.1, le filtre doit empêcher les particules du squelette de se déplacer; cette exigence est mieux satisfaite si les particules du squelette sont retenues sur le filtre que dans le filtre; on voit sur la Figure 14 que cette exigence a plus de chances d’être satisfaite par un géotextile fin que par un géotextile épais (si les deux géotextiles ont la même ouverture de filtration); et (2) comme cela a également été indiqué au Paragraphe 3.1, certaines particules plus petites que les particules du squelette doivent passer à travers le géotextile; on voit sur la Figure 14 que cette exigence a plus de chances d’être satisfaite par un géotextile épais que par un géotextile fin (si les deux géotextiles ont la même ouverture de filtration) en ce qui concerne les particules de dimension comprise entre le plus petit des deux O0 et O100 ; cependant, si la dimension de la particule fine est inférieure au plus petit des deux O0 , les deux géotextiles sont équivalents. La méthode illustrée par la Figure 14 peut être étendue au cas où la dimension des particules du squelette varie entre deux limites connues. (Ceci est le cas lorsque la granulométrie du sol varie d’un point à un autre, par exemple suivant la direction longitudinale de l’ouvrage dans lequel on envisage d’utiliser le filtre considéré.) Ce cas est illustré par la Figure 15 qui montre que les différentes probabilités de rétention sont proportionnelles aux aires délimitées par les axes et les deux courbes, la courbe de distribution des constrictions et la courbe de distribution des ouvertures. La Figure 15a illustre le cas où le domaine de variation des dimensions des particules du squelette comprend uniquement des dimensions supérieures à l’ouverture de filtration du filtre considéré (ds > O100 ). Comme on l’a indiqué plus haut, à propos de la Figure 14, dans ce cas, les particules du squelette sont alors plus susceptibles d’être retenues sur le géotextile dans le cas d’un géotextile nontissé mince que dans le cas d’un géotextile nontissé épais. La Figure 15b illustre le cas où le domaine de variation des dimensions des particules du squelette comprend des dimensions inférieures à l’ouverture de filtration du filtre considéré (ds < O100 ). Il apparaît que, dans ce cas, la quantité de particules susceptibles de passer à travers le filtre est plus grande dans le cas d’un géotextile nontissé épais que fin. La méthode illustrée par les Figures 14 et 15 peut également être utilisée pour les géotextiles tissés. Dans le cas d’un géotextile tissé, la courbe de distribution des constrictions et la courbe de distribution des ouvertures sont identiques et, par conséquent, PRETAIN = PON . De plus, la courbe de distribution des constrictions/ouvertures est presque verticale et, par conséquent, si les particules du squelette sont plus petites que l’ouverture de filtration, O100 , elles ont de grandes chances de passer à travers le géotextile. Ainsi, un filtre géotextile tissé est plus sensible qu’un nontissé aux variations de la granulométrie du sol. Les discussions qui précèdent montrent que la combinaison de la courbe de distribution des constrictions et de la courbe de distribution des ouvertures fournit une méthode utile au concepteur de filtre. Seulement quelques exemples d’utilisation de cette méthode ont été présentés; d’autres peuvent être envisagés. Sur la base des exemples présentés, il apparaît qu’il y a certains avantages à utiliser des géotextiles nontissés fins. Cependant, il faut noter que les exemples ci dessus ne sont que qualitatifs. Pour effectivement utiliser la méthode présentée ci dessus, il faut disposer de données quantitatives sur la courbe de distribution des constrictions et la courbe de distribution des ouvertures. Ce point est abordé dans le paragraphe suivant. 4.6 Paramètres de structure influant sur l’ouverture des filtres géotextiles nontissés Un modèle théorique de la structure des géotextiles nontissés (Giroud, 1996) a permis d’établir un graphique donnant des relations entre les paramètres suivants: l’ouverture de filtration, l’épaisseur du filtre géotextile, le diamètre des fibres et la porosité du géotextile (Figure 16). Ce graphique est en bon accord avec les résultats de nombreuses mesures effectuées sur des filtres géotextiles nontissés (Giroud, 1996). Ce graphique donne également une valeur approchée du nombre moyen de constrictions qu’une particule doit franchir pour traverser un filtre géotextile. Le graphique montre que, pour matériau nontissé caractérisé par sa porosité, les ouvertures de filtration de géotextiles de différentes épaisseurs fabriqués avec ce même matériau nontissé décroissent lorsque l’on considère des épaisseurs croissantes (courbes en trait plein sur la Figure 16). Le graphique montre également que : (1) le taux de décroissance de l’ouverture de filtration en fonction de l’épaisseur du géotextile devient très faible (en d’autres termes, les ouvertures de filtration s’approchent d’un palier) lorsque GIROUD
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l’épaisseur du filtre géotextile est telle que le nombre moyen de constrictions atteint approximativement 25 (ce qui correspond à un rapport épaisseur du géotextile/diamètre de fibres de 80 pour une porosité de 0.9); et (2) pour des valeurs du nombre moyen de constrictions inférieur à approximativement 15 (ce qui correspond à un rapport épaisseur du géotextile/diamètre de fibres de 50 pour une porosité de 0.9) l’ouverture de filtration devient extrêmement grande ce qui indique que les valeurs des ouvertures du filtre (qui correspondent à différents chemins de filtration ) sont très dispersées et que, par conséquent, le filtre est très hétérogène. (Ceci est en accord avec les comparaisons entre les géotextiles minces et épais présentées au Paragraphe 4.5.) Sur la base de ces deux résultats, on peut conclure que, dans le cas d’un géotextile nontissé: (1) une épaisseur supérieure à 80 fois le diamètre des fibres (pour une porosité typique de 0.9) ne semble pas apporter d’avantage appréciable en ce qui concerne les caractéristiques du géotextile importantes pour la filtration ; et (2) une épaisseur inférieure à 50 fois le diamètre des fibres (pour une porosité typique de 0.9) est déconseillée car le géotextile possède alors des caractéristiques de filtration qui peuvent être hétérogènes. Le graphique donne également une méthode simple pour évaluer la diminution de l’ouverture de filtration d’un filtre géotextile nontissé due à une réduction d’épaisseur résultant d’une contrainte de compression (courbes en tirets sur la Figure 16). Ceci constitue un outil très utile pour la conception d’un filtre. Finalement, il est intéressant de constater que les asymptotes horizontales des courbes en trait plein de la Figure 16 correspondent au cas d’un géotextile nontissé hypothétique infiniment épais utilisé dans les démonstrations présentées dans le Paragraphe 4.3. Par conséquent, la valeur d’ouverture de filtration qui correspond à l’asymptote horizontale pour chacune des courbes en trait plein de la Figure 16 constitue une valeur théorique de la plus petite constriction et de la plus petite ouverture pour la valeur de porosité correspondant à la courbe. Des recherches sont en cours pour développer une méthode pour mesurer la dimension des constrictions des géotextiles nontissés. Il sera intéressant de voir si les valeurs mesurées sont en bon accord avec celles de la Figure 16. D’autre part, le graphique ne fournit pas d’information sur la dimension des plus grandes constrictions car le modèle théorique utilisé n’est pas valable pour les très faibles valeurs du rapport épaisseur du géotextile/diamètre des fibres (par exemple, tGT /df < 10). 4.7 Conclusions concernant les caractéristiques des filtres Les informations fournies dans la Section 4 montrent que des progrès considérables ont été accomplis ces dernières années en ce qui concerne la compréhension du phénomène de filtration par géotextiles et la connaissance de la structure des géotextiles nontissés. Bien que des recherches complémentaires soient encore nécessaires, il est bon de donner la possibilité aux praticiens d’utiliser les résultats acquis. On a vu dans la Section 4 que, pour bien comprendre les mécanismes de filtration, il fallait faire appel à l’entière courbe de distribution des ouvertures, et non pas seulement à l’ouverture de filtration, et qu’il fallait également faire appel à la courbe de distribution des constrictions. Les approches de conception de filtres basées sur ces courbes souffrent pour le moment d’une insuffisance de données quantitatives; cependant les exemples d’utilisation de ces approches présentés dans la Section 4 montrent que l’on peut déjà les utiliser pour choisir entre deux types de géotextiles qui, sur la base des critères actuels, sont considérés comme équivalents. En ce qui concerne la structure des géotextiles nontissés, le graphique de la Figure 16 fournit une grande quantité d’informations utiles aux producteurs de géotextiles comme aux concepteurs d’ouvrages. Les producteurs noteront, en particulier, l’influence de paramètres comme le diamètre des fibres, la porosité du matériau nontissé et l’épaisseur du géotextile sur l’ouverture de filtration, ce qui leur permettra d’ajuster leurs paramètres de production pour répondre à certaines spécifications de filtres géotextiles. Les concepteurs noteront, en particulier, l’aisance avec laquelle le graphique de la Figure 16 leur permet de prévoir l’ouverture d’un filtre géotextile nontissé enfoui et comprimé sous des dizaines de mètres de sol. L’épaisseur des filtres géotextiles nontissés est une importante question. L’information fournie par la Section 4 peut se résumer en deux points: (1) d’après les données présentées sur la structure des géotextiles nontissés il apparaît qu’il n’est pas souhaitable d’utiliser comme filtre un géotextile nontissé dont l’épaisseur est inférieure à 50 fois le diamètre des fibres et qu’une épaisseur supérieure à 80 fois le diamètre des fibres ne semble pas apporter d’avantage appréciable; et (2) l’analyse du mécanisme de filtration réalisée en associant la courbe de distribution des constrictions et la courbe de distribution des ouvertures montre de façon qualitative que, dans des cas pratiques typiques, un nontissé mince peut être plus avantageux qu’un nontissé plus épais (un point qui doit faire l’objet d’études plus approfondies, notamment à l’aide données quantitatives supplémentaires sur la structure des géotextiles nontissés). En combinant les deux points cidessus, la conclusion qui semble se dégager (en attendant des études plus approfondies) est que, dans certains cas typiques, un filtre géotextile nontissé dont l’épaisseur est entre 50 et 80 fois le diamètre des fibres est un choix défendable.
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5 CONDITIONS DE SUCCES DES FILTRES GEOTEXTILES DANS LEURS APPLICATIONS 5.1 Un dimensionnement adéquat est nécessaire mais n’est pas suffisant Les Sections 3 et 4 présentent des méthodes éprouvées et fournissent des informations nouvelles qui permettent à l’ingénieur d’effectuer un dimensionnement fiable des filtres géotextiles. Cependant, il est important de comprendre qu’un dimensionnement exécuté comme un exercice abstrait qui consisterait uniquement à mettre en oeuvre les méthodes présentées dans les Sections 3 et 4 serait insuffisant pour au moins trois raisons. Premièrement, il y a généralement plusieurs options possibles pour dimensionner un filtre et, il faut évaluer l’impact de l’option choisie sur l’ouvrage dans lequel le filtre sera utilisé. Deuxièmement, un filtre géotextile doit être mis en place correctement et cela est plus subtil qu’il n’y paraît à première vue. Troisièmement, un filtre géotextile doit résister à une variété de sollicitations physiques, mécaniques et chimiques, au cours de son installation et en service, pour pouvoir assurer sa fonction jusqu’à la fin de la durée de service de l’ouvrage. En développant les trois points ci-dessus, les paragraphes suivants montrent que l’on a aujourd’hui une vision claire de ce qui fait le succès d’un filtre géotextile non seulement sur le papier, mais aussi sur le terrain, et non seulement le jour où l’on conçoit l’ouvrage, mais aussi pendant toute la durée de service. 5.2 Le filtre géotextile dans l’ouvrage qui l’environne Un filtre n’est jamais seul. Il est toujours situé entre deux matériaux qui eux-mêmes font partie d’un ouvrage. La conception d’un système de filtration ne peut se faire correctement que si les interactions entre le filtre et les matériaux adjacents ainsi qu’entre le filtre et l’ouvrage sont prises en compte. Plusieurs aspects doivent être considérés: (1) les problèmes potentiels posés par les sols situés à l’amont du filtre; (2) les conditions imposées par les matériaux situés à l’aval du filtre; (3) les problèmes susceptibles de résulter de changements de caractéristiques des sols dans la direction longitudinale de l’ouvrage; et, enfin, (4) les effets néfastes que pourraient avoir la présence d’un filtre géotextile sur le comportement de l’ouvrage. Ces quatre aspects sont discutés ci-dessous. Les sols situés à l’amont du filtre sont susceptibles de poser des problèmes très sérieux comme cela a été discuté à la Section 2. En résumé: (1) il y a des sols à instabilité interne qui empêchent le bon fonctionnement de tout filtre; (2) il est donc important de ne pas placer de filtres en présence de ces sols, au besoin en utilisant d’autres sols ou en changeant la conception de l’ouvrage où le filtre doit être utilisé; et (3) l’on dispose aujourd’hui de méthodes pour identifier ces sols, ce qui fait qu’il est possible d’éviter les problèmes qu’ils peuvent poser. Il est important que ce message soit reçu et compris non seulement par les concepteurs, mais aussi par les entrepreneurs. Il faut se rappeler, en effet, l’excès de zèle, décrit au Paragraphe 2.1, de l’entrepreneur qui croyait bien faire en ajoutant un géotextile. Il faut s’assurer que les entrepreneurs soient bien informés des conséquences néfastes que peuvent avoir les géotextiles qui ne sont pas à leur place. Cette information permettra aux entrepreneurs de comprendre qu’il n’est pas question de tenter sur le terrain d’apporter des “améliorations” à la conception qui ne sont pas approuvées par le concepteur, surtout si ces “améliorations” sont inspirées par le ”bon sens” qui est déjà responsable de bien assez d’erreurs. Les sols ou autre matériaux situés à l’aval du filtre, s’ils ne sont pas, en général, susceptibles de poser des problèmes pour le fonctionnement du filtre aussi sérieux que ceux posés par les sols situés à l’amont, sont cependant souvent en mesure d’imposer des conditions qui peuvent influer sur le choix du filtre. Par exemple, si le matériau drainant situé immédiatement à l’aval du filtre est un géosynthétique du type treillis (ou analogue), c’est-à-dire un matériau mince (en comparaison d’une couche de gravier), et si le sol situé à l’amont contient des particules fines susceptibles de migrer, il est essentiel que le filtre ne laisse pas passer beaucoup de particules fines car le géosynthétique drainant, du fait de sa minceur, n’a pas besoin de beaucoup de fines pour se colmater. Dans un tel cas, la meilleure solution est, si cela est possible, de recommander que le sol situé à l’amont du filtre soit remplacé par un sol qui ne contienne pas de fines susceptibles de migrer. Si cela n’est pas possible, l’ingénieur qui conçoit le système de filtration peut: soit (1) remplacer le géosynthétique drainant par une couche de gravier (suffisamment épaisse pour contenir, sans perte de transmissivité appréciable, toutes les particules fines susceptibles de migrer en provenance du sol amont) ou par un tuyau perforé que l’on peut nettoyer; soit (2) choisir un filtre qui arrête un grand nombre de particules fines (et, par conséquent, a tendance à se colmater) pour protéger le géosynthétique drainant. Cette dernière solution n’est possible que si l’ingénieur a déterminé que le colmatage du filtre (du moins un colmatage partiel) était acceptable (c’est-à-dire ne risquerait pas d’entraîner de conséquence inacceptable pour l’ouvrage). Bien entendu, la discussion ci-dessus n’est applicable que si le sol situé à l’amont du filtre contient des fines susceptibles de se déplacer; dans les autres cas, un géosynthétique drainant constitue une solution viable. Une autre condition imposée par un géosynthétique drainant est que le filtre ne soit pas trop épais et compressible pour ne pas pénétrer, sous l’effet des contraintes normales, de façon significative dans les creux du géosynthétique drainant afin de maintenir la transmissivité hydraulique de ce dernier à un niveau acceptable. Cette condition sur l’épaisseur et la compressibilité du filtre est, dans de nombreux cas GIROUD
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pratiques, en conflit avec d’autres considérations relatives au choix du filtre géotextile; dans de tels cas, l’ingénieur doit faire un choix ou un compromis. Un autre exemple de matériau situé à l’aval du filtre est celui des tuyaux perforés: dans les cas où un filtre géotextile est requis autour d’un tel tuyau, le géotextile choisi doit avoir une transmissivité suffisante pour conduire l’eau vers les perforations du tuyau. Ces nombreux exemples montrent qu’il est important, lors de la conception d’un système de filtration, de tenir compte du matériau situé à l’aval du filtre. Le sol situé en amont d’un filtre peut avoir des caractéristiques qui changent le long de la direction longitudinale de l’ouvrage: c’est un point important que l’on a tendance à oublier car, lorsque l’on fait la conception d’un système de filtration, on considère en général une section transversale de l’ouvrage sans se préoccuper de ce qui se passe dans l’autre direction. Le problème de la variation des caractéristiques du sol dans la direction longitudinale se pose dans de nombreux cas de systèmes de filtration situés dans des terrains naturels comme les drains routiers et les protections de berges. Pour des raisons pratiques, il est préférable de ne spécifier qu’un type de filtre pour un système de filtration donné, à moins que les caractéristiques du sol ne varient de façon excessive d’un point à un autre. Comme on l’a montré au Paragraphe 4.5, on peut utiliser les méthodes décrites dans cette communication pour choisir un type de filtre géotextile qui aura plus de chances qu’un autre de fonctionner de façon satisfaisante en dépit de variations des caractéristiques du sol dans certaines limites. Les effets néfastes que pourraient avoir la présence d’un filtre géotextile sur le comportement de l’ouvrage doivent être considérés avec soin. En particulier, il faut évaluer les conséquences que pourraient avoir un dysfonctionnement, même léger, du filtre. Par exemple, une diminution de perméabilité du filtre due au colmatage n’aura pas les mêmes conséquences dans un barrage et dans un ouvrage de stockage de déchets. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que tout géosynthétique qui remplit, de façon satisfaisante ou non, une fonction quelconque (filtration, par exemple) dans un ouvrage peut avoir un effet nuisible sur certains aspects du comportement de l’ouvrage qui sont étrangers à la fonction qu’il remplit. Par exemple, un filtre géotextile peut constituer une surface de glissement potentielle susceptible de diminuer dangereusement le facteur de sécurité concernant la stabilité d’un ouvrage. Il est donc essentiel que ces problèmes potentiels soient présents à l’esprit des concepteurs de systèmes de filtration: on doit non seulement éviter, lors de la conception, les situations dangereuses où ces problèmes pourraient se produire, mais on doit aussi, ce qui est plus subtil et requiert de la part des concepteurs une expérience de chantier, rédiger des spécifications qui découragent les excès de zèle des entrepreneurs. En effet, on a vu des entrepreneurs étendre des géotextiles au delà de la limite spécifiée croyant bien faire en laissant, au lieu de la couper, une longueur excessive de géotextile à la fin d’un rouleau sans imaginer que, ce faisant, ils créaient un problème affectant le comportement de l’ouvrage. 5.3 Une mauvaise installation peut empêcher le meilleur filtre géotextile de fonctionner Une des raisons du succès des filtres géotextiles est, on le sait pour l’avoir entendu souvent, la facilité d’installation. En effet, les exemples ne manquent pas: installer un filtre granulaire sur une pente raide est difficile, voire impossible, tandis qu’installer un filtre géotextile est si facile; installer un filtre en sable dans une tranchée drainante en gravier est quasiment impossible, tandis qu’installer un filtre géotextile est si facile; placer un filtre granulaire contre un géosynthétique drainant est absurde car il faudrait un filtre gradué dont l’épaisseur et la capacité drainante excéderaient celles du géosynthétique drainant, tandis qu’installer un filtre géotextile contre un géosynthétique drainant est si facile. Qui aurait pensé, il y a quarante ans, qu’installer un produit synthétique deviendrait si naturel ? On a également loué à juste titre le fait que les géotextiles ont des caractéristiques plus constantes que celles des matériaux granulaires du fait des méthodes modernes de contrôle de qualité utilisées lors de la fabrication des géotextiles: on a pu en conclure logiquement que les géotextiles sont des filtres plus fiables que les matériaux granulaires, une importante conclusion quand on sait combien la fiabilité est essentielle en matière de filtration. Il est clair que les filtres géotextiles sont généralement faciles à installer. Cependant, il est essentiel que l’installation soit telle que le filtre géotextile puisse jouer les deux rôles fondamentaux qu’implique sa fonction (voir Paragraphe 1.2): le géotextile doit être installé de façon telle qu’il laisse passer l’eau et qu’il retienne le sol. En premier lieu, un filtre géotextile ne doit pas subir de réduction de perméabilité en cours d’installation. Pour cela, il doit être stocké et mis en place à l’abri de la poussière et, surtout, de la boue. On peut également choisir un filtre géotextile qui sera décolmaté relativement facilement par le premier courant d’eau qui le traversera s’il a été colmaté par de la poussière ou de la boue en cours d’installation: des recherches sont en cours à ce sujet (Artières et Faure, 1997). En second lieu, le filtre géotextile doit être placé de façon telle qu’il assure la rétention du sol, un important point qui fait l’objet de la discussion qui suit. Comme on l’a vu au Paragraphe 3.1, pour assurer la rétention d’un sol, un filtre doit empêcher les particules qui constituent le squelette du sol de se déplacer et, comme on l’a vu au Paragraphe 2.1, un filtre dans un ouvrage de géotechnique ne doit jamais être dans une situation où il arrête des particules en mouvement. Pour ces deux raisons, il est évident que le filtre doit être en contact intime avec le sol, ce que l’auteur de cette communication a toujours recommandé (Giroud, 1982b; 1989). On ne saurait trop insister sur ce point GIROUD
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qui est absolument essentiel. Deux cas doivent être considérés selon que le filtre est mis en place avant ou après le sol situé à l’amont. Si le filtre géotextile est mis en place d’abord, le sol doit être compacté sur ou contre le filtre, ce qui est facile mais doit être exécuté avec grand soin pour ne pas endommager le géotextile. Si le filtre géotextile est mis en place après le sol, ce qui est bien entendu le cas si le sol est le sol naturel, la mise en place du filtre géotextile doit être faite avec grand soin pour assurer un contact intime entre le géotextile et le sol. Deux conditions doivent alors être respectées: (1) le filtre géotextile doit être suffisamment souple pour s’adapter aux irrégularités de la surface du sol et les déformations du géotextile requises pour permettre l’adaptation à la surface du sol ne doivent affecter les ouvertures du filtre que de façon négligeable; et (2) le matériau situé en aval du filtre géotextile doit exercer sur ce dernier une contrainte de compression élevée et uniforme pour presser le géotextile contre le sol. Dans le cas d’une tranchée, un gravier de petite dimension (par exemple 20 mm ou moins) convient en général (Figure 17a) pourvu que le géotextile soit souple, tandis qu’un gros gravier (Figure 17b) et l’âme rigide d’un drain géocomposite (Figure 17c) ne conviennent pas en général (parce qu’ils n’exercent pas une contrainte de compression uniforme). Dans le cas d’une protection de berge, il est recommandé de placer une couche de gravier (Figure 18) sur le filtre géotextile pour exercer une contrainte uniforme afin d’assurer le contact intime entre le géotextile et le sol. Cette couche de gravier a également le mérite de protéger le géotextile contre l’endommagement mécanique pendant la pose des blocs et contre le rayonnement ultraviolet passant entre les blocs. Il est possible qu’un filtre soit nécessaire entre la couche de gravier et les blocs pour empêcher le gravier d’être lessivé entre les blocs par l’action des vagues (Figure 18). Bien entendu la condition de contact intime avec le sol implique que le filtre géotextile soit continu, c’est-àdire n’ait pas de trous: ceci impose que le filtre géotextile soit mis en place avec des recouvrements suffisants et suffisamment bien conçus pour ne pas s’ouvrir pendant la construction ou ensuite sous l’effet de déformations dues aux charges appliquées; ceci impose également que le filtre géotextile résiste aux sollicitations mécaniques, physiques et chimiques qui pourraient l’endommager, ce qui est discuté au paragraphe suivant. 5.4 Le filtre géotextile doit résister aux sollicitations susceptibles de l’endommager ou de le déformer Un filtre géotextile doit résister à une variété de sollicitations mécaniques, physiques et chimiques qui peuvent avoir deux types d’effets néfastes: (1) elles peuvent endommager le filtre géotextile; et/ou (2) elles peuvent déformer le filtre géotextile, ce qui peut causer une modification de ses ouvertures. Ces deux types d’effets néfastes sont discutés ci-dessous. Les sollicitations mécaniques susceptibles d’endommager un filtre géotextile se manifestent principalement en cours de construction et peuvent résulter de deux types de causes: (1) l’action directe des engins de construction (par exemple, la déchirure d’un géotextile par la lame d’un bulldozer); et (2) les contraintes concentrées liées à la grosseur et l’angularité des particules de sol en contact avec le géotextile et résultant des charges appliquées. Ces charges sont les charges dynamiques dues à la circulation des engins sur la couche de sol située sur le géotextile et les charges statiques dues au poids des sols progressivement placés sur le géotextile. Les actions mécaniques mentionnées ci-dessus peuvent causer une rupture du géotextile par perforation, déchirure, arrachement ou éclatement. Il existe des essais normalisés qui reproduisent ces quatre modes de rupture. Des études systématiques ont permis d’établir des corrélations entre les résultats de ces essais et la résistance des géotextiles aux contraintes d’installation. Ainsi ont été établis des “critères de survivabilité” relatifs à différents cas d’installation. Les résultats d’essais de perforation, déchirure, arrachement et éclatement réalisés sur un géotextile donné doivent montrer que le géotextile a une résistance supérieure à celle spécifiée dans les critères de survivabilité. Un filtre géotextile peut être endommagé en cours de construction (et ensuite, s’il n’est pas recouvert d’une couche de sol) par l’action du rayonnement ultraviolet de la lumière solaire qui, après une période de plusieurs semaines à plusieurs mois selon le type de géotextile, peut se traduire par des trous de plusieurs centimètres carrés dans le filtre géotextile (Tisinger et al., 1994). Certains produits chimiques peuvent avoir un effet similaire. En cours de service, un géotextile peut être endommagé par abrasion s’il est exposé à des action répétées (mouvement des blocs dû à l’action des vagues dans le cas des filtres géotextiles utilisés en protection de berge, passage de trains dans le cas des filtres géotextiles utilisés en voies ferrées) ou s’il est exposé au vent. Il faut noter que la résistance d’un géotextile à l’abrasion est fonction, entre autres, de la grosseur de ses fibres, ce qui peut être en contradiction dans certains cas avec la nécessité d’utiliser des fibres de petit diamètre pour obtenir une petite ouverture de filtration, comme l’indique le graphique présenté à la Figure 16. Toutes les sollicitations mécaniques, physiques et chimiques décrites ci-dessus se traduisent par un endommagement du géotextile sous forme de trous qui, bien entendu, empêchent le géotextile de remplir correctement sa fonction de filtre. En plus de ces actions destructives, il faut considérer les déformations causées par les contraintes qui existent dans tous les ouvrages de géotechnique. Du point de vue de la filtration, on s’intéresse aux déformations qui sont susceptibles de causer des modifications des ouvertures GIROUD
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des filtres géotextiles. Il convient des distinguer les contraintes de compression et de traction. En ce qui concerne les contraintes de compression, il est clair qu’elles doivent avoir très peu d’effet sur les géotextiles qui sont très peu compressibles comme les tissés et les nontissés thermoliés. En revanche, elles ont un effet marqué sur les nontissés aiguilletés. Ces derniers sont compressibles et, par conséquent, leur épaisseur diminue quand la contrainte de compression augmente. Il en résulte une diminution des ouvertures du filtre. Cet effet peut être quantifié à l’aide du graphique donné dans la Figure 16 (Giroud, 1996). L’effet des contraintes de traction est au contraire mal connu, ce qui est fort regrettable car ces contraintes peuvent être localement élevées, notamment là où le filtre géotextile se déforme pour s’adapter aux irrégularités de la surface du sol. Quelques essais ont été cités dans la littérature, mais, à la connaissance de l’auteur, aucune étude systématique ne permet de tirer des conclusions claires. Sur le plan théorique ont peut tenter de suggérer les raisonnements suivants: (1) en cas de traction bidirectionnelle, les ouvertures devraient s’allonger dans le sens des deux contraintes de traction et, dans le cas d’un nontissé épais, se rétrécir dans la direction perpendiculaire (c’est-à-dire la direction normale au plan du géotextile); par conséquent, on peut en conclure qu’une contrainte de traction bidirectionnelle devrait avoir pour effet d’augmenter la dimension des ouvertures dans le cas des matériaux minces (bidimensionnels) comme les tissés et les nontissés thermoliés, mais on ne peut tirer aucune conclusion dans le cas matériaux épais (tridimensionnels) comme les nontissés aiguilletés; et (2) le cas de traction unidirectionnelle est beaucoup plus complexe; si la traction unidirectionnelle était exercée sur une petite éprouvette, les ouvertures devraient s’allonger dans le sens de la contrainte de traction et se rétrécir dans la ou les directions perpendiculaires; par conséquent, du point de vue de la filtration, puisque c’est la plus petite dimension d’une ouverture qui régit le passage d’une particule, on peut en conclure qu’une contrainte de traction unidirectionnelle exercée sur une petite éprouvette devrait avoir pour effet de diminuer la dimension des ouvertures; en réalité, le géotextile ne constitue pas une “petite éprouvette” et une zone de traction unidirectionnelle entraîne, dans son voisinage, la formation de zones de traction bidirectionnelle où les ouvertures du filtre ont tendance à diminuer ou s’agrandir, selon le type de géotextile, comme cela a été expliqué plus haut. Il serait souhaitable que des essais systématiques soient réalisés pour vérifier si les raisonnements suggérés ci-dessus sont conformes à la réalité. 6 CONCLUSION 6.1 Une expérience considérable et une connaissance profonde du phénomène Près de quarante ans après la première utilisation d’un filtre géotextile, on dispose d’une expérience considérable qui découle de l’utilisation de filtres géotextiles dans des milliers d’ouvrages. Quelques uns, qui ont connu des problèmes, nous ont appris ce qu’il ne fallait pas faire; tant d’autres, par leur succès, nous rappellent que les filtres géotextiles sont aujourd’hui une technique fiable. La communauté internationale des ingénieurs et chercheurs a été remarquablement active, analysant non seulement les problèmes, mais aussi les succès — il suffit de voir le nombre d’études publiées sur le Barrage de Valcros pour s’en convaincre — contribuant ainsi à développer une somme d’expérience bien plus approfondie que celle qui consisterait seulement à accumuler des récits de cas. Cependant, s’agissant d’un phénomène aussi complexe que la filtration, l’expérience, si considérable soit elle, ne suffit pas. La majorité des erreurs commises dans l’utilisation des filtres géotextiles provient d’un manque de compréhension du phénomène plutôt que de matériaux défectueux. Une réflexion profonde sur la nature du phénomène est donc nécessaire. Il se trouve que la filtration a, de tout temps, fasciné l’esprit humain. L’invention du tamis, par exemple, a été une des plus brillantes manifestations de l’éveil de l’intelligence, car elle a nécessité une remarquable démarche intellectuelle maîtrisant la relation complexe entre le but et l’outil (séparation d’éléments tridimensionnels discrets par un outil bidimensionnel continu formé d’éléments unidimensionnels) et imposant à l’utilisateur un mode d’emploi très strict sans le respect duquel le but ne peut être atteint faute d’obéir aux lois physiques qui régissent le passage des particules à travers un orifice. On a appris, depuis, à reconnaître qu’il y a différents types de filtration et que, par exemple, le phénomène de filtration d’un sol dans un ouvrage de géotechnique est radicalement différent du phénomène du passage des particules à travers un tamis. Ainsi, on a appris que la rétention d’un sol ne consistait pas à “arrêter” les particules de sol, mais à les empêcher de se déplacer, et encore pas toutes: on a appris qu’il suffisait d’empêcher certaines particules de se déplacer, les particules qui forment le “squelette” du sol, pour que celles-ci à leur tour assurent la formation d’un autofiltre qui retiendra le sol. On a aussi appris que, pour retenir le sol tout en laissant passer l’eau, il était indispensable de laisser passer certaines particules de sol. Autrement dit, on a appris que la rétention du sol dans son ensemble devait s’accompagner de la non-rétention de certaines particules. On a aussi appris à utiliser, dans les sols, des filtres à structure plus complexe que celle des tamis, les géotextiles nontissés; en fait, la structure des géotextiles nontissés est comparable par son caractère quasi aléatoire à celle du sol et le rôle de la troisième dimension, l’épaisseur, dans le fonctionnement d’un élément essentiellement bidimensionnel comme un filtre est un défi pour l’esprit d’aujourd’hui aussi formidable que celui présenté par le concept du tamis pour notre ancêtre. Ce défi a été relevé en grande partie et l’on a GIROUD
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appris que la notion d’épaisseur d’un filtre géotextile n’a de réelle signification que rapportée au diamètre des fibres: une valeur minimale du rapport épaisseur/diamètre est requise pour assurer l’homogénéité du filtre géotextile nontissé, mais une grande valeur de ce rapport peut être défavorable. D’une manière plus générale, on a appris à quantifier l’influence de paramètres de structure des géotextiles sur leur caractéristiques de filtration, ce qui est un guide très précieux pour les producteurs de géotextiles. On peut espérer que cela suscitera la production de nouveaux filtres géotextiles. 6.2 Des méthodes et produits fiables pour l’utilisateur S’il est réconfortant pour l’utilisateur de savoir que la filtration est une science bien établie et non pas un art mystérieux, cela n’est pas suffisant. L’auteur de cette communication le sait bien qui est avant tout un ingénieur praticien. L’utilisateur veut pouvoir compter sur des produits fiables et a besoin de méthodes fiables pour les utiliser. Il y a deux façons pour un produit d’être fiable: dans sa constitution et dans son comportement. Un produit mis à la disposition de l’utilisateur doit obéir à des spécifications rigoureuses, et personne ne conteste qu’avec les méthodes modernes de contrôle de qualité, les filtres géotextiles sont plus fiables que les filtres naturels granulaires (sable ou gravier). Pour être fiable dans son comportement, un filtre ne doit pas être trop sensible aux variations des conditions dans lesquelles il est utilisé. On a vu, dans cette communication, que l’on dispose aujourd’hui de méthodes pour choisir un filtre géotextile qui soit moins sensible qu’un autre aux variations de caractéristiques du sol ainsi que pour choisir un filtre géotextile qui ne souffre pas de façon excessive des contraintes d’installation et de service. En ce qui concerne l’utilisation des filtres géotextiles, cette communication a montré que l’on disposait de méthodes fiables pour la conception, le dimensionnement et la mise en place. Au niveau de la conception, on sait aujourd’hui identifier, et donc éviter, les sols dangereux qui empêchent les filtres de fonctionner dans les ouvrages de géotechnique; et il est important de noter que cette information a été disséminée dans des publications accessibles aux concepteurs modernes et citées dans la Section 2 de cette communication. Au niveau du dimensionnement, on dispose aujourd’hui de critères de rétention qui tiennent compte non seulement de la dimension des particules du sol mais aussi d’autres caractéristiques du sol qui régissent la rétention, comme on l’a montré à la Section 3 de cette communication. Il est regrettable que le poids des traditions ait empêché jusqu’à présent certains comités de recommander de tels critères. Les utilisateurs attendent des directives de la part des comités dont la mission est de les guider. Pour les comités dont l’action passée a été inspirée par la tradition, un aggiornamento s’impose à la lumière des progrès considérables qui ont été faits dans le domaine de la filtration ces vingt dernières années. De ce point de vue il est intéressant de constater que, tandis que la tradition impose de toujours se tourner vers la géotechnique pour chercher l’inspiration ou l’information, c’est l’essor donné à la filtration par le succès des géotextiles qui a fourni la motivation pour les recherches les plus fécondes en matière de filtration ces vingt dernières années. C’est donc au sein même de la communauté de ceux qui s’intéressent aux géosynthétiques que l’on peut avoir accès à l’information utile. Fort heureusement, c’est une communauté bien organisée où l’information circule. Il faut aussi noter qu’en plus des méthodes éprouvées qui permettent d’effectuer un dimensionnement adéquat des filtres géotextiles cette communication a présenté dans la Section 4 des résultats de recherches récentes qui fournissent des informations utiles pour la conception des systèmes de filtration dans certains cas délicats ainsi que pour la sélection des filtres géotextiles. Au niveau de la mise en place, on trouve dans la Section 5 des recommandations concernant les conditions sur le terrain qui peuvent avoir un impact sur la performance des filtres. En particulier, on n’insistera jamais assez sur l’importance d’un contact intime entre le filtre géotextile et le sol. Par conséquent, on ne peut que recommander de choisir un filtre géotextile qui s’adapte bien aux irrégularités du sol. 6.3 Une vision lucide de la complexité du phénomène de filtration En dépit de l’effort qui a été fait dans cette communication pour présenter le sujet de la filtration de façon simple, il n’en reste pas moins que la filtration du sol dans un ouvrage de géotechnique est un phénomène complexe. Il faut donc se méfier de toute approche qui n’est pas rigoureuse. S’il est légitime de la part de l’utilisateur de vouloir des méthodes simples, il ne faut pas cependant lui donner des méthodes simplistes. C’est un point que les comités devront avoir en mémoire lorsqu’ils procéderont à l’aggiornamento si nécessaire Mais, s’il faut être conscient de la complexité inhérente à la filtration, il ne faut pas que ce soit une raison ou un prétexte pour se détourner des filtres géotextiles. Malheureusement, face à la complexité, certains ont une réaction négative. Il y a ceux qui se retranchent derrière le bon sens qui donne l’illusion de la simplicité ou la tradition qui donne l’illusion de la sécurité. Il y a ceux qui sont désorientés de ne pas trouver dans le domaine de la filtration le confort que les mathématiques apportent dans d’autres domaines. Il y a ceux qui pensent que le mécanisme de filtration par géotextiles est trop subtil pour être fiable et qui ne veulent pas prendre le risque d’utiliser une technique où la différence entre le succès et l’échec leur semble tenir à peu de chose (ce qu’il est tentant de paraphraser ainsi: en matière de filtration avec géotextiles, la différence GIROUD
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entre ce qui passe et ne passe pas ne tiendrait qu’à un fil ). Il y a aussi ceux qui ne veulent pas prendre le risque d’utiliser des filtres géotextiles hantés qu’ils sont par le spectre du colmatage. Aujourd’hui, comme on l’a montré dans cette communication, cette complexité qui fait peur à certains est maîtrisée: on sait faire les choix qui régissent la différence entre le succès et l’échec d’un filtre et, en particulier, on dispose des moyens requis pour éviter le colmatage ainsi que les autres modes potentiels de dysfonctionnement des filtres géotextiles. La lecture de cette communication devrait convaincre ceux qui ne veulent pas prendre le risque d’utiliser un filtre géotextile qu’ils se privent d’une technique susceptible d’être plus fiable que la technique traditionnelle qu’ils préfèrent utiliser. On peut ainsi conclure que, dans l’état actuel des connaissances, ceux qui ne veulent pas prendre le risque d’utiliser des filtres géotextiles prennent plus de risques en n’en utilisant pas. 6.4 Un dernier mot La filtration cache des mécanismes complexes derrière une façade de simplicité. Quelle proie idéale pour le bon sens qui ne se repaît que d’impressions et arrive avec sa cohorte habituelle d’erreurs! Certaines d’entre elles ont été légitimisées par la tradition qui souvent préfère le bon sens à la réflexion — les exemples ne manquent pas, la terre n’est elle pas plate d’après le bon sens? Cependant, les réflexions et recherches suscitées par la fascinante complexité des mécanismes de filtration ont produit les connaissances actuelles, connaissances qui font que l’on dispose, avec les filtres géotextiles, d’une technique remarquablement fiable. Il ne reste qu’à communiquer ce message au plus grand nombre. De ce point de vue, pas de crainte: si la fonction d’un filtre est de retenir le sol tout en laissant passer l’eau, le sujet de la filtration sait retenir l’attention tout en laissant couler beaucoup d’encre.
REMERCIEMENTS L’auteur exprime sa gratitude à K.L. Soderman et à B.A. Gross pour leurs commentaires ainsi qu’à K. Holcomb et M. Ramirez pour leur assistance lors de la rédaction de cette communication.
RÉFÉRENCES Artières, O. and Faure, Y.H., (1997), “Filtration des sols par géotextile: retour d’expérience et nouveaux développements — Soil Filtration with Geotextile: Feedback and New Developments”, Comptes Rendus de Rencontres 97 — Proceedings of Rencontres 97, Volume 1, Reims, France, Octobre/October 1997, pp.105-111. (en français et en anglais) Giroud, J.P., (1982a), “Filter Criteria for Geotextiles”, Proceedings of the Second International Conference on Geotextiles, Vol. 1, Las Vegas, Nevada, USA, August 1982, pp. 103-108. Giroud, J.P., (1982b), “Discussion on Filter Criteria for Geotextiles”, Proceedings of the Second International Conference on Geotextiles, Vol. 4, Las Vegas, Nevada, USA, August 1982, pp. 36-38. Giroud, J.P., (1988), “Review of Geotextile Filter Criteria”, Proceedings of the First Indian Geotextiles Conference, Bombay, India, December 1988, pp. 1-6. Giroud, J.P., (1989), “Panelist Contribution on Geotextile Filters”, Proceedings of the Twelfth International Conference on Soil Mechanics and Foundation Engineering, Vol. 5, Rio de Janeiro, Brazil, August 1989, pp. 3105-3106. Giroud, J.P., (1996), “Granular Filters and Geotextile Filters”, Proceedings of GeoFilters ‘96, Lafleur, J. and Rollin, A.L., Editors, Montréal, Canada, May 1996, pp. 565-680. Lafleur, J., Mlynarek, J. and Rollin, A.L., (1989), “Filtration of Broadly Graded Cohesionless Soils”, Journal of Geotechnical Engineering, ASCE, Vol. 115, No. 12, pp. 1747-1768. Tisinger, L.G., Clark, B.S., Giroud, J.P. and Schauer, D.A., (1994),”The Performance of Nonwoven Geotextiles Exposed to a Semi-Tropical Environment”, Proceedings of the Fifth International Conference on Geotextiles, Geomembranes and Related Products, Singapore, September 1994, Vol. 3, pp. 1223-1226.
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GEOTEXTILES-GEOMEMBRANES Tableau 1 Table 1
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Critère de rétention (Giroud, 1982a), représenté également par la Figure 7. Retention criterion (Giroud, 1982a), also represented in Figure 7. Sol Soil
Indice de densité du sol (Densité relative) Density index of the soil (Relative density)
Coefficient d’uniformité linéaire du sol Linear coefficient of uniformity of the soil
1 < Cu′ ≤ 3 Sol peu dense Loose soil
OF < Cu′ d50
ID < 35%
OF < Cu′ 0.3 d85 Sol de densité moyenne Medium dense soil
OF < 1.5 Cu′ d50
35% < ID < 65%
OF < 1.5 Cu′ 0.3 d85 Sol dense Dense soil
OF < 2 Cu′ d50
ID > 65%
OF < 2 Cu′ 0.3 d85
Cu′ ≥ 3 9
OF