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Collection fondée et dirigée par Bernard Roy
Une société sans mémoire est une société sans avenir ; une profession sans mémoire est une profession sans avenir. « Infirmières, communautés, sociétés » est une collection des Presses de l’Université Laval qui offre un espace francophone de parole, de dialogue, de débat et de réflexion critique aux infirmières ainsi qu’à toute personne s’intéressant au fait infirmier dans les sociétés et les communautés d’hier et d’aujourd’hui. Il ne saurait y avoir de vie sans soins. Nulle société ne saurait se développer, s’épanouir sans que ne soient apportés aux personnes vulnérabilisées des soins. Au sein des communautés et des sociétés, et cela depuis des siècles, les infirmières apportent soins et soutien afin que la vie puisse s’épanouir, se dérouler et s’éteindre dans la plus grande sérénité possible. S’intéresser à la santé des populations c’est être engagé dans une lutte à finir contre les iniquités à l’origine de maladies et de souffrances qui affectent tout particulièrement les plus vulnérables, les marginaux, les laissés pour compte. Que seraient les communautés et les sociétés sans l’apport des infirmières ? Comment, en retour, ces communautés et sociétés transforment-elles les infirmières ? Des infirmières d’ici et d’ailleurs, ont fait figure de pionnières et de bâtisseuses. Certaines ont été à l’origine d’initiatives, d’innovations, d’actes de courage, de passion et d’engagement visant l’amélioration de la santé des populations et tout particulièrement de ses membres les plus fragilisés. D’autres, de manière moins flamboyante peut-être, ont participé à soigner au quotidien dans des contextes souvent ingrats et valorisant peu leurs savoirs. La collection « Infirmières, communautés, sociétés » s’intéresse aux infirmières, à leurs actions, à leurs contributions. À travers des essais, des recherches sur la profession, des récits, des biographies même elle souhaite participer à la construction de la mémoire collective infirmière. Une mémoire, ouverte au débat, soucieuse de nommer et de valoriser les savoirs développés au cœur de pratiques sociales, communautaires et cliniques qui risquent, autrement, de demeurer lettre morte. La collection est dirigée par Bernard Roy, Université Laval et le comité éditorial est composé de Nancy Cyr, Université Laval ; Clémence Dallaire, Université Laval ; Dave Holmes, Université d’Ottawa ; Linda Lepage, Université Laval ; Michel Nadot, Haute école de santé, Fribourg, Suisse et Université Laval ; Michel O’Neill, Université Laval ; Geneviève Roch, Université Laval ; Daphney St-Germain, Université Laval ; Nicolas Vonarx, Université Laval. TITRE PARU DANS LA COLLECTION • Roy, Bernard, 2008. Louise Gareau, infirmière de combats. « Elle savait tout le sang et toutes les douleurs. » Entretien de Bernard Roy avec Louise Gareau, PUL.
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Du même auteur • Vivre une expérience de soins à domicile, Les Presses de l’Université Laval, 2003. • Les professionnels et les familles dans le soutien aux personnes âgées dépendantes, Le travail du social, L’Harmattan, 1999.
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Autonome S’démène pour prendre soin d’un proche à domicile MARIO PAQUET
LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL 2008
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Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société d’aide au développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. Cette recherche a bénéficié d’une subvention conjointe du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et de l’Agence de la santé et des services sociaux de Lanaudière en vertu du Programme de subventions en santé publique. Le Chemin des Auteurs en gérontologie sociale a été créé en 2001 par des universitaires francophones. Il favorise les échanges entre chercheurs, professionnels, décideurs publics, étudiants et retraités, et dissémine les résultats de recherches et de pratiques novatrices sur les problématiques du vieillissement, en organisant des tournées d’auteurs dans les pays francophones. www.chemindesauteurs.org
Mise en pages et maquette de couverture : Marc Brazeau Photographie de la couverture : www.istockphoto.com/ilbusca ISBN 13 : 978-2-7637-8689-6 © Les Presses de l’Université Laval 2008 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 3e trimestre 2008 Les Presses de l’Université Laval Pavillon Maurice-Pollack 2305, rue de l'Université, bureau 3103 Québec (Québec) G1V 0A6 CANADA www.pulaval.com
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À ma mère qui m’a légué en héritage son courage de vivre. À Li Li, à Claudine ma compagne, pour ton amour et l’immense bonheur que j’en retire.
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Un vrai livre, c’est toujours quelqu’un qui entre dans notre solitude. - Christian Bobin
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Table des matières PRÉFACES
Madame Andrée Sévigny, Québec Monsieur Daniel Réguer, France REMERCIEMENTS
XIII XVII XXI
PROLOGUE
L’utilisation d’un personnage comme porte-parole du citoyen et comme outil de transfert des connaissances
1
CHAPITRE PREMIER
Du cri du cœur au cri d’alarme d’Autonome S’démène
7
CHAPITRE DEUXIÈME
Autonome S’démène est plus que jamais une « aidante surnaturelle »
15
CHAPITRE TROISIÈME
Prendre soin : entre perspective de soutien et enjeux de responsabilité
29
CHAPITRE QUATRIÈME
Prendre soin : une question de liens entre des humains
47
CHAPITRE CINQUIÈME
Prendre soin : « Si ce n’était que de ça… ». Le récit de « héros involontaires »
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ÉPILOGUE
Entre savoir-faire et savoir être : les liens de proximité ou la « rencontre des humanitudes »
97
POSTFACE
Linda Lepage, professeure titulaire Clémence Dallaire, professeure agrégée
105
ANNEXE 1
Les liens de proximité en soutien à domicile
107
ANNEXE 2
Pourquoi la logique familiale de soins est-elle complexe ? RÉFÉRENCES
123 127
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Préface québécoise Autonome S’démène, cette aidante « surnaturelle » avec qui s’entretient Mario Paquet, ne m’est pas inconnue. Elle est un membre de ma famille. Je la croise dans mon quartier. Je l’ai rencontrée maintes fois alors que j’étais intervenante sociale dans une équipe de soutien à domicile. Depuis quelques années, dans le cadre d’activités de recherche, j’essaie de mieux comprendre son point de vue sur différentes questions relatives à l’organisation et à la dispensation des services de soutien à domicile. Autonome S’démène ne fait pas figure d’« exception », puisqu’elle personnifie toutes ces femmes qui s’engagent auprès de leurs proches ayant besoin de soutien pour continuer de vivre à domicile, dans l’environnement qui leur est familier. Par contre, Autonome S’démène est « exceptionnelle » : passant des tâches ménagères à l’encouragement moral, de la gestion des repas à la gestion des services tous azimuts, elle doit faire preuve d’un savoir-faire, d’un savoir-être et d’un savoir-communiquer exceptionnels. Elle se compare elle-même à une femme orchestre (Paquet, 2003 : 23). En lui donnant la parole, Mario Paquet, reconnaît son expertise et lui offre l’opportunité de nous la transmettre. Déjà, en 2003, nous avons été témoins d’une première rencontre de l’auteur avec Autonome S’démène (Paquet, 2003). Cette rencontre avait donné lieu à un échange fort éloquent, sur la réalité des personnes aidantes et sur la logique qui sous-tend leur engagement. Dans le présent volume, le dialogue se continue mais la situation d’Autonome S’démène est encore plus critique qu’en 2003. Cette fois, elle lance un appel de détresse. Cet appel a aussi été entendu par d’autres chercheurs qui montrent que les personnes aidantes risquent de vivre une détresse psychologique plus élevée que la population en général (Dumont et autres, 2006).
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Bien que l’expérience de l’aide ne se réduise pas à la notion de « fardeau » ou de « problème », les personnes aidantes sont à « bout de souffle ». Dès lors, il est non seulement important de leur donner la parole, mais il est urgent d’entendre cette parole et d’agir. Au fil de leur entretien, Autonome S’démène et Mario Paquet, livrent des pistes de réflexion et d’action. Intervenants du réseau de services publics ou communautaires, professeurs, chercheurs ou étudiants en gérontologie sociale peuvent aussi y voir une source de réflexion susceptible d’orienter leurs futures recherches ou interventions. Leur échange concernant la relation partenariale État-famille prend une grande place. Alors que l’État fait l’apologie du partenariat, les personnes aidantes ne se sentent pas « partenaires ». Si la notion de partenariat est associée uniquement à une volonté de l’État de décentraliser la prestation de services vers la communauté et les familles, il y a effectivement lieu de s’inquiéter (Lesemann, 2001 ; ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005). Autonome S’démène aurait sans doute davantage le sentiment d’être une véritable partenaire si elle était reconnue comme une interlocutrice autonome, capable d’agir et de négocier la nature et l’étendue de sa participation. Alors que l’État convie les familles à une forme de « partenariat obligatoire » qui laisse peu de place à la négociation, Autonome S’démène insiste sur l’importance d’établir une relation partenariale fondée sur le respect, la confiance et l’équité dans les efforts déployés pour venir en aide à son conjoint. Comme le souligne Mario Paquet, les personnes aidantes assurent maintenant 90 % de l’aide et des soins nécessaires au soutien à domicile des personnes âgées (Ducharme, 2006). De plus, le présent ouvrage met en évidence l’importance que les personnes aidantes accordent à la qualité du lien. Ainsi, la partie plus « instrumentale » de leur contribution constitue seulement la pointe de l’iceberg d’une implication socio-affective, souvent invisible, bien que beaucoup plus importante en termes d’engagement (Sévigny, 2002 ; Vézina et Sévigny, 2000). Un investissement personnel aussi important mérite que l’on en reconnaisse les limites. Autonome S’démène a besoin de sentir qu’elle n’est pas seule, qu’elle peut compter sur des partenaires qui la soutiendront et qui, eux aussi,
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feront leur part. Les intervenants professionnels sont très sensibles à cet appel des personnes aidantes. Il reste toutefois à espérer que les décideurs l’entendent à leur tour. Merci à Autonome S’démène et à son interlocuteur, Mario Paquet, de rappeler cet enjeu de taille au regard du maintien à domicile : l’importance de garder le cap vers l’atteinte du difficile et périlleux équilibre entre la responsabilité pour chaque individu de participer au soutien de ses proches et la responsabilité de l’État d’assurer la justice sociale. ANDRÉE SÉVIGNY, T.S., PH.D. Professeure associée au département de médecine familiale Chercheure au Centre de recherche du CHA, Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec (CEVQ) Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés (IVPSA)
DUCHARME, F. Familles et soins aux personnes âgées. Enjeux, défis et stratégies, Montréal, Beauchemin, 2006. DUMONT, S., J. TURGEON, P. ALLARD, P. GAGNON, C. CHARBONNEAU et L. VÉZINA. « Caring for a loved one with advanced cancer : Determinants of psychological distress in caregivers », Journal of Palliative Medicine, vol. 9, no 4, 2006, p. 912-921. LESEMANN, F. « De l’État providence à l’État partenaire », dans G. Giroux (dir.), L’État, la société civile et l’économie : turbulences et transformations, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, p. 13-46. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX. Un défi de solidarité. Les services aux aînés en perte d’autonomie. Plan d’action 2005-2010, Québec, gouvernement du Québec, 2005. PAQUET, M. Vivre une expérience de soins à domicile, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2003.
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SÉVIGNY, A. La contribution des bénévoles, inscrits dans un organisme communautaire bénévole, au soutien à domicile des personnes âgées, Thèse non publiée, Université Laval, Québec, 2002. VÉZINA, A., et A. SÉVIGNY. L’importance du visible et de l’invisible : la contribution des organismes communautaires au soutien à domicile des personnes âgées : recension des écrits, Québec, Centre de recherche sur les services communautaires, Université Laval, 2000.
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Préface française En France, on connaît les chercheurs ou enseignants / chercheurs, dont je suis, les professionnels dont j’ai été durant 17 ans, mais on connaît moins les «professionnels/chercheurs». C’est pourtant depuis cette position professionnelle spécifique de « professionnel / chercheur », que nous parle Mario Paquet pour faire du savoir profane une pensée savante. Depuis son poste d’agent de planification, de programmation et de recherche, à la Direction de santé publique, de l’Agence de la santé et des services sociaux de Lanaudière, il est placé au mieux pour observer les situations concrètes qu’il décrit admirablement pour les analyser. Il n’y oppose pas les langages et « mondes » culturels des professionnels, chercheurs, enseignants ou de membres d’autres professions intellectuelles. À travers son personnage, Madame « Autonome S’démène », qu’il rencontre en dialogue, il y met en vie le «monde ordinaire» des aidantes « surnaturelles » des personnes âgées, des « familles providences». Elles lui ont fait don de leurs témoignages dont il restitue une lisibilité. Mario Paquet fait tellement confiance à ce personnage qu’il doit servir, que l’auteur s’efface parfois devant le « héros involontaire» que devient l’aidant familial. Cette position professionnelle singulière de reconnaissance du rôle de l’usager est aussi une posture théorique de compréhension d’un acteur capable d’être autre chose que la partenaire exécutante, moralisée, bénévole et corvéable à merci, qu’un « système » appauvri lui demande implicitement d’être. Dans sa mise en scène de la réalité, Mario Paquet pousse cette posture au point que, dans l’expérience de la douleur du deuil dont chaque humain fait l’expérience, il donne à l’aidante le privilège d’apprécier à son tour la possibilité de tendre la main au chercheur demeuré tout simplement humain. C’est un ouvrage utile, évidemment aux chercheurs sur le vieillissement, par le « gisement d’informations », la richesse des matériaux
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réunis, des centaines d’heures d’entretiens, des dizaines de situations patiemment observées. Au-delà du témoignage de l’expérience, l’ouvrage est riche aussi d’outils théoriques. Ceux-ci sont mobilisés autant pour l’analyse des comportements, toujours très nuancée, échappant aux stéréotypes sur telles ou telles catégories de personnels, que pour celle des stratégies et des organisations. Il illustre ainsi sa thèse, maintenant établie, des résistances des aidants à recourir aux services formels, loin des stigmates d’abus, de services superflus, dont sont victimes parfois aidants et aidés. La formation de l’auteur à la sociologie des politiques publiques transparaît également dans l’analyse des transformations du rôle de l’État et des conséquences sur les familles, plus souvent la conjointe. En outre, la réflexion méthodologique est au rendez-vous de cet ouvrage, à la forme pourtant peu académique, mais accessible à tous. Les « expériences » y sont présentées avec méthode et rigueur, telles des études de cas. Enfin, la riche bibliographie en fera un ouvrage de référence pour le jeune chercheur. C’est un ouvrage incontournable pour les centres documentaires des professionnels en gérontologie sociale, qui se retrouveront dans les réalités complexes de terrain, pour en débusquer des éléments de compréhension ou d’explication. L’ouvrage, par sa conception à partir de résultats d’enquêtes, concrets, souvent directement opérationnels, légitime de surcroît les combats pour le développement de la recherche, en rapport avec l’Université. La riche documentation, hautement professionnelle, en fera un ouvrage de référence pour le professionnel francophone de tous les continents. C’est un outil pédagogique en milieux scolaires et universitaires, pour les jeunes, et les moins jeunes, qui se forment aux nombreux et divers métiers de la gérontologie sociale ou de l’aide à la personne. Résultat de recherches, l’ouvrage fourmille de témoignages et d’anecdotes, à contre courant d’une dramatisation stigmatisante ambiante, sur lesquels j’ai personnellement appuyé des enseignements en premier cycle universitaire. Par ailleurs, la forme de l’ouvrage en fait presque un outil thérapeutique, préventif. Dédramatisant des situations dramatiques, il fait prendre conscience que la situation vécue, aussi singulière soit-elle comme toute expérience personnelle,
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n’est pas unique. Les nombreux conseils pratiques, les suggestions d’initiatives publiques, notamment de services intégrés, en feront un ouvrage de référence pour celui ou celle qui a en charge une collectivité publique, comme élu ou fonctionnaire, ou plus couramment pour les aidants potentiels. Osons dire enfin que c’est un ouvrage plaisant, un voyage à lui seul, à consommer sans modération, malgré un « risque » certain d’accoutumance en attendant un troisième volume. Entretien avec une aidante « surnaturelle » Autonome S’démène pour prendre soin d’un proche à domicile apparaît comme un ouvrage de référence pour s’imprégner d’une culture québécoise, initiatique au voyage chez nos cousins francophones. Mario Paquet mobilise une diversité d’outils conceptuels au service de l’analyse. Au fil des pages apparaît son analyse de l’État, de ses motivations financières dans le processus d’institutionnalisation, et le retournement de situation érigeant en norme un maintien a domicile le plus longtemps possible qui n’a d’autres prolongements que l’institutionnalisation reportée à plus tard, mais sans y remédier par l’affirmation d’un droit au logement, d’un droit au domicile, d’un droit à l’intégration sociale. Il analyse aussi finement les transformations dans les dynamiques familiales, les culpabilités, les souffrances induites par une idéologie du partenariat, comme si les solidarités familiales pouvaient prendre la forme de rapports contractuels rationnels sur le modèle des règles qui régissent les rapports entre entreprises. Il ne manque pas d’observer aussi les conséquences sociales de ces culpabilisations pour l’aidant qui finit parfois par en perdre son emploi. Au-delà de la rigueur scientifique avec laquelle il analyse les situations, Mario Paquet, ne camoufle pas les enjeux idéologiques. Le livre porte des valeurs. Si la nouvelle génération qui entre dans le marché du travail n’interroge pas ses valeurs, elle ne sera que le technicien aveugle, agent d’un système aux anonymes lieux de décisions. C’est ainsi que la forme de l’ouvrage qui met en scène madame « Autonome S’démène », se prête parfaitement à l’ambition scientifique du chercheur et à l’ambition citoyenne de chacun. Si un seul
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mot de conclusion devait être retenu de cette expérience scientifique, c’est d’abord « le lien entre les humains » qui viendrait à l’esprit. L’adoption d’une telle définition de l’objectif de politique publique, en lieu et place d’une norme spatiale, le domicile, ou de parcours de vie, du domicile au «placement», ouvrirait un débat sur le droit à un lieu de vie, individuel, intime, adapté, où « Autonome S’démène» pourrait jouer tout son rôle, mais que son rôle «d’aimant familial » à côté « d’aidant professionnel ». Président de l’Association du Chemin des Auteurs, qui œuvre à la diffusion de travaux en gérontologie sociale dans les communautés francophones à travers le monde, de Madagascar au Québec ou du Sénégal à la Belgique, je ne peux que saluer cette livraison opportune de Mario Paquet. Chercheur formé à la sociologie des politiques publiques, à l’analyse des stratégies, à la sociologie des comportements, il a compris l’intérêt des comparaisons internationales qui s’éclairent mutuellement. Les sciences sociales ont en commun la complexité de leurs codes langagiers, de leurs polysémies témoins d’une histoire et de mondes culturels mouvants. Nous répétons sans cesse que les comparaisons terme à terme sont sans objet dans des contextes culturels divers. De ce fait, un ouvrage francophone, en « langage ordinaire », donne un accès spécifique à l’univers culturel d’un peuple, américain du nord, bien que non « étatsunien ». Nos remerciements vont évidement à Mario Paquet, qui rend une part de la sociologie accessible, mais aussi aux familles québécoises qui, par l’entremise d’Autonome S’démène, chante à nos oreilles francophones, la sagesse, la sensibilité, l’humanitude et l’implacable humour d’un peuple si longtemps opprimé, si longtemps combattant, si longtemps acharné à s’démener pour son autonomie linguistique et culturelle. DANIEL RÉGUER Université du Havre CNRS IDEES / CIRTAI Maître de conférences de sociologie (HDR) Président de l’Association du Chemin des Auteurs
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Remerciements En tout premier lieu, je tiens à remercier le Directeur de la santé publique, le docteur Laurent Marcoux pour son appui. Au fil des ans, son soutien a favorisé le développement, dans la région de Lanaudière, d’une expertise reconnue dans le champ de la recherche sur le soutien familial auprès des personnes aux prises avec des incapacités. La conjoncture démographique du vieillissement accéléré de la population québécoise, entre autres choses, lui donne désormais raison de cet appui. Néanmoins, il fallait, a priori, être sensible au fait que, pour développer des compétences dans un champ de recherche, il faut y investir beaucoup d’énergie et du temps, de même qu’assurer la continuité de la poursuite des travaux. Sans cette vision des choses, ce livre n’aurait pas pu voir le jour. Tous les projets que j’ai menés jusqu’ici ont été réalisés en partenariat avec des organismes du réseau des établissements de la santé et des organismes communautaires de la région de Lanaudière. Du coup, cela implique que plusieurs personnes ont contribué à la réalisation de ces projets tout en étant cependant dans l’ombre de ces contributions. Trop nombreux pour les nommer, j’insiste toutefois pour dire qu’il n’y a pas meilleur terrain pour aiguiser la réflexion que de travailler avec des gens qui ont vraiment à cœur la santé et le bien-être de la population. À toutes les personnes qui vont ici se reconnaître, sachez que le fruit de ce travail porte l’empreinte de votre sensibilité et l’influence de vos préoccupations ; du moins, je l’espère. J’ai la chance de travailler avec des collègues qui forment une masse critique non négligeable et qui s’avère indispensable lorsqu’un projet comme la rédaction d’un livre arrive à terme. Merci à Élisabeth Cadieux, coordonnatrice du Service de surveillance, recherche et évaluation, à André Guillemette, agent de planification,
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de programmation et de recherche, à Mélanie Renaud et à Josée Payette, techniciennes en recherche pour l’analyse et les commentaires de la version finale du manuscrit. Mes remerciements s’adressent aussi à Jacinthe Bélisle, secrétaire, maintenant à la retraite, qui a mis en forme les premiers chapitres de l’ouvrage. Cependant, l’essentiel de cette mise en forme a été effectué des mains de Christiane Bellehumeur et surtout de Marie-Josée Charbonneau. Marie-Josée merci pour ne pas avoir baissé les bras devant l’adage qui veut que : « vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ». Comme dans l’ouvrage précédent, j’ai sollicité Mme Lise DallaireDurocher pour sa connaissance de la thématique des soins à domicile et pour sa vaste expérience du domaine de l’édition. Une fois de plus, j’ai bénéficié de sa grande générosité et de l’intérêt qu’elle porte à la gérontologie sociale en général et à la vulgarisation scientifique en particulier. Chaque fois que je rencontre Lise, je me laisse surprendre par sa passion de la vie, par sa culture encyclopédique et son intelligence humaine et raffinée. Une intelligence qui a manifestement contribué à mettre du relief aux entretiens avec Autonome S’démène et, par le fait même, à bonifier le contenu de l’ouvrage. Lise, comme dans Vivre une expérience de soins à domicile, j’ai envie de te dire que j’ai la profonde conviction que dans ce livre il y a encore beaucoup de toi. Je remercie sincèrement M. Luc Gaudet, directeur général et artistique de l’équipe Mise au jeu pour m’avoir autorisé l’utilisation du nom et du prénom du personnage que j’utilise dans cet ouvrage. Mise au jeu est « une équipe de créateurs provenant d’horizons culturels variés orientés vers une mission commune : favoriser la prise en charge du changement par l’entremise du jeu et de l’intervention théâtrale participative comme outil de communication et d’échange». Pour bénéficier des services de l’équipe Mise au jeu, voici les coordonnées. Téléphone : 514-871-0172. Courriel : [email protected]. Site Internet : www.miseaujeu.org.
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Remerciements
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J’adresse toute ma gratitude à M. et Mme Hébert (nom fictif) dont le récit est l’objet du chapitre cinq. Vous m’avez accueilli chez vous les bras grand ouverts avec l’espoir que votre témoignage serve à d’autres. En raison de la nature et de la richesse de votre trajectoire de vie, j’ai la certitude que personne ne pourra sortir indifférent de la lecture de votre récit. Au cours des dernières années, j’ai effectué plusieurs séjours en France particulièrement à Belfort dans le cadre de tournées organisées par l’Association du chemin des auteurs. Par l’entremise de conférences, de séminaires et de rencontres non officielles, ces passages m’ont permis d’avoir de nombreux échanges et d’établir des liens significatifs pour ne pas dire d’amitié. Ces liens qui reposent sur des valeurs communes d’humanisation des soins ont sans l’ombre d’un doute influencé ma décision d’entreprendre la rédaction de ce livre. Merci à Jean-Philippe Viriot-Durandal, maître de conférence à l’Institut universitaire de technologie de Belfort, Université de Franche-Comté et cofondateur de l’ACA pour ton légendaire accueil, ta vision et ta dynamique contaminante. Merci à Lucille Grillon, déléguée générale de l’ACA pour ton exceptionnel sens de l’organisation. Merci aux personnes suivantes pour les profondes discussions que nous avons eues durant les dernières années et qui restent dans ma mémoire comme un souvenir inestimable et indélébile : Chantale Hurst, directrice Communauté d’Agglomération Mulhouse Sud Alsace, Services Personnes ÂgéesFamille-Personnes Handicapées-Clic de Mulhouse-La Clé des Aînés, Guillaume Gutleben, assistant-maître de conférence à l’Institut universitaire de technologie de Belfort, Université de Franche-Comté, Simone Pennec, maître de conférence à l’Université de Bretagne occidentale, Daniel Réguer, maître de conférence à l’Université du Havre, Gérard Simon, chef de service de médecine interne et gériatrie, centre hospitalier de Belfort, conseiller municipal délégué aux aînés à la ville de Belfort, Anne-Martine Villemot, chargée de mission au Centre communal d’action sociale de la Ville de Belfort.
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Prologue
L’utilisation d’un personnage comme porte-parole du citoyen et comme outil de transfert des connaissances
L’écart grandit entre le discours strictement scientifique des savants et la pensée ordinaire, laquelle est pourtant aussi le fait de chaque savant dès qu’il sort de sa spécialité, ou même lorsqu’il tente d’expliquer à d’autres son savoir professionnel, voire de situer à ses propres yeux ce savoir au regard du reste de son expérience. C’est le passage au langage ordinaire qui est révélateur. Il ne peut pourtant être évité, car il n’existe pas de langue interdisciplinaire autre que lui, et l’idiome de chaque discipline demeure impénétrable aux autres, comme en la tour de Babel. En outre, il faut bien divulguer, un jour, au moins les résultats de ce savoir et leur signification à d’autres que des scientifiques. - Thomas De Koninck
Ce matin, en écrivant ces lignes, je me disais, sans doute comme bien d’autres qui avancent en âge, que le temps passe vite. C’est en 1984 que j’ai amorcé ma carrière d’agent de recherche dans le réseau de la santé et des services sociaux. Presque vingt-cinq ans, déjà ! L’avantage du temps est qu’il ajoute à l’expérience et permet à la mémoire d’apprécier la sagesse du recul. Quand je porte un regard attentif à mon parcours de recherche, il me semble qu’une question a constamment motivé mes travaux : comment puis-je contribuer à mettre le citoyen au centre du système de santé et de services sociaux 1 ? Jusqu’ici, j’ai trouvé deux façons intrinsèquement liées d’apporter des éléments de réponse à cette préoccupation. D’abord, à travers mon approche en recherche et ensuite en choisissant avec soin mes stratégies de diffusion des résultats. 1. Pour ne pas alourdir le texte, le terme « système de santé » sera désormais utilisé.
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Sans doute ai-je été aidé en cela par le fait que j’ai accordé dans mes études une place importante à la perception subjective des « acteurs » impliqués directement dans mes projets (Berger et Luckmann, 1986 ; Javeau, 1991, 2003 ; Maffesoli, 1998 ; Schutz, 1987). Tenir compte de la perception subjective des acteurs, c’est donner la parole à cet « homme oublié » des sciences humaines (Schutz, 1987). Je considère que donner la parole aux « sujets » qui sont les premiers concernés par l’investigation des chercheurs constitue un bon moyen de mettre le citoyen au centre du système de santé. Écoutons par exemple ce témoignage d’un citoyen anonyme adressé au Bureau québécois de l’année internationale des aînés : « […] qui écoute les malades ? Les familles ? Le vrai monde mal pris ? Presque personne, à part les murs des corridors et quelques bénévoles » (Bureau québécois de l’année internationale des aînés, 2000 : 20). N’est-ce pas là un témoignage pathétique et bouleversant de vérité ? Toujours est-il que cette parole que m’ont offert généreusement les participants à mes recherches a pris, au fil du temps, l’envergure et le statut d’un don. Devant la responsabilité sociale de ma production scientifique, ce don de parole qui m’a été confié m’a incité à considérer l’écoute comme un préalable essentiel. J’en ai donc fait un engagement et je fais en sorte que cet engagement d’écoute soit palpable dans mes travaux. Je considère de plus en plus la diffusion de ce don de parole comme une obligation éthique. Il ne suffit pas de savoir ; il faut transmettre. En un mot, le transfert des connaissances est fondamental à mes yeux. À lui seul, ce dernier point justifie parfaitement la pertinence sociale et scientifique de cette activité pour « la prise de décisions » dans la planification et l’organisation de programmes et de services. Depuis quelques années, j’observe d’ailleurs avec satisfaction que le transfert des connaissances gagne en intérêt dans les milieux de la recherche et de la pratique et qu’elle gagne du terrain pour influencer les politiques sociales et de santé.
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Pourtant, malgré une tendance à reconnaître l’importance du transfert des connaissances, certains propos nous rappellent qu’il reste du chemin à faire pour que les résultats de la recherche servent mieux la pratique. En effet, aux dires de Baruti et Antil (2005 : 1) : […] peu de connaissances générées par la recherche sont directement utilisables par les décideurs, les gestionnaires et les praticiens responsables de services. Les connaissances scientifiques sont habituellement formées de généralisations difficilement applicables aux situations concrètes. De plus, il existe un fossé « culturel » qui sépare le milieu de la recherche de celui de la pratique, deux mondes qui parlent des langages différents et qui obéissent à des impératifs différents.
La citation de Thomas De Koninck en épigraphe va tout à fait dans le même sens que celle de ces auteurs. Si un « fossé culturel » existe bel et bien entre le monde de la recherche et celui de la pratique, que dire alors du fossé culturel qui sépare ces « deux mondes » du « monde ordinaire » ? Pour un chercheur comme moi, qui tente de côtoyer son «public cible», inutile de dire que le défi est loin d’être par avance surmonté. Toutefois, quoique le défi de rejoindre le citoyen soit une très grande ambition, il n’en demeure pas moins qu’une idée peut parfois nous permettre d’ouvrir une brèche. C’est ainsi qu’un jour, il m’est venu à l’esprit de mettre un visage à la réalité des personnes-soutien 2 qui vivent une expérience de soins. Ce visage a désormais un nom : Autonome S’démène. Autonome S’démène pour prendre soin d’un proche à domicile! Il s’agit d’un personnage fictif (une femme qui prend soin de son conjoint… curieusement!). Sa réalité est inspirée de mes rencontres avec les familles qui vivent une expérience de soins à domicile et elle est devenue de plus en plus concrète au fil de mes travaux 3. En effet, bien que personnage fictif Autonome S’démène, tout 2. Tout au long du livre, j’utilise indifféremment le terme personne-soutien, proche aidant et aidante. 3. Sur l’histoire de la création de ce personnage, voir Paquet (2003 : 23-27).
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comme ses semblables, colle à une réalité très répandue par les temps qui courent. Depuis plusieurs années, ce personnage m’accompagne fidèlement dans mes engagements publics. Contrairement au marionnettiste, ce n’est pas moi qui parle à travers elle, mais elle qui parle à travers moi. Au début, son utilisation se limitait à me mettre dans la « peau » d’Autonome S’démène, en lui donnant la parole, lors de conférences à des publics, la plupart du temps, hétérogènes. À mon agréable surprise, l’accueil des auditoires vis-à-vis Autonome S’démène fut très chaleureux pour ne pas dire emphatique. Il semble que le message véhiculé par Autonome S’démène est porteur d’un vécu qui trouve une résonnance, tant auprès des personnes qui vivent directement et indirectement une expérience de soins que chez les professionnels et les intervenants qui les accompagnent. Forte de cet accueil, Autonome S’démène est devenue par la force des choses une incontournable porte-parole du citoyen et mon principal outil de transfert des connaissances. En 2003, les Presses de l’Université Laval ont fait paraître Vivre une expérience de soins à domicile. Avec cette publication, rédigée avec l’étroite complicité d’Autonome S’démène, l’utilisation de ce personnage a pris la forme de l’écrit. Dans le présent ouvrage, je m’associe de nouveau à mon serviable personnage. L’exercice m’apparaît d’autant plus légitime que l’effort pour vraiment donner une place au citoyen s’allie à la conviction de Thomas De Koninck qu’il n’y a de « langue interdisciplinaire » que dans le « langage ordinaire ». Dès lors, l’intention demeure ici la même que celle qui animait le précédent livre, c’est-à-dire rendre accessible au plus grand nombre, un ouvrage qui aborde la réalité d’une expérience de soins. On comprendra donc que ce livre est destiné aux nombreuses personnes qui sont touchées, de près ou de loin, par l’expérience troublante de la maladie. Je parle de tous ces gens qui doivent ou devront faire face, peut-être du jour au lendemain, à une expérience de soins. Une expérience de soins qui s’alourdira avec le temps et qui mène plus souvent qu’autrement à l’isolement. Il s’adresse également à tous ceux qui entourent les aidants et les aidés – et à
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tous ceux qui voudraient fuir devant le défi de la maladie – et, tous ceux qui seront appelés à prodiguer de l’aide au quotidien. Si ce nouveau dialogue avec Autonome S’démène permet d’ajouter à la compréhension de cette vaste réalité et contribue à la faire connaître et reconnaître, j’aurai la satisfaction de croire que l’espoir d’un réel soutien pour des milliers de familles est peut-être pour demain… ou après-demain.
Qui est Autonome S’démène ? Extrait de : Vivre une expérience de soins à domicile Au-delà d’une prise de position politique au regard de la place que doit avoir le citoyen dans le système de santé, qui est Autonome S’démène? Pour les besoins du présent ouvrage, Autonome S’démène est une femme qui prend soin de son conjoint. Autonome S’démène, c’est aussi et surtout la représentation symbolique de la réalité duelle sous-jacente à une expérience de soins. D’abord, Autonome S’démène, comme son prénom l’indique, est l’incarnation d’une personne qui veut être autonome. C’est un «sujet» qui, dans la vie en général et dans la gestion des soins qu’il prodigue en particulier, s’organise du mieux qu’il peut pour garder le contrôle de sa situation. Il agit comme un « acteur » engagé en affirmant sa volonté d’indépendance. Ainsi, il utilise sa marge de liberté pour négocier ses choix afin de faire face aux affaires courantes de la vie. Autonome S’démène est donc un sujet en action, un acteur agissant qui participe activement à la construction de sa réalité. Par contre, comme une médaille n’est jamais assez mince pour n’avoir qu’un seul côté, l’autonomie d’Autonome S’démène est toujours relative en raison des contingences des contextes familial, social et politique qui trament la réalité des soins d’un proche. Pour ce faire, malgré l’importance qu’elle accorde à cette valeur d’autonomie, Autonome doit véritablement se démener quotidiennement pour « prendre soin » d’un proche, et ce, souvent au péril de sa propre santé. On comprend alors que l’envers de cette volonté d’autonomie représente une dimension importante désormais bien documentée de l’exigeante réalité quotidienne et des nombreux écueils auxquels doit faire face Autonome S’démène. Sur cette réalité-là, Autonome S’démène aura bien beau se démener, il n’a que peu ou pas de prise.
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Pour tout dire, bien que certaines personnes s’en sortent mieux que d’autres, et trouvent même des gratifications au fait de prendre soin, peu d’entres elles ont inconditionnellement fait le choix de relever le défi des soins donnés à un proche. Or, en raison, entre autres, du vieillissement accéléré de la population et de la restructuration du système de santé, l’État compte plus que jamais sur cette armée d’Autonome S’démène, pour prendre soin d’un proche à domicile. Dans ce contexte où l’appel aux solidarités familiales est plus qu’insistant, il n’y a qu’un pas à franchir pour que la valorisation de l’autonomie s’avère potentiellement une stratégie « d’utilité publique » pour un État qui gère à « tout prix » la décroissance de sa Providence. Il n’est donc pas inopportun d’insister ici pour dire que si l’État a ses limites, en contrepartie, il serait socialement dangereux et politiquement irresponsable de ne pas reconnaître les limites de tous les Autonome S’démène qui, par amour, courage et détermination, prennent soin d’un être cher dans le besoin. Source : Paquet (2003 : 28-29).
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Du cri du cœur au cri d’alarme d’Autonome S’démène
La vie a besoin de témoins ! - Christiane Singer
Entretien de Mario Paquet avec Autonome S’démène Mario Paquet - Madame Autonome S’démène, avant d’entrer au cœur de nos entretiens, j’aimerais vous remercier d’avoir accepté de participer à la rédaction de ce nouvel ouvrage. Ma reconnaissance à votre égard est d’autant plus grande que j’ai senti votre enthousiasme à reprendre le flambeau de la parole, et ce, dans un contexte encore si peu favorable à l’organisation de votre précieux temps. Autonome S’démène - En lisant le prologue, j’ai réalisé combien ma participation à ce livre pouvait être importante, tout comme dans le précédent. Je vous l’ai déjà dit et je tiens à vous le répéter. En tant que citoyenne responsable, je suis fière et honorée de prendre la parole, car, comme l’exprime si profondément l’écrivaine Amélie Nothomb : « Pouvons-nous seulement douter de l’importance de la parole ? Elle prouve aux individus qu’ils existent ! Si quelqu’un vous adresse la parole n’est-ce pas pour ainsi dire la preuve que vous êtes ? » (Nothomb, 2000, dans : Forest, 2004 : 19). Prendre la parole dans les entretiens que nous aurons me donne bien sûr l’occasion de parler de mon expérience. Mais il y a plus. Le fait de prendre la parole, c’est aussi briser l’isolement qui règne plus souvent qu’autrement en maître dans ma vie et celle de mon conjoint. Prendre la parole, c’est effectivement la preuve que j’existe, la preuve que vous me reconnaissez comme une personne. Sincèrement, j’avoue que ce n’est pas peu, car nous vivons dans un monde où la maladie marginalise et ne fait donc pas encore partie de la totalité de l’expérience humaine.
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M.P. - Que diriez-vous d’entreprendre nos discussions selon l’esprit qui a animé nos échanges dans Vivre une expérience de soins à domicile, c’est-à-dire en fusionnant nos savoirs respectifs ? A.S. - Je suis parfaitement d’accord pour reprendre cette formule. En procédant ainsi, je crois que non seulement mon expérience peut être utile, mais aussi que nous pouvons mutuellement nous enrichir du cumul de nos connaissances. Plus encore, ceci est ma seule lueur d’espoir d’être entendue, diffusée par vos bons soins et peut-être un jour soutenue. M.P. - Dans Vivre une expérience de soins à domicile, nous avons fait l’analyse de la mise en place des soins familiaux afin de mieux comprendre la logique familiale que sous-tendent les soins d’un proche âgé ayant des incapacités. Toutefois, au moment de mettre un terme à ce livre, vous avez dû faire face à une situation particulièrement difficile, lorsque votre conjoint a connu un épisode de santé chancelante. Jusqu’à ce jour, nous avions fait plusieurs rencontres chez vous. Pour vous, c’était important d’être autour de votre propre « Table de soutien à domicile ». Cependant, à la suite d’un vaet-vient entre l’urgence de l’hôpital et la maison, votre conjoint a finalement dû être hospitalisé. Il est alors devenu impossible de me recevoir chez vous, puisque vous n’aviez plus de marge de manœuvre à votre agenda. Durant plusieurs semaines, vous avez dû vous rendre, sans faute, tous les jours, auprès de votre mari, pour lui assurer une présence et l’assistance nécessaire à sa condition de santé physique et psychologique. Entre-temps, malgré la récurrence de la tourmente, quand je me suis rendu chez vous, vous avez eu la grandeur d’esprit de me faire suivre par personne interposée, quelques questions dont la pertinence du traitement vous apparaissait incontournable pour conclure l’ouvrage. Je vous cite : « Si je te demandais Mario de te mettre à la place de tous les Autonome S’démène qui prennent soin d’un proche, que dirais-tu de leur réalité ? Que dirais-tu de leur défi ? Que dirais-tu de ce qu’ils vivent ? Que serais-tu capable de suggérer pour que leur situation s’améliore demain ? » Évidemment, ces questions découlaient des événements qui vous bousculaient si
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intensément. La réalité vous rattrapait alors, comme elle n’épargne personne qui vit une expérience de soins. Témoin de votre grand désarroi, par le fait que vous ne pouviez plus attendre un hypothétique soutien qui, de toute évidence, vous faisait tant défaut, je me suis posé cette question : « Combien faudra-t-il encore d’Autonome S’démène désemparés et à bout de ressources avant que nous mettions en place des mesures rapides et efficaces?» Bref, dans la conclusion du livre, je crois avoir résumé le défi que représente le fait de vivre une expérience de soins. De plus, dans une perspective d’analyse sociopolitique, j’ai donné ma vision pour que votre situation s’améliore et, pour ce faire, j’ai exploré des avenues concrètes de solutions pour vous venir en aide. Après la parution de notre premier ouvrage, nous avons convenu de garder contact, question de maintenir le lien signifiant que nous avions élaboré. Récemment, vous m’avez même fait parvenir une lettre qui m’a profondément touché, humainement et professionnellement. Je vous remercie de la confiance que vous m’accordez. Pour mettre en contexte les entretiens qui vont suivre tout au long de ce livre, si vous me le permettez, j’aimerais partager avec le lecteur le contenu de votre lettre. Sans plus tarder, je vous cède la parole… Mario, tu me demandes souvent, comment ça va ? Je ne sais jamais trop quoi te répondre. Ma situation est à ce point désespérante qu’il est impossible d’y répondre par une banale formule de politesse. Hier, j’ai visionné pour la sixième fois, si ce n’est pas plus, le touchant film Édith et Michel1 qui décrit admirablement la réalité d’un couple dont le conjoint est atteint de la maladie d’Alzheimer. Dans ce pénétrant et bouleversant récit, Édith utilise la métaphore du PDG (présidentdirecteur général) d’une PME (petite et moyenne entreprise) pour qualifier la nature et l’ampleur qu’a prise la « gestion » des soins à domicile de son mari. Depuis le retour définitif de mon conjoint de l’hôpital, comme Édith, je suis devenue la PDG d’une PME.
1. Édith et Michel, un film de Jocelyn Clarke, produit par les productions Érézi en coproduction avec l’Office national du film du Canada.
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Pour dire vrai, ma situation demeure fragile et délicate. Ma vie est un livre «d’intranquillité» où se côtoient la « pesanteur» et la « grâce» de l’existence. J’ai l’impression de naviguer sur la houle d’une mer d’émotions. Je navigue entre les vagues de la nécessité qui font loi et mon désir d’amender cette loi, entre l’espoir et la cruauté de la réalité, entre la fierté et le courage d’une autonomie bafouée, entre ma volonté de continuer et mon désir de tout abandonner. Je n’ose même pas imaginer ce que serait ma vie si l’amour et l’harmonie n’existaient pas dans ma relation de couple, si j’avais le mal de vivre ou si je n’avais pas une attitude positive quant à ce qui nous arrive. Je comprends les personnes qui se sentent victimes de leur situation et je me demande si c’est possible pour elles de survivre à une telle réalité. Quoi qu’il en soit, certains récits que j’ai parcourus ces dernières années m’ont toutefois apporté la maigre consolation que je ne suis pas seule à vivre les paradoxes de cet état psycho-émotionnel pour le moins inconfortable. Je te les cite au passage (Aubert, 1999 ; Bobin, 1999 ; Ernaux, 1997 ; Lacroix, 2002 ; Roth, 2004 ; Villeneuve, 2005). Ces récits m’ont d’ailleurs donné le courage nécessaire pour contenir, du moins temporairement, la puissance de mon impuissance. Je n’ai certes pas le temps et l’énergie d’écrire, comme eux, des livres, mais, l’autre jour, j’ai mis sur une page ce qui me semblait important d’affirmer, voire de réaffirmer au grand jour. Avec ce texte Mario, j’ai démêlé mes propres sentiments et ainsi, je crois que la prochaine fois, je serai moins prise au dépourvu, quand tu me redemanderas : « comment ça va ? » Mario, tu m’as déjà dit qu’au cours des années, tant ici au Québec qu’ailleurs, l’intérêt à mon égard n’a cessé d’augmenter. À t’entendre, d’une personne jadis inconnue, je sors désormais de l’ombre pour enfin apparaître à la conscience du monde. Mon quotidien émerge alors comme la révélation d’une exigeante et incontournable réalité, pour accompagner ce que les professionnels de la santé nomment une personne aux prises avec des « incapacités ». Tu m’as dit aussi que cet intérêt ne date pas d’hier et n’a donc rien de soudain. Il semble que les experts explorent sans cesse ma réalité. On s’intéresse à ce que je dis, à ce que je vis, à ce que je fais, à pourquoi
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je le fais et à comment je le fais. On s’inquiète de mon présent et surtout du futur, de mon engagement. On insiste pour dire que, même si ce que je fais, je le fais par amour, par solidarité et par volonté de réciprocité, cela ne suffira pas pour pérenniser ma volonté de continuer à prendre soin de mon conjoint. Le diagnostic est d’avance posé ; tôt ou tard, je vais probablement y laisser ma santé. Ce n’est pas loin d’être déjà ma réalité. L’œuvre invisible de mon quotidien pourrait tout aussi bien être aujourd’hui ou demain la vôtre Mario, elle est déjà celle de milliers, de millions d’autres… Je sais qu’on dit beaucoup de choses à mon sujet. On dit souvent que je suis une « aidante naturelle ». Moi, et je te répète, je dis, qu’en raison de ce que je fais et dans le contexte dans lequel je le fais, je suis plutôt une aidante « surnaturelle ». Eh oui ! une aidante « surnaturelle » qui au fil du temps réalise le miracle du plus grand défi de sa vie. On dit que je suis « fière », « indépendante » et que j’ai l’envergure d’une « force tranquille », qui mène ni plus ni moins qu’une autre carrière, une carrière de soins. Moi je dis que je fais ce que j’ai à faire pour le bien-être de mon être cher. Pour y arriver, je me dois d’être à la hauteur de mes lourdes responsabilités. Je me dois d’être une experte du « perpétuel recommencement » tout en m’adaptant constamment au changement. À vrai dire, je dois gérer la routine et l’imprévu. Mais, je m’organise du mieux que je peux, pour tirer mon épingle du jeu… Par la force des choses, je fais tout ou presque ; je suis une femme orchestre. Je n’ai pas le choix, on compte tellement sur moi… On dit que pour l’État, je suis de ces personnes indispensables. Estce pour cette raison qu’on dit que je suis un « trésor national », une « richesse naturelle » à l’énergie épuisable à préserver à tout prix ? Je suis une « partenaire » dont le système de santé ne peut se passer. Moi je dis que je ne me perçois pas comme une partenaire, une prestataire de services, encore moins capable et volontaire pour tout faire. Je ne suis une spécialiste en rien, mais qui se doit d’être bonne en tout, en tout temps et qui s’inquiète de l’épuisement qui la guette. Certes, humainement parlant, mon expérience fait sens, c’est ma réalité qui n’a tout simplement plus de bon sens. En terminant Mario, si je suis
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véritablement pour l’État une partenaire, si je suis de ces individus dont le vécu doit être connu et reconnu, pourquoi suis-je en déficit de soutien et de liens ? En vérité, j’ai besoin d’aide, et comme tout être humain, j’ai d’abord besoin d’être… M.P. - Au sortir de la lecture de votre lettre, une réaction m’est venue spontanément à l’esprit. À vous entendre, je sais que vous ne percevez pas votre expérience de soins comme un « fardeau » insoutenable. Mais, une fois de plus, je constate que si prendre soin d’un proche apporte des gratifications, cependant, à la longue, le « fardeau des soins » s’avère une menace réelle pour votre santé et votre bien-être. Tout compte fait, j’ai réalisé à quel point, vous étiez toujours et plus que jamais une aidante « surnaturelle » dans un corps et avec un esprit naturellement vulnérables. A.S. - Je ne vous cacherai pas que lorsque j’ai écrit cette lettre, j’ai ajouté à mon cri du cœur de 2003, ce cri d’alarme. C’était un geste pour calmer ma détresse et pour raviver l’espoir qui me dit, de moins en moins souvent, que demain sera un jour meilleur. Quoiqu’il en soit Mario, je me pose tout de même une question : croyezvous que mon appel au secours trouve objectivement une légitimité sociale qui dépasse ma propre expérience? Ne suis-je pas en train de vouloir trop me plaindre parce que j’ai enfin une oreille pour m’entendre et une voix pour transmettre mon appel ? M.P. - À mon avis, votre expérience n’a rien d’une situation isolée. Elle apparaît plutôt représentative d’un problème social que bien des pays appréhendent et tentent de solutionner tant bien que mal pour faire face à nos sociétés vieillissantes et à l’escalade du coût des soins de santé. A.S. - J’ai donc des raisons de penser que si, cinq ans après mon premier cri du cœur, ma situation est encore aussi précaire, sinon encore plus qu’elle ne l’était, il y a bien des Autonome S’démène qui vivent la même réalité que moi. M.P. - Malheureusement, je crois que c’est sans doute le cas. Cela étant dit, je pense qu’à ce moment-ci, il serait utile de faire le point sur la problématique du maintien à domicile. L’exercice permettra
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de comprendre pourquoi vous êtes plus que jamais une aidante «surnaturelle» sur qui repose un fardeau pour lequel il existe peu de relais d’étape. Ce passage obligé sur les « vertus » et les « maux » du maintien à domicile « le plus longtemps possible» établira une fois de plus, la nécessité de bien vous soutenir dans le parcours de votre expérience de soins. Au fait, vous, madame Autonome S’démène, seriez-vous capable de me préciser quelle serait aujourd’hui la meilleure façon de vous accompagner ? A.S. - La notion d’accompagnement, je me la représente comme un « monde ». Un monde à l’image d’un essaim bien structuré, comme l’est une ruche d’abeilles, qui agirait autour de moi comme une force sur mes limites. Un monde respectueux de mes choix, un monde d’égalité de pouvoir dans les décisions qui me concernent, un monde d’équité dans le partage des responsabilités des soins auprès de mon conjoint. Pour tout dire, ce monde est un monde structuré de savoir-faire et de savoir être. N’est-ce pas cela être un partenaire ? M.P. - Ma question n’était pas fortuite parce qu’elle fera l’objet de notre attention un peu plus tard dans le texte. Mais ce n’est pas tout, nous allons aussi discourir ensuite sur une question qui vous est chère, à savoir que prendre soin c’est d’abord tisser des liens entre des humains. Chose étonnante, on découvrira que malgré le fait que plusieurs chercheurs et acteurs en soutien à domicile mentionnent l’importance de la dimension relationnelle dans les soins, il n’en demeure pas moins que les liens de proximité qui sont dictés par un « principe d’intérêt humain » sont la face cachée des bons coups des services à domicile. De là, l’importance de mieux connaître ces liens et de les faire reconnaître. Finalement, il me semble, madame Autonome S’démène, qu’avant de terminer, nous devrions présenter le récit de Pierre et Marielle, ces héros involontaires qui vivent une expérience de soins depuis plusieurs années. Je sais que vous avez lu et relu ce récit et que vous êtes sortie de cette lecture bouleversée par l’histoire prenante de ce couple. Votre réaction s’explique très bien par le fait que ce récit soulève l’évidence de la réalité des aléas de la vie de tous les jours
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pour les personnes qui vivent une expérience de soins. En effet, quand la maladie s’installe, la vie, elle, continue… quand même ! C’est bien la force de ce récit de nous rappeler que l’existence est multidimensionnelle et que le parcours de vie de chacun est traversé par de multiples expériences. En plongeant dans ce récit, le lecteur sera à même de constater que la réalité d’une expérience de soins est complexe parce qu’elle n’est pas séparée, mais reliée à l’ensemble des expériences du parcours de vie. A.S. - Merci de nous comprendre assez bien pour intégrer cet aspect indissociable de ma vie et de celle de mes frères et sœurs les aidants. C’est en effet un pan entier de la vie qui est complètement occulté de la pensée et de l’application des pratiques de soins. Nous ne sommes pas des objets ni des personnes «compartimentées». Sur ce, il me tarde de plonger au cœur de nos entretiens.
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Chapitre deuxième
Autonome S’démène est plus que jamais une aidante «surnaturelle»
Les hommes qui luttent un jour sont bons, ceux qui luttent une année sont meilleurs, ceux qui luttent plusieurs années sont encore meilleurs, mais ceux qui luttent toute une vie, ils sont indispensables. - Bertholt Brecht
Mario Paquet - Madame Autonome S’démène, malgré votre indispensable engagement dans les soins, malgré votre cri du cœur de 2003 qui aujourd’hui s’avère un cri d’alarme, malgré une plus grande visibilité sociale de votre rôle de personne-soutien, une question demeure toujours d’actualité et je suis certain que cette question, vous vous la posez mille fois par jour : pourquoi êtes-vous encore et toujours en déficit de soutien et donc plus que jamais une aidante « surnaturelle » ? D’entrée de jeu, pour répondre à cette question, je vous invite à prendre part à une mise en contexte sociale et politique des enjeux sociaux et de santé reliés à la problématique du maintien à domicile. Sans plus tarder, allons à la découverte des « vertus » et des « maux » du maintien à domicile.
Les « vertus » et les « maux » du maintien à domicile « à tout prix » M.P. - Nous avons déjà abordé ensemble le fait qu’une vaste littérature indique que la gestion sociale des incapacités pose un grand défi aux sociétés comme la nôtre qui doivent faire face, entre autres choses, à un vieillissement accéléré de leur population (Carrière, Keefe et Livadiotakis, 2002 ; CCNTA, 1999 ; Lacroix, 2001 ; Lafontaine et Camirand, 2002 ; Lesemann et Martin, 1993 ; MSSS, 2003 ; Paquet, 2003 ; Villedieu, 2002). Sur le plan politique, le défi collectif de la «prise en charge» des incapacités et son corollaire, le maintien à domicile « le plus longtemps possible», s’incarnent dans
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la volonté ferme de l’État d’actualiser, voire d’accélérer, le « virage milieu ». Il s’agit d’un processus étatique de décentralisation locale de la prestation des services vers la communauté et la famille en partenariat avec eux (MSSS, 2005). Comme le dit Lesemann (2001), pour faire face aux problèmes sociaux et sanitaires de la population, nous sommes passés d’un État-providence à un État partenaire pour aboutir finalement à une « société-providence » pour ne pas dire « famille-providence » (Lesemann et Chaume, 1989) ou plutôt « femmille-providence ». Issu du courant néo-libéral qui prédomine dans les pays occidentaux depuis les années quatrevingt, le partenariat s’avère l’idéologie qui prédomine dans les politiques sociales (Guberman, Maheu et Maillé, 1991 ; Saillant, 2001 ; Saillant, Hagan et Boucher-Dancause, 1994) et son plus récent credo au Québec est d’en faire un « défi de solidarité » (MSSS, 2005). Autonome S’démène - Vivre dans son domicile le plus longtemps possible, n’est-ce pas ce que désirent profondément les gens ? M.P. - Oui Madame. Quiconque s’intéresse au thème du maintien à domicile arrive invariablement au constat, maintenant bien établi par la recherche, que les gens désirent effectivement demeurer le plus longtemps possible dans leur milieu de vie « habituel ». Dans la foulée des retombées du mouvement de désinstitutionnalisation, il y a en effet un consensus social entourant l’importance de maintenir dans la communauté les personnes aux prises avec des incapacités physiques ou psychologiques, et ce, peu importe leur âge (Bungener, 1993 ; Guberman, Maheu et Maillé, 1991 ; Lacroix, 2001 ; MSSS, 2001, 2003 ; Paquet, 1999 ; Théolis, 2000 ; Villedieu, 2002). Ainsi, comme le rappelle haut et fort la politique de soutien à domicile du gouvernement du Québec (MSSS, 2003), vivre dans son milieu de vie habituel s’avère le « premier choix » des personnes. Plusieurs raisons militent en faveur du fait que non seulement les gens le désirent, mais qu’en plus il est préférable de vivre dans son domicile. À ce titre, concernant ce que Vaillancourt et Jetté (2003) nomment les « vertus » du maintien à domicile, le discours scientifique se veut pour le moins convaincant. À preuve, ce passage de Théolis (2000 : 5) :
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[…] demeurer dans son milieu de vie naturel répond aux souhaits de la plupart des personnes concernées. La qualité de vie, le fait de rester en lien avec son entourage, la possibilité de simplement poursuivre ses activités et de participer à la vie de sa communauté sont autant d’éléments qui justifient leur point de vue.
Dans la même veine, le Conseil consultatif national sur le troisième âge (CCNTA, 2000 : 5) mentionne que : Les soins à domicile préviennent et retardent le placement en établissement et favorisent l’intégration sociale des aînés. Ils permettent de répondre de manière souple et globale à l’évolution des besoins de santé des Canadiens et Canadiennes âgés et d’appuyer leurs aidants naturels (familles et proches).
Vivre dans son milieu de vie habituel génère donc des bénéfices sociaux et sanitaires et cela constitue « un facteur déterminant du bien-être des personnes âgées » (Fréchet et Bonneau, 1999 : iii). Ainsi, force est de constater qu’en raison du contexte sociodémographique et économique le maintien à domicile est un élément incontournable parmi les solutions à la gestion sociale des incapacités. Toutefois, selon Carrière, Keefe et Livadiotakis (2002 : 50) : « Le défi du maintien à domicile, qu’il soit lié aux personnes âgées en perte d’autonomie ou à des séjours à l’hôpital de plus en plus écourtés, est sans doute l’un des plus importants que devra relever le système de santé. » Or, le défi du maintien à domicile passe par une accessibilité réelle à des services de qualité, et ce, en quantité suffisante (Anctil, 2004). L’avenir du système de santé en dépend, car il devra répondre à des besoins de plus en plus nombreux et diversifiés en raison, entre autres choses, du vieillissement de la population (Association des CLSC et des CHSLD du Québec1, 2003 ; Lacroix, 2001 ; MSSS,
1. L’Association des CLSC et des CHSLD du Québec est devenue au printemps 2005 l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS).
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2001). L’importance de l’accessibilité aux services à domicile fait consensus dans la littérature et auprès des acteurs en santé (décideurs, gestionnaires, intervenants) (AFEAS, 2000 ; Anctil et autres, 2000 ; Anctil, 2004 ; Association des CLSC et des CHSLD du Québec, 2003; Clair, 2000; Ducharme et autres, 2003; Lacroix, 2001; Moisan, 1999, 2000; Romanow, 2002; Villedieu, 2002). Comme le dit le Protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux (2003 : 1) : […] les intervenants s’accordent sur le fait que les services à domicile sont devenus l’une des assises de notre système de santé et de services sociaux. Ils estiment que le bon fonctionnement des services à domicile s’impose non seulement pour répondre aux attentes des usagers qui veulent demeurer chez eux, mais également pour atteindre les objectifs d’un ensemble de politiques et de programmes qui s’appuient sur ces services.
Étant donné le désir réel des gens de demeurer le plus longtemps possible dans leur milieu de vie, il faut mentionner que pour un nombre de plus en plus de Canadiens et de Québécois, ces services sont considérés comme essentiels et doivent ainsi constituer la « pierre angulaire » du système de santé (CCNTA, 1999, 2000 ; Chappell, 1999 ; Clair, 2000 ; Protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux, 2003 ; Romanow, 2002 ; Villedieu, 2002). En somme : « S’il y a unanimité au Québec sur les priorités en santé, tant chez les intervenants sur le terrain, les experts que parmi la population en général, c’est bien au chapitre de la nécessité d’investir massivement dans les services à domicile » (Coalition Solidarité Santé, 2004 : 14). Pour ce faire, un nombre impressionnant de travaux recommandent d’ajuster les budgets en soutien à domicile, et ce, entre autres choses, pour contrer le déséquilibre dans le partage de la responsabilité des soins entre l’État et la famille (Allaire, 2005). Malgré ce large consensus, le Québec souffre d’un sous-financement en soutien à domicile (Coalition Solidarité Santé, 2004 ; Lavoie et autres, 2006 ; Protecteur des usagers en matière de santé et de
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services sociaux, 2003) de telle sorte que Allaire (2005) confirme ce que plusieurs décriaient déjà, à savoir que durant les deux dernières décennies, rien n’a changé dans le partage inégal de la prestation des soins de santé auprès des aînés ; bien au contraire. Au Québec, depuis l’instauration du virage ambulatoire, votre fardeau, comme celui de tous les Autonome S’démène, semble s’être accru (Ducharme, 2006 ; Ducharme et autres, 2004 ; Ducharme, Lebel et Bergman, 2001). En effet, au cours de la dernière décennie, la contribution familiale dans les soins, qui était déjà très importante, serait passée de 80 % à 90 % (Ducharme, 2006). En fait, à vos nombreuses et envahissantes responsabilités, s’ajoute désormais l’exécution de tâches de soins techniquement complexes, qui pourraient être assumées par des professionnels de la santé (Ducharme, 2006 ; Guberman, 2004 ; Lavoie et autres, 2006). Autrement dit, pour reprendre les mots de Gagnon (2003 : 164) : « On avait déjà fait des aidants, des soignants, on en fait de plus en plus des infirmières. » Pour avoir un bon aperçu de la nature, de l’ampleur et de la complexité du travail que vous accomplissez, il n’est pas inutile de nous référer à la typologie de Guberman (2001) des tâches associées aux soins (Tableau 1). TABLEAU 1 Typologie de Guberman (2001) des tâches associées aux soins directs à la personne I. TÂCHES ASSOCIÉES AUX SOINS DIRECTS À LA PERSONNE Soins médicaux et infirmiers • Superviser la prise de médicaments ; • Contrôler / regarder de près les effets des médicaments et informer les professionnels ; • S’occuper des réajustements requis ; • Assurer certaines procédures médicales requises par le traitement : nourrir par tubes ; • Donner des injections intramusculaires et intraveineuses ; • Surveiller les patients après l’administration d’antibiotiques ; • Administrer la chimiothérapie, surveiller les signes vitaux, nettoyer les trachéotomies, utiliser des cathéters, irrigation ; • Assurer les soins pour les colostomies, etc.
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TABLEAU 1 (suite) Typologie de Guberman (2001) des tâches associées aux soins directs à la personne Soins physiques • Aider la personne à manger ou la nourrir ; • Aider la personne à se vêtir / se dévêtir ou vêtir / dévêtir la personne ; • Aider la personne pour les soins personnels : donner le bain, l’aider à aller à la toilette ; • Aider la personne à marcher, bouger, se lever et s’asseoir ; • S’assurer que les soins d’hygiène personnelle soient maintenus. Soutien moral et psychologique • Assurer une présence, un sentiment de sécurité, de l’affection ; • Tenir compagnie, visites, appels pour donner du soutien ; • Écouter, conseiller, encourager, motiver la personne ; • Contrôler, calmer, rassurer la personne lors de situations de crise ; • Enseigner, corriger, aider la personne, renforcer certains de ses comportements. Soutien dans l’organisation de la vie quotidienne • Préparer les repas ou aider à leur préparation ; • Faire les travaux ménagers ou aider à les faire ; • Faire les courses ou aider à les faire ; • Organiser des activités de loisir, des sorties ou aider à leur organisation ; • Aider à la recherche d’emploi / de logement, au déménagement, remiser les biens au cours d’une hospitalisation, etc. ; • Accompagner, conduire la personne à ses rendez-vous avec des professionnels ou autres ; • Offrir de l’assistance financière, compenser pour les revenus insuffisants ; • Administrer le budget ou aider à administrer. Surveillance • Assurer la supervision pour la sécurité de la personne : danger de mettre le feu, le dérangement qu’elle peut causer, les chutes, les possibilités de se blesser elle-même ou de blesser les autres. II. TÂCHES ASSOCIÉES À LA MOBILISATION ET À LA COORDINATION DES RESSOURCES ET DES SERVICES Recherche et mobilisation des ressources • Identifier et accéder aux ressources nécessaires : services de santé et sociaux, emploi, revenus, hébergement / logement, services légaux / financiers ; • Assurer les interventions nécessaires au sein du système judiciaire : police, Cour, prison, curateur, aide légale, etc.
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TABLEAU 1 (suite) Typologie de Guberman (2001) des tâches associées aux soins directs à la personne Médiation entre le proche dépendant et les ressources • Représenter la personne dépendante ; • Prendre les rendez-vous, s’assurer que la personne les respecte ; • Intervenir s’il y a des problèmes, insister au besoin pour recevoir les services ; • S’assurer que l’aide soit maintenue. Gestion du fonctionnement et de l’intégration des ressources dans le contexte de la famille • Déterminer les priorités en termes d’importance et d’urgence ; • Prendre les arrangements nécessaires afin d’obtenir et de maintenir de l’aide et des services de soutien. Coordination des différents services et acteurs impliqués • Coordonner le travail d’aide des différents intervenants impliqués, tant les membres de la famille que l’aide extérieure. III. TÂCHES ASSOCIÉES À L’ORGANISATION GÉNÉRALE DE LA PRISE EN CHARGE ET À LA CONCILIATION DES BESOINS DE CELLE-CI ET DES AUTRES SPHÈRES DE LA VIE Responsabilités de la planification et de la réalisation de l’ensemble des tâches requises par la prise en charge • Réduire, éliminer le temps pour soi ; • Adopter de nouvelles habitudes et attitudes. Mise en place des formes d’aménagement en vue de maintenir un équilibre entre les exigences de la prise en charge et celles des autres sphères de la vie • Mettre sur pied un système organisationnel gérant les multiples exigences d’aide et celles du travail salarié, de la vie familiale et des activités personnelles et sociales ; • Mobiliser les membres de la famille ou d’autres ressources pour partager la prise en charge, les travaux ménagers ou le soin des enfants ; • Réorganiser le temps utilisé à faire les travaux ménagers ; • Réduire, éliminer les aspects de la vie familiale qui ne sont pas obligatoires ; • Améliorer l’organisation des conditions de travail afin qu’elles coïncident avec les demandes associées à la prise en charge ; • Se retirer partiellement ou totalement du marché du travail pour une période de temps prolongée ; • Choisir un type de travail, un endroit et des conditions de travail qui peuvent accommoder les demandes liées à la prise en charge.
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A.S. - Si j’analyse la typologie de Mme Guberman et que je me fie à ma propre expérience, je conclus que les tâches de soins que décrit si bien cette chercheuse sont innombrables, complexes et demanderaient logiquement le temps complet d’au moins trois vaillantes personnes bien organisées. Voilà bien ici enfin la preuve que je suis bel et bien une aidante « surnaturelle » et non pas, comme plusieurs persistent encore à me nommer, une aidante naturelle. Une aidante « surnaturelle » qui effectue, jour après jour, une multitude de gestes tangibles et intangibles. Ainsi, cette typologie démontre vraiment de façon claire que mon expérience de soins exige, entre autres choses, la coexistence de compétences semblables à certaines compétences professionnelles (infirmière, psychologue, travailleur social, coordonnateur de soins…) que je n’avais pas, a priori. L’autre jour, j’ai apporté le travail de Mme Guberman à une réunion de mon groupe de soutien. Comme moi, toutes les personnes présentes étaient estomaquées de constater, noir sur blanc, que des chercheurs convenaient enfin de tout ce qu’elles accomplissaient, souvent même, sans véritablement pouvoir le réaliser ou le comptabiliser. Je cite un commentaire courant et généralisé qui a encore fait l’unanimité : « Quand j’ai commencé à prendre soin de mon mari, je ne savais vraiment pas dans quoi je m’embarquais ! » M.P. - Par ailleurs, je rappelle à votre mémoire que quelques mois seulement avant la parution de Vivre une expérience de soins à domicile, la dernière politique de soutien à domicile du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS, 2003) a vu le jour. Ce ne sera pas une surprise pour vous si je vous dis que cette politique vous reconnaît explicitement, comme une partenaire du système de santé. Par contre, fait nouveau, elle vous reconnaît aussi comme une « cliente des services ». A.S. - Voilà qui me semble une très bonne nouvelle! Mais en pratique qu’est-ce cela va me donner ? M.P. - C’est une bonne nouvelle, certes! Cependant, bien sûr, il ne faut pas crier victoire trop rapidement, car, vous avez raison, il est évident que même cette reconnaissance officielle dans la politique n’a pas véritablement contribué à changer les choses pour vous. Au
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Québec, comme dans l’ensemble des provinces du Canada : « Il n’existe aucun système, aucune stratégie globale visant à offrir un soutien aux soignants » (Fast, 2005 : 5). Un ex-haut fonctionnaire du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec qui a dirigé les travaux ayant servi à la rédaction de la politique de soutien à domicile de 2003, le confirme à son tour. Dans le Devoir du 19 janvier 2004, Hervé Anctil déclarait : Au-delà de la simple négociation fédérale-provinciale, le véritable défi c’est, faut-il le rappeler, de bien organiser les services, de répondre efficacement aux besoins des Québécois. Or, si on laisse les choses se développer comme à l’habitude, le champ de l’aide aux proches ressemblera un jour, qui n’est peut-être pas très loin, à une courtepointe bigarrée : chaque organisme – provincial et fédéral – adoptera ses propres mesures, sans qu’elles aient des liens véritables entre elles. Après quelques années, on relèvera des « trous » de grands oubliés, des iniquités, et on plaidera pour une stratégie globale. On connaît la chanson. Pour éviter la dérive bureaucratique, il faut renverser la lorgnette actuelle, se donner un plan de développement qui prend assise sur le point de vue citoyen, ses besoins. C’est une question d’efficacité. C’est aussi, encore et toujours une question d’humanité. La compassion ne commence-t-elle pas au moment où l’on se met dans la peau de l’autre.
Par rapport au discours entourant la reconnaissance de votre engagement dans les soins, Réguer et Charpentier (soumis) résument la pensée de plusieurs analystes. Malgré un discours qui s’affiche comme étant favorable au respect du choix des individus, les politiques publiques québécoises sont clairement dirigées et orientées vers un maintien à domicile a priori, à tout prix et trop souvent sans le soutien requis. […] Finalement, c’est davantage sur les familles, les proches, la débrouille individuelle des aînés et de plus en plus le secteur marchand, que
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repose l’application d’un objectif de politique publique de maintien à domicile dit « de solidarité ».
Or, comme le notent Carrière, Keefe et Livadiotakis (2002 : 50) : « Une politique de maintien à domicile ne pourra longtemps survivre sur le dos du réseau informel sans avoir des conséquences importantes sur les femmes qui composent l’essentiel de ce réseau appelé à devenir de plus en plus restreint. » A.S. - Depuis un certain temps, de jour en jour, je vois bien que je fais encore et toujours plus avec moins ; je m’essouffle de plus en plus, je suis à bout. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que plusieurs personnes de mon entourage me disent que pour continuer à prendre soin de mon conjoint, il faut impérativement que je prenne soin de moi. Mais, comment puis-je prendre soin de soi quand l’État, qui se dit mon partenaire, ne prend même pas le moindre soin de moi ? Je pense que collectivement, il est urgent de se poser la question suivante : que vaut une politique de soutien à domicile si, moi, la principale engagée dans les soins, je n’ai pas une minute à moi, je ne dors pas ; bref, que je m’épuise et que, conséquemment, le maintien à domicile se fait au détriment de ma santé et de mon bien-être ainsi que de celui de ma famille ? M.P. - Votre question soulève d’emblée le fait que le fardeau des soins familiaux constitue un enjeu important de santé publique. C’est justement pour cette raison que le réseau de la santé vous considère comme une « population à risque » (Ducharme, 2006 ; Guberman, 2004 ; Paquet et autres, 2005). Paradoxalement, malgré le fait que la littérature professionnelle et scientifique, de même que la politique de soutien à domicile du Québec, insistent sur l’importance de prévenir votre épuisement physique et psychologique, la réponse à vos besoins de soutien n’a pour ainsi dire jamais dépassé le stade du vœu pieux. Comment peut-il en être autrement, quand l’accessibilité aux services est fondée sur un critère d’urgence ? On le sait, c’est la roue qui grince le plus fort qui est huilée… Pour tout dire, c’est le modèle curatif qui domine la gestion des soins de santé (Allaire, 2005). Les services s’adressent surtout en tout premier lieu aux personnes ayant des incapacités (Ducharme,
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2006 ; Fast, 2005). On prétend faire un virage milieu, mais ou est le virage prévention ? Quoi qu’il en soit, la conséquence du sousfinancement en soutien à domicile fait que le réseau de la santé n’est pas en mesure de mettre en place les services nécessaires à votre soutien. À vrai dire, vous avez raison, je dois reconnaître que les services existants sont plutôt rares, hélas encore fragmentés de même qu’inégalement répartis d’une région à l’autre du Québec (Ducharme, 2006 ; Lavoie et autres, 2006). A.S. - Je suis bien placée pour vous parler de l’inaccessibilité et de l’insuffisance de services. Laissez-moi vous raconter comment j’en ai compris toute la mesure, lors de ma première tentative pour en obtenir. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que l’entrée dans une expérience de soins nous prend par surprise et nous laisse terriblement dépourvus. Dans la vie, la maladie arrive parfois comme un intrus, sans frapper à la porte, avant d’entrer définitivement chez vous. Là, c’est le choc, un coup de tonnerre en fait. Ni moi ni mon conjoint, ni même les autres membres de ma famille n’étions préparés à cela (peut-on s’y préparer ?). La consternation et le désarroi se sont alors emparés de nous tous. Rapidement, l’harmonie de la maisonnée a fait place à la désorganisation. L’inquiétude a pris le relais, pour ensuite faire bon ménage avec l’angoisse. Une angoisse qui stresse les moindres instants du présent. Que se passe-t-il ? Sommes-nous sous l’emprise d’un cauchemar ? Non ! Nous ne rêvons pas, me disais-je. Le ciel nous tombe vraiment sur la tête ! Que faire ? Les questions arrivent en cascade, mais les réponses sont rares ou absentes du décor de la catastrophe. La peur de l’inconnu s’active. Certes, je ne suis pas du genre victime. J’en ai vu d’autres… Il me faut agir. Pragmatique, je choisis (ai-je vraiment le choix !) de faire face à l’adversité, car en moi bouillonnent la colère, la déprime et les larmes d’un destin à jamais hypothéqué. Un destin hypothéqué pour moi et mes proches.
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Pour un certain temps, je mobilise le maximum de ma capacité de débrouillardise, de même que ma détermination à vouloir tout apprendre « sur le tas ». Peine perdue… Je constate rapidement que prendre soin exige des connaissances et des compétences. J’apprends qu’on ne devient pas bonne en tout, en tout temps, seule et du jour au lendemain. Comme je suis loin d’avoir la « vocation » pour prendre soin (qui peut prétendre l’avoir ?), que faire malgré toute la bonne volonté du monde ? Je ne connais pas grand-chose de cette maladie chronique qui afflige mon mari. Comment va-t-elle évoluer à court, à moyen et à long terme ? Et moi, malgré mon optimisme, que l’on dit légendaire et ma sensibilité obstinée, comment vais-je évoluer dans le parcours de cette maladie ? Est-ce que je vais réussir à survivre ? Comment ? Pendant combien de temps ? Est-ce que nos amis, notre entourage, notre famille vont nous déserter ? Des questions, toujours autant de questions ! Il me faut comprendre. Comment savoir si ce que je fais est correct ? Y a-t-il de l’information et des ressources quelque part pour m’aider ? Si oui, où ? Comme l’a dit si bien Laurent-Michel Vacher, je naviguais « dans un vaisseau sans capitaine, ce qui n’est pas l’idéal au milieu de la tempête » (Vacher, 2005 : 99). Et puis, il y a la vie qui continue avec son lot d’imprévus… Un jour, par hasard (est-ce un hasard ?), je rencontre sur la rue, une ancienne connaissance, elle aussi une aidante « surnaturelle » depuis plusieurs années. Double chance, car chacune de nous a du mal à s’esquiver dix minutes pour faire des courses. Je lui raconte ce qui m’arrive. Son empathie me touche. Elle me dit au passage : « Tu devrais appeler au CLSC ». Malgré ma réticence, j’ai si peu de solutions que sitôt revenue à la maison, je téléphone. La personne au bout du fil me demande : « Que puis-je faire pour vous ? » Et moi, de répondre: «J’suis plus capable!» Je sens cette personne très réceptive à mon initiative. J’ai tout de suite l’espoir d’avoir sonné à la bonne porte. Elle me pose quelques questions et me dit que quelqu’un me téléphonera sous peu pour prendre rendez-vous. C’est bon signe. Une lueur d’espoir naît en moi, comme un cadeau tombé du ciel.
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La semaine suivante, je reçois chez moi une travailleuse sociale. Une autre personne gentille, compétente et avec de la compassion à revendre. Elle m’a écoutée et m’a, je crois, réellement comprise dans ce que je vivais. Elle n’en revient pas de ce que je fais depuis des années. Elle conclut que je suis dépassée par les événements. Que j’ai besoin de conseils, d’écoute et de réconfort. Que j’ai besoin en priorité de me reposer et d’être sécurisée. Que j’ai peut-être même besoin de partager avec d’autres ce que je vis. Elle conclut de plus que mes besoins ne sont pas que ponctuels et qu’ils perdureront tout en s’alourdissant dans le temps vers une situation de plus en plus ardue. Bref, j’ai eu l’impression qu’elle avait tout compris de ma vie. J’avais donc toutes les raisons d’espérer un arrivage de solutions très prochaines à ma situation. Mais cet espoir n’était qu’une illusion. Ce n’était pas la volonté de m’aider de la travailleuse sociale qui manquait, c’était son CLSC qui n’était pas en mesure de répondre à mes besoins. Au mieux, j’ai compris que je ne pouvais espérer qu’un minimum d’heures de services pour mon conjoint, même si sa santé en exigeait le maximum. Alors, j’ai compris qu’il fallait bien plus que de la compréhension pour « plaider ma cause » et mettre du soutien à ma disposition. La travailleuse sociale est partie de chez moi et je sais qu’elle a vu mes yeux s’éteindre tout grand ouverts. Elle savait que je portais sur mes épaules le poids de la désillusion, puisqu’elle partait avec bien peu de réponses à mes questions. M.P. - Merci de votre triste témoignage. J’ai l’impression que plusieurs personnes y trouveront un sens. Soit dit en passant, la personne que vous avez rencontrée a eu, malgré tout, raison de vous diriger au CLSC, car c’est cet organisme du réseau de la santé qui a le mandat officiel d’actualiser la politique de soutien à domicile. Cependant, comme le souligne le Conseil de la famille et de l’enfance : « Il est certain que des CLSC proposent du soutien aux personnes aidantes, mais il suffit de parcourir les sites Internet de ces derniers pour découvrir qu’ils sont peu nombreux à en faire mention dans la liste de services offerts » (Bourcier, 2004 : 61). Ce constat n’est pas étonnant dans la mesure où aucune politique de soutien à domicile ne peut véritablement être mise en œuvre sans un
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financement adéquat (Coalition Solidarité Santé, 2004) et sans une volonté ferme de cohésion dans l’offre de services. Mais il y a plus, et le Protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux (2003 : 6) en donne la teneur : Pour que les personnes puissent continuer de vivre dans leur milieu et y recevoir des soins et traitements en toute sécurité, il faut injecter de nouvelles ressources financières dans les services à domicile. Sans ces fonds supplémentaires, qui concordent avec les désirs et les besoins croissants de la population, ce n’est pas seulement l’efficacité des services à domicile qui est érodée, c’est l’assise du système global de santé et de services sociaux qui est minée. En toute logique, c’est donc là qu’on devrait prioritairement réinvestir.
Bref, comme tous le disent et le redisent au sujet de l’insuffisance et de l’inaccessibilité des services le Conseil de la famille et de l’enfance (Bourcier, 2004 : 77) dit qu’il faut : « élaborer une variété de programmes et de mesures en vue de faciliter les soins par les familles aidantes ». Reste à voir ce qui peut réellement être fait, ce qu’on peut espérer qui soit fait.
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Prendre soin: entre perspective de soutien et enjeux de responsabilité 1
Les pouvoirs publics ne sauraient nier leurs responsabilités. C’est l’État, qui à une autre époque, a abusé de l’institutionnalisation. Encore lui qui, poussé par des considérations plus budgétaires que philanthropiques a renversé la vapeur. Lui toujours qui a recouru au virage ambulatoire et à la médecine d’un jour, dans l’espoir légitime de réduire les coûts des soins qu’exige une société vieillissante. Il ne lui est pas demandé aujourd’hui de renoncer à des orientations qui correspondent le plus souvent aux désirs des gens et qui, en plus, sont moins onéreuses pour la société. Il lui est demandé de ne pas surcharger ceux et surtout celles dont dépend le succès de l’opération budgétaire et le mieux-être de la population la plus fragile. - Laurent Laplante
Autonome S’démène - De nos échanges précédents, j’ai des raisons de penser que le niveau actuel de mon engagement ne va pas diminuer dans un avenir proche. J’avoue que cela m’inquiète au plus haut point. Comme la petite chèvre de M. Séguin, je ne me demande pas si je vais tenir le coup, mais combien de temps je pourrai tenir le coup. J’appréhende constamment ce point de rupture où je n’aurai plus d’autre choix que d’envisager le placement de mon conjoint. Tous les jours, je me bats pour éviter d’en arriver à cette option de dernier recours. Mon combat est-il perdu d’avance Mario ?
1. Cette section s’inspire largement de deux publications, Paquet et autres (2004, 2005).
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Mario Paquet - Votre situation est effectivement des plus préoccupantes. Au Québec, comme ailleurs, on l’a vu, les acteurs en santé s’en inquiètent énormément, de même que nombre d’associations (Coalition Solidarité Santé, Coalition canadienne des aidantes et aidants naturels, Regroupement des aidantes et aidants de Montréal, etc.) qui militent en faveur d’une meilleure couverture des services à domicile. Quoi qu’il en soit, si le financement des services à domicile n’est pas à la hauteur du défi de solidarité ni du projet de société qu’implique ce fameux virage milieu préconisé par l’État, ce n’est pas parce que les acteurs en santé ou la politique de soutien à domicile du Québec, ne voient pas la situation telle qu’elle est et ne perçoivent pas votre détresse. On peut tout au plus se demander s’ils ont bien cerné les mesures adéquates à mettre en place pour vous soutenir dans les soins auprès de votre conjoint. Dans ce chapitre, ce ne sera donc pas un luxe que d’essayer d’estimer ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour que vous ayez ce soutien dont vous avez si évidemment besoin et qui ne vous est pas disponible. Fait intéressant, on constatera que ce qui manque ce n’est pas l’absence de perspective sur les mesures à mettre en place pour vous soutenir. Cette perspective, on le verra, ne doit d’ailleurs pas se limiter à une offre de services idéalement bien intégrés, mais aussi à des actions plus larges qui sous-tendent un principe : celui d’une responsabilité familiale et sociale des soins de santé. A.S. - D’accord, pour en avoir souvent discuté avec vous Mario, je sais que ce n’est pas la volonté des intervenants quels qu’ils soient et encore moins les idées qui manquent pour nous venir en aide. Je pense que le temps presse pour mettre ces idées en pratique, mais il vaut quand même la peine qu’on se penche un peu sur ces initiatives qui pourraient si avantageusement être disponibles pour nous. Nous, les aidantes « surnaturelles », nous avons intérêt à bien connaître ces solutions non seulement parce qu’elles sont porteuses d’espoir, mais aussi parce qu’elles peuvent éventuellement mieux nous guider dans les choix que nous pourrions ou aimerions faire pour continuer à prendre soin. Nous aimerions d’abord qu’on nous demande notre avis sur la façon de les structurer.
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M.P. - D’abord, regardons ces solutions sous l’angle de l’organisation des services. En scrutant les écrits, on constate que le but dans la mise en œuvre de programmes et de services est de diminuer votre fardeau en répondant à vos besoins. Or, la réponse à vos besoins est complexe parce que ceux-ci sont multiples, nombreux, voire singuliers (Lesemann et Chaume, 1989 ; Paquet, 2003). Pour l’essentiel, vos besoins se réfèrent à du soutien social (Tableau 2). Ce que vous avez dit plus haut dans votre témoignage en est la preuve. De ce fait, vos besoins nécessitent la mise en place d’une « gamme » de services flexibles, adaptés et bien coordonnés. Ce que confirment fort éloquemment Guberman, Lavoie et Gagnon (2005 : 72). D’abord, il ressort, que l’hétérogénéité des valeurs et des contextes des familles et les organisations de l’aide et des soins qui en découlent exigent que les services et les interventions soient adaptés aux attentes et aux désirs différents de même qu’aux situations multiples et variées. Dans un tel contexte, une offre de services standardisés et uniformisés ne saurait correspondre aux besoins diversifiés des familles.
Pour paraphraser Jutras et Veilleux (1989), le réseau de la santé devrait idéalement s’efforcer de répondre aux besoins de la moyenne tout en étant assez flexible pour combler vos besoins singuliers. En fait, si la travailleuse sociale que vous avez rencontrée avait eu entre les mains les ressources pour vous venir en aide, elle vous aurait sans doute fait l’offre de services qu’a proposée l’Association des CLSC et des CHSLD du Québec. Le tableau 3 présente cette offre de services qui, selon moi, a le mérite de constituer une bonne synthèse de ce que suggère la littérature scientifique et professionnelle (voir Ducharme, 2006, pour le détail de chacune des mesures de cette offre de services).
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TABLEAU 2 Description du concept de soutien social selon Carpentier et White (2001) Le soutien émotionnel • Ce type de soutien, particulièrement important sur le plan des expériences d’intimité et de compagnonnage, ferait référence aux expressions de tendresse et d’approbation en plus de combler les besoins d’amour, d’estime de soi et de confiance. Le soutien instrumental • Cette ressource présente un caractère concret et inclut différents types d’assistance pratique dans le quotidien, tels que le transport, l’aide pour les achats, pour les déménagements, l’assistance financière. Le soutien à la socialisation • Cette ressource renvoie aux aspects permettant de socialiser. Il est ici question de reconnaître dans le réseau les personnes qui possèdent la capacité de mettre la personne en relation avec d’autres personnes. Le soutien à la résolution de problème • Une dernière ressource correspond aux conseils et au guide directif qui permet de résoudre des problèmes pratiques de tous les jours.
Parmi la gamme de services qui devraient vous être accessibles, on trouve, sans surprise, les services de répit. Pour vous, ces services répondent à un besoin manifeste, sinon urgent, de repos. Comme le disent Damasse, Gagnon et Larochelle (2003 : 4), les personnessoutien «[…] n’ont pas seulement besoin d’aide pour savoir quoi faire, quelle attitude adopter et comment se comporter avec l’aidé. Elles n’ont pas seulement besoin d’aide pour arriver à effectuer les nombreuses tâches qui leur incombent. Elles ont aussi besoin de repos, de distraction et de temps pour vaquer à leurs autres responsabilités. » Sans faire une trop longue histoire, les services de répit sont nés dans la foulée des politiques de santé, qui mettaient l’accent sur la désinstitutionnalisation des services aux personnes aux prises avec un problème de santé. La « désins », comme on le dit souvent, était légitimée, entre autres choses, par les coûts élevés de l’hébergement en établissement, de même que par la conviction que les personnes pouvaient bénéficier d’une meilleure qualité de vie en demeurant dans leur milieu habituel (Damasse, 1999 ; Damasse, Gagnon et
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TABLEAU 3 Offre de services pour les personnes-soutien de l’Association des CLSC et des CHSLD du Québec (2003) Des services d’accueil, d’information et de référence • Services téléphoniques, centre de ressources, manuel sur le rôle de la personne-soutien, guide d’accès aux services. Des services pour répondre aux besoins relatifs au rôle de personne-soutien • Développement d’habiletés et des connaissances, d’adaptation, de services de prévention de l’épuisement, de support psychosocial et d’intervention en situation de crise. Des services de répit • Des mesures planifiées (fin de semaine de congé et semaine de vacances) qui permettent un temps de détente et de ressourcement aux proches afin de compenser pour le stress et la fatigue supplémentaires occasionnés par les besoins des personnes ayant des incapacités. Des services de surveillance continue • Services de présence et de surveillance fournis dans le but d’assurer la relève, d’alléger la charge de responsabilité de garde occasionnée par les incapacités de la personne. Des services de dépannage • Des mesures pour résoudre la difficulté des proches à répondre à brève échéance aux besoins particuliers d’une personne qui a une ou des incapacités, et ce, dans des situations hors de l’ordinaire, habituellement graves, imprévisibles et temporaires afin d’assurer une relève d’urgence en situation de crise. Des services d’hébergement temporaire • Une mesure de répit et de dépannage qui peut être planifiée ou non, plus particulièrement pour des situations de crise et d’urgence sociale. Des services de soutien et d’entraide • Regroupement et groupes de soutien et d’accompagnement, des services de consultation, des ateliers de formation. Ces services peuvent aussi comprendre le support dans l’organisation du quotidien.
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Larochelle, 2003 ; Montgomery, 1988, 1995). Depuis leur naissance, en Angleterre, dans les années 1930, les services de répit se sont développés et se sont largement répandus en Europe, aux États-Unis et au Canada (Théolis, 1998). La majorité des auteurs mentionnent que la demande de services de répit ne cessera d’augmenter en raison du vieillissement de la population et de la disponibilité réduite anticipée des personnes-soutien (Damasse, 1999 ; Damasse, Gagnon et Larochelle, 2003 ; Flint, 1995 ; Lévesque et Théolis, 1993). A.S. - Qu’entendez-vous par « services de répit », Mario ? M.P. - Je veux dire par là que nous devons expressément trouver un moyen de vous accorder un peu de temps pour vous permettre de souffler. La notion de répit couvre un ensemble de services pouvant varier dans le temps (de quelques heures à plusieurs semaines) et dans l’espace (à domicile et à l’extérieur du domicile) (Braithwaite, 1998 ; Cotterill et autres, 1997 ; Lévesque, Rochette et Paquet, 1990 ; Lévesque et Théolis, 1993 ; Montgomery, 1995, 1988 ; Shantz, 1995 ; Strang, 2000 ; Théolis, 1998). Les services de répit poursuivent plusieurs objectifs. En général, ils visent à maintenir ou à améliorer votre état de santé physique et psychologique et à vous soutenir dans votre engagement dans les soins. Quelques rares auteurs rapportent que les services de répit visent également à maintenir ou à améliorer l’autonomie fonctionnelle de la personne aidée (Cotterill et autres, 1997 ; Lévesque et Théolis, 1993 ; Strang, 2000). Cet objectif n’est pas négligeable en raison du fait qu’il peut contribuer à rassurer les personnes-soutien sur l’utilité de ce type de service et, du coup, diminuer leur culpabilité et leur réticence devant l’utilisation des services (on reviendra plus loin sur la question de la réticence). De manière spécifique, le but est de réduire votre fatigue et votre stress en vous permettant de prendre du repos, de vous ressourcer et de diminuer votre isolement social. De plus, les services de répit visent à retarder ou à éviter une demande d’hébergement permanent en établissement pour la personne aidée (Flint, 1995 ; Lévesque et Théolis, 1993 ; Montgomery, 1995 ; Paquet, Guillemette et Richard, 1999 ; Shantz, 1995 ; Théolis, 1998).
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A.S. - Vous avez sans doute parcouru des travaux qui ont étudié l’atteinte des objectifs que vous venez de décrire. Que nous apprennent ces études qui pourraient me servir, à moi, dans ma vie de tous les jours ? M.P. - Bonne question ! D’abord, une autre petite déception ; en effet, en raison de limites conceptuelles et méthodologiques, les études sur les effets des services de répit ne permettent pas d’apporter de résultats concluants (Damasse, 1999 ; Montgomery, 1995). Dans certains travaux, les services de répit permettent de retarder l’hébergement permanent (Paquet et Richard, 2003; Strang, 2000), tandis que, dans d’autres, ils peuvent le favoriser (Cotterill et autres, 1997 ; Flint, 1995 ; Montgomery, 1988). Selon Damasse, Gagnon et Larochelle (2003 : 5), « […] certaines études font état d’aucune diminution du stress et du fardeau chez l’aidante, alors que d’autres concluent à une amélioration de sa qualité de vie ». De son côté, Théolis (1998: 28) mentionne que: «[…] dans certains cas, […] la condition des aidants qui ne bénéficient pas de services de répit se détériore ». Grosso modo, dans l’état actuel de la connaissance, il est difficile de juger de l’impact réel des services de répit. Toutefois, la majorité des personnes-soutien apprécient ces services et s’en disent satisfaites. De plus, elles sont convaincues de leur pertinence (Braithwaite, 1998 ; Damasse, Gagnon et Larochelle, 2003 ; Flint, 1995 ; Lévesque et Théolis, 1993 ; Paquet et Richard, 2003 ; Théolis, 1998), bien que leur quantité et leur durée soient insuffisantes (Paquet, Guillemette et Richard, 1999 ; Shantz, 1995). Pas étonnant qu’il en soit ainsi, car comme le dit Flint (1995 : 513) : « Les soins de répit nécessitent une durée et une fréquence suffisantes pour être cliniquement significatifs. » A.S. - En résumé, si j’ai bien compris, les chercheurs ne sont pas en mesure de se prononcer hors de tout doute sur l’impact réel des services de répit. Je voudrais bien les voir à ma place. Néanmoins, puisque le réseau de la santé me considère comme une population à risque de s’épuiser, j’aimerais savoir si ces services peuvent contribuer à prévenir mon épuisement ?
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M.P. - Étant donné que la prévention est omniprésente dans les énoncés politiques et le discours des acteurs en santé, il est tout à fait légitime de se demander si les services de répit ont des effets sur la prévention de votre épuisement. Bref, au-delà de la rhétorique, qu’en est-il réellement de la prévention de l’épuisement ? Pour traiter de ce point, je vais résumer l’analyse de deux programmes d’hébergement par alternance que j’ai réalisée antérieurement avec une équipe de recherche. Ces programmes ont été mis en œuvre dans deux régions du Québec, soit en Estrie et dans Lanaudière (Paquet et autres, 2004). Ces services font partie de l’offre de services que suggère l’Association des CLSC et des CHSLD du Québec. En effet, l’hébergement par alternance est une forme d’hébergement temporaire (Paquet et autres, 2004). On accorde ainsi du répit aux personnes-soutien de manière épisodique. Ainsi, les personnes qui ont des incapacités séjournent de façon récurrente en centre d’hébergement pour une durée déterminée, par exemple, une semaine par mois, pendant plusieurs mois. Ces deux programmes ont été implantés à la fin des années 1990 en Estrie et dans Lanaudière. Plusieurs constats ont émergé de l’analyse comparative de ces deux programmes d’hébergement par alternance. Globalement, il en ressort un bilan positif et les participants s’en sont dits satisfaits. Ils ont souligné la qualité des services reçus par les personnes aidées et le fait que ces programmes répondent au besoin de répit des personnes-soutien. Toutefois, les analyses n’ont pas permis d’établir que ces programmes avaient contribué à prévenir l’épuisement des personnes-soutien. En réalité, dans la plupart des cas, les personnessoutien étaient déjà épuisées au moment de l’utilisation du programme. L’épuisement des personnes-soutien au moment de l’utilisation des services n’est pas une constatation récente (Paquet, 1999). Depuis plusieurs années, la littérature en fait largement écho, d’où la pertinence de se demander : « Comment les milieux de la pratique peuvent-ils prévenir l’épuisement des personnes-soutien si les services n’arrivent pas à les rejoindre à temps, c’est-à-dire avant qu’elles ne soient épuisées ou en état de crise ? » (Paquet, 1999, 2003). Si cette question met en doute la faisabilité de la prévention, elle incite aussi à scruter, plus en profondeur, le processus de recours aux services.
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Dans Vivre une expérience de soins à domicile, nous avons analysé cette question. Celle-ci est apparemment fort complexe, car « […] il ne suffit pas de mettre sur pied des services pour qu’on soit assuré de leur utilisation. Autrement dit, l’accès aux services n’égale pas automatiquement l’utilisation des services » (Paquet, 2003 : 167). En fait, a priori, les services ne constituent pas une solution privilégiée, ni pour les personnes-soutien, ni pour les autres membres de la famille. Il semble plutôt que ce soit la règle du dernier recours qui souvent prévaut et qui fait en sorte que plusieurs personnes-soutien n’utilisent les services que lorsqu’elles ne peuvent plus faire autrement. Ainsi, par rapport à une offre de services, il n’est pas rare que les intervenants soient confrontés au discours suivant : « On vous appellera quand on aura besoin d’aide. » Comme vous le savez, j’utilise (Paquet, 2003 : 169) le terme de « réticence » vis-à-vis de l’utilisation des services pour décrire cette attitude des personnes-soutien. Une personne réticente, qu’elle soit une personne-soutien principale ou secondaire, une personne âgée aidée ou d’autres membres de la famille (frère, sœur, neveu, nièce, etc.), c’est une personne qui manifeste dans son discours et son comportement une attitude de réserve face à l’utilisation des services, et ce, peu importe la provenance du service (public, communautaire, bénévole, privé). Cette réticence peut se retrouver tant chez les utilisateurs de services que chez les non-utilisateurs qui connaissent les services ou en soupçonnent l’existence. Cette réticence peut prendre la forme d’un refus des services ou d’une acceptation plus ou moins obligée en raison d’une « conjoncture de nécessité », par exemple, le contexte familial de soin ou de la condition de santé de la personne âgée ou de la personne-soutien principale.
Que faire alors pour soutenir les personnes-soutien quand cellesci hésitent à utiliser les services jusqu’à la limite du supportable ? En m’inspirant de mes travaux sur la réticence, j’ai présenté un guide
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destiné aux intervenants pour contourner cette attitude de réticence (Tableau 4). TABLEAU 4 Que faire face à une attitude de réticence ? IDENTIFICATION EN TROIS ÉTAPES D’UNE ATTITUDE DE RÉTICENCE AU SEIN DE LA FAMILLE : Première étape, identifier la présence ou non d’une réticence au sein de la famille • Question guide : La personne-soutien, la personne âgée et les autres membres de la famille sont-ils réticents vis-à-vis de l’utilisation des services ? Deuxième étape, identifier les acteurs familiaux réticents et les motifs de leur réticence • Questions guide : Qui est réticent ? La personne-soutien, la personne âgée ou les autres membres de la famille ? Vis-à-vis de quels réseaux de soutien est-on réticent (public, communautaire, privé, familial) ? Quel est le degré de réticence ? Par exemple, la réticence à l’égard des services équivaut-elle à une fin de non-recevoir (réticence forte) ou à l’acceptation d’une aide avec conditions (réticence moyenne ou faible). Troisième étape, identifier la forme que prend la réticence dans les rapports sociofamiliaux de négociation des soins. • Questions guide : Comment prend forme la réticence dans les rapports sociofamiliaux de négociation des soins ? Par exemple : pressions pour ne pas utiliser les services ou le soutien de la famille ; tensions familiales : colère, ressentiment, conflit, peur du placement, de l’inconnu, des étrangers, de déranger des membres de la famille, de déranger la routine quotidienne, etc. Sur la logique familiale de soins, le milieu de la pratique doit retenir : • Que ce n’est pas parce que les personnes-soutien sont réticentes à utiliser les services qu’elles n’ont pas besoin de services. L’évaluation des besoins doit être faite non pas en fonction des offres de services, mais selon les besoins perçus par tous les acteurs familiaux impliqués dans la gestion des soins. • Que les personnes-soutien ne sont pas réticentes vis-à-vis de l’utilisation des services médicaux courants, mais vis-à-vis des services qui impliquent l’acceptation d’un appareil bureaucratique jugé « inquisiteur ». • Que les personnes-soutien sont généralement peu exigeantes, quoique sélectives, et elles n’aiment pas voir leur espace privé envahi. La règle du « coup de pouce » et de la « pédale douce » est de mise dans l’intégration de services au sein de la famille. D’ailleurs, pour ne pas créer un effet d’augmentation de la réticence, il faut bien évaluer le potentiel d’efficacité d’une stratégie de « tordage de bras » pour inciter les personnes-soutien à utiliser des services.
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TABLEAU 4 (suite) Que faire face à une attitude de réticence ? • Que la « responsabilité englobante » des personnes-soutien mobilise une somme non négligeable de temps et d’énergie et que ceci n’est pas favorable à une réorganisation de la routine quotidienne que peut exiger l’utilisation de services. Ainsi, l’utilisation de services par les personnes-soutien ne doit pas résulter en un fardeau de plus, ni bousculer la routine et les façons de faire déjà en vigueur dans la gestion des soins. • Que la planification des soins se fait au jour le jour ici, et maintenant. • Que l’établissement d’une relation de confiance est essentiel dans l’intégration de services au sein de la famille. L’exemple des auxiliaires familiales est éloquent dans l’apport significatif qu’elles jouent dans l’établissement d’un lien de confiance avec les personnes-soutien et les autres acteurs familiaux. Sur la logique familiale de soins, le milieu de la pratique doit retenir : • Que, en plus de centrer les besoins sur la famille, le milieu de la pratique doit répondre à une série de questions : est-ce que pour les personnes-soutien et les autres acteurs familiaux, les services sont subjectivement disponibles, accessibles, géographiquement et économiquement, flexibles, de qualité, sécurisants, fiables, coordonnés, utiles, adéquats et acceptables ? La réponse à ces questions, à partir du point de vue subjectif des acteurs, constitue le matériau de base de l’organisation des services. • Que des personnes-soutien ne se reconnaissent pas dans un rôle d’aidant que leur attribuent les professionnels et, qu’en conséquence, les besoins sont évalués en fonction de la personne aidée et non pas d’elles comme personnes aidantes. Donc, qu’elles ne pensent pas à leur implication auprès de la personne âgée en termes de prévention. Que fréquemment, ce n’est pas elles qui demandent des services, mais d’autres membres de la famille parfois même l’entourage. • Que des personnes-soutien voient la responsabilité des soins comme un défi à relever et se sentent utiles et valorisées dans l’accomplissement des tâches qu’elles réalisent. • Que des personnes-soutien se sentent coupables, anormales, incorrectes ; bref, moralement illégitimes de recourir à des services ou du soutien. • Que des personnes-soutien veulent foncièrement garder leur autonomie et ne pas tomber sous l’égide du contrôle des étrangers et que, dans ces conditions, elles se débrouilleront aussi longtemps qu’elles le pourront, seules ou avec l’aide des autres membres de la famille. • Que l’intervenant dans sa stratégie d’intervention doit s’imprégner de ce que signifie prendre soin pour le milieu familial avec lequel il est en contact. Il s’agit de faire en sorte de ne pas heurter, ou entrer en contradiction avec les normes, les croyances et les valeurs de référence des acteurs familiaux et de respecter les façons de faire mises en œuvre par ces derniers. Sources : Paquet, 1999 : 138-146 ; Paquet, 2003 : 208-211.
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Ce guide a été élaboré dans une perspective socio-anthropologique et prend en considération les pratiques familiales de soins qui carburent à l’amour, au don de soi et à la solidarité (Lesemann et Chaume, 1989). A.S. - Aux éléments de ce guide Mario, je me permettrai peut-être d’ajouter la peur d’être jugée par les intervenants dans ce que nous accomplissons dans les soins et pire encore, dans notre façon de vivre notre lieu intime de vie. Quoi qu’il en soit, pour contrer la réticence et favoriser positivement l’utilisation des services, il m’apparaît fondamental de considérer les pratiques familiales de soins. Pour moi, c’est une question de respect de mes choix, de mes valeurs et de mes manières de faire. M.P. - Toutefois, sans perdre de vue l’importance des pratiques familiales de soins dans la compréhension du phénomène de la réticence, ce n’est pas le seul obstacle. L’organisation même des services peut constituer un obstacle à leur utilisation (Lavoie et autres, 1998 ; Paquet, 1999, 2003). Mais, à l’inverse, l’organisation peut être un atout pouvant faciliter l’accompagnement dans les soins et, du coup, avoir un effet significatif sur la réduction de la réticence des personnes-soutien. Sur la question de l’organisation des services, des travaux apportent un éclairage intéressant (Bourcier, 2004 ; Ducharme et autres, 2003, 2004 ; Garant et Bolduc, 1990 ; Lacroix, 2001 ; Moisan, 1999, 2000 ; Protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux, 2003). En gros, ces analyses convergent non seulement sur plusieurs points quant à leurs recommandations, mais elles arrivent aussi à des conclusions similaires. Bien entendu, elles soulignent l’importance d’améliorer l’accès de soins à domicile pour les personnes qui ont des incapacités, de même que le soutien aux personnes qui en prennent soin. De plus, elles insistent fortement sur la nécessité d’implanter une structure d’organisation de services qui repose sur une vision intégrée des soins de santé à la population. Ce point est d’autant plus pertinent qu’il est au cœur de la transformation récente du système de santé.
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A.S. - Que voulez-vous dire par une vision intégrée des soins de santé ? Hélas, Mario, je n’ai jamais senti l’ombre d’une intégration dans les services. M.P. - C’est dommage, car je sais que c’est ce dont vous rêvez pourtant. Un des postulats de l’intégration des services est que ce système va contribuer à améliorer la qualité, l’efficacité et l’efficience des services. Selon Rodriguez (2003), il existe plusieurs définitions de l’intégration des services dans les soins de santé. Il existe même une confusion au regard de ce concept (Touati et autres, 2001). Toutefois, nous retenons la même définition que Touati et autres (2001 : 94) ont tirée de Shortell et de ses collègues (1996). Pour ces auteurs : Un système de services de santé et de services sociaux intégrés est un réseau d’organisations interdépendantes et coordonnées sur le plan fonctionnel, clinique et financier, responsable de la santé d’une population donnée à laquelle il fournit un continuum de services adaptés aux besoins de cette dernière.
Cela signifie que, dès l’instant où on est pris en charge, le service rencontré fait appel aux autres services en cause et que ce n’est pas l’aidant qui doit se débrouiller pour trouver les intervenants dont il a besoin pour résoudre son cas. En fait, depuis le début des années 1990, le système de services intégrés a évolué dans le réseau de la santé et des services sociaux. Il semble désormais faire consensus, bien que des réserves aient été émises par certains2 (Clément et Aubé, 2002 ; Rodriguez et autres, 2002). L’intégration des services doit contribuer à améliorer leur performance et, selon les auteurs, cette intégration constitue même une réponse aux multiples dysfonctionnements du système de santé qui, en principe, devrait améliorer globalement sa performance (Contandriopoulos et autres, 2001).
2. Au moment d’écrire ces lignes, un ouvrage vient de paraître qui consacre une section complète à la problématique de l’intégration des services. Pour un état de la question sur ce thème, voir Fleury et autres (2006).
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Or, des évaluations d’expériences pilotes réalisées au Québec tendent à démontrer la vraisemblance du postulat de l’intégration des services (Béland et autres, 2006 ; Hébert, 2003 ; Lamarche et autres, 2001 ; Touati et autres, 2001 ; Tourigny et autres, 2002). D’ailleurs, les deux programmes d’hébergement par alternance que j’ai décrits précédemment ajoutent du poids aux conclusions de ces études. En effet, pour le programme mis en œuvre en Estrie, la présence d’un agent de liaison, de même que le contexte organisationnel clair et bien structuré du programme représentaient une force, alors qu’en contrepartie le programme de Lanaudière suggérait comme amélioration de revoir les modalités de partenariat et d’embaucher un agent de liaison. En gros, les forces de l’un comme les suggestions de l’autre touchaient directement la coordination et la continuité des services qui sont des dimensions majeures de l’intégration des services (Paquet et autres, 2004). A.S. - Vous êtes en train de me dire que l’intégration des services est ni plus ni moins une nouvelle façon d’envisager l’organisation des soins de santé. Concrètement, quel but poursuit ce système pour qu’il fasse autant consensus ? M.P. - Pour prendre une formule simple de Tourigny et autres (2002 : 114) : « L’objectif du réseau (intégré de services) est d’offrir le bon service, à la bonne personne, au bon endroit et au bon moment. » D’après moi, l’objectif de l’intégration des services a le potentiel d’offrir un véritable accompagnement des familles dans les soins. Du coup, il peut contribuer à réduire la réticence des personnessoutien vis-à-vis de l’utilisation des services et, par le fait même, agir plus efficacement sur la prévention de votre épuisement. A.S. - Mais, outre la prise en compte du respect des pratiques familiales de soins, croyez-vous que l’intégration des services m’assurera un accompagnement meilleur que celui que j’obtiens maintenant ? M.P. - La cohérence du système de santé, assurée par une meilleure coordination et une continuité des services, est certainement une condition nécessaire, mais je sais bien qu’elle est insuffisante. Une étude à laquelle j’ai participé laisse entendre qu’il faut envisager
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les actions de manière beaucoup plus large (Ducharme et autres, 2003, 2004). Toutefois, je signale au passage que l’équipe de recherche, en étroite collaboration avec les partenaires associés au projet, a formulé une série de recommandations dignes d’intérêt (Tableau 3). En effet, ces recommandations touchent autant l’organisation des services que l’ensemble des mesures sociales et financières nécessaires pour assurer un véritable soutien à domicile auprès des familles. Par ailleurs, il est important de mentionner que la prémisse de ces recommandations part du principe que la santé et, du coup, le soutien à domicile relèvent à la fois d’une responsabilité familiale et sociale. De plus, fait intéressant à noter, ces recommandations s’inscrivent en bonne partie dans les orientations stratégiques de la politique de soutien à domicile du gouvernement du Québec (MSSS, 2003). Par conséquent, la nature de ces recommandations m’amène à penser que si cette politique était actualisée selon les orientations prescrites et la couverture de services qu’elles soustendent (Figure 1), il serait possible d’assurer le respect de vos choix, l’égalité de pouvoir dans les décisions qui vous concernent et une plus grande équité dans le partage de la prestation des soins de santé auprès de votre conjoint. A.S. - Finalement, vous êtes en train de me dire que la manière dont je me représente la notion d’accompagnement n’est pas une utopie, mais bien un projet qu’il est collectivement possible d’envisager. Mais est-ce que je vivrai assez longtemps pour voir se concrétiser enfin un véritable projet d’accompagnement ?
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TABLEAU 5 Recommandations de l’étude de Ducharme et autres, 2003 En matière de politique de soutien aux aidants Que le ministère de la Santé et des Services sociaux : • Reconnaisse les personnes aidantes dans sa politique de soutien à domicile comme des clientes et des partenaires du système de santé1. • S’assure du consentement libre et éclairé ainsi que de la compétence des personnes à la participation aux soins et au soutien d’un proche à domicile. • S’assure que la planification et l’organisation des services pour les personnes aidantes soient élaborées à partir d’une évaluation complète et systématique de leurs besoins. Cette évaluation devra tenir compte de la dynamique familiale, de l’entourage, de l’environnement et de la complexité de la situation et devra s’ajuster à l’évolution de la situation. • S’assure que l’organisation des services de soutien à domicile respecte les limites de la personne aidante et sa volonté, de même que celle de la personne âgée, de prendre part aux décisions concernant les plans de services individualisés (PSI). En matière d’actions ministérielle et intersectorielle Que le gouvernement du Québec : • Mette en place et favorise des mesures sociales et financières afin d’assurer la conciliation des responsabilités parentales, familiales et professionnelles des personnes aidantes. • Assure un système de transport efficace et adapté aux besoins de santé des usagers dans le cadre du virage ambulatoire, et ce, particulièrement dans les régions rurales. En matière de financement des services de soutien à domicile Que le ministère de la Santé et des Services sociaux : • Augmente le financement du soutien à domicile afin de répondre à la complexité des besoins à combler dans la perspective du virage ambulatoire. • Finance l’ensemble du matériel et des équipements requis dans le cadre du virage ambulatoire2. • Prévoit un meilleur financement des groupes communautaires qui œuvrent en soutien à domicile, de même que le financement adéquat des regroupements de personnes aidantes. 1. La nouvelle politique de soutien à domicile reconnaît formellement les « proches aidants » comme client du système de santé (MSSS, 2003). 2. Ici, j’aimerais apporter une précision : « finance à temps ».
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Chapitre troisième
TABLEAU 5 (suite) Recommandations de l’étude de Ducharme et autres, 2003 En matière de développement de l’offre et de la coordination des services aux personnes âgées et à leurs personnes aidantes Que le ministère de la Santé et des Services sociaux, en collaboration avec les régies régionales2 : • Mette en place un réseau de services intégrés répondant à l’ensemble des besoins des personnes âgées et de leurs aidants. • Développe et favorise des mécanismes de concertation et de coordination de services visant un meilleur arrimage intraétablissement, interétablissement et intersectoriel. • Assure l’accessibilité aux services par un mécanisme d’accès unique. La coordination des services devrait être assurée par un gestionnaire de cas sous la responsabilité du CLSC. • Mette en place et favorise la création de services gratuits, accessibles, souples et flexibles qui répondent aux besoins des personnes aidantes. 2. Les régies régionales sont devenues en 2006 les agences de la santé et des services sociaux (ASSS).
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FIGURE 1 Organigramme des diverses composantes du panier de services de soutien à domicile, tel que défini dans la politique de soutien à domicile de 2003
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Source : MSSS, 2003, dans Vaillancourt et Jetté, 2003 : 10.
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Chapitre quatrième Prendre soin: une question de liens entre des humains
L’empathie peut sauver le monde. - Barbara Kruger Écoutez votre cœur, il y a sans doute une loi ou une charte qui lui donnera raison ! - Marguerite Mérette
Mario Paquet - Madame Autonome S’démène, faisons le point. Nous savons et vous savez fort bien que vous êtes plus que jamais une aidante « surnaturelle ». Nous savons que dans la perspective du virage milieu que préconise l’État, il est impératif de vous soutenir dans les soins auprès de votre conjoint et qu’il est concrètement possible de le faire. Nous savons cependant que cela ne se fait pas. À ce titre, les acteurs en santé (décideurs, gestionnaires, intervenants) s’entendent pour dire que la mise en œuvre d’une gamme de services à domicile flexibles et adaptés est nécessaire à vos besoins multiples et diversifiés. De même, pour assurer la qualité et la continuité des services, ceux-ci doivent être coordonnés dans la logique d’un système intégré. Finalement, nous savons que la santé est une responsabilité familiale, mais aussi collective. Pour ce faire, le soutien doit alors s’élargir à des mesures sociales et financières afin que la responsabilité des soins soit assumée équitablement entre la famille, l’État et la société. Cela étant dit, j’aimerais revenir à la lettre que vous m’avez fait parvenir et que j’ai citée un peu plus tôt. Dans cette lettre, vous affirmez que vous avez besoin d’aide, mais aussi un besoin d’être. À mon avis, ce besoin d’être, que vous avez déjà qualifié de « simplement humain» (Paquet, 2003), mérite le détour d’une réflexion, étant donné que l’isolement s’est évidemment ajouté à votre réalité de soins. Ainsi, la maladie vous a graduellement expulsée « hors du
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monde » parce qu’elle fait peur et, à la longue, elle éloigne, même les proches. Dans ce contexte, vous allez sans doute être d’accord avec Joublin (2005 : 15) lorsqu’il dit que : « Notre société est encore marquée par un héritage culturel dans lequel la mort est taboue et la maladie honteuse.» Pour prendre toute la mesure de votre problème d’isolement et, du coup, de l’essentiel de votre besoin d’être, il faut dès lors admettre que votre santé et votre bien-être, de même que celui de votre conjoint, ne dépendent pas strictement de l’accessibilité aux services. Du moins, c’est en ce sens que j’ai saisi le message que vous avez livré aux intervenants en soutien à domicile et dans lequel vous affirmiez que: «[…] il m’importe d’insister pour vous dire que le maintien à domicile est bien plus qu’une question de services et d’actes psychosociaux et médicaux. C’est d’abord une question de liens entre des humains » (Paquet, 2003 : 64). Autonome S’démène - Mario, je vous suis reconnaissante de revenir sur la question des liens. Nous avons souvent discuté de ce thème sans pour autant en avoir épuisé le sujet. Je crois qu’il est temps de s’y mettre, car, pour moi, prendre soin, c’est effectivement surtout une question de liens entre des humains. Moi qui suis sur la ligne de front des soins, j’ai envie de dire à tout ce monde que vous nommez acteurs en santé qu’il ne suffit pas d’être «efficace» dans les services pour d’emblée en assurer la qualité; il faut aussi faire preuve d’humanité. Sur ce point, j’ai l’impression que nous sommes tous les deux sur la même longueur d’onde. M.P. - Votre propos fait pertinemment ressortir l’importance de la dimension relationnelle dans les soins. A.S. - Bien sûr, car avec les années, Dieu merci, j’ai eu la chance de côtoyer des personnes d’une grande richesse humaine. N’estce pas ce dont nous avons le plus besoin, quand la fatalité nous ramène à l’essentiel, c’est-à-dire à l’humain. D’ailleurs, à bien y penser, la nature et la densité de mes liens avec certaines personnes ont certainement pallié au déficit de liens sociaux que je vis, par le fait qu’il y a bien longtemps que je prends soin de mon conjoint. M.P. - Comme plusieurs personnes avant moi, je crois que si les services à domicile sont indispensables au maintien dans le milieu
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de vie habituel des gens, c’est parce qu’au-delà des services prodigués, des intervenants créent et entretiennent des liens de proximité1 nécessaires à la qualité de vie de celles et de ceux qui vivent, comme vous, une expérience de soins à domicile (Avril, 2003). Or, à ma connaissance, ces liens de proximité qui, comme on le verra, sont dictés par un « principe d’intérêt humain » (Paquet, 2003), n’ont pas encore fait l’objet d’une attention particulière dans l’évaluation des services à domicile. A.S. - Pourtant, vous m’avez déjà mentionné que, comme je le fais maintenant, de nombreux travaux soulignent justement l’importance de la dimension relationnelle dans les soins. M.P. - C’est effectivement le cas. Du coup, voilà certainement une autre bonne raison de s’attarder aux liens de proximité (Croff, 1998; Gagnon, Saillant et autres, 2000 ; Joublin, 2005 ; Nahmiash et Lesemann, 1991 ; Paquet, 2003 ; Vaillancourt, Aubry et Jetté, 2003). Je vous propose maintenant d’explorer l’univers de ces liens et de centrer nos entretiens sur les questions suivantes, à savoir, qu’estce que les liens de proximité en soutien à domicile et comment prennent-ils forme dans la relation de soins ? Ensuite, quels sont les effets de ces liens sur la santé et le bien-être de la population ? Finalement quelle est la pertinence d’étudier les liens de proximité en soutien à domicile ? M.P. - Disons d’abord ce que sont les liens de proximité en soutien à domicile et comment ils prennent forme dans la relation de soins. De ce que nous avons dit précédemment, nous devons 1. Le présent chapitre est né d’une problématique inscrite dans un projet de recherche-action qui a débuté en 2004 dans la région de Lanaudière (Paquet, Falardeau et Renaud, 2006). Cette recherche-action a été menée conjointement par la Direction de santé publique et d’évaluation de l’Agence de la santé et des services sociaux de Lanaudière et la Table de concertation en services à domicile de la MRC de Matawinie composée des dix organismes suivants : Association des personnes handicapées du secteur Joli-Mont, Centre communautaire bénévole Matawinie, CHSLD Heather, CSSS Matawinie, CLSC de Chertsey, CLSC de Matawinie, Les Filandières, Service à la communauté du Rousseau, Service d’accompagnement Montcalm-Matawinie, Transport adapté MRC Matawinie.
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garder à l’esprit que le maintien à domicile ressort comme un déterminant de la qualité de vie et du bien-être pour les personnes vivant une situation d’incapacité. Gardons aussi en tête que, du point de vue de l’État, la gestion sociale des incapacités doit se faire dans une logique de partenariat. Toutefois, il faut insister sur le fait que vivre dans son milieu de vie habituel n’est possible que par l’importante contribution des familles, surtout des femmes, dans les soins (Clément et Lavoie, 2002, 2005 ; Ducharme, 2006 ; Garant et Bolduc, 1990 ; Lacroix, 2001 ; Lesemann et Martin, 1993 ; Moisan, 1999 ; MSSS, 2003 ; Roy, 1998). A.S. - Quand j’apprends que la contribution des familles aux soins a connu une hausse pour atteindre, selon ce que vous me dites 90 %, je considère qu’il n’est pas inutile, comme vous le faites, d’insister sur l’engagement de ces familles et principalement sur celui des femmes. M.P. - Cependant, je dois dire que même si la contribution de l’État, par l’entremise des établissements du système de santé et de services sociaux et des organismes communautaires au maintien à domicile, est manifestement plus modeste que celle des familles, elle n’en demeure pas moins indispensable (Lacroix, 2001 ; Guberman, Maheu et Maillé, 1991 ; Lesemann et Martin, 1993 ; Roy, 1998). Pourquoi, allez-vous me dire ? Parce que, pour chaque organisme qui dispense des services de soutien à domicile, un ensemble de personnes s’affairent jour après jour à rendre ces services. Depuis le virage ambulatoire ces personnes sont de plus en plus nombreuses d’ailleurs au Québec à intervenir au domicile des gens. (Gagnon, Saillant et autres, 2000 ; Lacroix, 2001 ; Pérodeau et Côté, 2002). Nous nommons ici ces personnes « acteurs en soutien à domicile » (bénévoles, auxiliaires familiales et sociales, aides-domestiques, éducateurs spécialisés, infirmières, etc.). Dans l’exercice de leurs fonctions, les acteurs en soutien à domicile entrent en relation directe avec les personnes utilisatrices des services que nous nommons «acteurs familiaux », en l’occurrence les personnes-soutien, les personnes ayant des incapacités et les autres membres de la famille. De cette relation, il peut émerger des liens significatifs entre les acteurs en soutien à domicile et les acteurs familiaux (Bonnet, 2001;
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Gagnon, Saillant et autres, 2000 ; Nahmiash et Lesemann, 1991 ; Paquet, 2003). A.S. - À mon avis, une des raisons qui favorisent la création de liens significatifs est que les acteurs en soutien à domicile ne prodiguent pas strictement que des services. Ils ne font pas que remplir des tâches liées aux missions respectives des organismes dispensateurs de services. Bref, dans la relation de soins, ils ne s’en tiennent pas qu’à du savoir-faire. M.P. - En effet, dans le contexte de ce type de relation, comme Ducharme (2000 : 20) le souligne pertinemment : « Le soin n’est pas synonyme et limité à l’acte de soin ; il ne fait pas uniquement appel “ au faire ” ou au “ comment ”, à l’intervention observable ou mesurable. Il fait aussi appel à “ être avec la personne ” qui vit des expériences de santé, ainsi qu’à son intention. » En fait, pour plusieurs, ces acteurs en soutien à domicile «prennent soin» au sens que lui donne Saillant (1992 : 96), c’est-à-dire : Un ensemble complexe de valeurs et de symboles, de gestes et de savoirs, spécialisés ou non, susceptibles de favoriser le soutien, l’aide ou l’accompagnement des personnes fragilisées dans leur corpsesprit, donc limitées, temporairement ou sur une longue période de leur existence, dans leur capacité de vivre de manière indépendante.
Ces liens significatifs, que nous nommons « liens de proximité » (Paquet, 2003), laissent entrevoir une relation inscrite à la fois dans une volonté d’« aide » et d’« être ». A.S. - Autrement dit, quand ces personnes dispensent des services à domicile, elles déploient non seulement une volonté de « savoir-faire », mais aussi une bonne dose de « savoir être ». M.P. - Oui, et pour citer encore Saillant (2000 : 36), ces personnes ont « Un savoir qui n’est pas que technique, mais bien un savoir qui renvoie à l’existence, au savoir être dans le contexte d’un lien particulier enchâssé dans un réseau de relations et de rapports sociaux. » Dès lors, aux dires de Gagnon, Saillant et autres, (2000 : 2), ces liens de proximité prennent « […] souvent de l’importance, tant pour la
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personne qui apporte cette aide que pour celle qui la reçoit ; une relation qui va bien au-delà du service rendu, de la tâche ; une relation inscrite dès le départ sous le signe de la dépendance et du souci de l’autre ». A.S. - En ce sens, pour moi, ces liens de proximité qui se conjuguent au savoir-faire et au savoir être en font ou peuvent en faire à eux seuls une relation de qualité. M.P. - La qualité de la relation peut même, dans certains cas, prendre la forme d’un lien d’amitié Gagnon, Saillant et autres (2000). Justement, ces liens de proximité qui émergent de ce «capital relationnel » (Avril, 2003), comment prennent-ils forme dans la relation de soins ? A.S. - Avant d’aller plus loin, il est sans doute utile de préciser que les liens entre ce que vous nommez les acteurs en soutien à domicile et les acteurs familiaux ne sont pas toujours perçus, de part et d’autre, comme significatifs. En ce qui me concerne, je peux même dire que certaines personnes-ressources avec qui j’ai eu affaire n’ont jamais accédé à aucun autre statut que celui d’étranger. M.P. - Merci d’apporter cette précision. En effet, les liens ne prennent pas d’emblée et automatiquement la forme, par exemple, d’un lien d’amitié ou de «quasi-parenté» pour reprendre l’expression de Gramain et Weber (2003). Selon le contexte familial et de soutien, et aussi selon les capacités de chacun d’entrer en relation, ces liens peuvent également s’avérer difficiles, voire conflictuels (Cresson, 2003 ; Gagnon, Saillant et autres, 2000). Quoi qu’il en soit, lorsqu’émergent des liens plus étroits dans la relation de soins, ceux-ci ont la particularité de prendre la forme d’une « pratique d’accompagnement » (Saillant et Gagnon, 1999) qui fait référence à cette idée de Saillant (1999 : 34) « de présence constante, de disponibilité, de gestes accomplis au quotidien, lors de diverses circonstances entourant l’expérience de la maladie dans le milieu de vie habituel de la personne malade ».
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A.S. - Il s’agit donc dans ce cas-là ou dans la situation idéale d’une pratique d’accompagnement qui intègre une dimension affective dans la relation de soins. M.P. - Comme le dit une aide-ménagère, citée dans l’étude de Caradec (1996 : 155), pour décrire son travail, il s’agit de : « 50 % de relations (et de) 50 % de travail bien fait ». En fait, par les valeurs et les attitudes qu’elles adoptent vis-à-vis des personnes, des acteurs en soutien à domicile se perçoivent comme des «accompagnateurs » qui reçoivent autant qu’ils donnent (Cognet et autres, 2003; Cognet, 2002b ; Godbout, 2000 ; Théolis, 2000). Ainsi, ce sont des liens inscrits dans une logique de don et de contre-don (Godbout, 2000). Le soutien dispensé par ces acteurs est alors un engagement envers «l’autre », envers son potentiel d’humanité (Cognet, 2002b ; Gagnon, Saillant et autres, 2000 ; Paquet, 2003). A.S. - Pour moi, c’est précisément sous cet aspect du « souci de l’autre » que le savoir être des acteurs en soutien à domicile se résume à une relation plus chaleureuse que j’appellerais une qualité d’être. M.P. - C’est une qualité d’être qui s’exprime concrètement par du respect, de l’écoute, de la disponibilité, de la compassion, de la sollicitude, etc., devant l’humain et ses souffrances, ses difficultés, ses peines, ses peurs, ses espoirs, ses désespoirs qui trament son vécu au quotidien dans une expérience de soins (Gagnon, Saillant et autres, 2000 ; Paquet, 2003 ; Théolis, 2000). A.S. - On sent ces choses-là, et c’est ainsi que, quand il s’en crée, des indices de cette qualité d’être dans les liens de proximité sont très palpables. M.P. - Tout à fait, puisque d’un statut d’« étranger », des acteurs en soutien à domicile arrivent à passer à celui de « gentils faiseurs de bien », de « petits anges » avec qui les acteurs familiaux ont besoin de maintenir un lien significatif parce qu’ils sont devenus au fil du temps des « rayons de soleil » indispensables dans leur quotidien (Paquet, 1999, 2003 ; Sévigny, Saillant et Khandjian, 2002). Je vous rappelle que Saillant (1999) a même qualifié ces « aidants » de
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«fabricants d’humanité» et de «réparateurs d’existences ». Ce n’est pas peu dire. A.S. - Par les multiples gestes qu’ils accomplissent au quotidien, on comprend alors pourquoi des acteurs en soutien à domicile deviennent, avec le temps, des personnes indispensables aux familles en général ainsi qu’aux personnes aidées et aux personnes-soutien en particulier. M.P. - Ces gestes, ce sont des attentions fortement personnalisées (Meintel et autres, 2003) qui dépassent souvent les tâches prévues et qui s’effectuent par des « menus services », de petits « extras » qui ne « coûtent rien », mais qui font toute la différence sur la qualité de vie des personnes (Cognet, 2002a, 2002b). C’est bien ce que rappelle Villedieu (2002: 278) dans son dernier ouvrage: «Pour une personne âgée qui bénéficie de l’aide à domicile, toutes sortes de petits riens peuvent faire de grandes différences, à commencer par le fait que voir quelqu’un la désennuie. » Ces gestes d’attention s’inscrivent dans des pratiques de prévention (Guberman, 2002) que Villedieu considère comme une « urgence » pour véritablement réformer le système de santé. Il parle d’ailleurs du domicile « comme lieu privilégié de la prévention » (2002 : 276). De son côté, l’Association des CLSC et des CHSLD du Québec (2003 : 18) est pleinement consciente de l’importance de la prévention au domicile faite par le personnel non professionnel, car : Les services d’aide à la personne sont par ailleurs efficaces dans une optique de prévention et peuvent favoriser l’intervention précoce auprès des personnes ayant des incapacités et leurs proches. Nous devons reconnaître que l’aide à domicile est une activité de prévention au même titre que le sont les services offerts par les professionnels.
À ce titre, l’exemple des auxiliaires familiales que décrit Guberman (2002 : 164) est très éclairant. En fait, celles-ci sont : […] les intervenants qui passent le plus de temps auprès des personnes maintenues à domicile. Souvent, elles développent des
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rapports de confiance avec ces personnes. Elles sont donc en mesure de dépister des problèmes qui n’ont pas été vus lors de l’évaluation ou de détecter une détérioration de la situation dont le gestionnaire de cas, qui ne voit pas la personne de façon régulière, peut ne pas avoir conscience.
Ajoutons que le travail accompli par les professionnels qui offrent aussi de l’aide à domicile n’en reste pas moins, bien entendu, tout aussi essentiel. A.S. - J’ajouterais que depuis que j’ai pris connaissance de vos travaux sur la réticence des personnes-soutien vis-à-vis de l’utilisation des services, j’ai encore plus conscience de l’importance du rôle des acteurs en soutien à domicile sur notre décision de les utiliser avant d’arriver à l’épuisement. M.P. - C’est un fait, les acteurs en soutien à domicile sont pleinement au fait que les aidants familiaux sont le pivot du maintien à domicile. Dès lors, ils utilisent plusieurs stratégies de contournement de la réticence pour en arriver à tenter de prévenir leur épuisement physique et psychologique. Du coup, des conseils pratiques sont donnés, par exemple pour prendre soin de soi, ainsi que de l’information sur les services existants qui peuvent les aider en général ou les sortir de leur isolement en particulier (Guberman, 2002 ; Sévigny, Saillant et Khandjian, 2002 ; Théolis, 2000). Ce problème d’isolement, vous en savez quelque chose, a été identifié par plusieurs auteurs (Auclair et autres, 1999 ; Bouchard, Gilbert et Tremblay, 1999 ; Damasse, Gagnon et Larochelle, 2003 ; Jetté et Lévesque, 2003 ; Nahmiash et Lesemann, 1991 ; Orzeck, Guberman et Barylak, 2001 ; Paquet, 1999, 2003 ; Sévigny, Saillant et Khandjian, 2002). Selon Fraisse, Gardin et Laville (2001 : 197) quand on se résout à formuler une demande, plusieurs autres demandes débouchent à la suite de celle-ci. La raison en est que : […] beaucoup d’intervenants dans le maintien à domicile ont pu constater qu’il existe une demande compulsive de services jamais comblée ; plus on obtient de services, plus on en veut d’autres parce
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que, derrière une demande qui apparaît rationnelle, se cache un appel au secours pour rompre la solitude…
A.S. - Selon moi, en raison de la qualité des liens qu’elles établissent avec nous, les personnes qui font du soutien à domicile nou assurent d’une présence significative et réconfortante. M.P. - De plus, dans bien des cas, ces personnes demeurent le seul lien avec le monde extérieur (Jetté et Lévesque, 2003) ; ce qui limite les effets de ce que Gautrat (2001 : 187) nomme pertinemment un « préjudice de socialisation ». Pas étonnant alors le propos de l’Association des CLSC et des CHSLD du Québec (2003 : 31) quand ses répondants disent qu’« en raison du temps de présence auprès des personnes et des tâches qu’elles accomplissent, les auxiliaires familiales et sociales ont un rôle important à jouer, plus particulièrement chez les personnes seules ou les personnes à risque d’abus ou de négligence ». De son côté, Gautrat (2001 : 189), prenant l’exemple des aides ménagères en France, insiste à son tour pour dire que : Les aides ménagères, en plus des travaux ménagers, informent les personnes sur les rumeurs du quartier, les mettent au courant de leur propre vie familiale, les faisant entrer comme spectateurs dans l’intimité d’une famille… Elles discutent sur l’émission de télévision qu’elles ont vue la veille. Autant de temps, qui s’ajoute à leurs prestations, qui n’est pas rétribué et qui joue pourtant un rôle énorme dans la reconquête des liens sociaux pour les personnes âgées.
Ainsi, nombre d’acteurs en soutien à domicile participent au maintien, à la création ou à la « restauration » des liens sociofamiliaux (Broqua et Loux, 1999) qui, de façon transitoire ou permanente, font défaut parce que, comme je l’ai dit, la maladie fait peur et souvent éloigne, même les proches et l’entourage (Dandurand et Saillant, 2003 ; Dumont et autres, 2000 ; Orzeck, Guberman et Barylak, 2001; Paquet, 1999, 2003). En somme, pour bien des acteurs familiaux, ces personnes sont ni plus ni moins des « aides à vivre » (Bonneau et autres, 1997) par le « supplément d’âme» (Jetté et Lévesque, 2003) qu’elles insufflent dans leur quotidien.
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A.S. - Mario, maintenant que j’ai bien saisi ce que sont les liens de proximité, parlez-moi des effets de ces liens sur la santé et le bienêtre de la population. M.P. - Au fond, pour comprendre l’intérêt des liens de proximité en soutien à domicile, il faut, à l’instar de Saillant (1998) et de bien d’autres (Guberman, 2002 ; Paquet, 2003), partir du principe que « le travail de soin, qu’il soit formel ou informel, professionnel ou familial, implique une relation qui est une forme de lien social : dans le sens où s’occuper de l’autre malade est constitutif de l’humanité elle-même, de son avenir… » (Saillant, 1998 : 33). A.S. - En somme, ce que vous me dites c’est que le fait d’établir des liens chaleureux dans la relation de soins est particulièrement importants parce que le principe d’intérêt humain qui les sous-tend génère ce qu’on pourrait nommer une « plus-value ». M.P. - On a vu au chapitre premier que vos besoins pouvaient se décrire en termes de soutien social. Or, cette plus-value, la littérature en parle communément comme du soutien social. Selon Bozzini et Tessier (1985 : 908), le soutien social se définit comme un « répertoire de liens, autour d’un individu, susceptible de lui procurer diverses formes d’aide, c’est-à-dire une variété de ressources utilisables pour faire face aux difficultés de la vie ». Bien des acteurs en soutien à domicile m’ont confirmé qu’au regard de leur expérience « terrain », les liens de proximité procurent effectivement du soutien social et que ce soutien a des effets positifs sur la santé et le bien-être de la population (Paquet, Falardeau et Renaud, 2006). A.S. - Sur ce point, est-ce que la recherche est congruente avec leur point de vue ? M.P. - Oui, puisque depuis plus de trente ans, de nombreux travaux ont démontré les bénéfices sur la santé que génère le soutien social (Beauregard et Dumont, 1996 ; Blanchet, 2001 ; Bozzini et Tessier, 1985 ; Carpentier et White, 2001 ; Lévesque et Cossette, 1991 ; Tousignant, 1988). Selon Carpentier et White (2001 : 279) :
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Les recherches ont été nombreuses à établir un lien entre la qualité des relations sociales et le rétablissement clinique, la mortalité ou la morbidité. Le soutien social influerait ainsi sur la santé en tant que médiateur pouvant contrer les effets négatifs des stresseurs sociaux. […] L’effet potentiellement bénéfique du soutien social pour la santé est ainsi reconnu ou, tout au moins, considéré comme une hypothèse fortement plausible.
De son côté, Blanchet (2001 : 162) est clair sur la question : Le soutien social apparaît comme un facteur clé pour la santé et le bien-être. Une documentation scientifique abondante démontre en effet que le soutien puisé par l’individu dans ses réseaux contribue de façon importante à sa santé et à son bien-être. Le soutien social influence non seulement l’interprétation que fait un individu des difficultés qu’il éprouve, mais sa façon de réagir à ces difficultés. En outre, l’attention et le respect dont un individu est l’objet dans le cadre de ses relations sociales et le sentiment de satisfaction et de bien-être qu’il en retire semblent servir de zone tampon prévenant l’apparition de problèmes de santé.
L’apport en soutien social généré par les liens de proximité en soutien à domicile émerge d’ailleurs de plusieurs études, et ce, tant pour les acteurs en soutien à domicile provenant des CLSC (Cognet et Fortin, 2003 ; Nahmiash et Lesemann, 1991 ; Paquet, 1999) que pour ceux qui œuvrent dans les organismes communautaires (Paquet, 1999 ; Sévigny, 2002 ; Théolis, 2000) ou les entreprises d’économie sociale (Gagnon, Saillant et autres, 2000 ; Vaillancourt, Aubry et Jetté, 2003). En fait, aux dires de Gagnon, Saillant et autres (2000 : 63), les acteurs en soutien à domicile ne sont « ni plus ni moins que des “ passeurs ”, c’est-à-dire des personnes qui aident l’autre à vivre un passage de la vie, par des pratiques de soins qui sont des conduites médiatrices, si modeste puisse être leur contribution ».
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A.S. - L’autre jour, j’ai bien aimé le cas que vous m’avez décrit en exemple pour démontrer concrètement l’apport en soutien social des liens de proximité. M.P. - Ce cas de figure, je l’ai puisé dans l’étude de Théolis (2000 : 35) et il fait référence au service d’accompagnement et de transport offert par les organismes communautaires de la région de Lanaudière. […] le rôle du service d’accompagnement et du transport va au-delà du simple déplacement d’un point à l’autre des personnes qui en bénéficient. De multiples gestes sont posés. Aller chercher et raccompagner à domicile, aider, au besoin, pour s’habiller et sortir du logement, assister et offrir du soutien tout au long du rendez-vous, donner un coup de main pour remplir les formulaires, rappeler le prochain rendez-vous ou que des médicaments prescrits soient à aller chercher, faire mention des restrictions pour les examens médicaux du lendemain lors de la confirmation du service de transport, sécuriser en offrant une écoute attentive, et ce, tout en créant des liens, de sorte qu’un rôle de confident ou d’ami est souvent joué par ces accompagnateurs bénévoles. Ce lien de confiance qui tient à ces gestes apparaît très important, puisqu’il leur ouvre la voie à des retombées inestimables.
Ce que révèle ce cas est non seulement un apport significatif en soutien social, mais il démontre aussi que la confiance est la base du lien. C’est alors, aux dires de Théolis (2000), que les services semblent plutôt perçus comme un moyen qu’une fin en soi, puisque c’est la valeur du lien qui prend de l’importance dans la relation (Godbout, 2003). Autrement dit, c’est « le lien qui prime sur le service » (Joublin, 2005 : 154). Dans ce contexte (Gagnon, Saillant et autres, 2000 : 158) mentionnent que : [La] figure du professionnel s’oppose – ou est contrebalancée – par la figure de l’ami, qui amène à particulariser la relation jusqu’à un certain point, à y ajouter des dimensions qui dépassent la
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compétence technique. La figure de l’ami, c’est aussi une certaine identification entre l’intervenante et l’aidé – au contraire de la dissymétrie professionnel / client ; on se reconnaît comme semblables. La confiance, on l’a vu, passe parfois par la reconnaissance d’expériences ou de points communs. C’est aussi une demande de réciprocité et d’égalité.
A.S. - Et maintenant, dites-moi Mario quelle est la pertinence d’étudier les liens de proximité en soutien à domicile. M.P. - Comme il a été dit dans le chapitre précédent, les services à domicile constituent un enjeu majeur pour l’avenir du système de santé. À l’évidence, si les acteurs en soutien à domicile en sont d’emblée le moteur, sinon le « cœur », il apparaît alors surprenant d’apprendre que : « Le défi demeure presque entier avant de parvenir à apprécier la portée (des acteurs en soutien à domicile), c’est-à-dire de la nommer, de la comprendre, […] en somme, de l’estimer à sa juste valeur ? » (Théolis, 2000 : 58). D’abord, il faut mentionner que les liens, en l’occurrence les liens de proximité en soutien à domicile, n’ont pas encore fait l’objet d’une attention particulière dans l’évaluation des services à domicile, et ce, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, malgré l’importance reconnue dans la littérature de la dimension relationnelle dans le soutien. A.S. - Sur quoi portent alors les évaluations ? M.P. - En général, les évaluations s’intéressent à l’accessibilité, à la continuité et à la satisfaction des usagers vis-à-vis des services. A.S. - Loin de moi, l’idée de vouloir nier la pertinence de ces études, mais, si je comprends bien, elles se prononcent sur la qualité des services sans prendre en considération ces fameux liens de proximité. M.P. - À vrai dire, les évaluations occultent un des déterminants de la santé et du bien-être, à savoir l’environnement social dans lequel sont dispensés les services à domicile et les liens sociaux qui y sont constitutifs (Blanchet, 2001 ; Jetté, Mathieu et Dumais, 2003 ; MSSS, 1992, 2003). Il s’agit d’un paradoxe pour le moins étonnant
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dans la mesure où le gouvernement du Québec axe ses stratégies d’action pour améliorer la santé de la population sur les déterminants de la santé (MSSS, 1992 ; Santé et Services sociaux Québec, 2003). Or, la qualité des services n’est-elle pas aussi liée à la qualité des liens sociaux et de surcroît « à la construction de la relation entre le prestataire et l’usager parce que ces “ services clés ” pour la qualité de la vie entrent dans l’intimité des usagers et interfèrent avec leur vie personnelle et familiale » (Laville et Nyssens, 2001 : 15). A.S. - En fait, vous êtes en train de dire que dans l’évaluation de la qualité des services, on évacue un pan important de ce que réalisent quotidiennement les acteurs en soutien à domicile. M.P. - À mon avis, tout se passe comme si l’occultation du « biais relationnel » (Godbout, 2003) dans la relation de soutien conduisait ceux qui font les évaluations à passer à côté de l’essentiel des liens, c’est-à-dire des «actions d’humanisation» (Saillant, 2003) «branchées sur la vie » (Godbout, 2003) et qui font sens, comme on l’a vu, tant pour les acteurs en soutien à domicile que pour les acteurs familiaux en l’occurrence les aidantes. Finalement, tout se passe comme si, éthiquement, le système de santé pouvait taire la volonté des acteurs en soutien à domicile de « réinjecter de l’humanité dans le métier de prendre soin des autres » (Villedieu, 2002 : 285). Bref, « ce que chacun mobilise et donne de lui dans l’activité soignante avec, en retour, ce qu’implique cette activité, devrait être pris en compte et considéré comme une dimension essentielle du soin » (Keller et Pierret, 2000 : 7). A.S. - À vous entendre, j’en déduis que les liens de proximité si précieux pour établir et maintenir une relation de qualité constituent la face cachée de l’évaluation des services à domicile. M.P. - C’est effectivement le cas. En conséquence, l’essentiel des « bons coups » des acteurs en soutien à domicile demeure passablement méconnu. Par ailleurs, outre le fait que les évaluations de services n’intègrent pas les liens dans leurs objets, il y a aussi que les recherches spécifiquement centrées sur les liens en soutien à domicile ne sont pas légion. Les études de Gagnon, Saillant et autres (2000) et de Nahmiash et Lesemann (1991) font figure d’exceptions
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pour ce qui est du Québec. Pourtant, comme le disent Clément, Gagnon et Rolland (2005 : 150) : « La recherche a tout à gagner à s’intéresser au type de relations entretenues entre les acteurs. » C’est dans ce contexte qu’il apparaît important que les liens de proximité sortent de l’ombre afin de mieux apprécier l’apport global des acteurs en soutien à domicile sur la qualité des services et sur la santé et le bien-être de la population. A.S. - Vous m’avez parlé d’un projet de recherche qui a vu le jour dans la région de Lanaudière, plus précisément dans la MRC de Matawinie. Qu’en est-il exactement ? M.P. - Cette recherche était une première étape d’exploration des liens de proximité en soutien à domicile. En gros, elle avait pour objectif de mieux connaître ces liens et leurs effets sur la santé et le bien-être de la population (Paquet, Falardeau et Renaud, 2006), (voir l’Annexe 1 pour la synthèse des résultats). Une autre étude est en cours, cette fois sur l’ensemble du territoire de la région de Lanaudière, afin de valider les premiers résultats, de même que pour répondre aux nouvelles questions qu’ils soulèvent. Par exemple, dans le contexte de la reconfiguration du système de santé et de l’augmentation constante des besoins de la population en services à domicile, est-ce que les liens de proximité en soutien à domicile sont menacés ? Que peut-on faire pour mieux soutenir la création, le maintien et le développement des liens de proximité en soutien à domicile ? Quels sont les effets de liens de proximité non seulement sur les acteurs familiaux, mais aussi sur les acteurs en soutien à domicile? Une fois complété, ce travail apportera un éclairage inédit sur la dimension relationnelle des liens en soutien à domicile, et ce, dans un contexte d’intervention marqué par la particularité d’un territoire composé de petites communautés locales. A.S. - Par ailleurs, nous en avons discuté préalablement et je sais donc que l’intention de cette recherche est plus large que d’arriver à mieux connaître les liens de proximité et leurs effets sur la santé et le bien-être de la population.
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M.P. - Vous avez raison. Comme il s’agit d’une recherche-action, les connaissances générées par l’exploration des liens de proximité serviront de levier d’actions sociales et politiques pour faire connaître et reconnaître l’apport des acteurs en soutien à domicile. A.S. - Concrètement, qu’est-ce que cela signifie de reconnaître l’apport de ces anges qui nous viennent en aide et qu’est-ce que cela nous donnera en pratique ? M.P. - D’abord, même si, depuis le début des années 1990, les services à domicile au Québec et au Canada ont connu une forte expansion à un point tel que Carrière, Keefe et Livadiotakis (2002 : 50) parlent d’une « industrie du maintien à domicile », il s’agit selon Cognet (2003) d’un « secteur déqualifié ». Je cite un long passage de Lesemann (2001 : 4) qui constate un profond malaise social au regard du maintien à domicile. Un constat: le maintien à domicile est très souvent défini et vécu par la société comme une activité sans grand intérêt, sans grand défi, situé à l’extrémité de la chaîne de la prise en charge de la maladie. Il ne constitue en effet pas un « challenge » pour la médecine qui lui préfère la médecine de pointe à haute composante de technologie, pour les interventions d’urgence qu’on nous montre à la télévision ! Le maintien à domicile n’est pas au cœur du système, mais bien tout au bout du couloir et probablement dans une annexe de l’édifice hospitalier principal! Le vieillissement et le maintien à domicile sont encombrants, ils durent, ils encombrent, ils se planifient mal, ils sont chroniques… Le maintien à domicile est par définition « à domicile », donc privé, le plus souvent invisible, sinon impénétrable. […] Et pourtant… ce que je veux défendre ici, c’est que le maintien à domicile, malgré tout ce qui vient d’être rappelé, est bien au centre, au carrefour de toute une série de questions vitales pour notre société, considérée comme une société dont les principales institutions et les systèmes de valeurs sont en pleines transformations.
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Bref, si le maintien à domicile est un secteur déqualifié, on peut comprendre pourquoi il est encore peu connu et que le travail complexe des acteurs en soutien à domicile non professionnels, surtout, n’est pas reconnu socialement, politiquement et administrativement (Carrière, Keefe et Livadiotakis, 2002 ; Cognet, 2002a, 2002b ; Cresson, 2003 ; Gagnon, Saillant et autres, 2000) à sa « juste valeur » (Neysmith, 1996 ; Pérodeau et autres, 2002). Sur ce point, comme le signale la commission Clair (2000 : 114) : « […] il est frappant de constater que notre système de santé, dont la force repose essentiellement sur les compétences et le dévouement des personnes qui y travaillent, n’a jamais réussi à vraiment reconnaître l’importance stratégique de ses ressources humaines ». C’est bien l’avis de Croff (1998) et de plusieurs autres (Collière, 2001 ; Dussuet, 2002 ; Vega, 2001 : 177) : « Aujourd’hui, l’importance accordée au “ relationnel ” dans ces emplois n’a toujours pas conduit à l’identifier comme une compétence professionnelle à acquérir. Il reste un critère d’entrée le plus souvent explicité par le recruteur sous forme de critères moraux, de qualités naturelles. » Dans ces conditions, certaines catégories d’emplois comme les aides domestiques et les auxiliaires familiales et sociales ne sont pas suffisamment valorisées (Cognet et Fortin, 2003 ; Duval, 1996). Mais, pour en arriver à faire reconnaître les acteurs en soutien à domicile, il faut pouvoir compter sur un rationnel scientifique solide qui met en avant-plan le rôle déterminant que jouent les acteurs en soutien à domicile dans l’amélioration de la santé et du bien-être de la population. Il faut démontrer comment ces ressources sont véritablement au cœur du système de santé et inscrites pleinement dans l’orientation de la politique de soutien à domicile (MSSS, 2003), c’est-à-dire dans des activités de dépistage, de prévention et de promotion de la santé. A.S. - Selon moi, ces personnes sont si précieuses pour nous qu’il faut impérativement faire ressortir leurs bons coups qui, comme je l’ai souligné, demeurent la face cachée des services que nous arrivons à obtenir à domicile.
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M.P. - Les actions sociales et politiques pour faire connaître et reconnaître les acteurs en soutien à domicile prendront tout leur sens si elles arrivent à influencer positivement la population en général ainsi que les politiciens et les décideurs en particulier sur l’importance de s’interroger sur les conditions de travail des acteurs en soutien à domicile. Pourquoi ? Parce que : « On a jusqu’ici porté peu d’attention aux travailleurs […] du maintien à domicile… » (Carrière, Keefe et Livadiotakis, 2002 : 50). Ce que confirme Neysmith (1996 : 143) : « Bien qu’il soit reconnu que les soins à domicile comptent parmi les moyens les plus nécessaires pour répondre aux besoins des personnes âgées et de faible santé, les travailleuses qui en fournissent la plus grande part n’ont guère reçu d’attention… » (143). On comprend alors aussi pourquoi, il y a déjà presque quinze ans, Saillant, Hagan et Boucher-Dancause (1994 : 106) proposaient de « s’interroger sur le sort réservé à chacun des acteurs du maintien à domicile ». Si l’on prend acte du propos de ces auteurs, il y a urgence de s’enquérir de la réalité des acteurs en soutien à domicile, surtout depuis que le système de santé a introduit le virage ambulatoire, car aux dires de Côté et Pérodeau (2002 : 188) : « Les personnes soignantes, tant professionnelles que bénévoles, ont été les grandes oubliées du virage ambulatoire, et, paradoxalement, c’est à elles que l’on doit la qualité des services. » A.S. - Pourtant, on l’a bien vu précédemment, les acteurs en soutien à domicile sont des témoins engagés auprès des personnes. Ils partagent l’inquiétude, la douleur, la souffrance et la maladie des gens qu’ils côtoient au quotidien. Je crois que, face au drame de l’existence, les acteurs en soutien à domicile peuvent vivre beaucoup de deuils et de solitude. M.P. - Du coup, cette question de Broqua et Loux (1999 : 88) prend toute son importance: «Comment alors “soigner” les soignants pour qu’ils jouent mieux leur rôle d’accompagnement ? » Par cette question, on reconnaît que les acteurs en soutien à domicile font plus que dispenser un service.
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A.S. - Pour moi, ils vivent une expérience qui n’est pas neutre en ce sens qu’ils livrent une part d’eux-mêmes qui comporte une charge affective et émotionnelle dans la relation de soutien. En fait, non seulement il faut reconnaître que personne n’est indifférent devant les épreuves de la vie, mais aussi que l’énergie de l’empathie et de la compassion, bref le principe d’intérêt humain qui transcende la relation, doit être reconnue comme une condition de réussite de la pratique des acteurs en soutien à domicile. M.P. - Je partage votre point de vue, car l’idée derrière cette reconnaissance est que « pour prendre soin des autres » et assurer du soutien de qualité « il faut prendre soin de soi ou que l’organisation dans laquelle on travaille doit prendre soin de nous » (Bédard, 2002 : 166). Par conséquent, la position adoptée ici, comme celle des auteurs cités plus haut, va dans la même direction, à savoir qu’il faut aider les « aidants » en soutenant ce qu’ils font et en valorisant ce qu’ils sont. En ce sens, la commission Clair (2000 : 112) offre un appui de taille à cette position lorsqu’elle constate que : Les grandes organisations qui connaissent le succès ont une marque de commerce commune : l’importance qu’elles accordent aux personnes qui sont à leur service. Aucune entreprise ne peut accéder à la réussite uniquement avec son capital et sa technologie. […] Dans cette grande organisation de services destinée à prévenir, guérir et soigner, la première richesse, ce sont ceux qui font que les valeurs de solidarité et d’équité prennent forme au quotidien, qu’elles deviennent réalité. Une réalité qui s’exprime dans le service, dans la compassion et qui repose sur la compétence, l’intelligence et la générosité. […] Chaque intervenant, où qu’il soit et quelle que soit sa fonction, doit pouvoir contribuer à la mission du réseau, savoir que son travail est important et nécessaire.
Ainsi, une question se pose : comment peut-on augmenter la satisfaction au travail, la rétention et le recrutement des ressources tout en prévenant à moyen et à long terme leur épuisement ? Cette question est d’autant plus importante que, par exemple, la région de
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Lanaudière comme bien d’autres régions du Québec fait déjà face à une pénurie de ressources sur son territoire. En ce sens, il faut prendre au pied de la lettre l’idée avancée par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS, 2001 : 35) qui mentionne que : La qualité de pratiques passe avant tout par la préoccupation constante de la qualité de vie dans un contexte particulier de fragilité et de perte d’autonomie. Dans ce secteur d’intervention, l’initiative des intervenants et des gestionnaires est centrale. C’est à eux qu’appartient la responsabilité première de mettre en œuvre les moyens qui vont assurer la qualité des services, peu importe le milieu de vie des personnes.
A.S. - En plus de toutes ces raisons qui justifient d’étudier les liens de proximité, je ne peux m’empêcher de soulever une autre question : ne croyez-vous pas qu’une plus grande connaissance de ces liens en soutien à domicile pourrait être un atout majeur pour mieux intervenir au domicile des gens ? M.P. - Je crois que oui. Depuis la mise en œuvre du virage ambulatoire, le domicile est désormais consacré « comme lieu d’intervention sociosanitaire » (Di Domenico, 1996). Comme le signale le MSSS (2001: 28): «Le domicile doit être le lieu privilégié de la prestation des services ». Or, l’intervention au domicile pose des exigences différentes de l’intervention dans des établissements publics de santé parce qu’elle s’effectue dans la sphère du privé et de l’intimité des gens. Donc, il est juste de dire que : « La maison n’est pas l’hôpital » (Thivierge et Tremblay, 2003 : 129). En fait, a priori, le domicile est un « espace de résistance » pour ne pas dire comme Lesemann (2001) quasiment « impénétrable » pour toute personne qui est extérieure à la famille (Paquet, 1999). Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec reconnaît d’ailleurs dans sa nouvelle politique de soutien à domicile que l’intervention à domicile comporte des barrières sociales et culturelles. À cet effet, la politique stipule que : « le domicile ne peut être considéré comme un simple “ site ” de soins » (MSSS, 2003 : 7). Dès lors, la manière dont émergent et se maintiennent des liens de proximité peut offrir aux acteurs en
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soutien à domicile, de même qu’aux nouveaux intervenants qui n’ont pour les familles qu’un statut d’« étranger », un cadre de référence leur permettant non seulement de s’interroger sur leurs pratiques d’intervention, mais aussi de mieux saisir la complexité des pratiques familiales de soins à domicile.
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Prendre soin: «Si ce n’était que de ça…» Le récit de «héros involontaires»
Il y en a qui partent en mission dans les pays lointains ou qui font des reportages sur les lieux de guerres ou de conflits. Moi, je suis journaliste des menus faits quotidiens. J’enquête sur le courage de vivre et j’interroge les forces de la vie. Je m’intéresse à ces héros que l’on côtoie chaque jour et qui ne feront jamais la une des journaux ni les pages de l’Histoire. Pourtant oui, l’Histoire, ils la façonnent aussi, puisqu’ils contribuent à façonner notre existence quotidienne du seul fait qu’ils existent et qu’ils nous regardent vivre… - Marité Villeneuve, auteure et aidante « surnaturelle » pour sa mère Il ne faut pas croire que la question de la complexité se pose seulement aujourd’hui à partir de nouveaux développements scientifiques. Il faut voir la complexité là où elle semble en général absente comme, par exemple, la vie quotidienne. - Edgar Morin
Autonome S’démène - Pour continuer nos entretiens, je me permets, dans ce dernier chapitre, de faire brièvement une incursion dans les récits d’expériences de soins que nous avons présentés et analysés dans Vivre une expérience de soins à domicile. Il s’agit du récit de Mme Bernier et de M. St-Arneault. Je me souviens alors d’avoir insisté pour que nous fassions découvrir au lecteur la réalité de ces autres Autonome S’démène que j’avais moi-même découverte dans votre livre Les professionnels et les familles dans le soutien aux personnes âgées dépendantes. Ces récits m’avaient profondément touchés par la richesse qui émanait du parcours de soins de ces personnes dont l’amour, le courage et la détermination transcendaient leur expérience. En toute sincérité, je peux vous affirmer que,
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lorsqu’on prend connaissance de la réalité des soins d’autres personnes, cela ne change rien à la nôtre, mais, en contrepartie, on se sent beaucoup moins seule dans ce que l’on vit. Mario, soit dit en passant, il semble que je ne suis pas la seule qui a été touchée par la profondeur de ces témoignages dont l’histoire côtoie l’exceptionnel. En effet, vous vous rappelez sans doute qu’avant la présentation de ces récits, j’avais fait mention d’une étudiante qui était venue me rencontrer dans le cadre d’un travail de session universitaire. Marie-Hélène voulait s’enquérir de ma propre expérience de soins. Une fois l’entretien terminé, je lui ai suggéré de compléter son étude par la lecture du récit de Mme Bernier et de M. St-Arneault. Dernièrement, j’ai eu l’agréable surprise d’avoir de ses nouvelles. En effet, elle m’a téléphoné pour me dire qu’elle avait terminé son baccalauréat et qu’elle avait le projet de poursuivre ses études à la maîtrise. Elle m’a d’ailleurs confié qu’elle aimerait bien travailler un jour dans le secteur de la santé et des services sociaux. Son intention est somme toute louable dans la mesure où elle veut contribuer, à sa façon, à relever le défi du vieillissement de la population québécoise. Toujours est-il qu’elle désire acquérir des compétences en intervention auprès des familles qui prennent soin d’un proche à domicile. À vrai dire, elle m’a avoué comment le récit de Mme Bernier et de M. St-Arneault, sans oublier le mien, avaient contribué à lui faire mieux comprendre non seulement la signification du fait de prendre de soin, mais aussi comment on se débrouille au quotidien pour accompagner un proche malade. Sa propre analyse de ces récits l’amène d’ailleurs à penser désormais que prendre soin d’un proche est beaucoup plus complexe que l’idée qu’elle s’en faisait au point de départ de son entrée en matière. De ce fait, pour accompagner les familles, elle semble avoir compris qu’il faut bien sûr prendre en considération la charge énorme et complexe des tâches de soins, mais aussi ce que vous nommez l’organisation familiale de soins, pour le moins aussi complexes que les tâches, de là son intérêt à poursuivre ses études (voir l’Annexe 2 sur la complexité des pratiques familiales de soins).
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Mario Paquet - Je suis ravi d’apprendre que cette étudiante ait trouvé dans votre récit et dans celui de Mme Bernier et de M. St-Arneault une source de motivation à poursuivre un programme d’études à la maîtrise. Mon enchantement est d’autant plus grand qu’elle a saisi le potentiel d’apport à la connaissance qu’offre le récit. Laissez-moi vous dire que pour quelqu’un qui débute dans le vaste univers des soins familiaux, ce n’est pas rien que de partir sur cette base. Je m’explique. Durant les deux dernières décennies, au Québec et au Canada, comme aux États-Unis et en Europe, un nombre impressionnant de travaux ont été réalisés dans le but de mieux connaître la réalité des soins auprès d’un proche qui a des incapacités (Garant et Bolduc, 1990 ; Guberman, 1999 ; Lacroix, 2001 ; Moisan, 1999). Vous vous en doutez, à travers ces recherches, de nombreuses questions ont été soulevées comme autant de préoccupations liées aux enjeux sociopolitiques qui ressortent de la problématique de la gestion sociale des incapacités. Or, malgré l’impressionnante production scientifique, la réalité d’une expérience de soins, dans sa globalité, demeure incomprise (Lauzon et autres, 1998). En général, les travaux de recherche ont tendance à se focaliser de façon plus marquée sur la mesure (fardeau, stress, etc.) d’une expérience de soins que sur sa compréhension (Paquet, 2003). La raison en est que la très grande majorité des recherches s’inscrivent dans un paradigme, celui du « stress et des stratégies adaptatives » (Lavoie, 2000). Pour remédier au fait que le savoir disponible se limite a une connaissance partielle de la réalité des familles, des chercheurs suggèrent d’explorer la dimension « expérientielle du soin » (Lauzon et autres, 1998). En somme, Marie-Hélène, en plongeant justement dans quelques récits, a tôt fait de découvrir la dimension expérientielle du soin, car « le récit est une expérience qui consiste […] à transmettre de l’expérience…» (Le Quéau, 2005 : 130). Sur ce point, cette citation d’Oscar Lewis (1978 : 15) est éloquente. Ces histoires révèlent […] une intensité d’émotion et de chaleur humaine, un sentiment profond de la valeur de l’individu, une capacité de joie, l’espoir d’une vie meilleure, un désir de compréhension et d’amour, une disposition à partager le peu que l’on possède, et le
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courage de continuer à vivre malgré les nombreux problèmes restés sans solution.
De ce fait, si Marie-Hélène pousse son intérêt pour le récit jusqu’à l’utiliser comme méthode pour la collecte de ses données, elle en découvrira les avantages tels qu’ils ont été décrits par Mayer et Deslauriers (2000 : 180-181) : Le récit de vie comporte plusieurs avantages : il donne une richesse de détails qu’on ne connaîtrait pas autrement en livrant des épisodes cruciaux de la vie individuelle et collective. Il nous permet également de découvrir la praxis du sujet et nous montre comment une personne a agi dans telle situation, les leçons qu’elle a tirées de ses expériences, ses projets personnels et collectifs. Bref, il permet de connaître un sujet réel en mouvement.
Par ailleurs, ce propos convaincant du philosophe Tzvetan Todorov (2002 : 192) sur la valeur du récit trouvera probablement un écho explicatif auprès de Marie-Hélène dans l’émergence de son intérêt pour le récit. […] le récit, à la différence de l’analyse abstraite, est accessible à un public de non-spécialistes ; de plus, il propose plutôt qu’il n’impose, il laisse une plus grande liberté au lecteur. L’histoire racontée reste dans l’esprit du lecteur qui peut ensuite y revenir à sa manière ; elle ne s’adresse pas seulement à sa conscience vive, mais agit aussi par l’intermédiaire de sa mémoire. Le seul moyen, peut-être, de nous faire vivre une expérience qui n’a pas été la nôtre, c’est le récit : telle est sa grande puissance. On peut se projeter dans les personnages, réels ou imaginaires, et en sortir transfiguré.
De ce qui précède, que me reste-t-il à dire des avantages du récit sinon qu’il donne accès à un « gisement d’informations » et permet la compréhension «en profondeur » d’un objet d’étude (Bertaux, 2001), mais que son utilisation est plutôt rare dans l’étude des soins familiaux. J’ajouterais, pour reprendre le terme de Le Gall (1985), que le
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récit, tout en ne faisant pas de « césure » entre le passé et le vécu, par exemple, d’une expérience de soins, a l’avantage de permettre « un suivi en temps réel » (Le Gall, 1985 : 56). La réalité décrite est donc saisie non seulement dans l’enracinement du présent, mais de manière évolutive pour en capter la dynamique éminemment complexe. A.S. - Dans un texte paru récemment, (Paquet et autres, 2006)1 vous avez décrit un autre récit, cette fois celui d’un couple dont le conjoint est atteint d’une maladie progressive depuis plus de quinze ans. Après plusieurs lectures, je me suis dit que l’intérêt du récit de Pierre et de Marielle2 est qu’en plus de décrire leur vécu il fait aussi émerger la complexité d’une expérience de soins. Comme je l’ai fait dans l’ouvrage précédent, j’insiste de nouveau pour que dans le présent livre vous laissiez une place à ce récit qui, selon moi, apporte un éclairage essentiel à la compréhension de cette expérience. Ce récit fait réaliser une chose importante que nous vivons, nous les proches aidantes, à savoir que le défi au quotidien d’une expérience de soins ne se résume pas uniquement à faire face à l’épreuve de la maladie et à ses conséquences même si on en a déjà « plein les bras ». En effet, malgré la maladie, la vie, elle, continue… quand même! Au sortir de ce récit, le lecteur sera à même de constater l’impossibilité d’occulter ce fait de l’existence. De plus, il comprendra alors pourquoi Marielle perçoit la maladie de son conjoint en ces termes: «Si ce n’était que de ça… » Combien de fois n’ai-je pas dit la même chose que Marielle ! M.P. - Avant de partir à la découverte du récit de ce couple, j’aimerais signaler qu’outre que la méthode du récit est plutôt rare dans l’étude des soins familiaux, celui-ci est construit à partir non pas uniquement du point de vue de l’aidant, mais aussi de l’aidé, donc du couple justement. Comme le disent Saillant et Dandurand (2002 : 41) :
1. Ce chapitre est tiré de cette publication. Sur la méthodologie, je renvoie le lecteur à l’article suivant : Paquet et autres, 2006a. 2. Tous les noms utilisés dans ce chapitre sont fictifs.
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On ne sait que peu du moment du recevoir et du point de vue de l’aidé. C’est sans doute là le défaut de nombreuses recherches, de mettre l’accent sur l’aidante, laissant l’aidé toujours à l’ombre, rejeté dans la catégorie informe et fourre-tout, passive, de «personne en perte d’autonomie », catégorie qui s’est substituée à tant d’autres qui l’ont précédée : malade, bénéficiaire, client, prisées selon les modes du moment.
Que révèle le récit de ce couple? Que nous apprend-il de la réalité d’une expérience de soins ? En quoi permet-il une meilleure compréhension de cette réalité? Partons immédiatement à la découverte de l’histoire de Pierre et de Marielle et de ce qu’elle livre comme richesse d’expérience et d’enseignement pour la recherche et l’intervention. Mais avant d’aller au cœur de leur récit, jetons un coup d’œil sur le portrait de ces deux personnes.
Portrait de Pierre et de Marielle À l’été 2001, lors de la première série d’entrevues, Pierre et Marielle Hébert sont âgés respectivement de 54 et 51 ans. Ils se sont connus très jeunes et sont mariés depuis plus de trente ans. Au premier regard, le couple paraît uni et solide. Chacun des partenaires a du caractère et leurs personnalités se complètent bien. Quoique de tempéraments plutôt tolérants, avec le temps, ils ont appris à se dire les vraies choses. La façon dont ils se parlent est franche et crue, pour ne pas dire parfois rude, mais elle est teintée d’un respect mutuel que l’on ressent à leur contact. Ils échangent des indices de complicité que leurs regards et leur humour ne font que confirmer. Ils ont manifestement du plaisir à être ensemble. Ils sont attachés l’un à l’autre et leur vie amoureuse paraît plutôt satisfaisante. Pierre et Marielle, sans trop vouloir forcer la note, sont à eux deux un « Petit traité des grandes vertus » (Comte-Sponville, 1995). Ils ont le sens du « devoir » et, comme on le verra, le « souci de l’autre ». Ce sont des personnes fières, indépendantes, responsables et autonomes. Malgré que le destin les ait frappés durement, ils ne
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se plaignent jamais de leur sort. L’épreuve de la maladie n’a pas fait d’eux des victimes de la vie que l’adversité aurait réussi à vaincre. Ils sont de nature simple, avenants, chaleureux et très accueillants. Déjà à la deuxième rencontre, les chercheurs avaient presque le sentiment de faire partie de la famille. Ainsi, à l’instar de Kaufmann (1989 : 7), ils pourraient affirmer : « Je suis toujours étonné que l’on m’accepte ainsi, sans davantage d’explication, qu’on se livre à moi, un inconnu, dans les détails les plus personnels. » Quoique discrets et réservés, ils aiment la vie et ne perdent pas une occasion de s’amuser lorsqu’elle se présente. Bien que leur vie paraisse parfois assez désolante, ils font contre mauvaise fortune bon cœur. Bref, ce sont de bons vivants. Pourtant, Pierre et Marielle ne croient pas avoir une existence exceptionnelle. Dans la vie, ils tentent de faire de leur mieux, c’est tout. Ce sont des gens qui demandent peu et qui aiment se débrouiller seuls. Signalons, que c’est avec beaucoup de générosité et de don de soi, qu’ils acceptent de se livrer, même si on note, presque imperceptiblement, leur réserve à aborder certains thèmes par moments, promettant d’y revenir quand ils seront « là-dedans »… Trois enfants sont nés de leur union : Éric, 30 ans, Josée, 26 ans et Simon, 24 ans. Les deux plus vieux vivent en couple. Ils ont quatre enfants et les grands-parents parlent avec joie et fierté de ces « p’tits bouts » qui grandissent et qui les obligent à regarder « en avant ». Les petits-enfants sont d’ailleurs un sujet de discussion courant. Ils font réellement partie intégrante de la vie du couple. Tous les enfants habitent relativement près de leurs parents, soit dans des municipalités voisines ou facilement accessibles. La vie de famille est importante pour le couple. Dans le quotidien, elle prend une grande place et nous paraît riche. Les contacts avec les enfants, les petitsenfants et la parenté ainsi que l’entraide mutuelle sont fréquents. Ce profil serait incomplet si on omettait de mentionner que le couple est peu scolarisé et vit plus que modestement. En vérité, une des conséquences directes de la maladie est que le niveau de vie des Hébert a irrémédiablement basculé dans la précarité. Avant l’apparition de la maladie de Pierre, le couple, sans être riche, vivait tout de
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même convenablement. Par la suite, le destin a implacablement imposé une réalité permanente qu’on n’hésiterait pas à décrire comme étant nettement « sous le seuil de la pauvreté ». Le couple vit donc essentiellement de prestations de l’aide sociale, puisque ni l’un ni l’autre ne peut travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Si le fait d’être «assistés» leur confère, sociologiquement, un statut de « pauvres » au sens de Simmel (1998), Pierre et Marielle ne sont pas pour autant « démunis » sur le plan personnel et social, et encore moins, pourrait-on les qualifier de « misérables ». Même, si la situation économique du couple s’est considérablement fragilisée, culturellement le couple n’a pas intériorisé une identité de « culture du pauvre » telle qu’elle est décrite dans la littérature (Hoggart, 1970 ; Lewis, 1978). Ni Pierre ni Marielle ne reflètent une dualité de « classe » dans leur représentation identitaire. En ce sens, Lesemann (1994 : 603) dit juste, pour Pierre et Marielle, lorsqu’il mentionne que: «[…] les “pauvres” font certes face à une série de difficultés, sources de souffrances pour eux et de préoccupations pour la collectivité, mais ils ne sont pas pour autant différents du commun des mortels ! »
L’épreuve de la maladie La maladie et ses conséquences Avant même l’annonce officielle de la maladie en 1989, Pierre, qui n’a que 42 ans, sent qu’il n’a plus les mêmes capacités et que « quelque chose » ne va plus. Il subit alors une hospitalisation. Le diagnostic du médecin révèle qu’il est atteint de dystrophie musculaire. Il s’agit d’une myopathie progressive ayant pour conséquence une dégénérescence des muscles volontaires qui contrôlent les mouvements du corps. Graduellement, la personne perd ses capacités physiques au point de ne plus être en mesure de marcher ni d’avoir la force nécessaire pour soulever aisément des objets. Face à cette maladie, Pierre ne peut espérer d’amélioration dans le futur, bien au contraire. Comme il l’a dit : « Il y avait rien à faire. »
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Pierre n’a jamais véritablement accepté sa maladie. Il est facile de comprendre que le plus difficile à vivre dans ce cas c’est la dépendance liée à la perte d’autonomie : « Premièrement, quand tu te ramasses comme ça, tu ne t’en attends pas, et quand ça arrive, ta vie “ revire ” complètement de bord. C’est vraiment le ciel qui te tombe sur la tête. Là, tu tombes complètement dépendant des autres… Tu arrêtes tout d’un coup là. C’est dur à prendre pour un homme » qui avait l’habitude de faire deux « jobs » à la fois. À cet égard, il a fallu une bonne période de temps à Pierre pour se considérer comme une personne « malade » ou un futur handicapé. Il se définissait plutôt à partir d’un statut d’invalide en incapacité de travailler. Or, ce n’est pas une banale affaire pour lui de se retrouver sans emploi, car le travail et la capacité de bien faire vivre sa famille font partie de ses valeurs fondamentales. On s’en doute, graduellement son identité masculine est mise à l’épreuve et c’est d’autant plus difficile pour l’image qu’il a de lui-même, car les enfants, même s’ils sont encore jeunes, « savent que le bonhomme ne travaille pas dans la maison ». De plus, c’est humiliant pour lui de constater que c’est désormais à sa conjointe que reviendront les tâches qui lui incombaient jadis, d’autant plus qu’il était habitué de gagner sa « croûte » et d’exécuter « l’ouvrage » de la maison lui-même. Dorénavant, c’est sa femme qui prend le relais alors qu’il a les pieds et les mains liés, prisonnier dans sa maison. Comment Marielle a-t-elle réagi à l’annonce de la maladie de son époux ? Le terme « difficile » est un euphémisme pour qualifier le choc de cette annonce. Il fallait qu’elle aussi s’inscrive dans un processus d’acceptation de la maladie. Un processus qui a nécessité plusieurs années et qui, comme pour Pierre, n’a jamais été total. Il faut dire qu’au moment de l’annonce de la maladie, Marielle était à l’aube de la quarantaine. La vie, pour elle, se réorganisait peu à peu à l’extérieur du foyer, étant donné que les enfants devenaient plus autonomes. D’ailleurs, l’aîné n’habitait plus au foyer tandis que les deux plus jeunes avaient 12 et 14 ans. Elle voyait dans ce contexte une ouverture au marché du travail. De fait, elle a occupé un emploi lui permettant de concilier travail et responsabilités familiales. Une nouvelle vie s’annonçait donc enfin où elle pourrait sortir davantage
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de la maison tout en apportant un revenu supplémentaire à la famille. Marielle était ainsi bien heureuse de travailler. Comme elle l’a dit : « J’ai trouvé ça dur d’arrêter de travailler, je m’étais fait une routine. » Cependant, quoique la vie soit maintenant différente et que les rêves soient désormais éloignés de la carte des projets de Marielle, elle ajoute, avec un sincère sourire en coin, et en guise de mesure compensatoire : « On s’occupe de nos petits-enfants. » De quelle manière Marielle en est-elle venue à prendre la décision de quitter le marché du travail ? À vrai dire, cette question, qui a été posée au couple, est apparue un peu surprenante autant pour lui que pour elle, car ils n’ont pas eu l’impression qu’un réel processus de prise de décision avait été mis en branle. Pour eux, il était normal que cela se produise ; voilà tout. Si l’annonce de la maladie s’avère difficile pour le couple, il va sans dire que les effets sur la famille ne s’annoncent pas de tout repos puisque la maladie «s’ajoute» à tout le reste. Survient alors une période de crise familiale. D’abord, Pierre a de sérieuses difficultés à faire face à sa nouvelle et brutale réalité. Il a tendance à s’isoler. Il ne parvient pas à collaborer au bon fonctionnement de la maisonnée. Le climat familial devient de plus en plus insoutenable, voire à la limite du tolérable. Les deux plus jeunes connaissent un début d’adolescence assez éprouvant. Josée éprouve des difficultés scolaires alors que Simon démontre des problèmes de comportement. Il a d’ailleurs fallu une intervention professionnelle afin d’éviter qu’il ne soit placé. Marielle est dépassée par la charge parentale qui lui incombe. Elle ne peut plus supporter, sur ses épaules, le poids de la désorganisation de la famille qu’elle a néanmoins maintenu pendant la période de « choc ». Elle explose et lance un ultimatum à son mari qui viendra graduellement mettre un terme à son repli. Son message est clair : si Pierre veut garder sa famille intacte, il doit changer d’attitude ; c’est-à-dire faire le choix de continuer, en acceptant sa maladie, et se faire aider. Au début de sa maladie, il ne la prenait pas. Il ne voulait pas parler, il ne voulait rien savoir. On avait beau essayer de l’aider, il ne voulait pas. Puis, à un moment donné, moi, je n’étais plus capable. Ça fait
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qu’un soir, j’arrive à la maison ; il était encore bien débiné, là j’ai dit : « Qu’est-ce que tu veux, là ? » J’ai dit : « Veux-tu un contrat de divorce ? » J’ai dit : « Moi, je m’en vais puis je te laisse les enfants, je ne suis plus capable. Je vis la même chose que toi, puis tu veux pas le comprendre.» Il a dit: «Es-tu sérieuse?» J’ai dit: «Moi, j’en ai jusquelà, là… »
Au bout de toutes ces années, alors que l’état de santé de Pierre lui laisse encore de l’autonomie, on sent que la famille a réussi à passer à travers « quelque chose». C’est d’ailleurs à travers la reconnaissance de cette réalité, à savoir que Pierre n’était pas le seul à être touché par sa maladie, que la famille a pu se mobiliser pour avancer dans l’adversité. Pour évoluer dans l’épreuve de la maladie, l’amour ne suffit pas. Chacun doit faire des compromis dont le résultat passe par le processus d’une profonde crise d’adaptation ; c’est une traversée qui ne peut se faire en solitaire. Quant à Pierre, il est conscient qu’il aurait pu perdre sa famille, en plus de son autonomie. Il est comme une personne qui a failli faire naufrage lorsqu’il affirme : « Ça aurait pu briser ma famille. Ah oui, tu penses à ça, mais quand ça t’arrive, tu ne penses pas de même, tu ne veux rien savoir. Puis tu te dis: “Pourquoi? Comment ça se fait, qu’eux autres, ils font ça, puis que moi je ne peux pas le faire. Pourquoi ? ” » Dès lors, comme on l’a vu, il n’avait pas le choix de délaisser peu à peu le sentiment d’injustice qui le paralysait et d’apprendre à vivre et à faire face à la situation. C’est une véritable crise de « sens » qu’il a dû affronter pour sortir de son marasme existentiel et prendre une autre direction. La gestion des incapacités de Pierre En 1997, le couple décide de vendre sa maison pour aller vivre en logement. Il est difficile de déterminer si, à leurs yeux, ce déménagement est dû ou non à la perte des capacités de Pierre. Soit dit en passant, il n’est pas simple de tracer un profil exact de l’évolution de ses incapacités, mis à part le fait que ce dernier utilise souvent l’expression « crochir » comme image de la dégradation de son état physique. Au fil du temps, il ressort que les capacités de Pierre
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diminuent, mais cela apparaît surtout en toile de fond, rarement à l’avant-plan, sauf lors du choc initial. Le couple parle donc peu des changements physiques qu’entraîne la maladie, de la nature de ces changements ou de la façon dont ils sont vécus. Quoi qu’il en soit, même si ce déménagement s’avérait nécessaire en raison de la détérioration graduelle des capacités de Pierre, il faut dire que le couple n’a pas le réflexe d’imputer directement sa décision à son état de santé. Bien entendu, il est possible de retracer des liens indirects, comme la perte de revenus. Seulement, le couple n’a pas spontanément tendance à faire une attribution aussi claire à l’égard de la maladie. Différents motifs semblent jouer en faveur de leur décision : le départ des enfants, l’entretien de la maison devenu trop exigeant de même que les coûts afférents, etc. En plus, sur le plan affectif, cette maison (comme on le verra) ne cesse d’être associée à la mort tragique du petit-fils. Par contre, à partir de leur nouveau lieu de résidence, des repères plus précis sur les incapacités de Pierre se révèlent. En fait, c’est également en 1997 que l’introduction graduelle d’appareils et d’équipements viendra compenser la perte d’autonomie de Pierre. Celuici commencera à utiliser un fauteuil roulant. Puis, peu à peu, le fauteuil roulant deviendra le mode de transport nécessaire pour tous ses déplacements. En 1998, il obtiendra un fauteuil motorisé qui lui « redonnera » une certaine autonomie. Ce nouveau fauteuil est précieux à ses yeux parce qu’il lui permet la «mobilité». Il peut se déplacer, sortir, se promener et prendre l’air. Il éprouve ainsi un sentiment de contrôle et de liberté qui lui permet de maintenir des contacts sociaux essentiels à l’équilibre de son identité. Pierre est porteur d’une grande fierté en raison de sa capacité de se déplacer encore assez librement où il veut. À preuve, il raconte ses périples que même sa conjointe n’arriverait pas à exécuter si elle l’accompagnait en marchant. De plus, il décrit la joie de ses petits-enfants quand il les promène sur son fauteuil roulant, ce qui symboliquement n’a rien de banal pour un ancien camionneur. Il se réjouit d’être connu et reconnu quand il part magasiner ou quand il se rend au centre d’hébergement pour jaser avec son beau-père. Outre le fauteuil motorisé, Pierre bénéficie, pour ses déplacements, d’un
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véhicule qu’il a reçu en héritage de son père avant son décès et qui a été adapté par une équipe de réadaptation. Bien entendu, ce véhicule revêt une valeur matérielle et sentimentale inestimable, en plus de permettre à Marielle de se sentir en sécurité lorsqu’elle l’accompagne sur la route. Cependant, Pierre demeure tout de même dépendant de sa femme pour tous ses déplacements. L’acquisition du fauteuil motorisé a été suivie de l’achat d’un téléphone cellulaire pour dépanner Pierre en cas de besoin. À la suite d’un incident survenu lors d’une promenade où il a dû attendre de l’aide pendant longtemps après le renversement de son fauteuil, Marielle a fortement insisté pour que son époux accepte de porter ce téléphone. Quant aux autres appareils jugés indispensables aux conditions de santé de Pierre, ils ont fait mention d’un siège surélevé de toilette, mais l’essai ne fut pas concluant. Comme l’a mentionné Pierre : « Moi, je suis dépendant de ma femme. Si j’ai affaire à la salle de bain, il faut qu’elle m’aide. Quand je suis capable, je m’arrange, ce n’est pas long. Pour certaines affaires, je ne suis pas capable, il faut qu’elle soit là pour m’aider. Mais il ne faut pas qu’elle force parce qu’à un moment donné, elle va se maganer le dos. » Pierre se montre donc préoccupé par la force que cela demande à sa conjointe pour l’aider. Mais il y a plus, il est principalement soucieux de la possibilité que les soins deviennent de plus en plus exigeants. Selon lui, pour le moment « ce n’est pas pire, elle est capable encore, mais que penses-tu qu’il va arriver la journée qu’elle ne sera plus capable? Je vais me ramasser les deux pieds ailleurs qu’ici parce qu’elle ne pourra plus prendre soin de moi. »
Faire face à l’épreuve La carrière de soins de Marielle Marielle est une femme combative hors du commun. Dans l’adversité, elle n’est pas du genre à s’enliser dans l’impuissance. Elle est une personne déterminée et « entêtée », comme s’amuse à la décrire son mari, non sans une dose d’humour. Dès qu’elle parle un peu de l’histoire de sa vie, on constate rapidement que Marielle n’en est pas à sa première occasion de se relever les manches. Aînée d’une
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famille de huit enfants, elle a hérité, très jeune, d’une charge familiale ; sa mère comptant beaucoup sur elle auprès des plus jeunes. Comme elle le dit : « Je me suis toujours débrouillée dans la vie. J’ai élevé mes frères puis mes sœurs. » Elle sait donc ce que signifie prendre soin. Pierre reconnaît d’ailleurs que son épouse est habituée à s’occuper des autres et à donner des soins. Pour lui, c’est une femme débrouillarde et autonome qui n’a surtout pas peur de travailler dur. Par contre, comme beaucoup de femmes dans sa situation, Marielle est à peine consciente qu’elle mène une carrière de soins. Encore aujourd’hui, elle prend soin activement de son père qui vient d’être hébergé dans un centre tout près de sa demeure. Quand elle fait la somme du soutien qu’elle apporte à ses proches, elle admet en riant que « c’est une vraie occupation à temps plein ». Marielle mène donc une carrière de soins non seulement auprès de Pierre, mais aussi auprès de son entourage. En ce qui concerne les responsabilités que doit assumer Marielle, à la suite de la maladie de son mari, le processus de transition la confirmant dans un rôle de personne-soutien s’est manifesté très progressivement. Elle ne commencera à véritablement prendre conscience de son rôle et à n’en mesurer le poids que lorsque ses limites physiques le lui indiqueront clairement. Par exemple, un an après son déménagement, elle éprouvera des problèmes de santé et devra subir une importante opération chirurgicale. La relève devra être assurée lors de son séjour à l’hôpital et durant sa convalescence. C’est à ce moment que le couple sera confronté pour la première fois aussi manifestement à la nécessité de trouver un substitut pour prendre soin de Pierre. Il se tournera ainsi vers le Centre local de services communautaires (CLSC) afin de recevoir des services à domicile. Le soutien de la famille, de l’entourage et des services En cas de besoin, le couple pourrait compter sur du soutien de l’entourage s’il était en mesure de formuler ce besoin. Le recours à d’autres personnes demeure d’une importance relative dans leurs choix stratégiques. La dyade aidant / aidé postule qu’il y a reconnaissance d’une personne qui dispense des soins et d’une autre
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qui les reçoit. Cependant, le couple Hébert ne pense pas en ces termes. En effet, lors de la première rencontre, lorsqu’on s’informe du besoin de soutien que Pierre et Marielle ont pu ressentir depuis le début de la maladie, chacun reste silencieux. Ils finissent tout de même par admettre : « On ne sait pas. » Et, même après avoir insisté sur la possibilité qu’ils aient pu avoir besoin d’aide, la réponse reste : « On s’est débrouillé. On est habitué de s’organiser tout seul… » Comme Marielle ne se voit pas comme une « aidante » et que Pierre ne se voit pas comme un « aidé », ils ont donc du mal à définir leur besoin d’aide ponctuelle. Pourtant, à force d’échanger, on constate que le couple est loin d’être isolé. C’est même une chose qui surprend, lorsque Pierre et Marielle parlent de leur quotidien. Le couple donne l’impression d’être socialement bien intégré. Il peut compter sur un réseau d’aide dont il a su d’ailleurs bénéficier au cours des ans. Il faut mentionner que l’entraide semble avoir toujours été une valeur fondamentale que partage également leur entourage. Cependant, leur réseau social, qui s’active autour d’échanges le plus souvent réciproques et dans un cadre informel, ne constitue pas nécessairement à leurs yeux de l’« aide » à proprement parler. C’est la vie normale. L’aide, bien souvent, ne sera identifiée que lorsqu’il y aura une demande claire. Certains membres de la parenté venaient faire un tour plus souvent autrefois. À ces occasions, ils donnaient un coup de main pour l’entretien de la maison. Ils viennent maintenant moins souvent. Le couple n’identifiait pas nécessairement ce « coup de main » comme du soutien. Ce n’est pas qu’ils n’apprécient pas l’aide qu’on leur donne, bien au contraire. Seulement, l’entraide semble faire partie de valeurs partagées dans ce réseau familial. Constatant que ces coups de main diminuent avec les années, le couple ne dit pas : « On nous aide moins », mais plutôt, qu’avec leurs activités, ce beau-frère et cette sœur « n’ont plus le temps de sortir ». Prenons un autre exemple, celui de la relation de Pierre avec son père. Il confie que ce dernier le visitait assidûment dans son ancienne demeure. C’était le prétexte pour lui donner un coup de main quant aux travaux à exécuter autour de la maison. Constatant que son fils perd
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ses capacités et aussi face à la nouvelle réalité du couple d’habiter en logement, le père de Pierre va, dès lors, transformer son soutien instrumental en soutien affectif. Voyons le témoignage de Pierre : « Avec les années, mon père s’est aperçu qu’il aimait mieux apporter d’autres choses que de l’aide matérielle, comme venir jouer aux cartes, ces affaires-là. » Son père le visitait donc pour le plaisir d’être avec lui et pour partager de bons moments ensemble. Il est intéressant de constater que, autant Pierre que Marielle se décrivent comme des gens entourés, autant ils ont l’impression de se débrouiller seuls. De plus, autant ils valorisent l’ouverture aux autres personnes et l’entraide, autant ils hésitent à demander de l’aide et du répit. Ils semblent accueillir ce qu’on leur donne, mais sans toutefois en demander plus, à moins de situations d’urgence. En réalité, Pierre et Marielle valorisent les échanges sociaux fondés sur la spontanéité et la gratuité des gestes. Dès lors, il va sans dire que parmi les défis relevés par le couple, le plus difficile à vivre, en particulier pour Pierre, est celui « de tomber complètement dépendant des autres ». Quand le couple aborde cette question, il est toujours sous-entendu qu’on parle de ce qui peut survenir avec les proches, de ce qui peut se transformer dans les relations plus intimes et personnelles. Jusqu’ici, le réseau de soutien du couple a souvent été abordé selon trois axes : la famille (enfants, conjoints et petitsenfants), la parenté et l’entourage (amis et voisins). La famille occupe une place à part. On l’a mentionné, elle est là, elle fait partie de leur vie quotidienne. Cependant, on n’en parle pas nécessairement comme une « ressource d’aide ». Ce n’est pas que les membres de la famille n’apportent pas d’aide, mais on ne leur fait pas de demande directe de soutien. Jusqu’ici, par exemple, on mentionne qu’on préfère que les enfants soient plutôt protégés des soucis de leurs parents. Sans toutefois les exclure, on tente de leur éviter le plus possible d’avoir à porter le fardeau d’un père en mauvaise santé et d’une mère qui, par moments, souffre de fatigue. De plus, Pierre n’est pas du genre « plaignard ». Il a bien expliqué sa maladie aux enfants, mais sans entrer dans les détails. Il ne voulait surtout pas être pris en pitié et « les accabler avec ça ». Plus jeunes, ils aidaient à la maison « comme n’importe quels autres enfants » et
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aujourd’hui, devenus adultes, les parents s’efforcent de respecter leurs limites qu’ils manifestent chacun à leur façon. On décrira la pudeur de l’un dans les soins d’hygiène à apporter à Pierre ou, au contraire, le peu de scrupules de l’autre. Chacun se comporte avec ce qu’il est, de la façon dont il peut. Tout cela est décrit avec un certain humour bien plus qu’avec amertume ou déception. Quant à la parenté, elle fait partie du discours du couple de toutes sortes de façons, c’est-à-dire qu’elle ne semble pas figée dans un type d’échanges en particulier. La présence de ces proches ne semble pas se limiter à des fréquentations sociales (sorties, fêtes ou autres) ; de proches parents ont pu aider de multiples façons et, réciproquement, Pierre et Marielle ont été une source d’aide et de soutien pour quelques-uns d’entre eux. Quant aux voisins, ils font partie du quotidien : ils ne sont pas justes « autour » de la maison, ils sont « dans » la vie du couple. Ils sont prêts à répondre à des situations d’urgence et à donner des petits coups de main ponctuels. Tous réciproquement s’informent des uns et des autres. En ce sens, il est difficile pour Pierre et Marielle de s’imaginer vivre dans un quartier où l’on ne pourrait pas se sentir familier et reconnu en sortant de chez soi. Comme l’exprime Pierre : « Même si tu n’es pas malade, tu vis avec les voisins, si tu n’as pas une bonne entente avec eux, c’est gênant de sortir dehors. Moi, si je sors dehors, je me sens aussi familier dehors que dans la maison ici ; tout le monde me salue, puis j’ai de bonnes conversations avec eux autres. » Évidemment, un réseau d’aide a ses limites. Dans le cas de celui de Marielle et de Pierre, certaines attitudes de l’entourage, contraires aux façons de penser du couple, freinent leur enthousiasme à rechercher le contact. On parle, par exemple, des attitudes qui accordent trop d’importance à la maladie en ne lui laissant pas une place réaliste ou encore des marques de pitié qui deviennent plus accablantes qu’encourageantes. La pudeur des autres est un autre obstacle au recours à l’aide des proches. De plus, l’aide est sollicitée si le respect est présent dans la relation et si certaines limites peuvent être installées de façon à préserver l’espace personnel et
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l’intimité. Finalement, Pierre et Marielle expriment aussi qu’ils désirent être entourés, mais qu’ils ne veulent pas que des gens viennent leur dire quoi faire ou quelles décisions prendre. En ce qui concerne l’utilisation de services, pour Pierre, c’est tout simplement un « mauvais signe ». Faire appel aux services signifie que la situation est grave, qu’elle se détériore, que « ça va mal » : « Je vais essayer de m’en passer aussi longtemps que je vais pouvoir. » Quant à Marielle, elle affirme ne pas se sentir concernée par les services. Même si le couple a reçu des services au fil des dernières années, il ne se perçoit pas nécessairement comme un « client » des services publics ou communautaires. Il est intéressant de noter que, malgré que des questions leur aient été posées au sujet des ressources pouvant les aider dans diverses situations, ce n’est qu’à la dernière entrevue qu’ils ont mentionné que Pierre a fréquenté, pendant deux années, un centre de jour. Pourtant, il se dit très satisfait des services des personnes qu’il a côtoyées pendant sa participation aux activités du centre. Ce n’est qu’après avoir échangé avec eux sur l’idée qu’il y a peut-être des services qui pourraient donner un coup de main à Marielle, en tant que personne-soutien, ou encore des services qui les aideraient à rester le plus longtemps possible ensemble à domicile, qu’une amorce de réflexion a semblé s’installer au sujet de leurs besoins de soutien. Enfin, les services sont vus par le couple Hébert comme devant être utilisés en dernier recours. Tous deux interrogés quant à leur point de vue sur « quelque chose » qui pourrait être offert par les services publics ou communautaires avant qu’ils ne soient obligés d’envisager un placement, ils se sont montrés surpris, ne voyant pas du tout « à quoi» les services pourraient servir «avant ». À force d’en parler, ils ont réalisé qu’ils n’avaient jamais envisagé cette question, mais que, peut-être, éventuellement ça serait le cas. De toute façon, comme l’a indiqué Pierre, les services « sont tellement durs à avoir » qu’il faut vraiment attendre d’être à bout de souffle pour les utiliser. Et Marielle d’ajouter : « Là, c’est devenu une urgence » quand tu es rendu à utiliser les services. Pierre a rétorqué : « C’est peut-être plus à Marielle de penser à ça. C’est elle qui opère ici. Moi, ma job, c’est de m’arranger pour qu’elle n’ait pas de problèmes. » Quoi qu’il en soit, le
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problème du recours aux services semble se poser différemment pour l’un et l’autre. Lorsque le problème est décrit par Pierre, il concerne souvent l’importance de soulager sa conjointe parce qu’elle risque de s’épuiser. Quant à Marielle, elle reconnaît la nécessité de prendre du repos, mais son souci se porte sur ce qu’il advient de son mari. Il s’agit sans doute d’une subtile nuance, mais elle décrit le réflexe réciproque de se pencher sur les besoins de l’autre. De l’épreuve de la maladie à « Si ce n’était que de ça » Lorsque Marielle a confié aux chercheurs : « Si ce n’était que de ça»; c’est-à-dire de la maladie de son conjoint, elle a porté un regard qui en disait long sur sa vie en général. Une révélation de la sorte ne peut passer sous silence d’autres événements marquants de l’histoire de ce couple parce qu’elle témoigne du fait que malgré la maladie, la vie continue. Et la vie continue, sans parfois faire de cadeaux. Quelques exemples suffiront pour décrire comment, malgré la maladie, le fil de la vie du couple continue. D’abord, deux ans avant l’annonce officielle de la maladie de Pierre, son frère aîné décède d’un cancer éprouvant. Selon lui, au-delà de la douleur reliée à ce décès, la perte de son frère viendra faire peser encore plus lourdement l’attitude défaitiste que développera par la suite sa mère à son égard. Un peu plus d’une décennie plus tard, dans une période d’une année (1999-2000), deux décès viennent changer le portrait familial. D’abord, en 1999, le père de Pierre décède subitement. Ce décès laisse un grand vide en raison de la présence constante de ce dernier dans la vie du couple. Puis, c’est la mère de Marielle qui décède. La relation entre Marielle et sa mère n’était pas de la même nature que celle de Pierre avec son père. Les rapports mère / fille étaient difficiles et c’est plutôt l’amertume qui se pointe lorsque Marielle évoque la relation avec sa mère. Néanmoins, des relations amères ne laissent pas moins de regrets. De plus, ces deux pertes importantes se sont suivies de près. Entre-temps, le pire se produit. Le genre de chose qui n’arrive qu’aux autres ; le drame d’une vie. En effet, l’aîné, à la suite d’une séparation conjugale, fait un retour au domicile de ses parents pour y vivre avec son tout jeune fils dont il a la garde. Pierre et Marielle
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considèrent cet enfant comme étant le leur. Ils en prennent soin et s’y attachent profondément. Malheureusement, le petit âgé d’un peu plus d’un an se retrouve malencontreusement, au mauvais moment au mauvais endroit. Il est victime d’un grave accident dans la cour du couple. Il meurt des suites de cet accident au bout de cinq horribles et interminables journées d’hospitalisation. Pour toute la famille, le drame est immense. Il s’ensuit une onde de choc émotionnel d’une envergure indescriptible. Pour Marielle, qui se sent coupable, c’est la tragédie qui bouleverse le cours de sa vie. Au début, elle vit un traumatisme majeur qui exige un séjour à l’hôpital et requiert des soins psychologiques. Cependant, ces services semblent avoir sous-estimé l’impact réel de cet événement sur elle. Au fil des ans, elle s’en remet tant bien que mal, malgré l’aide professionnelle et le soutien des proches. Dès lors, dans les circonstances, la maladie de Pierre est certes une difficile réalité, mais elle occupe désormais dans leur vie à tous une place relative. Elle ne peut donc plus occuper toute la place, car comme Pierre le dit si bien : « Quand il t’arrive des affaires de même, la maladie, tu n’as pas le temps d’y penser. »
Retour sur le récit de Pierre et Marielle Pierre et Marielle, des « héros involontaires » Mario Paquet - Maintenant que vous connaissez mieux leur histoire, que retenez-vous du récit de Pierre et de Marielle ? Autonome S’démène - Dieu sait que j’ai lu plusieurs fois ce récit, et tout au long de mes lectures, une question me revenait constamment à l’esprit : quelle image pourrait mieux représenter le récit de Pierre et de Marielle ? Dans son ouvrage La plénitude de l’âge, Florida Scott-Maxwell (1994) m’a aidée à trouver la réponse. En effet, cette auteure, elle-même très âgée, affirme que la vie est à la fois « délicieusement bonne » et « cruelle ». Elle se dit consternée face à « la dureté de la vie » qui force les individus à être des « héros involontaires ». Selon moi, la métaphore du « héros involontaire » est un symbole qui révèle, de manière éloquente, la réalité de ce que sont
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devenus Pierre et Marielle depuis que la maladie et d’autres événements difficiles se sont installés dans leur vie. M.P. - J’aime cette image du héros involontaire que vous utilisez, car leur récit, tout comme le vôtre, apparaît, vous l’avez-vous même dit, comme un grand livre d’« intranquillité » (Pessoa, 1999) qui raconte l’histoire d’une œuvre à faire et à refaire au jour le jour. Une œuvre émouvante s’il en est, parce qu’elle est une lutte non pas à finir, mais à bâtir avec l’inconnu, l’incertitude, le doute. Une lutte qui n’a d’égal que la fierté, le courage et la détermination de vouloir «s’en sortir » seul, si possible. A.S. - Florida Scott-Maxwell (1994 : 127) illustre bien votre dernier propos : Nous sommes unis à ceux que nous aimons, ou à ceux qui nous aiment, ainsi qu’à ceux qui ont besoin que nous soyons braves, ou satisfaits, ou même assez heureux pour leur permettre de ne pas s’inquiéter à notre sujet. Nous devons donc nous abstenir de les faire souffrir, cela constituant notre dernier cadeau à nos semblables.
Des « héros involontaires » en action face à la maladie et aux aléas de la vie M.P. - Cependant, si Pierre et Marielle sont des héros involontaires, c’est parce qu’ils sont d’abord des héros du quotidien en action. A.S. - Vous voulez dire qu’ils ne sont pas des victimes passives sous la tutelle du mauvais sort. Ce sont des héros qui, bien sûr, trouvent tant bien que mal des moyens pour s’adapter aux aléas de la vie et qui accueillent la maladie sans pour autant l’avoir totalement acceptée. M.P. - Ce processus d’adaptation s’avère toujours plus ou moins long selon la nature, l’ampleur et la dureté des « coups » de la vie. Dans ce contexte, il importe de mentionner que leur existence n’est pas définie seulement à partir de la maladie, même si elle en détermine bien évidemment les contours. Pour ce faire, la perte graduelle
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des capacités de Pierre est indissociable de la dynamique qui prévaut dans le couple et la vie de famille ; il s’agit d’un tout. Le récit du couple ne permet pas d’en dissocier les éléments. A.S. - À mon avis, la conséquence de ce que vous venez de dire est que, pour comprendre comment se vit une expérience de soins comme la mienne et celle de ce couple, il faut tenir compte de l’ensemble des événements qui trament le contexte de vie de tous et chacun. M.P. - En effet, puisque la maladie de Pierre est une réalité permanente incontournable, elle ne demeure néanmoins qu’un seul des éléments de leur contexte d’existence. Elle n’est pas la seule réalité qui détermine l’ensemble des autres dimensions de la vie courante. Du moins, Pierre et Marielle le perçoivent de cette façon. A.S. - Vous avez raison, ils parlent d’une foule d’événements qui semblent aussi marquants pour l’un comme pour l’autre. Le couple raconte sa vie sans nécessairement faire de liens directs – dont certains pourraient sembler évidents à un regard extérieur – avec la perte des capacités de Pierre. M.P. - En gros, le couple Hébert vit tout simplement en intégrant la totalité des contingences de la vie. À cet égard, parfois, c’est l’un qui a besoin d’aide, parfois c’est l’autre. Dans leur dynamique, rien ne semble les figer dans un rôle particulier. J’aurais plutôt tendance à dire que c’est plutôt moi et l’équipe de recherche qui, a priori, poursuivions l’objectif de centrer leur expérience de soins à travers une catégorisation de rôles d’« aidant » et d’« aidé ». Bref, le récit de ce couple est marqué de multiples expériences qui n’autorisent pas à camper Marielle strictement dans un rôle d’aidante, ni Pierre dans un rôle d’aidé. A.S. - Mario, vous avez bien saisi que lorsque survient un problème quelconque, on fait ce qu’il faut faire, puisque dans la vie c’est tout simplement « comme ça » que ça se passe. M.P. - En effet, pour vous et pour les autres personnes dans votre situation, ce point est plus important qu’il n’y paraît et je crois qu’il vaut la peine de l’examiner de plus près. À quelques reprises, lors des
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entrevues, on a l’impression que le temps s’est arrêté autour de certaines années où des événements importants s’entremêlaient. Par exemple, le couple parle de l’époque où il vivait dans d’autres villes. Il indique par là comment chacun de ces lieux renfermait un contexte de vie particulier. Quand le couple regarde vers l’arrière, il tente de retracer le déroulement chronologique de ces événements, alors qu’on sent que leur histoire s’inscrit « en bloc» en dedans d’eux. Évidemment, comme on l’a vu, mais sans les avoir tous nommés, la densité des événements vient colorer des pans entiers de leur trajectoire personnelle et familiale. Ainsi, Pierre et Marielle racontent notamment la perte d’emploi de Pierre qui précède l’annonce de la maladie. Ils parlent de la vente regrettée d’un duplex où ils vivaient et qui leur appartenait. Ils soulignent avoir vécu des problèmes d’adaptation familiale après avoir déménagé dans un quartier résidentiel. Ils confient que l’étau financier se resserre sans cesse et que, parmi les différents deuils qu’ils ont eu à traverser, le plus tragique est, sans conteste, le décès de leur petit-fils. A.S. - Cela étant dit, devant le mauvais sort qui a marqué toute la trajectoire de leur vie, et ce, tant à cause de la maladie de Pierre qui a fait basculer le couple dans la précarité qu’à cause du drame du décès du petit-fils, ils ont recomposé toute leur perception du cours normal de la vie. Je crois qu’ils ont su recomposer un art de vivre qui mobilise par ailleurs le plein emploi de tout leur être. Par exemple, depuis la mort du petit-fils, Marielle reconnaît que quelque chose a fondamentalement changé en elle. Elle ne se sent plus la même personne. Son discours laisse entrevoir que cet événement tragique a laissé des traces qui ont bouleversé l’évolution de son cheminement personnel. Pour moi, un des aspects positifs de son évolution est qu’avec les années elle a appris à dire non et à imposer ses limites auprès de son conjoint et de son entourage. Vous ne pouvez pas imaginer comment c’est difficile d’en arriver là. Moi, j’ai aussi eu beaucoup de mal à le faire et je sais que certaines personnes n’y arrivent d’ailleurs pas. M.P. - Mais le plein emploi de Pierre et de Marielle doit aussi s’actualiser, entre autres choses, par le principe d’une « économie intégrale » tel que le décrit Schwartz (1990) et qui, pour tout dire,
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se résume à se contenter du strict nécessaire, tout en laissant le superflu très loin dans les priorités afin de réussir financièrement à joindre les deux bouts. A.S. - Ce n’est pas peu que de souligner les efforts soutenus qu’on doit faire pour « s’en sortir » quand on voit ce qu’ils vivent. Comme la plupart des gens comme moi, ils ne peuvent aspirer à moyen et à long terme améliorer leur condition de vie ni sur le plan matériel ni sur le plan humain. M.P. - Dès lors, il est facile de comprendre que le poids du souci financier pèse, comme pour plusieurs d’entre vous, vraiment lourdement dans la réalité des Hébert. C’est à ce point vrai, qu’à maintes reprises et de toutes sortes de façons, et ce, dès la première entrevue, le couple a témoigné de sa préoccupation financière constante. Ainsi, après l’annonce de la maladie, un des enjeux le plus difficile à vivre, si l’on fait abstraction du décès du petit-fils, concerne l’affaiblissement des ressources financières et la recherche continuelle d’un moyen pour « joindre les deux bouts ». En ce sens, le récit de Pierre et de Marielle, à lui seul, légitime les analyses et les propositions qui visent en général à contrer les inégalités liées à la pauvreté (Boisvert et Morel, 2002; Ulysse et Lesemann, 2004) et, en particulier, celles qui ont pour objectif d’améliorer le statut économique des familles dont un membre vit des incapacités (Guberman, 2003 ; Moisan, 2000). A.S. - À ce stade de notre discussion, je m’en voudrais de ne pas relever un principe si précieux à la base de la philosophie de vie de ce couple et qui en dit long sur la capacité de Pierre et de Marielle d’agir, c’est-à-dire le système D ! (D pour débrouillardise). M.P. - Ce qu’il y a de remarquable, c’est le fait que malgré l’épreuve de la maladie et le fait que, dans la vie, qu’on le croie ou non, le pire parfois empire, ce couple semble démontrer que : « Derrière le désespoir, se cache une paradoxale leçon d’optimisme : dans les pires situations, notre capacité d’être de véritables artistes du quotidien […] permet de nous en sortir » (Kaufmann, 1989 : 125). En contrepartie, il serait faux de croire que Pierre et Marielle sont pour
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autant des personnes qui font face aux événements tragiques de l’existence avec un optimisme béat. A.S. - Le système D de ces héros involontaires en action, comme vous aimez bien les qualifier, signifie concrètement l’intégration d’une philosophie stoïcienne de la vie : ne pas s’apitoyer sur son sort et se débrouiller seuls plus souvent qu’autrement. C’est pourtant une philosophie très vitale pour chacun de nous. M.P. - Au regard de l’aide, à première vue, la solidarité familiale et le soutien de l’entourage apparaissent presque idéaux dans la mesure où ils semblent disponibles, accessibles, flexibles et basés sur un principe de réciprocité. Ainsi, en cas d’urgence, les membres de la parenté en particulier, qu’ils vivent ou non à proximité, peuvent se mobiliser rapidement et de façon efficace pour soutenir le couple. Ce fut le cas en particulier lors de la mort du petit-fils. Comme dans d’autres travaux (Lavoie, 2000), on a observé que c’est le lien affectif qui détermine l’importance du rôle des personnes significatives dans le réseau d’entraide du couple. Dès lors, un voisin peut être bien plus un ami; une belle-sœur bien plus une confidente; une professionnelle bien plus une ancienne connaissance à qui on est attaché. Bref, ce n’est pas le statut qui confère un rôle de soutien, mais plutôt le lien d’affection dans l’histoire de la relation. Pistes d’analyse pour comprendre la réalité d’une expérience de soin M.P. - Vous allez sans doute convenir avec moi que le diagnostic d’une maladie grave ou progressive représente un événement majeur dans la vie d’une personne et de son entourage immédiat. Du coup, cet événement force l’entrée obligée dans une expérience de soins qui mobilise beaucoup de savoir-faire et de savoir être. Pour reprendre le maître mot de la Méthode de Morin (Fortin, 2000 ; Morin, 1994 ; Morin et Le Moigne, 1999), on peut dire que la notion de complexité est au cœur de cette expérience. Pourquoi ? Eh bien, vivre une expérience de soins est complexe parce que le défi de tous les jours de cette expérience ne se résume pas uniquement à faire
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face à l’épreuve de la maladie et à ses conséquences (douleur, souffrance psychologique, pertes, deuils, adaptation, apprentissages, gestion quotidienne des soins, etc.). En effet, l’existence est multidimensionnelle et le parcours de vie de chacun est donc traversé par de multiples expériences. Bref, une expérience de soins n’est pas séparée, mais reliée à l’ensemble des expériences du parcours de vie. Comme le mentionne Bertaux (2001 : 34) : « […] Une multitude d’événements microsociaux contingents – une rencontre imprévue, une occasion inespérée, un accident, une maladie chronique, le décès subit d’un proche – viennent aussi modifier le cours de l’existence. » A.S. - Mario, vous citez là un passage très juste. Le présent récit a bien démontré que même quand la maladie s’installe sur le chemin du destin, la vie, elle, suit son cours et parfois même, elle rajoute au tragique de l’existence. « Si ce n’était que de ça… », disait Marielle en pensant à la maladie de son conjoint. M.P. - En partant du fait que l’existence est multidimensionnelle, il apparaît plausible d’énoncer deux propositions comme pistes d’analyse pour comprendre globalement la réalité d’une expérience de soins. Premièrement, il faut articuler entre elles les multiples expériences qui sont autant de repères ou d’« étapes » distinctifs à relier au contexte général du parcours de vie ; deuxièmement, il faut prendre en considération l’interdépendance des diverses expériences qui peuvent influencer l’expérience de soins ainsi que la façon de s’y prendre pour y faire face. Concrètement, ces propositions impliquent que la compréhension d’une expérience de soins exige l’effort d’une intégration des expériences variées de l’existence, car autrement cette réalité souffre d’une analyse désincarnée du contexte lié au parcours de vie. Comme on a pu le voir dans le récit de Pierre et de Marielle, certains événements et les situations qui en résultent, peuvent en effet être aussi importants à considérer que la maladie, par le fait qu’ils interfèrent avec le cours normal de l’existence. En ce sens, la question : « Qu’est-ce que vivre une expérience de soins ? » est, du coup, bien plus juste que de se demander : « Qu’est-ce que prendre soin d’un proche vivant des incapacités ? »
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A.S. - Ce que je comprends Mario de ces pistes d’analyse est que l’histoire de Pierre et de Marielle, comme celle de tous les autres comme eux, peut être présentée comme celle de « héros involontaires » non plus uniquement parce qu’ils vivent chaque jour une expérience de soins, mais aussi, comme l’a si bien dit le philosophe Pierre Hadot (2001: 272) parce qu’il «faut avoir le courage d’affronter l’indicible mystère de l’existence ».
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Entre savoir-faire et savoir être Les liens de proximité ou la «rencontre des humanitudes»
Ce qui est éternel, ce sont les liens que l’on tisse. - Tiré de l’affiche de la Journée mondiale des malades, le 4 février 2007
Autonome S’démène - Mario, Je dis souvent que l’ironie ne craint pas l’outrance. Justement, l’ironie du sort a fait qu’en 2003 je n’ai pu continuer nos échanges pour conclure notre ouvrage Vivre une expérience de soins à domicile. Or, en fin de parcours de cette contribution, c’est vous Mario, qui devez, maintenant faire face à de douloureux événements. Eh oui ! Dernièrement, vous avez malheureusement perdu un ami et seulement quelques mois vous séparent du décès de votre chère mère. Ainsi va la vie, qui vous impose donc l’exigence de ses aléas et, du coup, la trame de votre existence est marquée par le deuil qui s’est installé au plus profond de votre être. Comme dans la foulée de ces événements, nos rencontres ont été perturbées, j’ai cru bon de prendre l’initiative de vous écrire. Mon espoir est double : d’une part, j’apprécie avoir à mon tour la possibilité de vous tendre la main, à vous qui m’accompagnez depuis tout ce temps, car s’il est bon d’être aidé, il est certes plus valorisant d’apporter soi-même un peu de soutien et d’autre part, bien sûr, j’espère que ce qui me vient à l’esprit contribue à alimenter le terme des réflexions que nous partageons depuis plus d’un an. D’entrée de jeu, je n’ai pas l’intention de trop m’arrêter sur ce qui a été dit et maintes fois redit de ma réalité. Que pourrais-je ajouter de plus que mon cri du cœur jadis décrit dans l’ouvrage cité plus haut s’avère aujourd’hui un cri d’alarme. Toutefois, je ne peux cacher ma grande inquiétude quand je réalise que la question que vous avez soulevée dès nos premiers échanges s’avère manifestement
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toujours d’une criante actualité: «Combien faudra-t-il encore d’Autonome S’démène désemparées et à bout de ressources avant que nous mettions en place des mesures rapides et efficaces ? » Ainsi, je suis plus que jamais une aidante « surnaturelle », mais pour combien de temps ? Effectivement, combien de temps pourrais-je réaliser au quotidien le miracle de l’engagement d’une femme orchestre ? Pourtant Mario, de nos échanges, j’ai bien saisi que la recherche a fait la preuve de la nécessité et de l’ampleur de ma contribution dans les soins et surtout qu’il serait tout à fait déraisonnable de me demander d’en faire plus. Pourquoi suis-je alors presque toujours sans ressources pour prendre soin de mon conjoint ? N’avez-vous pas dit que l’État fait du vieillissement de la population un « défi de solidarité » familial, social et public ? Que dois-je comprendre quand vous ajoutez que l’État, par l’entremise de ses politiques, insiste sur le fait que la santé relève d’une responsabilité individuelle, familiale et sociale ? Or, l’autre jour, lors d’une rencontre de mon groupe de soutien, une personne très impliquée dans le réseau des aidants de ma localité a soulevé une question qui nous a laissés loin de l’indifférence. En ces termes, voici sa question : « Depuis l’instauration, en 2003, de la nouvelle politique de soutien à domicile qui consacre officiellement les proches aidants partenaires et clients du système, plus souvent qu’autrement, qu’avons-nous obtenu de plus que, un minimum vital de services qui au fond ne font qu’éteindre temporairement des feux ? » Bien entendu, après discussion, nous avons compris que loin de cette personne était l’idée de vouloir nier qu’il y avait des efforts louables par-ci par-là pour améliorer les services à domicile en général et la situation des proches aidants en particulier. Toutefois, elle voyait bien la triste réalité : la réponse à nos besoins s’avère dans les faits proche de l’oubli des priorités d’action politique. Si quelqu’un doute de son affirmation, il verra peut-être les choses autrement en lisant ce passage. Il s’agit d’une citation (Parent et Singler, 2006 : 35) qu’elle nous a lue pour conforter son propos : « Même si un statut de “ client partenaire et citoyen ”, assorti de besoins ciblés et de réponses appropriées, leur a été officiellement reconnu en 2003 par
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la nouvelle politique de soutien à domicile, les proches aidants ont continué à être de moins en moins considérés comme des “ proches ” et de plus en plus comme des “ aidants ”… du genre “ citrons à presser autant que possible ! ”. » Mario, vous conviendrez avec moi que ce propos quoique sévère est terriblement vrai. Ai-je besoin de vous dire que ce constat mérite une attention sérieuse dans la mesure où il vient appuyer non pas la diminution de notre engagement dans les soins, mais plutôt le contraire. Cette lecture récente de la réalité des proches aidants est d’autant plus crédible qu’elle provient d’intervenantes qui parlent en connaissance de cause, puisqu’elles œuvrent au sein du regroupement des aidantes et aidants naturels de Montréal (RAANM). Par ailleurs, une autre personne de mon groupe de soutien a participé récemment à un colloque1 où presque deux cents personnes étaient présentes dont la majorité était des aidantes « surnaturelles ». Laissez-moi vous dire que ce qu’elle a retenu de cette journée n’était pas de tout repos pour mes oreilles plus qu’attentives. Je résume son bilan : malgré le courage et la détermination des gens à vouloir tout faire pour s’en sortir dignement, elle a entendu des témoignages touchants pour ne pas dire parfois dramatiques. Des personnes à bout de souffle qui ont perdu espoir et confiance dans le système de santé. Des personnes qui se sentent abandonnées et qui, en désespoir de cause, s’en remettent à Dieu dans ce qu’ils perçoivent comme étant de plus en plus une « mission forcée ». Bref, au regard de l’engagement de l’État en soutien à domicile, je me permets à mon tour une question : le défi de solidarité auquel l’État nous convie tous et chacun ne s’apparente-t-il pas plutôt à un constat qu’une de vos collègues nomme de « l’insolidarité nationale collective » ? (Pennec, 2002 : 141) Cela étant dit Mario, vous me connaissez assez bien pour savoir que je ne suis pas du genre à parler de problèmes sans soulever si ce n’est que l’ombre d’une solution. Nous avons bien vu ensemble qu’il 1. Les réalités, les besoins et la reconnaissances des aidantes et aidants naturels, colloque organisé par le Réseau des aidants naturels du comté de L’Assomption (RANCA), tenu à L’Assomption le 8 novembre 2006.
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en existe pourtant des solutions concrètes. D’ailleurs, ce ne sont pas les idées de mesures de soutien qui font défaut ni la perspective dans laquelle elles doivent être structurellement organisées. Néanmoins Mario, pour assurer un partage plus équitable dans la prestation des soins auprès des personnes qui ont des incapacités, devrions-nous collectivement proposer à l’État de voter une loi, un PPF ! (partenariat public-famille) ? Pour l’instant, à défaut d’une loi, il me semble que les politiques de soutien auprès des familles devraient s’inspirer, comme je l’ai entendu d’un chercheur lors d’un forum, d’une approche écologique, c’est-à-dire en termes « de renouvellement des énergies familiales » (Lesemann, 2000 : 65). Pour moi, c’est une idée prometteuse de renouveler les énergies familiales de manière durable, car nous les Autonome S’démène du Québec, du Canada et de ce monde, nous constituons pour la société un trésor national, une richesse naturelle à l’énergie épuisable à préserver à tout prix. Mais, malgré tout, nos échanges entourant les enjeux sociaux et politiques du maintien à domicile et mon impératif besoin d’aide, je m’en voudrais de ne pas insister sur le fait que nos discussions ont porté tout autant sur mon besoin d’être. Ce besoin simplement humain prend tout son sens quand on sait que prendre soin est presque synonyme, à la longue, d’exclusion du monde. Prendre soin à long terme conduit donc graduellement à l’isolement, voire à l’appauvrissement, comme le récit de Pierre et de Marielle l’a bien fait ressortir. Chose encourageante, j’étais un peu réconfortée de savoir que vous étiez conscient de ce problème. Vous avez souligné à cet effet que ma santé et mon bien-être à moi ainsi que ceux de mon conjoint ne dépendent pas uniquement de l’accessibilité aux services. Certes Mario, je n’ai pas besoin de vous convaincre que prendre soin, c’est d’abord une question de liens entre des humains. Par conséquent, nous étions bien d’accord sur l’idée que pour assurer la qualité des services, le système de santé ne peut se contenter d’être « efficace ». Car la qualité des services est aussi liée à la qualité des liens sociaux que je tisse avec les acteurs en santé, en l’occurrence les acteurs en soutien à domicile. C’est dire à quel point la dimension relationnelle est importante dans la relation de soins.
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Sur ce dernier point, nous avons exploré ensemble les liens de proximité. Ces liens sont fondamentalement régis par un principe d’intérêt humain qui inscrit la relation avec les acteurs en soutien à domicile dans une volonté de savoir-faire et de savoir être. À mon avis, il valait la peine de passer une bonne partie de notre temps à décrire la nature de ces liens et la façon dont ils prennent forme dans la relation de soins. De plus, non moins intéressant était d’aborder le soutien social découlant des liens de proximité, cette « plus-value » qui, on l’a vu, semble avoir des effets tangibles sur la santé et le bien-être. Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner, au fil des années, j’ai côtoyé des personnes d’une richesse inestimable sur le plan humain. Les liens de proximité que j’ai développés avec certaines d’entre elles m’ont effectivement apporté un soutien social à la hauteur de leur « supplément d’âme ». Je le dis haut et fort, le soutien de ces « aides à vivre » a contribué à ma qualité de vie et à mon bien-être, comme à ceux de mon conjoint, tout en palliant à mon déficit de liens sociaux. Au fond, vous et moi, nous avions l’espoir que le lecteur comprenne mieux l’idée de la nécessité que les liens de proximité sortent de l’ombre. De votre côté Mario, vous l’avez mentionné, ce serait une façon de pouvoir mieux apprécier l’apport des acteurs en soutien à domicile sur la qualité des services et sur la santé et le bien-être de la population. Pour ce faire, vous militez en faveur d’un approfondissement des liens de proximité pour en améliorer les connaissances. Selon vous, ces connaissances doivent servir, entre autres choses, à faire connaître et reconnaître les liens de proximité comme un élément majeur des bons coups des acteurs en soutien à domicile et, par surcroît, du système de santé et de ses partenaires. Sincèrement, à bien y penser Mario, je ne peux qu’encourager cet effort de reconnaissance sociale et politique des personnes offrant du soutien à domicile, encore plus si cela a pour effet de favoriser l’émergence et le développement de liens qui sont, comme vous l’avez souligné, une source inestimable de valorisation au travail. De plus, vous savez que, quand la maladie frappe, certes, on n’y peut rien, mais on apprend rapidement qu’il faut faire face à la puissance
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de notre impuissance. À cela s’ajoute ce que le récit de Pierre et de Marielle nous a révélé comme évidence, à savoir que malgré la maladie, la vie continue. Les multiples expériences de la vie nous forcent ainsi à être des héroïnes involontaires qui tentent ultimement de trouver l’essentiel dans l’humain, dans ce qu’il y a de plus grand, de plus profond pour que l’existence continue à faire sens. Alors, comment peut-on, nous les Autonome S’démène et toutes les personnes aux prises avec la maladie, se passer de « bons samaritains ». De bons samaritains pour qui l’amour, le don et la solidarité sont au cœur de leur pratique d’accompagnement ? Peut-on se passer de personnes qui, par le respect, réussissent à nous apprivoiser, à gagner notre confiance ? Peut-on se passer de personnes qui représentent une planche de salut au présent et un espoir pour un futur incertain ? Peut-on se passer de personnes pour qui faire plaisir est un art de vivre ? Un art de vivre qui s’exprime dans l’entregent d’un sourire qui souvent a cette faculté d’apaiser la tourmente autour d’eux. En vérité, ces gens d’écoute empathique et d’attitudes compatissantes n’ont rien du type « sédentaire du cœur » que décriait St-Exupéry dans son livre Citadelle ou de « créateurs d’indifférence ». Au contraire, en bons « veilleurs d’espérance », voire même en détrousseurs de résilience, ils participent à la création de chefs-d’œuvre d’humanité par le fait qu’ils favorisent «la rencontre des humanitudes » (Gineste et Marescoti, 2002, dans Mérette, 2004 : 250). C’est en ce sens que, comme vous, j’aime les qualifier de «fabricants d’humanité » et de « réparateurs d’existence ». Depuis le temps que nous discutons ensemble, comme vous je suis d’avis qu’une notion de complexité ne s’avère jamais très loin du fondement de nos réflexions. Complexité d’une expérience de soins qui est intrinsèquement liée au parcours de vie de chacun, complexité des pratiques familiales et professionnelles de soins, complexité des besoins à combler, complexité du système de santé et de l’organisation des services. Dans cette mer de complexités, je comprends mieux pourquoi vous dites que certains analystes éclairés défendent l’idée que pour relever le défi du vieillissement de la population, il faudra que les acteurs en santé s’ajustent en faisant
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preuve d’innovation. Cependant, l’autre jour, j’ai lu attentivement un texte de Paul G. Brunet (2006). Ce dernier est directeur général du Conseil pour la protection des malades et il s’inquiète de la déshumanisation des soins de santé qui s’explique selon lui par celle de nos rapports sociaux en général. Dès lors, j’en suis arrivée à la conclusion que l’innovation a bien sûr sa place dans l’échiquier des solutions en santé, mais pour autant que le cap des intentions demeure avant tout centré sur l’humain. Dans l’ombre de leurs pratiques d’intervention, j’ai constaté que plusieurs acteurs en soutien à domicile tentent justement de maintenir le cap sur la personne, malgré un contexte de travail pas toujours facilitant à cet égard. Finalement, j’ai le goût de vous laisser sur un petit texte que mon conjoint à écrit pour une intervenante qui vient chaque semaine pour des soins d’hygiène. Par ce geste inspiré, il voulait lui signifier combien il appréciait son grand « souci de l’autre ». Par son tact et sa délicatesse, il a, comme moi, en sa présence, le sentiment de vivre des « bains de bonté ». J’avoue qu’en lisant ce texte, je me suis rappelée un beau passage de Christian Bobin qui dit que « tant que quelqu’un nous parle mourir est impossible » (Bobin, 1997 : 161). À la lumière de ce qui précède, il y a donc lieu de penser que si avec le temps les liens que nous avons créés en sont presque arrivés à primer sur le service, c’est parce que j’ai la conviction que « ce qui est éternel, ce sont les liens que l’on tisse ».
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Une branche est cassée Une branche est cassée : De mon arbre, elle est tombée De ma cime, je l’ai observée De mes racines, je l’ai entendue me parler De ma souche, je l’ai écoutée De mon écorce, je l’ai ramassée De ma sève, je l’ai pleurée De mon tronc, je ne pourrai la refaire pousser Une branche cassée : De mes feuilles, je serai témoin de celle qui prendra place à côté
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Postface Ce volume présente, dans la forme tout à fait originale d’un dialogue entre le chercheur et une aidante, une synthèse de plusieurs années de recherche sur le vécu des aidantes naturelles, représentant la majorité des aidants. Il est publié dans la collection « Infirmières, communautés, sociétés » en raison du très grand intérêt qu’il suscite pour la formation initiale et continue des infirmières qui travaillent dans différents milieux de pratique, et particulièrement dans la communauté, avec des personnes en perte d’autonomie et les proches qui en prennent soin. La perspective humaniste, holistique, communautaire, systémique qui se dégage du vécu des aidantes intègre une préoccupation pour la personne en besoin d’aide dans sa globalité. Cette perspective considère aussi que l’insertion de cette personne et de ses proches dans un environnement physique et un réseau social influence leur santé physique, psychologique, familiale, sociale et spirituelle. Ainsi, elle rejoint la perspective familiale du modèle McGill et celle, plus générale, de la perspective infirmière véhiculée à tous les niveaux de formation. Le volume fournit donc un exemple éclairant en mesure d’en faciliter la compréhension. La manière dont les aidantes naturelles et les personnes dont elles prennent soin sont au cœur d’un réseau de solidarité familiale et sociale est aussi clairement mise en évidence. La reconnaissance de cette solidarité, essentielle au maintien de la santé, est indispensable à une bonne compréhension de l’apport que peuvent avoir les professionnels en général et les membres de l’équipe de soins (préposé, auxiliaire familiale, infirmière auxiliaire, bénévole), dont les infirmières en particulier, dans un souci constant de respecter les personnes dans leur intégrité et dans leurs interrelations avec leur environnement social immédiat.
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Le volume montre également que les personnes malades et les aidantes naturelles qui en prennent soin sont des êtres humains dignes de respect et qu’elles demeurent dignes de respect et d’affection en dépit de leurs problèmes de santé et de la détérioration inéluctable de leur condition. On comprend, à la lumière de l’engagement indéfectible des aidantes, comment se vit au quotidien ce principe de base en soins infirmiers. De façon convaincante, ce volume explique aussi comment la dyade, composée de l’aidante naturelle et de la personne qui a besoin de soins, constitue une unité dans laquelle les personnes s’influencent mutuellement. Ainsi, agir pour le bien de l’un ne peut s’actualiser sans agir pour le bien de l’autre. On comprend alors que toute action visant le soulagement d’un fardeau perçu chez l’aidante ne peut être mise en œuvre indépendamment d’une préoccupation du bien-être de la personne aidée. En somme, ce volume exprime d’une façon éloquente la perspective infirmière, la dimension holistique du soin, l’interrelation personne-environnement, la primauté de l’humain. Pour toutes ces raisons, il nous semble d’une utilité certaine pour la formation des futures infirmières, pour le développement professionnel continu des infirmières en exercice et pour le maintien de l’engagement professionnel et personnel des infirmières en général dans l’humanisation des soins qu’elles prodiguent. LINDA LEPAGE Professeure titulaire Faculté des sciences infirmières, Université Laval
CLÉMENCE DALLAIRE Professeure agrégée Faculté des sciences infirmières, Université Laval
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Les liens de proximité en soutien à domicile Une étude exploratoire dans la région de Lanaudière
Repères méthodologiques Devis, cadre de référence et objectif de la recherche Le devis de cette recherche est de type qualitatif. Il s’agit d’une étude exploratoire et essentiellement descriptive. Celle-ci s’est déroulée dans la région de Lanaudière et, plus précisément, sur le territoire de la MRC de Matawinie. L’approche privilégiée comme modalité d’accès à la connaissance est celle de la recherche-action. Pour ce faire, cette recherche a été délimitée et réalisée conjointement avec les membres de la Table de concertation en soutien à domicile de la MRC de Matawinie qui regroupe dix organismes issus du réseau public et communautaire (voir la note de bas de page au chapitre quatre pour la description des organismes). Elle poursuivait l’objectif de réaliser une étude sur les liens de proximité des acteurs en soutien à domicile afin de mieux connaître ces liens, le soutien social qu’ils génèrent et leurs effets sur la santé et le bienêtre de la population. Participants et analyse des données La population à l’étude est composée d’acteurs en soutien à domicile, de même que d’acteurs familiaux qui vivent une expérience de soins à domicile. Pour les acteurs en soutien à domicile, il s’agit d’intervenants œuvrant directement auprès de la population (auxiliaires familiales et sociales, aides domestiques, bénévoles, éducateurs spécialisés, infirmières, etc.) de même que de gestionnaires de services (directeurs, coordonnateurs, chefs de programme, etc.) Pour les familles, il s’agit de personnes-soutien et de personnes ayant des incapacités. Le type d’échantillonnage utilisé a été la commodité, c’est-à-dire que les personnes disponibles qui correspondaient aux critères de sélection devenaient celles qui participaient à la recherche jusqu’à ce que les ressources et le temps prévu pour
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l’étude soient épuisés. Les participants ont été recrutés par les membres de la Table de concertation en soutien à domicile. L’entrevue individuelle et de groupe a été utilisée comme technique de collecte des données. Au total, quatre entrevues de groupe, de type interviews focalisées, ont été réalisées, avec une durée moyenne de 92 minutes. Pour ce qui est des entrevues individuelles, seize ont été effectuées auprès de neuf personnes, avec une durée moyenne de 70 minutes. Toutes les entrevues individuelles et de groupe ont été menées à l’aide d’un schéma. Elles ont été enregistrées sur bande audio avec l’accord préalable de participants et transcrites intégralement. La recherche a été réalisée auprès de 32 personnes: quinze intervenants, six gestionnaires, cinq bénévoles, quatre personnes ayant des incapacités et deux proches aidants. Quatre hommes et vingt-huit femmes ont été rencontrés. L’âge des intervenants et des gestionnaires était majoritairement situé dans le groupe d’âge de la quarantaine ou de la cinquantaine. Les bénévoles avaient tous 60 ans et plus alors que les personnes ayant des incapacités et les proches aidantes étaient âgées de 46 à 85 ans. Les intervenants avaient en moyenne douze années d’expérience, les gestionnaires quatorze et les bénévoles vingt et un ans. Quant aux personnes aidées et aux proches aidants, elles recevaient des services à domicile depuis plusieurs années, soit entre trois et sept ans. Le corpus d’information a fait l’objet d’une analyse qualitative de contenu. Notre unité d’analyse est le thème. Après plusieurs lectures du matériel, deux thèmes centraux ont émergé comme fil conducteur de l’analyse : 1) les conditions d’émergence et de maintien des liens de proximité, 2) les effets sur la santé et le bien-être de la population. Limite de la recherche Au-delà de la pertinence sociale, scientifique et politique de ce projet, il faut d’emblée inviter le lecteur à s’approprier les résultats de cette recherche avec prudence. En effet, il s’agit d’une étude exploratoire qui en tout premier lieu a principalement sollicité la participation des acteurs en soutien à domicile. Rappelons que l’échantillon n’est composé que de trente-deux personnes dont
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seulement six représentent les acteurs familiaux. De plus, il va sans dire que les acteurs en soutien à domicile de la MRC de Matawinie ne sont que partiellement représentés. Au départ, il a été convenu que cette étude ne visait pas une représentation des acteurs en soutien à domicile, quoique l’échantillon (N = 26) assure une diversité de participants de par leur statut professionnel. Par ailleurs, si tous les acteurs en soutien à domicile partagent l’idée que la dimension relationnelle dans le soutien est primordiale et au centre de la dynamique d’interaction avec les acteurs familiaux, il est toutefois fort probable que la nature et la densité des liens de proximité sont vécues de façon différente selon la catégorie d’acteurs. Ainsi, une question se pose : les liens de proximité prennent-ils des formes différentes selon la catégorie d’acteurs en soutien à domicile ou selon le milieu de provenance institutionnel des acteurs ? La présente étude n’apporte pas de réponse à cette question. En somme, si les limites qui viennent d’être mentionnées n’invalident aucunement les constats de la recherche, elles en réduisent tout de même la portée. D’autres travaux sont donc nécessaires pour raffiner et compléter les résultats de cette étude. Note : Actuellement, une recherche pan-régional est en cours afin de valider les constats plus bas et pour apporter un éclairage sur certaines questions ayant émergé de cette étude exploratoire. La première phase de validation des résultats s’est effectuée à l’automne 2006 auprès de cinq tables de soutien à domicile de la région de Lanaudière. Les tables de soutien à domicile regroupent plusieurs catégories d’acteurs en soutien (gestionnaire du réseau de la santé et du réseau communautaire, travailleur social, psychologue, infirmière, bénévole, etc.). Au total, soixante-trois personnes ont été rencontrées en entrevue de groupes. Ainsi, nous avons aussi puisé dans ce matériel des citations à l’appui des constats décrits. Pour ne pas alourdir le texte, nous utiliserons l’abréviation suivante : (ex. : Marc, membre Table SAD), il est à noter que tous les prénoms utilisés sont fictifs.
Constats de recherche Globalement, l’analyse qualitative des données démontre que les liens de proximité jouent un rôle essentiel dans les services à domicile. Ces liens permettent un soutien appréciable, bienfaisant et salutaire. Les liens de proximité peuvent, entre autres choses :
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améliorer le niveau de collaboration entre les acteurs en soutien à domicile et les acteurs familiaux, favoriser l’atteinte des objectifs d’intervention déterminés en commun, contribuer à la qualité des services et à la satisfaction de la clientèle desservie et donner du sens au travail des acteurs en soutien à domicile. Tout ça (l’apport des liens de proximité) se fait à condition que le lien de proximité soit établi. (Marc, membre Table SAD) C’est souvent lorsqu’on arrive à bâtir une relation qu’on peut échanger et de l’échange vont naître de nouvelles attitudes. (Gabrielle, membre Table SAD) Moi, c’est ma base, je ne serais pas capable de travailler si je n’avais pas ce lien-là. Avant tout, ça va être ça que je vais essayer de créer. C’est important d’avoir un bon lien, sinon il n’y a rien qui marche. (Sylvie, intervenante) Je trouve que la relation humaine, c’est ce qu’il y a de plus important. Avec l’expérience que j’ai, c’est ça. Si je n’avais pas eu mes bénévoles, je n’aurais pas passé au travers tout ce que j’ai passé. (Martine, proche aidante) C’est la première importance que je recherche chez les gens. C’est ça… Il faut que j’aie un contact avec la personne. J’ai besoin d’un contact. (Hélène, proche aidante) Si elle n’avait pas confiance en moi, ça ne marcherait pas. Il faut qu’elle ait confiance, sinon elle va toujours être insécure et ça ne sera pas possible. (Maude, intervenante)
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Constats sur l’émergence et le maintien des liens de proximité en soutien à domicile Plusieurs facteurs interdépendants permettent la création et le maintien des liens de proximité. Ces facteurs sont d’ordre relationnel, organisationnel et spatio-temporel. Sur le plan relationnel Le respect Du discours des participants, le respect ressort comme une valeur fondamentale dans la relation de soins. En effet, le respect s’avère le principe fondateur par lequel le lien de proximité émerge et se maintient. Lorsque le respect est présent, la confiance peut s’établir, puis, se maintenir, voire s’approfondir. Le respect dans la relation de soins renvoie à l’importance mutuelle accordée aux personnes : respect de ce qu’elles sont, de leur bien-être, de leurs besoins et de leurs valeurs. Il se manifeste à travers de nombreuses qualités et attitudes comme la patience, la discrétion, le respect dans le rapport au corps, l’authenticité, l’écoute active, la jovialité, le dévouement et l’ouverture à la relation d’aide. Ça prend un minimum de respect pour établir (un lien de confiance). Tu ne peux pas arriver puis changer sa vie parce que tu vas chez eux ; tu l’acceptes comme elle est. (Andrée, membre Table SAD) Pour établir un lien, ça prend un très grand respect de la personne et de son rythme. Je pense que c’est à la base de la relation. S’il n’y a pas ça, c’est voué directement à un échec. (Caroline, intervenante) Je suis chez eux, dans leurs affaires, mais je m’arrange pour être discrète. Je le sens quand je suis dans leurs jambes. Si la dame est dans sa cuisine, je vais faire la chambre de bain. Je vais la laisser finir son déjeuner puis placer ses petites affaires. Puis une fois qu’elle a fini, je transfère. (Thérèse, intervenante)
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En soins à domicile, quand il s’agit de pansements, il survient des situations de contacts qui sont courtes dans le temps, mais très très intenses où un lien très fort se crée. (Julie, intervenante) Une chose importante c’est d’être vraie, d’être soi-même, sinon elles vont le détecter et la relation ne sera pas possible. (Odile, bénévole) L’écoute c’est bien bien important, puis la qualité de l’écoute aussi. La personne qui a parlé, bien souvent, elle voit son problème autrement puis elle est capable de trouver des solutions elle-même. (Andréa, membre Table SAD) J’adore assez ma Francine, moi là, j’aime assez ça jaser avec elle. Elle parle beaucoup, elle est joyeuse, elle est joviale. (Myriam, personne aidée) On peut appeler la famille le soir quand on a besoin d’informations d’une famille qui n’est pas là le jour. On peut faire des petites commissions. Parfois, ils restent dans un petit village et ils ont besoin de quelque chose. Ils me disent : « M’apporterais-tu ça ? » Je leur apporte. Ce sont des choses qui ne font pas partie de ma tâche, mais qui font que les relations sont personnalisées. (Julie, intervenante) Tu sais, je ne peux pas dire à quelqu’un : « Je vais établir un lien de proximité avec toi. » Il faut qu’elle m’ouvre une porte, qu’elle accepte la relation. Ça ne peut pas être unilatéral selon moi, il faut que ça se passe à deux. (Carole, gestionnaire)
La réciprocité Selon plusieurs participants, pour que la relation entre les acteurs familiaux et les acteurs en soutien à domicile débouche sur un lien de proximité, trois conditions peuvent intervenir. Ces conditions ne se rattachent pas exclusivement aux acteurs familiaux ou aux acteurs en soutien à domicile, mais concernent plutôt la dynamique d’interaction entre les deux dans la relation. Il importe alors de se
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reconnaître mutuellement des affinités naturelles, de valoriser le dialogue et de vivre dans un environnement social où des valeurs communes sont partagées. Ces trois conditions s’enchevêtrent et sont interdépendantes. (Pour développer des liens de proximité) il faut un minimum d’atomes crochus. (Édith, membre Table SAD) La dame me dit : « Je bégaie puis ça me rend un peu insécure. J’ai toujours l’impression que quelqu’un va rire de moi. » Je lui ai dit : « Mon mari bégaie. Pour moi, c’est une habitude ; je n’ai pas de problème avec le bégaiement. » Ça a cliqué drette là. (Maude, intervenante) En soutien à domicile, le dialogue est important. Il faut connaître la personne. C’est sûr que si tu entres là (à domicile) et que tu n’as rien à dire, ça passe moins là. (Line, membre Table SAD) Il faut leur parler un petit peu de nous aussi, tu sais. Ce n’est pas juste à eux de nous parler. On est là nous aussi. Tu sais, je leur parle de petites choses banales qu’ils sont contents de savoir. (Valérie, intervenante) Elle pense la même chose que moi de la vie. On a les mêmes valeurs. « Qui se ressemblent s’assemblent. » C’est pour ça que j’ai choisi cette personne-là. (Hélène, personne aidée)
La pertinence des approches L’approche utilisée est un autre élément important à considérer dans la création et le maintien du lien de proximité. Un lien de confiance peut s’établir si l’approche inclut certains principes (voir ci-dessous : clarté, progression, nivellement) et si le soutien offert correspond aux besoins. Aussi, des participants ont mentionné que certains outils concrets facilitaient la création d’un lien significatif alors que d’autres instruments, au contraire, pouvaient ébranler la confiance. De plus, selon la majorité des participants, la confiance
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s’approfondirait lorsqu’un soutien affectif est présent dans la relation. CLARTÉ : Clarifier les attentes, les objectifs et les modalités ; s’assurer qu’il n’y a aucune ambiguïté, quitte à utiliser la répétition. PROGRESSION : Graduer les objectifs afin de favoriser la réussite, car commencer sur un échec risquerait d’ébranler la confiance. NIVELLEMENT : Favoriser l’égalité entre deux personnes, « se mettre au niveau de l’autre », que ce soit par le langage, l’habillement, etc. OUTILS : Instruments d’évaluation ou médiums d’intervention. Si tu as bien clarifié le type d’aide au départ, les domaines dans lesquels tu peux les aider : « ça je peux faire ça, le reste non ». Ça va être bien important pour que la personne ait confiance parce que si tu lui as promis des choses, et qu’après, ce n’est pas ça, ou si tu n’as pas été clair, tu viens de briser un lien de confiance. Si le soutien à domicile ne correspond pas bien aux besoins ou on ne peut pas lui offrir, ça va créer une insatisfaction et le lien va être difficile à installer ; c’est inévitable. (Lucie, membre Table SAD) C’est de mettre des buts plus bas pour pouvoir les atteindre. Il faut donner à la personne la chance de réussir. C’est beaucoup plus intéressant d’avancer quand elle a réussi quelque chose que de recommencer sur un échec. (Christiane, intervenante) Il faut qu’ils modifient leur tenue vestimentaire. Ils vont arriver dans des milieux où ça ne passera pas s’ils arrivent habillés comme ça. Les gens vont se sentir dévalorisés en partant, ça fait que tu ne te donnes aucune chance de créer des liens.(Carole, gestionnaire)
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Certains outils comme la grille multiclientèle peut mettre une barrière à la relation. La plupart des intervenants n’utilisent pas la grille d’évaluation multiclientèle devant la personne. Ils posent les grandes questions sans avoir un papier et un crayon, sinon ça empêche le lien avec la personne. (Dorothée, membre Table SAD) Au premier contact, l’aidé, ce n’est pas ça qu’il veut avoir, 75 questions. Il va falloir encore que je répète que ça ne va pas bien puis pourquoi ça ne va pas bien. (Francine, membre Table SAD) Ces documents doivent être remplis dès les premières rencontres, rendant encore plus difficile cette création de climat de proximité. (Marcel, membre Table SAD)
Sur le plan organisationnel La gestion adaptée des services de santé et des services sociaux La gestion des services de santé et des services sociaux est apparue, dans le discours de nombreux participants, comme un autre facteur pouvant influencer la qualité de la relation entre les acteurs familiaux et les acteurs en soutien à domicile. Des conditions favorables à l’établissement et au maintien d’un lien de confiance sont rassemblées lorsque les personnes aidées et les proches aidantes sont satisfaites des services, notamment parce que les intervenantes ont la latitude pour bien répondre à leurs besoins. À cela s’ajoutent les collaborations efficaces intra-établissements qui découle, entre autres choses, d’une bonne coordination des services. En revanche, lorsque la gestion des services est trop bureaucratique et que le financement des services est insuffisant, il devient difficile de permettre aux liens de proximité de naître et de se développer. Ce qui est favorable, (aux liens de proximité) c’est beaucoup la communication (entre les intervenants et les différents services). Si je vais chez une personne nouvelle, je trouve ça important de pouvoir communiquer avec l’infirmière, l’ergothérapeute, le médecin, pour en savoir un peu plus sur la personne. Ça permet de mieux comprendre
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la personne. On travaille en équipe multidisciplinaire. On essaie de trouver la réponse aux questions que les personnes se posent. (Valérie, intervenante) Ça prend une bonne coordination des services et une bonne collaboration entre eux parce que, des fois, la communication ne se fait pas entre les services. (Antoine, membre Table SAD) S’il y a une bonne coordination, même s’il y a peu de services, les personnes peuvent arriver à faire beaucoup. Les personnes sont en confiance quand même. (Thérèse, membre Table SAD) S’il n’y a pas de communication, s’il n’y a pas de coordination, même si tous les éléments sont là pour faire émerger un lien de proximité, ça ne marchera pas. (Julie, membre Table SAD) On peut passer plus de temps à remplir du papier qu’à aller chez les personnes… C’est trop ! Le gouvernement nous envahit de papiers pendant que les clients nous attendent. Ce n’est pas efficace ça ! (Diane, intervenante) Je crois que les structures clinico-administratives, la bureaucratie, la gestion rendent difficiles la qualité de la relation aidant-aidé. Comme intervenant, ça devient lourd. À un moment donné, il faut se parler, se contrôler et s’automotiver pour donner un service qui a du sens à la personne. On devient tellement écrasé par cette bureaucratie que ça devient facile de voir le client comme un numéro. (Line, membre Table SAD) On a une liberté à cause de mon boss. C’est une personne très humaine et très ouverte qui fait toujours passer la clientèle avant tout. L’administration, elle dit : « Je m’organiserai bien avec après ; qu’est-ce que ça fait ? » On a une latitude qui est très importante. On ne se dit pas : « Ça, on ne peut pas le faire à cause de ça. » (Sylvie, intervenante)
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Il y a toujours une question de coûts. Carole disait qu’elle laisse du temps à ses intervenants pour entrer en relation. (En raison d’un manque de financement), la journée qu’elle ne leur en laissera plus de temps, la relation va prendre le bord. (Jocelyn, gestionnaire) On ne peut pas établir un lien de confiance quand on est en maudit, quand on est mal pris, quand on est en souffrance. Il n’y a plus de lien de confiance quand la personne (l’intervenante) vient te donner le tiers du quart de ce que tu as besoin. (Line, membre Table SAD)
Sur le plan spatio-temporel L’espace et le temps L’espace comprend le domicile comme territoire de l’intervention. Le domicile est un espace « naturel » où il est possible de s’exprimer en toute liberté et en toute familiarité. Il incite à l’intimité et ainsi facilite la création de liens. Pour ce qui est du temps, il fait référence à la durée, à la stabilité et à l’intensité de la relation de soins. La majorité des participants ont relevé l’importance de la durée de la relation de soins. Le temps passé avec une personne permet l’adaptation, la confiance, la rassurance, l’acceptation, la création d’un lien significatif. Alors que la durée s’évalue en termes d’heures, la stabilité se mesure en termes de semaines, de mois, d’années. La stabilité procure de la rassurance et du bien-être. Elle permet une familiarité mutuelle et l’établissement d’un profond lien de confiance. Par ailleurs, des participants ont ajouté que ce n’est pas tant la durée et la régularité du contact qui engendrent le lien significatif que le moment particulier de la rencontre ou la qualité de la relation. En effet, si la rencontre se produit dans une période où la personne est très sensible et réceptive à l’aide, en raison par exemple, d’une crise, il se peut que l’intensité du lien apparaisse, bien que le temps investi soit court. Dès que tu donnes un service à domicile, ça ouvre plus la porte à l’intimité parce que tu rentres dans leur monde… On est dans leurs affaires. La relation est souvent plus facile. (Denis, intervenant)
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Je suis plus à l’aise ici. Je me sens moins de trop. Je suis contente qu’ils viennent me voir, qu’ils prennent la peine de se déplacer, ça me fait du bien. (Guylaine, personne aidée) Quand Marie vient, c’est comme si c’était une cousine ou quelqu’un en promenade. Caroline est dans ses choses, elle est ici, ça fait qu’elle est à l’aise, et puis, moi aussi. (Julienne, proche aidante) Le lien de proximité devient possible si c’est la même personne qui va à domicile. (Julie, membre Table SAD) La stabilité, c’est important, parce qu’il n’y a rien de plus déstabilisant, je crois, pour une personne malade, de ne pas voir la même personne. C’est encore plus important pour les personnes atteintes d’Alzheimer… Les gens nous demandent toujours de ne pas changer de bénévole, d’auxiliaire, d’intervenant. Ils ont besoin d’une personne référence. On voit que ce lien-là, pour les gens, est important. (Lucie, membre Table SAD) C’est la clé de notre succès. On est toujours chez nos clients. Ils nous connaissent. Puis ça vient qu’on les connaît de A à Z. C’est ça qui fait qu’on établit le lien de confiance, l’honnêteté, tout le kit. C’est ça qui est important. (Diane, intervenante) Ce n’est pas le nombre d’heures, oui, c’est important là, mais on est disponible pour une heure, c’est cette heure-là qui compte, c’est la qualité de la présence. (Caroline, intervenante)
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Constats sur les effets des liens de proximité en soutien à domicile sur la santé et le bien-être Les effets sur les personnes ayant des incapacités Les liens de proximité ont des effets bénéfiques sur la santé et le bien-être des personnes vivant des situations d’incapacité qui reçoivent des services à domicile. Ils contribuent à réduire le stress ainsi qu’à maintenir et à améliorer la santé mentale, la santé physique et le fonctionnement dans les activités quotidiennes. De plus, ils aident à maintenir les personnes dans leur milieu de vie habituel, retardant ou évitant ainsi l’hospitalisation ou l’hébergement en institution. C’est très très important le lien de confiance. Quand on a ce lien de confiance-là, ils nous appellent quand ils ont un problème. Tandis que si le lien n’est pas là, ils ne nous appellent pas ou ils deviennent anxieux, très anxieux, ça, j’ai observé ça. (Nicole, intervenante) Si la personne vit sa situation avec du stress, elle va moins bien s’en sortir que si elle vit sans stress en ayant une personne avec qui elle a un lien ou un organisme avec qui elle a un lien de confiance. S’il arrive une détérioration, elle a un lien de confiance, elle a quelqu’un à qui elle peut se raccrocher pour avoir une solution à un problème. (Thérèse, membre Table SAD) J’étais après faire une dépression à un moment donné. Francine, je pense qu’elle m’a ramenée. C’est bon d’avoir de l’aide de quelqu’un qui est joviale. (Myriam, personne aidée) Si la personne est incontinente et qu’elle porte des couches, ce n’est pas drôle. Il y a des plaies qui se forment, il y a bien des choses qui se forment. Nous, on est là pour cette protection-là… (Diane, intervenante)
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Ça fait juste quatre ans que je suis autonome. C’est elle (ma bénévole) qui m’a aidée pour les guichets automatiques, pour faire mes commissions, puis pour être avec le monde parce que j’étais sauvage sur les bords. (Martine, personne aidée) Je dirais que ce qui est important c’est la sécurité morale, personnelle, psychologique. Quand quelqu’un est capable d’établir un lien, que la personne se sent bien, tout de suite, que la personne se sent en sécurité, ça favorise son maintien dans son milieu naturel de vie. (Chantale, gestionnaire) Ils ne se sont pas détériorés. Ils sont stables. On en a qui ne sont quasiment pas allés à l’hôpital. On a un rôle, je trouve assez important. Remplir les hôpitaux, je ne pense pas que c’est le but non plus. Non, le but c’est vraiment de les maintenir chez eux. (Diane, intervenante)
Les effets sur les proches aidants Les liens de proximité ont des effets bénéfiques sur la santé et le bien-être des proches aidants. Ils contribuent à réduire le stress, à diminuer l’isolement, à mieux comprendre les services existants, à mettre au jour des problèmes jusque-là insoupçonnés et à pouvoir agir pour les résoudre, à prendre conscience de l’importance de leur bien-être et à prévenir l’épuisement. (Les liens de proximité) ça amène une quiétude. Je pourrais l’ajouter après le mot stress là, la réduction du stress. Mais pour moi, ces liens de proximité sont très importants pour la sécurité. Les proches aidants réagissent bien à ça. Ça sécurise. (Philippe, membre Table SAD) La journée où tu élargis le cercle autour de la personne, par des expériences de répit positives, le stress et les préoccupations diminuent. Le proche aidant se dit : « Il y en a d’autres que moi qui peuvent l’aimer, qui peuvent en prendre soin comme il faut, qui sont
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capables de s’attacher (à elle)… » (Les liens de proximité) brisent l’isolement, (car les proches aidants) se sentent moins seuls, plus entendus, mieux compris. Ils se sentent apaisés, réconfortés (Carole, gestionnaire) (Les proches aidants) ne savent pas trop à quelle porte cogner. Alors, quand ils arrivent à avoir une information claire et qu’ils sentent qu’ils ont un soutien dans l’accompagnement, dans l’obtention de services, on sent l’apaisement. (Claire, gestionnaire) J’aimerais dire que ça donne au proche aidant confiance dans le système. Ça démystifie les barrières. De voir quelqu’un qui établit un lien de proximité avec la personne qui a des incapacités, ça donne confiance dans le système. (Caroline, membre Table SAD) Les liens de proximité permettent des fois d’identifier une situation qui tournait ; il y avait une situation invisible. (Claude, gestionnaire) C’est clair que quand on a un lien de proximité intéressant et qu’on fait réaliser à l’aidant naturel, sa valeur : « Il y a vous là-dedans, il y a vous » (comme personne à ne pas oublier). L’aidant prend conscience (de sa situation). C’est important la reconnaissance de ce que vit l’individu. Sur ça, les liens de proximité peuvent aider beaucoup. Sinon, l’aidant naturel peut s’ignorer totalement. (Lucie, gestionnaire) Les liens de proximité aussi, à mon sens, offrent du répit. Quand la personne qui a des incapacités est aidée, le temps ou la présence de l’aidante permet au milieu naturel de prendre du répit. Si la confiance n’était pas là, elle n’accepterait pas de « sacrer son camp ». (Philippe, membre Table SAD)
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Ils sont tellement épuisés (que les proches aidants) ne voient pas la fin de ça. (Il y a) des situations très graves où on n’a pas pu faire une connexion, ou que la famille n’a pas permis qu’on entre dans son cercle. (Renée, gestionnaire)
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Pourquoi la logique familiale de soins est-elle complexe?
Elle est complexe la logique familiale de soins parce qu’elle est un monde, soit le monde extraordinaire de la petite vie ordinaire. Elle est complexe parce qu’elle est dynamique, mouvante et spontanée. Elle est amour, courage et détermination. Elle peut aussi être haine et violence. Elle n’est jamais totalement la meilleure, mais elle peut parfois être la pire. Elle est complexe la logique familiale de soins parce qu’elle est productrice de sens et porteuse de signification. Elle est ainsi fragments de joie, de peine, une larme, un sourire, un cri de détresse, un profond silence qui parle au nom de son isolement. Elle porte, comme le dit Montaigne, « l’humaine condition » de sa situation. Elle est complexe la logique familiale de soins parce qu’elle est système d’action, d’échange, de rapport non marchand, de rapport de don, de contre-don, de réciprocité. Parce qu’elle est une culture. Tout le regard qu’elle porte sur son existence et ses manières de faire, de penser et d’agir est l’expression de ses normes et de ses valeurs. Elle habite le lieu de ses croyances et ses attitudes en sont l’exemple. Parce qu’elle est transmission de savoirs, elle est donc un socle important de compétences, de connaissances, de savoir-faire populaires. Parce qu’elle est une logique au pluriel dans son mode de fonctionnement, elle est, pour ce faire, l’incarnation de l’hétérogénéité. Ce qui la caractérise, ce n’est pas tant ses zones communes, mais la diversité de la singularité de ses actes quotidiens. Elle est complexe la logique familiale de soins parce qu’elle est inscrite dans des rapports sociaux de sexe et d’inégalité. Parce qu’elle est héritière d’une histoire, d’une mémoire qui se souvient et qui trace le chemin de son destin. Elle est même l’héritière d’une histoire bien antérieure à la mémoire consciente de chaque individu, mémoire inconsciente qui peut cependant influencer plus ou
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moins fortement les relations familiales des acteurs en cause. Parce qu’elle n’a pas le choix de vivre au présent tout en étant incertaine et préoccupée de l’avenir de son futur quotidien. Son existence assurément l’angoisse et son angoisse la stresse. Elle est incertaine parce qu’elle partage les aléas du caractère indéterminé de sa trajectoire. Elle est complexe la logique familiale de soins parce qu’elle est fière et indépendante. Parce qu’elle a la qualité de ses défauts. Elle ne calcule pas ses efforts, mais ne connaît pas ses limites. C’est une logique qui s’ignore justement dans ses efforts, elle s’investit parfois jusqu’à l’épuisement, voire l’effondrement. On comprend alors qu’elle ferait tout pour maintenir son autonomie. Elle est complexe la logique familiale de soins parce qu’elle est responsable. Sa morale est celle du devoir devant ses obligations. Ce n’est pas une tâche qu’elle exerce, c’est un rôle de soutien envers les siens. La preuve : elle est réservée, distante et réticente avec la logique professionnelle d’organisation de services. Si elle a besoin de leurs services, elle se sent souvent coupable de demander de l’aide. Pour elle, c’est bien plus qu’une simple demande, c’est un geste qui interpelle le sens de ses responsabilités et ses liens de solidarité. Voilà pourquoi elle utilise fréquemment la règle du dernier recours qui s’exprime souvent par : « on vous appellera quand on aura besoin d’aide ». Donc, elle ne se laisse pas facilement approcher. Sa sagesse lui rappelle toujours de se méfier et, comme vous le savez, d’être prudente face aux étrangers. Elle n’aime pas qu’on s’introduise dans ses affaires : son privé est sacré. Elle est habituée à régler ses problèmes en famille. Elle redoute de se faire dire ce qu’elle a à faire et comment elle doit le faire. Rien d’étonnant qu’elle soit très exigeante envers elle-même et, lorsqu’elle demande, c’est souvent peu et bien en dessous de ce dont objectivement elle aurait besoin. Elle est complexe la logique familiale de soins parce qu’elle est stratégique dans la résolution de ses problèmes. Pour ce faire, elle est un art de débrouillardise et s’organise du mieux qu’elle peut pour tirer son épingle du jeu. Elle négocie ses contraintes par des compromis qu’offre le champ des possibles. Dès lors, elle est clan,
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pouvoir, tension, émotion, incompréhension, négociation, coopération, médiation, pressions d’alliances, pressions de dissidences, absence de certains, réprobation des autres, etc. Le résultat de sa marge de manœuvre dans son défi de prendre soin donne des compromis à court terme, parfois à moyen terme, mais difficilement envisageables ou tolérables à long terme. Elle est capacité d’adaptation dans le processus de ses ajustements successifs et continus; rien n’est jamais figé. Elle est aussi bien capable de continuité que de rupture. Elle est stable dans son instabilité et susceptible devant les perturbations extérieures qui entravent ou dérangent sa routine quotidienne. En somme, on trouve fondamentalement de l’humain au centre de la logique familiale de soins. De l’humain qui construit, déconstruit et reconstruit, au jour le jour, les conditions de son existence et les règles de son fonctionnement pour faire face aux impositions de son quotidien qui suit une trajectoire en constante évolution. Extrait de Paquet (2003). Vivre une expérience de soins à domicile. Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, p. 84-87.
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