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INTERVIEW RIP AVEC EMMANUEL LEGEARD SPECIALISTE INTERNATIONAL DE LA NUTRITION DE S ATHLETES (manque 3 premiers échanges) Maria Gonzalez : Vous avez beaucoup parlé aussi de la synergie vitamine D/bicarbon ate de potassium? Emmanuel Legeard : C’est vrai. La synergie vitamine D/bicarbonate de potassium me semble importante dans le domaine de l’alimentation du sportif de force. A mon avis, elle constitue un avantage certain pour l’entretien et le développement des fibres blanches de type II , surtout chez les vétérans. Maria Gonzalez : Contre la sénescence, il y a le rééquilibrage hormonal, qui marche très fort. J’ai vu qu’on peut trouver des suppléments sans danger sur le marché susceptibles d’élever par exe mple la testostérone? Emmanuel Legeard: Dans les substances en vente libre, la liste est très courte, en vérité. Dans l’ensemble, ça se répartit entre les molécules qui ne marchent même pas sur le papier et c elles qui ne servent à rien en pratique. Toutes sont très vieilles et sont sorties des laboratoir es soviétiques entre les jeux olympiques de Munich en 1972 et les jeux olympiques de Montréal en 1976, période à laquelle on a élaboré les protocoles capables de dépister l’usage des stéroïdes anabolisants . Elles réémergent une vague d’amateurs sur deux, le temps qu’on oublie que ça ne marche pas. Note z qu’il y a des choses qui se présentent bien sur le papier et qui ne valent rien en prati que. Par exemple, on suppose que la daidzéine du soja pourrait partiellement se convertir en méthoxy-isof lavone une fois dans l’organisme. Rien n’est moins sûr; en tout cas, il n’existe aucune étude sérieuse, et l e fait est que ça n’a jamais marché sur personne. Et je ne parle même pas des substances franchement co miques qui n’ont strictement aucun effet. Maria Gonzalez: Ces substances, quelles sont-elles? Emmanuel Legeard: Eh bien, parmi celles qui n’ont pas le pouvoir d’élever ni directeme nt ni significativement la testostérone, il y a la vitamine E, la vitamine PP, le bêta-sit ostérol et toutes ces sortes de choses, dont l’effet est proche de zéro, même sur le papier. J’ai vu dernièremen t qu’on s’était remis à commercialiser très cher du campestérol. Comme les gens n’ont aucune notion de chimie, on a beau jeu de leur vendre n’importe quoi. Il suffit de leur dire que le campestérol est le précurseur de la boldénone et on peut leur revendre de l’huile de colza à prix d’or. Seule ment le campestérol est le précurseur de la boldénone comme le cholestérol est le précurseur de la testostérone. Si on vous vendait très cher du cholestérol sous prétexte d’élever vos taux de testostérone, vous en achèteriez, vous? Non? Eh bien, voilà. Maria Gonzalez : Mais vous avez expliqué dans votre conférence que les graisses étaien t très utiles à l’athlète de force, notamment sur le plan hormonal… Emmanuel Legeard : Mais c’est vaste, le plan hormonal. Par exemple, la vitamine D est apportée par
les graisses et elle est très importante. C’est elle-même… bon, je vais me faire taper s ur les doigts par les puristes, parce que je fais un raccourci un peu cavalier… mais c’est une hormone , la vitamine D, et elle est indispensable à l’entretien des fibres rapides. Enfin, je vais clarifier un peu. Il y a plusieurs formes de vitamine D. Pour faire bref, la vitamine D importante, c’est la vitamine D3. C’est celle qu’on synthétise à la lumière du soleil, et qu’on ne trouve que dans les graisses animales . Pour tirer de son alimentation de la vitamine D3, il faut manger du poisson gras des mers froi des, du foie, ou des oeufs entiers. Quand elle arrive dans le foie, la vitamine D3 est transformée en c alcidiol, qui est indispensable à l’entretien des fibres blanches de type II à contraction rapide, voire à la transformation des fibres à contraction lente en fibres à contraction rapide. Or ce calcidiol, c’est une préhormone. Voilà. Maintenant, puisque manifestement c’est à la testostérone que vous pens ez, ma réponse est : oui, en effet, les graisses saturées et monoinsaturées ont une influence positive sur la testostérone. Maria Gonzalez : Jean Texier défendait l’idée curieuse que les acides gras essentiels él evaient la testostérone ; est-ce qu’il n’avait pas tout faux, en l’occurrence? Parce que je me souv iens que vous avez écrit que contrairement aux graisses saturées, elles le font baisser. Emmanuel Legeard : C’est un malentendu. Jean Texier était l’un des meilleurs experts a u monde de la diététique culturiste; il était sorti avec un an d’avance parmi les premiers de sa promo tion de l’Ecole Nationale de la Santé Publique dont il était cadre supérieur, et il était international naturel de culturisme. Il ne disait pas de bêtises. Ce que Jean disait, c’est que les omégas-3 ti rés de l’huile de poisson gras évitent la conversion de la testostérone en DHT. Là, il parlait du rappor t favorable de l’activité anabolique à l’activité androgénique, qui est catabolique. D’ailleurs je me souvie s que ça m’avait donné l’occasion d’échanger quelques courriers avec mon excellent collègue canadien Anthony Ricciuto qui est comme moi Spécialiste de la Nutrition de la Performance d e l’Association Internationale des Sciences du Sport. Et nous sommes d’accord, évidemment. Maria Gonzalez : Vous parliez de substances séduisantes sur le papier et sans effe t en pratique pour augmenter la testostérone… Emmanuel Legeard: Oui, dont l’isolation remonte aussi à la période 1972-1976, par exem ple les triterpènes tirés du palaquium gutta ou de la bugle de Kachgarie. La turkéstérone est un e phytoecdysone isolée de l extrait méthanolique des racines de la bugle de Kachgarie. C’est l’analogue de la 20-hydroecdysone, l’hormone sexuelle qui déclenche la mue des arthrop odes. Certaines plantes en contiennent pour se défendre des insectes en provoquant leur mue prématurée, ce qui introduit dans leur organisme une espèce de chaos métabolique dont ils meuren t vite. On trouve des ecdystéroïdes dans les plantes les moins exotiques, comme les asperges. L
e problème, c’est que ça ne marche pas non plus. Les effets notoires de la turkéstérone, qui est la plus puissante, c’est de dérégler le système digestif, de perturber les taux de sucre sanguin et de drai ner les ressources nerveuses de l’organisme parce que c’est un excitant. Maria Gonzalez : Il n’y a donc rien qui puisse élever les taux de testostérone? Emmanuel Legeard : D’abord il faudrait s’entendre sur ce que ça veut dire, « augmenter l a testostérone » ! En ce qui me concerne, c’est du slogan. Ça sonne creux déjà au départ. Le pr blème, c’est le piégeage par la protéine de liaison, la SHGB, et la conversion de la testostéro ne en DHT et en oestrogènes. La SHGB est produite dans les mêmes proportions que la testostérone. Elle se lie à 98% de la testostérone circulante et neutralise complètement la moitié. Donc ce qui faut c onsidérer, c’est la testostérone libre. Or apparemment, il semble possible de l’augmenter par des ext raits de racine d’ortie, du fait que celle-ci renferme un lignane. Les lignanes présentent souvent d es caractéristiques structurales assez semblables aux hormones sexuelles pour mystifier l’organisme. A part ça, il y a l’acide aspartique, et bien d’autres choses encore. Un nutriment fétiche et «secret» de ce rtains professionnels dans les compétitions de culturisme naturel, aux Etats-Unis, c’est le mustard honey, un mélange un-pour-un de miel et de moutarde qui, d’après eux, leur permet de réorienter le ur organisme vers l’anabolisme en fin de prépa. Et, de fait, à y regarder de plus près, c’est un mélange intéressant à plus d’un titre, non seulement du fait de la concentration de la moutard e en brassinolides qui sont en quelque sorte les stéroïdes anabolisants dont les végétaux ont besoin pour la croissance de leurs tissus, mais encore parce que la combinaison des deux peu t certainement stimuler le système immunitaire. Maria Gonzalez : Mais est-ce que tout ne dépend pas de la sensibilité à la testostérone, au final? Emmanuel Legeard : Oui, vous avez parfaitement raison. Tout dépend de la sensibili té des récepteurs musculaires. C’est beaucoup plus important que la testostérone même. Maintenant, comme nt améliorer naturellement sa sensibilité ? Par l’entraînement de force, aucun doute. Peut-être par l’électrostimulation. On l’a montré sur des rats. Le tartrate de carn itine, qui avait fait l’objet d’une campagne commerciale maquillée en articles scientifiques, ne m’a jama is convaincu, et le temps m’a semble-t-il donné raison, puisque le « tar-car » n’a pas l’air de faire effet sur grand monde. Maria Gonzalez : Toutes les protéines se valent-elles ? Emmanuel Legeard : Non, évidemment. Il y a des sources de protéines plus intéressantes que d’autres. L’oeuf, le quinoa… Maria Gonzalez : Comment calculer la ration idéale de protéines? Hier, je lisais une interview du professeur Tipton, la grande autorité en matière de métabolisme protéique, et il disait que le bilan azoté n’avait aucun intérêt?
Emmanuel Legeard : Evidemment! Tout le monde est revenu du bilan azoté pour détermin er le statut ou les besoins d’un athlète; ça ne marche pas, c’est faussé. Les études abondent qui montren t une augmentation du bilan azoté sans aucun changement de la masse musculaire. C’est Renn ie, je crois, qui a dit que s’appuyer sur le bilan azoté, c’était comme projeter un voyage dans la lun e avec un fil à couper le beurre. Dire que ce n’est pas un moyen fiable de juger du gain de masse maigre n’est pas assez: c’est carrément qu’il n’y a aucun rapport. Même Hegsted l’admettait déjà en 68! Donc, complètement rétrograde. C’est comme l’indice glycémique. A tout prendre, on pourrait au m oins lui préférer la charge glycémique. Vous me demandez quelle est la ration idéale, et je n’en sa is rien. Ce qu’il faut déterminer, c’est le rapport entre les macronutriments qui est idéal pour vou s, et ça, c’est du suivi individuel. Il y a de grandes lignes au fonctionnement du corps humain, mais les méthodes sont des attrape-nigauds. Deux individus apparemment semblables peuvent réagir l’un très mal et l’autre très bien à un même régime. Et là, malgré toute la technologie postmoderne, c’est la nde leçon d’humilité parce qu’il faut tâtonner à l’intuition et parfois pendant des semaines avan d’y voir clair dans le métabolisme d’un individu. Maria Gonzalez : Il y a quelques années, vous avez dénoncé la plaisanterie des 40 gram mes de protéines par repas, mais il y a encore des tas de gens à raisonner dans ces proport ions-là. Quelle est l origine de cette idée bizarre? Emmanuel Legeard: Attention; ce que j ai dénoncé, comme vous dites, c est les 40 gra mmes comme plafond, non les 40 grammes comme seuil, proportion tout à fait justifiée. Tout part d un malentendu. Dans les années 60, le grand spécialiste du métabolisme des protéines, Hamis h Munro qui dirigeait alors le département de nutrition humaine au MIT a montré que c était le contenu des protéines alimentaires en acides aminés ramifiés qui décidait de la croissance musculair e, et que des trois – valine, leucine et isoleucine – c était la leucine qui jouait le rôle déterminant. Munro a étudié plusieurs isolats de protéines, dont celui du soja qui était considéré depuis la fin des années 50 comme celui de référence pour les plantes parce qu il contient les 8 acides aminés ess entiels, et celui du blanc d oeuf, maître-étalon selon le "coefficient d efficacité protéique" utilisé depui s 1919. Or il se trouve que le contenu en leucine de ces deux isolats est équivalent: 7 grammes pou r 100 grammes. De sorte que pour apporter les 3 grammes de leucine que Munro pensait nécessaires à la surcompensation anabolique, il faut environ 40 grammes d isolat de soja ou de bl anc d’oeuf. Maria Gonzalez : Vous m’apprenez vraiment quelque chose, jamais je n’avais entendu p arler de Munro. Emmanuel Legeard : Il gagne pourtant à être connu. Comme tous les pionniers qui ne s ont pas
vraiment dépassés et dont on ne fait en définitive que confirmer les intuitions ou les constats grâce aux moyens technologiques extraordinaires dont ils ne disposaient pas encore, ma is qui ont peut-être, en revanche, détrôné l’imagination qui n’est manifestement plus au pouvoir. Maria Gonzalez: A ce propos, justement, et pour revenir au concept de plafond al imentaire : j’ai lu il y a dix ans un article de Monsieur Texier dans lequel il écrivait qu’il fallait obli gatoirement être en déficit calorique pour maigrir et que les protéines alimentaires en trop pouvaient s e stocker sous forme de graisse. Emmanuel Legeard: Une alimentation trop systématiquement riche en protéines peut fai re du tissu adipeux, c’est certain, parce que l’accumulation d’acides aminés dans le sang déclenche le signal de la synthèse protéique et que ce signal est donné par une enzyme activatrice sensible à l a leucine dont la cible, S6K1, a non seulement la capacité de surmener les cellules bêta sécrétric es d’insuline, ce qui souvent entraîne un diabète gras, mais encore de stimuler la prolifération des cellules graisseuses, donc l’invasion du tissu adipeux. De sorte que des rations à la fois très riches en protéines d’origine animale et très fréquentes présentent en effet le risque de rendre gras. Maria Gonzalez: Je croyais que c’était parce que les acides aminés se transformaient e n glucose et que le glucose se stockait sous forme de graisse ? Emmanuel Legeard: Non, je ne crois pas que ce soit possible. D’abord, chez l’homme, la transformation du glucose en acide gras n’a pas lieu dans le tissu adipeux, comme chez le rat, mais dans le foie, et cette voie métabolique est si infime qu’elle ne compte pas vraiment . C’est de l’ordre d’un pour cent. Evidemment, si on avale tous les jours une boîte entière de sucres en morceaux en plus du reste, et sans bouger de son canapé, c’est tellement monstrueux qu’on peut tou t envisager, mais cliniquement, les scientifiques ne sont jamais tombés sur un sujet au métabolis me de rongeur, même obèse. La conversion se fait presque exclusivement dans le foie, elle est néglige able. Quant à celle qui s’opère dans les cellules du tissu adipeux, elle est infime. Normalement. Deuxièmement, tous les acides aminés ne sont pas convertibles en glucose via la gluconéogenèse. Par exemple, la leucine dont nous parlions tout à l’heure n’est pas glucoformatrice. Elle est cétogène, c’es t-à-dire qu’elle donne des corps cétoniques qui sont immédiatement utilisés à des fins énergétiques ou bien éliminés dans l’urine ou par la respiration, ce qui donne une mauvaise haleine à l’odeur d e pomme qui est l’odeur de l’acétone. Troisièmement, la double conversion des acides aminés en glu cose, puis du glucose ainsi gagné en graisse corporelle est trop tortueuse pour être efficace, sans compter que son coût énergétique en neutraliserait les effets. Enfin, il y a l antagonisme insulin e-glucagon: le corps ne peut pas simultanément encourager la dégradation des protéines en glucose et la
pénétration du glucose dans les cellules graisseuses. Maria Gonzalez: C’est très intéressant. Vous parliez du rôle de mTOR dans l’engraissement. Je ne lis pourtant que des choses positives sur la voie mTOR… Emmanuel Legeard: La nature ne donne rien pour rien. L’activation de la voie mTOR est indispensable à la synthèse des protéines musculaires, mais la surstimulation du compl exe mTOR provoque le diabète de type 2 et entraîne le vieillissement accéléré des cellules. Si la r estriction calorique allonge considérablement la durée de vie, c’est parce que la signalisation m TORC–S6K1 s’en trouve diminuée. De même, l’argument commercial du resvératrol, c’est qu’il retarderait e vieillissement par inhibition de mTORC-1. Pourtant, développer ses muscles et sa f orce passe obligatoirement par la stimulation de cette voie de signalisation. C’est la vie. Maria Gonzalez: Pour l’insuline, c’est la même chose : à la fois un bien et un mal. Prov oquer des pics d’insuline est sans doute indispensable? Emmanuel Legeard: Le pic d insuline est quelque chose d’excessivement malsain, ça crèv e les yeux, et pourtant je suis moi-même passé à côté, parce qu on est tous plus ou moins piégés par le conditionnement culturel et ses tropismes, par le prêt-à-penser, comme on dit, qui dét ourne l’attention des vrais problèmes. Et puis un jour, je me suis mis à sérieusement reconsidér er la question, et tout à coup j’ai vu le pic d insuline pour ce qu’il est : un phénomène tout à f ait inquiétant, donc indésirable. Qu’est-ce que c’est, le pic d’insuline? C’est une réaction d urgence à une perturbation interprétée comme toxique par l organisme: le corps cherche par une sal ve désespérée à évacuer de la circulation un taux de sucre sanguin qui est contre nature. Il y a d e l’ironie à comparer les réactions catastrophées - et comiques - face au pic de cortisol, alors qu’il s’agit d’une fluctuation ponctuelle sans importance, avec la totale indifférence au pic d insuline qui n es t pas du tout un phénomène rassurant. Maria Gonzalez : En effet, c est la première fois qu on me présente la chose sous ce t angle... Donc, le pic de cortisol est moins inquiétant que le pic d insuline? Emmanuel Legeard : Ce n’est même pas comparable. Le rapport cortisol/testostérone à la f in d une séance n est révélateur de rien du tout, sinon de l intensité de la séance, de sorte qu on peut soutenir que c est plutôt bon signe. Se mettre dans l’état d’excitation nécessaire pour mobiliser s es forces et attaquer les barres a inexorablement pour conséquence de libérer instantanément de l’adrén aline et de la noradrénaline, et au bout de quelques minutes du cortisol. C’est un mécanisme qu i permet de déstocker du glycogène et de rendre les fibres rapides plus excitables pour une réacti on immédiate. Si l’effort dure, le cortisol inhibe la sécrétion d’insuline afin que le glucose du foie puisse se déverser dans la circulation sanguine et satisfaire aux besoins du métabolisme d’alarme, qui est glycolytique. Maria Gonzalez : Donc le cortisol est une hormone catabolique… Emmanuel Legeard : Evidemment. Le cortisol, c est une hormone catabolique. Mais
ses effets délétères sur les protéines musculaires, s’ils sont réels, ne sont pas instantanés parce que est un facteur de transcription, comme la testostérone. Que vous ayez un pic de cortisol ou de testostérone, ça ne veut rien dire. Les étalons qui s accouplent connaissent un pic de testostérone; ça n a aucun effet anabolique sur leur musculature ou leurs temps de course à Longchamp. Le cor tisol ou la testostérone n ont d effet que si leur élévation est chronique, c est-à-dire si elle se maintient longtemps. Les fluctuations ponctuelles n ont pas la même signification. De toute manière, pas de testostérone sans cortisol. Maria Gonzalez : Il n’y a pas de testostérone sans cortisol? Emmanuel Legeard : Non, parce que la prégnénolone, qui est l’hormone mère, est à la fois l e précurseur du cortisol via la progestérone et de la testostérone via la DHEA et l’andros ténédione, et que ces deux voies se délimitent réciproquement. Maria Gonzalez : Je comprends mieux… Quand on a une alimentation très riche en protéin es, qu’estce qu’il faut adapter comme paramètres alimentaires ? Emmanuel Legeard : Il faut de la vitamine B6, parce que celle-ci est le coenzyme du métabolisme protéique, donc le facteur limitant des réactions. Il faut boire aussi, beaucoup. Le s fibres sont indiquées parce qu’on est facilement constipé. Les enzymes digestives sont très utiles. Mais c’est une question très complexe. Il faudrait des heures pour y répondre convenablement. Maria Gonzalez: Et qu’est-ce qu’on peut utiliser comme suppléments naturels pour amélior er les séances, la caféine ? Emmanuel Legeard: Je constate que les gens sont très mal renseignés en général sur la ca féine; ils en parlent beaucoup, mais sont incapables d expliquer ce que c est, comment ça marche , et cætera. En fait, il n’y a que sur les fibres rouges de type I à contraction lente et métabolisme oxydatif que la caféine agit comme stimulant, parce que celles-ci, à la différence des fibres blanches de type II, disposent d un mécanisme de libération du Ca2+ sensible à la caféine. Tous les effets po sitifs de la caféine sur le muscle viennent de là. Par exemple, si la caféine encourage l’activité de l a protéine lipase contenue dans les fibres rouges de type I à contraction lente, c est parce que la protéine lipase est réactive à la teneur du milieu en Ca2+. Sinon, c est parfaitement connu, la caféin e bloque les récepteurs à l adénosine produite par une diminution de l’irrigation sanguine et de l’appo rt d’oxygène. L’adénosine inhibe le bon fonctionnement du cerveau. Donc si la caféine bloque son action, elle permet certainement de faire reculer la fatigue. C’est bon pour une séa nce interminable de force-endurance. Mais pour l athlète de puissance, je ne vois pas l avantage. Maria Gonzalez : Mais il n y a pas d inconvénient pour autant? Emmanuel Legeard : Il y a des inconvénients majeurs avec la caféine. Les effets de l a caféine, tout le monde le sait, ne sont notoires qu à partir d une forte dose. Ca pose de sérieux pro
blèmes parce que ces effets contrarient clairement les adaptations désirables aux entraînements de fo rce et de puissance. D abord, comme vous le savez sûrement, ce qui fait la différence pour nou s, c est la teneur des muscles en fibres blanches de type II à contraction rapide, du fait que ce son t celles capables de développer leur force et leur puissance en ajoutant des unités contractiles en paral lèle ou en série; c est d ailleurs la raison pour laquelle ce sont les seules disposées à l hypertroph ie fonctionnelle. Or ces fibres consomment du sucre. On dit qu elles ont un métabolisme glycolytique. E h bien la caféine ou la théophylline qui sont les alcaloïdes contenus dans le thé et le café ont ceci de p articulier qu ils empêchent les fibres blanches et les muscles rapides de reconstituer leurs stocks de glycogène par les deux voies de la contraction et de l insuline. Moins de glycogène, c est non s eulement moins de sucre, mais aussi moins d eau, donc un milieu intérieur défavorable à la croissance. T out cela sans compter que l assimilation des acides aminés est également perturbée. Par-dessus le ma rché, vous allez voir que j ai gardé le meilleur pour la fin, la caféine enclenche le commutate ur clef de la transformation des fibres rapides en fibres lentes, le PGC-1 alpha. Maria Gonzalez : Mais ça, il n y a que vous à le dire? Emmanuel Legeard : Pas du tout. L équipe de Handschin l a prouvé, ainsi que l équipe d e Holloszy, et bien d autres encore. Concernant la caféine et la théophylline, les Norvégiens sous la direction de Bolling l ont encore démontré il y a un an ou deux... Tout le monde est au courant q ue la caféine renforce l’expression du PGC-1 alpha, dont on sait très bien qu’il est régulé par des cana ux calciumdépendants. On en parle régulièrement comme d un bienfait parce que l expression renforcée du PGC-1 alpha sous l’effet de la caféine favorise la biogenèse mitochondriale. Soit! Tou t dépend des objectifs. Mais en ce qui nous concerne, le remplacement du phénotype glycolytique anaérobie par le phénotype oxydatif n’est pas quelque chose d’avantageux. Maria Gonzalez : S’il y a des aliments ou des substances capables de transformer l es fibres de type II en fibres de type I, est-ce que l’inverse est possible? Emmanuel Legeard : Bien sûr. Par exemple, l’iode, la vitamine D ou la citrulline enc ouragent la conversion dans le sens type I, type II. D’après D’Antona, l’alimentation hyperprotéique y contribuerait aussi. Et évidemment, l’hydratation est très importante pour l’entretien e t la croissance des fibres rapides, ainsi que l’apport calorique, notamment sous forme glucidique parce que les fibres blanches de type II s’étiolent et peuvent même se transformer si leur carburant spécifique se fait rare. Il y a une centaine d’études montrant que les fibres rapides se détériorent e n priorité dans les régimes hypocaloriques ou chez les dénutris. C’est pour cette raison qu’on leur a do nné le nom de fibres réservoirs. Et même s’il n’y a jamais eu, à ma connaissance, d’études spécialement con rées aux rapports entre le régime sans hydrates et l’intégrité des fibres rapides, je suis ab
solument persuadé qu’un régime « zéro sucre » est mauvais pour les fibres blanches. Ça me semble si implacablement logique que je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Maria Gonzalez : Je vous remercie de m’avoir accordé cette interview passionnante. Emmanuel Legeard : Mais non, c’est moi qui vous remercie. (c) M.Gonzalez, 2013