Enjeux éthiques en réanimation [1st Edition.] 2287990712, 9782287990717 [PDF]

Cet ouvrage collectif fait le point sur les enjeux ?thiques de la pratique actuelle de la r?animation. Chaque auteur a ?

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French Pages 598 Year 2010

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Table of contents :
Cover......Page 1
Enjeux éthiques en réanimation......Page 4
ISBN-13 : 9782287990717......Page 5
Table of contents......Page 6
Liste des auteurs......Page 12
Responsabilité assumée......Page 18
Des limites aux possibles......Page 19
Devoir de discernement......Page 20
Partie I. Fondements philosophiques, éthiques et juridiques......Page 22
Autonomie : droits du patient, responsabilité des soignants......Page 24
Autonomie : une double capacité......Page 25
Altérité, dignité et dépendance. Le sens du soin......Page 27
Éthique de la discussion ou exercice public de l’autonomie......Page 28
Tensions au sein du groupe, rôle et sens du vécu......Page 31
Références......Page 32
Médecine et incertitude......Page 34
Incertitude et statut épistémologique de la médecine......Page 35
Incertitude et prise de décision......Page 36
Médecine et principe de précaution......Page 39
Pour une approche positive du principe de précaution......Page 40
Principe de précaution : un principe de raisonnement logique......Page 41
Prolongements éthiques......Page 42
Conclusion : de l’épistémologie à l’éthique, un pacte de soins renouvelé......Page 43
Références......Page 44
De la genèse des normes en réanimation......Page 46
Des conséquences inéquitables de la normalisation......Page 48
Du conflit éthique à l’analyse juridique, entre déontologie et responsabilité professionnelle......Page 50
Conclusion......Page 51
Références......Page 52
Non-assistance à personne en péril et mise en danger délibérée......Page 53
Responsabilité médicale et normes......Page 54
Introduction......Page 56
Légitimation procédurale......Page 57
Rôle des principes dans la coordination des agents......Page 58
Irréductibilité des divergences morales......Page 59
Conditions de l’expression des désaccords éthiques......Page 60
Conditions de la légalisation de pratiques controversées......Page 61
Du côté des patients et des familles......Page 63
Références......Page 64
Légalisation de l’euthanasie......Page 66
Encadrement des bonnes pratiques médicales......Page 67
Confirmation des choix de la loi du 22 avril 2005......Page 69
Encadrement des modalités d’arrêt de traitement de survie......Page 70
Références......Page 71
Contexte historique de la loi Leonetti......Page 72
Dans un premier temps......Page 74
Dans un second temps......Page 76
La commission parlementaire ouvre enfin la réflexion recueillie en une perspective d’amélioration des dispositif sexistants......Page 77
Enjeux éthiques explicités au cours du travail de révision......Page 78
Conclusion......Page 79
Renforcer les droits des malades dans la continuité des lois de 2002 et de 2005......Page 81
Rendre plus exigeants les indicateurs qualitatifs de soins......Page 82
Aménager le fi nancement de la tarification à l’activité......Page 83
L’entourage peut déclencher la procédure de questionnement sur le caractère déraisonnable ou non des traitements et doit être informé de la motivation de la décision collégiale......Page 84
Les leçons de l’affaire Pierra......Page 85
Un pari pascalien et un compromis entre le souhaitable et le possible......Page 86
La souffrance n’est pas la douleur......Page 87
Références......Page 88
Partie II. Le patient et ses proches en réanimation......Page 90
Définition des directives anticipées......Page 92
Rédaction des directives......Page 93
Usage des directives anticipées......Page 94
Références......Page 96
Missions de la personne de confiance......Page 98
Limites de la désignation de la personne de confiance......Page 99
Références......Page 101
Introduction......Page 104
Avant et juste après Nuremberg......Page 105
Dénonciation de la recherche non éthique,«whistleblowers », historique du Rapport Belmont......Page 106
Rapport Belmont, formulation des principes de l’éthique de la recherche, et loi américaine......Page 107
Notions générales sur l’éthique de la recherche......Page 108
Problème de l’illusion thérapeutique......Page 109
Notion d’equipoise......Page 110
Conflits financiers......Page 111
Problème du consentement éclairé......Page 112
S’affranchir du consentement dans certains cas ?......Page 113
Controverse sur l’ARDS......Page 114
Législation de la recherche en France......Page 116
Conclusions et perspectives......Page 117
Références......Page 118
Champ du secret médical......Page 122
Réanimation......Page 123
Le secret au-delà du décès......Page 126
Secret médical et assurances......Page 127
Secret médical et procès......Page 128
Conclusion......Page 129
Étiologie et diagnostic......Page 130
Neuro-imagerie......Page 131
Espérance de vie et pronostic......Page 132
Qualité de vie......Page 133
Environnement social et familial......Page 134
Références......Page 135
Introduction......Page 138
Survie/mortalité......Page 139
Pronostic......Page 141
Aspects éthiques et fin de vie......Page 143
Conclusion......Page 144
Références......Page 145
Relation médecin-malade : différents modèles théoriques......Page 147
Les familles souhaitent-elles participeraux décisions concernant leur proche en réanimation ?......Page 148
Application contextuelle du principe d’autonomie : nouveaux modèles conceptuels de la relation médecin-malade(du néopaternalisme à l’autonomie de fait)......Page 149
Passage de l’information à la communication(et au dialogue)......Page 150
Consultation de fin de réanimation......Page 151
Références......Page 152
La famille : une notion parfois complexe......Page 155
Déléguer la responsabilité de la décisionaux proches risque de favoriser leur sentiment de culpabilité......Page 156
Les proches ne représentent pas toujours le meilleur intérêt du patient......Page 157
Situations particulières......Page 158
Quand les proches réclament une fin de vie accélérée......Page 160
Références......Page 161
La présence des mineurs en réanimation......Page 162
Quels sont les arguments opposés à la présence des visiteurs mineurs en réanimation ?......Page 163
Premièrement, l’enfant lui-même......Page 164
Comment organiser la visite d’un mineur en réanimation ?......Page 165
Références......Page 166
Historique......Page 168
Critères de l’état de stress post-traumatique......Page 169
Épidémiologie......Page 170
État de stress post-traumatique chez les patients de réanimation......Page 171
État de stress post-traumatique chez les familles de patients en réanimation......Page 173
État de stress post-traumatique au sein de l’équipe soignante......Page 174
Moyens de prise en charge......Page 175
Références......Page 176
Annexe – PCL-S (PTSD check list symptoms)......Page 178
Partie III. Les professionnels de santé en réanimation......Page 179
Particularités de la décision médicale......Page 180
Acteurs de la décision......Page 181
Paramètres de la décision et processus décisionnel......Page 182
Responsabilité et décision......Page 183
Société et législateur......Page 184
Évaluation de la décision......Page 185
Références......Page 186
Introduction......Page 187
Fonctionnement au quotidien des services hospitaliers......Page 188
Critères médicaux......Page 189
Des décisions différentes face à un même enjeu......Page 191
Influence du fonctionnement des services sur le vécu des proches......Page 192
Service B, des parents qui se superposent au monde médical......Page 193
Références......Page 194
Introduction......Page 196
Groupe « Règlements »......Page 197
Groupe « Milieu »......Page 198
Modèle intuitif et heuristique......Page 199
Place et nature de l’erreur ou « de la difficulté à évaluer une procédure décisionnelle »......Page 200
Étape « Prescription des examens complémentaires »......Page 201
Étape « Décision thérapeutique »......Page 202
Impact de la RMM sur le processus décisionnel......Page 203
Équipement......Page 205
Références......Page 206
Concept de burn out......Page 208
Sommes-nous menacés par le burn out syndrome ?......Page 209
Positions respectives de la fatigue, du stress et de la dépression......Page 211
Causes ou conséquences ?......Page 212
Quelles autres pistes ?......Page 213
Références......Page 214
Prévalence de la toxicomanie chez les soignants......Page 215
Addiction et modifications comportementales au travail......Page 216
Quelle conduite l’entourage d’un professionnel de santé victime d’addiction doit-il adopter ?......Page 217
Références......Page 218
Introduction......Page 220
Références......Page 224
Le comportement médical perturbateur (déviant), une réalité bien étayée......Page 226
Des solutions pragmatiques sont à l’oeuvre… sauf chez nous !......Page 228
Références......Page 230
Implication et ressenti des soignants dans la décision......Page 231
Relation avec les familles......Page 232
Conséquences......Page 233
Références......Page 234
Introduction......Page 235
Sur le terrain......Page 236
Au plan technique......Page 237
En devenir......Page 238
Relation avec les familles lors du choix de limitation thérapeutique......Page 239
Références......Page 240
Besoins des familles......Page 241
Burn out chez le personnel soignant......Page 243
Remerciements......Page 245
Références......Page 246
Raisons conduisant au refus d’admission en réanimation......Page 247
Le refus comme décision de limitation thérapeutique......Page 248
Mortalité parmi les patients secondairement admis......Page 249
Améliorer la sélection des patients......Page 250
Est-il possible de prédire les souhaits des patients ?......Page 251
Utilisation de recommandations......Page 252
Le refus d’admission n’est pas une conclusion......Page 253
Références......Page 254
Circonstances dans lesquelles le médecin réanimateur peut être confronté à un refus de traitement......Page 256
Difficultés et enjeux......Page 257
La relation médecin-malade est question......Page 258
Différents types de refus de traitement (1, 4, 17, 19)......Page 259
Construction d’une réponse au refus......Page 260
Références......Page 261
Introduction......Page 263
Quatre services de réanimation, quatre cultures de fin de vie spécifiques......Page 264
Qualité du processus de fin de vie......Page 266
La question de l’implication des proches dans les décisions de fin de vie......Page 268
Responsabilité et fuite des émotions......Page 269
Références......Page 272
Les proches confrontés à l’éventualité d’un deuil......Page 273
Quelle collégialité ?......Page 274
Différence de nature entre la délibération et la décision......Page 275
Subjectivité et intersubjectivité......Page 276
L’espace et le temps......Page 277
Le conflitcomme sortie du tragique......Page 278
L’herméneutique......Page 279
Les registres de rationalité et les critères de validité qui leur correspondent.......Page 280
La discussion collégiale : un songe creux ou une initiation à l’éthique ?......Page 281
Références......Page 282
Annexe – Décret n° 2006-120 du 6 février 2006 relatif à la procédure collégiale prévue par la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et modifiant le Code de la santé publique (dispositions réglementaires)......Page 283
Les patients......Page 284
La place du patient et de ses proches......Page 285
Soins palliatifs et réanimation : un rapprochement en cours......Page 286
Besoins et ressources en soins palliatifs dans les unités de réanimation......Page 287
Soins palliatifs en amont et en aval de la réanimation......Page 288
Aspects spécifiques selon les spécialités et les pathologies......Page 289
Aspects éthiques des relations entre soins palliatifs et réanimation......Page 290
Références......Page 292
Mourir en réanimation en France aujourd’hui......Page 294
Communiquer de mauvaises nouvelles......Page 296
Spiritualité, religion et fin de vie en réanimation......Page 297
Les gens du voyage et la fin de vie en réanimation......Page 299
Comment améliorer la prise en charge des patients culturellement différents ?......Page 300
Références......Page 302
Démarche......Page 303
Quelle est la place des parents dans la démarche décisionnelle ? Peuvent-ils être impliqués dans la décision ?......Page 304
« Temps palliatif »......Page 305
Arrêt et limitation des traitements de support vital en néonatalogie......Page 306
Désinvestissement familial......Page 307
Difficultés liées au contexte général......Page 308
Quelles solutions pour tenter d’y remédier ?......Page 309
Déplacement des enjeux éthiques et « transformations silencieuses »......Page 310
Références......Page 311
Évolution des pratiques autour de la fin de vie et impact de la loi au cours des deux dernières décennies......Page 313
Collégialité et place des parents......Page 314
Nouveau-né malformé : intérêt et limite du diagnostic prénatal......Page 315
Moyens, temps et formation......Page 316
Références......Page 317
Notions de dépistage et de diagnostic......Page 319
Historique......Page 320
Législation......Page 321
Dérive normative ?......Page 322
Diagnostic par prélèvement foetal......Page 323
Autonomie et consentement éclairé......Page 324
Risque de dérive eugénique et normative......Page 325
Remerciements......Page 326
Bibliographie......Page 327
Introduction......Page 328
Processus décisionnel......Page 329
Particularités pédiatriques......Page 330
Limites de l’approche procédurale......Page 331
Autonomie des parents......Page 332
Information et communication......Page 333
Résolution des conflits......Page 334
Préalables au retrait de la ventilation mécanique......Page 335
Modalités d’arrêt de la ventilation mécanique......Page 336
Références......Page 339
Épidémiologie générale......Page 341
Considérations générales......Page 342
Spécificités gériatriques......Page 343
Mortalité hospitalière......Page 344
Conclusion......Page 347
Références......Page 348
Thématique spécifique du cérébrolésé......Page 349
Application pratique de la loi dans ce contexte......Page 350
Cas particulier de la limitation ou de l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation......Page 351
Difficultés et obstacles dans la pratique......Page 352
Effets d’évitement d’amont......Page 353
La discussion doit ensuite, dans un deuxième temps, s’ouvrir aux familles......Page 354
La sédation accompagnant l’arrêt des traitements......Page 355
Références......Page 356
Le cerveau est la cible principale......Page 357
Comment apprécier l’état neurologique et fonctionnel ?......Page 358
Pourquoi stopper les traitements au cours du coma post-anoxique ?......Page 359
Le pronostic peut-il être apprécié sur le terrain ?......Page 360
Le pronostic peut-il être apprécié dès l’admission en réanimation ?......Page 361
Nécessité d’une période d’attente......Page 362
Électroencéphalogramme (EEG)......Page 363
Comment conduire l’arrêt des thérapeutiques ?......Page 364
Références......Page 365
Principaux facteurs de gravité......Page 367
Limitations thérapeutiques à la phase aiguë des AVC graves......Page 368
Prise en charge palliative des AVC graves......Page 369
Incertitude du pronostic neurologique et de la qualité de vie future......Page 370
Peut-on définir un handicap inacceptable ?......Page 371
Références......Page 372
Annexe I – Score National Institute of Health Stroke Scale (NIHSS)......Page 374
Annexe II – Échelle de Rankin modifiée......Page 378
Annexe III – Index de Barthel......Page 379
Introduction......Page 380
Maladie veineuse thromboembolique......Page 381
Défaillance vitale de cause iatrogène, médicale ou chirurgicale......Page 382
Deuxième question : quelle est l’espérance de vie du patient ?......Page 383
Intègre-t-on l’impact, sur ces deux facteurs, de la réanimation elle-même, pendant laquelle la pathologie maligne va poursuivre sa progression et l’état nutritionnel se dégrader ?......Page 384
Quel est le sens du projet médical pour le patient ?......Page 385
Faut-il réanimer ? La prévention du dilemme......Page 386
Aspects cybernétiques : la nécessité de points de contrôle dans le parcours de soins......Page 387
Travailler en équipe......Page 389
Références......Page 390
Un constat......Page 392
Information et formation à tous les niveaux......Page 393
Quels critères pour une décision juste en réanimation oncologique ?......Page 394
Quelles autres solutions ?......Page 395
Références......Page 396
Définition des soins palliatifs et des soins de soutien......Page 398
Comment annoncer la nécessité d’une assistance ventilatoire à un malade atteint de sclérose latérale amyotrophique ?......Page 399
Quand parler de la nécessité d’une ventilation, voire d’une trachéotomie ?......Page 400
Soutien psychologique......Page 402
Angoisse des proches......Page 403
Références......Page 404
Mise en place ou limitation de la suppléance nutritionnelle......Page 406
Suppléance respiratoire : ventilation invasive......Page 407
Troubles de la compétence et obstacles liés à la situation sociale......Page 408
Conclusion......Page 409
Contexte clinique......Page 410
Contexte psychologique......Page 411
Transferts en réanimation......Page 412
Limitation et arrêt des traitements intensifs......Page 413
Soins intensifs,soins de support et soins palliatifs......Page 414
Le principe dominant de la décision médicale est et reste la bienfaisance médicale......Page 415
Développement et limites de l’autonomie du malade......Page 416
Références......Page 417
Mortalité......Page 419
Pronostic......Page 420
Infection à VIH et société......Page 421
Infection à VIH et réanimation......Page 422
Critères objectifs......Page 423
Relation médecin-malade......Page 424
Aspects sociétaux......Page 425
Références......Page 426
Existe-t-il des critères de légitimité sur le plan éthique pour limiter ou interrompre des traitements ?......Page 427
Comment peut-on qualifier l’action médicale ?......Page 428
Quelle est la responsabilité du médecin ?......Page 429
Références......Page 430
Contexte de la médecine d’urgencepréhospitalière......Page 432
Différentes situations au SAMU et au SMUR......Page 433
Médecine d’urgence préhospitalière : de la décision à l’accompagnement......Page 435
Accompagnement......Page 436
Références......Page 437
Technique de mise en place......Page 439
Complications......Page 440
Évolution......Page 441
Autonomie......Page 442
Coût de l’ECMO : économique et humain......Page 443
Organisation. Quels centres ? Quelle chance pour les patients ?......Page 444
Cas de l’ACR : ECMO (pour sauver cette vie) ou prélèvement à coeur arrêté (pour sauver une vie)......Page 445
ECMO et recherche......Page 446
Références......Page 447
Annexe I – Cas cliniques......Page 449
Annexe II – ECMO et Syndrome de détresse respiratoire aiguë de l’adulte (SDRA)......Page 450
Partie V. La réanimation et le don d’organes......Page 451
La mort de l’homme......Page 452
Quand la mort est incertaine......Page 453
Quand la mort est certaine......Page 454
La mort : arrêt de l’activité du coeur et de la circulation sanguine......Page 455
La mort du cerveau et de l’encéphale......Page 456
Le débat autour des examens complémentaires......Page 457
Retour sur la mort par arrêt de l’activité cardiocirculatoire......Page 458
La mort phénomène social et métaphysique......Page 459
Conclusion......Page 460
Références......Page 461
Consentement et don d’organe......Page 462
Consentement présumé......Page 463
Au Brésil......Page 464
Aux États-Unis......Page 465
Lois de bioéthiques de 1994......Page 466
Révisions des lois de bioéthiques de 2004......Page 467
Les proches......Page 468
Le défunt porte une carte de don......Page 469
Le défunt n’avait jamais clairement exprimé sa position......Page 470
Références......Page 471
Du concept au droit......Page 472
Questions éthiques posées par l’EME aux médecins réanimateurs : Soigner un malade ou « soigner » un mort ?......Page 473
Réanimer ou ne pas réanimer ?......Page 474
Le témoignage des familles n’est pas un consentement......Page 475
Entre humanisme et utilitarisme......Page 476
Bibliographie......Page 477
Historique......Page 478
Nature du progrès en chirurgie......Page 479
Comment les recherches sur les tissus composites ont-elles été rendues possibles ?......Page 480
Avis n° 82 sur l’allogreffe de face1......Page 481
Accord préalable de l’agence de biomédecine3......Page 482
Coordinations hospitalières de prélèvements......Page 483
Problèmes éthiques liés à l’anesthésie/réanimation......Page 484
Références......Page 485
Introduction......Page 487
Conflits d’intérêt potentiel......Page 488
Conception conséquentialiste......Page 489
Définition de la mort encéphalique......Page 490
Concept non consensuel. Définition individuelle de la mort......Page 492
Facilitation du passage en état de mort encéphalique......Page 494
Remise en cause de la règle du donneur mort......Page 495
Conclusion......Page 497
Références......Page 498
Fidélité aux principes fondateurs......Page 499
Choix du pragmatisme......Page 500
Interrogations éthiques......Page 501
Bibliographie......Page 502
Catégorie 3 ou M3 : « awaiting cardiac arrest », arrêt cardiaque attendu......Page 503
Comité d’éthique de l’Établissement français des greffes en 2004......Page 504
Critères de Maastricht et position de la SRLF en 2007......Page 505
Position du docteur Alain Tenaillon4 en juin 2009 (9)......Page 506
D’Harvard à Maastricht......Page 507
La question de l’ECMO thérapeutique......Page 509
Prélèvements d’organes à partir de donneurs de la catégorie M3 en France......Page 510
Prélèvements d’organes à partir de donneurs de la catégorie M3 dans d’autres pays......Page 511
Références......Page 512
Patients Maastricht 1 et 2......Page 513
Alternative de l’assistance circulatoire thérapeutique......Page 514
Retour vers un passé récent......Page 516
Problèmes éthiques posés......Page 517
Problématique analogue chez le patient en mort encéphalique......Page 518
Qui parle pour les patients décédés ?......Page 519
Est-ce vraiment nécessaire ?......Page 520
Références......Page 521
Chapitre 59 Maastricht 1 et 2 : la position des réanimateurs espagnols......Page 522
Données statistiques espagnoles......Page 523
Aspects médico-légaux et éthiques en Espagne......Page 525
Phase 1. Assistance extrahospitalière......Page 526
Prélèvement d’organes et de tissus......Page 527
Transplantation de rein provenant de donneur à coeur arrêté non contrôlé......Page 528
Transplantation de foie provenant de donneur à coeur arrêté non contrôlé......Page 530
Transplantation de poumon provenant de donneur à coeur arrêté non contrôlé......Page 531
Donneurs de tissus à coeur arrêté......Page 533
Références......Page 534
Quelles sont les pratiques hors des frontières nationales ?......Page 535
Dans quelles conditions un prélèvement est-il possible sur les patients DDAC III ?......Page 536
Gestion du donneur mort après le retrait des soins de support vital......Page 537
Conflits d’intérêt entre professionnels de santé......Page 538
Cas des patients en soins intensifs et respect de l’éthique palliative......Page 539
Difficultés induites dans le rapport des soignants aux proches......Page 540
Combien d’organes peut-on espérer recueillir de l’autorisation du DDAC III en France ?......Page 541
Acceptabilité sociale de la pratique......Page 542
Ouvrir le débat......Page 543
Règle du « donneur mort »......Page 544
Références......Page 545
Annexe I......Page 547
Annexe II......Page 548
Donor Identification and Referral......Page 549
DCD Candidacy......Page 550
The Use of Heparin......Page 551
The Duration of Absence of Circulation......Page 552
The Denver Protocol......Page 553
Clinical Outcomes of Kidney Transplantation Performed with Categories of Deceased Donors......Page 554
References......Page 555
Première étape : absence de bénéfice pour le malade......Page 556
Une décision individuelle......Page 557
Références......Page 558
Partie VI. Aspects médico-économiques en réanimation......Page 559
Introduction......Page 560
Les trois âges de la médecine et leurs conceptions financières......Page 561
Éthique et justice : l’évaluation des pratiques comme volonté d’une juste allocation des ressources......Page 562
Le concept de limitation/restriction des thérapeutiques actives en réanimation augure-t-il de nouvelles relations avec les patients et leurs proches ? L’exemple de la prise en charge des personnes âgées......Page 563
Les valeurs de justice engagées dans les processus de délibération et de prise de décision......Page 565
Références......Page 566
Questions éthiques soulevées par le progrès technique et ses conséquences sur la pratique médicale......Page 567
Irruption de la rationalité économique dans la décision médicale......Page 568
T2A, ou valorisation de l’activité......Page 569
Historique......Page 570
Médecins à l’épreuve du management public......Page 572
Evidence based medicine ou médecine fondée sur les preuves : une méthode pour la pratique clinique......Page 573
Nouveau paradigme......Page 574
Références......Page 575
Quality of Life Measurement......Page 576
Cost-effectiveness Analysis and ICU......Page 578
Duration of survival......Page 579
Quality of survival......Page 580
NICE and Cost-effectiveness Analyses......Page 581
Appraisal......Page 582
Assessment methods......Page 583
Conclusion......Page 584
References......Page 585
Introduction – Une approche bioéthique en réanimation......Page 588
Les refus d’admission – le consentement présumé des patients incompétents......Page 589
La limitation (withholding) ou le retrait (withdrawing) des thérapeutiques actives......Page 590
L’information aux proches et aux patients – le rôle des proches dans les décisions médicales......Page 592
La recherche en réanimation......Page 593
Conclusion......Page 595
Références......Page 596
Postface Comment aff ronter les défi s de l’avenir ?......Page 597
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Enjeux éthiques en réanimation   [1st Edition.]
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Enjeux éthiques en réanimation

Springer Paris Berlin Heidelberg New York Hong Kong Londres Milan Tokyo

Enjeux éthiques en réanimation

Sous la direction de Louis Puybasset Préface de Emmanuel Hirsch Postface de Régis Aubry

Louis Puybasset Unité de neuroréanimation chirurgicale Département d’anesthésie-réanimation Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière Université Pierre et Marie Curie – Paris 6 47-83, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris

ISBN-13 : 978-2-287-99071-7 Springer Paris Berlin Heidelberg New York

© Springer-Verlag France, Paris, 2010 Imprimé en France

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Illustration de couverture : Alexis Puybasset Maquette de couverture : Jean-François Montmarché Mise en page : DESK – 53940 Saint-Berthevin

Sommaire Liste des auteurs ............................................................................................................................ Préface – Réanimation : une pensée exigeante E. Hirsch ...................................................................................................................

xvii

Partie I. Fondements philosophiques, éthiques et juridiques .................

1

1.

xi

Penser l’autonomie en réanimation C. Pelluchon..............................................................................................................

3

Incertitude et précaution en médecine Aspects épistémiques et prolongements éthiques A.-C. Masquelett .......................................................................................................

13

Réanimation et conflit fl de valeurs entre la norme et les moyens Des contraintes réglementaires à l’indépendance professionnelle F. Fourrier, P. Barincou .............................................................................................

25

Dilemmes moraux en réanimation : pour une institutionnalisation des désaccords éthiques C. Guibet Lafaye ......................................................................................................

35

Apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie Y.-M. Doublett ...........................................................................................................

45

Avancées du rapport Leonetti de 2008 S. Van Pradelles........................................................................................................

51

Modification fi de 2009 de l’article 37 du Code de déontologie médicale B. Devalois ...............................................................................................................

63

Partie II. Le patient et ses proches en réanimation ......................................

69

Autonomie, vulnérabilité et dignité de la personne en réanimation ..............

71

2.

3.

4.

5.

6. 7.

8.

Directives anticipées R. Mislawski ............................................................................................................

73

La personne de confiance fi A. Renault, J.-M. Boles.............................................................................................

79

10. Enjeux éthiques de la recherche clinique en réanimation D. Dreyfuss ..............................................................................................................

85

11. Respect du secret médical en réanimation A. Lienhart, D. Ganem-Chabenet............................................................................. t

103

12. Quelles attitudes médicales et éthiques adopter envers le patient en locked-in syndrome ? M. Thonnard, C. Chatelle, O. Gosseries, A. Vanhaudenhuyse, S. Laureys, M.-A. Bruno .............................................................................................................

111

13. État végétatif et état de conscience minimale : un devenir pire que la mort ? M.-A. Bruno, O. Gosseries, A. Vanhaudenhuyse, C. Chatelle, S. Laureys ..................

119

L’implication des proches auprès de la personne malade.....................................

129

14. Implication des familles des patients de réanimation dans le processus décisionnel : nuances et contextualité E. Azoulay, F. Pochardd ..............................................................................................

131

9.

vi

Enjeux éthiques en réanimation 15. Place des familles dans la réflexion collégiale : l’exemple des soins palliatifs B. Devalois, A. Burnodd .............................................................................................

139

16. Quelle place pour le proche mineur en réanimation ? F. Blot, D. Madec ......................................................................................................

147

17. État de stress post-traumatique et réanimation C. Gauthier, M. Lejoyeux.......................................................................................... x

153

Partie III. Les professionnels de santé en réanimation ..............................

165

Leur rôle ...................................................................................................................................

167

18. Déterminants de la décision médicale D. Devictorr ...............................................................................................................

169

19. Infl fluences du fonctionnement des services hospitaliers sur les décisions médicales et le vécu des proches E. Gisquet ................................................................................................................

177

20. Impact de la revue de mortalité et de morbidité sur le processus décisionnel en réanimation Francine Bonnet .......................................................................................................

187

L’impact de la réanimation sur les soignants ...........................................................

199

21. Burn out en anesthésie-réanimation G. Mion, N. Libert, F. Petitjeans, D. Journois ...........................................................

201

22. Conduites addictives chez les professionnels de santé Francis Bonnet .........................................................................................................

209

23. Processus intimes mis en œuvre par les médecins pour lutter contre l’envahissement de la maladie et de la mort dans leur vie quotidienne A.-L. Boch ................................................................................................................

215

24. Comportements médicaux perturbateurs L. Beydon, S. Gergaudd ..............................................................................................

221

25. Impact sur les soignants paramédicaux de la prise de décision des limitations thérapeutiques en réanimation adulte N. Mourey ................................................................................................................

227

26. Impact sur les soignants paramédicaux de la prise de décision des limitations thérapeutiques en neuroréanimation M. Ikène-Thiers, Th J.-M. Thiers ....................................................................................

231

27. Impact psychologique de la prise en charge des patients récupérant du coma sur les familles et l’équipe soignante C. Schnakers, O. Gosseries, D. Ledoux, S. Laureys ....................................................

237

Partie IV. Les décisions de limitation ou d’arrêt des traitements actifs en réanimation ..........................................

243

Les bases fondamentales ...................................................................................................

245

28. Le refus d’admission en réanimation, première limitation des thérapeutiques actives F. Philippart, M. Garrouste-Orgeas ..........................................................................

247

29. Refus de traitement J.-M. Boles ...............................................................................................................

257

Sommaire 30. Fin de vie et cultures de service Un regard sociologique sur les décisions de LATA en réanimation N. Kentish-Barnes....................................................................................................

265

31. Fonctionnement de la collégialité L. Haddadd ................................................................................................................

275

32. Soins palliatifs et réanimation : un antagonisme dépassé M. Lévy-Soussan ......................................................................................................

287

33. Transculturalité, religion, traditions autour de la mort en réanimation J.-G. Hentz, M. Hasselmann ....................................................................................

297

Aux différents ff âges de la vie .............................................................................................

307

34. Néonatalogie P. Bétrémieuxx ...........................................................................................................

309

35. Néonatalogie : un regard de terrain D. Mitanchez............................................................................................................

319

36. Questions éthiques posées par le diagnostic prénatal D. Héron...................................................................................................................

325

37. Pédiatrie P. Hubert, R. Cremerr ................................................................................................

335

38. Soins des patients âgés en réanimation B. Guidet, D. Pateron, A. Boumendil.........................................................................

349

Selon la pathologie...............................................................................................................

357

39. Patient cérébrolésé adulte à la phase aiguë La loi du 22 avril 2005 à l’épreuve de la neuroéthique L. Puybasset............................................................................................................. t

359

40. Coma post-anoxique A. Cariou, N. Kentish-Barnes ...................................................................................

367

41. Limitations et arrêts de traitements à la phase aiguë des accidents vasculaires cérébraux graves S. Crozierr .................................................................................................................

377

42. Processus décisionnel chez le patient atteint de cancer en défaillance vitale F. Goldwasserr ...........................................................................................................

391

43. Aspects éthiques de la réanimation en oncologie B. Raynardd ...............................................................................................................

403

44. Soins palliatifs dans l’insuffi ffisance respiratoire de la sclérose latérale amyotrophique J. Gonzalez-Bermejo ................................................................................................

409

45. Limitation de la suppléance nutritionnelle et respiratoire au cours de la sclérose latérale amyotrophique. Point de vue du neurologue référent F. Salachas ...............................................................................................................

417

46. Hématologie R. Zittoun ................................................................................................................

421

47. Décisions de limitation ou d’arrêt des traitements actifs en réanimation chez les patients infectés par le VIH C. Joly, J.-C. M. Richard, F. Borsa-Lebas ..................................................................

431

vii

viii Enjeux éthiques en réanimation

Aspects éthiques ...................................................................................................................

439

48. Responsabilité du médecin dans la décision de limitation ou d’arrêt de traitement en réanimation J.-M. Boles, A. Renault ...........................................................................................

441

49. Questions éthiques liées à la pratique de la médecine d’urgence préhospitalière au SAMU et au SMUR F. Dolveck .................................................................................................................

447

50. Enjeux éthiques des techniques d’assistance circulatoire à la phase aiguë, pratiques innovantes en situation d’enjeu vital immédiat P. Bizouarn ...............................................................................................................

455

Partie V. La réanimation et le don d’organes ....................................................

467

Notions juridiques et éthiques ........................................................................................

469

51. La mort objectivée E. Lepresle ................................................................................................................

471

52. Notion de consentement présumé en France S. Cazalot, J. Charpentierr ........................................................................................

481

L’état de mort encéphalique .............................................................................................

491

53. État de mort encéphalique. Existe-t-il encore des problèmes éthiques ? F. Gruat, R. Gruat, F. Roussin ..................................................................................

493

54. Nouveaux prélèvements de tissus composites J.-P. Meningaudd .......................................................................................................

499

55. De la neuroréanimation à la réanimation d’organes A. Nicolas-Robin ......................................................................................................

509

Prélèvements sur donneurs morts après arrêt cardiaque....................................

521

56. Révision des lois de bioéthique et dons d’organes sur personnes décédées Y.-M. Doublett ...........................................................................................................

523

57. Étude critique des critères de Maastricht R. Gruat................................................................................................................... t

527

Maastricht 1 et 2 .......................................................................................................................

537

58. Éthique et prélèvement d’organes chez un donneur à cœur arrêté : la position d’un médecin français B. Riou .....................................................................................................................

539

59. Maastricht 1 et 2 : la position des réanimateurs espagnols M. Manyalich, J. Carazo...........................................................................................

549

Maastricht 3...............................................................................................................................

563

60. Faut-il accepter le prélèvement d’organes sur patients DDAC III en France ? C. Guibet Lafaye, L. Puybasset.................................................................................

565

61. Controlled Donation after Cardiac Death F.L. Delmonico, J. Bradley ........................................................................................

579

62. Aspects éthiques du NHBD : position des réanimateurs belges J.-L. Vincent, M. Van Nuff ffelen, J. Berré ...................................................................

587

Sommaire

Partie VI. Aspects médico-économiques en réanimation ...........................

591

63. Quelle éthique pour la distribution des ressources : place des réanimations dans l’offre ff de soin S. Beloucif, B. Régnierr ..............................................................................................

593

64. La politique de santé peut-elle s’adapter aux nouvelles donnes de la pratique médicale ? A. Giraud-Roufast.................................................................................................... t

601

65. Application of QALYs in the UK S. Ridley...................................................................................................................

611

66. Limites de la prise en charge en réanimation – La position suisse J.-C. Chevrolet, B. Ricou...........................................................................................

623

Postface – Comment aff ffronter les défi fis de l’avenir ? R. Aubry...................................................................................................................

633

ix

Liste des auteurs Régis Aubry Département soins palliatifs – douleurs Hôpital Jean Minjoz – CHU 3, boulevard d’Alexandre Fleming 25030 Besançon Cedex

Anne-Laure Boch Service de neurochirurgie Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris

Elie Azoulay Service de réanimation médicale Hôpital Saint-Louis 1, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris

Jean-Michel Boles Service de réanimation médicale et surveillance continue Hôpital de la Cavale Blanche – CHU Boulevard Tanguy Prigent 29609 Brest Cedex

Paul Barincou Directeur délégué aux affaires ff juridiques Direction Générale CHRU de Lille Sadek Beloucif Service d’anesthésie-réanimation CHU Avicenne 125, rue de Stalingrad 93000 Bobigny Jacques Berré Université Libre de Bruxelles Service de réanimation polyvalente Hôpital universitaire Erasme Route de Lennik, 808 1070 Bruxelles Belgique Pierre Bétrémieux Service de réanimation pédiatrique CHU de Rennes Hôpital Sud 16, boulevard de Bulgarie 35203 Rennes Cedex 2 Laurent Beydon Pôle d’anesthésie-réanimation CHU d’Angers 4, rue Larrey 49933 Angers Cedex 9 Philippe Bizouarn Service d’anesthésie-réanimation Hôpital G. et R. Laënnec 44035 Nantes Cedex 01 François Blot Service de réanimation médico-chirurgicale – USCM Institut de cancérologie g Gustave Roussy 114, rue Édouard Vaillant 94805 Villejuif Cedex

Francine Bonnet Service de réanimation Hôpital Saint-Louis 1, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris Francis Bonnet Département d’anesthésie-réanimation Hôpital Tenon 4, rue de la Chine 75970 Paris Cedex 20 Françoise Borsa-Lebas Service de maladies infectieuses CHU Charles Nicolle 1, rue de Germont 76000 Rouen Ariane Boumendil Faculté de médecine Saint-Antoine INSERM, UMRS U707 27, rue de Chaligny 75012 Paris James Bradley Information Services New England Organ Bank 60 First Avenue Waltham, MA 02451-1106 USA Marie-Aurélie Bruno Coma Science Group Centre de recherches du Cyclotron Université de Liège Sart Tilman B30 4000 Liège Belgique

xii

Enjeux éthiques en réanimation

Alexis Burnod Unité de soins palliatifs Centre hospitalier de Puteaux 1, boulevard Richard Wallace 92800 Puteaux

Francis L. Delmonico New England Organ Bank 60 First Avenue Waltham, MA 02451-1106 USA

Alain Cariou PU-PH Service de réanimation médicale Hôpital Cochin – Saint-Vincent-de-Paul La Roche Guyon 27, rue du Faubourg Saint-Jacques 75679 Paris Cedex 14

Bernard Devalois Unité de soins palliatifs Centre hospitalier de Puteaux 1, boulevard Richard Wallace 92800 Puteaux

Jesús Carazo Anestesiología y Reaminación Hospital del Mar. IMAS Passeig Marítim 25-29 08003 Barcelona Espagne Sylvie Cazalot Agence de la biomédecine Hôpital Larrey 24, Chemin de Pouvourville TSA 30030 31059 Toulouse Cedex 9 Julien Charpentier Service de Réanimation Médicale Hôpital Cochin – Saint-Vincent-de-Paul La Roche Guyon 27, rue du Faubourg Saint-Jacques 75679 Paris Cedex 14 Camille Chatelle Coma Science Group Centre de recherches du Cyclotron Université de Liège Sart Tilman B30 4000 Liège Belgique Jean-Claude Chevrolet Service des Soins Intensifs (pour adultes) Hôpitaux Universitaires de Genève 4, rue Gabrielle-Perret-Gentil CH 1211 Genève 14 Suisse

Denis Devictor Service de réanimation pédiatrique et néonatale Hôpital de Bicêtre 78, rue du Général Leclerc 94275 Le Kremlin-Bicêtre François Dolveck Département d’anesthésie réanimation Hôpital Raymond Poincaré 104, boulevard Raymond Poincaré 92380 Garches Yves-Marie Doublet Département de recherche en éthique Université Paris-Sud II 63, rue Gabriel Péri 94276 Le Kremlin-Bicêtre Cedex Didier Dreyfuss Service de réanimation médico-chirurgicale Hôpital Louis Mourier AP-HP – Unité Inserm U722 172, rue des Renouillers 92701 Colombes Cedex François Fourrier Service de Réanimation Polyvalente Hôpital p Roger g Salengro – CHRU Rue Émile Laine 59037 Lille Cedex Danièle Ganem-Chabenet Barreau de Paris 11 B, rue Farraday 75017 Paris

Robin Cremer Service de réanimation pédiatrique Hôpital Jeanne de Flandre CHU de Lille Avenue Eugène Avinée 59037 Lille Cedex

Maité Garrouste-Orgeas Service de réanimation médico-chirurgicale Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph 185, rue Raymond Losserand 75014 Paris

Sophie Crozier Service des Urgences cérébro-vasculaires Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris

Claire Gauthier Service sectorisé et universitaire de psychiatrie Hôpital Maison Blanche et Bichat 46, rue Henri Huchard 75018 Paris

Liste des auteurs xiii

Soizic Gergaud Pôle d’anesthésie-réanimation CHU d’Angers 4, rue Larrey 49933 Angers Cedex 9

Bertrand Guidet Hôpital Saint-Antoine – AP-HP Service de réanimation médicale 184, rue du Faubourg Saint-Antoine 75571 Paris Cedex 12

Alexandra Giraud-Roufast Service d’épidémiologie CHU de Clermont-Ferrand 58, rue Montalembert 63003 Clermont-Ferrand Cedex 1

Lise Haddad Service d’anesthésie-réanimation Unité d’évaluation et de traitement de la douleur Hôpital Saint-Louis 19, rue Claude Vellefaux 75010 Paris

Elsa Gisquet Sociologie Coordination observatoire national de la fin fi de vie 6, avenue du professeur André Lemierre 75980 Paris Cedex 20 François Goldwasser Unité fonctionnelle : cancérologie Groupe hospitalier Cochin – Saint-Vincent-de-Paul 27, rue du Faubourg Saint-Jacques 75679 Paris Cedex 14 Jésus Gonzalez-Bermejo Service de pneumologie et réanimation Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris Olivia Gosseries Coma Science Group Centre de recherches du Cyclotron Université de Liège Sart Tilman B30 4000 Liège Belgique Florence Gruat Coordination de don d’organes et de tissus Centre hospitalier p René Dubos 6, avenue de l’Île-de-France 95301 Pontoise

Michel Hasselmann Service de réanimation médicale Nouvel Hôpital Civil Hôpitaux universitaires de Strasbourg 1, place de l’Hôpital 67091 Strasbourg Cedex Jean-Gustave Hentz Département d’anesthésie Hôpitaux universitaires de Strasbourg 1, place de l’Hôpital 67091 Strasbourg Cedex Delphine Héron Département de génétique médicale Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris Emmanuel Hirsch Département de recherche en éthique Faculté de médecine Paris-Sud 11 63, rue Gabriel Péri 94276 Le Kremlin-Bicêtre Cedex Philippe Hubert Service de réanimation pédiatrique Hôpital Necker-Enfants malades 149, rue de Sèvres 75015 Paris

Renaud Gruat Service d’anesthésie-réanimation Centre hospitalier p René Dubos 6, avenue de l’Île-de-France 95303 Cergy-Pontoise Cedex

Marie Ikène-Th Thiers Service réanimation adulte polyvalente Hôpital Nord – Assistance publique des hôpitaux de Marseille Chemin des Beaumillons 13015 Marseille

Caroline Guibet Lafaye Philosophie Chargée de recherches Centre Maurice Halbwachs – CNRS 48, boulevard Jourdan 75014 Paris

Clémence Joly Unités de soins palliatifs et service de maladies infectieuses CHU Charles Nicolle 1, rue de Germont 76000 Rouen

xiv

Enjeux éthiques en réanimation

Didier Journois Service d’anesthésie-réanimation Hôpital européen Georges Pompidou 20, rue Leblanc 75980 Paris

Delphine Madec Service de réanimation médico-chirurgicale – USCM Institut de cancérologie g Gustave Roussy 114, rue Édouard Vaillant 94805 Villejuif Cedex

Nancy Kentish-Barnes Service de réanimation médicale Hôpital Saint-Louis 1, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris

Martí Manyalich Servicio de coordinación de trasplantes Hospital clínic de Barcelona C/Villaroel 170 08036 Barcelona

Steven Laureys Coma Science Group Centre de recherches du Cyclotron Université de Liège Sart Tilman B30 4000 Liège Belgique

Alain-Charles Masquelet Service de chirurgie orthopédique Hôpital Avicenne – AP-HP 125, rue de Stalingrad 93000 Bobigny

Didier Ledoux Coma Science Group Centre de recherches du Cyclotron Université de Liège Sart Tilman B30 4000 Liège Belgique Michel Lejoyeux Service de psychiatrie et d’addictologie Hôpital Bichat 46, rue Henri Huchard 75018 Paris Élisabeth Lepresle Agence de la biomédecine 1, avenue du Stade de France 93212 Saint-Denis La Plaine Cedex Michèle Lévy-Soussan Unité mobile d’accompagnement et de soins palliatifs Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris

Jean-Paul Meningaud Service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique Hôpital Henri Mondor – AP-HP 51, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny 94010 Créteil Georges Mion CIIADE-CFGSU-CITERA École du Val-de-Grâce 1, place Alphonse Laveran 75230 Paris Cedex 05 Roger Mislawski Saint-Louis réseau sein Hôpital Saint-Louis 1, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris Delphine Mitanchez Service de néonatologie Hôpital Armand Trousseau 26, avenue du Dr Arnold Netter 75012 Paris Nicole Mourey Service de réanimation médicale Hôpital Saint-Louis 1, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris

Nicolas Libert CIIADE-CFGSU-CITERA École du Val-de-Grâce 1, place Alphonse Laveran 75230 Paris Cedex 05

Armelle Nicolas-Robin Département d’anesthésie-réanimation chirurgicale Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris

André Lienhart Service d’anesthésie-réanimation Hôpital Saint-Antoine 184, rue du Faubourg Saint-Antoine 75507 Paris Cedex 12

Dominique Pateron Services des Urgences Hôpital Saint-Antoine – AP-HP 184, rue du Faubourg Saint-Antoine 75012 Paris

Liste des auteurs

Corine Pelluchon Département de philosophie Université de Poitiers 8, rue Descartes 86022 Poitiers Cedex Fabrice Petitjeans Service d’anesthésie-réanimation Hôpital d’instruction des Armées Desgenettes 108, boulevard Pinel 69003 Lyon François Philippart Service de réanimation médico-chirurgicale Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph 185, rue Raymond Losserand 75014 Paris Frédéric Pochard Service de réanimation médicale Hôpital Saint-Louis 1, avenue Claude Vellefaux 75010 Paris Louis Puybasset Département d’anesthésie-réanimation Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière Université Pierre et Marie Curie – Paris 6 47-83, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris Bruno Raynard Service de réanimation médico-chirurgicale Institut Gustave Roussy 39, rue Camille Desmoulins 94805 Villejuif Cedex. Bernard Régnier Service de réanimation médicale et infectieuse Bichat – Claude Bernard Groupement hospitalier universitaire Nord 46, rue Henri-Huchard 75877 Paris Cedex 18 Anne Renault Service de réanimation médicale et surveillance continue Hôpital de la Cavale Blanche – CHU Boulevard Tanguy Prigent 29609 Brest Cedex Jean-Christophe M. Richard Service de réanimation médicale UPRES EA 38 30 CHU Charles Nicolle 1, rue de Germont 76000 Rouen

Bara Ricou Service des soins intensifs (pour adultes) Hôpitaux Universitaires de Genève 4, rue Gabrielle-Perret-Gentil CH 1211 Genève 14 Suisse Bruno Riou Coordination des prélèvements d’organes et de tissus Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l’Hôpital 75651 Paris Cedex 13 France Roussin Coordination de don d’organes et de tissus CHU Saint-Louis-Lariboisière Hôpital Saint-Louis 1, Avenue Claude Vellefaux 75010 Paris Saxon Ridley Department of Anaesthesia and Intensive Care Glan Clwyd Hospital Rhyl, Denbighshire LL18 5UJ UK François Salachas Centre de référence National pour la SLA Département des maladies du système nerveux Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris Caroline Schnakers Coma Science Group Centre de recherches du Cyclotron Université de Liège Sart Tilman B30 4000 Liège Belgique Jean-Marie Th Thiers Ancien magistrat-Magistrat honoraire Institut supérieur des techniques du spectacle 20, rue Portail Boquier 84000 Avignon Marie Thonnard Coma Science Group Centre de recherches du Cyclotron Université de Liège Sart Tilman B30 4000 Liège Belgique

xv

xvi Enjeux éthiques en réanimation

Audrey Vanhaudenhuyse Coma Science Group Centre de recherches du Cyclotron Université de Liège Sart Tilman B30 4000 Liège Belgique

Jean-Louis Vincent Université Libre de Bruxelles Service des Soins Intensifs Hôpital Universitaire Erasme Route de Lennik, 808 1070 Bruxelles Belgique

Marc Van Nuff ffelen Université Libre de Bruxelles Service de réanimation polyvalente Hôpital Universitaire Erasme Route de Lennik, 808 1070 Bruxelles Belgique

Robert Zittoun Centre de diagnostic Hôtel-Dieu de Paris 1, rue de la Cité 75004 Paris

Sophie Van Pradelles Service de gériatrie Groupe hospitalier Sainte-Périne/ Chardon-Lagache/Rossini 11, rue Chardon Lagache 75016 Paris

Louis Puybasset remercie chaleureusement Mme Sylvie Pech pour l’aide qu’elle a apportée à la publication de cet ouvrage.

Préface Réanimation : une pensée exigeante

Responsabilité assumée

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a mémoire d’une personnalité marquante de l’aventure si récente de la réanimation s’est imposée à moi au fi fil des pages de cet ouvrage. Maurice Rapin a marqué, parmi les premiers, la pensée de cette discipline en sollicitant la profondeur d’un questionnement humain et philosophique susceptible d’accompagner les évolutions de cette autre médecine qui défiait fi les savoirs, les certitudes, les limites. Son irruption dans les années 1970 a parfois aussi généré des controverses touchant à l’humanité même des pratiques. Les représentations de dispositifs techniques impressionnants, de nouvelles conceptions des frontières entre vie et mort, le sentiment abrupt de capacités d’interventions au-delà du concevable, y compris dans ce qui apparaissait comme un « acharnement thérapeutique » justifiaient fi la détermination de conduites d’action. Cette élaboration a été progressive, portée par des professionnels conscients des responsabilités spécifi fiques que leur conféraient ces nouvelles facultés d’intervention sur la vie. Ce livre en témoigne et semble ainsi prolonger l’investigation initiée par Maurice Rapin, notamment dans une publication au titre évocateur : Retrouver la vie – histoire, pouvoirs et limites de la réanimation1 ? J’ai eu le privilège de partager des instants si singuliers et intenses du quotidien de son service de réanimation médicale à l’hôpital Henri Mondor (Créteil), pour comprendre avec quelle humilité il convient de traiter de situations toujours singulières, parfois situées aux extrêmes des logiques et du concevable. Là même où les repères vacillent face au cumul de dilemmes que seul l’apprentissage, un exercice professionnel rigoureux, concerté, en équipe, collégial, une faculté de discernement, de retenue, de prudence, permettent d’affronter ff et de surmonter sans dériver vers des positions qui s’avéreraient moralement inacceptables. Tout est mis en œuvre pour éviter une mort possible, voire imminente, parfois en déployant des dispositifs sophistiqués, intrusifs et dispendieux dont on pourrait considérer, a posteriori, qu’ils auront été vains, désastreux, voire disproportionnés s’ils ne parviennent pas à restaurer l’intégrité d’une personne dépendante pour un temps donné de ces techniques de l’extrême. Comment penser alors la limite à ne pas transgresser, quand la responsabilité de vie, l’urgence vitale, les circonstances d’exception, l’expression d’attentes voire d’espérances irrépressibles, pourraient inciter à tout justifier fi ? S’engager dans un processus de réanimation sollicite une compétence, une rigueur, une cohérence, une capacité d’engagement et de résolution, une lucidité qui n’évitent pas la confrontation à l’incertitude, à l’ambivalence de prises de décisions complexes, évolutives, contextuelles, dont les conséquences ellesmêmes ne sont que rarement évaluables, du moins a priori, dans les premiers temps. Alors que la scientifi ficité des dispositifs et la haute technicité des moyens sollicités contribueraient à maîtriser les circonstances les plus exposées à l’imminence de la mort ou aux menaces d’un handicap profond, les réalités humaines de la réanimation sont révélatrices du doute, de la fragilité, de vulnérabilités cumulées, de défaites, de déceptions partiellement compensées par de remarquables succès. De quelle manière concilier technicité et humanité du soin alors que la survie d’une personne peut constituer un enjeu supérieur ? Comment arbitrer des choix aux conséquences déterminantes lorsque la personne réanimée se trouve dans l’incapacité de formuler un consentement et que ses proches eux-mêmes ne parviennent que diffi fficilement à se représenter les termes d’une décision bien souvent urgente ? Selon quels critères réanimer ou renoncer à s’y engager, poursuivre ou interrompre un traitement, informer, expliquer, dialoguer, soutenir, conseiller, annoncer ? Que dire, confronté à l’impuissance d’aller plus avant ou au constat d’un handicap qui bouleversera le devenir d’une existence qui suivait jusqu’alors un parcours sans entrave ? Comment solliciter la famille dans l’éventualité d’un don d’organes et donner du sens à ce qui a perdu toute 1. Rapin M (1980) Retrouver la vie – histoire, pouvoirs et limites de la réanimation, Robert Laffont, ff Paris.

xviii Enjeux éthiques en réanimation consistance sans tromper et trahir une confiance fi plus précieuse que jamais ? Jusqu’où accompagner l’autre dans ses sentiments de saccage, d’accablement, d’injustice, dans cette souffrance ff qui envahit tout et qui est si présente, si prégnante, si partagée dans les services de réanimation ? Comment en fait assumer une responsabilité aussi diverse et redoutable dans ses expressions, ses enjeux et ses conséquences ?

Des limites aux possibles Rien ne permet d’être assuré que l’intelligence et la richesse des contributions réunies dans ce recueil façonné avec la subtilité et la rigueur qu’imposait une démarche universitaire, sont aujourd’hui partafin qu’ils puissent s’en approprier, des gées par l’ensemble des réanimateurs. Mettre à leur disposition, afi réflexions fl passionnantes et subtiles inspirées de leurs pratiques, constitue donc en soi un acte fort, un pari sur l’avenir. Cette communauté de professionnels est à ce point diverse dans ses domaines de compétence, ses investissements (de la néonatalogie aux circonstances médico-chirurgicales les plus complexes), ses modes d’intervention et même dans l’appréciation du sens et des finalités de ses missions, qu’il semble assez naturel que la préoccupation éthique y soit considérée de manière bien contrastée. À cet égard, la notion de relativisme éthique semble restituer une opinion significative fi parmi les réanimateurs. D’autant plus que les procédures, les protocoles, les consensus, l’idéologie de la précaution ou du risque zéro, les pesanteurs médico-légales, les mentalités gestionnaires, les options économiques, les pressions de toute nature ainsi que toutes sortes d’enjeux promus au rang des priorités, peuvent inciter le professionnel à s’exonérer du devoir d’investiguer ses pratiques. D’y discerner des principes inconditionnels – ceux auxquels on ne renonce jamais, pour autant que persiste le souci d’honorer et de défendre une fonction à tant d’égards extraordinaire. La publication de ce livre peut donc être considérée comme une contribution au nécessaire exercice d’une pédagogie de la responsabilité partagée. Il se situe peut-être à contre-courant d’une idéologie du renoncement ou d’une certaine déviance que l’on observe parfois dans la transposition en acte de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fi fin de vie. Certains réanimateurs n’y ont-ils pas trouvé justifi fication et prétexte à des pratiques auxquelles précisément le législateur et la déontologie médicale sont opposés ? D’évidence, ceux qui osent l’interpellation éthique, se dotant des savoirs qui affûtent ff l’esprit critique et permettent d’adosser l’argumentation à des conceptions infiniment fi plus convaincantes que les opinions immédiates ou les décisions improvisées peu justifiables, fi implantent au cœur des pratiques trop souvent routinières une conscience et une vigilance susceptibles de nous prémunir des excès ou des renoncements qui toujours menacent. Si la réanimation nous a parfois contraints à repenser certains critères d’ordre éthique, favorisant de la sorte le registre très novateur d’une réflexion fl instillée aux extrêmes du soin, il semble plus que nécessaire que les réanimateurs acceptent de se doter d’une compétence éthique universitaire à hauteur des défis fi qu’ils s’estiment en capacité d’assumer. Certains contributeurs à cet ouvrage nous permettent d’aborder les questions essentielles en déployant une argumentation qui impressionne, précisément parce qu’ils ont acquis un savoir dans un domaine qui, comme la réanimation, a ses propres exigences, règles et méthodes. Là également, l’improvisation n’est pas de mise. Les pratiques de réanimation posent en des termes exigeants les enjeux parmi les plus redoutables d’une réflexion fl éthique poussée dans ses ultimes retranchements. Dans ses dernières facultés d’exprimer et d’affi ffirmer la considération, la sollicitude, la solidarité et la compassion face aux drames d’une existence qui, on le sait, peut devenir barbare. Ne pas abandonner la personne et mettre en œuvre des stratégies dans le contexte souvent hasardeux et incertain de cet exercice médical, c’est assumer une vocation et un courage dont il conviendrait certainement de mieux cerner les composantes et plus encore les valeurs morales qu’ils incarnent. Car « repousser les limites » et tenter de maintenir une existence en dépit de ce qui la menace ou ce qui s’y oppose, c’est adopter une posture de résistance qui inspire une authentique philosophie de la sollicitude. Si ce « devoir d’ingérence » s’exprime sur d’autres territoires de la fragilité humaine, de la précarité, de la violence indifférente, ff c’est pour beaucoup parce que l’idée même de réanimation a bouleversé nos conceptions de la responsabilité humaine. Il me paraît donc essentiel que ce recueil de recherches et d’analyses éthiques appliquées à la réanimation se soit ainsi autorisé certaines approches dissonantes, celles par exemple qui nous permettent de mieux saisir l’intimité et les paradoxes d’une médecine des limites ne pouvant se satisfaire de concessions et d’approximations, là où la personne est à ce point vulnérable qu’on lui conteste parfois même son humanité. À cet égard, l’avis du Comité consultatif national d’éthique consacré aux expérimentations sur des malades en état végétatif chronique trouve une réelle portée : « Ce sont des êtres humains, qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité.2 » 2. Comité consultatif national d’éthique, Avis sur les expérimentations sur des malades en état végétatif chronique, n° 7, 24 février 1986.

Préface – Réanimation : une pensée exigeante xix On en comprend que mieux le devoir de responsabilité auquel sont assignés des professionnels qui acceptent d’exercer aux confi fins de nos évidences. Dans les zones imprécises, explorées ou plutôt éveillées par les capacités, jusqu’alors inconcevables, conférées à l’homme de permettre une survie de manière apparemment indéterminée, l’idée d’une indistinction entre vie et mort provoque des dilemmes et des ruptures dans nos représentations anthropologiques et nos conceptions de civilisation. De telles ruptures défient fi parfois nos facultés de jugement et peuvent alors inciter à des pratiques irrecevables – celles que conteste par exemple l’un des auteurs associés à cet ouvrage. Sans remettre en cause le bien-fondé des prélèvements d’organes que rendent précisément possibles les techniques de réanimation, à propos des personnes relevant de la désignation dite de Maastricht III, il estime opportun de poser la question des limites : « Est-on en droit de débuter un prélèvement chez une personne non décédée ? » « Au-delà, écrit Bruno Riou, plus de limites ! »

Devoir de discernement Le processus de réanimation ne saurait être ramené à un modèle en soi qui expliciterait, résumerait et résoudrait, dans la globalité d’analyses définitives, fi la complexité d’histoires individuelles et de stratégies thérapeutiques singulières. Il convient de le comprendre dans un contexte donné, évolutif, avec des déterminants particuliers. De même, ce dispositif provoque la rencontre, dans un partenariat délicat, de personnes évoluant aux marges du monde familier, durant ces périodes équivoques, instables, déstabilisantes, insupportables marquées de la conscience du péril, de la menace vitale – elle laisse souvent démuni, dans la crainte d’un pire incernable mais pressenti imminent. L’espace de la réanimation lui-même impose son dispositif déroutant, ses règles si étranges, la continuité d’actes de soin qui apparaissent intrusifs, parfois violents ou excessifs sur une personne souvent d’apparence inerte, incapable de communiquer, dépendante de technologies sophistiquées. La sédation, l’intubation, la contention et tant d’autres aspects perceptibles des figures de la réanimation, perturbent la lisibilité de circonstances qui échappent donc à la compréhension des non-spécialistes, contribuant aux sentiments d’insécurité, voire d’eff ffroi et de défi fiance. Un tel paradoxe émerge de cette confrontation entre la technicité, la froideur apparente des logiques « cliniques », l’indifférence ff ressentie dans une communication qui se doit de préserver une certaine distance et de prémunir des promesses qui seraient déçues, et cette oppressante sensation de fragilité, d’impuissance, de dépendance. Soumission contrainte à des événements dont on ne maîtrise pas le cours, à des pratiques dont le sens immédiat fait défaut. Cette expérience humaine de la vulnérabilité radicale marque la relation de soin, les rapports interindividuels. Elle sollicite une disponibilité à l’autre, une attention, une écoute, l’expression d’une empathie rarement portées à ce niveau d’exigence et à cette complexité dans d’autres exercices de la médecine. À cet égard également, la réflexion fl qui nous est présentée dans ce livre témoigne du souci accordé certes à la personne malade, mais aussi à ses proches en demande d’une hospitalité, d’une réceptivité, d’informations que l’on sait délicates à exprimer et nécessairement évolutives. Comment concilier les incertitudes, les inquiétudes avec le besoin d’espérance et de réassurance que sollicite une famille ? De quelle manière dire la gravité, évoquer une mort prochaine, prémunir des parents en situation d’extrême faiblesse d’un deuil pathologique ? Est-il décent d’aborder sans autre forme l’éventualité d’une prolongation de la réanimation en vue d’un prélèvement d’organes, voire la nécessité d’une autopsie ? Ainsi cet ensemble de contributions tient-il compte de la multiplicité de circonstances – elles en appellent à la maturité d’une réfl flexion qui se développe et s’amplifi fie à travers les chapitres. Cette vocation que portent les réanimateurs s’exerçant à tout tenter pour préserver une existence humaine, leur impose, plus que d’autres professionnels de santé, un devoir de discernement. Il ne peut se concevoir qu’en amont ou en aval de l’intervention, dans les replis d’un activisme parfois rétif à la pause éthique, à l’évaluation pondérée de la justesse d’une procédure ou d’un processus décisionnel. À lire certains des auteurs impliqués au plus près des activités de réanimation, on saisit la haute valeur de l’exigence d’estimer les conséquences possibles d’une décision qui pourrait s’avérer déraisonnable, disproportionnée, en fait injustifi fiable et réfractaire aux principes mêmes de respect et de dignité. Il s’agit alors d’être en capacité de discuter et d’arbitrer la justesse d’une position qui s’impose parfois dans un contexte instable, de favoriser au sein d’une équipe médicale et soignante l’émergence d’une culture de la reconnaissance réciproque, de la concertation respectueuse, de la décision collégiale, susceptible de renforcer et de rassembler autour de valeurs pratiques consensuelles, effectivement ff partagées. C’est ainsi que peut être sauvegardé l’esprit même d’une vocation médicale qui ne devrait être préoccupée que du bien de l’autre, que de cette bienveillance à lui consacrer dans ce soin assumé jusqu’à ses limites. Avec le constant souci de distinguer entre le possible et l’humainement acceptable, entre la fascination scientifique fi et la lucidité responsable.

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Enjeux éthiques en réanimation Dans la richesse de ses apports, de ses restitutions d’expériences, de ses approfondissements et des éclairages qui nous impliquent au cœur de l’univers humain, scientifique fi et technique de la réanimation, ce livre de fond exprime la possibilité de redonner âme et vie, y compris aux confins fi de l’humainement concevable, lorsque la biomédecine porte une promesse d’ordre quasiment métaphysique. Une telle préoccupation éthique, jamais dogmatique et toujours pondérée, peut contribuer à sa façon à préserver l’âme d’une mission et d’une fonction qui, parce que rares et exceptionnelles, sont tenues à des obligations qui ne peuvent exonérer d’une pensée exigeante. Pour autant que la communauté professionnelle en responsabilité du devenir de la réanimation se l’approprie, et y descelle ses propres lignes de conduite.

Emmanuel Hirsch Professeur à la faculté de médecine, université Paris-Sud 11, directeur de l’Espace éthique AP-HP

Fondements philosophiques, éthiques et juridiques I

Chapitre

Penser l’autonomie en réanimation

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C. Pelluchon

Autonomie : droits du patient, responsabilité des soignants

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’autonomie est un des principes majeurs de l’éthique médicale en Occident. Inséparable du vaste mouvement qui a fondé, dès le xviie siècle (1), la philosophie politique moderne en faisant du sujet la source de l’autorité, la reconnaissance de la valeur de la décision personnelle se traduit en médecine par une modification des relations entre patient et soignant et par la naissance de la bioéthique comme discipline. D’abord exigé pour légitimer une expérimentation (Code de Nuremberg, 1947), le respect du consentement libre et éclairé de la personne, requis pour toute décision thérapeutique, deviendra le pilier de la bioéthique. Celle-ci naît comme discipline en 1970, dans un contexte caractérisé par la dénonciation des abus du corps médical. Il s’agissait d’éviter que les individus, que leur état physique et mental et leur statut social ont rendu vulnérables, deviennent des cobayes ou subissent les conséquences d’une technicisation croissante de la médecine qui en ferait les victimes de l’acharnement thérapeutique, fi figure contemporaine de la malfaisance (2). Cette importance accordée à l’autonomie du malade se traduit par les législations nationales des pays occidentaux qui garantissent les droits du malade, comme on le voit avec les lois françaises du 4 mars 2002 et du 22 avril 2005. Elle est également manifeste dans le travail de réfl flexion mené par les diff fférentes sociétés savantes. Celles-ci émettent des recommandations permettant une bonne application de la loi et veillent à son suivi. Elles insistent sur le type d’informations nécessaires au malade accueilli dans un service et sur les conditions qui permettent l’obtention de son consentement libre et éclairé. Ce travail suppose que soient mis au jour les traits moraux et les qualités de communication qui sont requis de la part des soignants soucieux L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

de prodiguer au patient ces informations, d’en vérifi fier la compréhension et d’impliquer le malade dans la prise de décision. Cependant, le respect du principe d’autonomie est-il encore valable lorsque la personne est inconsciente ou qu’elle est incapable de décider par elle-même et de donner son consentement libre et éclairé ? Cette situation, à laquelle la loi du 22 avril 2005 répond en précisant le rôle respectif des directives anticipées – dont le médecin tient compte, mais qui n’ont pas de valeur contraignante –, de la personne de confi fiance et des proches, pourrait faire accroire que l’autonomie n’a pas de sens dans le cas d’un malade dans le coma, d’un traumatisé crânien ou d’un patient victime d’un accident vasculaire cérébral entraînant de graves séquelles neurologiques. En effet, ff la décision d’arrêt ou de poursuite des traitements curatifs est prise par le médecin référent après concertation de l’équipe de soins et sur l’avis motivé d’un autre médecin appelé en qualité de consultant. On pourrait donc penser que, même si le médecin suit une procédure collégiale et prend sa décision avec les familles, cette décision qui doit découler d’une évaluation compétente des soins proportionnés à l’état du malade abolit l’autonomie de ce dernier. Pourtant, ce n’est pas parce l’on est dans l’impossibilité de recueillir le consentement libre et éclairé du malade ou même l’accord d’un proche – dans le cas où la personne est isolée – que son autonomie n’est pas respectée. Une telle affi ffirmation, qui implique un dépassement de l’opposition entre le respect de l’autonomie du patient et la bienfaisance médicale, exige que l’on définisse fi plus clairement ce que l’autonomie signifie fi dans la situation clinique. Cela est particulièrement important dans les services de réanimation, où les malades sont sédatés, dans le coma ou présentent des troubles cognitifs qui les rendent inassimilables aux sujets pouvant décider par eux-mêmes, être à eux-mêmes leur propre loi (auto nomos). Cette défi finition classique du terme

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Enjeux éthiques en réanimation « autonomie » est-elle utilisable en réanimation et, de manière générale, en médecine, c’est-à-dire à chaque fois qu’un individu est confronté à cette dislocation de l’unité psychophysique que signifie fi la maladie dont l’épreuve, par-delà la douleur, est d’être une atteinte à l’identité ? La réduction de l’autonomie à l’autodétermination épuise-t-elle le sens de ce terme ou bien ne désigne-t-elle qu’une des capacités impliquées par cette notion ? Loin de perdre toute validité en réanimation, la notion d’autonomie doit être reconfigurée fi à la lumière des cas-limites que représentent certains malades. Ce travail est l’occasion de préciser les valeurs qui sous-tendent la prise en charge d’une personne vulnérable dont les soignants répondent en témoignant de sa dignité. Une telle précision suppose que le rapport entre l’autonomie et la dignité, que la philosophie du sujet rend indissociables l’une de l’autre, soit examiné à nouveaux frais. En eff ffet, la dignité du patient et son humanité ne sont pas forcément relatives aux capacités cognitives qui conditionnent le gouvernement de soi et elles ne suppriment pas la part de mystère lié à chaque individu, le fait que tout homme est aussi un sujet d’inconnaissance. Cette réflexion, fl qui conduit à s’interroger sur les conditions d’une prise en charge respectueuse des personnes dépendantes, exige que l’on analyse le sens de la responsabilité médicale. Celle-ci renvoie à la décision collégiale, mais aussi à l’exercice par chacun des soignants de son autonomie, c’est-à-dire à la manière dont l’aide-soignant, l’infirmière fi et les membres du personnel médical accompagnent le malade, le soignent et gèrent les incertitudes auxquelles l’évolution de la situation les confronte. Le temps que chacun se donne pour évaluer un cas particulier est un élément essentiel de la prise en charge respectueuse d’un malade avec lequel la communication est limitée, voire impossible, et qui est tout entier confié fi au corps médical, à sa compétence et à sa technicité. Cette insistance sur l’autonomie de chaque soignant ne supprime pas la cohésion d’une équipe, mais elle souligne l’importance de l’éthique de la discussion et fl à la manière dont une équipe invite à réfléchir peut formuler les valeurs communes dont elle se porte garante. Ces valeurs, qui intègrent les règles permettant à ses membres de travailler ensemble dans l’intérêt du malade présent et sans préjudice pour les malades à venir, ne sont pas la somme des valeurs de chacun ni le simple reflet fl des recommandations édictées par les sociétés savantes. Elles illustrent l’appropriation par les soignants de ces recommandations et de la loi et constituent l’identité ou l’ipséité d’une équipe médicale, dernière occurrence du terme « autonomie » en réanimation.

Autonomie du malade Autonomie : une double capacité Ce n’est pas seulement parce que l’assimilation de l’autonomie à la capacité à s’autodéterminer ne peut s’appliquer au cérébrolésé ou au patient sédaté que cette définition fi est étroite. Une telle manière de penser suppose l’omission d’un élément essentiel à la compréhension de l’autonomie, y compris lorsqu’il s’agit de la liberté d’un agent moral conscient et responsable de ses actes, à savoir le fait que l’autonomie comporte des degrés. Nous sommes toujours plus ou moins autonomes, c’est-à-dire plus ou moins affranchis ff des contraintes externes et internes, comme la colère, l’angoisse, le déni, la souffrance ff morale ou la douleur. Ainsi, nous sommes plus ou moins aptes à prendre une décision qui soit vraiment personnelle et corresponde à notre volonté. Bien plus, l’autonomie désigne une double capacité (3) : elle est d’abord la capacité à avoir des désirs, qui peuvent être contradictoires et exiger, de la part du sujet, une évaluation de ses priorités. Parmi ces désirs, certains sont élevés au rang de valeurs, dans la mesure où le sujet éprouve un sentiment d’estime de soi à la réalisation d’activités qui lui procurent de la joie et lui donnent l’impression de se réaliser, d’être en accord avec lui-même, avec la manière dont il existe aujourd’hui. Cette capacité à éprouver des désirs et des valeurs n’est pas subordonnée à la possession de facultés intellectuelles ni même à la maîtrise du langage articulé qui permet néanmoins de les communiquer aux autres en ayant des chances d’être compris et accepté. La mémoire, qui constitue l’identité narrative, le fait qu’un individu saisit sa vie comme un tout et peut mettre de l’ordre dans les événements de sa biographie, est nécessaire à la morale et permet, par exemple, de tenir ses promesses, mais elle n’est pas indispensable au sens de l’autonomie dont il est question ici (4). Ce sens de l’autonomie est solidaire d’une nouvelle conception de l’identité personnelle ou ipséité. Celle-ci n’est plus essentiellement liée aux capacités entrant en considération dans l’évaluation des compétences d’un sujet et elle suppose la prévalence du présent sur ce que la personne a pu exprimer dans le passé. Cette manière de reconfigurer fi l’autonomie, en substituant à la représentation classique du sujet une conception moins intellectualiste, permet de penser l’accompagnement d’un malade lourdement handicapé sur le plan physique et mental. En effet, ff les handicaps n’aff ffectent pas le premier sens de l’autonomie, mais seulement le deuxième qui renvoie à la capacité à traduire dans

Penser l’autonomie en réanimation les paroles et dans les actes ses désirs et ses valeurs. De même, cette distinction signifie fi que le malade peut être – et rester – autonome, même s’il n’agit pas par lui-même et qu’il délègue son autonomie à un autre (5). Ainsi, le problème posé par la prise en charge de ce type de malade ne renvoie plus à l’alternative entre le respect de son autonomie et la bienfaisance médicale, comme s’il fallait choisir entre l’abandon d’une personne incapable de décider par elle-même et le paternalisme ou le fait que le médecin ou les proches décident systématiquement à sa place. Il y a une troisième voie. Celle-ci suppose que les soignants réfléchissent fl à la manière dont ils peuvent prendre l’initiative et proposer au patient des choix ou des activités susceptibles de lui correspondre. Il s’agit de soutenir l’autonomie du patient (au sens de la première capacité) et de lui rendre une estime de lui-même ou un sentiment de bienêtre que la maladie et les handicaps ont entamés. Cette démarche implique que l’on s’interroge sur l’équilibre entre la confiance fi en soi et la rationalité qui défi finit la prudence (6) et conduit le soignant à faire le bon choix en situation d’incertitude. Elle exige aussi une réfl flexion sur les qualités morales et herméneutiques et sur les composants affectifs ff du jugement médical qui permettent de déchiffrer ff la volonté et les désirs d’une personne atteinte de déficits fi graves, de répondre à cette personne et de répondre d’elle. Le dialogue avec les proches qui peuvent indiquer aux soignants quelles étaient les valeurs et les conceptions de la vie du malade aide à déterminer le type de traitement le plus approprié. De même, les indications données par le patient dans les directives anticipées, si elles existent, sont des outils éclairant la décision de l’équipe médicale. Cependant, elles ne sauraient complètement la déterminer : la décision d’un arrêt de traitement curatif incombe au fi final au médecin, qui est responsable parce qu’il dispose de la compétence lui permettant de juger du traitement proportionné à l’état du patient et à l’évolution de sa pathologie. Les directives anticipées ne peuvent se substituer à l’exercice par le médecin de sa responsabilité. Ce dernier est le médiateur entre le bien du malade, l’avis des proches et la société devant laquelle il témoigne de son engagement à agir dans l’intérêt des patients. Il existe aussi une raison plus philosophique qui explique que les directives anticipées n’aient pas de valeur contraignante en France. En effet, ff l’identité est à penser au présent, en particulier quand la personne souff ffre de troubles cognitifs ou même de handicaps physiques qui font qu’elle n’a plus le même univers ni les mêmes repères qu’avant. Déterminer ce qui serait le mieux pour cette personne en se référant à ce qu’elle disait quand elle était en bonne santé, c’est accorder plus de foi

à un jugement relatif à la qualité de vie qu’à une réfl flexion sur ce que peut être une vie de qualité. Dans le premier cas, le raisonnement est abstrait ou général et il en dit plus long sur nous que sur le patient tel qu’il est aujourd’hui. Dans le second ffort pour comprendre ce cas, nous faisons un eff que l’autre voudrait en nous appuyant sur ce que nous pouvons observer de ses réactions, en l’auscultant, en lui parlant, en le touchant, en étant attentifs à son mode d’être spécifi fique et à ce qu’il peut exprimer. Cet aspect souligne l’importance des examens cliniques et des contacts que le personnel soignant établit avec le malade, notamment lorsque celui-ci est inconscient et que personne ne sait comment son état évoluera. La manière de gérer l’incertitude et de rester à l’écoute du patient sans statuer trop rapidement sur son compte lorsque les éléments pour établir un pronostic fiable ne sont pas encore réunis fait partie de la prise en charge respectueuse du patient. Celui-ci a peut-être encore des choses à dire et il peut surprendre le personnel médical, en particulier pendant cette période délicate qui se situe entre l’accueil dans un service de réanimation après les premiers examens au scanner et l’IRM. Bien plus, les outils d’imagerie cérébrale permettant, comme l’IRM multimodale, de déterminer, avec une quasi-certitude, le pronostic de récupération par un traumatisé crânien de ses fonctions neurologiques ne dispensent pas, au moins dans un premier temps, de faire des examens cliniques fin de tester les réactions du patient et de déterafi miner, dans le cas où les traitements sont poursuivis, quels services et quels soins sont les plus adaptés pour accueillir un malade handicapé et l’aider à recouvrer ses facultés dans les meilleures conditions. Ainsi, le respect de l’autonomie du malade suppose la capacité des soignants à l’écouter, à écouter ce que E. Levinas appelle le Dire, qui renvoie, par-delà les mots ou « le dit », à ce que le corps signifie fi par sa passivité et « son s’offrir ff » (7). Cette écoute est même la première étape du cheminement complexe que désigne la prise en charge d’une personne, notamment dans les services de réanimation qui se caractérisent par l’utilisation d’une technique invasive. Cette technique ferait disparaître le malade si la prise en charge de ce dernier n’était pas le résultat d’un travail d’équipe faisant appel à des soignants aux compétences et aux qualités diverses. Le rôle des infi firmières, des aides-soignants et de tous ceux et celles qui prodiguent des soins de bouche, font des massages, « nursent » le malade et le veillent à différentes ff heures du jour et de la nuit, est à cet égard irremplaçable. La prise en considération ces dernières années de l’apport de ces soignants et de ces soignantes n’a pas seulement permis aux éthiciens de rappeler, en s’inspirant des travaux

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Enjeux éthiques en réanimation des féministes, que la médecine n’avait pas uniquement pour but de guérir (to cure), mais qu’il s’agissait aussi et surtout de soigner ou de prendre soin (to care) des malades considérés dans leur globalité et en essayant de répondre de manière particularisée à leurs besoins spécifiques fi (8). Elle a également encouragé ou même initié un changement de culture médicale qui était rendu nécessaire par la technicisation croissante de la médecine. Désormais capable de sauver la vie de la plupart des traumatisés et cérébrolésés, mais susceptible, en raison même de ses prouesses, de maintenir en vie pendant des années des personnes souffrant ff de handicaps majeurs et irréversibles, la médecine a été confrontée, aussitôt après l’apparition du premier respirateur artifi ficiel et tout au long des quatre dernières décennies, à des demandes d’euthanasie ou de suicide assisté. Ces dernières étaient, la plupart du temps, la conséquence directe de cette situation auparavant inédite où la médecine crée pour ainsi dire un type de malade. La loi du 22 avril 2005 a été votée en France dans ce contexte lié à une réflexion fl sur le sens du soin. Parce que la médecine aujourd’hui, en particulier dans les services de réanimation et dès l’accueil de la personne accidentée, peut générer de l’acharnement thérapeutique, donc de la malfaisance, il est essentiel que les médecins conduisent avec leur équipe une réflexion fl au cas par cas sur les soins qui sont proportionnés à l’état du malade et à l’évolution de sa maladie. Cette réflexion fl peut les amener à décider en amont ou au décours de la réanimation d’interrompre les traitements de support qui n’ont pour but que le maintien artificiel fi de la vie. Cette médecine consciente de ses atouts techniques, de sa puissance prédictive et de la précision de ses pronostics, mais aussi de ses limites, de l’impuissance où nous sommes de guérir tous les malades et d’éliminer la mort, n’est pas possible sans la répartition rigoureuse et harmonieuse des compétences et des responsabilités. C’est paradoxalement parce qu’ils travaillent dans le cadre d’une médecine devenue plus technicisée et, en ce sens, plus froide, que les médecins ne peuvent respecter l’autonomie du malade, c’est-àdire ici sa dignité, qu’en comptant sur la liberté de chaque soignant, sur sa disponibilité et sur sa capacité à faire entendre sa voix, à faire part aux autres membres de l’équipe de son ressenti. L’autonomie du malade au sens indiqué ci-dessus, la liberté du soignant qui implique qu’il soit à l’écoute du malade et qu’il s’exprime, et la cohésion de l’équipe sont solidaires. Cette remarque ne vise pas seulement à introduire une autre occurrence de la notion d’autonomie en réanimation, à savoir celle qui concerne les soignants et dont il s’agit de savoir si elle est compatible avec la définition fi de valeurs communes propres à une équipe. Elle permet également de déterminer quelles sont les valeurs qui sont celles

des réanimateurs dans leur ensemble. En effet, ff si l’on tire les conséquences de cette manière de concevoir l’autonomie du malade, on peut dégager quelques idées fortes qui sont au cœur de l’engagement des soignants en réanimation. Ces idées leur sont communes, en dépit des divergences existant non seulement entre les équipes qui peuvent avoir une culture de soin et une histoire diff fférentes, mais aussi à l’intérieur d’une même équipe.

Altérité, dignité et dépendance. Le sens du soin En affi ffirmant que le coma et les incapacités caractérisant les personnes qui arrivent, après un grave accident, dans les services de réanimation n’abolissent pas leur autonomie (au premier sens du terme) et que cette dernière doit être reconnue par les soignants qui peuvent, en outre, la soutenir en écoutant les malades, mais aussi en voyant quels gestes et quels traitements correspondent à leur volonté (autonomie au deuxième sens du terme), nous affi ffirmons par là même que ces patients ne sont pas des choses. Le malade handicapé est particulièrement vulnérable : le fait d’être assisté dans ses fonctions les plus élémentaires, la perte de contrôle de son corps et l’incapacité à exprimer verbalement ses désirs font qu’il est totalement dépendant des autres, y compris dans le sentiment qu’il a de valoir quelque chose et de ne pas être simplement un corps que l’on déplace, une chose en présence de laquelle il est inutile de soigner son langage et à laquelle on ne dit pas « bonjour ». Cependant, la dépendance ne devient un prétexte à l’objectivation d’un malade que dans la maltraitance qui s’explique par la peur qu’inspire au bien-portant la confrontation à sa propre vulnérabilité, dont la personne handicapée est une figure extrême. La prise en charge d’une personne dépendante, loin d’être une raison suffi ffisante pour lui dénier toute humanité et toute dignité, est l’occasion pour le soignant de se frayer un chemin entre l’indifféff rence, qui consisterait à borner le soin à des gestes techniques, et une forme de violence qui consiste à combler systématiquement la vacance de celui ou celle qui ne parle pas. Dans les deux cas, la maltraitance vient du non-respect de l’autonomie du patient au sens développé ci-dessus et elle renvoie à une conception étroite de l’humanité. L’individu dans le coma et celui qui est gravement handicapé n’ont rien perdu de leur altérité, c’est-àdire de leur transcendance. Le respect de l’humanité d’une personne suppose l’acceptation de sa part de mystère et de sa capacité à dépasser tout ce que je peux en dire ou en connaître. Cependant, cela ne signifie fi pas qu’il faille laisser un malade dans un coma végétatif persistant et refuser d’interrompre

Penser l’autonomie en réanimation des traitements qui n’ont pour but que de le maintenir artifi ficiellement en vie. On peut penser que la dignité est donnée, qu’elle n’est pas subordonnée à la personnalité au sens kantien du terme – c’est-àdire à la capacité à être un agent conscient et responsable –, déclarer que l’humanité subsiste même quand les conditions permettant à un être de s’épanouir comme homme et d’avoir une vie de qualité sont détruites et, en même temps, proposer l’arrêt ou la limitation des traitements curatifs. Il est légitime d’interrompre les traitements de support quand ils sont considérés comme déraisonnables et que leur poursuite relèverait de l’acharnement thérapeutique. Ce dernier renvoie au refus désespéré de la mort, à l’aveuglement de la famille ou à la toute-puissance des médecins. Au contraire, ce qui doit motiver la décision est de savoir si les soins sont bénéfi fiques au malade. La décision d’arrêt ou de limitation des traitements curatifs n’est pas un droit de vie ou de mort que les médecins auraient sur un être humain, comme les jurés dans les cours d’assise, en France, avant la dépénalisation de la peine de mort. La mort de l’autre est aussi sa transcendance. Elle ne nous appartient pas. La provoquer, comme dans le meurtre ou l’euthanasie, est, en même temps qu’une tentation, une impossibilité, écrit Levinas (9). Si je peux ôter la vie à un autre homme, par un coup de pistolet chimique qui interrompt ses fonctions vitales, je ne peux abolir sa transcendance, le fait que l’autre comme autre, comme altérité, me « dépossède de mon pouvoir de pouvoir ». Aussi, lors d’une décision de limitation ou d’arrêt des traitements curatifs, le malade meurt de sa maladie et cette décision est prise en fonction de l’état de la personne et du caractère proportionné ou non des traitements. Ces derniers ont été mis en œuvre pour la sauver, mais s’il apparaît rétrospectivement qu’ils ont abouti au contraire de ce que les médecins et la famille souhaitaient, au contraire de la bienfaisance, il est légitime de les interrompre. Le malade et sa famille ne sont pas abandonnés, dans la mesure où le personnel médical et paramédical continue de prodiguer à la personne des soins palliatifs qui lui assurent une fi fin de vie digne et sans douleur et permettent à ses proches de pouvoir se recueillir auprès d’elle. Ainsi, ce sont les vivants, les soignants, la famille, les bénévoles, qui témoignent de la dignité de la personne dans le coma, même et surtout au moment où elle meurt. La dignité de l’autre n’est pas relative à ce que je pense de l’autre, qui me transcende. Elle est d’emblée donnée, mais, en même temps, je m’en porte garant. Tel est le sens, chez Levinas, de la dimension éthique du rapport à l’autre. Cette dimension éclaire les valeurs profondes qui sont au cœur de l’engagement des réanimateurs. Elles se reflètent fl dans le dispositif juridique mis en place dans la loi du 22 avril 2005. Comme nous l’avons

vu, le respect de la personne que sa maladie ou son état a placée dans une situation de vulnérabilité et de dépendance ne signifie fi pas que la notion d’autonomie n’ait aucun sens en réanimation. Au contraire, cette situation de dépendance souligne l’interdépendance entre le respect de l’autonomie propre au malade et la reconnaissance de la capacité de chaque soignant à témoigner de son engagement à défendre la dignité du patient. Pourtant, cette autonomie des soignants qui garantit une décision véritablement collégiale et permet de donner toutes ses chances à un individu est aussi la source de tensions. Sur le plan des valeurs fondamentales qui donnent un sens au soin, mais aussi aux obligations professionnelles, à l’interdiction de tuer et de nuire, les soignants en réanimation semblent s’accorder. Cependant, quand on passe de la théorie à la pratique et au cas par cas, du niveau déontologique des normes et des obligations à celui de l’application dans un service donné de la loi et des recommandations des sociétés savantes, on rencontre un autre problème qui est de savoir comment concilier l’autonomie des soignants et la cohésion d’une équipe. Les soignants vivent différemment ff leur rapport au malade et à sa famille. Leur ressenti est relatif à leur personnalité, à leur origine sociale et religieuse et à leur appartenance à un service ou à un corps professionnel. S’il est capital que chacun s’exprime et participe d’une manière ou d’une autre à la prise de décision, non seulement parce que c’est dans l’intérêt des malades, mais aussi parce que la médecine n’est pas comparable à un régime autocratique, on doit cependant se demander comment il est possible d’organiser la discussion de telle sorte que les différends ff et même les diff fférences ne bloquent pas les décisions et ne condamnent pas tout travail d’équipe. Ce problème suppose que l’on approfondisse le sens de la notion d’autonomie. En ff celle-ci renvoie au vécu, mais elle comporte effet, aussi une dimension d’universalité : le sujet pratique n’est pas identique au sujet psychologique, bien que la psychologie, les affects ff et les intérêts ne soient pas exclus du processus permettant à des individus de dégager des normes valides pour une équipe et de formuler les valeurs qui garantissent la cohérence et la transparence de son action ainsi que la cohésion du groupe.

Autonomie des soignants et identité d’une équipe Éthique de la discussion ou exercice public de l’autonomie Loin d’être des obstacles à l’élaboration d’un socle de valeurs communes constituant l’identité d’un

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Enjeux éthiques en réanimation service de réanimation, les tensions qui apparaissent à l’occasion de cas diffi fficiles sont le point de départ de l’éthique de la discussion. Celle-ci ne consiste pas à dégager un consensus qui serait la synthèse des points de vue de chacun. Une telle manière de procéder suppose que les individus sont les mêmes avant et après la discussion. Elle aboutit la plupart du temps à un accord sur le plus petit dénominateur commun qui permet une entente provisoire, liée à l’oubli des différends, ff mais elle ne résout en rien les diffi fficultés que la situation de crise a le mérite de mettre au jour. Celle-ci ne sera pas non plus résolue par le diktat d’un chef, mais elle est l’occasion de mener une véritable réflexion fl qui concerne les règles rendant possible le travail collectif. Cette réfl flexion passe par une redéfi finition du rôle et de la contribution de chacun et elle est surtout liée à la question des limites du soin et à la temporalité de la décision (10). Les doutes et les conflits fl engendrés par un malade à propos duquel on se demande s’il faut interrompre les traitements confrontent les soignants à la question de savoir jusqu’où ils sont prêts à aller dans le soin et dans l’accompagnement du malade. Cette question comporte un aspect technique et économique, mais aussi un aspect philosophique, voire spirituel. Un homme a-t-il encore une vie de qualité quand il ne peut plus communiquer avec l’entourage ou que sa manière de communiquer se borne à des râles et à des mouvements de reptation ? Est-il injuste de laisser mourir un malade végétatif et même un patient dans un état paucirelationnel ou bien le devoir de solidarité que nous avons envers les plus fragiles exige-t-il que nous leur consacrions des ressources importantes ? Ces questions sont indécidables, c’est-à-dire que la réponse que l’on donnera dépend de positions qui ne sont pas totalement justifiables fi par la seule raison, mais renvoient à des conceptions religieuses et morales. Ces dernières ne sont pas non plus simplement subjectives. Elles ne sont ni dénuées de fondement ni exclues de la philosophie, même si elles ne sauraient constituer les bases d’une morale universelle. Il s’agit de conceptions substantielles du bien qui dérivent de sources de la moralité, de traditions religieuses et philosophiques. L’idée que le maintien en vie des malades végétatifs ou de ceux qui sont dans un état paucirelationnel relève de la responsabilité des soignants et de la société peut être défendue au nom du sacré de la vie. Elle peut aussi découler de la manière dont on conçoit les devoirs de la société envers ses membres les plus fragiles dont ces patients, qui ont été des personnes comme vous et moi, ne seraient pas exclus. Dans le premier cas, l’argument, qui est religieux, est celui auquel se réfèrent les partisans du pro-life, mais, dans le second, il s’agit d’une conception de l’humanité qui n’interdit pas forcément l’avortement,

bien qu’elle se distingue de la position consistant à dire qu’une vie humaine de qualité suppose la personnalité et la capacité à s’exprimer. Cette dernière position, dont la philosophie pragmatique rend bien compte (11), conduit à opter pour l’interruption des traitements chez les malades dans un état paucirelationnel. Elle fait elle aussi intervenir une conception substantielle du bien liée à une certaine valorisation du langage, des fonctions cognitives et de la liberté ou de l’autonomie. En théorie et dans l’absolu, aucune de ces positions n’est donc plus vraie que l’autre, même si, sur le plan de la pratique, leur légitimité respective peut être évaluée en fonction d’autres critères. Ces derniers font référence aux valeurs qui servent de fondement à la pratique médicale dans un pays et commandent, par exemple, une juste répartition des ressources de santé qui sont limitées et impliquent des priorités. Ils s’appuient également sur les institutions d’un pays, sur l’existence de centres pouvant accueillir les malades lourdement handicapés et sur un certain nombre de réalités sociales, comme celles qui sont liées à l’organisation de la famille et à la prise en charge des proches en situation de dépendance. Dans la pratique, les valeurs qui orientent les décisions médicales à propos des cas diffi fficiles auxquels les soignants sont confrontés dépendent des choix de société et du contexte propre à chaque communauté politique. Ainsi, le problème qui se pose aux soignants d’un service de réanimation qui doivent décider des soins à prodiguer à un malade dans un état végétatif ou paucirelationnel n’est pas lié au fait qu’aucune réponse aux questions indiquées ci-dessus n’est démontrable de manière infaillible et universelle. Certes, aucune position ne peut être considérée comme la vérité, acceptable par tout le monde, sauf si l’on pense qu’une conception religieuse et morale du bien doit fonder, à l’exclusion des autres, la politique, ce qui est contraire au pluralisme démocratique. Aussi, la solution ne consiste pas à décider de ce qu’est la vérité pour l’imposer à tous les services de réanimation, mais il s’agit, pour chaque équipe médicale, de dégager la conception de la vie de qualité qu’elle juge valide. Les réanimateurs qui exercent leur pratique dans un même pays s’appuient dans leur décision sur des critères et même sur des réalités propres à leur communauté politique, ce qui explique qu’il puisse y avoir une certaine homogénéité entre eux à l’échelle nationale ou même à l’échelle d’un continent. Cependant, cet accord, qui peut être exprimé dans les recommandations rédigées par les sociétés savantes, n’exclut pas un travail de réflexion fl que chaque service doit mener afi fin que ses membres parviennent à gérer les conflits fl suscités par certaines situations et que la pluralité des points de vue exprimés ne soit pas un obstacle au travail

Penser l’autonomie en réanimation et au bien communs. Au contraire, l’effort ff pour expliciter et formuler les valeurs propres à une équipe doit servir à créer un climat de confiance fi encourageant la transparence des décisions et la capacité des soignants à participer à la prise de décision et favorisant l’acceptation par les familles de la situation. La vérité n’étant pas absolue et le ciel des idées étant vide, dans la mesure où la raison ne permet pas de fonder une philosophie unique et universelle, chaque équipe dégagera les normes qui éclaireront sa pratique. Ces normes doivent lui permettre d’agir au mieux dans l’intérêt du malade présent, sans préjudice pour les malades à venir et en conformité avec ce qu’elle considère comme étant au cœur de son engagement vis-à-vis de la société. Comme on le voit, la réponse à la question métaphysique concernant ce qu’est une vie humaine de qualité n’est pas dissociable en médecine de la réflexion fl sur les priorités dans l’allocation des ressources de santé. Les services de réanimation ne sont pas des forums de discussion sur la métaphysique, mais le lieu d’articulation de la plupart des problèmes qui ressortissent au champ de l’éthique médicale, laquelle renvoie aux engagements des soignants vis-à-vis des patients présents et futurs, des familles et de la société. Or, si l’éthique de la discussion a un sens et une pertinence, c’est parce que la morale, la métaphysique, l’économie sont présentes dans les questions posées par un arrêt de traitement et que la réponse aux interrogations des médecins et les valeurs qui conditionnent leur décision ne peuvent être le résultat d’une réflexion fl solitaire ni la synthèse des points de vue de chaque sujet, mais le produit d’un sujet collectif ou de l’intersubjectivité. Ce point permet de distinguer le consensus par recoupement dont parle J. Rawls (12) de l’éthique de la discussion, qui suppose, comme l’écrit J. Habermas, « un changement de paradigme ». En eff ffet, la source des normes n’est pas l’agent moral isolé, mais l’intersubjectivité. De plus, les normes considérées comme valides ne préexistent pas à la discussion, mais elles sont pour ainsi dire produites par elle, tout comme le bien commun et le « nous ». Celui-ci n’est pas la juxtaposition des « je » ni le simple accord entre des individualités désireuses de régler leurs différends ff de manière pacifi fique et de trouver un compromis entre leurs intérêts et leurs visions du monde divergents. Bien plus, l’impuissance à laquelle conduit la plupart du temps la recherche du compromis (qui n’est pas assimilable au consensus par recoupement de Rawls, mais renvoie à la manière dont il est souvent appliqué) ne devrait pas être reprochée à l’éthique de la discussion qui, en principe, aboutit à des résultats plus concrets. Celle-ci sert à dégager des normes qui ne sont pas universelles, absolues, mais

universalisables. Autrement dit, les participants à la discussion reconnaissent la validité de certaines règles présidant aux choix médicaux, même si, dans leur vie personnelle et avant la discussion, ils avaient une autre conception des choses. Cette insistance sur le caractère a posteriori de la norme jugée valide par l’équipe et sur sa rationalité ne signifie fi pas qu’il faille faire abstraction de son vécu et de la manière dont chacun ressent une situation. Il s’agit cependant d’adopter « un point de vue faillibiliste et critique » (13) qui suppose une certaine prise de distance par rapport à ses croyances et convictions premières et même par rapport aux affects ff qui ne comportent pas de dimension universalisable, du moins avant ce dédoublement de soi que représente la réflexion. fl Mis en présence des autres et invité à préciser son point de vue, à le confronter à celui des autres et à revenir sur les termes qu’il emploie, chaque participant fait un usage de sa raison qui modifie fi la qualité dialogique de sa pensée. L’éthique de la discussion, écrit Habermas, fonctionne comme une « machine à laver » qui purifie fi ou soumet à la critique les opinions de chacun et permet une analyse du langage utilisé par les diff fférents protagonistes. Ce processus ne permet pas seulement de séparer les opinions qui ont une validité du point de vue discursif de celles qui n’en ont pas. Il conduit également chacun à se situer à deux points de vue et à faire un usage public de son autonomie (14). En effet, ff ceux qui participent à la discussion ne doivent pas seulement faire preuve de tolérance afi fin d’être capables d’écouter le point de vue des autres. La procédure discursive leur permet aussi d’élargir leur point de vue, en pensant à ce qui est bon pour l’équipe et pour les malades, au-delà de ce qui est bon pour soi et en fonction de la place que l’on occupe au sein du groupe. Cet élargissement de la perspective qui se produit quand on écoute les avis des uns et des autres et acquiert une approche multidimensionnelle d’une même réalité n’implique pas que l’on mette de côté sa psychologie. La rationalité des normes reconnues comme valides n’équivaut pas à l’abstraction. Elle suppose toutefois que les individus ne se laissent pas envahir par leurs émotions et qu’ils ne déduisent pas leur prise de position ou leur avis de leurs réactions affectives. ff Habermas, dans son éthique de la discussion, se focalise davantage sur le jeu des intérêts et des principes et sur l’élargissement du moi que le passage du « je » au « nous » est censé opérer que sur le rôle et la place des émotions dans l’élaboration des normes qui seront considérées comme pouvant souder une équipe. Cela ne veut pas dire que les participants doivent faire abstraction de leur individualité. Au contraire, le bien commun qu’ils visent ne peut être dégagé ou reformulé que dans

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Enjeux éthiques en réanimation la mesure où chacun fait entendre sa voix, ce qui est particulièrement important dans une situation de crise où les conflits fl prouvent que le vécu et le rôle de certains membres de l’équipe n’ont pas été suffi ffisamment pris en considération.

Tensions au sein du groupe, rôle et sens du vécu Les tensions qui existent au sein d’un service de réanimation entre certains membres qui ne sont pas d’accord sur le temps qu’il faut se donner avant de décider d’un arrêt ou d’une limitation de traitement apparaissent à l’occasion d’un cas difficile ffi ou lorsqu’un fait nouveau vient jeter le doute sur le bien-fondé d’une décision et sur la manière dont le médecin référent a pris la décision. Si la position que le chef du service défend quand il est confronté à une décision de limitation ou d’arrêt de traitement n’a pas été clairement expliquée aux membres de l’équipe, si les valeurs philosophiques qui la sous-tendent ne sont pas connues, il est probable que le malaise ressenti dans cette situation de crise génère un doute insupportable. Même si la ligne de conduite choisie par une équipe et dont le chef de service est responsable n’est pas la vérité absolue, elle est la clef de voûte de ce service. Il est donc important que les conceptions sous-jacentes à cette position ne restent pas tacites et que la philosophie du soin qui est, en l’occurrence, une philosophie du sens et des limites du soin, soit explicitée et discutée au cours de réunions où les diffi fficultés qu’elle laisse en suspens ne sont pas passées sous silence. La conscience que l’on a des incertitudes propres à sa position philosophique conditionne la pertinence et l’acceptabilité de cette position et elle garantit la transparence de la décision. Les autres diffi fficultés qui surgissent dans une situation de crise concernent les rapports des soignants entre eux. Il ne s’agit pas seulement des règles hiérarchiques. Certes, il importe de préciser les règles concrètes qui permettent à chacun de trouver sa place au sein de l’équipe. Ces règles fonctionnelles font partie des normes universalisables qui doivent figurer fi dans la liste limitée des règles fondamentales qui sont le socle à partir duquel un travail en commun est possible. Elles renvoient également à des valeurs. Il est donc nécessaire d’expliciter ces valeurs qui sont présupposées par les règles établies en vue du fonctionnement de l’équipe. On peut insister, par exemple, sur l’égalité morale de chaque personne, laquelle égalité exige de la part de chacun le respect et l’écoute, mais n’abolit pas les diff fférences ou inégalités fonctionnelles et hiérarchiques. La non-discrimination est une règle, mais les valeurs auxquelles le respect des différences ff de race, de genre, de religion et de culture fait référence supposent la valorisation de

ce que les personnes apportent de spécifi fique dans les limites impliquées par le respect des autres, du groupe, de l’institution et de la société à laquelle on appartient et qui apporte, par l’intermédiaire des soignants, son aide et son soutien au malade. Ces valeurs explicitées invitent à préciser les règles qui seront celles des équipes dans le contexte qui est le leur. Cependant, les tensions que les crises mettent au jour concernent principalement la différence ff de vécu des soignants et le sentiment qu’ils ont de ne pas être entendus. Ce problème, dont la résolution est essentielle à la qualité et à la continuité des soins, est l’un de ceux à débattre lors des réunions. L’esprit et les règles procédurales caractéristiques de l’éthique de la discussion sont d’autant plus précieux si l’on veut sortir de la crise que le nœud de l’affaire ff réside dans la capacité de chacun à utiliser sa subjectivité et son vécu en évitant deux écueils. Le premier consiste à se laisser coloniser par ses affects, ff le deuxième à les refouler par timidité ou par peur du conflit. fl La voie moyenne entre ces deux écueils permet à chacun de faire un usage public de son autonomie et conditionne le fonctionnement harmonieux de l’équipe. Cet exercice public de l’autonomie suppose que chaque soignant s’eff fforce de dégager le sens intentionnel de son vécu aff ffectif. Comme l’écrit Levinas, cette « visée intentionnelle n’est pas un savoir », mais elle est, « dans des sentiments ou des aspiraff ou activement qualifi fiée » (15). tions, affectivement Sans refouler son émotion, mais sans non plus croire que l’émotion à elle seule suffit ffi à défi finir un état de choses, le sujet fait un retour sur lui-même qui est un retour aux actes de conscience. Car les événements et les choses, que les phénoménologues appellent après Husserl « les choses mêmes », ne sont véritablement saisis que par et pour une conscience, dans un acte qui est, à chaque fois, une donation de sens (Sinngebung). La vérité sur un malade ou une situation n’est pas déchiffrable ff à partir d’une idée purement abstraite qui l’expliquerait en le subsumant sous une généralité, mais le sens naît de la rencontre entre une conscience et le monde, il est compris par la manière dont quelque chose ou quelqu’un apparaît. Telle est la leçon de la phénoménologie. Elle permet aussi de distinguer entre le vécu et la psychologie. La psychologie constitue l’histoire d’un individu et éclaire la manière dont il réagit dans une situation particulière, mais elle peut brouiller aussi sa compréhension de la chose même, de l’événement. Il existe une troisième voie entre le dogmatisme et le subjectivisme où le moi ne vit qu’en lui-même et s’interdit de se frayer un chemin vers la chose même. La présence des autres, comme on l’a vu, invite à ce dédoublement du moi qui permet, par un retour réfl flexif aux actes de conscience, d’accéder

Penser l’autonomie en réanimation à une compréhension des situations et des êtres. Il s’agit aussi pour les soignants de se penser à deux niveaux : au premier niveau, chacun a le regard tourné vers le groupe. Il ne fait référence à son vécu que pour enrichir le travail commun et contribuer à la formulation des valeurs et règles qui constitueront la charte de l’équipe. Celle-ci par définifi tion n’aura pas de valeur juridique contraignante, mais, dans les moments diffi fficiles ou pour faciliter la communication avec les familles, l’écriture et l’affi ffichage de ces valeurs communes peuvent être très utiles. Ce travail consistant à élaborer les normes de l’équipe doit être refait par chaque soignant qui aura, dans un second temps, le regard tourné vers lui et vers des questions plus spécifi fiques et plus intimes liées à son expérience, à son rôle et à sa subjectivité. Le retour à soi à ce niveau-là peut être l’occasion pour chacun de défi finir plus clairement ses propres limites, d’expliciter les qualités spécifiques qu’il peut mettre en valeur ou renforcer afin fi de remplir ses devoirs envers les autres avec conscience et dignité tout en étant en accord avec lui-même et sans se sentir blessé. Ce travail peut aussi être l’occasion pour un soignant de comprendre que ses valeurs sont en tension, voir en contradiction, avec les normes défi finies par l’équipe. Il peut éventuellement l’amener à envisager une évolution de sa situation professionnelle. Ainsi, loin d’être un obstacle à la cohésion du groupe, le renforcement de l’autonomie des soignants est la condition de possibilité d’un véritable travail d’équipe qui garantisse le respect des personnes accueillies dans les services de réanimation. L’autonomie des soignants qui a une dimension publique et exige que chacun fasse le tri entre ses croyances et impressions subjectives afin fi de mieux se connaître, l’autonomie d’une équipe qui constitue son identité, sa manière de définir fi une ligne de conduite en

s’appropriant la loi et les recommandations édictées par les sociétés savantes, et l’autonomie du malade dont la dignité n’est pas relative à ce que je sais de lui sont étroitement liée.

Références 1. Hobbes T (1651/2000), Le Léviathan, chap. XIV. Gallimard/ Folio, Paris 2. Pelluchon C (2009) L’autonomie brisée. Bioéthique et philosophie. PUF, Paris, p. 25-26. Voir l’aff ffaire Tuskegee et l’évolution de la réfl flexion de la déclaration d’Helsinki (1964) au rapport Belmont (1978/2000 et 2004) 3. Jaworska A (1999), Respecting the margins of agency: Alzheimer’s patients and the capacity to value. Philosophy and Public Affairs ff 28/2: 105-38 4. Cela implique une critique de Dworkin R (1993) Life’s Dominion: An Argument about Abortion, Euthanasia, and Individual Freedom. Albert Knopf, New York, mais aussi de Ricœur P (1990) Soi-même comme un autre. Le Seuil, Paris 5. Frankfurt H (1971), Freedom of the will and the concept of a person. Journal of Philosophy 68: 5-20 6. Aristote, Éthique à Nicomaque, livre II, 2, 1107 a. Vrin, Paris 7. Levinas E (1974/1996) Autrement qu’être ou au-delà de l’essence. Le livre de Poche, Biblio Essais, Paris, p. 92 8. Gilligan C (1982/ tr. fr. 2008) Une voix différente ff : pour une éthique du care. Flammarion, Paris 9. Levinas E (1961/1994) Totalité et infini fi : essai sur l’extériorité. Le Livre de Poche, Biblio Essais, Paris, p. 216-7 10. Pelluchon C (2009) La raison du sensible. Entretiens autour de la bioéthique. Tempora/Artège, Perpignan, p. 12 ; 58 11. Benjamin M (2003) Pragmatism and the determination of death. In: Glenn McGee (ed) Pragmatic Bioethics. Th The MIT Press, Cambridge, 193-206. Voir aussi Pelluchon C, L’autonomie brisée, op. cit., p. 66-7 12. Rawls J (1993/tr. fr. 2006) Libéralisme politique. PUF, Paris 13. Habermas J (2003) L’éthique de la discussion et la question de la vérité. Grasset, Paris 14. Pelluchon C La raison du sensible. op. cit., p. 15-16 15. Levinas E (1982/19 96) Éthique et infini. fi Le Livre de Poche, Biblio-Essais, Paris, p. 19-21

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Chapitre

Incertitude et précaution en médecine Aspects épistémiques et prolongements éthiques

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A.-C. Masquelet

Introduction

L

’objet de ce chapitre est d’éclairer la notion d’incertitude qu’il est nécessaire, désormais, d’intégrer dans toute démarche médicale et de montrer que le principe de précaution mérite d’être réhabilité en tant que corollaire de l’incertitude. Cette nouvelle dimension de la médecine clinique justifie fi le recours fréquent à la délibération éthique qui, en retour, implique une position épistémologique préalable.

Aspects épistémiques Médecine et incertitude Q uand Cabanis, philosophe et médecin, chef de file des Idéologues, rédigeait son ouvrage Du degré de certitude de la médecine (1), il ne doutait pas que la médecine serait un jour l’égale de la science laplacienne, héritière de Newton, dans laquelle l’état présent d’un système permet d’inférer rigoureusement ce qu’il a été dans le passé et ce qu’il adviendra dans le futur. La réponse de Laplace à la question de Napoléon « que faites-vous de Dieu dans tout cela ? : Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse » résumait l’extravagante illusion que la mathématisation de la Nature engagée depuis Galilée parviendrait à résoudre tous les mystères du monde. C’est dire qu’en ce début de xixe siècle, science et médecine avançaient de conserve, ancrées dans la même conviction que le démembrement complet du réel n’était qu’une aff ffaire de temps, et que l’accumulation des connaissances devait mener à toujours plus de certitudes. Nos deux grandes gloires nationales, Claude Bernard et Pasteur auront largement contribué à asseoir durablement cet état d’esprit, l’un, en introduisant le déterminisme L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

dans les sciences biologiques, et l’autre, en ouvrant la perspective d’un modèle causal simple de la maladie « un germe, une maladie ». Les premières failles de l’édifice fi se produisirent au sein même de la discipline qui avait, depuis le xviie siècle, porté l’espoir d’une approche inéluctable vers une vérité ultime du monde : la physique. En effet, ff le renouvellement radical des problématiques, induit par les théories de la relativité et de la mécanique quantique, aboutit à jeter le doute sur le caractère temporaire des limites de la connaissance. La seconde moitié du xxe siècle a été marquée par la prise de conscience que l’avancée des connaissances ne débouchait pas sur une explication simplifiée fi des phénomènes mais que, au contraire, elle laissait entrevoir une limite essentielle, balisée par la contingence, la complexité, les interactions, et la relativité temporelle et contextuelle. À ce titre, les espoirs déçus de la biologie moléculaire illustrent la douloureuse prise de conscience de l’incomplétude des connaissances. Ce qui pourrait s’énoncer trivialement de la façon suivante : « plus on progresse, plus on se rend compte que les choses sont de plus en plus complexes dans tous les domaines », ce qui s’inscrit à l’encontre du credo proclamé depuis trois siècles. C’est dire que la seconde moitié du xxe siècle a été le théâtre d’un changement de paradigme au sens khunien du terme. On peut esquisser les traits massifs de cette révolution scientifi fique en cours : – au modèle de certitude, qui reflétait fl l’établissement, que l’on croyait définitif, fi d’un savoir assuré, s’est substitué un modèle fondé sur l’incertitude et l’instabilité, qui témoigne d’un univers complexe, régi par une causalité systémique ; – le modèle cumulatif des connaissances, dans lequel l’inconnu est en permanence refoulé au profi fit d’une plus grande calculabilité du monde, a cédé la place à une conception plus nuancée où les

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Enjeux éthiques en réanimation zones de non-savoir progressent parallèlement aux avancées. Il s’ensuit que si l’un des buts de la connaissance était, jadis, d’éliminer l’ignorance, cette dernière se révèle en réalité irréductible et que, loin de la nier, il faut désormais la comprendre, la tolérer et, au besoin, dans certains cas, savoir en tirer parti. De même, l’idée de théorie prévisionnelle, fondée sur un déterminisme linéaire s’eff fface désormais devant l’idée de théorie établie sur des vraisemblances, tant il apparaît qu’il faut désormais prendre en compte non seulement les faits indiscutables, mais aussi les indices, les hypothèses et même les impressions qui relèvent de la subjectivité comme les pressentiments. En raccourci, on pourrait dire que le xixe siècle a été le siècle de la certitude, le xxe siècle, le siècle du doute, tandis que notre siècle s’annonce comme celui de l’incertitude qui récuse l’affirmation ffi positiviste de Comte « Science d’où prévoyance ; prévoyance d’où action » (2e Cours de philosophie positive). L’incertitude peut être défi finie, en première approche, comme l’incapacité de prévoir, au sens littéral du terme, en raison d’un nombre considérable de paramètres. Il est étrange que l’univers médical n’ait que très récemment porté son attention sur une dimension qui lui est, en réalité, consubstantielle. Il faut voir dans ce retard de prise de conscience l’héritage de pensée du xixe siècle, le triomphalisme des formidables avancées du xxe siècle, le souci obsessionnel d’une objectivation d’un phénomène qui demeure dans le registre humain, c’est-à-dire à la fois total et inépuisable, et sans doute aussi, pour des raisons multiples, le refus de partager l’incertitude avec l’homme souffrant. ff

Risque et incertitude Les notions de risque et d’incertitude ne sont pas faciles à cerner en raison d’un usage courant dans lequel chacun peut y puiser un contenu différent. ff Le risque est, avant tout, l’évaluation d’un aléa susceptible de porter dommage par exposition à un danger (2). La première difficulté ffi consiste à distinguer risque et danger, qui sont souvent confondus. Un exemple imagé permettra de mieux appréhender la différence ff entre ces deux notions. Ainsi, une mer démontée est un danger mais le risque d’être englouti est différent ff selon qu’on se trouve sur la plage ou bien au large sur un fragile esquif. Bien sûr, en cas de violente tempête, une soudaine et énorme vague peut m’emporter alors que je me trouve sur la plage. Mais ce risque, même s’il n’est pas probabilisable, est très faible.

En revanche, le risque subjectif de chavirer au large est très important. Ces considérations relèvent du bon sens et elles sont appliquées en permanence dans la vie quotidienne. Autrement dit, l’évaluation d’un risque n’est pas nécessairement exprimée par une probabilité objective. Quant à l’incertitude, elle relève d’un jugement porté sur l’évaluation de l’aléa. Risque et incertitude sont des notions complémentaires et des opérations mentales irréductibles l’une à l’autre. Devant un danger, on prend la mesure du risque et on porte un jugement sur cette mesure. Pour reprendre l’exemple maritime, « lorsque je me trouve sur la plage en face d’une mer en furie, je peux très bien ne pas penser à l’éventualité d’une lame de fond, et j’éprouve donc la certitude d’être en totale sécurité. En revanche, au large, même si je ne suis pas absolument certain d’arriver à bon port, je suis cependant confi fiant car j’ai l’expérience de ce genre de situation ». On concevra donc l’incertitude, comme jugement de vérité porté sur la mesure du risque ; cette mesure peut être prédéfinie fi par une probabilité objective ou fréquentielle, qui relève de l’expérience : « je me suis retrouvé de nombreuses fois dans la même situation », avec la réserve majeure qu’il n’est pas établi que ces situations étaient rigoureusement identiques, ce qui pose le problème de l’homogénéité des faits. À défaut d’une fréquence quantifiée, fi la mesure du risque peut être appréciée par une probabilité subjective qui découle de la compétence « j’ai connu des situations similaires, et je m’en suis toujours tiré parce que je suis bon marin ». La notion même de probabilité indique que le registre est de l’ordre normatif ou prescriptif. Mais il est des situations dans lesquelles aucun jugement ne peut être émis. Pour continuer à filer la métaphore, je peux énoncer que « je ne me suis jamais retrouvé dans cette situation, au large, sur un petit bateau, dans une mer démontée et en outre je ne suis pas un bon marin ». Je n’ai donc ni expérience, ni compétence. Je suis donc dans l’incertitude de mon sort, incertitude totale, pure ou radicale car je ne peux émettre aucun jugement sur la mesure du risque.

Incertitude et statut épistémologique de la médecine En règle générale, la problématique en médecine n’est plus d’accroître les certitudes par l’accumulation des connaissances comme le pensait Cabanis. Quel que soit le domaine concerné, la tâche des praticiens est bien à l’heure actuelle de cerner la complexité de l’incertitude et d’opérer des réductions au sens mathématique par une quantificafi tion, afin fi de transformer l’incertitude radicale en

Incertitude et précaution en médecine – Aspects épistémiques et prolongements éthiques incertitude probabilisable, objectivement sinon subjectivement. À ce propos, deux concepts de probabilité coexistent : – la version épistémique qui découle des travaux originels de Laplace, dans laquelle l’outil probabiliste est compatible avec le présupposé du déterminisme des phénomènes. Les probabilités ne sont alors utiles qu’en situation d’ignorance ou d’insuffi ffisance des connaissances ; – la seconde version, d’ordre ontologique, consiste à penser les phénomènes de la nature comme intrinsèquement indéterminés, la relation causale n’étant alors que le fruit de l’habitude selon l’analyse de Hume (3). La connaissance ne peut être alors qu’une connaissance approchée et l’outil probabiliste est l’outil par excellence pour circonscrire les relations entre les phénomènes. En médecine, nous oscillons entre les deux versions suivant les domaines concernés mais aussi selon les cultures scientifi fiques (anglo-saxonne versus « continentale »). La tendance lourde à l’heure actuelle est à la version ontologique car une diffi fficulté de taille surgit en médecine clinique : celle de la confrontation entre un fait médicalement construit, la maladie, que l’on peut rapporter, en règle générale, à un déterminisme plurifactoriel, et une donnée globale, le patient, qui échappe à toute détermination quantitative. Les groupes homogènes de malades ne sont homogènes que par la construction du fait médical. Une deuxième diffi fficulté provient de ce que la probabilité issue d’un groupe (série, cohorte…), c’est-à-dire la mesure du risque quelle que soit la manière dont on l’a obtenue, ne peut s’appliquer stricto sensu à un individu particulier. Cette notion est bien connue. C’est là qu’intervient le jugement sur la mesure invoquée précédemment et qui est la définition fi même de l’incertitude. Renée Fox, dans un ouvrage stimulant (4), distingue deux types d’incertitudes médicales : la première découle des limites propres à la science médicale actuelle tandis que la seconde est liée à une maîtrise incomplète ou imparfaite de la connaissance médicale à son stade actuel. Cette typologie est incomplète, dans la mesure où l’incertitude dont il est question est l’incertitude liée aux limites de la connaissance, incertitude biomédicale d’une part, et incertitude personnelle du médecin d’autre part. Il faut y ajouter l’incertitude liée au passage du savoir à l’action, point crucial dans certaines spécialités, comme la chirurgie ou l’anesthésie-réanimation. Nous avons déjà évoqué l’incertitude d’ordre médical. Elle couvre un large registre qu’on peut dénommer « l’incomplétude des états de la nature » : maladies inconnues, trajectoire aléatoire d’une

affection ff connue, ignorance des eff ffets secondaires des thérapies et des « effets ff cocktails » etc. L’incertitude personnelle du médecin est un phénomène plus délicat : elle résulte de l’incomplétude ou de l’imperfection du savoir du médecin liée à sa formation initiale ou par défaut de formation permanente. Le problème majeur, en quoi réside la source des contentieux, est la difficulté ffi de savoir ce qui relève de l’incertitude personnelle et ce qui ressortit de l’incertitude médicale. Notons à ce propos que ce qu’on appelle le principe d’incertitude concerne les limites de la science médicale et non la part faillible du médecin. La confrontation au savoir incertain se double d’une incertitude liée au passage de la connaissance à l’action, en tant que le savoir est général et l’acte particulier, et que la multiplication actuelle des possibilités techniques étend encore le domaine de l’incertain. Le recours à l’EBM (evidence based medecine) fournit une aide non négligeable, mais ne saurait effacer ff l’irréductibilité du jugement clinique à un savoir procédural, ce qui revient à admettre que la médecine n’est pas une science appliquée. Elle relève d’une scientifi ficité particulière : fondée sur un raisonnement probabiliste adapté à la complexité, elle combine à la fois savoir et action, recèle une tension essentielle en ce que son objectif ultime est le particulier. L’incertitude en médecine dit clairement une limite qu’il faut s’efforcer ff de réduire, en évacuant les aspects liés à l’imperfection personnelle et qui ne relève pas du principe d’incertitude, mais d’un manquement éthique : ignorance, négligence, inconscience. Dans sa pratique, le médecin est confronté à la justesse du diagnostic, à l’efficacité ffi de la thérapie et à l’évaluation pronostique. Mais là où le patient espère une certitude, les notions générales répondent au risque par une mesure d’incertitude. Il est notable à ce propos que, lorsque les soins curatifs sont effi fficaces, l’incertitude se déplace vers la qualité des soins ; le patient, et c’est légitime, veut être guéri dans les meilleures conditions. Au demeurant, il importe donc de souligner l’importance d’une conscience de l’incertitude et son acceptation dans un nouveau pacte de soins. J’y reviendrai dans la dernière partie de ce chapitre.

Incertitude et prise de décision À chaque étape du processus de soin, le clinicien doit prendre une décision. Il ressort de ce qui a été vu précédemment que cette décision est formulée dans un environnement caractérisé par une information incomplète

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Enjeux éthiques en réanimation et imparfaite. L’objet même du soin, le malade, et non la maladie, fait de l’incertitude une incertitude radicale que l’utilisation du raisonnement probabiliste va s’efforcer ff de rendre quantifi fiable. On doit fortement souligner que, dans l’étape diagnostique, l’analyse probabiliste de type bayésien occulte la diffi fficulté au lieu de s’y confronter (5). Le théorème de Bayes qui est une élégante solution permettant d’exprimer le degré quantitatif de confirmation fi d’une croyance donne la formule générale de la probabilité conditionnelle d’une hypothèse H en présence de la donnée empirique E. La question pratique que pose le raisonnement diagnostique est de savoir comment étayer l’hypothèse qu’un patient est porteur de la maladie M lorsqu’il manifeste le signe S. On sait, sans entrer dans les détails, que le théorème de Bayes peut être appliqué sous réserve de connaître la sensibilité et la spécifi ficité du signe S. Pour cela, il faut connaître parfaitement, au sein d’une population, les prévalences et les probabilités des maladies. De lourdes études épidémiologiques préalables sont donc nécessaires pour disposer de mesures précises de la sensibilité et de la spécificité fi de chaque signe ou de chaque test obéissant à une logique binaire. Or ces données sont rarement établies, ce qui rend le calcul des probabilités impossible ou grevé d’une grande incertitude. Le raisonnement bayésien conçu pour juger a posteriori n’est donc pas utilisé en pratique médicale quotidienne. En règle générale, les conditions d’application du raisonnement probabiliste sont rarement réalisées en médecine clinique et, en pratique, le raisonnement probabiliste est principalement utilisé pour démasquer ou confirmer fi une corrélation entre deux événements ou deux variables. L’expérience montre, en eff ffet, que les praticiens expérimentés mobilisent des ressources cognitives non calculatoires permettant de combler la béance de savoir et d’information. Il est notoire que les cliniciens avertis émettent précocement au cours de leur démarche une ou plusieurs hypothèses diagnostiques alors même qu’ils savent très peu de chose du patient (6) ce qui signifie, fi contrairement à l’opinion commune, que le clinicien n’a pas besoin de collecter l’ensemble des données disponibles. L’opération mentale consiste à sélectionner la bonne information a priori et, à ce propos, on peut parler de véritables stratégies diagnostiques en situation d’incertitude. Ainsi, dans la méthode dite du pari, la détermination du diagnostic se porte sur l’hypothèse d’une aff ffection que l’on sait traiter et dont on connaît les conséquences néfastes de l’évolution spontanée pour le patient. La stratégie du pari répond donc à des urgences à la fois diagnostiques et surtout

thérapeutiques. Les exemples abondent de ce genre de situation en réanimation, en traumatologie et en pathologie infectieuse. L’exemple type est celui de l’enfant chez qui on constate une douleur du genou et un syndrome fébrile dans les suites d’un traumatisme. On agit comme s’il s’agissait d’une ostéomyélite en instaurant, après ponction, un traitement antibiotique à large spectre dans l’attente des examens complémentaires destinés à confirmer fi ou à infi firmer le diagnostic. Ce genre de décision qui consiste à agir en situation d’incertitude radicale en misant sur la pire des hypothèses est à rapprocher de l’application du principe de précaution que nous aborderons amplement ci-après. Pour résoudre un problème clinique, le médecin expérimenté est celui qui, soit à partir de son expérience, soit à partir de sa capacité d’anticipation, sélectionne le trajet minimum approprié pour atteindre un objectif. À ce titre, le processus diagnostique par la reconnaissance des formes répond à une situation particulière : c’est le diagnostic quasi instantané dont la démarche est diffi fficile à analyser en ce qu’elle est toujours le résultat d’un apprentissage prolongé qui aboutit à franchir rapidement ou même à occulter des étapes intermédiaires des raisonnements formalisables. Le mécanisme en cause n’est pas d’ordre logique ou probabiliste mais analogique. Dans le coup d’œil du praticien expérimenté, l’esprit procède par analogie, par repérage d’une similitude entre les cas particuliers et l’idée du cas. Au travers de ce qui vient d’être évoqué, on conçoit aisément que le raisonnement diagnostique en situation d’incertitude fait appel à diverses opérations mentales dont certaines s’effectuent ff à l’insu même du praticien (7) : – utilisation de données fréquentielles bien établies ; – reconnaissance des formes par analogie ; – application du principe de précaution dans la stratégie du pari. L’ensemble de ces opérations mentales s’ordonne dans un processus qui comporte trois étapes : – une première étape de construction où se côtoient raison probabiliste et raison analogique ; – une seconde étape, qui permet au praticien de sélectionner l’information pertinente par l’élaboration d’une échelle de valeur de l’information ; – la dernière étape qui est celle de la décision proprement dite ; on aborde là un domaine très controversé, en constante évolution, qui est celui des tentatives de modélisation de la décision en situation d’incertitude. Les modèles issus de la théorie des jeux, jeux à automates ou jeux évolutionnistes, excluent la majeure partie des capacités cognitives humaines et reflètent fl des comportements mécaniques. Leur application en médecine est actuellement délaissée.

Incertitude et précaution en médecine – Aspects épistémiques et prolongements éthiques En revanche, les travaux récents portant sur la théorie de la décision fondés sur les cas passés laissent penser que celle-ci est bien adaptée à la décision médicale, notamment, en ce qui concerne le choix thérapeutique (9). Le mécanisme d’élaboration du diagnostic ne relève pas de l’exploration de la mémoire des cas passés, dans la mesure où l’information recueillie lors de l’étape diagnostique n’est pas structurée. La théorie décisionnelle fondée sur les cas passés fait explicitement référence à Hume pour qui un individu, dans une situation incertaine, sélectionne une action en fonction de son effi fficacité dans le passé. Le raisonnement dès lors mis en œuvre n’est ni optimisateur, car ce n’est pas la meilleure action dans l’absolu qui est recherchée, ni bayésien puisque l’information ne sert qu’à identifier fi une situation et non à conforter une croyance. La théorie des cas passés fait appel à la mémoire, et donc à l’expérience et trois situations peuvent alors être envisagées : – l’absence de cas passés : on est en situation d’ignorance totale ; – l’existence de cas passés similaires ; le praticien mobilise sa mémoire constituée de son savoir et de son expérience ; – l’existence de cas identiques ; le résultat de chaque action est alors donné par des fréquences observées. Quelle que soit la situation, le praticien peut procéder à l’élargissement de la mémoire, en faisant appel à la mémoire externe d’autres cas passés (études épidémiologiques, conseil d’un confrère, historique du patient, staffs, ff conférences de consensus, etc.). La capacité à stocker de la mémoire accroît les capacités cognitives du praticien et sa capacité de jugement. Si aucune réponse n’est véritablement satisfaisante, la décision s’arrêtera sur le moins mauvais des choix. L’intérêt de la théorie de la décision sur les cas passés est que le décideur n’est jamais dans un univers certain même dans une situation éprouvée. Toute solution est sous-optimale, y compris quand on doit faire face à une maladie incurable. C’est là que prend sens l’adage qui guide l’action médicale « guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours ». Autrement dit, si le traitement est inopérant ou à effet ff partiel, le soin sera centré sur la fonction d’accompagnement et le soutien moral. La prise de décision sur les cas passés justifierait fi un processus de nettoyage de la mémoire afin fi d’éliminer les informations non pertinentes, les fonds inutilisables et surtout les cas erronés utilisés antérieurement. Un tel processus existe naturellement car la mémoire est ordonnée dans le temps et on se remémore les cas les plus récents, tandis que les

cas similaires n’ayant pas donné lieu à une évaluation satisfaisante sont progressivement éliminés. Il est permis de voir dans ces processus un effet ff de pression sélective dans un cadre évolutionniste. Cependant, même si elle conforte l’intuition que peuvent avoir les praticiens chevronnés de leur prise de décision basée sur l’expérience, la théorie de la décision sur les cas passés comporte des insuffi ffisances qu’il importe de souligner. Il s’agit, en effet, ff d’une forme isolée de mobilisation des capacités cognitives qui conduit à rejeter toute information non structurée a priori, ce qui explique que cette théorie est inapplicable au traitement de la phase diagnostique au cours de laquelle des éléments sont rassemblés pour structurer les hypothèses. La théorie apparaît donc comme un comportement par défaut dans des situations d’incertitude qui interdisent une décision optimale. En réalité, sur l’échelle de l’incertitude qui s’étale de la certitude quasi absolue (jamais toutefois absolue) jusqu’à l’ignorance totale, plusieurs modèles de prise de décisions coexistent. En situation de quasi-certitude par exemple, la décision converge vers l’espérance d’une utilité optimale. En situation d’ignorance qui traduit une incertitude radicale, c’est le raisonnement hypothétique in abstracto caractéristique de l’application du principe de précaution qui prévaut. En réalité, le décideur est confronté à une métadécision qui implique une sélection du modèle ad hoc sans que la démarche soit à l’évidence formalisable de façon continue. C’est, d’une certaine façon, ce qu’avait déjà exprimé Kant, dans la première et la troisième Critiques (Critique de la raison pure et Critique de la faculté de juger), r en distinguant jugement déterminant et jugement réfl fléchissant (10). Le jugement déterminant consiste à subsumer un cas sous une règle connue. La règle est connue, soit comme étant une loi qui concerne les phénomènes physiques de la nature, soit comme une règle élaborée par inférence inductive à partir de probabilités objectives. On se trouve alors dans une situation proche de la certitude à ceci près que la règle générale ne s’applique pas nécessairement parfaitement au cas particulier. Le deuxième type de jugement est le jugement réfléfl chissant ; on connaît bien le cas, mais la règle est inconnue. Il faut alors élaborer une règle spécifique fi pour le cas particulier qui vaudra sans doute pour d’autres cas similaires à venir. La prise de décision pour un malade individuel off ffre une palette de coexistence de jugements déterminants et de jugements réfléchissants. fl Une approche de la prise de décision fondée sur la distinction kantienne du jugement a l’intérêt d’inclure l’étape diagnostique, qui, lorsqu’elle s’adresse à une affection ff s’inscrivant dans un cadre

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Enjeux éthiques en réanimation nosologique identifié, fi off ffre les caractéristiques d’un jugement déterminant. En revanche, l’étape thérapeutique comporte ou devrait comporter une très large part de jugement réfléchissant. fl En poussant plus loin l’analyse, on pourrait dire que le traitement connu d’une affection ff connue relève d’un jugement déterminant, tandis que le soin prodigué au patient est toujours un jugement réfléchissant. fl

Médecine et principe de précaution Le but de ce chapitre est de montrer que le principe de précaution est nécessairement corrélé à l’incertitude et que la méfiance fi générale qui entoure la précaution provient d’une interprétation erronée du principe. En eff ffet deux obstacles s’opposent à une compréhension immédiate du principe de précaution : – le premier obstacle est une tension qu’on pourrait qualifier fi d’essentielle entre deux interprétations concurrentes du principe de précaution qui en font, soit un principe de responsabilité, une catégorie morale, soit un principe juridicopolitique (11) ; – le deuxième obstacle est l’extraordinaire diversité de l’univers médical qui regroupe trois composantes : les actions de santé publique, la recherche biomédicale et la médecine clinique. Ces trois domaines sont régis par des logiques propres et obéissent à des impératifs différents. ff À titre d’exemple, l’action de santé publique est soumise à une obligation de résultats, tandis que l’acte médical individuel est soumis à une obligation de moyens. De grandes aff ffaires médiatiques ont largement contribué dans le passé à défi figurer le principe de précaution et à en off ffrir une caricature sous la forme d’un principe d’abstention. En témoigne dans les années quatre-vingt du siècle dernier la campagne de vaccination contre l’hépatite B à laquelle le ministre de la Santé dut mettre un terme, au nom du principe de précaution, en raison de la rumeur persistante d’un lien possible entre la vaccination et l’apparition d’affections ff démyélinisantes. La conséquence fâcheuse et non anticipée de cette décision politique est que la France, jadis pays leader de la vaccination contre l’hépatite B, est aujourd’hui à la traîne en Europe. Une étude récente a montré que 87 % des parents étaient réticents à l’idée de faire vacciner leurs enfants (12). Un historique rapide permet de constater que l’émergence du principe de précaution est contemporaine de la prise de conscience du changement de paradigme dans les années quatre-vingt, faisant de l’incertitude une donnée irréductible du monde.

Les grandes étapes d’élaboration et d’introduction du principe de précaution ont été : – les milieux écologiques allemands des années soixante-dix, fortement stimulés par la réflexion fl de Hans Jonas sur le principe responsabilité (13) ; – la conférence de la mer du Nord en 1987, où l’on vit apparaître le cadre conceptuel du principe de précaution : incertitude scientifique, fi dommages de grande ampleur et actions précoces nécessaires. – la conférence de Rio, qui consacra la diffusion ff médiatique du principe de précaution ; – le traité de Maastricht en 1992 et la loi Barnier en France en 1995 ; – l’inscription du principe de précaution dans la Chartre de l’Environnement introduit dans le Préambule de la Constitution française en 2005. L’article 5, en particulier, stipule que le principe de précaution concerne la sauvegarde de l’environnement, laquelle engage la responsabilité de l’Autorité publique. Retenons de ce bref rappel historique que le principe de précaution s’appliquait originellement à l’environnement et qu’il a subi des extensions progressives vers les domaines de la santé et de l’alimentation, à l’occasion, en particulier, de l’affaire ff du sang contaminé (1984). On a pu ainsi observer de la fin des années quatre-vingt jusqu’au début des années 2000 ce qu’on pourrait appeler un syndrome de glissement du principe de précaution : considération de dommages graves et irréversibles évoluant vers la preuve de l’absence de risques, obligation initialement circonscrite à l’administration publique étendue aux décideurs privés et « last but not least », extension du domaine d’application du principe de précaution au champ sanitaire et à la médecine individuelle. De vives oppositions et des débats sans fi fin ont agité les esprits pendant plus de deux décennies : journalistes, essayistes, scientifiques fi de renom, médecins, personnalités de tous bords ont émis des opinions négatives sur le principe de précaution ; jusqu’à la commission Attali qui, en octobre 2007, a proposé de revenir sur l’inscription du principe dans la Constitution arguant que cela constituait un frein à la croissance économique. Pour se faire une idée de la violence de la critique, il suffit ffi de rappeler les propos d’un haut responsable qui fustigeait « un principe d’atermoiement, de procrastination » refl flétant philosophiquement « l’expression d’une sorte de maladie de la volonté… l’expérience un peu dérisoire du refus de la condition humaine » (Le Monde 25/10/2007). Dans ce contexte hautement polémique, le camp des défenseurs du principe de précaution avait des difficultés ffi à se faire entendre : le scientifi fique Jacques Testard, le sociologue Bruno Latour (« Vive l’audacieux principe de précaution », Le Monde 6/11/2007) et deux courageuses ministres de l’Environnement…

Incertitude et précaution en médecine – Aspects épistémiques et prolongements éthiques Il est vrai que le principe de précaution est une source de confusion et cela pour plusieurs raisons : – la résonance péjorative du mot précaution qui suggère une attitude de crainte et de repli. Le terme précaution est une mauvaise traduction qui a transité par l’expression véhiculaire anglaise « Precautionnary approach », elle-même issue du « Vorsorgeprinzip » allemand originel. – l’ambiguïté originelle du principe de précaution que nous avons déjà soulignée ; – la pluralité des versions philosophiques qui n’ont pas éclairé le débat (14, 15) ; – l’absence de discernement entre des notions telles que principe de précaution, mesure de précaution, prudence, prévention, risque et danger. La séance de l’Académie de Médecine consacrée au principe de précaution, en 2000, est révélatrice de cette absence de discernement par défaut d’analyse conceptuelle (16). Le fil fi conducteur de la contestation du principe de précaution en médecine était son prétendu caractère irrationnel où l’émotion l’emporterait sur le raisonnement et sur le manque de courage face au risque, en relation avec l’émergence d’un mythe du risque zéro. On a pu alors observer, en pratique clinique, des dérives qui prenaient leur source dans une interprétation erronée du principe de précaution : – mésusage du principe de précaution sous la forme de mesures de précaution aveugles, inutiles et dispendieuses (multiplication des examens complémentaires) ; – invocation conjointe du devoir d’information, du principe de précaution et du respect de l’autonomie du patient pour déléguer à ce dernier la décision thérapeutique ; – tendance à préconiser les solutions thérapeutiques radicales pour réduire les risques inhérents aux opérations conservatrices et éviter de la sorte, « par précaution », une longue chaîne de tourments au patient. L’assimilation du principe de précaution au « primum non nocere » hipppocratique est dénuée de fondement, en ce que la maxime antique ne résume pas l’acte médical et que le principe de précaution ne vise pas le bien mais la réduction des risques. En médecine clinique, le problème n’est pas de comparer un risque à l’absence de risque mais deux risques : celui de l’évolution naturelle de la maladie et le risque thérapeutique. Une formule heureuse du CCNE, dans son avis n° 79 de septembre 2003, avait remis de l’ordre dans les esprits, en rappelant qu’il y a certes « un primat du principe de non-malfaisance, mais une primauté du principe de bienfaisance ». L’objectif du soin, en médecine clinique, n’est pas de subordonner le souci de faire le bien à celui de ne pas nuire, sous peine de paralyser toute initiative

thérapeutique au seul motif qu’elle est susceptible d’entraîner des conséquences néfastes. De cette première partie, je retiendrai les enseignements suivants : – l’interprétation erronée du principe de précaution a entraîné une telle confusion qu’il est apparu nécessaire de rappeler ce qui constituait jadis des évidences de bon sens dans la pratique médicale ; – le débat semble à l’heure actuelle apaisé ; chacun dans son domaine propre a intégré le principe de précaution mais sans doute pas de la meilleure façon qui soit ; – il faut sans doute voir, dans l’extinction de la polémique, la prise de conscience progressive et retardée, grâce au principe de précaution, que nous vivons dans un monde d’incertitude et que nous devons désormais agir en situation d’incertitude. Le principe de précaution aurait agi, en quelque sorte, comme un révélateur du changement de paradigme alors que logiquement la prise de conscience de l’incertitude aurait dû précéder l’élaboration du principe de précaution. Autrement dit, ce n’est pas le principe de précaution qui a créé l’incertitude, c’est l’incertitude qui rend nécessaire le principe de précaution. On peut considérer le refus initial du principe de précaution comme un déni de l’incertitude.

Pour une approche positive du principe de précaution Si l’on reprend la formule selon laquelle un risque est une probabilité de dommage par exposition à un danger, il convient de distinguer cinq univers dans lesquels peut se produire un événement dit indésirable. À chaque situation est rapporté un comportement particulier susceptible de réduire le risque. – L’univers déterminé est caractérisé par des phénomènes obéissant à un déterminisme rigoureux du type Laplacien. Ces univers sont des « poches d’ordre » limitées dans le temps, régies par la certitude. La relation de causalité directe et nécessaire entre deux événements renvoie de facto à une attitude de prévoyance. Les bulletins météorologiques et les pronostics à très court terme sont de l’ordre de cet univers déterminé. – Dans un univers dominé par le risque, on sait quel événement indésirable peut survenir et on connaît sa probabilité objective d’apparition. Il n’y a pas d’enchaînement de causalité mécanique entre les conditions initiales et l’événement redouté. L’attitude adéquate est alors une attitude de prévention. – Dans l’univers incertain, on ne connaît pas la probabilité objective de l’événement indésirable tout en sachant qu’il peut survenir. Il faut alors prendre appui sur une probabilité subjective qui, lorsqu’elle prend la forme d’une hypothèse cohérente et

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Enjeux éthiques en réanimation argumentée, prend le nom de plausibilité. Les complications d’une intervention chirurgicale chez un patient particulier s’inscrivent dans ce cadre d’incertitude. C’est dans l’univers incertain, où un certain nombre d’hypothèses peuvent quand même être formulées en dépit de l’incertitude, que doit s’exercer le principe de précaution, lequel n’est pas synonyme de mesure de précaution. – L’univers indéterminé, lui, nous est par définition fi même, parfaitement inconnu. C’est ce que nous avons appelé en début de chapitre l’incertitude radicale. On ne connaît pas l’événement indésirable et aucune hypothèse cohérente n’est formulable. Mais la possibilité même d’un danger donc d’un risque est une forte incitation à maintenir une permanente attitude de vigilance. – Le cinquième univers est celui de l’ignorance. Il faut le distinguer de l’univers indéterminé dans la mesure où, dans ce dernier, on a conscience de l’incertitude radicale. Dans l’univers d’ignorance, l’attitude est une attitude d’insouciance : pas de danger formulable, donc pas de danger du tout. On n’est pas loin d’un comportement autistique. Dans ce cadre conceptuel, on peut dire que les « Trente Glorieuses » d’après-guerre ont été une période d’insouciance, notamment vis-à-vis de l’environnement. On voit donc que précaution et incertitude sont intimement liées, à la fois au plan théorique et pratique, et que la précaution est à distinguer formellement de la prévention. Penser le principe de précaution en fi filiation avec l’incertitude implique deux conditions préalables : la première, c’est d’échapper au normatif en affirffi mant qu’il ne s’agit pas seulement d’un principe juridico-politique, la seconde est de rompre avec l’affect ff en ce que le principe de précaution n’est pas un principe moral.

Principe de précaution : un principe de raisonnement logique Le principe de précaution ressortit d’une logique particulière (17). En eff ffet, la logique scientifi fique traditionnelle, celle qui nous est familière, est explicative et prédictive. Il s’agit en général d’expliquer un fait ou un événement, et de remonter du conséquent à l’antécédent. C’est ce processus que le logicien Peirce a nommé « abduction » ou « rétroduction », opération de l’esprit distincte de l’induction et de la déduction (18). La formulation des hypothèses explicatives obéit au principe d’uniformité de Newton, selon lequel les mêmes causes sont censées produire les mêmes eff ffets et au principe d’économie, connu sous le nom de rasoir d’Ockam qui est une mise en garde contre

la multiplication inutile des hypothèses (« entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem »). En revanche, dans un univers d’incertitude sur les événements à venir, la démarche de précaution s’eff ffectue en sens inverse de la logique scientifi fique explicative. Le point de départ est une situation, un événement ou un projet d’action à partir duquel on élabore des hypothèses sur les conséquences de l’état de fait ou de l’action envisagée. La démarche de pensée se fait donc de l’antécédent vers le conséquent. Dans ces conditions, le rasoir d’Ockam ne peut pas s’appliquer en ce sens que l’on doit multiplier les hypothèses, même les plus absurdes en apparence. En médecine clinique, les deux démarches sont présentes : la logique scientifique fi explicative est au cœur du diagnostic, tandis que le pronostic et la thérapeutique sont fondés en partie sur une logique hypothétique. Le principe de précaution n’est ni un principe d’action ni un principe d’abstention. C’est un principe logique, une manière de raisonner, une forme d’anticipation (19) qui permettra, le cas échéant, d’évaluer les mesures de précaution qui seront ou non appliquées. Le principe de précaution fait appel au raisonnement hypothétique, et c’est sur la nature des hypothèses et non pas sur des risques encourus que le principe de précaution peut être fondé logiquement. Toutes les hypothèses, à l’évidence, ne se valent pas. Il existe toujours une vaste palette d’hypothèses qui s’étend de la quasi-certitude à l’absence d’hypothèse, en passant par l’hypothèse probable caractérisée par une fréquence à long terme et l’hypothèse plausible fondée en général sur un raisonnement causal. La nature de l’hypothèse détermine le comportement : l’hypothèse certaine justifie fi une attitude de prévoyance, l’hypothèse probable, un comportement de prévention, l’hypothèse plausible, une attitude de précaution et l’absence d’hypothèse, une attitude de vigilance armée assurée par les cellules de veille. Le raisonnement hypothétique qui est le ressort du principe de précaution est une opération mentale complexe. Entre prémices (l’action envisagée) et conclusion (édiction d’une règle), s’interpose toute une série d’opérations dont les plus marquantes sont la formulation des hypothèses, l’évaluation de leur plausibilité, l’identifi fication des conséquences possibles de ces hypothèses et à nouveau l’évaluation de la plausibilité des conséquences, l’évaluation également de la désidérabilité des événements hypothétiques, etc. On conçoit donc que ce raisonnement hypothétique caractéristique de la précaution, et plus généralement de l’anticipation, est un processus itératif à embranchements multiples. Une de ses principales caractéristiques est son aspect évolutif,

Incertitude et précaution en médecine – Aspects épistémiques et prolongements éthiques opérant par correction permanente ou par ajustements successifs au fur et à mesure des évaluations et du surgissement d’hypothèses nouvelles. Contrairement à l’opinion commune, le principe de précaution est, en réalité, un formidable moteur de recherche et d’innovations, dans la mesure où l’incitation à formuler des hypothèses est susceptible de faire surgir des solutions inédites. Le principe de précaution est donc révélateur d’une nouvelle conception de notre approche du réel caractérisée par la complexité et l’incertitude. Le changement brutal de paradigme est attesté par l’inversion de sens des expressions populaires qui résonnaient, naguère, comme autant de préceptes d’action : « savoir c’est pouvoir », « dans le doute abstiens-toi », « il faut prendre une décision en toute connaissance de cause ». Désormais, la nouvelle perspective nous impose d’inverser les propositions en proclamant : il faut pouvoir avant savoir, dans le doute ne t’abstiens pas, il faut souvent décider en méconnaissance de cause… Ainsi se dessine une nouvelle confi figuration des relations entre savoir et pouvoir, qui fait apparaître notamment que la science biomédicale n’est plus en mesure de libérer le médecin de la responsabilité de décider en l’absence de certitude. Science biomédicale et médecine clinique partagent la même incertitude, perplexité théorique pour l’une, vertige de la contingence de la décision pour l’autre. Mais ne s’agit-il pas de la définition fi même de la liberté ?

Prolongements éthiques La question qui se pose est de savoir comment articuler épistémologie et éthique au regard de cette donnée fondamentale qu’est devenue l’incertitude. Le point nodal de cette relation est situé au sein du processus de prise de décision qui relève, en médecine, d’une intrication de savoirs et de valeurs. Une théorie de la connaissance intervient dans la décision en ce sens qu’elle implique une réflexion fl sur le savoir, sur ses modes d’acquisition et surtout sur ses modes d’utilisation. Sur l’autre versant, toute décision, s’agissant d’un patient, reflète fl un attachement à des valeurs fondamentales qu’on a appelé les invariants éthiques : respect de l’autonomie, principe de bienfaisance, principe de nonmalfaisance, principe d’équité. La délibération éthique naît de la contingence d’un conflit fl entre ces valeurs et du souci d’harmonisation dans la recherche du moins mauvais des compromis possibles. Ainsi, incertitude cognitive et conflit fl de valeurs peuvent se conjuguer pour faire émerger

le doute, générateur d’angoisse chez le praticien. C’est ce sentiment d’angoisse qui incite le médecin à trouver refuge derrière un principe de précaution mal intégré, sous forme d’une abstention d’action ou d’une décision qui ne respecterait pas la primauté du principe de bienfaisance. Or l’angoisse, si elle a un versant sombre, possède également une vertu : celle de nous obliger, au contraire, à nous tourner vers les autres et à trouver conseil dans une discussion argumentée. Dans un excellent ouvrage, Pierre Le Coz (20) met l’accent sur une instance particulière de la délibération éthique qu’il appelle la « révision émotionnelle » qui vise à une harmonisation des émotions, lorsque celles-ci « tirent la décision dans des directions opposées ». Le grand mérite de l’auteur est de réaffi ffirmer l’importance des sentiments et des émotions dans la prise de décision, ce que les formations de soignants avaient tendance à nier sinon à réprimer jusqu’à une époque récente. J’émettrai ici une réserve majeure destinée à conjurer la tentation inverse de celle qui a prévalu jusqu’ici ; car, s’il est vrai que toute décision issue d’un compromis n’est pas purement rationnelle, il n’en reste pas moins que la « mobilisation des ressources de la sensibilité » ne doit pas occulter le mode d’utilisation du savoir. Autrement dit, il y a un lien direct entre épistémologie et éthique et plus précisément il ne saurait exister de délibération éthique sans position épistémologique assurée. Le confl flit de valeurs précédemment évoqué n’est-il pas lié, dans de nombreuses situations cliniques, à la prise de conscience que la règle générale ne peut s’appliquer au cas singulier sans porter atteinte au principe de bienfaisance ? Pour le dire d’un trait, il n’y a pas d’éthique sans théorie de la connaissance explicite, ce qui rend vaine par avance toute éthique normative présentée isolément. C’est le lieu, dans cet ouvrage, de redire avec force qu’il ne peut y avoir d’éthique générale mais seulement une éthique relative à une situation singulière, ce qui conduit à réaffi ffirmer l’exigence clinique comme seule référence. L’éthique est un devoir de responsabilité au sein même de l’événement ; elle ne s’écrit ni ne se décrète, elle se vit dans l’urgence et la contingence. Revenons une fois de plus à Kant en examinant rapidement la diversité de son legs ; ce qu’on retient habituellement de Kant (21), c’est l’existence d’exigences impératives (« les impératifs catégoriques ») qui n’ont pas à être subordonnées à des examens de situation. Ce sont ces impératifs que l’on brandit dès que surgit une discussion à vocation éthique et qui ont pour nom des abstractions telles que respect, dignité… comme si l’homme conçu comme sujet était une évidence intemporelle susceptible de fonder une éthique universelle. L’éthique de situation, libérée de toute contrainte, impose comme préalable la distinction kantienne

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Enjeux éthiques en réanimation entre jugement déterminant et jugement réfléchisfl sant, ce dernier étant appliqué par Kant au seul jugement d’ordre esthétique. Le fondement d’une éthique de situation est d’appliquer à la décision médicale la notion de jugement réfléchissant. fl Si le raisonnement diagnostique relève bien d’un jugement déterminant (faire passer un cas sous une règle), la prise de décision thérapeutique au sens large de sa dimension soignante doit être fondée sur un jugement réfl fléchissant qui garantit l’ajustement de la décision à un contexte à la fois singulier et globalisé. Le jugement déterminant est issu d’un mode de pensée analytique qui remonte des conséquents aux antécédents, tandis que le jugefléchissant est associé à un mode de pensée ment réfl holistique qui se projette au-delà du strict savoir médical. La faiblesse de la médecine contemporaine, qui résulte de cela même qui fait son efficaffi cité dans un modèle biologique de la maladie, est de tracer un lien d’inférence déductive entre le diagnostic et la prise de décision thérapeutique, ce qui ressortit d’un jugement déterminant mal ajusté à une situation singulière en ce qu’il subsume un cas sous une règle préexistante. On conçoit qu’une mauvaise attitude en matière de prise de décision thérapeutique soit celle qui associerait un jugement déterminant, assorti d’un sentiment de compassion au nom d’une éthique générale, et encadré par des règles déontologiques : ce qui est la négation même de l’éthique. Face à une situation clinique singulière, l’exercice du jugement réfléchissant fl implique d’examiner tous les possibles, l’ensemble des possibles incluant également les impossibles décrétés a priori et les possibles imaginaires, de soumettre cet ensemble à la catégorie du réalisable, ce qui signifie fi de retenir les possibles accessibles à un raisonnement argumenté et, enfin, fi d’arrêter la décision sur ce qui est préférable pour ce patient particulier. Le passage du possible au réalisable est une opération de la raison instrumentale qui emprunte une démarche rationnelle ; le transit du réalisable au préférable se fait selon une démarche raisonnable qui suppose l’implication de la raison et de la sensibilité. Le jugement réfl fléchissant renvoie au jeu des facultés représentatives que sont l’entendement comme fonction de mise en ordre et l’imagination comme fonction d’invention et de créativité. Les outils de la fonction de mise en ordre sont l’argumentation et l’interprétation et non la validation d’une théorie scientifi fique ou une évaluation dite objective. Dès que la situation d’une personne malade apparaît complexe, il s’agit bien d’interpréter, d’argumenter et de faire preuve de créativité car « l’imagination ce n’est pas seulement se représenter une chose absente mais c’est aussi se mettre à la place d’un autre être humain » (Kant, § 40 de la Critique de la faculté de juger). L’imagination est une faculté

qui permet la compréhension d’une situation sans pour autant verser dans la compassion. En opérant par réductions successives du possible au réalisable et du réalisable au préférable – autre nom pour le juste – le jugement réfléchissant fl contribue à la construction du sujet de la maladie et à définir fi une nouvelle allure de vie, au sens où l’entendait Canguilhem (22), qui requiert la participation du patient. On objectera l’absence d’objectivité d’une telle démarche qui ne s’inscrit pas dans le courant actuel d’une médecine obsédée par le mesurable comme critère de l’universel. À cela je répondrai que le jugement réfléchissant fl peut prétendre à une forme originale d’universalité qui est la communicabilité i.e. un sens commun partagé par tous, autre formulation pour désigner le consensus obtenu après délibération. Il s’agit, par la décision la plus appropriée à la situation, la plus juste pour le patient, de parvenir à l’universel à travers le singulier, à voir dans le singulier une manifestation de l’universel.

Conclusion : de l’épistémologie à l’éthique, un pacte de soins renouvelé La prise de conscience de l’incertitude qui entoure désormais le patient, le médecin, la maladie et la connaissance biomédicale, et l’exigence d’anticipation sous forme du principe de précaution renouvellent en profondeur la relation patient médecin (23). Informer, c’est-à-dire mettre le patient en confiance, fi ne relève pas d’un principe fixé une fois pour toutes ; informer s’inscrit dans un processus complexe qui tient compte à la fois des progrès scientifiques fi et médicaux et de la trajectoire de la maladie. Dans ce processus, la place prise par le pronostic gagne en importance en ce que le pronostic relève de l’anticipation. La question du temps et de l’avenir est fi finalement mieux abordée par l’énoncé incertain du pronostic que par l’évocation de la durée du traitement. Le pronostic, qui condense à lui seul les problématiques du principe d’incertitude et du principe de précaution, permet d’exprimer l’incertitude et de la donner en partage, de préparer une longue durée de prise en charge, d’exposer les risques et les bénéfices, fi et d’obtenir finalement l’adhésion et l’engagement du patient. S’il apparaît que l’incertitude doit désormais être partagée, il n’en est pas de même du doute qui doit rester de l’ordre du sentiment intime du praticien et qui ne peut filtrer fi sans déstabiliser le lien de confiance. fi Dire l’incertain se substitue désormais au « nondire » et réorganise la communication médicale

Incertitude et précaution en médecine – Aspects épistémiques et prolongements éthiques et l’expérience de la maladie, en introduisant la notion d’expectative : rien n’est jamais achevé, notamment la guérison. Le principe d’expectative, corollaire de l’incertitude et du principe de précaution, rend recevable l’incertitude sur les conséquences lointaines d’une aff ffection et de son traitement. On peut voir dans le principe d’expectative une forme moderne de la suspension du jugement, l’épochè des philosophes sceptiques de la Grèce Antique, qui compléterait la trilogie du jugement médical, déterminant pour le diagnostic, réfléchissant fl pour la décision thérapeutique et suspensif pour le pronostic. Tout le problème actuel est centré sur la façon de rendre l’incertitude fondamentale, humainement acceptable. Au lieu de se focaliser sur un retour illusoire à la normalité, toute relation médicale doit désormais s’attacher à la recherche d’une nouvelle normativité au terme d’une délibération partagée, associant les soignants, le patient et ses proches.

Références 1. Cabanis PJG (1956) Du degré de certitude de la médecine. In : Œuvres philosophiques de Cabanis. PUF, Paris 2. Schmidt C 1996) Risque, incertitude : une nouvelle interprétation. Risques 25 : 163-74 3. Hume D (1983) Enquête sur l’entendement humain. Flammarion 4. Fox R (1988) L’incertitude en médecine. L’Harmattan, Paris 5. Masquelet AC (2006) Le raisonnement médical. PUF, Paris

6. Hampton JP (1975) Relative contribution of historytaking, physical examination and laboratory investigation to diagnosis and management of medical out patients. British Medical Journal 31th May: 486-89 7. Cicourel AV (2002) Le raisonnement médical : une approche socio-cognitive. Le Seuil, Paris 8. Kassirer JP (1987) Decision analysis: a progress report. Annals of Internal Medicine 106: 275-91 9. Gilboa I, Schmeidler D (1997) Act similarity in case-based décision theory. Economic Theory 9: 47-61 10. Kant E (1993) Critique de la faculté de juger. PUF, Paris 11. Ewald F (2004) Principe de précaution. In : Dictionnaire de la Pensée médicale. PUF, Paris 12. Bulletin de l’Ordre des Médecins (2007) 6 : 12 13. Jonas H (1990) Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique. Cerf, Paris 14. Kourilsky Ph, Vilney G (2000) Le principe de précaution. Odile Jacob, Paris 15. Dupuy JP (2002) Pour un catastrophisme éclairé. Le Seuil, Paris 16. Bulletin de l’Académie de Médecine (2000) 184(5) : 869993 17. Hunyadi M (2003) Pourquoi avons-nous besoin du raisonnement de précaution ? Esprit (août-septembre) : 139162 18. Peirce CS (1995) Le raisonnement et la logique des choses. Cerf, Paris 19. Tubiana M, David G, Sureau C (2003) Du principe de précaution au principe d’anticipation. Bulletin de l’Académie de Médecine 187: 443-49 20. Le Coz P (2007) Petit traité de la décision médicale. Le Seuil, Paris 21. Kant I (1994) Fondements de la métaphysique des mœurs, Flammarion, Paris 22. Canguilhem G (1966) Le normal et le pathologique. PUF, Paris 23. Ménoret M (2007) Informer mais convaincre : incertitude médicale et rhétorique statistique en cancérologie. Sciences Sociales et Santé 25: 34-54

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Chapitre

Réanimation et conflit de valeurs entre la norme et les moyens Des contraintes réglementaires à l’indépendance professionnelle

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F. Fourrier, P. Barincou

Introduction

L

a norme est la règle, l’équerre et le droit puisque tout jugement peut s’y référer. Normatif contient la contrainte, l’appréciatif et l’impératif, et les principes de régularité et de conformité. Le normal est qualitatif, la norme est quantitative. Le normal est l’instituteur de la norme (1, 2). Dans le domaine de l’organisation des soins, la norme est perçue comme un outil ; elle est utilisée pour imposer des règles de fonctionnement et contraindre à mettre en place des moyens. La norme est indissociable de la contrainte et les médecins comme les tutelles le savent bien qui, tantôt s’en servent pour obtenir des moyens, tantôt les utilisent pour réguler les organisations. La démarche ne repose pas sur le concept d’une normalisation qualitative des objectifs (de quoi ai-je besoin dans mon service pour obtenir des résultats ?) mais sur le concept d’une normation quantifiée fi (ces moyens-là doivent être mobilisés pour mon service quelle que soit sa performance). Dans le domaine réglementaire qui régit les rapports des tutelles avec les administrations hospitalières et les médecins, le concept de norme légale de moyens diffère ff ainsi de la détermination d’une situation normale, c’est-à-dire d’une moyenne et d’écarts acceptés. Il n’y a pas de paramètre statistique, de médiane autour desquels pourraient « objectivement » être défi finis les moyens. La loi va édicter la norme et la norme sera toujours considérée à la fois comme un minimum contraint, comme un plancher en dessous duquel il ne faudra pas se glisser et, en même temps et exactement au même niveau, parce que l’obligation n’est que minimale, comme un plafond qu’il serait stupide et futile de franchir. La norme n’est pas faite pour la variabilité entre plancher et plafond, elle n’a pas d’espace. Dans une telle situation, le conflit fl est inévitable entre les contraintes induites par la norme organisationnelle et celles dépendant de normes « comportementales » ou professionnelles qui reposent L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

presque uniquement sur des principes moraux ou éthiques, ou sur un bon usage ou sur le consensus social. Rien n’y sera simplifié fi par l’intervention du Juge, dont les avis sont à la fois contraints par les normes quantitatives et en même temps libres d’interpréter les normes comportementales. C’est au milieu de ces écueils que les médecins réanimateurs doivent naviguer, à l’estime, parfois inconsciemment, parfois très au fait des risques qu’ils encourent mais, finalement, fi toujours seuls dans un confl flit éthique qui, malheureusement, est insoluble.

De la genèse des normes en réanimation Le 7 avril 2002 paraît, au Journal Officiel ffi de la République, le décret 2002-465 relatif aux établissements de santé pratiquant la réanimation (3). Beaucoup de réanimateurs crient victoire. C’est l’aboutissement d’un long parcours juridique et d’années de « lobbying » intensif, commencées en 1996 par la publication par les sociétés savantes, collèges et syndicats intéressés, du Manifeste pour la Réanimation, plaidoyer professionnel argumenté visant à obtenir la reconnaissance des spécificités fi et des moyens nécessaires à sa pratique. « Les réanimateurs (…) estiment indispensable de proposer une organisation hospitalière claire et précise de la réanimation afin fi de garantir la plus haute qualité des soins, tout en se pliant aux critères de rationalisation des coûts et d’optimisation des moyens ». Par organisation claire et précise, les professionnels entendaient la défi finition d’une gradation en niveaux de soins et la création de normes minimales de fonctionnement. Il faut remarquer que, dès le départ, la demande de création de normes est argumentée par les deux principes éthiques habituels : le bien (la meilleure qualité des soins) et le juste consenti (la rationalisation et l’optimisation des moyens).

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Enjeux éthiques en réanimation En réalité, les demandes formulées dans le Manifeste découlaient directement de la non-application quasi généralisée des recommandations publiées par le ministère de la Santé en 1989 (circulaire publiée au JO du 7 décembre) qui définissaient fi cinq ordres de critères auxquels devaient répondre les unités de réanimation : locaux spécialement aménagés ; matériel spécialisé ; plateau technique complet adapté ; permanence médicale continue, qualifiée fi et spécifi fique ; permanence soignante assurée par du personnel expérimenté, exclusivement aff ffecté à l’unité et en nombre suffi ffisant. Ces recommandations étaient restées lettre morte. Dans l’arsenal réglementaire français, la circulaire ne contraint pas : elle précise, par une note et sans coercition, les modalités d’organisation interne d’un service public. De fait, pendant treize ans et pratiquement partout, les tutelles locales ou régionales ne retiendront de la circulaire que l’absence de normes et une application facultative. Dans cette situation – et au contraire du monde industriel qui n’est jamais demandeur et subit toujours les normes édictées par la puissance publique – les professionnels furent les premiers à solliciter l’établissement de normes parce qu’ils les concevaient d’emblée comme le seul moyen d’imposer (enfin fi !) une qualité de soins minimale et d’éliminer les structures de soins à risque. La demande pressante de création de normes par les sociétés savantes et les collèges professionnels découlait directement de la non-application de recommandations que le sens commun, les évidences scientifi fiques et éthiques auraient dû faire appliquer par tous et partout, sans pression ni menace de rétorsion réglementaire. Malheureusement, ce ne fut pas le cas et, à défaut de normalisation, on voulut des outils pour obtenir une « normation » opposable. « La norme porte le sceau de la contrainte » (G. ZuéNguéma) (4) ; ou encore dans la perspective positiviste « le concept de normes exprime l’idée que quelque chose doit être » (H. Kelsen) (5) ; et « la norme crée le droitt » (id). Comme souvent dans notre pays si peu pragmatique, le processus de création des normes va s’éterniser. Six ans vont passer entre la rédaction du manifeste et la publication du décret concernant la réanimation au JO du 7 avril 2002, signé par le ministre de la Santé, quelques jours seulement avant son départ du gouvernement. Au bout du processus, sociétés savantes, collèges et syndicats de réanimateurs avaient réussi à remonter d’un cran dans la hiérarchie des normes et de leurs dispositifs d’application. La circulaire émettait des recommandations. Le décret allait édicter des normes quantitatives. Si la dimension éthique des normes était bien présente dans cette affaire, ff elle y était associée à une dimension utilitariste et de pouvoir disciplinaire,

au sens où Foucault l’entendait. Bien sûr, l’obtention des normes visait à améliorer la prise en charge des patients ; bien sûr elle voulait introduire des obligations de qualité et de sécurité. Mais elle représentait aussi un moyen de pression et de régulation. En effet, ff les normes conditionnent (on le verra, très théoriquement) les autorisations délivrées aux établissements de santé pour pratiquer la réanimation : leur non-application permet aux tutelles d’envisager l’interdiction temporaire ou définitive fi de sa pratique. Il est intéressant de se souvenir que, tant lors de la publication du Manifeste qu’au moment de la signature des décrets, ni les tutelles, ni les sociétés savantes, ni le législateur ne disposaient de données fi fiables sur le nombre exact, les modalités d’organisation ou les ressources humaines médico-soignantes des unités de réanimation. Les sociétés, collèges et syndicats médicaux proposeront des normes fondées sur quelques études scientifi fiques étrangères, des données comparatives historiques et des professions de foi. Les tutelles et le législateur en apprécieront l’intérêt et le coût en simulant très approximativement leurs conséquences. Le décret aurait dû s’appuyer sur des données scientifiques fi irréfutables puisque la circulaire avait été basée sur le seul bon sens professionnel. Le passage obligé par la normalisation, même non soutenue par des données indiscutables, conduisait implicitement dans l’esprit des médecins et des tutelles vers un processus d’exclusion des structures de soins défi finies comme déviantes. « La nécessité de la norme résulte de l’intransigeance de son application » (4). Certaines de ces « déviances » sont évidentes et justifient fi totalement ce processus ; mais d’autres sont peut-être plus discutables ou, en tout cas, n’ont pas été évaluées dans leur performance comparée. Ainsi les normes du décret vont définir fi une organisation en trois niveaux : réanimation, soins intensifs et surveillance continue. Les normes de fonctionnement retenues pour chacun des niveaux vont plus découler de négociations avec les tutelles et entre disciplines concurrentes que de la logique d’organisation. La distinction réanimation - soins intensifs entérine ainsi l’idée d’une réanimation « mono-organe » alors que tout porte à considérer qu’une défaillance vitale, même isolée, nécessite presque toujours une compétence multiple. Cette défi finition sera retenue en fait pour ne pas empiéter sur le territoire (et les pouvoirs) des disciplines médicales spécialisées et finit fi par conduire à des absurdités : – pour être cohérent avec la gradation en niveaux, il a fallu introduire une clause « normée » obligeant au transfert en réanimation des patients « mono défaillants » admis en soins intensifs lorsqu’apparaît une deuxième défaillance vitale, au demeurant non défi finie ;

Réanimation et conflit de valeurs entre la norme et les moyens – alors qu’un niveau de gravité et des actes spécifiquement marqueurs sont exigés pour valoriser fi les activités des réanimations, les structures de soins intensifs sont dispensées de toute évaluation de la gravité et des charges en soins. La présence du patient y suffit ffi à justifi fier la structure ; – ce flou va être utilisé sans vergogne par l’exécutif pour fi financer directement des structures qui n’exercent ni la réanimation ni les soins intensifs ; ainsi des unités de greffes ff de moelle en hématologie ou des unités neuro-vasculaires dont la qualification fi « soins intensifs » ne vise qu’à obtenir les moyens nécessaires à leur onéreux fonctionnement. La tutelle a préféré dévoyer la logique normative pour l’utiliser comme un instrument de valorisation financière, quitte à obscurcir la lisibilité et l’évaluation des moyens consacrés aux vrais soins intensifs ; – dans une optique uniquement économique, les obligations réglementaires vont, en effet, ff utiliser les niveaux de gravité et le recours à des techniques de suppléance comme instruments d’une régulation financière individuelle. Ainsi, l’index de gravité simplifié, fi outil de mesure épidémiologique adapté à des groupes de patients, va devenir une norme conditionnant une valorisation per capita. De plus, ce seront des actes marqueurs de réanimation – pour la plupart très invasifs et nullement « intellectuels » – qui permettront la meilleure prise en charge budgétaire de chaque patient. Autrement dit, sachant que la valeur opérationnelle de l’index est nulle à l’échelle d’un individu, les médecins – et c’est parfaitement éthique – se refusent à en faire dépendre l’admission ou le niveau de soins. Mais ils voient les ressources et les moyens de leur service abondés en fonction de la somme des valorisations individuelles dépendant du même index. Ils acceptent ainsi de conditionner leurs moyens à des normes « qualifiantes fi » sans réelle valeur opérationnelle (et à la réalisation d’actes techniques invasifs, dont on présuppose qu’ils sont justifiés fi par l’état du patient) ; – de même, pour se démarquer d’autres disciplines, des normes de durée d’application des techniques vont être définies, fi et entraîner un eff ffet de taquet potentiellement délétère. Par exemple, la ventilation non invasive est un acte marqueur de réanimation lorsque sa durée est supérieure à 48 heures En l’absence d’autres actes, l’arrêt de la procédure avant cette durée se solde de l’absence de supplément forfaitaire « Réanimation ». Les moyens dévolus aux structures n’ayant pas été indexés en tenant compte des conséquences des normes, toutes les structures de réanimation sont défi ficitaires. La tentation est grande d’augmenter la durée de ventilation pour obtenir une valorisation supérieure et améliorer les « recettes » du service, dans le but ultime de disposer de plus de

moyens pour l’ensemble de ses patients. Ce n’est évidemment pas éthique pour le patient concerné mais, dans ce contexte de ressources contraintes, le risque existe bel et bien d’une inconsciente ou d’une insensible dérive. La genèse des normes va être aussi l’occasion pour les sociétés savantes, collèges et syndicats de consolider des territoires disciplinaires. Les personnes ressources, sollicitées dans l’élaboration des normes et leur « négociation », auront pu y voir aussi le moyen d’assurer la prééminence de leurs propres modalités d’organisation, dans un raisonnement quelque peu circulaire. « Ce que je juge bon pour moi devrait être la norme pour les autres ». Enfin, fi les négociations conduisant à la rédaction des normes vont faire l’objet d’une rude bataille soumise aux aléas de l’arrière-pensée, du bras de levier et… du doigt mouillé levé dans la brise ! Les quotas de personnels soignants vont être défifi nis d’abord par le nombre de lits, puis ramenés au nombre de patients, enfi fin à celui des patients présents, l’évolution du dénominateur résultant, chaque fois, d’une appréciation approximative du résultat et de son incidence financière. Qu’importe alors la contradiction évidente entre d’un côté les obligations réglementaires d’un coefficient ffi d’occupation permettant d’accueillir un patient à tout moment et de former les personnels, ce qui nécessite d’en disposer en nombre suffisant, ffi et de l’autre côté un calcul des postes uniquement fondé sur le coeffi fficient d’occupation réel, c’est-à-dire sans lit laissé vide pour l’accueil et sans personnel absent pour cause de formation. En bonne gouvernance, les normes de 2 IDE pour 5 patients et 1 AS pour 4 auraient dû être accompagnées des modalités de calcul adéquates. On fi fit exactement l’inverse et les tutelles, pour d’évidentes raisons fi financières, ne retinrent des décrets qu’une lecture négative, avec un calcul de quota ne tenant compte ni de l’accueil ni de la formation. Les normes devenaient restrictives et leurs conséquences potentiellement délétères ; on faisait semblant d’imposer un uniforme en laissant dans le vêtement des trous impossibles à rapiécer.

Des conséquences inéquitables de la normalisation Donc, le décret devait faire force de loi ; il ouvrait de fait la porte aux recours juridiques et à la condamnation en cas de manquement. « La loi fait le droit ». La circulaire de 1989 n’avait eu aucun eff ffet, mais le décret de 2002, pavé de tant de bonnes intentions, allait conduire à d’autres distorsions. La preuve va en être apportée a posteriori par l’enquête parcellaire réalisée par la DHOS en 2006 dans le contexte

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Enjeux éthiques en réanimation de la pandémie de grippe aviaire. Celle-ci va révéler, entre les régions, de considérables différences ff de dotations en lits de réanimation, dans les ressources humaines et les types de patients pris en charge. Vingt ans de régulation par les tutelles nationales et régionales n’avaient en effet ff rien solutionné des inégalités et de l’absence d’équité dans l’accès aux soins. La contrainte des décrets normatifs va souvent aggraver les inégalités. En effet, ff dans les régions déjà richement dotées en lits et en ressources, le volant de régulation constitué par les nombreuses petites structures « déviantes » – dont les autorisations ne seront pas renouvelées – va permettre très rapidement quand ce n’était pas déjà fait, de satisfaire aux normes du décret, même à niveau d’occupation faible. À l’inverse, dans les régions défavorisées, l’absence complète de volant d’ajustement va figer fi les structures hospitalières dans le manque de moyens, puisque par force elles sélectionnent des patients plus graves avec des ressources faibles alors que les régions « riches » accueillent des patients moins graves dans des structures mieux dotées. Ces comparaisons structurelles entre régions riches et pauvres démontrent une fl flagrante inégalité d’accès aux soins, tout à fait contradictoire avec les principes éthiques de la juste répartition des moyens. L’eff ffet de masse financière induit par le degré d’insuffi ffisance des dotations dans les régions « hors la loi » va encore aggraver les inégalités. Plus la région est loin des normes, plus la masse de financements fi à trouver pour lui permettre de rattraper son retard est grande et plus la mise aux normes paraît hors d’atteinte. On trouve ainsi, au fil fi de la lecture de certains schémas d’organisation sanitaire (SROS), des conclusions extraordinaires écartant toute hypothèse de mise à niveau au prétexte d’un écart irrattrapable. Dans cette situation, les réanimateurs dont le devoir est d’off ffrir aux patients des structures d’accueil et des ressources humaines « normales » vont apprendre à cheminer sur le difficile ffi chemin des défausses et des spirales sans fi fin. Dans un premier temps, la non-application de la circulaire de 1989 est la règle ; à partir de la parution du décret de 2002, cinq ans étant donnés aux établissements pour se mettre aux normes, beaucoup d’entre eux jugent plus urgent d’attendre 2007 en espérant des moyens ou une « rallonge ». À partir de cette date, les normes deviennent opposables mais l’importance des besoins et des ressources à mobiliser va ajouter à l’inégalité interrégionale un déséquilibre entre petits et grands hôpitaux. Dans les premiers, une unité de huit lits à laquelle manque 20 % de personnel n’aura que quelques postes à obtenir pour atteindre le quota normal ; dans les gros CHR, pour combler le même manque en pourcentage, les masses financières fi à mobiliser sont considérées comme capables de mettre en péril

le budget de l’établissement. À l’échelon régional, les agences, appliquant les mêmes règles de calcul, vont en déduire des budgets de mise aux normes résultant de la sommation des postes manquants parfois qualifi fiés de « pharaoniques ». Alors, à la demande de mise aux normes émanant d’un chef de service soucieux de qualité des soins et de sécurité, les responsables et les tutelles vont s’adonner au jeu du Mistigri. Le chef d’établissement dit qu’il n’a pas les moyens ; l’agence interpellée convient qu’elle ne peut rien faire puisqu’elle ne dispose ellemême d’aucun budget spécifique fi ; elle se tourne alors vers le ministère, qui la renvoie aux établissements, qui retournent le problème à la région : pas de fi financement local, pas de financement régional, pas de plan national de mise aux normes. La loi existe, elle est inapplicable, puisque rien n’a été prévu pour le permettre. Retour fi final au médecin demandeur, qui n’y peut mais. En désespoir de cause, les tutelles vont même parfois proposer aux sociétés savantes et aux collèges de se substituer à elles et de s’adresser directement à l’État. Que les médecins eux-mêmes stimulent leurs composantes professionnelles pour exiger les fi financements correspondants ! Et retour à la case départ, où l’on demande aux lobbys qui ont tant demandé la norme d’en obtenir l’application. Dans cette défausse générale, il n’y a bien sûr qu’un seul perdant. On pourrait aussi s’interroger sur le silence quasi complet des syndicats de soignants qui n’ont habituellement rien exigé des tutelles. À ce stade ultime, la situation paraît gelée et profondément inéquitable. Les régions, départements, villes ou établissements les mieux dotés satisfont aux obligations réglementaires et accueillent sans grandes diffi fficultés des patients de gravité normale et avec des moyens normaux. Les autres qui, par l’histoire, l’absence de volonté, la négligence ou la faiblesse de leurs ressources, sont les plus éloignés de la norme, sont condamnés à y rester, sélectionnant les patients les plus graves, avec les moyens les plus faibles. La normalisation recèle un autre piège, mathématique. La réglementation elle-même prive les structures défavorisées des possibilités d’adaptation. En situation de pénurie de lits, les coeffi fficients d’occupation sont plus élevés. L’application des règles de calcul imposées, prenant le coeffi fficient comme opérande des quotas de personnels, induit mathématiquement des besoins en personnels plus importants. Et dès lors les moyens fi financiers à mobiliser sont encore plus élevés. La norme a fi fini par tuer la norme, par sa logique propre et ses insuffisances. ffi Parasitée par ses modalités d’application, elle n’a pas changé le sort des plus démunis en leur laissant en supplément le goût amer d’un objectif inatteignable. Un exemple ? En 1987, le déficit fi d’accueil et de ressources humaines en réanimation est évalué

Réanimation et conflit de valeurs entre la norme et les moyens pour le Nord-Pas-de-Calais à 174 ans de retard (sic) sur la moyenne nationale en supposant que la région consacre chaque année les mêmes ressources à ses établissements. Le SROS 1 convient alors de l’impossibilité définitive fi d’une mise à niveau. En 2001, le SROS 2 constate une dotation inférieure de 30 lits/million d’habitants par rapport aux moyennes nationales et la tutelle propose, comme parade, de rédiger des critères d’admission « objectifs » pour empêcher l’accueil des patients les plus graves à faible espoir de survie. En 2006, date de l’enquête de la DHOS, et donc quatre ans après la parution du décret, le même retard est constaté et 20 services de réanimation sur les 22 que compte la région ne sont pas aux normes. En 2009, les quotas de personnels soignants ne sont appliqués que dans sept services ; les structures les plus éloignées des requis réglementaires étant les services du CHR et des grands hôpitaux. Enfi fin, et c’est ce qui va nous faire aller de l’éthique au juridique, dans de nombreuses régions, il est décidé par les agences de ne réaliser aucune visite de contrôle dans les établissements en situation non réglementaire. Ces visites étaient pourtant obligatoires pour autoriser de nouvelles unités ou pérenniser l’autorisation des unités existantes. C’est dans un souci de protection des personnels que cette attitude est préconisée. Elle a pour but affi ffiché de ne pas mettre les médecins en situation de risque médico-légal. Aucune visite n’étant faite, la non-conformité et la réalité des manquements ne sont pas prouvées et aucun recours ne peut donc en découler. Vulgairement dit, la tête dans le sable, comme l’autruche, la tutelle fait semblant de ne pas voir la réalité pour ne pas avoir à la reconnaître. Le but est aussi d’écarter toute responsabilité des agences et des directeurs d’établissements qui savent parfaitement les manquements à la loi mais ne pourraient être accusés en l’absence de preuve. Dans cette situation, la position médicale est inextricable. Elle va créer un conflit fl éthique profond entre responsabilité médicale, indépendance professionnelle et obligation de secours aux patients. Nous allons voir comment.

Du conflflit éthique à l’analyse juridique, entre déontologie et responsabilité professionnelle Au total, quelles sont les solutions pratiques et les alternatives pour les médecins réanimateurs responsables de service en situation non réglementaire ? On peut les schématiser ainsi : fficiellementt les faits et la situa– faire reconnaître offi tion non réglementaire par les directeurs et les conseils d’administration d’établissements et les tutelles ;

– ou au contraire… ne rien déclarer officiellement ffi pour ne pas risquer le retrait d’autorisation ; – fermer le nombre de lits nécessaire pour que l’encadrement soit aux normes au risque de refuser l’admission de patients en situation de détresse vitale (risque de non-assistance) ; – ou bien ne pas fermer de lits et accepter le risque de plainte pour mise en danger de la vie d’autrui en raison du non-respect des normes de sécurité légales. L’exposé de ce conflit fl requiert la citation directe du président du Conseil national de l’ordre des médecins auquel nous avions écrit en tant que responsable du Comité technique de la réanimation pour la région Nord-Pas-de-Calais, pour présenter la situation d’impasse dans laquelle nous étions. La réponse du président du CNOM fut éclairante : 1. La carence en personnel paramédical est une situation illégale justifi fiant un retrait d’autorisation (Conseil d’État du 26 juillet 2006). 2. Sur le plan professionnel, les normes ont été prises pour assurer la sécurité sanitaire des patients et elles concernent aussi bien les établissements que les médecins qui y exercent. Pour ces derniers elles rejoignent l’obligation déontologique de l’article 71 du Code de déontologie médicale : « le médecin ne peut exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins ou la sécurité des personnes examinées ». On pourrait reprocher, sur le plan déontologique et disciplinaire, à un praticien d’avoir accepté d’exercer dans des conditions incompatibles avec la sécurité des patients. 3. Sur le plan pénal, la situation créée pourrait caractériser le délit de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, dès lors que la réglementation, en fi fixant des normes d’encadrement, a créé une situation particulière de sécurité, qui est ici manifestement violée et peut conduire à exposer des patients à un risque pour leur santé. On peut relever que la Cour de cassation a, sur ce fondement, pénalement sanctionné des praticiens faisant fonctionner un établissement de santé sans autorisation. 4. Vous évoquez la possibilité de ne pas admettre dans votre service de nouveaux patients afin fi que les taux d’encadrement soient respectés… Vous pourriez dans ce cas-là être poursuivi pénalement pour omission de porter secours. 5. (…) À notre sens, il vous appartient d’apporter aux patients et aux familles toutes les informations utiles sur le fonctionnement de votre service dès lors qu’il ne répond pas aux exigences légales. Les patients ou leur famille sont en droit de disposer de ces informations et d’en tirer les conséquences. Le point 1 fait référence aux obligations des tutelles décrites plus haut. Il confi firme l’illégalité de la situation des services de réanimation qui n’appliquent

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Enjeux éthiques en réanimation pas les normes des décrets. Le point 2 s’appuie sur le code de déontologie et fait référence au devoir d’indépendance professionnelle (6-8). Une affaire ff récente en a confirmé fi la validité avec la condamnation de praticiens ayant continué d’exercer dans un établissement alors qu’ils étaient parfaitement informés de ses manquements aux obligations réglementaires ; le fait qu’ils n’en ignoraient rien a été considéré comme circonstance aggravante, alors même qu’ils apportaient les preuves des démarches qu’ils avaient entreprises pour obtenir l’application des normes de sécurité. La très récente loi HPST n’a d’ailleurs pas remis en cause le principe de cette indépendance professionnelle dans le nouvel article L.6143-7 du Code de la santé publique : « Le directeur exerce son autorité sur l’ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s’imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l’administration des soins et de l’indépendance professionnelle du praticien dans l’exercice de son art. ». Les points 3 et 4 font référence d’une part aux risques de mise en danger de la vie d’autrui et à la sanction pénale encourue par les réanimateurs continuant à exercer dans des conditions non réglementaires, et d’autre part à l’obligation de porter secours à laquelle le réanimateur doit satisfaire. Enfin, fi dans le point 5, l’obligation d’information aux patients sous-tend une autre difficulté ffi : celle de la perte de confi fiance possible, de l’anticipation de recours médico-légaux une fois l’information donfi des diffi fficultés prévisibles de transfert née et, enfin, vers une unité au niveau réglementaire dans les régions où ces unités sont rares. À la solution « fermeture de lits » s’oppose donc le risque de plainte pour non-assistance ; à la solution « accueil de tous les patients » s’oppose le risque de plainte pour mise en danger. Juridiquement, c’est le directeur d’établissement qui détient le pouvoir et doit assumer la responsabilité de prononcer l’admission d’un patient dans un service. Médicalement, au bout de la chaîne, le médecin doit assumer ses responsabilités individuelles auprès du patient et exercer son métier en toute indépendance professionnelle. Éthiquement, et à titre personnel, s’il est convaincu de la valeur des normes qui lui sont imposées, il devrait refuser d’exercer et de faire travailler le personnel en conditions d’insécurité et de remise en cause de la qualité des soins. Mais, à l’inverse, le refus d’admission pour une raison « réglementaire » pourrait être retenu comme faute lourde dans une situation d’urgence ou d’impossibilité de transfert du patient dans une autre structure de soins (9-12). C’est apparemment un confl flit sans solution satisfaisante autre que celle du « moindre mal ». À ce stade, le conflit fl entre normes et moyens est aussi une saisissante illustration des superpositions

entre droit et déontologie. Le manquement déontologique relève en effet ff des juridictions ordinales (juridiction disciplinaire du Conseil régional de l’ordre des médecins, voire du Conseil national en cas d’appel) et s’appuie sur les articles spécifiques fi du Code de déontologie (6-8). Fondamentalement, celui-ci est un Code d’obligation morale visant à vérifi fier la probité des praticiens et l’honnêteté des relations interprofessionnelles. L’indépendance professionnelle fait partie des obligations déontologiques pressantes. De l’autre coté, l’analyse juridique, présentée en détail dans l’annexe I, montre clairement que la position du CNOM peut être discutée et souligne heureusement la grande liberté laissée au juge pour interpréter les manquements aux obligations légales des médecins réanimateurs et la situation dans laquelle ils sont placés. Le conflit fl n’est finalement pas réductible à l’objectif du moindre risque. C’est le choix éthique qui doit primer, avec une très grande vigilance et une analyse individuelle de la situation du patient. C’est bien sûr le devoir d’assistance à personne en péril qui doit être privilégié. Cependant ce peut être une solution de facilité que de considérer le péril toujours imminent et la situation toujours urgente pour accepter l’admission en réanimation, quelles que soient les conditions d’encadrement et de sécurité (13-15). Le risque pris par le refus d’admission et/ou le transfert dans une autre structure doit être mis en balance avec la mise en danger induite par le maintien en hospitalisation dans une unité « à risque ». Le choix doit reposer sur l’analyse de la situation médicale et organisationnelle et ne peut être facilement schématisé. Le praticien refusant l’admission doit s’assurer des possibilités d’hospitalisation du patient dans une autre unité ; il doit s’assurer de la traçabilité de sa décision ; le praticien acceptant des patients dans une unité non réglementaire devrait avertir le directeur d’établissement de leur mise en danger potentielle. Enfin, fi la recommandation du CNOM d’informer les patients et leurs familles doit être discutée. C’est peut-être la meilleure prévention contre les plaintes. Même si l’information des patients et des proches est évidemment diffiffi cile et à risques dans les situations de détresse où ils sont placés, elle pourrait pourtant avoir plus d’avantages que d’inconvénients parce qu’elle est fidèle aux recommandations d’honnêteté et de transparence. Nous manquons ici cruellement de recommandations claires venant des sociétés savantes.

Conclusion Le bilan fait ici de la « normation » des structures de réanimation paraîtra certainement subjectif et

Réanimation et conflit de valeurs entre la norme et les moyens pessimiste à qui croit à la rationalisation égalitaire des soins, à l’État régulateur et à la force des leviers réglementaires. Nous avons pu constater les conflits fl professionnels et éthiques générés. Nous avons la certitude que, à l’origine, ces normes étaient motivées par la volonté d’établir une égalité d’accès aux soins, mais ce fut une politique de Procuste mal menée et insuffi ffisante à compenser les défi ficits liés à l’histoire des régions ou à leur géographie. Bien sûr, nous ne savons pas où nous en serions si ces normes n’avaient pas été édictées. Ont-elles eu du poids auprès des tutelles ? Ont-elles représenté des boulets à traîner ou des moyens de refonte du paysage de la réanimation française ? À entendre les responsables de la DHOS, répétant à l’envi qu’ils ont été abusés et ne veulent plus entendre parler de normes, et à moins qu’il ne s’agisse là simplement de postures, le bras de levier représenté par ces obligations réglementaires semble avoir été réel. Mais au prix de quelles iniquités ! L’État tutélaire garant de la distribution égale des ressources a clairement failli. Il a accepté des normes mais n’a pas mobilisé les moyens nécessaires. Il a, plus récemment, encore aggravé cette politique avec la tarification fi à l’activité qui précipite les structures de réanimation dans le déficit fi chronique et les difficultés. Pis encore, il n’a pas été capable d’en évafi luer correctement les applications. Près de huit ans après la parution des décrets, on ne sait toujours pas combien de structures fonctionnent encore en situation illégale, ni combien d’années il faudra compter pour voir les recommandations professionnelles enfin fi satisfaites. Enfi fin, lorsqu’elles le seront, ce sera sur des critères élaborés en 1995 et il est presque certain que tout devra être revu, dans les structures comme dans les quotas. On ne pourra réanimer en 2015 ou 2020, avec les mêmes moyens, une population plus vieille, plus porteuse de comorbidités, mais aussi plus exigeante d’une meilleure sécurité des soins. Faudra-t-il réviser les normes et en édicter de nouvelles pour repartir dans une autre guerre des lobbys ? Ne pourraiton rêver d’un peu de bon sens et de pragmatisme,

qui ne fassent pas défi finir par les uns des exigences invraisemblables et émettre par les autres des refus systématiques ? Simplement du bon sens et un peu de confiance. fi Cela devrait être possible…

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Enjeux éthiques en réanimation

Annexe – Analyse juridique

Non-assistance à personne en péril et mise en danger délibérée Article 121-3 du Code pénal : Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. Le risque d’une condamnation pénale du seul fait qu’un service ne serait pas aux normes, évoqué notamment par le président du Conseil national de l’ordre des médecins, ne paraît finalement fi correspondre ni aux textes applicables ni à la pratique judiciaire française. L’article 121-3 du Code pénal rappelle le principe fondamental selon lequel « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Conformément à cette règle, l’article 223-6 du Code pénal, prévoyant le délit de non-assistance à personne en danger, vient sanctionner une infraction intentionnelle : il ne réprime pas une simple négligence mais bien la volonté délibérée de ne pas porter assistance à une personne en péril alors qu’il était possible de le faire sans risque pour personne. Par principe, quiconque se trouve face à une personne en péril doit faire son possible pour lui apporter l’aide dont elle a alors besoin. La jurisprudence ne tient pas compte de l’efficacité ffi de l’aide qui aurait pu être apportée mais sanctionne, en revanche, l’indiff fférence à l’égard d’autrui dont témoigne la volonté de s’abstenir de toute réaction face à une situation de danger. Ce devoir d’assistance s’impose plus spécialement encore à tout médecin se trouvant face à un patient en danger pour lequel il est tenu de mobiliser tous les moyens dont il dispose afi fin de lui apporter les soins que son état requiert. Le respect de normes réglementaires ne peut pas être mis en balance avec l’impérieux devoir de secours confirmé fi par la loi pénale. Il est vrai que l’assistance due à une personne en péril doit pouvoir lui être apportée sans risque pour les tiers ; il ne saurait donc être question de mettre en danger les patients déjà admis dans un service de réanimation pour tenter de venir en aide à un autre patient. Toutefois, pour que le délit de non-assistance à personne en danger ne soit pas constitué, il faudrait que le danger causé aux patients déjà admis soit au moins équivalent à celui auquel est confronté le malade dont l’admission serait refusée pour ce motif. La simple volonté de se conformer à une norme, même au caractère obligatoire, ne permettra pas au médecin de s’exonérer de sa responsabilité s’il refuse, pour ce seul motif, l’admission d’un patient nécessitant des soins de réanimation : il lui appartiendra encore de démontrer que son refus d’admettre un patient en surnombre lui était imposé par le risque de mort, réel et immédiat, qu’aurait fait courir une telle admission aux autres patients. En cas de litige, les tribunaux rechercheront si les choix opérés ont bien été faits dans l’intérêt du patient en péril et avec la volonté de lui apporter les soins dont il avait alors besoin. Ils tiendront bien évidemment compte des capacités du service et de la nécessité de continuer à apporter des soins consciencieux et diligents aux patients déjà pris en charge. L’existence de normes sera un des éléments d’appréciation pris en compte mais cet aspect théorique restera secondaire par rapport à l’analyse de la situation concrète du patient en péril et de celle du service que pourra eff ffectuer l’expert médical désigné. À l’extrême, une réduction volontaire de la capacité d’accueil du service, pour mettre ce dernier aux normes, pourrait être analysée comme une indiff fférence à l’égard des patients qui n’y sont pas admis, sauf, bien sûr, si le

Annexe – Analyse juridique médecin parvient à orienter le patient vers une autre structure en capacité de le prendre en charge sans être confrontée à cette même diffi fficulté de respect des normes. Cette obligation impérative de soigner les patients en danger correspond à l’un des premiers devoirs déontologiques de tout médecin. La sanction qui y est en outre attachée par la loi pénale doit conduire à envisager avec beaucoup de circonspection le risque de condamnation qu’encourrait le professionnel acceptant de travailler dans un service hors normes pour apporter les meilleurs soins possibles, compte tenu des moyens disponibles, aux patients en péril.

Responsabilité médicale et normes La responsabilité médicale en matière pénale tourne essentiellement autour des infractions de nonassistance à personne en danger et d’homicide involontaire alors que celle relative à la mise en danger de la vie d’autrui demeure peu utilisée en la matière. Ces deux dernières infractions font exception au principe selon lequel « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». L’article 121-3 du Code pénal qui énonce cette règle se poursuit d’ailleurs en indiquant : « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ». Conformément à ce qui est annoncé par ce texte, le délit spécifi fique de mise en danger de la vie d’autrui est prévu par l’article 223-1 qui incrimine « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infi firmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. » Il doit eff ffectivement être retenu que les normes relatives aux services de réanimation ont été édictées pour garantir la sécurité des patients et qu’elles constituent donc à ce titre une obligation particulière de sécurité imposée par un règlement au sens de l’article 223-1 du Code pénal. Toutefois, le seul non-respect de ces normes ne saurait suffi ffire à caractériser le délit de mise en danger de la vie d’autrui lequel suppose encore, d’une part, l’existence d’un risque réel et concret de mort et, d’autre part, la volonté de violer, de manière délibérée, cette obligation de sécurité. Le délit de mise en danger de la vie d’autrui demeure une infraction intentionnelle en ce que, si son auteur n’a pas spécialement cherché à mettre en danger qui que ce soit, il a cependant accepté de faire courir ce risque à autrui en choisissant délibérément de violer une règle lui imposant une obligation de sécurité ou de prudence. Cela pourrait eff ffectivement être reproché à un médecin qui dispenserait des soins en se moquant totalement des conditions de sécurité ou d’hygiène dans lesquelles il interviendrait, que ce soit par indifférence ff ou par volonté de s’abstraire de contraintes qu’il jugerait trop pesantes. Ce reproche sera plus difficile ffi à faire à un médecin qui choisit, dans l’intérêt des patients, de poursuivre son activité après avoir fait tout ce qui est en son pouvoir pour offrir ff à ces derniers les meilleures conditions de prise en charge même si les moyens dont il dispose ne lui permettent pas d’exercer dans un service respectant parfaitement les normes. Il importe à cet égard que le médecin puisse démontrer, d’une part, que cette situation ne résulte pas d’une indifféff rence de sa part vis-à-vis des règles de sécurité ou des normes mais d’une impossibilité de les respecter et, d’autre part, qu’il a tout fait, compte tenu des moyens dont il dispose, pour garantir la meilleure prise en charge possible. Par ailleurs, une poursuite sur le fondement de ce texte ne pourra être envisagée que si une expertise médicale permet de démontrer qu’au moins un patient a été directement et concrètement mis en danger, de mort ou d’infirmité fi permanente, lors de sa prise en charge par un service de réanimation, du fait même que ce dernier n’était pas aux normes. L’existence d’un tel danger ne sera sans doute pas facile à établir pour celui qui entendrait établir la commission de l’infraction mais la preuve du lien de causalité entre ce danger et le non-respect des normes risque d’être encore plus difficile ffi à rapporter. Il convient de conserver à l’esprit que l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui stigmatise le omportement de quelqu’un qui s’affranchit ff volontairement des contraintes s’imposant à lui et manifeste ainsi le mépris qu’il porte à la vie des personnes se trouvant autour de lui. C’est précisément parce qu’il s’agit d’un mépris d’une particulière gravité que le Code pénal réprime ce comportement sans même attendre qu’il ait fait une victime. Un tel comportement demeure fort heureusement très exceptionnel chez les médecins. À l’inverse, la médecine demeure un art diffi fficile et, même si cela reste dans une mesure raisonnable, les poursuites pour homicide involontaire ne sont pas rares dans ce domaine. Il s’agit vraisemblablement du fondement légal qui pourrait permettre le plus aisément d’engager des poursuites à l’encontre d’un médecin, notamment dans l’hypothèse où ce dernier exercerait dans un service ne respectant pas les normes réglementaires.

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Enjeux éthiques en réanimation Cette infraction, très particulière, est régie par les deux derniers paragraphes de l’article 121-3, déjà cité. L’homicide involontaire est plus spécialement prévu et réprimé par l’article 221-6 du Code pénal rédigé en ces termes : « Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation i de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire r puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. » Cette infraction suppose, par défi finition, le décès du patient et, dans cette hypothèse, l’éventuelle faute de mise en danger devient une circonstance aggravante de l’atteinte involontairement portée à la vie humaine. Là encore, la preuve la plus diffi fficile à rapporter est celle d’un lien de causalité entre ce décès et la faute commise, sachant que la loi établit désormais une distinction selon que cette faute a directement causé le décès ou simplement contribué à créer la situation permettant qu’il survienne. Il ne semble pas possible de retenir que la prise en charge d’un patient dans un service de réanimation ne respectant pas les normes pourrait être directement à l’origine de son décès. Celui-ci résultera le plus souvent de la pathologie du patient qui l’avait conduit dans ce service et il conviendra éventuellement de s’interroger pour savoir si les conditions de sa prise en charge n’ont pas favorisé son décès. Le non-respect des normes correspondrait donc plus exactement à l’hypothèse, prévue par le Code pénal, dans laquelle l’auteur de la faute n’est pas directement à l’origine du décès mais a contribué à créer la situation ayant permis la survenue de ce dernier. L’infraction d’homicide involontaire est alors constituée s’il est démontré que le médecin a « violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ». Il convient tout d’abord de souligner que, dans une telle hypothèse, la responsabilité du directeur de l’établissement sera très vraisemblablement recherchée avant celle du médecin dans la mesure où c’est bien à lui qu’il appartient de veiller au respect de la réglementation. Il pourrait donc lui être reproché d’avoir, en ne mettant pas le service aux normes, créé la situation ayant permis la réalisation du décès. Il restera à démontrer qu’il aurait ainsi violé de façon manifestement délibérée cette obligation particulière de sécurité que constituent les normes en matière de réanimation. Le même reproche pourra plus diffi fficilement être adressé au médecin alors que l’article 121-3 du Code pénal rappelle qu’il faudra alors tenir compte, pour l’appréciation de la faute, « de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Il est certain que le fait d’exercer dans un service qui ne respecte pas les normes réglementaires accroît le risque, pour le médecin, de poursuites pénales, voire même de condamnation, en cas de décès d’un patient consécutif à une faute commise durant sa prise en charge. Il faut cependant garder à l’esprit que les principes applicables à l’infraction de la mise en danger de la vie d’autrui sont transposables à celle d’homicide involontaire et retenir que la loi entend incriminer, là encore, l’indifférence ff vis-à-vis des normes et le mépris de la vie d’autrui ayant abouti, en l’espèce, à la mort d’une personne.

Chapitre

Dilemmes moraux en réanimation : pour une institutionnalisation des désaccords éthiques

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C. Guibet Lafaye

Introduction

L

es débats actuels sur certaines questions d’éthique médicale et sur des pratiques médicales controversées (la limitation thérapeutique, le prélèvement d’organes après arrêt cardiaque réfractaire, l’inclusion des patients de la classe III de Maastricht – il s’agit, par exemple, de personnes pour lesquelles une décision d’arrêt de soins en réanimation est prise en raison dans ce dernier cas de leur pronostic (awaiting cardiac arrest), nous faisons ici référence aux quatre catégories de patients qui ont été établies lors de la Conférence internationale de consensus à Maastricht en 1995 – dans le prélèvement d’organes) montrent que l’accord moral sur des valeurs communes est très diffi fficile à obtenir, y compris s’agissant d’aspects essentiels de la vie et de l’organisation sociales, pourtant jugés fondamentaux, comme la réanimation et le prélèvement d’organes. Tel est le fait et le sens du pluralisme radical des sociétés occidentales contemporaines. Ces divergences morales ne s’expliquent pas seulement par le fait que les partisans et les opposants à ces pratiques convoquent des références axiologiques diverses (souci de sauver des vies versus respect de la règle du donneur mort) mais aussi en raison du rôle fonctionnell des normes et des références axiologiques. Selon les contextes, les valeurs et les normes – la valeur de l’autonomie, le principe de compassion – sont plus ou moins pertinentes et voient leurs interprétations varier. Cette indéterminabilité fondamentale est accrue, lorsqu’il est fait référence aux valeurs telles que le respect de la vie, le principe de bienfaisance, le principe de nonnuisance, dans les institutions, notamment parce que ces valeurs s’y concrétisent d’une manière très différente ff suivant les institutions considérées, suivant les services ou suivant les pays. Ces divergences ont enfin fi des raisons matérielles lorsque les décisions qui mettent en jeu la vie et la mort adviennent dans des situations d’incertitude importante et que l’on ne peut, de surcroît, L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

en référer à la volonté du patient. Ces pratiques controversées, qu’elles concernent la réanimation, associée ou non au prélèvement d’organes, ou l’arrêt de la nutrition ou de l’hydratation dans les services de réanimation néonatale, pour des enfants à l’égard desquels on a décidé la limitation des soins de support vital, appellent un questionnement. Les décisions médicales, en réanimation, dont l’issue sera la vie ou la mort du patient sont d’autant plus complexes qu’elles ne convoquent pas seulement des jugements médicaux mais aussi des jugements moraux, éthiques et juridiques. Elles le sont également car elles articulent trois niveaux de la réflexion fl et de la discussion. Elles s’appuient, pour une part, sur l’universalité de principes et de normes morales unanimement reconnus, tels que l’interdit de donner la mort. Une dimension particulière et socio-historiquement contextualisée intervient également : à un niveau, qui peut être décrit comme celui du « particulier », se rencontrent les normes et les valeurs promues par une société donnée – on en trouve un exemple dans l’attitude de pays occidentaux comme la France et orientaux, comme le Japon, face au don d’organes sur patients décédés (1). Ces normes et valeurs refl flètent des particularités socioculturelles et historiques. Leur spécifi ficité se saisit dans la diversité d’interprétations socioculturelles que suscitent des notions comme la « vie digne » ou une qualité de vie acceptable. En outre, les dilemmes moraux se posent toujours dans le cadre d’une situation singulière. Chaque patient, chaque enfant, en néonatologie, est unique en raison de la singularité de sa situation médicale et familiale, qui est à la fois celle de son dossier médical et de la capacité de la famille d’assumer la réalité à laquelle elle est confrontée. Enfi fin le jugement peut être rendu diffi fficile pour des raisons cognitives et pour des raisons relevant proprement de l’organisation au sein de laquelle, et en relation avec laquelle, il est formulé. Ces deux catégories de facteurs jouent d’une manière amplifiée, fi lorsque les organisations

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Enjeux éthiques en réanimation doivent définir fi des stratégies face à des situations dont on se doute qu’elles présenteront des caractéristiques radicalement nouvelles et fort peu anticipées, mais eu égard auxquelles on souhaite éviter les comportements stratégiques, ainsi qu’on l’observe aujourd’hui dans les efforts ff pour augmenter le nombre de donneurs pouvant entrer dans le champ du prélèvement d’organes en France. Nous proposerons ici une approche des dilemmes moraux en médecine et en réanimation – notamment posés par le prélèvement d’organes – mais dont la validité et la portée dépassent largement ces domaines. Chacun trouvera certainement, à la lecture du texte, dans sa pratique et du fait des dilemmes moraux auxquels il se voit confronté, des exemples signifiants fi et pertinents, illustrant un discours qui pourrait sembler à certains trop théorique. Notre propos consistera, dans un premier temps, à dégager les bénéfices fi de l’éthique de la discussion en matière de légitimation procédurale face à des décisions éthiquement problématiques. Nous identifierons fi ensuite les raisons fondamentales et indépassables de l’irréductibilité des divergences éthiques pour montrer qu’elles rendent préférable la recherche d’un compromis plutôt que du consensus, lorsque persiste le désaccord sur des questions et des pratiques moralement controversées. Nous justifierons fi donc une institutionnalisation des confl flits et des désaccords éthiques et expliciterons, dans cette perspective, les moyens d’organiser la coexistence et l’expression séparée des convictions, dans les institutions, d’une manière qui ne mène pas au conflit. fl

Légitimation procédurale La légitimité éthique de pratiques controversées peut être, pour une part, éclairée par une réflexion fl sur les modalités de prise de décision et sur les modalités d’application de la décision. Dans ce cas, on s’accorde à suspendre la question de la légitimité des pratiques pour laisser place à une question plus pragmatique sur les conditions éthiques de la décision. Cette orientation repose sur l’idée que la légitimité éthique d’un acte est conquise dans un processus de justification fi qui articule normes, histoire individuelle et sens. L’une des modalités renforçant la validité morale d’une décision coïncide avec la mise en œuvre d’un processus délibératif. Le cadre délibératif garantit, en effet, ff le respect de principes éthiques et contribue à leur hiérarchisation. Ainsi, l’adoption d’une démarche de soins palliatifs en néonatalogie ou les décisions de « not to be ressucitate » (NTBR) off ffrent, dans la pratique, un exemple d’éthique de

la discussion et de recherche du consensus dans le dialogue. La discussion joue alors le rôle de critère de validation et de légitimation de la décision. Dans la plupart des pays, dont la France, la décision de limitation ou d’arrêt de traitement, susceptible de mettre en danger la vie du patient, se prend le plus souvent à l’issue d’une discussion et d’une procédure collégiales. La France est le seul pays à avoir légiféré sur la question du patient qui n’est pas en état d’exprimer sa volonté. La loi française n° 2005-370 du 22 avril 2005 souligne cette exigence (art. 5). Un consentement informé et réel de la part du patient et/ou de la famille doit être obtenu. L’élaboration collective de la décision, dans ce cadre d’éthique procédurale, a pour vocation de fournir au patient et à sa famille des garanties. La discussion et la délibération collectives visent à identifier fi le « raisonnable » et le « déraisonnable », en l’occurrence l’obstination déraisonnable, dans un contexte où les limites de l’acharnement thérapeutique ne peuvent malheureusement pas être défi finies et identifi fiées à partir d’un ou de plusieurs critères absolus et incontestables mais seulement à partir de plusieurs indicateurs de nature diff fférente. Dans cette perspective, le respect de « l’éthique de la discussion » offre ff une garantie supplémentaire concernant la validité morale du résultat de la discussion (2, 3). Il n’est alors plus seulement question de collégialité de la décision car celle-ci ne suffit ffi pas à garantir le caractère éthique de la décision. En effet, ff l’éthique de la discussion fournit une procédure par laquelle on peut tester des normes d’action conflicfl tuelles. Elle impose que les jugements convoqués respectent les propriétés suivantes : (i) la complète réversibilité des points de vue à partir desquels les participants proposent leurs arguments ; (ii) l’universalité, au sens où l’on inclut toutes les personnes concernées, et enfi fin (iii) la réciprocité qui apparaît dans le fait que les exigences de chacun des participants sont équitablement reconnues par tous les autres. En d’autres termes, l’éthique de la discussion contribue à dégager et à expliciter le « point de vue morall », en ce sens que « le raisonnement véritablement moral implique des caractéristiques telles que l’impartialité, la capacité d’universaliser, la réversibilité et la reconnaissance des normes en usage » (4). L’éthique de la discussion permet ainsi l’émergence d’une rationalité morale intersubjective, le respect des conditions d’impartialité et d’universalisation des points de vue. Elle contribue, de ce fait, à l’identification fi de ce qui est souhaitable ou préférable dans une situation donnée. Le respect des conditions de l’éthique de la discussion, en l’occurrence de la communication et du dialogue, présuppose que le charisme personnel et la position hiérarchique, dont les études sociologiques montrent l’importance dans le milieu hospitalier,

Dilemmes moraux en réanimation : pour une institutionnalisation des désaccords éthiques doivent être contenus par une distribution équitable de la parole et une incitation faite à chacun de s’exprimer. Or il apparaît que dans certains services de soins palliatifs où il a mené son travail les décisions, ayant un enjeu vital immédiat, ne sont jamais prises ou discutées de manière collective avec l’équipe soignante mais relèvent systématiquement de « l’exclusivité médicale » (5). Ce cadre délibératif doit permettre d’écarter la prédominance de logiques individuelles, où chacun prendrait position, spontanément, en fonction de ses appartenances culturelles, de ses convictions, de son état psychologique et de ses propres capacités à faire face aux situations. Les convictions personnelles ou collectives méritent d’être reconnues mais elles doivent être, corrélativement, mises à distance de façon critique. La délibération doit permettre aux parties prenantes d’éliminer, de leurs raisons d’agir, des motifs inconscients ou conscients qui ne seraient pas centrés sur l’intérêt du patient. Cette exigence incarne le principe de publicité kantien selon lequel : « ce dont on ne peut pas dire qu’on le fait, on ne doit pas le faire » (6). En d’autres termes, les raisons et les arguments que les individus mobilisent pour justifier fi leurs positions sur une décision d’arrêt de traitements, doivent pouvoir être universalisés. Les partenaires de la décision doivent pouvoir répondre affirmativement ffi à la question : peut-on penser que tout le monde ferait ce que l’on décide de faire, et peut-on vouloir que tout le monde, dans la même situation, fasse ce que l’on décide de faire ? Si l’intention – qui désigne les raisons que nous donnons pour expliquer notre agir – et le mobile qui nous pousse à agir permettent de répondre affirmatiffi vement à ces questions, alors ils sont moralement acceptables et la délibération collective consiste dans la mise en œuvre de l’exigence kantienne d’universalisation de la maxime. Ce type de procédure doit pouvoir être étendu à toute prise de décision médicale mettant en jeu la vie et la mort du patient. L’acceptabilité de pratiques moralement controversées a partie liée avec le respect de ce type de démarches. La réglementation qui encadrerait, en France, des pratiques innovantes en réanimation, associée ou non au prélèvement d’organes, accorderait incontestablement une attention centrale à la procédure suivie, dans la perspective d’en garantir, notamment, le caractère éthique. Le respect des conditions d’une éthique procédurale a figure fi de garant, pour le patient, la famille et la société, de la validité des décisions engagées et des choix eff ffectués. Bien que la légitimité des décisions dépende du respect d’un cadre formel, il importe néanmoins de ne pas s’enfermer dans une logique procédurale :

même une procédure jugée acceptable par tous ne confère pas, a priori, de légitimité morale aux décisions prises. La procédure délibérative suppose que les participants (équipe soignante, familles, patients lorsque cela est possible) soient parvenus à un accord, à un « consensus », fondé sur la convergence – et certainement la hiérarchisation – de principes qui auraient pu, dans un premier temps, entrer en confl flit. Pourtant, dans certains cas, aucun consensus ne se dégage de la discussion entre les personnes concernées. Le dissensus recouvre alors souvent des divergences éthiques. Nous nous saisirons ici – et telle sera la spécificité fi de notre contribution – des cas où aucun consensus ne peut être trouvé ni n’est possible, pour tenter de leur off ffrir une issue. En particulier, les arbitrages et les confl flits que suscite la référence, répétée dans le cas de dilemmes moraux, à des principes éthiques diffi fficilement hiérarchisables (tels que le respect de la vie et le principe de non-malfaisance) appellent la mise en place de protocoles et de dispositions permettant une institutionnalisation de ces désaccords.

Raisons structurelles des divergences morales Rôle des principes dans la coordination des agents Les divergences éthiques ont d’abord un fondement structurel. Il est inévitable, voire nécessaire, que des divergences d’interprétation de principes moraux (tels que le principe de bienfaisance, celui du respect de la vie et de l’évitement de l’obstination déraisonnable) demeurent, dans la mesure où ils sont au cœur de l’interaction et de la coordination des agents. L’existence de principes reconnus en commun (comme le respect de la volonté du patient ou l’exigence de sauver des vies) joue un rôle dans la coordination des agents institutionnels ou des institutions, en l’occurrence des services hospitaliers, des services de réanimation ou de soins palliatifs. fficacité de ce rôle dépend de la reconnaissance L’effi conjointe, par les acteurs, d’interprétations compatibles de ces principes et aussi, bien sûr, de la teneur de ces interprétations. Néanmoins la pluralité des interprétations de principes ou de valeurs retenues comme pertinentes se trouve restreinte, en raison des impératifs d’une délibération commune. On l’a vu à l’occasion des débats autour de l’acceptation du principe de l’« obstination déraisonnable » (i.e. du refus de l’acharnement thérapeutique) qui ont donné lieu à des aménagements législatifs, encadrant la pratique de limitation des soins thérapeutiques

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Enjeux éthiques en réanimation (loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie). Émergent alors des interprétations dites dominantes mais entre lesquelles subsistent souvent des diff fférences notables et qui ne peuvent se réduire à l’unicité. Bien qu’un consensus verbal puisse parfaitement régner à propos de certaines formulations des valeurs de référence, des ambiguïtés, autorisées par la généralité de ces formulations, demeurent. L’interprétation des principes – notamment éthiques – fondamentaux fait intervenir plusieurs dimensions : des aspects purement cognitifs ; le processus historique par lequel on passe et qui voit émerger des changements qualitatifs dans les valeurs ; la nouveauté dans les situations qui se succèdent ; des éléments stratégiques – tels que les anticipations des reconfi figurations et réallocations de pouvoir, induites mais non désirées, par l’évolution des interprétations. Le cas du prélèvement d’organes sur patients décédés illustre parfaitement la variété de ces dimensions. Interviennent aussi – d’une manière toutefois délicate à cerner avec précision –, des aspects fonctionnels qui concernent le bon « fonctionnement » des institutions ou des organisations, c’est-à-dire la limitation des conflits fl (tels que ceux existant dans les services hospitaliers ou avec les laboratoires de recherche médicale dont les activités sont, aux yeux de certains, associées à des pratiques controversées, l’expérimentation sur les cellules souches embryonnaires étant aujourd’hui un exemple souvent brandi). La variété des interprétations possibles de principes généraux abrite des variations et des écarts possibles dans les valeurs concrètement mises en œuvre et dans les pratiques. De façon générale, l’évolution interprétative des principes (ceux guidant la pratique médicale ou le prélèvement d’organes, en l’occurrence la règle du donneur mort) est soumise à l’influence fl de facteurs sociaux ou culturels ainsi qu’à des évolutions sociales et culturelles parfois imprévisibles. Cette évolution se trouve également induite par le rôle attribué à certains principes généraux dans des situations nouvelles. Le rôle structurant, dans les interactions sociales et poli–tiques, d’évolutions interprétatives a été mis en évidence par la théorie politique (7). Il abrite et donne souvent lieu à des évolutions dans les valeurs de référence (qui, s’agissant des lois de bioéthique mais également concernant d’autres questions actuelles d’éthique médicale, seraient par exemple celles du rejet de l’instrumentalisation ou de l’exploitation de l’être humain). Néanmoins le recours à ces principes, dans de telles situations, n’a d’effi fficience qu’à condition qu’il coïncide avec l’émergence d’interprétations dominantes, en l’occurrence de celles qui servent aux agents à se coordonner. L’évolution interprétative

des principes n’est pas seulement à craindre : elle peut avoir un effet ff positif notamment en termes de coordination des agents. Un exemple en est offert ff par la clause, présente dans la loi française de bioéthique de 2004, instituant des dérogations exceptionnelles à la recherche sur l’embryon sous condition de deux critères : ces recherches doivent « permettre des progrès thérapeutiques majeurs » et ne sont autorisées qu’en l’absence de « méthode alternative d’effi fficacité comparable ». L’extension précise de la zone dérogatoire dépend de l’interprétation retenue pour ces deux critères de jugement, d’une manière qui peut abriter des compromis sociaux sur les valeurs de référence.

Irréductibilité des divergences morales Lorsque l’on se porte au-delà de l’interprétation des principes qui permet aux agents de se coordonner, on observe que la diversité des interprétations et des convictions morales peut donner lieu à des confl flits entre tenants de positions éthiques également légitimes mais irréductiblement antagonistes. En effet, ff lorsque les arguments qui s’opposent sont fondés sur de bonnes raisons compréhensibles par tous, aucun consensus moral ne peut surgir des discussions, comme les débats autour de la révision des lois de bioéthique en 2009, sur des sujets comme la procréation médicalement assistée ou le diagnostic préimplantatoire, l’ont encore montré. Quelle que soit l’issue juridique et institutionnelle, voire politique, de ces débats, il est douteux que l’ensemble des interrogations et des dilemmes moraux s’en trouve par là même dissout. Certains philosophes, comme Rawls ou Habermas, voudraient le croire. Pourtant on peut, à juste titre, douter que l’argumentation proprement politique parvienne à faire disparaître les confl flits moraux et les confl flits de valeurs, comme le rappellent, aujourd’hui encore, les oppositions et les confl flits que continuent de susciter le droit à l’avortement ainsi que l’utilisation des cellules embryonnaires pour la recherche génétique, et que suscitera la question de l’élargissement du groupe des donneurs potentiels d’organes, toutes catégories confondues. En somme, quand bien même des lois encadreraient les attitudes et décisions souhaitables en réanimation, dont l’issue pourrait être le prélèvement d’organes, les décisions à prendre in situ et les actes à réaliser sur les patients continueront de susciter des dilemmes moraux pour les acteurs et pour les équipes. Ces conflits fl de valeurs tiennent notamment à des interprétations divergentes voire irréconciliables de principes (respect de la vie, principe de compassion, etc.), pourtant également admis par l’ensemble des parties concernées. La variabilité des interprétations et

Dilemmes moraux en réanimation : pour une institutionnalisation des désaccords éthiques le désaccord moral profond sont attestés par la sociologie (8, 9). Du fait de cette irréductibilité, il importe, d’une part, de faire droit au compromis – et pas seulement au consensus – et, d’autre part, d’organiser le désaccord. Nous montrerons qu’il est préférable de ne pas vouloir systématiquement régler les conflits fl éthiques, dans le champ médical, définitivement fi sous la forme d’un consensus morall – largement inatteignable – mais qu’il est en revanche souhaitable et nécessaire d’organiser un modus vivendi responsable – plutôt que de vouloir le dépasser comme le souhaiterait Rawls dans un consensus par recoupement (10). En eff ffet, il n’y a pas de raison d’admettre que certaines valeurs morales, pour des raisons contingentes, trouvent moins à s’exprimer dans les institutions publiques que d’autres types de valeurs. Notre objectif sera donc d’identifi fier les moyens d’organiser la coexistence et l’expression séparée des convictions dans les institutions, d’une manière qui ne mène pas au conflit. fl Nous préciserons les conditions de la confrontation et du compromis entre les conceptions morales, dans l’organisation hospitalière et les services de réanimation. Pour ce faire, nous placerons au centre de la réfl flexion le modèle de la discussion menant à un compromis, qui n’annule pas les divergences de vue – fondées sur des raisons compréhensibles par tous – et laisse ouverte la possibilité de remises en cause ultérieures. Cette « organisation du désaccord » présente au moins deux volets concernant, d’une part, les conditions de l’expression du désaccord et, d’autre part, les pratiques institutionnalisées.

Du consensus au compromis Conditions de l’expression des désaccords éthiques Dans le modèle de la discussion menant à un compromis, la prééminence est accordée aux arguments moraux, en particulier parce que les critères médicaux ne suffi ffisent pas à emporter l’accord ni à susciter le consensus. Or, les valeurs morales ont un rôle à jouer dans les institutions publiques et les organisations sociales. Il n’y a pas de raison pour que ces valeurs y aient moins de poids que d’autres types de valeurs, de nature pragmatique ou utilitariste par exemple. D’un point de vue formel et général, la volonté de privilégier le compromis sur le consensus appelle l’institutionnalisation de lieux d’expression et de caractérisation claire des désaccords (tels que les réunions « assises » d’équipe, les staff ffs d’équipe qu’ils soient décisionnels ou non, les temps de réflexion fl

a posteriori sur les cas qui ont suscité des dissensus irréductibles dont la désirabilité est rappelée par le Manuel de Certifi fication des Établissements de Santé dans sa version 2007). Cependant, il faut encore, dans ces lieux, envisager et consolider les conditions permettant que divers types de raisons interviennent et s’expriment dans l’élaboration des décisions. Nous avons précédemment exposé les vertus de l’éthique de la discussion. Cependant les conditions concrètes de la discussion présentent leurs contraintes propres. En particulier, les partenaires sont, dans les rapports sociaux – ainsi qu’en témoigne en dernière analyse la sociologie (8, 9) –, installés dans des positions inévitablement asymétriques, du fait, notamment, des rapports hiérarchiques au sein des établissements et des institutions de santé. Tel est le cas également, en réanimation, au sein de l’équipe médicale ellemême (11) notamment entre personnel médical et paramédical, entre les soignants et les familles, ou enfin fi dans les prises de positions lors de débats publics sur ces questions controversées. Or il est décisif que le compromis auquel on parvient fi finalement, à quelque niveau que ce soit, ne dépende pas exclusivement des positions initiales de force ou de faiblesse des partenaires de la discussion. Un climat de confi fiance doit autoriser chacun à exprimer son assentiment ou à émettre des réserves. Lorsqu’un avis diff fférent est formulé, une attention particulière doit lui être portée afin de préciser les éléments qui en sont à l’origine. Un désaccord profond de l’un des participants à partir d’arguments solides et éprouvés doit entraîner une prise de décision diff fférée et conduire, lorsque les circonstances le permettent, à reporter la décision. Ce souci constitue l’un des éléments d’une institutionnalisation du désaccord et l’une des voies de l’implémentation du dialogue argumenté entre les participants à la décision et, plus largement, entre les personnes concernées par la décision. Des précédents existent. On pourrait considérer que toute personne impliquée dans la décision, si elle a le sentiment qu’une autre partie n’a pas comme principal objectif l’intérêt du patient ou le respect de sa volonté, a une obligation d’objection conformément aux initiatives de partage de la décision en néonatalogie prises aux États-Unis à partir de la fin des années 1990. fi Il importe également d’être attentif au fait que : (i) toutes les personnes concernées par la décision – soignants et non-soignants dans les ser vices de santé, parties concernées par la législation d’une pratique médicale ou thérapeutique innovante mais moralement controversée – aient une même chance de contribuer à la constitution d’un compromis équitable ainsi que (ii) des chances équitables de contestation des pratiques et des

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Enjeux éthiques en réanimation droits controversés, des pratiques sociales dominantes ou des principes publiquement reconnus. Des chances de contestation efficace ffi des « opposants » doivent être ménagées et préservées. On doit encore se soucier de ce que (iii) certaines règles pragmatiques de l’argumentation soient respectées comme le fait que chaque personne concernée – et pas seulement les personnes responsables de la décision (12) ait eu les possibilités de donner son adhésion de plein gré et qu’aucun des participants n’impose aux autres l’issue des dilemmes envisagés, comme ce pourrait être le cas dans des rapports hiérarchiques figés entre membres des équipes soignantes (i.e. entre soignants et non-soignants), ou bien concernant des positions idéologiques minoritaires dans une société majoritairement libérale (13). S’ajoutent à ces conditions (iv) le souci de faire barrage aux objections ad hominem – écartant par exemple, au nom de leur déraisonnabilité, les arguments rapidement qualifiés fi de magiques ou d’« ethniques », dont on juge qu’ils sont non universalisables ou qu’ils ne manifestent pas une distance réflexive fl suffi ffisante, notamment lorsqu’ils sont formulés par des groupes désavantagés par les normes sociales dominantes ; (v) la volonté d’éviter que les controverses ne donnent lieu à des formes de « délibération enclavée » (14) fondée notamment sur des disparités d’appartenance professionnelle. (vi) On pourrait enfin fi proposer des mécanismes, tels que ceux dont les arguments l’ont emporté, soient en mesure d’intérioriser, dans leurs décisions, les frustrations et l’indignation éthique de ceux dont les arguments n’ont pas été retenus, en évitant par exemple aux opposants de pratiquer des gestes avec lesquels ils se sont montrés en désaccord. Par là on tiendrait compte des limites de ce qui est acceptable pour chacun. Ces conditions permettraient que les discussions satisfassent le principe d’impartialité et offrent ff une issue aux demandes de reconnaissance concurrentes. L’intérêt d’un modèle privilégiant le dialogue sur le consensus tient notamment à sa capacité d’atténuer l’inégalité de traitement des individus, dont les valeurs personnelles resteront sans incidence sur l’issue des situations considérées. Plus généralement, la reconnaissance de l’irréductibilité de l’antagonisme des valeurs, des critères de jugement ou des préférences – fondés sur de bonnes raisons – revient à prendre en compte le pluralisme dans sa radicalité et à lui conférer une expression institutionnelle réelle. Ces précautions, définissant fi les conditions d’une discussion éthique, n’ayant pas pour but de convertir le désaccord en consensus, demeureront, au terme de l’échange, des divergences sans rapport avec la validité de la décision ni avec le respect des conditions dans lesquelles la discussion s’est

déroulée. Le dissensus doit être accepté, toléré et reconnu comme l’une des possibilités intrinsèques des procédures de dialogue identifiées, fi par ailleurs, comme les garants de la valeur éthique des décifinalement prises. Le désaccord surviendra sions fi d’autant plus que l’expression équitable des convictions de chacun sera respectée. Une strate supplémentaire d’institutionnalisation du désaccord doit donc être élaborée car certains acteurs peuvent éprouver un sentiment de transgression, suscité aussi bien par des convictions éthiques que par des expériences personnelles antérieures difficiles. ffi Nous verrons qu’elle ne concerne plus seulement les conditions de l’expression des désaccords mais les incidences de ces derniers sur les pratiques. Il s’agira, dans cette perspective, d’organiser le « vivre ensemble » et le « travailler ensemble » de personnes ne partageant pas les mêmes convictions éthiques sur ces questions.

Conditions de la légalisation de pratiques controversées La question de l’institutionnalisation du désaccord, autour de pratiques controversées, revient à s’interroger sur l’insertion des valeurs morales – respect de la vie, souci de la fi fin de vie, souci de sauver des vies, etc. – dans les institutions et sur la manière d’y concrétiser des exigences morales précises. S’agissant de valeurs très générales comme les droits fondamentaux (ou par exemple l’obligation de soins), un large accord se dégage le plus souvent. Néanmoins cet accord n’exclut pas que certains aspects, certaines interprétations ou détails du système juridique considéré paraissent radicalement inacceptables à certaines personnes. Quand bien même, d’un point de vue politique et dans une perspective instrumentale, on attendrait des citoyens qu’ils admettent que leurs différends ff sur l’interprétation des droits généraux proclamés sont secondaires, cette perspective instrumentale ne constitue en rien une exigence morale légitime ni ne signifi fie que cette convergence soit une direction souhaitable du remaniement des valeurs personnelles des individus. Dès lors, des mesures respectant les valeurs lésées doivent être recherchées. Dans la mesure où dans bien des situations concrètes de la vie collective plusieurs types de « bonnes raisons » peuvent coexister et, par conséquent, conduire à adopter ou à rejeter telle ou telle norme fondamentale (comme le respect de la fi fin de vie ou la non-instrumentalisation du corps humain), il serait préférable de retenir certaines de ces normes à titre provisoire. Le statut du provisoire serait alors valorisé comme une solution intrinsèquement satisfaisante à certains types de problèmes éthiques plutôt que tenu pour un défaut

Dilemmes moraux en réanimation : pour une institutionnalisation des désaccords éthiques ou une insuffi ffisance du système. Ce statut s’incarne aussi bien dans des dispositifs de révisabilité des lois, associés à une temporalité déterminée, que dans des autorisations de pratiques controversées fondées sur des conditions strictement et spécifiquement défi fi finies, elles-mêmes éventuellement révisables (ce qui correspond à un régime d’autorisation encadrée), ou dans l’instauration de régimes d’interdiction juridique avec dérogation. Ce faisant, on prendrait en considération les convictions éthiques des parties en présence sans privilégier l’expression de certaines valeurs morales plutôt que d’autres, exclusivement celles de l’éthique de la vie ou celles de l’éthique de la qualité de vie par exemple. Les bénéfi fices de ce type de dispositions ne sont pas négligeables, s’agissant de l’adoption de pratiques controversées qui, dans un premier temps, peuvent susciter des oppositions fortes comme l’inclusion des patients de la classe III de Maastricht dans les donneurs potentiels pour le prélèvement d’organes. L’adoption de ce type de dispositif législatif a connu un précédent, souvent plébiscité sur la scène publique en France, avec la révisabilité des lois de bioéthique. Il s’agissait d’élaborer, dans le dialogue et le compromis, des solutions acceptables en matière de bioéthique institutionnelle parce qu’elles témoignaient des critiques, des doutes et des refus existant entre les parties en présence. Les premières lois de bioéthique ont été adoptées en France en 1994. Une première révision en a été faite avec la loi n° 2004-800 du 6 août 2004. La préparation de la dernière révision de la loi de bioéthique a eu lieu dans le cadre d’« États généraux de la bioéthique » auxquels le grand public a pris part. En somme, jusqu’en 2009, les lois de bioéthique étaient soumises à un réexamen graduel et périodique. Ce type de dispositif trouve également un écho à l’échelon européen avec la « révision à mi-parcours » de la Stratégie européenne sur les sciences de la vie et la biotechnologie, ou avec l’Agenda de Lisbonne sur la recherche. Il peut également s’incarner dans l’institutionnalisation d’une évaluation régulière de l’application de lois, suscitant des divergences morales irréductibles, par le Parlement par exemple ou tout autre instance appropriée, dans des ajustements réguliers et programmés de la loi, s’agissant d’évolutions technologiques prévisibles et de situations innovantes induites. Ces dispositions permettent ainsi de préserver des chances équitables de contestation de droits controversés, de principes publiquement reconnus ou de pratiques médicales innovantes mais controversées. Autrement formulée, cette exigence en matière législative revient à ne rien institutionnaliser qui soit inacceptable pour les parties en présence. Cette préoccupation incarne, en particulier, la

volonté de ne pas élaborer des dispositions juridiques qui soient le refl flet d’un système de pensée à la fois particulier et englobant (15) d’une part et qui, d’autre part, ne comportent rien d’absolument inacceptable pour chacune des parties en présence. En eff ffet, il importe que les principes mobilisés dans les organisations soient capables de respecter l’aspect multidimensionnel des références axiologiques pertinentes à propos d’un problème donné et soient le refl flet du pluralisme éthique indéniable de nos sociétés. Dans le contexte français actuel de concurrence idéologique autour des valeurs morales, l’équilibre entre des revendications divergentes n’est pas toujours garanti. Or on pourrait attendre d’une législation en matière de bioéthique – ou ayant à encadrer des pratiques médicales éthiquement controversées – qu’elle établisse des garanties et des protections pour ceux qui jugent inacceptable ce qui fait l’objet même des revendications et des attentes des autres. Ces garanties permettraient de ne pas heurter certaines convictions morales par l’autorisation d’actes dont les finalités sont mal identifi fi fiées et dont l’interdiction ne pénalise ni la recherche ni la pratique médicales mais qui paraissent inacceptables à une partie des citoyens – songeons au clonage dit thérapeutique, à la création de chimères [homme-animal] à l’occasion d’expériences ou à l’expérimentation sur l’embryon humain avec destruction. On ne peut en effet ff omettre que, dans le contexte actuel, les laborantins, les membres des équipes hospitalières, les étudiants de médecine, les membres des familles concernées subissent des pressions éthiques. Ces dispositifs éviteraient des configurations fi où des dispositions légales sont injustes aux yeux de certains et des dispositions illégales justes. Tel sera très certainement le cas si, dans l’état actuel de la législation, le prélèvement d’organes sur patients pour lesquels une décision d’arrêt de soins a été prise, était comme tel et sans médiation autorisé en France. On tiendrait ainsi compte des frustrations et de l’indignation éthique de ceux dont les valeurs n’ont pas été retenues, sans imposer à aucune des parties des valeurs qui lui sont étrangères. Ce type de précaution pourrait également contribuer à une limitation de la discrimination éthique – en l’occurrence, à l’encontre de certains profils fi éthiques légitimes (i.e. raisonnables et ouverts au dialogue) – dans les professions de la recherche et de la santé, notamment à l’entrée de certaines filières d’études et sur les lieux où sont mises en fi œuvre les pratiques en débat. L’évolution de nos sociétés dans une direction qui peut être qualifiée fi de « libérale » risque en effet ff de donner lieu à une aggravation prévisible des tensions éthiques dans les professions médicales, entre patients et soignants ainsi qu’à un accroissement de possibles

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Enjeux éthiques en réanimation pressions familiales en faveur de soins contraires à l’éthique individuelle, à l’association arbitraire d’un certain « profi fil » éthique à un ensemble de professions médicales ou de recherche, en violation de la neutralité, jugée souhaitable en particulier dans le secteur public, à l’égard des convictions individuelles.

Organiser les pratiques Cette institutionnalisation du désaccord éthique appelle une organisation spécifique fi de la confrontation des conceptions morales, dans la sphère publique comme dans les organisations sociales, de telle sorte que les convictions puissent s’exprimer et coexister sans conduire au confl flit. La prévalence de certaines valeurs plutôt que d’autres impose un préjudice réel à une partie des acteurs, saisissable aussi bien dans le déploiement de l’existence ordinaire que sur les lieux de travail. Lorsque les oppositions et les divisions ont une base éthique, les individus peuvent éprouver une réelle diffiffi culté à vivre et à travailler ensemble, i.e. à coexister pacifi fiquement et à coopérer, en particulier lorsque l’on songe aux situations évoquées. L’« organisation du désaccord », dont la pertinence et l’utilité se vérifi fient dans toutes les pratiques suscitant des dilemmes moraux ou propices à en engendrer, présente plusieurs dimensions. Elle concerne aussi bien le dialogue entre convictions divergentes, comme nous l’avons vu, que l’organisation des services ayant à mettre en œuvre des pratiques controversées. L’attention à la manière dont des exigences morales précises sont concrétisées dans les institutions exige d’identifier, fi de la façon la plus exhaustive possible, les procédures respectant les valeurs lésées et les convictions morales des individus.

Du côté des soignants Le respect des convictions individuelles trouve déjà, dans l’exercice médical, son expression pratique dans la clause de conscience (art. R.412747 al. 2 et 3 du Code de la santé publique) mais le dispositif doit être complexifié. fi Dans la mesure où certains acteurs peuvent éprouver un sentiment de transgression, il est requis de ne pas demander aux personnes qui l’éprouvent (médecins ou paramédicaux) d’exécuter des gestes contraires à leurs convictions, fondamentales, dans des situations spécifi fiques, en particulier s’agissant des arrêts de traitements. Or on observe, aux États-Unis par exemple, concernant l’euthanasie, que seuls 43 % des praticiens décidant une injection létale la pratiquent eux-mêmes (16). Dans les autres cas,

l’infirmière fi (57 %) ou un collègue (32 %) eff ffectue l’acte ou une prescription simple d’augmenter les doses de médicaments type opioïdes ou barbituriques (11 %). Pourquoi le responsable de la décision n’en est-il pas son exécutant comme le suggérait jadis le CCNE dans son Avis n° 65 s’agissant de la réanimation néonatale ? Afi fin de limiter les préjudices subis par certains acteurs, des « parois » éthiques – dont l’instauration est à la fois désirable et dangereuse – offriff raient une issue qui n’aurait pas le caractère exceptionnel du recours à la clause de conscience. Elles constitueraient une solution pour les soignants qui ont des appréciations divergentes du moralement licite et de l’illicite, en particulier pour ceux qui préfèrent ne pas intervenir dans la limitation des actes thérapeutiques, dans des contextes qui leur paraissent moralement problématiques et, dans un autre domaine, pour ceux qui ne souhaitent pas pratiquer d’interruptions médicales de grossesse au troisième trimestre de la gestation. Ce type de dispositif assurerait aux individus des garanties minimales les préservant des effets ff néfastes, dans leur propre vie et sur leur lieu de travail, de la prévalence de conceptions éthiques qui ne sont pas les leurs mais qui motivent des pratiques ne leur semblant pas éthiquement acceptables. Il contribuerait également à assurer une certaine égalité de traitement des individus, au regard de leurs convictions morales et favoriserait une meilleure collaboration des équipes médicales. Il a déjà des précédents, en France, avec l’inclusion de l’objection de conscience dans les formes d’accomplissement du service national. Les équipes médicales pourraient également être constituées, lorsque la démographie le permet, sur la base d’affi ffinités éthiques partagées. Cette solution exige corrélativement que l’orientation éthique des équipes soit clairement identifiable, fi pour les soignants comme pour les patients susceptibles de bénéficier fi de leurs services. La segmentation institutionnelle sur une base éthique des pratiques présente plusieurs bénéfices fi puisqu’elle permettrait aux individus de choisir les institutions qui leur conviennent, sans cautionner par leur présence ce qu’ils jugent inacceptable, particulièrement dans un système de santé, de recherche ou d’enseignement supérieur. Elle contribuerait à garantir aux usagers du système de soins – mais aussi aux chercheurs et aux étudiants – la possibilité d’opérer des choix d’appartenance conformes à leurs convictions.

Du côté des patients et des familles On peut imaginer que les patients puissent avoir à faire – lorsque cela est possible – à des services

Dilemmes moraux en réanimation : pour une institutionnalisation des désaccords éthiques de santé, clairement identifiables fi et spécifi fiquement désignés comme tels, avec lesquels ils partagent des convictions éthiques fondamentales concernant la vie et la mort. Il ne s’agit pas, par ce biais, de justifier fi l’instauration d’options éthiques relatives à toutes les modalités selon lesquelles sont dispensés des soins, dans des établissements de santé, mais concernant spécifiquement fi t celles qui convoquent des enjeux vitaux et à laquelle échappe, par exemple, le souhait d’être soigné par une personne de son sexe. De la même façon, la clause de conscience, qui permettrait aux personnes de choisir leur propre définition fi de la mort parmi un éventail d’options socialement acceptables, constitue un dispositif éthiquement pertinent. Les dispositions législatives prises au Japon et respectant la pluralité des convictions morales, concernant l’état de mort encéphalique, en sont l’illustration et sont exemplaires en termes d’acceptation et de reconnaissance institutionnelles d’une diversité éthique légitime. Le Japon est en eff ffet le seul pays au monde – si l’on excepte, dans une certaine mesure, l’État du New Jersey aux États-Unis – qui autorise les individus à choisir leur définition fi de la mort, cardiaque ou cérébrale, lorsque se pose la question du prélèvement d’organes. La reconnaissance légale de la mort encéphalique au Japon, à la fi fin des années 1990, a en eff ffet été suivie de l’adoption d’une disposition particulière, prise en 1997, qui stipule qu’en matière de prélèvement d’organes le donneur potentiel doit, d’une part, avoir mentionné par écrit qu’il agréait à la définition fi de la mort encéphalique comme critère de la mort, et d’autre part qu’il se soit positionné en faveur du don d’organes et que sa famille accepte ce choix. Ce type d’institutionnalisation des divergences éthiques constitue un exemple paradigmatique auquel une attention spécifique fi doit être portée.

Conclusion Dans ce qui précède, nous avons voulu montrer que l’institutionnalisation du désaccord – de ce fait, organisé –, assortie d’options individuelles ouvertes au choix, peut être une réponse satisfaisante au pluralisme moral et à l’expression des convictions éthiques profondes des individus, s’agissant de questions médicales ayant pour issue la vie ou la mort. Elle n’est en aucun cas synonyme

d’un « communautarisme éthique » mais vise à la fois à assurer la coexistence et la coopération d’individus, entretenant des opinions éthiques radicalement divergentes. Elle contribue à apporter une solution au pluralisme éthique radical qui caractérise nos sociétés, et permet de prendre en considération les torts subis par les individus, du fait de ces divergences et de la consécration sélective de certains principes, dans des sociétés libérales et technologiquement avancées. L’organisation du désaccord ainsi construite répondrait mieux à la réalité de l’interaction sociale qu’un improbable et introuvable consensus moral ou que la justification fi – y compris morale – de la transgression de la loi, inévitablement source de confusion.

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Chapitre

Apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie

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Y.-M. Doublet

Introduction

P

arce que le destin de chaque individu est singulier et que les enjeux d’une décision de limitation et d’arrêt de traitement des malades dépassent les seules considérations médicales, légiférer sur la fi fin de vie peut sembler bien présomptueux. D’ailleurs, au départ, lorsque la mission parlementaire sur l’accompagnement de la fin fi de vie fut créée en 2003 à la suite d’une aff ffaire dans laquelle un médecin avait procédé à une injection létale sur un jeune patient en état paucirelationnel suite à un polytraumatisme avec traumatisme crânien à la demande de sa mère, les parlementaires n’avaient sans doute pas l’ambition de légiférer sur cette question. Ils avaient seulement l’intention de soumettre à la représentation nationale des propositions nourries par la consultation de professionnels de santé, de philosophes, de sociologues, de juristes, d’historiens ainsi que de représentants des religions et des courants de pensée. Cependant, il est apparu au cours de cet exercice, que tant les patients que les professionnels de santé aspiraient à une clarification fi de la terminologie et des pratiques professionnelles. Les patients et leurs familles répugnaient à l’acharnement thérapeutique et redoutaient, en même temps, des décisions pouvant être clandestines. Conscients que les termes employés en la matière étaient le plus souvent source d’une grande confusion, les professionnels de santé, quant à eux, revendiquaient un encadrement juridique de leurs actes. Dès lors, le législateur se devait de prendre en considération cette nécessité de protéger à la fois les malades et les médecins : les premiers contre toute dérive de la part des professionnels de santé et les seconds contre toute tentation de détournement des arrêts de traitement de leur propre chef ou à la demande du patient ou de ses proches. Ce résultat a été atteint à l’issue d’auditions ayant favorisé l’émergence d’un consensus. Or celui-ci n’était nullement acquis au départ, compte tenu de la diversité des L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

opinions sur le sujet, qui, d’ailleurs, transcendaient les clivages politiques traditionnels. Pour ces raisons, la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a mis en place cette double protection et celle-ci a été renforcée en 2009 à la suite des travaux de la mission parlementaire d’évaluation de cette même loi, conduite par le député Jean Leonetti.

Loi du 22 avril 2005 et protection des malades et des professionnels de santé Le choix du législateur en 2005 a été le résultat d’une longue maturation, alimentée par 81 auditions. Celles-ci l’ont amené à écarter les autres options qui s’off ffraient à lui, à savoir le maintien du statu quo, la légalisation de l’euthanasie et l’exception d’euthanasie suggérée par le Comité consultatif national d’éthique.

Solutions écartées Statu quo La formule du statu quo présentait plusieurs inconvénients : elle ignorait les appréhensions des malades et des professionnels de santé et elle continuait à faire arbitrer les contentieux autour de la fin de vie par des institutions judiciaires peu familiarisées avec les dispositions tant sanitaires que déontologiques du Code de la santé publique. S’en remettre au statu quo, c’était par ailleurs récuser à ce débat toute dimension collective en admettant implicitement que le choix de la mort relevait en quelque sorte exclusivement de la sphère individuelle.

Légalisation de l’euthanasie La mission ne s’est pas davantage ralliée à la légalisation de l’euthanasie adoptée en 2001 par les

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Enjeux éthiques en réanimation Pays-Bas puis en 2002 par la Belgique. S’inscrivant dans un contexte culturel et religieux fortement attaché à la liberté de la personne, la législation hollandaise dépénalise l’homicide commis par un médecin sur demande orale ou écrite du patient. Les médecins sont astreints à respecter des critères dits de minutie, le contrôle exercé sur la régularité de cette procédure étant un contrôle a posteriori. Alors qu’elle est présentée comme la reconnaissance de l’expression de la volonté du malade, cette législation confère en réalité une responsabilité écrasante au médecin. Mais, en même temps, celui-ci est, de fait, à l’abri des poursuites, le contrôle a posteriori confi fié à des commissions régionales et au parquet étant peu dissuasif pour sanctionner d’éventuelles méconnaissances de la loi. Par ailleurs, s’il était limité initialement aux souff ffrances insupportables et sans perspectives d’amélioration du patient, pour certains le champ d’application de la loi avait vocation à s’appliquer à l’avenir aux patients atteints de maladies psychiatriques, de la maladie d’Alzheimer et aux personnes âgées dépressives. En analysant la législation belge inspirée de celle de son voisin du nord, la mission parlementaire a retrouvé cette même tentation de l’élargissement de la loi, certains courants de l’opinion belge plaidant pour une extension de la légalisation de l’euthanasie aux mineurs avec immanquablement, à terme, des eff ffets sur les mineurs handicapés. L’autre très gros défaut de ces législations est qu’elles omettent complètement de traiter des réalités médicales les plus fréquemment rencontrées, à savoir des décisions de limitation ou d’arrêt thérapeutique relevant du juste soin ou du soin proportionné chez les patients hors d’état d’exprimer leur volonté, le plus souvent alors qu’ils sont en réanimation.

Exception d’euthanasie Si le législateur français s’est refusé à faire de tels choix propres à créer une profonde confusion sur le rôle des professionnels de santé dans notre société, il a également écarté l’idée avancée en 2002 par le Comité consultatif national d’éthique d’introduire une exception d’euthanasie. Celui-ci, rappelons-le, avait suggéré, à cette époque, de réserver un examen « judiciaire » particulier à des circonstances exceptionnelles ayant pu conduire à un arrêt de vie, l’examen de ces circonstances étant dévolu à une commission interdisciplinaire. Il est apparu toutefois aux parlementaires que ce qui était présenté comme une exception de procédure était en réalité une exception de fond instituant une irresponsabilité pénale peu compatible avec notre procédure pénale.

Objectifs de la loi Récusant ces pistes et sans prétendre appréhender toutes les situations individuelles et tous les problèmes posés par la fin de vie, la loi de 2005 poursuit, pour l’essentiel, deux objectifs complémentaires : elle reconnaît un droit au malade à s’opposer à l’obstination déraisonnable et elle encadre les bonnes pratiques médicales.

Proscription de l’obstination déraisonnable L’article L.1110-5 du Code de la santé publique pose le principe que les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable réprouvée au demeurant depuis le xvie siècle. Il définit fi cette obstination déraisonnable en recourant aux critères d’inutilité et de disproportion. Sont, par exemple, inutiles, des examens comme une énième chimiothérapie, alors que l’on sait pertinemment qu’aucun traitement n’améliorera l’état de santé du malade. Cette logique de renonciation à l’obstination déraisonnable doit encourager le passage d’une logique curative à une logique palliative.

Encadrement des bonnes pratiques médicales L’encadrement des bonnes pratiques médicales renvoie à trois situations protégeant tant les patients que les professionnels de santé. – Lorsque le malade est conscient mais n’est pas en fin de vie, il peut refuser le traitement mais aux termes de l’article L.1111-4 du Code de la santé publique, le médecin doit tout mettre en œuvre pour le convaincre d’accepter les soins indispensables. C’était au juge que revenait jusque-là la mission d’arbitrer entre le respect de la volonté du patient et l’obligation de soigner. Pour mettre fi fin aux ambiguïtés possibles que peut provoquer une telle situation, le législateur a apporté en 2005 trois précisions inspirées par un double souci de protection du malade et du médecin et de transparence procédurale : le médecin peut faire appel à un autre membre du corps médical ; le malade doit réitérer sa décision de limitation ou d’arrêt de traitement après un délai raisonnable et la décision du malade est inscrite dans le dossier médical. Ce serait par exemple le cas d’un patient refusant que l’on continue à le dialyser. Par ailleurs, en autorisant le malade conscient à refuser tout traitement, le droit au refus de l’alimentation artificielle fi est admis. Tant des considérations médicales qu’éthiques ont été mises en avant pour justifi fier ce choix. La limitation et l’arrêt de l’alimentation qui conduisent à un décès progressif ne sauraient être assimilés à la brutalité d’une injection létale. Cet arrêt de l’alimentation, accepté au demeurant tant par la jurisprudence britannique,

Apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie le 12 décembre 2006, que par la Cour de cassation italienne dans un arrêt du 13 novembre 2008, a fait l’objet de critiques dépassant le seul champ des malades conscients, qui méritent une analyse approfondie. Il faut considérer que la mise en place d’une sonde d’alimentation constitue une technique invasive qui requiert l’autorisation du patient lorsqu’il est conscient et doit pouvoir faire l’objet d’une évaluation au cas par cas. Lorsque le malade est inconscient, ses souhaits ou ceux de ses proches doivent être pris en compte. L’image de ces sondes arrachées par des malades séniles ou déments, la difficulté à améliorer l’état nutritionnel de certains fi malades amènent à avoir une approche proportionnée de ces techniques. Cependant on peut se demander en réalité si ce débat sur la légitimité de l’arrêt des suppléances vitales n’est pas lié inconsciemment aux représentations de la fonction de l’alimentation. Si, symboliquement, cet arrêt de l’alimentation revêt d’évidence une portée particulière, les arrêts de suppléance vitale quels qu’ils soient, n’ont-ils pas médicalement la même fonction, comme le rappelle le Conseil d’État dans la partie de son rapport sur la révision des lois de bioéthique, consacrée à la fin fi de vie ? Dès lors pourquoi admettrait-on que l’on puisse arrêter une ventilation et qu’à l’inverse on s’interdise d’arrêter l’alimentation artificielle fi ? – Lorsque le malade est conscient et est en fi fin de vie, le médecin est soumis à deux obligations : d’une part, respecter la volonté du patient après l’avoir informé des conséquences de son choix, la décision du malade figurant fi dans le dossier médical et le rapport entre le médecin et le malade s’inscrivant dans le cadre du colloque singulier ; d’autre part, sauvegarder la qualité de la fin fi de vie du malade en dispensant des soins palliatifs. – Lorsque le malade est inconscient, qu’il soit ou non en fi fin de vie, la procédure de limitation ou d’arrêt de traitement doit satisfaire trois exigences : le respect de la volonté individuelle du malade, la concertation et la collégialité médicale. Le respect de la volonté individuelle du malade est pris en compte de deux manières. D’abord si le malade a désigné une personne de confiance, fi son avis, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin. Par ailleurs, le malade peut rédiger des directives anticipées pour le cas où il serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Cellesci, inspirées des « advanced directives » ou « living will » américaines, indiquent ses souhaits relatifs à sa fin de vie. Elles sont révocables à tout moment et n’obéissent à aucun formalisme particulier. Elles doivent avoir été rédigées depuis moins de trois ans. Elles ont d’autant plus de valeur qu’elles

sont précises et prennent en compte la situation à laquelle le patient et les médecins sont confrontés, à l’instar des directives du « Mental capacity act » britannique du 7 avril 2005 et de la législation allemande sur les « Patientenverfügungen » en vigueur depuis le 1er septembre 2009. Toutefois, à la difféff rence de la législation allemande qui a consacré en la matière une jurisprudence de la cour de cassation allemande, les directives anticipées françaises n’ont pas force contraignante. Il est permis de penser que la solution française est peut-être la plus adaptée à la réalité. Le Conseil national des soins palliatifs britannique relève en eff ffet qu’une directive, qui par exemple ferait valoir que la personne refuse par avance tout traitement de support vital pour le cas où elle serait mourante, n’obligerait pas le médecin. Le législateur n’a pas conféré de valeur hiérarchique entre les directives anticipées et la personne de confiance. fi Dans la mesure où elles ne sont pas contraignantes pour le médecin, il n’y avait pas lieu, en effet, ff d’attribuer à l’une de ces deux procédures une portée supérieure à l’autre, sachant qu’elles reflètent fl toutes deux des opinions émises à des moments diff fférents. Comme le rappelle le rapport d’évaluation de la loi de 2005 : « Il revient au médecin de prendre en compte ce qui constitue en fait un faisceau d’informations, sans ordre de priorité stricte de l’une sur l’autre, et d’intégrer ce faisceau à l’ensemble des renseignements médicaux dont par ailleurs il dispose, pour, à l’issue d’une délibération collégiale, évaluer au mieux le juste soin à prodiguerr ». La décision médicale s’inscrit dans le cadre d’une procédure collégiale. L’article R.4127-37 du Code de la santé publique, issu du décret 2006-120 du 6 février 2006 pris pour l’application de la loi de 2005, prévoit en eff ffet que la décision est prise par le médecin en charge du patient après concertation avec l’équipe de soins, si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin consultant. Si l’un de ces médecins l’estime utile, l’avis d’un deuxième consultant peut être requis. La décision est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations ayant eu lieu au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. Le terme « motivé » a une portée juridique, signifi fiant que l’argumentaire complet ainsi que les examens complémentaires ayant permis d’aboutir à une conclusion doivent tous être inscrits au dossier médical. Il convient de souligner que, pour éviter à la famille de prendre une décision lourde de sens et parfois susceptible de conflits fl d’intérêts, la décision d’arrêt de traitement est exclusivement médicale, même si, bien sûr, aucune décision ne saurait être prise sans concertation avec la famille. Enfin, fi si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souff ffrance d’un malade en fin de vie que grâce

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Enjeux éthiques en réanimation à des substances le plus souvent morphiniques ou hypnotiques susceptibles d’abréger sa vie, il est autorisé à le faire en vertu du dernier alinéa de l’article L.1110-5. Ce dispositif est une application de la théorie du double eff ffet présentée dans la Somme théologique de Saint Th Thomas d’Aquin. Elle traduit la diff fférence entre le bien d’une intention et le mal d’une conséquence non voulue. Elle permet de distinguer ce qui relève du juste moyen de lutter contre la douleur et ce qui relève de l’euthanasie. La loi du 22 avril 2005 présente au total trois mérites. En s’inscrivant dans le sillage de la loi du 4 mars 2002, elle renforce sensiblement les droits des malades. Elle introduit des procédures de limitation ou d’arrêt de traitement fondées sur la transparence, le dialogue et la collégialité médicale. Notons que la législation française concernant cet aspect particulier est unique au monde. Elle développe enfi fin les soins palliatifs, non seulement en obligeant les médecins à y recourir dans les situations auxquelles elle renvoie, mais en les étendant également aux établissements médico-sociaux. Mais cette législation a eu des prolongements que l’on ne saurait ignorer.

Suites de la loi du 22 avril 2005 C’est à la suite d’une aff ffaire où une femme atteinte d’une tumeur très rare des sinus avait demandé à la société une assistance au suicide, que le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale ont confié fi en mars 2008, à nouveau à Jean Leonetti, une mission d’évaluation de la loi qui porte son nom. En dehors de propositions destinées à mieux faire connaître la loi et à mieux adapter l’organisation du système de soins aux problèmes de la fin fi de vie, le rapport de cette mission d’évaluation confirme fi les choix opérés trois ans auparavant et précise les modalités d’application des arrêts de traitement de survie. Le Conseil d’État dans son étude précitée de 2009 sur la révision des lois de bioéthique reprend d’ailleurs largement à son compte les conclusions de ce rapport parlementaire de 2008.

Confifirmation des choix de la loi du 22 avril 2005 Ce dernier récuse très clairement la légalisation d’un droit à la mort. Celle-ci serait contraire au questionnement éthique fondé sur l’interdit de tuer. Elle ébranlerait la confiance fi qui doit prévaloir entre le malade et le médecin, le premier remettant sa vie et non sa mort entre les mains du second. Incompatible avec l’acte et l’éthique du soin, le pouvoir homicide du médecin devenant, dans ce cadre,

son seul savoir. Le geste létal ne requerrait pas, d’ailleurs, une compétence médicale particulière. Au-delà de ces motivations éthiques, les conclusions de la mission parlementaire écartent également l’idée d’un droit conçu comme une « créance » opposable qui, immanquablement, engagerait l’État si un médecin, en invoquant sa clause de ff le geste létal. conscience, se refusait à effectuer Sur un plan juridique, la mission a estimé que l’intervention a priori d’experts n’empêcherait pas des poursuites et qu’un contrôle a posteriori n’apporte aucune garantie, si par définition, fi la personne est décédée. Les enseignements des expériences étrangères ont également conforté le législateur dans ses orientations présentées quatre ans plus tôt. L’existence en Suisse d’un tiers de suicides assistés réalisés chez des patients ne souffrant ff pas d’une affection ff incurable, selon une étude réalisée par des chercheurs, a révélé l’existence de profondes dérives dans ce pays, où la définition fi des critères du suicide assisté est, de fait, déléguée à des associations de droit privé. On observe toutefois que le contexte libéral dans lequel le suicide assisté est toléré, et qu’avait analysé la mission parlementaire, pourrait être appelé à évoluer dans un sens plus restrictif. Le Conseil fédéral suisse, le 28 octobre 2009, a soumis en eff ffet pendant cinq mois, à la consultation des citoyens suisses, deux projets visant à modifier fi le droit pénal local, afi fin de réglementer explicitement l’assistance organisée au suicide. La première option encadrerait le suicide assisté. Elle consisterait à faire appel obligatoirement à l’expertise minimale de deux médecins extérieurs à l’association ; elle introduirait un délai de réfl flexion pour le demandeur et exigerait du médecin qu’il établisse le diagnostic et prescrive le médicament provoquant la mort. Enfin fi l’association ne serait plus rémunérée pour ses prestations et ses membres seraient tenus d’insister auprès du patient sur les alternatives au suicide, comme celle des soins palliatifs. L’autre option consisterait à interdire ces associations. Parallèlement, un programme de développement de soins palliatifs a été lancé. Le flou des critères d’évaluation de la souff ffrance du malade, à savoir présenter un caractère insupportable et ne pas avoir de perspective d’amélioration, la persistance d’un taux élevé d’euthanasies clandestines (estimé à 20 %), l’absence de sanction des médecins dans la pratique en cas de méconnaissance de la loi, l’émigration de personnes âgées en Allemagne pour échapper au risque d’une euthanasie possible, sont autant d’éléments rappelés dans le rapport parlementaire pour appréhender complètement la réalité des pratiques hollandaises. Lors de sa 96e session, qui s’est tenue à Genève du 13 au 31 juillet 2009, le

Apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie Comité des droits de l’homme de l’ONU a d’ailleurs mis en garde les Pays-Bas pour son « taux élevé de cas d’euthanasie et de suicides assistés ». Les membres du Comité se sont notamment inquiétés que « la loi permette à un médecin d’autoriser de mettre fin fi à la vie d’un patient sans recourir à l’avis d’un juge » et que « le deuxième avis médical requis puisse être obtenu au travers d’une ligne téléphonique d’urgence ». Les interrogations et les doutes sur les pratiques belges à l’occasion de la première mission parlementaire n’ont pas été levés. C’est ainsi que le rapport parlementaire relève l’absence totale de saisie judiciaire de la part de la Commission fédérale de contrôle, alors que près de 2 000 euthanasies ont été enregistrées, la procédure belge étant par ailleurs déroutante pour sa rapidité et ne s’appliquant pas systématiquement à des situations irréversibles. La première application de la nouvelle loi luxembourgeoise dépénalisant l’euthanasie illustre aussi les diffi fficultés que celle-ci peut générer. Un hôpital qui avait refusé d’accéder à une demande d’euthanasie se l’est vu reprocher par les promoteurs de la loi du 16 mars 2009 légalisant l’euthanasie. Les enseignements de la première mission parlementaire ont été ainsi confirmés fi mais l’audition de 74 témoignages de terrain en 2008 a ouvert de nouvelles pistes de réflexion. fl

Encadrement des modalités d’arrêt de traitement de survie Si, après la mise en œuvre de la procédure collégiale, le médecin décide d’arrêter des techniques médicales parce que celles-ci apparaissent, à l’évidence, inutiles et disproportionnées, la question de l’opportunité et des modalités d’un traitement à visée sédative se pose. Cette situation n’avait pas été envisagée sous tous ses aspects par la loi de 2005. Elle a été révélée à propos d’un jeune homme plongé dans un état de coma végétatif persistant, auquel on avait arrêté la sonde gastrique et stoppé l’alimentation et l’hydratation entérale. Ce jeune homme a souffert ff de convulsions après ce retrait pendant six jours faute de lui avoir administré des calmants et des anticonvulsivants. Le fait qu’il soit très difficile ffi d’évaluer la souff ffrance de ces malades hors d’état d’exprimer leur volonté justifie fi la mise en œuvre d’une sédation d’accompagnement lors de l’arrêt de traitement « au bénéfice fi du doute ». Réserver cette sédation d’accompagnement à ces malades en leur dispensant en même temps des soins palliatifs, c’est se démarquer des pratiques belges et hollandaises qui ont recours à la sédation pour des malades conscients,

en dehors de toute limitation ou de tout arrêt de traitement. Au surplus, dans ce contexte, l’intentionnalité est de préserver la dignité du mourant et non d’accélérer sa fi fin. Convaincue de la nécessité de préciser la réglementation sans pour autant avoir à remettre en cause les dispositions législatives existantes, la mission d’évaluation de la loi de 2008 a, dès lors, proposé de limiter le champ de cette sédation d’accompagnement à deux types d’arrêt de traitement : ceux applicables à la réanimation adulte après un traumatisme crânien, un accident vasculaire cérébral ou une anoxie cérébrale ou tout autre accident responsable d’une lésion cérébrale majeure ; ceux applicables à la réanimation néonatale pour anoxie cérébrale périnatale ou grande prématurité ou tout autre accident responsable d’une lésion cérébrale majeure. À cet effet ff l’article R.4127-37 du Code de la santé publique a été complété par un décret en Conseil d’État adopté le 27 octobre 2009. Le dispositif retenu présente plusieurs caractéristiques. Il a d’abord un ancrage législatif très large. Il fait référence à l’article L.1110-5 qui proscrit l’obstination déraisonnable et aux articles L.1111-4 sur l’arrêt de traitement des patients pouvant ou ne pouvant pas exprimer leur volonté ainsi qu’à l’article L.1111-13 renvoyant aux patients en phase avancée ou terminale. Une fois cette base législative défi finie, le troisième alinéa inséré à l’article R.4127-37 par le décret en Conseil d’État précité fixe les conditions de l’emploi de la sédation d’acfi compagnement. Elles sont au nombre de trois : l’absence d’obstination déraisonnable, rappelée au I de cet article ; la mise en œuvre de la procédure collégiale consacrée dans le II et applicable aux articles L.1111-4 et L.1111-13. Y est ajouté le critère médical de l’impossibilité d’évaluer la souffrance du patient du fait de son état cérébral. Si ces conditions sont réunies, le médecin est autorisé à recourir aux traitements notamment antalgiques et sédatifs pour accompagner le malade dans la dignité, ce que laisse entendre la référence faite à l’article R.4127-38. La mention du soutien nécessaire à apporter à l’entourage est un rappel de cette obligation qui s’impose déjà au médecin à l’article R.4127-38. En dehors de cette modifi fication, l’article R.4127-37 précise les modalités de la mise en œuvre de la procédure collégiale. Jusqu’à maintenant, celle-ci était exclusivement initiée par le médecin en charge du patient. La nouvelle rédaction de l’article R.422737 élargit le déclenchement de cette procédure au vu des directives anticipées ou à la demande de la personne de confiance, fi de la famille ou un de ses proches. Ceux-ci sont informés de la décision d’engager cette procédure collégiale et de la décision d’arrêt de traitement.

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Enjeux éthiques en réanimation

Conclusion Le rappel des dispositions de la loi de 2005 et de ses règlements d’application successifs met en valeur la spécifi ficité du choix fait par notre pays pour traiter des questions de fi fin de vie. En imposant la transparence, la collégialité médicale et en précisant les modalités d’accompagnement des arrêts de traitement de survie, la réglementation élaborée depuis 2005 a rendu légales les bonnes pratiques médicales et voulu protéger tant les malades que les professionnels de santé. Les pays qui ont pris le parti de la dépénalisation de l’euthanasie ont, quant à eux, protégé les médecins en les mettant de facto à l’abri de poursuites pénales et disciplinaires en cas de violation de la loi. En revanche, l’expérience montre qu’ils n’ont pas protégé les malades. Mais une législation qui défend l’euthanasie a-t-elle par nature vocation à protéger les malades ou à défendre leur autonomie ? La question mérite d’être posée.

Références 1. Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, site Internet legifrance. gouv.fr 2. Respecter la vie, accepter la mort, Rapport Assemblée nationale n° 1708, Jean Leonetti, XIIe législature 3. Droits des malades et fi fin de vie, Rapport Assemblée nationale n° 1929, Jean Leonetti, XIIe législature 4. Solidaires devant la fi fin de vie, Rapport Assemblée nationale n° 1287, Jean Leonetti, XIIIe législature 5. Conseil d’État, la révision des lois de bioéthique, 6 mai 2009 6. Aumonier N, Beignier B, Letellier P (2008) l’euthanasie, Presses universitaires de France, 4e édit. 7. Doublet YM (2005) La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, Petites affi ffiches, Quotidien juridique, 23 juin, 124: 6 -11 8. Hirsch E (2008) Apprendre à mourir, Grasset 9. Hirsch (sous la direction de) (2006) Face aux fi fins de vie et à la mort, Espace éthique, Vuibert 10. Leonetti J (2005) Vivre ou laisser mourir, Edit. Michalon 11. Ricot J (2003) Philosophie et fi fin de vie, Edit. Ensp 12. Ricot J (2010) Ethique du soin ultime, Presses de l’Ehesp

Chapitre

Avancées du rapport Leonetti de 2008

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S. Van Pradelles

Introduction

É

clairer les enjeux éthiques en réanimation en France nous inscrit dans un cadre de réflexion fl et un cadre législatif qu’il convient d’expliciter. La révision de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, votée le 22 avril 2005, dite loi Leonetti, qui a eu lieu à l’été 2008, a constitué une nouvelle occasion de réfléchir fl à ces enjeux de société, enjeux professionnels en éthique médicosoignante, dans le domaine de l’accompagnement de la fin de vie et les droits des malades. Nous rappellerons brièvement le contexte historique dans lequel s’inscrivent la loi Leonetti et le travail de révision qui en a été mené, entre le 16 avril et le 14 octobre 2008 à l’Assemblée nationale. Nous travaillerons ensuite, à partir du rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin fi de vie, rapport présenté par Jean Leonetti le 28 novembre 20081, à mettre en valeur les éléments clefs ayant trait à la réfl flexion partagée. Enfi fin, nous essayerons de préciser certains enjeux éthiques particulièrement aigus en réanimation qui ont été explicités au cours de ce travail de révision.

Contexte historique de la loi Leonetti Le rapport Leonetti de décembre 2008 s’inscrit dans un contexte historique de réfl flexion prolongée. La prise de conscience, dans les années 1980, de l’insuffi ffisance de l’accompagnement de l’approche de la mort – en milieu hospitalier comme à domicile – a amené la France à se doter progressivement d’une législation affirmant ffi les droits des malades et les obligations des soignants à l’égard de leurs 1. Intitulé « Solidaires devant la fin de vie » (http///www.assembleenationale.fr).

L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

patients, particulièrement au moment de leur fi fin de vie. Ces lois s’inscrivent dans une dynamique de réflexion, fl menée simultanément par le législateur, par certains professionnels de santé, des professionnels des sciences humaines, mais aussi par des acteurs de terrains : proches ou associations. Parallèlement à cette dynamique est régulièrement mise en débat sur la place publique par la médiatisation de situations particulièrement complexes. La consultation qui a mené à la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti, a été initiée à la suite de la mort de Vincent Humbert. Le retentissement de cette affaire ff a été majeur, fortement relayé par les médias. Un travail législatif de consultation approfondi (essentiellement de professionnels de santé) sur les conditions de la fin de vie, sur la mort, sur le rôle de la médecine dans l’accompagnement de ces situations, a alors été entrepris, à la demande du président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, sur l’interpellation de Nadine Morano, député de l’Union pour un mouvement populaire, et de Gaëtan Gorce, député du Parti socialiste. Trente députés se sont réunis en commission pour travailler sur le sujet, sous la présidence de Jean Leonetti. Ils ont présenté une proposition de loi fin fi octobre 2004. Cette proposition a été retravaillée par une commission spéciale réunissant cinquante six députés dont Gaëtan Gorce était le président, et Jean Leonetti, le rapporteur. La démarche, prolongée dans le temps, a permis de s’abstraire de la pression émotionnelle de l’immédiateté. La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin fi de vie, a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en novembre 2004, puis par le Sénat en avril 2005. Rappelant que l’interdit de tuer est une donnée fondamentale, constitutive de notre société, la loi a pour objectif de permettre l’accompagnement des situations de fin de vie au plus près de la réalité clinique. Les questions de société impliquées sont multiples. Les députés ont choisi de réunir dans la

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Enjeux éthiques en réanimation loi, en un seul sujet de travail, les solutions apportées à deux questions distinctes : les droits des malades d’une part, et la fin de vie d’autre part. Les maître-mots de la loi du 22 avril 2005 étaient : pas d’abandon, pas de souff ffrance, transparence, dialogue. C’est dans ce sens qu’ont été introduits, dans la loi, les concepts d’obstination déraisonnable, de double effet ff et d’obligation à la collégialité. Il s’agissait également d’ouvrir un cadre juridique à des pratiques médicales et soignantes jusque-là hors-cadre – c’est le sens de la possibilité légale donnée de suspendre « tout traitement ayant pour but le seul maintien artificiel fi de la vie ». Il s’agissait enfin fi d’inscrire dans la loi certains éléments constitutifs d’une réforme de la relation médecin malade, déjà annoncés en 2002. En effet, ff la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, se voulait réformatrice de cette relation, favorisant une plus grande autonomie du patient ; elle s’est traduite par l’institution du statut de personne de confiance fi et par l’inscription des directives anticipées dans le processus de décision pour un malade hors d’état d’exprimer sa volonté. La loi du 22 avril 2005 autorise désormais le patient en fin fi de vie à refuser les soins qui lui sont proposés par le médecin, au regard de la pathologie diagnostiquée. Le législateur avait, par ailleurs, conscience qu’aucune loi ne pourrait graver dans le marbre ce qui relève de l’éthique et de la déontologie personnelle des soignants, et qu’une appropriation par le corps médical et soignant était nécessaire. La définifi tion de la procédure collégiale a été laissée à l’initiative du Conseil national de l’ordre des médecins pour cette raison2. Pour favoriser l’éthique et la 2. Le code de déontologie médicale a été retravaillé en 2005 dans ses articles 37 et 38 par le Conseil national de l’Ordre des médecins : Article 37 (article R.4127-37 du Code de la santé publique) I. - En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer ff de soulager les souff ffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet ff que le maintien artifi ficiel de la vie. « II. - Dans les cas prévus aux articles L.1111-4 et L.1111-13, lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut décider de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés sans avoir préalablement mis en œuvre une procédure collégiale dans les conditions suivantes : « La décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile. « La décision prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confiance fi qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches. « Lorsque la décision concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre, selon les cas, l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation. « La décision est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. »

déontologie médicale, un travail d’information et de formation était à faire. Cependant, l’évolution attendue des pratiques médicales et soignantes en fin de vie requérait du temps – le temps de l’inscripfi tion dans le réel des principes d’un accompagnement adéquat. Cette loi devait donc être évaluée ultérieurement dans son application. La loi du 22 avril 2005 à peine votée, les parents d’un jeune homme en état végétatif depuis près de huit ans à la suite d’une tentative de suicide, et hospitalisé en service de soins de longue durée, demandent l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artifi ficielles de leur fils. L’équipe médicale, heurtée, refuse et appelle des consultants extérieurs pour éclairer la situation. L’affaire ff s’envenime ; l’accompagnement des protagonistes du débat semble faire cruellement défaut. Le jeune homme meurt en novembre 2006. Ses parents, Monsieur et Madame Pierra, adhèrent à une association qui médiatise leur combat, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). En mars 2008, une femme de cinquante-deux ans, atteinte d’un esthésioneuroblastome depuis huit ans, demande offi fficiellement que son médecin puisse être autorisé par la loi à l’assister dans son suicide. Cette demande est d’emblée fortement médiatisée, puis adressée au tribunal de grande instance de Dijon par l’intermédiaire de son avocat, alors viceprésident de l’ADMD. L’« affaire ff Chantal Sébire » débute. Madame Sébire avait refusé tout traitement chirurgical au stade initial de sa maladie, au regard d’un possible risque vital encouru, lié notamment à une anesthésie générale3. Par la suite, à un stade devenu incurable, Madame Sébire avait refusé une prise en charge palliative appropriée de ses souffrances. ff Sa demande de mars 2008 est conjointement adressée au président de la République. Celui-ci lui propose alors une expertise professionnelle de la prise en charge de ses symptômes, que Madame Sébire refuse. Elle meurt le 19 mars 2008 d’une ingestion massive de barbituriques, dont la provenance n’a pas été élucidée. Moins de trois ans après sa promulgation, la loi du 22 avril 2005 est alors accusée par certains médias et groupes de pression de ne pas permettre de guider l’aide apportée aux personnes malades, ni la Article 38 (article R.4127-38 du Code de la santé publique) Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. 3. L’esthésioneuroblastome est une tumeur rare dont les traitements sont très bien codifi fiés. Au stade initial, un traitement chirurgical, assorti si besoin d’une chimiothérapie ou d’une radiothérapie aurait eu de très bonnes chances de permettre une guérison.

Avancées du rapport Leonetti de 2008 réponse à la détresse des personnes en situation de handicap, ou en phase terminale d’une maladie. Le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale, conscients de l’importance des enjeux qui sont associés à cette réfl flexion, à l’accompagnement de la fin fi de vie, et à l’utilisation médiatique qui est faite de situations dramatiques, ont demandé à Jean Leonetti, dont la loi porte le nom, de mener – dès 2008 – une mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005. La mission confi fiée à Jean Leonetti était de répondre aux questions suivantes : – La loi est-elle connue ? – La loi est-elle appliquée ? – Quelles sont les insuffisances ffi éventuelles de la loi ? Le cas échéant, il revenait à la mission parlementaire d’en faire des propositions d’amélioration. Jean Leonetti s’est saisi de cette opportunité pour mener un travail de réflexion fl collective, ouvert au grand public par le biais du réseau Internet, éclairant dans un temps approprié à la réflexion fl l’ensemble des enjeux à prendre en compte. La mission d’évaluation, menée entre avril et octobre 2008, a voulu faire place à des témoignages « issus de la réalité du vécu de la mort », en entendant les familles de patients récemment décédés. Des personnes en situation de grande vulnérabilité ont également été entendues. L’accent a été mis, en eff ffet, sur l’audition de personnes malades, de leurs proches, de représentants d’associations de malades. Certains d’entre eux étaient reçus sur leur propre demande, d’autres étaient invités à témoigner sur recommandation. Des responsables d’associations de patients ont été reçus. Des professionnels de santé, des philosophes, des sociologues, des économistes en santé, des représentants politiques et de l’administration hospitalière ont également contribué à la réflexion fl par l’exposé de points de vue riches. Un panel de médecins et de soignants, justifi fiant d’une expérience sur les sujets d’intérêt de la commission, a été entendu ; d’autres intervenants étaient issus du monde associatif, ou reconnus pour leur expertise dans un domaine ayant trait au monde de la santé et à la fi fin de vie, ou aux notions juridiques, économiques et organisationnelles impliquées dans le domaine de la fi fin de vie. Par ailleurs, la commission s’est déplacée à l’étranger pour rencontrer nos voisins européens, aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse. Ces déplacements ont permis d’éclairer et de comprendre les démarches qui ont soutenu l’établissement de leurs législations respectives, la teneur des débats ayant encore cours aujourd’hui dans ces pays. Un déplacement à Londres, au Royaume-Uni, a permis de profi fiter de l’expérience de ce pays qui a développé un accompagnement adéquat en réponse

aux problématiques de fi fin de vie. Le déplacement devait aussi permettre de travailler sur les réalités économiques de l’accompagnement de la fi fin de vie. La commission, par la voix de son rapporteur, a élaboré, à partir de ce matériau, une synthèse qui met en perspective les éléments de la réflexion fl partagée par les acteurs de terrain. Le rapport, présenté en décembre 2008, intitulé « Solidaires devant la fin fi de vie » est constitué d’un volume de présentation in extenso des interventions des personnes auditionnées, ainsi que d’un volume présentant une réflexion fl élaborée à partir du matériau collecté en audition. Ce rapport, ainsi que les enregistrements vidéo des auditions, est disponible à l’Assemblée nationale en édition papier, et sur le site Internet de l’Assemblée nationale4.

Travail de révision de la loi Leonetti Le rapport d’information (fait au nom de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie) analyse, selon trois axes principaux, la réflexion fl partagée par les personnes consultées. Ces trois axes sont intitulés de la façon suivante : – Une législation mal appliquée – Un droit à la mort peut-il être légalisé ? – Mieux prendre en compte les intérêts et les droits des malades en fi fin de vie. C’est selon ces axes que nous allons développer notre propos.

Dans un premier temps, le rapport prend acte de ce que la loi a été mal appliquée depuis sa promulgation en avril 2005, et en apprécie certaines raisons. Il semble nécessaire de distinguer les accusations précédemment exposées5, portées par certains médias et associations, des insuffisances ffi réellement constatées par la mission parlementaire. En eff ffet, l’accusation portée par certains médias et associations d’une incapacité de la loi Leonetti à répondre aux situations réelles de la fi fin de vie prend systématiquement appui sur des situations exceptionnelles et dramatiques. Or, la réalité de la très grande majorité des situations de fi fin de vie, et 4. http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/mission_fi fin_vie.asp 5. Ces accusations tendent à montrer, à partir de situations particulièrement complexes, que la loi du 22 avril 2005 ne permet pas d’encadrer les pratiques soignantes et médicales pour une amélioration de l’accompagnement des situations de fi fin de vie. L’euthanasie et le droit au suicide médicalement assisté constitueraient alors les seules réponses compassionnelles possibles.

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Enjeux éthiques en réanimation donc les besoins d’accompagnement et d’évolution des pratiques médicales et soignantes, ne sont pas bien pris en compte par ce travail médiatique et de lobbying. Le rapporteur prend d’emblée la mesure de la nécessité d’une portée plus générale de la loi Leonetti, plus adaptée à la réalité de la fin fi de vie de la très grande majorité des français. Il apparaît que ces réalités ne sont bien mesurées ni par les professionnels, ni par les tenants d’un débat prenant appui sur des situations dramatiques. L’accompagnement des personnes vulnérables, particulièrement des personnes âgées qui sont les plus nombreuses à affronter ff leur fin de vie, apparaît en eff ffet négligé tant dans le débat médiatique que dans les pratiques professionnelles et dans les priorités des politiques publiques. C’est dans cette perspective que le rapporteur souligne l’urgence d’un développement de structures d’accompagnement de la fin fi de vie pour ces personnes. Le travail de diff ffusion de la loi, qui devait être réalisé dès 2005, est resté insuffi ffisant, les actions d’information sur le sujet étant restées peu nombreuses, et la promotion de la loi tardive. Les professionnels de santé ne se sont pas appropriés les notions qui y sont développées, et cela a constitué l’obstacle majeur à l’amélioration des conditions de l’accompagnement de la fin fi de vie en France. La loi du 22 avril 2005 est ainsi restée diversement appliquée sur le territoire et, en un même lieu, selon les équipes médico-soignantes. Pour Jean Leonetti, des interrogations persistent au terme du travail d’évaluation, portant précisément sur certaines notions introduites dans la loi du 22 avril 2005 : – les décisions de limitation ou d’arrêt de traitementt : comment sont-elles prises et mises en œuvre ? – l’obstination déraisonnable : comment est-elle évaluée ? Ces interrogations marquent des enjeux éthiques forts, insuffi ffisamment travaillés par les professionnels de santé jusqu’en 2008. Un nouveau travail de réflexion fl approfondi sur ces notions a été réalisé par la commission Leonetti en 2008, que les professionnels pourraient s’approprier à leur profit. fi Parmi les raisons permettant d’expliquer la mauvaise application de la loi Leonetti depuis sa promulgation, le rapporteur souligne que la formation des professionnels, tant aux soins palliatifs qu’à l’éthique, présente des lacunes importantes (carence de formation initiale, de formation continue, développement trop partiel des activités de recherche) auxquelles il conviendrait de remédier. La diffusion ff de la culture palliative et sa mise en place structurée sur le territoire français est, note le rapport, en voie d’amélioration, mais encore insuffi ffisante. Cela vient en contradiction

avec l’ambition marquée par les programmes de développement des soins palliatifs, déployés en plans successifs depuis 1999 en France. Il persiste en eff ffet des inégalités géographiques d’accès à une prise en charge de soins palliatifs quand elle est nécessaire, qui frappent en premier lieu les personnes âgées, constate le rapporteur. Certains éléments d’ordre médico-économique sont supposés permettre d’expliquer le développement encore insuffi ffisant et épars des structures de soins palliatifs, et les diffi fficultés propres à ce développement : le financement de l’activité palliative est remis en question. Permet-il la diffusion ff de la culture palliative ? Le mode de financement par la tarifi fication à l’activité (T2A) en constitue-t-il un obstacle ? Pour répondre à ces questions, le rapporteur souligne que la définition fi des actes médicaux en soins palliatifs (pour la T2A) ne permet de refléter fl ni l’activité, ni la charge de travail réelle, et devrait donc être revue à cette fi fin. Il souligne aussi que la T2A peut inciter à l’obstination déraisonnable, ou créer des effets ff de seuil pervers liés à la durée de séjour. Ces eff ffets de seuil pourraient inciter les praticiens à sélectionner, à retarder l’admission ou à fractionner les séjours des patients en fin fi de vie, de façon artifi ficielle (n’ayant de justifi fication que comptable : assurer de rendre le séjour « rentable » d’un point de vue économique). Constatant ces obstacles, le rapport s’inspire de l’exemple britannique pour proposer des solutions permettant de limiter les eff ffets négatifs de la tarification à l’activité. Parmi ces solutions, on retient la généralisation des contrôles de codage, la rédaction de codes de conduite, et la contractualisation entre hôpitaux et organismes de sécurité sociale des volumes d’actes réalisés sur une période de temps donnée. Enfin, fi pour conclure ce premier axe de synthèse, le rapport Leonetti reprend ce qui, dans les rapports entre le monde de la santé et celui de la justice favorise les incompréhensions réciproques. La crainte d’une mise en cause judiciaire est en effet ff l’argument utilisé par certains professionnels pour retarder l’effort ff d’application de la loi Leonetti. Cependant, des spécialistes du droit sont venus mettre en valeur le travail réalisé par le monde de la justice pour permettre une meilleure collaboration. D’après le garde des sceaux, les magistrats disposent, dans leur analyse des situations où devrait s’appliquer la loi telle qu’elle existe aujourd’hui, de certains protocoles structurant leur appréciation. C’est l’application de ces protocoles qui permet au magistrat d’éclairer les situations sur lesquelles il a à se prononcer. Il s’agit par exemple, dans la compréhension de la notion de « double effet ff », d’apprécier : « – que le devoir d’information du patient a été mis en œuvre : il porte sur les effets ff seconds de

Avancées du rapport Leonetti de 2008 certains traitements qui soulagent la douleur, mais peuvent abréger la vie ; – que la volonté exprimée par le malade conscient de limiter ou d’arrêter le traitement est inscrite au dossier médical ; – que la procédure collégiale pour l’arrêt des traitements, si le malade est inconscient, a bien été mise en œuvre. Cette procédure prévoit qu’un tiers de confi fiance ou un membre de la famille soit informé. Grâce à ces protocoles, le magistrat est en mesure de connaître la volonté du malade et de s’assurer qu’elle a été exprimée clairement. » La loi Leonetti peut ainsi être vue comme une facilitation des rapports entre santé et justice, dans certaines situations diffi fficiles. Cela semble être le point de vue de la grande majorité des professionnels qui ont fait l’eff ffort de s’approprier la loi, parmi lesquels on retrouve souvent les cancérologues et les réanimateurs.

Dans un second temps, le rapport Leonetti affronte ff la question de la possibilité de légaliser un « droit à la mort ». Dans le travail d’évaluation de la loi du 22 avril 2005, la question d’un droit à la mort et de l’euthanasie semble être une question parmi d’autres. L’article R.4127-38 du Code de la santé publique, article 38 du Code de déontologie médicale, statue : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin, fi sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le doit de provoquer délibérément la mort ». Pourtant, la loi du 22 avril 2005 a été révisée à la suite d’une aff ffaire dramatique hautement médiatisée dans le sens d’une demande de suicide assisté. Nombreux sont donc les intervenants qui ont abordé, de front, les problématiques du désir de mort, de la demande de mort, la question de l’exception d’euthanasie, que la commission voulait retravailler, et celle de l’euthanasie. La commission a synthétisé, ensuite, la réflexion fl proposée en s’arrêtant avec rigueur sur les questions posées et les réponses proposées. La richesse et la profondeur des arguments proposés méritent qu’on en relaye les éléments principaux. Analysant les éventuels fondements d’un droit à mourir, le rapport Leonetti souligne ce qui a été rappelé par des professionnels de santé comme par des philosophes : que la « liberté stoïcienne » revendiquée par les tenants d’un droit au suicide – entendue comme une autodétermination froide et paisible – est une construction de l’esprit et n’existe jamais telle quelle quand une personne

malade demande la mort. Le rapport Leonetti reprend l’alerte lancée par les professionnels de santé et les bénévoles d’accompagnement : il est extrêmement diffi fficile d’évaluer la volonté réelle de mourir de celui qui exprime une demande de mort au moment où il est plongé par sa maladie et l’épreuve existentielle qu’il affronte ff en un profond désarroi. Le rapporteur souligne les conséquences sociales d’un éventuel établissement d’un droit à la mort. Établir un droit à mourir, pour un individu, implique l’ensemble de la société à laquelle il appartient. Il apparaît, ainsi, qu’« en se formulant comme un droit-créance, le droit à mourir fait peser sur tous le devoir de rendre effectifs ff les moyens nécessaires à sa réalisation. Le droit à mourir ferait ainsi partie de ces dettes que chacun contracte avec chaque tiers aux termes du contrat social […] Il reviendrait alors à l’État de désigner et de former des individus compétents pour ce faire […] La revendication de la légalisation de l’euthanasie paraît pourtant ignorer singulièrement les thématiques contemporaines de la responsabilité collective […] Il est en eff ffet de la responsabilité de l’individu de ne pas faire abstraction de la vulnérabilité de la société qu’il veut quitter ni de l’avenir, ainsi fragilisé, des êtres dont il se sépare ». Si un droit à la mort venait à être légalisé, ce serait, souligne le rapporteur après les philosophes et les professionnels de santé interrogés, au détriment de l’éthique médicale. En effet, ff plus qu’un élément nouveau à rattacher à un arsenal thérapeutique neutre en lui-même, le recours à l’euthanasie traduirait, sur le plan professionnel, une incompétence médicale dans le traitement de la douleur. Il découlerait de la simplification fi excessive de ce problème médico-soignant. S’il était légalisé, il pourrait faire peser certaines menaces sur le corps médical, parmi lesquelles la « déresponsabilisation de son devoir de tout mettre en œuvre pour procurer à son patient le meilleur soin […], une fragilisation de ses exigences morales, […] un possible ébranlement de la confi fiance qui prédomine au rapport entre le médecin et son patient. » Explorant avec rigueur les questions soulevées par la notion de droit à la mort, sous les diverses formes évoquées par les tenants de cette solution (euthanasie ou aide médicale au suicide), le rapporteur tire parti et leçon des enseignements de nos voisins européens. Après en avoir analysé les dispositifs juridiques, il souligne certaines inquiétudes que suscite la réalité de la pratique telle qu’elle lui a été exposée lors de ses déplacements sur place. Les pratiques issues de l’encadrement de l’euthanasie aux Pays-Bas depuis 2001 montrent une stabilisation des euthanasies au cours des dernières années, « imputable au développement des soins palliatifs, et à un recours plus fréquent aux sédations terminales ». L’analyse montre que « l’application de

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Enjeux éthiques en réanimation la loi présente plusieurs caractéristiques : les critères d’évaluation du degré de souffrance ff du patient sont flous, l’existence même d’un contrôle a posteriori faisant porter la vérification fi plus sur le respect de la procédure que sur la réalité des motifs médicaux ; l’appréciation du médecin est subjective et la méconnaissance de la loi n’est pas sanctionnée. » En Belgique, où l’euthanasie est dépénalisée depuis 2002, la pratique montre une application géographique de la loi très inégale, des fondements très fragiles des décisions d’euthanasie, des soins palliatifs négligés, un contrôle qui suscite des interrogations, pour une loi qui n’apparaît pas satisfaisante telle quelle, puisqu’il existe des revendications en faveur d’un élargissement du champ d’application. La Suisse, qui interdit l’euthanasie (définie fi par le fait que la personne qui tue n’est pas la même personne que celle qui meurt), permet une aide au suicide par l’exploitation d’un vide juridique. En pratique, 0,43 % des décès en Suisse sont des suicides assistés. La pratique suisse suscite des interrogations : les médecins sont mis dans une situation contradictoire par les recommandations de l’Académie suisse des sciences médicales. Ces dernières lui font le devoir de soulager les souffrances ff des personnes en fin de vie, considèrent que le médecin doit refuser de mettre fin à la vie d’un patient, même sur demande sérieuse et insistante mais, dans des situations exceptionnelles, peut aider la personne à se suicider. D’autres difficultés ffi émergent à l’analyse de la situation suisse : à l’échelle de la population, il devient en effet ff diffi fficile de mener des actions de prévention du suicide en tolérant les suicides assistés ; la pratique montre également que l’utilisation des critères de suicide assisté est très large, et que l’expertise des dossiers médicaux est souvent négligée. Le rapporteur tire également des enseignements de l’analyse des voies suivies par l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui « renforcent les droits des malades (en lui reconnaissant un droit au refus de traitement) sans pour autant franchir le pas de l’interdit de l’euthanasie. La loi française de 2005 participe de ce mouvement en faveur d’un accroissement des droits des malades ». Ces exemples européens viennent contrebalancer un « discours ambiant (qui) tendrait à accréditer l’idée que l’Europe serait en train de suivre les législations belges et hollandaises qui s’inscriraient dans le sens de l’histoire. […], Les législations allemande, britannique et française montrent qu’il y a des alternatives au débat entre un droit à mourir et le statut quo. » Enfi fin, une analyse est proposée, sur le plan juridique, des dispositifs mis en avant par certaines associations militantes en faveur de l’euthanasie, ou évoqués par le Comité consultatif national d’éthique dans son avis n° 63 « Fin de vie, arrêt de

vie, euthanasie » : procédure pénale d’exception dans des situations exceptionnelles, dépénali– sation, aide au suicide. Si l’aide au suicide n’est actuellement pas incriminée en droit français, la notion de provocation au suicide, de non-assistance à personne en danger et d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse, constituent des garde-fous des situations d’accompagnement des personnes désirant la mort eu égard aux conditions dans lesquelles elles vivent ou terminent leur vie. De même, la notion d’exception d’euthanasie ne tient pas devant la diffi fficulté de défi finir les exceptions, voire l’imposture de définir fi des exceptions qui pourraient concerner alors un nombre toujours croissant de personnes, en vertu du principe selon lequel chacun se reconnaîtrait relever de l’exception. Dans le débat concernant une demande de dépénalisation de l’euthanasie, la commission Leonetti souligne l’instrumentalisation de la notion ambiguë de dignité et le risque d’instrumentalisation de l’État déjà évoqué ci-dessus. Cette réflexion fl riche et structurée ne fait pas l’économie d’aff ffronter les diffi fficultés liées à l’émergence d’un désir de mort, pour soi ou pour l’autre, quand l’accompagnement des conditions de la fin fi de vie devient très ou trop diffi fficile aux yeux du patient, des soignants ou des proches. Il nous semble qu’elle présente des points d’appui essentiels pour l’élaboration d’une pensée personnelle et collective nécessaires à l’approfondissement de l’expérience professionnelle des médecins et soignants. Elle soutient avec des arguments issus de la réfl flexion collective qu’un droit à la mort ne saurait se justifi fier en tant qu’arsenal thérapeutique de l’accompagnement médical et soignant de la fin de vie.

La commission parlementaire ouvre enfin fi la réflflexion recueillie en une perspective d’amélioration des dispositifs existants, dans le but de mieux prendre en compte les intérêts et les droits des malades en fi fin de vie. Répondant presque point à point aux difficultés ffi constatées à l’issue de la mission d’évaluation de la loi, le rapporteur présente, en dernière partie du rapport d’information, des perspectives d’amélioration qui ouvrent sur les vingt propositions concrètes listées en fi fin de chapitre. Ces propositions concrètes sont réparties en quatre secteurs d’application : – mieux faire connaître la loi ; – renforcer les droits des malades dans la continuité des lois de 2002 et 2005 ;

Avancées du rapport Leonetti de 2008 – aider les médecins à mieux répondre aux enjeux éthiques du soin ; – adapter l’organisation du système de soins aux problèmes de la fi fin de vie. Ces propositions peuvent apparaître comme un ensemble d’objectifs à atteindre pour l’acculturation de la loi Leonetti et l’amélioration de l’accompagnement de la fin fi de vie. Il s’agit, pour mieux faire connaître la loi, de créer un observatoire des pratiques médicales de la fin fi de vie dont la mission serait double : d’information et d’évaluation. L’information du public médical, du monde judiciaire, comme du grand public leur permettrait de s’approprier les notions d’obstination déraisonnable, de procédures de limitations ou d’arrêt de traitement, de directives anticipées, de personne de confi fiance, développées par la loi de 2005 et encore insuffi ffisamment connues. La mission d’évaluation dévolue à l’observatoire consiste à suivre l’application de la loi en France, à en rapporter des éléments précis au Parlement. Pour renforcer les droits des malades dans la continuité des lois de 2002 et 2005, le rapporteur propose d’élargir à la personne de confiance, fi ou au patient lui-même, le droit au recours à la procédure collégiale, et de contraindre l’équipe médicale à motiver les éventuels refus de limitation ou d’arrêt de traitement opposés aux directives anticipées et à la personne de confiance. fi Dans le même but, le rapporteur recommande de faire appel à des médecins référents en soins palliatifs dans les cas litigieux les plus complexes pour faire offi ffice de tiers dans le but de résoudre des situations de conflit fl d’orientation des soins, particulièrement concernant ceux administrés à une personne hors d’état d’exprimer sa volonté. Sans leur conférer un rôle d’expert qui, du dehors, pourrait « autoriser » ou non telle orientation de prise en charge, le recours aux équipes mobiles et aux unités de soins palliatifs semble pouvoir accompagner la prise de recul et la responsabilité soignante dans ces situations diffiffi ciles. Elles satisfont à des critères de proximité, de compétence en matière de soins palliatifs, et peuvent permettre de trouver une issue en cas de persistance du litige. Un congé d’accompagnement en fin fi de vie, rémunéré, est évoqué (à titre expérimental) pour favoriser l’accompagnement de la personne en fin fi de vie par un proche, facilitant sans doute également le travail de deuil de l’accompagnant à l’issue de la mort. Ce congé permettrait de reconnaître ce temps essentiel. Pour aider les médecins à mieux répondre aux enjeux éthiques du soin, le rapporteur suggère de mieux former les médecins à l’éthique et aux soins palliatifs, en développant l’enseignement et la recherche dans ces disciplines.

Enfin, fi pour adapter l’organisation du système de soins aux problèmes de la fin de vie, le rapport Leonetti insiste sur la nécessité de poursuivre le développement des soins palliatifs dans tous les secteurs du soin, de rendre plus exigeants les indicateurs qualitatifs de soin, et d’aménager le financement de la tarifi fi fication à l’activité. Le rapport proposé par Jean Leonetti au nom de la mission parlementaire constituée à l’été 2008 apporte un matériau riche de réflexion fl qui vient soutenir la loi du 22 avril 2005. Conscient du travail qui reste à faire, il prend le parti de ne pas tout régler dans la loi, mais d’inciter à la formation des professionnels de santé, partant que « une liberté plus grande requiert et affirme ffi une responsabilité plus grande des professionnels ». Le travail du Conseil national de l’ordre des médecins, par la rédaction des articles du Code de déontologie et de ses commentaires (article 37 et article 38), est un relais et une confiance fi mise en la profession médicale. C’est une forme de collaboration avec la profession médicale permise par ce positionnement clair de la commission Leonetti.

Enjeux éthiques explicités au cours du travail de révision Nous aimerions concentrer notre réfl flexion, dans un troisième temps, sur certaines situations relevées comme des apories éthiques persistantes à l’issue de la réflexion fl partagée, et qui peuvent permettre de situer des enjeux éthiques pour la réanimation aujourd’hui. Si la loi, bien appliquée, doit permettre d’encadrer l’accompagnement médico-soignant pour répondre à la quasi-totalité des situations des patients en fin de vie et de leurs proches, certaines situations fi restent cependant diffi fficiles et ont justifi fié un travail plus approfondi des membres de la commission et des personnes invitées à partager leur réflexion fl sur le sujet. La réflexion fl synthétisée dans le rapport Leonetti est riche, mais ces situations restent des points de diffi fficultés, soulignés comme tels par le rapporteur. Il s’est agi des questions relevées en première partie du rapport d’information comme soulevant des interrogations persistantes : Comment les décisions de limitation ou d’arrêt de traitement sont-elles prises ? Comment sont-elles mises en œuvre ? Comment l’obstination déraisonnable est-elle évaluée ? Ces questions des limitations de traitement et de l’obstination déraisonnable, très intriquées en pratique clinique, nous semblent s’appliquer tout particulièrement en réanimation des situations neurologiques aiguës, tant adulte que néonatale.

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Enjeux éthiques en réanimation Elles sont aussi posées lors de la prise en charge de certains patients en état végétatif ou paucirelationnel. C’est sur ces points que la poursuite d’un travail de conceptualisation rigoureux permettra d’éclairer, nous semble-t-il, la pratique clinique. L’évaluation de l’obstination déraisonnable apparaît particulièrement délicate dans les services de réanimation adulte et néonatale, lorsqu’ils prennent en charge des patients ayant une lésion cérébrale aiguë. Ces services pratiquent par essence, à la phase aiguë, un « acharnement thérapeutique » au bénéfice du doute pour le patient, avec parfois une fi probabilité de succès faible. L’évaluation de l’obstination déraisonnable et la mise en œuvre des décisions de limitation ou d’arrêt de traitement a posteriori, après cette phase initiale, soulève des questions particulièrement complexes pour qui cherche à établir le meilleur soin pour son patient, en tenant compte de l’entourage de ce dernier. Ces questions se posent de façon d’autant plus diffi fficile qu’avec le temps, la survie du patient dépend de moins en moins de techniques lourdes de réanimation. La question de la temporalité intervient ici de façon majeure. Dans la situation telle qu’elle est considérée, si le pronostic est disponible alors que le patient : – est encore dépendant de traitements vitaux au sens classique du terme, on peut considérer que la médecine, en l’occurrence les techniques de réanimation, soutiennent sa survie. Si l’on sait, alors, de manière certaine, que l’évolution neurologique du patient se fera vers un état végétatif, il peut sembler légitime de considérer que l’arrêt de ces traitements vitaux, à ce stade, permettra d’éviter de créer pour le patient une situation de survie en état végétatif ; – n’est plus dépendant de traitements vitaux au sens classique du terme, le même raisonnement ne peut pas s’appliquer. Le patient dépend de son entourage pour l’administration des traitements, et pour l’administration de sa nutrition, et son hydratation qui peuvent devoir être « artifi ficielles », c’est-à-dire requérir l’usage d’une sonde de nutrition et de nutriments appropriés, ainsi que d’un abord de perfusion. La nutrition et l’hydratation sont aujourd’hui, dans certaines situations, considérées comme des traitements. Les questions de l’obstination déraisonnable et de la limitation ou l’arrêt des traitements se posent souvent dans un contexte de grande souffrance, ff tant en réanimation qu’à plus longue échéance, lorsque le patient est en état végétatif ou paucirelationnel. Les décisions sont alors prises au bénéfice fi du patient, en tenant compte de l’entourage. Les professionnels de santé soulignent alors leur sens

de la responsabilité qu’ils se reconnaissent, non de l’état pathologique initial, mais de la survie du patient dans un état végétatif ou paucirelationnel, et de ce qu’il advient de l’entourage. Souvent, ils se sentent très concernés par des situations de souffrance « collatérale » prolongée. Si cette grande conscience professionnelle nous paraît essentielle et nécessaire à cette pratique clinique hautement investie, nous entendons aussi, par la voix des professionnels de santé travaillant auprès des personnes cérébrolésées à une phase chronique qu’un accompagnement adéquat des patients et de l’entourage peut être mis en place sur le long terme. Le rapporteur précise certaines modalités de mise en œuvre des décisions de limitation ou d’arrêt de traitement, notamment la pratique de sédation. Il nous a paru intéressant de reprendre les éléments clés de la réflexion fl proposée, qui peuvent permettre d’éclairer certaines interrogations. Le rapporteur rappelle en effet ff la distinction fondamentale à faire entre sédation palliative et euthanasie en phase terminale dans leurs objectifs, leurs indications, les moyens qui sont mis en œuvre pour y parvenir. Il rappelle notamment « que la sédation doit être réservée aux situations de fin fi de vie, lorsque la mort est attendue dans les heures ou jours à venir, qu’elle ne doit pas être pratiquée à la demande du malade pour provoquer la mort, qu’il doit s’agir d’une décision médicale assumée collectivement dans un cadre pluridisciplinaire ». Pour les personnes en état végétatif, le rapporteur propose de ne réserver une pratique de traitement sédatif qu’aux seuls malades dont on ne peut évaluer la souffrance. ff La poursuite ou l’arrêt des traitements, et de la nutrition et l’hydratation dans ces situations particulières constituent des points d’achoppement sur lesquels il n’est pas de consensus. Le rapporteur fait le point de ces difficultés, ffi et des espoirs mis, pour les patients développant un état végétatif ou paucirelationnel à la suite d’une lésion cérébrale, dans le développement de stratégies devant permettre de préciser un pronostic au moment où le patient est encore dépendant de traitements pour sa survie. Cette proposition a été prise en compte dans la nouvelle rédaction de l’article 37 du Code de déontologie.

Conclusion S’il semble que l’accompagnement de la fi fin de vie en France et les droits des malades sont encadrés dans la loi par un ensemble de textes, dont la loi Leonetti, encore insuffisamment ffi connus

Avancées du rapport Leonetti de 2008 et appliqués, s’il semble que cette insuffisance ffi fait obstacle à un accompagnement adéquat aux besoins identifiés fi des patients, et que cette indigence de l’accompagnement fait le lit d’une revendication militante d’un droit à la mort ; il apparaît au terme de la réfl flexion structurée dans le rapport Leonetti, que la loi du 22 avril 2005, bien appliquée, permet d’encadrer la quasi-totalité des situations cliniques encore douloureuses aujourd’hui en France. Il apparaît également, au terme d’un travail d’analyse approfondi, qu’un droit à la mort ne se justifie fi

pas sous l’une ou l’autre forme que ce soit : euthanasie ou aide médicale au suicide, et n’apparaît pas comme une réponse adéquate à la souffrance ff des patients en fin de vie, même quand cette souff ffrance s’exprime sous la forme d’une demande insistante et répétée de mort. Il apparaît enfi fin que la législation française, dans le contexte européen, s’inscrit dans une ligne partagée avec d’autres pays qui travaillent à reconnaître des droits aux patients en fi fin de vie sans remettre en cause l’interdit de tuer qui s’applique au médecin comme à tout autre citoyen.

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Enjeux éthiques en réanimation

Annexe – Propositions : conclusions du rapport « solidaires devant la fin de vie » enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 28 novembre 2008

Mieux faire connaître la loi Étudier et améliorer l’application de la loi en créant un Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie Proposition n° 1 Créer par voie réglementaire un Observatoire des pratiques médicales de la fi fin de vie, chargé d’une double mission : faire connaître la législation sur les droits des malades et la fin de vie ainsi que la législation sur les soins palliatifs ; mener des études sur la réalité des situations médicales de la fi fin de vie.

Proposition n° 2 Charger l’Observatoire de fournir à la Haute Autorité de Santé des éléments d’information sur les pratiques médicales de la fi fin de vie, afi fin d’alimenter les indicateurs qualitatifs élaborés par la Haute Autorité de Santé.

Proposition n° 3 Demander à l’Observatoire de remettre chaque année un rapport au Parlement faisant état des problèmes liés à la fin de vie en France et comportant des études thématiques.

Favoriser les échanges entre juges et médecins Proposition n° 4 Instituer entre les parquets généraux, les espaces éthiques régionaux et interrégionaux et les CHU des conventions destinées à mettre en place des échanges entre praticiens, personnels de santé, juristes et magistrats sur les questions soulevées par la fi fin de vie.

Proposition n° 5 Adresser une circulaire de politique pénale à l’attention de l’ensemble des parquets rappelant les dispositions de la loi du 22 avril 2005 et la nécessité de choisir avec discernement les outils procéduraux et juridiques à leur disposition.

Renforcer les droits des malades dans la continuité des lois de 2002 et de 2005 Élargir le droit au recours à la procédure collégiale et motiver les éventuels refus opposés aux directives anticipées et à la personne de confiance Proposition n° 6 Élargir le recours à la procédure collégiale aux patients, par l’intermédiaire des directives anticipées, et à la personne de confiance. fi

Proposition n° 7 Motiver les éventuels refus médicaux opposés aux directives anticipées et à la personne de confiance. fi

Faire appel à des médecins référents en soins palliatifs dans les cas litigieux ou les plus complexes Proposition n° 8 Désigner, dans chaque région, un médecin référent d’unité ou d’équipe mobile de soins palliatifs, pour apporter sa compétence dans des situations complexes ou confl flictuelles entre une équipe soignante,

Annexe – Propositions : conclusions du rapport « solidaires devant la fin de vie » d’une part, et le patient et ses proches, d’autre part. Charger le service de la ligne Azur de communiquer les coordonnées du médecin référent. Celui-ci pourra être saisi par le patient, par ses proches ou par les soignants. – Mettre à l’étude l’institution d’un congé d’accompagnement à titre expérimental.

Proposition n° 9 Engager une étude portant sur l’institution à titre expérimental sur un territoire donné d’un congé d’accompagnement. Ce congé d’une durée de quinze jours serait attribué à un parent accompagnant à domicile un patient en fin fi de vie.

Aider les médecins à mieux répondre aux enjeux éthiques du soin Mieux former les médecins à l’éthique et aux soins palliatifs Proposition n° 10 Développer l’enseignement de l’éthique en le diffusant ff dans les études médicales, en développant la réflexion fl éthique pendant les stages et en imposant des questions d’éthique lors de l’examen classant national.

Proposition n° 11 Créer, pour enseigner et diffuser ff la culture palliative, des chaires de soins palliatifs, pour disposer, à moyen terme, d’une dizaine de chaires autonomes et à plus long terme, d’une chaire par faculté de médecine.

Préciser les modalités d’application des arrêts de traitement de survie Proposition n° 12 Préciser dans le code de déontologie médicale les modalités des traitements à visée sédative qui doivent accompagner les arrêts de traitement de survie lorsque la douleur du patient n’est pas évaluable.

Adapter l’organisation du système de soins aux problèmes de la fifin de vie Poursuivre le développement de l’offre de soins palliatifs Proposition n° 13 Créer des unités de soins palliatifs avec pour objectif une unité dans chaque région à compter du 1er janvier 2010 et une unité dans chaque département au 1er janvier 2013.

Proposition n° 14 Développer les lits identifiés fi de soins palliatifs (LISP) dans les secteurs de moyen et de long séjours, afi fin que le taux de couverture des LISP soit le même dans les différents ff secteurs.

Proposition n° 15 Publier le décret d’application de l’article L.162-1-10 du Code de la santé publique relatif à la rémunération des soins palliatifs à domicile.

Proposition n° 16 Développer les structures d’hospitalisation de répit, afin fi de soulager les proches qui prennent en charge un malade en fin de vie à domicile.

Rendre plus exigeants les indicateurs qualitatifs de soins Proposition n° 17 Développer des indicateurs prenant en compte la qualité des soins dispensés dans les établissements de santé et évaluant les pratiques médicales au regard de la proscription de l’obstination déraisonnable sur la base par exemple des éléments suivants : codage et justification fi des actes médicaux ; durée de séjour en unité de soins palliatifs ; prise en compte des situations de précarité et de comorbidité.

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Enjeux éthiques en réanimation

Proposition n° 18 Aff ffecter une partie signifi ficative des tarifs versés au titre des lits identifi fiés de soins palliatifs, au développement des soins palliatifs.

Aménager le financement de la tarification à l’activité Proposition n° 19 Mieux prendre en compte la durée des séjours dans le fi financement par la tarifi fication à l’activité (T2A).

Proposition n° 20 Généraliser en 2011 la tarifi fication à l’activité, sous la forme recommandée par la mission, aux secteurs de long et moyen séjours.

Chapitre

Modification de 2009 de l’article 37 du Code de déontologie médicale

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B. Devalois

Introduction

D

ans son rapport de novembre 2008, la mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fi fin de vie (1) préconisait différentes ff modifi fications du Code de déontologie, et particulièrement de son article 37. Les propositions 6 et 7 suggéraient d’une part « d’élargir le recours à la procédure collégiale aux patients, par l’intermédiaire des directives anticipées, et à la personne de confiance fi » (proposition 6) et d’autre part de « motiver les éventuels refus médicaux opposés aux directives anticipées et à la personne de confiance fi » (proposition 7). La proposition n° 12 demandait de « préciser les modalités des traitements à visée sédative qui doivent accompagner les arrêts de traitement de survie lorsque la douleur du patient n’est pas évaluable ». Une nouvelle rédaction de l’article 37 a donc été proposée par le Conseil national de l’ordre des médecins afi fin qu’après avis conforme du Conseil d’État, le Code de déontologie médicale (CDM) puisse être modifié fi en ce sens (2).

L’entourage peut déclencher la procédure de questionnement sur le caractère déraisonnable ou non des traitements et doit être informé de la motivation de la décision collégiale La nouvelle rédaction modifi fie le deuxième paragraphe de l’article 37 en application des propositions 6 et 7 du rapport parlementaire. Ces modifications fi apparaissent ci-dessous en italique gras. « Dans les cas prévus aux articles L.1111-4 et L.111113, lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut décider de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés sans qu’ait été préalablement mise en œuvre une procédure collégiale dans les conditions précisées ci-après. Cette procédure peut également être initiée au vu des directives L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

anticipées du patient, présentées par tout détenteur de celles-ci, ou à la demande de la personne de confi fiance, de la famille ou à défaut des proches. Dans tous les cas, ces personnes sont informées, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile. La décision prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confiance fi qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches. Lorsque la décision concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre, selon les cas, l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation. La décision est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. Les personnes mentionnées au troisième alinéa du II sont informées des motifs de la décision. » Cette nouvelle rédaction ouvre donc la possibilité à d’autres que le médecin en charge du patient de déclencher le processus d’examen du caractère déraisonnable ou non des traitements entrepris. Dans la rédaction précédente, seul le médecin pouvait (et devait) mettre en œuvre le dispositif s’il souhaitait décider de limiter ou d’arrêter un traitement potentiellement déraisonnable. Mais la non-mise en œuvre de la procédure collégiale, du fait du refus du médecin, revenait de fait pour

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Enjeux éthiques en réanimation celui-ci à prendre seul la décision de poursuivre les traitements. Désormais, l’ouverture de ce dispositif est de droit si le patient l’a souhaité dans ses directives anticipées, ou si la personne de confi fiance qu’il a désignée, un membre de la famille ou même un proche, le réclament. Cette possibilité nouvelle ne préjuge évidemment en rien la décision qui sera prise à l’issue du processus, mais permet d’ouvrir une discussion claire sur le caractère déraisonnable ou non des traitements. Cette nouvelle rédaction devrait générer un nombre plus important de mise en œuvre du processus collégial de décision. Elle devrait aussi désamorcer un certain nombre de confl flits avec un entourage craignant de ne pas être associé aux décisions de limitation ou d’arrêts de traitements de maintien artifi ficiel en vie. Cette procédure dite « collégiale » consiste donc, après la prise en compte d’éventuelles directives anticipées, et des avis de la personne de confiance fi si elle existe, de la famille ou à défaut des proches, et après la tenue d’une réunion de concertation avec l’ensemble de l’équipe soignante concernée, à réunir un collège d’au moins deux médecins (le médecin en charge du patient et un autre médecin) afin fi de déterminer le caractère déraisonnable ou non des traitements en cours. Un point important de la nouvelle rédaction est l’information qui doit être donnée à l’entourage (la personne de confiance, fi la famille ou à défaut un proche). La notion de motivation de la décision, déjà présente dans la précédente rédaction, est renforcée puisque non seulement la décision, mais ses motifs doivent être désormais explicités à l’entourage.

patients à ne pas subir d’obstination déraisonnable1. Il s’agit des situations potentielles de maintien artificiel en vie (paragraphe 4 de l’article L.1111-4)2 ou des phases avancées ou terminales d’une affection ff grave et incurable (article L.1111-13)3 alors que le patient est incapable de choisir pour lui-même. Il s’applique spécifi fiquement aux situations où une décision de limitation ou d’arrêt de traitements de maintien artifi ficiel en vie est prise et pour lesquelles, du fait d’altérations cérébrales majeures, l’évaluation de la souffrance ff du patient ne peut être effectuée. ff Sont ainsi concernés par exemple l’extubation, la décanulation, ou l’arrêt d’une nutritionhydratation artificielles. fi Il invite le médecin à recourir aux traitements antalgiques et sédatifs appropriés (et à tous autres permettant un accompagnement de fi fin de vie de qualité). Il se réfère aux préconisations très claires de l’article suivant du CDM (article 38 : Soins aux mourants – euthanasie). « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. » Il confirme fi l’obligation faite aux médecins, d’accompagner et de soutenir les proches qui sont dans l’attente d’une mort annoncée, en lien avec une limitation ou un arrêt de traitement. Ce soutien est une part essentielle de la prise en charge de ces situations, souvent vécues comme tragiques.

Une approche novatrice, mais complexe Les leçons de l’affaire ff Pierra

Un dispositif spécifique fi permettant de s’assurer d’une prise en charge adaptée de la souffrance ff et de la douleur éventuelles dans tous les cas de figure, même lorsqu’une évaluation n’est pas possible La nouvelle rédaction introduit également un troisième paragraphe qui porte spécifiquement fi sur la situation particulière des cérébrolésés. Lorsqu’une limitation ou un arrêt de traitement a été décidé en application de l’article L.1110-5, dans les conditions prévues au I et au II du présent article, et lorsque la souff ffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, le médecin a recours aux traitements appropriés notamment antalgiques et sédatifs permettant d’accompagner la personne selon les principes et dans les conditions énoncées à l’article R.4127-38 ci-après. Il veille également à ce que l’entourage du patient reçoive le soutien nécessaire. Cet article porte donc sur les situations dans lesquelles la loi de 2005 a introduit le droit pour les

Pour bien comprendre l’enjeu de la rédaction de ce 3e alinéa, il faut rappeler que la proposition du 1. « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit r de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéfi ficier des thérapeutiques dont l’effi fficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice fi escompté. Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet ff que le seul maintien artifi ficiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. » 2. « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie fi par le Code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance fi ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. » 3. « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une aff ffection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle fi de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie fi par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance, fi la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. »

Modification de 2009 de l’article 37 du Code de déontologie médicale rapport parlementaire est directement inspirée par le témoignage des époux Pierra devant la commission d’évaluation. Parents d’un jeune homme gravement cérébrolésé suite à une anoxie cérébrale consécutive à une pendaison, ils avaient décrit les diffi fficultés rencontrées durant les années de coma végétatif de leur fils fi et les conditions, qu’ils jugeaient inacceptables, dans lesquelles s’était déroulé l’arrêt du maintien artifi ficiel en vie par une nutrition entérale. Paraissant, d’après le récit qu’ils en ont fait, insuffisamment accompagnés durant les six jours suivants l’arrêt de la nutrition/hydratation artificielle fi et avant la survenue du décès, ils ont ressenti durant cette période une prise en charge non satisfaisante des symptômes que présentait leur fils. fi Ils ont notamment eu (à tort ou à raison) le sentiment que la douleur de leur fils fi n’était pas suffi ffisamment soulagée durant cette période. Soulignons que ce sentiment résulte probablement avant tout du confl flit avec une équipe opposée à l’arrêt des traitements de maintien artificiel fi en vie. Ils se sont interrogés sur les assurances qui leur avaient été données sur l’impossibilité pour un patient dans la situation de leur fils de ressentir une douleur, alors qu’il présentait par ailleurs des manifestations impressionnantes (myoclonies, opistotonos, etc.).

La question très spécifique des cérébrolésés Il s’agit de patients dont le cerveau a subi des dommages graves (traumatisme crânien, lésions hémorragiques ou conséquences d’une anoxie cérébrale). Le caractère irréversible ou non de ces lésions ne peut pas être affirmé ffi avec certitude lors des premiers jours de la réanimation. Celle-ci a donc pour objectif d’assurer la survie du patient en attendant de pouvoir évaluer le pronostic cérébral. Grâce à la mise en œuvre de ces techniques lourdes de substitution des fonctions vitales initialement défaillantes, il est possible de sauver environ 70 à 80 % de ces patients avec peu ou pas de séquelles (3). Sans cette réanimation initiale, ces malades ne survivraient pas. Le recours systématique à un coma thérapeutique, par des produits sédatifs et antalgiques, vise à obtenir une mise au repos du cerveau. Mais cette mise au repos rend d’autant plus impossible l’évaluation initiale des lésions cérébrales. Il n’existe pas de critères initiaux fiables fi permettant de prédire un retour à des conditions normales de vie. Ce n’est que beaucoup plus tard que l’on peut évaluer correctement la situation neurologique et l’état des fonctions relationnelles du patient. L’état végétatif se définit fi par l’absence de toute relation avec l’environnement et un retour aux cycles veille-sommeil. L’état paucirelationnel, (« minimally conscious state » pour les anglophones) est plus

fréquent. Il fait souvent suite à l’état végétatif. Il se caractérise par des réponses fl fluctuantes aux ordres simples, la localisation de la douleur, la poursuite visuelle, l’expression de pleurs et de sourires. Il y a une dépendance totale vis-à-vis de l’entourage et la nutrition est nécessairement artifi ficielle. Jusqu’il y a peu, un consensus existait pour ne porter un tel diagnostic qu’au bout de plusieurs mois d’évolution, imposant donc le maintien artificiel fi en vie durant cette longue période, dans l’espoir d’une amélioration significative. fi Des techniques sont en cours de développement pour tenter de prédire précocement un risque majeur de non-retour à une conscience normale (4). Elles pourraient permettre de limiter ce délai afin fi de réduire la souff ffrance de l’entourage durant cette période d’incertitude tragique. Ces patients cérébrolésés posent des problèmes complexes de décisions de limitation ou d’arrêt des traitements de maintien artifi ficiel en vie. Ils répondent très exactement aux problématiques visées par le paragraphe 4 de l’article L.1111-4 (voir plus haut). La question qui doit être posée, mais dont la réponse dépend de chaque situation particulière est bien : « Sommes-nous ou non dans une situation d’obstination déraisonnable ? ». Autrement dit « Faut-il poursuivre ou stopper les moyens permettant un maintien artifi ficiel en vie ? ». Pour répondre à ce questionnement complexe, la loi d’avril 2005 fixe un cadre réfl flexif et décisionnel clair. Le troisième aliéna de l’article 37 du CDM permet, lui, de préciser davantage encore les obligations qui incombent à l’équipe soignante si la situation est jugée correspondre à une obstination déraisonnable.

Un pari pascalien et un compromis entre le souhaitable et le possible Dans ces situations rares mais particulièrement complexes à gérer des limitations ou arrêts de traitements chez un patient cérébrolésé, il s’agit bien d’envisager l’arrêt de la ventilation artificielle fi ou de la nutrition/hydratation artificielle fi par exemple. L’absence de cadre législatif suffisamment ffi clair à propos de l’utilisation de sédatifs durant la phase d’arrêt des traitements de maintien artifi ficiels en vie a conduit à des situations discutables, tant pour le patient que pour son entourage, dont l’exemple de la famille Pierra est apparu emblématique. En eff ffet, le principe fondamental de l’utilisation des traitements à visée sédative en fin de vie est la recherche du niveau minimum nécessaire au soulagement du patient, imposant ainsi une adaptation fine en fonction de la situation. Or, dans le cas de fi ces patients cérébrolésés, il est très diffi fficile (voire impossible) d’apprécier le niveau d’inconfort. Il n’est pas possible d’affirmer ffi avec une certitude

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Enjeux éthiques en réanimation absolue (qui dépend probablement de chaque personne en fonction de son bilan lésionnel réel) qu’étant donné la destruction des tissus cérébraux, il n’existe plus de perception de la douleur, ni des autres symptômes. Il s’agit donc ici de mettre en œuvre une sorte de pari pascalien : – s’il persiste une forme de perception de la douleur ou des autres symptômes liés à l’approche de la fin de vie et qu’une antalgie et une sédation systématiques sont pratiquées, cela évite l’inconfort y afférant. ff En revanche, si on ne la pratique pas, cet inconfort peut, peut-être, survenir ; – s’il n’existe pas de forme de perception de la douleur ou des autres symptômes, que l’on pratique ou non une antalgie ou une sédation systématique, cela ne change rien, étant bien posé qu’en aucun cas les doses utilisées pour assurer l’antalgie ou la sédation ne sont des moyens déguisés d’accélérer la survenue du décès. Dans le doute entre les deux hypothèses, il apparaît donc très souhaitable – il y a tout à gagner et rien à perdre pour reprendre la métaphore pascalienne (5) – de pratiquer une antalgie et une sédation systématique chez le patient cérébrolésé, lors de la mise en œuvre d’une procédure de limitation ou d’arrêt de traitement de maintien artifi ficiel en vie.

La contrepartie de l’engagement maximal au bénéfice du doute Toute la réanimation actuelle est basée sur le principe d’un engagement maximal des moyens disponibles, en situation aiguë, au bénéfice fi du doute sur la possible survie de qualité pour le patient. Il est donc logique que la contrepartie de cette approche soit, lorsque le bénéfice fi du doute se transforme en un « maléfice fi » de l’action médicale pour le patient (la survenue d’une situation de maintien artificiel fi en vie), d’assurer la meilleure qualité possible de fin de vie s’il est décidé de « laisser mourir ». C’est le prix à payer pour la mise en œuvre de ses techniques qui permettent aussi bien de sauver des patients que de maintenir en vie dans des conditions particulièrement diffi fficiles, des patients qui seraient décédés sinon. Lors d’une désescalade thérapeutique, le patient cérébrolésé doit pouvoir bénéfi ficier, au nom du principe éthique d’équité, des mêmes droits au soulagement et à une fi fin de vie digne, que tout autre patient (voir article L.1110-10 du CSP). Ses proches doivent pouvoir obtenir l’assurance de ce soulagement et de la sauvegarde de sa dignité.

La souff ffrance n’est pas la douleur Une lecture attentive des alinéas 4 et 5 de l’article L.1110-5 du Code de santé publique démontre

bien la différence ff pour le législateur entre le terme douleur et le terme souffrance. ff $4. Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. $5. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance ff d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection ff grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour eff ffet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, la personne de confiance, fi la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. Il existe donc bien une différence ff entre la douleur (question traitée à l’alinéa 4), et la souffrance ff (traitée à l’alinéa 5). Déjà, l’article 1-3 de la loi de 1999 sur les soins palliatifs faisait bien la différence, ff puisqu’en définissant fi le champ d’action des soins palliatifs (actuel article L 1110-10 du Code de santé publique), il précisait qu’ils visent notamment « à soulager la douleur » et « à apaiser la souffrance ff psychique » qui ne sont donc à l’évidence pas équivalentes. Cette diff fférence existe pour le clinicien qui fait la différence ff entre avoir mal et être mal. Elle existe aussi pour le philosophe comme l’a magnififi quement rappelé Paul Ricoeur dans son texte « La souffrance ff n’est pas la douleur » (6). La nouvelle rédaction de l’article 37 incite donc fortement le médecin, lorsqu’il ne peut évaluer avec certitude le niveau de douleur et de souffrance, ff à recourir aux traitements appropriés notamment antalgiques et sédatifs. Les traitements antalgiques reposent évidemment sur la morphine et ses dérivées, tandis que les traitements sédatifs reposent eux sur une benzodiazépine hydrosoluble d’action rapide et courte comme le midazolam. Les doses utilisées doivent permettre d’obtenir avec un bon niveau de certitude le contrôle de la douleur et de la souffrance ff éventuelles. L’impératif de recourir à des traitements antalgiques et sédatifs n’est ni un droit à la sédation, ni un droit à la mort. Cette disposition doit faire l’objet d’une grande attention. Il ne s’agit évidemment pas, bien au contraire, d’instaurer un « droit à la mort », comme certains le souhaitaient. Il ne s’agit pas non plus d’un devoir de « faire mourir dans des délais réglementaires » après une décision de limitation ou d’arrêt de traitements (7). Si, dans le cas d’un arrêt d’un procédé d’assistance respiratoire, chez un patient ne respirant pas suffi ffisamment pour se maintenir en vie, la survenue de la mort est en général rapide, il en est différemment ff dans le cas d’un arrêt d’une nutrition/hydratation artificielle fi chez un patient incapable de boire et de manger

Modification de 2009 de l’article 37 du Code de déontologie médicale suffi ffisamment pour se maintenir en vie. La période comprise entre l’arrêt et la survenue de la mort peut alors atteindre jusqu’à une dizaine de jours. Il est essentiel durant cette période d’assurer un haut niveau de prise en charge du patient lui-même (douleur, souffrance, ff et tous les autres symptômes possibles d’inconfort) mais aussi (et surtout ?) de ses proches confrontés à une agonie qu’ils jugent d’autant plus insupportable qu’ils ne sont pas suffi ffisamment accompagnés, et/ou que le patient présente des symptômes pouvant être interprétés comme inconfortables. Ils peuvent alors en venir à revendiquer une accélération de la survenue de la mort par une injection létale (8). Cette prise en charge peut être améliorée par le recours à des structures spécialisées en soins palliatifs, comme les USP par exemple (9). Mais il ne s’agit pas non plus d’instaurer une sorte de « droit à la sédation » créant pour les professionnels de santé un « devoir de sédation ». Ce ne sont pas les proches qui peuvent exiger une sédation « dans le doute ». C’est bien au médecin en charge du patient et confronté à une situation singulière qu’il appartient d’analyser, de décider du recours aux traitements à visée sédative et antalgique nécessaires pour assurer à son patient une qualité de fin de vie semblable à celle que la loi exige par ailleurs pour ceux qui sont en capacité d’exprimer (ou pour qui il est possible d’évaluer) douleurs et souff ffrances. C’est la responsabilité du médecin qui est ainsi engagée, tant vis-à-vis du patient et de ses proches, que vis-à-vis de l’autorité ordinale ou judiciaire.

Un dispositif propre à la France qui méritera d’être évalué La France est ainsi le premier pays à s’être doté d’un tel dispositif, permettant d’aller au bout de la logique d’un droit à laisser mourir dans la dignité, sans franchir le rubicon d’un droit à la mort (autorisant alors soit un droit au suicide, soit un droit à une injection létale décidée par les médecins). Ce dispositif audacieux n’est pas exempt de risques potentiels. Ainsi, il serait dangereux d’avoir recours à des traitements sédatifs systématiques, sans consacrer le temps et l’attention nécessaires à un accompagnement de qualité et sans une approche réellement pluridisciplinaire. Mais il serait aussi dangereux de laisser dans le doute d’éventuelles douleurs ou d’éventuelles souff ffrances un patient cérébrolésé ou ses proches lors de la limitation ou l’arrêt d’un traitement de maintien artifi ficiel en vie. La rédaction vise à renforcer la nécessité posée par la loi de soulager les patients en respectant les bonnes pratiques consistant à assurer à chaque patient un soulagement adapté et personnalisé

de sa douleur et de sa souff ffrance (10, 11). Elle ne saurait servir à en justifi fier de mauvaises comme pratiquer des sédations profondes systématiques pour un patient ne répondant pas à la définition fi d’un cérébrolésé comme une alternative à une euthanasie active (12). Une bonne pédagogie explicative est donc nécessaire pour tous les professionnels de santé potentiellement confrontés à ces situations. Il sera également souhaitable d’en faire une évaluation dans quelques années afin fi de vérifi fier que les objectifs fi fixés ont bien été respectés.

Conclusion Cette nouvelle rédaction de l’article 37, impose d’impliquer davantage l’entourage dans le déclenchement de la procédure collégiale et de mieux l’informer des décisions prises à l’issue de celle-ci. De plus, le recours à des traitements sédatifs et antalgiques doit permettre d’assurer aux cérébrolésés comme à tous les autres patients un soulagement adapté à leur état, mais en aucun cas de déguiser des pratiques illégales visant à provoquer la mort ou à en raccourcir la survenue.

Références 1. Leonetti J (2008) Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, n° 1287, novembre 2. Journal Offi fficiel de la République Française (2010) Décret n° 2010-107 du 29 janvier 2010 relatif aux conditions de mise en œuvre des décisions de limitation ou d’arrêt de traitement, JORF n° 0025 (30 janvier) : 1869 3. Puybasset (2008) Droits des malades en fi fin de vie et neuroéthique. Espace Éthique de l’APHP, octobre, 3/4 4. Puybasset L (2010) Le cérébrolésé à la phase aiguë. In : Puybasset L. (ed) Enjeux éthiques en réanimation, Springer-Verlag, Paris 5. Pascal B (1669) Pensées, Section III, 184-241 6. Ricœur P (1994) La souffrance ff n’est pas la douleur. Autrement, 142 : 58-69 7. Hirsch E, Puybasset L, Devalois B (2009) Faire mourir dans des délais réglementaires ? Espace Éthique de l’APHP, mars, 1/6 8. Prieur C (2009) La fin fi de vie d’un père de famille repose la question des limites de la loi Leonetti, Le Monde, 14 mars 9. Devalois B et al. (2009) Les USP ont-elles un rôle à jouer dans les arrêts et limitations de traitement pour les personnes maintenues artificiellement fi en vie. XV Ve Congrès de la SFAP, Paris, 18-20 juin 10. SFAP (2009) La sédation pour détresse en phase terminale et dans des situations spécifi fiques et complexes. 11. SRLF (2009) Limitation et arrêt des traitements en réanimation adulte. Actualisation des Recommandations de la SRLF 12. Seale C (2010) Continuous Deep Sedation in Medical Practice: A Descriptive Study. Journal of Pain and Symptoms Management 1: 44-53

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II Le patient et ses proches

en réanimation

Chapitre

Directives anticipées

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R. Mislawski

Introduction

D

ans l’exposé des motifs de la proposition de loi relative « aux droits des malades et à la fin de vie », les députés soulignent que « nos fi contemporains associent l’exercice de leur liberté à la maîtrise de leur propre mortt » (1), ce qui revient à dire que leur fi fin de vie doit être soumise au principe d’autonomie de la personne, déjà consacré par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 dans le domaine du soin. L’extension du respect de l’autonomie aux situations de fin fi de vie s’est concrétisée pour le législateur par la condamnation de l’obstination thérapeutique déraisonnable et l’édiction de droits spécifiques, notamment pour le moment où la personne fi n’est plus apte à prendre les décisions la concernant. Vouloir associer inaptitude et autonomie pourrait passer pour contradictoire dans les faits, mais pas pour le droit qui dispose de moyens permettant de faire survivre la volonté de la personne au-delà de son propre anéantissement. Si le droit civil recourt au testament à cette fin, le droit de la santé possède des instruments qui lui sont propres, adaptés aux situations qu’il régit. La loi du 4 mars 2002 a innové en confi fiant la tâche de faire perdurer la volonté du patient hors d’état de l’exprimer à différents ff personnes qui en sont autant de témoins et qui doivent de ce fait être consultées avant toute décision de traitement ou d’investigation, ainsi qu’en créant le statut de personne de confiance. fi Ces innovations ont été reprises par la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 (2) qui ne s’est pas toutefois limitée à ces emprunts. Le respect de l’autonomie de la personne y a été accru en accordant à cette dernière les moyens de faire entendre sa propre parole grâce à un nouvel instrument, les directives anticipées, dont les éléments principaux ont été précisés par les décrets n° 2006-119 et n° 2006-120 du 6 février 2006 (3). Innovation pour notre droit, mais non création puisqu’il existait déjà dans bien des législations étrangères un moyen équivalent, le testament de vie (4) dont l’usage s’était répandu en pratique chez nous L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

malgré le vide juridique. Toutefois, transcrire dans le droit interne ce qui se faisait ailleurs obligeait à choisir entre au moins deux modèles très diff fférents selon le degré de liberté accordé au professionnel dans la décision de fin fi de vie par rapport à la volonté exprimée dans les directives (5). Le législateur, sans le dire ouvertement, n’a pas fait le choix du modèle le plus autonomiste comme on peut le voir en étudiant la défi finition, les conditions de rédaction, de conservation et d’usage des directives anticipées. La portée limitée des directives, conséquence de cette option législative, pose la question de leur utilité pratique dans la décision de fin fi de vie.

Défifinition des directives anticipées La loi dispose que toute personne majeure a la possibilité de « rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin fi de vie concernant les conditions de la limitation ou de l’arrêt de traitement » (6). Ce premier article défi finissant l’objet des directives anticipées révèle d’emblée le choix relativiste de la loi. Les directives expriment les souhaits de la personne pour sa fin de vie, non sa volonté. Souhaiter c’est seulement espérer que quelque chose advienne, c’est faire un vœu qui se réalisera ou non. Le souhait est marqué du sceau du possible. Son résultat échappe à la volonté de son auteur ; il est soumis au hasard des faits ou de l’action des tiers, et rien ne garantit qu’il soit exaucé. Un vœu n’a pas la fermeté nécessaire à signifier fi un consentement qui suppose une rencontre de volontés qui est à la base de la codécision médicale. En conséquence de quoi, les directives anticipées ne sont pas des actes juridiques, mais de simples éléments de fait (7). En effet, ff un acte est juridique dans la mesure où il est accompli par une personne pour produire des eff ffets que sa volonté

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Enjeux éthiques en réanimation a déterminés dans les limites du cadre donné par le droit objectif. La loi d’avril 2005 refuse de faire produire de tels effets ff aux directives anticipées qui sont réduites à n’être qu’un élément de preuve faisant présumer de la volonté de la personne, au même titre que le témoignage des proches. La factualité des directives anticipées explique qu’elles puissent être rédigées par tout majeur, y compris par un incapable, ce qui serait impossible s’il s’agissait d’un acte juridique pour lequel la capacité est une condition de sa validité (8). À la capacité du droit civil, qui obéit à la loi du tout ou rien, le droit de la santé substitue la compétence (9), concept plus nuancé, plus ouvert sur une appréciation concrète de l’autonomie de la personne au-delà de son statut juridique lequel recouvre en fait des situations dissemblables. On devrait se féliciter de cette promotion de la compétence de la personne en incapacité si le législateur en faisait un principe directeur ce qui n’est pas le cas dans la mesure où il refuse sa prise en compte dans le cas mineur mais aussi dans celui du majeur lors de la désignation de la personne de confiance. fi Si l’autonomie se mesure à la compétence de la personne, on ne voit pas pourquoi les directives anticipées ne seraient pas ouvertes aux mineurs alors que dans le domaine du soin la loi leur accorde une forme de prémajorité (10) et qu’ils peuvent dès l’âge de 16 ans rédiger un testament jusqu’à hauteur de la moitié de leurs biens selon l’article 904 du Code civil. Le mineur, sans raison apparente, est réduit à son statut juridique sans même l’atténuer par la considération de son discernement. Une telle discrimination à son égard est d’autant plus paradoxale que le droit de l’enfant à être entendu dans toute procédure qui le concerne lui est reconnu par la Convention de New York ainsi que par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (11). Les directives devraient pourtant être considérées comme un moyen légitime pour l’enfant de faire entendre sa voix dans la procédure de fi fin de vie. Si la compétence du majeur en incapacité est admise, elle devrait avoir une application uniforme pour toutes les situations de même nature. Or, la désignation de la personne de confiance, fi qui a le même objet que les directives anticipées, n’est pas systématiquement valide comme ces dernières. Si elle a été faite avant la mise sous tutelle, elle est soumise à l’appréciation du juge qui peut la confirmer fi ou la déclarer caduque ; si elle était faite après la décision de protection juridique, elle serait sans valeur.

Rédaction des directives Selon l’article R.1111-17 du CSP, les directives anticipées sont « un document écrit, signé et daté

par leur auteur dûment identifi fié par l’indication de ses nom et prénom ainsi que par sa date et son lieu de naissance ». Toutefois, lorsque l’auteur des directives, bien qu’en état d’exprimer sa volonté, est dans l’incapacité d’écrire et de signer lui-même le document du fait d’un handicap physique, il peut les faire rédiger par un tiers et demander à deux témoins, dont la personne de confi fiance lorsqu’elle est désignée, d’attester que ce document, bien que n’étant pas de sa main, est bien l’expression de sa volonté libre et éclairée. Les témoins qui ont été sollicités doivent s’identifi fier en indiquant leur nom et qualité et cette attestation est jointe aux directives anticipées. Afin fi de lever tout doute pour le jour où le document sera utilisé, un médecin peut, à la demande du patient, faire figurer en annexe, au moment de l’insertion des directives dans le dossier de ce dernier, une autre attestation, constatant qu’il est bien en état d’exprimer librement sa volonté et que toutes les informations appropriées aux circonstances lui ont été délivrées. Les directives sont donc un écrit sous seing privé dont le formalisme rédactionnel est assez réduit et s’apparente pour beaucoup à celui en vigueur en matière de testament sans en avoir la portée. Le terme d’écrit doit être pris au sens du nouvel article 1316 du Code civil issu de la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 sur la preuve électronique : les directives peuvent être de la main même de leur auteur (directives olographes), mais elles peuvent aussi être rédigées au moyen d’un ordinateur sous réserve de la possibilité d’identifier fi la personne par sa signature ou par apposition de celles des témoins en cas de handicap. Une photocopie de ce document n’a pas a priori valeur de directives anticipées. Curieusement, alors que la personne dépourvue de handicap physique est laissée seule pour rédiger ses directives, il n’en est plus de même lorsqu’il est présent. La notion de volonté libre et éclairée refait surface ce qui suppose que la personne a bénéficié fi d’un minimum d’information avant de dicter ses volontés. Si ces éléments sont précisés dans la loi, ils devraient être pris en compte comme éléments de validité des directives. On se retrouverait alors dans le droit commun des actes juridiques dont il semblait que la loi s’était écartée, ce qui oblige à considérer que la loi emprunte des notions au droit civil sans leur donner la valeur qu’elles y ont, ce qui est diffi fficile à justifi fier (12). On peut s’étonner d’une telle diff fférence de traitement entre deux catégories de patients. On peut aussi regretter qu’en dehors du handicap l’élaboration des directives se fasse sans secours ni conseil alors que leur rédaction n’est pas aisée si l’on veut qu’elles puissent être une aide utile à la prise de décision médicale, ce qui suppose qu’elles aient été rédigées de façon suffisamment ffi précise (13).

Directives anticipées La volonté du patient peut évoluer avec le temps, aussi les directives ne sont pas immuables. Selon l’article R.1111-18, « les directives anticipées, à tout moment, peuvent être soit modifiées, fi partiellement ou totalement, dans les conditions prévues à l’article R.1111-17, soit révoquées, sans formalité ». Aussi leur validité est-elle limitée à trois ans, mais elle est renouvelable par simple confirmation fi qui se fait par l’apposition de la signature de leur auteur et de la date sur le document initial, ou en cas d’impossibilité d’écrire selon la procédure de l’article R.1111-17. Toute modifi fication intervenue dans le respect des conditions de forme vaut confirmation fi et fait courir une nouvelle période de trois ans. Dès lors qu’elles ont été établies dans le délai de trois ans précédant soit l’état d’inconscience soit le jour où la personne s’est avérée hors d’état d’en effecff tuer le renouvellement, les directives demeurent valides quel que soit le moment où elles sont ultérieurement prises en compte. Autrement dit, la perte d’autonomie de la personne donne une validité perpétuelle aux directives si elle survient dans un délai inférieur ou égal à trois ans après la dernière modification fi du document ou après sa rédaction. Une telle règle contredit le souhait logique de ne donner valeur qu’à une volonté exprimée à un moment qui n’est pas trop éloigné des événements menant à la situation de fi fin de vie. De plus, la détermination des dates de la rédaction comme celle du moment où la personne va être hors d’état d’exprimer sa volonté, quoique cruciale pour affi ffirmer qu’une directive est valable ou non, peut être problématique. En ce qui concerne la date de création du document ou de son renouvellement, il faut rappeler qu’un écrit sous seing privé n’a de date certaine que s’il est enregistré ou que son contenu est constaté dans un acte dressé par un offi fficier public, selon l’article 1328 du Code civil, conditions qui ne sont pas prévues par la loi. Il pourrait donc y avoir contestation sur le point de départ du délai à partir duquel la caducité du document va être appréciée sans compter la possibilité d’altération du document liée à sa conservation. La date à laquelle la personne va être considérée comme étant hors d’état de manifester sa volonté n’est pas plus assurée dans certaines maladies où la perte des fonctions supérieures est progressive ; tel est souvent le cas de la maladie d’Alzheimer. La question ne pourra peut-être pas être tranchée sans le recours à une expertise.

Conservation des directives Selon l’article R.1111-19, « les directives doivent être conservées selon des modalités les rendant aisément

accessibles pour le médecin appelé à prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement ». Plusieurs modes de conservation sont envisagés. Les directives peuvent être insérées dans le dosser constitué par le médecin de ville ou, en cas d’hospitalisation, dans le dossier médical que doit établir tout établissement de santé qu’il soit public ou privé (14). Elles peuvent aussi être gardées par leur auteur ou confi fiées par celui-ci à la personne de confi fiance s’il en a désignée une, à défaut à un membre de sa famille ou à un de ses proches. Dans tous les cas, leur existence et les coordonnées de la personne détentrice doivent être mentionnées dans le dossier du médecin de ville ou de l’établissement hospitalier ou médico-social. Le médecin ne doit pas rester passif et attendre qu’on lui fasse part de l’existence des directives. L’article R.1111-20 précise que, « lorsqu’il envisage de prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement […] et à moins que les directives anticipées ne figurent déjà dans le dossier en sa possession, le médecin doit s’enquérir de l’existence éventuelle de celles-ci, auprès de la personne de confi fiance si elle est désignée, de la famille ou à défaut des proches, ou le cas échéant auprès du médecin traitant de la personne malade ou du médecin qui la lui a adressée ». La diversité des modes de conservation des directives ne simplifie fi pas leur accessibilité, et ce n’est pas l’obligation de recherche imposée au médecin qui va tout régler tout en étant, en cas de défaillance de sa part, une source possible de responsabilité civile (15). On peut comprendre le souci du législateur de ne rien imposer au patient afin fi de lui laisser sa liberté de choix, mais il aurait été plus simple et plus effi fficace probablement de prévoir un registre des directives anticipées comme il en existe un pour le refus de prélèvement d’organe ou pour les testaments.

Usage des directives anticipées Les directives anticipées ne sont utilisées que dans le cas où la personne qui les a rédigées est hors d’état d’exprimer sa volonté. Elles sont un élément d’une procédure définie fi par l’article L.1111-13 qui dispose que, dans cette circonstance, « le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle fi de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie fi par le Code de déontologie médicale et consulté la personne de confi fiance visée à l’article L.1111-6, la famille ou à défaut un proche, et le cas échéant les directives anticipées de la personne ». L’article L.1111-12 précise que l’avis de la personne de confi fiance prévaut sur tout autre avis non médical à l’exclusion des directives

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Enjeux éthiques en réanimation anticipées, en dehors de l’urgence ou de l’impossibilité de la joindre. Ainsi se dessine une hiérarchie des modes de survie de la volonté de la personne ; en premier viennent les directives, puis l’avis de la personne de confiance fi et, en leur absence, vient la famille et en dernière ligne les proches (16). La hiérarchisation des témoignages est toutefois assez peu compréhensible dans la mesure où aucun n’a de valeur contraignante. ff si les directives doivent obligatoirement En effet, être recherchées et consultées, le médecin en tient simplement compte après avoir cependant vérifié fi que les conditions de leur validité sont bien remplies. Il n’est plus question de codécision comme dans la loi du 4 mars 2002, mais bien de décision médicale éclairée par les directives. Mais que veut dire « tenir compte des directives » ? Négativement, cela signifie fi que leur contenu n’oblige pas comme on l’a déjà souligné. Faut-il en déduire que le médecin est libre de ses choix ? Cela paraîtrait peu admissible : cela reviendrait à affi ffirmer que la prise en compte des directives ne serait qu’une simple formalité et qu’en fi fin de vie le médecin retrouverait toute latitude pour décider de ce qui est bien pour le patient (17). Dans ces conditions, les directives anticipées n’auraient plus aucune utilité. La seule solution, qui n’est pas explicitée dans la loi, où la seule obligation du médecin se réduit à contrôler les conditions de validité des directives, serait de considérer que « tenir compte » du document c’est l’interpréter comme le ferait éventuellement un magistrat pour un testament (18). Le médecin devrait distinguer les directives claires, c’est-à-dire suffi ffisamment précises, en rapport avec les circonstances de fait, et celles qui ne remplissent pas ces conditions. Les premières devraient être exécutées, les secondes ne le pourraient pas sans que la volonté du patient ne soit reconstruite ou suppléée au préalable par le médecin aidé des témoignages des proches ou de la personne de confi fiance. Comme le souligne le Conseil de l’ordre des médecins, « leur valeur peut apparaître relative dans certains cas, car nul ne peut préjuger de son attitude dans telle ou telle situation tant qu’elle ne s’est pas effectivement ff présentée » (19). Toutefois, cette façon de prendre au sérieux l’expression « tenir compte des directives », pour justifi fiée qu’elle soit, ne permet pas de sauver systématiquement les directives et d’essayer de leur donner un minimum de force. La décision de fin fi de vie n’est pas soumise au seul contenu subjectif des directives, mais aussi à un principe objectif opposable au médecin comme au patient : les soins déraisonnables ne doivent pas être entrepris ou peuvent être arrêtés. Le législateur a donné deux fondements à la décision d’arrêt de traitement sans avoir nettement pris position sur le concept ambivalent d’autonomie (20). Si l’on se situe dans

une approche kantienne, l’autonomie renvoie à la notion de loi rationnelle à laquelle toute personne doit adhérer. Dans ce cas, l’auteur des directives ne peut avoir comme souhait que le refus de l’acharnement thérapeutique et il partage cette rationalité avec le médecin. Il n’y a donc pas de contradiction entre les deux principes directeurs de la loi d’avril 2005, mais les directives n’ont plus guère d’intérêt puisqu’elles se contentent d’affirmer ffi la rationalité de la personne malade. Le législateur ne semble pas avoir suivi cette voie, et on peut penser que l’autonomie a pour lui un contenu subjectif et irrationnel, témoignant d’une conception individualiste de la personne. Dans ce cas, les directives sont nécessaires puisqu’il n’y a pas de loi commune pour guider la décision de fi fin de vie, mais le principe de refus de l’acharnement thérapeutique est en trop, dans la mesure où il suffi ffit à emporter la décision. Quoi qu’il en soit, les directives ne sont qu’un élément de la procédure décrite par l’article R.412437 du CSP qui dispose que lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut décider de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés sans avoir préalablement mis en œuvre la procédure collégiale dont il détaille les modalités. La décision est prise par le médecin en charge du patient après concertation avec l’équipe soignante, si elle existe, et sur l’avis motivé d’au moins un médecin appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant peut être demandé si l’un des deux médecins l’estime utile. La décision prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés dans les directives anticipées, l’avis de la personne de confi fiance ainsi que celui de la famille ou à défaut celui d’un de ses proches. La nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient ce qui assure la traçabilité de la décision. Si toute la procédure est écrite, c’est afin fi de permettre le contrôle a posteriori des décisions de fin de vie par le juge en cas de contentieux dans la mesure où la loi du 22 avril 2005 n’a pas dépénalisé l’arrêt de traitement létal, mais a seulement introduit un nouveau cas d’irresponsabilité pénale. Cette dernière n’est acquise que si tous les éléments de fond et de forme imposés par la loi sont respectés. La procédure collégiale est un processus délibératif obligeant chacun à développer une argumentation dans un espace public. C’est un moyen essentiel d’éviter l’arbitraire des décisions solitaires ou imposées par un rapport de forces hiérarchiques. La recherche du consensus entre les proches, la famille, les médecins et les autres professionnels de

Directives anticipées santé est probablement la meilleure garantie pour la personne hors d’état d’exprimer sa volonté. Lorsque la décision concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre selon le cas l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, hormis les situations où l’urgence rend cette consultation impossible. Cette disposition est dérogatoire au droit commun des incapacités. Le tuteur est normalement investi d’une fonction de représentation, c’est-à-dire que sa parole vaut celle du majeur en incapacité et devrait donc lier le médecin, ce qui n’est pourtant pas le cas ici où le tuteur est assimilé à un proche quelconque. Cette disposition est d’autant plus étrange que l’arrêt de traitement étant une décision d’une particulière gravité, il n’est pas certain que le tuteur seul puisse se prononcer sans que le juge des tutelles n’ait été saisi.

Apport pratique limité L’analyse juridique des directives anticipées oblige à considérer qu’elles ne peuvent avoir qu’un rôle limité pour la pratique soignante dans la mesure où elles ne sont pas impératives. Toutefois une analyse strictement juridique ne peut refléter fl la diversité des situations de fait. La prise de décision concernant la fin de vie d’une personne atteinte d’une maladie chronique qui en connaît bien l’évolution et qui a rédigé des directives dont elle a pu discuter les dispositions avec l’équipe qui la prend en charge se fera très certainement dans le respect de ses choix. La mise en œuvre de directives découvertes sur un patient amené en réanimation pour un accident aigu de santé a moins de chance de se faire de façon aussi fidèle, et cela se comprend : la rédaction des directives dans ce cas est habituellement trop générale faute d’information sur la situation présente et elle manque aussi de fermeté (21). Ce sont donc les circonstances qui donnent aux directives leur valeur plus que le droit. Pour autant, la valeur des directives n’est peut-être pas si illusoire qu’il pourrait paraître si on renonce à faire de l’autonomie le fondement de la loi de 2005 et si on ne limite pas le droit à sa dimension instrumentale. Si l’on revient sur la procédure collégiale qui institue une véritable gouvernance de la fin de vie, on voit bien, s’il en était besoin, que cette dernière n’engage pas le seul patient, mais, si ce n’est toute la société, du moins un cercle

élargi de personnes. Et dans ce cercle, les directives rappellent la présence de la personne hors d’état d’exprimer sa volonté. Dans sa singularité, au moment où elle est la plus vulnérable, elle est encore cet autre qui nous sollicite, et, à cet égard, les directives sont d’une grande valeur symbolique. La fi fin de vie est une situation trop complexe pour pourvoir se régler uniquement par la loi. Cette complexité a semble-t-il été perçue par le législateur qui a tenté de ne pas s’enfermer dans un texte trop rigide, trop fi fidèle aux catégories du droit civil, ce qui peut expliquer certaines ambiguïtés de la loi du 22 avril 2005.

Références 1. Proposition de loi n° 1882, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 octobre 2004 ; www.assembleenationale.fr 2. JO du 23 avril 2005, p. 7089 3. JO du 7 février 2006, p. 1973 4. San Julian Puig V (2007) Les directives anticipées en France et en Espagne, RDSS, p. 86 5. CCNE, avis n° 87 du 14 avril 2005 : refus de traitement et autonomie de la personne 6. Article L.1111-11 du CSP 7. Putman E (2005) Le « testament de vie » est désormais réglementé…, RJPF, mai 2005, p. 10 8. Articles 489 et 1108 du Code civil 9. Fournier V, Enselme J (2006) La notion de compétence en éthique clinique, centre de documentation multimédia en droit médical, sur le site www.droit.univ-paris5.fr 10. Flauss-Diem J (2007) Le mineur et l’accès à son dossier médical, Médecine et droit, p. 116 11. Pitcho B, Depadt-Sebag V (2008) Médecine et droits de l’homme, textes fondamentaux depuis 1948, Vuibert, Paris 12. Dreifuss-Netter F (2006) Les directives anticipées : de l’autonomie de la volonté à l’autonomie de la personne, LPA 10 juin 2006, p. 23 13. Mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005, rapport d’information n° 1287, Assemblée nationale, T.1, décembre 2008, p. 25 14. Article R.1112-2, 1°, q 15. Khoury L (2007) La responsabilité médicale et hospitalière pour le non-respect des volontés de fi fin de vie en droit civil québécois, Médecine et droit, p. 119 16. Interprétation fidèle au texte mais que ne fait pas l’unanimité. Rapport AN n° 1287, précit., p. 28 17. Lienhart A (2005) Fins de vie ; que prévoit la proposition de loi ?, Médecine et droit, p. 10 18. Malaurie Ph (2008) Les successions, les libéralités, Defrénois, n° 504 et s 19. Conseil national de l’ordre des médecins, commentaire de l’article 37 du Code de déontologie médicale, juin 2006 20. Hottois G (2004) Qu’est-ce que la bioéthique ? Vrin, « Chemins philosophiques », p. 49 21. Cimar L (2006) La situation juridique du patient inconscient en fi fin de vie, RDSS, p. 470

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Chapitre

La personne de confiance

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A. Renault, J.-M. Boles

Introduction

L

a relation patient-médecin suit en France, dans la plupart des cas, un modèle « paternaliste » : le médecin sait, informe le patient du diagnostic, du pronostic et des traitements qu’il a choisis pour lui. Le patient, de son côté, consent aux soins. Cependant, la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, affi ffirme les droits de la personne malade, accentue la portée du devoir d’information du patient, confirme fi la nécessité de recueillir l’expression de sa volonté (1). Dans ce but, l’article L.1111-6 du Code de santé publique a introduit la notion de « personne de confiance fi », dont le rôle a été confirmé fi et renforcé par la loi du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie (2). Cet article a pour objectif de décrire les modalités de désignation et les missions de la personne de confi fiance puis de discuter les limites présentes et les perspectives de cette désignation.

Modalité de désignation et durée du mandat Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance fi pouvant être un membre de la famille, un proche ou le médecin traitant. Elle est nommément et expressément désignée par le malade lui-même. Cette désignation se fait par écrit et elle est révocable à tout instant. Cette désignation peut se faire à tout moment par chacun. Au moment d’une hospitalisation, chaque établissement de santé doit informer le patient de la possibilité de la désigner en lui précisant les intérêts et les missions de la personne de confiance. fi Au cours de l’hospitalisation, le patient est libre de changer de personne de confiance. fi Dans ce cas, un nouveau mandat est rédigé et signé par le patient. La loi du 4 mars 2002 précise que la désignation est valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

patient n’en dispose autrement. Lors de pathologie chronique, il peut être conseillé au patient de prévoir un mandat dont la durée va au-delà de la durée de l’hospitalisation pour éviter toute lourdeur administrative. À chaque nouvelle hospitalisation, il faudra vérifier fi si le patient maintient la même personne. Cette désignation ressort de la seule décision du patient, elle n’est absolument pas obligatoire.

Missions de la personne de confiance fi Au cas où le patient n’est plus en état de s’exprimer, la personne de confiance fi rapporte la volonté du patient (articles L.1111-4 et L.1111-6 du CSP). Elle porte témoignage de la parole du patient et de ses choix. Son avis prévaut sur tout autre avis non médical lors de décision de limitation ou d’arrêt de traitement (2). Il est important de noter que la personne de confi fiance est consultée pour avis. Les professionnels de santé sont tenus de la consulter mais l’avis émis ne les oblige pas. Il ne pourrait être reproché à ceux-ci de ne pas avoir respecté l’avis de la personne de confiance fi dès lors que l’équipe a pris une décision dans l’intérêt du patient. Pour éviter fl entre l’équipe soignante et la personne tout conflit de confi fiance, il peut être judicieux d’insister sur les limites au mandat de celle-ci. La personne de confiance fi peut accompagner le patient à tout moment de son parcours médical si celui-ci le décide, aussi bien lors de consultations qu’en cas d’hospitalisations, lors d’entretiens médicaux. Le médecin ne peut pas refuser sa présence, ce qui contribue donc à une dérogation au secret professionnel (article L.1110-4 du CSP). Le patient reste le destinataire de l’information et c’est lui qui consent ou non aux soins, la personne de confiance fi étant là pour l’aider à prendre des décisions. Les informations confi fidentielles, que le patient aurait pu dire au médecin, ne doivent pas

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Enjeux éthiques en réanimation être communiquées à la personne de confiance. fi Elle n’a pas accès au dossier médical (1). Lors d’une recherche biomédicale, le consentement libre, éclairé et exprès du patient doit être recueilli préalablement à sa réalisation. Cependant, l’article L.1122-1-2 du CSP dispose qu’en cas de recherches biomédicales à mettre en œuvre dans des situations d’urgence qui ne permettent pas de recueillir le consentement préalable de la personne qui y est soumise, un membre de la famille ou la personne de confiance fi peut donner son autorisation à cette recherche (loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique et la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique). Il ne s’agit donc plus d’une simple consultation même si le consentement du patient devra être recherché dès que celui-ci sera en état de le donner. La personne de confiance fi est à diff fférencier de la personne à prévenir. Celle-ci sera contactée en cas d’aggravation de l’état de santé du patient ou pour tout autre nécessité, alors que la personne de confiance fi est amenée à jouer un rôle dans la relation de soin. Les deux rôles peuvent être tenus par la personne de confiance. fi L’objectif principal de cette désignation est, avant tout, d’introduire une personne en qui le patient a une entière confi fiance et qui pourra donc exprimer ses volontés alors qu’il n’est plus en état de le faire. Dans les autres cas, la personne de confiance fi sera dans une mission d’accompagnement : l’intérêt pour le patient est d’introduire une personne qui pourra être aidante et rassurante dans la démarche de soins. L’intérêt pour le médecin, confronté dans certains cas pour un même patient, à des interlocuteurs multiples ayant parfois des points de vue difféff rents voire opposés, est de s’adresser avant tout à une personne privilégiée, car elle a la confiance fi du patient. La personne de confiance fi devient alors le relais d’information auprès de l’entourage, sauf si le patient s’y est opposé. Ce dispositif existe dans la plupart des pays de l’Ouest de l’Europe. Cependant les modes de nomination et l’étendue de la fonction diffèrent ff entre ces pays. La France est le pays qui confère le moins de pouvoir à la personne de confi fiance (3).

Limites de la désignation de la personne de confiance fi Le groupe de recherche « FAMIREA » a conduit une étude de sondage (entretien téléphonique) auprès de 8 000 personnes représentatives de la population générale résidant en France, pour connaître leur intérêt quant à la désignation d’un représentant. Plus de 90 % des personnes interrogées se

sont déclarées favorables à la désignation d’un représentant si elles devaient être hospitalisées en réanimation et 85 % souhaitaient que leur représentant participe aux discussions et aux décisions avec les réanimateurs. À la question « qui désignerait-elle comme représentant ? » venait en premier lieu le conjoint (61 %), les parents (15 %), les enfants (13 %), un autre membre de la famille (6 %), les amis (5 %), le médecin traitant (1 %) (4). Cependant dans la réalité quotidienne, cette désignation ne se fait pas de fait. La méconnaissance de la loi par les futurs patients et donc la possibilité de désigner une personne de confiance fi semble être une des diffi fficultés (5, 6). Dans une enquête menée dans des services aigus et de soins de suite du CHU de Nantes, près d’un patient sur deux ne savait pas ce qu’était la personne de confiance fi (7). Deux études françaises tendent à démontrer qu’attendre l’admission aux urgences ou en réanimation ne permet pas à tous les patients de désigner un représentant, une partie des patients étant déjà inconscients ou incompétents (8, 9). Lautrette et al. montrent qu’en réanimation, plus d’un tiers des patients n’est pas en capacité à désigner une personne de confiance. fi Lorsqu’un proche est nommé par l’équipe médicale comme interlocuteur privilégié, le patient ne confirme fi ce choix a posteriori que dans deux tiers des cas (10). Les soignants eux-mêmes ne se sont pas pleinement appropriés la loi : une enquête intitulée « Loi du 4 mars 2002 : quelles influences fl sur les activités de soins à l’hôpital ? » a été menée par l’AP-HP de Paris un an après la promulgation de la loi (été 2003) auprès de professionnels de santé (60 % de médecins, 40 % de paramédicaux). Le contenu de la loi du 4 mars 2002 était méconnu par 3 % des enquêtés, 38,5 % disaient la connaître mais sans en avoir lu précisément son contenu. Enfin, fi la moitié des soignants (56 %) mentionnait avoir lu le texte de la loi (11). Cela traduit-il une insuffisance ffi d’information ? Un oubli ? Les modalités de désignation, le rôle de la personne de confiance fi sontils défi finis dans les structures de soins ? Lors du débat parlementaire, il avait été proposé que cette désignation se fasse lors des formalités d’admisff soc. www. sion (débat Sénat, 1re lecture, Comm. aff. senat.fr). La plupart des établissements de santé ont mis ce dispositif en place mais l’appropriation de cette tâche est variable. Existe-t-il un réel temps d’explication de la mission de cette personne de confi fiance lors de ce temps administratif ? Il nous semble préférable que ce temps d’explication soit dévolu à l’équipe soignante mais il n’est pas sans diffi fficulté. Les soignants peuvent omettre d’aborder ce sujet surtout par crainte de mettre en difficulté ffi le patient ou sa famille. Dans l’étude de Ferrand et al. sur la désignation de la personne de confiance fi en réanimation, les infirmières fi signalaient qu’elles ne

La personne de confiance demandaient pas à un patient compétent s’il avait désigné une personne de confiance. fi Il leur semblait diffi fficile de parler de son rôle et elles avaient le sentiment de « projeter » le patient dans une situation pouvant être source de stress et d’angoisse (9). Une autre limite vient de la capacité de la personne de confi fiance à exprimer la volonté réelle du patient. Le médecin cherche le témoignage des volontés du patient mais il n’est pas sans risque de recueillir l’avis de cette personne plutôt que les volontés du patient. Cela nécessite réflexion fl et vigilance de la part du médecin. Des études ont été menées aux États-Unis sur la valeur des décisions du « surrogate » mandataire du patient. Plus des deux tiers des « surrogates » interrogés avouaient n’avoir aucune certitude de donner l’expression de la volonté du patient. Lors de construction de scénarios, afin fi de comparer les décisions que prendraient les patients et leur personne de confiance, fi les réponses étaient différentes ff dans plus d’un tiers des cas. La diff fférence dans les réponses n’était pas améliorée par des échanges préalables entre le patient et sa personne de confiance fi (12, 13). La personne de confiance, fi dans une telle situation, doit être en capacité de requérir et de maîtriser les informations nécessaires à la prise de décisions, de faire valoir les volontés du patient. Cependant, la personne de confiance fi tout comme la famille doit elle-même s’adapter à ce qui se passe dans une telle situation. Régis Aubry dit que la famille « souffre ff des ruptures qui s’opèrent, des peurs qui se réveillent, des représentations de la maladie, de la fi fin de vie, de la souffrance et de la mort de l’autre ; de la fatigue d’être soi, d’être proche, seule avec ses doutes, ses ambivalences, son sentiment d’impuissance » (14). Des symptômes d’anxiété et de dépression ont été trouvés chez plus de 70 % des proches de patients en réanimation, plus particulièrement chez les conjoints (15). Dans une autre étude, 60 % des membres de la famille dont le proche était décédé après une décision de limitation ou d’arrêt de traitements actifs et 80 % de ceux qui avaient été impliqués dans la décision présentaient, six mois plus tard, un syndrome de stress post-traumatique (16). Dans ces conditions, la personne de confiance fi ou la famille ont-elles alors toute la faculté de donner un avis, de prendre des décisions ? Y aura-t-il un retentissement psychologique sur la personne de confiance fi qui aura seule donné son avis ? Une autre question concerne la responsabilité de la personne de confiance, fi qui, si l’on examine les écrits de différents ff juristes, peut être engagée. En eff ffet, leur raisonnement repose sur le fait que celui qui accepte d’être personne de confiance fi assume une obligation juridique, proche de celle du mandataire. Elle ne saurait accepter d’être le porte-parole du patient sans avoir un minimum de connaissances sur sa volonté quant aux traitements

et soins futurs. À supposer que la personne de confi fiance soit défaillante ou en contradiction avec les instructions laissées, sa responsabilité pourrait être mise en cause soit par l’intéressé lui-même, soit par la famille ou les ayants droit (17, 18). Rien n’a été prévu non plus concernant l’information de la personne de confiance fi à savoir sa fonction et la portée du geste de désignation. À aucun moment il n’est précisé que la personne de confiance fi doit être avertie de cette nouvelle qualité qui lui est attribuée ni qu’elle est censée donner son accord à cette désignation. Comment la personne de confiance fi peutelle être avertie de cette désignation quand celle-ci se fait au moment de l’admission ? Cependant, cela ne veut pas pour autant dire que la personne de confi fiance sera tenue par cette désignation unilatérale si elle n’y consent pas. À un niveau moral et psychologique, il ne faut pas non plus négliger le poids de la responsabilité pour cette personne de confi fiance alors qu’elle n’aura parfois ni la compétence ni peut-être la volonté d’éclairer des choix diffi fficiles. Quand la personne de confi fiance acceptera un soin et que cet avis vaudra de fait « consentement », cela fera peser sur elle une lourde charge, surtout en cas de survenue de complications voire d’un décès. La dernière limite, à notre avis, porte sur ce que représente la personne de confiance. fi En eff ffet, choisir une personne de confi fiance revient à parler de la maladie, du handicap, de la fi fin de vie, de la mort et personne n’est enclin à parler de cet intime (6)… Notre société frappe d’interdit, de tabou et de silence toute discussion de l’événement thanatique, ne fournissant pas de moyens pour comprendre sa mort, pour combattre et gérer l’angoisse qu’elle engendre. La fi finitude impensable, le refus de la mort, la quête d’immortalité, la mise en science de la mort et combien d’autres illustrations démontrent à quel point la peur de mourir est vive (19). Si la mort est évoquée, c’est dans l’esprit de beaucoup, une mort idéale empreinte de paix, d’amour et de dignité. C’est ce que Philippe Ariès appelle la bonne mort, la belle mort : « cliché idéal qui permet d’éloigner toutes sortes d’émotions puissantes et de réactions en mettant en jeu crainte, désarroi, angoisse insurmontable » (20). Il n’est pas possible pour l’Homme d’appréhender sa propre mort et toute démarche en ce sens se confronte au vide et à l’indicible. La mort de l’autre nous confronte aussi à ce même constat. Philippe Ariès constata à la mort de sa femme que « trente ans de réflexion fl et d’étude sur l’histoire de la mort le laissaient aussi démuni face à elle que s’il n’avait songé qu’une seconde à sa possibilité » (20). La mort est à la fois un moment absolument singulier, incomparable et solitaire – elle est par excellence ce qui ne se délègue pas, ce qui se vit en première personne et une fois pour toutes. C’est également quelque

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Enjeux éthiques en réanimation chose d’irreprésentable et qui, par là même, ne saurait faire l’objet d’une réflexion. fl On ne réfl fléchit pas sur le néant car on ne saurait penser le rien et tout passage se pense par ses limites. Alors comment penser ce passage entre ce que l’on connaît et ce dont on ignore tout ? Comment alors désigner une personne de confi fiance qui sera le porte-parole de ses désirs, de ses pensées alors même que le sujet n’a pas été abordé ? Même s’il y a eu réflexion, fl les volontés peuvent être diff fférentes selon que la situation est hypothétique ou présente : penser ne pas vouloir vivre ou vouloir a priori vivre dans certaines conditions ou subir certains traitements peut changer lorsqu’on est confronté à ces situations. Certains ont pu penser que faire ce choix « à tête reposée » pouvait contribuer à minorer, si ce n’est à gommer totalement, l’aspect angoissant ou traumatisant du choix : le déconnecter du contexte, souvent chargé d’émotion, pourrait alors favoriser un dialogue ou une prise de décision sereine.

Perspectives L’information doit toujours être délivrée en premier au patient lorsque celui-ci est en capacité de la recevoir. Cependant la personne de confiance fi peut devenir une personne ressource, étant alors un appui et un soutien pédagogique, relationnel et psychologique. L’intérêt est, aussi, dans ce face à face avec une personne que l’on peut consulter, en dehors d’un régime de protection légale, ce qui est bien moins excluant et stigmatisant pour le patient. Elle peut être, en ce sens, une alternative intelligente pour bien des patients, en particulier les personnes âgées. Celles-ci peuvent se sentir rassurées de savoir qu’une personne, choisie par elles, est prioritairement consultée si elles étaient dans l’incapacité d’exprimer leur volonté. Pour le médecin, l’intérêt est d’avoir un interlocuteur privilégié parmi les proches du patient. Parfois, de nombreuses personnes demandent à être informées avec, souvent, des demandes ou des discours contradictoires. La désignation d’une personne de confiance fi présente alors un intérêt majeur pour le médecin : il sera en mesure de dire qu’il s’adresse en priorité à celle-ci. Elle apporte la légitimité de la désignation officielle ffi pour être le relais d’information auprès de l’entourage. Cette désignation peut alors permettre de prévenir les malentendus, voire les confl flits entre patient-soignants ou famillesoignants. La personne de confiance fi choisie par le patient peut être remarquable par sa connaissance du patient et être d’une aide importante notamment lors de l’annonce d’une maladie. Chaque établissement de santé doit mener une réflexion fl sur les modalités d’information du public

sur cette possibilité de nomination sans que cela devienne un processus administratif supplémentaire. Au cours de l’accueil du patient, on pourrait envisager que le médecin ou l’infirmière fi l’informe de cette disposition, donnant alors un sens à la place de la personne de confiance fi dans la démarche de soins.

Conclusion Les lois du 4 mars 2002 et du 22 avril 2005 permettent à chaque patient de nommer une personne de confi fiance. Répondant à la demande sociale, la création juridique de celle-ci apparaît comme un nouvel outil de la relation médecin patient qui doit être intégré à la pratique quotidienne. Entre démarche clinique, éthique et droit, ce nouvel outil de la relation soignant-soigné doit amener à s’interroger en permanence sur l’abord de la personne et sur le distinguo entre approche administrative et approche médicale d’une question qui touche avant tout à l’humain et à l’intime. Si la notion de personne de confiance fi semble critiquable, elle a éventuellement pour effet ff de mettre en communication et en relation l’ensemble des intervenants dans la relation de soins.

Références 1. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. JORF du 5 mars 2002. Décret n° 2002-437 du 29 avril 2002 relatif à l’accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et établissement de santé, en application des articles L1111-7 et L1112-1 CSP, JO n° 101 du 30 avril 2003, http://www.legifrance.gouv.fr 2. Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. JORF du 23 avril 2005. http://www.legifrance.gouv.fr 3. Lautrette A, Peigne V, Watts J, et al. (2008). Surrogate decision makers for incompetent ICU patients: A European perspective. Cur Opin Crit Care 14: 714-19 4. Azoulay E, Pochard F, Chevret S, et al. (2003) Opinions about surrogate designation: a population survey in France. Crit Care Med 31: 1711-4 5. Th Thirion M, Pajot O, Hellmann R, et al. (2007) Le réfèrent familial et la personne de confiance fi en réanimation : choisit-on la bonne personne ? Réanimation 17: S 214 6. Renault A, Lefèvre M, Prat G, et al. (2008) La personne de confiance fi ; une simple ligne à remplir ? Réanimation 17 : S 53 7. Clement R, Guille R, Rodat O, Lombrail P (2009) Rôles et missions de la personne de confiance fi : insuffi ffisamment connus par les malades. Enquête semi-directive chez 95 patients du CHU de Nantes. Presse Med 38 : 534-40 8. Roupie E, Santin A, Boulme R, et al. (2000) Patients preferences concerning medical information and surrogacy: results of a prospective study in a French emergency department. Intensive Care Med 26: 52-6

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Chapitre

Enjeux éthiques de la recherche clinique en réanimation

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D. Dreyfuss

« Le principe de moralité médicale et chirurgicale consiste donc à ne jamais pratiquer sur un homme une expérience qui ne pourrait que lui être nuisible à un degré quelconque, bien que le résultat pût intéresser beaucoup la science, c’est-à-dire la santé des autres ». (Claude Bernard. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865) “Let us not forget that progress is an optional goal, not an unconditional commitment, and that its tempo in particular, compulsive as it may become, has nothing sacred about it. Let us also remember that a slower progress in the conquest of disease would not threaten society… but that society would be indeed threatened by the erosion of those moral values whose loss, possibly caused by too ruthless a pursuit fi progress, would make its most dazzling of scientific triumphs not worth having.” (Hans Jonas in “Philosophical reflections fl on experimenting with human subjects”, Daedalus : Journal of the American Society of Arts and Sciences, 1969, 98 : 219-47)

Introduction

L

a réanimation ne se distingue pas des autres spécialités médicales quant à l’importance que la recherche y tient. Initialement très orientée vers la physiopathologie et l’individualisation du traitement pour chaque patient, la recherche clinique en réanimation s’est progressivement tournée vers les grandes études à vocation thérapeutique. Ce faisant, il a fallu que les médecins cliniciens se familiarisent avec la méthodologie des essais cliniques et, en particulier, celle de l’essai contrôlé randomisé. Les problèmes éthiques que soulevait la recherche physiopathologique, souvent très invasive, n’étaient évidemment pas les mêmes que ceux que posent les grandes études actuelles, moins vulnérantes en théorie. Il est probable que L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

bien des études conduites jusque dans les années 1980 ne pourraient pas l’être aujourd’hui car elles ne recevraient pas l’approbation d’un comité d’éthique indépendant. Cela ne signifie fi pas que les études menées actuellement sur les grands syndromes fréquemment rencontrés en réanimation (choc septique, syndrome de détresse respiratoire aiguë…) ne posent aucun problème éthique, comme on le verra ci-après. Une constante, en revanche, de la problématique de la recherche en réanimation, lorsqu’on la compare à celle menée dans la plupart des autres disciplines, est la question du consentement. L’étude physiopathologique ou randomisée contrôlée nécessite le consentement éclairé du patient ou de son représentant, dans les pays où la loi autorise le consentement pour autrui, qui, en France, est qualifié fi dans ce cas d’« autorisation ». Le patient de réanimation est quasi constamment dans l’impossibilité de consentir par lui-même ; ses proches sont souvent très angoissés, ce qui ne facilite sûrement pas l’approche nécessairement sereine qui devrait prévaloir lors du processus de consentement éclairé. Il en résulte une tension entre certains principes éthiques tels que bienfaisance ou non-malfaisance d’une part, et le respect de l’autonomie des personnes d’autre part. Ce chapitre n’a pas pour vocation d’examiner en détail l’éthique de la recherche en réanimation depuis ses débuts, mais d’envisager les problèmes éthiques qui s’y posent aujourd’hui. En revanche, un rappel historique de l’évolution des idées en matière d’éthique et une description des structures nationales ou internationales qui ont édicté les codes et règles en vigueur ainsi qu’une analyse de ces textes sont indispensables à la compréhension des enjeux éthiques de la recherche en réanimation. L’histoire de l’éthique médicale peut se résumer en grande partie dans une phrase écrite par Carol Levine (1) et fréquemment reprise depuis : « La façon fondamentale d’aborder l’éthique de la recherche et l’homologation des nouveaux médicaments est née dans le scandale et a été élevée dans

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Enjeux éthiques en réanimation le protectionnisme ». En eff ffet, comme on le verra, les premières recommandations internationales en matière d’éthique ont fait suite à la découverte de l’horreur des expérimentations nazies, mais n’ont commencé à s’imposer aux États-Unis puis en Europe qu’à la suite de la révélation de recherches scandaleuses. Le désir du législateur, aux États-Unis comme en Europe, a été essentiellement la protection des personnes. Cela explique l’exclusion des protocoles de recherche des femmes enceintes et des personnes vulnérables qui ont pu (ou leurs représentants) faire valoir que cette exclusion, partant d’un bon sentiment, pouvait néanmoins priver ces populations des bienfaits issus de la recherche. La montée en puissance des organisations de patients, notamment au moment de l’épidémie de SIDA, a amené l’émergence d’une contradiction entre protectionnisme et autonomie des patients, ces derniers souhaitant parfois qu’on ne leur dicte pas leur conduite mais qu’on les laisse juges des risques qu’ils étaient prêts à assumer au cours de la recherche (1). L’analyse historique de l’évolution des idées en matière d’éthique n’a pas pour but unique la description de pratiques qui nous choquent aujourd’hui mais de faire réaliser qu’elles ne choquaient pas la plupart de leurs contemporains et que c’est le mérite d’un certain nombre (dénommés « whistleblowers » dans la littérature anglo-saxonne) d’avoir dénoncé ces pratiques, au risque parfois de leur réputation et en tout cas sans l’approbation de la vaste majorité de leurs collègues. L’autre but de ce type d’analyse est de rappeler que les mœurs évoluent et que de même que nous semblent indéfendables certaines pratiques du passé, de même ce qui semble aujourd’hui normal à la plupart en matière de recherche clinique pourra être jugé autrement dans le futur. L’apport du regard extérieur de la société civile sur la recherche médicale est, à cet égard, fondamental (2). La tentation a toujours existé, et existe probablement encore, de s’en aff ffranchir au nom d’un prétendu intérêt supérieur de la recherche. Le caractère particulièrement vulnérable des patients de réanimation donne toute son importance à l’intervention d’un tiers dans le processus de recherche.

Perspective historique : de Nuremberg à nos jours Avant et juste après Nuremberg La révélation des atrocités médicales perpétrées par les nazis a été à l’origine du premier texte exhaustif édictant les règles éthiques de base en

matière de recherche médicale. Sans minimiser le caractère unique dans l’abomination de la barbarie nazie et le rôle fondateur du procès de Nuremberg et du Code qui en est issu, un certain nombre de précisions historiques sont importantes si l’on souhaite comprendre l’évolution des idées en matière d’éthique de la recherche. C’est au xxe siècle que l’on a assisté au développement exponentiel de la recherche et donc de la réfl flexion éthique à son sujet. Auparavant, le seul commandement que l’on pouvait invoquer était le principe hippocratique de ne pas nuire. En fait, des recherches non éthiques et dangereuses ont été pratiquées dès le début du xxe siècle (et avant également). De façon étonnante, le premier texte offi fficiel protégeant les patients sujets d’expérimentation médicale a été publié en Allemagne par la République de Weimar, en 1931. Il stipulait le caractère indispensable du consentement du patient ou de son représentant juridique et faisait suite au scandale déclenché par la mort d’enfants soumis à une tentative de vaccination contre la tuberculose. Il ne s’agissait d’ailleurs pas d’une expérimentation proprement dite, on parlerait plutôt aujourd’hui d’une innovation thérapeutique, le vaccin ayant été validé en France avant son introduction en Allemagne. De fait, la tentation de l’expérimentation incontrôlée a toujours existé et il n’est que de se souvenir de la demande, restée sans réponse, faite par Louis Pasteur à l’Empereur du Brésil de pouvoir expérimenter sur des condamnés à mort des inoculations « préventives » de la rage (3). Des expériences d’inoculation du choléra ont été conduites par des médecins américains sur des prisonniers philippins, ainsi que des expériences de pellagre expérimentale ou des inoculations du paludisme chez des prisonniers de droit commun (4-5). La très bonne connaissance qu’avaient de ces expériences les avocats des médecins nazis a mis l’accusation américaine momentanément en danger lors du procès de Nuremberg. Le relativisme était déjà en action car rien n’a pu être comparable à ce qui s’est produit à ce moment-là. Néanmoins, force est de reconnaître que la tentation politicoéconomique est toujours de plier la règle éthique à ce qui lui semble être le bien de la société de l’époque. Ainsi, le procès des médecins nazis, contrairement à celui des responsables politiques nazis, ne fut pas, guerre froide débutante oblige, un procès international mais un procès intenté par les seuls États-Unis. À l’inverse, les horreurs (essais d’armes chimiques, bactériologiques, vivisections pratiquées, certes sur une échelle plus faible, pendant toute la guerre par la tristement célèbre Unité 731 de l’armée impériale japonaise sur des civils chinois et des prisonniers de guerre alliés), ne donnèrent pas lieu à procès : en pleine guerre froide, les États-Unis récupérèrent les

Enjeux éthiques de la recherche clinique en réanimation données de ces expériences contre la garantie de l’immunité judiciaire aux officiers ffi supérieurs qui les avaient perpétrées. Le Code de Nuremberg comprend dix principes, parmi lesquels : la protection des sujets, leur consentement à la recherche entreprise, la nécessité de l’expérimentation animale préalable. Malheureusement, ce code ne fut pas accepté, loin s’en faut, par une profession médicale nordaméricaine qui voyait toujours l’intervention de la loi comme une limitation de ses prérogatives et un obstacle à « l’avancement de la science ». Ainsi, dans la bouche même de Leo Alexander, expert médical pour l’accusation au procès : « devrions-nous nous soumettre aux caprices des lois politiques, ou adhérer à nos immuables lois de l’éthique médicale… De telles lois temporelles… ne sont rien que des mots écrits sur du sable » (6). De fait, comme la dénonçait de façon lapidaire Jay Katz (un des plus grands spécialistes de l’éthique de la recherche et du consentement éclairé, professeur à l’Université de droit de Yale), la réaction des médecins américains investis dans la recherche fut de considérer que « C’était un code bon pour les barbares, mais complètement inutile pour des médecins ordinaires » (7). Cette non-adhésion aux principes du Code de Nuremberg a permis la poursuite de dérives eff ffrayantes, dont le présent article n’a pas pour objet de dresser la liste devenue depuis tristement célèbre (on mentionnera néanmoins l’injection de cellules cancéreuses à des prisonniers et à des vieillards, des expositions à la dioxine, des expériences d’arrachages d’ongles, des expositions aux radiations ionisantes [dans le contexte de la guerre froide]) (8), et qui ont culminé avec l’étude de la syphilis non traitée chez des Noirs du Sud des États-Unis (connue sous le nom de Tuskegee syphilis experiment) qui a commencé en 1932 et s’est poursuivie jusqu’à ce que le scandale éclate après que la grande presse en eût révélé l’existence en 1972 (9) !

Dénonciation de la recherche non éthique, « whistleblowers », historique du Rapport Belmont Pourtant, avant même la révélation du scandale de Tuskegee, deux médecins avaient publié des articles dénonçant la recherche non éthique. Ainsi, dans un article retentissant intitulé « Éthique et recherche clinique » publié dans le New England Journal of Medicine de 1966 (10), Henry K. Beecher, le fondateur de l’anesthésie moderne à Harvard, dénonçait, sans nommer les auteurs ni les journaux dans lesquels ils avaient été publiés, 22 cas de recherche non éthique (dont l’arrêt de la prophylaxie du rhumatisme articulaire aigu par la pénicilline, le cathétérisme cardiaque par voie transbronchique chez des patients indemnes de

cardiopathie, l’induction d’acidose respiratoire majeure au cours d’anesthésie au cyclopropane chez des patients subissant une procédure chirurgicale mineure, etc.). De même, en Angleterre, Maurice Pappworth, médecin de renom, publia en 1967 un livre (après avoir essuyé le refus réitéré de publier son rapport de la part du Lancett depuis 1962) intitulé « Cobayes humains : l’expérimentation chez l’homme » (11) dans lequel il décrivait, nommément par contre, plus de 200 études non éthiques (certaines étaient les mêmes que celles citées par Beecher, d’autres encore tout aussi inquiétantes). La réaction de leurs collègues fut en général outrée et les auteurs (en particulier Pappworth, car il semble que Beecher ait été protégé par son statut exceptionnel au sein de « l’establishment ») reçurent des commentaires peu aimables d’une bonne partie de la presse médicale. L’ouvrage de Pappworth revêt aujourd’hui une bien plus grande actualité que l’article de Beecher, pourtant beaucoup plus souvent cité. En effet, ff « Cobayes humains » décrit des recherches physiopathologiques menées sur des patients hospitalisés, dans un contexte beaucoup plus familier aux réanimateurs que les prisons ou les institutions pour handicapés mentaux. Ces expérimentations ne sont en outre pas différentes ff de celles qui étaient menées en France dans les années soixante et soixante-dix, si ce n’est que ces dernières étaient plus rarement publiées. Outre sa valeur pédagogique, ce rappel historique permettra de mieux comprendre les enjeux éthiques actuels de la recherche en réanimation, au travers de l’examen de la polémique soulevée par un « whistleblower » contemporain à propos de la célèbre étude du NIH sur la ventilation mécanique du syndrome de détresse respiratoire aiguë par des petits volumes courants (voir plus loin). Après la révélation du scandale Tuskegee, le congrès des États-Unis décida d’établir une Commission nationale pour la protection des personnes humaines dans la recherche biomédicale et comportementale en 1974. Son mandat était d’identifier fi les principes éthiques et de développer des règles gouvernant la recherche sur l’homme. Le rapport issu des travaux de cette commission est connu sous le nom de Rapport Belmont (du nom du centre de conférences, situé dans le Maryland, où se réunit la Commission chargée d’établir ce rapport) : Principes éthiques et règles pour la protection des personnes humaines dans la recherche. Finalisé en 1978, il fut publié dans le Federal Registerr (équivalent américain du Journal Officiel ffi ) en 1979. Il constitue le canevas de base à partir duquel la réflexion fl et la réglementation éthique concernant la recherche médicale se sont construites tant aux États-Unis que dans le reste du monde.

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Enjeux éthiques en réanimation

Grands textes définissant fi et régissant la recherche sur la personne humaine Ainsi qu’on l’a dit, le Code de Nuremberg fut le premier texte à vocation internationale, mais il ne reçut pas immédiatement l’attention méritée. Les autres grands textes internationaux qui furent produits par la suite sont essentiellement la Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale, la Convention d’Oviedo du Conseil de l’Europe, les recommandations du Council for International Organisation of Medical Sciences (CIOMS), sans oublier le Guide des bonnes pratiques publié par l’industrie pharmaceutique et les agences du médicament des États-Unis, de l’Europe et du Japon en 1996. Enfin, fi la Directive Européenne de 2001. Néanmoins, pour la continuité de l’exposé, ces textes seront présentés après l’analyse du Rapport Belmont dont il était question au paragraphe précédent ainsi que de la Loi fédérale américaine qui en est issue.

Rapport Belmont, formulation des principes de l’éthique de la recherche, et loi américaine Parmi les nombreux mérites de ce rapport fi figurent une des premières définitions fi claires de la recherche et sa séparation d’avec l’activité de soins, la formulation de trois grands principes éthiques de la recherche, l’insistance sur l’évaluation des risques et des bénéfices fi de la recherche et sur la nécessité du consentement informé. Selon le Rapport Belmont (consultable à http://ohsr.od.nih.gov/guidelines/ belmont.html), « …le terme “pratique” (de soins) se réfère aux interventions dont le seul but est l’accroissement du bien-être individuel d’un patient et qui ont des chances raisonnables d’être couronnées de succès », tandis que le terme « recherche » désigne une activité destinée à tester une hypothèse, pour permettre de tirer des conclusions, et donc à produire de la connaissance généralisable (d’où l’importance de la publication scientifi fique). Les trois grands principes définis fi dans le Rapport Belmont sont le respect pour les personnes (le respect de l’autonomie et la protection de ceux dont l’autonomie est diminuée), la bienfaisance (maximiser les bienfaits potentiels et minimiser les méfaits potentiels de la recherche), et la justice (équité dans la distribution tant des contraintes et des coûts que des bénéfices fi de la recherche). Par la suite, un quatrième principe fut rajouté par deux éminents éthiciens, Tom Beauchamp et James Childress, qui continuaient l’œuvre du Rapport Belmont : le principe de nonmalfaisance afin fi de pas réunir dans le même exposé ce qui relève du fait de maximiser le bien de la personne et ce qui relève du fait d’éviter ou de minimiser toute

nuisance ou y contribuer (12). Ces trois (ou quatre principes) forment encore la base de toute la pensée de l’éthique de la recherche et servent de guide aux comités d’éthique, ou de protection des personnes, ou encore aux Institutional Review Boards (IRB). Il fallut encore attendre quelques années pour que les conclusions du Rapport Belmont soient transcrites dans la loi. Cela fut fait en 1981 par la promulgation de ce qui est appelé la Common Rule (car s’appliquant à la recherche effectuée ff ou supervisée par toute agence ou département fédéral), connue aussi sous le nom de 45CFR46 (Code of Federal Regulations, Titre 45 : Santé publique ; Partie 46 : Protection des personnes humaines). Certaines de ses dispositions se retrouveront dans la loi Huriet-Sérusclat, sept ans plus tard, d’autres en diffèrent ff notablement. La Common Rule reprend à son compte la définition fi de la recherche telle qu’élaborée dans le Rapport Belmont, elle définit fi le rôle et le fonctionnement des Institutional Review Boards, autorise le consentement par un tiers dans certaines conditions, prévoit (depuis une révision de 1996 intitulée 21CFR50.24) l’exemption du consentement dans certaines situations d’urgence. Il s’agit de situations particulièrement appropriées à certaines recherches menées en réanimation, mais pas à toutes. Ainsi, pour que l’exemption de consentement soit possible, il faut que la recherche porte sur une urgence vitale pour laquelle il n’y a pas de traitement satisfaisant, qu’il y ait impossibilité de recueillir un consentement, qu’un bénéfice fi direct de la recherche soit attendu et qu’elle ne s’accompagne que de risques « raisonnables » (on verra plus loin la diffi fficulté de cette notion), qu’il soit impossible de faire cette recherche sans l’exemption de consentement et qu’enfin fi cette procédure d’exemption ait reçu l’approbation de l’IRB. Une des dispositions les plus difficiles ffi à mettre en œuvre est l’obligation d’informer la communauté au sein de laquelle la recherche est prévue de se dérouler (13). On verra que la situation européenne en général et française en particulier est plus complexe. De façon intéressante, la régulation américaine ne fait pas de distinction entre recherche à visée thérapeutique et recherche sans visée thérapeutique mais demande que l’IRB analyse le protocole de façon à évaluer le rapport risque/bénéfice. fi Enfi fin, une procédure accélérée (« expedited review » (14)) est possible, notamment lorsque les risques de la recherche ne sont « pas plus que minimes », une notion toute aussi délicate à manier que celle de « risque raisonnable ». On verra plus loin les divergences et concordances avec la législation française, notamment quant au problème de la distinction recherche thérapeutique ou non thérapeutique qui a disparu lors de la révision de la loi Huriet en 2004 et à ceux de l’exemption de consentement et des procédures accélérées.

Enjeux éthiques de la recherche clinique en réanimation

Grands textes internationaux Au moment du procès de Nuremberg, fut créée l’Association médicale mondiale qui promulgua la Déclaration de Genève sur l’éthique médicale en 1948, puis une résolution sur l’expérimentation humaine en 1954. Ce n’est qu’en 1964 que la Déclaration d’Helsinki fut publiée. Elle a, depuis, bénéficié de huit révisions, dont la dernière en 2008. Il fi n’est pas dans l’objet de ce chapitre de présenter une analyse exhaustive de ce document, néanmoins deux aspects méritent présentation car ils conditionnent la compréhension de l’évolution des idées en matière de recherche et notamment en réanimation : les ambiguïtés des versions initiales et le contenu actuel. Plusieurs commentateurs ont fait remarquer qu’il s’agissait d’un document écrit pour et par des médecins et ont dénoncé le caractère régressif en matière d’éthique par rapport au Code de Nuremberg (5, 6, 15). De fait, l’élection en 1992 (temporaire vu le scandale provoqué) d’un ancien médecin SS à la tête de l’Association n’était pas faite pour dissiper l’ambiguïté (5, 6, 15). Les reproches qui étaient faits aux versions initiales de la déclaration étaient essentiellement de ne pas suffi ffisamment faire la distinction entre soins et recherche, du fait de la distinction entre recherche dite thérapeutique et recherche dite non thérapeutique, et de favoriser l’absence de consentement de la part de la personne soumise au protocole. C’est eff ffectivement la déclaration d’Helsinki qui a permis de rechercher un consentement « délégué » lorsque la personne elle-même était incapable de le donner. De façon intéressante, la distinction entre recherche thérapeutique et non thérapeutique a persisté dans la déclaration jusqu’à la révision de 2000. Cette distinction, présente dans la loi Huriet de 1988, quoiqu’avec un intitulé un peu différent ff : la recherche « avec et sans bénéfice fi individuel direct », disparaît également lors de la révision de la loi française au moment de la transposition de la directive européenne 2001/20/CE en 2004. La suppression de la mention de « bénéfice fi individuel direct de la recherche » revêt une importance particulière car cette notion perpétuait la confusion entre soins et recherche (voir plus bas). Quoi qu’il en soit, dans sa forme actuelle, la déclaration insiste sur la prééminence de l’intérêt de la personne par rapport à celui de la science ou de la société, sur la validité scientifi fique du protocole, l’évaluation du rapport bénéfi fice-risque, la nécessité de l’approbation par un comité d’éthique et du consentement éclairé. D’autres textes internationaux sont également venus donner leur éclairage et leurs recommandations sur la recherche médicale. Au premier rang de ceux-ci, il convient de citer les « Règles éthiques pour la recherche biomédicale » élaborées par le

Council for International Organization of Medical Sciences, Organisation non gouvernementale créée par l’OMS et l’UNESCO. Ses recommandations sont très proches de la déclaration d’Helsinki qu’elle a, en fait, notablement influencée. fl La spécificité fi de ces recommandations tient à l’attention portée à la protection dans la recherche des personnes vulnérables et en particulier des minorités et des femmes, ainsi que celle des citoyens des pays en voie de développement, enjeu éthique majeur de notre monde globalisé, mais hors du sujet de ce chapitre. Enfin, fi la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite Convention d’Oviedo, élaborée par le Conseil de l’Europe (à ne pas confondre avec l’Union européenne) et complétée par un « protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale » reprend globalement les attendus des documents précités. À noter que la France l’a signée mais pas encore ratifiée. fi La transposition de la directive européenne 2001/20/CE dans la loi de santé publique en 2004 a été l’occasion de réviser la loi Huriet. Elle sera discutée plus tard avec cette dernière. À côté de ces textes, dont la motivation première a été la protection des personnes qui se prêtent à la recherche, s’est élaboré tout un corpus réglementaire visant à l’organisation et au contrôle de la recherche, dont l’origine est toujours la recherche sur le médicament. Nous avons déjà mentionné le Guide des bonnes pratiques de l’International Conference on Harmonisation of Technical Requirements for Registration of Pharmaceuticals for Human Use (ICH), publié en 1996 (http://www. ich.org/LOB/media/MEDIA482.pdf).

Enjeux éthiques de la recherche Avant d’envisager le caractère spécifique fi de la recherche en réanimation, il convient d’examiner la déclinaison pratique des principes généraux d’éthique de la recherche exposés dans la première partie de ce texte. En particulier, les prérequis pour qu’une recherche soit éthique, la validité du consentement éclairé, l’éthique des essais randomisés, le risque de ce que les Anglo-Saxons ont appelé « therapeutic misconception ». Par ailleurs, on ne peut ignorer l’importance croissante des confl flits d’intérêt.

Notions générales sur l’éthique de la recherche Dans un article intitulé « Qu’est ce qui fait que la recherche clinique est éthique ? » (16), Ezekiel Emanuel (directeur du département de bioéthique du NIH et éditeur du remarquable et récent Oxford

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Enjeux éthiques en réanimation Textbook of Clinical Research Ethics, fréquemment cité dans ce chapitre) et ses collaborateurs énumèrent, par ordre chronologique de la conception et de la réalisation d’une recherche, sept conditions qui font qu’une recherche est éthique : – la recherche doit avoir une valeur sociale ou scientifique fi ; – sa méthodologie doit être scientifiquement fi valide ; – la sélection des sujets doit être juste (pour éviter l’exploitation de prisonniers ou de populations de pays en voie de développement par exemple : les sujets doivent pouvoir bénéficier fi des résultats de la recherche) ; – le rapport bénéfice/risque fi doit être favorable ; – l’évaluation du protocole doit être faite par un comité indépendant (qui s’assurera notamment du respect des six autres conditions) ; – le consentement éclairé doit être obtenu, avec l’exception (pertinente un certain nombre de fois en réanimation) pour la recherche en urgence dans les pathologies vitales ; – le respect pour les sujets inclus (qualité de l’information pendant et après l’étude, nondiscrimination des personnes qui n’ont pas souhaité participer, maximisation du confort pendant l’étude, possibilité de retrait de l’étude) qui souligne le fait que le respect ne s’arrête pas au moment où le consentement est obtenu ou refusé.

Consentement éclairé Bien qu’il ne suffi ffise pas à lui seul à juger du caractère éthique d’une recherche, le consentement éclairé est néanmoins un élément capital de l’éthique de la recherche. Les quatre grands principes de l’éthique (bienfaisance, non-malfaisance, autonomie et justice) sont concernés par le concept de consentement éclairé (ou informé pour traduire le mot anglais), mais au premier chef celui du respect de l’autonomie des personnes. Beauchamp et Childress (12) définissent fi le consentement comme « l’autorisation autonome qu’un individu donne pour une intervention médicale ou la participation à une recherche ». Les mêmes auteurs identifi fient cinq éléments dans le consentement éclairé : – la compétence du patient (capacité à prendre une décision) ; – la divulgation (disclosure) (des raisons et buts de la recherche, de ses risques, des droits du patient, etc.) ; – la compréhension (de l’information reçue) ; – le caractère volontaire (et donc non influencé fl voire imposé) du consentement ; – enfin fi le consentement formel aux soins ou à la recherche proposés.

Importance de l’évaluation du protocole par un comité indépendant On a vu le rôle déterminant des comités indépendants de revue des protocoles de recherche (quelle que soit leur dénomination, et notamment Institutional Review Boards tels que les définissent fi les Anglo-Saxons) dans l’éthique de la recherche. Il peut être intéressant, avant d’examiner les spécififi cités françaises et notamment en réanimation, de rappeler les rôles que la Common Rule américaine (45CFR46 déjà cité) leur assigne. Les IRB doivent s’assurer, entre autres : – que les risques pour les participants à la recherche sont minimisés ; – qu’ils sont raisonnables par rapport au bénéfice fi espéré ; – que la sélection des participants est équitable ; – de la qualité du consentement éclairé ; – qu’existe une surveillance adéquate de la recherche ; – que l’intimité des sujets est respectée ainsi que la confi fidentialité des données.

Problème de l’illusion thérapeutique Cet aspect fondamental de l’éthique de la recherche (au demeurant particulièrement pertinent quant aux spécifi ficités de la recherche en réanimation) mérite une attention particulière. C’est sous le nom de « therapeutic misconception » (traduit ici par l’illusion thérapeutique) que fut décrit un obstacle majeur à l’obtention d’un consentement éthiquement valide de participation à une recherche clinique (17). Cette illusion thérapeutique peut se défi finir comme la croyance fausse que les décisions thérapeutiques seront fondées sur la base de considérations individuelles au cours d’un protocole de recherche (en particulier randomisé). En d’autres termes, le sujet ne sait pas ou ne comprend pas qu’il est traité dans le cadre d’un protocole de recherche et que, par définition, fi le médecin qui le traite ne sait pas si le traitement qu’il lui administre est le meilleur ou non (sous les conditions normales de l’equipoise dont il sera question juste après). Le sujet du protocole de recherche ne perçoit pas la différence ff entre le soin, caractérisé par la convergence de ses intérêts et de ceux de son médecin et la recherche dans laquelle ces intérêts peuvent diverger, le patient espérant un bienfait de sa participation et le chercheur une réponse à la question qu’il se pose (18). Cette illusion thérapeutique peut devenir caricaturale dans les phases II de cancérologie, c’est-à-dire la recherche des seuils toxiques de nouvelles molécules chez des patients en échec thérapeutique, lorsque les risques pour les patients sont maximaux et les bénéfi fices pratiquement nuls.

Enjeux éthiques de la recherche clinique en réanimation La fréquence de cette illusion thérapeutique a été estimée à 70 % des personnes dans une étude sur la compréhension de protocoles de recherche en France (19). Cette erreur peut provenir du patient lui-même mais elle est souvent le résultat d’un choix politique de l’institution ou de l’investigateur qui ne dissipe pas l’ambiguïté entre activité de soins et de recherche (20). On peut noter à cet égard que dans son avis de 1998 intitulé « Consentement éclairé et information des personnes qui se prêtent à des actes de soins ou de recherche » (21), le Comité consultatif national d’éthique écrivait : « L’intrication des actes de soin et des actes de recherche est devenue une des caractéristiques majeures de la médecine “scientifi fique”. Elle devrait être revendiquée avec fierté… fi Une bonne recherche ne suffi ffit pas à faire des soins de qualité mais elle y contribue ». Cette phrase entraîne indéniablement une confusion entre soins et recherche et contribue au maintien de l’illusion thérapeutique. Elle prend toute sa valeur dans le contexte de l’époque : ainsi qu’on l’a vu plus haut, la déclaration d’Helsinki admettait encore la distinction entre recherche thérapeutique et non thérapeutique et la loi Huriet faisait également la distinction entre recherche avec et sans bénéfi fice individuel indirect. Les arguments en défense de cette intrication entre soins et recherche ne manquent certainement pas de pertinence, ni de validité morale. Il suffit ffi de voir le débat entre ses partisans (22) et ses opposants (18) dans un numéro relativement récent du New England Journal of Medicine. De même, la distinction entre soins et recherche peut être particulièrement malaisée en réanimation dès qu’il s’agit d’évaluation de soins courants ou de processus d’amélioration de la qualité (ces aspects seront envisagés plus bas). Il n’en demeure pas moins que le consentement informé ne peut être valide qu’avec la compréhension entière du caractère expérimental du protocole proposé et que le risque adjacent de l’illusion thérapeutique est de méconnaître la dimension altruiste de l’investissement d’un patient dans un protocole de recherche (18). Pour résumer, les personnes surestiment fréquemment les bénéfices fi de la participation à une étude, en sous-estiment les risques, ne comprennent pas bien les modalités d’assignement du traitement et, en général, ont tendance à confondre recherche et traitement usuel (20). Le processus de consentement informé devrait être amélioré pour éviter cette dérive. Cet aspect sera envisagé dans le paragraphe traitant spécifi fiquement des problèmes de la recherche en réanimation. Une question éthique majeure est celle du risque moral de l’une ou l’autre attitude (refuser toute illusion thérapeutique ou reconnaître l’intrication entre soins et recherche dans certains cas) ou encore des conséquences émotionnelles de la compréhension objective par rapport à l’illusion

porteuse d’espoir : le but est-il, dans des situations extrêmes telles que la cancérologie ou la réanimation, d’assurer l’intégrité morale du chercheur par un consentement totalement éclairé, ou le bienêtre du patient, même au prix du maintien d’une certaine ambiguïté (23, 24) ? La réponse est très diffi fficile car elle fait entrer en confl flit les principes d’autonomie et de bienfaisance, sans compter les intérêts propres de l’investigateur. Il est clair qu’une supervision attentive de la recherche, voire le recours à des alternatives méthodologiques (25), peuvent aider à résoudre ces dilemmes qui seront envisagés en détail plus bas. Le maintien de la confusion entre le soin et la recherche est en outre moralement condamnable en ce qu’il exonère le médecin-chercheur des précautions et des contraintes de la recherche. L’affirffi mation pieuse selon laquelle « la recherche, c’est de la bonne médecine » a certainement contribué à retarder la réglementation de la recherche. C’est la notion qui était au cœur de la controverse en France sur la suppression dans la loi de la notion de « recherche avec bénéfice fi individuel direct ».

Notion d’equipoise Cette notion est également particulièrement pertinente pour la recherche en réanimation. Un prérequis éthique fondamental pour comparer deux stratégies diagnostiques ou thérapeutiques, notamment au cours d’une étude randomisée, consiste en l’equipoise (26). Ce terme de la littérature scientifique fi anglo-saxonne pourrait se traduire par le mot « indifférence ff ». Il s’agit d’une situation dans laquelle il n’y a pas de raison objective de préférer l’une ou l’autre de deux options. Appliqué à la recherche, le terme d’equipoise indique que le médecin chercheur qui a l’intention de proposer à un patient de participer à une étude comparative (randomisée la plupart du temps) ne doit pas, sous peine de conflit fl éthique, considérer qu’un traitement est supérieur à un autre. Néanmoins, cette situation d’opinion individuelle ne prend pas en compte le fait que la médecine est de moins en moins une activité individuelle. Le débat, le partage de points de vue, les désaccords sont la norme de fonctionnement d’une communauté scientifi fique. La motivation scientifi fique qui soustend l’initiation d’un essai clinique est le conflit fl d’opinions dans la communauté médicale au regard des mérites d’un traitement par rapport à un autre, voire à son effi fficacité par rapport à un placebo. Ces situations ont été décrites par Benjamin Freedman qui a fait remarquer que ce qui compte dans ces conditions n’est pas l’opinion personnelle de tel ou tel investigateur mais celle de la communauté des investigateurs (26). Ainsi, lorsqu’il existe un débat

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Enjeux éthiques en réanimation dans la communauté médicale, certains cliniciens préférant tel traitement et d’autres tel autre traitement, et que chacun admet la possibilité que ce soit en fait l’autre qui ait raison, une autre situation d’equipoise est présente que Freedmann a dénommée « equipoise clinique », une incertitude sincère au sein de la communauté d’experts, et pas nécessairement de la part de tel ou tel investigateur, quant au traitement préféré (26). Dans de tels cas, bien que pensant que son opinion est la meilleure, le médecin accepte de participer à un essai comparatif. Il suffi ffit de voir la chaleur des controverses scientifiques fi dans les congrès de réanimation pour comprendre toute la validité scientifique fi et éthique de ce concept.

Conflflits d’intérêts académiques et financiers C’est peut-être là que réside un des problèmes les plus épineux de la recherche et c’est probablement également l’origine des dérives éthiques les plus célèbres et les plus affl ffligeantes. Comme on l’a vu, les intérêts des patients et ceux des médecins peuvent diverger dans la recherche. Ce n’est pas en soi éthiquement condamnable tant que l’intérêt personnel de l’investigateur se limite à ce que le protocole, conforme aux règles éthiques préalablement énoncées, se déroule dans de bonnes conditions. Les problèmes surgissent lorsque d’autres motivations animent l’investigateur : promotion académique ou intérêt financier. fi

Conflits académiques Dans sa dénonciation de la recherche non éthique, Henry Beecher (10) soulignait dès 1966 les dérives que peut générer la pression académique. Il écrivait ainsi « Tout jeune homme [notons au passage que le fait qu’une jeune femme puisse faire de la recherche ne semblait pas évident à l’époque…] sait qu’il ne sera jamais titularisé, ou professeur dans une faculté de médecine de premier plan, tant qu’il n’aura pas prouvé qu’il est un investigateurr ». La pression académique ne fit que croître par la suite et l’adage « publish or perish » n’a probablement jamais été autant d’actualité. Développer les conséquences des confl flits d’intérêts académiques pourrait faire l’objet d’un chapitre entier et le lecteur intéressé peut se reporter utilement à un ouvrage sur la question (27). Néanmoins, il est clair qu’il existe une pente glissante qui va du désir naturel de notoriété, aux déviations éthiques pour inclure un malade dans un protocole en minimisant la description des risques ou en exagérant la description des bénéfi fices. Ce faisant c’est le consentement informé qui s’en trouve biaisé. De même, il est extrêmement facile de favoriser l’illusion

thérapeutique, voire de s’abstenir de l’accord d’un comité d’éthique, cette dernière possibilité devenant plus diffi fficile compte-tenu de la politique éditoriale de la plupart des journaux médicaux (28). Cette pente glissante peut aller jusqu’à la fraude. Il n’est pas rare de voir apparaître dans les journaux les plus prestigieux des notices de rétraction, soit pour non-compliance avec les règles éthiques, soit pour fraude caractérisée. Il suffi ffit de penser à la récente affaire ff du prétendu clonage humain par un scientifique fi qui était devenu une star nationale dans son pays pour comprendre dans quel contexte sociologique se produisent ces déviations.

Conflits financiers Ils font régulièrement l’objet de signaux d’alarme dans les plus prestigieux journaux médicaux anglosaxons. Ils concernent essentiellement la recherche organisée ou subventionnée par l’industrie pharmaceutique. Les décrire en détail nécessiterait un chapitre à soi seul et le lecteur intéressé tirera profi fit de l’examen de la bibliographie citée dans ce chapitre. La liste des conflits fl d’intérêt financiers est longue, allant du plus (apparemment…) banal, tel que l’acceptation d’une invitation à déjeuner, ou de la prise en charge pendant un congrès jusqu’à la possession d’intérêts fi financiers (sous forme d’action ou autres), parfois considérables, dans une firme produisant le médicament ou dispositif à promouvoir, en passant par les activités de consultant rémunéré pour ces fi firmes. Même le premier exemple n’est pas anodin car il induit un sentiment de reconnaissance ou de dette envers le « donateur » (29) qui peut influencer fl les choix thérapeutiques. Un degré de gravité supplémentaire est franchi par les publications sélectives qui ne rapportent que les résultats d’études favorables et passent sous silence les études non concluantes ou négatives. C’est, entre autres, pour lutter contre ce problème que les éditeurs de la plupart des grands périodiques médicaux ont adopté la règle de demander que toutes les études soient enregistrées sur un site gouvernemental officiel ffi dès leur début, faute de quoi elles ne peuvent être publiées ultérieurement. Cet aspect, qui constitue un indéniable progrès, sera discuté ci-après. Enfi fin, le degré le plus grave est atteint par la publication de données tronquées ou inexactes signées par des noms prestigieux de la recherche médicale (qui parfois n’ont eu ni accès aux données brutes du fait de clauses de confidentialité, fi ni écrit eux-mêmes l’article). On peut mentionner l’affaire ff du rofécoxib pour lequel le laboratoire a tardé à admettre l’augmentation de mortalité cardiovasculaire due à ce nouvel anti-infl flammatoire non stéroïdien, ou celle de l’aprotinine en chirurgie cardiaque (augmentation des insuffi ffisances rénales, accidents vasculaires

Enjeux éthiques de la recherche clinique en réanimation ischémiques, etc.) ou des nouvelles thérapeutiques de la dépression (29-31). Des signaux d’alarme ont été émis par les éditeurs de prestigieuses revues de langue anglaise (29-32) ; ainsi Marcia Angell éditrice pendant vingt ans du New England Journal of Medicine écrivait-elle récemment dans le JAMA (33) un éditorial dans lequel elle constatait que « Les médecins ne peuvent plus compter sur la littérature médicale pour une information valide et fi fiable ». La recherche en réanimation est probablement également concernée, si l’on tient compte des enjeux financiers énormes autour des nouveaux traitements du sepsis par exemple. Ainsi, Eichacker et Natanson (les mêmes « whistleblowers » dont il sera question à propos des études de l’ARDSnet et des études avec risque), ont-ils souligné que, dans le but d’augmenter les ventes de son médicament, une firme fi avait financé une compagnie de « public relations » pour développer sa stratégie de « marketing » (34). Un des éléments de cette stratégie fut le soutien (plus de 90 % du financement) fi à la Surviving Sepsis Campaign de la Société européenne de réanimation (ESICM) qui réunissait des experts internationaux de réanimation et de maladies infectieuses. Ce groupe publia des recommandations, théoriquement fondées sur l’« evidence-based medicine », sur la prise en charge des sepsis sévères (35). Sur une échelle de recommandations allant de A à E par ordre de force, la prescription de protéine C activée était gratifiée fi d’une recommandation de grade B tandis que l’antibiothérapie précoce ne recevait qu’une recommandation de grade D !

Particularités de la recherche en réanimation Problème du consentement éclairé Plusieurs particularités de la recherche en réanimation doivent être présentes à l’esprit : – la vulnérabilité du malade de réanimation et de son entourage qui est particulièrement angoissé dans la plupart des cas ; – l’impossibilité, le plus souvent, du patient à consentir que ce soit aux soins ou à la recherche, sans être pour autant considéré comme incapable au plan juridique ; dans ce cas, la loi française dit que la personne est hors d’état de consentir ; – la généralisation des grandes études randomisées multicentriques qui nécessitent soit le consentement des proches, soit la possibilité, dans le cadre de l’urgence, d’être réalisées en l’absence de consentement. De ce point de vue, la loi française a, pendant longtemps, été à la fois, plus ambiguë et plus permissive, à certains égards, que la loi des États-Unis, par exemple. Nous reverrons le

point spécifique fi de la loi dans une section suivante. Disons simplement ici que tant que la loi française maintenait le principe du bénéfice fi individuel de la recherche (principe encore renforcé lors de la révision de la loi Huriet de 1994, qui réservait cette dérogation au consentement pour les recherches présentant un intérêt majeur pour le patient), celui-ci prenait nécessairement le pas sur le consentement, puisque cette recherche était entreprise pour le bien de la personne ; – la sauvegarde des patients dans des protocoles de recherche comportant par nature des risques non négligeables ; – enfi fin, on ne peut passer sous silence le problème des confl flits d’intérêts financiers ou autres, évoqués plus haut, qui sont potentiellement présents dans toute forme de recherche médicale, mais qui peuvent générer une tension éthique particulière dans le cadre de la réanimation. De la liste précédente, on déduit aisément qu’un des problèmes spécifi fiques que pose la recherche clinique en réanimation est celui du consentement. ffet, les autres étapes, envisagées plus haut, En eff qui font qu’une recherche peut être considérée comme éthique ne diffèrent ff pas substantiellement du contexte général. Dans la plupart des cas, l’incapacité du patient à consentir pour lui-même fait que ce consentement est recherché auprès des proches. Sans revenir sur ce qui fait l’objet d’autres chapitres de cet ouvrage, les proches d’un patient hospitalisé en réanimation ne sont certainement pas dans les conditions de sérénité que sous-entend le processus de consentement éclairé. Il a été montré, indépendamment de la recherche en réanimation, que les formulaires de consentement sont de compréhension très malaisée dans bon nombre de cas (36). De même, peut-on questionner la validité du consentement par un tiers, dans la mesure où il n’est pas certain que le patient aurait été du même avis que son proche (37). Néanmoins, il est généralement admis que les proches peuvent être considérés comme la meilleure garantie des intérêts des patients (37). Le désir naturel de l’investigateur est l’inclusion d’un nouveau malade dans un protocole. Le but essentiel du formulaire de consentement est la divulgation de tous les risques de la recherche. Il y a donc nécessairement conflit fl potentiel entre les deux. Les investigateurs de l’ARDSnet ont proposé des recommandations très claires sur la façon dont devraient être rédigés ces formulaires, notamment sur le fait qu’ils ne doivent pas cacher le risque de décès, notamment lorsque l’objectif primaire de la recherche est l’eff ffet du produit ou de la stratégie évalué sur le taux de mortalité (38). Il est évident que de telles initiatives vont dans le bon sens, mais on peut se demander quel impact elles peuvent avoir sur le taux de participation au protocole. Pour

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Enjeux éthiques en réanimation mémoire, et alors que certains patients avaient été inclus sans consentement, la fameuse étude sur la ventilation du SDRA avec des petits volumes courants (dont il sera spécifiquement fi discuté plus bas) n’avait pu inclure que dix pour cent des patients présentant un SDRA (du fait des exclusions, refus, ou erreurs d’inclusion). En bref, soit le formulaire de consentement est rassurant et il n’est pas objectif, soit il est objectif et peut dissuader de consentir (25, 39), voire être inutilement cruel, selon les ffrey Tobias (24). À ce sujet, un aspect mots de Jeff du problème du consentement, rarement envisagé, est celui de la référence aux études antérieures analogues mais pas identiques. Convient-il de dire dans un formulaire de consentement à une étude sur un produit qui influence, fl dans un sens ou l’autre, la cascade des médiateurs de l’inflammation fl au cours du sepsis, que la plupart des études antérieures ont été négatives, voire ont conclu au caractère délétère de la nouvelle molécule (25) ? On pourrait argumenter d’une part que chaque étude n’a rien à voir avec la précédente, mais de l’autre que l’information consiste également à donner un panorama général de la question à celui qui doit consentir.

Recherche en urgence Elle est bien souvent distincte de la recherche en réanimation où, dans la plupart des cas, l’intervention thérapeutique objet du protocole permet de disposer d’une fenêtre d’inclusion laissant le temps de recueillir le consentement (rarement) de la personne et le plus souvent de son entourage (37). Néanmoins, il existe d’authentiques situations dans lesquelles il n’est pas possible d’attendre un consentement pour démarrer les soins et dans ce cas le protocole de recherche. Si, ainsi qu’on l’a vu, la situation est assez claire dans ce cas aux ÉtatsUnis avec la possibilité d’une dispense de consentement (en fait un consentement retardé, « deferred consent ») dans des cas bien précis, ce n’est pas forcément le cas en Europe du fait de la directive européenne 2001/20CE (40) qui, bien qu’initialement prévue pour le médicament seulement, a entraîné en France la révision de la loi Huriet (qui sera envisagée plus bas). La directive interdit explicitement toute recherche sans consentement, même lorsqu’il s’agit de situations d’urgence. Elle a entraîné des levées de bouclier un peu partout en Europe et l’on a vu fleurir fl les éditoriaux aux titres apocalyptiques (coup fatal porté à la recherche ; arrêt de la recherche, etc.) (41, 42). En fait, tant dans la loi française qu’anglaise (43), des dispositions spécifiques sont prévues qui permettent l’inclusion en fi urgence des patients incapables de consentir. Quoi qu’il en soit, ce débat illustre de façon magistrale la tension qui a toujours existé entre le prin-

cipe de bienfaisance (qui peut se confondre dans ce cas avec un certain « paternalisme » ou plutôt autoritarisme médical (44) si ce n’est avec le conflit fl d’intérêt) et l’autonomie des patients au prix de laquelle il faut réfl fléchir. Il a été avancé que compte tenu du déroulement très lent aux États-Unis de l’étude ISIS-2 (streptokinase et aspirine dans l’infarctus du myocarde) du fait des contraintes du consentement informé, les résultats favorables ont été connus tardivement et que des milliers de vie auraient pu être sauvées si une procédure de consentement plus laxiste avait permis une conclusion plus rapide (24). C’est l’argument du prix de l’autonomie qui n’est pas anodin. Il est effectivement ff délicat de trancher entre les deux types d’argument. On mesure l’importance d’une surveillance attentive de la recherche tant par l’IRB que par un comité de suivi sur le mode des Data Safety Monitoring Board (il en sera question plus loin). Néanmoins, dans l’analyse de ces situations, il convient de se rappeler les mots de Henry Beecher dans son fameux article sur la recherche non éthique (10) : « Il y a la croyance dans certains cercles sophistiqués que l’attention à ces problèmes [consentement informé] bloquera le progrès » et ceux, assez inquiétants et cités précédemment dans ce chapitre, de Léo Alexander sur la validité de la loi par rapport aux conceptions morales de l’investigateur. Souvent, une contradiction apparemment insoluble ne trouve sa solution que dans le dépassement du contexte dans lequel elle se pose : le problème du consentement se pose essentiellement dans le cadre de l’étude randomisée. Renoncer dans certains cas à l’étude randomisée ne ferait-il pas partie des solutions, ainsi qu’exposé au paragraphe suivant (25) ?

Solutions envisageables S’aff ffranchir du consentement dans certains cas ? La constatation de cette diffi fficulté matérielle et éthique à obtenir le consentement à certaines études, indépendamment même du problème de l’urgence évoqué au paragraphe précédent, a fait proposer à certains de supprimer cette nécessité de consentement dans certains cas. Ainsi, Robert Truog (45) a suggéré que le consentement à la recherche puisse n’être pas requis (après accord d’un IRB), au bénéfi fice du consentement général aux soins, à condition que : – chacun des traitements proposés dans l’étude puisse être utilisé en routine, indépendamment de toute recherche (exemple : comparaison de deux antibiotiques ou de deux voies d’abord vasculaire) ;

Enjeux éthiques de la recherche clinique en réanimation – les traitements ne comportent pas plus qu’un risque additionnel minime avec quelque autre alternative que ce soit ; – une réelle « equipoise clinique » (ce terme a été défini fi plus haut) existe entre les traitements ; – une personne raisonnable n’aurait aucune raison de préférer une intervention par rapport à l’autre. Comme on l’a vu, ces propositions privilégient le principe de bienfaisance au détriment de celui d’autonomie, avec tous les risques de dérives inhérentes, surtout dans le contexte des conflits fl d’intérêts potentiels évoqués plus haut (37).

Renforcer la surveillance de la recherche ? C’est ce que propose John Luce (37) en réponse à la suggestion de Truog, plutôt que de diminuer le recours au consentement éclairé. Pour cela, l’avis d’un comité d’éthique ou d’un IRB n’est pas suffisant, il faut également un suivi de la recherche. C’est le rôle dévolu aux Data Safety Monitoring Boards. Néanmoins, même ce dispositif de surveillance n’est pas infaillible (46, 47). Ainsi l’équipe de Charles Natanson a-t-elle pu montrer, à propos de plusieurs études chez des patients à haut risque de décès en réanimation, qu’ils n’avaient pas bénéficié d’un suivi optimal par le DSMB (48). En eff fi ffet, celui-ci n’était pas tenu au courant de la mortalité dans chaque bras de l’étude, mais simplement de la mortalité globale qui paraissait rester dans le pourcentage attendu. L’étude fut donc menée à son terme, mais il s’avéra en fait que la mortalité du groupe témoin était beaucoup plus faible que prévue tandis que la mortalité du groupe nouveau traitement était très élevée. Si le DSMB avait eu ces éléments en continu, l’étude aurait été arrêtée prématurément et des vies auraient été sauvées. Rappelons ici que la mission de contrôle de la recherche incombe au promoteur de cette recherche, et non à l’investigateur. Cette obligation essentielle pour le promoteur est inscrite dans toutes les réglementations sur la recherche, nationales et internationales, en particulier les BPC-ICH, la directive européenne, la loi de santé publique en France ainsi que dans les BPC publiées par l’AFSSAPS en 2006. Ce rôle accru du promoteur (la firme pharmaceutique pour les essais « industriels » et les Directions de la recherche clinique [DRC et URC à l’AP-HP] pour la recherche institutionnelle fi financée par le PHRC) depuis la révision de 2004 est, d’ailleurs, régulièrement à l’origine de tensions avec les investigateurs, qui se sentent dépossédés. Quoi qu’il en soit, un pouvoir accru de surveillance de la recherche ne peut être que bénéficiable fi aux patients. La crainte, malheureusement parfois justifiée, fi de la part du public d’eff ffets secondaires graves de la recherche, est responsable de l’appa-

rition d’une démarche inédite aux États-Unis : la plainte en justice déposée contre des institutions académiques, des chercheurs et des IRB dont le nombre augmente (et qui a notamment concerné le cas terrible du jeune homme décédé au cours d’un essai de thérapie génique pour une maladie bien tolérée chez lui) (49).

Changer la méthodologie ? Le problème du consentement informé, avec toutes les tensions éthiques que nous avons vues, se pose par essence au cours des études randomisées (51, 52). À partir du moment où le médecin tire au sort, même en condition d’equipoise, le traitement qu’il va administrer à son malade, on ne saurait concevoir de raison théorique totalement valide au plan éthique pour s’affranchir ff du principe de respect de l’autonomie. Sans vouloir remettre en cause le principe de ce type d’études et leur caractère évidemment indispensable dans un certain nombre de cas, on ne peut passer sous silence le fait que, parfois, des études observationnelles ou de cohorte ont apporté les mêmes résultats que des études randomisées (51, 52). De même, la randomisation par « cluster » (comparant deux pratiques de soins dans deux services différents, ff deux hôpitaux ou dans deux secteurs SAMU diff fférents, à « case-mix » comparable) n’est pas nécessairement invalide. On ne peut exclure que la sacralisation dont bénéfifi cie l’essai randomisé contrôlé depuis son origine ne fasse un peu oublier que d’autres possibilités existent et qu’elles peuvent avoir l’avantage d’éviter le dilemme entre consentement en situation d’urgence ou d’angoisse majeure et abstention de demande de consentement (25, 50). Cela nécessitera peut-être de repenser la fameuse gradation de l’« evidence-based medicine ». Recourir à d’autres méthodes que l’essai randomisé contrôlé, lorsque cela est possible, aurait bien d’autres avantages, ne serait-ce qu’une réduction appréciable du coût de la recherche. En outre, dans certains domaines, comme la chirurgie ou l’évaluation des dispositifs médicaux, où les essais se font souvent en ouvert, l’obtention du consentement est souvent problématique, rendant certaines recherches infaisables.

Controverse sur l’ARDS En mai 2000, le New England Journal of Medicine publiait avec un maximum de publicité les résultats d’une étude sur l’ARDS, l’ARMA trial, qu’avait menée un réseau d’investigateurs nord-américains réputés, l’ARDS Network, réseau financé par le NIH. Cet essai randomisé rapportait une meilleure survie des patients ventilés avec un « petit » volume courant (Vt), réglé à 6 mL/kg de poids

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Enjeux éthiques en réanimation théorique des malades, par rapport à ceux qui recevaient un « grand » Vt, de 12 mL/kg (53). L’essai avait même été interrompu avant le terme prévu pour cause d’effi fficacité statistiquement démontrée. Ainsi se trouvait achevée et transférée dans le champ clinique la démonstration du rôle délétère de la ventilation mécanique à grande pression et hauts volumes, qualifi fiée de baro- (ou volo-) traumatique (54). La publication de résultats aussi spectaculaires (l’ARDS est un domaine où les essais négatifs sont notoirement et de très loin les plus fréquents…) devait néanmoins rapidement déclencher une controverse planétaire (55, 56). En effet, ff d’autres investigateurs, américains eux aussi, mais indépendants de l’ARDS Network, P. Eichacker et C. Natanson (57), contestaient le choix du comparateur, insistant sur le côté artificiel fi et excessif du Vt dans le groupe contrôle. Ils montraient de façon convaincante que les cliniciens avaient déjà commencé à réduire les volumes courants, qu’ils n’utilisaient plus les Vt de 12 mL/kg usuels dans les années 1970 et 1980 ; que les Vt utilisés dans le groupe contrôle ne correspondaient donc plus au « standard of care » au moment où l’essai avait été mené (1996-1999) et que celui-ci n’avait été positif qu’en raison de cette exagération. De fait, deux autres essais contemporains, l’un conduit par Laurent Brochard (58) et l’autre par Tom Stewart, au Canada (59), n’avaient pas montré de supériorité du bras « petit volume » sur le bras contrôle, dans lequel le volume courant était nettement inférieur aux 12 mL/kg de l’ARMA trial (8-10 mL/ kg). Eichacker et Natanson avaient alerté le bureau fédéral de surveillance des essais (OHRP). Celui-ci était d’ailleurs dans le même temps saisi d’une autre dénonciation portant sur le même essai, émanant d’un groupe d’observateurs, un « watchdog », qui critiquait les conditions dans lesquelles le consentement des patients avait été obtenu. Ce que tous dénonçaient, de façon plus ou moins explicite, était que, pour obtenir des résultats positifs, les chercheurs du network avaient sacrifié fi les malades randomisés dans le groupe contrôle, dont la mortalité était effectivement ff bien supérieure à celle de malades contemporains ventilés avec des Vt « intermédiaires », ceux utilisés par les cliniciens à la fi fin des années 1990 (60, 61). L’OHRP avait suspendu pendant plus d’un an les deux essais que menait en 2001-2002 l’ARDS Network, et qui utilisaient les résultats de l’ARMA trial, devenus suspects entre temps. Les IRB qui avaient autorisé ces essais avaient dû revoir leur décision après que les notices d’information et les formulaires de consentement aient été réécrits. Cette controverse, éteinte aujourd’hui, reste cependant importante à connaître pour plusieurs raisons :

– L’attention portée aux caractéristiques du groupe contrôle, lors de la rédaction du protocole, doit être extrême tant les résultats et la fiabilité de l’essai en dépendent ; dans des publications ultérieures (62), Natanson et Eichacker ont montré que ce problème est particulièrement crucial en réanimation, domaine dans lequel nombre de traitements ne sont pas administrés avec des doses fi fixes, mais selon une titration, en fonction d’échelles variables, comme par exemple les catécholamines, la transfusion sanguine, l’intensité de la ventilation mécanique ou du remplissage vasculaire. C’est dans ces conditions que le traitement du groupe contrôle doit correspondre au « standard of care » (63). – L’importance pratique, opérationnelle du concept d’equipoise : dans ce cas précis, l’equipoise n’était pas respectée, les Vt de 12 mL/kg n’étaient plus utilisés en pratique clinique : Natanson, en regardant les caractéristiques ventilatoires des patients du groupe contrôle, a pu montrer que les Vt prescrits avant la randomisation étaient inférieurs aux 12 mL/kg du protocole et qu’il avait fallu les augmenter lorsque les patients étaient randomisés dans le groupe contrôle. Cela avait néanmoins été reconnu d’emblée par les investigateurs (61). – La dénonciation du groupe de pression concernant les consentements était légitime, et a révélé que dans la majorité des États américains, la législation n’avait pas prévu de délégation pour les personnes incapables de le donner dans le cas de recherches, à l’inverse de ce qui existe pour le soin (64). Le rôle courageux de « whistleblower » joué par Eichacker et Natanson, est également remarquable ; comme Pappworth en son temps, la communauté des réanimateurs américains ne les a pas épargnés, au moins pendant un temps. L’importance du rôle indispensable joué par une fi indépendante mérite aussi presse scientifique d’être relevée ; les problèmes de fond révélés par la controverse seraient restés ignorés et donc sans solution si l’éditeur de l’AJRCCM de l’époque n’avait pas lui aussi choisi de la porter sur la place publique et de résister aux pressions qui s’exerçaient sur lui (65). Recherche, évaluation, amélioration de la qualité des soins : quelles équivoques ? Ainsi qu’on l’a évoqué peu avant, une part croissante de la recherche en réanimation consiste en l’évaluation de pratiques ou d’amélioration de la qualité des soins. Récemment, un article publié dans le New England Journal of Medicine (66) évaluait les taux d’infections sur cathéter depuis que les centres participants avaient adhéré aux bonnes pratiques de pose et de soins de ces cathéters. Il s’agissait aux yeux des auteurs non d’un travail de recherche

Enjeux éthiques de la recherche clinique en réanimation mais d’une évaluation de l’effi fficacité de procédures d’amélioration de la qualité des soins, chacune de ces procédures (exemples : se laver les mains ; retirer les cathéters inutiles…) étant d’ores et déjà recommandée par les Centers for Disease Control. De fait, sous l’effet ff du protocole, les infections ont quasiment disparu… et l’office ffi de protection dans la recherche humaine (OHRP dont il a été question au paragraphe précédent à propos de l’ARDSnet) a reçu une plainte alléguant d’une violation de la loi fédérale en matière de recherche. L’OHRP a reproché à l’institution qui menait cette recherche et à son IRB de n’avoir pas demandé le consentement informé pour la participation à l’étude (67) ! À la décharge de l’OHRP, on peut expliquer sa méfiance fi du fait d’un problème dont il avait récemment eu à traiter avec l’IRB de l’institution en cause (Johns Hopkins de Baltimore) : il s’agissait du décès d’une jeune femme volontaire saine dans une étude sur la physiopathologie de l’asthme ; son enquête avait révélé des faiblesses dans la revue du protocole par l’IRB (68). Quoi qu’il en soit, dans le cas de l’étude sur l’infection des cathéters, des éditoriaux écrits par les plus grands noms de l’éthique de la recherche (69, 70) sont venus à l’aide de l’institution en question et surtout de l’idée que la démarche d’amélioration de la qualité ne pouvait pas être régulée de la même façon qu’une recherche formelle et notamment en ce qui concerne le consentement. On verra en conclusion les leçons que l’on peut tirer de cet épisode quant à certains aspects de la recherche en réanimation.

Législation de la recherche en France

Huriet avait fait voter la loi sur la recherche qui porte son nom. Entre-temps, la proposition de loi qui ne traitait à l’origine que des phases 1, avait vu son champ d’application s’étendre à toute la recherche interventionnelle. La loi de décembre 1988 a donc mis en place l’encadrement réglementaire de la recherche sur l’homme, en reprenant d’ailleurs les principes déjà contenus dans un Guide des bonnes pratiques cliniques publié l’année précédente par la Direction de la pharmacie et du médicament (DPhM) du ministère de la Santé, et donc toujours dans une optique très « médicament ». Ses grandes lignes en étaient : – la séparation des rôles de l’investigateur et du promoteur ; – l’identification fi de deux types de recherche, avec et sans « bénéfice fi individuel direct » et l’autre sans (ABID et SBID) ; – avis obligatoire mais consultatif d’un comité indépendant, le Comité consultatif de protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales (CCPPRB) ; – déclaration à une « autorité compétente », l’agence du médicament, devenue secondairement l’AFSSAPS ; – des règles contraignantes pour l’information et le consentement ; – une protection accrue pour certaines populations de patients dits « vulnérables » ; enfants, femmes enceintes, incapables, prisonniers, malades en situation d’urgence ; – assurance du promoteur obligatoire, affiliation ffi à la sécurité sociale des personnes qui se prêtent à la recherche ; – sanctions pénales en cas de non-respect de la loi.

Avant 1988, il n’y avait en France aucune réglementation de la recherche sur l’homme. La confusion totale à l’époque entre le soin et la recherche la rendait inutile pour la majorité des médecins investigateurs. Mais, pour que ceux-ci soient autorisés légalement à inclure leurs patients dans des protocoles de recherche, encore fallait-il que la recherche leur confère, au moins potentiellement, un « bénéfi fice direct ». Le Code civil précise que le médecin n’est autorisé à porter atteinte au corps d’une personne que dans son intérêt, dans une visée thérapeutique. Mais cette disposition ne pouvait évidemment pas s’appliquer aux essais de phase 1 portant sur le médicament et réalisés sur des volontaires sains, faisant courir un risque pénal (coups et blessures) à ceux qui les réalisaient. C’est bien pour écarter ce risque qu’un groupe de pharmacologues déterminés avait créé une association visant à doter cette recherche sur des volontaires d’un cadre légal (71). Après plusieurs échecs, c’est finalement en décembre 1988 que le sénateur

En 2001, la Direction générale « Entreprise » de l’Union européenne produisait une directive visant à harmoniser les réglementations de la recherche sur le médicament de tous les états membres de l’Union (2001/20/CE). La transposition de cette directive dans notre droit national a été effecff tuée en août 2004, à l’occasion du vote de la loi de santé publique. Un certain nombre de modificafi tions importantes ont alors été apportées à la loi Huriet-Sérusclat, tout en respectant les principes qui la sous-tendent. On peut dire que, dans l’ensemble, la sécurité des essais et la protection des patients s’en est trouvée renforcée, au prix cependant d’un accroissement notable de la contrainte administrative. Plusieurs évolutions importantes méritent d’être commentées : – la suppression de la distinction entre les recherches avec et sans bénéfice fi individuel direct. La disparition de cette spécificité fi exclusivement française, après que l’Association médicale

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Enjeux éthiques en réanimation mondiale eût abandonné en 2000 la distinction entre les recherches thérapeutiques et non thérapeutiques, avait été justifiée fi par l’alignement sur la directive européenne, qui ne la retenait pas, mentionnant seulement l’évaluation par les comités éthiques de la recherche du rapport bénéfi fice/risque. De façon indirecte, la nouvelle formulation visait aussi à séparer encore plus nettement le soin de la recherche, l’ancien intitulé contribuant à maintenir la confusion (72) ; – le renforcement du rôle du promoteur de la recherche, qui en est désormais à la fois le gestionnaire, l’organisateur, le contrôleur et le responsable. Si ce rôle était plus ou moins déjà celui du promoteur industriel, c’est-à-dire de la firme fi pharmaceutique qui avait initié le projet, il n’en va pas de même en ce qui concerne la recherche dite académique. Dans ce cas, l’essentiel de ces missions était rempli par les investigateurs. Cette évolution réglementaire a correspondu au développement des structures hospitalières de promotion (les DRC et URC à l’AP-HP), financées fi sur l’enveloppe MERRI-MIGAC, ce que nombre d’investigateurs n’ont pas encore réalisé et encore moins accepté ; – le renforcement du rôle des Comités de protection des personnes (CPP), dont l’avis favorable est maintenant nécessaire pour que la recherche puisse débuter, et dont la composition a été élargie ; de même, les missions de l’autorité compétente, c’est-à-dire uniquement l’AFSSAPS, depuis l’abandon par la DGS de l’examen des projets hors produits de santé qu’elle eff ffectuait jusqu’ici, ont été élargies et renforcées : l’Agence, qui avant 2004 ne recevait qu’une lettre d’intention, doit maintenant autoriser les essais qui lui sont soumis ; – la création d’une procédure simplifi fiée pour des recherches sans risque, « portant sur les soins courants ». La simplification fi visée était que seul l’avis du CPP était requis, et non celui de l’AFSSAPS, et que le consentement écrit des patients n’était pas obligatoire. Malheureusement, d’autres facteurs de blocage ont été laissés en place, rendant cette nouvelle procédure moins effi fficiente qu’elle aurait dû l’être ; – la procédure de déclaration (au ministère de la Recherche) et d’autorisation (par les CPP) des collections biologiques a été refondue et complétée. Malheureusement, cette procédure – complexe a été portée par deux lois distinctes, la loi de bioéthique et la loi de santé publique, aboutissant à des textes incohérents et qui se sont révélés en pratique inapplicables. Pour toutes ces raisons, il est devenu nécessaire de reprendre encore une fois l’encadrement réglementaire de la recherche sur la personne. C’est l’objet d’une proposition parlementaire de loi, portée

par le Pr Olivier Jardé, votée en janvier 2009 à l’Assemblée nationale et qui devrait être examinée en seconde lecture par le Sénat à l’automne 2010.

Conclusions et perspectives La phrase de Carol Levine (1), citée en introduction, indiquant que l’éthique de la recherche était née dans le scandale et avait été élevée dans le protectionnisme, garde toute son actualité. En effet, ff il convient d’éviter ces deux écueils. Les scandales qui menacent actuellement le plus l’intégrité de la recherche sont probablement ceux liés aux conflits fl d’intérêts académiques ou financiers, qui seront probablement jugés avec beaucoup de sévérité par les générations futures. Ils culminent avec les recherches ayant entraîné la mort de volontaires sains ou peu malades dans de prestigieuses institutions nord-américaines (ainsi l’essai physiopathologique sur l’asthme au Johns Hopkins de Baltimore cité plus haut, l’essai de thérapie génique à l’université de Pennsylvanie). La commission d’enquête chargée, en 2001, d’examiner ce qui n’allait pas après l’un de ces décès avait été frappée par le fait que « beaucoup de gens au Johns Hopkins pensent que la surveillance et les processus de régulation font barrière à la recherche et doivent être réduits au minimum plutôt qu’ils ne constituent de sauvegarde importante » (73). Ces confl flits sont également présents lorsque certaines recherches dans les pays en voie de développement confinent fi à l’exploitation de populations vulnérables (74). D’un autre côté, les excès de régulation tatillonne (il a ainsi pu être écrit dans le British Medical Journal : « L’augmentation de la bureaucratie est devenue la principale menace sur la recherche clinique au Royaume-Uni » (75)) freinent certaines recherches qui ne feraient courir aucun risque réel supplémentaire (il n’est que voir l’exemple cité plus haut de l’amélioration de la qualité des soins des cathéters (66) ou les difficulffi tés de mise en pratique de dispositions régissant la recherche sur les soins courants (76). On est, à cet égard, probablement plus dans le protectionnisme que dans la protection des personnes. Les solutions proposées devraient prendre en compte l’évolution historique de la recherche clinique et de sa supervision, comme l’explique Ezekiel Emanuel, directeur du département de bioéthique au NIH en décrivant quatre paradigmes (77) sous-tendus par une interaction croissante des personnes sujets de la recherche : – le paternalisme du chercheur, aux stades initiaux où la recherche n’était pas contrôlée (on pourrait en fait préférer le terme d’autoritarisme médical proposé par Jay Katz (44) car il rend mieux compte de la réalité) ;

Enjeux éthiques de la recherche clinique en réanimation – le protectionnisme régulateur, tel qu’il s’est développé suite aux scandales décrits dans ce chapitre ; – l’accès des participants, qui a commencé dans les années quatre-vingt avec notamment l’émergence des associations de patients VIH ; – le partenariat collaboratif, plus récent, favorisé notamment par l’émergence des études génétiques. L’exigence croissante de transparence a conduit au développement de registres publics électroniques (tels que clinicaltrials.org) dont il a été question plus haut, dans lesquels doivent être déclarés dès leur conception les protocoles de recherche, faute de ne pas être acceptables pour publication par la suite (78). Cette pratique pourrait permettre de diminuer le phénomène de publication sélective (des résultats favorables) et de manipulation des données (par la comparaison du protocole initial et de celui qui est in fine fi publié). Néanmoins, une analyse récente montre que ce n’est pas encore la panacée, car les objectifs primaires des études diffèrent ff notablement entre ce qui avait été enregistré et ce qui est publié (79). De même a-t-il été proposé que les investigateurs révèlent leurs conflits fl d’intérêts financiers aux participants à la recherche qu’ils leurs proposent (80). On peut, en revanche, rester plus dubitatif sinon inquiet quant aux conséquences possibles d’un concept récemment développé par l’équipe d’Ezekiel Emanuel, celui de l’obligation morale de participer à la recherche au prétexte que si l’on veut les bénéfices, on doit également contribuer aux charges (81). Une visée aussi utilitariste de l’éthique de la recherche pourrait aisément la ramener à son premier paradigme. Pour ce qui est de l’avenir de la recherche en réanimation, il convient de garder à l’esprit que nombre de progrès ont été et continuent d’être le fait d’une amélioration continue de la qualité des soins, de son évaluation et des études physiopathologiques. Le rôle des études randomisées contrôlées devrait sans doute y être plus limité. La protection de personnes aussi vulnérables que les patients de réanimation et leur entourage implique une surveillance stricte de la recherche mais aussi l’adaptation non dogmatique des modalités de la recherche pour trouver le meilleur compromis entre qualité scientifi fique, lourdeur des procédures et respect des patients et de leurs proches, au premier rang leur angoisse et leur désir d’être traités par un clinicien et non par un chercheur (25).

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Chapitre

Respect du secret médical en réanimation

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A. Lienhart, D. Ganem-Chabenet

Introduction

S

auf à considérer la fréquence des situations d’urgence vitale et d’inconscience qui caractérise la réanimation, il n’existe a priori pas d’indication, pas de texte, pouvant laisser entendre que le secret médical pourrait s’y appliquer de façon particulière. Toutefois, il arrive qu’en pratique des tensions apparaissent entre diff fférentes valeurs, voire entre diff fférentes formulations réglementaires, ce qui oblige à revenir sur certains de leurs aspects fondamentaux. En eff ffet, pour appliquer convenablement les règles de bonnes pratiques, les lois et règlements, mieux vaut avoir préalablement compris leur bien-fondé. Respect de la personne soignée, respect de son entourage, respect de la loi et de la déontologie convergent généralement vers les mêmes attitudes, mais la complexité du réel peut faire apparaître des situations où la solution n’est pas évidente. La question devient celle de la hiérarchie des valeurs et des textes, pour réduire le risque d’erreurs ou de déficit fi dans les explications à fournir, tant au patient et à son entourage qu’aux autres membres de l’équipe soignante. Les éléments de compréhension seront donc présentés en premier, suivis du rappel des principaux textes, en commençant par les lois et en poursuivant par les décrets, dont le Code de déontologie médicale, désormais codifié dans la partie réglementaire du Code de la santé publique (CSP, article R.4127-1 sqq.). En effet, ff le Code de déontologie, contrairement à une opinion encore trop répandue, n’est pas une sorte de code de bonne conduite dont se seraient dotés les médecins, mais un décret en Conseil d’État, qui fi fixe aux médecins des obligations réglementaires à l’égard des personnes soignées, de leur entourage, des autres médecins, des autres professionnels de santé, de la société.

Champ du secret médical Le secret professionnel figure fi parmi les premières obligations générales des médecins, dès l’article 4 L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

du Code de déontologie (art. R.4127-4 CSP, voir encadré n° 1), ce qui en montre le caractère fondamental. Ce n’est pas un secret partagé par tous les médecins ni par les seuls médecins : d’autres personnes que les médecins y sont soumises, et tous les médecins n’y ont pas accès. Ainsi, ceux qui ne participent pas aux soins d’une personne n’ont pas accès aux informations la concernant, alors que les autres catégories de personnels qui participent à ces soins ou à leur organisation y ont accès. C’est un secret professionnel, institué dans l’intérêt des personnes soignées, qui doivent être assurées que ce qu’a appris le médecin les concernant restera confidenfi tiel, partagé uniquement pas ceux qui concourent à leurs soins. Il est à la fois d’intérêt privé et d’intérêt public, prenant en compte les malades présents et les malades à venir. Cette notion est suffi ffisamment forte pour, par exemple, interdire au médecin ou aux infirmières fi de divulguer la séropositivité d’un patient à son partenaire sexuel sans l’accord du patient. Ce type d’interdit heurte un désir de précaution et de prévention de la part des soignants, mais vise à éviter que des personnes ayant besoin de soins s’abstiennent d’y recourir par crainte que ne soit divulguée une information qu’ils veulent garder secrète. Cela ne libère pas le médecin de l’obligation qu’il a de tenter de convaincre le patient de révéler lui-même cette information à son partenaire (« le médecin ne s’incline pas facilement »), mais fi fixe une limite très claire. Encadré n° 1 • L’article L.1110-4 CSP dispose : « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, …/…

104 Enjeux éthiques en réanimation …/… avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe. » • L’article L.1111-7 CSP dispose : « Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées ou ont fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d’examen, comptes rendus de consultation, d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l’exception des informations mentionnant qu’elles ont été recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers. » • L’article 226-13 du Code pénal dispose : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » • L’article 4 du Code de déontologie médicale, article R.4127-4 CSP dispose : « Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. » • L’article 72 du même Code, article R.4127-72 CSP dispose : « Le médecin doit veiller à ce que les personnes qui l’assistent dans son exercice soient instruites de leurs obligations en matière de secret professionnel et s’y conforment. Il doit veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée par son entourage au secret qui s’attache à sa correspondance professionnelle. » • L’article 73 du même Code, article R.4127-73 CSP dispose : « Le médecin doit protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu’il a soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le support de ces documents. Il en va de même des informations médicales dont il peut être le détenteur. Le médecin doit faire en sorte, lorsqu’il utilise son expérience ou ses documents à des fins de publication scientifique ou d’enseignement, que l’identification des personnes ne soit pas possible. À défaut, leur accord doit être obtenu. » Par ailleurs, l’existence d’un secret partagé n’implique pas que des éléments de la vie privée qui n’auraient pas d’impact potentiel sur les soins pourraient être communiqués à ceux qui partagent ce secret médical.

La distinction peut apparaître subtile, car nombre d’éléments extrêmement intimes de la vie privée, tels le nombre et le type de partenaires sexuels ou l’usage de produits illicites, peuvent avoir des incidences pratiques sur la démarche médicale, et sont donc au nombre des informations utiles soumises au secret professionnel. La profession, des activités extraprofessionnelles, les voyages, les habitudes alimentaires, sont également des indices précieux d’un point de vue médical, et font donc partie du dossier partagé par les soignants directs, transmis à une autre équipe en cas de transfert. Mais d’autres éléments n’auront d’intérêt qu’en fonction du contexte. Par exemple, une sanction pénale ne méritera de figurer dans le dossier médical que si elle a un impact, notamment sur la santé psychique du patient ou sur son observance du traitement. Le médecin ne collige pas toutes les informations et doit pouvoir expliquer en quoi celles qu’il a colligées peuvent être utiles à la prise en charge du patient : ne sont partageables que les informations strictement nécessaires aux soins de la personne malade. La personne malade doit recevoir une information et, si elle est en état de recevoir celle-ci et de donner son consentement aux soins, c’est à elle et à elle seule que cet accord est demandé, ainsi que l’a rappelé un arrêt de la Cour de cassation (Civ. 1re, 6 décembre 2007 n° 06-19301), et non pas à sa famille ou ses proches, qui ne sauraient dès lors reprocher au médecin un défaut d’information à leur égard. Le secret concernant ces informations médicales appartient in fine fi à la personne malade, qui a accès à l’ensemble des informations de son dossier (art. L.1111-7 CSP, voir encadré n° 1). Elle peut souhaiter renforcer ce secret, en interdisant que tout ou partie de ces informations soient révélées, y compris après sa mort (voir ci-après « Le secret au-delà du décès ») ; elle peut au contraire accepter par avance la divulgation de certains éléments (voir ci-après « Secret médical et assurances »). Il n’est licite de déroger au secret médical que dans les cas expressément prévus par la loi, tel par exemple celui des certificats fi médicaux d’accident du travail et de maladie professionnelle (art. L.441-6 et L.461-5 du Code de la sécurité sociale), ou celui du certificat fi de décès nécessaire pour autoriser la fermeture du cercueil (art. R.1112-70 CSP). En cas de sévices permettant de présumer des violences physiques, sexuelles ou psychiques, le signalement au procureur de la République n’est possible qu’avec l’accord de la victime. Un tel accord n’est pas nécessaire dans les cas de mineurs ou de personnes incapables de se protéger.

Réanimation Ces diff fférentes considérations ne sont en rien spécifiques fi de la réanimation : elles sont au contraire

Respect du secret médical en réanimation 105 très générales. La particularité de celle-ci est la fréquence des situations dans lesquelles le patient est dans l’impossibilité d’exprimer sa volonté, et en particulier d’indiquer s’il fixe une limite au partage de certaines informations qu’il juge sensibles. La raison de cette impossibilité peut être la maladie elle-même, ou les traitements mis en œuvre, telle une sédation. Sous une autre forme, cette même problématique peut se rencontrer en psychiatrie, en neurologie, en gériatrie, par exemple chez les patients atteints de démence. Pour autant, le médecin, comme toutes les personnes qui participent aux soins, est interrogé par les familles et l’entourage, et se doit de leur apporter certaines réponses, de les informer, les réconforter. Pour ce faire, il n’a pas à se réfugier derrière le « secret médical », sauf décision contraire qu’aurait fait connaître le patient (voir encadré n° 2). Encadré n° 2 • L’article L.1110-4 CSP alinéa 6 dispose : « En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l’article L.1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. Seul un médecin est habilité à délivrer, ou à faire délivrer sous sa responsabilité, ces informations. » • L’article 35 du Code de déontologie médicale, article R.4127-35 CSP dispose : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. Toutefois, sous réserve des dispositions de l’article L.1111-7, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic graves, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination. Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. » La question devient celle des informations qu’il est possible de partager et avec qui. Elle se pose avec d’autant plus d’acuité que, pour le patient, un proche tel un ami, peut être plus important que sa famille, que les familles ne sont pas toujours unies, et que, même lorsqu’elles le sont, elles peuvent comporter une grande diversité de points de vue. Il apparaît donc nécessaire de disposer de repères, suffi ffisamment généraux pour pouvoir englober la diversité et la complexité des situations réelles, mais suffi ffisamment clairs et simples pour pouvoir être utilisables.

Plusieurs distinctions apparaissent utiles. Tout d’abord celle à établir entre, d’une part, les informations concernant l’état du patient, son pronostic, et, d’autre part, celles concernant sa vie privée dont le médecin ou autres soignants auraient connaissance. Autant le secret est de mise pour ces dernières, autant il y a lieu de faciliter la communication des premières, pour que l’entourage puisse apporter tout son soutien au malade (voir ci-dessus) ou, si celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté, pour permettre aux personnes consultées de donner un avis éclairé sur les investigations ou interventions envisagées (voir ci-après). La maladie causant le séjour en réanimation pourra être éventuellement révélée aux proches, mais en aucun cas les éventuels facteurs favorisants relevant de la vie privée. La seconde concerne les destinataires de l’information. La famille est souvent un repère simple, en particulier le conjoint, les parents immédiats, s’il y en a, avec idéalement la désignation d’un référent qui puisse répercuter l’information auprès de l’entourage plus lointain. Toutefois, la situation familiale n’est pas toujours simple, et il ne faut pas perdre de vue que le secret médical est « institué dans l’intérêt des patients » (art. R.4127-4 CSP, voir encadré n° 1). Le médecin tient donc compte de l’éventuelle complexité des situations, de façon à agir dans l’intérêt supposé du patient. Le plus simple est incontestablement que celui-ci ait préalablement désigné « la personne de confiance fi » prévue par la loi (art. L.1111-6 CSP, voir encadré n° 3). Encadré n° 3 • L’article L.1111-4 alinéa 4 CSP dispose : « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L.1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. » • L’article L.1111-6 CSP dispose : « Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions. Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, il est proposé au malade de désigner une personne de confiance dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Cette désignation est valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le malade n’en dispose autrement. Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas lorsqu’une mesure de tutelle est ordonnée. Toutefois, le juge des tutelles peut, dans cette hypothèse, soit confirmer la mission de la personne de confiance antérieurement désignée, soit révoquer la désignation de celle-ci. »

106 Enjeux éthiques en réanimation L’introduction de la personne de confiance fi en 20021 concernait principalement le recueil des informations fournies par le médecin sur l’état de santé du malade (art. L.1110-4 CSP, voir encadré n° 2). L’obligation, lorsque le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, de consulter cette personne de confiance, fi ou la famille ou à défaut les proches, avant toute intervention ou investigation (art. L.1111-4 CSP, voir encadré n° 3), implique que les informations délivrées soient suffi ffisantes pour permettre à l’avis sollicité d’être éclairé. Le rôle de la personne de confiance fi a ensuite été étendu, pour certaines circonstances, en 20042 aux recherches biomédicales (voir encadré n° 4), en 20053 aux discussions sur les décisions de limitation ou d’arrêt de traitements, où son avis « prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées » (voir encadré n° 5). Mais il est vrai que, lors de l’admission en réanimation, il est souvent trop tard pour procéder à une telle désignation : c’est une raison supplémentaire, vue son importance, pour faciliter la généralisation de cette désignation, notamment lors de toute hospitalisation. Les établissements de santé ont d’ailleurs l’obligation légale de favoriser cette désignation (art. L.1111-6 alinéa 2 CSP, voir encadré n° 3), dont la possibilité doit être rappelée dans le livret d’accueil4. Encadré n° 4 • L’article L.1122-1-2 CSP dispose : « En cas de recherches biomédicales à mettre en œuvre dans des situations d’urgence qui ne permettent pas de recueillir le consentement préalable de la personne qui y sera soumise, le protocole présenté à l’avis du comité mentionné à l’article L.1123-1 peut prévoir que le consentement de cette personne n’est pas recherché et que seul est sollicité celui des membres de sa famille ou celui de la personne de confiance mentionnée à l’article L.1111-6 dans les conditions prévues à l’article L.1122-1-1, s’ils sont présents. L’intéressé est informé dès que possible et son consentement lui est demandé pour la poursuite éventuelle de cette recherche. Il peut également s’opposer à l’utilisation des données le concernant dans le cadre de cette recherche. » • L’article L.1122-2 II alinéa 8 CSP dispose : « Lorsqu’une recherche biomédicale satisfaisant aux conditions édictées par l’article L.1121-8 est envisagée sur une personne majeure hors d’état d’exprimer son consentement et ne faisant pas l’objet d’une mesure de protection juridique, l’autorisation est …/…

…/… donnée par la personne de confiance prévue à l’article L.1111-6, à défaut de celle-ci, par la famille, ou, à défaut, par une personne entretenant avec l’intéressé des liens étroits et stables. Toutefois, si le comité mentionné à l’article L.1123-1 considère que la recherche comporte, par l’importance des contraintes ou par la spécificité des interventions auxquelles elle conduit, un risque sérieux d’atteinte à la vie privée ou à l’intégrité du corps humain, l’autorisation est donnée par le juge des tutelles. » Ces distinctions, selon le contenu des informations et selon leurs destinataires, sont cumulatives. Autrement dit, la personne à laquelle l’information sur la situation de l’état de santé du patient est délivrée, telle la personne de confiance, fi n’est pas destinataire de toutes les informations contenues dans le dossier médical. Cela peut paraître évident si ce dossier contient des informations « sensibles » (par exemple sur la sexualité du patient ou l’usage de produits illicites). Mais, pour éviter qu’un refus de communication ne puisse être interprété comme l’aveu par le médecin que ce dossier contient de tels éléments, mieux vaut faire une règle générale de l’absence de communication de l’intégralité des informations. Ceci afi fin de prendre en compte ce qui a été précédemment indiqué de l’intérêt à la fois privé et public du secret médical, de son intérêt non seulement pour les malades présents, mais aussi pour les malades à venir. En tout état de cause, le dossier médical appartient au patient et à lui seul : de son vivant, il n’est consultable que par lui-même – exclusion faite des éventuels éléments recueillis auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge ou concernant de tels tiers – (ou par son représentant légal ou toute personne mandatée par le patient ou son représentant légal dès lors que cette personne peut justifier fi de son identité et dispose d’un mandat exprès5), et par l’équipe concourant à ses soins. Ceci s’entend hors exceptions inscrites dans la loi, telles celles prévues notamment par les articles L.1112-1 et L.1414-4 CSP, L.315-1 du Code de la sécurité sociale (médecins membres de l’inspection générale des affaires ff sociales, médecins inspecteurs de santé publique, médecins conseils des organismes d’assurance maladie, médecins experts de la Haute Autorité de Santé), étant précisé que ces médecins ne peuvent avoir accès qu’aux éléments strictement nécessaires à l’accomplissement de leurs missions et sont eux-mêmes soumis au secret professionnel (art. R.4127-104 CSP).

1. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 sur les droits des patients et sur la qualité du système de santé. 2. Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la santé publique. 3. Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. 4. Arrêté du 15 avril 2008 relatif au contenu du livret d’accueil des établissements de santé.

5. Conseil d’État, 1re et 6e sous-sections réunies, 26 septembre 2005, n° 270234.

Respect du secret médical en réanimation 107 Encadré n° 5 • L’article L.1110-5 CSP alinéa 5 dispose : « Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L.1111-2, la personne de confiance visée à l’article L.1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. » • L’article L.1111-4 alinéa 5 CSP dispose : « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le Code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l’article L.1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. » • L’article L.1111-12 CSP dispose : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause et hors d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une personne de confiance en application de l’article L.1111-6, l’avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin. » • L’article L.1111-13 CSP dispose : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le Code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L.1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical. » • L’article 37 du Code de déontologie médicale, article R.4127-37 CSP, dispose depuis le décret n° 2010-107 du 29 janvier 2010 : – II : « Dans les cas prévus au cinquième alinéa de l’article L.1111-4 et au premier alinéa de l’article L.1111-13, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés ne peut être prise sans qu’ait été préalablement mise en œuvre une procédure collégiale. Le médecin peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire au vu des directives anticipées du patient présentées par l’un des détenteurs de celles-ci mentionnés à l’article R.1111-19 ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou, à défaut, de l’un des proches. Les détenteurs des directives anticipées du patient, la personne de confiance, la famille ou, le cas échéant, l’un des proches sont informés, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. » …/…

…/… – Alinéa 5 : « […] La personne de confiance, si elle a été désignée, la famille ou, à défaut, l’un des proches du patient sont informés de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. » – III : « Lorsqu’une limitation ou un arrêt de traitement a été décidé en application de l’article L.1110-5 et des articles L.1111-4 ou L.1111-13, dans les conditions prévues aux I et II du présent article, le médecin, même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, met en œuvre les traitements, notamment antalgiques et sédatifs, permettant d’accompagner la personne selon les principes et dans les conditions énoncés à l’article R.4127-38. Il veille également à ce que l’entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire. »

Le secret au-delà du décès « Le respect dû à la personne ne cesse pas de s’imposer après la mortt » (art. R.4127-2 alinéa 2 CSP) et, par conséquent, le secret médical demeure une obligation après le décès du patient. Il n’est cependant pas opposable à ses ayants droit, c’est-à-dire schématiquement ses héritiers, sous réserve que certaines conditions légales et réglementaires soient remplies (voir encadré n° 6). Il en résulte qu’en cas de demande d’informations médicales sur une personne décédée, il y a lieu de vérifi fier, 1°) que les demandeurs justifient fi valablement de leur qualité d’ayants droit (ce qui est généralement du ressort de l’administration de l’établissement de santé), 2°) qu’ils invoquent l’un au moins des trois objectifs prévus par la loi (la connaissance des causes de la mort, la défense de la mémoire du défunt, la protection de leurs droits), et 3°) que la personne décédée n’avait pas manifesté d’opposition à cet égard. Si ces différentes ff conditions sont remplies, le médecin a l’obligation légale de transmettre, non pas l’intégralité du dossier médical, mais les « seules informations nécessaires à la réalisation de ff l’objectif poursuivi par les ayants droit »5. En effet, saisi par le Conseil national de l’ordre des médecins, le Conseil d’État a précisé que le législateur n’avait entendu autoriser l’accès des ayants droit qu’aux seules informations du dossier médical nécessaires pour atteindre celui ou ceux des trois objectifs prévus par l’article L.1110-4 CSP qu’ils poursuivent. Le Conseil d’État a annulé en conséquence les dispositions d’un arrêté ministériel de 2004, homologuant des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), en ce qu’elles prévoyaient la transmission de l’intégralité du dossier médical aux ayants droit. Depuis lors, les recommandations de la HAS et l’arrêté gouvernemental ont été réécrits ; il est à noter, qu’à cette occasion, l’arrêté ministériel a précisé que la portée de la

108 Enjeux éthiques en réanimation qualité d’ayant droit était identique dans le secteur public et dans le secteur privé6. La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a clairement indiqué que « l’appréciation portée sur la question de savoir si un document contenu dans le dossier médical est susceptible de présenter une utilité dans la poursuite de l’un de ces trois objectifs relève de la seule appréciation de l’équipe médicale (CADA, 26 octobre 2006, n° 20064554) ». On peut ajouter que, non seulement le tri à opérer est d’ordre exclusivement médical, mais qu’il requiert un regard expérimenté. Il importe enfin fi de vérifi fier que les documents transmis aux ayants droit ne contiennent pas d’informations dont la communication n’est pas autorisée par la loi, par exemple parce qu’elles apparaîtraient contraires à la défense de « la mémoire du défunt », auraient été communiquées par un tiers ou concerneraient une autre personne. Encadré n° 6 • L’article L.1110-4 alinéa 7 CSP dispose : « Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès. » • L’article R.1111-7 CSP dispose : « L’ayant droit d’une personne décédée qui souhaite accéder aux informations médicales concernant cette personne, dans les conditions prévues au septième alinéa de l’article L.1110-4, doit préciser, lors de sa demande, le motif pour lequel elle a besoin d’avoir connaissance de ces informations. Le refus d’une demande opposé à cet ayant droit est motivé. Ce refus ne fait pas obstacle, le cas échéant, à la délivrance d’un certificat médical, dès lors que ce certificat ne comporte pas d’informations couvertes par le secret médical. » Il est généralement utile de proposer de remettre les documents lors d’une réunion, au cours de laquelle des explications orales pourront être fournies, ce qui est par ailleurs susceptible de prévenir ou d’apaiser d’éventuels confl flits. Concrètement, le caractère souvent très volumineux des dossiers de réanimation est un motif supplémentaire d’interrogation sur la transmission de l’intégralité du dossier, ou seulement de ses éléments les plus significatifs, fi étant par ailleurs entendu qu’il s’agit de photocopies, les originaux devant être conservés par l’établissement de santé et/ou le médecin. Sauf demande particulière, il peut être recommandé de fournir dans un premier temps ce que prévoient les exemples mentionnés à l’article L.1111-7 CSP (voir encadré n° 1), 6. Arrêté du 3 janvier 2007 portant modification fi de l’arrêté du 5 mars 2004 portant homologation des recommandations de bonnes pratiques relatives à l’accès aux informations concernant la santé d’une personne, et notamment l’accompagnement de cet accès.

en particulier les comptes rendus d’hospitalisation, comptes rendus opératoires, courriers explicatifs, permettant de comprendre ce qui s’est passé, et de répondre à une éventuelle demande complémentaire sans anticiper celle-ci. L’ayant droit peut désigner un mandataire, qui doit disposer d’un document écrit et justifier fi de son identité.

Secret médical et assurances Une demande fréquente, notamment en cas de décès, est celle des bénéfi ficiaires d’une police d’assurance (assurance-décès, prêt immobilier ou autre), qui souhaitent que soient transmises à la compagnie d’assurance les informations médicales demandées par celle-ci, généralement sous la forme d’un formulaire à remplir. Or, d’un côté, il n’existe pas de secret médical partageable entre un médecin traitant (entendu au sens large et non pas dans sa dimension conventionnelle) et le médecin d’une compagnie d’assurance (puisqu’il ne participe pas aux soins) et, si le patient n’avait pas déclaré au moment de la souscription un état pathologique qu’il connaissait, contrairement à ce qu’exigeait le contrat d’assurance, il ne revient certainement pas au médecin traitant de le révéler : il s’agirait d’une faute déontologique susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire ; ce serait également une infraction pénale lourdement sanctionnable (voir encadré n° 1), bien que rarement poursuivie ; enfin fi le médecin engagerait sa responsabilité civile ou celle de l’hôpital public, obligeant à réparer le préjudice, qui peut être le montant de ce qu’aurait versé la compagnie d’assurance si le secret médical avait été respecté, la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré n’étant pas une cause exonératoire (Cass. civ. 1re, 13 novembre 2002 n° 01-01362). D’un autre côté, la somme prévue par le contrat ne peut généralement être versée qu’après réception de certains documents médicaux et, comme précédemment indiqué, le médecin a l’obligation de fournir à l’ayant droit les informations qui lui sont nécessaires pour faire valoir ses droits (art. L.1110-4 alinéa 7 CSP). Les contrats d’assurance comportent souvent des clauses particulières, énonçant des causes de décès majorant le versement garanti (comme l’accident), ou au contraire l’excluant (comme le suicide, du moins dans un délai d’un an suivant la souscription du contrat). Face à cet apparent dilemme, la solution est double. Elle consiste, d’une part à n’adresser le formulaire rempli ou le certificat fi qu’au bénéfi ficiaire potentiel ayant justifié fi sa demande, avec la mention « remis en main propre (ou adressé) à…, à sa demande » (avec copie dans le dossier), et non pas à la compagnie d’assurance ni à son médecin-conseil, et l’inviter à l’adresser sous pli cacheté à l’attention

Respect du secret médical en réanimation 109 du médecin-conseil de la compagnie d’assurance : le destinataire pourra ainsi déterminer lui-même quel est son intérêt ; d’autre part, il est possible de délivrer un certificat fi médical indiquant, sans préciser quelle fut la maladie qui a provoqué la mort, que les constations faites évoquent une cause naturelle, c’est-à-dire, ni violente, ni suspecte. Du moins si c’est le cas. Dans les cas complexes, il peut être utile de connaître précisément les clauses d’exclusion de la police de l’assuré, pour pouvoir juger s’il est possible d’indiquer que la cause du décès est étrangère à celles-ci, quitte à s’aider d’un avis compétent. L’idée générale est de permettre aux personnes de bénéfi ficier de leurs droits, conformément à l’article L.1110-4 alinéa 7 CSP, sans révéler à l’assureur un quelconque diagnostic, conformément à l’article R.4127-4 CSP, ni rédiger de certificat fi de complaisance, conformément à l’article R.4127-28 CSP, ce qui est susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire et/ou civile et/ou pénale (voir encadré n° 7). Encadré n° 7 • L’article 441-7 du Code pénal dispose : « Indépendamment des cas prévus au présent chapitre, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, le fait : 1°) d’établir une attestation ou un certificat faisant état de faits matériellement inexacts… » • L’article 441-8 du même Code dispose : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait, par une personne agissant dans l’exercice de sa profession, de solliciter ou d’agréer, directement ou indirectement, des offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques pour établir une attestation ou un certificat faisant état de faits matériellement inexacts. …/… La peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsque la personne visée aux deux premiers alinéas exerce une profession médicale ou de santé et que l’attestation faisant état de faits inexacts dissimule ou certifie faussement l’existence d’une maladie, d’une infirmité ou d’un état de grossesse, ou fournit des indications mensongères sur l’origine d’une maladie ou d’une infirmité ou sur la cause d’un décès. » • L’article 28 du Code de déontologie médicale, article R.412728 CSP dispose : « La délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite. » • L’article 76 du même Code, article R.4127-76 CSP dispose : « L’exercice de la médecine comporte normalement l’établissement par le médecin, conformément aux constatations médicales qu’il est en mesure de faire, des certificats, attestations et documents dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires. »

Secret médical et procès Ce sont là les situations les plus courantes, mais des litiges peuvent survenir, soit que les ayants droit

contestent la demande par l’assureur d’un certificat fi médical concernant le défunt, soit que l’assureur exige du médecin ou de l’établissement de santé la transmission d’un dossier médical malgré le refus des ayants droit. La jurisprudence a apporté sur ces points des réponses claires. Dans le premier cas, la Cour de cassation (Civ. 1re, 29 octobre 2002 n° 9917187) a jugé que « ayant constaté que l’assureur avait subordonné sa garantie à la production d’un certificat fi médical indiquant “si possible” la nature de la maladie ayant entraîné le décès et que l’assuré avait, en acceptant la divulgation de certains éléments le concernant, renoncé lui-même et par avance au secret médical, la cour d’appel en a exactement déduit que ses ayants droit faisaient échec à l’exécution du contrat en refusant de communiquer les éléments nécessaires à l’exercice des droits qu’ils revendiquaient et, notamment, pour établir leur allégation d’un décès en dehors d’une maladie par l’avis du seul professionnel qualifié, fi qu’est le médecin… » Autrement dit, lorsque le contrat le prévoit, l’assureur est en droit de réclamer au bénéficiaire fi (mais pas au médecin traitant) un certificat fi médical concernant le défunt, ce qui ne constitue pas dans ce cas une violation du secret professionnel. Cette notion est importante, car ce bénéficiaire fi n’est pas toujours un successeur légal du défunt, alors qu’il est le seul à avoir intérêt à obtenir et à transmettre à l’assureur un tel certifi ficat. Elle s’ajoute au fait que l’obtention d’un certificat fi médical n’est pas soumise à des règles aussi restrictives que l’accès aux informations médicales concernant un défunt (art. R.1111-7 CSP, voir encadré n° 6). Dans le second cas, qui ne concerne pas un tel certificat fi mais le dossier médical, la Cour de cassation (Civ. 1re, 15 juin 2004 n° 01-02338, 7 décembre 2004 n° 02-12539) a précisé « que si le juge civil a le pouvoir d’ordonner à un tiers de communiquer à l’expert les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission, il ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique, fi contraindre [un médecin ou] un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l’accord de la personne concernée ou de ses ayants droit, le secret médical constituant un empêchement légitime que [le médecin ou] l’établissement de santé a la faculté d’invoquer », tout en rappelant le pouvoir souverain du juge civil quant à l’issue du litige. En d’autres termes, si les ayants droit refusent que les informations médicales soient transmises par le médecin ou l’établissement de santé à l’expert judiciaire désigné dans le cadre d’un litige les opposant à un assureur, le juge civil ne peut exiger cette transmission. Mais il a toute liberté pour considérer que ce refus est un argument en faveur de la thèse de l’assureur dénonçant une déclaration mensongère de l’assuré. Il reste que, pour justifier fi son refus de transmission du dossier médical à l’expert qui le lui demande, le médecin ou l’établissement de santé

110 Enjeux éthiques en réanimation n’a pas à fournir d’autre argument que le respect du secret professionnel, argument que l’ayant droit ne peut pas utiliser. Il s’agit dans tous ces cas de procès civils, dont la direction appartient donc aux parties. Dans les procédures pénales, la recherche de la manifestation de la vérité est au contraire entre les mains du magistrat instructeur, qui peut ordonner à cette fin la saisie du dossier médical. Mais celui-ci est transmis, scellé, à des experts, médecins également soumis au secret professionnel. Les experts médicaux, quel que soit d’ailleurs le cadre de la procédure, doivent limiter les informations portées à la connaissance du magistrat à ce qui est strictement nécessaire à l’accomplissement de leur mission (art. R.4127-108 CSP). C’est l’adage : « toute la mission, rien que la mission ». Les médecins qui assistent à la saisie du dossier médical dans l’établissement de santé, qu’ils exercent au sein de cet établissement ou représentent le Conseil de l’ordre, doivent veiller à ce que, d’une part, ce dossier ne contienne pas de document concernant un autre patient et, d’autre part, les scellés soient bien clos (« scellés fermés ») et non pas lisibles de l’extérieur. En revanche, en dehors du cadre de cette transmission du dossier scellé à un expert médical, le médecin doit refuser de déférer à la réquisition d’un officier ffi de police judiciaire – qu’il agisse sur commission rogatoire d’un juge d’instruction ou sous le contrôle du procureur de la République –, demandant la communication de documents susceptibles d’intéresser une enquête en cours (tel le dossier médical du patient par exemple). Il doit dans ce cas opposer le secret professionnel. En vertu des articles 60-1 et 77-1-1 du Code de procédure pénale, un tel refus ne peut être sanctionné. Il reste enfi fin à envisager le cas du médecin mis en cause dans une procédure de responsabilité médicale. Le droit à la défense prévalant sur le droit au secret, le médecin est autorisé à révéler les informations nécessaires à sa défense. Il doit cependant limiter ses révélations à ce qui est strictement nécessaire à la compréhension de sa démarche médicale. En revanche, hors le cas de mise en cause de sa responsabilité, le médecin convoqué pour être entendu par un offi fficier de police judiciaire ou par un juge d’instruction ou encore appelé à témoigner devant un tribunal ou une Cour d’assises a le devoir de s’y rendre, le cas échéant, prêter serment mais, afin fi de préserver le secret médical, il est en droit de refuser de témoigner, même à la demande ou en faveur de son patient. Comme l’a rappelé à plusieurs reprises la Chambre criminelle de la Cour de cassation, « l’obligation du secret professionnel, établie parr [l’article 226-13 du Code pénal], pour assurer la

confiance fi nécessaire à l’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s’impose aux médecins, hormis les cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de leur état. […] Sous cette seule réserve, elle est générale et absolue et il n’appartient à personne de les en affranchir ff r » (Cass. Crim. 8 mai 1947 (Decraene), 22 décembre 1966 (Bordier), 5 juin 1985, n° 8590322 et 8 avril 1998 n° 97-83656)

Conclusion Le secret médical est un droit institué par la loi dans l’intérêt des personnes requérant des soins, une obligation déontologique fondamentale pour le médecin. Il ne fait pas obstacle à la délivrance d’informations orales sur un pronostic grave ou fatal et les raisons de celui-ci, à la personne de confi fiance, à la famille ou aux proches, dès lors que l’information délivrée est limitée à ce qui est strictement nécessaire à la compréhension de la situation, au soutien que l’entourage peut apporter au malade ou, si celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté, pour permettre aux personnes consultées de donner un avis éclairé sur les décisions médicales envisagées. La désignation de la personne de confi fiance lors de toute hospitalisation est hautement souhaitable ; les établissements de santé ont l’obligation de la proposer. En cas de décès de la personne soignée, la transmission d’informations médicales à ses ayants droit (ses héritiers) qui en font la demande est soumise à certaines conditions. Si celles-ci sont remplies, le médecin a l’obligation de transmettre à ces seuls ayants droit les informations nécessaires à la réalisation de l’objectif qu’ils invoquent, prévu par la loi, et non pas l’intégralité du dossier. Il est recommandé, s’agissant d’un certificat, fi de préciser l’identité du destinataire et sa qualité d’ayant droit dans le document ainsi délivré, et d’en conserver un double. Lorsqu’il s’agit de copies d’éléments du dossier, la recommandation est d’indiquer dans celui-ci la liste des éléments fournis et l’identité de l’ayant droit à qui ils ont été remis (ou, le cas échéant, celle de son mandataire, en conservant le document désignant celui-ci). Il importe donc de bien distinguer la délivrance orale d’informations sur un pronostic grave ou fatal à la personne de confiance fi ou à la famille et, en cas de décès, la délivrance de copies de documents demandés par les ayants droit. Les seuls cas de dérogation au secret médical sont ceux expressément prévus par la loi, ou ceux consacrés par la jurisprudence, tel le droit pour le médecin de se défendre.

Chapitre

Quelles attitudes médicales et éthiques adopter envers le patient en locked-in syndrome ?

12

M. Thonnard, C. Chatelle, O. Gosseries, A. Vanhaudenhuyse, S. Laureys, M.-A. Bruno

Introduction

L

es questions concernant la rééducation ainsi que l’évaluation de la qualité de vie des patients présentant un locked-in syndrome (LIS) restent délicates. En eff ffet, il n’existe pas de recommandation sur l’organisation de la prise en charge de ces patients littéralement « verrouillés de l’intérieur » ne pouvant communiquer que par mouvements oculaires. De plus, il existe de nombreux a priori sur la qualité de vie de ces derniers. Les individus sains et les équipes médicales supposent parfois que la vie des patients LIS ne vaut pas la peine d’être vécue (1). Ces préjugés peuvent orienter les discussions qui traitent de la gestion du quotidien, des coûts d’hospitalisation, de l’arrêt ou de la poursuite des traitements, des décisions de fin fi de vie et d’euthanasie lorsque celleci est légale, voire du prélèvement d’organes après euthanasie. Cependant, les études s’intéressant à la qualité de vie des patients LIS ont mis en évidence que la majorité des patients affirment ffi que leur vie a réellement un sens et que les demandes d’euthanasie, bien qu’existantes, sont étonnamment peu fréquentes. Les médecins qui prennent en charge des patients LIS en phase aiguë sont souvent surpris de constater que ceux-ci, avec l’aide de leur famille et de leurs amis, recouvrent une véritable vie sociale et familiale. Nombreux sont ceux qui rentrent au domicile et commencent une nouvelle vie, différente ff mais dotée de sens. Le chapitre qui suit est une revue des études réalisées sur le LIS, traitant de ses causes, de ses symptômes, de ses conséquences fonctionnelles et de la qualité de vie des patients. Pour ce faire, nous nous sommes basés sur la littérature scientifique fi disponible et sur la base de données de l’Association française du locked-in syndrome (ALIS).

des yeux ou des paupières, telle est la réalité expérimentée par les patients atteints d’un « locked-in syndrome ». Plum et Posner ont introduit ce terme en 1966 (2) afi fin de décrire ces patients prisonniers dans leur corps. Cliniquement, le patient LIS montre une ouverture spontanée et continue des yeux, des fonctions supérieures relativement préservées, une atteinte sévère de la parole (aphonie ou hypophonie), une quadriplégie ou quadriparésie et un mode de communication principalement basé sur les mouvements oculo-palpébraux (3). Cette paralysie supranucléaire bilatérale est causée par l’interruption respective des voies corticospinales et corticobulbaires, interdisant le contrôle moteur volontaire des quatre membres, et par une paralysie des nerfs mixtes, empêchant la communication par la parole ou le geste. La seule communication possible implique des mouvements de verticalité ou de clignement des yeux grâce à la préservation des noyaux moteurs du nerf III (noyau oculomoteur commun). Selon les cas, l’étendue du handicap physique et verbal peut varier. Bauer et al. (1979) (4) ont classifi fié ce syndrome en trois catégories : (1) le LIS « classique » caractérisé par une immobilité totale à l’exception des mouvements de verticalité du regard et les mouvements palpébraux, (2) le LIS « incomplet » s’accompagnant de reliquats de motricité volontaire (mouvements de la tête, des membres supérieurs ou inférieurs), (3) le LIS « complet » impliquant une immobilité totale, y compris des yeux et des paupières, malgré une conscience toujours préservée. Les patients « LIS plus » présentent, en plus du tableau clinique classique de LIS, des lésions cérébrales additionnelles à la lésion ventro-pontine typique (5).

Locked-in syndrome classique, incomplet et complet

Étiologie et diagnostic

Être partiellement ou totalement paralysé et ne pouvoir communiquer que par des mouvements

Chez l’adulte, l’étiologie la plus commune du LIS est une pathologie vasculaire, soit une occlusion

L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

112 Enjeux éthiques en réanimation de l’artère basilaire, soit un hématome pontique. Chez l’enfant et l’adolescent, une récente revue de la littérature a permis de mettre en évidence que la cause la plus fréquente, comme chez l’adulte, est une lésion de la face ventrale du pont (61 % des cas rapportés dans la littérature scientifi fique, N = 33) (6). On notera, par ailleurs, que de nombreux cas de LIS d’origine traumatique ont également été documentés tant chez l’adulte que chez l’enfant et l’adolescent (7-12). Dans de tels cas, des lésions directes du tronc cérébral, une atteinte ischémique dans le territoire vertébrobasilaire ou encore une hernie tentorielle avec compression des pédoncules cérébraux peuvent être à l’origine du LIS (9). Le LIS peut également être la conséquence d’une hémorragie subarachnoïdienne avec spasme du tronc basilaire, d’une tumeur du tronc cérébral, d’une myélinolyse centropontine, d’une encéphalite, d’un abcès de la protubérance, d’une intoxication médicamenteuse avec répercussions sur les fonctions du tronc cérébral, d’une réaction à un vaccin ou d’une hypoglycémie prolongée (1). En outre, des cas de LIS ont également été documentés dans le contexte de neuropathie périphérique suite à une paralysie totale de la musculature bulbaire, oculaire et des membres, de polyradiculoneuropathie (ou syndrome de Guillain-Barré ; (1315) ou encore de polyneuropathie post-infectieuse sévère (16, 17), ces deux dernières conditions provoquant un LIS de nature temporaire. Il est à noter que, dans ces cas de syndrome de déconnexion périphérique, les mouvements des yeux ne sont pas épargnés. Une sclérose latérale amyotrophique peut également engendrer un LIS complet (18-20). Enfi fin, des cas de LIS temporaires ont également été décrits dans le contexte d’anesthésie générale (21), lorsque les patients reçoivent des relaxants musculaires accompagnés d’une dose inadéquate d’anesthésiants. Un état de stress post-traumatique peut alors faire suite à cette expérience (22). La pratique clinique nous prouve combien il est diffi fficile de détecter les signes comportementaux de perception consciente chez les patients sévèrement cérébrolésés (23, 24). En eff ffet, si le clinicien n’est pas en mesure de détecter les signes et les symptômes qui caractérisent le tableau clinique du LIS, le diagnostic initial posé peut être erroné et le patient considéré comme étant en coma, en état végétatif, en état de conscience minimale ou encore en état de mutisme akinétique (25). Une étude récente menée auprès de 84 patients LIS (enquête menée en collaboration avec l’ALIS-2007) nous montre que, dans 62 % des cas, c’est le corps médical qui réalise que le patient est conscient et qu’il peut communiquer avec des mouvements oculaires ; a contrario cela signifie fi que dans 38 % des cas, le diagnostic initial posé par les médecins est erroné (26). En outre, le diagnostic de LIS est

établi en moyenne deux mois et demi (78 jours) (1) après l’atteinte cérébrale, et, dans certains cas, cela peut même prendre jusqu’à quatre ans (6, 27). Un état d’éveil fluctuant en phase aiguë (6), des défi ficits cognitifs (28), sensoriels (29, 30), ou une pathologie psychiatrique sont autant de facteurs pouvant affecter ff l’exactitude du diagnostic en masquant un état de conscience préservée. Ces données soulignent l’importance d’approfondir les examens cliniques. Avec les avancées actuelles, l’intégrité de certaines fonctions cérébrales et cognitives peut être mise en évidence par des techniques telles que la neuro-imagerie et l’électrophysiologie. Ces techniques nous permettent d’évaluer de manière objective l’activité cérébrale et, donc, de détecter la présence d’une activité consciente chez les patients non communicants.

Apports des examens complémentaires Neuro-imagerie L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est utile pour détecter des lésions isolées, telles qu’un infarctus bilatéral, une hémorragie ou une tumeur, de la portion ventrale de la protubérance inférieure ou du mésencéphale (27). Par ailleurs, la tomographie par émission de positons (TEP) a déjà permis de mettre en évidence un métabolisme cérébral plus élevé chez les patients LIS par rapport aux patients en état végétatif (31). De plus, le métabolisme cérébral des zones corticales supratentorielles n’était pas significativement fi diff fférent chez les patients en phase chronique ou aiguë du LIS que chez des sujets sains contrôles du même âge. Une hyperactivité au niveau de l’amygdale a aussi pu être observée bilatéralement chez des patients LIS en phase aiguë. Les patients LIS chroniques, au contraire, ne présentaient pas cette caractéristique (32, 33). L’absence d’une réduction du métabolisme cérébral chez les patients LIS indique et confirme fi qu’ils souff ffrent d’une pure désaff fférentation motrice et qu’ils sont en mesure de récupérer complètement leurs capacités intellectuelles. L’hyperactivation de l’amygdale laisse penser que cette augmentation en phase initiale du syndrome est liée à l’idée angoissante d’être conscient mais enfermé dans son propre corps sans possibilité de communiquer avec l’environnement extérieur. En effet, ff des études ont montré que la peur et l’anxiété engendrent une augmentation de l’activité de l’amygdale chez des sujets sains (34). Ces résultats soulignent, d’une part, l’importance d’établir un diagnostic rapide, nécessitant la formation du personnel, et, d’autre part, la nécessité d’adapter la

Quelles attitudes médicales et éthiques adopter envers le patient en locked-in syndrome ? 113 prise en charge médicale de l’état émotionnel des patients en envisageant, par exemple, une prise en charge pharmacologique de l’anxiété.

Électrophysiologie La présence d’un tracé électroencéphalographique (EEG) relativement normal et réactif aux stimuli externes chez un patient ne présentant a priori pas de signe de conscience pourrait potentiellement indiquer un LIS. Néanmoins, cette méthode n’est pas suffisamment ffi fiable pour être utilisée à des fins diagnostiques. En eff ffet, alors que certaines études montrent des tracés EEG normaux et alpharéactifs aux stimuli externes chez les patients LIS (35, 36), d’autres études n’ont pas obtenu de tels résultats. Notamment, seuls 45 % des patients LIS de l’étude de Patterson et Grabois (1986) (37) présentaient des rythmes EEG normaux, contre 55 % présentant un tracé anormal (ralentissement temporal et frontal ou ralentissement diff ffus). Jacome et Morilla-Pastor (1990) (38) ont également montré des tracés EEG anormaux caractérisés par un rythme alpha non réactif aux stimuli multimodaux chez trois patients LIS avec étiologie vasculaire. Ainsi, l’absence de réactivité alpha ne permettrait pas d’exclure un diagnostic de LIS. De plus, les potentiels évoqués somatosensoriels, reflétant fl l’activation des circuits somatosensoriels sous-corticaux et du cortex somatosensoriel primaire, ne sont pas des indicateurs fiables fi pour le diagnostic (36, 39). À l’inverse, les potentiels évoqués moteurs semblent être indiqués pour l’évaluation d’une récupération motrice potentielle (36). Les potentiels évoqués cognitifs enregistrés chez des patients atteints du LIS peuvent avoir un rôle dans l’établissement de diff fférents diagnostics (40). Cette méthode a également montré son utilité dans l’évaluation de l’état de conscience chez des patients atteints du LIS complet causé par une sclérose latérale amyotrophique (20) et un syndrome de Guillain-Barré fulminant (15). Perrin et al. (41) ont enregistré des potentiels évoqués chez un patient LIS. Une composante « P300 » (culminant à 700 ms) a été observée uniquement lorsque le patient entendait son propre prénom et non en réponse à d’autres prénoms. Cependant, il est à noter que de telles réponses peuvent également être suscitées chez des patients en état végétatif (42) et qu’elles peuvent même persister pendant le sommeil (43) ou lors d’une anesthésie chez des sujets sains. Ainsi, ces derniers résultats observés dans des conditions d’audition passive ne seraient pas suffi ffisants pour suggérer une activité volontaire et consciente. Afin fi de distinguer les patients conscients des patients inconscients, un paradigme potentiels évoqués « propre prénom » dit « actif »

a été développé. Schnakers et al. (2008) (44) ont montré que les patients post-comateux conscients présentaient une composante P300 lorsqu’il leur était demandé de compter combien de fois apparaissait leur propre prénom, contrairement aux patients inconscients. Une composante P300 dans des conditions d’écoute active a également pu être observée chez une patiente atteinte d’un LIS complet, et ce, 14 jours avant que la patiente ne présente les premiers signes comportementaux de conscience (45).

Espérance de vie et pronostic En phase aiguë, le taux de mortalité chez les patients LIS s’élève à 76 % dans le cas d’une étiologie de type vasculaire et à 41 % si l’étiologie est non vasculaire, 87 % des décès survenant dans les quatre premiers mois (37). Cependant, l’espérance de vie peut être plus longue dans certains cas. Dans une étude menée sur 29 patients atteints de LIS depuis un an, certains patients ont survécu de 5 (46) à 10 ans (47). Les informations de la base de données d’ALIS (n = 320) indiquent que les patients qui survivent sont plus jeunes, lors de l’atteinte, que les patients qui décèdent (survivants : 43 ± 14 ans, patients décédés : 52 ± 14 ans, p < 0,05). Néanmoins, aucune corrélation significative fi entre l’âge initial et la durée de vie n’a pu être mise en évidence sur la base de ces informations (1). La durée de vie moyenne était de 7 ± 5 ans (intervalle entre 3 jours et 27 ans) (1). Bien que certains cas rares d’évolution spectaculaire aient été documentés (48, 49), la récupération motrice dans les cas de LIS d’étiologie vasculaire est généralement très limitée (37, 47). Dans une étude de Patterson et Grabois (37), il a été rapporté que les patients avec étiologie non vasculaire récupéraient significativement fi plus vite que les patients dont l’étiologie était vasculaire. Les résultats obtenus chez 95 patients issus de la base de données d’ALIS montrent une récupération modérée à significative fi des mouvements de la tête pour 92 % des patients, 65 % présentant un léger mouvement d’un des membres supérieurs, et 74 % dans les membres inférieurs (1). En ce qui concerne les enfants et les adolescents (N = 31), plus d’un tiers des patients ont montré une récupération des mouvements (35 %), 26 % ont présenté une récupération fonctionnelle significative fi (absence de handicap, retour à un mode de vie indépendant), 16 % sont restés quadriplégiques et anarthriques et 23 % sont décédés (6). Une rééducation précoce et intensive permettrait une amélioration fonctionnelle et une réduction du taux de mortalité (50).

114 Enjeux éthiques en réanimation

Fonctions cognitives et communication L’évaluation des fonctions cognitives ne se réalise pas de façon systématique chez les patients atteints de LIS et ce, en raison des diffi fficultés de prise en charge liées à d’autres atteintes telles qu’une flucfl tuation de l’attention, des difficultés ffi motrices et de communication. Des études ont montré que les patients LIS ne présentent généralement pas de déficits fi cognitifs majeurs que ce soit au niveau du langage, mnésique, ou intellectuel (51, 52). Bien que New et Thomas Th (53) aient pu observer des troubles modérés de l’attention, de la vitesse de traitement, de l’organisation perceptive, de la concentration et des fonctions exécutives chez un patient LIS à six mois, ces auteurs ont également rapporté une amélioration progressive des fonctions cognitives jusqu’à deux ans après l’incident initial. Schnakers et al. (28) ont récemment adapté une batterie de tests neuropsychologiques (batterie de tests permettant d’évaluer la concentration et l’attention sélective, la mémoire épisodique et de travail, les capacités phonologiques et lexicosémantiques, et la connaissance du vocabulaire) avec un mode de réponse oculaire permettant ainsi son utilisation avec les patients LIS. Globalement, les performances cognitives des patients évalués 3 à 6 ans après leur accident vasculaire cérébral, ne se distinguaient pas de manière significative fi des dix sujets contrôles sains qui, tout comme les patients LIS, ont été amenés à répondre uniquement par des mouvements oculaires. Ces données mettent à nouveau en évidence une récupération cognitive globalement intacte chez les patients LIS dont le syndrome est purement causé par des lésions pontines. Afin fi de permettre le prolongement d’une vie sociale active, l’établissement d’un système de comunication est nécessaire, et ce, dès la prise en charge en phase initiale dans les services de soins intensifs. Le premier contact avec les patients se fait au travers d’un code utilisant les clignements des paupières ou les mouvements oculaires verticaux (par exemple, un clignement pour oui, deux pour non, ou regarder vers le haut pour oui et vers le bas pour non). Dans les cas de ptôse bilatérale, les paupières doivent être ouvertes manuellement pour vérifi fier l’existence de mouvements volontaires des yeux à la commande. En pratique, il faut choisir le meilleur mouvement oculaire du patient et le même code de communication doit être utilisé par tous les interlocuteurs. Par la suite, le patient pourra, avec de la pratique, communiquer des messages plus élaborés. Un des systèmes pouvant être mis en place consiste à dicter l’alphabet au patient et à lui demander de signaler la lettre voulue par un mouvement oculaire/palpébral. Différentes ff variantes de ce système existent. Certains patients

utilisent l’alphabet par ordre de fréquence d’emploi des lettres (E-S-A-R-I-N-T-U-L-O-M-P-C-F-B-V-HG-J-Q-Z-Y-X-K-W). Le code « voyelles-consonnes » peut également être utilisé. L’alphabet est alors subdivisé en quatre groupes : voyelles, consonnes 1 (B à F), consonnes 2 (G à K), consonnes 3 (L à P), consonnes 4 (Q à T), consonnes 5 (V-Y). Le patient doit alors indiquer le groupe de lettres voulu lorsque l’utilisateur lui propose les différents ff groupes. Les lettres du groupe sont alors lues à voix haute jusqu’à ce que le patient indique la lettre correcte. Pour les jeunes patients ainsi que pour les patients qui présentent des difficultés ffi lors de l’utilisation du langage écrit, un code de communication « pictographique » peut également être mis en place. Ce code présente diff fférents pictogrammes illustrant les soins de bases, les diverses émotions, les positions favorites (couché, assis), les besoins les plus fréquents, etc. L’ensemble des systèmes de communication précités nécessitent, bien entendu, l’aide d’une tierce personne. Par ailleurs, des techniques d’aide à la communication (interface informatique) sont également disponibles (54). Grâce à ces techniques et avec de la pratique, le patient peut gagner en autonomie et communiquer de façon libre sans aide extérieure majeure. Différentes ff interfaces homme-ordinateur, tels que les senseurs infrarouges, capables de détecter des mouvements des yeux auxquels sont joints des claviers virtuels, permettent aux patients d’utiliser un traitement de texte qui peut être associé à un système de synthèse vocale. Des contacteurs et des appareils de contrôle de l’environnement sont également disponibles et permettent aux patients d’avoir accès à des commandes diverses telles que les lumières, les appareils électroniques, la télévision, etc.

Qualité de vie Une étude réalisée par l’ALIS a évalué la qualité de vie des patients atteints du LIS grâce au questionnaire Short-Form 36 (SF-36 ; (55)). Les résultats ont montré, sans surprise, des limitations maximales pour les activités physiques (score de 0 chez tous les patients). Par ailleurs, les scores évaluant la santé mentale (bien-être mental et détresse psychologique) et la santé générale personnelle n’étaient pas significativement fi diff fférents des scores obtenus chez les sujets contrôles sains (5). La perception de la santé mentale et la présence de souffrance ff physique étaient significativement fi corrélées à la fréquence des idées suicidaires. De façon similaire, une étude montre que 48 % des patients considèrent être de bonne humeur contre 5 % de mauvaise humeur ; 13 % déclarent être déprimés, 73 % aiment sortir et 81 % voient leurs amis au moins

Quelles attitudes médicales et éthiques adopter envers le patient en locked-in syndrome ? 115 deux fois par mois (56). Une étude pilote a récemment été réalisée sur la qualité de vie des patients atteints de LIS grâce à l’échelle Anamnestic Comparative Self Assessment (ACSA) (57). Cette échelle permet d’exprimer le degré de bien-être d’une personne en se basant sur sa propre expérience de vie. Dans un premier temps, il a été demandé aux patients LIS interrogés de s’imaginer le moment le plus heureux de leur vie avant l’atteinte, celuici correspondant à un score de +5. Le moment le moins heureux de leur vie correspondait à un score de –5. Il leur était ensuite demandé de situer sur cette échelle leur degré de bien-être actuel. Cette échelle a été soumise à 11 patients LIS et 22 sujets contrôles appariés en âge. Les résultats n’ont pas indiqué de différences ff signifi ficatives entre le degré de bien-être relevé chez les patients par rapport aux contrôles (score moyen chez les LIS : 2,6 ± 2,7; score moyen chez les contrôles : 2,4 ± 1,4) (26). Ces diff fférents résultats vont à l’encontre des a priori par rapport à cet état. En 2007, nous avons interrogé plus de 850 personnes, de professions médicales, paramédicales et autres. Lorsque l’on demandait aux participants si être LIS était pire qu’être en état végétatif ou en état de conscience minimale, plus de 60 % des personnes interrogées ont répondu « oui » (26). Les préjugés négatifs sont susceptibles de conditionner les discussions quant à la prise en charge du patient. En eff ffet, le personnel médical pourrait penser que ces patients choisiraient eux-mêmes de mourir s’ils prenaient conscience de ce que vivre en tant que LIS suppose. Celui-ci doit alors être informé du fait que la qualité de vie des patients LIS peut être améliorée par des rapports sociaux et familiaux satisfaisants. En outre, la prise en compte des desiderata des patients s’avère plus que nécessaire pour une prise en charge et un traitement médical favorisant l’autonomie et améliorant la qualité de vie du patient. L’absence de prise de décision commune marque la fréquente perturbation de la relation médecin-malade en présence de handicaps majeurs (58) corrompue par les a priori du médecin. Ce dernier, sans l’exprimer ouvertement, pourrait suggérer l’euthanasie. Le médecin pourrait également adopter une prise en charge moins agressive et influencer fl l’opinion des familles vers un pronostic plus sombre. Les conseils médicaux concernant les options thérapeuthiques pourraient alors s’en trouver insuffi ffisants ou inadéquats (59). En outre, la souffrance ff physique et morale telle qu’elle est perçue pourrait corrompre tout jugement aux yeux du médecin. Le patient est alors considéré comme n’étant plus capable de jugements raisonnés. Certains patients se trouvent alors dans une position où leurs droits de décider pour eux-mêmes leur sont retirés, notamment parce qu’une personne (médecin, membre de la famille, juge) refuse de

les considérer comme étant conscients et capables de jugement raisonné. Au contraire, lorsque, plus rarement, ils souhaitent quitter la vie, certains s’abstiennent d’en faire part à leurs soignants de peur de les off ffenser en paraissant ingrats. Les décès liés à la volonté du patient de mourir ne semblent pas si fréquents. L’étude de Doble et al. (47) a mis en évidence qu’aucun des décès signalés ne pouvait être attribué à une euthanasie ; aucun des patients survivants n’avait exprimé le désir de ne pas être réanimé ; sept patients n’avaient jamais considéré ou même discuté de l’euthanasie ; six patients l’avaient envisagée par le passé ; et seul un d’entre eux désirait mourir. Une étude récente d’ALIS indique que sur 53 patients atteints du LIS, 34 ne présentaient jamais d’idées suicidaires, 18 occasionnellement, et un seul patient en présentait souvent (60). Les études précédemment citées nous montrent qu’il existe une marge importante entre imaginer vivre une vie de LIS et la vivre réellement. Ainsi, afi fin de minimiser l’impact des préjugés sur la prise en charge, il semble nécessaire de fournir des données objectives qui devraient permettre une prise de conscience du personnel médical quant aux besoins réels des patients atteints de LIS.

Environnement social et familial L’ALIS, Leon-Carrion et al. (25) ont mis en évidence que les trois quarts des patients LIS chroniques aimaient sortir et rencontrer des amis au moins deux fois par mois. Une récente étude confirme fi ces résultats et indique que la majorité des patients LIS participent aux activités récréatives de manière satisfaisante (lecture, télévision, jeux, ordinateur, etc.) et que 68 % d’entre eux maintiennent un rôle qui répond à leurs besoins et aux besoins de leur famille (N = 53) (26). Bien que le retour au domicile requiert, pour le patient et sa famille, une préparation complexe et une réelle modifi fication de l’organisation familiale, 60 % des patients parviennent à réaliser ce projet (N = 157 – Base de données de l’ALIS 2008). L’attitude des familles face au LIS dépend des membres qui la composent, mais également, des périodes de vie – annonce du diagnostic, prise de conscience du handicap, décision du lieu de vie du patient, etc. Impliquées dès le stade aigu, elles adoptent des attitudes différentes ff : famille surprotectrice, famille anéantie, famille avide de comprendre et d’aider, famille vivant dans le déni et l’espoir, famille passive, etc. En phase aiguë, parents, conjoint, enfants, fratrie sont désorientés, partagés entre espoir et angoisse. À ce stade, ils pensent souvent qu’eux seuls sont aptes à aider leur proche, ils n’entendent et ne

116 Enjeux éthiques en réanimation comprennent pas toujours le discours des équipes médicales. Après la pose du diagnostic, vient l’appréciation des conséquences pratiques et des choix qu’il convient de faire. Les familles sont alors tiraillées entre, d’une part, l’espoir que leur proche récupère petit à petit, qu’il puisse mener une vie relativement satisfaisante, et d’autre part, la peur de la souffrance ff du proche, du pronostic établi par le médecin, de l’angoisse de ne pas être capable de le prendre en charge ou de gérer la situation d’un point de vue émotionnel. De plus, les familles doivent également gérer les émotions du patient et les questionnements qui en découlent : « Est-il/elle heureux(se)? », « sa vie le/la satisfait-il/elle ? », « de quels moyens dispose-t-on pour améliorer sa qualité de vie ? ». Dans de rares cas, lorsque le patient émet le désir d’arrêter les traitements ou d’être euthanasié, c’est un autre dilemme qui se pose alors : l’espoir et la peur de perdre un être aimé se heurtent à la volonté de respecter les décisions du proche. Les familles sont sans cesse confrontées à un grand nombre de décisions à chaque moment de la prise en charge de leur proche. Une réorganisation de la sphère familiale s’impose rapidement, impliquant une redistribution des rôles familiaux. L’amélioration de la situation des familles passe par un dialogue réel avec les professionnels, une relation de confi fiance, une formation du personnel, et le dialogue ouvert et serein entre le patient, les médecins, et la famille (61).

Conclusion Les données et réflexions fl présentées dans ce chapitre montrent à quel point il est important, pour les thérapeutes confrontés au LIS, de faire connaissance avec ce type de tableau clinique afin fi de pouvoir adapter leurs comportements si cela s’avère nécessaire. La représentation objective du vécu des patients LIS que nous venons de brosser a pour but d’encourager le clinicien à entrer dans une relation plus ouverte et sereine avec les patients LIS. Beaucoup de ces patients ont une forte volonté de vivre, ils rentrent souvent à domicile pour s’ouvrir à une vie nouvelle, différente ff mais dotée de sens et de bonheur. Les médecins qui prennent en charge des patients LIS en phase aiguë ont besoin d’une meilleure compréhension de l’issue sur le long terme. Il est également nécessaire que les thérapeutes prennent conscience que vivre en tant que LIS n’engendre pas nécessairement des idées suicidaires et un désir d’euthanasie. Bien que les cas de récupération importantes au niveau moteur et langagier soient rares, une rééducation intensive et précoce est susceptible d’améliorer la motricité et la communication de ces patients.

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Chapitre

État végétatif et état de conscience minimale : un devenir pire que la mort ?

13

M.-A. Bruno, O. Gosseries, A. Vanhaudenhuyse, C. Chatelle, S. Laureys

Introduction

C

es dernières années, grâce au perfectionnement des techniques de réanimation, le nombre de patients survivant à de sévères lésions cérébrales a fortement augmenté. Tandis que certains se rétablissent rapidement, d’autres traversent différents ff états de conscience altérée (tels que le coma, l’état végétatif ou l’état de conscience minimale) avant de récupérer ou non un état de conscience normal. La conscience est caractérisée par deux composantes : l’éveil, qui se manifeste par l’ouverture des yeux et la conscience de soi et de l’environnement. L’éveil est une condition nécessaire à la conscience. Le coma se définit fi par une absence d’éveil (absence d’ouverture des yeux spontanée ou en réponse à une stimulation) et dès lors par l’absence de signe de conscience (1). Le patient en coma peut évoluer de différentes ff manières. L’évolution la plus défavorable est la mort cérébrale qui est définie fi comme la perte irréversible de toutes les fonctions cérébrales. Lorsque l’évolution n’est pas fatale, le patient peut, soit se rétablir rapidement, soit progresser vers diff fférentes entités cliniques caractérisées par un niveau de conscience plus ou moins altéré. L’état végétatif (EV) se définit fi par une récupération de l’état d’éveil, le patient ouvre les yeux (spontanément ou lors de stimulation), reflétant fl la récupération du cycle veille-sommeil. Le patient en EV n’est cependant ni conscient de son environnement, ni de lui-même, et ne présente dès lors pas d’activité motrice volontaire adaptée au contexte (seuls les comportements réfl flexes persistent) (2). Certains patients émergeront de l’EV, montrant des signes de conscience, fluctuants fl mais reproductibles, tels qu’une poursuite visuelle, une localisation de stimulations nociceptives ou une réponse à la commande ; le diagnostic posé sera alors celui d’état de conscience minimale (ECM) (3). Cependant, si ces patients présentent une récupération claire de la conscience, ils sont, L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

par défi finition, incapables de communiquer de manière fonctionnelle avec leur environnement. L’émergence de l’ECM est caractérisée par la récupération d’une communication fonctionnelle et/ou une utilisation adéquate d’objets (3) (fig. fi 1). L’évolution des patients sévèrement cérébrolésés revêt une importance capitale tant pour le patient et la famille, le personnel médical et paramédical que pour la communauté. Les patients et la famille doivent gérer les défi ficits cognitifs, moteurs, le manque de communication ainsi que les émotions associées aux événements. Le personnel médical et paramédical est impliqué dans la prise en charge quotidienne des patients, dans l’évaluation de l’efficacité des diff fférents traitements qui leur sont administrés ainsi que lors des décisions de limitation des traitements actifs. La communauté prend en charge l’ensemble des questions administratives et monétaires : coût et remboursement de l’hospitalisation, de la rééducation, de la médication et des éventuels frais de compensation. Il est actuellement diffi fficile de prédire avec certitude le degré de récupération des patients sévèrement cérébrolésés présentant une altération prolongée de la conscience. Bien qu’un certain nombre d’études se soit penché sur la survie et les facteurs pronostiques des patients en EV, relativement peu de recherches se sont intéressées aux patients en ECM, notamment parce que cette entité clinique n’a été établie qu’en 2002 (3). Une récente initiative fédérale belge nous a permis de mettre au point un projet pour les patients en EV et en ECM dans lequel des données médicales, cliniques et épidémiologiques ont été rassemblées (4). Ces données ont permis de mieux cerner les taux de survie ainsi que les facteurs pronostiques de ces patients. Une meilleure connaissance de ces éléments améliorera l’orientation des décisions telles que l’admission dans des centres spécialisés (centre de réadaptation ou maison de repos), la rééducation ainsi que les éventuelles décisions de limitation des traitements actifs. Ces décisions, prises quotidiennement au

120 Enjeux éthiques en réanimation

Émergence de l’état de conscience minimale Récupération d’une communication fonctionnelle

Communication fonctionnelle et/ou utilisation fonctionnelle d’objets

État de conscience minimale Mouvements non-réflexes, adaptés au contexte mais fluctuants dans le temps

Récupération de la conscience

État végétatif Ouverture des yeux, mouvements réflexes inadaptés au contexte

Récupération de l’éveil

Coma Absence d’éveil et des réflexes du tronc cérébral

Mort cérébrale Fig. 1 – Différents états de conscience altérée. (Adapté de Noirhomme Schnakers et Laureys. Journal of Neurology Neurosurgery and Psychiatry, y 2009.)

sein des services médicaux, cohabitent souvent difficilement avec les principes éthiques des équipes fi médicales ou des familles. L’absence de démarche éthique clairement définie fi au sein des équipes soignantes engendre des situations dans lesquelles la pratique médicale, les principes éthiques, ainsi que le ressenti de l’équipe pluridisciplinaire, ne permettent pas d’aboutir à des décisions objectives concernant les démarches à suivre. Dans ce chapitre, nous proposons tout d’abord de présenter les résultats obtenus concernant l’évolution clinique des patients en état de conscience altérée et de les comparer aux résultats déjà rapportés dans la littérature scientifi fique. Nous discuterons ensuite des aspects éthiques et des décisions de fin fi de vie de ces patients.

Évolution clinique Survie/mortalité La survie des patients en état de conscience altérée est conditionnée par plusieurs facteurs : le score moteur de Glasgow inférieur ou égal à 2, l’absence de réflexe fl pupillaire ou cornéen, l’état de mal épileptique, le tracé EEG plat ou de type « burst suppression », l’absence de potentiels évoqués sensoriels (N20) ou encore un dosage

sérique d’enolase neurospécifi fique (NSE) supérieur à 33 μg/L (5-7). Les complications médicales telles que l’hypotension, l’hyperthermie, l’hyperglycémie, les infections ou la prolongation de la ventilation mécanique (7-9) diminuent également les chances de survie. Les causes de décès le plus souvent rapportées sont les infections pulmonaires et urinaires, la défaillance cardiaque et cachexie, la mort subite, les infections respiratoires ainsi que la défaillance systémique (10, 11). Une fois ces facteurs et complications médicales maîtrisés et stabilisés, il est important de pouvoir établir un pronostic vital et fonctionnel chez les patients. Évaluer de manière adéquate le pronostic des patients souffrant ff d’une atteinte cérébrale constitue un aspect fondamental de leur prise en charge, de l’hôpital (en) aigu jusqu’au lieu de vie à long terme. De cette information dépendront les décisions thérapeutiques, qu’elles soient chirurgicales, médicales, ou éthiques, impliquant le choix de prolongation ou d’arrêt des traitements. À ce jour, beaucoup d’études scientifi fiques se sont intéressées au taux de mortalité chez les patients en EV (tableau I). Cependant, elles rapportent des résultats très controversés et contradictoires, pouvant probablement être expliqués par les différents ff critères d’inclusion des patients étudiés. Dans les années 1980, Hygashi et al. (11, 12) ont étudié 38 patients en EV (issus d’un groupe hétérogène de 110 patients) d’origine traumatique durant dix ans et ont rapporté un

État végétatif et état de conscience minimale : un devenir pire que la mort ? 121 Tableau I – Études scientifiques s’étant intéressées à la durée de vie moyenne et aux taux de mortalité chez les patients en état végétatif.

Auteurs

Higashi et al. (11, 12) Bricolo et al. (16) Braakman et al. (22) Minderhoud Braakman (50) Sazbon et al. (8) Tresch et al. (18) The MultiSociety Task Force (13)

Nombre de patients (étiologie)

Durée de vie moyenne en mois (déviation standard)

110 (mixte)

3 mois

1 an

2 ans

3 ans

5 ans

33 (258)

26 %

42 %

55 %

66 %

135 (traumatique)

NA

30 %

140 (mixte)

NA

53 (mixte)

50

47 %

76 %

134 (traumatique)

15,5 (22)

40,3 %

43,3 %

51 (mixte)

39 (5)

434 traumatique non traumatique

24-60

30 %

6 mois

9 mois

40 %

46 %

6,7 %

18,6 %

15 % 24 %

24 % 40 %

taux de mortalité moyen de 26 % à un an, de 42 % à la fin fi de la deuxième année, et de 55 % lors de la troisième année. Le taux de mortalité cumulé du début de la première année jusqu’à la cinquième étant de 66 %. Ils ont également noté un taux plus important de mortalité chez les patients en EV d’origine non traumatique (arrêt cardiaque, accident vasculaire cérébral, hypoxie, etc.) (11, 12). En 1994, un travail récapitulatif de la Multi Society Task Force sur les patients en EV permanent a rapporté une mortalité moyenne de 33 % à 1 an pour les causes traumatiques et de 53 % pour les non traumatiques (13). Strauss et al. ont étudié plus de 1 021 patients en EV et ont montré que durant les dix années suivant l’accident, le taux de mortalité diminuait de 8 % par an, la mortalité n’était pas corrélée avec le sexe des patients, ni avec leur lieu de résidence ou leurs conditions médicales (14). Ces auteurs ont également rapporté un taux de mortalité plus important pour les patients sous assistance respiratoire ou nourris par gastrostomie, et plus particulièrement chez les enfants et les personnes âgées. Plusieurs autres études indiquent que la durée de vie moyenne des patients en EV varie entre 15 et 39 mois, avec des extrêmes allant de 10 à plus de 30 ans (11, 15-17). En 2002, une nouvelle entité clinique a été défifi nie – l’ECM – mais, jusqu’à présent, aucune étude scientifique fi n’a pu mettre en évidence le taux de survie de ces patients. Grâce à l’initiative fédérale belge, nous avons pu estimer les courbes de survie

10 ans

27,6 %

32,1 %

39,5 %

46,3 %

33 % 53 %

chez 200 patients en état de conscience altérée. De cet échantillon, 116 patients en EV (traumatique N = 52, non traumatique N = 64) et 84 en ECM (traumatique N = 35, non traumatique N = 49) ont été intégrés dans l’étude. En utilisant un modèle de Cox (18), les courbes de survie, calculées grâce au modèle statistique de risques proportionnels et corrigées pour l’âge, montrent que la durée de survie est significativement fi supérieure pour les patients en ECM comparée aux patients en EV. Grâce à ce même modèle (19), les courbes de survie des patients ont pu être mesurées en fonction de l’étiologie de la lésion cérébrale (traumatisme, anoxie cérébrale ou autres causes non traumatiques). Ces courbes ont montré que la possibilité de survie était significativement fi diff fférente selon l’étiologie, avec un taux de décès plus élevé pour les patients ayant subi une anoxie cérébrale. Les patients traumatisés et ceux dont l’étiologie du dommage cérébral était d’origine non traumatique non anoxique présentaient un taux de survie similaire. Ainsi, pour les patients qui demeurent en EV un mois après une lésion cérébrale traumatique, le taux de mortalité est de 42 % à 1 an. Pour les patients en EV d’origine non traumatique, nous avons observé un taux de mortalité de 70 % à 1 an. Les patients en ECM, 1 mois après une lésion cérébrale d’origine traumatique, ont en revanche, un plus faible taux de mortalité moyen (de 23 % à 1 an). Pour les patients en ECM d’origine non traumatique, le taux de mortalité s’élève à 33 %.

122 Enjeux éthiques en réanimation

Pronostic La récupération des patients en état de conscience altérée peut être envisagée selon deux dimensions : la récupération de la conscience et la récupération de fonction. La récupération de la conscience peut être traduite par la récupération de comportements traduisant des signes de conscience de soi et de l’environnement (réponses volontaires mais fluctuantes conséquentes à une demande verbale fl ou écrite, poursuite visuelle, réponses émotionnelles adaptées au contexte – ECM) (3). La récupération de fonction est caractérisée par une récupération de la communication fonctionnelle, la capacité à apprendre et à exécuter de nouvelles tâches, et une participation dans les activités personnelles, récréatives ou professionnelles (13). La récupéra-

tion de la conscience peut se produire sans récupération fonctionnelle alors que la récupération fonctionnelle ne peut pas se produire sans la récupération de la conscience. Un patient en EV généralement récupérera la conscience et évoluera vers un ECM, pour ensuite présenter une récupération fonctionnelle, reflétant fl l’émergence de l’ECM. Les 200 patients inclus dans le projet fédéral belge (décrit ci-dessus) (4) nous ont permis d’étudier le degré de récupération sur une période d’au moins 12 mois. Ces patients ont été évalués grâce à l’échelle de récupération du coma (CRS-R) (20) 12 mois après leur accident cérébral afin fi de déterminer leur état de conscience – EV, ECM, émergence de l’ECM. Nous présenterons ici les résultats de cette étude en classifi fiant les patients selon l’évaluation faite 1 mois après l’accident (fig. fi 2).

État végétatif (n = 116)

État de conscience minimale (n = 84) % 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

Traumatique

% 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

n = 52 1

Non traumatique

% 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

3

6

12

1 % 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

n = 64 1

n = 35

3

6

12

3

6

12

6

12

n = 49 1

Patients ayant récupéré une communication fonctionnelle Patients en état de conscience minimale

3

Patients décédés Patients en état végétatif

Fig. 2 – Évolution clinique à 3, 6 et 12 mois (en abscisse) après l’atteinte cérébrale pour les patients en état végétatif (EV) et en état de conscience minimale (ECM) (en pourcentage).

Chez les patients en EV d’origine traumatique, 13 % ont évolué vers un ECM un an après l’accident. Notons que pour les patients en EV d’origine non traumatique, le taux de récupération de la conscience est inférieur à celui observé chez les patients dont l’étiologie est traumatique, soit 8 % après un an. Concernant le taux de récupération fonctionnelle chez les patients en EV d’origine traumatique, 23 % des patients sortent de l’ECM après 1 an. Ce taux diminue sensiblement pour les patients en EV d’origine non traumatique. De

fait, seulement 2 % des patients ont montré une récupération fonctionnelle après 1 an. Pour les patients en ECM, les chances de récupération d’une communication fonctionnelle sont nettement plus importantes que pour le patient végétatif, et ce, quelle que soit la cause – traumatique ou non traumatique. Pour les cas d’origine traumatique, nous notons que 1 an après la lésion cérébrale, 48 % des patients en ECM ont récupéré une communication fonctionnelle contre 23 % seulement des patients en EV. Lorsque l’étiologie

État végétatif et état de conscience minimale : un devenir pire que la mort ? 123 est non traumatique, 27 % des patients en ECM ont récupéré pour seulement 2 % des patients en EV. En général, quand l’étiologie est traumatique, les patients ont plus de chance de récupérer une communication fonctionnelle que dans le cas d’une étiologie non traumatique. En effet, ff nous observons que 71 % des patients traumatiques (23 % de patients en EV et 48 % de patients en ECM) ont émergé de l’ECM contre 29 % des patients non traumatiques (2 % des patients en EV et 27 % des patients en ECM). Les résultats obtenus concernant le taux de mortalité ainsi que les facteurs pronostiques chez les patients en EV confirment fi les données de la « Multi-Society Task Force for PVS » basées sur 754 cas publiés dans la littérature internationale (1994) (13). D’autre part, nos données complètent les études préliminaires sur un plus petit échantillon de patients, suggérant un meilleur pronostic chez les patients en ECM par rapport aux patients en EV. En 2004, Giacino (21) a évalué 55 patients en EV et 49 en ECM pendant 12 mois avec la Disability Rating Scale (22). Il a rapporté que 73 % des patients initialement diagnostiqués en EV présentent un niveau d’infirmité fi sévère après un an, contre 17 % des patients initialement diagnostiqués en ECM. Sazbon et Groswasser (1990) (8) ont étudié 72 patients dont l’étiologie était non traumatique en stade aigu jusqu’à 12 mois après leur accident cérébral. Ces auteurs ont remarqué que la durée d’inconscience en stade aigu influence fl le pronostic des patients. Les patients qui n’émergent pas de l’EV dans les 6 mois présentent un niveau d’incapacité plus important que ceux ayant présenté des signes de conscience endéans les 6 mois. D’autres études ont également mis en évidence l’importance de l’âge au moment de l’accident pour les patients en EV. Les enfants âgés entre 5 et 6 ans ont plus de chance d’évoluer favorablement que les adultes (11, 13, 23-27). D’autres recherches ont également pu mettre en évidence que les patients âgés de plus de 40 ans ont moins de chance d’évoluer favorablement que les patients étant plus jeunes lors de l’accident (13, 28). Ces résultats nécessitent cependant d’être confi firmés par de nouvelles études comportant à la fois un plus grand nombre de patients, des critères d’inclusion clairement défi finis, et une distinction concernant le type de récupération des patients. L’imagerie par résonance magnétique semble également indiquée afi fin de mieux cerner l’état clinique du patient. Plusieurs études ont, en effet, ff démontré le rôle important de la résonance magnétique dans l’évaluation de la sévérité des lésions, de leur retentissement sur l’état de conscience du patient ainsi que sur leur évolution pronostique. Yanagawa et al. (29) ont montré que le nombre des lésions mises en évidence par les séquences T2*

(permettant de détecter les microsaignements dus aux lésions axonales diff ffuses hémorragiques sous forme des lésions hypo-intenses) était inversement corrélé au score de l’échelle de récupération de Glasgow (30) qui est une valeur prédictive du pronostic clinique. Des résultats similaires ont été mis en évidence avec la séquence « FLuid Attenuated Inversion Recovery » (FLAIR) (31). Par ailleurs, le caractère bilatéral des lésions détectées par ces séquences est lié à une mortalité élevée (32) notamment lorsqu’elles touchent le tronc cérébral (33). D’autres séquences, telle que la spectroscopie-CSI (Chemical Shift Imaging) réalisée au niveau des noyaux gris centraux, permettent de calculer le ratio N-acétyl-aspartate/Créatine (NAA/Cr) dans plusieurs tissus, à savoir la substance grise (insula, noyau lenticulaire et thalamus) et la substance blanche périventriculaire occipitale (34). Plusieurs études ont mis en évidence une corrélation significative entre le NAA/Cr et l’évolution clinique des patients (34-36). Une chute de la valeur de ce ratio est un argument de mauvais pronostic. Quant à l’imagerie par tenseur de diffusion ff (DTI), Tollard et al. (37) ont observé une diminution de la fraction d’anisotropie à tous les sites de mesure chez les patients qui ont présenté une mauvaise évolution un an après leur accident. De plus, l’utilisation combinée de la spectroscopie (ratio NAA/Cr) et de la DTI permettait de prédire une évolution défavorable à un an avec une spécificité fi de 97 % contre 75 % pour la spectroscopie seule et 85 % pour la diffusion ff seule. Dans les trois cas de figure, la sensibilité est respectivement de 86 %, 75 % et 79 %. Perlbarg et al. (38) ont observé une diminution de la fraction d’anisotropie mesurée au niveau du faisceau longitudinal inférieur, du pédoncule cérébral, du bras postérieur de la capsule interne et du splénium du corps calleux dans le groupe de traumatisés crâniens ayant une évolution défavorable comparativement à ceux ayant une évolution favorable. Enfin, fi l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) semblerait également avoir une valeur pronostique. En effet, ff grâce à l’utilisation d’un paradigme actif en IRMf (par exemple, demander au patient de s’imaginer jouer au tennis), Owen et al. (39) ont pu détecter la présence d’une conscience résiduelle chez une patiente ayant survécu à un traumatisme crânien sévère, alors que celle-ci était comportementalement incapable d’exprimer cette conscience. Dans les jours suivant cette étude, la patiente a évolué vers un état de conscience minimale, suggérant qu’elle était déjà dans un état transitoire durant l’examen. Toujours en IRMf, Di et al. (40) ont rapporté le cas de deux patients considérés comme étant en état végétatif suite à un traumatisme et qui ont présenté une activation du cortex auditif primaire et des aires associatives temporales identique à celle des

124 Enjeux éthiques en réanimation patients en état de conscience minimale lorsque leur nom était prononcé par une voix familière. À nouveau, ces deux patients ont évolué vers un état de conscience minimale quelques jours après l’étude. Ces deux études suggèrent que des activations cérébrales atypiques observées chez des patients en état végétatif pourraient être un signe avant-coureur de récupération.

Aspects éthiques et fin fi de vie Bien que les questionnements sur la poursuite ou l’arrêt des traitements et l’accompagnement de fin fi de vie soient habituels dans les services de soins intensifs et dans les centres prenant en charge des patients en état de conscience altérée, il n’existe actuellement pas de pratique médicale clairement définie. fi En eff ffet, la législation actuelle belge (ce qui n’est pas le cas en France) ne nous permet pas d’apporter de réponses défi finies aux questions relatives à la poursuite ou à l’arrêt des traitements, la réanimation en cas d’arrêt cardiaque ainsi que la poursuite des actes thérapeutiques en cas d’infection. Cette absence de directives engendre souvent des situations de souff ffrance chez les patients, leur entourage mais également au niveau de l’équipe médicale et paramédicale. Afi fin de faciliter les prises des décisions lors de l’orientation de fi fin de vie, des directives éthiques devraient être mises en place afin fi de conditionner l’approche, les soins et la prise en charge des patients en EV et en ECM. Il est donc important de connaître l’avis du personnel médical, paramédical ainsi que de la société concernant les décisions de fin de vie chez ces patients. Lors de congrès européens, les participants ont été invités à répondre à une enquête reprenant huit questions sur l’arrêt des traitements chez les patients en état de conscience altérée. 2 969 Européens (53 % de femmes, âge moyen 35 ± 15) dont 51 % étaient médecins et 17 % faisaient partie du personnel paramédical ont participé à l’enquête, les résultats sont résumés dans le tableau II. Notre enquête a mis en évidence que 54 % des personnes interrogées considèrent qu’être en EV est pire que la mort du point de vue du patient. Ce pourcentage augmente radicalement – 78 % – si les répondants considèrent la question du point de vue de la famille. Comparativement aux résultats de Dierickx et ses collaborateurs (1998) (46), nous avons observé qu’un pourcentage plus important (67 %) d’Européens (cliniciens, paracliniciens et autres) est d’accord avec la décision d’arrêter le traitement (nutrition et hydratation) des patients en EV chronique. En outre, ce pourcentage augmente (81 %) lorsque les personnes doivent s’imaginer ellesmêmes dans cette situation (« Si vous étiez en état

Tableau II – Résultats de l’enquête menée auprès de 2 969 citoyens européens (53 % de femmes, âge moyen 35 ± 15). Questions Être en état végétatif chronique (plus d’un an) est pire que la mort : du point de vue du patient du point de vue de la famille Être en état de conscience minimale chronique (plus d’un an) est pire qu’être en état végétatif : du point de vue du patient du point de vue de la famille Peut-on arrêter le traitement (nutrition et hydratation) des patients en état végétatif chronique ? en état de conscience minimale chronique ? Souhaiteriez-vous continuer de vivre si vous étiez en état végétatif chronique ? si vous étiez en état de conscience minimale chronique ?

Oui (%)

Non (%)

Pas de réponse (%)

54 78

44 20

2 2

50 40

47 57

3 3

67

31

2

30

69

1

17

81

2

33

65

2

végétatif chronique (plus d’un an), souhaiteriezvous un arrêt du traitement (hydratation et nutrition) ? »). Ces résultats corroborent les résultats d’études internationales. Une enquête de Frankl et al. a montré que, sur 200 personnes, 6 % seulement désirent être traitées si elles se trouvent en état végétatif (41). Parmi un autre échantillon de 507 personnes, 80 % déclarent ne pas vouloir être traitées si elles sont en EV permanent (42) tandis que, parmi 345 médecins, 92 % refuseraient une alimentation parentérale. 90 % des personnes travaillant en milieu hospitalier (médecins et infirfi mières) souhaiteraient un arrêt de traitement si elles étaient elles-mêmes en EV (43). Enfi fin, une enquête menée en Angleterre chez 1 027 médecins a révélé que 73 % pensent que le retrait de la nutrition et de l’hydratation est approprié chez les patients en EV, et 90 % se disent d’accord si cet état est considéré comme permanent (44). Jusqu’à présent, aucune étude n’a intégré les patients en ECM. C’est pourquoi nous avons consacré plusieurs items du questionnaire aux décisions de fi fin de vie chez ces patients. Ainsi, nos résultats ont montré qu’il est beaucoup plus difficile ffi de se prononcer pour les patients en ECM. En effet, ff même si 50 % des participants déclarent qu’être dans cet état depuis plus d’un an est pire qu’être en EV du point de vue du patient, seulement 30 % pensent qu’arrêter le traitement (nutrition et hydratation) est envisageable. Ce pourcentage est bien moindre que pour l’EV mais n’est cependant

État végétatif et état de conscience minimale : un devenir pire que la mort ? 125 pas insignifiant. fi Enfi fin, les opinions sont encore plus divisées lorsqu’il est demandé aux personnes de s’imaginer elles-mêmes dans cette situation. En effet, ff 65 % des personnes interrogées ne souhaitent pas continuer de vivre s’ils étaient en ECM depuis plus d’un an. Une réflexion fl éthique européenne avec toutes les personnes concernées (le personnel médical, paramédical, les familles ainsi que l’avis de la société) nous semble justifiée fi afi fin d’améliorer la prise en charge et les décisions de fin fi de vie chez les patients en EV et en ECM. Comme cité dans le rapport publié par l’Académie américaine de neurologie (45), les patients conscients, légalement capables de prendre des décisions, et atteints d’une paralysie profonde et permanente ont le droit de prendre des décisions concernant leurs soins, et ceci inclut l’acceptation ou le refus des traitements vitaux – soit de ne pas y être soumis, soit de les interrompre une fois qu’ils ont débuté. La législation belge relative à l’euthanasie n’est donc pas d’application pour les patients en EV et en ECM, excepté pour le patient en EV permanent ayant formulé une déclaration anticipée. La majorité des patients n’est pas capable de prendre des décisions puisque ces patients ne peuvent communiquer de manière fonctionnelle avec leur entourage. La famille, le personnel médical et les prestataires d’aide sont alors confrontés à diverses questions concernant le sens de la vie, la dignité de la vie et le sens des actes médicaux ayant pour but de maintenir ces patients en vie. Néanmoins, l’arrêt d’un traitement est possible et « relève de la responsabilité du médecin, en concertation avec la famille, la personne de confiance, fi et d’autres membres de l’équipe multidisciplinaire de soins ». Une étude antérieure a démontré que 88 % des médecins belges avouent ne pas traiter les infections chez ces patients dans certains cas et 56 % pensent que le retrait de la nutrition et de l’hydratation serait approprié chez les patients en EV (46). La relation soignants-soignés est souvent difficile ffi à établir avec les patients non communicants. Cette absence de communication, parfois difficilement ffi acceptable, amène les équipes médicales à décrypter et interpréter les manifestations physiques réflexes fl et/ou volontaires des patients (grimaces, pleurs, sourires, gémissements) afin fi d’adapter leurs traitements et/ou d’ajuster leur prise en charge. L’absence d’évolution, la notion de chronicité de l’état, la perte des repères professionnels sont autant de facteurs favorisant la démotivation et la culpabilité des équipes. De même, la prise en charge rééducative des orthophonistes, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes est souvent mise en échec par le polyhandicap des patients. Ces échecs conduisent à une angoisse générée par la perte des repères professionnels ainsi que

par l’utilisation vaine des techniques spécifiques fi inadaptées à la spécificité fi des patients (47). Les équipes médicales étant impliquées émotionnellement dans la prise en charge des patients peinent parfois à statuer sur le caractère « raisonnable » ou non de l’alimentation entérale et de l’hydratation artifi ficielle, de l’assistance respiratoire ainsi que des traitements de complications infectieuses. Afin fi de diminuer la culpabilité lors de ces prises de décisions, il est important que la réfl flexion éthique réponde à des critères communs tels que la collégialité dans la réflexion, fl la présence d’experts extérieurs au secteur de soin et le respect des demandes des proches (48). Chaque famille présente des besoins et des attentes spécifiques fi quant à la prise en charge de leur proche. Alors que certaines ont besoin d’informations précises sur l’état clinique et le devenir de leur enfant, mari, frère, sœur, etc., d’autres resteront passives, contemplatives. Les réactions face à l’accident, la prise de conscience du handicap, la gestion du quotidien, la capacité de gestion des émotions varient en fonction des familles, des membres qui la composent et du temps. Il est toutefois nécessaire de proposer une prise en charge psychologique dès le stade aigu afin fi de recadrer les émotions, de réexpliquer les informations délivrées par les équipes médicales et souvent, de déculpabiliser les familles à propos des décisions qui s’imposent à elles telles que le placement dans des unités de long séjour, le retour à domicile, la décision de la poursuite ou de l’arrêt des traitements, le traitement en cas d’infections. Des efforts ff restent cependant à faire pour que les familles soient réellement encadrées et assistées.

Conclusion Bien que les avancées scientifi fiques permettent de mieux cerner le taux de mortalité ainsi que les facteurs pronostiques pour les patients en EV et en ECM, une grande prudence s’impose aux cliniciens questionnés sur le devenir des patients sévèrement cérébrolésés. Nous avons pu mettre en évidence que le devenir des patients qui sont en ECM un mois après la lésion cérébrale est significativement fi meilleur que celui des patients en EV. De plus, nous savons que la cause de l’accident influence fl le pronostic des patients. Les patients d’étiologie traumatique ont plus de chance de récupérer une communication fonctionnelle que les patients dont la cause est anoxique. Des études doivent encore être entreprises concernant la récupération fonctionnelle des patients qui ont émergé de l’ECM afi fin de mieux caractériser les troubles cognitifs associés et les séquelles observées sur leur

126 Enjeux éthiques en réanimation intégration psychosociale. Notons que des études préliminaires sur un nombre limité de patients en ECM ont mis en évidence une évolution favorable dans seulement 23 % des cas (absence ou handicap léger). 50 % des patients présentaient un handicap modéré et 27 % un handicap sévère à très sévère ayant un retentissement fonctionnel et psychosocial (21, 49). La gestion de fin fi de vie est encadrée par la législation mais des questions subsistent dans la pratique clinique quotidienne. Ces questionnements nécessitent la mise en place d’une méthodologie de réflexions fl commune pour l’ensemble des équipes médicales. Il est nécessaire de mettre au point des lignes de conduite à suivre dans les hôpitaux, les centres de réadaptation ainsi que dans les maisons de soins afin fi de faciliter les prises de décisions. Il est aussi important de créer des directives en accord avec les différents ff principes éthiques, la pratique médicale et la législation en vigueur dans les pays concernés. Ces directives permettraient une formalisation des démarches éthiques au sein des secteurs de soins qui accompagneraient chaque praticien dans ses décisions médicales.

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Chapitre

Implication des familles des patients de réanimation dans le processus décisionnel : nuances et contextualité

14

E. Azoulay, F. Pochard

Introduction

L

es avancées médicales permettent un accroissement de l’espérance de vie. Néanmoins, certains patients survivant à des pathologies graves nécessitant des traitements intensifs vont présenter un certain niveau de handicap physique, fonctionnel ou cognitif. Les familles présentes auprès du malade sont alors souvent sollicitées pour participer aux décisions de non-acharnement thérapeutique où sont en opposition la vie et la fin fi de vie, mais aussi la durée de vie et la qualité de vie. Il est tout à fait évident que, dans certains pays, les patients qui souhaitent prendre une part active dans les décisions qui concernent leur santé y sont instamment invités. En Réanimation cependant, comme dans la plupart des secteurs de médecine aiguë, la majorité des patients ne peut plus consentir pour elle-même ou partager une décision (1, 2). Le sanctuaire de la relation médecin-patient est alors déplacé avec, d’une part, l’existence d’une équipe médicale-paramédicale et, d’autre part, une famille le plus souvent plurielle. Pour autant, l’implication des familles dans le processus décisionnel pose des problèmes complexes. En effet, ff les patients n’ont peut-être jamais fait part de leurs volontés à leurs proches, les proches pourraient confondre l’objet du processus décisionnel et penser que les décisions les concernent plus qu’elles ne concernent les patients, enfin, fi certaines familles pourraient consciemment ou inconsciemment prendre des décisions sans vraiment en comprendre les enjeux (3), voire, parfois, défendre leurs intérêts propres avant de défendre ceux du patient (4-7). Le débat sur le partage des décisions avec les familles des patients de réanimation a été malheureusement longtemps confondu avec le débat entre paternalisme et autonomie (8). Pourtant, ces deux derniers modèles de la relation médecinmalade sont, à notre sens, eux-mêmes caduques, tout comme le sont les raisons avancées pour L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

expliquer les différences ff en matière de décision médicale observées entre pays latins et pays anglosaxons (9). Dans ce chapitre, nous souhaitons défendre l’implication active des familles des malades dans le processus décisionnel en réanimation. Nous n’utiliserons que des éléments factuels issus d’études épidémiologiques et d’enquêtes d’évaluation des pratiques en réanimation réalisées en France et ailleurs. Quant aux concepts avancés, nous verrons qu’ils sont eux-mêmes basés sur l’expérience clinique et l’analyse de situations complexes.

Relation médecin-malade : diff fférents modèles théoriques Il va sans dire que les modèles décrits ci-après n’ont jamais vraiment existé en tant que modèles uniques ou exclusifs. Y compris dans les temps anciens, la relation médecin-malade a pu être empreinte d’autonomie ou encore, plutôt, prôner la décision médicale partagée. La présentation qui est faite ici est chronologique pour des raisons didactiques et peut-être par militantisme. En effet, ff l’auteur a comme conviction que les trois modèles présentés sont caduques et inadaptés à la vraie vie. À quel médecin viendrait l’idée de ne pas adapter le modèle de la relation qu’il a avec son patient aux valeurs et aux préférences de celui-ci ? Quel médecin appliquerait à l’ensemble de ses patients un modèle unique de relation médecin-malade ? Le modèle paternaliste est celui qui a gouverné la relation médecin-malade d’Hippocrate aux années 1970 (10). Dans ce modèle, le malade est passif et considéré comme incapable de faire un choix, le médecin est celui qui sait, qui protège (le gardien) le malade pour que ce dernier ne prenne pas de mauvaise décision (11). Le médecin fait figure d’autorité et engage la confiance fi du malade. Il prend toutes les décisions et établit lui-même les priorités

132 Enjeux éthiques en réanimation dans l’organisation des soins, le plus souvent en appliquant la médecine basée sur les preuves. Le modèle où l’autonomie gouverne la relation médecin-malade a pris le dessus sur le modèle paternaliste dans les années 1980 en Amérique du Nord et dans la majorité des pays anglo-saxons. Dans ce modèle, les médecins sont des consultants. Ils informent les patients et les familles du diagnostic et des alternatives thérapeutiques, des risques et des avantages de chaque alternative, et écoutent les patients afin fi d’identifi fier leurs préférences. La décision ultime sur le choix thérapeutique reviendra essentiellement aux patients ou à leur famille. La décision médicale partagée est aujourd’hui le modèle qui semble emporter le consensus (12). La conférence de consensus internationale de 2003 sur la prise en charge de la fin fi de vie en réanimation a plébiscité ce modèle comme un modèle dynamique, adaptatif et nécessitant une amélioration des stratégies de communication (13). Dans le cadre de la réanimation, les patients sont sévèrement malades, les familles débordées sur le plan émotionnel et les décisions se font dans un contexte diffi fficile. Les familles rapportent qu’elles ne sont pas en mesure de faire les bons choix. Alors, les médecins vont essayer de donner aux familles du « pouvoir » pour les rendre capables de comprendre les enjeux de la décision et de participer au processus décisionnel, si elles le souhaitent.

Rôle des patients de réanimation dans la prise des décisions les concernant : limites du modèle « autonomie » Les obstacles au bon déroulement du processus décisionnel incluent l’inaptitude du patient à prendre part aux décisions et aux discussions (1), le manque de compréhension de l’information par les familles (14, 15), les contradictions apportées par les équipes (16), les faux espoirs liés à des diffi fficultés d’adaptation à la situation aiguë mais aussi aux messages ambigus passés par les équipes de réanimation (17). Nous faisons la promotion du principe qui met en avant, et en premier, l’intérêt du malade et son avis. Cependant, l’avis du malade est peu souvent connu, y compris de ceux qui partagent la vie du patient. De plus, ce modèle dit « autonomiste » présume que nous, médecins et infirmiers, fi savons traduire nos connaissances en des mots simples et compréhensibles qui permettraient aux patients ou à leurs familles de vraiment saisir les nuances et les implications de chaque décision. Pourtant, nous savons parfaitement que la façon avec laquelle l’information est apportée aux patients influence fl singulièrement la nature de

la décision prise (18). Ainsi, dans une étude chez des patients atteints d’un cancer du poumon, les patients devaient choisir entre un traitement par chirurgie ou par radiothérapie, deux stratégies jugées équivalentes dans cette étude. Deux façons d’apporter l’information étaient testées : l’une en annonçant les résultats en termes de « survie » et l’autre en termes de « mortalité ». Le nombre de patients choisissant la radiothérapie allait de 18 % quand les résultats étaient présentés en termes de survie à 44 % quand ceux-ci étaient présentés en termes de « mortalité » (18). Ainsi, il apparaît évident que consciemment ou inconsciemment les médecins infl fluencent les choix de leurs patients. Cet exemple permet d’illustrer combien la notion d’autonomie apparaît intimement liée à la qualité et à l’objectivité de l’information apportée. Nous le redirons plus loin : au-delà de l’information, tout est dans la communication, l’écoute des familles et le dialogue avec elles.

Les familles souhaitent-elles participer aux décisions concernant leur proche en réanimation ? La plupart des échelles de satisfaction des familles des patients de réanimation comportent plusieurs items montrant que parmi leurs souhaits, participer aux soins, aux discussions et aux décisions, sont des déterminants majeurs de leur satisfaction (19-21). Au Canada ou les surrogates prennent des décisions pour leurs proches, leur satisfaction avec le processus décisionnel est d’autant mieux perçue que la qualité de l’information est satisfaisante (19). En France cependant, plus de la moitié des familles ne souhaite pas participer aux décisions médicales (6) et les familles satisfaites de la qualité de l’information le souhaitent encore moins que les autres. Pourtant, 8 000 personnes résidant en France ont été interrogées et 90 % d’entre elles souhaitent que leurs proches puissent prendre part à leurs décisions si elles étaient hospitalisées en réanimation (22). Dans le contexte de la fin de vie, les familles des patients impliquées dans les décisions médicales ont un stress post-traumatique accru trois mois après le décès (23). Globalement ces études semblent démontrer les cinq éléments suivants : – en France comme en Amérique du Nord, un certain nombre de familles ne souhaite pas prendre une part active dans le processus décisionnel. Cette réticence à partager les décisions doit être bien sûr à respecter ; – de part et d’autre de l’Atlantique, un nombre de familles considérable partage effectivement ff les décisions et ceci est associé à une plus grande satisfaction chez elles ;

Implication des familles des patients de réanimation dans le processus décisionnel : nuances et contextualité 133 – le partage vrai des décisions avec les familles est très rarement réalisé. Dans une étude réalisée à Seattle, les décisions ne respectaient que deux des dix critères de partage des décisions (12) ; – le prérequis à l’implication des familles est l’amélioration de la communication avec elles ; – en France, les soignants sont, dans leur grande majorité, disposés à laisser les familles partager les décisions. La non-participation des familles dans les décisions pourrait alors venir de leurs réticences, leurs symptômes anxio-dépressifs ou encore de la mauvaise compréhension des informations apportées. De façon intéressante, et en marge du partage des décisions, la présence des familles à la ressuscitation après arrêt cardiaque a montré un bénéfice fi par le biais d’une réduction de la pénibilité du deuil (24). Néanmoins, cette démarche n’est, à ce jour, pas rentrée dans les pratiques.

Les situations de fifin de vie en réanimation constituent-elles un cas particulier de la relation médecin-malade ? Il est clair que les familles des patients qui décèdent en réanimation présentent plus de symptômes anxio-dépressifs (25, 26), voire développent des syndromes psychiatriques (attaques de panique, anxiété généralisée, deuil pathologique…) (27), ont un risque accru de stress post-traumatique (23), décrivent une culpabilité importante ainsi que des regrets sur les conditions de la mort en réanimation (5, 28-31), et nécessitent vraiment une intensification fi de la communication dans un moment de grande fragilité (32). Dans une large étude de cohorte, Christakis et al. ont montré que le décès d’un époux plongeait celui du couple qui survivait dans une situation de vulnérabilité intense lui conférant un risque accru de décès de près de 20 % (33). Ces études viennent souligner combien les familles entrant dans un processus de deuil ont besoin que soient développées des stratégies de communication associant empathie, compassion, accompagnement, écoute et palliation. Dans le même sens, médecins et infirmières fi de réanimation éprouvent de plus en plus de difficultés ffi à accompagner les situations de fi fin de vie. Ainsi, la prise en charge des patients qui décèdent, et de leurs familles, sont des déterminants majeurs des situations de confl flits en réanimation (34), mais aussi du syndrome d’épuisement professionnel (burn out syndrome) (36). Dans ce contexte, il paraît évident que l’ensemble des protagonistes a besoin de soutien et d’aide. Prévenir l’épuisement des soignants et les conflits fl

avec les familles ou entre soignants n’est fi finalement qu’un gage pour mieux développer des stratégies de communication permettant d’accompagner les familles avec comme objectif premier de rendre le deuil moins pénible, voire de diminuer l’incidence de deuil pathologique.

Application contextuelle du principe d’autonomie : nouveaux modèles conceptuels de la relation médecin-malade (du néopaternalisme à l’autonomie de fait) Pour fi finir, l’auteur voudrait suggérer que les équipes de réanimation pourraient établir une relation soignants-familles proactive, mais aussi adaptative (contextuelle) (37-39). Le modèle de la décision médicale partagée ayant clairement ses limites, d’autres modèles sont nécessaires pour venir contrebalancer la détresse des familles et les aider, aussi, à ne pas partager des décisions qu’elles ne peuvent pas prendre, mais, également, pour les aider à mieux prendre d’autres décisions (40). À ce titre, cinq approches ont été suggérées et évaluées dans la littérature. Ces modèles sont intéressants, aussi, car ils décrivent ce que nous faisons déjà au quotidien en les mettant en forme pour pouvoir mieux les transmettre. Ces modèles sont le paternalisme ajusté (titrated guidance) (41), le néopaternalisme (42), l’autonomie contextuelle (43) et l’autonomie tacite (effective ff autonomy en opposition à l’autonomie formelle) (18). Le paternalisme ajusté (titrated guidance) (41) met en balance la certitude du pronostic avec les chances de revenir à un état de santé identique à celui précédant la réanimation. Pour un pronostic facile à estimer et quand les chances de récupérer des fonctions physiques et cognitives sont très probables, l’information quotidienne suffit ffi et permet vraiment d’améliorer la compréhension des familles et de diminuer leurs symptômes anxiodépressifs. Quand le pronostic est facile à estimer mais que malheureusement les séquelles de la réanimation vont être lourdes et le handicap lourd, les familles doivent comprendre notre aptitude à prodiguer du soin palliatif et une approche soignante basée sur le confort. C’est dans cette situation qu’il faut savoir négocier et déculpabiliser les familles. L’écoute et l’attention de la part des équipes soignantes ont des effets ff apaisants (44, 45). Au milieu de ces deux situations, l’information simple doit faire place à des stratégies de communication permettant aux familles de faire face à l’incertitude du pronostic. C’est dans l’art et la nuance que les équipes devront amener les familles à comprendre qu’il faut à la fois accepter que la mort ou le handicap soient de

134 Enjeux éthiques en réanimation grande probabilité, tout en gardant l’espoir d’une survie avec bonne qualité de vie. C’est dans cette situation qu’il faut savoir créer un partenariat avec les familles et intensifier fi la communication (46). Le néopaternalisme est une forme d’application de la décision médicale partagée où les équipes médicales et paramédicales expriment très clairement leur opinion personnelle basée sur leur expérience, et sur ce qu’elles pensent être bon pour le malade (42). L’autonomie contextuelle (43) est un modèle ressemblant au paternalisme ajusté avec, pour chaque décision, la mise en balance du risque d’une procédure avec le bénéfice fi attendu de la procédure. Ainsi, devant une intervention peu risquée et indispensable (mise d’un cathéter pour nutrition parentérale), l’information peut être sommaire, voire assistée par un support écrit standardisé. Devant une intervention risquée mais indispensable (choc hémorragique sur plaie par arme blanche), l’information ne doit pas retarder la prise en charge du patient. À l’inverse, quand une décision doit être prise à propos d’une intervention à la fois risquée et au bénéfice fi incertain (énième reprise chirurgicale, cure de chimiothérapie supplémentaire…), le processus décisionnel sera guidé par un modèle d’autonomie éclairé où les équipes soignantes assisteront la famille dans la difficile ffi explication du rapport risque/bénéfice. fi Enfi fin, l’autonomie tacite (eff ffective autonomy en opposition à l’autonomie formelle) (18) est un modèle dans lequel l’analyse systémique de l’ensemble des protagonistes permet d’identifier fi les valeurs et les préférences du patient à travers ce qu’il a pu dire et à travers les témoignages de la famille, et de ceux qui l’ont connu. Dans ce modèle, tous les efforts ff sont faits pour apporter une information claire, loyale, et appropriée, mais sans influencer fl directement ou tacitement la décision du patient ou de ses proches.

Dix clés pour améliorer la prise en charge de la fifin de vie en réanimation

Dans le même sens, ce binôme doit, autant que possible, évaluer le confort des patients, en particulier au moment de la fi fin de vie en réanimation. Ainsi, quand médecins et infirmiers fi évaluent conjointement la douleur des patients en fi fin de vie, le nombre de conflits fl associés est moindre (34).

Organisation de séances de discussion régulières entre médecins et infifirmières (staff ffs d’équipe) Ces staffs ff d’équipe sont une opportunité unique pour que médecins et infi firmiers puissent échanger librement sur le cas d’un patient, d’un proche ou encore sur la complexité d’une histoire médicale. Il s’agit surtout d’une occasion privilégiée où chacun peut s’ouvrir à l’autre et partager une histoire perçue parfois différemment. ff Ces staff ffs d’équipe sont associés à plus de satisfaction f des familles et des infi firmiers (16, 36), et, aussi, à moins de confl flits dans les équipes (34). Leur rythme idéal est d’une fois par semaine et par équipe, en tentant de maintenir une vraie discussion au cours des gardes avec les équipes travaillant de nuit.

Partage des décisions avec les infirmiers fi (réunions décisionnelles) Ces staff ffs se produisent avant que le patient ne soit concerné par une mesure de LATA. Au cours de ces réunions, l’histoire du patient est retracée dans sa globalité et l’irréversibilité de la situation médicale est vérifiée. fi Seule la certitude que la situation est irréversible et que le décès est certain amènera les équipes à passer du soin curatif au soin palliatif. Ces réunions stigmatisent la collégialité dans la prise de décisions, situation beaucoup plus fréquente en France par rapport à d’autres pays (47). Ces décisions sont, pour les médecins, plus basées sur des critères statistiques (futilité) et, pour les infirmiers, fi plus basés sur des critères qualitatifs (douleur, anxiété, qualité de vie). Cette divergence de valeur souligne le caractère complémentaire des médecins et des infi firmiers dans le processus décisionnel (48).

Binôme médecin-infifirmier : pilote-copilote Nous recommandons fortement d’inciter médecins et infirmiers fi à informer conjointement les familles des patients, quand cela est possible. Cette information conjointe, outre ses qualités didactiques, permettra de se présenter à la famille comme une équipe unie et d’éviter de lui apporter des informations contradictoires. Cela permettra aussi de valoriser le rôle de l’infi firmier dans le processus de communication et de maintenir une traçabilité écrite de l’information.

Passage de l’information à la communication (et au dialogue) Pour ne citer qu’un élément clé dans la communication, l’écoute des familles a des vertus apaisantes (42, 44, 45, 49, 50). Ainsi, au cours d’une conférence de fin de vie, plus la famille a pris la parole pour exprimer ses craintes, verbaliser ses émotions et ses diffi fficultés, plus sa satisfaction sera grande et moins son deuil pathologique sera fréquent (44, 50, 51). En dehors de l’écoute, le fait de ne pas imposer

Implication des familles des patients de réanimation dans le processus décisionnel : nuances et contextualité 135 le moment de l’entretien et de donner la possibilité aux familles de convenir d’un moment « choisi » qui leur permettrait de s’organiser et d’être plus nombreux (avec leurs enfants et ou leurs parents) sont des atouts majeurs de communication.

Ouverture des horaires de visite en réanimation Très brièvement, car nous pourrions écrire une revue entière sur ce sujet, nous invitons les équipes à avoir une opinion « ouverte » et non « dogmatique » (dans les deux sens) à ce sujet. Il nous semble que les cinq points clé pour explorer cette ouverture des horaires de visite sont : – proposer et discuter plutôt qu’imposer ; ainsi un groupe de travail médecins et infirmiers fi mettant en avant le pour et le contre de chaque situation est une bonne façon d’ouvrir les débats ; – évaluer l’ouverture chez soignants, familles et patients ; – ne pas considérer que 24 h/24 est la panacée ; un service ouvert deux fois deux heures gagnerait déjà à ouvrir de 12 h à 23 h. Une ouverture plus large viendra sûrement ensuite ; – ne pas confondre le temps de visite et le temps d’information. Ainsi, la libéralisation des visites impose une meilleure organisation de l’information (par exemple le tour des familles de 14 h 30…) ; – enfin, fi une meilleure explication des horaires de visite et de l’organisation de l’information doit être ajoutée sur le livret d’accueil (14, 52).

Entretien informel, bref, mais systématique dès l’admission du patient en réanimation (4) Quand le patient arrive, il est le plus fréquent que l’équipe soit plongée dans son installation, la découverte de son dossier, les manœuvres de ressuscitation, etc. Pourtant, un interne ou un senior devrait prendre une petite minute pour aller vers les familles et dire en quelques phrases que le malade est pris en charge, que c’est l’heure où l’on connaît plus les symptômes que les diagnostics, que les antibiotiques/la dialyse/la ventilation/… sont en train d’être débutés et qu’ils auront une information plus complète le lendemain. Une équipe qui sait gagner la confiance fi d’une famille dès la première heure a plus de chances de créer une relation basée sur la confiance fi pour toute la suite du séjour en réanimation.

Entretien organisé et formalisé au troisième jourr (53, 54) C’est là une clé majeure de l’organisation de l’information et une stratégie de communication qui

nous a convaincus au plus haut point. Ainsi, dès le 3e jour, la famille est approchée par les soignants (attitude proactive) pour organiser un entretien formalisé qui peut se produire le lendemain ou, en tout cas, dès que la famille peut s’organiser pour être là à plusieurs. Cet entretien est tout à fait formalisé et nécessite de se dérouler au calme, Bip et téléphones éteints, en prenant la peine de se présenter, de demander à la famille de reformuler ce qui lui a été dit et en corrigeant les erreurs de communication. Ensuite, la famille doit pouvoir comprendre le pronostic et savoir détecter les signes de succès de la réanimation (réveil, reprise de diurèse, arrêt des amines, extubation…). Surtout, les médecins et infirmiers fi doivent dire à la famille qu’ils sont là (ensemble) pour des questions ultérieures et lui donne un rendez-vous pour un entretien dans 48 heures ou dès qu’il le faudra.

Conférences de fin de vie (44, 49-51, 55) Il s’agit de l’application de la stratégie précédente aux situations de fin de vie. Elle a été décrite par Randall Curtis et le groupe de Seattle et validée dans le groupe Famiréa en France (44, 49-51, 55). Les équipes ont pour objectifs majeurs de valoriser ce qui est dit par la famille, de vérifier fi la compréhension de l’information, d’écouterr beaucoup plus que de parler, de clairement signifier fi que tout ce qui est dit est au bénéfice fi du patient (remettre le patient au centre du débat) et de solliciter des questions de la part des familles. À la fi fin de cet entretien, nous remettons aux familles un livret d’accompagnement adapté du livret SPARADRAP créé par un groupe de travail multidisciplinaire pédiatrique (www.sparadrap.fr).

Consultation de fin de réanimation Il s’agit là d’un moment fragile pour les patients et les familles avec une angoisse d’abandon et la crainte du service inconnu avec de nouveaux infirfi miers et une nouvelle politique de prise en charge et d’information. Actuellement évalué dans le groupe Famiréa, cet entretien est l’occasion de rassurer, de donner des informations et de prévenir les patients que certains symptômes qu’ils vivent encore (cauchemars par exemple) sont fréquemment rapportés par les malades et disparaissent au bout de quelques semaines. Aussi, le fait de leur remettre leur compte rendu de réanimation et de leur dire qu’ils peuvent solliciter leur médecin de famille si les symptômes persistent, off ffre une occasion de plus de leur apporter du soutien.

136 Enjeux éthiques en réanimation

Évaluation des pratiques en matière d’information et de communication et enseignement de la communication aux soignants Cette étape doit enfi fin rentrer dans les mœurs. Évaluer nos pratiques en matière de communication est notre façon d’avancer. Enseigner la communication aux infirmiers fi et aux médecins est aussi une clé d’amélioration des pratiques (56). Cette évaluation doit évaluer les changements pour les patients et les familles à court et à moyen terme.

Conclusion Si vous n’êtes pas convaincus que les familles des malades de réanimation doivent être plus que de simples visiteurs, posez-vous les trois questions suivantes (57) :

Qui de vous ou de la famille connaît mieux le patient malade qui n’est plus en mesure de s’exprimer ? Qui pourra permettre que la prise en charge du patient soit la plus adaptée à ses valeurs, ses préférences, et ses choix ? Le plus probable est que la famille est le premier défenseur du meilleur intérêt du malade. Et il est bien évident que toutes ces considérations ne s’appliquent pas au patient qui avait refusé que l’on informe sa famille. De même, si l’équipe soignante plurielle a le sentiment que la famille a un conflit fl d’intérêt quand elle exprime les choix qu’aurait exprimés le patient lui-même, le doute doit bénéfifi cier au malade et un avis extérieur doit être requis et consigné dans le dossier médical.

Qui est le plus concerné, sur le plan personnel, des enjeux de la décision médicale ? Les membres de la famille, qui souffrent ff profondément de l’absence de leur proche brutalement hospitalisé en réanimation, vivent une grande souffrance et un manque qu’ils qualifient fi de « cruel » et de « violent ». S’ils ne sont pas le plus souvent en mesure de prendre eux-mêmes des décisions, si, clairement, ils ne doivent pas porter la responsabilité et la culpabilité des décisions sur leurs épaules, ils doivent être impliqués dans le processus qui les amènera à mieux comprendre pourquoi une décision donnée est la meilleure pour leur proche. Que ce soit en matière de soin curatif ou de soin palliatif en réanimation, seules l’information quotidienne et la communication permettront aux familles d’être convaincues que la décision prise par l’équipe plurielle est la bonne et qu’elles y adhèrent. La décision restant quand même médicale, sauf dans les rares cas où le patient avait exprimé de façon répétée son désir de ne pas devenir dépendant

d’une technique de réanimation ou de ne pas se voir diminué (58). Dans ce cas, la décision revient au patient lui-même, directement ou à travers ses directives prévisionnelles formelles (très rares) ou informelles (exprimées par sa famille, son médecin de famille ou son spécialiste référent).

Si le patient venait malheureusement à décéder, qui souffrirait le plus de cette mort ? C’est, bien sûr, la famille qui a un risque de deuil pathologique (24, 30, 59-61), de syndrome dépressif (27), de PTSD (23, 62), voire même, de surcroît, de décès (33).

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Chapitre

Place des familles dans la réflexion collégiale : l’exemple des soins palliatifs

15

B. Devalois, A. Burnod

Procédure collégiale, réflflexion collégiale, place des familles

L

a loi du 22 avril 2005 a instauré l’obligation d’une procédure collégiale lors de certaines décisions complexes de fin fi de vie. Elle est inscrite dans le Code de santé publique aux articles L.1111-4 et 1111-13 complétés par l’article R.4127-37. Elle est donc devenue une procédure obligatoire lorsque le patient n’est pas en capacité de décider pour lui-même dans les situations où se pose la question d’une limitation ou d’un arrêt de traitement de maintien artificiel fi en vie (LATMAV, terme à notre sens préférable à celui de LATA). La décision de LATMAV ne pourra être prise qu’après que cette procédure collégiale ait eu lieu, et que les éventuelles directives anticipées, la personne de confi fiance si elle existe, la famille ou à défaut les proches, aient été consultés. Ainsi stricto sensu, pour la loi, la consultation de la famille, comme celle de la personne de confiance fi et du contenu des directives anticipées, n’est pas un élément de la procédure collégiale, mais en constitue une action collatérale indispensable. La consultation de la personne de confiance fi et du contenu des directives anticipées (lorsqu’elles existent) prévaut sur le résultat de cette consultation « de la famille ou à défaut d’un de ces proches ». Ce n’est pas l’avis qui est requis mais la consultation. La collégialité de la réflexion fl ne concerne pas seulement la décision médicale, mais plus globalement la défi finition d’un projet de soins et d’accompagnement de fin fi de vie. On essaie d’établir avec le patient son « projet de vie ». C’est une donnée majeure du paradigme des soins palliatifs. Le mouvement des soins palliatifs (1) s’est en eff ffet forgé en réaction à une vision paternaliste et omnipotente du pouvoir médical. Il a mis en avant cette notion d’approche plurielle, aujourd’hui unanimement acceptée. La démarche collégiale incite à associer plusieurs médecins aux réflexions fl et aux décisions et à faire participer d’autres fonctions soignantes à L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

la discussion. Cette interdisciplinarité est parfois complexe à mettre en œuvre au quotidien. Mais c’est un garde-fou important pour garantir la prise en compte du principe éthique de bienveillance, surtout lors de sa mise en tension avec le principe d’autonomie dans certaines situations complexes en fin de vie (2). La place des familles lors de l’accompagnement du patient en fin de vie est une notion importante. Dans la démarche palliative, une prise en charge conjointe du malade et de son entourage familial est proposée. Les pionniers du mouvement des soins palliatifs, en réaction à la réification fi du patient, considéré plus comme un objet de science que comme un sujet, ont fortement insisté sur la nécessité d’une approche resituant le malade (même mourant !) comme un être humain (3, 4). Dans cette vision systémique, les proches, directement aff ffectés par la mort prochaine, doivent également être accompagnés, ils ont toute leur place dans la défi finition même des soins palliatifs.

La famille : une notion parfois complexe La notion de famille est aujourd’hui plus fl floue que dans le passé. Il convient de la concevoir dans une acceptation large incluant la notion de proches référents (qui n’en sont parfois pas membres au sens strict). L’approche de la mort conduit régulièrement à une confrontation à des situations singulières, restant inaperçues dans d’autres circonstances. Elles sont parfois complexes à gérer comme l’explicitent les quelques situations cliniques qui suivent. Lors de la prise en charge d’un jeune homme en récidive foudroyante de son cancer, l’équipe de soins palliatifs est informée de son total isolement social. Sa seule famille semble être constituée par ses parents, domiciliés à plusieurs …/…

140 Enjeux éthiques en réanimation …/… centaines de kilomètres et avec lesquels les liens sont très distendus. Quelques collègues de travail lui rendent également visite lors de ses séjours hospitaliers. Mais, pour la première fois, le patient va confier son homosexualité, permettant ainsi que l’on comprenne que l’un des « collègues de travail » est en fait son compagnon depuis plusieurs années. Il n’a jamais été associé à la prise en charge puisque non considéré comme membre « de la famille ». À la suite de cette découverte, et en accord avec le patient, il a été possible de l’intégrer dans l’accompagnement durant les quelques semaines de vie restantes. Un homme de 70 ans se présente à la consultation de soins palliatifs, accompagné de son épouse qui apparaît rapidement omniprésente, répondant à la place du patient, exprimant des exigences fortes sur ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire, face à un patient résigné et silencieux. On apprendra, qu’en fait, cet homme ne vivait plus avec sa femme depuis vingt ans (sans en être offi fficiellement divorcé) mais avec une autre compagne. Celle-ci était écartée de tout contact avec l’équipe soignante par l’épouse « légitime », ayant repris la direction des opérations. Une femme de 35 ans signale d’emblée à l’équipe de soins palliatifs qui la prend en charge au sein d’un grand hôpital universitaire qu’elle refuse absolument que le père de son enfant, médecin réputé exerçant au sein de l’hôpital mais dont elle refuse de révéler l’identité, soit associé aux décisions concernant sa maladie ni même informé de son état. Elle exige donc que son dossier ne puisse être consulté que par les médecins qu’elle désigne explicitement et que sa présence même ne soit pas divulguée. Elle dit craindre que la garde de l’enfant ne lui soit retirée si le père peut disposer d’informations médicales sur sa situation qu’elle sait par ailleurs désespérée à court terme. Elle souhaite que ce soit sa mère qui obtienne cette garde. C’est aussi sa mère – sa seule famille – qu’elle désire voir associée aux décisions la concernant (situation survenue avant 2002 et la possible désignation officielle ffi d’une personne de confiance). Celle-ci est une voyante astrologue, qui exprime sa totale méfiance vis-à-vis des médecins et pousse sa fille à n’avoir recours qu’à des médecines alternatives, alors qu’elle nécessite de hautes doses de morphine pour contrôler ses douleurs. La famille revêt ici une singulière complexité. Faire préciser, dès l’admission d’un patient, ses liens familiaux et son entourage est donc une donnée précieuse.

Le piège de la délégation implicite d’autonomie vers la famille Il est malheureusement assez classique de considérer que, face à un patient incapable de décider pour lui-même, il existerait une sorte de délégation implicite de l’autonomie de décision de ce patient vers sa famille. Cette attitude erronée peut conduire dans

certaines situations à des décisions prises non pas dans l’intérêt du patient mais en conformité avec d’autres intérêts. Ainsi une situation très classique pour les équipes de soins palliatifs (et de cancérologie) est celle d’une famille qui « exige » qu’on cache au patient son pronostic, voire son diagnostic. Il convient face à ce type d’exigence d’être en capacité de maintenir une position, certes ouverte à l’écoute, mais ferme sur les principes. Le Code de la santé publique prévoit explicitement la possibilité pour un patient de refuser d’être informé de son état (L1111-2, alinea 4). Mais en aucun cas il ne donne le droit à une famille d’exiger qu’un patient ne soit pas informé. Au contraire, la révélation d’information à un tiers sur la santé d’un patient sans son assentiment expose à des sanctions prévues par l’article 226-13 du Code pénal, réprimant sévèrement les infractions au secret professionnel. Le Code de déontologie (article R.4127-35 du Code de la santé publique) envisage que, dans certaines situations, « un malade puisse être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave ». Mais il est précisé que c’est « dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes ». Ne pas révéler à un patient la gravité de sa situation, c’est le priver de son droit à déterminer ce qui est le mieux pour lui-même. C’est aussi risquer de faire porter à un proche intimement lié au malade une information grave qu’il ne peut partager, avec les risques de culpabilité mensongère que cela peut engendrer. Les circonstances pour lesquelles une telle décision est légitime sont exceptionnelles et nécessitent donc une approche collégiale et multidisciplinaire et non une simple injonction familiale.

Déléguer la responsabilité de la décision aux proches risque de favoriser leur sentiment de culpabilité Le choix des mots utilisés lors de la consultation d’une famille n’est pas sans conséquence sur la responsabilité de la décision. « Alors vous décidez quoi ? ». « Est-ce que vous êtes d’accord ? ». « Qu’est-ce que vous en pensez ? ». Ces trois phrases pourraient apparaître comme équivalentes pour conclure l’exposé d’une situation nécessitant une décision complexe. Il n’en est rien et leur poids sémantique est bien différent. ff • La première : « Alors vous décidez quoi ? » renvoie explicitement la décision à la famille. Elle devrait être à tout prix bannie des pratiques médicales. Elle inverse la relation soignant-soigné. Le médecin n’est plus qu’exécutant, déresponsabilisé, démis de ses fonctions.

Place des familles dans la réflexion collégiale : l’exemple des soins palliatifs 141 Le rôle décisionnel est transféré et imposé à la famille, qui en porte alors tout le poids. M. Z est un patient de 80 ans, en phase terminale d’une maladie de Parkinson avec des atteintes cognitives sévères. Il est grabataire depuis un an. Il est hospitalisé pour une pneumopathie d’inhalation sévère, liée à des troubles de déglutition itératifs. Il présente une défaillance polyviscérale et un coma vigile. Le transfert en réanimation est récusé. Un traitement « lourd » est entrepris dans les lits portes des urgences. Puis une décision de LATMAV est envisagée avec proposition de transfert vers une unité de soins palliatifs (USP) pour accompagner la fin de vie du fait d’une situation complexe. Sa femme (de 55 ans) est sollicitée par le médecin : « le cœur et les reins vont mieux, mais il n’y a de toute façon pas de place en réanimation pour lui. Il ne pourra plus manger normalement car il risque de recommencer à faire des fausses routes. Il faudrait lui mettre en place une gastrostomie ou sinon il faut qu’il parte en soins palliatifs. Alors vous décidez quoi ? ». À son arrivée dans l’USP, la femme raconte désespérée cet épisode qu’elle revit avec angoisse : « il me demandait de choisir, mais je ne sais pas moi ce qu’il faut faire, j’ai envie qu’il vive encore longtemps, mais d’un autre côté je ne veux pas le voir souffrir et qu’on s’acharne inutilement. Alors j’ai dit que je préférais les soins palliatifs, mais je ne sais pas si j’ai eu raison. J’y pense tout le temps. Je ne dors plus. Je ne sais pas ce que ça veut dire les soins palliatifs. Est-ce que j’ai pris la bonne décision pour lui ? ».

Dans cet exemple, l’équipe soignante n’a fait qu’augmenter l’inquiétude et le sentiment de culpabilité de la décision. • La seconde : « Est-ce que vous êtes d’accord ? » est plus insidieuse mais probablement aussi délétère. Elle implique de la part de la famille un consentement, semblable à celui que la loi impose d’obtenir d’un malade capable de consentir pour lui-même. Mais il ne s’agit pas ici d’une décision pour soi-même, et elle n’est justifiée fi par aucune disposition juridique. Ici, à nouveau, les rôles sont inversés, puisque l’on fait porter à la famille le poids de la décision fi finale. Comme on l’a vu précédemment, la loi demande que la famille soit consultée, et non qu’elle prenne une décision qui appartient bien au médecin responsable, après qu’il ait suivi l’ensemble de la procédure prévue par les textes. • Ainsi, c’est bien la troisième : « Et vous, qu’en pensez-vous ? » qui doit être privilégiée dans la démarche palliative. Elle est conforme à la lettre et à l’esprit de la loi de 2005 et au référentiel éthique sur la place de l’entourage lors des décisions diffiffi ciles en fi fin de vie. Ouverte, elle permet d’entamer un dialogue en redonnant aux proches leur place authentique, qui n’est pas de se substituer au médecin responsable du patient.

Les proches ne représentent pas toujours le meilleur intérêt du patient L’aff ffaire de Terri Schiavo aux États-Unis est emblématique de la complexité d’une délégation de décision aux proches. Dans cette affaire, ff la famille se déchirait sur la décision à prendre. La patiente était plongée dans un état végétatif chronique depuis 15 ans. Le mari souhaitait l’arrêt du maintien artificiel en vie par une nutrition entérale, au nom de la volonté exprimée antérieurement par son épouse. Toutefois la mort de celle-ci devait entraîner pour cet homme, qui avait refait sa vie, des conséquences financières non négligeables (forte prime d’assurance-vie). Au contraire, les parents souhaitaient, eux, le maintien en vie à tout prix, également au nom de la volonté de leur fille. fi On apprenait, cependant, qu’élevée dans un contexte familial très rigide, Terri Schiavo présentait depuis l’enfance des troubles majeurs de l’alimentation, alternant avec des épisodes boulimiques et des épisodes anorexiques. C’est d’ailleurs au cours d’un tel épisode, qu’une hypokaliémie majeure avait entraîné l’arrêt cardiaque responsable de l’anoxie cérébrale qui l’avait conduite dans son état végétatif. On apprenait aussi que ses parents, avaient décidé de faire du cas de leur fille fi un combat emblématique du puissant lobby pro-life américain. C’est finalement la justice (et ses échelons complexes aux fi États-Unis) qui a dicté aux médecins la conduite à tenir : ablation de la sonde de nutrition entérale en 2001, puis reprise, second arrêt en 2003, puis reprise avant un dernier arrêt en 2005, suivi par la mort de la patiente malgré toutes les manœuvres dilatoires mises en œuvre par les partisans du maintien en vie de la patiente (5). Cette aff ffaire illustre l’impossibilité de confi fier « à la famille » la responsabilité d’une décision en arguant qu’elle prendrait systématiquement celle qu’aurait prise le patient. Au moins un des deux camps de cette « famille » ne représentait pas, contrairement à ce qu’il prétendait, la décision qu’aurait prise la patiente elle-même si elle en avait été capable. Ils défendaient « en son nom » deux positions strictement opposées. À travers cet exemple, il est facile de comprendre qu’une famille (même apparemment unanime) peut, au nom du patient, défendre un choix dicté par des considérations éloignées du meilleur intérêt du patient, mais plus en rapport avec ses propres intérêts (affectifs ff souvent, mais parfois plus complexes…). En France au moins, c’est bien la volonté du législateur, à travers notamment le vote de la loi d’avril 2005, de désigner le médecin responsable du patient comme celui à qui revient la décision, tout en lui imposant le schéma des concertations à entreprendre avant d’en arriver à cette décision.

142 Enjeux éthiques en réanimation On ne peut reprocher au médecin le choix de sa décision. On lui demande, en revanche, de respecter une procédure qui lui permet de décider au mieux des intérêts de son patient. Si la consultation de la famille est un élément important de cette procédure, il ne saurait être question de se défausser vers celle-ci d’une telle responsabilité (6). Comme dans l’aff ffaire Schiavo, l’on est parfois confronté à des réalités insoupçonnées sur ce qui motive une demande familiale. La situation rapportée ci-dessous est un exemple de la nécessité d’une analyse prudente et critique de ce qui est présenté comme l’émanation de la volonté d’un patient, incapable de s’exprimer par lui-même. Mme X est une patiente de 50 ans, à domicile en phase avancée de son cancer. Elle présente d’importants troubles de conscience en lien avec des métastases cérébrales. Son mari intervient d’une manière véhémente pour imposer aux équipes soignantes une accélération de la fin de vie de son épouse, ou au moins une sédation terminale. Il invoque le caractère insupportable de sa souffrance, et affi ffirme être son porte-parole dans ce désir d’une mort rapide en étant endormie. Face à ses menaces de passer lui-même à l’acte, la patiente est hospitalisée et sédatée. Elle meurt quelques jours plus tard. On apprendra par la suite que dès le lendemain de l’hospitalisation de son épouse, une autre femme, avec laquelle il entretenait des relations intimes depuis de nombreux mois, s’était installée chez lui. Les causes de sa demande de sédation et d’hospitalisation « au nom de son épouse » étaient donc pour le moins plurielles.

Modalités pratiques d’implication des familles dans les situations diffi fficiles dans le cadre de la démarche palliative La connaissance du contexte familial est un préalable déterminant à son intégration dans la stratégie de soins et de prises de décisions complexes en fin de vie. L’utilisation systématique d’un outil de type génogramme apparaît indispensable. Il s’agit de représenter graphiquement une famille (prise au sens large) en rassemblant sur un même schéma les membres de celle-ci (le plus souvent sur deux ou trois générations). Y figurent les liens qui les unissent, et les informations biomédicales et psychosociales pertinentes qui s’y rattachent (7). Il permet d’identifier les éléments les plus impliqués qui feront l’objet fi d’une prise en charge spécifique. fi Facilement consultable dans le dossier de soins, le génogramme pourra (et devra) être consulté avant chaque entretien avec un membre de la famille afin fi de se remémorer les éventuelles particularités de la systémique familiale. Sa réalisation, lors du premier entretien avec le patient et/ou les membres de la famille, est en elle-

même riche d’enseignement. Elle permet souvent de mettre au jour des problématiques éclairantes sur des diffi fficultés de prise en charge. Elle conduit à identifier fi clairement les personnes ressources à consulter/informer dans le cadre de l’élaboration du projet d’accompagnement de fi fin de vie. L’entretien initial avec la famille, qu’il soit sollicité ou provoqué, est l’occasion d’aborder de manière anticipée les questions qui peuvent se poser durant la prise en charge et d’apprécier le niveau exact des informations acquises. Elles sont parfois très difféff rentes de ce qui a été transmis par les équipes précédentes. C’est aussi l’occasion d’apprécier les éventuelles tensions (entre membres de la famille, ou vis-à-vis du corps médical par exemple). Cet entretien initial permet d’anticiper les désaccords à venir sur les éventuelles décisions de LATMAV. Il marque fortement la suite des relations entre l’équipe médicale et la famille. Il doit être réalisé par un médecin senior, ayant une bonne connaissance de la situation du patient et de la trajectoire de maladie. Dans l’idéal, celui-ci est accompagné par un autre membre de l’équipe soignante, une infirmière fi par exemple. Il doit se dérouler dans un cadre adapté, jamais dans le couloir. Chacun doit être assis, et probablement pas de part et d’autre d’un bureau. La première bataille à gagner est celle de la confi fiance, qui sera la clef de toute la suite des discussions autour des décisions à venir. Il ne faut pas hésiter à programmer cette rencontre afin fi de s’assurer une bonne disponibilité psychique, plutôt que de répondre dans l’immédiateté, à une sollicitation impromptue. En pratique, il est beaucoup plus recommandable de répondre à la femme du patient qui interpelle la blouse blanche qui passe : « Je suis le Dr X, c’est moi qui m’occupe de votre mari, je vous propose que nous prenions tout le temps nécessaire pour parler de la situation. Pour moi, c’est possible dans 2 heures, à tel endroit », plutôt que de répondre de manière laconique et inadaptée « Écoutez je n’ai que 5 minutes, qu’est ce que vous voulez savoir exactement, je croyais qu’on vous avait déjà tout expliqué ! ». Tout au long de la prise en charge, cette disponibilité devra être maintenue de façon à éviter l’apparition d’une incompréhension ou d’un ressentiment liés à un manque d’informations sur les décisions médicales concernant l’être cher. Un travail d’équipe doit permettre de réévaluer régulièrement (au minimum de manière hebdomadaire) le niveau de compréhension de la situation par les membres de l’entourage identifiés fi comme particulièrement impliqués (8).

Situations particulières Face à un patient capable de décider pour lui-même et qui réclame une LATMAV, la loi impose la mise

Place des familles dans la réflexion collégiale : l’exemple des soins palliatifs 143 en œuvre de la décision du malade, dans le cadre prévu, notamment le respect d’un délai raisonnable laissé au patient pour réitérer sa demande. Il n’y a donc pas de procédure collégiale, ni de consultation de l’entourage familial. Néanmoins l’accompagnement de la famille s’avère déterminant afin fi de limiter au maximum l’impact psychologique de la décision du patient (9). M. S, âgé de 45 ans, est atteint depuis 20 ans d’une SLA. Il est ventilé artificiellement depuis plus de dix ans après une trachéotomie pour détresse respiratoire pratiquée contre sa volonté. En application de la loi d’avril 2005, il demande l’arrêt du respirateur qui le maintient artificiellement en vie. C’est dans cette disposition d’esprit qu’il est transféré dans une USP. En application de la loi, la prise en charge va permettre de s’assurer de la volonté réitérée du patient après un délai raisonnable. Ce délai va aussi permettre d’accompagner la famille (ses parents, son épouse et sa fille de 20 ans notamment) en leur consacrant tout le temps nécessaire à l’acceptation psychologique de la décision du patient. Celle-ci est à la fois comprise et respectée face à la détresse du patient, exprimée quotidiennement mais aussi génératrice d’angoisse, de chagrin et de culpabilité. Dans le cas d’un patient incapable de décider pour lui-même et pour lequel se pose la question d’une éventuelle LATMAV, plusieurs situations peuvent se présenter du côté familial. Parfois la famille refuse l’idée d’une limitation de traitements qui est évoquée par l’équipe médicale. En soins palliatifs, il s’agit d’une situation souvent rencontrée autour des questions de Nutrition-Hydratation Médicalement Assistée (NHMA). Stricto sensu, dans un contexte de fi fin de vie imminente, l’arrêt ou la non mise en œuvre d’une NHMA relève plus de l’obligation faite au médecin de ne pas entreprendre de traitements déraisonnables (CSP L1110-5) que des procédures liées aux LATMAV (alors que ce serait le cas pour la même procédure chez un patient en état végétatif chronique par exemple) (10). De toute façon, si la loi impose de consulter la famille (ainsi que la personne de confiance fi et les directives anticipées) pour les éventuels LATMAV, elle n’impose nullement d’obtenir leur accord. Théoriquement, le médecin responsable peut, en respectant le cadre prévu par la procédure collégiale, prendre une décision de LATMAV contre la volonté de l’entourage familial. Il s’avère en pratique qu’il s’agit d’une attitude à proscrire, non pas tant en raison des éventuelles implications médicolégales (le juge n’apprécie pas la pertinence de la décision prise mais le respect de la procédure fixée par la loi) mais en raison de l’impact psychologique désastreux de ces situations. Celles-ci sont la plupart du temps imputables à un dysfonctionnement dans la prise en charge. Le désaccord sur la décision proposée témoigne d’une rupture de confi fiance entre la famille et l’équipe médicale et soignante. Cette rupture traduit le plus

souvent l’insuffi ffisance d’explications et d’écoute nécessaires à apaiser une famille en souffrance. ff Certaines familles réclament énormément, car elles ont dans le parcours éprouvant et chaotique de leurs proches, pu connaître des déceptions. Elles peuvent donc être méfiantes fi à l’égard d’une nouvelle équipe soignante et perdre confiance fi très rapidement au moindre dysfonctionnement ou la moindre incompréhension. Il est important de réfl fléchir a posteriori aux mécanismes en cause dans la survenue de cette perte de confiance, fi mais, lorsqu’elle est installée, la seule solution raisonnable semble être de « passer la main ». Dans toute la mesure du possible, il convient qu’une autre équipe, ou au moins à un autre médecin s’eff fforce de rétablir un climat plus serein. En aucun cas un passage à l’acte en force ne paraît éthiquement acceptable, même si, de toute évidence, la décision de LATMAV est la bonne (11). La femme d’un patient de 55 ans en phase agonique d’un cancer du poumon hospitalisé dans une USP depuis trois jours, demande un entretien en urgence avec le médecin. Elle est très agressive. Elle ne comprend pas qu’il n’ait plus toutes les perfusions qu’il avait avant, alors qu’il ne mange plus rien. « Comment il pourra aller mieux si vous ne le nourrissez pas ? » interroge-t-elle. Effectivement la décision a été prise d’arrêter la nutrition médicalement assistée. Celle-ci apparaît parfaitement ineffi fficace et délétère chez ce patient présentant des métastases cérébrales et dont l’hyperhydratation aggrave les troubles de conscience. La femme du patient, dont les visites ont lieu tard le soir car elle travaille, n’a pas été informée de cette décision qui semblait parfaitement évidente pour l’équipe. Elle est donc légitimement en colère. « Ma nièce qui est aide-soignante m’a dit que c’était un scandale, vous le laisser mourir de faim et de soif ! ». Alors on s’assoit et on parle durant plus d’une heure. Il lui est patiemment expliqué que tout ce qui était possible de faire pour assurer le confort de fin de vie de son mari serait fait et que les perfusions n’en faisaient pas partie. Il lui est expliqué que la décision de ne pas entreprendre un maintien artificiel en vie semblait la plus sage dans ce contexte, mais que l’on écouterait avec attention son avis (et pas sa décision, qui ne lui incombe pas). Il lui est expliqué la nature des soins de confort pratiqués dans le service. Elle fait part alors de son soulagement de savoir qu’on ferait ce qui était le mieux pour son mari pour l’accompagner dans ses derniers jours. Elle sait bien que la situation est sans issue et elle ne souhaite qu’une chose : que son mari ne souffre pas. Elle se plaint d’un déficit d’information depuis le début de la maladie. Elle remercie du temps important qui lui est accordé pour la première fois. Elle parle de la détresse des enfants, si jeunes pour perdre leur père. Elle a parfois l’impression qu’ils lui reprochent de ne pas en faire assez. C’est pour cela qu’elle était si énervée. Elle s’autorise alors à évoquer un autre sujet d’angoisse pour elle : le devenir du corps et la complexité des démarches qui l’attendent. Jusque-là elle n’a osé en parler avec personne… La confiance est revenue, après une erreur initiale manifeste de la part du service.

144 Enjeux éthiques en réanimation

Quand les proches réclament une fifin de vie accélérée Dans certaines situations, au contraire, c’est l’entourage familial qui demande une LATMAV, alors que l’équipe médicale et soignante considère que l’obstination n’est pas déraisonnable et qu’il faut maintenir les traitements en cause. On touche là, parfois, à des demandes qui sont en fait des demandes d’euthanasie, c’est-à-dire d’accélération de la survenue de la mort considérée comme inéluctable, d’un patient qui, n’étant plus conscient, n’est plus « vraiment lui-même » et dont les proches considèrent « qu’il faudrait faire quelque chose pour que ça arrive vite ». Ici, encore, ces situations doivent être anticipées dans toute la mesure du possible. L’entourage doit être rassuré sur la mise en œuvre de tous les moyens disponibles pour prendre en charge la douleur, la souffrance ff et les autres symptômes. Ces situations nécessitent d’off ffrir du temps d’écoute, permettant, souvent en fait, d’entendre des proches en souffrance ff face à une situation qui les dépasse. Des personnes, mal à l’aise ou ne trouvant pas leur place à côté de leur proche gravement malade ou mourant, réagissent parfois plus fortement en exigeant une fi fin de vie plus rapide qui n’est en fait que la demande de mettre fi fin à leur propre angoisse. L’injonction « docteur, ça ne peut plus durer » révèle souvent leur impatience douloureuse pour euxmêmes. L’accompagnement psychologique de ces proches visant à leur redonner une place dans cette situation et l’explication des décisions de service contribuent à leur apaisement. Aider celui qui accompagne à trouver sa place est probablement la clé du vrai accompagnement des proches. Néanmoins, dans certaines situations, le refus de mise en œuvre d’une LATMAV, pour des patients fin de vie (états végétatifs chroniques), non en fi repose, non pas sur une analyse objective des indices permettant de présumer de ce qu’aurait été la décision du malade s’il en avait été capable, mais sur les convictions personnelles du médecin ou des pressions extérieures aux intérêts du patient. ff Englaro en Italie (12) C’était le cas dans l’affaire mais également probablement en France dans les affaires ff Pierra ou Koeff ffel (13). Dans les trois cas, il s’agissait de patients en état végétatif chronique, ficiellement en vie par une nutrimaintenus artifi tion entérale, et pour lesquels la famille demandait une LATMAV (par arrêt de la nutrition artificielle). fi Cette demande s’est heurtée à une certaine forme d’opposition des équipes médicales. Elle a entraîné une situation confl flictuelle, largement médiatisée, préjudiciable à tous les acteurs impliqués. La mise en œuvre de la proposition n° 8 de la mission d’évaluation de la loi de 2005 de créer des

interlocuteurs régionaux capables d’intervenir comme médiateurs dans des situations de ce type devrait permettre de trouver des solutions plus satisfaisantes que l’exposition médiatique des désaccords. Face à une demande de l’entourage de LATMAV, c’est tout l’enjeu de la réfl flexion collégiale pluridisciplinaire que de discerner ce qui appartient dans cette demande à la défense légitime des intérêts du patient, de ce qui est éventuellement une demande d’euthanasie. Dans le premier cas, la décision doit clairement répondre aux préoccupations exprimées sur une éventuelle obstination déraisonnable. Dans la seconde hypothèse, il faut prendre acte de la souff ffrance psychique dont témoigne la volonté « que cela fi finisse vite ». La réponse n’est sûrement pas primaire (mise en œuvre de la demande ou stigmatisation par l’opprobre lancée sur la famille) mais impose un accompagnement forcément complexe et nécessitant une mobilisation de moyens spécifiques fi pour aider les proches à supporter l’insupportable tragédie qui les frappe. Un cas particulier doit être à nouveau évoqué, c’est celui où, comme dans le cas de Terri Schiavo aux États-Unis, il existe des divergences au sein de la famille sur les décisions à prendre pour une éventuelle LATMAV. Sur le plan légal, il n’existe pas de diffi fficultés particulières. L’avis de la famille – ou les avis – ne s’imposant pas en droit, le médecin reste, dans le cadre de la procédure prévue par la loi, celui qui devra prendre la décision. Il le fait en fonction des éléments apportés par les différents ff témoignages et avis recueillis, même contradictoires. Il est toutefois évident que l’approche purement juridique, si elle a le mérite de fi fixer le cadre, ne répond pas à la détresse dont témoigne ce type de conflits. fl Il convient bien sûr de tout faire, en y consacrant tout le temps nécessaire, pour faire accepter à tous la décision prise. Dans certains cas, cette « réconciliation » ne pourra être obtenue. Ce type d’échec est souvent douloureux pour l’ensemble de l’équipe mais il a au moins le mérite de nous rappeler à l’humilité. Une divergence entre la personne de confiance fi désignée dans les formes et la famille est du même ordre. Le législateur indique que l’avis de la personne de confiance fi prévaut sur tout autre avis non médical, sauf sur le contenu des directives anticipées (L.1111-12). Mais de toute façon, une fois de plus, le médecin responsable, qui doit prendre la décision, n’est tenu (au strict sens juridique) à aucun de ces avis. Il s’agit donc d’une simple indication dans les priorités à accorder en cas d’avis divergents. On comprend bien que certaines situations embarrassantes peuvent survenir si la personne de confi fiance n’est pas antérieurement connue de la famille proche qui en prend subitement connaissance, en même temps que d’une

Place des familles dans la réflexion collégiale : l’exemple des soins palliatifs 145 divergence d’appréciation, et de la prééminence de l’avis de cette dernière. L’obligation éthique du médecin et de toute l’équipe soignante sera à nouveau de tenter de rapprocher les points de vue, tout en acceptant d’y échouer.

Conclusion En s’appuyant sur des textes réglementaires, qui encadrent le rôle de la famille et des proches dans certaines situations, l’intégration de ceux-ci dans la stratégie de soins est aujourd’hui une réalité quotidienne dans les structures spécialisées dans la prise en charge des situations les plus complexes de fin fi de vie que sont les Unités de Soins Palliatifs. Cette préoccupation a fait l’objet de recommandations claires pour la réanimation (14,15). Des collaborations intéressantes peuvent être mises en œuvre entre ces structures et les structures de réanimation (16). D’autre part, de cette expérience des soins palliatifs peut être retenu un certain nombre de préconisations, susceptibles d’inspirer la pratique des services de réanimation. 1) Écouter, expliquer ce que l’on décide et pourquoi. 2) Laisser toute leur place, mais rien que leur place, à ces accompagnateurs naturels que sont la famille et les proches. Mais cela nécessite du temps, denrée rare, qu’il faut savoir se donner, en se préservant du « faire à tout prix ».

Références Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin fi de vie 1. Baszanger I, Salamagne M-H (2004) Soins palliatifs. In: Presses Universitaires de France (ed) Dictionnaire de la pensée médicale. Lecourt, Paris, p. 1058-63

2. Randall (2009) The Th UK mental capacity act – implications for palliative care. European Association for Palliative Care, Vienna, 7-10 mai 3. Richard MS (2007) En milieu hospitalier, respecter et aider la famille du malade comme accompagnant naturel. Med Pal 6: 158-62 4. Castra M (2003) Bien mourir. Presses Universitaires de France, Paris 5. Quill TE (2005) Terri Schiavo - A tragedy Compounded. N Engl J Med 352: 1630-3 6. Rul B (2009) La place des parents dans le processus décisionnel face aux limitations et arrêts des traitements actifs en pédiatrie. Med Pal 8: 22-6 7. McGoldrick M, Gerson R (1995) Génogrammes et entretien familial. Éditions Sociales Françaises, Paris 8. Buckman R (2001) S’asseoir pour parler : l’art de communiquer de mauvaises nouvelles aux malades. Éditions Masson, Paris 9. Burnod A, Huguet S, Garniet MT, Devalois B (2009) Je veux que vous débranchiez mon respirateur ! Une application complexe de la loi d’avril 2005. Société française d’Accompagnement et de soins Palliatifs, Paris, 13-25 juin 2009 10. Devalois B, Gineston L, Leys A (2008) Peut-on ou non discuter d’un éventuel arrêt de la nutrition/hydratation médicalement assistée ou doit-on les considérer comme des soins de base ? Med Pal 7: 222-8 11. Azoulay É (2006) Limitation des thérapeutiques actives en réanimation. Rev Mal Respir 23: 13S29-13S45 12. Devalois B, Dickele AM, Salamagne M (2009) Les vraies questions posées par la mort d’Eluana en Italie. Med Pal 8: 225-8 13. Devalois B, Puybasset L, Hirsch E (2009) Faire mourir dans des délais réglementaires ? Espace Éthique AP-HP. www.espace-ethique.org 14. Azoulay É, Cattaneo I, Ferrand É, Pochard F (2001). L’information au patient en réanimation et à ses proches : le point de vue de la SRLF. Réanimation 10: 571-81 15. SRLF : Limitation et arrêt des traitements en réanimation adulte : actualisation des Recommandations. Septembre 2009. www.srlf.org 16. Paternostre B (2008). Représentations de la fi fin de vie, de l’arrêt des traitements, de la collaboration avec une équipe mobile de soins palliatifs pour des situations complexes de limitations et arrêts de thérapeutiques actives en réanimation. Med Pal 7: 185-91

Chapitre

Quelle place pour le proche mineur en réanimation ?

16

F. Blot, D. Madec

Introduction

Quelles pratiques à l’aube du XXIe siècle ?

N

La présence des proches en réanimation

ée de la double contrainte des défaillances vitales et des pathologies infectieuses, la réanimation constitue l’archétype d’une discipline fermée, effectuée ff dans un secteur protégé voire perçu comme hostile, qui exclut ou limite la présence des proches. La réanimation est encore considérée comme un sanctuaire qu’illustre un décorum empreint de mystère (appareillages, tenues spécifi fiques pour les soignants et les visiteurs…). Une étude publiée en 2002 montrait que 97 % des ser vices français de réanimation avaient alors une politique restrictive de visites, avec une durée moyenne quotidienne de 168 minutes (1). Cette restriction générale se renforce encore à l’égard des proches mineurs (2, 3). Mais avec quelle justification fi ? Ce chapitre a pour objectif de faire le point des pratiques observées en matière de visites des proches mineurs en réanimation, d’en décrire les obstacles historiques et de mettre en balance les avantages et les inconvénients éventuels de l’ouverture aux jeunes visiteurs. Avec, comme but ultime de convaincre le lecteur de l’utilité d’une telle ouverture, à la lumière de l’expérience acquise en réanimation à l’Institut Gustave Roussy (4). En sachant que les éléments de preuve et les études bien conduites sont denrée rare dans ce domaine et que, en dehors des études observationnelles, une grande partie de l’argumentaire à suivre est fondée sur des opinions d’experts et le fruit de notre expérience. Au terme de visite, nous préférerons ici celui de présence des proches, meilleur reflet fl de la notion de « famille partenaire » et de service de réanimation conçu, dans la mesure du possible, comme une prolongation de la vie normale.

L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

« C’est aussi la grande ambiguïté de la visite, de la télé, des journaux. Tous ces rappels du monde extérieur ne peuvent exister que sur le mode de l’hiatus. L’hôpital est un monde à part, avec ses règles, ses modes de fonctionnement, qu’il est vain de vouloir ramener à une normalité sociale. ». Ce constat, fait par un écrivain lui-même hospitalisé à Paris en 1996 (Louis Delusseau, « AP-HP, ou le voyage de l’été »), traduit davantage les barrières opposées par la structure médicale, donc ressenties par les patients, que la vision propre d’un patient, somme toute, fataliste. La place des proches dans ce « monde à part », abordée dans un autre chapitre, ne sera pas détaillée ici. Le chiffre ff cité en introduction est suffi ffisamment éloquent pour décrire la situation sur notre territoire il y a près de dix ans. Une abondante littérature est disponible depuis vingt ans, dans de nombreux pays, confi firmant une attitude longtemps (et parfois encore…) restrictive (1, 5-8). Le plus souvent, la situation s’est heureusement améliorée depuis 2002 : de nombreux ser vices de réanimation ont ouvert leurs portes, de quelques heures par jour à une ouverture continue, 24 heures sur 24. Cet assouplissement a été rendu possible par les études publiées sur le sujet, démontrant l’effet ff positif d’une politique libérale sur les familles, sans répercussion négative majeure sur l’organisation du travail (6).

La présence des mineurs en réanimation La présence des enfants en réanimation est plus limitée encore que celle des autres proches (adultes) (9). Les principales données chiffrées ff concernant l’accueil des enfants dans les services de réanimation sont résumées dans le tableau I.

148 Enjeux éthiques en réanimation Tableau I – Études rapportant le taux d’acceptation sans restriction des enfants visiteurs. Référence 10 1 11 7 8

Pays

Année États-Unis France Suède États-Unis Italie

1984 2002 2004 2007 2008

Une étude conduite il y a vingt ans, dans 78 réanimations nord-américaines, montrait que seuls 11 % des services avaient une politique favorable à l’accueil des enfants (10). Depuis (comme pour l’ensemble des visites), un certain progrès a été observé, mais des disparités subsistent entre les services et les pays (Nord-Sud ?). Dans l’étude française citée plus haut, les enfants étaient accueillis sans limite d’âge dans 46 % des unités (chiffre ff étonnamment élevé, témoignant d’un « biais de sélection » des services « répondants » ?), et interdits dans 11 % d’entre elles (1). Plus récemment, dans une enquête suédoise de 2004, cinquante-six cadres infi firmiers indiquaient que leur service était favorable aux visites des enfants, mais que seuls 50 % d’entre eux les encouragaient activement, alors qu’une seule équipe disposait de recommandations écrites à ce sujet (11). Aux États-Unis, une enquête récente montre une libéralisation de l’accueil des enfants dans 42 % des cas (7). Une enquête eff ffectuée en Belgique néerlandophone, il y a deux ans, montrait, pour sa part, une réticence forte des équipes soignantes (T. Vanacker ; communication personnelle), résultats dans la lignée de ceux publiés par Berti et al. dans la même zone du pays et la même année sur les visites en général (5). Plus au sud, une enquête italienne publiée en 2008 montre que 70 % des services ont une politique restrictive envers les enfants de moins de 12 ans (8). Avant la mise en œuvre de la politique d’ouverture dans notre service, en 2002, un rapide sondage eff ffectué dans 12 services de réanimation franciliens retrouvait la même approche restrictive dans les faits. Pourtant, le principe de la visite des enfants était accueilli favorablement par les équipes, à en croire les cadres infirmiers fi interrogés. L’approche globale est donc souvent positive (2), la mise en application plus délicate et surtout disparate d’un service à un autre, d’un pays à un autre.

Quels sont les arguments opposés à la présence des visiteurs mineurs en réanimation ? Nous réunirons ici dans un même chapitre les arguments opposés aux visites libres en général et à celles des enfants en particulier.

Nombre de services 78 95 56 171 257

Type d’étude Intentionnelle Observationnelle Intentionnelle Observationnelle Observationnelle

Enfants acceptés 11 % 46 % 50 % 42 % 31 %

Avant même de lister ces arguments, citons les sources de l’opposition à la présence des enfants. Au-delà des obstacles historiques sur lesquels nous ne reviendrons pas, les barrières actuelles peuvent tout autant venir du parent accompagnant (4) que des soignants (2). Parmi les soignants, les motifs de réticence peuvent diverger sensiblement entre médecins et infirmiers, fi mais ce niveau de réticence est éminemment variable entre les équipes : ainsi, les infi firmiers verront parfois d’un meilleur œil la visite d’enfants très jeunes, alors que les médecins s’opposent parfois à leur présence en raison des prétendues « nuisances » générées dans le service ou d’un risque sur la santé de l’enfant (2). Quant aux raisons elles-mêmes de cette réticence, elles sont de trois grands ordres. L’argument principalement cité est la volonté de protéger l’enfant du traumatisme de voir son parent hospitalisé, au visage souvent déformé, bardé de tuyaux et entouré d’une machinerie complexe. Nous verrons plus loin (« Comment organiser la visite d’un mineur en réanimation ? ») qu’avant qu’un enfant – ou tout autre membre de la famille – ne soit en situation de visiter un parent hospitalisé, il doit au préalable se familiariser avec les aspects agressifs de l’environnement qu’il va rencontrer (12), et que, pour cela, une préparation soigneuse est nécessaire. Une autre raison évoquée est le souhait de protéger non seulement les enfants, mais aussi le malade (de la fatigue liée aux visites), les accompagnants (d’un stress supplémentaire), ou encore de préserver la tranquillité des soignants lors des soins (13, 14). Ces arguments sont purement théoriques et sans doute erronés. Dans notre expérience, l’opinion des membres de l’équipe sur les conséquences de la libéralisation des visites est très positive, sans retentissement négatif sur l’organisation des soins. Comme cela a été décrit (15), même les soignants initialement réticents, mais qui participèrent activement à la nouvelle politique d’accueil des enfants, ont, en définitive, fi jugé l’expérience positive. Quant aux patients et aux accompagnants, leur satisfaction est née à la fois de l’ouverture du service aux enfants et de la libéralisation des horaires de visite en général. L’argument du risque infectieux est également cité de façon récurrente : risque infectieux pour l’enfant mettant les pieds en un lieu hautement septique

Quelle place pour le proche mineur en réanimation ? 149 d’une part, infection du patient confronté aux maladies infantiles virales du jeune visiteur de l’autre (2, 16, 17). Disons d’emblée qu’il va de soi que la visite d’un enfant porteur d’une pathologie infectieuse en phase de contagion doit être évitée, comme c’est le cas pour… n’importe quel adulte ! Si une phase d’incubation silencieuse ne peut jamais être totalement écartée, cela ne pose finalement fi de réel problème qu’en présence de patients profondément immunodéprimés ; encore les précautions d’hygiène sont-elles appliquées voire renforcées dans ces situations (friction des mains, masque…), limitant donc le risque. Une réponse documentée a été apportée en réanimation cardiologique : en dépit d’une contamination bactérienne supérieure de l’environnement pendant la période de libéralisation des visites, les complications infectieuses n’ont pas augmenté (18). Quant aux patients immunodéprimés, l’analyse des taux d’infections acquises par les patients de notre service de réanimation onco-hématologique n’a révélé aucune variation au cours des six dernières années, que le service soit « ouvert » ou « fermé ». Une surveillance spécifique fi serait néanmoins nécessaire pour prouver l’absence de risque infectieux lié aux visites des enfants dans un tel contexte, en particulier en période épidémique virale. Enfin, fi aucune étude n’a mesuré l’acquisition d’infections d’origine hospitalière par les enfants visiteurs, mais rien dans notre pratique d’ouverture ultra-libérale ne nous a alertés quant à une éventuelle majoration de ce risque. Les obstacles opposés à la présence des proches mineurs en réanimation, souvent mis en exergue avant même d’en évoquer le bénéfice, fi apparaissent donc bien ténus. Voyons maintenant les arguments en faveur de la présence de ces proches mineurs :

ralisation des visites apparaît comme un moyen incontournable de satisfaire ces principes. Ainsi, parmi les principaux facteurs de stress identifiés fi par les patients de cancérologie, la limitation des visites est citée au même titre que l’impossibilité de communiquer ou les troubles du sommeil (19) ; en outre, les patients soulignent que leur anxiété pourrait être atténuée voire supprimée par la présence de leurs proches (20). Une étude prospective randomisée récente suggère même qu’une politique de visites non restrictive dans une unité de réanimation cardiologique réduirait les complications cardiovasculaires, par le biais d’une diminution de l’anxiété et une amélioration du profil fi hormonal (18). Au-delà du patient lui-même, ce sont les familles qui bénéficient fi de la libéralisation des horaires de visite en réanimation.

Le cas particulier des enfants Dès 2001, les recommandations de la SFAR étaient on ne peut plus explicites et pétries de bonnes intentions : « La visite d’enfants mineurs ne doit pas être découragée, dès lors qu’ils le demandent, mais elle mérite d’être encadrée et préparée. Le médecin s’adresse à l’enfant en présence de ses proches et si possible d’un membre de l’équipe soignante. Il lui donne en langage simple l’information que la famille pourrait ne pas connaître, ne pas pouvoir ou vouloir donner. Ici, plus que jamais, la simplicité et la gentillesse sont les clés d’une communication souvent difficile. ffi » (21) Le décor est planté. Le rationnel de l’ouverture aux mineurs affi ffirmé. Mais à qui bénéfi ficie la visite d’un mineur à son parent hospitalisé ?

Premièrement, l’enfant lui-même

Quel rationnel à la libération des visites en réanimation ? La présence des proches en réanimation Nous ne ferons qu’aborder ce point, détaillé dans un autre chapitre. Précisons simplement qu’à l’heure où les principes éthiques s’imposent comme pierre angulaire de la prise en charge des patients, où l’approche autonomiste tend à remplacer une vision paternaliste longtemps dominante, la libé-

Malgré l’absence de démonstration scientifique, fi nombre d’éléments connus des psychologues et pédopsychiatres plaident pour la présence de l’enfant auprès de son parent hospitalisé. Il n’est qu’à mesurer la complexité des mécanismes de défense élaborés par les enfants de parents malades pour s’en convaincre : identification fi à l’agresseur (la maladie), projection sur un autre (un jouet, un nounours, un camarade…), agressivité, colère, angoisse… Dans notre hôpital (un hôpital de cancérologie), l’équipe à l’origine de la création du « groupe enfant », il y a près de quinze ans, a défi fini les trois grands axes autour desquels l’enfant s’organise dans un tel cas (tableau II) (22) ; qu’il

Tableau II – Pourquoi dire la vérité aux enfants de parents hospitalisés. 1 – Le silence amplifie le désarroi de l’enfant, qui perçoit de toute façon la réalité de la maladie. 2 – L’imagination de l’enfant reconstruit un univers au moins aussi traumatisant que la réalité elle-même. 3 – Le devoir de vérité et de transparence garantit la confiance future de l’enfant pour son (ou ses) parent(s).

150 Enjeux éthiques en réanimation s’agisse d’enfants de parents porteurs d’un cancer, ou hospitalisés en réanimation, ne modifi fie pas le raisonnement : – en premier lieu, l’enfant perçoit inévitablement la réalité de la maladie à travers l’absence de son père ou de sa mère, la détresse plus ou moins dissimulée de son autre parent, les conversations à mots couverts… ; loin de protéger l’enfant, le silence ne fait que majorer sa détresse, tout en l’empêchant de la partager ou de la mettre en mots ; – de plus, ce qu’il imagine est souvent au moins aussi traumatisant, si ce n’est davantage, que la réalité elle-même, tant l’enfant d’aujourd’hui est abreuvé d’images et d’informations (3) ; – enfin, fi le devoir de vérité partagée et de transparence s’inscrit comme un gage de confiance fi future de l’enfant pour le monde adulte, en particulier pour son (ou ses) parent(s) qui les premiers lui auront fait confi fiance. Privé de cette confi fiance lors de la période critique de l’hospitalisation de son parent, l’enfant aura toute légitimité pour se défi fier à son tour des adultes, lorsqu’une autre situation de crise se présentera (22). Ces trois arguments très forts tordent le cou à la « politique de l’autruche » souvent opposée aux enfants. Il faut néanmoins garder en mémoire que la volonté de l’enfant prime toujours et que, si la présence auprès de son parent hospitalisé doit être facilitée, elle ne doit en aucun cas être imposée.

Le parent hospitalisé, l’autre parent Pour l’ensemble des raisons qui viennent d’être citées, le parent accompagnant tire lui-même bénéfi fice de la transparence et du rétablissement du dialogue avec l’enfant. Ce bénéfice fi s’exprime alors de façon bilatérale : non seulement le parent « accompagnant » est mieux à même de soutenir l’enfant, par l’écoute et la parole, mais l’enfant lui-même devient, beaucoup plus souvent qu’on n’aurait pu l’imaginer au départ, un soutien puissant pour lui. Quant au parent hospitalisé, il est souvent le premier demandeur. C’est à la seule condition qu’il en fasse la demande que la visite de son enfant sera acceptée. Dans un certain nombre de cas, néanmoins, le patient refuse cette visite, « ne souhaitant

pas être vu dans cet état », selon la formule le plus souvent usitée. Lorsque le patient est « incompétent » (inapte à consentir), l’avis est demandé à l’autre parent, en tentant de faire pencher la balance en faveur de la venue de l’enfant à l’hôpital. En cela, les équipes de réanimation pédiatrique donnent l’exemple depuis longtemps, sur la base du concept des « soins centrés sur la famille ». Lors de la récente conférence de consensus « Mieux vivre la réanimation », le pédiatre J. Sizun rappelait ce concept défini fi comme une « approche innovante pour organiser, réaliser et évaluer les soins, développée pour un partenariat et un bénéfi fice mutuels entre patients, familles et soignants ». La présence de la fratrie d’un jeune patient hospitalisé est encouragée : pourquoi la présence des enfants-visiteurs, possible en réanimation pédiatrique, ne le serait-elle pas en réanimation adulte ?

Comment organiser la visite d’un mineur en réanimation ? Pour chaque enfant, un accueil et une préparation spécifiques fi doivent être assurés par au moins un membre, et au mieux un binôme médecininfi firmier de l’équipe. Dès lors que ces conditions sont remplies, ni les soignants ni les parents accompagnants n’ont observé, dans notre expérience, de réaction négative de l’enfant, tout au contraire (4). Une équipe décidant un accueil large des enfants peut, dans un premier temps, se faire aider et conseiller par un psychologue de l’hôpital. Puis, forte de cet apprentissage, l’équipe médicale et infirmière fi réalisera cet accueil seule, en respectant une procédure toujours menée avec prudence, selon cinq phases importantes détaillées au tableau III. Depuis six ans, dans notre service, les enfants sont reçus uniquement par un médecin et une infirmière, fi initialement stimulés et formés par les psychologues du « groupe enfants ». Après chaque visite, un débriefi fing informel est fait par l’équipe avec, si possible, le parent accompagnant. Lorsqu’un « groupe enfants » existe, à l’instar de celui créé par l’unité de psycho-oncologie de l’hôpital (22), la participation de l’enfant visiteur doit être proposée.

Tableau III – Procédure d’accueil des enfants en réanimation. 1 - Identification des patients ayant des enfants (ou des petits enfants) susceptibles de venir les voir. 2 - Proposition au patient, au parent ou au proche de faire venir l’enfant à l’hôpital. Explication du rationnel. 3 - Premières explications données par le parent à l’enfant, avant la venue à l’hôpital : diagnostic, pronostic, contexte de la réanimation. 4 - Accueil de l’enfant en salle de réunion, en présence du parent accompagnant, par un binôme infirmier(e)-médecin. Nouvelles explications (aspect du parent malade, appareillages…). 5 - Accompagnement dans la chambre. Explications. L’enfant est ensuite laissé progressivement seul avec son parent, dans l’intimité familiale.

Quelle place pour le proche mineur en réanimation ? 151

Retour d’expérience après six ans de pratique Les bénéfices fi retirés de cette politique d’ouverture ont été abordés au long de l’exposé qui précède. Nous nous contentons ici de les résumer.

une large majorité de l’équipe avait participé directement (préparation des enfants par un binôme médecin-soignant, dans une pièce dédiée) ou indirectement (discussion informelle, travail en leur présence) à l’accueil des enfants. L’étude prospective qui a suivi, en 2005, est venue confirmer fi cette vision très positive (4).

Du côté des enfants et des parents accompagnants Avant ouverture, 62 % des patients et 70 % des familles accompagnantes, interrogés en 2002, se sont déclarés favorables à la présence des enfants de patients hospitalisés en réanimation. L’ouverture aux enfants a ensuite été évaluée de façon prospective pendant 12 mois consécutifs (après trois ans de mise en place), au cours desquels 52 enfants ont visité 26 parents (4). Bien qu’une minorité d’enfants ait été préalablement informée de la gravité de la maladie et du risque de décès, l’analyse systématique du comportement de l’enfant en cours de visite et son interrogatoire (ou celui de son parent accompagnant) se sont révélés extrêmement positifs. La proposition de visite venait principalement des parents accompagnants ou des enfants eux-mêmes, comme cela a été rapporté dans une étude suédoise récente (3). Parents accompagnants et patients étaient presque toujours favorables, voire enthousiastes, pour organiser ou recevoir la visite des enfants. Après ces 52 visites, l’opinion de l’enfant et/ou du parent accompagnant était favorable à très favorable 43 fois (neutre, 9 fois), celle de l’équipe favorable à très favorable 48 fois (neutre, 3 fois, négative 1 fois). Là aussi, nos constatations rejoignent celles de l’étude de S. Knutsson (3). Même une évolution ultérieurement fatale du patient ne modifi fiait pas cette conclusion positive : pour les huit cas de patients décédés en réanimation, équipe et accompagnants ont, au final, considéré les visites comme positives (n = 1) ou très positives (n = 6), à l’exception d’un cas (contexte social et familial très diffi fficile, vécu traumatisant de l’enfant de 6 ans, et décès rapide de la patiente) (4). Des cas concrets, publiés par ailleurs, ont permis d’illustrer diverses situations en fonction de l’évolution du patient (23).

Du côté de l’équipe soignante Avant ouverture en 2002, 84 % des soignants étaient favorables à la présence des enfants en réanimation. Après deux ans d’expérience (2004), l’effectif médical et paramédical se déclarait toujours disposé à accueillir les enfants et à leur expliquer les soins. En revanche, comme l’avaient mentionné patients et familles en 2002, il existait une forte réticence de la part de l’équipe à laisser les enfants assister aux soins. À l’exception des aides-soignants,

Limites de notre expérience La généralisation de notre expérience doit tenir compte de plusieurs limites. En premier lieu, celleci implique un nombre limité de cas, dans un seul centre (qui plus est spécialisé dans une pathologie particulière). Ensuite, même si les visites des enfants ont été encouragées aussi souvent que possible, quelques parents accompagnants ont décliné la proposition, et le nombre, les motifs et conséquences de ces refus n’ont pas été analysés prospectivement. Enfin, fi les conséquences psychologiques à long terme de cette approche ne sont ni connues ni réellement évaluables à ce stade ; cette étude est en cours, mais les retours sporadiques obtenus lors des consultations ultérieures de patients sortis de réanimation nous confortent d’ores et déjà dans le bien-fondé de l’accueil des enfants.

Conclusion Imposer une politique restrictive des visites ne s’inscrit pas dans le respect des droits des patients et de leurs familles à être ensemble et à se soutenir mutuellement au cours d’une période de crise. Ceci inclut les enfants, a fortiori lorsque leur parent est hospitalisé en réanimation du fait d’une pathologie hautement menaçante. Les quelques données de la littérature ainsi que nos propres résultats confirfi ment qu’une approche favorable à la présence des mineurs auprès d’un parent malade a des effets ff positifs sur les enfants, les parents accompagnants et les patients.

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Chapitre

État de stress post-traumatique et réanimation

17

C. Gauthier, M. Lejoyeux

Introduction

L

a réanimation est une spécialité médicale récente qui s’est développée grâce aux avancées technologiques en matière de maintien artificiel fi de la vie. Malgré d’importants progrès, la mortalité reste élevée dans ces services et priorité est donnée aux soins somatiques et à l’enjeu vital. Selon les chiff ffres du Case Mix Programme of the Intensive Care National Audit and Research Center, on compte 70 % de survivants à la sortie des ser vices de réanimation. Cette confrontation régulière avec la mort soulève nombre de questions dans les domaines éthique et psychiatrique. Dès les années 1960, l’impact psychologique d’un séjour en réanimation commence à être étudié. En 1969, Kornfeld dans un travail princeps met en évidence quatre problématiques : les réactions psychiatriques aux événements ayant conduit à l’admission en réanimation, les réactions psychiatriques face à l’environnement inhabituel de la réanimation, les réactions psychiatriques après la sortie d’hospitalisation, les réactions psychiatriques des équipes soignantes. En effet, ff un séjour en réanimation peut être vécu de façon traumatique par les patients, mais également leur famille et les membres de l’équipe soignante. Les symptômes psychiatriques peuvent être observés à plus ou moins long terme, pendant ou après l’hospitalisation. En réanimation, les facteurs de stress psychologique sont nombreux : pharmacologiques, métaboliques, environnementaux (bruit, lumière), relationnels (diffi fficultés de communication), physiques (douleur)… La prévalence des symptômes psychiatriques réactionnels est donc élevée. On estime que 25 % des patients de réanimation souffrent ff d’au moins une morbidité psychiatrique un an après leur sortie (1). Malgré l’essor de la psychiatrie de liaison et de l’évaluation des comorbidités psychiatriques, ces symptômes sont souvent peu pris en charge. Ces pathologies – non repérées et non traitées – peuvent avoir un retentissement L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

important sur la qualité de vie, avec des conséquences dans divers domaines : affectif, ff social, professionnel, somatique… Cela s’ajoute aux séquelles physiques, fréquentes après un passage en réanimation et limite le retour à un niveau d’activité antérieur. Il est aussi à noter que ces pathologies psychiatriques entraînent un coût supplémentaire en termes de santé publique. Les principales pathologies mentales rencontrées au décours d’un séjour en réanimation sont le syndrome dépressif, l’état de stress post-traumatique (ESPT, ou PTSD en anglais pour Post-Traumatic Stress Disorder) r et les troubles anxieux. Ce chapitre traitera essentiellement de l’ESPT, les autres pathologies étant souvent mieux connues et davantage dépistées.

Défifinition et description de l’état de stress post-traumatique Historique Dès l’Antiquité, Hippocrate s’intéressait aux traumatismes psychiques dans sa description des rêves traumatiques (Traité des songes, 400 av. J.-C.). Lors des batailles napoléoniennes, les médecins militaires ont décrit le syndrome du « vent du boulet » correspondant à un état de sidération des soldats lors des combats. C’est en 1884 que le psychiatre allemand H. Oppenheim utilise pour la première fois le terme de « névrose traumatique » dans sa description des troubles survenus après des accidents de chemin de fer. En France, J-M. Charcot rattache la névrose traumatique à l’hystérie ou la neurasthénie tandis que Freud individualise le trouble et le classe parmi les névroses actuelles (1898). Freud distingue ces dernières névroses des psychonévroses. Selon lui, l’origine des névroses actuelles est à rechercher dans le présent et non

154 Enjeux éthiques en réanimation dans les confl flits infantiles comme dans les psychonévroses que sont l’hystérie et la névrose obsessionnelle. Le psychiatre allemand du xixe siècle E. Kraepelin utilise quant à lui le terme de névrose d’eff ffroi. En 1980, l’état de stress post-traumatique apparaît en tant que tel dans la classification fi américaine du DSM III (Diagnostic and statistical manual). Sa description découle de l’observation des vétérans du Vietnam rapatriés aux États-Unis après la guerre.

Défifinition de la notion de stress aigu et de stress post-traumatique La notion de stress post-traumatique repose sur trois éléments principaux. Le trouble psychiatrique est déclenché par un événement objectivement traumatisant. Les troubles précoces correspondent aux réactions anxieuses aiguës. Ils peuvent être suivis de symptômes survenant à distance, après un intervalle libre d’une durée variable.

Troubles immédiats brefs Ils durent habituellement une dizaine de minutes, parfois plus mais toujours moins de 48 heures. On rencontre ces troubles chez environ un tiers des personnes exposées à un événement traumatique. Les principales manifestations sont une réaction de sidération (sujet figé, fi hébété, « sans voix »), une hyperréactivité (agitation improductive, cris, déambulation), une fuite panique, des actions automatiques (gestes stéréotypés ; certains patients retrouvent alors les gestes de leur vie professionnelle, ils construisent des maisons imaginaires, manipulent la télécommande de leur télévision comme un clavier d’ordinateur, tentent de nettoyer leur chambre comme ils le feraient à leur domicile). Le syndrome dissociatif entraîne une diminution du champ de conscience, d’où une diffi fficulté à intégrer les éléments environnementaux. Le sujet peut présenter une amnésie dissociative (perte de mémoire et désorganisation de la pensée), un sentiment d’irréalité (déréalisation et impression que les choses ne sont pas réelles, que les soignants sont des comédiens, qu’il vit dans un film.), de détachement, d’émoussement aff ffectif. On retrouve aussi des signes de dépersonnalisation (impression de ne plus être soi-même, doute sur son identité et celle de sa famille). La perception du temps et de l’espace est modifiée. fi Dans certains cas, les journées semblent interminables, dans d’autres cas, les patients sont persuadés de n’être entrés en réanimation que depuis quelques heures alors qu’ils sont hospitalisés depuis plusieurs jours ou semaines.

État de stress aigu Les troubles persistent plus de 48 heures et moins d’un mois. Les symptômes se rapprochent de ceux de l’ESPT. L’état de stress aigu a été décrit en détail dans la classification fi américaine du DSM. Il peut survenir chez un patient ayant des antécédents anxieux ou être directement provoqué par la situation traumatique. Il se caractérise par l’association d’au moins trois des symptômes « dissociatifs » suivants (torpeur, détachement, disparition de la réactivité émotionnelle, diminution de l’état de conscience de l’environnement : impression de brouillard, déréalisation, dépersonnalisation, amnésie dissociative : oubli d’un épisode important de l’événement traumatique), une reviviscence du traumatisme (rêves, pensées, images), des conduites d’évitement vis-à-vis de situations rappelant le traumatisme, une anxiété persistante ou des réactions neurovégétatives. Les troubles entraînent une souffrance ff ou une altération du fonctionnement social, professionnel. Ils ne sont pas dus à l’effet ff d’une substance, d’une aff ffection médicale générale et ne sont pas expliqués par ce que le DSM appelle un trouble psychotique bref ou encore une bouff ffée délirante aiguë. La nature de ces manifestations reste d’ordre anxieux.

Critères de l’état de stress post-traumatique L’état de stress post-traumatique correspond aux états anxieux apparus de manière secondaire après une situation anxiogène. Parmi les situations anxiogènes retrouvées chez les patients de réanimation peuvent fi figurer les complications médicales ou chirurgicales ou encore les traumatismes ou accidents à l’origine du séjour en réanimation. Pathologie initialement en lien avec une exposition aux combats, le concept s’est donc progressivement étendu à toutes sortes de traumatismes. Des études récentes s’intéressent à l’ESPT au décours d’un séjour en réanimation chez les patients (événement ayant mis en jeu leur propre survie) mais également au sein des familles (crainte pour la survie de leur proche). Il n’existe pas de sémiologie spécifique fi à l’ESPT rencontré après un séjour en réanimation et les critères à rechercher sont ceux décrits dans le DSM IV. Dans tous les cas se retrouve la même séquence : stress aigu, phase de latence, réaction retardée. Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e édition (DSM IV), publié par l’American Psychiatric Association, six critères permettent de poser un diagnostic d’ESPT. Tout d’abord, le sujet a été exposé à un événement traumatique au cours duquel sa vie, son intégrité physique ou bien celle d’autrui ont pu être menacées. La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance

État de stress post-traumatique et réanimation 155 ou d’horreur. Par la suite, l’événement traumatique est constamment revécu : ceci constitue le syndrome de répétition ou de reviviscence (rêves, souvenirs répétitifs et envahissants). Ces symptômes sont soit spontanés soit réactionnels à des indices rappelant la situation traumatique. Le patient fait de nombreux eff fforts pour éviter les situations ou pensées lui rappelant le traumatisme (syndrome d’évitement) et il présente un émoussement de sa réactivité générale avec une réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien une réduction de la participation à ces mêmes activités, un sentiment de détachement d’autrui, une restriction des aff ffects, un sentiment d’avenir « bouché » (sur le plan professionnel, sentimental). Certains symptômes témoignent d’une activation neurovégétative (difficultés ffi à s’endormir ou sommeil interrompu, irritabilité ou accès de colère, diffi fficultés de concentration, hypervigilance, état d’alerte permanent, sursauts). L’ensemble de ces symptômes dure plus d’un mois et entraîne une souff ffrance cliniquement signifi ficative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants. Ces critères sont « généralistes ». Ils portent sur tous les types de traumatismes et peuvent, selon les cas, s’adapter aux patients ou à leurs familles. Les mêmes études cliniques envisagent l’évolution du stress post-traumatique. 30 % des cas d’ESPT guérissent en moins de trois mois, 50 % en moins d’un an. 25 % persistent au-delà de cinq ans. À long terme, l’évolution est souvent flucfl tuante. La durée d’évolution est plus longue chez les femmes que chez les hommes. Les éléments prédictifs d’une évolution favorable sont un bon support social, l’absence de troubles antérieurs et l’absence de séquelles physiques. Chez les patients de réanimation, la persistance de troubles physiques peut contribuer à la chronicisation du stress post-traumatique.

Épidémiologie Face à une situation exceptionnellement menaçante, le stress est une réaction biologique, physiologique et psychologique naturelle visant à mobiliser les ressources de l’individu. Il permet de déclencher une réponse adaptée à la menace : éveil, tension anxieuse, attention focalisée, préparation à l’action. L’ensemble des patients exposés à un danger vital présente donc une réaction de stress aigu « défensive » ou réactionnelle. La réaction devient pathologique en cas de stress dépassé ou quand il réapparaît sous forme de stress post-traumatique. En matière de prévalence de l’ESPT, les résultats des études épidémiologiques conduites en population générale divergent. Aux États-Unis, l’étude

princeps retrouve une prévalence sur la vie entière de 1 %. Un autre travail aboutit à une prévalence de 7,8 % (National Comorbidity Survey). La prévalence en population générale varie selon le sexe : 5 % pour les hommes et 10,4 % pour les femmes. En Europe, la prévalence est plus faible : 1,9 % dans l’étude ESEMeD (à noter que parmi les pays européens, la France a une prévalence plus élevée, de 3,9 %). La National Vietnam Veterans Readjustment Study retrouve 15 % d’ESPT lors de l’entretien (19 ans après les combats) et 11 % d’ESPT dit subsyndromique, soit 31 % d’ESPT sur la vie entière. La prévalence est en rapport avec le niveau d’exposition aux combats (38 % chez les vétérans très exposés, 8,5 % chez les moins exposés). La prévalence de l’ESPT a été également étudiée chez les réfugiés (cambodgiens ou bosniaques : 40 %), les prisonniers soumis à des sévices extrêmes (50 à 70 % 30 ans après), ou bien lors des attentats (30 à 35 %). Chez les malades hospitalisés en réanimation, dans les mois suivant leur sortie, la prévalence de l’état de stress post-traumatique s’échelonne entre 14 et 41 %. Les traumatismes impliqués chez les malades de réanimation peuvent être : cauchemars, épisodes délirants avec hallucinations, anxiété aiguë, douleur, impossibilité de communiquer… Ceux-ci déclenchent parfois un ESPT ou des symptômes dépressifs qui retentissent par la suite sur la qualité de vie. Une littérature observationnelle récente (2007) atteste que la prise en charge préventive et curative est souvent insuffi ffisante (2) principalement du fait d’une sousreconnaissance du trouble. Selon les études et les populations spécifi fiques qu’elles ciblent, la prévalence de l’ESPT peut varier en fonction du diagnostic médical des patients : 16 % après un infarctus du myocarde, 17 % après une intervention de chirurgie cardiaque, 28 % dans les suites d’un SDRA ou de plaie aiguë pulmonaire (2). Il est aussi à noter que selon la méthode diagnostique employée, les chiff ffres peuvent varier. Quand l’évaluation est pratiquée par auto-questionnaire, la prévalence est plus importante que lors d’un diagnostic clinique au cours d’une consultation psychiatrique [22 % versus 19 % chez Dimitry S. Davydow et al. (3)]. Il existe plusieurs échelles utilisées pour rendre le diagnostic plus fi fiable et plus reproductible (par exemple la PCL PTSD checklist, comportant 17 items, la CAPS, le PTSS 10). L’épidémiologie identifie fi aussi des facteurs de vulnérabilité et de protection vis-à-vis du stress posttraumatique. Ces facteurs pourraient expliquer le fait que certains patients, à traumatisme égal, vont ou non présenter un stress post-traumatique. Moins d’un quart des personnes exposées à un traumatisme développent un ESPT. Parmi les facteurs de risque se retrouvent : le sexe féminin (risque deux fois plus élevé pour une exposition à un

156 Enjeux éthiques en réanimation même traumatisme), un niveau socio-économique faible, les antécédents psychiatriques (dépression, trouble anxieux), un trouble de la personnalité associé (personnalité évitante ou phobique, obsessionnelle, paranoïaque, antisociale), l’expérience de traumatismes antérieurs, un mode d’adaptation aux événements ou de « coping » à type d’autocritique et d’évitement (les patients ayant tendance à se faire des reproches ou à fuir ce qui les angoisse résistent moins aux traumatismes), un facteur génétique (retrouvé par l’étude de jumeaux monozygotes), le contexte social (isolement), les caractéristiques de l’événement traumatique (caractère imprévisible ou incontrôlable, type d’événement : viol, attentat, impact physique associé : blessure grave, brûlure, pertes associées : décès de proche, perte d’habitat). Il n’existe pas de travail épidémiologique comparable portant sur les malades de réanimation.

Comorbidités Le stress post-traumatique n’est qu’exceptionnellement une maladie isolée. Il est habituel qu’il soit associé à d’autres troubles psychiatriques. On retrouve en effet ff des comorbidités chez près de 80 % des patients présentant un ESPT. Elles sont à rechercher avec beaucoup d’attention et de manière systématique. Les troubles anxieux sont très fréquents : anxiété généralisée, crise d’angoisse aiguë, trouble phobique (en rapport avec les lieux ou les situations en lien avec le traumatisme). Les troubles dépressifs sont présents dans près de 50 % des cas : épisode dépressif majeur ou dysthymie, avec des thèmes de culpabilité d’avoir survécu, de honte d’avoir mal agi… Ils ont tendance à évoluer de façon chronique. Ils seront évalués à distance d’un séjour en réanimation chez un patient présentant une fatigue inexpliquée, une altération de l’état général, un désintérêt ou même des idées de suicide. L’alcoolodépendance, l’abus de toxiques ou de médicaments sont des troubles eux aussi fréquents. Les patients ayant reçu de fortes doses d’antalgiques notamment opiacés pourraient développer de manière secondaire une appétence pour ces substances, ce d’autant qu’elles leur permettent de lutter contre les symptômes du stress posttraumatique. La dépendance aux tranquillisants et aux hypnotiques peut elle aussi représenter un eff ffet latéral à long terme des hospitalisations. Ces traitements institués de manière trop systématique risquent de se voir reconduits lors de la sortie de la réanimation. La conversion hystérique, fréquente au début du siècle, tend à devenir plus rare aujourd’hui (tremblements, contractures, parésies). Elle s’observe cependant dans les suites de certaines hospitalisations. Elle pose des questions

de diagnostic différentiel ff complexe avec la confusion mentale et les pathologies cérébrales organiques. Les troubles sexuels peuvent se rencontrer, particulièrement après des situations de viol. Ils peuvent aussi être présents après des interventions chirurgicales perturbant le schéma corporel et l’estime de soi. On peut également citer les affecff tions psychosomatiques : ulcères digestifs, hyperthyroïdie, HTA, psoriasis… Leur lien avec le stress post-traumatique est plus suggéré que prouvé.

État de stress post-traumatique chez les patients de réanimation Certains types de séjour en réanimation semblent plus pourvoyeurs de stress post-traumatique. Ces facteurs de risque incitent à rechercher d’autant plus fréquemment un stress post-traumatique. Dimitry S. Davydow et al. (4) retrouvent comme exposant au stress post-traumatique : le sentiment de détresse ressenti par le patient de façon précoce, l’existence d’un syndrome dépressif avant l’admission en réanimation, les comorbidités médicales préexistantes, la mise en place d’un cathéter pulmonaire. La longueur d’hospitalisation et la trachéotomie sont associées à une diminution du niveau d’activité habituelle du patient une fois retourné à domicile. En revanche, le fait d’être une femme est un facteur de protection pour le retour aux activités habituelles. Ce point est à pondérer au regard des travaux épidémiologiques « généralistes » suggérant que le stress post-traumatique est plus fréquent chez la femme. Il est à noter que la sévérité globale de la maladie ayant motivé le séjour en réanimation n’est pas retenue comme facteur prédictif. Au cours d’une revue de la littérature en 2008 (3), le même auteur cite comme facteurs de risque les antécédents psychiatriques, le souvenir d’avoir éprouvé un sentiment de peur ou des symptômes psychotiques (délire, hallucinations, idées de persécution) au cours du séjour en réanimation et l’administration importante de benzodiazépines. Les épisodes délirants exposant au stress post-traumatique ne sont pas rares au cours d’un séjour en réanimation (7 à 57 % selon les études). Les causes peuvent être nombreuses : arrêt brutal d’alcool chez un patient dépendant, introduction ou diminution rapide de benzodiazépines ou d’hypnotiques, polymédication, cause organique, manque de sommeil, environnement bruyant et inhabituel… Quant au rôle des benzodiazépines dans l’ESPT, l’hypothèse avancée est qu’il s’agit d’un facteur indirect. En effet, ff celles-ci sont administrées aux patients anxieux ou agités en raison de symptômes délirants. Or ces facteurs sont eux-mêmes des facteurs de risque d’ESPT. Par

État de stress post-traumatique et réanimation 157 ailleurs, les benzodiazépines ont un effet ff amnésiant reconnu et l’on pourrait supposer que des patients fortement sédatés garderaient peu de souvenirs de leur séjour en réanimation et seraient ainsi protégés du risque de développer un ESPT. Des études de patients victimes d’accident de la route montrent qu’ils ne développaient pas de symptômes d’ESPT s’ils étaient momentanément inconscients et ne gardaient pas de souvenir traumatique de l’accident. Mais les résultats à ce sujet sont contradictoires. Une sédation trop lourde peut aussi avoir des effets ff nocifs. Une amnésie totale peut amener le patient à avoir des attentes inadaptées et irréalisables, telle qu’une guérison rapide, l’absence de séquelles ou le retour immédiat à son état de santé antérieur. Pour beaucoup de patients, ces périodes d’amnésie sont source d’anxiété et ils cherchent souvent à savoir ce qui s’est passé pendant qu’ils étaient inconscients. Ils s’appuient sur leurs souvenirs, avec l’aide de leurs proches ou du personnel soignant présent pendant cette période, pour reconstruire petit à petit le fil fi de leur histoire. Cette angoisse rétrospective de ne pas savoir ce que l’on a vécu pourrait contribuer au déterminisme du stress post-traumatique en réanimation. Il faut préciser que les benzodiazépines n’ont pas un eff ffet amnésiant total. Elles diminuent l’acquisition et le stockage des nouvelles informations et affectent ff ainsi la mémoire à long terme. Mais l’information émotionnelle et douloureuse semble être plus facile à restituer, possiblement en raison de l’implication de systèmes neuroendocriniens en réponse au stress. Les benzodiazépines n’empêchent donc pas la persistance de souvenirs traumatiques douloureux et ne protègent pas d’un ESPT. Cette observation va dans le sens de la tendance actuelle en réanimation qui fait préférer une sédation légère. La possibilité pour les patients de garder un souvenir, même lointain, de leur expérience en début d’hospitalisation semble être bénéfique sur le long terme. Il est important de reparfi ler de cette phase avec le patient, afi fin de ne pas le laisser seul face à des souvenirs épars, potentiellement traumatisants et anxiogènes. Quant aux traitements anxiolytiques, ils peuvent être employés en cas d’indication justifi fiée (par exemple dans le cadre d’un épisode d’anxiété aiguë). L’utilisation de benzodiazépines en réanimation n’entraîne pas de dépendance à long terme en cas d’utilisation appropriée. La prescription doit être si possible de courte durée et ne pas être systématiquement reconduite à la sortie du patient. En complément de ces données, d’autres auteurs pointent comme facteurs de risque les conditions psychosociales (sentiment de solitude, antécédents d’agression, diffi fficultés dans l’enfance) ainsi que la façon de gérer ses émotions. Une attitude négative face aux événements et un faible niveau

d’expression des émotions augmenteraient le risque de stress post-traumatique (5). Dans le cas précis de l’infarctus du myocarde, les facteurs de risque retrouvés sont : le fait d’avoir éprouvé un sentiment d’impuissance et l’intensité de la douleur. Il n’existe pas de corrélation avec le type d’infarctus, sa gravité ni avec les taux enzymatiques (troponine, CPK MB) (6). Par ailleurs, la relation entre consommation d’alcool et risque d’ESPT a été étudiée par A.C. McFarlane et al. (7). Une consommation modérée d’alcool (avant et après l’accident) pourrait diminuer la détresse psychologique. Ce résultat mérite cependant d’être confi firmé tant il apparaît peu en relation avec les observations quotidiennes. La dépendance à l’alcool est associée à un risque plus élevé d’ESPT. La consommation d’alcool est aussi un facteur de risque d’accident. L’ESPT est lui-même un facteur de risque d’abus d’alcool après sortie d’hospitalisation. D’autre part, Daniela Hauer et al. (8) ont étudié le rôle du cortisol dans l’ESPT. Une étude menée en chirurgie cardiaque indique que l’administration prolongée de glucocorticoïdes pourrait prévenir l’ESPT. D’autres études rapportent la diminution des concentrations de cortisol circulant chez les patients souffrant ff d’ESPT (notamment chez les vétérans du Vietnam). Cependant ce résultat n’est pas observé de façon constante. Chez les patients présentant de multiples souvenirs traumatiques, les taux de cortisol sérique basal sont plus bas que chez les patients avec peu (un seul) ou aucun souvenir traumatique. Or un nombre élevé de souvenirs traumatiques est associé à un risque plus important d’ESPT. L’hypothèse avancée suggère un rétrocontrôle négatif du cortisol dans la restitution des souvenirs. Un taux sérique bas rendrait une restitution des souvenirs traumatiques plus facile par inhibition de l’hippocampe. Le cortisol jouerait donc un rôle dans le processus d’adaptation à un stress majeur : la persistance des souvenirs permettrait d’éviter les agressions ultérieures. Mais d’un point de vue physiopathologique, ce système comporte des « désavantages » : il maintient un niveau de stress chronique plus élevé, avec un risque d’émergence d’ESPT. Pour fi finir, d’un point de vue phénoménologique, l’ESPT est la conséquence d’une situation de vie incontrôlable (9). Par la suite, le traumatisme garde un impact profond sur le patient et reste présent à son esprit. L’événement vécu comme traumatique est souvent très différent ff d’un patient à l’autre. Les points communs retrouvés sont le sentiment de peur et le vécu d’impuissance. Les patients citent comme expériences anxiogènes les diffi fficultés respiratoires, la douleur, les périodes de soins infi firmiers prolongés, les hallucinations et les cauchemars, souvent autour de thèmes de mort

158 Enjeux éthiques en réanimation brutale. Par la suite, les conséquences du traumatisme décrites sont l’impression d’être hanté par le traumatisme (avec des reviviscences, des souvenirs incontrôlables), un besoin d’évasion (évitement de situations similaires), un sentiment de détresse, de tension (peur de s’endormir, de perdre le contrôle, variations d’humeur), l’impression de ne plus être soi-même et la transformation de l’image que l’on a de soi par rapport à la période qui précédait l’accident, une perturbation dans les interactions à autrui (isolement, sentiment d’incompréhension). Si certains patients vivent difficilement ffi la période suivant le traumatisme, d’autres en tirent une impression d’enrichissement, d’expérience constructive, de modifi fication positive de leur vision de la vie. Cette capacité d’adaptation réduit la tendance au stress post-traumatique.

État de stress post-traumatique chez les familles de patients en réanimation Une hospitalisation en réanimation peut également représenter un traumatisme pour les familles (prévalence d’ESPT de 33 % trois mois après la sortie de réanimation). L’ESPT des familles a été peu étudié en tant que tel, mais beaucoup se sont intéressés au stress occasionné et aux symptômes qui pouvaient découler d’une telle expérience. Les familles sont confrontées au choc de l’accident puis de l’hospitalisation dans un service de soins intensifs. De plus, le patient est souvent inconscient et dans l’impossibilité de choisir entre diverses options thérapeutiques proposées. Dans ce contexte, les familles sont souvent sollicitées par l’équipe médicale pour tenir un rôle décisionnel important, rôle auquel elles ne sont pas préparées et qui représente souvent un poids majeur. Il en résulte une peur de faire le mauvais choix, une diffi fficulté à préjuger de ce qu’auraient été les choix de la personne inconsciente et une tendance au regret dès qu’une décision est arrêtée. Wendy G. Anderson et al. (10) se sont intéressés au vécu des familles des patients selon le type de décision qu’elles sont amenées à prendre. Selon leur préférence mais également selon la manière dont l’équipe médicale implique les familles, ces dernières peuvent avoir un rôle plus ou moins actif dans la prise de décision. Les familles au faible niveau d’éducation préfèrent souvent s’en remettre au médecin et jouer un rôle passif dans la prise en charge. Cette attitude passive est associée à un niveau d’anxiété et de dépression significatifi vement plus élevé. Indépendamment du type d’attitude adopté, on retrouve chez les familles 42 % de symptômes anxieux, 16 % de symptômes dépressifs (respectivement 88 % et 50 % en cas d’attitude passive). Il est intéressant de noter que d’autres

études (notamment françaises) ont retrouvé un résultat inverse. Certaines familles vivent la prise active de décision comme un poids excessif, en dehors de leurs compétences. Elles se culpabilisent en cas d’évolution péjorative avec l’impression d’avoir pris « la mauvaise décision ». Il est possible que cette différence ff entre les études soit d’origine culturelle. La médecine aux États-Unis encourage davantage la prise d’autonomie et l’implication dans les soins, tandis qu’en France, il existe une culture plus ancienne de médecine paternaliste, et moins de référence à l’habeas corpus. Si l’implication des familles est essentielle, il faut s’adapter à leurs attentes et au rôle qu’elles veulent tenir. Le médecin doit rendre l’information accessible pour qu’elles puissent participer, si elles le souhaitent, à la prise de décision, tout en conservant son rôle de soignant et de référent afin fi d’éviter que les proches se sentent investis d’un rôle qu’ils ne peuvent tenir seuls. Une bonne gestion des décisions médicales et une transmission adéquate de l’information restent des facteurs essentiels de prévention du stress post-traumatique. Kristin Dahle Olsen (11) identifi fie l’importance de la présence des proches auprès des patients de réanimation. Ces visites diminuent l’angoisse et indirectement le stress post-traumatique. Les visites sont souvent vécues comme un support, pour les familles comme pour les patients. Les familles sont en effet ff rassurées de pouvoir voir leur proche, de ne pas être mises à l’écart, d’être tenues informées. Les patients quant à eux vivent la présence de leurs proches comme une aide à gérer leur anxiété dans un milieu qui leur est étranger. De retour à un état de conscience normal, les témoignages de leurs proches présents alors qu’ils étaient inconscients leur permettent de retrouver des souvenirs de l’hospitalisation, de reprendre contact avec le réel et de se réapproprier leur histoire. Mais ces visites peuvent aussi être vécues comme un stress. Les familles se sentent parfois impuissantes et démunies, supportent mal de voir leur proche inconscient, perfusé, ventilé et vivent difficilement ffi d’assister aux soins. Quant aux patients, ils citent fréquemment le fait d’être intubé comme un facteur de stress, car ils sont alors dans l’incapacité de communiquer. Pour gérer au mieux ces contradictions et prévenir le stress post-traumatique des familles, le rôle de l’équipe soignante est primordial. Les horaires de visite doivent être limités tout en restant fl flexibles selon les disponibilités des familles. Ces horaires (souvent fixes fi dans l’aprèsmidi) posent parfois problème aux familles qui se trouvent dans l’incapacité de les respecter, pour cause professionnelle ou autre. Il est primordial de garder une certaine souplesse, dans la limite des possibilités de l’équipe qui doit aussi faire en fonction des horaires des soins, du rythme des repas…

État de stress post-traumatique et réanimation 159 L’essentiel étant de trouver un compromis et de faire le lien entre le désir du patient et celui de sa famille (qui peuvent être différents). ff La durée des visites est évaluée en fonction de chaque patient, selon son état physique et psychique, mais aussi en fonction des demandes et du ressenti de la famille. Une information du patient et de la famille est une aide utile et un support émotionnel – sorte de psychothérapie qui ne dit pas son nom – est parfois nécessaire. Pour améliorer leur pratique, de nombreux services de réanimation utilisent des questionnaires pour évaluer en fin d’hospitalisation la satisfaction du patient et des familles (12). Parmi les items étudiés fi figure la présence ou non de symptômes anxieux classiques ou post-traumatiques. Dans le cas particulier d’hospitalisation d’enfants en réanimation, les conséquences psychologiques pour les parents sont souvent encore plus importantes. Gillian Colville et al. (13) observent que le risque de développer un ESPT chez les parents est lié au niveau de stress aigu lors de l’admission et à leur crainte que leur enfant soit mort. Il existe deux facteurs de risque d’évolution défavorable : la persistance du sentiment de peur et l’évitement des souvenirs liés au traumatisme, dû à une mauvaise intégration de l’événement traumatique dans la mémoire biographique. Pour les parents, la période du transfert vers l’hôpital est une source de stress majeur et ils vivent l’arrivée en réanimation comme un soulagement dans un premier temps. Au décours de l’hospitalisation, ils parviennent parfois diffi fficilement à trouver leurs repères dans cet environnement nouveau. Les changements réguliers d’équipe peuvent accentuer ce sentiment, créant un vécu d’abandon. Ils manquent d’une personne référente les tenant au courant de l’évolution de la situation clinique. Les mères ont un niveau de stress à l’admission et un risque d’ESPT par la suite plus élevés que les pères. Elles sont souvent plus exposées aux facteurs de stress quotidiens en réanimation car ce sont souvent elles qui restent auprès de l’enfant, assistent aux soins. Ces derniers, parfois traumatisants, peuvent avoir valeur d’images traumatiques et être revus dans des accès de cauchemars. Jennifer E. Wartella et al. (14) s’est justement intéressée au vécu émotionnel des familles et aux stratégies d’adaptation adoptées. Plusieurs études rapportent des données contradictoires : pour certaines, la détresse émotionnelle est maximale pendant l’hospitalisation puis régresse ; pour d’autres, elle plus élevée pendant la période de convalescence, quand la famille doit prodiguer les soins. L’étude de Wartella et al. compare le niveau de stress en fonction des types de coping. Le coping, une fois encore, désigne les stratégies d’adaptation mises en place par un individu pour maîtriser, réduire ou simplement tolérer une situation

aversive, désagréable, menaçante ou angoissante. Dans cette étude, les auteurs différencient ff deux modes de coping : le coping centré sur le problème, avec des eff fforts pour changer la situation provoquant le stress (attitude active, planification, fi recherche de support social pour des raisons matérielles, suppression des situations conflictuelles fl ou de compétition), et le coping centré sur les émotions, avec des efforts ff pour diminuer les émotions suscitées par la situation (recherche de support social pour des raisons émotionnelles, acceptation, réinterprétation positive, recours à la religion). Les études précédentes indiquaient que les stratégies de coping centrées sur les émotions sont plus effiffi caces dans les situations sur lesquelles on a peu de contrôle ; puis à long terme, quand la situation devient « contrôlable », les stratégies centrées sur le problème deviennent plus efficaces. ffi Contrairement à ce qui était attendu, cette étude récente retrouve un niveau de stress plus élevé chez les familles utilisant involontairement un mode de coping émotionnel dans la phase aiguë (forme de coping pourtant reconnue comme étant le moyen d’adaptation le plus effi fficace dans un premier temps).

État de stress post-traumatique au sein de l’équipe soignante Pour une équipe soignante, travailler en réanimation peut aussi comporter des aspects traumatiques. Le personnel est soumis à une pression constante et à des responsabilités importantes. Les patients sont souvent atteints de défaillances multiviscérales et lorsque leur état s’améliore, ils sont rapidement transférés dans des services de médecine conventionnels. Pour une meilleure prise en charge, les unités sont de taille modérée et les infi firmières s’occupent d’un nombre limité de patients. Cette réduction des unités favorise également une implication personnelle importante et une proximité plus grande avec les patients et leur détresse. L’information des familles est primordiale mais parfois vécue de façon diffi fficile par certains soignants, confrontés à une détresse qu’ils ne savent pas toujours gérer. La confrontation régulière à la mort est souvent une source de diffi fficultés pour les équipes, entraînant un sentiment d’échec ou d’impuissance. Les situations de mort cérébrale et la question du don d’organe sont aussi des questions auxquelles les équipes doivent répondre, avec toutes les conséquences éthiques qu’elles impliquent. Ces stress répétés peuvent conduire à un burn out, phénomène décrit en 1980 par un psychiatre américain, Herbert J. Freudenberger. Il s’agit d’un sentiment d’épuisement sur le milieu professionnel,

160 Enjeux éthiques en réanimation avec l’impression d’être vidé, sans vouloir rien laisser paraître. Les symptômes sont nombreux. Le premier, et le plus facilement identifiable, fi est une fatigue continue, accompagnée d’épuisement mental et de démotivation… Une baisse de l’estime de soi, un sentiment d’incompétence, une irritabilité, des plaintes somatiques (céphalées, dorsalgies…). En réanimation, la confrontation quotidienne et répétée à des situations difficiles ffi conduit davantage à ce type de symptômes qu’à un ESPT tel qu’il a pu être décrit précédemment. D’après une étude ciblée sur les infirmières fi des salles d’opération, la capacité à surmonter une épreuve traumatique de façon à retrouver son fonctionnement habituel dépendrait en partie de l’âge et des années d’expérience. Le fait de travailler en équipe peut être un moyen de partager son expérience et son vécu et de dépasser les situations vécues diffi fficilement afi fin de pouvoir poursuivre son travail dans de bonnes conditions psychiques (15).

Moyens de prise en charge Il n’existe pas de consensus pour la prise en charge d’un ESPT consécutif à un séjour en réanimation. On peut néanmoins s’inspirer des principes généraux de traitement de l’ESPT. D’un point de vue préventif, la prise en charge peut être très précoce, sur les lieux même de l’accident. Des professionnels de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) peuvent intervenir. Il s’agit d’offrir ff un espace d’écoute si la victime en éprouve le besoin, dans un but de soulager la souffrance ff ressentie et d’éviter le sentiment d’abandon et d’impuissance. Dans cette période aiguë, une verbalisation imposée du ressenti émotionnel peut être difficile ffi et délétère pour le patient. Le débriefi fing est une technique spécifique fi de prise en charge du stress posttraumatique. Il peut avoir lieu le 2e ou 3e jour. Tout d’abord utilisée par les secouristes exposés à des situations de crise, cette technique a par la suite été étendue aux victimes d’accident, d’attentat… Elle se déroule en groupe et comporte plusieurs étapes précises guidées par un thérapeute. Il s’agit de reparler de l’événement, des émotions ressenties, des idées reliées à l’accident, des conséquences occasionnées. Une information est ensuite donnée sur les réactions normales précoces et les éventuels symptômes ultérieurs devant amener à consulter. Les résultats de cette méthode en matière de prévention de l’ESPT sont actuellement controversés. La méthode n’a pas, à notre connaissance, été évaluée chez les patients de réanimation ni dans leur entourage familial. Au-delà des techniques spécifiques, les thérapies de soutien et l’application des fi bases de la psychologie appliquée à la médecine

sont indispensables. Au sein de la réanimation, une simple écoute compréhensive est d’une grande aide pour le patient. La démarche ne doit pas être intrusive afi fin de respecter les mécanismes de défense de l’individu. Le patient sera ainsi accompagné durant son séjour, mais également lors de son transfert hors de réanimation, qui est une étape importante et pouvant être source d’angoisse (16). Cet accompagnement peut être pratiqué par des psychologues professionnels. Il relève aussi de la prise en charge habituelle offerte ff par les équipes de soins intensifs. L’accent doit aussi être mis sur le dépistage des troubles anxieux et du stress post-traumatique : dépistage des facteurs de risque (généraux et spécifiques fi à la réanimation), afi fin de cibler les patients à risque. Le suivi doit être organisé de telle sorte qu’après une première évaluation dans le service, une seconde évaluation puisse être faite à distance. En effet, ff l’ESPT se développe souvent plus d’un mois après l’événement traumatique. Il s’agit donc de repérer les éventuels signes d’un état de stress aigu lors du séjour hospitalier. Mais l’absence de symptômes durant l’hospitalisation ne signifie fi pas que le patient ne développera pas a posteriori un ESPT. De plus, la symptomatologie polymorphe de l’ESPT rend son diagnostic peu aisé. Le patient n’évoque pas toujours spontanément le traumatisme, restant dans une certaine banalisation, voire un déni. Il peut se sentir coupable, avoir honte de se sentir mal alors qu’il a survécu, avoir peur de réveiller les souvenirs et les émotions liés au traumatisme. Les motifs de consultation sont souvent autres et les demandes indirectes : comorbidités addictives (alcool, tranquillisants, antalgiques), troubles anxieux, symptômes dépressifs, troubles du comportement (agressivité…). Si les infirmières fi et les médecins ont un rôle important à jouer en matière d’information du patient et des familles, d’écoute et de dépistage, ils peuvent également faire appel à un psychiatre de liaison qui pourra les orienter en matière de prise en charge. Une fois le diagnostic porté, il est capital de rechercher des comorbidités car elles sont très souvent associées (80 % des cas) et doivent être prises en charge. Le traitement curatif de l’ESPT peut faire appel à des antidépresseurs de type IRS (inhibiteurs de recapture de la sérotonine) ou IRSNA (inhibiteurs de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline) (17). Les IRS ont été les plus étudiés et se sont montrés effi fficaces en agissant sur les diff fférents types de symptômes de l’ESPT (reviviscences du traumatisme, évitement, hyperréactivité). En première intention, on pourra choisir un IRS tel que la paroxétine (Déroxat® 20 mg), ou la sertraline (Zoloft®, 20 mg). En deuxième intention, on peut ® proposer la venlafaxine (Effexor ff ). La place des tricycliques et des IMAO, anciennes molécules moins

État de stress post-traumatique et réanimation 161 bien tolérées, est maintenant très réduite. La durée de traitement est souvent longue (au moins un an), et une réévaluation régulière par un psychiatre est nécessaire. En parallèle des traitements médicamenteux, une psychothérapie est indispensable en cas de stress post-traumatique avéré, de trouble anxieux ou dépressif. Selon le souhait du patient, plusieurs types de thérapies sont envisageables. La thérapie cognitivo-comportementale comporte plusieurs aspects. Lors de l’exposition en imagination, le patient doit se représenter mentalement les éléments qui sont la cause de son angoisse. Lorsqu’il a acquis une certaine maîtrise de son anxiété, il peut lui être proposé une exposition in vivo lors de laquelle le thérapeute l’accompagne sur les lieux de l’accident par exemple ou l’expose à des objets en lien avec l’événement traumatique. La restructuration cognitive travaille sur les cognitions erronées (fausses croyances) associées aux symptômes, la vision négative de soi (honte, culpabilité, sentiment d’incompétence) et l’impression de dangerosité du monde extérieur. Il est possible d’associer à la thérapie cognitive des techniques de relaxation apprenant au patient à contrôler sa respiration et la contraction musculaire. Ces techniques sont particulièrement utiles pour lutter contre les phénomènes d’intrusion (flash-back…). fl La thérapie d’inspiration psychanalytique peut répondre à une demande d’introspection du patient, en particulier si l’accident fait écho à des traumatismes antérieurs qu’il ravive. Au décours de son séjour en réanimation, il peut être tenté de remettre en cause certains des fondamentaux de son existence. D’autres techniques peuvent être proposées comme l’hypnose ou les thérapies de groupe. Elles n’ont pas été validées dans le contexte de la réanimation. Enfi fin, sur le plan médicolégal et judiciaire, les associations sont d’une grande aide pour les patients ayant été victimes d’un accident ou d’une agression. Elles les guident dans leurs démarches éventuelles. En ce qui concerne les techniques utilisées par le patient seul, il est à noter que le fait d’écrire à propos de l’événement traumatique s’est montré insuffi ffisant pour prévenir l’ESPT (18). La technique du journal intime ou du journal de bord aide à passer un cap diffi fficile mais ne peut être reconnue comme une thérapie à part entière. Certains travaux récents proposent des moyens d’intervention via Internet. Les avantages mis en avant par l’étude de A. B. Amstadter et al. (19) sont qu’il s’agit d’un traitement peu coûteux, personnalisé, facile d’accès et évitant la stigmatisation et le regard social. Un premier entretien avec un psychiatre est organisé, durant lequel le patient est informé sur l’ESPT, ses comorbidités et les diff fférentes techniques de restructuration cognitive. Puis durant plusieurs semaines, le patient rédige des « devoirs écrits »

à son thérapeute qui lui répond. Ce type d’intervention a montré une effi fficacité comparable à celle d’un clinicien pour l’anxiété et la dépression. Peu d’études ont étudié ce type de traitement dans l’ESPT. Cette approche pourrait permettre une intervention plus précoce, avant que les troubles ne deviennent chroniques.

Conclusion L’état de stress post-traumatique correspond à une forme particulière de trouble anxieux récemment individualisé. Après un événement authentiquement dangereux ou menaçant (stress aigu), le patient éprouve à distance des réactions anxieuses d’une autre nature. Les principaux symptômes du stress post-traumatique sont les réactions de sursaut, les cauchemars ou rêves de répétition, la tendance à éviter ce qui rappelait le traumatisme. Le stress post-traumatique a initialement été décrit dans le cadre des névroses suivant les actes guerriers ou les accidents. Il est maintenant étendu à de nombreuses situations médicales parmi lesquelles le séjour en réanimation. Il peut se retrouver chez les patients ayant été hospitalisés en réanimation. Il se retrouve parfois aussi dans les familles ou les équipes. Le stress post-traumatique n’est qu’exceptionnellement isolé. Il s’associe en règle à une anxiété, une dépression ou des conduites addictives. Les deux principaux enjeux concernant le stress post-traumatique en réanimation sont le dépistage précoce et la prévention. Le dépistage précoce consiste à repérer ses symptômes, tant chez les patients hospitalisés de manière prolongée qu’à distance du séjour en réanimation. La prévention passe par des procédures d’information, d’écoute et une organisation des visites et des contacts avec la famille. Il est exceptionnel qu’un traitement spécifi fique soit proposé en cas de stress post-traumatique reconnu. Le cas échéant, ce traitement fait aujourd’hui appel à une association entre les antidépresseurs sérotoninergiques (paroxétine, sertraline…) et les thérapies cognitivocomportementales. Le repérage, la prévention et la prise en charge des états de stress post-traumatiques deviennent un élément essentiel de la qualité des soins en réanimation. Ils appellent des mesures « collectives » tout autant qu’un développement de l’écoute individuelle.

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Annexe – PCL-S (PTSD check list symptoms) 163

Annexe – PCL-S (PTSD check list symptoms)

La PCL-S (PTSD check list symptoms) est un autoquestionnaire comportant 1 items. Elle reprend les différents critères diagnostiques du DSM IV. On peut porter le diagnostic d’ESPT lorsqu’il existe au moins un symptôme de reviviscence, trois symptômes d’évitement et deux symptômes d’hypervigilance, chacun coté à 3 ou plus. PTSD Check List Symptoms (PCL-S for DSM IV) (11/1/94 Weathers, Litz, Huskn et Kean-National Center for PTSD Behavioral Science Division. Traduction J. Cottraux) Nom : ……………………… Prénom : ………………… Date : ……/……/…… Instructions : Veuillez trouver ci-dessous une liste de problèmes et de symptômes fréquents à la suite d’un épisode de vie traumatique. Veuillez lire chaque problème avec soin puis entourer un chiffre à droite pour indiquer à quel point vous avez été perturbé par ce problème dans le mois précédent. Date de l’événement : ……/……/…… 1- Être perturbé(e) par des souvenirs, des pensées ou des images en relation avec cet épisode stressant. 2- Être perturbé(e) par des rêves répétés en relation avec cet événement 3- Brusquement agir ou sentir comme si l’épisode stressant se reproduisait (comme si vous étiez en train de le revivre) 4- Se sentir très bouleversé(e) lorsque quelque chose vous rappelle l’épisode stressant 5- Avoir des réactions physiques, par exemple, battements de cœur, diffi fficultés à respirer, sueurs lorsque quelque chose vous a rappelé l’épisode stressant 6- Éviter de penser ou de parler de votre épisode stressant ou éviter des sentiments qui sont en relation avec lui 7- Éviter des activités ou des situations parce qu’elles vous rappellent votre épisode stressant 8- Avoir des diffi fficultés à se souvenir de parties importantes de l’expérience stressante 9- Perte d’intérêt dans des activités qui habituellement vous faisaient plaisir 10- Se sentir distant ou coupé(e) des autres personnes 11- Se sentir émotionnellement anesthésié(e) ou être incapable d’avoir des sentiments d’amour pour ceux qui sont proches de vous 12- Se sentir comme si votre avenir était en quelque sorte raccourci 13- Avoir des diffi fficultés pour vous endormir ou rester endormi(e) 14- Se sentir irritable ou avoir des bouffées de colère 15- Avoir des diffi fficultés à vous concentrer 16- Être en état de super-alarme, sur la défensive, ou sur vos gardes 17- Se sentir énervé(e) ou sursauter facilement SCORE TOTAL

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III Les professionnels

de santé en réanimation

Chapitre

Déterminants de la décision médicale

18

D. Devictor

Introduction

L

es déterminants de la décision médicale sont multiples. Certains sont cliniques et basés sur l’analyse médico-scientifique fi de la situation, analyse qui est de nature essentiellement probabiliste. Il s’agit de prendre en compte l’incertitude du diagnostic, des effets ff du traitement et du pronostic par exemple. Mais la décision médicale ne saurait se résumer à une analyse médicoscientifique fi d’une situation. D’autres facteurs plus contingents interviennent : ils sont d’ordre psychologique, inconscient, social, économique, religieux, culturel par exemple. Tous ces déterminants sont reliés entre eux par le contexte très particulier de la réanimation qui confronte directement les acteurs de la décision aux mystères de la vie et de la mort. On saisit alors tout le tragique de cette situation et l’importance de l’analyse des déterminants, fi ou non, qui ont conduit à prendre scientifiques telle ou telle décision. On comprend également la nécessité d’encadrer la décision médicale par les recommandations des sociétés savantes, par la société ou encore par le législateur tant les enjeux sont d’importance.

Décision médicale Particularités de la décision médicale Une décision est une des étapes composant un acte volontaire. Par acte volontaire, nous entendons l’acte réfléchi fl supposant la conscience d’un but à atteindre. Un tel acte s’oppose à celui accompli par habitude, par réfl flexe ou encore sous l’emprise de la passion. L’acte volontaire se décompose en trois parties : la conception d’un but à atteindre, la recherche des moyens pour y parvenir, que nous appellerons délibération et l’exécution de l’acte. L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

La décision conclut la délibération. Décider vient du latin decisio, c’est-à-dire trancher. La délibération, comme l’indique son étymologie (deliberare = faire une pesée dans sa pensée) permet de peser le pour et le contre, de trouver le juste milieu parmi les contraires pour déterminer ce que la raison commande. Délibérer et décider est au cœur de l’acte médical (1). L’étymologie du nom « médecin » est riche de signification. fi Certes le terme vient de « mederi » qui veut dire « soigner, donner des soins », mais il contient également la racine indo-européenne « medd », qui a le sens « de juger, réfl fléchir, méditer ». Ainsi la délibération du médecin représente cette période de méditation avant la décision et l’action, période qui consiste en une pesée des risques et des bénéfices fi que la décision fait encourir au malade. Concernant autrui, la décision médicale revêt un caractère exceptionnel. Délibération et décision portent sur un être singulier, à un moment unique, souff ffrant d’une maladie particulière. De ce fait, la décision devient unique et singulière, jamais reproductible. Mais de plus, cet autre, en étant sujet, a une finalité propre qui échappe au médecin. Autrui reste absolument inaccessible ; il entretient avec l’infini fi une relation que le médecin ne peut connaître. Le médecin soigne, prend soin d’autrui, mais au bout du compte, sa finalité l’emportera. La décision médicale s’inscrit ainsi dans la totalité d’un futur ignoré. En agissant sur l’homme, la vie, le futur, la décision médicale acquiert une dimension de transcendance singulière. Ambroise Paré avait résumé cette dimension en une merveilleuse phrase : « Je le pansais, Dieu le guérit ». Une autre caractéristique de la décision médicale est qu’elle confronte deux systèmes de valeurs : celui du médecin et celui du malade (sans parler de celui de la société). L’acte médical est l’échange entre deux personnes qui parlent de vie et de mort sur un thème d’espérance. Pour le malade, le médecin est l’alpha et l’oméga, la vie ou la mort, le tout ou rien. Le médecin, de son côté, a affaire ff à la vie

170 Enjeux éthiques en réanimation ou à la mort de l’autre. Cette position lui fait toucher l’être et le mystère de la vie. Ainsi la décision médicale est prise dans l’inquiétude métaphysique de l’homme face aux mystères. Elle revêt alors un caractère tragique en confrontant le médecin à, d’un côté, le monde de la contingence (ce qui pourrait être autrement) et, de l’autre, celui de la nécessité (la vie du malade étant emportée par son destin, ce qui ne peut être autrement).

Particularités de la décision en réanimation La décision médicale en réanimation présente des particularités, notamment lorsqu’il s’agit de décisions de fins de vie. Schématiquement, il existe deux modes de décès dans un service de réanimation : soit le cœur ou le cerveau s’arrête de fonctionner malgré les manœuvres de réanimation, soit il est décidé de ne pas poursuivre plus avant les techniques de soins curatifs. Dans le premier cas, c’est du fait des choses ; dans le second, c’est du fait des hommes. Cette dernière situation s’appelle limitation ou l’arrêt de traitement(s) actif(s) de suppléance (LATA). Elle ne résume pas les questions décisionnelles rencontrées en réanimation, mais elle en représente le paradigme. Le réanimateur peut également être amené à devoir refuser l’admission d’un patient ou encore faire face à l’absence de consentement aux soins (ou à l’inverse une demande de poursuite des soins qu’il trouve déraisonnable). La décision en réanimation soulève notamment le problème du consentement aux traitements. Une infime fi partie des patients est en état de participer à une décision les concernant. Cette incapacité a plusieurs origines. Le malade peut être dans le coma du fait de sa maladie, ou recevoir des drogues sédatives et analgésiques qui limitent ses capacités décisionnelles. Chez le petit enfant ou le nouveauné, la capacité de décision pose également un problème éthique évident. Cette perte ou absence d’autonomie conduit à ne pas pouvoir respecter le principe éthique fondamental de traitement fondé sur le consentement « libre et éclairé » du patient, consentement basé sur une information « loyale ».

Déterminants de la décision Acteurs de la décision Le malade est la première personne concernée. Comme nous l’avons vu, dans bien des cas il ne peut participer à une prise de décision qui pourtant le concerne. Ceci pose un problème éthique difficile, ffi

notamment lorsque des décisions irréversibles sont à prendre, comme une décision de LATA. La relation avec la famille devient donc primordiale. Mais cela ne va pas sans poser des problèmes en pratique quotidienne : familles recomposées, diffi fficultés de communication (barrières du langage, ou barrière culturelle). Récemment, la loi a prévu la mise en place de directives anticipées qui seraient l’expression de la volonté du patient, ou l’intervention d’une personne de confiance. fi Mais nous manquons de recul pour connaître l’efficaffi cité de ces mesures. Il est donc nécessaire qu’un débat s’instaure avec la famille. Mais comment faire alors que les conditions sont souvent telles que les différents ff intervenants ne parviennent pas à se comprendre ? Comment échanger alors que les uns sont emmurés dans une indicible angoisse et les autres dans la crainte de prendre une mauvaise décision malgré toute leur bonne volonté ? Certaines études ont clairement montré que les familles étaient dans un état d’anxiété tel qu’elles ne pouvaient participer à la décision. Plusieurs pistes de réfl flexion peuvent être alors proposées (1, 2). Il convient de considérer le patient en tant que sujet principal du débat, c’est-à-dire reconnaître son unicité corporelle et spirituelle, sa place dans sa famille et dans la société. C’est le penser comme une personne, et non pas comme un « il » ou un « elle » impersonnel, rencontrant, un « im-personnel » d’une équipe de réanimation mais comme un « tu » rencontrant un « je ». Replacer le patient en tant que sujet principal du débat impose d’être à l’écoute de ses désirs et de le situer non pas seulement comme présent, mais plutôt comme histoire, avec son vécu et son devenir. Pour ce faire, il faut que famille et soignants associent leurs eff fforts afi fin de faire émerger l’identité du patient derrière sa maladie actuelle qui prend trop souvent le devant de la scène. Une telle démarche exige rigueur, humilité, reconnaissance d’autrui, respect scrupuleux de sa personnalité et de ses convictions. Il faut également aider les proches à réinvestir leur rôle. Le cheminement avec la famille implique un processus parfois long. Cette lenteur est souvent indispensable pour que le patient et sa famille s’approprient la réalité médicale. Le but est que le patient puisse percevoir ses proches non pas comme présences sidérées et muettes d’angoisse mais comme famille toujours aimante et active à son côté. La famille ne peut réinvestir ce rôle que si l’équipe soignante reconnaît que seuls les proches peuvent assumer cette fonction. Il paraît donc nécessaire que chaque intervenant soit conscient des limites de son rôle et que les relations soient basées sur des liens humains et non pas uniquement sur la base du rapport entre « experts-soignants » et couple « patient-proches ». Aller au-devant des questions de la famille, c’est

Déterminants de la décision médicale 171 manifester que l’on a compris le malheur qui les frappe, c’est témoigner d’une volonté d’être à leur écoute. C’est également vouloir lever l’écran que la médecine et la technicité risquent de glisser entre eux, le patient et l’équipe médicale, comme un obstacle au dialogue. Plusieurs études ont montré que les familles avaient des attentes non seulement concernant la maladie, sa sévérité, son devenir, mais également des besoins spirituels : être avec leurs proches, avoir une tentative de réponse au pourquoi de la maladie, attendre des équipes médicales une attitude compassionnelle… La présence d’un tiers peut être utile pour faciliter le dialogue qu’il s’agisse du médecin traitant, d’une figure fi religieuse ou d’un membre reconnu de la famille. C’est donc vers une éthique de la communication qu’il faut résolument tendre. Enfin, fi la relation de confiance fi ne peut s’établir que si un projet thérapeutique cohérent a été défini fi pour le patient. La famille ne peut y adhérer que s’il lui est expliqué, si elle connaît les alternatives possibles, et si elle en perçoit la cohérence. L’équipe soignante doit pouvoir démontrer par le dialogue et dans la transparence qu’elle s’est entourée de toutes les précautions pour être « quasi » certaine que les bons choix (ou les moins pires) ont été faits et seront faits. C’est cette rigueur qui donne un sens aux décisions prises par l’équipe médicale. Ainsi, la décision médicale est un processus complexe où se trouvent confrontés certitudes et incertitudes scientifiques, fi questionnements ontologiques et éthiques. Elle évolue dans le champ des probabilités et de l’intersubjectivité. Elle met en présence un « je » et un « tu », elle confronte les valeurs du médecin à celles de son patient, de sa famille et de la société. Elle ne peut reposer que sur une relation de confiance, fi diffi fficile cependant à établir du fait de différentes ff contraintes liées au contexte de la réanimation même. Elle ne peut donc qu’être unique et singulière. C’est ainsi qu’elle devient quête de sens.

Paramètres de la décision et processus décisionnel La prise de décision est un processus de choix entre diff fférentes possibilités, sélectionnant certaines d’entre elles et rejetant d’autres (3). Les informations nécessaires à ces choix sont traitées par deux approches indépendantes et fonctionnant conjointement : le mode logique qui fonctionne selon des règles rationnelles et le mode heuristique lié à l’expérience individuelle. La prise de décision fait appel à ces deux processus qui interagissent de façon plus ou moins étroite. Le mode logique est essentiellement basé sur l’utilisation de l’Evidence Based Medicine. Il s’agit d’un mode délibéré et analytique. L’évaluation médicale

rigoureuse, objective et complète du cas présent, du pronostic est confrontée aux données de la littérature. La délimitation des alternatives thérapeutiques possibles est étudiée. L’analyse contradictoire de ces alternatives doit prendre en compte le respect de l’autonomie et des choix du patient et de sa famille avec les diffi fficultés que nous avons précédemment envisagées. La prise en compte d’autres principes éthiques tels que bienfaisance, nonmalfaisance doit être soulignée. De même, le respect des recommandations des sociétés savantes et des dispositions législatives représente un impératif. L’appel à des experts extérieurs est souvent nécessaire pour affi ffiner cette analyse médicoscientifi fique. À l’inverse, le mode heuristique privilégie la tradition clinique du jugement individuel basé sur l’expérience individuelle. Ce mode fonctionne de façon intuitive, rapide, holistique. Il est construit sur les expériences passées et possède une grande part de connotation émotionnelle. En dehors des fondements médico-scientifi fiques de la décision, il ne faut pas méconnaître d’autres paramètres contingents, plus ou moins conscients, qui peuvent infl fluencer le débat. Certains sont d’ordre psychologique, tant du côté de la famille que du côté du personnel soignant, qu’il soit médical ou paramédical. Par exemple, on ne peut s’empêcher de décider en projetant son propre vécu dans la situation présente. Les décisions dépendent également des fondements culturels des décideurs ou de leurs croyances religieuses. Cela souligne l’importance de la participation des psychologues dans le débat. Par ailleurs, les services de réanimation sont soumis à des contraintes fi financières qui, même si elles sont rejetées au second plan, interviennent peu ou prou dans la décision. Ainsi les différents ff interlocuteurs sont soumis à ces contraintes à des degrés différents, ff dominées toutefois par la violence de la situation, l’angoisse qu’elle génère, le devoir de décider. C’est en reconnaissant la complexité de cette décision, au niveau de chaque interlocuteur, qu’un dialogue peut s’instaurer, base indispensable à un débat riche, garant d’une prise de décision la meilleure ou du moins la moins pire possible. Par ailleurs, le processus décisionnel répond à des impératifs de lieu et de temps. Il est important que discussions et débats puissent se dérouler dans un espace préservant la confidentialité fi et l’intimité permettant à chacun de s’exprimer. De même la notion de temps est importante. Un service de réanimation est habitué à l’urgence, aux gestes bien réglés pour sauver ou pallier à l’instabilité respiratoire, hémodynamique ou métabolique par exemple du patient. Or la délibération fonctionne sur un rythme inverse : elle doit savoir prendre la lenteur de la méditation. Ici point de décisions hâtives prises par des décideurs harassés par un rythme de travail trop soutenu ou épuisés le lendemain d’une

172 Enjeux éthiques en réanimation garde particulièrement éprouvante. Ce n’est pas dans l’urgence que l’on délibère. Certes, ce temps est celui qu’il faut pour « collecter » les paramètres médico-scientifi fiques précédemment cités, les soumettre à la critique, envisager les différentes ff alternatives qui peuvent être proposées et confronter les opinions. Mais c’est également le temps nécessaire à imaginer la mort. Le service hospitalier doit avoir cette capacité de changer de constante de temps. Ce temps est parfois cruel car c’est un temps d’hésitation, de suspension de l’agir auquel un service de réanimation n’est parfois pas familier.

Éthique et processus décisionnel La prudence, au sens aristotélicien (phronésis), indique au médecin ce qu’il doit absolument et fi que sa décision acquière nécessairement faire afin une dimension éthique. Elle ne peut être un mode d’emploi ou l’observance d’une loi. Elle est, pour chaque médecin, l’expérience intime du devoir. Cette expérience est pleine d’inquiétude dans certaines circonstances extrêmes comme les décisions de LATA. Ces situations génèrent des conflits fl de devoir, des cas de conscience où l’éthique du médecin est mise à l’épreuve. Ces conflits fl se situent sur le terrain des valeurs. On retrouve ici Antigone qui obéit à sa loi morale et non à la loi de la Cité. La mesure du médecin est son âme et conscience. C’est la crainte de se tromper qui donne à la décision sa valeur éthique. De plus le médecin ne saura jamais si la décision qu’il a prise fut la bonne car la finalité fi de son patient lui échappera toujours. La délibération individuelle soulève la question du confl flit de conscience. La mise en commun des délibérations lors du débat démocratique permettra de soulever le conflit fl des consciences, épreuve supplémentaire pour une prise de décision la plus éthique possible. Cette pesée avant d’agir se décline donc à deux niveaux : celui de l’individu et celui du service. La plupart des décisions médicales dans les ser vices hospitaliers sont en effet ff prises lors de confrontations des points de vue au cours de réunions de synthèse pluridisciplinaire. L’importance de ces réunions est capitale. Délibérer dans un service de réanimation est donc un processus complexe. Toutes les personnes concernées doivent pouvoir s’exprimer. Il faut donc que le jour et le lieu de la réunion décisionnel soient annoncés suffi ffisamment à l’avance. On voit donc ici apparaître une sorte de solennité et de rituel qui confère une dimension symbolique à la prise de décision. Le débat associe tous les professionnels qui s’occupent du patient : personnel médical et paramédical, psychologues, personnels sociaux notamment. L’avis de consultants extérieurs (neurologues, radiologues,

collègues d’autres réanimations par exemple) peut être utile pour affi ffiner le pronostic. Cette délibération collective introduit le débat démocratique au sein d’un service et permet au conflit fl des consciences de s’exprimer. C’est un travail dissensuel. La dimension éthique d’un service réside en partie dans cette capacité d’écoute de chacun de ses acteurs. C’est dans la richesse de ce débat et la rigueur de sa construction que s’expriment non seulement la cohérence et la compétence d’une équipe médicale mais également toute sa dimension humaine. La délibération évite que « la raison du plus fort soit toujours la meilleure », et ainsi de répéter la fable « Le loup et l’agneau ». Ainsi, la délibération au sein d’un service est comme un garde-fou à la décision et lui garantit sa dimension éthique. La réanimation vise à reconquérir des conditions d’existence acceptable. Toute la diffi fficulté repose sur le terme acceptable : acceptable ou inacceptable par qui ? Le patient lui-même ne peut souvent pas prendre part à la discussion pour exprimer ce qu’il considérerait comme acceptable ou non. Force est donc de recourir aux tiers. La famille se projette-t-elle dans la prise en charge d’un proche lourdement handicapé ? Peut-elle anticiper l’avenir, compte tenu de l’incertitude pronostique des médecins ? L’équipe de réanimation est-elle à même de prévoir le handicap potentiel, sa tolérance et son acceptabilité ? Ici encore, les réponses aux questions sont nuances, cas particuliers et inquiétude devant l’erreur de jugement. Mais, en dernier recours, ce sont les équipes de réanimation, entourées de spécialistes le cas échéant, et les familles elles-mêmes qui évalueront l’acceptable et l’inacceptable et, au-delà du handicap potentiel, le sens conféré à l’existence du patient. Une fois de plus, l’équipe de réanimation est renvoyée à l’expérience singulière d’une situation donnée, se projetant dans un futur ignoré. C’est donc le sens de cette situation face à un avenir incertain qui doit être trouvé. La réanimation n’a pas pour but l’utilisation de techniques appliquées à un corps. Son objectif consiste à redonner du sens à une vie en péril. Il s’agit donc d’une aventure humaine avant que d’être technique. Par cette prise de position, la réanimation se pose comme l’ouverture vers le sens de l’être.

Responsabilité et décision La responsabilité (du latin respondere, répondre, être digne de) est le fait de répondre totalement de ses actes, de les assumer et de s’en reconnaître l’auteur. Avoir à répondre de ses actes vise un responsable. Mais cette raison n’est pas suffisante, ffi puisqu’il faut que l’autorité par lequel le sujet

Déterminants de la décision médicale 173 se trouve obligé ait un pouvoir légitime. Pour le réanimateur, il s’agit d’une part du patient et de sa famille et d’autre part de la société. Obligé et obligeantt se déterminent mutuellement. Si l’obligé ne reconnaît pas l’autorité, il ne peut se reconnaître responsable devant celle-ci. Il y a donc une dialectique entre obligé et obligeant. C’est pourquoi la responsabilité est l’obligation réfléchie. fl En réanimation, c’est donc une véritable prise de position que prend le médecin en acceptant d’être responsable face à ses obligeants : le patient, sa famille et la société. Cette éthique de responsabilité contient donc en elle-même l’obligation de communication. À la question « qui ? », le responsable répond « moi ! ». Il y a donc devoir de réponse. Par celleci, le responsable reconnaît l’autorité de l’autre et reconnaît autrui. La responsabilité porte sur les actes accomplis, l’engagement sur les actes à venir. S’engager, c’est décider à l’avance d’être responsable de ce que l’on va faire. La responsabilité se conjugue au passé, l’engagement au futur. Cet engagement est celui du médecin lorsqu’il prête serment. C’est également celui pris par l’équipe de réanimation. Son engagement vise à unifier fi la question éthique et la question ontologique. Considérer le patient comme un être donc comme valeur (et non un fait biologique) appelle à l’engagement d’être responsable. La responsabilité implique également de ne pas répondre de façon stéréotypée aux différentes ff situations rencontrées en réanimation mais de prendre en compte toutes leurs singularités. Rien ne peut s’avérer identique dans la prise de décision. C’est pourquoi, si les recommandations sont nécessaires, elles ne peuvent qu’avoir une approche générale qui risque d’être remise en question face au cas particulier. Car ici tout est affaire ff de cas individuel et de finesse d’appréciation d’une situation donnée. La décision dans ce cas présent n’est pas une décision médicale mais la décision la plus appropriée. Ainsi, au cœur de chaque décision, la personne est replacée en tant que sujet et non en tant qu’objet. C’est le refus de la banalisation des situations. Cette position éthique préserve ainsi l’humanité des pratiques de réanimation. Elle ne peut donc s’appuyer sur les lois ou les protocoles qui pourraient neutraliser le caractère unique de chaque dilemme éthique. Chaque situation, par sa singularité, fait surgir un nouveau cas de conscience auquel il faut faire face. La responsabilité repose sur le respect, sentiment provoqué par la reconnaissance d’une valeur morale dans une personne. Le respect permet de conférer à l’Autre sa dimension humaine, de lui reconnaître sa singularité et son altérité, de reconnaître qu’il n’est pas moi. Et ainsi, prenant conscience qu’il est toujours et absolument inaccessible, je le respecte.

Encadrement de la décision La décision médicale au sein d’un service de réanimation, notamment en ce qui concerne les fins fi de vie, est encadrée par des recommandations régulièrement actualisées par les sociétés savantes et par le législateur (4, 5).

Sociétés savantes La plupart des sociétés savantes ont élaboré des recommandations qui servent de guide pratique à la prise de décision. Ces recommandations sont régulièrement revues car elles s’adaptent continuellement à l’avancée de la spécialité. De plus, l’éthique en réanimation est devenue un champ de recherche considérable. De nombreuses études sont régulièrement publiées pour explorer les dimensions pratiques, cultuelles, psychologiques, éthiques, économiques de la décision en réanimation, pour ne citer que les principaux champs d’investigation actuels. Les résultats de ses recherches alimentent les débats au cours des congrès de la spécialité tant au niveau national et qu’international.

Société et législateur L’ouverture du débat sur la société a été favorisée par plusieurs facteurs. Sans doute, il y a eu une maturation des professionnels au regard de pratiques innovantes situées aux limites du soin. Il y a également eu une nécessité de transparence pour les réanimateurs vis-à-vis des patients, de leur famille et au-delà des citoyens. De plus ces professionnels ont ressenti la nécessité d’évaluer leurs pratiques et de confronter leurs expériences pour en tirer des conclusions de bonnes pratiques. Enfin, fi ce mouvement d’ouverture a été accéléré par la mise sur la place publique d’affaires ff hautement médiatiques. C’est dans ce contexte que le législateur s’est emparé du problème alors que quelques années auparavant la question de la nécessité de légiférer ne se posait pas encore. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé représente un tournant considérable dans l’exercice de la médecine. Elle met en effet ff un terme au « paternalisme » dont étaient soupçonnés les médecins français. Renforcée par la loi du 22 avril 2005, elle stipule que « le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être

174 Enjeux éthiques en réanimation pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confi fiance […], ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté ». (Article L.1111-4.) Le problème de la pédiatrie est particulier : le consentement du mineur (ou du majeur sous tutelle) doit systématiquement être recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. « Dans le cas où le refus de traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables ». Cette loi introduit de nombreuses autres obligations et notamment : l’accès par les patients à l’ensemble des informations concernant sa santé et au dossier médical ; la participation des usagers au fonctionnement du système de santé ; la mise en place dans chaque établissement d’une commission des relations avec les usagers ; l’obligation faite aux établissements de mener une réflexion fl sur les questions éthiques posées par l’accueil et la prise en charge médicale. La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin fi de vie et le décret n° 2006-119 du 6 février 2006 mettent en avant le refus de l’obstination déraisonnable en soulignant que lorsqu’ils [les actes] apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet ff que le seul maintien artificiel fi de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Il s’agit là de la traduction de l’abstention ou la limitation des soins de réanimation actifs. Cette loi souligne aussi la nécessité de la transparence dans les décisions et leur collégialité : « si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance ff d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une aff ffection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet ff secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, […], la personne de confiance fi […] la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. ». (Article 2.) Le décret du 6 février 2006 précise les modalités d’application de cette loi (Article R.4127-37. I) : « Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut décider de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés sans avoir préalablement mis en œuvre une procédure collégiale dans les conditions suivantes : – La décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un

deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile. – La décision prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confi fiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches. – Lorsque la décision concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre, selon les cas, l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation. – La décision est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. »

Évaluation de la décision Chaque année les sociétés savantes de tous les pays consacrent une partie du programme de leur congrès sur ce thème, qu’il s’agisse des sociétés savantes de médecine d’adulte, de médecine pédiatrique et de néonatologie. Différents ff groupes de travail se constituent au sein des sociétés savantes pour réfl fléchir sur la question et les résultats de leurs travaux sont régulièrement rapportés lors des congrès. La littérature devient considérable avec des articles parus aussi bien dans des revues de la discipline que dans les grandes revues généralistes comme le New England Journal of Medicine ou le Lancet. En réanimation pédiatrique, cette littérature reste encore limitée. Certes, il existe de nombreux articles rapportant des opinions, des enquêtes, des recommandations mais il n’existe que peu d’articles rapportant la réalité des pratiques. Toutefois, une nouvelle génération de chercheurs commence à voir le jour. Ceux-ci tentent d’aborder la question de façon scientifique. fi Aussi commençons-nous à connaître aujourd’hui l’incidence des arrêts ou limitations de traitement dans nos services, leurs modalités, les raisons qui les légitiment. Des domaines cruciaux sont explorés comme le rôle des parents ou de l’équipe soignante dans les prises de décision, la manière dont celle-ci est appliquée, le vécu des parents après le décès. Ces études scientifi fiques ont confi firmé que les pratiques avaient considérablement évolué au fi fil des années. Un autre aspect de l’évaluation de la décision est représenté par les revues de morbidité et mortalité. Celles-ci sont devenues obligatoires dans tous les services de réanimation. Elles permettent d’améliorer en permanence les pratiques en se basant sur les expériences vécues. Nous n’insisterons pas

Déterminants de la décision médicale 175 sur cet aspect car il fait partie d’un chapitre de cet ouvrage. Signalons enfin fi l’importance des associations de familles et de parents endeuillés qui contribuent à la nécessaire remise en question des pratiques médicales.

Conclusion La réanimation, parce qu’elle renvoie au mystère de la vie et de la mort, parce qu’elle est très coûteuse, parce qu’elle s’appuie sur des techniques de plus en plus sophistiquées, fait partie de ces spécialités qui, plus que toute autre, symbolisent le progrès médical. Une telle position fait immédiatement apparaître la dimension philosophique et sociale de cette spécialité. On conçoit aisément que les questions qu’elle soulève ne soient pas uniquement affaire ff de professionnels, mais soient devenues un enjeu de société. Car c’est en fait une vision difféff rente de l’homme qui se fait jour. La réanimation renvoie à la vie et à la mort. S’il était impensable de

réanimer certains patients lorsque la réanimation a été créée (extrêmes prématurités, certaines malformations ou anomalies chromosomique congénitales, certaines personnes âgées par exemple), il serait tout aussi impensable de ne pas les réanimer à l’heure actuelle. Cela montre que le questionnement éthique accompagne l’évolution culturelle, historique, sociale et philosophique d’une société en perpétuelle mutation.

Références 1. Devictor D (2008) Le tragique de la décision médicale. Vuibert, Paris 2. Devictor D, Latour J, Tissieres P (2008) Forgoing Lifesustaining or death prolonging Therapy Th in the Pediatric ICU. Pediatr Clin N Am 55:791-804 3. Grenier D (2004) Décision médicale. In : Lecourt (ed.) Dictionnaire de la pensée médicale. PUF, Paris. p. 307310 4. Boles JM, Lemaire F (2004) Fin de vie en réanimation. Elsevier, Paris 5. Boles JM (2007) Enjeux éthiques en réanimation. In : Hirsch E (ed.) Éthique, médecine et société. Vuibert, Paris, p. 754-61

Chapitre

Influences du fonctionnement des services hospitaliers sur les décisions médicales et le vécu des proches

19

E. Gisquet

Introduction

A

u cours des deux dernières décennies, le développement technologique a permis l’émergence de nouveaux outils thérapeutiques et de diagnostic qui ont conduit à faire reculer les frontières de la mort. Le corps humain, telle une machine biologique, peut être maintenu en vie grâce à une assistance sophistiquée qui permet de coordonner des fonctions telles que la respiration et la circulation. Cette perte partielle d’autonomie traduit le plus souvent des atteintes cérébrales qui peuvent également être perceptibles sur le plan moteur et intellectuel. Alors que le cerveau se caractérise par ses capacités de développement, de plasticité et d’adaptation qui se maintiennent tout au cours de la vie, sa lésion entraîne des pertes défi finitives de fonctions que la technique ne permet jusqu’à présent que de compenser très partiellement et seulement dans ses capacités les plus végétatives. Un certain nombre d’investigations, basées notamment sur les techniques d’imagerie cérébrale permettent de constater l’étendue des lésions et d’envisager la nature des séquelles potentielles. Ainsi grâce à ces avancées technologiques, la médecine peut statuer sur l’état d’un individu, prévoir l’évolution de son cas, le maintenir en vie, sans être cependant encore capable d’assurer une régénérescence cérébrale. Ce décalage entre le pouvoir et le savoir est à l’origine de nouveaux problèmes d’éthique aux quels la société n’était jusqu’à présent pas confrontée. Qu’est-ce qu’une vie qui vaut d’être vécue ? Quels critères employer pour en décider ? Concernant en particulier la réanimation des nouveau-nés, quels intérêts prendre en compte ? Les intérêts de l’enfant exclusivement ? Ceux des parents et de l’entourage ? De la société dans son ensemble ? Aussi n’est-ce pas étonnant de voir que difféff rents travaux sociologiques se sont intéressés aux évolutions sociétales (1), aux valeurs privilégiées par les groupes professionnels ou par les individus L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

susceptibles d’influencer fl les décisions de limitation ou arrêt des traitements (2 et 3). Nous voudrions dans cet article montrer l’importance des organisations ou contextes de travail immédiats dans lesquels ces décisions sur la vie et la mort doivent être prises (4). En effet, ff l’observation du fonctionnement concret de plusieurs services de néonatologie fait apparaître une diversité qui résiste à une explication globale et qui oblige à chercher une interprétation locale. Au-delà d’un noyau dur de valeurs universellement partagées, les modes de fonctionnement concrets de difféff rents services de néo-natalogie expriment de fait des défi finitions très diff fférentes de « ce qu’est une vie acceptable » et de la place des parents à l’intérieur des services. Cela exerce in fine fi une influence fl sur la décision médicale prise et sur le vécu des proches. Deux enquêtes de terrain de 10 mois et 5 mois ont été réalisées dans deux services de réanimation néonatale, l’un situé en région parisienne que nous appellerons le service A et l’autre situé en province que nous appellerons le service B (7). Chaque service présente un niveau de soin équivalent, avec un nombre d’entrées similaire d’environ 400 enfants par an présentant les mêmes pathologies liées essentiellement à la prématurité ainsi qu’à des complications lors de la naissance ou des malformations congénitales. Il s’agissait de suivre les médecins et les infi firmières dans leur activité quotidienne pour comprendre quelles étaient leurs préoccupations et leurs doutes, ainsi que d’analyser les activités développées autour des trajectoires des enfants pour tenter de lever les incertitudes (réalisation d’échographies, IRM…). Une observation des réunions où était entérinée la décision d’arrêt ou de poursuite de la prise en charge a permis de mieux cerner les critères médicaux utilisés et les éléments extra-médicaux justifiant fi du choix retenu. Au total, 30 trajectoires critiques ont été suivies et analysées, se répartissant équitablement

178 Enjeux éthiques en réanimation dans chacun des deux services étudiés. Ces observations ont été complétées par des entretiens individuels auprès des acteurs de la prise en charge, chefs de service, PU/PH, chefs de clinique, internes et infi firmiers (15 dans le service A et 12 dans le service B). Puis 22 entretiens ont été réalisés auprès des familles, onze dans chaque service, pour saisir quels étaient leurs repères et leur degré de compréhension de la situation dans le but de déceler les logiques parentales d’adaptation mises en place à la suite de l’hospitalisation de leur enfant. Enfin, fi 14 parents (7 dans chaque service) qui avaient perdu leur enfant ont pu être interrogés afin fi de cerner leur vécu et leur compréhension des décisions médicales telle qu’elles avaient été annoncées par les médecins. Dans une première partie de cet article, nous voudrions montrer en les décrivant de manière détaillée que les pratiques varient d’un service à un autre, ce qui a pour conséquence d’une part que les décisions sont diff fférentes d’un service à l’autre et que d’autre part le vécu des parents s’en trouve aff ffecté.

Des modes de fonctionnements contrastés entre les services Fonctionnement au quotidien des services hospitaliers Bien que comparables au niveau du nombre d’entrées, de l’off ffre de soins et des pathologies soignées, les deux services développent des règles de pratiques très différentes. ff Le service de néonatalogie A prend place dans un hôpital bénéfi ficiant d’une importante renommée en obstétrique et néonatalogie. Créé au début des années 1970, son agencement et sa décoration témoignent de son passé : alors que les nouvelles constructions prévoient des petits espaces confifi nés pour un meilleur confort, ici les chambres sont en majorité collectives et toutes les parois sont vitrées ; les peintures sont pâles et à certains endroits écaillées. C’est un univers à part. Situé au 4e étage, clos par des portes toujours soigneusement fermées, le service de réanimation vit à son rythme, avec ses propres règles. À l’intérieur du service, tous les professionnels sont vêtus d’un pyjama bleu. Impossible de distinguer les infirfi mières des médecins, si ce n’est d’après leur badge. Et pourtant, la division du travail n’en est pas moins présente. Dans le stress et l’urgence du quotidien, l’organisation des activités n’est pas laissée à la seule initiative des groupes professionnels.

Bon nombre de procédures et règles de pratiques organisent le travail de tous les jours. Lorsque l’équipe médicale se réunit, la présentation de chaque enfant est très normalisée. Le pédiatre qui présente l’enfant doit aborder toujours les mêmes rubriques dans le même ordre. La prise en charge de chaque enfant est standardisée le plus possible, les médecins cherchent toujours à élaborer de nouveaux protocoles. Les infirmières fi doivent résumer chacune de leurs interventions dans le dossier de l’enfant ; elles se voient attribuer un nombre de lits dont elles ont la charge, en fonction de règles formelles et non pas selon les affiffi nités individuelles. Le service A est marqué par une forte volonté de standardisation des activités de travail. La diff fférentiation entre les groupes est très marquée et le stress du quotidien rend la coopération entre les groupes difficile ffi : alors même que les infi firmières défendent leur marge d’expertise, elles regrettent le manque de contact avec les médecins. La formalisation des activités est vue comme permettant d’organiser le travail de manière rationnelle et effi fficace. Le visiteur qui pénètre dans le service B est d’emblée surpris par son accessibilité. L’unité est insérée dans un réseau d’unités de soins tournées vers la périnatalité : gynécologie obstétrique, maternité et pédiatrie. Il apparaît ainsi plus comme un des maillons du système de prise en charge de la mère et de l’enfant que comme un service fermé et isolé. Avant d’entrer dans ce service B, un sas fait le lien avec l’extérieur ; il existe un code pour déverrouiller la porte et un interphone pour appeler le personnel, mais la porte n’est fermée que pendant la nuit. Pendant toute la journée, le matin comme le soir, les parents peuvent entrer et sortir sans avoir besoin de demander une autorisation. La frontière entre les groupes professionnels est peu marquée : les médecins indépendamment de leur expérience et de leur qualification fi discutent et s’écoutent entre eux, ils n’hésitent pas non plus à participer à certaines activités qui normalement incombent à l’infi firmière. Aucune règle formelle ne défi finit strictement les sujets que les médecins doivent aborder pendant les réunions. La présentation quotidienne de chaque enfant n’est pas standardisée, le médecin rapporte les derniers événements ; les infirmières fi reportent rarement leurs interventions par écrit et peuvent choisir les enfants dont elles ont la charge en fonction de leurs affi ffinités. Dans ce fourmillement d’acteurs, la diff fférentiation entre les groupes est relativement faible : les infi firmières, souvent jeunes et avec une faible expérience professionnelle, sont à l’écoute des médecins qui portent attention à leur travail. Loin d’une standardisation des pratiques,

Influences du fonctionnement des services hospitaliers sur les décisions médicales et le vécu des proches 179 les arrangements au jour le jour sont à la base du fonctionnement du service B. La coordination des activités quotidiennes s’obtient par ajustements constants et l’informel permet de faire face aux aléas du quotidien.

La place des parents Dans ce prolongement, l’accueil des familles n’est pas laissé au hasard dans ce service A. Pour leur première visite, les parents sont accompagnés de près par un professionnel qui ne se retire qu’après s’être assuré qu’aucune question ne reste en suspens. Par la suite, les infi firmières continuent de présenter l’environnement de l’enfant aux parents, sans jamais y montrer un signe de lassitude et, dès leur arrivée, leur donnent les dernières informations médicales. Les professionnels cherchent en fait à encadrer le mieux possible les parents. Ils ne veulent en aucun cas les laisser seuls avec leurs inquiétudes et leur tristesse. Ils estiment également que le contact avec l’enfant ne peut réellement s’établir que quand les parents se sont familiarisés à l’univers particulier de la réanimation néonatale, c’est-à-dire quand ils ont repéré, identifié fi les machines, leurs bruits, les tuyaux et les prothèses entourant l’enfant. Un système de communication très formalisé est également mis en place pour entourer le mieux possible les parents. Chaque après-midi, le pédiatre de garde fait inconditionnellement le tour du service pour répondre aux questions et aux interrogations des parents ou leur donner des informations sur l’état de santé de leur enfant. Les médecins sont ainsi disponibles pour répondre aux angoisses présentes des parents. Enfi fin, au bout de 2-3 jours passés dans le service, les parents se voient attribuer un médecin référent qui sera chargé de rencontrer la famille afin fi de faire régulièrement le point sur la situation. L’attribution d’un médecin référent permet de cadrer les interactions entre la famille et les professionnels ; il est l’intermédiaire entre les parents et le corps médical, ce qui limite le nombre d’interlocuteurs et permet de tenir un discours cohérent qui évolue avec le déroulement de l’hospitalisation. De leur côté, le système de communication entre professionnels et parents est donc très fortement structuré : l’information doit être transmise de façon systématique, les interactions ne se produisent jamais au hasard et elles sont organisées selon des règles formelles. Dans ce service B, les professionnels ne se précipitent pas pour encadrer les parents. Ces derniers peuvent rester seuls dans la chambre de leur enfant pendant un certain laps de temps avant que les premières nouvelles ne leur parviennent.

Cette attente n’est en aucun cas le résultat d’une négligence, mais le produit d’une réflexion fl sur la manière la moins traumatisante de faire rentrer les parents : « On essaie de faire en sorte qu’ils rentrent doucement dans le service. En général, on les laisse un temps auprès de leur enfant. On essaie de ne pas les assaillir d’informations, qu’il n’y ait pas tout un défilé fi de personnes. Ce qu’on fait, c’est qu’on les emmène dans la chambre de leur enfant, on les laisse seuls pour qu’ils fassent tranquillement connaissance et puis ensuite on revient, si jamais ils ont des questions ou pas. » (Chef de clinique) Le médecin n’orchestre pas à lui seul cette première arrivée ; il se présente comme un des maillons de la chaîne de la prise en charge de l’enfant, ce qui relativise l’importance de son rôle auprès des parents. Après le premier accueil, les parents se déplacent seuls dans le service. Ils entrent dans le sas pour enfi filer leur blouse, passent devant l’hôtesse dont le guichet est en face la porte d’entrée. Se réduisant à un simple bonjour ou bien à un échange de nouvelles, ce premier contact permet d’introduire les parents de manière personnalisée. À l’intérieur du service, l’ensemble du personnel partage ce même souci de saluer les parents. Tout est fait pour que les parents ne se sentent en aucun cas écartés du service par des barrières médicales ou symboliques, mais qu’ils se pensent comme légitimes dans cet univers qui leur est étranger. La rencontre entre médecins et parents n’est pas régulière et systématique ; elle s’organise au cas par cas, en fonction des derniers événements. Le plus souvent, l’infi firmière est la première qui recueille les inquiétudes et les questions des parents. En fonction, elle peut choisir soit d’y répondre, soit d’aiguiller vers le médecin. Les parents rencontrent le médecin de garde disponible au gré de leurs visites.

Critères médicaux Parmi l’ensemble des complications neurologiques possibles, il existe des « cas clairs », pour lesquels il tend à être reconnu que la réanimation doit être arrêtée. Ainsi, pour une hémorragie cérébrale de grade IV ou une souffrance ff fœtale, la littérature admet clairement que le pronostic neurologique est catastrophique et les réanimateurs trouvent légitime d’arrêter la réanimation. De même quand l’hémorragie cérébrale ne dépasse pas le grade II, tous reconnaissent qu’il faut poursuivre la réanimation. En dehors de ces cas clairs, il existe une zone grise à l’intérieur de laquelle le pronostic neurologique est incertain ; il n’existe pas de normes scientifi fiques reconnues et les bornes qui délimitent la poursuite de la réanimation restent à

180 Enjeux éthiques en réanimation définir fi et sont d’ailleurs fixées diff fféremment selon les services. Dans le service A, la formalisation des pratiques définit fi les éléments limitant strictement la prise en charge. Des critères médicaux à partir de données d’imageries médicales sont identifiés, fi des outils performants permettent de repérer précocement les anomalies et la connaissance qu’ils apportent dans l’élaboration d’un pronostic neurologique est considérée comme certaine. Le doute ne transparaît jamais. La décision est d’abord médicale et la participation des parents est explicitement exclue car « le consentement suppose une décision parentale lucide, définitive fi et prise de façon conjointe. Mais peut-on estimer lucide des parents dans un tel contexte d’émotion et de stress ? Peut-on penser qu’ils aient acquis en quelques instants les connaissances médicales nécessaires ? Ont-ils véritablement une réelle liberté de leur choix ? Prétendre le contraire c’est méconnaître chez les parents l’état de choc et d’incompétence qui en résulte. » (Chef de service) Ici, une réunion est organisée autour d’une petite fille née prématurée qui, après une quinzaine de jours, présente une leucomalacie cavitaire, soit la destruction de certaines zones du cerveau qui entraîne de graves troubles moteurs. Chef de service : Donc l’IRM qui confi firme ce qu’on avait vu à l’échographie cérébrale, des lésions de plus de 2 cm, dont on sait de par la littérature et de par notre expérience que c’est grave. Donc de toute façon, la survie de cet enfant ne pourra se faire qu’au prix d’un handicap très sévère. Donc on va voir si on a des éléments suffi ffisants pour interrompre la vie de cet enfant. PU/PH : Au niveau des images, ce n’est pas bon du tout. Objectivement, c’est une vraie catastrophe. Chef de service : Je suis assez partisan pour qu’on aille jusqu’au bout de notre démarche et des actes médicaux. On va dans le sens d’une grande gravité, donc on doit se poser la question du devenir de cet enfant, si l’on suit l’habitude qu’on a. La survie sera au prix d’un polyhandicap sans possibilité de récupération. Tout le monde est d’accord sur ce résumé ? Chef de clinique : B. avait des questions au sujet de la famille. Chef de service : On n’en est pas à là. On verra ça après. La règle c’est d’établir un pronostic et ensuite on aboutit à une décision. Donc là, on est dans l’établissement d’un pronostic et on a les éléments pour. Moi je dis au nom de tous je pense que l’on est face à un cas gravissime et que donc la sanction, c’est de décider d’un arrêt de vie de cet enfant. Hochement de tête des participants. Chef de Service [en direction de B, le chef de clinique qui reçoit la famille] : Comment tu vas t’organiser ? Le chef de service orchestre la réunion. Après que les différents ff éléments aient été rapportés, il propose la décision à prendre. Le reste des participants acquiesce et n’émet que très rarement des

objections. Les critères médicaux, les imageries cérébrales, la taille des lésions supérieures sont décisives dans la construction de la décision. Dans le service B, les critères limitant la poursuite de la prise en charge sont plus diffus. ff Il est diffi fficile de dégager des critères ou argumentaires sur lesquels les professionnels se fi fixent pour arrêter la réanimation. Eux-mêmes insistent sur l’incertitude liée à tout pronostic neurologique. Contrairement au précédent service, les critères sont considérés comme peu fiables et leur incertitude toujours mise en avant. PU/PH 1 : Au niveau des échographies, on voit qu’il a une hémorragie qui est sûrement bilatérale, mais j’ai du mal à voir le côté droit parce que sa fontanelle est très petite. Et puis aussi au niveau de la substance blanche, on ne peut pas parler de leucomalacie, mais y a quand même des petites anomalies. Chef de service : Cliniquement, elle n’est pas trop mal. Et au niveau du pronostic ? PU/PH 2 : Bah là, c’est pareil, vu l’âge, c’est difficile ffi de savoir ce que ça va donner plus tard. PU/PH 1 : Ce qui est sûr, c’est que déjà pour un prématuré de 24 semaines le pronostic n’est pas bon, mais alors là, avec en plus une atteinte de la substance blanche… Chef de service : En tout cas rien qui montre qu’on est certain que ce sera catastrophique ? Silence des trois chefs de clinique. PU/PH 2 : Oui, mais on pourrait aussi tourner les choses dans l’autre sens et dire qu’on n’est pas certain qu’elle s’en tire bien. Chef de service : Oui, mais c’est ce que j’ai dit, j’ai dit on n’est pas certain que ce sera catastrophique. Bon, mais là en tout cas, le point de vue des parents a été très clair. Chef de clinique : Oui, ils ont dit qu’ils étaient prêts à prendre en charge. En fait, ce qui s’est passé, c’est que je les ai vus et je ne pensais pas aller si loin dans la discussion. Je leur ai dit donc qu’on était très inquiet, qu’elle avait saigné dans sa tête et ils m’ont dit qu’ils étaient prêts à prendre l’enfant quel que soit le type de handicap. Interne : Oui, enfin fi quand même hier ils m’ont demandé quel serait le type de séquelles. Ils sont focalisés sur les lésions. Et cette nuit, pareil, ils ont demandé la même chose à l’infirmière. fi Chef de service : Bon, faut voir ensuite comment ça évolue. PU/PH 1 : Oui et voir jusqu’où vous, vous êtes prêt à aller. Chef de service : C’est sûr qu’il faut d’abord qu’on sache si on continue ou pas pour savoir quel discours tenir aux parents. Je propose qu’on attende 7-10 jours et on se réunit et en attendant, on surveille.

Influences du fonctionnement des services hospitaliers sur les décisions médicales et le vécu des proches 181 Les diff fférents points de vue individuels s’expriment sans qu’aucun argumentaire ne vienne uniformiser les points de vue et par là même justifier fi une éventuelle décision d’arrêt de vie. Dans cette période de doute et d’incertitude, l’opinion des familles est parfois demandée. Dans le doute, la réanimation est le plus souvent poursuivie. C’est essentiellement le chef de service qui assume cette responsabilité, le reste des acteurs ne prend pas fermement position.

Poids des valeurs À défaut de pouvoir guérir, les médecins font des choix sur ce qu’ils souhaitent éviter dans l’entreprise de réanimation. Pour le service A, la réanimation doit être arrêtée dès que des séquelles importantes sont certaines ; le handicap est un drame pour l’enfant et ses parents, qui pour reprendre les mots des infirmières fi et médecins, « fait éclater les couples », « cause des souffrances ff physiques insupportables » et cela d’autant que « la société, l’école, rejettent ces enfants handicapés ». Pour le service A, le risque dans la mission exercée est de poursuivre la réanimation d’un enfant qui présentera un handicap très sévère : « C’est vrai que chez nous, on considère que c’est beaucoup plus risqué pour une famille de vivre avec un enfant gravement handicapé, que de… On préfère la mort à un handicap profond, c’est sûr. » (Chef de service A) En parallèle domine l’idée qu’une décision d’arrêt de vie se doit d’être prise par les experts médicaux. D’abord, seule l’expertise médicale donne les ressources suffi ffisantes pour décider : ce sont les critères médicaux qui servent à trier les trajectoires, c’est le savoir médical qui permet de construire un pronostic neurologique. De plus, les parents sont trop désorientés pour assumer une telle décision et le poids de celle-ci pourrait les plonger dans une forte culpabilité ; les médecins

se doivent donc de protéger les parents du poids de la décision. Le service B défend l’idée que la réanimation doit être continuée jusqu’à ce qu’il soit clairement établi que la qualité de vie de l’enfant sera catastrophique. D’abord parce qu’il existe « des handicapés heureux et des familles qui se transcendent autour du handicap de leur enfantt », ensuite parce que le pronostic neurologique est toujours probabiliste et dans le doute, il vaut mieux poursuivre la réanimation. Pour le service B, le risque le plus grave est d’arrêter la réanimation d’un enfant qui aurait pu avoir une qualité de vie acceptable : « Dans la mesure où nos décisions impliquent une part de probabilité, y a pas de mystère, c’est ou bien on fait survivre des enfants qui ont des séquelles ou bien on envoie au cimetière des enfants qui n’auront pas de séquelles. Moi j’ai choisi la première… » (Chef de service B) Le service B défend l’idée que la réanimation doit être continuée jusqu’à ce qu’il soit clairement établi que la qualité de vie de l’enfant sera catastrophique. D’abord parce qu’il existe « des handicapés heureux et des familles qui se transcendent autour du handicap de leur enfant », ensuite parce que le pronostic neurologique est toujours probabiliste et dans le doute, il vaut mieux poursuivre la réanimation. Cette décision ne doit pas forcément être prise par les médecins. Certes ils sont les seuls capables de déceler les séquelles et de dresser un pronostic neurologique, mais en dernière instance les parents sont estimés comme pouvant se prononcer sur la décision à prendre.

Des décisions diff fférentes face à un même enjeu Le rapide récapitulatif de ces traits organisationnels témoigne que les services ont construit deux cadres décisionnels radicalement diff fférents qui peuvent être résumés dans un tableau.

Tableau I – Éléments constitutifs d’un cadre décisionnel

Règles de fonctionnement

Service A Standardisation Formalisation Stricts Pessimistes

Service B Par ajustement Informel Diffus Espoir Il y a des handicapés heureux C’est un mal inéluctable et inhérent à nos pratiques

Critères médicaux

Critères médicaux Dans le doute face aux images

Valeurs

Le handicap

Est un drame Il faut essayer de l’éviter au maximum

La place des parents dans la décision

Protéger les parents

Inclure les parents

Politique restrictive

Politique permissive

Sens de la mission

182 Enjeux éthiques en réanimation Le service A privilégie une formalisation et une standardisation des activités, en situation de choix, les réunions sont standardisées, les argumentaires préconstruits et le chef de service endosse la responsabilité de la décision. À partir du moment où apparaît un critère justifiant fi de la décision d’arrêt de réanimation, un schéma d’action se met en place qui conduit à une décision d’arrêt de réanimation, sans réelle délibération entre les différents ff acteurs concernés. Le service B fonctionne à partir d’arrangements au quotidien. Tout comme au quotidien, en situation de choix, il n’existe pas non plus de procédure ; les diff fférents points de vue individuels s’expriment, les PU/PH, les internes et les infirmières fi sont plus prompts à vouloir arrêter la réanimation, alors que le chef de service et les chefs de clinique souhaitent le plus souvent la poursuivre. Des tensions apparaissent, sans qu’aucun critère médical ne vienne les départager et ce sont bien souvent des éléments conjoncturels, notamment l’aggravation de la situation ou l’opinion des parents, qui parviennent à dénouer la situation. Des accords stables et profonds structurent les échanges. Au final fi le processus décisionnel n’est pas à chaque fois réinventé, il est incarné dans des cadres décisionnels qui guident les choix de faire vivre ou de faire mourir. Ces diff fférences de cultures de services ont des conséquences, que nous allons maintenant exposer, sur : les décisions prises, les positionnements moraux individuels et sur le vécu des parents. Face au même enjeu de « faire vivre » ou de « faire mourir », deux types de solutions sont ainsi construits – et il est possible que l’étude d’un autre service de réanimation néonatale nous aurait donné à voir un troisième type de solution possible. Le sens de la mission (10) que se donne le service A est non pas d’inciter les médecins et les infir fi mières à mobiliser la technique et le savoir afin fi de tout mettre en œuvre pour sauver un enfant, mais de pondérer les moyens par un système de valeur qui définit fi ce qu’est une vie acceptable pour l’enfant et ses parents. C’est un objectif ambitieux qui place les professionnels de ce service dans un rôle de garde-fou de la société : ils sont chargés d’évaluer et de décider quels enfants il est acceptable de garder dans la société. Pour ce faire, ils défendent une politique restrictive de la réanimation. Dans le service B, on part du principe que les médecins et les infirmières fi sont des professionnels qui doivent mobiliser au mieux les techniques et le savoir scientifique fi pour sauver des vies. Mais ils ne peuvent pas se donner le pouvoir d’influencer fl le cours de la vie : la nature doit pouvoir reprendre

ses droits une fois que l’enfant ne dépend plus des supports de la réanimation (une fois que son état est stable).

Influence fl du fonctionnement des services sur le vécu des proches Dans les deux services, la participation des parents aux décisions médicales est très relative. Le plus souvent, les familles sont informées des décisions prises par l’équipe, mais ne participent aux choix. Suite à une décision de limitation des traitements, les équipes laissent planer le doute autour d’un possible décès de l’enfant, « il n’y a plus rien à faire », puisant ainsi un fort argument de justification fi de la décision d’arrêt de vie car il se traduit chez les parents par « il serait mort de toute façon » – quand bien même c’est le pronostic neurologique et non vital qui pose question. Si les parents montrent certaines réticences suite à l’annonce de la décision, les médecins tentent de les convaincre, en recevant plusieurs fois les parents en entretien, en insistant sur un tableau futur terrible, en cherchant à les orienter vers ce qui leur semble être le mieux pour l’enfant. Il existe cependant des variations entre les deux services étudiés. Nous avons vu plus haut que la place des parents étaient différente ff à l’intérieur des services. Le service A mise sur un accompagnement très fort, voir contrôlant des parents, quand le service B, préfère qu’ils trouvent eux-mêmes leurs repères. Des variations entre les deux services sont également constatées quand la trajectoire médicale d’un enfant se complique et qu’une décision de limitation et arrêt des traitements est envisagée. Dans ce cas, l’encadrement autour des parents se resserre dans le service A, le médecin référent explique les risques et les résultats des différents examens médicaux, il construit un discours qui ferme peu à peu les espoirs pour accepter la fatalité. Dans le service B, les résultats des examens sont donnés au fur et à mesure, sans discours médical préconstruit. Par ailleurs, et cela constitue une différence ff majeure avec le service B, il arrive que l’avis des parents soit parfois demandé en l’absence de consensus quant à la décision à prendre. Autrement dit, le service A cherche à encadrer et contrôler aux mieux les parents vers la décision prise, lorsque le service B ressent moins ce besoin, puisqu’une marge de participation est parfois entrevue. Toujours est-il que cette manière d’encadrer les parents n’est pas neutre et influence fl directement leur vécu en réanimation néonatale.

Influences du fonctionnement des services hospitaliers sur les décisions médicales et le vécu des proches 183

Conséquences sur le vécu des parents Service A : un accompagnement englobant et contrôlant Les premiers pas des parents dans le service A sont des moments particulièrement dramatiques. Racontant ces premiers instants, peu d’entre eux ont réussi à retenir leurs larmes. Ils sont impressionnés par le contexte médico-technique dans lequel ils doivent établir les premiers contacts avec leur enfant et parviennent difficilement ffi à en faire abstraction : « Enfin fi pour moi, c’était pas un bébé, je ne le voyais même pas mon fils. Enfi fin, quand j’y allais, ce que je ressortais de tout ça, c’était les machines, la couveuse, le monde qu’il y avait autour, les bips bips. Mon fi fils, en tant que personne, j’avais du mal à le voir ». (Maman d’un garçon né à 25 semaines, service A) Tout au long de l’hospitalisation, quand ils rencontrent les médecins, les parents sont conduits à discuter sur un registre médical qui renforce parfois l’inquiétude des parents. Cependant, à force d’échanger sur ce registre médical, les parents finissent par être intégrés aux enjeux de la prise en charge et parviennent à mieux superviser son déroulement : « À la fin, c’était presque gênant parce que je connaissais tout, je repérais le taux d’oxygène, je reconnaissais le bruit des alarmes, je savais quand il était entrain de désaturer. Donc des fois j’allais chercher l’infirfi mière. En général, elle faisait le nécessaire et puis elle essayait de me rassurer. » (Maman de jumeaux nés à 27 semaines) Cet encadrement englobant et contrôlant profite fi aux parents qui possèdent les ressources pour décrypter la situation médicale de leur enfant et en comprendre les enjeux.

Service B, des parents qui se superposent au monde médical Les parents sont relativement sereins et entrent facilement en contact avec leur enfant, parfois même dès leur première arrivée : « Je suis arrivé avec mon gamin. Y a eu un passage de relais en fait, puisque je suis arrivé avec le pédiatre de maternité. Et puis bon, c’était plutôt joyeux comme moment. Et puis, c’était plaisant, le fait de l’avoir suivi comme ça, jusque dans le service, je suis arrivée, tout le monde m’a accueilli. Oui, c’était presque joyeux. » (Papa d’un enfant de 25 semaines, service B)

Les médecins et infirmières fi souhaitent d’ailleurs dédramatiser le plus possible l’arrivée de l’enfant dans le service de réanimation néonatale : « On essaie d’être optimiste. C’est normal puisque globalement, l’évolution médicale de l’enfant est plutôt favorable, donc il n’y a pas de raison de les inquiéter encore plus. » (Chef de clinique du service B) Pendant toute la durée de l’hospitalisation, l’information médicale transmise est succincte, les parents ne rencontrent pas de manière systématique les médecins et ne s’en plaignent pas : « Les médecins, ils passent le matin, quand ils regardent le bébé et ils vous expliquent ce qui se passe et puis si vous avez une question, ils vous répondent. En général, c’est succinct, c’est “tout va bien”. » (Maman d’un prématuré de 28 semaines) Les parents préfèrent se couper du monde médical pour mieux entrer en relation avec l’enfant. De ce fait, ils perçoivent avec plus de diffi fficulté les enjeux et les risques dans la trajectoire médicale de leur enfant : « Je posais pas trop de questions, parce que… Comment expliquer… Je ne savais pas trop quelles questions poser. Vous arrivez, vous ne connaissez rien, donc… Et puis on osait pas, parce qu’on savait pas les termes dans lesquels le dire. » (Maman d’une petite fille fi née à 28 semaines) D’une certaine manière, cet encadrement qui se fi à la majorité veut optimiste et rassurant profite des parents dont on a l’impression que l’expérience de la réanimation « glisse » sur eux : ils entrent facilement en contact avec leur enfant et ne se disent pas fortement angoissés. En revanche ces parents sont moins bien préparés pour faire face à une situation médicale qui se complique, notamment lorsqu’une décision de poursuite ou d’arrêt de réanimation doit être prise. Les médecins transmettent les résultats au fur et à mesure qu’ils arrivent, et livrent chacun leur interprétation, ce qui donnent aux parents l’impression d’un manque de cohérence dans le discours et dans l’attitude à tenir : « Ce qui est diffi fficile, c’est qu’un jour c’est noir, un jour c’est blanc. On ne savait plus quoi penser, on ne savait plus à quoi se fier fi .» Les tergiversations au moment de la décision, les parents les ressentent et les interprètent comme une certaine incompétence, mais également comme des lueurs d’espoir. Aussi pour eux, quand arrive le moment du décès, toutes les alternatives ne sont pas fermées. Cela n’empêche pas les parents, dans leur grande majorité d’être satisfaits de l’encadrement dont ils ont bénéficié. fi Ils éprouvent un sentiment de reconnaissance qui repose essentiellement sur la franchise et la disponibilité dont les professionnels ont fait preuve.

184 Enjeux éthiques en réanimation

Impact de l’organisation des services sur le vécu des parents Sur les 14 couples de parents interrogés qui avaient perdu leur enfant pendant l’hospitalisation, seulement 3 couples (1 dans le service A et 2 dans le service B) se sont impliqués dans la décision d’arrêt de vie et ont discuté avec les médecins de la possibilité d’arrêter la réanimation. Or, 7 couples auraient potentiellement pu le faire, puisqu’ils savaient qu’un geste médical allait entraîner le décès (3 dans le service A et 4 dans le service B). En fait, les parents ne sont pas demandeurs d’un pouvoir décisionnel, mais d’un accompagnement qui dépasse la simple transmission d’informations pour les guider tout au long de l’hospitalisation de leur enfant – et cela passe notamment par une traduction en termes profane des pathologies et enjeux médicaux. Ainsi se comprennent les écarts entre le vécu des parents selon les cadres décisionnels. Dans le service A, le discours des parents est très élogieux à l’égard des travailleurs du service. Les qualités professionnelles et humaines des soignants sont largement soulignées. Ils sont vus comme des experts et plus largement des « êtres exceptionnels ». Quand la trajectoire de l’enfant emprunte un tournant dramatique, les parents sont solidement encadrés et accompagnés dans l’inéluctabilité de la mort. Ils acceptent plus sereinement une décision présentée comme certaine. Dans le service B, le jugement des parents est plus neutre. Ils sont reconnaissants du travail développé autour de l’enfant, mais sont moins prompts à souligner leurs qualités humaines. Parmi les parents ayant leurs enfants pendant l’hospitalisation, certains acceptent difficilement ffi une décision parfois présentée en des termes confus, dont la teneur varie selon les intervenants et sans que des éléments forts de justification fi ne soient proposés. Par conséquent, plus le service encadre fortement les parents et les accompagne dans la gestion de l’incertitude, quitte à inhiber toute initiative individuelle, et meilleur est leur vécu. Si aujourd’hui l’ingérence des profanes aux décisions médicales les concernant est souhaitée, nos résultats montrent qu’in fine fi les rôles dévolus aux familles limitent de manière différente ff leur participation : soit en confi finant les parents dans une place la plus confortable possible qui inhibe les initiatives individuelles, comme dans le service A, soit en les maintenant dans une place de profanes, comme dans le service B. Et les parents vivent de manière différente ff cette limitation (14).

Conclusion Nous voudrions pour conclure insister sur la construction locale des processus décisionnels

qui renvoient deux modèles de fonctionnement distinct que nous avons observés, et qui, soulignons-le, n’épuisent probablement pas la réalité. Dans chaque service apparaissent les « bonnes raisons » des acteurs de « faire ce qu’ils font » et « croire ce qu’ils croient ». Il ne peut être question ici de trancher en faveur d’un modèle plutôt que d’un autre. Il y a bien plusieurs manières de régler le problème posé par les progrès technologiques de la néo-natalogie. On laissera ce soin à chaque lecteur qui pourra s’interroger sur les raisons qui font qu’il aurait plutôt tendance à privilégier l’un ou l’autre. Mais analyser fi finement la diversité des deux modèles ne doit pas nous conduire à oublier la convergence de fond. D’un côté comme de l’autre, il s’avère que la délibération n’est pas vraiment de mise. La réalité est trop dure, l’incertitude trop grande, la responsabilité trop lourde pour qu’on envisage ouvertement et collectivement la décision à prendre : cette délibération est remplacée par les routines d’un cadre décisionnel avec sa cohérence. N’est-ce pas là que s’impose la leçon essentielle de cette étude : il y a des réalités que nous ne sommes pas capables d’aff ffronter sans cadres qui soulagent le poids d’un choix impossible ? Et le vécu des proches s’en trouve affecté ff du fait de la nature de ces cadres de décision.

Références 1. Ariès P (1985 [1977]). L’homme devant la mort, t. I : Le temps des gisants, et t. II : La mort ensauvagée, Paris, Point-Le Seuil, p. 589 2. Paillet A (2007) Sauver la vie, donner la mort, Une sociologie de l’éthique en réanimation néonatale. La dispute. Coll Corps, Santé, Société 3. Kentish N (2009). Mourir à l’heure du médecin. Décisions de fin fi de vie en réanimation, Revue française de sociologie 48(3) 4. Gisquet E (2004) Les processus décisionnels en contexte de choix dramatique, le cas des décisions d’arrêt de vie en réanimation néonatale. Paris, thèse de l’Institut national d’études politiques, Gisquet E (2008) Vie et mort en réanimation néonatale, les décisions médicales en contexte de choix dramatique, Paris, l’Harmattan. 5. Le premier volet empirique de l’étude a été réalisé dans le cadre d’une recherche dirigée par Orfali K, Gisquet E (2001). Étude comparative de l’expérience et du rôle de la famille dans la décision médicale en réanimation néonatale en France et aux USA, Paris, DRESS/MiRe et Orfali K, Gisquet E (2004). Le rôle de la famille dans la décision médicale en réanimation néonatale, Cahiers de Recherche de la MIRE, n °17, p. 3-7. 6. Crozier M, Friedberg E (1977) L’acteur et le système, les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil, coll. Point 7. Pour reprendre une espression utilisée par R. Bucher et A. Strauss. Leur travail a montré qu’à l’intérieur d’une même profession les membres sont traversés par des valeurs, intérêts, objectifs très différents. ff Ces spécifi ficités peuvent être appréhendées à travers différents ff traits structurels : “sens of mission, work activities, methodology and techniques, clients, colleagueship, interests and associatieons, and public

Influences du fonctionnement des services hospitaliers sur les décisions médicales et le vécu des proches 185 relations”. Aussi le sens de la mission remover la position “politique” de chaque service, dans la mesure où celle-ci permet de rendre compte de l’ensemble des options prises collectivement. Bucher R, Strauss A (1961) Professions in Process. Th The American Journal of Sociology 4: 325-34 8. Mintzberg. H (1982) L’ajustement mutuel réalise la coordination du travail par simple communication informelle. In: Structure et dynamiques des organisations, les Éditions d’organisations 9. Boudon R (1999) Le sens des valeurs, Paris, PUF 10. Hughes EC (1956) Social role and division of labor. Midwest Sociologist 17(1), et traduction en français in : Hughes EC (1996) Le regard sociologique. Essais choisis, textes rassemblés et présentés par Chapoulie JM, Paris, Éditions de l’EHESS

11. Sainsaulieu Y (2006) Les appartenances collectives à l’hôpital, Sociologie du travail 48: 72-87 12. Témoignages de Kracher S, Fuschs D, Calaciura G (1996) « Création d’un groupe de réflexion fl éthique, Point de vue infirmier fi ». In : Quelle qualité après la réanimation ? De l’évaluation à l’éthique, coordinateurs Canaouïe P, Cloup M, Guilibert E, les Dossiers de l’AP-HP, p. 69-72 13. Gisquet E (2006) Vers une réelle ingérence des profanes ? Le mythe de la décision médicale partagée à travers le cas des décisions d’arrêt de vie en réanimation néonatale. Recherches familiales 3 : 61-73. 14. Gisquet E (2009) Accompagner les familles pour promouvoir leur participation aux décisions médicales. Global health policy 16(3)

Chapitre

Impact de la revue de mortalité et de morbidité sur le processus décisionnel en réanimation

20

Francine Bonnet

Introduction La véhémence d’une famille qui se dit mal informée, une erreur médicamenteuse, un décès inattendu, un diagnostic porté avec retard, le tragique d’une décision d’arrêt des traitements actifs, la difficulté ffi d’obtenir l’examen complémentaire indispensable à un choix thérapeutique… tous ces exemples de situations critiques peuvent être source de doutes, d’inquiétude, de stress, de découragement pour l’équipe soignante d’un service de réanimation. Mais ils peuvent (doivent) aussi devenir source d’apprentissage et d’amélioration des pratiques. Les revues de mortalité et de morbidité (RMM), par leur méthodologie et l’espace de parole qu’elles off ffrent, peuvent le permettre. L’objectif de ce chapitre est de montrer comment. Historiquement, depuis la publication aux ÉtatsUnis en 1999 du rapport de l’Institut of Medicine (IOM) « To Err is human », la qualité et la sécurité sont devenues une priorité des systèmes de soins dans le monde. En France, la publication par la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la Santé et des Sports de l’enquête nationale ENEIS (Enquête sur les événements indésirables graves liés aux soins) menée en 2004 par le Comité de coordination de l’évaluation clinique et de la qualité en Aquitaine (CCECQA) a confirmé fi que, avec la survenue de 6,6 événements indésirables liés aux soins pour 1 000 jours d’hospitalisation dont près de 33 % évitables, la sécurité des soins est une question importante pour le système de santé. La réduction du risque a d’ailleurs été un des objectifs de la loi de santé publique n° 2004806 du 9 août 2004, repris dans la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (loi HPST) :

L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

« Art. L.16111-2 – Les établissements de santé élaborent et mettent en œuvre une politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins et une gestion des risques visant à prévenir et traiter les événements indésirables liés à leurs activités. » Les programmes de gestion des risques des établissements s’appuient en particulier sur le déploiement des RMM dans les secteurs d’activité clinique comme l’anesthésie-réanimation, la chirurgie et la cancérologie. Qu’est-ce qu’une RMM ? La RMM est défi finie par la Haute Autorité de Santé (HAS) comme « une analyse collective, rétrospective et systémique de cas marqués par la survenue d’un décès, d’une complication ou d’un événement qui aurait pu causer un dommage au patient, qui a pour objectif la mise en œuvre et le suivi d’actions pour améliorer la prise en charge des patients et la sécurité des soins » (1). Cette démarche peut-elle avoir un impact sur le processus décisionnel en réanimation ? Autrement dit, quelles sont les composantes de la procédure mentale de décision qui permettent une analyse « collective, rétrospective et systémique » et en quoi sont-elles susceptibles de générer de l’erreur ? Les RMM, outil de gestion des risques et d’amélioration de la qualité des soins, permettent-elles de prévenir, d’atténuer ou de récupérer des erreurs décisionnelles ? Des éléments de réponse se trouvent dans les particularités de la décision médicale, dans les théories sur l’erreur en médecine et dans la méthode d’analyse utilisée en RMM qui vont être successivement abordées dans ce chapitre.

188 Enjeux éthiques en réanimation stratégie thérapeutique pertinente, sont recensés par brainstorming et classés en cinq groupes (règlements, méthode, milieu, moyens matériels et moyens humains). L’élaboration du diagramme avec l’identifi fication des facteurs est à la fois un travail de réflexion fl collectif formatif par lui-même et un guide pour la discussion. L’objectif est de permettre l’analyse du processus et la mise en évidence des points de fragilité et des sources d’erreur. Le processus « Décision » peut être est défini fi comme l’ensemble des étapes et des tâches élémentaires qui permettent à un patient qui présente une affecff tion donnée (appelé l’intrant) d’être transformé en un patient chez qui un diagnostic est porté et une stratégie thérapeutique défi finie (appelé l’extrant). L’exécution de la décision thérapeutique, objectif final de la démarche, pourra ensuite être entreprise fi et son résultat considéré comme un indicateur final permettant une évaluation globale de la qualité du processus. La figure 1 schématise le diagramme cause-et-eff ffet du processus décisionnel en réanimation.

Composantes du processus décisionnel Les déterminants de la décision médicale ont fait l’objet d’un précédent chapitre de cet ouvrage (chapitre 18). Dans ce paragraphe-ci, néanmoins, la procédure mentale sous-jacente va être « disséquée » pour en extraire les éléments (étapes et tâches élémentaires) et les facteurs d’influence fl nécessaires à l’évaluation de la décision, et accessibles à l’analyse systémique qui est la base de la discussion en RMM. Le parti pris est de considérer globalement la décision en réanimation de façon indépendante de son domaine d’application : prévention, traitement curatif et limitation ou arrêt d’une thérapeutique active (LATA). Comme cela a été dit, la décision est l’action d’apporter une solution, de trancher une question que l’on a débattue. La décision médicale va être ici considérée comme la somme de deux composantes, la décision diagnostique suivie de la décision thérapeutique qui est la fi finalité de l’acte médical. Ces deux composantes de la décision médicale, décision diagnostique et décision thérapeutique, résultent chacune d’un cheminement du raisonnement particulier et présentent des qualités qui leur sont propres. Néanmoins le processus global peut être analysé par un outil d’amélioration de la qualité importé du monde de l’industrie : le diagramme d’Ishikawa.

Groupe « Règlements » Il s’agit de l’ensemble des textes législatifs qui peuvent avoir un impact sur le processus décisionnel (le contenu de certains de ces textes a été abordé chapitre 18). – Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fi fin de vie avec ses décrets d’application qui permet au malade de refuser des traitements et de fi fixer des directives anticipées sur les conditions de sa fi fin de vie. – Décret n° 2006-119 du 6 février 2006 sur les directives anticipées prévues par la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie. Ces directives doivent être écrites, datées, signées, et conservées dans le dossier médical. Elles sont valables trois ans et modifiables fi à tout moment.

Analyse du processus décisionnel par la méthode du diagramme cause-et-effet ff 5M d’Ishikawa Le diagramme d’Ishikawa (2), également appelé « diagramme en arêtes de poisson », est un outil d’amélioration de la qualité des processus : les facteurs liés par une relation de cause à eff ffet avec l’objectif d’un processus, c’est-à-dire ici l’élaboration d’une

MOYENS MATÉRIELS

MOYENS HUMAINS MILIEU EXTRANT =

INTRANT = Patient qui présente une affection donnée

PROCESSUS DÉCISIONNEL RÈGLEMENT

Fig. 1 – Diagramme cause-et-effet du processus décisionnel en réanimation.

MÉTHODE

Patient chez qui – un diagnostic est porté – une stratégie thérapeutique est définie

Impact de la revue de mortalité et de morbidité sur le processus décisionnel en réanimation 189 – Décret n° 2006-120 du 6 février 2006 relatif à la procédure collégiale. « La décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant… (et prend en compte) les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés » ; – Article 37 du Code de déontologie : Soulagement des souffrances ff – Limitation ou arrêt des traitements : « En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer ff de soulager les souff ffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet ff que le maintien artifi ficiel de la vie. ». – Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé avec l’obligation faite aux établissements d’assurer un égal accès aux soins sans discrimination, la continuité des soins et la meilleure sécurité possible, et l’obligation faite aux praticiens d’assurer à leurs patients une information claire et loyale qui leur permette de donner un consentement libre et éclairé aux traitements proposés. – Décret no 2002-465 du 5 avril 2002 relatif aux établissements de santé publics et privés pratiquant la réanimation – Art. R.712-90. Les soins de réanimation sont destinés à des patients qui présentent, ou sont susceptibles de présenter, plusieurs défaillances viscérales aiguës mettant directement en jeu le pronostic vital et impliquant le recours à des méthodes de suppléance. – Décret no 2002-466 du 5 avril 2002 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour pratiquer les activités de réanimation, de soins intensifs et de surveillance continue. Consentement, refus de soins, directives anticipées, personne de confi fiance, implication des familles sont des thèmes qui ont été développés dans le chapitre 2 de cet ouvrage. Un défaut du processus décisionnel peut être lié au non-respect de l’esprit de l’un de ces textes.

Groupe « Méthode » Dans ce groupe doit être considéré l’ensemble des données acquises de la science (DAS) permettant de prendre les décisions diagnostiques et thérapeutiques les plus consciencieuses, explicites et judicieuses pour le patient. C’est l’approche de la « médecine fondée sur des preuves » ou médecine factuelle, evidence based medicine (EBM) en anglais.

Dans la pratique quotidiennene, ces données sont représentées par les recommandations des sociétés savantes ou de la HAS, les conférences de consensus, les procédures internes, etc.

Groupe « Moyens matériels » Dans ce groupe peuvent être cités comme nécessaires au déroulement optimal du processus : – le dossier des patients (support papier ou dossier informatisé) accessible tous les jours à toute heure ; – l’équipement informatique avec les logiciels nécessaires à l’exploitation de bases de données, l’accès à Internet et par là aux différents ff sites de recherche bibliographique et des sociétés savantes, l’accès intranet, un accès rapide aux résultats d’examens complémentaires ; – l’équipement de la structure en moyens d’investigations et examens complémentaires performants comme l’imagerie médicale, les explorations endoscopiques, la biologie, la médecine nucléaire, etc.

Groupe « Moyens humains » Dans ce groupe, les personnes ayant un rôle dans le processus décisionnel sont multiples : il s’agit du personnel soignant médical et non médical, du personnel médical et non médical des services techniques, des épidémiologistes, des statisticiens mais aussi du patient et de sa famille. Le médecin « traitant » reste le personnage clé de ce processus, comprendre son rôle nécessite de s’interroger sur les mécanismes cognitifs de la décision médicale qui font l’objet du paragraphe suivant.

Groupe « Milieu » Les conditions d’exercice peuvent interférer avec les capacités cognitives des praticiens et donc influer fl sur la décision médicale. Peuvent, dans ce groupe de facteurs, être distingués : – des facteurs propres à la structure, comme les facteurs environnementaux (bruit, lumières…) ou organisationnels (pression de production, casemix, urgence, composition des équipes…) ; – des facteurs propres au clinicien, comme les facteurs physiques (fatigue, problèmes de santé, stress…), culturels (convictions personnelles, croyances religieuses…) ou émotionnels (empathie pour le patient, confl flit avec un collègue, problèmes affectifs ff privés…). Parallèlement à l’identifi fication par le diagramme d’Ishikawa des facteurs pouvant aff ffecter la qualité du processus décisionnel, les facteurs pouvant affecter ff la qualité de la procédure mentale doivent également être considérés.

190 Enjeux éthiques en réanimation

Modèles de raisonnement Des travaux de recherche en sciences humaines émergent deux théories de procédure mentale décisionnelle : le système rationnel déductif et le système par heuristiques.

Système rationnel déductif Une des principales qualités attendue de la décision en médecine est d’être un acte volontaire et raisonné, c’est-à-dire fait d’un enchaînement logique d’opérations mentales en relation avec la saisie d’informations, leur stockage et leur traitement dans un but défi fini, donner des soins appropriés à un patient. De plus, ce traitement de l’information précédant l’action doit reposer sur les données acquises de la science (DAS) représentant la vérité scientifique fi (provisoire) à l’instant donné (3). La décision diagnostique est faite d’une succession d’étapes qui commence par l’observation clinique, c’est-à-dire l’examen du patient avec recueil des signes et symptômes permettant, de façon idéale, les étapes suivantes (4) : – élaboration d’une liste d’hypothèses diagnostiques avec leur probabilité primaire respective (ce sont les données épidémiologiques qui permettent d’évaluer la prévalence des différentes ff hypothèses) ; – à partir de ces probabilités primaires, choix des examens complémentaires nécessaires au diagnostic selon un raisonnement « bayesien ». Ce choix est fonction des qualités intrinsèques de ces tests (sensibilité, spécifi ficité, valeurs prédictives) et du gain diagnostique attendu. Leurs résultats permettent de construire un arbre de probabilité ; – décision de l’expert (le médecin) guidée par cet arbre de probabilité. Ainsi, le diagnostic est un acte décisionnel probabiliste qui comporte donc un degré d’incertitude, mais le degré de fiabilité du diagnostic retenu sera d’autant plus grand que le raisonnement est fondé sur des données factuelles actualisées. La décision diagnostique représente la phase initiale du processus décisionnel global, elle est donc la condition nécessaire mais non suffi ffisante de la phase qui lui succède, la décision thérapeutique.

Examen clinique

Hypothèses diagnostisques Probabilité p

Choix des examens complémentaires sensibilité, spécificité, valeurs prédictives, gain diagnostique

La décision thérapeutique répond, elle aussi, à un processus complexe propre en plusieurs étapes et ne peut donc pas s’imposer comme une conséquence automatique directe du diagnostic. Les étapes du processus décisionnel thérapeutique peuvent être schématisées de la façon suivante : – recherche des référentiels de prise en charge correspondant au diagnostic retenu s’il en existe avec descriptif de la ou des options thérapeutiques possibles ; – identifi fication de leurs résultats attendus (guérison avec ou sans séquelles, stabilisation ou ralentissement de l’évolution naturelle de la maladie), de leurs eff ffets secondaires connus d’après les essais cliniques et évaluation du rapport bénéfice/risque fi de ces diff fférentes options ; – évaluation du pronostic : compte tenu de la variabilité de l’eff ffet escompté de chaque option, c’est un calcul de probabilité complexe avec construction d’un arbre décisionnel prenant en compte les diff fférentes options thérapeutiques et leur rapport bénéfi fice/risque (B/R) potentiel, l’évolution naturelle de la maladie d’après les données épidémiologiques, l’état clinique du patient, ses antécédents, son mode de vie. Cette démarche probabiliste permet au médecin de proposer un projet thérapeutique cohérent basé sur des DAS adaptées au cas particulier du patient. L’ensemble de cette procédure décisionnelle est représenté schématiquement par la fi figure 2. Cependant la décision thérapeutique s’inscrivant dans un « futur ignoré » (voir le chapitre 18 de D. Devictor), ce modèle de raisonnement, bien que scientifi fique, ne permet pas de prédire l’évolution d’un patient avec une certitude de 100 %.

Modèle intuitif et heuristique (du grec heuriskêin, trouver, découvrir) L’algorithme idéal décrit ci-dessus est long, complexe et très consommateur d’énergie sous forme d’attention et de réflexion. fl Le mode de raisonnement intuitif qui répond à une logique inductive s’appuie donc sur l’expérience des cliniciens et l’emploi d’heuristiques. Les heuristiques sont des « courts-circuits » cognitifs, c’est-à-dire des algorithmes liés à l’expérience qui fournissent rapidement une solution réalisable fficace sur l’objectif final même si le mode de effi

DIAGNOSTIC

Recommandations de prise en charge DAS

Évaluation B/R pronostic

Projet thérapeutique

Fig. 2 – Représentation graphique de la procédure décisionnelle de l’examen initial du patient au projet thérapeutique à lui proposer.

Impact de la revue de mortalité et de morbidité sur le processus décisionnel en réanimation 191 raisonnement n’est pas optimal. Ces algorithmes se créent avec le temps à partir de nombreux facteurs et en particulier les caractéristiques des patients, les signes pathognomoniques des maladies, des considérations éthiques mais aussi le rythme de travail et l’équipement de la structure. Ce système peut s’avérer performant car rapide, économe en énergie cognitive et effi fficace dans de nombreux cas, en particulier quand le patient se présente avec des signes pathognomoniques d’une aff ffection connue. Mais les heuristiques peuvent au contraire prédisposer à des décisions erronées quand certains raccourcis et maximes comme « être uniciste » ou « il faut traiter le patient, pas les nombres » prévalent ou quand le tableau clinique est atypique. Par exemple, en cas de nécrose myocardique, le risque d’erreur de diagnostic est multiplié par dix en l’absence de douleur thoracique. Les modes logique et heuristique sont, en fait, souvent combinés et le système rationnel déductif est activé quand la symptomatologie du patient n’est pas immédiatement reconnue à partir d’un scénario typique.

Particularités de la décision médicale en réanimation Comme cela a été dit (chapitre 18), la décision médicale revêt le caractère exceptionnel de concerner autrui. Le bénéfi ficiaire des soins étant celui qui assume les risques de la décision, il doit donc bénéficier d’une information claire, loyale et appropriée fi lui permettant de participer au processus décisionnel, mais en réanimation peu de patients sont en état de participer et la décision finalement fi prise par le médecin sera donc une « décision partagée » avec la personne de confiance fi et/ou les proches. De plus, par rapport au schéma général de la décision médicale, le processus en réanimation présente quelques particularités liées à son contexte singulier à la frontière entre la vie et la mort. D’une part, le médecin « ré-animateur » se trouve investi par le patient ou sa famille de la mission miraculeuse de « redonner la vie », source pour lui de tension psychologique, de cas de conscience ou d’inquiétude légitime de ne pas faire les choix décisionnels les plus justes sachant qu’en réanimation, une décision inadéquate peut avoir des conséquences graves immédiates. Ce stress peut être, en lui-même, générateur d’erreurs cognitives. En contrepartie, l’organisation et la culture des services de réanimation, par le travail d’équipe et la délibération collective quotidiens, permettent de limiter ce risque d’erreur décisionnelle ou de décision individuelle arbitraire. La décision de LATA est même réglementée par un décret (décret d’application 2006-120 de la loi n° 2005-370 du 22 avril

2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie) imposant une décision concertée entre médecin en charge du patient, équipe soignante et médecin consultant qui prenne en compte les souhaits du patient ou de sa personne de confiance. fi D’autre part, en ergonomie cognitive, l’anesthésieréanimation est classée, comme le pilotage d’avion, dans la classe des situations de contrôle de processus rapides (5) nécessitant une préparation, un fonctionnement par routines et l’obtention (et prise en compte) de feedbacks rapides.

Place et nature de l’erreur ou « de la diffi fficulté à évaluer une procédure décisionnelle » « To Err is human », par son titre même, le rapport de l’IOM déclencha une onde de choc en affi ffirmant qu’en médecine comme ailleurs, l’erreur existe. Pour la décision, l’analyse du processus par le diagramme d’Ishikawa, avec la collection des cinq familles de facteurs, permet d’identifier fi et de visualiserr clairement la nature des erreurs possibles : non-respect du contexte réglementaire, défaut d’application d’un référentiel de soins, absence des moyens matériels nécessaires au bon déroulement du processus, défaut d’une ou plusieurs des étapes de la procédure mentale de raisonnement médical abordée dans le paragraphe ci-dessus, absence de concertation avec le patient, etc. Néanmoins des diffi fficultés demeurent, en particulier : – dans les cinq familles de facteurs, certains types d’erreur sont plus visibles et faciles à analyser que d’autres. Par exemple, dans le groupe « moyens matériels » l’absence d’IRM, un dossier médical archivé inaccessible, etc. sont plus faciles à déceler qu’un dysfonctionnement cognitif dans le groupe « moyens humains » ; – une erreur d’exécution est également plus facilement identifiable fi qu’une erreur de décision. Exemple des traitements médicamenteux par voie parentérale en réanimation En 2007 une étude prospective multicentrique (113 unités de réanimation) internationale (27 pays) pilotée par l’European Society of Intensive Care Medicine (ESICM) (6) a mis en évidence une incidence d’erreurs d’administration égale à 74,5 pour 100 jours patients entraînant un décès ou des séquelles pour 0,9 % des patients. Ces erreurs consistent en des oublis ou des erreurs d’horaire, de dose, de molécule ou de voie d’administration. Des facteurs favorisants ont pu être identifiés, fi en particulier gravité et complexité de la situation, soins de routine, charge de travail importante, problèmes de communication.

192 Enjeux éthiques en réanimation Pour Park (7), la probabilité de survenue d’une erreur de réalisation comme « erreur de lecture d’une étiquette » est de 3 pour mille en dehors de toute situation de stress. Ces travaux confirment fi donc la fréquence et la gravité des erreurs médicamenteuses en réanimation, mais elles concernent la partie « exécution » de la décision thérapeutique. Peu de données existent sur la partie d’amont « prescription », c’est-à-dire sur la décision elle-même, et en particulier sur les facteurs cognitifs de l’erreur. Question de réfl flexion : peut-on évaluer l’incidence des erreurs cognitives ? Quels en sont les mécanismes ? Malgré les difficultés ffi évoquées, plusieurs études épidémiologiques ont pu être menées : – dans l’enquête ENEIS, pour les EI survenus pendant l’hospitalisation, une erreur de diagnostic est retrouvée dans 11 % des cas et une erreur de décision thérapeutique dans 21 % ; – en Australie, une enquête menée dans les hôpitaux publics met en évidence la participation d’une erreur cognitive à la survenue de 57 % des EI (8) ; Dans les services d’urgence, le processus diagnostique s’est avéré sous-optimal avec une incidence qui varie suivant la méthodologie et la nature du recrutement de 0,6 % (9) à 100 % (10). Une revue récente (11) trouve une prévalence des erreurs de diagnostic de 5 à 14 % pour les patients admis en urgence et de 10 à 20 % pour les patients décédés (résultats d’autopsies). 25 % de ces erreurs décisionnelles sont à l’origine d’un décès ou d’un handicap permanent et près de 75 % sont considérées comme évitables ; près de la moitié des plaintes déposées aux États-Unis concernent des retards ou des défauts de diagnostic. Enfin, fi malgré les progrès technologiques et le développement de l’EBM ces vingt dernières années, le taux d’erreurs de diagnostic mises en évidence à l’autopsie ne s’est pas amélioré. Par ailleurs une étude sur la qualité des soins aux États-Unis (12) a mis en évidence que seulement 55 % des patients bénéficiaient fi de soins conformes aux recommandations nationales. Toutes ces études épidémiologiques confirment fi donc l’importance d’étudier les erreurs cognitives compte tenu de leur prévalence et du risque de morbidité et de mortalité qui leur est associé. Les travaux de psychologie cognitive de Rasmussen (13) sur les procédures mentales impliquées dans tout acte humain lui ont permis d’élaborer le modèle « SRK » (pour Skill, Rules, Knowledge) correspondant à trois modes cognitifs de complexité croissante : actions basées sur des routines (Skill), actions basées sur l’activation de procédures planifi fiées (Rules), résolution de problème en situation nouvelle basée sur le raisonnement à partir des connaissances acquises (Knowledge). En réanima-

tion, les erreurs de décision à dépister concernent essentiellement les niveaux R et K et elles ne doivent pas être considérées comme inéluctables. Un travail récent (14) a collecté et listé les principaux mécanismes de l’erreur décisionnelle en médecine, préalable à toute démarche de diminution du risque comme peut l’être la RMM. Ainsi, à chaque étape du processus décisionnel idéal (voir le premier paragraphe), la liste suivante peut être proposée, il s’agit surtout de biais de raisonnement ou d’heuristiques inappropriées.

Étape « Examen clinique initial du patient » – Une méconnaissance à l’examen clinique de signes pertinents, ou à l’interrogatoire d’un antécédent important car le patient ne percevant pas le lien avec le problème actuel n’y fait pas spontanément allusion, est la cause d’erreur la plus fréquemment rencontrée. – La fixation ou « ancrage » sur un signe remarquable est également un biais de raisonnement important.

Étape « Élaboration de la liste d’hypothèses » – Le nombre d’hypothèses que l’on peut émettre est limité, souvent inférieur à cinq (5). – Le déni des limites de la mémoire. – Des connaissances médicales insuffi ffisantes ou non réactivées en mémoire en cas de maladie à prévalence faible qui n’a pas été rencontrée depuis longtemps. Et, à l’inverse, un diagnostic peut être évoqué à tort simplement parce qu’il a été rencontré récemment. – La probabilité d’une hypothèse peut être faussée par l’histoire antérieure du patient, par exemple méconnaître une cause organique d’encéphalopathie (troubles hydroélectrolytiques, sepsis, etc.) chez un patient aux antécédents psychiatriques connus. – Une tendance à opter pour le diagnostic qui permet le meilleur pronostic, surtout si sa prévalence est supérieure. – Enfin, fi le mécanisme d’erreur le plus fréquent (90 % des erreurs) est l’acceptation prématurée du premier diagnostic évoqué. Un diagnostic qui n’a pas été envisagé initialement, n’a que très peu de chance d’être évoqué ultérieurement et les faits nouveaux sont généralement attribués aux hypothèses déjà émises.

Étape « Prescription des examens complémentaires » – Au lit du patient, les décisions ne peuvent pas répondre à la démarche complète du théorème de Bayes qui nécessite que toutes les hypothèses

Impact de la revue de mortalité et de morbidité sur le processus décisionnel en réanimation 193 envisageables soient envisagées avec la connaissance précise de leur prévalence (dont la somme est alors égale à 1) et que chaque diagnostic soit exclusif de tous les autres. Les décisions relèvent d’une démarche plus intuitive, basée sur l’expérience. Ainsi la confrontation récente à une maladie donnée augmente sa probabilité d’être ensuite évoquée et les examens prescrits sont en général plus destinés à confirmer fi un diagnostic évoqué qu’à l’infirmer. fi – Une autre tendance consiste à interrompre l’enquête quand un premier résultat est revenu positif. – Enfi fin les résultats des examens complémentaires peuvent souffrir ff d’un défaut d’interprétation. Aux États-Unis, une enquête récemment publiée (15) trouve une défaillance de l’étape « examens complémentaires » (prescription, réalisation ou interprétation) à l’origine de 44 % des erreurs de diagnostic rapportées. Un cas clinique dans un service de réanimation chirurgicale, récemment publié (16), permet d’illustrer plusieurs de ces écueils et biais de raisonnement (en italique et entre crochets dans le texte) qui, en conduisant à un diagnostic tardif, contribuent à une évolution défavorable. Il s’agit d’une nocardiose disséminée pulmonaire et cérébroméningée diagnostiquée au 27e jour de son admission en réanimation chez un patient de 71 ans, sahélien non drépanocytaire, qui a été transféré en France après une hospitalisation au Mali pour coma diabétique et plaie profonde du pied : « L’examen clinique à l’arrivée notait une gangrène du pied droit associée à une fasciite nécrosante du tiers inférieur de la jambe nécessitant une amputation et une antibiothérapie probabiliste par amoxicilline - acide clavulanique et ornidazole [antibiothérapie qui ne couvre pas la nocardiose non envisagée du fait de la très faible prévalence de la maladie dans le service concerné]. é L’examen bactériologique des prélèvements peropératoires des tissus mous de la jambe a mis en évidence de nombreux Streptococcus constellatus et de nombreux bacilles gram positif dont la culture sur milieu gélosé usuel étant restée négative au 4e jour a été interrompue [arrêt des investigations, un germe significatif ayant été trouvé]. L’apparition au 18e jour d’un syndrome occlusif associé à une détresse respiratoire dans un contexte septique a justifié le transfert dans le service de réanimation chirurgicale. À son admission dans le service, le patient était confus sans déficit sensitivo-moteur. Il présentait une détresse respiratoire sans encombrement trachéobronchique et sans défaillance hémodynamique. Une tomodensitométrie thoraco-abdominale a montré un épanchement péritonéal modéré, un épanchement pleural bilatéral, et des lésions pulmonaires à type de nodule parenchymateux nodulaire de 2 cm de diamètre et de lésion excavée du lobe supérieur droit évocatrice de tuberculose [ancrage sur le syndrome occlusif avec examen complémentaire destiné à confirmer cette hypothèse et défaut d’interprétation du scanner pulmonaire]. Une laparotomie exploratrice [ancrage sur le signe clinique marquant] a été réalisée et n’a pas trouvé de sepsis intraabdominal expliquant le tableau clinique. Les prélèvements péritonéaux peropératoires sont restés stériles. Par ailleurs, le reste du bilan a permis d’éliminer une surinfection du moignon, une thrombophlébite des membres inférieurs, une endocardite, un paludisme, et une pneumopathie infectieuse à germe banal. Par contre une ponction lombaire (PL) retrouvant une cellularité à 230 leucocytes par microlitres dont 88 % de polynucléaires neutrophiles (PNN) avec hyperprotéinorachie

et hypoglycorachie était en faveur d’une méningite malgré un examen direct bactériologique négatif. Le scanner cérébral avec injection de produit de contraste alors effectué n’a pas montré de foyer infectieux [manque de sensibilité dans ce contexte de l’examen choisi] et aucun foyer infectieux ORL n’a été trouvé. Une antibiothérapie probabiliste prenant en compte le seul germe isolé chez ce patient (Pseudomonas aeruginosa au niveau d’un abcès fémoral) a néanmoins été débutée. L’évolution a été marquée par l’installation d’un choc septique résolutif en quelques jours permettant l’arrêt de la sédation dès le 5e jour. La recherche d’une étiologie tuberculeuse sur 2 lavages bronchoalvéolaires (LBA) et 2 nouvelles ponctions lombaires est restée négative. L’arrêt de la sédation a démasqué des troubles neurologiques marqués par un coma avec un score de Glasgow (GCS) à 6 puis des crises convulsives généralisées contemporaines de taux de ceftazidime élevés dans le liquide céphalorachidien (LCR) à 110 μg/mL et le plasma (85,1 μg/mL) [choix du diagnostic permettant le meilleur pronostic : surdosage en béta-lactamines]. Un nouveau scanner cérébral avec injection restait normal. Progressivement est apparue une tétraplégie flasque. Une IRM médullaire n’a alors montré ni spondylodiscite ni épidurite [choix de l’examen motivé par l’expérience récente d’une spondylodiscite postopératoire après chirurgie œsophagienne]. Au 16e jour, en l’absence d’amélioration clinique et électroencéphalographique, une nouvelle ponction lombaire (4e) a été réalisée et a ramené un LCR puriforme évoquant une rupture d’abcès mais sans germe à l’examen direct et sans image sur un 3e scanner cérébral. Une IRM cérébrale a alors été effectuée (au vingtième jour) et a mis en évidence de multiples abcès intracérébraux avec dissémination méningée et rupture intraventriculaire. La culture du 4e LCR a mis en évidence 48 heures plus tard des colonies de Nocardia otitidiscaviarum multi résistant (l’antibiothérapie a alors été adaptée par triméthoprimesulfaméthoxazole, imipénème et amikacine). Une recherche spécifique de Nocardia otitidiscaviarum au niveau pulmonaire a ensuite été pratiquée sur un LBA et s’est avérée positive, ce qui a permis de rapporter les lésions initialement constatées sur la tomodensitométrie thoracique à une nocardiose pulmonaire. Il s’agissait donc d’une nocardiose disséminée à partir d’une plaie du membre inférieur avec localisation pulmonaire et cérébroméningée. L’évolution générale a été marquée, malgré l’introduction du traitement antibiotique adapté et le traitement anticomitial, par une aggravation neurologique avec état de mal épileptique puis état de mort encéphalique au 46e jour postopératoire de l’amputation et au 27e jour de son admission en réanimation. »

Étape « Décision thérapeutique » À cette étape du processus décisionnel, des biais de raisonnement ont également été identifiés, fi principalement : – le déni de l’impasse thérapeutique et action à tout prix ; – à l’inverse, la surévaluation d’un risque avec tendance à l’inaction thérapeutique au nom du principe de précaution « primum non nocere » ; – le sentiment erroné d’agir conformément aux recommandations. Exemple (résultats non publiés de l’auteur) d’un audit de pratiques concernant la prise en charge des nausées et vomissements postopératoires (NVPO) : 100 % des médecins interrogés connaissent l’existence de la procédure du service, 87 % en connaissent le contenu exact, 66 % pensent l’appliquer à la lettre mais

194 Enjeux éthiques en réanimation seulement 45 % des patients bénéficient fi d’une prise en charge conforme ; – le refus d’appliquer une procédure, basé sur la conviction qu’un patient est une exception que les procédures établies ne peuvent pas concerner ; – une décision basée sur des heuristiques faillibles. Lors de la survenue d’un événement indésirable, cette formalisation des prédispositions cognitives à l’erreur décisionnelle donne des pistes de réflexion fl et permet d’orienter l’examen du processus de raisonnement, analyse préalable à toute démarche de diminution du risque comme peut l’être la RMM.

Impact de la RMM sur le processus décisionnel Évaluer cet impact nécessite au préalable de rappeler la méthodologie des RMM en précisant sur quel concept elle s’appuie et quel modèle d’analyse peut être proposé. Le concept est issu des travaux de James Reason qui ont permis de démontrer que les conditions de travail (le système) étaient le facteur de la dissociation entre compétence (représentée par le savoir) et performance (résultats obtenus par l’utilisation de ce savoir). De ce concept est né le modèle dit « modèle de fromage suisse de Reason » (17) à l’origine de l’outil « analyse systémique » utilisé pour les RMM. La tranche centrale de ce modèle (fi fig. 3) représente l’opérateur de première ligne susceptible de produire des erreurs – c’est le facteur actif –, les tranches en amont représentent l’organisation de la structure (plateau technique,

gestion du personnel, politique de gestion des risques, etc.) qui peut favoriser (ou prévenir) la survenue des erreurs actives – ce sont les facteurs latents – et les tranches en aval représentent les défenses qui évitent, qu’une fois survenue, l’erreur soit dommageable. Dans ces conditions, la survenue d’un événement indésirable est l’aboutissement ultime de l’apparition synchrone d’imperfections au niveau de ces différentes ff tranches. L’intérêt de cette approche est d’admettre que l’erreur est humaine et que « nous ne pouvons pas changer la condition humaine, mais nous pouvons changer les conditions dans lesquelles l’homme travaille » (James Reason) (17), elle s’attache donc surtout à agir sur les défaillances du système (facteurs latents et défenses) et à le rendre plus sûr. James Reason (17) illustre son concept par l’analogie suivante : « les erreurs actives sont comme les moustiques, on peut les tuer un à un, mais il en reviendra toujours, le meilleur moyen de les éliminer et d’assécher l’étang (facteurs latents) où ils se reproduisent ». Pour appliquer ce modèle au secteur de la santé et permettre l’analyse des événements indésirables ou porteurs de risque, Charles Vincent a élaboré la méthode « ALARM » qui est l’une des méthodes d’investigation les plus utilisées (18). La procédure proposée se déroule en plusieurs étapes : – la première consiste à rédiger le rapport chronologique des événements qui ont abouti à l’accident. Pour cela, chaque membre de l’équipe impliquée consigne les actions et événements dont il a été acteur ou témoin afin fi de reconstituer l’histoire de façon strictement factuelle ;

DÉFENSES É

Facteurs latents Créent les conditions de l'erreur

Facteur actif

EI

Opérateur

Environnement Organisation Institution Fig. 3 – Schéma en tranches de gruyère. Selon James Reason (17) la survenue d’un accident est l’aboutissement ultime de la survenue synchrone d’imperfections du système.

Impact de la revue de mortalité et de morbidité sur le processus décisionnel en réanimation 195 – il faut ensuite identifi fier les diff fférents défauts de soins qui ont pu marquer cette chaîne. Pour chacun de ces défauts de soins, la recherche des facteurs favorisants systémiques est facilitée par l’utilisation du questionnaire élaboré par le groupe ALARM qui individualise sept « tranches de gruyère » (tableau I) : les facteurs liés au patient, liés à l’acteur de soins, liés aux procédures opérationnelles, liés au fonctionnement de l’équipe, liés aux conditions de travail, liés à l’organisation, liés au contexte politique. L’équipe de soins, aidée si possible d’un « investigateur » formé à cette technique, recherche alors tous les facteurs qui ont pu favoriser la survenue de l’erreur en utilisant la grille de questions ALARM.

bilité d’un individu ou d’une équipe. L’analyse systémique préalable permet, le jour de la réunion, l’élaboration de mesures consensuelles et adaptées au service afi fin d’améliorer la qualité des soins en agissant sur l’organisation, les moyens techniques et les moyens humains. Dans le cas présenté ci-dessus, les principales mesures retenues ont été de planifier fi une formation des équipes aux gestes d’urgence, de redéfinir fi le programme d’encadrement des nouveaux arrivants, de rédiger un protocole de retour de bloc opératoire permettant d’éviter une solution de continuité des soins, et enfin fi d’optimiser le circuit d’acheminement des prélèvements au laboratoire de microbiologie.

Un exemple est donné à propos d’un cas clinique. Il s’agit d’une patiente de 63 ans présentant une obésité avec un Body Mass Index à 42 et ayant pour antécédents un diabète de type II et une hypertension artérielle. Cette patiente, nécessitant une intervention chirurgicale pour péritonite, est admise en service de réanimation chirurgicale en fin d’intervention. Une heure 20 minutes après son arrivée, elle présente une détresse respiratoire aiguë liée à une autoextubation. La procédure de réintubation immédiatement entreprise dure 23 minutes avec un épisode d’arrêt circulatoire ayant nécessité un massage cardiaque externe et l’administration d’adrénaline. La patiente a finalement récupéré sans séquelles.

Question de réflexion fl : En cas d’erreur décisionnelle, cette démarche peut-elle permettre d’en identifier fi les mécanismes et facteurs favorisants ? Peut-elle permettre la mise en place de mesures correctrices ? La survenue d’un événement qui aurait pu causer un dommage à un patient (comme l’impossibilité d’obtenir un examen complémentaire nécessaire ou une erreur médicamenteuse, etc.) ou d’un événement indésirable (comme un décès inattendu ou la contestation d’une LATA par la famille d’un patient, etc.) peut être le révélateur d’une erreur décisionnelle. L’analyse systémique par le mode de questionnement présenté ci-dessus va permettre de mettre en évidence d’éventuelles défaillances des diff fférents facteurs du processus décisionnel identifiés fi par la

L’analyse systémique de cet événement indésirable grave est résumée dans le tableau II. La fi finalité de la RMM est de comprendre et d’apprendre ensemble à partir de cas réels pour améliorer la qualité des soins, sans rechercher la culpa-

Tableau I – Questionnaire de recherche des facteurs favorisants systémiques élaboré par le groupe ALARM qui individualise sept « tranches de gruyère ». Types de facteurs favorisants ALARM (17) Politiques

Liés à l’organisation

Liés aux conditions de travail

Liés au fonctionnement de l’équipe Liés aux procédures opérationnelles Liés aux individus Liés au patient

Facteurs contributifs Contraintes économiques ; politique de maîtrise des dépenses Contexte politique, social Disponibilités financières et contraintes de la structure Organisation générale, politique de soins de l’établissement, priorités, missions Niveau de priorité donné à la sécurité au niveau des cadres et dirigeants Politique de gestion du personnel Niveau adapté des intervenants, répartition des compétences, charge de travail et mode de relève et/ou de transmissions Ergonomie, disponibilité et adéquation du matériel nécessaire, qualité de l’entretien Qualité des relations entre soignants et administratifs, entre supérieurs et subordonnés Qualité de la communication écrite (dossiers) et orale ; qualité de l’encadrement Fonctionnement de l’équipe en tant qu’unité fonctionnelle : cohésion de l’équipe Pérennité des pratiques, leadership, dynamique d’équipe, interactions entre individus Protocoles de soins : existence, qualité, disponibilité, utilisation réelle Examens, médicaments : qualité, disponibilité, facilité d’obtention Compétences théoriques et techniques, remises à niveau, adaptation au poste Santé physique et mentale, moral, caractère État de santé : gravité, complexité, urgence Communication, langue, personnalité, problèmes sociaux

196 Enjeux éthiques en réanimation Tableau II – Exemple d’analyse systémique d’un événement indésirable grave (IDE = infirmière diplômée d’état, MAR = médecin anesthésisteréanimateur). Types de facteurs favorisants Facteurs liés au patient Facteurs liés aux acteurs Facteurs liés à l’équipe

Facteurs liés aux tâches

Facteurs liés à l’environnement

Facteurs liés à la structure Facteurs liés au contexte institutionnel

Facteurs contributifs identifiés par le groupe pour le cas clinique cité en exemple – Obésité. – Faim. – Manque de pertinence de la prescription post-opératoire. – Inexpérience de l’équipe pour la gestion de la crise. – Manque de communication IDE/MAR sur l’absence de sédation. – Absence de supervision senior/junior. – Absence de monitorage par EtCO2. – Manque de maîtrise de la procédure d’intubation en urgence. – Défaillance de l’appel d’urgence. – Absence de procédure interne de prise en charge au retour du bloc opératoire. – Diffi fficultés d’accéder à la tête du patient. – Problème du ballon à usage unique. – Organisation simultanée du départ au bloc opératoire d’un autre patient. – Rupture dans la continuité des soins. – Manque d’expérience de l’équipe (rotation importante). – Organisation défaillante de l’acheminement des prélèvements biologiques. – Aucun.

construction du diagramme d’Ishikawa. Certaines de ces défaillances, en particulier celles liées aux moyens matériels, au milieu, à l’application d’un règlement ou d’une recommandation sont assez facilement reconnues. En revanche, les erreurs cognitives ne peuvent être appréhendées qu’à travers l’autodescription que peuvent en faire les acteurs de soins. La première étape de la méthode ALARM est alors primordiale car c’est un moment privilégié qui permet à chacun de s’exprimer individuellement ou en groupe, de s’interroger sur ses pratiques et de « réfléchir fl sur sa procédure de raisonnement ». La participation d’un investigateur neutre, en qui les acteurs ont toute confiance, fi est indispensable. Il permet de guider cette démarche métacognitive par la connaissance des prédispositions cognitives à l’erreur exposées dans le paragraphe précédent. Ainsi, vont être obtenues des réponses comme « ce diagnostic ne m’a jamais traversé l’esprit », « j’avais peur de ne rien faire », « le traitement a bien marché sur un autre patient qui avait un problème équivalent », « les collègues aiment bien cette nouvelle molécule », « je me suis fié fi à ma mémoire », « je pensais avoir correctement appliqué la procédure », etc. Cette prise de recul par rapport aux processus cognitifs va permettre l’élaboration collective de stratégies de prévention des erreurs décisionnelles. Elles peuvent s’exercer à différents ff niveaux, d’une part en créant un environnement qui tend à sécuriser le processus décisionnel, d’autre part en permettant aux acteurs de soins de progresser individuellement.

Sécuriser le processus décisionnel au niveau de la structure Organisation L’organisation du travail et les moyens humains déployés doivent tendre à diminuer le stress, la pression liée au facteur temps et rendre la charge de travail « raisonnable ».

Équipement La stratégie d’équipement doit permettre le développement des systèmes d’information en particulier par : – l’informatisation du dossier médical des patients qui permet de limiter la perte d’information sur l’histoire du patient liée aux difficultés ffi d’accès aux dossiers archivés, au morcellement du dossier entre différents ff secteurs et/ou à la disparition de certaines parties ; – l’informatisation de la récupération des résultats des examens complémentaires dont il est démontré qu’elle améliore significativement fi la qualité des soins (19) ; – la sécurisation du circuit du médicament par l’informatisation de la prescription qui bloque les prescriptions incompatibles, les erreurs de dose et élimine les erreurs liées aux prescriptions illisibles ou aux abréviations. Néanmoins, elle peut en elle-même être également source d’erreur, par exemple une erreur de pointeur sur le menu peut conduire à prescrire le mauvais médicament pour le mauvais patient. L’Agence américaine du médicament a ainsi trouvé que

Impact de la revue de mortalité et de morbidité sur le processus décisionnel en réanimation 197 8,2 % des erreurs médicamenteuses potentiellement dommageables étaient liées à des erreurs de prescription informatisée ; – l’aide à la prescription sous forme de liens électroniques qui peut permettre d’améliorer la conformité des décisions du praticien aux recommandations sous réserve d’être bien ciblés et de ne pas générer de surcharge cognitive. L’acceptation par les équipes de soins de ces systèmes d’information nécessite que leur bénéfice fi soit évident, que leur utilisation soit facilitée par des temps de connexion rapides et qu’elle soit intégrée aux tâches cliniques quotidiennes.

Sécuriser le processus décisionnel au niveau du service – Organiser des audits de pratiques permettant d’objectiver le taux d’observance des recommandations et, si nécessaire, de mettre en place des mesures d’amélioration, démarche pouvant permettre la validation de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). – Favoriser l’appropriation des recommandations des sociétés savantes correspondant au recrutement spécifique fi du service par la rédaction de procédures internes. – Soutenir la mémoire des praticiens par l’affi ffichage de quelques « pense-bêtes » essentiels. – Organiser des réunions de formation médicale continue ciblées et régulières. – Organiser des séances d’entraînement à la prise de décision en situation instable sur simulateur avec enregistrement vidéo permettant d’analyser collectivement, pour les améliorer, les conduites de chacun. – Organiser des retours d’information les plus rapides et fiables possibles afi fin de permettre une prise de conscience et une correction rapide des erreurs.

Sécuriser le processus décisionnel au niveau de l’individu – Participer à des formations médicales complémentaires sous diverses formes (diplôme d’université, stages, congrès, etc.) permettant d’augmenter son savoir et/ou son savoir-faire ; – Faire l’apprentissage de la métacognition c’està-dire apprendre avec le recul à analyser sa propre prise de décision, apprendre à réfléchir fl sur les mécanismes de sa propre pensée et apprendre à identifier fi les biais prédisposant à l’erreur décisionnelle tels qu’ils ont été évoqués précédemment. Le bénéfice fi attendu de cette stratégie est de limiter les erreurs de raisonnement et de diminuer les erreurs de diagnostic. Il ne faut ce pendant pas méconnaître le

risque paradoxal de retard décisionnel auquel elle expose par excès anxiogène d’analyse (11). Au total, il apparaît donc que les RMM sont des outils performants de mise en évidence et d’analyse des erreurs décisionnelles. D’une part, les erreurs deviennent, par l’analyse systémique, une source d’apprentissage permettant une réflexion fl collective qui a un rôle fédérateur. D’autre part les mesures correctrices qui en émanent permettent d’agir sur les facteurs prédisposant aux erreurs de décision qui, en réanimation, sont des erreurs associées à une morbi-mortalité élevée alors qu’elles apparaissent souvent évitables. Par son avant-propos, le guide méthodologique de la HAS (1) permet de conclure que la RMM « présente un intérêt pédagogique en favorisant l’accroissement des connaissances grâce au retour d’expérience réalisé et un intérêt éthique en se préoccupant du service rendu au patient grâce à la réflexion fl menée sur les conséquences des actes réalisés. Enfi fin, elle possède une action structurante sur les équipes en mettant en place une organisation réactive et apprenante entre les professionnels de santé qui se l’approprient » La démarche, bien qu’étant un stimulant intellectuel, peut apparaître coûteuse en temps et en énergie, mais comme l’a écrit Émile PapiernikBerkhauer, c’est « par le travail et la volonté de professionnels passionnés que les progrès deviennent réalité. Ils permettent de comprendre ce qu’il faut faire pour continuer d’avoir une médecine accessible à tous, améliorer la qualité des soins, la sécurité et la prévention ».

Références 1. Haute Autorité de Santé (2009) Revue de mortalité et de morbidité. Guide Méthodologique. Téléchargement gratuit sur www.has-sante.fr 2. Ishikawa K (2002) La gestion de la qualité. Dunod, Paris 3. Llorca G (2003) Du raisonnement médical à la décision partagée. Introduction à l’éthique en médecine. MEDLINE Éditions, Paris 4. Grenier B (1999) Évaluation de la décision médicale. Introduction à l’analyse médico-économique. Masson, Paris 5. Amalberti R (2003) Complications : défaillances de l’organisation et dérives des sytèmes humains. In : Marty J (ed) Organisation, qualité, gestion du risque en anesthésie-réanimation. Masson, Paris, p. 239 6. Valentin A, Capuzzo M, Guidet B et al. (2009) Errors in administration of parenteral drugs in care units: multinational prospective study. BMJ 338 : b814 7. Park K (1997) Handbook of human factors and ergonomics. Salvendy G, New-York, p. 150-73 8. Neale G, Woloshynowych M, Vincent C (2001) Exploring the causes of adverse events in NHS hospital pratice. J R Soc Med 94: 322-30 9. Chellis M, Olson J, Augustine J, Hamilton G (2001) Evalution of missed diagnoses for patients admitted from the emergency department. Acad Emerg Med 8: 125-30

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Chapitre

Burn out en anesthésie-réanimation

21

G. Mion, N. Libert, F. Petitjeans, D. Journois

Concept de burn out

L

e syndrome d’épuisement professionnel, « burn out syndrome » (BOS) des Anglo-Saxons (1) dont l’avatar ultime serait le karoshi nippon (la mort par le travail), bénéfi ficie depuis quelques années d’une attention croissante de la part des soignants (2). Particulièrement touché, le milieu de l’urgence, de l’anesthésie et de la réanimation a vécu jusqu’à récemment sur le mode du déni, d’autant que l’imaginaire collectif confond volontiers le BOS avec les périodes ponctuelles (nombreuses, certes) de stress aigu qui émaillent nos existences nourries de poussées d’adrénaline. Dans l’atmosphère sociétale actuelle, dont la chronique est défrayée par des suicides en série très médiatisés, les tutelles vivent dans la hantise d’une instrumentalisation de phénomènes considérés comme le fl fléau d’une minorité, potentiellement revendicatrice et volontiers taxée de fragilité. Ceci, en pratique, dédouane le système. Diffi fficile à appréhender, le BOS est contenu dans les limites d’un concept tridimensionnel (voir ci-après), toutefois mesurable par des scores validés (1). Il est fondamental de comprendre qu’il résulte de contraintes chroniques qui dépassent les capacités d’adaptation des individus (3, 4). Même les hommes les plus vaillants ont des limites, et l’eau qui coule finit toujours par éroder la roche. On estime que le BOS met entre un et cinq ans à s’installer. La symptomatologie avérée n’est donc que la partie émergée de l’iceberg. Fréquent dans presque toutes les professions, il s’est littéralement abattu sur les médecins et les infi firmières (5). Les états d’épuisement au travail ont commencé à être décrits en 1959 par Claude Veil, mais l’expression burn out syndrome apparaît dans les années 1970 dans le champ sémantique social américain. Sur la côte Est des États-Unis, la description princeps du psychanalyste Herbert Freudenberger mettait en avant une part de frustration, instillée par L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

un sentiment d’échec professionnel chez des individus particulièrement investis dans leur métier (le vocabulaire courant parle de « flamme fl » ou de « feu sacré »). Il avait déjà remarqué l’état d’épuisement physique sous-jacent qui « consumait » le soignant et écrivait à ce propos que les « gens peuvent être victimes d’incendie, comme les immeubles ». Sur la côte Ouest, c’est Christina Maslach qui élabore à Berkeley un instrument de mesure de référence, discriminant, le Maslach Burn out Inventory. Avec ses 22 items, cotés chacun de 0 à 6, le MBI fait du BOS un paradigme, décrit en trois composantes que l’analyse ne peut réduire à une seule dimension et qu’il n’est pas licite de simplement additionner (1) : – l’épuisement émotionnel ; – la déshumanisation de la relation au patient ; – la perte du sentiment d’accomplissement personnel. L’épuisement n’est pas seulement émotionnel, la sensation physique de fatigue est une caractéristique fondamentale, certainement la plus visible du BOS. Bien que ses déterminants psychiques soient importants, la charge de travail et la demande de productivité forment un soubassement majeur du BOS (1). Critère pratiquement nécessaire, l’épuisement n’est cependant pas suffi ffisant pour défi finir le syndrome. La déshumanisation de la relation au patient, qui fait initialement le sens de nos professions, est un aspect beaucoup plus spécifi fique. On parle d’attitude indiff fférente, voire de cynisme. Pour certains, la déshumanisation surviendrait en réaction à l’épuisement, dans une tentative du soignant de se protéger d’une proximité épuisante avec la souffrance ff du patient en lui déniant sa dimension humaine (réifi fication). Cette opinion est controversée. En tout état de cause, ces deux premières composantes du BOS sont le plus souvent fortement corrélées.

202 Enjeux éthiques en réanimation La perte du sentiment d’accomplissement personnel, qu’on peut attendre d’un métier d’aide, est une dimension plus complexe à analyser. Alors que l’épuisement et la déshumanisation pourraient être en rapport avec la charge de travail et les tensions interpersonnelles, la troisième composante du BOS pourrait être connectée avec le manque de soutien et de ressources, l’absence de « tissu » social : absence de soutien familial, diminution du temps consacré aux rapports sociaux extraprofessionnels (sport par exemple), absence de valorisation de la part de la hiérarchie, moyens humains inadéquats, indifférence ff du milieu du travail, déni, notamment, de la problématique de la santé au travail. Ces travaux pionniers qui ont œuvré pour une défifi nition du concept ont été qualifiés fi par le monde scientifique fi de l’époque de « pop-psychologie ». Si le BOS inspire encore de la méfiance fi en France, contrairement aux pays anglo-saxons, l’Espagne ou la Belgique, qui se sentent concernés depuis longtemps, des équipes françaises reconnues commencent à publier sur le sujet, dans des revues réputées jusqu’à présent pour leur orientation plutôt clinique (6). Mais le déni reste prégnant : deux tiers des médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR) estiment que les « vrais » professionnels peuvent faire abstraction de leurs problèmes personnels (7). Dans l’héroïsme du sacerdoce, qui est prêt en effet ff à confesser fatigue, addictions ou difficultés ffi relationnelles et familiales ? Cependant, l’inéluctable évolution sociétale, le vieillissement connu de la pyramide des âges, le glissement vers une part plus grande faite à l’individu, l’exigence de sécurité et d’amélioration continue de qualité infléchissent fl désormais cette façon de se taire.

Sommes-nous menacés par le burn out syndrome ? En France, 47 % des médecins libéraux, dont la première cause d’invalidité est psychique (38 % en 2005) et de 10 à 48 % des infirmières fi ont des scores élevés de burn out (5). En Belgique, une enquête de 166 questionnaires détectait un épuisement émotionnel chez 38 % des répondants et une étude écossaise montrait en 2001 des taux comparables (42 %) d’épuisement émotionnel chez les infirmières fi (8). Les 565 questionnaires de l’enquête SESMAT (2007-2008) ont révélé que 42 % des urgentistes avaient un score élevé d’épuisement physique et psychique au Copenhaguen Burn out Inventory et 23 % à la composante épuisement émotionnel du MBI. Près d’un tiers déclarait recourir à des

psychotropes et un quart avoir des troubles de la santé mentale. Dans les spécialités astreintes à la prise de gardes nocturnes, 43 % des praticiens avaient des scores élevés de confl flit entre travail et vie familiale (2). En 2007, Embriaco et al. ont publié l’analyse d’un questionnaire adressé à un millier de réanimateurs français des hôpitaux publics. Avec plus de 80 % de réponses, la population étudiée peut être considérée comme représentative. Or l’étude identifiait fi 46 % d’individus concernés par des scores élevés au MBI. Le sexe féminin (Odds Ratio = 1,6), mais surflit avec un collègue (OR tout l’existence d’un confl = 2,7) ou une infi firmière (OR = 1,7) étaient significativement liés en analyse multivariée à un score élevé au MBI. La charge de travail était significafi tivement impliquée, mais de façon marquée seulement lorsqu’on s’intéressait aux nuits de gardes précédant immédiatement l’évaluation (OR = 1,6). Le questionnaire que nous avons mis en ligne en 2009 sur le site de la Société française d’anesthésie réanimation (SFAR) a permis d’obtenir plus de 1 600 réponses. C’est à la fois beaucoup et peu, si l’on considère qu’il pouvait atteindre tous les médecins anesthésistes-réanimateurs et IADE francophones. La population explorée ne saurait être considérée comme un échantillon représentatif. Il y a proportionnellement peu d’IADE (204, moins de 13 %). Composée de médecins anesthésistes-réanimateurs, essentiellement (plus de 1 000, deux tiers pratiquant dans le secteur public, le reste dans le privé), cette étude incorpore toutefois un contingent de réanimateurs (241 soit 15 %) suffi ffisant pour une mise en perspective avec le travail d’Embriaco et al. (fi fig. 1). Les résultats sont édifi fiants : si l’on ne prend en compte que les scores élevés au MBI (selon la défifi nition de Maslach), 58 % des individus sont concernés. Par ailleurs, 35, 17, et 5 % des répondants ont respectivement une, deux ou trois des composantes du score dans la « zone rouge » (fig. fi 2). Un parallèle avec l’enquête SESMAT permet de redimensionner la prévalence du BOS chez les MAR, mais confirme fi surtout les résultats qualitatifs sur les variables expliquantes (covariables). L’analyse de la distribution des scores individuels d’épuisement émotionnel (coté de 0 à 54) et de déshumanisation de la relation thérapeutique (0 à 30) montre qu’en réalité peu de soignants sont totalement épargnés. Comme Jean de La Fontaine l’aurait constaté : « ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés » : moins de 10 % réunissent des scores faibles dans les trois dimensions du MBI. On observe une corrélation significative, fi déjà mentionnée, entre les deux premiers items, mais qui n’explique que 26 % de la distribution globale. Le calcul d’un coeffi fficient alpha de Cronbach

Burn out en anesthésie-réanimation 203

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204 Enjeux éthiques en réanimation (mesure de la consistance interne des échelles subjectives inclues à l’intérieur de scores), trop faible, confi firme que ces trois dimensions ne peuvent être purement additionnées (pour les deux premières) ou soustraites (pour la composante accomplissement personnel). Le BOS reste donc un concept pluridimensionnel qu’il serait vain de réduire à une simple échelle analogique.

Aux racines du mal Relations entre BOS et pression de production En France, la réduction du temps de travail, qui a été diminué par deux depuis 1835, s’est accompagnée d’une multiplication par vingt de la productivité. Bien que fatigue et stress soient pourvoyeurs d’erreurs médicales, la « pression de production », jusqu’alors confinée fi à l’exercice privé, s’étend au service public, où l’obsession du « zéro déficit fi » menace de faire des ravages (9). Plus qu’une situation ou une personne, le stress (« contrainte », « tension », voire « oppression ») met en jeu la transaction entre environnement et individu. La pression de production, qui fait de l’individu une machine et du travail une activité standardisée, est responsable d’un stress chronique (on parle de stresseurs) qui affecte ff les individus et les rapports entre individus. La moitié des internes et plus du quart des seniors estiment dépasser la durée de travail raisonnable pour la sécurité de leurs patients et 63 % et 40 % respectivement, pour leur propre santé. Les gardes sont considérées comme un des aspects les plus stressants du métier (2, 10). Contrairement à un préjugé, ce n’est pas le « stress aigu » qui érode, car la poussée ponctuelle d’adrénaline des situations urgentes est considérée comme du « bon stress » et représente un élément de l’attractivité de notre métier. En revanche, les dettes de sommeil s’accumulent au prorata du nombre de gardes (11, 12). La rupture du rythme circadien (Shift-Work Sleep Disorder) altère les activités sociales et familiales, augmente la fréquence des ulcères digestifs, des accidents liés à la somnolence, l’absentéisme et les syndromes dépressifs (13).

Positions respectives de la fatigue, du stress et de la dépression L’analyse univariée de l’enquête 2009 montre un lien significatif fi entre charge de travail et fatigue (p < 0,02), fatigue et BOS (p < 0,00001). En anesthésie, défaillance humaine et fatigue sont incriminées dans plus de 80 % des accidents (14)

dont le taux croît exponentiellement avec la durée du travail et bondit de 30 % lors du travail nocturne. La vigilance des internes privés de sommeil approche de celle de patients narcoleptiques (15) car les perturbations cognitives sont comparables à une imprégnation alcoolique qui interdirait de conduire (16). Cet effet ff contreproductif de la fatigue est matérialisé par le fait que l’allégement d’« horaires à l’américaine » divise par deux le taux d’erreurs évitables (17). C’est vraisemblablement l’aspect économique de ce problème qui fera évoluer les mentalités et surtout les comportements. Au-delà d’un risque hypothétique pour les patients, le stress, la fatigue et le BOS accroissent les scores d’anxiété, d’irritabilité et de dépression. Les médecins ont un risque doublé de suicide par rapport à la population générale, chez les femmes médecins, le risque est triple (18). On sait que les MAR eux-mêmes ont un risque accru de toxicomanie (11 % d’addiction dont 60 % d’éthylisme) et de suicide (19). C. Maslach avait déjà observé que BOS, anxiété et dépression étaient signifi ficativement liés. L’analyse multivariée de l’enquête SFAR 2009 confirme fi un lien indépendant très significatif fi (p < 0,0002 %) entre BOS et dépression et une corrélation entre score de dépression et nombre d’items dénombrés comme élevés au MBI. Le recouvrement partiel du BOS et de la dépression est une source connue de confusion. Le lien reste relativement lâche (R² = 20 %, mais monte à 40 % si on catégorise le BOS, voir ci-après). Bien que certaines données puissent laisser penser que le BOS est lui-même une forme de pathologie psychique, on admet qu’il reste une entité distincte des pathologies répertoriées dans la classification fi DSM IV. Alors que la dimension dépressive et la fatigue peuvent être parfois l’aspect sous lequel l’état préoccupant du soignant se dévoile à ses collègues, et que l’insatisfaction au travail ne suffit ffi pas à défi finir un BOS, on sait que trois caractéristiques permettent de distinguer le burn out des soignants : la spécificité fi du contexte de travail, la réifi fication du patient (8) et le sentiment d’échec très focalisé sur le métier. Les troubles dépressifs prédisposent au BOS (1). Il n’en demeure pas moins que le BOS peut finir fi par envahir toute la sphère de la vie personnelle et coexister avec des tableaux anxieux, dépressifs, addictifs et de conjugopathies. Si les problèmes familiaux peuvent déteindre sur le milieu de travail, les personnes particulièrement impliquées, perfectionnistes, qui ont une propension à douter d’elles-mêmes, emportent à domicile, le soir et souvent la nuit, les tensions vécues dans leur travail. Cette bijection entre vie personnelle et travail, où nous passons l’essentiel de notre existence, peut,

Burn out en anesthésie-réanimation 205 dans ces conditions, amorcer des cercles vicieux diffi fficiles à rompre. En particulier, on sait que les arrêts de travail de courte durée sont un indicateur fiable de la détérioration des conditions de travail dans les entreprises. Les individus ne sont pas encore en burn fflent, ne savent plus comment out, mais s’essouffl récupérer (9). Si cette alarme n’est pas prise en compte, le retour au travail n’est qu’un prélude à une rechute à plus ou moins court terme, à des arrêts de travail de plus en plus prolongés à moyen terme, parfois au changement d’activité.

Troisième dimension du BOS Le stress psychologique et l’épuisement ne sont pourtant qu’une face de l’aspect ultime du surmenage. Les racines du burn out sont celles d’une mauvaise satisfaction au travail. La cause en est le plus souvent une dévalorisation chronique (8), reflétée fl par la faiblesse des scores d’accomplissement personnel : activité répétitive, faible participation aux décisions, absence de contrôle du temps de travail, horaires abrutissants, confl flits entre travail et vie personnelle, tensions avec les patients, mauvaises relations au sein de l’équipe, harcèlement de la part d’un supérieur hiérarchique. Alors qu’un des motifs de BOS chez les médecins généralistes est la bureaucratie de plus en plus écrasante, les infirmières fi souff ffrent particulièrement du morcellement des tâches et des interruptions incessantes de leur travail. Elles souff ffrent aussi du manque de contrôle et des positions éthiques contradictoires (double contrainte) qu’elles subissent dans leur confrontation avec la mort ou des situations diffi fficilement supportables (8). En ce qui concerne les MAR, l’enquête SFAR 2009 est instructive : alors que l’application du repos de sécurité est en voie de normalisation depuis 2003 (il est désormais appliqué dans deux tiers des cas), c’est la façon dont il est perçu dans l’équipe qui est liée significativement fi au développement d’un burn out en analyse univariée. Ainsi, le fait que le repos de sécurité soit institutionnalisé ou non, qu’il soit appliqué ou non, ou enfi fin qu’il soit consacré au repos ou non, n’est pas une covariable impliquée dans l’apparition du BOS (un mémoire soutenu en région PACA a cependant montré l’inverse). En revanche, quand des reproches accablent le médecin qui applique le repos de sécurité ou si lui-même se sent coupable de le prendre, il a davantage de risques d’avoir un score élevé au MBI. De même, si le sexe joue un rôle, connu (les femmes sont plus à risque parce qu’elles cumulent un deuxième métier fait d’obligations domestiques, mais le sexe féminin est au contraire un facteur

indépendant protecteur dans notre étude : OR = 0,58), l’âge, le lieu d’exercice, le statut et même la charge de travail semblent avoir moins d’influence. fl En revanche, l’analyse univariée confi firme (5) que l’existence de confl flits interpersonnels est très significativement liée aux scores élevés de burn out. La vie en couple a, au contraire, un certain eff ffet protecteur, mais n’est pas un facteur indépendant en analyse multivariée. Une covariable liée de façon indépendante au BOS est, en revanche, dans l’étude SFAR 2009 l’intention de quitter la profession (p < 0,04 en régression logistique), ce qui a été démontré dans l’étude SESMAT (2). Lorsqu’on catégorise les scores de BOS en cinq classes (pas de BOS, scores modérés, score élevé dans 1, 2 ou 3 dimensions du MBI), on est frappé d’observer une liaison très forte entre intensité du BOS et désir de quitter la profession (fig. fi 3).

Causes ou conséquences ? Il est clair que lien ne signifie fi pas rapport de causalité. Les confl flits peuvent être des facteurs de BOS, comme le BOS peut être facteur de conflits. fl Toutefois, les contacts humains et la communication dans une ambiance bienveillante sont un moyen de prévention identifié fi du burn out (20). Le harcèlement moral, par des supérieurs qui sont souvent en burn out eux-mêmes (et on sait que le BOS, comme la fatigue, est perçu par un tiers de ses victimes seulement), est un facteur identifié fi de BOS ; le manque de soutien du milieu social l’est également. En revanche, un certain nombre de nouveaux managers, alarmés par la dimension inquiétante que prend le malaise dans l’entreprise ou dans les structures hospitalières, parlent désormais d’« écologie humaine », de réintroduction de « sens » dans nos vies professionnelles de plus en plus mécanisées, voire de « management par la bonté ». Il est évident que le défi fi est d’envergure, quand on sait le coût croissant de la production des soins dans une société globalement appauvrie, l’inversion du rapport offre-demande ff depuis l’introduction il y a plusieurs dizaines d’années du numerus clausus, la diminution d’attractivité des spécialités dont la charge en gardes ou en horaires nocturnes est de plus en plus lourde. Il est probable que la réorganisation a des limites. Les semaines dureront longtemps encore sept jours (et surtout sept nuits…), le vieillissement de la population et la détérioration de sa santé ne sont pas un phénomène en passe de s’améliorer. Mais force est de convenir que valoriser son équipe, s’enquérir de temps à autre de la vie familiale de ses collaborateurs, prendre la bonne habitude de

206 Enjeux éthiques en réanimation

80 Désir d‘arrêter prématurément d’exercer (%) 70 p < 0,00001

60 50 40 30 20 10 0 0

1

2

3

4

Fig. 3

remercier pour le travail effectué, ff parfois de façon héroïque, souvent de façon transparente au quotidien, font beaucoup pour la prévention de l’épuisement émotionnel et le sentiment d’accomplissement des soignants. Un sourire bienveillant ou un mot gentil ne coûtent pas très cher à la société… Une étude récente confirme fi que 83 % de 380 personnes qui ont été tirées au sort pour répondre à un questionnaire du Service de santé des armées considèrent que la reconnaissance est un élément déterminant de leur moral.

Quelles autres pistes ? En amont, un enseignement spécifique fi du BOS devrait être dispensé au cours des études autant que de la formation continue. Les stratégies de « coping » qui permettent de réduire ou de rendre tolérables les contraintes externes exercées (les stresseurs) sur les individus devraient être enseignées. La formation des chefs d’équipe est cruciale, moins dans un but de productivité que dans une perspective humaniste, fondement de nos valeurs : prévention du suicide et des conduites addictives, réflexion fl sur la place de l’entraide, de la communication, de la bienveillance au sein des équipes. Le chef de service devrait veiller à ce que les personnels sous ses ordres perçoivent une reconnaissance équitable pour le travail quotidien qu’ils effectuent. ff

Il est évidemment fondamental de prévenir mais aussi de détecter les cas de burn out avérés et d’entreprendre les mesures nécessaires à la fois au soutien de la personne concernée, mais aussi à la détection des facteurs d’équipe ou organisationnels qui peuvent expliquer le phénomène. Plusieurs sites nord-américains comme le « Programme d’aide aux médecins du Québec » (http://www.pamq. org/) ou européens, comme le « Programme d’attention intégrale pour le médecin malade » (http:// paimm.fgalatea.org/fra/presentacio.htm) et « Sick Doctors » (http://www.sick-doctors-trust.co.uk/), donnent une idée du chemin qu’il nous reste à parcourir. On pourrait imaginer d’inclure dans les critères de sélection à des métiers soumis à des contraintes physiques, comme la prise de garde, ou psychologiques, comme la confrontation quotidienne à des situations pénibles, parfois insupportables, une capacité physiologique à récupérer et à dormir correctement ou une aptitude à garder la « bonne distance » par rapport au malade (empathique, ni excessive, ni dépersonnalisée). Ces atouts ne seraient pas des armes moins utiles que la maîtrise des mathématiques, mais il semble illusoire de vouloir contrôler des paramètres protecteurs aussi aléatoires que la « hardiesse », un profil fi de personnalité caractérisé par ce qu’on appelle un « locus of control » interne (5). L’analyse, la construction, la verbalisation surtout, autour des écueils de la relation soignants-soignés dans des groupes de type Balint, très peu pratiquée

Burn out en anesthésie-réanimation 207 en France, voire pas du tout, apparaissent pourtant aussi essentielles que des structures de dépistage, d’information, d’accompagnement et de prévention. Enfi fin, si la recherche s’est beaucoup développée dans ce domaine au niveau international, les études publiées sont, pour l’essentiel, de type transversal. De rares études longitudinales, qui devraient être encouragées, montrent comment un épisode de burn out peut influencer fl la vie professionnelle ultérieure d’un soignant, et comment les changements dans les stresseurs professionnels peuvent prédire les fluctuations d’incidence du BOS (1).

Conclusion Dans le domaine de la prise en charge du BOS, nous devons assumer trente ans de retard sur les Anglo-Saxons. Croire que nous le rattraperons facilement serait illusoire. Pouvoir lever un coin du voile, du silence, de « l’omerta » serait certainement un immense progrès, prélude à l’organisation de la prise en charge et surtout de la prévention du BOS, raison pour laquelle la SFAR a organisé en 2009 une session sur ce thème et pour laquelle le CFAR travaille depuis bientôt un an sous l’égide du docteur Max André Doppia (groupe SMART). Si la continuité des soins s’impose à tous, les ajustements aux perturbations des rythmes biologiques et dans la vie familiale ou sociale, induites par le travail, sont plus ou moins efficaces ffi selon les individus. Ignorer que des soignants fatigués, irritables, voire en burn out, ont peu de chance de soigner correctement les malades est contre-productif. Les clichés qui prétendaient, il y a peu, que repos de sécurité, qualité de vie des soignants ou « management par la bonté » riment avec baisse du professionnalisme ou de l’effi fficience, commencent à être battus en brèche, y compris dans le secteur privé. Le « présentéisme », addiction au travail si valorisée, peut recouvrir des diffi fficultés familiales, quand ce n’est un authentique burn out. Mais un milieu de travail qui participe à la qualité de vie des soignants, qui n’exclut pas systématiquement que travailler soit aussi un plaisir, améliore les soins prodigués aux malades, ne serait-ce qu’en diminuant les scores eff ffarants de déshumanisation mesurés au MBI.

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Chapitre

Conduites addictives chez les professionnels de santé

22

Francis Bonnet

Introduction

L

es professionnels de santé exercent des métiers caractérisés par l’existence de contraintes et de stress liés aux conditions de travail. Ces caractéristiques existent également dans d’autres milieux professionnels hors du domaine de la santé et sont intimement liées aux conditions de travail et à son organisation. Un certain nombre de médecins ou d’autres professionnels de santé sont susceptibles de développer des conduites addictives dont l’objet est de pouvoir surmonter leurs diffi fficultés professionnelles. Même si des facteurs personnels ou familiaux peuvent rendre compte de ces conduites, l’environnement professionnel joue un rôle important (1-4). Par ailleurs le milieu de l’anesthésie-réanimation et de médecine d’urgence se caractérise par l’opportunité unique de disposer et d’utiliser des substances psychoactives hautement toxicomanogènes. L’exposition quotidienne aux substances toxicomanogènes fait courir un risque particulier aux professionnels travaillant dans ces milieux et concernés par la toxicomanie, et pose des problèmes pour leur réinsertion professionnelle lorsque la toxicomanie est avérée. La toxicomanie aux drogues illicites est vécue à juste titre comme un problème dramatique mais son évocation a tendance à masquer le fait qu’elle ne représente qu’une proportion très faible des dépendances chimiques qui incluent, bien entendu, les drogues licites que sont le tabac et l’alcool, mais aussi les antidépresseurs ou les sédatifs. Une des caractéristiques importantes de la toxémie en milieu professionnel, outre son lien avec les conditions de travail, est la bonne insertion sociale des sujets qui en sont aff ffectés. De ce fait, le diagnostic est souvent très tardif dans l’évolution de la toxicomanie et la prise en charge n’en est que plus difficile ffi d’autant qu’elle se heurte comme nous le verrons au déni du patient lui-même et souvent à celui de son entourage familial et même professionnel. L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

Prévalence de la toxicomanie chez les soignants Plusieurs enquêtes eff ffectuées dans les pays anglosaxons ont permis d’apprécier l’importance du phénomène. La littérature anglo-saxonne permet d’estimer que 1 à 3 % des médecins anesthésistes en exercice seraient concernés par l’abus ou la dépendance aux substances psychoactives (5-7). Ce chiff ffre serait plus élevé chez les internes en anesthésie-réanimation pouvant atteindre jusqu’à 5 % (1, 8-11). En France, une enquête nationale menée en 2001 (décembre) a retrouvé 1,5 % de sujets pouvant être considérés en état d’abus ou de dépendance vis-à-vis de substances illicites (12). Ils ne représentaient que 15 % de l’ensemble des sujets touchés en situation d’addiction, mais en revanche près de 60 % des cas concernaient l’alcool. Ce type de résultat n’est d’ailleurs pas une spécififi cité nationale, l’alcool étant la principale substance addictogène, qu’elle soit consommée seule ou en association à d’autres substances (2). Au total, le nombre de sujets concernés par une consommation de substances licites ou illicites sur le lieu de travail représentait près de 11 % du total, un chiffre ff voisin de ceux rapportés dans la littérature anglosaxonne (2, 3). L’addiction n’est cependant pas une spécificité fi du milieu de l’anesthésie réanimation et des urgences à l’inverse de ce qui a pu être suggéré (5) et même si elle revêt certaines caractéristiques spécifi fiques à ce milieu. La particularité toxicologique du milieu anesthésique est probablement l’usage des opiacés par voie intraveineuse et des agents anesthésiques en général lié à la facilité de se procurer ces substances (13, 14). Cet usage répété conduit à une accoutumance de telle sorte que les quantités détournées des patients et autoadministrées augmentent avec le temps. Les utilisateurs, anesthésistes ou réanimateurs, pensent souvent que leur connaissance de la pharmacologie de ces substances les protège contre le risque d’addiction. Les usagers de substances psychoactives consomment régulièrement plusieurs types

210 Enjeux éthiques en réanimation de substances dont l’une d’entre elles est prédominante. Les substances consommées sont, outre les opiacés, les benzodiazépines, les neuroleptiques, le protoxyde d’azote, la kétamine et même le propofol. Toutes ces substances, malgré les effets ff de l’accoutumance, font courir un risque vital aux toxicomanes, notamment en raison du risque d’un surdosage ou d’une erreur médicamenteuse (par exemple, injection de curares). L’usage de substances psychostimulantes existe également chez d’autres spécialistes ayant un mode de fonctionnement bien diff fférent, comme par exemple les médecins généralistes. Le choix des substances est éventuellement diff fférent, encore que l’alcool soit la première substance concernée dans tous les cas de figure. Dans ces cas, c’est l’isolement professionnel qui est mis en avant comme principale source de diffi fficultés pouvant initier l’addiction. La comparaison avec la population générale est encore plus diffi fficile si tant est qu’elle ait un sens. Cependant on retrouve dans certains milieux professionnels la prise de tranquillisants ou à l’inverse de substances psychostimulantes telles que la cocaïne en lien plus ou moins direct avec les conditions de travail (désir de rester performant, de faire face à des échéances ou au contraire de se soustraire à un stress professionnel). Si les milieux de l’anesthésie réanimation et de la médecine d’urgence ont un taux de toxicomanie comparable aux autres, l’usage de substances peuvent avoir des conséquences parfois plus dramatiques. Ainsi le taux de suicide est deux fois plus important au cours de la vie professionnelle chez les médecins anesthésistes qu’il ne l’est chez les internistes nord-américains même si les chiff ffres ne représentent heureusement qu’une minorité (respectivement 1 % et 2 %) des causes de décès dans la population professionnellement active (15). Ces données sont confirmées fi par une enquête portant sur une cohorte de 20 000 spécialistes néozélandais suivis sur une période de 30 ans, qui montre que le taux de suicide est deux fois plus élevé chez les anesthésistes qui ont également un risque de cirrhose plus élevé (16). Au Royaume-Uni, une enquête de prévalence montre que les anesthésistes sont les spécialistes qui ont le taux de suicide le plus élevé avec un risque relatif presque sept fois supérieur à la moyenne (17).

Addiction et modififications comportementales au travail L’usage « abusif » d’une substance (substance abuse) correspond à une consommation qui provoque une modification fi physique, psychologique, émotionnelle ou une nuisance sociale et conduit à une

incapacité pour l’individu concerné mais n’implique pas la recherche compulsive. Il peut constituer une étape préliminaire. L’usage préalable, à visée récréative, de substances psychostimulantes est ainsi plus fréquent dans la population des médecins devenus toxicomanes que dans la population médicale de référence (1-4). La dépendance est caractérisée par une recherche ou une consommation compulsive de la (ou des) substance(s) concernée(s), par un usage croissant et une tolérance aux produits et par l’apparition d’un ensemble de troubles et de symptômes lors de l’arrêt de la consommation. La toxicomanie s’associe à des troubles du comportement dont l’amplification fi au fil du temps conduit un jour ou l’autre au diagnostic mais qui peuvent pendant longtemps être extrêmement discrets et diffi fficiles à détecter. Le déni est pratiquement constant chez les toxicomanes et fait partie intégrante de la symptomatologie, il est donc illusoire d’attendre des aveux pour établir le diagnostic. Des modifi fications progressives du comportement permettent d’évoquer le problème, parmi lesquels les changements d’humeur (dépression, anxiété, euphorie) fréquents, les absences répétées et inexpliquées, des conflits fl avec les autres membres de l’équipe soignante, les sorties fréquentes de salle d’opération en cours d’anesthésie, une préférence marquée pour l’exercice solitaire, la présence nocturne à l’hôpital auprès des patients, en dehors des périodes de garde et, à l’inverse, des absences réitérées aux appels de garde, enfin fi des allégations de problèmes de santé multiples, personnels ou familiaux. Parmi les signes qui doivent attirer l’attention, on doit aussi mentionner les prescriptions de quantités importantes d’opiacés pour des patients ou des pathologies peu douloureuses, l’usage répété d’ordonnances destinées à des membres de la famille sur lesquelles est reporté le même type de prescription. Ces troubles du comportement sont en partie la conséquence de la recherche compulsive et de la consommation des substances concernées mais traduisent également une altération progressive de la personnalité. Cependant aucune de ces manifestations n’est pathognomonique de l’addiction. Les modifi fications de comportement observées chez les sujets toxicomanes sont en partie partagées par les sujets souff ffrant de syndrome d’épuisement au travail (burn out, voir chapitre 21) qui représente probablement l’un des facteurs de risque d’addiction. Les toxicomanes utilisant les agents anesthésiques détournent à leur profit fi les produits normalement administrés aux patients. En témoignent notamment des négligences répétées quant au relevé de l’information normalement reportée sur les feuilles d’anesthésie, le fait que les patients présentent des douleurs excessives ou inhabituelles en postopératoire ou des signes de réveil au cours de l’anesthésie, ou le fait que ces patients aient une

Conduites addictives chez les professionnels de santé 211 prescription d’analgésique sans commune mesure avec la douleur attendue. Malgré la réitération de ces comportements, le délai écoulé entre le début de la toxicomanie et son identifi fication est souvent de plusieurs années et la découverte est souvent fortuite soit à l’occasion de procédures routinières de contrôle des stocks médicamenteux soit, et surtout, du fait de l’arrivée de nouveaux membres au sein d’une équipe anciennement constituée. Il semble même que le comportement et la relation psychosociale d’un soignant toxicomane puisse être profondément altérée dans sa vie personnelle alors qu’elle reste encore préservée dans sa vie professionnelle. Finalement la détérioration des performances professionnelles peut être tardive expliquant également le retard diagnostique. Le risque de décès chez les toxicomanes aux agents intraveineux est estimé à 10 à 15 % sur 5 à 10 ans, ce qui est considérable. Les décès peuvent être liés à une overdose accidentelle ou volontaire (7, 8). Le taux de suicide est en eff ffet plus élevé chez les médecins toxicomanes (18, 19). Il est encore plus élevé en cas de récidive.

Quelle conduite l’entourage d’un professionnel de santé victime d’addiction doit-il adopter ? Un professionnel de santé souffrant ff d’addiction fait courir des risques à lui-même mais aussi aux patients dont il a la charge et, de plus, il peut être amené à interférer avec le bon fonctionnement de l’organisation des soins. Plusieurs problèmes éthiques peuvent être soulevés. Le premier problème est l’identification fi et la révélation de l’addiction. Deux raisonnements erronés retiennent l’entourage professionnel confronté à un cas d’addiction parmi les membres d’une équipe médicale : la crainte de se livrer à un acte de délation, de stigmatiser un collègue, de lui porter préjudice et notamment de nuire à sa carrière et la volonté de prendre sous sa coupe le sujet concerné souvent couplée avec une minimisation des faits. On aboutit ainsi à une « conspiration du silence » qui peut mettre en danger non seulement le sujet concerné mais aussi indirectement les patients dont il a la charge. Faire preuve de responsabilité vis-à-vis des personnes concernées c’est donc, au contraire, révéler l’addiction pour aboutir à une prise en charge médicale par des spécialistes compétents. Cette démarche permet ainsi de sortir les personnes concernées de l’isolement dans lequel elles se trouvent et qui est aussi un obstacle à la prise en charge de leur condition. En aucun cas il ne s’agit d’une démarche accusatoire. Par ailleurs, laisser travailler un soignant qui n’est plus à même d’exercer son métier peut, dans certaines

conditions, porter un lourd préjudice aux patients et engage donc la responsabilité des équipes soignantes. Il importe de protéger le toxicomane lui-même car son addiction met sa vie en danger comme évoqué plus haut et lui porte, d’autre part, un préjudice considérable qui peut compromettre défi finitivement son avenir professionnel. Enfi fin, elle l’expose à un risque judiciaire. Le déni faisant partie de la maladie, il importe de recueillir des preuves formelles de l’addiction avant d’affi ffirmer le diagnostic. La confrontation du toxicomane avec les faits devrait se faire en même temps qu’une proposition thérapeutique de prise en charge en milieu adapté. En d’autres termes, une fois la toxicomanie avérée et les preuves de celle-ci documentées, un entretien peut avoir lieu avec le toxicomane et au moins deux personnes exerçant une responsabilité dans l’institution ou jouant un rôle de référence. Cet entretien a pour objectif d’affirmer ffi la réalité de la toxicomanie sur les lieux du travail, de souligner les préjudices et les risques qu’elle fait courir à la fois au sujet concerné et aux patients ainsi que les perturbations dans le travail d’équipe qu’elle provoque et de proposer un contact avec des médecins psychiatres ou addictologues susceptibles de prendre en charge le toxicomane. Ce type d’intervention ne peut s’improviser et réclame donc un minimum de préparation. Une discussion « dans un couloir » au cours de laquelle le « suspect » serait interrogé par un de ses collègues sur la réalité de son addiction est le prototype de ce qu’il ne faut pas faire. Pour les responsables de l’organisation du travail, des mesures immédiates peuvent s’imposer comme l’interdiction du travail de garde ou l’interdiction du travail en situation isolée. L’existence d’une toxicomanie aux agents intraveineux devrait faire interdire sans réserve le travail posté en réanimation ou au bloc opératoire en l’absence de prise en charge thérapeutique. En France, des réseaux se développent notamment à l’initiative des psychiatres en charge des centres d’addictologie qui sont amenés à prendre en charge ce type de patients. Dans certains pays (Canada, Catalogne), la prise en charge est institutionnalisée grâce aux Plans d’aide au médecins malades dans lesquels sont impliquées les organisations ordinales. En France, on peut citer par exemple la mission FIDES de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (service d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse). Les programmes de soins qui s’adressent spécifiquement fi aux personnels soignants sont basés sur la confifi dentialité et sur de véritables contrats thérapeutiques ayant pour objectif la réinsertion des sujets concernés dans un milieu professionnel. Ces programmes mettent en avant leurs succès en matière de traitement de la toxicomanie avec des résultats favorables atteignant 80 % des cas. Cependant,

212 Enjeux éthiques en réanimation dans les milieux les plus exposés (anesthésie), la réinsertion professionnelle dans le milieu initial ne concerne, au mieux, que la moitié des sujets traités et ce pourcentage chute à 30 % lorsqu’il s’agit d’usagers d’opiacés par voie intraveineuse. De plus ce qui est qualifié fi de réinsertion professionnelle se traduit souvent en pratique par une éviction du bloc opératoire, du travail en garde ou du travail en réanimation (20). Le taux de rechute est plus élevé encore lorsqu’il existe une maladie psychiatrique sous-jacente. Chez les internes, le taux d’échec est encore plus élevé puisque deux sur trois rechutent après leur réinsertion en anesthésie et que, dans un quart des cas, cette rechute aboutirait au décès par suicide (10). L’intérêt du « dépistage » précoce des internes avant leur entrée défi finitive dans la vie professionnelle est donc évident. On peut estimer que toutes les possibilités de réorientation vers des postes ou des professions moins exposés doivent être explorées au cours ou au décours du traitement des sujets concernés. Les enjeux éthiques et médicaux légaux sont en effet ff importants compte tenu du risque suicidaire précédemment évoqué et du risque d’erreur médicale préjudiciable au patient. Ce risque est tel qu’il a conduit même certains responsables nord-américains à prôner l’éviction définitive fi du bloc opératoire pour les anesthésistes convaincus d’addiction (21).

Prévention des addictions chez les personnels soignants Toutes les politiques coercitives, visant à un contrôle drastique de la délivrance des agents anesthésiques et des substances addictogènes sont parfaitement justifi fiées dans le cadre de procédures d’assurance-qualité mais n’ont probablement que très peu d’impact sur la possibilité pour les toxicomanes de se procurer ces mêmes agents (22, 23). De plus il faut rappeler que les addictions sont plurimédicamenteuses et que l’alcool a une place prépondérante, ce qui rend vaine toute tentative d’éviction des produits toxicomanogènes. Les causes de l’addiction étant multiples, les facteurs liés au parcours personnel de chaque individu sont bien évidemment au-delà des mesures de prévention collective. Le fait que la prévalence soit plus élevée chez les internes et résidents a soulevé la question d’un possible choix de spécialités à risque, déterminé par l’accès facile aux substances psychoactives (2). Cette hypothèse est peu crédible et ne concernerait probablement, si elle était vérifiée, que quelques cas isolés. Il est à l’inverse posfi sible que les conditions de travail et l’environnement favorisent l’évolution vers la toxicomanie de certains internes (24). On pourrait ainsi suggérer

que, dès le début de leur internat, alors qu’une réorientation professionnelle est plus facilement envisageable, les internes en anesthésie, réanimation, médecine d’urgence ou psychiatrie aient un entretien systématique avec leur coordinateur d’enseignement, pour évaluer leur adaptation au milieu et les diffi fficultés qui pourraient éventuellement en découler. D’une façon plus générale, si l’on admet que des facteurs liés aux conditions de travail peuvent favoriser la toxicomanie, toutes les initiatives visant à baisser le niveau des pressions et des contraintes sont bienvenues notamment celles qui visent à réduire les conditions d’exercice dans l’isolement (voir chapitre 21 sur le burn out). Une forte sensibilisation ou mobilisation des professionnels de santé autour du problème de l’addiction chez les soignants est nécessaire car elle pourrait amener à un dépistage plus efficace ffi des sujets concernés et à une prise en charge plus précoce et mieux adaptée (25). Les sujets concernés ne constituent qu’une part des médecins malades souffrant ff notamment d’aff ffections psychiatriques et qui posent des problèmes très voisins notamment en ce qui concerne leurs modalités d’exercice. Le développement de programmes de prise en charge permettant un accès direct confidentiel fi et assurant non seulement le soin des patients mais aussi leur réinsertion sociale devrait se développer.

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Chapitre

Processus intimes mis en œuvre par les médecins pour lutter contre l’envahissement de la maladie et de la mort dans leur vie quotidienne

23

A.-L. Boch

Introduction

S

uicide, burn out, conduites addictives, comportements perturbateurs, prise de retraite anticipée… les réactions des médecins aux pressions qu’ils subissent dans l’exercice de leurs fonctions sont parfois violentes et, à la fois pour eux-mêmes et pour autrui, violemment destructrices. « Craquer » dans l’exercice d’un si noble métier semblait autrefois impossible, ou au moins indicible. Mais le temps n’est plus au déni d’un problème que de nombreuses études ont situé à sa vraie dimension, c’est-à-dire considérable : d’après des publications récentes (1-3), le burnout affecterait ff près de 30 % des médecins, et même 40 % des chirurgiens américains ! S’il a surtout fait l’objet de travaux aux ÉtatsUnis, le stress professionnel n’épargne cependant pas la France : nombreux sont ceux dans la profession qui souff ffriraient de « blues » (4) ou qui seraient « au bord de la crise de nerf » (5). Ce stress peut être lié aux « conditions structurelles », c’est-à-dire provoqué par une mauvaise organisation du travail et par les contraintes qui lui sont associées (éparpillement des tâches, surcharge horaire, harcèlement moral, non-reconnaissance sociale, tensions dans l’équipe, pression administrative, etc.) ; ou, plus profondément, il peut être dû à la fréquentation quotidienne des personnes en détresse physique, morale ou sociale, fréquentation qui induit une douleur morale « par compassion ». Seul nous intéressera pour notre propos ce deuxième type de stress professionnel, auquel les médecins qui travaillent en réanimation semblent particulièrement exposés. La survenue d’un stress « par compassion » semble indiquer que les soignants ne supportent plus le spectacle de la souffrance ff des patients qui leur sont confiés fi et de leurs familles. Dans les spécialités qui prennent en charge des maladies régulièrement mortelles, que ce soit sur un mode chronique (cancérologie, hématologie, soins palliatifs…), ou aigu, comme c’est le cas en réanimation, les médecins sont confrontés en permanence à cette souffrance ff : L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

douleurs physiques et morales, soudaineté d’apparition de la maladie, risque vital très présent voire mort inéluctable, absence d’espoir après le « stade technique », dégradation corporelle, handicap résiduel, situation familiale inextricable… telles sont les agressions que subissent les patients de réanimation, agressions que les médecins ne peuvent ignorer, eux qui, jour après jour, se battent contre des maladies qui dépassent souvent leurs forces. Malgré les efforts ff consentis, le succès n’est pas toujours au rendez-vous et, à la longue, cela peut user les individus. Cette dimension de surinvestissement personnel et émotionnel comme facteur de burn out est connue depuis longtemps. Dès la première description du syndrome, Freudenberger (6) avait remarqué qu’il touchait électivement les professionnels initialement les plus compétents, les plus dynamiques, les plus dévoués. C’est précisément parce que des individus exigeants se sont consacrés de tout cœur à leur tâche qu’ils peuvent tomber dans le burn out. Selon cette conception, le burn out est « la maladie du battant (winner disease) », survenant quand la complète dévotion à une cause échoue à produire les résultats attendus – en l’espèce, la guérison des malades. Détruisant l’image idéalisée d’eux-mêmes que ces médecins ont forgée, les situations d’échec répétitif aboutissent en fi fin de compte à diminuer leur implication dans le travail. ffet, la conséquence finale de ces diffi fficultés En eff semble être une perte d’efficience ffi au travail. Et c’est bien ce que les observateurs redoutent. Non sans un certain cynisme, d’ailleurs ; le problème de la souff ffrance au travail n’en est-il un que parce que les professionnels épuisés cessent, un jour ou l’autre, « d’en faire trop » ? Ou parce qu’ils ont plus de risque de commettre des erreurs ? Mais qu’on se rassure : une étude récente menée chez des médecins généralistes en proie au burn out, montre non seulement qu’ils ne font pas plus d’erreurs diagnostiques que les autres, mais même qu’ils sont plus attentifs aux problèmes psychologiques

216 Enjeux éthiques en réanimation de leurs patients (7) ! De là à conclure que le burn out du médecin peut profiter fi au malade… Mais, en général, on considère que la souffrance ff au travail est susceptible d’aboutir à un effondreff ment préjudiciable pour tous. Cet effondrement ff se manifeste selon trois axes, diversement associés selon les individus : l’épuisement émotionnel et/ ou physique, la diminution de la productivité et la dépersonnalisation (8). L’épuisement émotionnel et/ou physique s’exprime par un manque d’énergie, une lassitude constante, l’impression d’être « vidé nerveusement ». Le travail devient une corvée vécue comme harassante. Les gratifi fications qui lui étaient associées (notamment dans les cas de succès thérapeutiques) ne sont plus ressenties. La personne avoue ne plus éprouver d’accomplissement personnel dans son travail. En même temps que le travail est dévalorisé, l’estime de soi est atteinte. Tout ceci conduit à une diminution de la productivité. Le sujet n’accomplit plus ses tâches que de façon mécanique et contrainte, au prix d’une frustration constante. L’effort ff à fournir semble excéder ses forces et pousse à une diversion de l’intérêt. La dernière dimension du syndrome d’épuisement professionnel, la dépersonnalisation, se manifeste par l’apparition d’attitudes insensibles, détachées, dures, voire cyniques, vis-à-vis des patients. Ils ne sont plus perçus comme des « malades », c’est-à-dire des hommes, mais des « maladies », impersonnelles et indifféff rentes, auxquelles le médecin blasé n’accorde plus qu’une attention distante. Dans les formes les plus poussées, la dépersonnalisation peut déboucher sur une véritable maltraitance, les patients étant vus comme des ennemis à qui on fait payer très cher les soins qu’on est, malgré tout, obligé de leur prodiguer. L’analyse de cette stratégie « catastrophique », nous donne des clés pour comprendre les processus intimes mis en œuvre par les médecins pour se protéger contre l’envahissement de la maladie et de la mort dans la vie quotidienne. En effet, ff le burnout n’est qu’un extrême pathologique sur un chemin qui mène de l’enthousiasme à l’amertume, de l’espérance naïve au désenchantement cynique. Sans aller jusqu’à la dépression nerveuse, beaucoup de médecins ressentent tôt ou tard, cruellement, la perte de leurs illusions, et certains éprouvent la tentation de fuir les relations interpersonnelles dans lesquelles ils identifient fi la source de leur malaise. Pour se protéger eux-mêmes de la souffrance, ff ils fuient le contact avec les êtres en souff ffrance (les malades). Comme s’il fallait, en isolant les êtres les uns des autres, se protéger d’une « contagion » de la souffrance. ff Car bien sûr, reconnaître dans l’autre un autre moimême, ou me reconnaître « moi-même comme un autre » (9), c’est affronter ff le fait que la maladie et

la mort de l’autre renvoient à ma propre maladie et ma propre mort. L’objectivation de l’autre est donc un mécanisme d’autodéfense primaire répandu chez les soignants, surtout dans les spécialités très techniques comme la réanimation et la chirurgie, spécialités où il suffit ffi de « s’abandonner » à la routine technique pour oublier que celui que je soigne est un homme comme moi. Considérer des « cas » plutôt que des personnes permet d’éluder la ressemblance troublante entre cette personne couchée dans son lit et moi-même, qui suis, pour l’instant, debout, en sursis d’un sort comparable. Le médecin qui redoute les relations interpersonnelles se transforme alors en un pur technicien, requis par les seules questions techniques, à l’abri des questions morales. Et les questions techniques, on s’en doute, engagent moins profondément l’être que les questions morales. En ce sens, la dépersonnalisation est ce que les Anglo-Saxons appellent un coping, « ensemble des efforts ff cognitifs et comportementaux permettant de gérer les exigences internes ou externes spécifi fiques à une situation, eff fforts qui entament les ressources d’une personne » (10). Mais ce coping, s’il peut eff ffectivement être protecteur quand il se manifeste à un degré mineur, devient franchement néfaste quand il va jusqu’à son terme. Dépassant son but, il devient alors facteur de détachement professionnel, détruisant les gratifications fi que le sujet recevait de son travail, et aggravant le mal au lieu de le soulager. En effet, ff l’objectivation comme autodéfense contre l’envahissement du psychisme par le spectre de la maladie et de la mort a des effets ff paradoxaux. À première vue, il s’agit d’une stratégie adaptée pour se protéger des affects ff douloureux qui menacent le médecin dans l’exercice de son métier. En réduisant l’autre au statut d’objet, on coupe les ressemblances avec soi-même, ressemblances qui pourraient conduire à de pénibles identifications. fi En quelque sorte, on se rend insensible à la pitié, cette première marche sur l’escalier glissant de l’apitoiement. On se tient ferme à la rampe de la médecine technoscientifi fique, gardienne des attitudes univoques et des décisions définitives. fi Passant de la « médecine soignante » à la « médecine scientifi fique » (selon les catégories établies par Alain Froment (11)), le médecin se met à l’abri des problèmes moraux inhérents à la fréquentation des malades en tant qu’hommes et des soins qu’il faut leur apporter. Mais il est aussi privé des gratifications fi immenses qui sont la récompense de ces soins. Ce n’est pas que les actes purement techniques n’apportent pas de gratification fi à ceux qui s’y consacrent. Mais, du point de vue du patient, ils ne sont que des moyens au service d’une fin, fi la guérison ou l’amélioration. Au contraire des actes techniques qui ne sont bons qu’en tant qu’ils atteignent leur but, les soins qui procèdent de la

Processus intimes mis en œuvre par les médecins 217 sollicitude sont une fin en eux-mêmes. Le simple fait d’être sujet d’une attention bienveillante est un soulagement pour le patient. En retour, il renvoie au médecin des signes indubitables de gratitude. Et ces remerciements, explicites ou implicites, quel soignant peut s’en passer ? Ne sont-ils pas justement ce qui permet « de tenir » dans un univers sans cesse plus technique, plus déshumanisé ? Ils renforcent l’estime de soi, combattant le découragement qui était au cœur du burn out. « Par choc en retour de la sollicitude sur l’estime de soi, le soi s’aperçoit lui-même comme un autre parmi les autres » écrit Paul Ricœur dans un texte magnifique fi qui réhabilite l’autre souff ffrant en tant que justifi fication du moi aidant (9). Appréhendé comme sujet et non comme objet, l’homme malade n’est pas seulement passif mais aussi actif, off ffrant au soigné un sens qui est le plus précieux des cadeaux : le sens de ses propres actes, de sa propre vie. Il est à l’origine de la reconnaissance, mot qui s’entend dans les deux sens d’accepter, d’admettre l’autre et d’éprouver qu’on lui est redevable d’un bienfait. La reconnaissance est une gratitude qui instaure le soignant non seulement en tant que personne mais aussi, mais surtout, en tant que personne moralement justifiée fi (12). En revanche, le malade appréhendé en tant que simple objet de soins techniques perd cette aura qui justifi fiait le service rendu. Les soins se transforment alors en une routine, aussi pénible pour l’un qu’ennuyeuse pour l’autre. La médecine purement technique tend à devenir une corvée obligatoire, une mécanique trop bien rodée, qui est jugée à l’aune de ses seuls succès et dont les limitations sont vécues comme autant d’échecs sans appel. Tout comme le malade est réduit à sa maladie (scientifi fique), le médecin coïncide avec son acte (technique), ce qui l’expose à une chute d’autant plus brutale qu’il n’a plus aucun facteur humain auquel se raccrocher en cas de difficulté ffi matérielle dans son travail. Guéri du burn out « par compassion », le médecin est alors plus durement exposé au burn out « par conditions structurelles », le burn out qui survient quand les êtres sont niés au profit fi des choses (13). Mais les stratégies mises en œuvre par les médecins pour se protéger de l’envahissement par la maladie et la mort ne sont pas toujours vouées à l’échec. Soigner les autres ne débouche pas inéluctablement sur le suicide, la toxicomanie ou le burn out ! On peut aussi sortir du stress professionnel par le haut. Notons d’abord que certaines stratégies d’évitement, ou d’échappement, peuvent permettre de diminuer la pression ressentie à moindre mal pour tous. Il s’agit essentiellement, pour les médecins qui ne supportent plus le contact étroit avec la souff ffrance des patients, d’orienter leur carrière dans une direction moins « exposée ». Nous avons

déjà évoqué la technicisation à outrance du soin, qui est une tentation d’autant plus forte que le médecin exerce une spécialité très technique (réanimation, chirurgie, radiologie interventionnelle…). Cette stratégie, si elle prive le médecin des gratifications morales de la fréquentation de ses semblables, a cependant l’avantage de préserver chez lui un haut degré d’activité, d’action. Et l’action en elle-même a un effet ff antidépresseur, voire euphorisant. Vis-à-vis de la collectivité, cette attitude a aussi l’avantage de fournir un corps de spécialistes hypercompétents, que ne déroute aucune difficulté ffi technique. Si elle est exploitée à bon escient, leur énergie donne au malade le meilleur de la médecine technique. Pensons par exemple à ces chirurgiens qui passent leur temps au bloc opératoire, vécu comme un refuge contre la complexité insoluble du monde extérieur : la fuite devant les rapports humains est souvent évidente ; d’un autre côté, leur stakhanovisme leur permet d’acquérir une grande expérience, facteur d’amélioration du geste chirurgical. Même chose en réanimation, où les actes les plus diffi fficiles peuvent être brillamment réalisés par quelques praticiens, au bénéfice fi de toute l’équipe. Mais pour que l’excellence technique reste un bien, il faut qu’elle soit dirigée de l’extérieur vers des fi fins humaines. En eff ffet, la technique, comme l’a montré Jacques Ellul, est essentiellement autonome. « Technique autonome, cela veut dire qu’elle ne dépend finalement que d’elle-même, elle trace son propre chemin, elle est facteur premier et non second, elle doit être considérée comme “organisme” qui tend à se clore, à s’autodéterminer : elle est un but par elle-même » (14). En l’absence de contre-pouvoir, se produit très facilement une dérive vers « la technique pour la technique ». L’acte technique tend à prendre la place du vrai but, le seul valable : l’amélioration – guérison ou stabilisation – de l’état du malade, en tout cas un état où le malade peut s’affranchir ff de la technique. Ce risque de fuite en avant technique est réel en réanimation. En particulier chez les patients les plus gravement atteints, peut se produire une technicisation à outrance, qui n’a plus rien à voir avec un projet thérapeutique. Fantasme de toute-puissance et déni de la réalité font alors le lit de l’acharnement thérapeutique – dit aussi « obstination déraisonnable ». Quant à l’intérêt bien compris du malade, il a sombré dans la bataille. Soumis à un enchaînement automatique d’actes techniques, le malheureux n’est plus qu’un prisonnierr de la médecine, prisonnier dont on ne se préoccupe plus guère qu’il ait des états d’âmes. Jusqu’au moment où le système emballé se dégonfle fl d’un coup et où surgit, fatale et incontournable, la tentation euthanasique. L’euthanasie, qui n’est que le dernier des actes techniques auxquels le patient aura été soumis tout au long de sa maladie, est

218 Enjeux éthiques en réanimation l’envers eff ffarant de l’obstination déraisonnable, sa caricature, sa conclusion aussi. L’orientation purement technique de certains praticiens est donc à gérer avec prudence : elle n’est un enrichissement que si elle est compensée par un réel investissement personnel d’autres soignants dans le contact avec les malades, et surtout si elle s’exprime au sein d’une collégialité qui fait toute sa place à la relation humaine. Pour préserver l’équilibre entre les deux faces du soin (technique/non technique), il est impératif de tenir compte de la tendance « impérialiste » de la technique à primer sur toute autre considération. Autres voies vers lesquelles peut s’orienter le médecin « malade du contact avec les malades » : le management, la recherche de laboratoire, l’industrie pharmaceutique, la santé publique, l’enseignement, les spécialités non cliniques (biologie médicale, radiologie, biophysique…). Chacune de ces voies est, cela va sans dire, hautement respectable. La possibilité pour les personnalités les plus fragiles de se réorienter vers ces domaines est sans nul doute un des moyens les plus efficaces ffi pour éviter les « accidents de parcours » qui parsèment la médecine soignante. La question même d’une orientation précoce peut se poser pour les spécialités les plus exposées au burn out (chirurgie et réanimation notamment). Si elle ne peut faire l’objet de décisions autoritaires, impossibles à fonder en pratique comme en justice (car qui mieux que l’intéressé peut déterminer la carrière qui lui convient vraiment ?), l’orientation des futurs praticiens gagnerait à une véritable réflexion fl sur ce sujet difficile. Dès le début de leurs études et plus encore fi à leur entrée dans le monde de l’hôpital, les étudiants devraient être encouragés à s’interroger sur le mobile de leur engagement vers telle ou telle discipline, à analyser leurs réactions face à la maladie grave et à la mort de leurs patients, à partager leurs sentiments de détresse et leurs diffi fficultés morales avec leurs aînés. Les expériences traumatisantes devraient faire l’objet de « débriefings fi éthiques », propres à faire passer à un stade supérieur… ou à un repli prudent ! Il convient aussi de laisser ouvertes toutes les voies ; en multipliant les terrains de stages et les options professionnelles (biologie médicale, santé publique, recherche fondamentale…), on évite de pousser des jeunes à s’engager dans des carrières qui ne leur conviennent pas, et dont ils auront les plus grandes difficultés ffi à sortir, parfois après des années d’échecs répétitifs qui risquent de les briser. Mais si l’on veut cependant persister dans la « médecine soignante », lui survivre et même s’y épanouir, y a-t-il des aides auxquelles on peut avoir recours ? Tout médecin traîne à son côté un petit cimetière qui s’agrandit au fil fi des années, et c’est avec ce cimetière qu’il convient d’apprendre à vivre.

Le travail sur soi que suppose cet apprentissage peut s’envisager à un triple niveau : personnel, collectif, institutionnel. Aucun de ces niveaux ne peut sans doute se suffi ffire à lui seul. Selon les individus et les services, selon aussi les moments et les circonstances, l’un ou l’autre de ces niveaux sera au premier plan tandis que les autres s’effaceront. ff Le premier niveau semble parfois se résumer à des conseils de bon sens : le maintien d’une vie extraprofessionnelle riche, la lucidité sur les motivations, l’analyse des peurs, des blocages et des inhibitions, permettent de se dégager d’un premier degré où le métier est exercé « à fl fleur de peau ». Pour être dans l’empathie mais pas dans l’identififi cation avec les patients, il faut eff ffectuer un pas en arrière, prendre du recul par rapport à ce que l’on vit, soumettre ses aff ffects à une analyse raisonnable. La mise en relation de son expérience avec celle d’autrui peut se faire au travers d’une recherche personnelle : œuvres de fiction fi (romans, nouvelles, films…), récits vécus, œuvres théoriques (ouvrages fi de philosophie, psychologie…) sont à disposition de tous ceux qui souhaitent approfondir le rapport à leur métier. L’engouement actuel pour l’éthique narrative (narrative ethics des Anglo-Saxons) est un signe qui témoigne de cette prise de conscience. Le niveau collectif demande moins une organisation rigide qu’un « esprit de service », une « ambiance ». Il s’agit de susciter entre professionnels des échanges interpersonnels autour des problèmes qu’ils rencontrent dans leur exercice. La mise en commun des expériences diffi fficiles permet de créer une communauté de pensée et d’action, qui se révèle un important soutien pour les individus. « Porter sa croix » s’avère moins pénible à plusieurs que tout seul : le partage des souffrances ff est en tant que tel un soulagement. En découvrant chez l’autre des affects ff qui nous émeuvent nousmêmes, nous nous rassurons en quelque sorte sur notre appartenance à un groupe vers lequel est confi fiée la gestion des problèmes les plus brûlants. Cet outingg transfère les traumatismes psychologiques depuis la sphère privée, secrète, chargée de culpabilité et de honte, vers le domaine de l’expérience commune, publique et comme telle moins accablante pour les consciences individuelles. On conçoit donc que les services où la parole circule, où médecins et infirmiers fi travaillent en réseau, où le personnel adhère à un projet commun quant au sens et à la fi finalité des soins, ces services « à visage humain » soient moins dévastés par le burn out que les départements impersonnels où chacun, replié sur soi, effectue ff son travail dans la solitude morale. Établir et entretenir cet esprit de service dépend en partie de l’encadrement, en partie de la personnalité de chaque membre de l’équipe. La première étape est de reconnaître pleinement l’effet bénéfique fi de l’ambiance chaleureuse au travail.

Processus intimes mis en œuvre par les médecins 219 Et cela doit conduire à favoriser voire organiser des événements qui renforcent la convivialité (repas en commun, pots, activités extérieures…). Le partage des émotions est aussi un partage des décisions. La collégialité qui en découle ne prétend pas installer un consensus absolu – consensus de surface qui est souvent le masque d’une volonté unique imposée à tous. Mais elle est, encore une fois, l’occasion d’un échange autour du malade. En confrontant les points de vue et les sensibilités, on arrive à des décisions acceptables par tous, car construites sur le socle de valeurs communes qui se dégage peu à peu. Le troisième niveau, celui de l’institutionnel, est plus formel. Il s’agit de créer des espaces de dialogue, animés par des psychologues, pour permettre l’expression « forcée » de ce qui n’est pas sorti spontanément. Ces réunions qui, dans l’idéal, rassemblent toute l’équipe à intervalle régulier, révèlent les conflits fl cachés et poussent à leur résolution. On peut aussi se faire épauler par un professionnel de façon ponctuelle, devant un cas particulièrement diffi fficile à gérer et manifestement déstructurant pour le groupe. Le psychologue peut également intervenir de façon individuelle vis-àvis d’un membre de l’équipe qui semble en souffrance. Son action sera alors à cheval entre aide à la démarche personnelle de résolution des problèmes et organisation institutionnelle. Toute cette réfl flexion doit aider les soignants à trouver la bonne distance vis-à-vis de leurs patients. En particulier dans les spécialités techniques comme la réanimation, cette bonne distance est un des éléments essentiels pour installer chez le médecin une « inquiétude distante » (15), dosage de compassion pour l’autre et de détachement émotionnel, de sollicitude fondée sur la communauté humaine et d’objectivité professionnelle. Selon la terminologie kantienne, on pourrait dire que cette attitude évite au médecin de sombrer dans le domaine du « pathologique » (le domaine des passions, incontrôlables et incontrôlées) pour maintenir intact son « intérêt pratique » qui est le moteur d’une action qui sait être morale en même temps qu’elle est effi fficace. À la fois savant, prudent et patient, le bon médecin est celui qui sait s’investir de façon prolongée auprès de ses patients, sans craquer un jour ou l’autre sous la pression (16). Associant savoir, savoir-faire et savoir-être, il peut se donner de tout son cœur à ses patients sans craindre de se voir entraîner sur la pente irréversible du burn out par une identififi cation à l’autre qui le bouleverse. Non que sa passion de soigner ne le mette pas, ici et là, en danger de trop grande implication personnelle ; mais les gratifi fications renvoyées par la fréquentation des malades vus comme des hommes et non comme des objets lui permettent de garder cette passion malgré les aléas de sa vie professionnelle. Il évite

ainsi de sombrer dans le cynisme et le nihilisme, ces formes modernes du désenchantement qui nous menacent tous. Atteindre cet équilibre idéal est sans doute une œuvre de longue haleine. Certains essaient de le construire à l’aide de recettes techniques ; le stress des médecins devrait selon eux faire l’objet d’une « gestion » comme celui des contrôleurs aériens, des astronautes et des athlètes de haut niveau (17, 18). D’autres, plus nuancés, constatent que le temps, facteur d’expérience, aide à relativiser les difficultés ffi et assouplit les tensions interhumaines : les médecins seniors sont moins en détresse psychologique que les jeunes, concluent ainsi les auteurs d’une étude sur questionnaire (19). Un autre encore propose non sans humour de consacrer un peu de son temps à écrire un livre (20). Cette voie de la sagesse nous paraît la bonne. Elle nous donne une chance de continuer à être les médecins énergiques et humains dont nos services de haute technicité ont tant besoin.

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Chapitre

Comportements médicaux perturbateurs

24

L. Beydon, S. Gergaud

Introduction

L

’époque actuelle promeut la normalisation des pratiques médicales, sur des bases scientifiquement fi étayées. Cette normalisation est justifiée fi par une recherche accrue d’effi fficacité et de sécurité. Dans ce contexte, les déviances apparaissent plus clairement et sont moins volontiers acceptées. En témoigne une littérature médicale foisonnante sur le sujet, depuis la fin fi des années 1990. Les médecins sont décrits comme ayant exposé des personnalités « compulsives, perfectionnistes, enclins à la culpabilité, avec une expression émotive restreinte, un sens exagéré des responsabilités, et une diffi fficulté à demander de l’assistance face à des diffi fficultés personnelles » (1). Ils sont donc en situation de diffi fficulté naturelle pour gérer les confl flits voire même en situation propice à les créer ! (2). On ne doit pas non plus oublier le positionnement social spécifi fique et particulier du corps médical. Traditionnellement, le médecin est un notable qui est décrit comme « se croyant au-dessus des règles, des lois et des comportements sociaux usuels » (3). Enfi fin, les contraintes institutionnelles et sociétales sont réelles et connues : le médecin peut être « harcelé par la bureaucratie, la perte d’autonomie, un prestige écorné et de profondes frustrations ». Cela peut, en partie, rendre compte du fait que 40 % des médecins interrogés déclarent qu’ils ne s’engageraient pas dans cette carrière de nos jours (4). Fort de cet ensemble de contradictions et de contraintes, on comprend que la déviance comportementale puisse atteindre certains médecins. A contrario, les infirmières fi ont un mode de fonctionnement de type organisationnel, orienté vers la relation. Le travail est organisé autour de processus avec un style d’encadrement plus démocratique et généralement enclin à éviter les conflits. fl Le seul point commun entre cultures médicale et paramédicale, outre la finalité des objectifs, est l’intérêt partagé pour le patient. Ces deux cultures sont, L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

à l’évidence, complémentaires, si elles arrivent à communiquer de façon positive (5). Le comportement médical déviant constitue en cela un obstacle majeur. Dans ce qui suit, nous envisagerons le problème des comportements médicaux perturbateurs essentiellement hétéro-agressifs, leur identification fi formelle et les moyens institutionnels pour les gérer. Nous n’envisagerons qu’à la marge leurs causes que sont les personnalités pathologiques, mais aussi les conséquences du stress au travail, du burn out, qui peuvent altérer les comportements. Autant de facteurs qui peuvent induire des comportements anormaux hétéro- ou auto-agressifs chez des personnes fragilisées. Ce versant du problème ne pourra être valablement décrit pour la France que lorsqu’on disposera des résultats de deux études épidémiologiques d’envergure sur la souffrance ff au travail, dont le recueil s’achève actuellement. Le présent chapitre se limite à voir la question sous l’angle institutionnel ; en confrontant les données issues de la culture managériale américaine, avec la vision institutionnelle française.

Le comportement médical perturbateur (déviant), une réalité bien étayée L’American Medical Association a pris position sur cette question, dans un rapport qui décrit le problème et, on le verra, propose des actions (6). Le narratif est intéressant car il décrit bien le problème : « le comportement déviant est un continuum… il se rapporte à un style d’interaction avec les autres médecins, le personnel hospitalier, les patients, les familles. Ces comportements sont verbaux, sous forme de menaces ou de grossièretés ou non verbaux (gestes, attitudes). Cela peut affecter ff toute une institution, ou, plus étroitement, la capacité d’un individu à interagir avec les autres. Cela peut affecter ff le soin au patient mais aussi induire des effets ff négatifs sur

222 Enjeux éthiques en réanimation la pédagogie en offrant ff un exemple déviant aux étudiants. Ces comportements altèrent le sens moral du groupe. Ils affectent ff la productivité et la fuite des personnels. Tout ceci entre dans le champ de définition fi des comportements médicaux déviants. Cependant, les critiques de bonne foi émises dans le but d’améliorer les soins aux patients ne peuvent être considérées comme un comportement déviant ». La prévalence des comportements perturbateurs est connue par une enquête en ligne réalisée sous l’égide du Collège des médecins directeurs d’établissements de santé (ACPE, American College of Physcian Executives) portant sur plus de 1 600 médecins hospitaliers (7). Au dire des sondés, les problèmes de comportement médical « dans mon établissement » surviennent annuellement (17 %), de 3 à 5 fois par an (33 %), mensuellement (18 %), plus fréquemment encore (17 %), jamais (4 %). Les comportements en cause sont : le refus de faire (52 %), les actions violentes (9 %), les insultes (37 %), le non-respect (82 %), les cris (41 %). Le même médecin est en cause dans 70 % des cas. Le confl flit a lieu entre médecin et IDE le plus souvent (54 %), entre médecins (15 %), avec l’administration (14 %), un patient (14 %). Les infirmières fi sont, comme on le voit, particulièrement exposées. Mais aussi, il est acquis que ces comportements médicaux déviants n’échappent pas aux patients (8). Quelles sont les conséquences de tout cela ? En 2002, 0,5 % des médecins américains ont fait l’objet de sanctions disciplinaires et 1 739 ont vu leur licence retirée (9). On sait par ailleurs que le taux de dépression est élevé chez les médecins ; les suicides étant de 40 % supérieur à la population générale (10). Le taux de dépendance alcoolique et toxique est similaire à la population générale, alias 18 % des médecins de Californie ont eu, dans leur carrière, un « passage alcoolique ou toxicomaniaque » (11). Une autre étude sur cinq ans, portant sur les 850 médecins d’établissements participant au NHS, dans une région d’Angleterre, est édifiante fi : 6 % ont été instruits en commission disciplinaire. Les motifs étaient : comportement perturbateur ou irresponsable (33 %), non-respect de ses obligations (22 %), compétences cliniques défifi cientes (20 %), malhonnêteté (11 %), abus sexuel (7 %), « ingérable » (5 %). L’identification fi de ces comportements a conduit à maintenir l’activité de ces médecins, sous supervision avec nécessité de réhabilitation (43 %), ou bien induit une mise à la retraite (33 %). D’autres ont démissionné (18 %) (12). Le taux d’échec à la recertifi fication peut également servir d’indicateur d’aptitude à l’exercice, bien qu’il déborde largement les contours de notre problématique. Ce taux s’échelonne de 1 % à 14 % selon les spécialités (13). La déviance médicale n’est donc

ni exceptionnelle, ni tolérée, dans la culture anglosaxonne, du moins. On ne dispose d’aucune étude venant d’autres cultures, en particulier française. Les causes s’agrègent autour de problèmes mentaux et comportementaux, incluant l’usage de drogues illicites, la maladie somatique, dont le vieillissement, et l’altération des fonctions cognitives, mais aussi l’incapacité à maintenir ses performances et connaissances. Des facteurs extérieurs comme la surcharge de travail, des problèmes personnels extraprofessionnels, un environnement professionnel déstructuré, la pression de productivité y contribuent. Le fait notable est que, comme pour l’addiction, l’environnement familial est touché bien avant le milieu professionnel. La famille est naturellement protectrice, ce qui tend à ne pas favoriser la prise en compte des problèmes par l’individu, qui « explosera » dans le milieu professionnel quand la famille aura, depuis longtemps déjà, été atteinte en profondeur. Dans le contexte professionnel, le médecin déviant altère le travail des subordonnés (IDE, internes). Pour 49 % des IDE interrogé(e)s à propos de cette éventualité, une intimidation de la part d’un médecin a perturbé la façon qu’ils ont eue de préparer ou de gérer une prescription médicale. Plus directement, 40 % ayant une question sur une prescription préfèrent supposer qu’elle est correcte de principe ou demander à un(e) collègue au lieu du prescripteur (14, 15). Ces « crises comportementales » détournent également le médecin déviant du patient et de ses besoins. Une manière d’envisager l’éventualité de comportements déviants et de faciliter leur prise en compte peut être le contrat professionnel, du moins en pratique privée : – sa nature contractuelle est contraignante et opposable sur le plan juridique ; – elle légitime la plainte des « opprimés » et le recours contentieux, le cas échéant ; – le contrat peut formaliser le mode de résolution, déterminer les personnes ou structures ayant la faculté de sanctionner ; voire envisager un premier niveau de sanctions en cas de litige (16). Son inconvénient majeur est de nécessiter un recours formel en justice, pour faire appliquer les clauses du contrat, en cas de conflit. fl Une alternative, plus souple mais moins formellement contraignante, réside dans l’établissement collégial d’un règlement intérieur ou d’une charte. Cette solution semble plus adaptée au service public dont les instances disciplinaires sont, en général, inopérantes. Forgé par les membres d’un groupe ou d’une institution, il peut constituer un préalable à un recrutement. Son mérite est d’être élaboré par le groupe, selon des critères locaux, conformes aux souhaits partagés et aux nécessités

Comportements médicaux perturbateurs 223 locales (service) et institutionnelles. C’est un moyen de pression consenti, partagé mais sans formelle valeur juridique. Nous allons l’envisager en détail.

Des solutions pragmatiques sont à l’œuvre… sauf chez nous ! « Si on continue à considérer les médecins comme des enfants gâtés, certains d’entre eux continueront à se comporter comme des enfants gâtés ! » (17). Ce constat issu de la vision anglo-saxonne incite à l’action ! Les Américains dès 1937 édictaient des recommandations pour leurs internes sur comment faire face (18). On retrouvait, entre autres, ces recommandations de bon sens : « Faites peu de promesses mais tenezles ; louez le travail bien fait. Si la critique est nécessaire, faites-la de façon positive. Discutez mais ne vous disputez pas. Ne prêtez pas attention aux remarques désobligeantes à votre égard, mais comportez-vous de façon à ce que les autres ne les considèrent pas comme crédibles… ». Elles demeurent cependant cantonnées au rang des injonctions et seront peu à même d’impressionner le médecin déviant. La déontologie « générale » a également proposé des positions officielles, ffi comme l’ont fait le Conseil de l’ordre des médecins en France (19), l’American Medical Association (6), aux États-Unis. La française, hippocratique d’inspiration, s’apparente à un vœu pieux de faible portée : « Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité. Un médecin qui a un différend ff avec un confrère doit rechercher une conciliation, au besoin par l’intermédiaire du conseil départemental de l’ordre. Les médecins se doivent assistance dans l’adversité ». Le point

de vue américain, dans sa partie introductive, est proche de la version française. Mais il ajoute une notion de respect personnel du médecin envers luimême qui dénote une autre culture : « Un médecin se doit d’assumer une responsabilité envers les patients mais aussi envers la société, les autres professionnels de santé, et enfin, fi lui-même ». La déontologie américaine envisage la suite, c’està-dire des solutions institutionnelles clairement formulées (6) : « Que le comportement déviant soit la manifestation d’une pathologie sous-jacente ou non, il est important qu’il soit mis en évidence. Dans certains cas, les processus existants pour répondre à des griefs ou des travailleurs handicapés peuvent être élargis ou servir de modèle pour confondre les médecins déviants. Les règles de bonne conduite (règlements intérieurs institutionnels) doivent inclure une défi finition du comportement déviant qui justifiera fi une intervention. Elles doivent constituer un vecteur pour la déclaration et l’enregistrement des comportements déviants. Un seul incident peut ne pas justifier fi une action, mais chaque déclaration individuelle peut aider à identifier fi un comportement qui justifiera fi une intervention. Ces règlements doivent établir soigneusement les faits et les vérifier. fi Ils doivent formaliser une méthode pour informer le médecin déviant qu’un rapport a été établi et lui permettre de répondre aux éléments évoqués dans ce rapport. Plus encore, ils doivent envisager les moyens pour évaluer si le comportement du médecin en cause s’améliore. Les actions correctrices doivent être proportionnelles avec le comportement tel qu’il est rapporté. Ces règles doivent envisager un changement individuel du médecin mais aussi proposer un programme de réhabilitation structuré ». Une telle charte peut se décliner simplement (tableau I).

Tableau I – Éléments constitutifs d’une charte institutionnelle de gestion des comportements médicaux déviants (6). Définition Constitution Processus

Comportement perturbateur : comportement personnel (verbal ou physique) qui affecte effectivement ou potentiellement le soin au patient. Chaque service développe des règles pour intervenir face à un médecin déviant. Ces règles doivent garantir un processus diligent (due process) conduit par un comité médical ad hoc. Nommer les buts, incluant les enjeux de qualité des soins au patient, de l’environnement médical et des pratiques professionnelles. Décrire les comportements qui vont justifier une action. Créer la structure par laquelle les cas seront analysés et instruits. Formaliser l’analyse et la vérification des éléments constitutifs. Formaliser l’information du médecin de l’ouverture d’une procédure, et lui donner les moyens d’y répondre formellement. Suivre le changement de comportement du médecin. Engager des mesures (sanctions, programme de réhabilitation) proportionnées aux faits. La réduction de l’activité ou l’exclusion étant des recours ultimes. Déterminer nommément quels sont les pairs qui siégeront à cette commission et leur rôle respectif. Établir et garantir les règles de confidentialité qui s’appliqueront. Assurer la protection de ceux qui déclarent un comportement médical déviant.

224 Enjeux éthiques en réanimation Parmi les conseils donnés par des experts en management, on retient : la nécessité de garder des traces écrites sur les faits (qui, quoi, quand, comment, par qui, avec quelles conséquences). En retour, les médecins perturbateurs sont souvent enclins, du fait de leur personnalité, à contreattaquer par un recours contentieux. Pourtant, ces recours sont le plus souvent classés sans suite par les juridictions (aux États-Unis), lorsque le dossier est correctement documenté et instruit (20). Cependant l’effi fficacité de ces codes et règles de conduite semble devoir être relativisée par les données de l’enquête de l’ACPE. Ainsi, on a bien 71 % des directeurs médicaux qui ont mis en place de telles chartes, mais elles ne sont appliquées de façon uniforme que dans 46 % des cas, de façon variable dans la même proportion et heureusement jamais dans seulement 7 % des cas. Les conséquences de mesures coercitives sont toujours une discussion des faits avec l’intéressé (94 %), suivi d’un courrier explicite (68 %) et une injonction à suivre une thérapie comportementale (53 %). Parfois, il se solde par le licenciement (36 %). Le statut libéral et le pouvoir important des directeurs médicaux, outre-Atlantique, peuvent expliquer ce puissant bras de levier. Malgré cela, les problèmes médicaux (par opposition à ceux liés à d’autres corps professionnels de la santé), de par le statut des médecins, sont déclarés comme traités de façon moins systématique (63 %) que pour d’autres corps professionnels. Au fi final, les mesures coercitives sont jugées effi fficaces dans 38 % des cas… Ce chiffre ff peut sembler modeste. Mais au vu de ce qu’on observe en France, il apparaît comme un formidable résultat pour brider les médecins perturbateurs. Le Conseil de l’ordre des médecins, en regard du modèle américain, envisage surtout les problèmes de la cohabitation des médecins libéraux, à travers leurs confl flits de clientèle (19). On parle de « confraternité », de « médiation ordinale en cas de besoin ». La déontologie française, ainsi orientée vers la pratique libérale, apparaît peu adaptée pour résoudre des conflits fl au sein d’institutions ou même d’équipes. Forte de ce constat, et pour tenir compte du milieu hospitalier et de surcroît chirurgical, une déclaration spécifique fi sur les relations entre anesthésistes, chirurgiens, a été ajoutée au code de déontologie (21). Là encore, le médecin perturbateur est envisagé allusivement : « On s’abstiendra, notamment en présence de tiers, de toute injure, insulte ou calomnie. Aucune pression d’ordre matériel ou moral ne doit être faite… (envers un confrère) ». « De la même manière, un refus de collaboration ne peut être manifesté dans des conditions contraires à la confraternité : il suppose une information préalable entre praticiens qui doit être argumentée sur des éléments objectifs ». « … les praticiens qui

prennent en charge un même patient doivent se tenir mutuellement informés. En aucun cas, des dissensions personnelles ne doivent altérer cette obligation ». « Le respect des règles de la déontologie médicale, la signature de contrats soumis préalablement à l’Ordre pour avis, la mise en place de conférences médicales, constituent les meilleures méthodes pour éviter l’apparition de confl flits susceptibles de dégénérer entre confrères ». On laisse le lecteur juger par lui-même du décalage avec la vision nord-américaine. L’institution peut être un facteur causal. De ce fait, constater un comportement médical déviant nécessite une prise en compte du stress ou de l’agressivité du milieu professionnel, le cas échéant (22). En effet, ff les personnalités névrotiques, avec un passif d’événements personnels négatifs, sont des facteurs favorisants mais qui seront d’autant aggravés que l’institution et le management n’offrent ff pas de soutien individuel et que la pression de production est forte (23). On retombe alors dans les classiques problèmes managériaux d’entreprise que nos directeurs d’établissements de santé semblent bien en peine de maîtriser en France, faute de moyens et surtout de culture (24). Là encore, l’Amérique du Nord est plus volontariste et alloue des subsides pour tenter de remédier aux problèmes, selon l’hypothèse qu’un dysfonctionnement coûte plus que les solutions nécessaires à son éradication. Ainsi, sous l’égide des assureurs, de fonds privés mais aussi des États, des programmes d’assistance aux médecins en difficulté ffi ont vu le jour. On en dénombrait une soixantaine aux États-Unis, en 2004. Ils couvrent la prise en charge de l’ensemble des déviances médicales et leur suivi/accompagnement (13). En France, les mentalités évoluent, des études sont en cours. Les diffi fficultés seront, sans doute, similaires : les médecins demeurent in fine fi réticents à déclarer ou accuser leurs collègues (25), du fait d’un tissu relationnel étroit, et d’un exercice médical diffi fficile pour tous. La contrainte crée des solidarités, parfois au détriment de l’institution et des patients. L’administration, quant à elle, est excessivement tolérante envers ceux qui ont une forte activité et génèrent des profits fi pour l’institution. Or, ce sont parfois les mêmes qui posent problème ! En conclusion, cette analyse pourrait apparaître comme un panégyrique de la « méthode anglosaxonne ». Faute de données et de réelle expérience nationale, force est de regarder là-bas ce que l’expérience acquise a produit. Espérons que cette problématique qui émerge tout juste en France, permettra, à travers les études en cours (SMART), de stimuler la réfl flexion pour gérer les comportements perturbateurs, leurs causes et leurs conséquences.

Comportements médicaux perturbateurs 225

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Chapitre

Impact sur les soignants paramédicaux de la prise de décision des limitations thérapeutiques en réanimation adulte

25

N. Mourey

Introduction

L

a réanimation adulte génère des satisfactions et des souff ffrances pour les soignants. La confrontation aux situations de fin fi de vie est parfois lourde et diffi fficile à vivre pour tous les acteurs de soin. La loi du 4 mars 2002 (1) relative aux droits du malade et dans son prolongement celle du 22 avril 2005 (2) sont venues préciser les nouvelles règles de la relation médecin-malade lors de tout projet thérapeutique et créer des droits spécifi fiques au patient qu’il soit ou non en fin fi de vie. Arrêter ou suspendre le traitement d’un malade signifie fi toujours, à court ou à moyen terme, un décès avec toute la signification fi personnelle que cela a pour le patient et pour sa famille bientôt endeuillée. Cette décision a aussi des conséquences sur chaque soignant, mais l’impact sur les acteurs paramédicaux diffère ff selon leur niveau d’implication lors de la réflexion fl collégiale et du processus décisionnel. En réanimation, la prise en charge d’un patient intègre des traitements différents ff se référant à une thérapeutique à visée curative ou à une technique de suppléance d’une défaillance d’organe, au moyen de technologies sophistiquées. La mort survient donc statistiquement très vite à l’arrêt de cette suppléance. Elle associe aussi des soins de « confort » et de « support » auxquels les soignants sont très attachés de par leur formation. Le vécu des limitations thérapeutiques peut être très différent ff selon l’organisation et la gestion de la décision.

Implication et ressenti des soignants dans la décision Quel type de dilemme revient de façon récurrente en réanimation ? Dans certaines circonstances, L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

l’état du malade ne s’améliore pas malgré le recours à des traitements curatifs conformes aux meilleures données actuelles de la science. Les équipes en viennent à s’interroger sur l’existence d’une éventuelle obstination déraisonnable et, de fait, sur la pertinence de ne pas s’acharner en prenant des décisions de limitation thérapeutique. « Dans cette spécialité basée sur le recours à des supports artifi ficiels d’organes défaillants, le risque d’acharnement thérapeutique est très présent dès lors que le maintien des appareils n’a plus de bénéfice fi attendu en termes de qualité de vie ou de survie et qu’il prolonge l’agonie des patients » (3). L’étude LATAREA (4), réalisée dans 113 centres hospitaliers français, incluait 7 309 patients. Elle met en évidence des éléments essentiels de la réfl flexion, comme le fait, par exemple, que seulement la moitié des décisions avait impliqué les infi firmiers(ères) et les proches. En réanimation, les soignants sont bercés dans une culture de vie et de survie. Quatrevingt pour cent de la population décèdent à l’hôpital, 20 % en réanimation et un(e) infirmier(ère) fi accompagne un décès par semaine (4). C’est un lieu où domine un environnement technique où, pour une majorité des patients, les organes sont assistés. Un décès sur deux résulte d’une interruption de traitement (4). Quand une situation est irréversible, nous nous devons de passer des soins curatifs aux soins palliatifs. L’observation par Nancy Kentish-Barnes, dans quatre services de réanimation, montre la mise flit de plusieurs principes éthiques dans les en confl décisions de fin fi de vie : la préservation de la vie, le respect de l’autonomie du patient, l’évitement de la douleur, principes auxquels les soignants sont fortement attachés (5). L’étude RESSENTI (6) affiche ffi les discordances de perception du processus décisionnel au sein des équipes, en particulier en révélant une très grande insatisfaction des infi firmiers(ères) pouvant être considérés(es) comme le meilleur témoin de l’évolution du patient.

228 Enjeux éthiques en réanimation Cette étude a mis en évidence les divergences de perception entre médecins et infi firmiers(ères) devant des décisions de fin de vie. Trois mille cent cinquante-six infi firmiers(ères) dans 133 centres hospitaliers français ont répondu à un questionnaire. L’application des limitations ou arrêt des thérapeutiques actives est perçue comme satisfaisante pour seulement 33 % des soignants. Trois critères importants pour le groupe paramédical dominent : une détresse émotionnelle, la souff ffrance physique et l’espoir d’une qualité de vie. Pour les médecins prime la notion de futilité. Quatre-vingt dix pour cent des membres de l’équipe paramédicale ont déclaré que les décisions devraient être collégiales alors que seulement 27 % pensent que, dans la pratique, les infi firmiers(ères) ont été impliqués. Pourtant l’infirmier(ère) fi est constamment aux côtés du patient. Être écarté(é) d’une prise de décision de limitation thérapeutique est une souff ffrance supplémentaire, l’impression d’être un simple exécutant. La non-concertation entre soignants médicaux et paramédicaux est source de conflit fl et cultive un climat de contestation des décisions prises unilatéralement, qui sont, de ce fait, moins bien acceptées. C’est aussi se priver de la connaissance qu’ont les infi firmiers(ères) du ressenti et de l’état d’esprit du patient et de son entourage. L’exclusion des infi firmiers(ères) est également le refl flet d’une absence de cohésion entre équipe médicale et paramédicale. Avec la loi du 22 avril 2005 relative aux droits du malade et à la fin de vie (2), l’équipe paramédicale doit être concertée, écoutée, et son avis pris en compte. Sa présence lors d’un staff ff éthique lui apporte une meilleure compréhension du diagnostic et du pronostic. Cette loi a donné aux soignants un rôle participatif lors des décisions de limitation thérapeutique. Leur collaboration aux cours de ces réunions est capitale car elle légitime leur place, renforce la notion d’équipe et est le reflet fl d’une collégialité. Lorsque des décisions difficiles ffi sont prises en équipe, les infi firmiers(ères) risquent bien moins d’en supporter seuls les conséquences psychologiques. Le risque d’épuisement professionnel ou d’incompréhension s’en trouve diminué.

quand les soins n’ont plus de sens. Soigner un mourant suscite de la lassitude et un désinvestissement quand aucune décision n’est prise. En effet, ff les décisions de passage aux soins palliatifs donnent un sens au soin dans son ensemble, comme à l’accompagnement des patients et des familles. Par le toucher, l’infi firmier(ère) a connaissance de la douleur de la personne malade et faire souffrir ff un patient inutilement est intolérable car c’est lui/ elle qui exécute les soins (5). Respecter les valeurs morales du patient, calmer la douleur et l’anxiété répond aux valeurs professionnelles infirmières. fi L’application des limitations thérapeutiques est d’autant plus facilitée car elle est synonyme du respect de la dignité du patient. La perte de dignité pour le soignant est liée à différentes ff notions : la dégradation de l’image corporelle, la négation de la personne et son devenir en termes de qualité de vie. L’étude ETHICATT (7) démontre que la qualité de vie est plus importante aux yeux des médecins et des infirmiers(ères) fi que la valeur de la vie quand il s’agit de prendre une décision de limitation thérapeutique. Dans l’étude multicentrique MAHO (8), seulement 35,1 % des soignants jugent la qualité de fi fin de vie acceptable. Les principaux facteurs associés à cette perception sont l’existence d’un protocole écrit pour la fin de vie, l’anticipation de la mort, l’information de la famille, un contrôle satisfaisant de la douleur, la présence de la famille ou des amis au moment du décès et un staff ff avec la famille avant le décès. Les soignants souffrent ff de « l’obstination déraisonnable » et sont parfois révoltés devant l’absence de respect de la personne mourante. C’est pourquoi ils sont, eux-mêmes, parfois, demandeurs d’une réfl flexion sur des décisions de limitation thérapeutique car des soins « inutiles » ou douloureux sont psychologiquement intolérables pour les infi firmiers(ères). « La pression sociale s’exerce également sur les soignants à propos du sens de leur mission. “À quoi ça sert de prolonger des souffrances ff inutiles ?” fait peser sur les soignants une lourde question. En eff ffet, le soignant s’interroge sur l’utilité sociale de son métier. Il se représente comme répondant à des demandes individuelles de soins, de soulagement, de restauration de santé. “ À quoi ça sert… ?” est une manière de nier le sens que le soignant donne à son métier » (9).

Réponse aux valeurs professionnelles La proximité des soignants avec les patients entraîne un regard diff fférent par rapport au regard strictement médical (5). Poursuivre les soins d’un patient qui devrait déjà être mort devient pénible pour certains soignants et génère un sentiment d’inutilité. Il leur est diffi fficile de rester motivés

Relation avec les familles Les infi firmiers(ères) jouent un rôle important auprès des proches. Ils les accueillent, les accompagnent au lit du patient, leur donnent des explications. Le

Impact sur les soignants paramédicaux de la prise de décision des limitations thérapeutiques en réanimation adulte 229 malade étant très souvent dans le coma ou sédaté, ils deviennent rapidement les interlocuteurs privilégiés de l’entourage. Ils échangent beaucoup avec les familles et connaissent parfois la perception du ressenti du patient, des proches, ainsi que leurs souhaits. Les informations connues par les soignants leur permettent souvent de « négocier » les modalités d’application de la décision. Les familles se sentent beaucoup plus proches d’eux et les perçoivent comme une source d’information considérable avec, souvent, un langage plus simple. Ils les considèrent comme plus disponibles et sont très sensibles à la proximité qu’ils ont avec le patient. Quand l’équipe manifeste un consensus fort autour des décisions, les familles le perçoivent et le dialogue avec ces dernières se déroule sur des bases saines. La méconnaissance des décisions prises par nonparticipation à la réflexion fl ou non-adhésion génère un « mal être » vis-à-vis des proches. La peur de mal informer les familles est importante. L’infirmier(ère) fi se sent perdu s’il n’a pas la connaissance de ce qui a été dit préalablement ou s’il n’a pas participé aux décisions. Ces attitudes engendrent une distanciation vis-à-vis du patient et de la famille, de l’indiff fférence, voire de l’abandon.

Valorisation du travail En réanimation, le patient est, le plus souvent, inconscient, artificiellement fi ou non. L’infi firmier(ère) est constamment à ses côtés, lui prodigue des soins, le nurse. Si la relation est centrale dans la défi finition du métier, elle devient ici quasiment inexistante et le travail du soignant est alors empreint de détresse. « “Il existe donc des patients à relation”, souvent ceux qui survivent et des patients “objets de soins”, deux types de patients nécessaires à la reconnaissance de l’infi firmière : reconnaissance par le patient lui-même dans le premier cas, reconnaissance des médecins et collègues dans le second cas » (5). L’absence de concertation des soignants génère chez eux un manque de reconnaissance professionnelle et personnelle. Clarifi fier le projet thérapeutique allège le traumatisme de la décision et ses conséquences, facilite l’exécution des décisions et valorise leur travail. C’est le refl flet d’une prise en compte du rôle des soignants et de leurs opinions.

Conséquences L’étude BOS-REA II (10), qui évalue le burn out syndrome (BOS) chez les soignants, a montré un épuisement professionnel chez 27 % des

infi firmiers(ères) de réanimation sur le territoire français dont 11 % atteints de dépression grave. Réalisée dans 286 centres hospitaliers, 2 392 membres de l’équipe paramédicale ont répondu à cette étude. Le BOS est défini fi selon trois critères : l’épuisement émotionnel, la déshumanisation de la relation à l’autre, la perte de l’accomplissement de soi au travail. Les sources de stress sont liées à la fréquence des décisions, à leur encadrement, aux patients, aux familles et aux équipes. Différents ff facteurs sont associés au BOS, comme le nombre de décisions de limitation thérapeutique au cours de la dernière semaine, le nombre de décès et la prise en charge d’une fi fin de vie. L’existence de confl flits augmente le risque de BOS sévère. Une mauvaise gestion de l’exécution de décisions de limitation thérapeutique apparaît donc comme un facteur favorisant l’épuisement. Les facteurs permettant de limiter les risques de burn out sont (10) : faire un effort ff d’adaptation du nombre d’infi firmiers(ères) aux contraintes, créer des groupes de travail, prévenir les conflits, fl encadrer les décisions de limitations par des procédures décisionnelles optimales. Dans le service de réanimation médicale de l’Hôpital Saint-Louis à Paris où j’exerce, les staffs ff décisionnels de limitation thérapeutique sont une pratique régulière. Ils sont réalisés avec l’équipe qui prend en charge le patient : médecin, infirmier(ère), fi aidesoignant(e), cadre. Chaque membre donne son avis et est écouté. Aucune décision n’est prise et appliquée si un acteur n’est pas d’accord ; un consensus est trouvé ou, les décisions évoquées reportées si elles ne font pas l’unanimité. L’expérience a montré, à diff fférentes reprises, que la participation des soignants paramédicaux est toujours positive et source de satisfaction. Leur présence favorise une vision complète du patient et engendre des décisions adaptées. L’impact des limitations est rarement délétère pour les soignants paramédicaux. Au contraire, ils sont souvent soulagés car ils pensent, bien avant les médecins, que la situation du patient est de l’ordre de l’acharnement thérapeutique, de l’obstination déraisonnable. Guidés par le souhait d’une fin fi de vie digne, ils sont moins sensibles à « l’échec » et l’acceptent plus facilement. C’est pourquoi les soignants sont parfois demandeurs eux-mêmes d’un staff décisionnel. Ils discutent tout d’abord entre eux et avec l’encadrement, échangent leurs sentiments avant de les évoquer avec le réanimateur. Je n’ai jamais été confronté à un soignant en réelle diffi fficulté devant l’application de décisions prises de façon collégiale. Différentes ff raisons en sont à l’origine : l’implication dans la discussion, le respect du patient en soulageant sa douleur et en préservant sa dignité. Dans mon service, ces staffs ff font partie intégrante de l’organisation des soins, de la prise en charge

230 Enjeux éthiques en réanimation des patients. « Le passage aux soins palliatifs » est vécu par les soignants paramédicaux comme une « normalité » quand les soins curatifs deviennent « inutiles ».

Conclusion Mon expérience me donne à penser qu’une meilleure gestion des situations de fi fin de vie en réanimation permet de mieux répondre à la demande des patients et des familles, de respecter la dignité du mourant et des proches bientôt endeuillés, mais aussi de diminuer le sentiment d’épuisement professionnel des soignants. Le processus décisionnel se doit d’être multidisciplinaire et collégial dès son début. Ainsi, médecins et infirmiers(ères) fi doivent apprendre à travailler plus ensemble, se comprendre et s’aider dans le rôle diffi fficile de la prise en charge de la fin de vie en réanimation. Il ne faut pas faire de la collégialité « un quart d’heure » avant la mort du malade. Les soignants doivent discuter en amont, s’asseoir autour d’une table, connaître l’environnement du patient, qui le représente, ce qu’il souhaitait, son histoire. En amorçant le processus très tôt, on arrive à prendre des décisions plus tôt, plus adaptées, et donc à diminuer l’acharnement thérapeutique. L’acceptabilité du projet thérapeutique dans un contexte de fin fi de vie peut être sensiblement améliorée par le respect des bonnes pratiques. Les personnels infirmiers fi risquent moins d’être désemparés quand les procédures écrites existent : recueil des souhaits du patient, traçabilité des décisions et modalités de mise en œuvre de ce qui est décidé (11).

Des réunions régulières de prise de décisions, et de débriefi fing entre médecins et infi firmiers sont nécessaires pour que les deux parties puissent prendre conscience de la complémentarité de leur position mutuelle (12). Les soignants doivent participer à tous les niveaux : décision, mise en place des limitations et entretiens avec les familles. Ainsi, l’impact de la limitation thérapeutique s’en trouve amoindri et les conséquences allégées.

Références 1. Loi du 4 mars 2002 relative aux droits du malade et à la qualité du système de santé 2. Loi du 22 avril 2005 relative aux droits du malade et à la fin de vie 3. Ferrand E (2004) La fin de vie en réanimation. Espace éthique, Paris 4. Ferrand E et al. (2001) Étude LATAREA. Lancet 5. Kentish-Barnes N (2008) Mourir à l’hôpital, Seuil 6. Ferrand E, Lemaire F, Régnier B, et al. (2003) Discrepancies between Perceptions by Physicians and Nursing Staff of Intensive Care Unit End-of Life Decisions for the french Ressenti Group 7. Sprung Cl, Carmel Sara, Sjokvist P, et al. (2007) Attitudes of European physicians, nurses, patients, and failies regarding end of life decisions : the ETHICATT study. Inensive Care Med 33: 104-110 8. Ferrand E, Jabre P, Vincent Genod, et al. (2004) Circumstances of Death in Hospitalized Patients and Nurses’Perceptions French Multicenter Mort-a-l’Hôpital Survey 9. Schaerer R (1999/2000) Les soignants face aux demandes réitérées de mort. Jusqu’au bout de la vie. Espace éthique, La lettre 9-10-11, automne-hiver 1999/2000, p. 96-99 10. Poncet MC, Azoulay E (2006) Burnout Syndrome in Critical Care Nursing Staff. ff AJRCCM 11. Ferrand E (2007) Mourir aujourd’hui à l’hôpital. Arrêt de vie, fin de vie, euthanasie, Espace éthique 12. Azoulay E, Sprung CL (2001) Family-physician interactions in the intensive care unit. Critical Care Med 29: N24-25

Chapitre

Impact sur les soignants paramédicaux de la prise de décision des limitations thérapeutiques en neuroréanimation

26

M. Ikène-Thiers, J.-M. Thiers

Introduction

L

a réanimation neurochirurgicale à la suite de l’engagement thérapeutique maximal du début de la prise en charge et/ou de la réanimation intensive engendre une très forte incertitude sur l’avenir d’un certain nombre de patients (10 à 15 % par an du total observé). L’équipe soignante ne sait pas d’avance si les patients pourront récupérer leurs facultés de vie antérieures, voire, à des degrés divers, une autonomie. L’évolution du patient est aussi affectée ff par l’éventualité d’un état végétatif chronique (EVC) sans retour à la conscience. De la même façon, peut s’installer un état paucirelationnel, forme anarchique et fl fluctuante du retour à la conscience chez des patients souvent très lourdement séquellaires ne permettant pas de retour à l’autonomie. Cela implique une altération profonde des capacités de communication sans que, pour autant, elles puissent être déclarées disparues. À chaque étape de l’évolution des patients, la question du « juste soin » s’impose à l’entourage. La part d’incertitude qui affecte ff le devenir du patient rend complexes les questions d’éthique comme les choix médicaux qui s’y rattachent. En conséquence, chaque orientation ou réorientation de soins varie en fonction de la détermination de ce que sera l’autonomie réelle, avec ce paramètre supplémentaire de sa perception par les familles. L’orientation des soins apparaît plus clairement lorsque les patients échappent à toute thérapeutique intensive et curative et s’acheminent vers la mort cérébrale. Ces situations de fin fi de vie qui nécessitent l’accompagnement des familles dans la limitation ou l’arrêt des thérapeutiques actives, la mise en soins de confort, apportent aussi leur part de tension, de douleur, même si le risque a été envisagé dès le début de la prise en charge. Les lois du 4 mars 2002 et du 22 avril 2005 (1), relatives aux droits des malades et à la fi fin de vie, légitiment les décisions médicales, comme les L. Puybasset, Enjeux éthiques en réanimation © Springer-Verlag France, Paris 2010

recommandations des sociétés savantes, ou les pratiques. Elles vont dans le sens du respect des patients, engagent et soutiennent les familles. Plus symboliquement, elles mettent en valeur le dialogue méthodique entre les acteurs du soin sur des sujets traditionnellement tabous, comme la mort ou l’évaluation du niveau « acceptable » du handicap neurologique. Aux incertitudes, correspond l’interrogation des équipes soignantes. À la souffrance, ff répond le ressenti des familles. Il s’agit ainsi de faire face à des mutations d’organisation sociale et de méthodologie professionnelle qui accompagnent les avancées éthiques contenues dans la loi. Comment le personnel paramédical intègre-t-il ces données face à la complexité des situations en neuroréanimation, quel impact, notamment, peut avoir sur lui la prise de décision de limitation thérapeutique. C’est l’objet de cette réflexion. fl À titre liminaire, l’étymologie du mot « impact » confère à ce questionnement une portée dialectique. En latin, « impactum » de « impingere » signifie frapper violemment, l’impact est donc la trace fi d’un choc. Ce terme a fait l’objet d’un emprunt tardif par le français qui en a gardé, d’une part, le sens original dans l’expression « point d’impact », mais en a, d’autre part, affaibli ff le sens en l’assimilant à « influence fl » que son origine, tout aussi latine, ne destinait pas à cette sémiotique. Deux idées, donc, qui, ramenées au champ ontologique de la pratique paramédicale auront vocation à s’appliquer successivement ou conjointement, selon les facteurs décisifs du cours de la réanimation. Le rapport sur la loi Leonetti (2), dans l’emploi de ce terme, penche d’ailleurs tantôt pour une signifi fication, tantôt pour l’autre, l’impact étant qualifi fié de « faible » « mesuré » « symbolique » « majeur » ou « fort » (8 occurrences). La première partie sera consacrée à l’analyse de l’état actuel d’implication des paramédicaux.

232 Enjeux éthiques en réanimation

Degré et nature de l’implication des paramédicaux dans les procédures de décisions Degré A priori, l’assimilation des enseignements théoriques et pratiques telle qu’ils résultent des décrets et référentiels de compétence (2004 et 2007) (3), des infirmiers fi et aides soignants devrait éliminer toute ambiguïté des rôles et actions des soignants paramédicaux : « – respect du patient ; – prise en compte de l’évolution des sciences et techniques ; – mise en place des recueils d’informations utiles ; – mise en œuvre des engagements thérapeutiques associant médecin, personnel infirmier fi et patient. » Malgré cela, on constate de nombreuses réactions du personnel paramédical fondées sur la culture du sentiment de défaut de reconnaissance. Ce phénomène, peut-être transitoire, est vraisemblablement lié au contexte général des mutations professionnelles. On peut comprendre ces réactions mais elles entretiennent un clivage au sein de l’équipe soignante incompatible avec le bénéfi fice attendu du partage d’informations : – respect de la dimension biopsychosociale des patients ; – expression des doutes partagés sur les choix thérapeutiques. À cet égard, l’étude RESSENTI (4) met en évidence de nombreuses divergences entre infirmiers fi et médecins, notamment le peu de sentiment d’implication dans les processus de décisions de limitations thérapeutiques (seulement 31 % des infirmiers fi se disent impliqués par les médecins et 8 % satisfaits des discussions quand elles ont lieu). D’une enquête interne [« Prise en charge par les paramédicaux des patients en LATA en neuroréanimation ». 90 questionnaires distribués à 70 % d’IDE et 30 % d’aides soignants, 65 questionnaires remplis, 25 rendus vierges. Aurélie Lemaire, Marie Jeanne Ikene (2007/2008)], menée en neuroréanimation chez les paramédicaux, il résulte que : – 83 % se sentent peu impliqués dans la prise de décision ; – 86 % sont, cependant, en accord avec les décisions de LATA (forme d’acceptation de l’alliance thérapeutique). Au sein de leur rôle propre dans le cadre des LATA, le personnel infirmier fi : – à 40 %, souhaite une plus forte implication ; – à 30 %, pense cette implication inutile ; – à 13 %, ne se pose aucune question sur ce sujet ; – à 18 %, se dit satisfait de l’état actuel.

L’écart est patent entre le sentiment de faible implication, majoritaire, et la volonté d’implication qui reste mitigée. Cette situation n’est pas rattachable à une insatisfaction vis-à-vis des décisions prises, tant il est vrai que si la question de l’obstination déraisonnable est toujours posée, les limitations thérapeutiques ne sont pas obligatoirement liées à une mort imminente chez les patients en état végétatif chronique ou paucirelationnel et, quand le décès intervient, c’est beaucoup plus tard que dans les autres secteurs de réanimation. Ce délai entre la décision de LATA et le décès n’y excède pas en général 72 heures, alors qu’en neuroréanimation il s’échelonne sur une à trois semaines. Ce temps de latence confère aux décisions d’orientation, non pas l’aspect d’une démarche liée au risque de mort, mais bien celui d’un projet thérapeutique, respect du patient et de son entourage, même à court délai. Il y a donc aussi un lissage de la situation de choc qui en minimise l’effet ff d’impact. Les décisions ne sont donc pas à sens unique. Elles varient, non seulement en fonction de l’état du patient, mais aussi de l’attitude de la famille. On constate, sur ce point, aussi bien une volonté de prise en charge du patient, malgré sa dépendance totale et son impossibilité de communication, qu’un déni, un rejet lors de l’annonce du pronostic définitif. fi Les médecins à qui incombe légalement la protection des droits du patient se sentent totalement responsables de sa prise en charge à raison du choix thérapeutique initial. En revanche, l’équipe soignante n’est destinataire de souhaits du patient, occasionnellement, qu’à travers les témoignages des familles, significatifs, fi même s’ils ne sont jamais neutres, en raison de leur contenu affectif. ff Force est de reconnaître l’existence d’un domaine incertain, ouvert à la décision, qui concerne le degré acceptable d’autonomie ou du handicap comme son corollaire : la pertinence d’une continuation ou d’un arrêt des soins curatifs. Entre éthique de la conviction et éthique de la responsabilité, la recherche du sens ou de l’existence possible de « l’équitable » est au cœur des questionnements. Toute solution radicale est diffi fficile à envisager. La loi ne s’y est pas risquée ; elle aurait figé un état mouvant n’engendrant que plus d’incertitude ; elle a rejoint le principe de Portalis, selon lequel on ne doit légiférer qu’en tremblant, par là, elle invite à la réfl flexion et elle l’accompagne. Les paramédicaux participent à cet accompagnement.

Nature de l’implication Sur le terrain Jusqu’où les soignants doivent-ils élargir leur propre capacité à soigner ? Certains s’investissent

Impact sur les soignants paramédicaux de la prise de décision des limitations thérapeutiques en neuroréanimation 233 exclusivement dans les soins de proximité (soins de confort ou reprise des soins curatifs lorsque cette situation se présente), niant parfois même l’utilité du processus décisionnel (forme de protection individuelle ?). D’autres souhaitent participer à toutes les étapes du processus décisionnel. L’effort ff à faire semble donc devoir porter sur l’inclusion de l’approche individuelle vers une approche plus collective et par là même l’obtention d’un certain degré d’homogénéisation des pratiques. D’autre part, dans l’hypothèse de la persistance de la vie, l’observation attentive de la famille et son accompagnement prennent un relief particulier lorsque de l’être-sujet ne demeure que le corps-objet, voire le regard, reflet fl externe de la conscience. La réanimation est toujours transitoire, le soin quotidien une sujétion permanente. La famille a-t-elle la capacité, la vocation à l’assumer ? Sinon, qui ?

D’après le vœu de la loi Au moment de l’enquête citée ci-dessus, 63 % des paramédicaux avaient une connaissance globale des définitions fi consensuelles de l’acharnement thérapeutique et de l’euthanasie, 15 % de la notion de collégialité active, 10 % de la loi dite Leonetti. La théorie du « double effet ff » concernant les rôles simultanés des sédatifs restait une notion inconnue. Les connaissances nécessaires à la réflexion fl partagée et à son inscription dans le processus de décision n’étaient pas encore acquises. C’est à une véritable « acculturation » de l’éthique palliative tant chez les paramédicaux que chez les médicaux à laquelle il faut procéder. Cette première enquête avait pour but de dresser un état des lieux. À distance et suite à la mise en place de groupe de travaux, une autre enquête sera réalisée, portant sur l’avancée des pratiques. La mission d’évaluation de la loi le relate clairement « la loi est mal connue et mal comprise ». Il n’aurait pas été raisonnable d’espérer une irruption mutatis mutandis : l’harmonisation des pratiques autour des limitations thérapeutiques et de la fin fi de vie en réanimation ne peut intervenir que dialectiquement entre résistances catégorielles et volonté d’évoluer. Or, l’engagement moral et professionnel suppose, chez les paramédicaux, des contraintes que leur formation initiale décrit mais qui ne sont pas immédiatement transposables dans la spécialité de la réanimation. Il en est ainsi de la présence régulière aux entretiens avec les familles, la participation au groupe éthique, la recherche d’informations objectives engendrant l’élargissement des connaissances et des compétences qui prennent ici une coloration particulière, en fonction d’une utilité collective qui dépasse la revendication individuelle.

Cet engagement illustre aussi la nature des responsabilités de chacun face à ses propres actes, projetant ainsi, selon la loi, le personnel paramédical vers une défi finition plus large de sa reconnaissance.

Devenir professionnel Démarche participative À ce jour, l’obligation faite aux médecins par la loi de ne pas prendre de décisions exclusives (Art. 5 mod. 111-14 CSP) devrait effacer ff le sentiment d’exclusion des soignants qui entretenait un clivage avec les médecins dans une forme de révolte intime. En même temps, cette nouvelle représentativité eff ffraie en touchant au sujet de la fin de vie. Elle se traduit par une interrogation sur le niveau de responsabilité de la décision de limitation thérapeutique pouvant entraîner le décès du patient. Or, la loi est claire : le ou les médecins prendront la décision fi finale après concertation avec l’équipe, avis de la famille, consultation de la personne de confi fiance, et délibération (Art. 37 du Code de déontologie médicale ou 4127-37 CSP). Les paramédicaux sont donc consultés en tant que professionnels responsables de leur patient, dans la limite de leurs fonctions. L’aff ffrontement entre l’engagement total dans les soins de proximité au patient et la participation à une décision de limitation ou d’arrêt de ces mêmes soins paraît insurmontable à certains, en raison même du caractère « perlé » ou « fragmenté » de cette participation. Ne paraître dans le processus de décision qu’au moment crucial semble une intrusion négative de l’effort ff quotidien. Le manque d’information ou des informations partielles, des incompréhensions face à une certaine conception du soin peuvent entraîner une rupture de la cohésion de ces soins.

Exigences de la participation Au plan technique Dans l’enquête citée ci-dessus, 73 % des paramédicaux expriment leurs besoins et leur attente en estimant que la qualité des transmissions sur les patients en LATA détermine la qualité des soins. Par ailleurs, 70 % sont en demande de formation sur l’entretien avec les familles et les soins palliatifs. Il est donc nécessaire, voire indispensable, que les médecins et l’équipe d’encadrement impulsent et organisent la mise en application de ce processus.

234 Enjeux éthiques en réanimation Sans un projet de service qui tienne compte de la charge de travail, une initiation progressive à l’acquisition des connaissances spécifi fiques et à leur mise en œuvre, la revalorisation des compétences et l’engagement participatif peuvent rester une seule intention. L’infl fluence de la loi, son caractère directeur, ne serait qu’un impact, un choc, une collision entre des éléments irréductibles qui compromettraient les progrès éthiques.

Au plan éthique La réflexion fl sur ce sujet doit se faire en amont. En eff ffet, l’éventualité de l’aggravation ou de l’absence d’évolution de l’état du patient permet de ne pas cultiver « l’espoir de guérison » en tant que seule issue acceptable et, partant, d’accepter naturellement la décision de limitation thérapeutique en intégrant, par avance, les composantes affectives, ff chez les soignants comme chez les familles. Il n’est pas certain que l’affectivité ff soit appréhendée de façon exhaustive. Elle touche à la possibilité de « retarder la mort au-delà d’un point où la vie ainsi prolongée garde son prix », (H. Jonas, Le droit de mourir, p. 84) (5), donc à la fi fixation de la valeur de cette vie dans le monde des vivants. La fin, fi proche, irrémédiable n’enlève rien à la valeur de la vie qui s’achève, la fin retardée par la persistance, ou avancée par l’arrêt des soins, perturbe l’ordre naturel au nom d’une éthique souhaitable qui peine à trouver sa place et inclut, volens nolens, tous ceux qui y assistent pour leur demander des comptes. L’aff ffectivité joue alors le rôle de fixateur du niveau éthique en associant à la raison un « cœur intelligent ». Il est donc normal que les paramédicaux, forts de leurs expériences, de leur ancienneté, sensibilisés à la fréquence et à la prévisibilité des limitations thérapeutiques privilégient à 55 % (voir enquête ci-dessus) la pratique des soins palliatifs qui leur permettent de satisfaire à leur devoir d’accompagnement « jusqu’au bout ». Ils admettent également à 45 % que la création d’un staff ff éthique, pluridisciplinaire, est un lieu d’échange privilégié interprofessionnel permettant d’améliorer la compréhension du patient et, par là, la communication avec les familles, notamment dans l’hypothèse de la fin fi de vie. Ainsi, la communication triangulaire, médecins/ paramédicaux/familles, apparaît comme le support commun qui substitue la complémentarité à la dispersion des approches. En revanche, une opinion contraire, non négligeable, réfute la création de ce même staff ff qui n’aurait, selon elle, pas plus sa place en neuroréanimation que la poursuite des soins palliatifs dans cette unité. Les arguments invoqués reposent essentiellement sur le manque de moyens humains

et matériels et la structure d’organisation des services. Cette opposition a le mérite de faire ressortir la complexité du passage des soins curatifs aux soins palliatifs en neuroréanimation. Les patients ne sont, en eff ffet, pas « en phase avancée ou terminale d’une aff ffection grave, évolutive et incurable » (défi finition de la SFAP – 1996), telle que la décrit aussi la loi de 2005 dans ses diverses dispositions. En revanche, les soins palliatifs sont « complets, donnés aux malades dont l’affection ff ne correspond plus aux soins curatifs… Ils ne hâtent ni ne retardent le décès. Leur but est de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la mort » (définition fi OMS – 1990). L’incomplétude du cumul des critères ne doit pas dissimuler que le but primordial des soins palliatifs est bien de s’adresser à un être vivant jusqu’au terme de son existence. On peut s’interroger sur la définition fi de la qualité de vie pour un patient en ECV ou EPR, au travers des paramètres de durée (notion de temporalité du handicap « acceptable »), de souff ffrance physique ou morale. Des professionnels sont formés à ces situations mais il n’est effectivement ff pas certain que les paramédicaux de neuroréanimation puissent intégrer cette discipline à leurs pratiques sur une longue durée. Il ne s’agit pas de mettre en cause la volonté de ce personnel mais de répondre à un schéma d’organisation de la disponibilité pour la mise en place de tels soins (notamment de gestion et d’utilisation dans le temps de la charge émotionnelle). Ceux-ci, en s’installant à la marge des impératifs de la neuroréanimation, peuvent susciter un certain trouble dans la perception de la mission de réanimation, nuisant à la synthèse des relations entre le soignant et le soigné.

Relation du soignant avec le patient et son entourage De ce qui précède, on infère que la prise en compte de l’entourage va de pair avec l’état du patient qui guide la réflexion. fl

Relation avec le patient En devenir Cette relation pose immédiatement la question de l’estime qui, par une étymologie heureuse, emporte la notion de poids, ce qui revient à poser la question du poids de la relation entre le soignant et le patient. À l’évidence, l’estime existe, professionnelle, proportionnelle à la disposition des soignants, quel

Impact sur les soignants paramédicaux de la prise de décision des limitations thérapeutiques en neuroréanimation 235 que soit l’état du patient. Touche-t-on pour autant à l’empathie au-delà de l’écoute et du soutien ? La confi figuration toute particulière de la neuroréanimation peut faire redouter « l’appropriation » du patient ; celui-ci, souvent très dépendant des machines, ajoute au droit commun de toute réanimation, son incapacité à communiquer et livre son corps, objet d’une attention exclusive qui confine fi intellectuellement à l’appropriation. L’infirmier fi œuvre pour la vie, la restitution de l’intégrité. Il explore l’individu dans son environnement affecff tif, ses antécédents médicaux, recueille les données en constituant une trame de communication que le patient, dans son incomplétude provisoire, lui abandonne. L’importance de la communication avec la famille, mais surtout avec les médecins, est essentielle dans cette période indéterminée où le soigné est suspendu entre la vie et la mort. Attente terrible pour la famille, latence vigile pour le soignant dans une longue période d’évaluation et d’observation des signes de réveil ou de la pérennité de l’état d’absence. C’est, encore une fois, le moment de grande incertitude sur le terme. Le paramédical est aux aguets, au-delà de la « surveillance standard », de tous les mouvements potentiellement expressifs (grimaces, expressions, faciès, apaisement, ouverture des yeux, larmes, augmentation de la fréquence cardiaque, spontanée ou en rapport avec…, raideur des membres, positions réfl flexes) et doit être réactif dans l’adaptation des soins. Cette réactivité, typiquement professionnelle dans son objectivité clinique, s’augmente du sens même de la relation avec le patient. Le paramédical a besoin de comprendre le patient, au-delà de la technique. Il s’opère chez lui une approche de l’intimité qui va évoluer en raison de l’évolution du patient, en mariant l’optimisation des soins avec la sollicitation des propres ressources du patient pour sa restauration. Cette période est propre à la neuroréanimation et peut être confrontée à une éventuelle stagnation de l’état du patient.

Paramédical et états dégradés Le patient, même en période d’évaluation, dépend intégralement du soignant qui s’en occupe physiquement et moralement comme d’un enfant. Chrysalide enfermée dans le cocon de la réanimation, il est l’objet de toutes les attentions teintées d’aff ffectivité fragile. A contrario, en cas d’absence d’évolution, certains soignants développent une attitude d’évitement du patient. À cet instant, les limitations thérapeutiques peuvent être perçues comme un soulagement qui vise aussi bien le refus de l’obstination déraisonnable ou d’acharnement

thérapeutique que l’abandon de soins. Il est donc de première importance, en réanimation, que les paramédicaux puissent partager leur professionnalisme, mais aussi leur ressenti avec l’ensemble de l’équipe et les médecins. Anne Perrault dit avec beaucoup de pertinence qu’il faut « un travail de maturation et de réflexion fl indispensable à la digestion de la fréquentation mortifère de la misère humaine. » Symboliquement, et c’est là une des grandes fragilités et force à la fois du soignant, il n’échappe pas au sentiment d’inacceptabilité de la mort « car ce qui fait la mort étrange et difficile ffi c’est qu’elle n’est pas la fin qui nous est due mais l’autre, celle qui nous prend avant que notre propre mort soit mûre en nous » (7). Le handicap profond participe également de cette défi finition comme la démonstration inacceptable de la misère humaine. Parfois même, le dégoût peut submerger le soignant et le nursing qu’il revendique comme le soin le plus proche de son patient peut devenir un objet de refus. On paraît, ici, être loin de l’estime, du respect de la dignité du patient ; il n’en est rien, on est toujours dans le poids de la relation. Le but poursuivi n’est rien d’autre que la prise de conscience des freins possibles en neuroréanimation à la mise en place du processus de décision. L’acceptation du contenu émotionnel lié à ces situations de soins est d’autant plus importante qu’elle renvoie aux qualités morales propres à l’exercice de la profession d’infi firmier ou d’aide-soignant et, donc, à leur reconnaissance. Si intense qu’elle paraisse, l’émotion générée, si elle est partagée, analysée, envisagée en amont peut être le catalyseur du questionnement du « juste soin ». Les réunions éthiques, les débriefings, fi peuvent être de précieux temps de parole dont on aura ici compris l’intérêt : cultiver le partage du doute. Rendre eff ffective la collégialité partagée. La réfl flexion éthique des paramédicaux en neuroréanimation doit donc se porter, par essence, sur le sens et la justifi fication des règles de la relation soignant/soigné, telles que les leur enseigne leur profession. Ils doivent aussi intégrer que la législation moderne introduit des règles de portée sociale, culturelle, à plusieurs dimensions et degrés de compréhension puisqu’elles s’adressent à la fois aux malades aux familles et aux professionnels de santé en ouvrant un nouveau champ de recherche et de tâtonnement pour justifier fi les règles appliquées au monde hospitalier.

Relation avec les familles lors du choix de limitation thérapeutique Les familles ont besoin de comprendre, comme les soignants, le sens des règles qui gouvernent

236 Enjeux éthiques en réanimation l’état de leur proche. Chacun, avec sa sensibilité, approche ce moment de fin de vie qui met en jeu la prise de responsabilité de tous les acteurs, et qui est décisive du devenir du patient. Son état oblige l’entourage à décider pour lui, en raison de sa qualité de sujet de droit, revêtu de ses prérogatives d’individu conçu pour la vie. Il ne s’agit plus d’un règlement professionnel mais bien de l’élaboration d’un statut ontologique des moments à venir. Rien, à cet égard, ne peut remplacer l’accompagnement des familles confrontées à l’expression émotionnelle jusque dans leurs convictions, jusque dans leurs outrances. Le choc, face à l’irrémédiable qui dément l’apparence d’une anatomie vivante, le déni de la dissociation, le rejet, les regrets, l’amour déchiré et souvent le doute à l’égard du personnel soignant. Or, ces réactions d’intimité qui aff ffectent, qui pourraient offenser ff les soignants acteurs, doivent être identifiées fi et écoutées, car elles sont le témoin le plus fidèle de leur capacité ou non à induire les comportements, donc à se sentir en accord avec les processus de décision. Sans doute, la présence auprès des familles est-elle le moment culminant de l’épreuve et du savoirfaire. C’est aussi l’intégration de l’expérience et son rapport au reste de l’équipe qui est le véritable porteur du progrès collectif sur le mode d’élaboration des prises de décision. Le confortement ou la révision de certaines attitudes peuvent résulter de la scrutation des rapports qui couvrent depuis le suivi médical/paramédical jusqu’à la présence aux entretiens famille/équipe soignante. Cette méthodologie, assimilable à des rapports d’étape dans la mise en place d’une législation innovante, construit une cohérence qui, face à la famille, devient le signe de la cohésion, génératrice d’une stabilité et d’une certaine sérénité dont les familles ont besoin pour se sentir instruites sur un mode harmonique. L’exercice est particulièrement diffi fficile lorsque le médecin doit protéger le patient de choix irrationnels ou dangereux de sa famille. Il ne l’est pas moins, en cas d’état paucirelationnel lorsque certaines familles décident de prendre en charge leur proche à domicile. L’équipe soignante et en son sein, plus particulièrement, les paramédicaux qui connaissent la charge afférente ff doivent interroger sur les limites de la qualité de vie offerte, ff sa finalité, le sens de sa prolongation, son prix moral. Néanmoins, chacun se doit de respecter un tel choix s’il persiste et permettre à la famille de s’en pénétrer.

Conclusion Les progrès réalisés en neurosciences participent par essence à l’augmentation de la durée de la vie des patients. Il est probable que dans un avenir proche, les pronostics à plus ou moins long terme seront encore affi ffinés. La responsabilité des équipes de neuroréanimation dans la prise en charge des patients cérébrolésés et à distance de la réanimation d’urgence, pose de nombreuses questions éthiques en raison même de leur vocation à décider à la frange de la vie et de la mort. Les paramédicaux qui ont fait le choix de travailler dans ce domaine en acceptent les impératifs, sachant que leur seul dévouement ne résume pas leur profession. Un nouveau champ identitaire reste à préciser qui pourrait aller jusqu’à un degré supérieur de participation à l’élaboration des soins (mise en place effecff tive de la recherche infi firmière que le législateur peut et doit encadrer). Pour cela, il est nécessaire de mobiliser les énergies dans toutes les directions utiles : – approfondir les modes d’implication du personnel infi firmier ; – favoriser la recherche personnelle issue de la réalité et de la profondeur de l’engagement professionnel ; – faire remonter systématiquement les informations acquises et les observations vers la collectivité soignante (culture de la collégialité). L’amélioration de la prise en charge des patients est le but. Les paramédicaux sont des éléments de la recherche sur ce sujet, la loi le suggère, les personnes le souhaitent, la nouvelle culture hospitalière de ce secteur l’exige.

Références 1. Lois des 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé 22 avril 2005 relative aux droits des malades et a la fi fin de vie 2. Mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005. 2008 3. Décret de compétences Infirmiers fi 2004. Référentiel de compétences Aides-soignants 2007 4. Ferrand E, Lemaire F, Regnier B, et al. (2003) Discrepancies between perceptions by Physicans and nursings staff ff of ICU end-of-life decisions. French RESSENTI group 5. Volant E (1996) Hans Jonas, Le droit de mourir, Ed. Payot et Rivages, Paris 6. Perrault Soliveres A (2001) Infirmières, fi le savoir de la nuit, Puf, Paris 7. Rilke Rainer Maria (1940) Le livre de la pauvreté et de la mort, Actes Sud, Arles

Chapitre

Impact psychologique de la prise en charge des patients récupérant du coma sur les familles et l’équipe soignante

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C. Schnakers, O. Gosseries, D. Ledoux, S. Laureys

Introduction

Besoins des familles

De plus en plus de patients sévèrement cérébrolésés sont réanimés, mais restent dans un état de conscience altérée. Aux États-Unis, la proportion de patients traumatisés crâniens sévères présentant une altération prolongée de la conscience est estimée entre 56 et 170 pour un million d’habitants (1). La proportion de patients en état végétatif serait de 46 pour un million aux États-Unis et de 14 pour un million en Grande-Bretagne (2). En Belgique, depuis 2004, le ministère de la Santé publique a mis au point un programme de prise en charge pour les patients en état végétatif et en état de conscience minimale (3). Selon les données collectées entre 2004 et 2006 de ce projet fédéral, on compterait environ 36 patients pour un million d’individus. Ainsi, même s’ils sortent du coma, beaucoup de patients restent en état de conscience altérée et évoluent vers un état végétatif (4) avant de regagner un niveau de conscience partielle (état de conscience minimale) ou complet (5). Certains patients peuvent également rester en état végétatif ou en état de conscience minimale pendant des années. Les cas les plus connus sont : celui de Terri Shiavo (1963-2005) qui est restée de 1990 à 2005 dans un état de conscience altérée après un arrêt cardiaque, ainsi que celui de Terry Wallis, traumatisé crânien sévère, qui après 19 ans (1984-2003) est sorti de l’état de conscience minimale (6). Ces patients sont souvent hospitalisés en centre de neuro-revalidation puis, plus tard, en maison de repos ou retournent à domicile. La prise en charge de patients sévèrement handicapés a un impact psychologique que ce soit au niveau des familles comme au niveau des équipes soignantes. Ainsi, cette revue visera à résumer les résultats les plus pertinents et les plus récents existant à ce propos dans la littérature.

La famille de patient récupérant du coma doit faire face à une situation particulièrement difficile. ffi En effet, ff au-delà de la gestion des émotions liées à l’accident du proche, elle doit comprendre les informations médicales fournies par l’équipe soignante, gérer le côté financier fi de la prise en charge médicale et prendre des décisions sur la vie du proche. Ainsi, un tiers des familles de patients sévèrement cérébrolésés présente un niveau d’anxiété et de dépression significatif fi (7). Les proches du patient peuvent également ressentir un large panel d’émotions allant du choc à la dépression, en passant par la culpabilité, la dénégation, l’anxiété et l’hostilité envers le personnel soignant (8). Plusieurs facteurs tels que le sentiment de perte du proche, le changement de statut social, le degré du support social et les décisions médicales peuvent contribuer à ces réactions émotionnelles. L’ensemble de ces facteurs peut avoir un impact sur les relations entre les familles et le personnel soignant (9). Un conflit fl entre la famille et les soignants peut exacerber la détresse que ressentent les deux partis. Il est dès lors crucial de prendre en compte les besoins de la famille dans la prise en charge des patients sévèrement cérébrolésés. Dans la littérature, il n’existe que peu d’études s’étant intéressées aux besoins des familles de patients récupérant du coma. Seule une étude italienne a évalué et mis en évidence un niveau d’anxiété et de dépression élevé chez des familles de patients en état végétatif (10). Cette étude n’a néanmoins pas évalué d’autres besoins que les besoins émotionnels chez ces familles.