Encyclopedie Berbere Volume 1 [PDF]

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Zitiervorschau

ENCYCLOPÉDIE BERBÈRE

U N I O N I N T E R N A T I O N A L E D E S SCIENCES P R É - E T PROTOHISTORIQUES U N I O N I N T E R N A T I O N A L E D E S SCIENCES A N T H R O P O L O G I Q U E S E T ETHNOLOGIQUES LABORATOIRE D ' A N T H R O P O L O G I E E T D E PRÉHISTOIRE D E S PAYS D E LA M É D I T E R R A N É E O C C I D E N T A L E

ENCYCLOPÉDIE BERBÈRE I Abadir - Acridophagie

Ouvrage publié avec le concours et sur la recommandation du Conseil international de la Philosophie et des Sciences humaines (UNESCO)

EDISUD La Calade, 13090, Aix-en-Provence, France

ISBN : 2-85744-201-7 et 2-85744-202-5 La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 4 1 , d'une part, « que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de ses auteurs ou de ses ayants-droit ou ayants-cause, est illicite » (alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. ©

Edisud, 1984.

Secrétariat : Laboratoire d'Anthropologie et de Préhistoire des pays de la Méditerranée occidentale, Maison de la Méditerranée, 5, bd Pasteur, 13100, Aix-en-Provence.

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION GABRIEL CAMPS p r o f e s s e u r à l ' U n i v e r s i t é de P r o v e n c e L.A.P.M.O., Aix-en-Provence

CONSEILLERS SCIENTIFIQUES G. CAMPS (Protohistoire et Histoire) H. CAMPS-FABRER (Préhistoire et Technologie) S. CHAKER (Linguistique) M.-C. CHAMLA (Anthropobiologie) J. DESANGES (Histoire ancienne) M. GAST (Anthropologie) COMITÉ DE RÉDACTION M. ARKOUN (Islam) E. BERNUS (Touaregs) J. BOSH-VILÀ (Al Andalus) D. CHAMPAULT (Ethnologie) H. C L A U D O T (Ethnolinguistique) M. FANTAR (Punique)

E. GELLNER (Sociétés marocaines) J. LECLANT (Egypte) T. LEWICKI (Moyen Âge) K. G. PRASSE (Linguistique) L. SERRA (Linguistique) G. SOUVILLE (Préhistoire)

COLLABORATEURS A. ADAM, Pr. Univ, de Paris V ; J. AKKARI, Tunis ; M. ALMAGRO, Pr. hon. Univ. Complutense Madrid ( + ) ; M. T. AMROUCHE, Paris ( + ) ; J. APPLEGATE, Howard Univ. Washington ; A.-J. ARKELL, Londres (+) ; M. ARKOUN, Pr. Univ. de Paris III ; P. AuGIER, INA Abidjan ; G. AUMASSIP, Maître de recherche CNRS ; G. BARRIÈRE, Idelès Hoggar ; G. BEAUDET, Pr. Univ. de Paris VI ; V. BELTRAMI, Fac. de médecine Chietti ; E. BERNUS, Dir. de recherche ORSTOM ; S. BERNUS, Chargée de recherche CNRS ; A. BERTRAND, Paris ; R. BIARD, Lyon ; M. BOUCHENAKI, UNESCO Algérie ; A. BOUR-

GEOT, Chargé de recherche CNRS ; J. BOSCH-VILÀ, Pr. Univ. de Granada ; P. BoYER, Directeur hon. des archives d'Outre-Mer ; J. BYNON, Univ. de Londres ; M. BouGHALI, Marrakech ; A. BESCHAOUCH, Dr. ès lettres, INAA Tunis ; P. CADENAT, Pau ; G. CAMPS, Pr. Univ. de Provence ; H. CAMPS-FABRER, Maître de recherche CNRS ; J.-P. CÈBE, Pr. Univ. de Provence ; M. CHABEUF, Médecin général ; S. CHAKER, Dr. ès lettres ; M.-Cl. CHAMLA, Maître de recherche CNRS ; D. CHAMPAULT, Maître de recherche CNRS ; J. CHAPELLE, Aix-en-Provence ; J.-L. CHARLET, Université de Provence ; J. D. CLARK, Pr. Univ. de Berkeley ; H. CLAUDOT, Chargée de recherche CNRS ; D. COHEN, Directeur d'Ét. EPHE ; M. COHEN (+) ; J. DASTUGUE,

Pr. Univ. de Caen ; J. DÉJEUX, Dr. ès lettres, Paris ; J. DELHEURE, Paris ; A. DENIS, Mougins ; J. DESANGES, Directeur Ét. EPHE ; G. DEVERDUN, Dr. ès lettres (+) ; J. DEVISSE, Pr. Univ. de Paris I ; J.-C. ECHALLIER, Chargé de recherche CNRS ; J. ERROUX, Pr. hon. Instit. agronomique ; G. ESPÉRANDIEU, Dr. vétérinaire (+) ; M. EuZENNAT, Directeur lab. CNRS ; M. FANTAR, Dr. ès lettres INAA Tunis ; J. FAUBLÉE, Muséum d'hist. nat. ; A. FAURE, Carnoux ; S. FERCHIOU, Chargée de recherche CNRS ; D. FEREMBACH, Maître de recherche CNRS ; P.-A. FÉVRIER, Pr. Univ. de Provence ; P.-A. FlTTE, Ingénieur ; B. FLINT, Marrakech ; L. GALAND, Directeur d'études EPHE ; G. GARBINI, Instit. d'ét. orient. Naples ; I. DE GARINE, Maître de recherche CNRS ; J. GASCOU, Maître de recherche CNRS ; M. GAST, Maître de recherche CNRS ; E. GELLNER, Pr. London School of Economics ; H. GENEVOIX (+) ; L. GOLVIN, Pr. hon. univ. de Provence ; D. GRÉBÉNART, Chargé de recherche CNRS, Dr. ès lettres ; M. HACHID, CRAPE, Alger ; M. HADDAD, Univ. de Constantine ; M. HADJSADDOK, Inspecteur général hon. ; M. HAMMAD, Aix-en-Provence ; J.-J. HARRIES,

Univ. de Wisconsin ; D. J. HATT, Pr. Univ. of California ; M. HAWAD, Niamey ; D. T. HlTCKS, Univ. of Manchester ; H. LAAROUSSI, CHU La Timone, Marseille ; H. ISNARD, Pr. hon. Univ. de Nice ; D. JACQUES-MEUNIÉ, Directeur hon. de recherche CNRS ; M. JANON, Ing. CNRS ; K. KADRA, Directeur des Antiqu. Alger ; J. KEENAN, Pr. Univ. de Witwatersand, U.S.A. ; T . KOTULA, Pr. Univ. de Wroclaw ; F. LABURTHETORA, Paris ; G. LAFUENTE, Marrakech ; G. LAFUENTE, Elne. N. LAMBERT, Montpel-

lier ; S. LANCEL, Pr. Univ. de Grenoble III ; J. LANFRY, Paris ; G. LAOUST-CHANTEREAUX, Aix-en-Provence ; J.-P. LAPORTE, Paris ; J.-M. LASSÈRE, Pr. Univ. Paul Valéry ; J. LECLANT, Pr. Collège de France, Membre de l'Institut ; C. LEFEBURE, CNRS ; L. LEFEVRE, Nîmes ; G. LEFEBVRE, Nîmes ; Ph. LEFEVRE-WITIER, Maître de recherche CNRS ; M. LE GLAY, Pr. Univ. de Paris X ; A. LEUPEN, Haarlem ; Ph. LEVEAU, Dr. ès lettres, Univ. de Provence ; T . LEWICKI, Pr. Univ. de Krakow ; H. LHOTE, Directeur de recherche hon. CNRS ; A. Louis, Dr. ès lettres (+) ; M. MAHROUR, Pr. Univ. d'Alger ; R. MAUNY, Pr. Univ. de Paris I ; J.-L. MlÈGE, Pr. Univ. de Provence ; M. MILBURN, Dr. en Préhistoire ; V. MONTEIL, Directeur d'Ét. EPHE ; J. MOREL (+) ; H. MORESTIN, Pr. Univ. d'Avignon ; L. MOUGIN (+) ; M. MORIN-BARBE ; A. M. TI-

MET, Conservateur Musée du Bardo, Tunis ; J.-C. Musso (+) ; J. MUZZOLINI, Dr. en préhistoire ; H. NACHTINGALL, Pr. Univ. de Marburg ; Y. NACIB, Pr. Univ. d'Alger ; A. NOUSCHI, Pr. Univ. de Nice ; M. OUARY, Paris ; J. ONRUBIA-PINTADO, Madrid ; S. PANTUČEK, Pr. Univ. de Prague ; Th. PENCHOEN, Univ. de California ; M. PERVÈS,

Dr. en médecine ; J. PEYRAS, Volx. M. PEYRON, Rabat ; K. G. PRASSE, Pr. Univ. de Co­ penhague ; A. RAHMANI, Paris ; R. REBUFFAT, Directeur de recherche CNRS ; M. REDJALA, Chargé de recherche CNRS ; J. REVAULT, Maître de recherche CNRS hon. ; M. ROUVILLOIS-BRIGOL, Paris ; P. ROGNON, Prof. Univ. Pierre et Marie Curie. L. SAADA, Chargée de recherche CNRS ; P. SALAMA, Chargé de recherche CNRS ; L. SERRA, Pr. Instit. d'Ét. orient. Naples ; E. SERRES, Lançon ; E. SERVIER, Pr. hon. Univ. Paul Valéry ; A. SIMONEAU (+) ; G. SOUVILLE, Maître de recherche CNRS ; J. SPRUYTTE, Vinon-sur-Verdon ; T. TAKACS, Erdliget, Hongrie ; M. TARRADELL, Pr.

Univ. de Valencia ; G. TRÉCOLLE, Dr. en médecine ; J.-F. TROIN, Pr. Univ. de Tours ; M. VACHER, Nantiat ; W. VYCICHL, Pr. hon. Univ. de Fribourg ; A. WEISROCK, Univ.

de Nancy II ; A. WILMS, Pr. Univ. de Hamburg ; M. WORONOF, Pr. Univ. de Besançon ; X. YACONO, Pr. hon. Univ. de Toulouse ; M. ZGOR, Marrakech ; J. ZOUGHLAMI, Tunis.

AVERTISSEMENT ÊTRE

BERBÈRE

Les premières mentions des populations que, depuis la conquête arabe, nous appelons berbères, remontent à l'antiquité pharaonique. Dès l'Ancien Empire, les Egyptiens étaient en relations étroites, tantôt guerrières, tantôt pacifiques, avec leurs voisins de l'Ouest, ces Lebou ou Libyens, Tehenu, Temehu, Meswesh, subdivisés en de nombreuses tribus. Ces événements historiques, en particulier la tentative d'invasion du Delta par Meryey, en l'an 5 du règne de Mineptah (1227 avant J . - C ) , nous ont valu des précisions, des noms de personnages, des descriptions, par l'image et les hiéroglyphes, qui ont valeur historique et ethnographique. L'aspect physique, l'équipement, les vêtements, les armes des Lebou nous ont été transmis avec une précision quasiphotographique; les tatouages mêmes sont figurés. Les millénaires ont passé et malgré les vicissitudes d'une histoire particulièrement riche en conquêtes, invasions et tentatives d'assimilation, des populations du même groupe ethnique, les Berbères, subsistent dans un immense territoire qui commence à l'ouest de l'Egypte. Actuellement des populations parlant une langue berbère habitent dans une douzaine de pays africains, de la Méditerranée au sud du Niger, de l'Atlantique au voisinage du Nil. Cette région qui couvre le quart nord-ouest du continent n'est pas entièrement berbérophone, loin de là ! Aujourd'hui, dans cette région, l'arabe est la langue véhiculaire, celle du commerce, de la religion, de l'Etat, sauf dans la marge méridionale, du Sénégal au Tchad. Ainsi, les groupes berbérophones sont isolés, coupés les uns des autres et tendent à évoluer d'une manière divergente. Leur dimension et leur importance sont très variables. Les groupes Kabyle en Algérie, Braber et Chleuh au Maroc, représentent chacun plusieurs centaines de milliers d'individus tandis que certains dialectes, dans les oasis, ne sont parlés que par quelques dizaines de personnes. C'est la raison pour laquelle les cartes d'extension de la langue berbère n'ont pas grande signification. Le territoire saharien couvert pas les dialectes touaregs (tamahâq) en Algérie, Libye, Mali et Niger est immense mais les nomades berbérophones qui le parcourent et les rares cultivateurs de même langue ne

Chefs Lebous. Peintures du tombeau de Sethi 1 (d'après O. Bates).

e r

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( X I X dynastie, vers 1300 av. J.-C.)

doivent guère dépasser le nombre de 250 ou 300 000. Ils sont à peine plus nombreux que les habitants du Mzab, qui occupent dans le Sahara septentrional un territoire mille fois plus exigu. Le bloc Kabyle est dix fois plus peuplé que la région aurasienne, plus vaste, où est parlé un dialecte berbère différent. En fait il n'y a aujourd'hui ni une langue berbère, dans le sens où celle-ci serait le reflet d'une communauté ayant conscience de son unité, ni un peuple berbère et encore moins une race berbère. Sur ces aspects négatifs tous les spécialistes sont d'accord... et cependant les Berbères existent. Le berbère, un berbère commun très ancien, qui n'a vraisemblablement existé que dans l'esprit des linguistes, et plus sûrement des parlers berbères plus proches entre eux que ne le sont les dialectes actuels, furent parlés dans la totalité du territoire que nous avons délimité, à l'exception du Tibesti, domaine de la langue téda (Toubou). Dans le Maghreb, les anciens Africains ont utilisé un système d'écriture, le libyque, d'où est dérivé l'alphabet tifinagh des Touaregs ; or, des inscriptions libyques et des tifinagh anciens ont été retrouvés en grand nombre dans des régions aujourd'hui totalement arabisées (Tunisie, nord-est de l'Algérie, Rharb et région de Tanger au Maroc, Sahara septentrional...). Dans les pays du Nord cette écriture subit la concurrence du punique, puis du latin; on admet qu'elle était déjà oubliée lorsque fut introduit l'alphabet arabe au V I I siècle. En revanche, elle fut conservée et évolua suivant son génie propre dans les pays sahariens où elle n'avait eu à subir aucune concurrence. E l l e s'étendit e

même jusqu'aux îles Canaries dont les anciennes populations guanches étaient berbérophones. On peut donc affirmer qu'à un moment ou à un autre, les ancêtres des Berbères ont eu à leur disposition un système d'écriture original qui s'est répandu, comme eux, de la Méditerranée au Niger. L'autre argument qui pourrait être présenté à ceux qui, contre toute évidence, nieraient l'ancienne extension du berbère est donné par la toponymie : même dans les pays entièrement arabisés il subsiste toujours des noms de lieux qui ne s'expliquent que par le berbère. Donc, le berbère, auparavant omniprésent a, au cours des siècles, reculé devant l'arabe, mais le Maghrébin, même arabisé, se distingue toujours, et des Arabes de la Péninsule, et des Levantins, arabisés plus tôt que lui. En fait, dans la société musulmane nord-africaine et saharienne, il existe des Maghrébins arabophones ou arabo-berbères et des Maghrébins berbérophones qui conservent le nom de Berbères que les Arabes leur donnèrent. Parmi les Arabo-berbères, qui ne constituent pas plus une entité sociologique que les Berbères, on distingue un groupe ancien, citadin, aux origines souvent très mêlées, car il faut tenir compte dans les villes des apports antérieurs à l'Islam, des réfugiés musulmans d'Espagne (Andalous) et des nouveaux venus généralement confondus sous le nom de Turcs, bien qu'ils fussent, pour la plupart, des Balkaniques et des Grecs de l'Archipel. Il existe aussi des groupes sédentaires, cultivateurs. Il existe enfin des nomades, ceux qui, dans le nord du Sahara (Regueibat, Chaamba, Ouled Sleman) sont les plus proches, linguistiquement et culturellement, des tribus arabes bédouines. C'est parmi ces derniers que l'on peut trouver d'authentiques descendants des Solaīm et des Māq il. A côté de ces populations arabes ou arabisées, vivent des sociétés berbères qui sont, comme elles, toutes musulmanes, à l'exception des anciens Guanches des îles Canaries qui furent à la fois évangélisés et hispanisés, et quelques rares familles kabyles converties au christianisme à la fin du X I X siècle. Ces Berbéries sont encore plus diverses que les groupes arabo-berbères. Parmi ces populations qui parlent des dialectes divers mais suffisamment apparentés pour être tous qualifiés sans hésitation de berbères, on reconnaît tous les genres de vie traditionnels des pays méditerranéens et subtropicaux. Des cultivateurs arboriculteurs sont de vrais paysans attachés à leur terroir, comme les montagnards kabyles ou riffains, hommes de l'olivier et du figuier, ou comme le jardinier de l'oasis soucieux de ses palmiers dattiers, de ses abricotiers et de ses carrés de légumes, mais il y a aussi des céréaliculteurs de montagnes arides comme les Matmata du Sud tunisien, les Chleuhs de l'Anti-Atlas marocain qui savent, les uns et les autres, construire des terrasses sur les versants escarpés pour conserver et les terres et l'humidité; d'autres régions connaissent des arboriculteurs-éleveurs, semi-nomades, tels que les Chaouïa de l'Aurès qui doivent leur nom, arabe, à leur vie pastorale (Chaouïa veut dire bergers). Quel contraste entre ces rudes montagnards et cette société citadine saharienne qui s'est spécialisée dans le négoce transsaharien et le petit commerce dans e

LAMTOUNA

: Berbérophones disparus

BRABER

A n c i e n n e s limites de la

: Berbérophones actuels (Maghreb)

TOUAT : Berbéro

berbérophonie phones actuels (Sahara)

Région berbérophone au début du xxème siècle Saukna

: Centre berbérophone isolé

le Tell algérien, ces Mzabites dont le particularisme religieux (ibadisme) explique l'isolement et la spécialisation économique ! D'autres pasteurs montagnards pratiquent une longue transhumance, comme la puissante confédération des Ait Atta dans et autour du Djebel Sarho (Sud marocain) ou les Beni Mguïld du Moyen Atlas. De grands nomades sahariens, enfin, élèvent des troupeaux faméliques de chameaux et de chèvres; pour eux les razzias furent, et jusqu'au début du siècle pour les Touaresg, le complément normal des faibles ressources arrachées à une nature inhumaine. Qu'y a-t-il de commun entre le chamelier voilé d'indigo, aussi sec qu'une branche épineuse d'acacia, et l'épicier mzabite, débonnaire et calculateur, entre le jardinier kabyle et le pasteur braber? Bien plus qu'on ne le dit ou le croit. Il y a, en premier lieu, la langue à laquelle se rattachent leurs différents parlers. L'unité de vocabulaire est incontestable; des îles Canaries à l'Oasis de Siouah en Egypte, de la Méditerranée au Niger. Les principes fondamentaux de la langue, la grammaire comme la simple phonétique, ont résisté remarquablement à une très ancienne séparation et à la différenciation des genres de vie. Or l'unité linguistique fondamentale correspond nécessairement à des systèmes de pensée très proches, même si le comportement extérieur diffère. Cette parenté très profonde se retrouve également dans l'organisation sociale. Dans les formes artistiques, des règles communes, à vrai dire très simples, qui ont fait parler à tort d'un art berbère, se retrouvent aussi bien chez les arabophones : il s'agit d'un art rural maghrébin et saharien, très fortement géométrique, préférant les motifs rectilinéaires à la courbe et au volume. Indépendants des techniques, les motifs, obéissant aux mêmes règles d'une géométrie stricte et parfois savante, se retrouvent aussi bien sur les céramiques et les tissages que sur le cuir, le bois ou la pierre. Or cet art très ancien présente, chez les sédentaires, une remarquable permanence, il est lié à ces populations au mépris des siècles, des conversions religieuses, des assimilations culturelles. Comme un fleuve tantôt puissant, tantôt souterrain, il est toujours présent dans l'inconscient du Maghrébin. Souvent étouffé par le triomphe citadin des cultures étrangères, il est capable d'étonnantes résurgences, apparemment anachroniques, dès que faiblit l'apport extérieur des formes artistiques plus savantes. C'est un art anhistorique. En aucun moment de leur longue histoire les Berbères ne semblent avoir eu conscience d'une unité ethnique ou linguistique. De fait, cette unité berbère ne pourrait être trouvée que dans la somme de caractères négatifs. Est berbère ce qui n'est pas d'origine étrangère, c'est-à-dire ce qui n'est ni punique, ni latin, ni vandale, ni byzantin, ni arabe, ni turc, ni européen (français, espagnol, italien). Soulevez ces différentes strates culturelles, certaines insignifiantes, d'autres d'une puissance et d'un poids considérables, et vous retrouvez le Numide et le Gétule, dont les descendants, avec un entêtement narquois, sous d'autres noms, sous d'autres croyances, pratiquent le même art de vivre, conservent dans l'exploitation d'une nature peu généreuse des techniques d'une étonnante permanence. Cette permanence a une explication très

Guerrier touareg de l'Ahaggar, une image révolue (Photo M. Gast).

simple; cultivateurs et nomades berbères n'ont connu la révolution industrielle, niveleuse des coutumes et des techniques, que sur une frange étroite de leur domaine. Depuis quelques décennies cette révolution s'étend, gagnant les campagnes et les déserts les plus reculés; du même coup les particularismes s'estompent, et disparaissent ainsi des coutumes plus vieilles que l'Histoire. On serait tenté de dire que l'Histoire de l'Afrique du Nord et du Sahara n'est que l'histoire de conquêtes et de dominations étrangères que les Berbères auraient subies avec plus ou moins de patience. Leur rôle dans l'Histoire se serait borné à une « résistance » dont le maintien de la langue, du droit coutumier et de formes archaïques d'organisation sociale serait le plus beau fleuron. Mais l'Histoire a horreur des simplifications, surtout lorsqu'elles sont abusives et prêtent aux siècles passés des conceptions politiques d'aujourd'hui. En fait on pourrait inverser les prémisses et demander comment des populations aussi malléables aux cultures étrangères, au point que certaines sont devenues tour à tour puniques, romano-africaines, arabes, ont pu rester aussi fidèles à leurs coutumes, à leur langue, à leurs traditions techniques, en un mot rester elles-mêmes. C'est cela être berbère. Condamner les Berbères à un rôle historique passif, c'est-à-dire quasiment nul, en ne voyant en eux qu'une infatigable piétaille et une bonne cavalerie au service de dominateurs étrangers, même si on reconnaît que ces contingents furent les vrais conquérants de l'Espagne au V I I I siècle et de l'Egypte au X , n'est qu'une aberration non dépourvue de racisme. Elle doit être définitivement rejetée. e

e

Ces longs siècles d'histoire ne sont pas faits seulement d'une anonyme durée berbère; ici comme ailleurs des hommes et des femmes de caractère ont marqué leur temps d'une empreinte vigoureuse mais l'Histoire, écrite par les étrangers, n'en a pas toujours conservé le souvenir qu'ils méritaient. L'Encyclopédie berbère se propose de révéler cette durée et d'éclairer ces figures berbères.

ORIGINES

DES

BERBÈRES

La formation de la population berbère, ou plus exactement des différents groupes berbères, demeure une question très controversée parce qu'elle fut mal posée. Les théories diffusionnistes ont tellement pesé depuis l'origine des recherches que toute tentative d'explication reposait traditionnellement sur des invasions, des migrations, des conquêtes, des dominations. Tour à tour ont été évoqués l'Orient pris globalement (Mèdes et Perses), la Syrie et le pays de Canaan, l'Inde et l'Arabie du Sud, la Thrace, la mer Egée et l'Asie mineure, mais aussi l'Europe du Nord, la Péninsule ibérique, les îles et la Péninsule italiennes... Il est sûrement plus difficile de rechercher les pays d'où ne viennent pas les Berbères! Et si les Berbères ne venaient de nulle part? Plutôt que de rechercher avec plus ou moins de bonheur de vagues ressemblances de tous ordres et d'amalgamer des données de significations différentes, voire contradictoires, ne vaut-il pas mieux commencer par examiner les Berbères eux-mêmes et les restes humains antérieurs à l'époque historique, époque où, nous le savons, la population actuelle s'était déjà mise en place? En un mot nous devons logiquement accorder la primauté à l'Anthropologie. Mais celle-ci ne permet pas aujourd'hui de définir la moindre originalité « berbère » dans l'ensemble de la population sudméditerranéenne. Ce qui permet aujourd'hui encore de mentionner des groupes berbères dans le quart nord-ouest de l'Afrique est d'autre qualité, culturelle plus que physique. Parmi ces données culturelles la principale demeure la langue. Nous examinerons donc successivement les données de l'Anthropologie et celles de la Linguistique. Sans rechercher les origines mêmes de l'homme en Afrique du Nord, nous devons cependant remonter allègrement les millénaires pour comprendre comment s'est constitué le peuplement de cette vaste région actuellement pincée entre le désert et la Méditerranée. Plaçons-nous au début de l'époque qu'en Europe les préhistoriens nomment Paléolithique supérieur : à ce moment vit déjà au Maghreb un homme de notre espèce, Homo sapiens sapiens, plus primitif que son contemporain européen, l'Homme de Cro-Magnon et qui est l'auteur de l'Atérien, culture dérivée du Moustérien. Cet homme atérien découvert à Dar es-Soltan (Maroc) présente suffisamment d'analogies

avec l'homme moustérien du Djebel Irhoud pour qu'on puisse admettre qu'il en soit issu. Plus intéressante encore est la reconnaissance d'une filiation entre cet homme atérien et son successeur, connu depuis fort longtemps au Maghreb sous le nom d'Homme de Mechta elArbi. L'Homme de Mechta el-Arbi est un cromagnoïde; il en présente les caractères physiques dominants; la grande taille (1,74 m en moyenne pour les hommes), la forte capacité crânienne (1 650 cc), la disharmonie entre la face large et basse, aux orbites de forme rectangulaire plus larges que hautes et le crâne qui est dolichocéphale ou mésocéphale. À ses débuts l'Homme de Mechta el-Arbi est associé à une industrie, nommée Ibéromaurusien, qui occupait toutes les régions littorales et telliennes. L'Ibéromaurusien, contemporain du Magdalénien et de l'Azilien européens, a déjà les caractères d'une industrie épipaléolithique en raison de la petite taille de ses pièces lithiques. Ce sont très souvent de petites lamelles dont l'un des tranchants a été abattu pour former un dos. Ces objets étaient des éléments d'outils, des sortes de pièces détachées dont l'agencement dans des manches en bois ou en os procurait des instruments ou des armes efficaces.

Homme du type de Mechta el Arbi (à gauche) et homme protoméditerranéen capsien. Du premier type, il ne reste que quelques traces infimes dans la population actuelle qui descend en grande partie des protoméditerranéens capsiens (Photos M. Bovis et A. Bozom).

Traditionnellement, on pensait que l'Homme de Mechta el-Arbi, cousin de l'Homme de Cro-Magnon, avait une origine extérieure. Les uns imaginaient les Hommes de Mechta el-Arbi, venus d'Europe, traversant l'Espagne et le détroit de Gibraltar pour se répandre à la fois au Maghreb et aux îles Canaries dont les premiers habitants, les Guanches, avaient conservé l'essentiel de leurs caractères physiques avant de se mêler aux conquérants espagnols. D'autres pensaient que l'Homme de Mechta el-Arbi descendait d'Homo sapiens apparu en Orient (Homme de Palestine) et que de ce foyer originel s'étaient développées deux migrations. Une branche européenne aurait donné l'Homme de Cro-Magnon, une branche africaine aurait mis en place l'Homme de Mechta el-Arbi. Origine orientale, origine européenne, deux éléments d'une alternative qui apparaît déjà dans les récits légendaires de l'Antiquité ou dans les explications fantaisistes de l'époque moderne et qui se retrouve dans les hypothèses scientifiques actuelles. Malheureusement l'une et l'autre présentaient de grandes anomalies qui les rendaient difficilement acceptables. Ainsi la migration des Hommes de Cro-Magnon à travers l'Espagne ne peut être jalonnée; bien mieux, les crânes du Paléolithique supérieur européen ont des caractères moins accusés que leurs prétendus successeurs maghrébins. Les mêmes arguments peuvent être opposés à l'hypothèse d'une origine proche-orientale des Hommes de Mechta el-Arbi : aucun document anthropologique entre la Palestine et la Tunisie ne peut l'appuyer. De plus, nous connaissons les habitants du Proche-Orient à la fin du Paléolithique supérieur, ce sont les Natoufiens, de type proto-méditerranéen, qui diffèrent considérablement des Hommes de Mechta el-Arbi. Comment expliquer, si les Hommes de Mechta el-Arbi ont une ascendance proche-orientale, que leurs ancêtres aient quitté en totalité ces régions sans y laisser la moindre trace sur le plan anthropologique? Reste donc l'origine locale, sur place, la plus simple (c'est la raison pour laquelle sans doute on n'y croyait guère!) et aujourd'hui la plus évidente depuis la découverte de l'Homme atérien. Les anthropologues spécialistes de l'Afrique du Nord comme M.-C. Chamla et D. Ferembach admettent aujourd'hui une filiation directe, continue, depuis les néandertaliens nord-africains (Hommes du Djebel Irhoud) jusqu'aux Cromagnoïdes que sont les Hommes de Mechta el-Arbi. L'Homme atérien de Dar es-Soltane serait l'intermédiaire mais qui aurait déjà acquis les caractères d'Homo sapiens sapiens. Le type de Mechta el-Arbi va s'effacer progressivement devant d'autres hommes, mais sa disparition ne fut jamais complète. Ainsi trouve-t-on encore 8 % d'hommes mechtoïdes parmi les crânes conservés des sépultures protohistoriques et puniques (Chamla, 1976). De l'époque romaine, dont les restes humains ont longtemps été dédaignés par les archéologues « classiques », on connaît encore quelques crânes de l'Algérie orientale qui présentent des caractères mechtoïdes. Du type de Mechta el-Arbi il subsiste encore quelques très rares éléments dans la population actuelle qui, dans sa quasi totalité, appartient aux différentes variétés du type méditerranéen : quelques sujets méso ou

dolichocéphales à face basse, de taille élevée, et au rapport crâniofacial disharmonique, rappellent les principaux caractères des Hommes de Mechta el-Arbi. Ils représentent tout au plus 3 % de la population au Maghreb; ils sont nettement plus nombreux dans les îles Canaries. À partir du V I I I millénaire, on voit apparaître dans la partie orientale du Maghreb (nous sommes complètement ignorants de ce qui se passait au même moment, sur le plan anthropologique, dans les confins de l'Egypte et de la Libye), un nouveau type d'Homo sapiens qui a déjà les caractères de certaines populations méditerranéennes actuelles. Il est aussi de taille élevée (1,75 m pour les hommes de Medjez II, 1,62 m pour les femmes), mais il se distingue de l'Homme de Mechta el-Arbi par une moindre robustesse, un rapport crânio-facial plus harmonique puisque à un dolichocrâne correspond une face haute et plus étroite, les orbites sont plus carrées et le nez plus étroit. Les reliefs osseux de ce nouveau type humain sont atténués, l'angle de la machoire, en particulier, n'est pas déjeté vers l'extérieur, il n'y a donc pas extroversion des gonions comme disent les anthropologues. Or ce caractère est très fréquent, sinon constant chez les Hommes de Mechta. Ce type humain a reçu le qualificatif de Protoméditerranéen. Des groupes anthropologiquement très proches se retrouvent, à la même époque ou un peu avant, en Orient (Natoufiens) et dans divers pays de la Méditerranée où ils semblent issus du type de Combe Capelle (appelé en Europe centrale Homme de Brno) qui est distinct de l'Homme de Cro-Magnon. Aussi D. Ferembach suppose-t-elle l'existence en Orient, au Paléolithique supérieur, d'une homme proche de Combe Capelle. Manifestement l'Homme de Mechta el-Arbi n'a pu donner naissance aux hommes protoméditerranéens. Ceux-ci, qui vont progressivement le remplacer, apparaissent d'abord à l'est, tandis que les Hommes de Mechta el-Arbi sont encore, au Néolithique, les plus nombreux dans l'Ouest du pays. Cette progression d'est en ouest indique bien qu'il faut chercher au-delà des limites du Maghreb l'apparition de ce type humain protoméditerranéen. Un consensus genéral de tous les spécialistes, anthropologues et préhistoriens, se dégage aujourd'hui pour admettre qu'il est venu du Proche-Orient. On peut, à la suite de M.-C. Chamla, reconnaître parmi les Protoméditerranéens deux variétés. La plus fréquente, sous-type de Médjez II, au crâne élevé, est orthognate, le second, moins répandu, celui de l'Aïn Dokkara, à voûte crânienne plus basse, est parfois prognate, sans toutefois présenter les caractères négroïdes sur lesquels on avait à tort attiré l'attention. Ces hommes sont porteurs d'une industrie préhistorique qui a reçu le nom de Capsien, du nom antique de Gafsa (Capsa). Le Capsien couvre une période moins longue que l'Ibéromaurusien; elle s'étend du V I I I au V millénaire. Grâce au grand nombre de gisements plaisamment nommés escargotières et à la qualité des fouilles qui y furent conduites, on a une connaissance satisfaisante des Capsiens et de leurs activités. On peut, dans leur cas, parler d'une civilisation dont les nombreux faciès régionaux e

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Gisement capsien « escargotière » d'Henchir Hamida, Algérie (Photo G. Camps).

reconnus à travers la Tunisie et l'Algérie révèlent certains traits constants. Sans nous appesantir sur l'industrie de pierre caractérisée par des outils sur lames et lamelles à bord abattu, des burins, des armatures de formes géométriques (croissants, triangles, trapèzes) nous rappelleront qu'elle est fort belle, remarquable par les qualités du débitage, effectué parfois, au cours du Capsien supérieur, par pression, ce qui donne des lamelles normalisées. Elle est remarquable également par la précision de la retouche sur des pièces d'une finesse extraordinaire, comme par exemple les micro-perçoirs courbes dits de l'Aïn Khanga. Mais le Capsien possède d'autres caractères qui ont pour l'archéologue et l'ethnologue une importance plus grande, je veux parler de ses œuvres d'art. Elles sont les plus anciennes en Afrique et on peut affirmer qu'elles sont à l'origine des merveilles artistiques du Néolithique. Elles sont même, et ceci est important, à l'origine de l'art berbère. Il y a un tel air de parenté entre certains de ces décors capsiens ou néolithiques et ceux dont les Berbères usent encore dans leurs tatouages, tissages et peintures sur poterie ou sur les murs, qu'il est difficile de rejeter toute continuité dans ce goût inné pour le décor géométrique, d'autant plus que les jalons ne manquent nullement des temps protohistoriques jusqu'à l'époque moderne. Sur le plan anthropologique les hommes capsiens présentent peu de différence avec les habitants actuels de l'Afrique du Nord, Berbères ou arabophones qui sont presque toujours des Berbères arabisés. Nous tenons, avec les Protoméditerranéens capsiens, les premiers Maghrébins que l'on peut, sans imprudence, placer en tête de la lignée

berbère. Cela se situe il y a quelque 9 000 ans! Certes tout concorde à faire admettre, comme nous l'avons dit ci-dessus, que ces Capsiens ont une origine orientale. Rien ne permet de croire à une brusque mutation des Mechtoïdes en Méditerranéens alors que les Natoufiens du ProcheOrient dont les caractères anthropologiques, affirmés antérieurement aux Capsiens, sont du même groupe humain qu'eux et que dans leur civilisation on peut retrouver certains traits culturels qui s'apparentent au Capsien. Mais cette arrivée est si ancienne qu'il n'est pas exagéré de qualifier leurs descendants de vrais autochtones. Cette assertion est d'autant plus recevable qu'il ne subsiste que quelques traces des premiers occupants Mechtoïdes. Il est même troublant de constater que si Protoméditerranéens et Mechta el-Arbi ont pendant longtemps cohabité dans les mêmes régions, puisque ces derniers ont survécu jusqu'au Néolithique, même dans la partie orientale qui fut « capsianisée » plus tôt, ils ne se sont pas métissés entre eux. L'atténuation des caractères mechtoïdes que l'anthropologue constate chez certaines populations antérieures à l'arrivée des Protoméditerranéens ne peut s'expliquer que par une évolution interne répondant au phénomène général de gracilisation. De même, les Protoméditerranéens les plus robustes ou les plus archaïques ne présentent aucun caractère mechtoïde et les plus évolués s'écartent encore davantage de ce type. Si nous passons aux temps néolithiques il n'est pas possible de saisir un changement notable dans l'évolution anthropologique du Maghreb. On note la persistance du type de Mechta el-Arbi dans l'Ouest et même sa progression vers le Sud le long des côtes atlantiques tandis que le reste du Sahara, du moins au sud du Tropique du Cancer, est alors uniquement occupé par des négroïdes. Les Protoméditerranéens s'étendent progressivement. Arrivés à l'aube des temps historiques nous constatons que les hommes enterrés dans les tumulus et autres monuments mégalithiques sont du type méditerranéen quelle que soit leur localisation, sauf dans les régions méridionales où des éléments négroïdes sont discernables. Le Maghreb s'est donc, sur le plan anthropologique, «méditerranéisé» sinon déjà berbérisé. Mais une autre constatation s'impose immédiatement : certains de ces Méditerranéens sont de stature plus petite, leurs reliefs musculaires plus effacés, les os moins épais, en un mot, leur squelette est plus gracile. À vrai dire, les différences avec les Protoméditerranéens ne sont pas tranchées : il existe des formes de passage et de nombreuses transitions entre les Méditerranéens robustes et les Méditerranéens graciles. De plus, il n'y a pas eu élimination des uns par les autres puisque ces deux sous-types de la race méditerranéenne subsistent encore aujourd'hui. Les premiers forment le sous-type atlanto-méditerranéen bien représenté en Europe depuis l'Italie du Nord jusqu'en Galice; le second est appelé ibéro-insulaire qui domine en Espagne du Sud, dans les Iles et l'Italie péninsulaire. En Afrique du Nord, ce sous-type est très largement répandu dans la zone tellienne, en particulier dans les massifs littoraux, du Nord de la Tunisie, en Kabylie, au Rif dans le Nord du Maroc, tandis que le

type robuste s'est mieux conservé chez les Berbères nomades du Sahara (Touaregs) dans les groupes nomades arabisés de l'Ouest (Regueibat), chez les Marocains du Centre et surtout du Sud (Aït Atta, Chleuh). Mais les deux variétés coexistent jusqu'à nos jours dans les mêmes régions. Ainsi en Kabylie, d'après une étude récente de M.-C. Chamla, le type méditerranéen se rencontre dans 70 % de la population mais se subdivise en trois sous-types : l'ibéro-insulaire dominant caractérisé par une stature petite à moyenne, à face très étroite et longue, l'atlanto-méditerranéen également bien représenté, plus robuste et de stature plus élevée, mésocéphale, un sous-type « saharien », moins fréquent (15 % ) , de stature élevée, dolichocéphale à face longue. Un second élément qualifié d'alpin en raison de sa brachycéphalie, sa face courte et sa stature peu élevée, représente environ 10 % de la population, mais M.-C. Chamla répugne à le confondre avec des Alpins véritables et songe plutôt à une variante « brachycéphalisée » du type méditerranéen. Un troisième élément à affinités arménoïdes, de fréquence égale au précédent, se caractérise par une face allongée associée à un crâne brachycéphale. En quantités infimes s'ajoutent à ce stock quelques individus conservant des caractères mechtoïdes, quelques métis issus d'un élément négroïde plus ou moins ancien et des sujets à pigmentation claire de la peau, des yeux et des cheveux. Cet exemple montre la diversité du peuplement du Maghreb. Mais nous ne sommes plus au temps où la typologie raciale était le but ultime de la recherche anthropologique. Il était alors tentant d'assimiler les « types » ou « races » à des groupes humains venant s'agglutiner, au cours des siècles, à un ou plusieurs types plus anciens. Les recherches modernes, dans le monde entier, ont montré combien l'homme était, dans son corps, infiniment plus malléable et sensible aux variations et particulièrement à l'amélioration des conditions de vie. La croissance de la taille, au cours des trois dernières générations, est un phénomène général largement ressenti et connu de l'opinion publique mais, aussi, facilement mesurable grâce aux archives des bureaux de recrutement. D'autres travaux ont montré que la forme du crâne variait par « dérive génétique » comme disent les biologistes sans qu'il soit possible de faire appel au moindre apport étranger pour expliquer ce phénomène. Cette malléabilité, cette sensibilité aux facteurs extérieurs tels que les conditions de vie et une orientation imprévisible due au hasard de la génétique paraissent, à bien des anthropologues modernes, suffisantes pour faire l'économie de nombreuses et mythiques migrations et invasions dans la constitution des populations historiques. De nos jours l'évolution sur place paraît plus probable. Ainsi s'expliquerait l'apparition de la variété ibéro-insulaire à l'intérieur du groupe méditerranéen africain par le simple jeu de la gracilisation. Aucune différence de forme n'apparaît entre les crânes des époques capsienne, protohistorique et moderne ; seules varient les dimensions et dans un sens général qui est celui de la gracilisation. Les Protoméditerranéens capsiens constituent certes le fond du peu-

Scène de campement, style « Bovidien récent » d'Iheren (Tassili n'Ajjer). Il s'agit de populations blanches méditerranéennes qu'on peut déjà qualifier de paléoberbères (Relevé P. Colombel).

plement actuel du Maghreb, mais le mouvement qui les amena, dans les temps préhistoriques, du Proche-Orient en Afrique du Nord, ne cessa à aucun moment. Ils ne sont que les prédécesseurs d'une longue suite de groupes, certains peu nombreux, d'autres plus importants. Ce mouvement, quasiment incessant au cours des millénaires, a été, pour les besoins de la recherche archéologique ou historique, sectionné en « invasions » ou « conquêtes » qui ne sont que des moments d'une durée ininterrompue. Après les temps capsiens, en effet, au Néolithique, sont introduits animaux domestiques, moutons et chèvres dont les souches sont exotiques et les premières plantes cultivées qui sont, elles aussi, d'origine extérieure : ces animaux et ces plantes ne sont pas arrivés seuls, même si les hommes qui les introduisirent ont pu être fort peu nombreux. À cette époque la plus grande partie du Sahara était occupée par des pasteurs négroïdes. Il est possible que, chassés par l'assèchement intervenu après le I I I millénaire, certains groupes se soient déplacés vers le Nord et aient atteint le Maghreb. Certains sujets négroïdes ont été reconnus dans les gisements néolithiques du Sud tunisien, et au I V siècle avant J . - C , d'après Diodore de Sicile, il existait des populations semblables aux Ethiopiens (c'est-à-dire des gens de peau noire) dans le Tell tunisien, dans l'actuelle Kroumirie. Mais cet apport proprement africain semble insignifiant par rapport au mouvement insidieux mais continu qui se poursuit à l'Âge des Métaux lorsqu'apparaissent les éleveurs de chevaux, d'abord « Equidiens », conducteurs de chars, puis cavaliers qui conquirent le Sahara en asservissant les Ethiopiens. Ces cavaliers, les historiens grecs et latins les nommeront Garamantes à l'est, Gétules au centre et à l'ouest. Leurs descendants, les Berbères sahariens, dominèrent longtemps les Haratins qui semblent bien être les héritiers des anciens Ethiopiens. e

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Au cours même de la domination romaine, puis vandale et byzantine, nous devinons de longs glissements de tribus plus ou moins turbulentes à l'extérieur du Limes romain puis dans les terres mêmes de ce qui avait été l'Empire. Ainsi, la confédération que les Romains nomment Levathae et qui était au I V siècle en Tripolitaine, se retrouve au Moyen Âge, sous le nom de Louata, entre l'Aurès et l'Ouarsenis. Ces Louata appartiennent avec de nombreuses autres tribus au groupe Zénète, le plus récent des groupes berbérophones dont la langue se distingue assez nettement de celle des groupes plus anciens que l'on pourrait nommer Paléoberbères. Les troubles provoqués par l'irruption zénète s'ajoutant aux convulsions politiques, religieuses et économiques que subirent les provinces d'Afrique, favorisèrent grandement les entreprises conquérantes des Arabes. Quatre siècles plus tard, la succession des invasions bédouines, des Beni Hilal, Solaïm, Ma qil, ne sont, elles aussi, que des moments -retenus par l'Histoire- d'un vaste mouvement qui débuta une dizaine de millénaires plus tôt. Si la population du Maghreb a conservé, vis-à-vis du ProcheOrient, une originalité certaine, tant physique que culturelle, c'est qu'un second courant, nord-sud celui-ci, tout en interférant avec le e

Dolmen de Bou Nouara, Algérie (Photo M. Bovis).

premier, a marqué puissamment de son empreinte ces terres d'Occident. Ce courant méditerranéen s'est manifesté dès le Néolithique. Le littoral du Maghreb connaît alors les mêmes cultures que les autres régions de la Méditerranée occidentale, les mêmes styles de poterie. Tandis qu'au sud du détroit de Gibraltar apparaissent des techniques aussi caractéristiques que le décor « cardial » fait à l'aide d'une coquille de mollusque marin, style européen qui déborde sur le Nord du Maroc, à l'est se répandent les industries en obsidienne venues des îles italiennes. En des âges plus récents, la répartition de monuments funéraires, comme les dolmens et les hypogées cubiques, ne peut s'expliquer que par un établissement permanent d'un ou plusieurs groupes méditerranéens venus d'Europe. Cet apport méditerranéen proprement dit a eu certes plus d'importance culturelle qu'anthropologique. Mais si certains éléments culturels peuvent, pour ainsi dire, voyager tout seuls, les monuments et les rites funéraires me paraissent trop étroitement associés aux ethnies pour qu'on puisse imaginer que la construction de dolmens ou le creusement d'hypogées aient pu passer le détroit de Sicile et se répandre dans l'Est du Maghreb sans que des populations assez cohérentes les aient apportés avec elles. Sans réduire la primauté fondamentale du groupe protoméditerranéen qui est continental, originaire de l'Est et qui connut des enrichissements successifs, on ne doit pas négliger pour autant ces apports proprement méditerranéens, plus récents, moins importants sur le plan anthropologique, mais plus riches sur le plan culturel. C'est de l'interférence de ces deux éléments principaux auxquels s'ajoutèrent des apports secondaires venus d'Espagne et du Sahara que sont nées, au cours des siècles, la population et la civilisation rurale du Maghreb.

L'apport des études linguistiques ne peut être négligé dans un essai de définition des origines berbères dans la mesure où la langue est aujourd'hui le caractère le plus original et le plus discriminant des groupes berbères disséminés dans le quart nord-ouest du continent africain. Les idiomes berbères adoptent et « berbérisent » facilement nombre de vocables étrangers : on y trouve des mots latins, arabes (parfois très nombreux : on compte jusqu'à 35 % d'emprunts lexicaux à l'arabe, en kabyle), français, espagnols... Il semble que le libyque ait été tout aussi perméable aux invasions lexicales et onomastiques. On doit par conséquent se montrer très prudent devant les rapprochements aussi nombreux que hasardeux proposés entre le berbère et différentes langues anciennes par des amateurs ou des érudits trop imprudents. D'après Bertholon, le libyque aurait été un dialecte hellénique importé par les Thraces; d'autres y voient des influences summériennes ou touraniennes. Plus récemment, l'archétype basque a été mis en valeur, avec des arguments à peine moins puérils. Les amateurs du début du siècle croyaient, en effet, pouvoir fonder leurs apparentements en constituant de longues listes de termes lexicaux parallélisés avec ceux de la langue de comparaison. De tels rapprochements sont faciles, on peut ainsi noter de curieuses convergences de vocabulaire aussi bien avec les dialectes amérindiens qu'avec le finnois. Ces dévergondages intellectuels expliquent l'attitude extrêmement prudente de certains berbérisants qui apparaît dans un texte célèbre d'A. Basset : « En somme la notion courante du berbère, langue indigène et seule langue indigène jusqu'à une période préhistorique... repose essentiellement sur des arguments négatifs, le berbère ne nous ayant jamais été présenté comme introduit, la présence, la disparition d'une autre langue indigène ne nous ayant jamais été clairement attestées » (La langue berbère. L'Afrique et l'Asie, 1956). Malgré leur nombre et un siècle de recherches, les inscriptions libyques demeurent en grande partie indéchiffrées. Comme le signalait récemment S. Chaker (1973), cette situation est d'autant plus paradoxale que les linguistes disposent de plusieurs atouts : des inscriptions bilingues puniques-libyques et latines-libyques, et la connaissance de la forme moderne de la langue ; car, si nous n'avons pas la preuve formelle de l'unité linguistique des anciennes populations du Nord de l'Afrique, toutes les données historiques, la toponymie, l'onomastique, le lexique, les témoignages des auteurs arabes confirment la parenté du libyque et du berbère. En reprenant l'argument négatif dénoncé par A. Basset, mais combien déterminant à mon avis, si le libyque n'est pas une forme ancienne du berbère on ne voit pas quand et comment le berbère se serait constitué. Les raisons de l'échec relatif des études libyques s'expliquent, en définitive, assez facilement : les berbérisants, peu nombreux, soucieux de recenser les différents parlers berbères n'ont guère, jusqu'à présent, apporté une attention soutenue au libyque dont les inscriptions stéréotypées ne sont pas, à leurs yeux, d'un grand intérêt. En revanche, les amateurs ou les universitaires non berbérisants, qui s'intéressaient à ces textes en raison de leur valeur historique ou archéologi-

Inscription libyque, région d'Annaba, Algérie (Photo G. Camps).

que, n'étaient pas armés pour cette étude. Enfin le système graphique du libyque, purement consonnantique, se prête mal à une reconstitution intégrale de la langue qu'il est chargé de reproduire. Cependant l'apparentement du berbère avec d'autres langues, géographiquement voisines, fut proposé très tôt; on peut même dire dès le début des études. Dès 1838 Champollion, préfaçant le Dictionnaire de la langue berbère de Venture de Paradis, établissait une parenté entre cette langue et l'égyptien ancien. D'autres, plus nombreux, la rapprochaient du sémitique. Il fallut attendre les progrès décisifs réalisés dans l'étude du sémitique ancien pour que M. Cohen proposât, en 1924, l'intégration du berbère dans une grande famille dite chamitosémitique qui comprend en outre l'égyptien (et le copte qui en est la forme moderne), le couchitique et le sémitique. Chacun de ces groupes linguistiques a son originalité, mais ils présentent entre eux de telles

parentés que les différents spécialistes finirent par se rallier à la thèse de M. Cohen. Ces parallélismes ne sont pas de simples analogies lexicales ; ils affectent la structure même des langues comme le système verbal, la conjugaison et l'aspect trilitère des racines, bien qu'en berbère de nombreuses racines soient bilitères, mais cet aspect est dû à une « usure » phonétique particulièrement forte en berbère et que reconnaissent tous les spécialistes. Ce sont ces phénomènes d'érosion phonétique qui, en rendant difficiles les comparaisons lexicales avec le sémitique, ont longtemps retenu les berbérisants dans une attitude « isolationniste » qui semble aujourd'hui dépassée. Quoi qu'il en soit, la parenté constatée à l'intérieur du groupe chamito-sémitique entre le berbère, l'égyptien et le sémitique, ne peut que confirmer les données anthropologiques qui militent, elles aussi, en faveur d'une très lointaine origine orientale des Berbères.

LES

MÉCANISMES

DE

L'ARABISATION

Les pays de l'Afrique du Nord sont aujourd'hui des États musulmans qui revendiquent, à juste titre, leur double appartenance à la communauté musulmane et au monde arabe. Or ces États, après bien des vicissitudes, ont pris la lointaine succession d'une Afrique qui, à la fin de l'Antiquité, appartenait aussi sûrement au monde chrétien et à la communauté latine. Ce changement culturel, qui peut passer pour radical, ne s'est cependant accompagné d'aucune modification ethnique importante : ce sont bien les mêmes hommes, ces Berbères dont beaucoup se croyaient romains et dont la plupart se sentent aujourd'hui arabes. Comment expliquer cette transformation, qui apparaît d'autant plus profonde qu'il subsiste dans certains de ces États, mais dans des proportions très différentes, des groupes qui, tout en étant parfaitement musulmans, ne se considèrent nullement arabes et revendiquent aujourd'hui leur culture berbère? Il importe, en premier lieu, de distinguer l'Islam de l'arabisme. Certes, ces deux concepts, l'un religieux, l'autre ethno-sociologique, sont très voisins l'un de l'autre puisque l'Islam est né chez les Arabes et qu'il fut, au début, propagé par eux. Il existe cependant au ProcheOrient des populations arabes ou arabisées qui sont demeurées chrétiennes, et on dénombre des dizaines de millions de musulmans qui ne sont ni arabes ni même arabisés (Noirs africains, T u r c s , Iraniens, Afghans, Pakistanais, Indonésiens...) Tous les Berbères auraient pu, comme les Perses et les T u r c s , être islamisés en restant eux-mêmes, en conservant leur langue, leur organisation sociale, leur culture. Apparemment, cela leur aurait même été plus facile puisqu'ils étaient plus nombreux que certaines populations qui ont conservé leur identité au sein de la communauté musulmane et qu'ils étaient plus éloignés du foyer initial de l'Islam. Comment expliquer, aussi, que les provinces romaines d'Afrique,

Cimetière ibadite de Beni-Isguen, au Mzab (Photo M. Gast).

qui avaient été évangélisées au même rythme que les autres provinces de l'Empire romain et qui possédaient des églises vigoureuses, aient été entièrement islamisées alors qu'aux portes de l'Arabie ont subsisté des populations chrétiennes : Coptes des pays du Nil, Maronites du Liban, Nestoriens et Jacobites de Syrie et d'Iraq? Pour répondre à ces questions, l'historien doit remonter bien audelà de l'événement que fut la conquête arabe du V I I siècle. Cette conquête, si elle permit l'islamisation, ne fut pas, cependant, la cause déterminante de l'arabisation. Celle-ci, qui lui fut postérieure de plusieurs siècles et qui n'est pas encore achevée, a des raisons beaucoup plus profondes ; en fait, dès la fin de l'Empire romain, nous assistons à un scénario qui en est comme l'image prophétique. Rome avait dominé l'Afrique, mais les provinces qu'elle y avait établies : Africa (divisée en Byzacène et Zeugitane), Numidie d'où avait été retranchée la Tripolitaine, les Maurétanies Sitifienne, Césarienne et Tingitane, avaient été romanisées à des degrés divers. En fait, il y eut deux Afriques romaines : à l'est, la province d'Afrique et son prolongement militaire, la Numidie, étaient très peuplés, prospères et lare

gement urbanisés ; à l'ouest, les Maurétanies étaient des provinces de second ordre, limitées aux seules terres cultivables du Tell, alors qu'en Numidie et surtout en Tripolitaine, Rome était présente jusqu'en plein désert. Après le I siècle, toutes les grandes révoltes berbères qui secouèrent l'Afrique romaine eurent pour siège les Maurétanies. Néanmoins Rome avait réussi, pendant quatre siècles, à contrôler les petits nomades des steppes; grâce au système complexe du limes, elle contrôlait et filtrait leurs déplacements vers le Tell et les régions mises en valeur. C'était une organisation du terrain en profondeur, comprenant des fossés, des murailles qui barraient les cols, des tours de guet, des fermes fortifiées et des garnisons établies dans des castella. R. Rebuffat, qui fouilla un de ces camps à Bu-Ngem (Tripolitaine), a retrouvé les modestes archives de ce poste. Ces archives sont des ostraca, simples tessons sur lesquels étaient mentionnés, en quelques mots, les moindres événements : l'envoi en mission d'un légionnaire chez les Garamantes, ou le passage de quelques Garamantes conduisant quatre bourricots (Garamantes ducentes asinos IV...). Dès le I I siècle, des produits romains, amphores, vases en verre, bijoux étaient importés par les Garamantes jusque dans leurs lointains ksour du Fezzan et des architectes romains construisaient des mausolées pour les familles princières de Garama (Djerma). Légionnaires et auxiliaires patrouillaient le long de pistes jalonnées de citernes et de postes militaires autour desquels s'organisaient de petits centres agricoles. Trois siècles plus tard, la domination romaine s'effondre ; ce désert paisible s'est transformé en une bouche de l'enfer, d'où se ruent, vers les anciennes provinces, de farouches guerriers, les Levathae, les mêmes que les auteurs arabes appelleront plus tard Louata, qui appartiennent au groupe botr. Ces nomades chameliers, venus de l'est, pénètrent dans les terres méridionales de la Byzacène et de Numidie qui avaient été mises en valeur au prix d'un rude effort soutenu pendant des siècles et font reculer puis disparaître l'agriculture permanente, en particulier ces olivettes dont les huileries ruinées parsèment aujourd'hui une steppe désolée. Le second événement historique qui bouleversa la structure sociologique du monde africain fut la conquête arabe. Cette conquête fut facilitée par la faiblesse des Byzantins qui avaient détruit le royaume vandale et reconquis une partie de l'Afrique (533). Mais l'Afrique byzantine n'est plus l'Afrique romaine. Depuis deux siècles, ce malheureux pays était la proie de l'anarchie ; tous les ferments de désorganisation et de destruction économique s'étaient rassemblés. Depuis le débarquement des Vandales (429), la plus grande partie des anciennes provinces échappait à l'administration des États héritiers de Rome. Le royaume vandale, en Afrique, ne s'étendait qu'à la Tunisie actuelle et à une faible partie de l'Algérie orientale limitée au sud par l'Aurès et à l'est par le méridien de Constantine. Dès la fin du règne de Thrasamond, vers 520, les nomades chameliers du groupe zénète pénètrent en Byzacène sous la conduite de Cabaon. À partir de cette date, Vandales puis Byzantins doivent lutter sans cesse contre leurs incursions. er

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Moulin et pressoir à huile traditionnels dans le village de Koubba de Beni Brahim, dans les monts du Guergour, Algérie (Photo H. Camps-Fabrer). L e p o è m e é p i q u e d u d e r n i e r écrivain latin d ' A f r i q u e , la Johannide d e C o r i p p u s , r a c o n t e les c o m b a t s q u e le c o m m a n d a n t d e s forces b y z a n t i n e s , J e a n T r o g l i t a , d u t c o n d u i r e c o n t r e c e s t e r r i b l e s a d v e r s a i r e s alliés a u x M a u r e s d e l ' i n t é r i e u r . C e s B e r b è r e s L a g u a n t a n (= L e v a t h a e = L o u a t a ) s o n t r e s t é s p a ï e n s . Ils a d o r e n t u n d i e u r e p r é s e n t é p a r u n t a u r e a u n o m m é G u r z i l e t u n d i e u g u e r r i e r , Sinifere. L e u r s c h a m e a u x , q u i effrayent les c h e v a u x d e la c a v a l e r i e b y z a n t i n e , sont d i s p o s é s en c e r c l e et p r o t è g e n t ainsi f e m m e s et enfants q u i s u i v e n t les n o m a d e s d a n s l e u r s déplacements. D u r e s t e d e l ' A f r i q u e , celle q u e C. C o u r t o i s avait a p p e l é e l ' A f r i q u e o u b l i é e , et q u i c o r r e s p o n d , en g r o s , a u x a n c i e n n e s M a u r é t a n i e s , n o u s ne c o n n a i s s o n s , p o u r c e t t e p é r i o d e d e d e u x siècles, q u e d e s n o m s d e c h e f s , d e r a r e s m o n u m e n t s f u n é r a i r e s ( D j e d a r s p r è s d e Saïda, G o u r p r è s d e M e k n è s ) et les c é l è b r e s i n s c r i p t i o n s d e M a s t i e s , à A r r i s ( A u r è s ) , q u i s'était p r o c l a m é e m p e r e u r , e t d e M a s u n a , « roi d e s p e u p l e s m a u r e et r o m a i n » à Altava ( O r a n i e ) . O n d e v i n e , à t r a v e r s les b r i b e s t r a n s m i s e s p a r les h i s t o r i e n s c o m m e P r o c o p e et p a r le c o n t e n u m ê m e de c e s i n s c r i p t i o n s , q u e l ' i n s é c u r i t é n ' é t a i t p a s m o i n d r e d a n s c e s r é gions « l i b é r é e s ». L e s q u e r e l l e s t h é o l o g i q u e s s o n t u n a u t r e f e r m e n t d e d é s o r d r e , elles n e f u r e n t p a s m o i n s fortes chez les c h r é t i e n s d ' A f r i q u e q u e chez c e u x d ' O r i e n t . L ' É g l i s e , q u i avait e u t a n t d e mal à l u t t e r c o n t r e le s c h i s m e d o n a t i s t e , est affaiblie, d a n s le r o y a u m e v a n d a l e , p a r les p e r s é c u t i o n s , car l'arianisme est d e v e n u religion d'État. L ' o r t h o d o x i e t r i o m p h e certes à n o u v e a u d è s le r è g n e d ' H i l d é r i c . L e s listes é p i s c o p a l e s d u C o n c i l e d e 525 r é v è l e n t c o m b i e n l ' É g l i s e africaine avait s o u f f e r t p e n d a n t le siècle

Un village kabyle : Aït Larbaa chez les Ait Yenni, Algérie (Photo J.-C. Bournizeau).

q u i suivit la m o r t de saint A u g u s t i n . N o n s e u l e m e n t d e n o m b r e u x é v ê c h é s s e m b l e n t avoir déjà d i s p a r u , mais s u r t o u t le p a r t i c u l a r i s m e provincial et le r e p l i e m e n t a c c o m p a g n e n t la rupture de l ' E t a t r o m a i n . L a r e c o n q u ê t e byzantine fut, en ce domaine, encore plus désastreuse. Elle r é i n t r o d u i s i t en A f r i q u e de n o u v e l l e s q u e r e l l e s sur la n a t u r e d u C h r i s t : le m o n o p h y s i s m e et la q u e r e l l e d e s T r o i s C h a p i t r e s , sous J u s t i n i e n , o u v r e n t la p é r i o d e b y z a n t i n e en A f r i q u e ; la t e n t a t i v e de conciliation p r o p o s é e p a r H é r a c l i u s , le m o n o t h é l i s m e , à son t o u r c o n d a m n é c o m m e u n e n o u v e l l e h é r é s i e , clôt c e t t e m ê m e p é r i o d e . Alors m ê m e q u e la c o n q u ê t e a r a b e est c o m m e n c é e , u n e n o u v e l l e q u e r e l l e , n é e de l'initiative de l ' e m p e r e u r Constant I I , celle du T y p e , déchire encore l'Afrique chrétienne (648). E n m ê m e t e m p s s'accroît la c o m p l e x i t é s o c i o l o g i q u e , v o i r e e t h n i q u e , d u pays. A u x romano-africains des villes et des c a m p a g n e s , parfois t r è s m é r i d i o n a l e s ( c o m m e la société p a y s a n n e q u e font c o n n a î t r e les « T a b l e t t e s Albertini », archives notariales sur bois de c è d r e , t r o u v é e s à u n e c e n t a i n e de k i l o m è t r e s au s u d d e T é b e s s a ) , et a u x M a u r e s n o n r o m a n i s é s issus des gentes p a l é o b e r b è r e s , se sont ajoutés les n o m a d e s « zénètes », les L a g u a n t a n et leurs émules, les débris d u p e u p l e vandale, le c o r p s e x p é d i t i o n n a i r e et les a d m i n i s t r a t e u r s b y z a n t i n s q u i sont des O r i e n t a u x . C e t t e société d e v i e n t de p l u s e n p l u s c l o i s o n n é e d a n s u n p a y s o ù s ' e s t o m p e la n o t i o n m ê m e de l ' É t a t . C ' e s t d a n s u n p a y s d é s o r g a n i s é , a p p a u v r i et d é c h i r é q u ' a p p a r a i s s e n t , au milieu d u V I I siècle, les c o n q u é r a n t s a r a b e s . L a c o n q u ê t e a r a b e , on le sait, ne fut p a s u n e t e n t a t i v e de colonisation, c ' e s t - à - d i r e u n e e n t r e p r i s e de p e u p l e m e n t . Elle se p r é s e n t e c o m m e e

u n e suite d ' o p é r a t i o n s e x c l u s i v e m e n t m i l i t a i r e s , d a n s l e s q u e l l e s le g o û t d u l u c r e se mêlait facilement à l ' e s p r i t m i s s i o n n a i r e . C o n t r a i r e m e n t à u n e i m a g e t r è s r é p a n d u e d a n s les m a n u e l s s c o l a i r e s , c e t t e c o n q u ê t e n e fut p a s le r é s u l t a t d ' u n e c h e v a u c h é e h é r o ï q u e , balayant t o u t e o p p o s i tion d'un simple r e v e r s d e s a b r e . L e P r o p h è t e m e u r t e n 632 ; d i x ans p l u s t a r d les a r m é e s d u Calife o c c u p a i e n t l ' E g y p t e et la C y r é n a ï q u e ( l ' A n t â b u l u s , c o r r u p t i o n d e P e n t a p o l i s ) . E n 6 4 3 , elles p é n è t r e n t e n T r i p o l i t a i n e , a y a n t A m r ū b e n al-Aç à l e u r t ê t e . S o u s les o r d r e s d ' I b n Sâ‘d, g o u v e r n e u r d ' E g y p t e , u n raid est dirigé s u r les confins d e l'Ifrīqiya ( d é f o r m a t i o n a r a b e d u n o m de l ' a n c i e n n e Africa), alors en p r o i e à d e s c o n v u l s i o n s e n t r e B y z a n t i n s et B e r b è r e s r é v o l t é s et e n t r e B y z a n t i n s e u x - m ê m e s . C e t t e o p é r a t i o n révéla à la fois la r i c h e s s e d u p a y s et ses faiblesses. Elle alluma d ' a r d e n t e s convoitises. L ' h i s t o r i e n E n - N o w e i r i d é c r i t avec q u e l l e facilité fut l e v é e u n e petite a r m é e , c o m p o s é e d e c o n t i n g e n t s fournis p a r la p l u p a r t d e s t r i b u s a r a b e s , q u i p a r t i t d e M é d i n e en o c t o b r e 6 4 7 . Cette t r o u p e ne d e v a i t p a s d é p a s s e r 5 0 0 0 h o m m e s , mais en E g y p t e , I b n Sâ‘d, q u i e n p r i t le c o m m a n d e m e n t , lui adjoignit u n c o r p s levé s u r p l a c e q u i p o r t a à 20 0 0 0 le n o m b r e d e c o m b a t t a n t s m u s u l m a n s . L e choc décisif c o n t r e les « R o m s » ( B y z a n t i n s ) c o m m a n d é s p a r le p a t r i c e G r é g o i r e e u t lieu p r è s de Suffetula ( S b e i t l a ) , en T u n i s i e . G r é g o i r e fut t u é . M a i s , ayant pillé le p l a t p a y s et o b t e n u u n t r i b u t c o n s i d é r a b l e d e s cités d e B y z a c è n e , les A r a b e s se r e t i r è r e n t satisfaits e n 6 4 8 . L ' o p é r a t i o n n ' a v a i t p a s e u d'autre b u t . Elle a u r a i t d u r é q u a t o r z e mois. L a c o n q u ê t e v é r i t a b l e n e fut e n t r e p r i s e q u e sous le calife M o a w i a , q u i confia le c o m m a n d e m e n t d ' u n e n o u v e l l e a r m é e à M o a w i a ibn H o deidj en 6 6 6 . Trois ans p l u s t a r d s e m b l e - t - i l , O q b a b e n N a f e fonda la p l a c e d e K a i r o u a n , p r e m i è r e ville m u s u l m a n e au M a g h r e b . D ' a p r è s les r é c i t s , t r a n s m i s avec d e n o m b r e u s e s v a r i a n t e s p a r les a u t e u r s a r a b e s , O q b a m u l t i p l i a , au c o u r s d e son second g o u v e r n e m e n t , les raids v e r s l ' O u e s t , s ' e m p a r a d e villes i m p o r t a n t e s , c o m m e L a m b è s e q u i avait é t é le siège d e la I I I L é g i o n et la c a p i t a l e d e la N u m i d i e r o m a i n e . Il se d i rigea e n s u i t e v e r s T a h e r t , p r è s d e la m o d e r n e T i a r e t , p u i s a t t e i g n i t T a n g e r , o ù u n c e r t a i n Yuliān (Julianus) lui d é c r i v i t les B e r b è r e s d u Sous ( S u d marocain) sous u n jour fort p e u sympathique : « C'est, disaitil, u n peuple sans r e l i g i o n , ils m a n g e n t d e s c a d a v r e s , b o i v e n t le sang d e l e u r s b e s t i a u x , v i v e n t c o m m e d e s a n i m a u x car ils ne c r o i e n t p a s en D i e u et n e le c o n n a i s s e n t m ê m e p a s . » O q b a en fit u n m a s s a c r e p r o d i ­ gieux et s ' e m p a r a d e l e u r s f e m m e s q u i é t a i e n t d ' u n e b e a u t é sans égale. P u i s O q b a p é n é t r a à cheval d a n s l ' A t l a n t i q u e , p r e n a n t D i e u à t é m o i n « qu'il n ' y avait p l u s d ' e n n e m i s d e la religion à c o m b a t t r e ni d'infidèles à t u e r ». e

C e r é c i t , en g r a n d e p a r t i e l é g e n d a i r e , d o u b l é p a r d ' a u t r e s q u i font aller O q b a j u s q u ' a u fin fond d u F e z z a n avant d e c o m b a t t r e d a n s l'ext r ê m e O c c i d e n t , fait b o n m a r c h é d e la r é s i s t a n c e r e n c o n t r é e p a r c e s e x p é d i t i o n s . C e l l e d ' O q b a finit m ê m e p a r u n d é s a s t r e q u i c o m p r o m i t p e n d a n t cinq ans la d o m i n a t i o n a r a b e e n Ifrīqiya. L e c h e f b e r b è r e K o ceila, u n A o u r é b a d o n c u n B r ā n i s , déjà c o n v e r t i à l ' I s l a m , d o n n a le si­ gnal d e la r é v o l t e . L a t r o u p e d ' O q b a fut é c r a s é e s u r le c h e m i n d u r e -

t o u r , au sud d e l ' A u r è s , et l u i - m ê m e fut t u é à T e h u d a , p r è s de la ville q u i p o r t e son n o m et r e n f e r m e son t o m b e a u , Sidi O q b a . K o c e i l a m a r cha s u r K a i r o u a n et s ' e m p a r a de la cité. C e q u i r e s t a i t de l ' a r m é e m u s u l m a n e se r e t i r a j u s q u ' e n C y r é n a ï q u e . C a m p a g n e s et e x p é d i t i o n s se succèdent p r e s q u e annuellement. Koceila m e u r t en 686, Carthage n'est p r i s e p a r les m u s u l m a n s q u ' e n 6 9 3 et T u n i s f o n d é e en 6 9 8 . P e n d a n t q u e l q u e s a n n é e s , la r é s i s t a n c e fut c o n d u i t e p a r u n e f e m m e , u n e D j e raoua, u n e des tribus zénètes maîtresses de l'Aurès. C e t t e f e m m e , qui se n o m m a i t D i h y a , est p l u s c o n n u e sous le s o b r i q u e t q u e lui d o n n è r e n t les Arabes : la K a h i n a (la « devineresse »). Sa m o r t , vers 700, p e u t être cons i d é r é e c o m m e la fin de la r é s i s t a n c e a r m é e d e s B e r b è r e s c o n t r e les A r a b e s . D e fait, l o r s q u ' e n 711 T a r î q t r a v e r s e le d é t r o i t a u q u e l il a laissé son n o m ( D j e b e l el T a r ī q : G i b r a l t a r ) p o u r c o n q u é r i r l ' E s p a g n e , son a r m é e est e s s e n t i e l l e m e n t c o m p o s é e d e c o n t i n g e n t s b e r b è r e s , de M a u ­ res. E n bref, les c o n q u é r a n t s a r a b e s , p e u n o m b r e u x mais vaillants, ne t r o u v è r e n t p a s e n face d ' e u x u n E t a t p r ê t à r é s i s t e r à u n e invasion, mais des o p p o s a n t s successifs : le patrice byzantin, p u i s les chefs b e r b è res, principautés après royaumes, tribus après confédérations. Quant à la p o p u l a t i o n r o m a n o - a f r i c a i n e , les Afariq, e n f e r m é e d a n s les m u r s de ses villes, b i e n q u e fort n o m b r e u s e , elle n'a ni la possibilité ni la v o l o n t é d e r é s i s t e r l o n g t e m p s à ces n o u v e a u x m a î t r e s e n v o y é s p a r D i e u . L a capitation imposée par les Arabes, le Kharadj, n'était g u è r e plus lourde q u e les e x i g e n c e s d u fisc b y z a n t i n , et, au d é b u t d u m o i n s , sa p e r c e p t i o n a p p a r a i s s a i t p l u s c o m m e u n e c o n t r i b u t i o n e x c e p t i o n n e l l e aux m a l h e u r s d e la g u e r r e q u e c o m m e u n e i m p o s i t i o n p e r m a n e n t e . Q u a n t a u x pillages et aux p r i s e s de b u t i n des cavaliers d ' A l l a h , ils n ' é t a i e n t ni p l u s ni m o i n s i n s u p p o r t a b l e s q u e c e u x p r a t i q u é s p a r les M a u r e s d e p u i s d e u x siècles. L ' A f r i q u e fut d o n c c o n q u i s e , mais c o m m e n t fut-elle islamisée puis arabisée? N o u s avons dit q u ' i l fallait d i s t i n g u e r l'islamisation de l'arabisation. D e fait, la p r e m i è r e se fit à u n r y t h m e b i e n p l u s r a p i d e q u e la s e c o n d e . L a B e r b é r i e d e v i n t m u s u l m a n e en m o i n s de d e u x siècles ( V I I - V I I I s i è c l e s ) , alors q u ' e l l e n ' e s t p a s e n c o r e a u j o u d ' h u i e n t i è r e m e n t a r a b i s é e , t r e i z e siècles a p r è s la p r e m i è r e c o n q u ê t e a r a b e . L ' i s l a m i s a t i o n et la t o u t e p r e m i è r e arabisation f u r e n t d ' a b o r d citad i n e s . L a religion d e s c o n q u é r a n t s s ' i m p l a n t a d a n s les villes a n c i e n n e s q u e visitaient d e s m i s s i o n n a i r e s g u e r r i e r s p u i s d e s d o c t e u r s v o y a g e u r s , r o m p u s a u x discussions t h é o l o g i q u e s . L a c r é a t i o n d e villes n o u v e l l e s , v é r i t a b l e s c e n t r e s r e l i g i e u x c o m m e K a i r o u a n , p r e m i è r e fondation m u s u l m a n e ( 6 7 0 ) , et F e s , c r é a t i o n d ' I d r i s s I I ( 8 0 9 ) , c o n t r i b u a à i m p l a n t e r solidement l'Islam aux deux extrémités du pays. L a c o n v e r s i o n d e s B e r b è r e s d e s c a m p a g n e s , sanhadja ou z é n è t e s , se fit p l u s m y s t é r i e u s e m e n t . Ils é t a i e n t c e r t e s p r é p a r é s au m o n o t h é i s m e absolu de l ' I s l a m p a r le d é v e l o p p e m e n t r é c e n t d u c h r i s t i a n i s m e mais aussi p a r u n c e r t a i n p r o s é l y t i s m e j u d a ï q u e d a n s les t r i b u s n o m a d e s d u Sud. D e p l u s , c o m m e a u x c h r é t i e n s o r i e n t a u x , l ' I s l a m d e v a i t p a r a î t r e aux Africains p l u s c o m m e u n e h é r é s i e c h r é t i e n n e (il y e n avait tant!) q u e e

e

c o m m e u n e n o u v e l l e religion ; c e t t e indifférence r e l a t i v e e x p l i q u e r a i t les f r é q u e n t e s « a p o s t a s i e s » c e r t a i n e m e n t liées a u x f l u c t u a t i o n s p o l i tiques. Q u o i q u ' i l en soit, la c o n v e r s i o n d e s chefs d e f é d é r a t i o n s , s o u v e n t p l u s p o u r d e s raisons p o l i t i q u e s q u e p a r c o n v i c t i o n , r é p a n d i t l ' I s l a m d a n s le p e u p l e . L e s c o n t i n g e n t s b e r b è r e s , c o n d u i t s p a r c e s chefs d a n s d e f r u c t u e u s e s c o n q u ê t e s faites a u n o m d e l ' I s l a m , f u r e n t a m e n é s t o u t n a t u r e l l e m e n t à la c o n v e r s i o n . L a p r a t i q u e d e s o t a g e s p r i s p a r m i les fils d e p r i n c e s o u d e chefs d e t r i b u s p e u t avoir é g a l e m e n t c o n t r i b u é au p r o g r è s d e l'Islam. C e s e n fants islamisés e t a r a b i s é s , d e r e t o u r chez l e u r s c o n t r i b u l e s , d e v e n a i e n t d e s m o d è l e s car ils é t a i e n t a u r é o l é s d u p r e s t i g e q u e d o n n e u n e c u l t u r e supérieure. T r è s efficaces b i e n q u e d a n g e r e u x p o u r l ' o r t h o d o x i e m u s u l m a n e a v a i e n t é t é , d a n s les p r e m i e r s siècles d e l ' I s l a m , les m i s s i o n n a i r e s k h a rédjites v e n u s d ' O r i e n t q u i , t o u t e n r é p a n d a n t l ' I s l a m d a n s les t r i b u s s u r t o u t z é n è t e s , « s é p a r è r e n t » u n e partie d e s B e r b è r e s d e s a u t r e s m u s u l m a n s . Si le schisme kharédjite e n s a n g l a n t a le M a g h r e b à p l u s i e u r s r e p r i s e s , il e u t le m é r i t e d e c o n s e r v e r à t o u t e s les é p o q u e s , la n ô t r e c o m p r i s e , u n e force r e l i g i e u s e m i n o r i t a i r e mais e x e m p l a i r e p a r la rig u e u r d e sa foi e t l'austérité d e ses m œ u r s . A u t r e s m i s s i o n n a i r e s e t g r a n d s v o y a g e u r s : les «daï» c h a r g é s d e r é p a n d r e la d o c t r i n e chiite. Il faut d i r e qu'en c e s é p o q u e s q u i , en E u r o p e Tighremt (ou Casbah en arabe) d'El M'dint, région d'Ouarzazate, Sud marocain (Photo R. Bertrand).

c o m m e en A f r i q u e , n o u s p a r a i s s e n t c o n d a m n é e s à u n e vie c o n c e n t r a t i o n n a i r e en r a i s o n d e l ' i n s é c u r i t é , les clercs v o y a g e n t b e a u c o u p e t fort loin. Ils s ' i n s t r u i s e n t a u p r è s d e s p l u s c é l è b r e s d o c t e u r s , se m e t t a n t d é l i b é r é m e n t à l e u r s e r v i c e , j u s q u ' a u j o u r o ù ils p r e n n e n t c o n s c i e n c e d e l e u r savoir, d e l e u r a u t o r i t é , e t d e v i e n n e n t m a î t r e s à l e u r t o u r , é l a b o r a n t parfois u n e n o u v e l l e s d o c t r i n e . C e f u t , e n t r e a u t r e s , l'histoire d'Ibn T o u m e r t , f o n d a t e u r d u m o u v e m e n t a l m o h a d e (1120) q u i d o n n a naissance à u n e m p i r e . P o u r g a g n e r le c œ u r d e s p o p u l a t i o n s , d a n s les villes e t s u r t o u t les c a m p a g n e s , les m i s s i o n n a i r e s m u s u l m a n s e u r e n t r e c o u r s s u r t o u t à l ' e x e m p l e . Il fallait m o n t r e r à c e s M a g h r é b i n s , d o n t la religiosité fut t o u j o u r s t r è s p r o f o n d e , ce q u ' é t a i t la vraie c o m m u n a u t é d e s D é f e n s e u r s d e la F o i . L e r i b â t en fut l ' e x e m p l e a c h e v é . C e fut à la fois u n c o u v e n t e t u n e g a r n i s o n , b a s e d ' o p é r a t i o n c o n t r e les infidèles o u les h é r é t i q u e s . L e r i b â t p e u t ê t r e i m p l a n t é n ' i m p o r t e o ù , s u r le littoral o u à l ' i n t é r i e u r d e s terres, c o m m e le R i b â t T a z a , p a r t o u t o ù la d é f e n s e d e la F o i l'exige. Les moines-soldats qui occupent ces châteaux s'entraînent au combat et s ' i n s t r u i s e n t a u x s o u r c e s d e l ' o r t h o d o x i e la p l u s r i g o u r e u s e . L '  g e d ' o r d e s r i b â t s fut le I X siècle, en Ifrīqiya, o ù les f o n d a t i o n s p i e u s e s d e s é m i r s a g h l a b i t e s se m u l t i p l i e n t d e T r i p o l i à B i z e r t e , p a r t i c u l i è r e m e n t s u r les c ô t e s d e l ' a n c i e n n e B y z a c è n e . L e r i b â t d e M o n a s t i r , le p l u s c é l è b r e (il suffisait d ' y avoir t e n u g a r n i s o n p e n d a n t trois j o u r s p o u r g a g n e r le p a r a d i s ! ) , fut c o n s t r u i t en 7 9 6 , c e l u i d e S o u s s e en 8 2 1 . A l'autre e x t r é m i t é d u M a g h r e b , s u r la c ô t e a t l a n t i q u e , u n e autre c o n c e n t r a t i o n d e r i b â t s a s s u r a i t la d é f e n s e d e l ' I s l a m s u r le p l a n militaire et s u r c e l u i d e l ' o r t h o d o x i e , aussi b i e n c o n t r e les p i l l a r d s n o r m a n d s q u e c o n t r e les h é r é t i q u e s B a r g a w a t a . L'un d ' e u x , d e fondation assez t a r d i v e p a r l ' a l m o h a d e Y a ‘ q ū b e l - M a n s ū r , d e v a i t d e v e n i r la c a p i t a l e d u r o y a u ­ m e c h é r i f i e n e n c o n s e r v a n t le n o m d e R a b a t . A r c i l a , au n o r d , Safi, Q o ū z e t s u r t o u t M a s s a t , a u s u d , c o m p l é t a i e n t la d é f e n s e littorale d u M a g h r e b el-Aqsa. C e s m o r a b i t ū n sont aussi d e s « ibad », h o m m e s d e prière ; les g e n s d e s r i b â t s s a v e n t , le cas é c h é a n t , d e v e n i r d e s r é f o r m a t e u r s zélés e t efficaces. C e u x q u i p a r m i les L e m t o u n a e t les G u e z o u l a , t r i b u s sanhadja d u S a h a r a o c c i d e n t a l , a v a i e n t s o u s la f é r u l e d ' I b n Yasin fondé u n r i b â t d a n s u n e île du S é n é g a l , f u r e n t , a u d é b u t d u X I siècle, à l'origine d e l ' e m p i r e a l m o r a v i d e d o n t le n o m e s t u n e d é f o r m a t i o n h i s p a n i q u e d e morabitūn. D a n s les z o n e s n o n m e n a c é e s , le r i b â t p e r d i t son c a r a c t è r e militaire p o u r d e v e n i r le siège d e r e l i g i e u x t r è s r e s p e c t é s . D e s c o n f r é r i e s , q u ' i l serait e x a g é r é d ' a s s i m i l e r a u x o r d r e s r e l i g i e u x c h r é t i e n s , s ' o r g a n i s è rent, aux époques récentes, en prenant appui sur des centres d'études r e l i g i e u s e s , les zaouïas, q u i s o n t les h é r i t i e r s d e s a n c i e n s r i b â t s . C e m o u v e m e n t , s o u v e n t m ê l é d e m y s t i c i s m e p o p u l a i r e , e s t lié a u m a r a b o u t i s m e , a u t r e m o t d é r i v é d u ribât. L e m a r a b o u t i s m e c o n t r i b u a g r a n d e m e n t à a c h e v e r l'islamisation d e s c a m p a g n e s , a u p r i x d e q u e l q u e s concessions secondaires à des pratiques antéislamiques qui n'entament p a s la foi du c r o y a n t . e

e

Guelaa de Benian, Aurès (Photo M. Bovis). Il fut c e p e n d a n t d e s p a r t i e s d e la B e r b é r i e o ù l ' I s l a m n e p é n é t r a q u e t a r d i v e m e n t , n o n p a s d a n s les g r o u p e s c o m p a c t s d e s s é d e n t a i r e s m o n t a g n a r d s q u i , a u c o n t r a i r e , j o u è r e n t t r è s vite u n r ô l e i m p o r t a n t d a n s l ' I s l a m m a g h r é b i n , c o m m e les K e t a m a d e P e t i t e K a b y l i e ou les M a s m o u d a d e l'Atlas m a r o c a i n , mais c h e z les g r a n d s n o m a d e s d u lointain H o g g a r et d u S a h a r a m é r i d i o n a l . Il s e m b l e q u ' i l y e u t , chez les T o u a r e g s , si on en croit l e u r t r a d i t i o n , u n e islamisation t r è s p r é c o c e , œ u v r e des S o h â b a ( C o m p a g n o n s d u P r o p h è t e ) ; mais c e t t e islamisation, si elle n ' e s t p a s l é g e n d a i r e , n ' e u t g u è r e d e c o n s é q u e n c e , et l ' i d o l â t r i e s u b s i s t a j u s q u ' à ce q u e d e s m i s s i o n a i r e s r é i n t r o d u i s e n t l ' I s l a m a u H o g g a r , sans g r a n d s u c c è s s e m b l e - t - i l . E n fait la v é r i t a b l e islamisation n e s e m b l e g u è r e a n t é r i e u r e a u X V siècle. e

Il est m ê m e u n p a y s b e r b é r o p h o n e q u i n e fut jamais islamisé : les

îles C a n a r i e s , d o n t les h a b i t a n t s p r i m i t i f s , les G u a n c h e s , é t a i e n t r e s t é s p a ï e n s au m o m e n t de la c o n q u ê t e n o r m a n d e et e s p a g n o l e , a u x X I V et X V siècles. L ' i s l a m i s a t i o n d e s B e r b è r e s ne fit p a s d i s p a r a î t r e i m m é d i a t e m e n t t o u t e t r a c e d e c h r i s t i a n i s m e e n A f r i q u e . L e s g é o g r a p h e s et c h r o n i q u e u r s a r a b e s sont p a r t i c u l i è r e m e n t d i s c r e t s sur le m a i n t i e n d'églises africaines q u e l q u e s siècles a p r è s la c o n q u ê t e et la c o n v e r s i o n massive (?) des B e r b è r e s ; ce n ' e s t q u e r é c e m m e n t q u e les h i s t o r i e n s se sont vraiment intéressés à cette question. L e s r o y a u m e s r o m a n o - a f r i c a i n s q u i s ' é t a i e n t c o n s t i t u é s p e n d a n t les é p o q u e s v a n d a l e et b y z a n t i n e é t a i e n t e n majorité c h r é t i e n s . L ' e m p e r e u r M a s t i e s p r o c l a m e son c h r i s t i a n i s m e , le roi d e s U c u t a m a n i , q u i sont les K o t a m a des écrivains a r a b e s , se dit « servus Dei », les souverains q u i se faisaient c o n s t r u i r e les i m p o s a n t s D j e d a r , m o n u m e n t s f u n é r a i r e s de la r é g i o n d e F r e n d a , é t a i e n t aussi c h r é t i e n s , c o m m e v r a i s e m b l a b l e m e n t M a s u n a , « roi des M a u r e s et des R o m a i n s » en M a u r é t a n i e v e r s 508 et M a s t i n a s , a u t r e p r i n c e m a u r e q u i f r a p p a peut-être m o n n a i e v e r s 535. E n fait, seuls d e s chefs n o m a d e s , c o m m e I e r n a a d o r a t e u r d u t a u r e a u G u r z i l , sont e n c o r e p a ï e n s . T o u t s e m b l e i n d i q u e r q u ' u n e p a r t i m p o r t a n t e d e s p o p u l a t i o n s p a l é o b e r b è r e s d a n s les a n c i e n n e s p r o v i n c e s de l ' e m p i r e r o m a i n est évangélisée au V I siècle. L e s villes ont laissé les t é m o i g n a g e s les p l u s n o m b r e u x , on ne saurait s'en é t o n n e r : basiliques v a s t e s et n o m b r e u s e s , n é c r o p o l e s , i n s c r i p t i o n s f u n é r a i r e s , e n p a r t i c u lier la r e m a r q u a b l e série de la lointaine Volubilis q u i couvre la p r e m i è r e m o i t i é d u V I I siècle ( 5 9 5 - 6 5 5 ) , celle d ' A l t a v a à p e i n e p l u s a n c i e n n e ( V s i è c l e ) , celles e n c o r e d e P o m a r i a o u d ' A l b u l a e , villes q u i faisaient aussi p a r t i e d u r o y a u m e de M a s u n a . O n ne doit p a s e n tirer la c o n c l u sion q u e seule la p o p u l a t i o n citadine était d e v e n u e c h r é t i e n n e : de très m o d e s t e s b o u r g a d e s de N u m i d i e , q u i n ' é t a i e n t e n fait q u e de gros vill a g e s , p o s s è d e n t l e u r s b a s i l i q u e s ; des t e x t e s p r é c i e u x le m o n t r e n t , tel q u e celui de J e a n de Biclar q u i a n n o n c e la c o n v e r s i o n , v e r s 5 7 0 , des G a r a m a n t e s et d e s M a c c u r i t a e , q u i é t a i e n t r e s t é s p a ï e n s . F a u t - i l s'étonner de ce q u ' E l - B e k r i affirme q u ' à l ' é p o q u e byzantine les Berbères p r o f e s s a i e n t le c h r i s t i a n i s m e ? L e m a i n t i e n d e c o m m u n a u t é s c h r é t i e n n e s e n p l e i n e p é r i o d e m u s u l m a n e , p l u s i e u r s siècles a p r è s la conq u ê t e , ne fait p l u s , a u j o u r d ' h u i , a u c u n d o u t e . A u x d é c o u v e r t e s é p i g r a p h i q u e s , telles les f a m e u s e s i n s c r i p t i o n s f u n é r a i r e s de K a i r o u a n , d a t é e s d u X I siècle, et celles d e s s é p u l t u r e s c h r é t i e n n e s d ' A i n Z a r a et d ' E n N g i l a en T r i p o l i t a i n e , s'ajoute le c o m m e n t a i r e d e t e x t e s j u s q u ' alors q u e l q u e p e u négligés. T . L e w i k i a m o n t r é q u ' i l existait u n e forte c o m m u n a u t é c h r é t i e n n e p a r m i les I b a d i t e s , d ' a b o r d d a n s le r o y a u m e r o s t é m i d e de T a h e r t , e n s u i t e à O u a r g l a . N o u s connaissons u n é v ê c h é de Qastiliya d a n s le S u d t u n i s i e n , tandis q u e la c h a n c e l l e r i e pontificale c o n s e r v e la c o r r e s p o n d a n c e d u p a p e G r é g o i r e V I I avec les é v ê q u e s africains au X siècle. H . R . Idriss r e c o n n a î t le m a i n t i e n d e la c é l é b r a tion d e fêtes c h r é t i e n n e s en Ifrïqiya à l ' é p o q u e z i r i d e , et C h . - E . D u f o u r c q , r e p r e n a n t le t e x t e d ' E l B e k r i , r a p p e l l e l ' e x i s t e n c e d ' u n e p o p u lation c h r é t i e n n e et d ' u n e église à T l e m c e n au X siècle et p r o p o s e m ê m e d e r e t r o u v e r la m e n t i o n d e p è l e r i n a g e s c h r é t i e n s a u p r è s d e s « r i e

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b â t s » d a n s la ville r u i n é e de C h e r c h e l - C a e s a r e a . F o r t j u s t e m e n t le m ê m e a u t e u r m e t e n r a p p o r t la s u r v i v a n c e d u latin d ' A f r i q u e (alL â t i n i - a l - a f a r î q ) avec le m a i n t i e n d u c h r i s t i a n i s m e . C e n ' e s t q u ' a u X I I siècle q u e s e m b l e n t d i s p a r a î t r e les d e r n i è r e s c o m m u n a u t é s c h r é t i e n n e s ; e n c o r e c e t t e e x t i n c t i o n p a r a î t - e l l e p l u s le fait d ' u n e p e r s é c u t i o n q u e d ' u n e d i s p a r i t i o n n a t u r e l l e . L e s califes a l m o h a d e s f u r e n t p a r t i c u l i è r e m e n t i n t o l é r a n t s . A p r è s la p r i s e de T u n i s , ‘ A b d e l - M o u m e n , e n 1159, d o n n e à choisir a u x juifs et aux c h r é t i e n s e n t r e se c o n v e r t i r à l'Islam o u p é r i r p a r le glaive. À la fin d u siècle, son p e t i t - f i l s , A b ū Y ū s ū f Y a ‘ q ū b e l - M a n s ū r , se v a n t a i t de ce q u ' a u c u n e église c h r é t i e n n e ne subsistait d a n s ses é t a t s . L ' a r a b i s a t i o n suivit d ' a u t r e s v o i e s , b i e n q u ' e l l e fût p r é p a r é e p a r l'obligation de prononcer en arabe les q u e l q u e s phrases essentielles d'adh é s i o n à l'islam. P e n d a n t la p r e m i è r e p é r i o d e ( V I I - X I s i è c l e s ) , l'arabisation l i n g u i s t i q u e et c u l t u r e l l e fut d ' a b o r d e s s e n t i e l l e m e n t c i t a d i n e . P l u s i e u r s villes m a g h r é b i n e s de f o n d a t i o n a n c i e n n e , K a i r o u a n , T u n i s , T l e m c e n , F e s , o n t c o n s e r v é u n e l a n g u e assez c l a s s i q u e , s o u v e n i r de c e t t e p r e m i è r e arabisation. C e t a r a b e citadin, en se c h a r g e a n t de c o n s t r u c t i o n s d i v e r s e s e m p r u n t é e s a u x B e r b è r e s , s'est m a i n t e n u a u s s i , d ' a p r è s W . M a r ç a i s , chez de v i e u x s é d e n t a i r e s r u r a u x c o m m e les h a b i t a n t s d u Sahel tunisien ou de la région maritime d u Constantinois, ou encore les T r a r a s et les Jebala d u Rif o r i e n t a l ; o r , ces r é g i o n s m a r i t i m e s sont les d é b o u c h é s de vieilles capitales r é g i o n a l e s a r a b i s é e s de l o n g u e date. C e t t e situation linguistique semble r e p r o d u i r e celle de la p r e m i è r e arabisation. A i l l e u r s , c e t t e f o r m e a n c i e n n e , d o n t on i g n o r e q u e l l e fut l ' e x t e n s i o n , fut s u b m e r g é e p a r u n e l a n g u e p l u s p o p u l a i r e , l ' a r a b e b é d o u i n , q u i p r é s e n t e u n e c e r t a i n e u n i t é d u S u d t u n i s i e n au R i o de O r o r e m o n t a n t l a r g e m e n t v e r s le n o r d d a n s les p l a i n e s de l ' A l g é r i e c e n t r a l e , d ' O r a n i e et d u M a r o c . C e t a r a b e b é d o u i n fut i n t r o d u i t au X I siècle p a r les t r i b u s hilaliennes car ce sont e l l e s , e n effet, q u i o n t v é r i t a b l e m e n t arabisé u n e g r a n d e p a r t i e des B e r b è r e s . P o u r c o m p r e n d r e l'arrivée inattendue de ces tribus arabes b é d o u i n e s , il n o u s faut r e m o n t e r au X siècle, au m o m e n t o ù se d é r o u l a i t , au M a g h r e b c e n t r a l d ' a b o r d , p u i s e n Ifrīqiya, u n e a v e n t u r e p r o d i g i e u s e et b i e n c o n n u e , celle de l'accession au califat d e s F a t i m i d e s . Alors q u e les B e r b è r e s z é n è t e s é t e n d a i e n t p r o g r e s s i v e m e n t l e u r d o m i n a t i o n sur les H a u t e s - P l a i n e s , les B e r b è r e s a u t o c h t o n e s , les Sanhadja, c o n s e r v a i e n t les t e r r i t o i r e s m o n t a g n e u x de l ' A l g é r i e c e n t r a l e et o r i e n t a l e . L ' u n e de ces t r i b u s q u i , d e p u i s l ' é p o q u e r o m a i n e , o c c u p a i t la P e t i t e K a b y l i e , les K e t a m a , avait accueilli u n m i s s i o n n a i r e c h i i t e , A b ū ‘ A b d ‘ A l l a h , q u i a n ­ nonçait la v e n u e de l ' I m a m « dirigé » ou M a h d i , d e s c e n d a n t d'Ali et de F a t i m a . Abu‘Abd‘Allah s'établit d ' a b o r d à T a f r o u t , d a n s la r é g i o n d e M i l a ; il o r g a n i s e u n e milice q u i g r o u p e ses p r e m i e r s p a r t i s a n s , p u i s t r a n s f o r m e Ikdjan, à l'est des B a b o r s , e n place forte. Se r é v é l a n t u n r e m a r q u a b l e s t r a t è g e et m e n e u r d ' h o m m e s , il s ' e m p a r e t o u r à t o u r de Sétif, Béja, C o n s t a n t i n e . E n m a r s 9 0 9 , les C h i i t e s sont m a î t r e s de K a i r o u a n et p r o c l a m e n t I m a m le F a t i m i d e O b a ï d ‘Allah, e n c o r e p r i s o n n i e r à l'autre b o u t d u M a g h r e b c e n t r a l , d a n s la lointaine Sidjilmassa. U n e e x p é d i t i o n k e t a m a , t o u j o u r s c o n d u i t e p a r l'infatigable A b ū ‘ A b a d ‘ A l l a h , e

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Femme kabyle des Ouadhias (Aït Yenni) (Photo G. Camps).

Four de potier de Guellala à Jerba (Photo G. Camps).

le r a m è n e t r i o m p h a n t à K a i r o u a n , en d é c e m b r e 9 0 9 , n o n sans avoir, au p a s s a g e , d é t r u i t les p r i n c i p a u t é s k h a r e d j i t e s . L a d y n a s t i e issue d ' O b a ï d ‘Allah, celle des F a t i m i d e s , r é u s s i t d o n c u n m o m e n t à c o n t r ô l e r la p l u s g r a n d e p a r t i e d e l ' A f r i q u e d u N o r d , mais d e t e r r i b l e s r é v o l t e s s e c o u e n t le p a y s . L a p l u s grave est celle d e s K h a r e d j i t e s , m e n é e p a r M a h l a d b e n K a y d ā d dit A b ū Y a z i d , « l ' h o m m e à l ' â n e ». M a i s la d y n a s t i e est u n e n o u v e l l e fois s a u v é e p a r l ' i n t e r v e n t i o n d e s Sanhadja d u M a g h r e b c e n t r a l , s o u s la c o n d u i t e d e Z i r i . A u s s i , l o r s q u e les F a t i m i d e s , a p r è s avoir c o n q u i s l ' E g y p t e avec l'aide d e s Sanhadja, é t a b l i s s e n t l e u r c a p i t a l e a u C a i r e ( 9 7 3 ) , ils laissent le g o u v e r n e m e n t d u M a g h r e b à l e u r l i e u t e n a n t B o l o g g i n , fils d e Ziri. E n trois g é n é r a t i o n s , les Z i r i d e s r e l â c h e n t l e u r s liens d e vassalité à l ' é g a r d d u calife fatimide. E n 1 0 4 5 , E l - M o e z z rejeta la chiisme q u i n ' a v a i t p a s été a c c e p t é p a r la majorité d e ses sujets et p r o c l a m a la s u p r é m a t i e d u calife a b b a s s i d e d e B a g d a d . P o u r p u n i r c e t t e s é c e s s i o n , le F a t i m i d e « d o n n a » le M a g h r e b a u x t r i b u s a r a b e s t r o p t u r b u l e n t e s q u i a v a i e n t é m i g r é d e Syrie et d ' A r a b i e n o m a d i s a n t d a n s le Sais, en H a u t e E g y p t e . C e r t a i n e s d e ces t r i b u s se r a t t a c h a i e n t à u n a n c ê t r e c o m m u n , H i l a l , d ' o ù le n o m d ' i n v a s i o n hilalienne d o n n é e à c e t t e n o u v e l l e i m m i g r a t i o n o r i e n t a l e e n A f r i q u e d u N o r d . L e s Beni H i l a l , b i e n t ô t suivis d e s B e n i S o l e ī m , p é n è t r e n t en Ifrīqiya e n 1 0 5 1 . À vrai d i r e , l ' é n u m é r a tion d e ces t r i b u s et fractions est assez l o n g u e mais r e l a t i v e m e n t b i e n c o n n u e , g r â c e a u r é c i t d ' I b n K h a l d o u n et à u n e l i t t é r a t u r e p o p u l a i r e a p p u y é e s u r u n e t r a d i t i o n orale e n c o r e b i e n v i v a n t e , v é r i t a b l e c h a n s o n d e g e s t e c o n n u e sous le n o m d e T a g h r i b ā t Bani H i l a l (la m a r c h e v e r s

l ' o u e s t d e s B e n i H i l a l ) . Il y avait d e u x g r o u p e s p r i n c i p a u x , le p r e m i e r f o r m é d e s t r i b u s Z o g h b a , A t h b e j , R y ā h , D j o c h e m , R e b i a e t A d i se r a t t a c h a i t à H i l a l , le second g r o u p e c o n s t i t u a i t les Beni Solaīm. À ce flot d ' e n v a h i s s e u r s s u c c é d a , q u e l q u e s d é c e n n i e s p l u s t a r d , u n g r o u p e d ' A r a b e s y é m é n i t e s , les M a ‘ q i l , q u i s u i v i r e n t l e u r voie p r o p r e , p l u s m é r i d i o n a l e , et a t t e i g n i r e n t le S u d m a r o c a i n et le S a h a r a o c c i d e n t a l . D e s g r o u p e s juifs n o m a d e s s e m b l e n t b i e n avoir a c c o m p a g n é ces b é d o u i n s et c o n t r i b u è r e n t à r e n f o r c e r les c o m m u n a u t é s j u d a ï q u e s d u M a g h r e b , d o n t l ' e s s e n t i e l était d ' o r i g i n e z é n è t e . O n a u r a i t t o r t d ' i m a g i n e r l ' a r r i v é e d e ces t r i b u s c o m m e u n e a r m é e e n m a r c h e o c c u p a n t m é t i c u l e u s e m e n t le t e r r a i n et c o m b a t t a n t d a n s u n e g u e r r e sans m e r c i les Z i r i d e s , p u i s l e u r s c o u s i n s , les H a m m a d i t e s , q u i a v a i e n t o r g a n i s é u n r o y a u m e distinct e n A l g é r i e . Il serait faux é g a l e ment de croire qu'il y eut entre Arabes envahisseurs et Berbères une c o n f r o n t a t i o n t o t a l e , d e t y p e racial o u national. L e s t r i b u s q u i p é n è t r e n t a u M a g h r e b o c c u p e n t le p a y s o u v e r t , r e g r o u p e n t l e u r s forces p o u r s ' e m p a r e r des villes q u ' e l l e s p i l l e n t s y s t é m a t i q u e m e n t , p u i s se d i s p e r s e n t à n o u v e a u , p o r t a n t p l u s loin pillage et désolation. Les princes berbères, Zirides, H a m m a d i t e s , plus tard Almohades, et M é r i n i d e s , n ' h é s i t e n t p a s à utiliser la force m i l i t a i r e , t o u j o u r s d i s p o n i b l e , q u e c o n s t i t u e n t ces n o m a d e s q u i , d e p r o c h e en p r o c h e , p é n è t r e n t ainsi p l u s avant d a n s les c a m p a g n e s m a g h r é b i n e s . D è s l ' a r r i v é e d e s A r a b e s b é d o u i n s , les s o u v e r a i n s b e r b è r e s s o n g e n t à utiliser c e t t e force n o u v e l l e d a n s l e u r s l u t t e s i n t e s t i n e s . Ainsi, loin d e s ' i n q u i é t e r d e la p é n é t r a t i o n d e s H i l a l i e n s , le s u l t a n ziride r e c h e r c h e l e u r alliance p o u r c o m b a t t r e ses c o u s i n s h a m m a d i d e s et d o n n e u n e d e ses filles en mariage au cheikh des Ryāh, ce qui n'empêche pas ces mêmes A r a b e s d e battre p a r d e u x f o i s , e n 1050 à H a ï d r a e t e n 1052 à K a i r o u a n , les a r m é e s zirides et d ' e n v a h i r l'Ifrīqiya, b i e n t ô t e n t i è r e m e n t s o u m i s e à l ' a n a r c h i e . D e s chefs a r a b e s en p r o f i t e n t p o u r se tailler d e m i n u s c u l e s r o y a u m e s aussi é p h é m è r e s q u e r e s t r e i n t s t e r r i t o r i a l e m e n t ; tels s o n t les é m i r a t s d e G a b è s e t d e C a r t h a g e , d è s la fin d u X I siècle. P a r a l l è l e m e n t , les H a m m a d i d e s o b t i e n n e n t le c o n c o u r s d e s Athbej q u i combattent leurs cousins Ryāh, comme eux-mêmes luttent contre leurs c o u s i n s zirides. E n 1152, u n siècle a p r è s l ' a r r i v é e des p r e m i e r s c o n t i n g e n t s b é ­ d o u i n s , les B e n i Hilal se r e g r o u p e n t p o u r faire face à la p u i s s a n c e g r a n d i s s a n t e d e s A l m o h a d e s , m a î t r e s d u M a g h r e b el-Aqsa e t d e la p l u s g r a n d e p a r t i e d u M a g h r e b c e n t r a l , mais il est t r o p t a r d et ils sont écra­ sés à la bataille d e Sétif. P a r a d o x a l e m e n t , c e t t e défaite n ' e n t r a v e p a s leur expansion, elle en modifie seulement le processus. L e s Almohades, successeurs d'Abd e l - M o u m e n , n'hésitent pas à utiliser leurs con­ t i n g e n t s e t , fait p l u s grave d e c o n s é q u e n c e s , ils o r d o n n e n t la d é p o r t a ­ tion d e n o m b r e u s e s fractions Ryâāh, A t h b e j et D j o c h e m d a n s d i v e r s e s p r o v i n c e s d u M a g h r e b e l - A q s a , d a n s le H a o u z et les p l a i n e s a t l a n t i q u e s q u i sont ainsi a r a b i s é s . T a n d i s q u e s ' é c r o u l e l ' e m p i r e a l m o h a d e , les H a f s i d e s a c q u i è r e n t l e u r i n d é p e n d a n c e en Ifrīqiya et s ' a s s u r e n t le c o n c o u r s des K o o ū b , l ' u n e d e s p r i n c i p a l e s fractions des Solaīm. A u m ê m e m o m e n t , le z é n è t e e

Potier jerbien (Photo G. Camps)

Fiancée chez les Ait Haddidū, Maroc (Photo R. Bertrand). Y a g h m o r a s e n f o n d e le r o y a u m e a b d - e l - w a d i d e d e T l e m c e n avec l ' a p ­ p u i d e s A r a b e s Z o r b a . D ' a u t r e s B e r b è r e s z é n è t e s , les Beni M e r i n , c h a s s e n t les d e r n i e r s A l m o h a d e s d e F e s ( 1 2 4 8 ) . L a n o u v e l l e d y n a s t i e s'appuya sur des familles arabes d é p o r t é e s au M a r o c par les Almohades. P e n d a n t p l u s d ' u n s i è c l e , le m a g h z e n m é r i n i d e f u t a i n s i r e c r u t é c h e z les K h l o t .

P a r t o u t ces c o n t i n g e n t s a r a b e s , introduits parfois c o n t r e l e u r volonté d a n s d e s r é g i o n s n o u v e l l e s o u établis à la tête d e p o p u l a t i o n s agricoles d o n t le g e n r e d e vie n e r é s i s t e p a s l o n g t e m p s à l e u r s d é p r é d a t i o n s , p r o v o q u e n t i n e x o r a b l e m e n t le déclin d e s c a m p a g n e s . M a i s b i e n q u ' i l s a i e n t pillé K a i r o u a n , M e h d i a , T u n i s e t les p r i n c i p a l e s villes d'Ifrīqiya, b i e n q u e I b n K h a l d o u n les ait d é p e i n t s c o m m e u n e a r m é e d e s a u t e ­ relles détruisant t o u t sur son passage, Beni Hilal, Beni Solaīm et plus t a r d Beni Ma’qil f u r e n t b i e n p l u s d a n g e r e u x p a r les f e r m e n t s d ' a n a r ­ chie qu'ils introduisirent au M a g h r e b q u e par leurs p r o p r e s dépréda­ tions. C ' e s t u n e é t r a n g e e t , à vrai d i r e , assez m e r v e i l l e u s e h i s t o i r e q u e la t r a n s f o r m a t i o n e t h n o - s o c i o l o g i q u e d ' u n e p o p u l a t i o n d e p l u s i e u r s millions d e B e r b è r e s p a r q u e l q u e s dizaines d e milliers d e B é d o u i n s . O n n e saurait, en effet, e x a g é r e r l ' i m p o r t a n c e n u m é r i q u e d e s Beni Hilal ; q u e l q u e soit le n o m b r e d e c e u x q u i se c r o i e n t l e u r s d e s c e n d a n t s , ils é t a i e n t , a u m o m e n t d e l e u r a p p a r i t i o n en Ifrīqiya e t a u M a g h r e b , t o u t a u p l u s q u e l q u e s dizaines d e milliers. L e s a p p o r t s successifs d e s Beni Solaīm, p u i s d e Ma’qil q u i s ' é t a b l i r e n t d a n s le S u d d u M a r o c , n e p o r ­ t è r e n t p a s à p l u s d e c e n t mille les i n d i v i d u s d e sang a r a b e q u i pénétrèr e n t en A f r i q u e d u N o r d au X I siècle. L e s V a n d a l e s , l o r s q u ' i l s franc h i r e n t le d é t r o i t d e G i b r a l t a r p o u r d é b a r q u e r s u r les c ô t e s d ' A f r i q u e , e n m a i 4 2 9 , é t a i e n t a u n o m b r e d e 8 0 0 0 0 (peut-être le d o u b l e si les chiffres d o n n é s p a r V i c t o r d e Vita ne c o n c e r n e n t q u e les h o m m e s e t les enfants d e sexe m â l e ) . C ' e s t - à - d i r e q u e l ' i m p o r t a n c e n u m é r i q u e d e s d e u x invasions e s t s e n s i b l e m e n t é q u i v a l e n t e . O r q u e r e s t e - t - i l d e l ' e m p r i s e v a n d a l e e n A f r i q u e d e u x siècles p l u s t a r d ? R i e n . L a c o n q u ê t e b y z a n t i n e a g o m m é p u r e m e n t e t s i m p l e m e n t la p r é s e n c e v a n d a l e , d o n t on r e c h e r c h e r a i t e n vain les d e s c e n d a n t s o u c e u x q u i p r é t e n d r a i e n t e n d e s c e n d r e . C o n s i d é r o n s m a i n t e n a n t les c o n s é q u e n c e s d e l ' a r r i v é e d e s A r a b e s hilaliens d u X I siècle : la B e r b é r i e s'est en g r a n d e p a r t i e a r a b i sée e t les É t a t s d u M a g h r e b se c o n s i d è r e n t c o m m e d e s É t a t s a r a b e s . e

e

C e n ' e s t , b i e n e n t e n d u , ni la f é c o n d i t é d e s Beni H i l a l , ni l ' e x t e r m i n a t i o n d e s B e r b è r e s d a n s les p l a i n e s q u i e x p l i q u e n t c e t t e p r o f o n d e a r a bisation culturelle et linguistique. Les tribus bédouines ont, en premier lieu, porté un nouveau coup à la vie s é d e n t a i r e p a r l e u r s d é p r é d a t i o n s e t les m e n a c e s q u ' e l l e s font p l a n e r s u r les c a m p a g n e s o u v e r t e s . Elles r e n f o r c e n t ainsi l'action d i s solvante d e s n o m a d e s « n é o - b e r b è r e s » z é n è t e s q u i a v a i e n t , d è s le V I siècle, p é n é t r é en Africa e t en N u m i d i e . P r é c u r s e u r s d e s H i l a l i e n s , c e s n o m a d e s z é n è t e s f u r e n t facilement assimilés p a r les n o u v e a u x v e n u s . Ainsi les c o n t i n g e n t s n o m a d e s a r a b e s , q u i p a r l a i e n t la l a n g u e s a c r é e e t en t i r a i e n t u n g r a n d p r e s t i g e , loin d'être a b s o r b é s c u l t u r e l l e m e n t p a r la masse berbère nomade, l'attirèrent à eux et l'adoptèrent. e

L ' i d e n t i t é d e s g e n r e s d e vie facilita la fusion. Il était t e n t a n t p o u r les n o m a d e s b e r b è r e s d e se d i r e aussi a r a b e s e t d ' y g a g n e r la c o n s i d é r a tion e t le s t a t u t d e c o n q u é r a n t , v o i r e d e chérif, c ' e s t - à - d i r e d e s c e n d a n t d u P r o p h è t e . L ' a s s i m i l a t i o n était e n c o r e facilitée p a r u n e fiction j u r i d i q u e : l o r s q u ' u n g r o u p e d e v i e n t le client d ' u n e famille a r a b e , il a le d r o i t d e p r e n d r e le n o m de son p a t r o n c o m m e s'il s'agissait d ' u n e s o r t e

Au Mzab (Photo G. Camps). d ' a d o p t i o n collective. L ' e x i s t e n c e d e p r a t i q u e s a n a l o g u e s , chez les B e r b è r e s e u x - m ê m e s , facilitait e n c o r e le p r o c e s s u s . L ' é p i s o d e b i e n c o n n u d e la K a h é n a a d o p t a n t c o m m e t r o i s i è m e fils son p r i s o n n i e r a r a b e K h a led est u n b o n e x e m p l e d e ce p r o c é d é . L a compénétration des g r o u p e s b e r b è r e s et arabes nomades ou semin o m a d e s fut telle q u e le p h é n o m è n e i n v e r s e , c e l u i d e la b e r b é r i s a tion d e fractions a r a b e s o u se disant a r a b e s , a p u ê t r e parfois n o t é . N o u s c i t e r o n s à t i t r e d ' e x e m p l e , q u i est loin d ' ê t r e isolé, le cas d e la tribu a r a b e d e s Beni M h a m e d i n f é o d é e à l ' u n d e s « k h o m s » (celui des O u n e b g i ) de la p u i s s a n t e c o n f é d é r a t i o n d e s Aït‘Atta. L ' a r a b i s a t i o n gagna d o n c en p r e m i e r lieu les t r i b u s b e r b è r e s n o mades et particulièrement les Z é n è t e s . Elle fut si complète qu'il ne s u b siste p l u s , a u j o u r d ' h u i , d e dialectes z é n è t e s n o m a d e s ; c e u x q u i o n t e n c o r e u n e c e r t a i n e vitalité sont p a r l é s p a r d e s Z é n è t e s fixés soit d a n s les m o n t a g n e s ( O u a r s e n i s ) , soit d a n s les oasis d u S a h a r a s e p t e n t r i o n a l (Mzab). A v a n t le X V s i è c l e , les p u i s s a n t s g r o u p e s b e r b è r e s n o m a d e s H a w a ra d e T u n i s i e c e n t r a l e et s e p t e n t r i o n a l e sont déjà c o m p l è t e m e n t a r a b i sés et se sont assimilés aux Solaim ; c o m m e le n o t e W . M a r ç a i s , d è s c e t t e é p o q u e la T u n i s i e a acquis ses c a r a c t è r e s e t h n i q u e s e t l i n g u i s tiques actuels ; c'est le pays le plus arabisé d u M a g h r e b . Au M a g h r e b c e n t r a l , les B e r b è r e s d u g r o u p e Sanhadja, l o n g t e m p s d o m i n a n t s , s o n t e

d e p l u s en p l u s s u p p l a n t é s p a r les t r i b u s z é n è t e s arabisées ou en voie d ' a r a b i s a t i o n q u i , e n t r e a u t r e s , f o n d e n t le r o y a u m e a b d - e l - w a d i t e d e T l e m c e n , tandis q u e d ' a u t r e s Z é n è t e s , les Beni M e r i n , é v i n c e n t les derniers Almohades du Maroc. U n a u t r e f a c t e u r d ' a r a b i s a t i o n q u i fut m o i n s s o u v e n t r e t e n u p a r les h i s t o r i e n s d u M a g h r e b est l ' e x t i n c t i o n d e s t r i b u s q u i , ayant j o u é u n rôle i m p o r t a n t , o n t v u f o n d r e l e u r s effectifs au c o u r s d e c o m b a t s i n c e s s a n t s ou d ' e x p é d i t i o n s lointaines. C e fut le cas d e s K e t a m a d e P e t i t e K a b y l i e ; s o l i d e m e n t i m p l a n t é s d a n s l e u r r é g i o n m o n t a g n e u s e , ils c o n t r i b u è r e n t , n o u s l ' a v o n s v u , à f o n d e r l ' e m p i r e f a t i m i d e , firent des e x p é d i t i o n s d a n s t o u t e s les d i r e c t i o n s : Ifrīqiya, Sidjilmassa, M a g h r e b e l - A q s a , p u i s Sicile et E g y p t e , le t o u t e n t r e c o u p é p a r u n e c o û t e u s e r é b e l l i o n c o n t r e le calife q u ' i l s a v a i e n t établi. D i s p e r s é s d a n s les g a r n i s o n s , d é c i m é s p a r les g u e r r e s , les K e t a m a d i s p a r a i s s e n t c o m m e d a n s u n e t r a p p e ; a u j o u r d ' h u i l e u r p a y s , d e p u i s le massif d e s B a b o r s j u s q u ' à la f r o n t i è r e t u n i s i e n n e , est p r o f o n d é m e n t arabisé. A la c o n c o r d a n c e d e s g e n r e s d e vie e n t r e g r o u p e s n o m a d e s , p u i s s a n t f a c t e u r d ' a r a b i s a t i o n , s'ajoute, n o u s l ' a v o n s v u , le jeu p o l i t i q u e des s o u v e r a i n s b e r b è r e s q u i n ' h é s i t e n t p a s à utiliser la mobilité et la force militaire d e s n o u v e a u x v e n u s c o n t r e l e u r s frères d e r a c e . P a r la d o u b l e p r e s s i o n d e s m i g r a t i o n s p a s t o r a l e s et d e s actions g u e r r i è r e s a c c o m p a gnées d e pillages, d'incendies ou d e simples c h a p a r d a g e s , la m a r é e n o m a d e q u i , d é s o r m a i s , s'identifie, d a n s la p l u s g r a n d e p a r t i e d u M a g h r e b , a v e c l ' a r a b i s m e b é d o u i n , s ' é t e n d sans c e s s e , g a n g r è n e les É t a t s , efface la vie s é d e n t a i r e d e s p l a i n e s . L e s r é g i o n s b e r b é r o p h o n e s se r é d u i s e n t p o u r l'essentiel à d e s îlots m o n t a g n e u x . M a i s ce schéma est t r o p t r a n c h é p o u r ê t r e exact dans le détail. O n ne p e u t faire subir u n e telle d i c h o t o m i e à la r é a l i t é h u m a i n e d u M a g h r e b . L e s n o m a d e s n e sont p a s t o u s arabisés : il s u b s i s t e d e vastes r é g i o n s p a r c o u r u e s p a r des n o m a d e s b e r b é r o p h o n e s . T o u t le S a h a r a c e n t r a l et m é r i d i o n a l , d a n s trois É t a t s ( A l g é r i e , M a l i , N i g e r ) , est c o n t r ô l é p a r e u x . D a n s le S u d m a r o c a i n , l ' i m p o r t a n t e c o n f é d é r a t i o n des Aït ‘ A t t a , c e n t r é e s u r le Jbel S a r h o , m a i n t i e n t u n s e m i - n o m a d i s m e b e r b è r e e n t r e les g r o u p e s a r a b e s d u T a f i l a l e t , d ' o ù est issue la d y n a s t i e c h é r i f i e n n e , et les n o m a d e s R e g u e i b a t d u S a h a r a occidental q u i se d i s e n t d e s c e n d r e d e s t r i b u s a r a b e s Ma’qil. Il faut é g a l e m e n t t e n i r c o m p t e des p e t i t s n o m a d e s d u g r o u p e B r a b e r d u M o y e n Atlas : Z a ï a n , B e n i M g u i l d , Aït Seghouchen... L e b e r b è r e n ' e s t d o n c p a s e x c l u s i v e m e n t u n p a r l e r d e s é d e n t a i r e , ce n ' e s t p a s non p l u s u n e l a n g u e e x c l u s i v e m e n t m o n t a g n a r d e . U n e île a u s si p l a t e q u e J e r b a , les villes d e la P e n t a p o l e m z a b i t e , les oasis d u T o u a t et d u G o u r a r a , les i m m e n s e s p l a i n e s s a h é l i e n n e s f r é q u e n t é e s p a r les T o u a r e g K e l G r è s , K e l D i n n i k , O u i l l i m i d e n , sont des zones b e r b é r o p h o n e s au m ê m e t i t r e q u e les massifs marocains ou la m o n t a g n e kabyle. Il n e faut p a s n o n p l u s i m a g i n e r q u e t o u s les A r a b e s , au M a g h r e b , s o n t e x c l u s i v e m e n t n o m a d e s ; b i e n a v a n t la p é r i o d e française q u i favorisa, n e serait-ce q u e p a r le r é t a b l i s s e m e n t de la s é c u r i t é , l ' a g r i c u l t u r e et la vie sédentaire, des g r o u p e s arabophones menaient, d e p u i s des siècles, u n e vie s é d e n t a i r e a u t o u r des villes et d a n s les c a m p a g n e s les p l u s

r e c u l é e s . C ' é t a i t , en p a r t i c u l i e r , le cas des h a b i t a n t s de P e t i t e K a b y l i e et de l ' e n s e m b l e des massifs et d e s m o y e n n e s m o n t a g n e s littorales de l ' A l g é r i e o r i e n t a l e et d u N o r d de la T u n i s i e . T o u s ces m o n t a g n a r d s et h a b i t a n t s d e s collines sont arabisés de l o n g u e d a t e ; c e p e n d a n t , vivant d e la forêt, d ' u n e a g r i c u l t u r e p r o c h e d u jardinage et de l ' a r b o r i c u l t u r e , ils o n t t o u j o u r s m e n é u n e vie s é d e n t a i r e a p p u y é e sur l ' é l e v a g e de b o v i n s . Bien d ' a u t r e s cas s e m b l a b l e s , d a n s le Rif o r i e n t a l , l ' O u a r s e n i s o c c i d e n t a l , p o u r r a i e n t ê t r e cités. M a i s il n ' e m p ê c h e q u ' a u j o u r d ' h u i , d a n s le M a g h r e b sinon au Sahar a , les z o n e s b e r b é r o p h o n e s sont t o u t e s des r é g i o n s m o n t a g n e u s e s , c o m m e si celles-ci avaient servi de b a s t i o n s et de r e f u g e s a u x p o p u l a t i o n s q u i a b a n d o n n a i e n t p r o g r e s s i v e m e n t le p l a t p a y s a u x n o m a d e s et s e m i - n o m a d e s é l e v e u r s de p e t i t b é t a i l , a r a b e s ou arabisés. C ' e s t la r a i son p o u r l a q u e l l e , au X I X siècle, l ' A f r i q u e d u N o r d p r é s e n t a i t d e c u r i e u s e s i n v e r s i o n s de p e u p l e m e n t : m o n t a g n e s et collines au sol p a u v r e , o c c u p é e s p a r des a g r i c u l t e u r s , avaient des d e n s i t é s de p o p u l a t i o n b i e n p l u s g r a n d e s q u e les p l a i n e s et g r a n d e s vallées au sol r i c h e p a r c o u r u e s p a r de p e t i t s g r o u p e s d ' é l e v e u r s . C e r t a i n s g r o u p e s m o n t a g n a r d s sont si p e u a d a p t é s à la vie en m o n t a g n e q u e l e u r origine s e m b l e devoir ê t r e r e c h e r c h é e ailleurs. D e s d é tails v e s t i m e n t a i r e s , et s u r t o u t l ' i g n o r a n c e de p r a t i q u e s agricoles telles q u e la c u l t u r e en t e r r a s s e d a n s l'Atlas t e l l i e n , a m è n e n t à p e n s e r q u e les m o n t a g n e s ont été non s e u l e m e n t des bastions q u i r é s i s t è r e n t à l ' a r a b i s a t i o n , mais q u ' e l l e s f u r e n t aussi de v é r i t a b l e s r e f u g e s d a n s l e s q u e l s se r a s s e m b l è r e n t les a g r i c u l t e u r s fuyant les p l a i n e s a b a n d o n n é e s aux d é p r é d a t i o n s d e s p a s t e u r s n o m a d e s . Si la c u l t u r e en t e r r a s s e est i n c o n n u e c h e z les a g r i c u l t e u r s des m o n t a g n e s telliennes (alors q u ' e l l e est si r é p a n d u e d a n s les a u t r e s p a y s et îles m é d i t e r r a n é e n s ) , elle e s t , e n r e v a n c h e , p a r f a i t e m e n t m a î t r i s é e , et c e r t a i n e m e n t de t o u t e a n t i q u i t é , c h e z les B e r b è r e s d e l'Atlas saharien et des chaînes voisines. e

Q u e l l e s q u e soient l e u r s o r i g i n e s , les B e r b è r e s q u i o c c u p e n t les m o n t a g n e s d u T e l l sont si n o m b r e u x s u r u n sol p a u v r e et r e s t r e i n t q u ' i l s sont c o n t r a i n t s de s ' e x p a t r i e r . C e p h é n o m è n e , si i m p o r t a n t e n K a b y l i e , n ' e s t pas r é c e n t . C o m m e les S a v o y a r d s d e s X V I I I et X I X siècles, les K a b y l e s se firent c o l p o r t e u r s o u se s p é c i a l i s è r e n t , e n ville, d a n s c e r t a i n s m é t i e r s . L ' e s s o r d é m o g r a p h i q u e c o n s é c u t i f à la colonisation p r o v o q u a l ' a r r i v é e massive de m o n t a g n a r d s b e r b é r o p h o n e s d a n s les p l a i n e s mises en c u l t u r e et d a n s les villes. C e m o u v e m e n t a u r a i t p u e n t r a î n e r u n e sorte de r e c o n q u ê t e l i n g u i s t i q u e et c u l t u r e l l e aux d é p e n s de l ' a r a b e , or il n'en fut rien. Bien au c o n t r a i r e , le B e r b è r e a r r i v a n t en p a y s a r a b e , q u ' i l soit K a b y l e , Rifain, C h l e u h o u C h a o u i ( a u r a s i e n ) , a b a n d o n n e sa l a n g u e et s o u v e n t ses c o u t u m e s , t o u t e n les r e t o u v a n t ais é m e n t l o r s q u ' i l r e t o u r n e au p a y s . e

e

C e t t e d i s p o n i b i l i t é d e s masses b e r b è r e s est d ' a u t a n t p l u s r e m a r q u a ble q u ' e l l e s c o n s t i t u e n t la q u a s i totalité d u p e u p l e m e n t , q u ' e l l e s soient a r a b i s é e s ou non. P a r l e u r v e n u e d a n s le p l a t p a y s et d a n s les villes, les m o n t a g n a r d s d e s z o n e s b e r b é r o p h o n e s , q u i d e m e u r e n t les g r a n d s r é servoirs démographiques du M a g h r e b , contribuent à développer ce p h é n o m è n e p a r a d o x a l q u ' e s t l'arabisation de l'Afrique d u N o r d . L e s

Cultures en terrasses dans l'Anti-Atlas, Maroc (Photo G. Camps). p a y s d u M a g h r e b n e c e s s e n t d e voir la p a r t d e sang a r a b e , déjà infime, se r é d u i r e à m e s u r e q u ' i l s s ' a r a b i s e n t c u l t u r e l l e m e n t et l i n g u i s t i q u e ment.

POURQUOI

UNE

ENCYCLOPÉDIE

BERBÈRE?

L a c o m p l e x i t é d e s p r o b l è m e s liés à l ' e x i s t e n c e des p o p u l a t i o n s b e r b è r e s est telle q u e les spécialistes des q u e s t i o n s africaines, q u ' i l s t r a i t e n t d u M a g h r e b , d u S a h a r a , des r é g i o n s s a h é l i e n n e s o u d u voisinage d u N i l , ont le plus grand besoin d e disposer d ' u n classement m é t h o d i q u e des connaissances sur l'ensemble des populations de ces régions. C e t t e e n c y c l o p é d i e , o u v r a g e i n t e r n a t i o n a l , t e n t e d e r é p o n d r e à ce besoin. S o n objet est v a s t e car elle c h e r c h e à saisir, n o n p a s s e u l e m e n t les é l é m e n t s c a r a c t é r i s t i q u e s d e s p o p u l a t i o n s b e r b é r o p h o n e s a c t u e l l e s , q u i ne sont q u e des g r o u p e s r e l i q u e s d ' u n m o n d e é c l a t é , mais d e m e t t r e en é v i d e n c e , s o u s les a p p o r t s successifs, le s u b s t r a t africain et m é d i t e r r a n é e n q u i fut c e l u i des L i b y e n s d e l ' A n t i q u i t é , d e s B e r b è r e s d u M o y e n Âge et d e c e u x q u i se d i s e n t e n c o r e I m a z i g h e n . L e l e c t e u r c o m p r e n d r a q u e l ' E n c y c l o p é d i e b e r b è r e n e p u i s s e en a u c u n e façon se

c o n f o n d r e ou faire d o u b l e e m p l o i avec l ' E n c y c l o p é d i e d e l'Islam q u i d e m e u r e l'instrument indispensable dans l'étude de tout pays musulman. A u s s i les n o t i c e s d e l ' E n c y c l o p é d i e b e r b è r e r e l a t i v e à l ' H i s t o i r e m u s u l m a n e s e r o n t - e l l e s r é d i g é e s assez b r i è v e m e n t . Il en sera d e m ê m e p o u r t o u t e q u e s t i o n r e l a t i v e à l ' I s l a m , sauf d e s m a n i f e s t a t i o n s o u p r a t i q u e s q u i , e n raison d e l e u r localisation africaine, p e u v e n t p a r a î t r e avoir u n e o r i g i n e a u t o c h t o n e . L a p a r t faite à l ' H i s t o i r e a n c i e n n e et à l ' A r c h é o l o g i e sera p l u s imp o r t a n t e . O n insistera d a v a n t a g e sur les t r i b u s , les m a n i f e s t a t i o n s a r t i s t i q u e s et r e l i g i e u s e s , l ' o r g a n i s a t i o n d e s r o y a u m e s a n t é et p o s t - r o m a i n s et l ' é t a t d e civilisation q u e s u r les p e r s o n n a g e s h i s t o r i q u e s q u i o n t fait l'objet d'importantes notices dans d'autres encyclopédies et dictionnaires. E n r e m o n t a n t d a n s le t e m p s , la P r o t o h i s t o i r e et la P r é h i s t o i r e , d a n s la m e s u r e o ù elles a p p o r t e n t l e u r c o n t r i b u t i o n inégalable à l'étude des origines b e r b è r e s , occuperont nécessairement une place importante d a n s les p a g e s d e l ' E n c y c l o p é d i e . L ' A n t h r o p o b i o l o g i e , d e m ê m e , a p p o r t e u n c o n c o u r s croissant à la c o n n a i s s a n c e des p o p u l a t i o n s b l a n c h e s d e l ' A f r i q u e ; l ' E n c y c l o p é d i e b e r b è r e ne p o u v a i t i g n o r e r c e t a p p o r t . M a i s c e u x q u ' a u j o u r d ' h u i e n c o r e on c o n t i n u e à a p p e l e r c o l l e c t i v e m e n t les B e r b è r e s se d i s t i n g u e n t en p r e m i e r lieu p a r l e u r l a n g u e , ou plus exactement par leurs parlers très proches parents entre eux, bien q u e r é p a r t i s sur u n e surface i m m e n s e . U n e p l a c e i m p o r t a n t e sera d o n c d o n n é e aux faits l i n g u i s t i q u e s , à la l i t t é r a t u r e o r a l e , a u x é c r i t u r e s l i b y q u e s et a u x tifinagh. L a t e c h n o l o g i e , les d i f f é r e n t e s f o r m e s d ' a r t i s a n a t , les t e c h n i q u e s a g r a i r e s , l ' o r g a n i s a t i o n d e l ' e s p a c e , l ' h a b i t a t et d ' u n e m a n i è r e g é n é r a l e t o u t e s les activités sociales sont a u t a n t d e q u e s t i o n s q u i r e l è v e n t d e l ' A n t h r o p o l o g i e . Elles c o n s t i t u e r o n t avec les m o n o g r a p h i e s c o n s a c r é e s aux principaux groupes berbérophones une part importante de l'Encyclopédie. L ' E n c y c l o p é d i e b e r b è r e , telle q u e n o u s la c o n c e v o n s , est d o n c a u t a n t a n t h r o p o l o g i q u e , au sens l a r g e , q u e p r o p r e m e n t h i s t o r i q u e o u l i n g u i s t i q u e . Il s'agit d e p r é s e n t e r et d ' é t u d i e r les traits q u i sous la qualificat i o n d i s c u t a b l e d e « b e r b è r e s », c a r a c t é r i s e n t les p o p u l a t i o n s d u N o r d d e l ' A f r i q u e et font l e u r originalité d a n s les e n s e m b l e s m é d i t e r r a n é e n , i s l a m i q u e e t africain d o n t elles font i n t é g r a l e m e n t p a r t i e . G a b r i e l CAMPS

NOTE SUR LA TRANSCRIPTION D a n s le t e x t e d e l ' E n c y c l o p é d i e b e r b è r e seuls s e r o n t t r a n s c r i t s , e n r e s p e c t a n t les u s a g e s les p l u s suivis p a r les l i n g u i s t e s spécialistes d u b e r b è r e , les n o m s , b e r b è r e s et a r a b e s , q u i n e s o n t p a s c o n n u s h a b i t u e l l e m e n t sous u n e f o r m e f r a n ç a i s e , s o u v e n t t r è s d i s c u t a b l e c e r t e s mais i m m é d i a t e m e n t r e ç u e p a r le p l u s g r a n d n o m b r e des l e c t e u r s ; ainsi, on p r é f é r e r a la forme T o u a r e g à T w a r e g . Il en sera d e m ê m e p o u r la p l u p a r t d e s t o p o n y m e s . O n écrira G h a t , G h a d a m è s , G h a r d a ï a (et n o n γat, γadamès, γardaïa), O r a n (et n o n W a r a n ) , I n Salah (et n o n Aïn Sala q u i est u n e arabisation r é c e n t e ) . O n p r é f é r e r a A c h a k a r à A š a k a r , t o u t e n d o n n a n t c e t t e t r a n s c r i p t i o n en t ê t e d e la n o t i c e , p a r c e q u e ce site est c o n n u s o u s c e t t e n o t a t i o n p a r les p r é h i s t o r i e n s ; e n r e v a n c h e , A š i r , q u i i n t é r e s s e en p r e m i e r lieu les o r i e n t a l i s t e s , s e r a t r a n s c r i t ainsi, et n o n s o u s la f o r m e « A c h i r » ( q u i f i g u r e r a n é a n m o i n s à sa p l a c e a l p h a b é t i q u e avec r e n v o i à A š i r ) . L a m ê m e r è g l e sera suivie p o u r les n o m s d e p e r s o n n e s d e la p é r i o d e m u s u l m a n e : on c h e r c h e r a A b ū T a š f i n e t n o n A b o u T a c h f i n . Q u a n t à c e u x d e la p é r i o d e a n t i q u e o n u t i l i s e r a b i e n e n t e n d u la f o r m e sous l a q u e l l e l ' H i s t o i r e les a r e t e n u s m a i s , d a n s la m e s u r e d u p o s s i b l e , o n fera c o n n a î t r e le n o m l i b y q u e v é r i t a b l e bien q u e p a s s é p a r le p u n i q u e ; ainsi, M i c i p s a (= M K W S N ) , V e r m i n a (= W e r m i n a d ) . C e t t e p r é s e n t a t i o n h é t é r o c l i t e p e u t s u r p r e n d r e les l i n g u i s t e s m a i s l ' E n c y c l o p é d i e b e r b è r e est d e s t i n é e à u n t r è s l a r g e p u b l i c q u i n ' e s t p a s toujours informé des règles d e notation p h o n é t i q u e d u b e r b è r e , cellesci é t a n t d ' a i l l e u r s assez n o m b r e u s e s . P o u r la n o t a t i o n d e s t e r m e s n o n r e ç u s e n français o n s'alignera sur le t a b l e a u s u i v a n t q u i r e s p e c t e les u s a g e s les p l u s suivis d a n s les é t u d e s b e r b è r e s .

SYSTEME DE TRANSCRIPTION RETENU 1. Voyelles : i

u (= « o u » français)

a - la voyelle « n e u t r e » sera n o t é e : ә - la l o n g u e u r v o c a l i q u e sera n o t é e p a r un t i r e t a u - d e s s u s d e la l e t t r e (ā, ū...) - la b r i è v e t é d e s voyelles sera n o t é e p a r la d e m i - l u n e s u r la voyelle (ā, ū...) - les timbres vocaliques centraux et d ' a p e r t u r e m o y e n n e seront notés c o n f o r m é m e n t a u x usages linguistiques dominants : e (= « é » ) , o... 2 . S e m i - v o y e l l e s : y (« j » d e l'A.P.I., « ill » français) 3. C o n s o n n e s :

- la s p i r a n t i s a t i o n s e r a , si b e s o i n e s t , n o t é e p a r le trait sous la lettre (t, d...) - la p h a r y n g a l i s a t i o n ( e m p h a s e ) sera n o t é e p a r le p o i n t souscrit - la palatalisation s e r a , si b e s o i n e s t , n o t é e p a r u n e a p o s t r o p h e en e x p o s a n t ( t ’ , g’...) - la t e n s i o n ( o u « g é m i n a t i o n ») c o n s o n a n t i q u e sera n o t é e p a r la reduplication du graphème

ENCYCLOPEDIE BERBÈRE I Abadir - Acridophagie

Bétyle de Carthage (Photo G. Camps).

Stèle du tophet de Sousse (Photo G. Camps).

Stèle de Carthage (Photo G. Camps).

A1.

ABADIR - ABBADIR

Divinité portant un nom phénicien qui signifierait « Père tout-puissant ». La fortune de ce nom en Afrique peut s'expliquer par le fait qu'en berbère l'expression pouvait être également comprise dans un sens très proche « Père vivant » (Aba-Idder ou Aba-(I)dir). Ce nom cache peut-être celui d'un autre grand dieu du panthéon sémitique, d'Orient ou d'Afrique, le même qui à Sigus (Numidie) et à Guelaat-Bou Sba (Africa proconsularis) est nommé Baliddir*. Mais Abadir désigne aussi un bétyle * et devient presque un nom commun que cite plusieurs fois le grammairien Priscien de Caesarée qui précise (VI, 45) que ce fut le nom de la pierre que Saturne avala à la place de Jupiter nouveau-né. Carthage a livré plusieurs bétyles anthropomorphes. Les idoles à tête de chouette de Tabelbalet* (Sahara central) en sont aussi de bons exemples. Les bétyles sont fréquemment représentés sur les stèles puniques ou d'influence punique sous forme de petits obélisques groupés par 3 ou par 5 (stèle d'Hadrumète en Byzacène et de l'Oued el Agial, au Fezzan). A Hadrumète un bétyle est représenté sur un trône. A l'époque romaine le culte d'Abadir est attesté par une dédicace de Zucchabar (Miliana) en Maurétanie Césarienne. C.I.L. V I I I , 21481 : ABBADIRI S A N C T O C V L T O / R E S I V N O R E S / SVIS S V M I T I S / ARAM C O N S T I T V / PRO...

A Abbadir Saint, les « Jeunes Desservants » ont élevé cet autel de leurs propres deniers pour (le salut de l'empereur...). Les Cultores Junores appartenaient à une association de Juvenes comme il en existait dans la plupart des colonies et municipes. Cette inscription montre bien q u ' à Zucchabar Abadir (ou Abbadir) était reconnu comme une divinité nettement différenciée. Dans une réponse à un certain Maximus de Madaure, Saint Augustin nous apprend que de son temps encore les « Abbadires » étaient placés au rang des divinités par les Africains (Epitr. XVII, 2). Ce pluriel convient assez bien aux bétyles représentés en nombre impair sur les stèles de Byzacène et de Libye. On sait q u e la litholâtrie qui n'est pas complètement disparue dans les campagnes nord-africaines a des origines très anciennes. Le culte des « Abbadires » mentionné par St-Augustin ne devait pas être très différent de la vénération que portaient les femmes touarègues aux idoles préhistoriques qu'elles fussent anthropomorphes comme à Tabelbalet, ou zoomorphes ou aniconiques comme à Tazrouk. G. CAMPS

A2.

ABADITES (voir Ibadites)

A3.

ABALESSA

Village de l'Ahaggar situé à environ 80 km à l'est de Tamanrasset, sur les rives de l'oued Itaγas, confluent des oueds Tit et Outoul qui devient Amded, lequel se jette dans l'oued Tamanrasset. C'est l'un des plus anciens et des plus importants centres de culture avec Idélès et Tazrouk, depuis la mise en culture des terres de l'Ahaggar à la fin du X I X siècle. Bien que l'histoire orale n'ait point gardé de relations précises sur le passé de cette région, il semble bien qu'Abalessa, comme Silet et Tit, ait subi des tentatives d'organisation sociale et agricole bien avant le X I X siècle. Le tombeau de Tin-Hinān,* ancêtre féminin que se donnent les suze­ rains de l'Ahaggar, à 2 km au sud-est de l'agglomération actuelle, a rendu célèbre le nom d'Abalessa qui veut dire « lieu cultivable » en berbère. Abalessa a certainement joué un rôle appréciable de relais caravanier durant le Moyen Age africain. Situé en terrain facile d'accès, à distance de l'Atakor, de climat sec et chaud, pourvu d'eaux permanentes et de végétaux assurant de l'ombre et du bois pour les hommes, des pâturages pour les animaux, Abalessa fut une étape importante sur les itinéraires Ouargla-In-SalahAgadez, In-Salah-Silet-Adrar des Iforas-Gao-Tombouctou, Ghât-erg Admer, Adrar Anahef-Silet-Adrar des Iforas (Lhote 1955 : 356). Ces transactions ne manquaient pas d'enrichir le pays et ceux qui le contrôlaient. Les troupeaux de moutons qui remontent à pied parfois encore du Mali, font étape dans la région d'Abalessa après la dure traversée Tin-Zawaten-Silet, particulièrement aride. C'est probablement la position stratégique d'Abalessa qui a valu un découpage territorial ancien dans sa région entre les Taytoq et les Kel γela et aussi leur concurrence au niveau de la mise en culture des terrasses arrosées par des drains. La proximité permanente des suzerains a entraîné, comme à Tazrouk, une forte concentration d'esclaves orientés vers l'agriculture par les Kel γela et les Taytoq. Auprès de ceux-ci travaillaient aussi des Iklan en Tawsit (clan vassal des Kel γela) et des khammès des Dag γali. e

e

Abalessa en 1968 (Photo G. Camps).

Abalessa. Puits à traction animale. Le crâne d'âne accroché à l'un des montants a une fonction prophylactique (Photo G. Camps).

En 1938 Abalessa comptait 500 personnes dont 12 familles d'artisans locaux, 80 ha de terres cultivées arrosées par 11 drains. Les 117 palmiers en rapport sur 271, donnaient environ 6 000 kg de dattes de variété tegaza (Florimond, 1938). C'est près d'Abalessa qu'ont séjourné longtemps les amenūkal Akhamuk ag Ihemma, Bey ag Akhamuk son fils (à Tiffert Tiwulawalen jusqu'à son décès en 1975) et le chef des Taytoq jusqu'en 1912. C'est aussi près d'Abalessa que se situait d'une façon permanente un maître coranique (qui éduquait les enfants du campement de l'amenūkal) et à quelques kilomètres de là une confrérie religieuse (Tidjanya) à Ennedid (Daymuli) créée à la fin du X I X siècle par un šerif d'In-Salah : Mulay Abdallah. Depuis l'indépendance de l'Algérie, Abalessa a bénéficié, comme tout l'Ahaggar, du plan de développement et d'assistance spécifique aux territoires sahariens : écoles, hôpital, bureau de postes, gendarmerie, transports publics, coopératives agricoles avec moto-pompes, moulin coopératif, magasin de vente de produits alimentaires à des prix conventionnés, constructions de maisons d'accueil pour les nomades, etc. T o u t e cette infrastructure, en relation aussi avec l'animation créée par les chantiers de recherches minières de la région, fait de ce village et de ses satellites (Iglène, Tiffert, Ennedid), un ensemble régional attractif, animé et contrôlé par Tamanrasset, siège de la Wilaya. e

BIBLIOGRAPHIE F L O R I M O N D Cap. Rapport annuel 1938. Archives d'Outre-Mer, Aix-en-Provence. L H O T E H. Les Touaregs du Hoggar. Payot, Paris, 1955. N I C O L A Ï S E N J. Ecology and Culture of the pastoral Tuareg. The National Museum

of

Copenhagen, 1963. M. GAST

A4.

A B A N N A E ( o u A B A N N I ?)

Tribu mentionnée par Ammien Marcellin ( X X I X , 5, 37). Vers 375 de notre ère, elle prit part contre Rome à l'insurrection de Firmus, avec une tribu voisine, les Caprarienses, situés dans les montagnes qui portaient leur nom (Ammien, X X I X , 5, 34). Après les avoir vaincus, Théodose l'Ancien semble s'être dirigé vers Auzia (Aumale). Ch. Courtois (Les Vandales et l'Afrique, Paris, 1955, p. 120) a proposé d'identifier les monts Caprarienses avec ceux du Hodna. Mais d'après Ammien, Abannae et Caprarienses étaient proches des Ethiopiens. Aussi St. Gsell (Observations géographiques sur la révolte de Firmus, dans R.S.A.C., X X X V I , 1903, pp. 39-40) a-t-il supposé que les Abannae vivaient aux abords de l'Atlas saharien, beaucoup plus au sud que les monts du Hodna. Un passage de Claudien (Panégyrique du IV consulat d'Honorius, v. 34-35), quelle qu'en soit l'emphase poétique, semble confirmer cette localisation plus méridionale, puisqu'il nous apprend que le comte T h é o dose parcourut les déserts de l'Ethiopie et parvint pour la première fois à ceinturer l'Atlas d'unités militaires. Il faut peut-être rapprocher le nom de la tribu, cité par Ammien au dat. abl. pl. (Abannis), du cognomen d'homme Abana (CIL, 28045) attesté à Aquae Caesaris (Youks, à l'ouest de Tébessa). Il est douteux, par ailleurs, que « l'Abenna* gens » de Julius Honorius (Cosm., A 48) soit la même population. Ch. Tissot (Géographie comparée de la province romaine d'Afrique, Paris, 1884, I, p. 465) voit dans les modernes Aït-Abenn de la région de M ' sila les descendants des Abannae. e

BIBLIOGRAPHIE Art. Abanni, dans. P.W., R.E., I. 1 (J. Schmidt, 1893), col. 13. J.

A5.

DESANGES

ABANKŌR

Dans tout le Sahara central, en zone montagneuse, la nappe phréatique des oueds est souvent très proche du sol. En creusant rapidement le sol sableux de quelques centimètres à moins d'un mètre de profondeur, on obtient un trou d'eau pour abreuver les hommes et les animaux, que les Imoûhar appellent abankōr (plu. ibenkār) et les arabophones tilmas. Dès que cette eau est pol­ luée par les poussières, les urines et déjections d'animaux, on creuse à côté un autre abankōr qui fournit une eau claire et pure. Les ânes ensauvagés, les antilopes savent creuser avec leurs pattes avant la surface du sol pour atteindre l'eau et s'abreuver en l'absence de vasques d'eau naturelles. Ces trous sont aussi des abankōr. BIBLIOGRAPHIE P. de. Dictionnaire Touareg-Français. Paris, 1952, Imprimerie Nationale de France, t. II, p. 1283, s. v. ânou (puits) et tout le vocabulaire se rattachant aux différents trous à eau. FOUCAULD

M.

GAST

A6.

A B A R I T A N A ou AVARITANA P R O V I N C I A

Victor de Vita, I, 13 (dans Mon. Germ. Hist., auct. ant., III/1, éd. C. Halm, Berlin, 1879, p. 4) nous apprend qu'en 442, Geiséric attribua à son armée la Zeugitane ou Proconsulaire, se réservant la Byzacène, l'Abaritana et la Gétulie, ainsi qu'une partie de la Numidie (sibi Byzacenam, Abaritanam atque Getuliam et partem Numidiae reservavit). Cette phrase nous interdit de considérer l'Abaritana comme une partie de la Proconsulaire, de la Byzacène ou de la Numidie (en un sens que la mention de la Gétulie restreint à la N u midie de Cirta peut-être augmentée du nord de la Numidie d'Hippone). L ' A baritana n'est pas non plus la Gétulie, mais l'emploi de la conjonction atque à l'intérieur de l'énumération pourrait la lier plus étroitement à celle-ci. Si l'on en croit la Table de Peutinger, segm. IV, 2-5, la Gétulie commençait au sud (c'est-à-dire en réalité au sud-ouest) d'une ligne Gadiaufala (Ksar Sbahi) Theveste (Tebessa). Plus à l'ouest, sa limite septentrionale ne devait pas être très au sud de Cirta, d'après des indications de Salluste, Jug., CIII, 4, et du Bell. Afr., X X V , 2 (cf. J. Gascou, Le cognomen Gaetulus, Gaetulicus en Afrique romaine, dans M.E.F.R., L X X X I I , 1970, p. 732-734). L'Abaritana pourrait être une partie reculée de la Gétulie, si l'on prend en considération un autre témoignage qu'on peut dater de la décennie 445/455, soit une trentaine d'années avant la rédaction de l'Historia persecutionis de Victor de Vita, celui du Liber Promissionum, III, 45 (dans Opera Quoduultdeo Carthaginiensi episcopo tributa, éd. R. Braun. Corpus Christ., series Latina, L X , Turnholt, 1976, p. 186). L'auteur de ce livre, sans doute Quoduultdeus de Carthage, en vient à dire : « J'ai vu moi-même aussi dans un coin de la province avaritaine (in quadam parte Avaritanae provinciae), tirer de grottes et de cavernes d'antiques idoles qui y avaient été cachées, de sorte que toute cette ville (omnis illa... civitas) avec son clergé était sous le coup d'un parjure sacrilège». Il apparaît donc que le christianisme a été tardivement introduit dans cette province et qu'en tout cas, le paganisme était encore dominant au début du V siècle (cf. R. Braun, Un témoignage littéraire méconnu sur l'Abaritana provincia, dans Rev. Afr., CIII, 1959, p. 116); d'autre part, la mention d'une civitas, comme l'a déjà remarqué R. Braun, suggère fortement que la dite province a tiré son nom de celui d'une ville. e

D'autres mentions vraies ou supposées de l'adjectif ethnique sont à prendre en considération. Y a-t-il beaucoup à tirer de l'indication de Pline l'Ancien, H.N., XVI, 172, selon laquelle « le roseau le plus renommé pour fabriquer des ustensiles de pêche est le roseau abaritain en Afrique »? Contrairement à Chr. Courtois (Victor de Vita et son œuvre, Alger, 1954, p. 36, n. 101), nous ne croyons pas que la mention de roseaux nous impose de localiser l'Abaritana provincia à p r o x i m i t é d e la m e r , au delà de la B y z a c è n e . C e s roseaux pouvaient en effet provenir d'une région de l'intérieur. Quant à l'existence, souvent affirmée, d'un évêché Abaritanus en Proconsulaire (cf. J. Mesnage, L'Afrique chrétienne, Paris, 1912, p. 174), il est permis d'en douter. En effet, on est bien tenté de penser que Félix Abaritanus, mentionné en second parmi les évêques de Proconsulaire et signalé en exil par la Notitia provinciarum et civitatum Africae (dans M.G.H. a. a., III/1, p. 63), ne fait qu'un avec Félix Abbiritanus exilé par Hunéric à la même époque, à en croire Victor de Vita, II, 26 (ibid., p. 19). Il serait tout à fait curieux que Félix Abaritanus et Félix Abbiritanus ayant été tous les deux exilés par Hunéric à la même époque, un seul d'entre eux fût mentionné dans la Notitia, et seul l'autre par Victor de Vita. On s'accorde donc à croire qu'il n'y a eu qu'un seul évêque en cause, Félix Abbiritanus (Chr. Courtois, ibid., p. 46, n. 159; A. Mandouze, Prosopographie de l'Afrique chrétienne, Paris, 1982, art. Felix 6 1 ,

p. 432-433). Il faut à notre avis, rayer le siège épiscopal d'une hypothétique Abaris de Proconsulaire qu'aucun autre témoignage n'atteste. En tout état de cause, nous savons que l'Abaritana est opposée à la Proconsulaire par Victor de Vita. L. Schmidt (Geschichte der Wandalen, Leipzig, 1942 , p. 71) a voulu localiser l'Abaritana en Maurétanie «Gaditaine», parce que, selon le Géographe de Ravenne (I, 3; III, 11 deux fois), cette région (qui est celle de Ceuta) était appelée par les indigènes Abrida. Mais Chr. Courtois, op. l, p. 36, n. 101, a fait remarquer que le mot abrida est un nom commun qui signifie dans certains dialectes berbères «passage». Or, à supposer qu'il y ait un rapport effectif entre Abaritana et abrida, plus d'une contrée pourrait être qualifiée de «passage». Quelle que soit l'aptitude particulière de la bordure africaine du détroit de Gibraltar à recevoir un tel surnom, l'hypothèse de L. Schmidt est inacceptable, car Geiséric ne s'est assurément pas réservé la lointaine région du détroit de Gibraltar, alors qu'il ne possédait ni la Sitifienne, ni la Césarienne. A juste titre donc, Chr. Courtois a considéré le problème comme toujours ouvert. Il a proposé (ibid.) de localiser l'Abaritana provincia au sud de Mareth, dans la partie côtière de la Tripolitaine (au sens antique) occidentale. Mais le Liber promissionum mentionne le pays comme encore très païen au début du V siècle; or Girba (dans l'île de Djerba, voisine de Mareth) possédait un évêque depuis au moins 256 de notre ère (cf. J. Mesnage, L'Afrique chré­ tienne, p. 56; J.-L. Maier, L'épiscopat de l'Afrique romaine, vandale et byzan­ tine, Rome-Neuchâtel, 1973, p. 147 et 365-366). D'autre part et surtout, pour Victor de Vita (III, 42-45, op. cit., p. 51) la Tamallumensis civitas, en quoi il faut reconnaître Turris Tamalleni (Telmine) à l'est du Djerid, était dans le voisinage de la Tripolitaine. Il est dès lors difficile d'admettre que l'Abaritana ait été mentionnée par Victor de Vita dans le partage du royaume de Geiséric, sans que le fût la Tripolitaine, à laquelle elle se fût en quelque sorte substituée. 2

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Une stèle inscrite de Timgad, très sommairement publiée en 1911 par A. Ballu (B.A.C., 1911, p. 131) et sur laquelle J. Gascou et M. Janon ont aimablement attiré notre attention, mentionne un couple résidant in vicu (= in vico) Abaris (toponyme non décliné). L'inscription peut être datée, par la paléographie et surtout par la coiffure de la femme représentée sur la stèle, de la fin du second siècle de notre ère (cf. J. Desanges, Le uicus Abaris et l'Abari­ tana prouincia, dans B.A.C., 1981 B, à paraître). On constate donc qu'il y avait à cette époque un vicus Abaris dans la région de Timgad, comme il y avait un vicus Aureli sur la voie de Thamugadi (Timgad) à Theveste (Tebessa) d'après la Table de Peutinger (segm. III, 5). Cette inscription conforte quelque peu l'hypothèse formulée jadis (cf. Byzantion, X X X I I I , 1963, p. 54-55) que l'Abaritana est la partie de la Gétulie qui correspond au massif de l'Aurès. On sait que ce massif fut occupé par les Vandales peu après leur arrivée en Afrique selon Procope (De Aed., VI, 7, 6). Par la suite, ils en furent chassés par les Maures. On peut supposer que le vicus Abaris devenu civitas donna à cette époque son nom à toute la région que les Vandales nommèrent Abaritana provincia, de façon quelque peu abusive, mais qui étonnera moins si l'on considère qu'en 419, l'Eglise d'Afrique évoquait une Arzugitana provincia confondue avec la Byzacène (cf. infra, art. Arzuges). On remarquera qu'Ibn Khurradâdhbih (Description du Maghreb et de l'Europe au III = IX siècle, éd. M. Hadj Sadok, Alger, 1949, p. 11) nomme Awāris le massif de l'Aurès qu'un texte pa­ rallèle d'Ibn al-Faqīh a l - H a m a d h ā n ī (ibid., p. 33) nomme Awrās, forme cou­ rante de l'oronyme chez les géographes arabes. S'il ne s'agit pas là d'une op­ position à valeur morphologique propre à la langue arabe (Awāris, corrigé en Awārīs, pourrait être un « pluriel de pluriel » par rapport à Awrās), on serait e

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tenté de rapprocher Awāris d'Avaritana (Liber promissionum) et Awrās du surnom ou sobriquet Aurasius (C.I.L., VIII, 2476, à 16 km au sud-est de Lambèse), Aurassius (C.I.L., 2848, Lambèse) ou Aurasus (C.I.L., 2626, a, 16, Lambèse, sous l'empereur Valérien) et de l'oronyme, attesté seulement au V siècle, Aύράσιov (Procope, passim) et, sous forme d'adjectif, Aurasitana (Corippus, Joh., II, 149). e

J. D E S A N G E S

A b a r i t a n a / A b a r i s A w a r i s / A w r a s ? L'hypothèse évoquée par J. D E S A N G E S d'un lien entre Abaritana/Abaris et Awaris/Awras (Aurès) n'est pas incompatible avec les correspondances phonétiques que l'on peut entrevoir entre libyque et berbère moderne. Certains indices permettent en effet d'envisager une correspondance par­ tielle libyque / b / (ou /b/, noté «b» en latin?)