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BAC GÉNÉRAL 2022 Épreuve de Français Commentaire Éléments d’introduction : Le roman est souvent défini, à juste titre, d’abord par son caractère narratif, centré autour d’un ou de plusieurs personnages, et l’on a parfois tendance à occulter ses origines versifiées. Or la recherche de poétisation de l’écriture romanesque est une voie qui, tout en ayant toujours perduré, est particulièrement explorée par les romanciers depuis la deuxième moitié du XX e siècle. Ayant commencé par l’écriture de contes et nouvelles, Sylvie Germain a emprunté cette voie dans ses romans aux accents merveilleux. Les « Chants » de ses Jours de colère publiés en 1989 se situent dans les forêts du Morvan, dans un passé indéterminé où ont grandi les neuf fils d’Ephraïm Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse. Le chapitre « Les Frères » brosse leur portrait. Nous nous demanderons donc dans quelle mesure ce portrait collectif des frères révèle l’univers poétique du roman. (Les grandes parties du plan doivent ici être annoncées de manière rédigée. Nous les proposons cidessous sous forme de plan détaillé). I. Le portrait collectif d’hommes – forêts Cette page, dans un premier temps, donne à lire le portrait collectif des neuf frères. 1) Un portrait romanesque qui construit l’attente du lecteur ● La première phrase de l’extrait est une phrase à construction attributive qui permet de typologiser les personnages qui vont être au centre de l’extrait. Le pronom qui ouvre le paragraphe crée un effet d’attente. Le lecteur n’a pas de référence pour ce pronom. ● Ce n’est que dans le dernier paragraphe de l’extrait que l’on a une désignation plus précise « Ils étaient les fils d’Ephraïm Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse » l.21/22 qui reprend la même construction attributive que la première phrase de l’extrait. ● Le portrait se construit par touches successives, caractéristiques à la fois physiques, morales et sociales : « puissance » l.2, « « solitude » l.2, « accents de colère » l.10, « trop pauvre » l.22.
2) Un portrait collectif ● Le portrait n’est pas celui d’un personnage mais de neuf personnages qui semblent n’en former qu’un seul. ● Usage des pluriels : pronoms « ils » l.1, l.10, « eux » l.10, « les » l.21, « hommes » l.1, « les fils » l.21. ● Des personnages indistincts : pas de déterminants « Ils étaient hommes » l.1, et sans caractéristiques individuelles : définis comme « fils de… » l.21, le verbe « connaître »
(x2) qui pourrait caractériser l’un des personnages a pour sujet un « ils » qui prend presque une valeur indéfinie. 3) Un portrait d’hommes des bois ● La principale caractéristique des personnages est leur lien, leur appartenance à la forêt, mise en évidence dès le début de l’extrait avec l’anadiplose « … des forêts. Et les forêts… ». ● Ce lien est si fort qu’ils deviennent presque étrangers à l’humanité. La première phrase les définit comme « hommes » alors qu’à la ligne 11, ils ont été élevés « davantage parmi les arbres que parmi les hommes » : parallélisme de construction qui semble signifier qu’ils n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre. II. Une allégorisation de la forêt À travers le portrait de ces hommes, c’est la forêt qui se dessine, une forêt allégorisée. 1) Un refuge ● La forêt les recueille quand leur maison construite par l’homme ne peut plus les « abriter ». ● L’évocation des habitudes des animaux parmi lesquels ils ont grandi (« bêtes qui gîtent dans les forêts », « se glissent les renards, les chats sauvages », « les venelles que frayent les sangliers ») est une analogie avec le mode de vie des frères protégés par la nature. 2) Une mère nourricière ● La forêt est représentée comme une mère nourricière qui remplace la mère des neufs frères : « Ils s’étaient nourris depuis l’enfance des fruits… ; » l.11, phrase qui doit être lue en parallèle de « pour pouvoir les nourrir » l.21. Lla « maison », dans le dernier paragraphe, est présentée comme celle qui devrait non seulement « abriter » mais aussi « nourrir ». Ses fonctions nourricières ont été occultées par la forêt. ● Le nom des parents n'apparaît qu’en dernière ligne, pour désigner les fils. 3) Une divinité créatrice ● La forêt est présentée comme une divinité créatrice. ● Référence biblique : « Et les forêts les avaient faits à leur image ». ● Caractère immuable voire éternel souligné par l’hyperbole « des millions de siècles », ou l’expression « passages séculaires ». ● Évocation des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle comme venus rendre hommage à cette divinité. III. Une écriture romanesque du tout Au-delà du lien entre les frères et la forêt, l’écriture de cette page apparaît comme ce qui permet de créer un univers poétique et mystique. 1) Union subtile de l’homme et de la forêt
● Multiplication des expressions alliant hommes et forêts : « leur sol commun » ; « hommes et arbres » ; « un même chant », ● La « colère » qualifiant le chant de la forêt à la fin du premier paragraphe et reprise au début du second paragraphe pour qualifier les « accents » des hommes. ● Rythme ternaire de l’énumération « les bêtes, les hommes et les étoiles » qui lie les trois entités : forêt, homme, cosmos. 2) Un univers à la mesure de l’homme et du cosmos ● Le passage crée un véritable univers. Tous les éléments de la nature sont représentés : végétal, animal, minéral. ● Évocation régulière du cosmos : « voie lactée », « étoiles »… qui est à l’image de la forêt (ou l’inverse) : insistance avec les trois expressions « en parallèle », « en miroir », « comme en écho ». ● Lien entre hommes, forêt et cosmos par l’évocation du dessin : « à leur image », « dessinent au ciel les étoiles ». 3) Un chant poétique ● Plus qu’un portrait, cette page est un chant, une célébration de l’univers formé par la forêt, l’homme et les cosmos. ● Jeux sur les répétitions anaphorique de « chant », de manière entêtante, comme un mantra. ● Vocabulaire de la musique, du rythme. ● Célébration de la rudesse de ce monde mais aussi de sa force de vie.
Éléments de conclusion : ● Page qui pourrait être la présentation des personnages (cf. titre du chapitre « frères ») mais qui déjoue les attentes du lecteur en fournissant un portrait allégorique qui laisse peu de prise au lecteur. ● Ce qui est présenté, c’est plus un univers, à la fois poétique, cosmique et presque merveilleux, une forêt peuplée d’êtres que l’on ne peut saisir, un monde célébré par un chant poétique purement romanesque.
Dissertation Sujet A Victor Hugo, Les Contemplations, Livres I à IV Les livres I à IV des Contemplations ne sont-ils qu’un chant intime ?
Les Contemplations , « grand espace de temps dans une vie de mortel », comme le rappelle la
citation latine placée en introduction par Victor Hugo, ont été écrites en vingt-cinq ans et sont parues en 1856. Le « je » y est omniprésent, assumé avec force, et proche de l’auteur : il s’agit de restituer deux pans de l’évolution d’une « âme », avant et après l’épreuve du deuil. L’ouvrage se trouve donc à la croisée des genres poétique et autobiographique. Mais peut-on ramener cette expérience narrative et poétique à la seule expression rythmée et sonore de la personnalité ? En effet, le poète revendique avec force, et dès l’introduction, l’universalité. Il tend à dilater son expérience individuelle. Il s’agit d’en faire le dit de tout humain, confronté à la vie. Dès lors, l’intimité paraît entourée, peut-être dépassée par d’autres enjeux : le « je », le chant intime, dans Les Contemplations , ne serait-il, au fond, qu’un prétexte ? I.
Un chant intime : les mémoires poétiques de Victor Hugo 1.
Aria
Les C. mettent en évidence l’évolution d’un homme au fil de ses expériences. Les premières amours, par exemple, sont mentionnées avec parfois un soupçon d’auto-dérision (Vieille chanson du jeune temps, Aurore ». Par contraste, « A Villequier » met en évidence la maturité d’un homme qui a traversé de terribles épreuves, et une violente révolte métaphysique. Les C. ont donc quelque chose du « grand air » d’une vedette de l’opéra, qui se met à l’avant-scène pour faire valoir avec brio son expérience, sa virtuosité. 2. Aubade Passage obligé de la poésie lyrique romantique, l’exploration du monde intérieur prend ici toute sa force. « Il faut que le poète, épris d’ombre et d’azur », exprime ce qu’il ressent : le champ lexical de la sensibilité est très vaste dans les C. « Frissons, caresses, ivresses, rêves » ont la part belle dans les premiers poèmes, alors que les « luttes, haines, colères, effrois » prennent leur part dans la suite. Cette revue des émotions éprouvées, adressée au lecteur, prend la forme d’une confidence. 3. Chanson populaire Les C. sont l’œuvre d’une vie, mais d’une vie de poète rompu à toutes les finesses de la versification. Les textes sont toujours d’une grande musicalité, sur le modèle de la « flûte invisible » (musicalité revendiquée dans la « Vieille chanson du jeune temps »). Les rythmes et les sons sont utilisés avec la
liberté des romantiques, comme le rappelle la « Réponse à un acte d’accusation ». Recréant le monde ou le reflétant par la parole, le chant intime est aussi l’écho attentif du chant du monde. Tr : Le solo se révèle donc aussi polyphonie, dans une poésie qui se voue à dire l’expérience humaine et la beauté parfois fragile du monde.
II.
Un hymne global et universel 1. Litanie spirituelle
Le chant intime, léger ou profond, se dilate à la mesure de l’universel quand il s’agit de méditer sur la vie et son sens - ou son absurdité. Cet agrandissement de l’individuel se ressent, par exemple, dans la révolte contre Dieu dans « A Villequier » : « Seigneur, je reconnais que l’homme est en délire /S’il ose murmurer,/Je cesse d’accuser, je cesse de maudire,/Mais laissez-moi pleurer » permet de retrouver les grandes phases du deuil humain. Le « je » poétique devient donc ici philosophique et universel. 2. Symphonie Cette universalité ne s’applique pas seulement aux aspects les plus accablants de la vie, et que l’expression de la joie, du rire, de l’interrogation, de l’engagement politique, de la consolation, est aussi présente dans les C. L’évocation des bigarreaux, des araignées et des orties, d’un maître d’études, ou encore du ciel, de l’hiver, de la foire, de Charles Vacquerie, bien qu’elles soient mises en ordre de manière très étudiée, forment une mosaïque ou une symphonie : la poésie permet de célébrer la diversité et la richesse de l’expérience de la vie humaine, en faisant entendre harmonieusement ses voix si diverses. 3. Choral(e) Dans le même temps, le poète met en relief d’autres personnalités : nombreux sont ici les portraits d’enfants chantant ou travaillant, de femmes aimées ou désespérées, les instantanés de scènes de ménage (Intérieur, Les luttes et les rêves) ou, dans la même section, les portraits pris sur le vif de limonier ou d’avocat. Par le poème, chacun trouve son expression : le poète rend compte de pensées intimes prêtées à d’autres personnages. L’œuvre devient ainsi chorale, sans quitter le champ de la réflexion personnelle : elle ne proclame pas de slogans, mais, faisant œuvre d’empathie, donne la parole à ceux qui pourraient rester sans voix. Tr : Les C., en exprimant l’intime, s’attachent aussi à rendre compte de la mosaïque de sensations, d’idées, d’expériences parfois fugitives dont est formée l’intimité personnelle du poète, ou de celle des humains qu’il a écoutés et rencontrés.
III.
Une musique invitant à savourer la vie, cultiver l’espoir 1.
Le récitatif de la préface
Les C. bouleversent la définition habituelle du lyrisme, expression d’une sensibilité particulière, pour assigner une nouvelle ambition à la poésie. Cet agrandissement est assumé par Victor Hugo, qui depuis les Voix intérieures, avait clairement formulé son ambition : « Il vient un moment dans la vie où, l’horizon s’agrandissant sans cesse, un homme se sent trop petit pour continuer de parler en son nom. (…) C’est encore l’homme, mais ce n’est plus le moi ». À cet effacement, ou à cette fusion du soi dans l’universel, répond la proclamation des C. : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! ». La prose annonce la nouvelle vocation universelle de la poésie, qui, en captant les instants où se forme la sensibilité individuelle, accède à la nature humaine. 2. Cantate Le livre poétique répond alors à la vocation de relier, autre étymologie du religieux : les nombreux noms qui apparaissent, par exemple, dans la table des matières, tissent une sorte de réseau inter temporel et dont la géographie, vaste, permet au lecteur de s’y glisser : d’Omphale à Meurice Froment, de Dante à Thérèse, Louise B., Claire P, André Chénier ou Alexandre D.,. les personnages mythologiques croisent les êtres réels ou historiques, illustres ou inconnus. Granville et Villequier percutent l’Enfer de Dante : tous et tout prend une dignité poétique, dans le prisme de la sensibilité du poète, qui transfigure le monde pour l’unifier, rendre sensible sa beauté, et la faire percevoir au lecteur. 3. Discours Il en ressort que, loin de n’être qu’un chant intime, les C. ressortissent à une musique universelle en même temps qu’individuelle. Pour réaliser ce paradoxe, il faut une forme d’alchimie, qui repose sur la force spéciale attribuée aux mots par Hugo : Le mot veut, ne veut pas, accourt, fée ou bacchante, S’offre, se donne ou fuit […] Il frappe, il blesse, il marque, il ressuscite, il tue (I, 8) et plus loin : « Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant (…) Car le mot, c’est le Verbe, et le Verbe, c’est Dieu ». Version moderne d’une certaine musique des sphères, la poésie des Contemplations, en emboîtant l’individuel dans l’universel, et en enchâssant l’universel dans l’intime, renouvelle notre vision du monde et notre manière de lire la poésie.
Chant intime d’une âme toujours en formation, et à qui rien d’humain n’est étranger, les C. se font encore chant choral exprimant la diversité des expériences humaines. Leur ambition est aussi de donner voix à toutes les consciences humaines attentives à leur expérience de la vie. Le poète, « rêveur » plus attentif au monde que les travailleurs, leur donne ainsi la possibilité de saisir, en lisant, la richesse de leur propre vie. Messager du monde, il est encore le messager des hommes. Dans cette double mission, Victor Hugo exalte et renouvelle la puissance des mots.
Sujet B Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal Dans L’Art romantique (Théophile Gautier, 1869), Baudelaire écrit : « C’est un des privilèges prodigieux de l’Art que l’horrible, artistiquement exprimé, devienne beauté ». Ce propos rend-il compte de votre lecture des Fleurs du mal ? Depuis l’Antiquité, les alchimistes travaillent en secret pour trouver la formule qui leur permettra de transformer le plomb en or. Ces apprentis sorciers cherchent à transfigurer une matière vile en le plus noble des matériaux. À leur image, le poète se fait alchimiste comme le déclare Charles Baudelaire dans l’épilogue de la seconde édition des Fleurs du Mal : « O vous ! Soyez témoins que j’ai
fait mon devoir/Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte/Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,/Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ». À propos de Théophile Gautier, « poète impeccable », « parfait magicien » à qui il dédicace ce recueil, Baudelaire écrit dans L’Art romantique en 1869 : « C’est un des privilèges prodigieux de l’Art que l’horrible, artistiquement exprimé, devienne beauté ». Quel est ce pouvoir extraordinaire évoqué ici ? Comment Baudelaire et bien d’autres poètes utilisent-ils leur art pour transmuer « l’horrible » en « beauté » ? En nous fondant sur notre lecture attentive des Fleurs du Mal et des textes qui ont accompagné son étude, nous nous demanderons dans un premier temps comment l’art poétique exprime l’horrible de manière artistique, puis qu’il parvient à le transformer en beauté car le poète, comme nous le verrons dans un dernier temps, est un alchimiste au pouvoir prodigieux.
I.
Exprimer l’horrible avec Art 1.
Le poète décrit le monde qui l’entoure, notamment la vie quotidienne dans tout ce qu’elle a de plus vil.
La saleté et la laideur : chez Baudelaire, toujours des paysages tristes et pluvieux. Ex : « Brumes et pluie » : « printemps trempé de boue », les quatre poèmes « Spleen » décrivent une réalité sordide. Les êtres disgracieux rejetés de tous : Baudelaire écrit sur les exclus, rejetés du monde, les déchets de la ville qui lui sont semblables comme prostituées ou vieillards misérables. Ex : Baudelaire « les Sept Vieillards » ou « Les Petites vieilles » // Victor Hugo, « Le Mendiant », in Les Contemplations, 1856 en racontant l’histoire « d’un pauvre homme » gelé par le vent et la neige. L’abject et l’obscène : cf critique de Gustave Bourdin qui a signalé l’ouvrage à la censure : « ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit ». Le poète s’inspire du vice des hommes sans se poser d’interdits moraux. Ex : « Le Crépuscule du soir » décrit les marginaux et les vices qui sortent de l’ombre le soir : « La Prostitution s’allume dans les rues/Comme une fourmilière elle ouvre ses issues » vers 15 et 16) 2. Les critiques et la censure ont d’ailleurs reproché à Baudelaire de peindre « l’horrible » sans filtre. En 1857, le procureur, Ernest Pinard, conduit deux grands procès littéraires pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. Celui de Flaubert pour Madame Bovary et celui de Charles
Baudelaire pour Les Fleurs du Mal. Lors de cet illustre procès, Ernest Pinard reproche à Baudelaire de « conduire à l’excitation des sens par un réalisme grossier et offensant pour la pudeur ». L’ouvrage est condamné car il « contient des passages ou expressions obscènes ou immorales », on accuse le poète de faire l’apologie du vice. Baudelaire et son éditeur sont condamnés à une amende, privés de leur droits civiques et six poèmes sont censurés, jugés érotiques ou blasphématoires. Baudelaire, très affecté par cette sentence, se sent harcelé et incompris. Le procureur lui reproche particulièrement de « tout peindre, de tout mettre à nu » dans son recueil. 3. Chez Baudelaire, la boue du monde et « l’horrible » au sens propre et au sens figuré s’incarnent dans le mal-être nommé « Spleen ». Angoisse, tristesse, ennui, mal de vivre. Ex : « Chant d’automne » : « Tout l’hiver va rentrer dans mon être /colère, haine, frissons, horreur » (…) » « Spleen LXXVII » vers 19 : « et l’Angoisse atroce, despotique » De ce spleen qui le ronge, Baudelaire s’inspire pour créer. Les thèmes du Spleen disent l’horreur de l’existence : obsession pour la mort, décomposition, la laideur, le temps qui dégrade tout. Ex : « Une charogne » // Pierre de Ronsard dans « Je n’ai plus que les os » décrit le corps qui se dégrade à l’agonie, memento mori : il rappelle à ses amis et aux hommes en général leur condition de mortels.
II.
Mais l’art poétique a le privilège prodigieux de faire que l’horrible devienne beauté. 1.
La magie des mots et de leur musique a ce pouvoir de transfigurer le Laid en Beau.
Perfection du sonnet : le quatrième « Spleen », « Les Phares » Refrain, musique : « Harmonie du soir » ou ‘ « L’Invitation au voyage » Les images poétiques permettent de métamorphoser n’importe quel objet, même le plus vulgaire. Ex : « A une mendiante rousse » (88) ; // idem chez Francis Ponge, Le Parti pris des choses : « L’orange » = nouvelle vision de l’orange, objet métamorphosé qui devient rarissime, précieux ». // Ponge, Ode inachevée à la boue : éloge de la boue, « Boue si méprisée, je t’aime » // Hugo « J’aime l’araignée, j’aime l’ortie » : rôle du poète de défendre les malaimés et de poser un regard nouveau sur le monde. Histoire Littéraire : Théophile Gautier appartient au mouvement artistique du Parnasse qui glorifie la quête esthétique dans la forme plus que dans le sujet.
2. Le titre du recueil : la beauté peut venir du Mal 2 mouvements contradictoires, « le beau est toujours bizarre », résolution dans la poésie Ex : « Hymne à la Beauté » : « Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme », « Le Soleil. » Ex2 : « Une charogne » : description terrifiante qui se transforme doucement en une œuvre d’art. Faire naître la beauté de la laideur, la maladie, la réalité dans ce qu’elle a de plus sordide. 3. Révéler la beauté du monde par l’Art poétique Voyage des sens « A une dame créole » : « Au pays parfumé que le soleil caresse » (vers 1), « L’invitation au voyage » : « Mon enfant, ma sœur,/Songe à la douceur, d’aller là-bas vivre ensemble » « Parfum exotique »: « Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,/Je vois se dérouler des rivages heureux ». Beauté de la femme, célébration de la sensualité, idéal féminin, les plaisirs charnels. Descriptions sensuelles, Jeanne Duval notamment dans des poèmes censurés car jugés obscènes mais puissamment beaux et érotiques : « La Chevelure », « Les Bijoux » : « Et son ventre et ses seins, ces
grappes de ma vigne », « À celle qui est trop gaie » : « t’infuser mon venin ma sœur ».
III.
L’alchimie poétique : le poète transforme le spleen en idéal, la boue en or, « la laideur et de la sottise il fait naître un nouveau genre d’enchantement ». (Baudelaire, L’Art romantique, 1852) 1.
Le « prodigieux » pouvoir du poète : le poète est voyant qui révèle aux hommes le sens caché des signes.
// Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, dite lettre du voyant : « Je dis qu’il faut être voyant » ou encore « Donc le poète est vraiment voleur de feu ». // Victor Hugo dans la « Fonction du poète » : « Peuples, écoutez le poète !(…)/Lui seul a le front éclairé » Histoire littéraire : symbolisme, à l’écoute du chant du monde : une sensibilité particulière lui permet d’appréhender des signes que les autres ne voient pas, notamment grâce aux sensations. Ex : Baudelaire « Correspondances », « Élévation » Il transfigure la banalité du réel en beauté. Ex : Jacques Reda, La Bicyclette, 1989 : un simple vélo devient un objet poétique en jouant sur les sensations et l’animalisation du vélo comparé à un oiseau. 2. La puissance de l’alchimiste Par sa sensibilité profonde, il transforme la boue en or. Même de la tristesse, il sait tirer de la douceur et de la beauté. Ex : « Alchimie de la douleur » : « Tu me rends l’égal de Midas/ le plus triste des alchimistes » Atteindre la pureté, l’essence de la beauté, « la quintessence » = substance la plus pure.
3. Le poète s’élève pour échapper au spleen et atteindre l’idéal. Ex : « Bénédiction », « Elévation » Le poète est un élu mais aussi un exclu. C’est un être majestueux qui cherche l’or lors de sa création, il cherche la beauté du monde, l’indépendance et la liberté. Ex : « L’Albatros » : « Le poète est semblable au prince des nuées » « L’Homme et la mer » : « Homme libre, toujours tu chériras la mer » // Musset dans « La nuit de mai », 1835,
Néanmoins si nous avons montré que les poètes peuvent révéler au lecteur une réalité nue, dérangeante et crue, « horrible » et sordide ; ils peuvent aussi la magnifier et la sublimer. En transfigurant le réel par le regard qu’ils posent sur le monde, Victor Hugo, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Francis Ponge pour ne citer qu’eux, font un véritable travail d’alchimiste. Ils métamorphosent la réalité boueuse, la fange du réel en or poétique. En cela le poète est un véritable chercheur d’or tel que le définit Pierre Reverdy en 1948 dans Le livre de mon bord : « Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie. »
Sujet C Guillaume Apollinaire, Alcools La poésie d’Apollinaire est-elle une célébration de la modernité ? I. 1.
Une poésie qui célèbre la modernité et l’inventivité … Le reflet du XXe siècle
Poésie moderne, innovante, nouvelle, créatrice, avant-gardiste qui renouvelle le genre dans sa forme et dans ses thèmes. Une poésie qui dit le monde moderne et en mouvement. Une poésie urbaine qui chante les nouveaux paysages de la ville : Ex : le poète témoigne du développement industriel (« la grâce de cette rue industrielle »), des progrès techniques, des nouveaux modes de transport, la publicité (« Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut/Voilà la poésie ce matin »), le gaz, l’aviation, « les ouvriers et les belles sténodactylographes » (« Zone »)… « La porte » : la solitude de l’employé « 1909 » : L’anonymat des foules, la misère, la prostitution (« Mariziill ») À la fois hymne au monde moderne et complainte du progrès. // Blaise Cendrars dans « La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France » // Rimbaud, Les ponts : ville portuaire à la grande modernité architecturale. 2. Un poème liminaire qui s’ouvre sur cette volonté de dire un monde nouveau comme un guide de lecture du recueil « Zone » : « À la fin tu es las de ce monde ancien » (v.1) // peinture de Robert et Sonia Delaunay –représentation poétique et picturale de la tour Eiffel, symbole de modernité - de Braque, cubistes auxquels Apollinaire a consacré un recueil critique vantant leur modernité, leur regard nouveau sur le Réel. // poète Émile Verhaeren, Les villes tentaculaires, poésie urbaine et libre. Poème « Les fiançailles » dédicacé à Picasso dit cette volonté de se renouveler en se libérant des traditions : « Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers/Je ne sais plus rien et j’aime uniquement ». Ex : « Poème lu » dit la mort d’Orphée qui incarne la tradition poétique. 3. Une forme nouvelle qui se libère des codes traditionnels de la versification Effet de surprise et impression de rupture. • L’absence de ponctuation ou « déponctuation » : choix esthétique novateur qui crée une polysémie puisque le lecteur choisit l’association des mots, • Impression de fluidité, de mouvement // ville moderne, fleuves, flux de l’imagination. • Les jeux sonores (assonances, allitérations, échos) plutôt que les rimes traditionnelles Ex : emploi parodique de la rime dans « Rosemonde »
• Les vers qui s’allongent parfois démesurément sans souci d’isométrie, Ex : « Les Colchiques » • Les nombreux enjambements et rejets • Vers libres, liberté dans la syntaxe // Mallarmé • Disposition des vers libres et originale, Ex : « Automne malade » // Calligrammes du même auteur. // Travail de Pierre Reverdy sur le fond et la forme. • Mélange des registres et des tonalités (simplicité, trivialité/érudition, élévation) = syncrétisme. Ex : Dans « Voie lactée » est évoqué un « Et j’ai le cœur aussi gros/Qu’un cul de dame damascène », termes obscènes dans « La Chanson du Mal-Aimé » Dans les « Sept épées » apparaît un « chibriape », néologisme créé par Apollinaire composé de chibre et Priape. • Images frappantes et inédites. Ex : tour Eiffel personnifiée en bergère dans « Zone » ; « Soleil cou coupé » // image surréaliste avant l’heure. 4. La revendication d’une liberté de ton symbolisée par le titre du recueil Le titre Alcools n’exprime pas seulement le procédé de distillation, l’alchimie, mais aussi ce qui désinhibe, l’agent de la fête et de l’excès. Ex : poèmes très court comme « Hôtels » ou volonté de désarçonner le lecteur avec un texte d’un seul alexandrin dans « Chantre ». Ex : « Le Brasier » : « Voici ma vie renouvelée / De grands vaisseaux passent et repassent ».
II. 1.
Sans pour autant renier le passé … Se retourner avec nostalgie vers un temps autobiographique révolu
Apollinaire dans une lettre à Henri Martineau : « Chacun de mes poèmes est la commémoration d’un évènement de ma vie ». Ex : « A la Santé » Par l’évocation de rencontres avec des êtres aimés : Ex : Poèmes « Marie » et « Annie » qui évoquent Marie Laurencin, peintre, poétesse, muse de l’auteur qui a partagé sa vie de 1907 à 1912 et Annie Playden, jeune anglaise rencontrée lors du séjour rhénan en 1900, qu’il tentera - en vain - de reconquérir avant qu’elle ne parte pour les États-Unis. Par l’évocation de lieux de bonheur : Ex : La section « Rhénanes » évoque les souvenirs du voyage au bord du Rhin. Par la réunion de paysage et êtres chers : Ex : « Mai » évoque la beauté des paysages et « celle que j’ai tant aimée ». n’est plus nommée. 2. Revendiquer l’empreinte de la tradition poétique Dans les thèmes traditionnels de la poésie : le temps qui passe, Dans l’emploi du lyrisme :
Ex : le refrain du « Pont Mirabeau », les comptines, le chant, l’emploi du « Je » Cf personnages chanteurs dans les poèmes comme les sirènes, le batelier de la Loreley, les juifs dans « La Synagogue », les « anges dans le ciel » … Apollinaire fonde ainsi un nouveau lyrisme à la portée universelle qui n’est ni ancien ni moderne mais traverse les âges, une langue poétique universelle. Ex : « Cortège » : « Et le langage qu’ils inventaient en chemin/Je l’appris de leur bouche et je le parle encore/Le cortège passait et j’y cherchais mon corps/Tous ceux qui survenaient et n’étaient pas moi-même/Amenaient un à un les morceaux de moi-même/On me bâtit peu à peu comme on élève une tour/Les peuples s’entassaient et je parus moi-même ». Le poète bâtit telle une tour de Babel un langage unique qui rassemble les hommes. 3. En mobilisant de nombreuses références culturelles patrimoniales pour nourrir son inspiration. Les références aux mythes et à la religion qui se mêlent et se confondent parfois, dans un élan mystique singulier. Ex : La « Chanson du Mal-Aimé » nous permet de rencontrer le Phénix, Chanaan, Ulysse et Sacontale, avant que le poète ne s’exclame : « Mon beau navire ô ma mémoire/Avons-nous assez navigué ». Ex : Merlin, Viviane, Morgane, des licornes et des sirènes (« Lul de Faltenin »), fées au fil du recueil. Ex : la sorcière Lorelei dans Les Rhénanes (5ème de la section) Des références intertextuelles à Baudelaire ou Verlaine par exemple. Ex : « Automne malade » ou « Signe » (« Mon automne éternelle ô ma saison mentale ») // élégie de Verlaine « Chanson d’automne », symbolique de la saison chez Baudelaire aussi dans « Chant d’automne » Ex : Allusion dans le « Roman du Mal-Aimé » à Rimbaud.
Paul Léautaud à propos d’Alcools : « C’est la poésie d’un homme à l’âme multiple, flottante, vagabonde, pleine d’ingénuité aussi . » Lyrisme humanisme – Universalité – Syncrétisme – Liens étroits avec la révolution picturale du cubisme.