Coll., Socio. Plurielle Des Comport. Politiques [PDF]

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Sociologie plurielle des comportements politiques

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Dossier : sciencePo344943_3b2_V11 Document : SociologiePlurielle_344943 Date : 8/12/2016 8h10 Page 1/397

ISBN papier 978-2-7246-1835-8 Catalogage Électre-Bibliographie (avec le concours de la Bibliothèque de Sciences Po) Sociologie plurielle des comportements politiques : Je vote, tu contestes, elle cherche..., sous la direction de Olivier Fillieule, Florence Haegel, Camille Hamidi, Vincent Tiberj – Paris, Presses de Sciences Po, 2017. ISBN papier 978-2-7246-2015-3 ISBN pdf web 978-2-7246-2016-0 ISBN epub 978-2-7246-2017-7 ISBN xml 978-2-7246-2018-4 RAMEAU : – Mayer, Nonna : Mélanges et hommages – Sociologie politique : France : Mélanges et hommages – Sociologie électorale : France : 1970-…. : Mélanges et hommages – Militants politiques : France : 1970-…. : Mélanges et hommages – Participation politique : France : 1970-…. : Mélanges et hommages DEWEY : – 306.2 : Comportements politiques

Couverture : Melissa MayerGalbraith Estampe, série Manège, 2012 © VG-Bild-Kunst-Bonn 2016 © Neumeister Photographie 2016

La loi de 1957 sur la propriété intellectuelle interdit expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit (seule la photocopie à usage privé du copiste est autorisée). Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris).

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Sociologie plurielle des comportements politiques Je vote, tu contestes, elle cherche… sous la direction de

Olivier Fillieule Florence Haegel Camille Hamidi Vincent Tiberj

Ouvrage publié avec le soutien du Centre d'études européennes (CEE)

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Je vote Tu contestes Nous nous associons Vous participez Ils vous excluent Elle cherche 1

1. Détournement d'un slogan de Mai 68 : « Je participe, tu participes, il participe, nous participons, vous participez, ils profitent » (Mayer, 2010, p. 13).

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Sommaire Ont contribué à cet ouvrage

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Introduction Olivier Fillieule, Florence Haegel, Camille Hamidi, Vincent Tiberj

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PREMIÈRE PARTIE – ÉLECTIONS Chapitre 1 – L'abstention et la participation électorales Céline Braconnier Les approches centrées sur les facteurs politiques Les approches par les déterminants sociodémographiques Les approches par les contextes Conclusion Chapitre 2 – Du vote de classe au vote des classes Les usages du concept de vote de classe Florent Gougou

39 40 48 53 59

Sortir des débats méthodologiques Penser les alignements électoraux Conclusion : le vote de classe, un concept inutile ?

69 73 80 87

Chapitre 3 – Faire de deux faces une même pièce Sociologie du vote et psychologie du choix électoral Vincent Tiberj

93

De quel citoyen parle-t‑on ? Les évolutions de la psychologie politique Y a-t‑il encore des modèles du vote ? Réconcilier les approches et les temporalités du vote

94 100 109

Chapitre 4 – Vote sur clivage et vote sur enjeu Mark N. Franklin Une pensée théorique faible Une logique boiteuse Une méthodologie branlante Quelle place pour la recherche sur les clivages ?

119 122 125 127 129

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8 Sociologie plurielle des comportements politiques

DEUXIÈME PARTIE – MOBILISATIONS Chapitre 5 – La sociologie de l'action protestataire en France Une internationalisation bien tempérée Olivier Fillieule Une histoire en quatre tableaux D'un basculement Dans le concert des nations Chapitre 6 – Les « carrières militantes » Portée et limites d'un concept narratif Éric Agrikoliansky Ce qu'analyser des carrières veut dire Que savons-nous des « carrières militantes » ? La carrière à l'encan Chapitre 7 – La consommation engagée Philip Balsiger

141 142 148 152

167 169 173 181

Une courte histoire de l'étude de la consommation engagée La consommation engagée comme pratique individuelle La consommation engagée comme pratique encadrée collectivement

193 194 196 203

Chapitre 8 – Les mobilisations collectives des minorisés ethniques et raciaux Soline Laplanche-Servigne

215

Des mobilisations « immigrées » aux mobilisations « ethniques » et « raciales » Entre revendications identitaires et revendications minoritaires ? Les modes de mobilisation et les répertoires d'action collective des minorisés ethnoraciaux

218 223 227

TROISIÈME PARTIE – ETHNOCENTRISME, EXTRÊME DROITE Chapitre 9 – Que sait-on du Front national ? Alexandre Dézé Une histoire balisée La lutte pour l'imposition d'une taxinomie légitime De l'identification des causes à l'obsession étiologique Un électorat composite Militer au Front national La question de la « nouveauté » du Front national mariniste Continuer à « découvrir » le Front national

241 243 245 247 250 254 257 259

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Sommaire

Chapitre 10 – Entretiens biographiques avec des militants d'extrême droite Bert Klandermans Interviewer des militants d'extrême droite Itinéraires : adhérer à un mouvement d'extrême droite et y rester Les motivations de la participation Liens avec le passé Comparaison entre pays Chapitre 11 – Deux voies vers la droite Enjeux, émotions et vote FN Pavlos Vasilopoulos et George E. Marcus L'émergence de la psychologie politique La psychologie politique de l'émotion et son application au vote Méthodologie et données Résultats Conclusion

271 272 275 280 282 284

289 291 295 304 306 311

QUATRIÈME PARTIE – POLITISATION Chapitre 12 – Politisation Temporalités et échelles Yves Déloye et Florence Haegel Les mille et une manières de (se) politiser Temporalités chronologiques et échelles d'analyse Une nouvelle combinatoire Chapitre 13 – Associations, politisation et action publique Un monde en tensions Camille Hamidi Les effets de l'engagement associatif sur la politisation des individus Les effets politiques de la participation des associations à la gestion de l'action publique Conclusion : croiser les questionnements Chapitre 14 – Pas de chrysanthèmes pour le « sentiment national » Sophie Duchesne et Marie-Claire Lavabre Le sentiment national comme levier d'une sociologie politique de l'identité et de la mémoire nationales L'identité nationale à travers le prisme de la « mémoire » Faiblesse des travaux français sur la sociologie de l'identification à la nation Étudier le sentiment national : un programme de recherche

323 324 332 334

347 348 357 365 371 374 376 383 390

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Ont contribué à cet ouvrage Éric AGRIKOLIANSKY, professeur de science politique, Université Paris-Dauphine/ PSL, chercheur à l'IRISSO (UMR 7170) Philip BALSIGER, professeur assistant de sociologie, Université de Neuchâtel Céline BRACONNIER, professeure des universités en science politique, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, chercheuse au CESDIP (UMR 8183) Yves DÉLOYE, professeur, directeur de Sciences Po Bordeaux et de la Revue française de science politique Alexandre DÉZÉ, maître de conférences en science politique à l'Université de Montpellier, chercheur au CEPEL (UMR 5112), enseignant à Sciences Po Paris Sophie DUCHESNE, directrice de recherche au CNRS, Centre Émile Durkheim, Sciences Po Bordeaux (UMR 5116) Olivier FILLIEULE, directeur de recherche CNRS (CESSP Paris 1 Sorbonne), professeur de sociologie politique à l'Université de Lausanne (IEPHI – CRAPUL) Mark N. FRANKLIN, chercheur indépendant, ancien professeur de la chaire Stein Rokkan, Institut universitaire de Florence Florent GOUGOU, maître de conférences en science politique, Sciences Po Grenoble, Pacte Florence HAEGEL, professeure en science politique à Sciences Po, directrice du Centre d'études européennes (UMR 8239) Camille HAMIDI, maîtresse de conférences en science politique, Université Lyon II, laboratoire Triangle Bert KLANDERMANS, professeur émérite en psychologie sociale appliquée, Vrije Universiteit Amsterdam Marie-Claire LAVABRE, directrice de recherche au CNRS, Institut des sciences sociales du politique (ISP – CNRS, Université Paris-Nanterre, ENS Cachan) Soline LAPLANCHE-SERVIGNE, maîtresse de conférences en science politique, Université Nice-Sophia Antipolis George E. MARCUS, professeur en science politique, Williams College Vincent TIBERJ , professeur associé des universités, Centre Émile Durkheim, Sciences Po Bordeaux (UMR 5116) Pavlos VASILOPOULOS, chercheur associé au CEVIPOF, Sciences Po Paris.

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Dossier : sciencePo344943_3b2_V11 Document : SociologiePlurielle_344943 Date : 8/12/2016 8h10 Page 11/397

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Introduction

Le langage des fleurs de la sociologie des comportements politiques Olivier Fillieule, Florence Haegel, Camille Hamidi, Vincent Tiberj

T

oute personne qui a quelque peu fréquenté Nonna Mayer sait bien que celle-ci redoute les louanges autant qu'elle les mérite. Tandis que la plupart des individus les reçoivent comme la récompense naturelle de leur talent, il semble que, pour Nonna Mayer, elles n'en soient que l'inconvénient. Pourtant, sans elle, la sociologie des comportements politiques en France ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui. D'où bien sûr notre souhait de ne pas lui offrir des hommages trop personnalisés et grandiloquents, qui auraient immédiatement provoqué une réplique attendue, car souvent entendue : « Flatteries will get you nowhere, dear… » Prolongeant son manuel de Sociologie des comportements politiques (Mayer, 2010), notre ouvrage s'apparente donc à un handbook de sociologie politique proposant des états de l'art relatifs à des questions sur lesquelles Nonna Mayer a travaillé tout au long de sa carrière : la sociologie électorale, celle des mobilisations, l'étude des attitudes racistes et xénophobes et du Front national et, plus largement, celle des formes de politisation. Très classiquement, nous avons donc passé commande à un certain nombre de chercheurs et de chercheuses, français et étrangers, collaborateurs proches voire quotidiens, et dont certains ont mené leur thèse sous sa direction. Moins classiquement pour des « mélanges », il leur a été demandé non pas de confectionner une pièce ornementale inspirée de l'œuvre de Nonna Mayer, mais de construire un bilan critique et problématique concernant des

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questions qu'elle a abordées. Ce faisant, ce livre entend être utile à tous ceux qui souhaitent trouver des textes de référence faisant le point sur les travaux et les débats contemporains. Car en tirant le fil des thèmes de recherche de Nonna Mayer, on est vite frappé par son « flair » de chercheuse qui a toujours su détecter les objets les plus saillants, ceux qui permettaient à la science politique d'éviter les risques d'isolement. Présidente durant dix ans de l'Association française de science politique (AFSP) 1, elle partage pour l'essentiel la vision développée par David Easton (1969) qui, engageant une critique de la science politique behavioraliste, militait à la fin des années 1960 pour une discipline ouverte sur la réalité sociale, débarrassée de son jargon techniciste et engagée dans la société. Cet engagement tient d'abord au choix des objets de recherche : globalement, on peut considérer que ceux de Nonna Mayer se portent tous vers les formes d'inclusion et d'exclusion démocratiques, comme en témoignent ses recherches les plus récentes sur l'inclusion démocratique des plus précaires. L'enquête engagée avec Céline Braconnier et Florence Haegel sur les Petits Frères des pauvres poursuit la réflexion menée sur vote et précarité lors de la campagne présidentielle de 2012 (Braconnier et Mayer, 2015), en s'interrogeant sur les formes de citoyenneté et de participation des personnes sans logement accompagnées par l'association et donc sur les leviers et les résistances à l'empowerment des plus précaires. La participation politique sous toutes ses formes (voter, contester, s'associer, etc.) constitue son thème de prédilection, mais loin d'une vision inclusive enchantée, son intérêt pour la participation est indissociable d'une attention portée à la part d'ombre du fonctionnement démocratique et à tous les mécanismes d'exclusion : rejet de l'autre au travers des attitudes ethnocentristes et émergence de l'extrême droite, puissance des inégalités et précarisation croissante de pans entiers de la population, qui affectent les rapports au politique. Cette introduction discute les principales contributions des travaux de Nonna Mayer au domaine de la sociologie des comportements politiques. Pas de corbeille ni de bouquet pour cet hommage, ni de guirlande tressée. La peinture que nous voudrions donner de l'œuvre de Nonna Mayer est étrangère à la nature morte 1. Soit de 2005 à 2016 aux côtés d'Yves Déloye comme secrétaire général (Déloye et Mayer, 2008).

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Introduction

ou à la nature tranquille (stilleven) des Jan Brueghel de Velours ou de Daniel Seghers (Hairs, 1965). Les fleurs de la pensée de Nonna Mayer, nous nous les représentons bien vivantes et odoriférantes, disposées en un savant florilège, mélangeant les plantes ornementales et comestibles aux herbes pharmaceutiques, sur le modèle du jardin clos médiéval – l'herbarium ou hortus sanitatis. Un jardin qui représente le monde en même temps qu'il vise à le comprendre en réunissant ce que le vulgaire sépare suivant un ordonnancement réglé. Un jardin où, inlassablement, Nonna Mayer a « essayé d'inventer de nouvelles fleurs » (Rimbaud, 1973).

Vote : chrysanthèmes 2 et primevères 3 Nonna Mayer est une figure majeure de l'analyse électorale française. Passeuse de savoirs et d'idées, elle se trouve au croisement de plusieurs générations de chercheurs. Elle a su faire le pont avec la cohorte des précurseurs que sont Frédéric Bon, Jean-Luc Parodi et surtout Guy Michelat auprès de qui elle a développé son sens et son goût de la recherche empirique. Elle a fait partie de cette génération « dorée » rassemblée au sein du Centre de recherches politique de Sciences Po (Cevipof) et qui a structuré les premières enquêtes électorales académiques en France (Mayer, 2015). Au sein de cette équipe, elle a acquis une place centrale grâce à ses compétences, son enthousiasme et son sens du collectif. D'abord à l'occasion de l'enquête de 1988 (Cevipof, 1990), suivie de la codirection avec Daniel Boy et Michael Lewis-Beck de l'enquête post-présidentielle de 1995 (Boy et Mayer, 1997). Alors se manifeste un trait caractéristique de Nonna Mayer, une conception bien à elle de la recherche collective qu'elle reproduira avec d'autres équipes, au cours de l'enquête démocratie ou dans son projet « Poline » (voir infra) : se tenir à distance de toute approche verticale de la conduite d'enquête avec des investigateurs principaux et secondaires, pour privilégier une éthique de la recherche empirique, collective, égalitaire et inclusive, où chacun à son mot à dire, quel que soit son statut. Ce faisant, Nonna Mayer a voulu et su tout à la fois transmettre son savoir-faire à une nouvelle génération d'électoralistes et 2. Fleur des cimetières, symbole de deuil et fragilité. 3. Symbole de jeunesse et de renouveau.

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contribuer à la formation pédagogique de très nombreux étudiants. Il est rare que des chercheurs du CNRS se consacrent à l'écriture d'un manuel ; Nonna Mayer en a commis deux, l'un avec Pascal Perrineau (Mayer et Perrineau, 1992) et l'autre en son nom propre en 2010. Elle a consacré à ce dernier plusieurs étés de lectures intensives et de découvertes. Dans ces deux manuels transparaît sa volonté de faire justice à l'immense entreprise scientifique collective qui tourne autour du vote. Elle sera aussi en 1995 l'une des premières chercheuses à pouvoir, enfin, enseigner dans le cadre du diplôme d'études approfondies (DEA) d'études politiques de Sciences Po Paris, jusqu'alors chasse gardée des professeurs de la rue Saint-Guillaume. L'œuvre de Nonna Mayer sur le vote est vaste, elle s'étend sur une quarantaine d'années. L'auteure a su aussi profiter des avantages qu'offrent les ouvrages collectifs, une tradition très ancrée au Cevipof, pour satisfaire sa grande curiosité pour des sujets particulièrement variés. Jean-Luc Parodi lui remettant les insignes de la Légion d'honneur, avait repris la fameuse distinction entre taupe et papillon (voir encadré ci-après) 4. La « taupe » est un mammifère fouisseur qui creuse sa galerie, Nonna Mayer ne serait pas alors une banale Talpa europaea mais une Condylura cristata, taupe américaine (filiation maternelle oblige !) au « nez étoilé » (toujours le flair…). En réalité, on pourrait également soutenir l'hypothèse qu'elle se situe au croisement des taupes, qui creusent inlassablement le même sillon, et des papillons qui butinent d'un sujet à l'autre. Nonna Mayer a accompagné les évolutions des modèles du vote, d'abord en complexifiant le modèle « des variables lourdes », ensuite en important en France la problématique des effets de court terme. « Pas de chrysanthèmes pour les variables sociologiques » est le titre d'une contribution qui a marqué la science politique française des années 1980 (Mayer, 1986a). Dans ce travail, l'auteure rend compte de la persistance des trois variables lourdes qui pèsent sur le comportement électoral des Français de l'époque : la religion, la classe sociale et le patrimoine. Loin de correspondre à l'avènement d'un « nouvel électeur » libéré de ses déterminations, l'inscription sociale des individus continue de marquer leurs rapports au politique et au vote. 4. Nous remercions très chaleureusement Jean-Luc Parodi de nous avoir transmis son discours.

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Introduction

Extrait du discours prononcé par Jean-Luc Parodi lors de la cérémonie de remise des insignes de chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur à Nonna Mayer, le 18 novembre 2014 « Prenons un peu de recul et voyons les choses d'un peu loin. Cicéron [ici mouvements d'inquiétude dans le public], Cicéron disais-je, dans son Traité sur la divination, attribue à Caton l'adage selon lequel “deux haruspices (ou si l'on préfère deux augures) ne peuvent se regarder sans rire”. Se regarder sans rire… Et qu'en est-il de deux chercheurs se remettant l'un à l'autre la Légion d'honneur ? Mais il s'agit de la République, aux valeurs de laquelle nous sommes attachés, toi et moi : il nous faut donc procéder sans rire, sans rire mais non sans sourire. « Pourquoi la Légion d'honneur ? D'abord parce que tu es une chercheuse exemplaire. Une chercheuse exemplaire, ou pour parler le “cévipovien”, une taupe accomplie. Tous les amis du Cevipof, puis du Centre d'études européennes (CEE) connaissent cette dichotomie élémentaire qui répartit les chercheurs en deux classes, les taupes et les papillons ; les taupes, les plus sérieuses, qui creusent toujours tout droit, toujours plus loin, qui approfondissent, qui vérifient et colmatent pour aller plus profond, les taupes dont Guy, Guy Michelat, reste l'indispensable modèle ; les papillons, groupe dont je relève, qui butinent de fleur en fleur, qui papillonnent comme le dit leur nom, et ont aussi, j'espère, leur utilité (…). « Chère Nonna, si droite, intègre, intransigeante… Il est temps de conclure avant de vous offrir ce spectacle surréaliste d'une taupe décorée par un papillon. En préparant cette cérémonie, j'ai pensé à ce que m'avait dit, avec son indulgence habituelle, Georges Vedel, dans une circonstance analogue : “en définitive, vous êtes le non-mandarin absolu” et j'ai pensé que ce beau compliment s'appliquait encore mieux à toi, ce qui donne, féminisé comme tu aimes, “en définitive tu es la non-mandarine absolue”. »

Nonna Mayer montre ainsi combien et comment le monde de la boutique et des travailleurs indépendants en général s'oppose à la gauche : plus un individu a des attributs « indépendants » (être lui-même indépendant, être marié avec un indépendant, avoir un père indépendant), moins il aura de chance de choisir un candidat de gauche (Mayer, 1986b). Elle démontre également combien l'antagonisme de la boutique et de la gauche n'a rien de naturel, pas plus que le vote des ouvriers pour la gauche, d'ailleurs. Cet antagonisme est historiquement situé, puisque la boutique a aussi

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été l'un des piliers sur lesquels la IIIe République a pu s'appuyer. Elle met aussi en lumière l'existence du clivage entre monde du public et monde du privé, au-delà des professions exercées : un cadre du public pourra plus souvent voter pour la gauche qu'un employé du privé par exemple. Par la suite, Nonna Mayer montrera que ce clivage n'est pas typiquement français, puisqu'il se retrouve dans nombre de pays européens. Les derniers travaux en date de Nonna Mayer en sociologie électorale prennent appui sur les récentes évolutions qui ont transformé la sociologie de la stratification sociale européenne. Au-delà de la question de la nomenclature des métiers et des débats autour des travaux de John Goldthorpe, c'est surtout la prise en compte d'inégalités cachées qui l'intéresse. Sa longue discussion scientifique avec Bruno Palier ainsi que le séminaire commun qu'ils coaniment, « Inégalités, welfare et politique », lui permettent de prendre en compte la question de la dualisation des marchés du travail et donc de se préoccuper du rapport au politique des salariés en marge du système, qui ne bénéficient pas des avantages (relatifs) d'un contrat à durée indéterminée (CDI). Lors des réunions préparatoires à l'étude des élections de 2012 au sein du réseau TriElec, Nonna Mayer va se familiariser avec les travaux de l'Observatoire des non-recours aux droits et services (groupe Odenore) et de Philippe Warin, et particulièrement avec l'indicateur Épices (Évaluation de la précarité et des inégalités de santé dans les centres d'examens de santé) qui mesure différemment les inégalités sociales. Ce bloc de dix questions va devenir son nouveau cheval de bataille : elle tentera de l'imposer dans la plupart des enquêtes auxquelles elle sera associée ultérieurement. Cette préoccupation va notamment déboucher sur le projet « The politics of inequalities - Inégalités et démocratie » (Poline), qu'elle animera avec Céline Braconnier et qui intègre la question du vote des plus précaires (Braconnier et Mayer, 2015). Pas de chrysanthèmes pour les variables sociologiques, mais des primevères pour symboliser la réintroduction dans l'équation de variables négligées, comme les enjeux ou la personnalité des candidats, tout en ouvrant la voie à d'autres modèles du vote. C'est ainsi que l'enquête de 1995, à laquelle d'aucuns reprocheront d'être trop « sociologique », va intégrer plusieurs questions « américaines » qui permettent de tester les modèles de « court terme ». Dans cette enquête, les thermomètres de sympathie permettent de prendre en compte l'existence d'effets-candidats (l'ouvrage de référence de

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Watenberg sur la question ayant été publié en 1991), tandis qu'une batterie de questions couvre le domaine des enjeux et de la compétence des candidats sur ces enjeux, et que d'autres permettent de tester l'hypothèse du « pocketbook voting » – le fait de voter pour le candidat ou le parti le plus avantageux financièrement pour l'électeur. Cette enquête et le livre codirigé qu'elle en tire marquent aussi un tournant méthodologique dans la sociologie électorale en France (Boy et Mayer, 1997). On passe alors d'une sociologie du tableau à n-dimensions à celle des analyses « toutes choses égales par ailleurs », donc à la complexification des modèles explicatifs. C'est aussi l'émergence d'une sociologie électorale où plusieurs logiques interprétatives sont mutuellement vraies.

Front national, racisme : anémones 5 et jacinthes 6 Ce changement de méthode que Nonna Mayer va éprouver, encourager et accompagner, va aussi lui permettre d'avancer des analyses originales des raisons des votes en faveur de JeanMarie Le Pen. Nonna Mayer a suivi le Front national (FN) dès ses premières percées, avec notamment un travail remarqué sur les votes parisiens du FN, de Passy à Barbès (Mayer, 1987). Par la suite, elle s'attachera à développer une compréhension multivariée des logiques du vote frontiste, montrant que ce soutien est hétéroclite et prend ses racines dans des groupes sociaux divers, dotés de valeurs et d'attentes elles-mêmes souvent différentes. Les électeurs FN doivent ainsi être distingués entre « ninistes » et « droitistes ». Les premiers, appartenant plutôt aux catégories populaires, sont à ce titre préoccupés par leur situation sociale et en demande de protection, tandis que les seconds sont plutôt des travailleurs indépendants ou des commerçants, économiquement mieux lotis et clairement favorables à un État minimal. À cette occasion, Nonna Mayer démontre que les « ninistes » ne sont pas des « gaucho-lepénistes » qui passeraient d'un camp à l'autre, mais avant tout des « ouvriérolepénistes » qui partagent avec les autres ouvriers des préoccupations sociales, mais se distinguent par la domination de leurs opinions xénophobes. Enfin, elle identifie les différentes barrières au 5. L'anémone soigne les douleurs et les chagrins. 6. La jacinthe signifie « ça ira mieux demain ».

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vote FN et, particulièrement, celle du sexe : les femmes ne sont pas immunisées, notamment en termes de préjugés xénophobes, mais la figure de Jean-Marie Le Pen a fait barrage au vote féminin en sa faveur. Cet écart se retrouve ailleurs en Europe, mais il pourrait luimême perdre en importance avec la montée en puissance de Marine Le Pen en France. La question des préjugés racistes n'était pas l'un des champs de recherche initiaux de Nonna Mayer. Elle y viendra progressivement, d'abord par son intérêt pour le monde des indépendants et des commerçants, puis par son travail sur le Front national et les mobilisations anti-FN. On peut aussi y voir l'écho de son histoire familiale et de ses indignations de citoyenne. Ses travaux sur la question sont indissociables du baromètre annuel « Racisme et antisémitisme » de la Commission nationale consultative des Droits de l'homme (CNCDH). Nonna Mayer et Guy Michelat sont en effet approchés par cette institution en 1999 afin de développer une approche scientifique de ce baromètre dont l'existence remonte à 1990 (Mayer et Michelat, 2001). Cette enquête sera décriée, notamment par Véronique De Rudder et Alain Morice qui non seulement contesteront les questions posées, mais surtout douteront de la capacité d'une enquête par sondage à mesurer correctement le racisme. Ces deux auteurs iront jusqu'à considérer que ce baromètre fait le jeu de l'extrême droite (Morice et De Rudder, 2000). Guy Michelat et Nonna Mayer vont alors produire un rapport scientifique annuel pour chaque vague d'enquête, d'abord à deux, puis avec Vincent Tiberj et Tommaso Vitale. Il s'agira notamment de montrer comment on peut tirer des enseignements forts sur les évolutions du racisme, malgré les biais bien connus de la désirabilité sociale des opinions ou des répondants fantômes. Pour ce faire, plusieurs expérimentations seront menées. Nonna Mayer créera une version française de l'expérience dite de la liste, de Paul Sniderman, à partir de laquelle il est effectivement possible de mesurer le degré d'autocensure qui affecte les répondants quand il s'agit de parler de sujets brûlants, comme l'islam par exemple. Surtout, Nonna Mayer et Guy Michelat vont développer une approche rigoureuse et systématique des échelles d'attitudes, démontrant ainsi combien les différents préjugés raciaux restent fortement liés les uns aux autres, alors même que les débats publics tendent de plus en plus à se fractionner autour des questions d'antisémitisme ou d'islamophobie.

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Nonna Mayer a également apporté une précieuse contribution avec sa réfutation de la théorie de la nouvelle judéophobie de Pierre-André Taguieff (2002). À partir d'un corpus conséquent de textes et de déclarations politiques, ce dernier postule que la critique de la politique israélienne est devenue la nouvelle manière dont s'exprime l'antisémitisme et doit à ce titre être combattue. Cette reconfiguration des préjugés aboutirait à une sorte d'alliance « rouge-vert-brun ». En utilisant les données de l'enquête « Rapport au politique des Français issus de l'immigration » (RAPFI) produites en 2005 (Mayer, 2005), puis les vagues du baromètre de la CNCDH de 2013 à 2016, Nonna Mayer démontre, à l'inverse, que cette théorie ne tient pas : la gauche se caractérise effectivement par sa forte opposition à la politique israélienne, mais se révèle le camp le moins touché par l'antisémitisme, alors que ce préjugé reste avant tout une caractéristique de la droite de la droite (Mayer, 1993 ; Mayer et Michelat, 2001 ; Mayer, 2003a).

Méthodes : airelle 7 et cymbidium 8 L'œuvre de Nonna Mayer est très souvent associée aux sondages d'opinion et à l'analyse quantitative des comportements politiques. De fait, une grande partie de sa carrière a été structurée autour des grandes enquêtes auxquelles elle a participé ou qu'elle a dirigées. Pourtant, elle ne fait pas partie des « quantophrènes » 9 que dénonçait Sorokin (1956), bien avant qu'elle ne débute dans la carrière. Nonna Mayer a œuvré à rendre les sondages et leurs modes d'analyse meilleurs, grâce à son appartenance au club des rares sociologues travaillant aussi bien sur des données qualitatives que quantitatives. Autrement dit, le projet qu'elle a mené avec Céline Braconnier, Les Inaudibles (Braconnier et Mayer, 2015), est autant un retour aux sources que la traduction d'une volonté de sortir des impasses et des impensés de l'analyse statistique. Dès son travail de thèse sur le monde de la boutique, Nonna Mayer va certes travailler sur des données quantitatives telles que les recensements et les enquêtes Formation qualification 7. L'airelle symbolise la rigueur. 8. Le cymbidium invite au voyage et à la créativité. 9. Pathologie qui consisterait à traduire tous les phénomènes sociaux en langage mathématique.

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professionnelle (FQP), mais surtout mener une campagne d'entretiens non directifs auprès des commerçants de deux rues parisiennes : la rue Saint-Dominique et la rue du Faubourg SaintMartin. Par la suite, son travail donne l'impression trompeuse d'être happé par la mécanique des chiffres. Elle a pourtant dirigé plusieurs thèses qualitatives (notamment celles de Philip Balsiger, Nathalie Fuchs, Camille Hamidi, Florence Johsua, Soline Laplanche-Servigne, etc.). Elle a également critiqué pied à pied le Pierre Bourdieu de La Misère du monde (1993), tout en s'appuyant sur le Pierre Bourdieu du Métier de sociologue (1983), en rappelant la nécessité de la démarche sociologique, celle du rejet de l'imposition de problématique ou la place que doit avoir un enquêteur lors d'un entretien (Mayer, 1995a). Bien sûr, une large partie de ses travaux est inséparable de l'histoire des enquêtes électorales françaises. Nonna Mayer participera comme consultante extérieure en charge des catégories socioprofessionnelles (CSP) et du statut professionnel à la première grande enquête du Cevipof en 1978. Par la suite, comme indiqué plus haut, elle en devient une figure incontournable. Dès l'enquête de 1995 transparaît son souhait de rendre la France comparable. Par la suite, elle participera activement aux panels électoraux français de 2002 et de 2007, puis aux enquêtes TriElec de 2011 et de 2012, portées par un réseau rassemblant le CEE (Sciences Po Paris), le Centre Émile Durkheim (Sciences Po Bordeaux) et Pacte, « Politiques publiques, action politique, territoires » (Sciences Po Grenoble). Nonna Mayer a été une innovatrice en matière de sondages. Cela s'est traduit dès le milieu des années 1990 quand elle a contribué avec Pierre Favre et Olivier Fillieule à structurer les « sondages en manifestations » (Favre, Fillieule et Mayer, 1997). Dans le cadre d'un enseignement assuré conjointement (voir infra), le projet est lancé de conduire, pour la première fois en France et avec une méthodologie innovante, des enquêtes par sondage dans les manifestations de rue. Conçues sur un mode exploratoire, trois enquêtes sont menées, avec le soutien précieux et gracieux de Philippe Méchet et de Jérôme Sainte-Marie, alors respectivement directeur des études politiques et chargé d'études à l'institut d'études Louis Harris. À l'occasion d'une des manifestations – contre le racisme et l'extrême droite –, une dizaine de participants et de participantes sont recrutés pour un entretien de groupe permettant d'explorer leurs motivations

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et leurs perceptions de la manifestation. La fortune critique de cet article sera conséquente, puisque la méthodologie exposée sera reprise, d'abord par des collègues belges avant de se généraliser dans le petit monde des « social movement scholars » (Fillieule et Blanchard, 2010). Nonna Mayer a été la cheville ouvrière du tournant expérimental dans la survey research française. Non seulement elle a convaincu Paul Sniderman de venir en France en 1998, mais elle a su aussi l'entraîner avec Gérard Grunberg dans l'aventure de l'enquête « Démocratie » en 2000 qui vise à tester de manière expérimentale la façon dont les citoyens raisonnent en France. Elle a ainsi lancé des expérimentations de contre-argumentations, de variations d'énoncés ou l'expérience dite de la pommade, dans laquelle l'enquêteur propose à la personne interrogée des informations, des arguments, tente de la faire changer d'avis soit par la contradiction, soit par la persuasion, ce qui permet de mieux comprendre les interactions entre enquêteurs et enquêtés, mais aussi de montrer une relative stabilité des opinions des personnes interrogées (Grunberg, Mayer et Sniderman, 2002). Cette approche expérimentale sera particulièrement utile dans son travail sur les préjugés et son activité de chercheuse associée au baromètre « racisme et antisémitisme » de la CNCDH ou dans le groupe européen qui a mené l'enquête comparative « Group-focused Enmity » sur les préjugés et les discriminations. Nonna Mayer est une utilisatrice éclairée de l'outil sondage et connaît notamment ses défauts : elle se méfie des répondants fantômes et donc des biais de représentation, elle ne prend pas les chiffres au pied de la lettre, préférant recourir très tôt aux échelles d'attitude. L'un des chantiers qui lui reste à mener à terme est celui de l'écoute et de l'analyse d'une centaine d'enregistrements d'interviews de sondage effectués lors de l'enquête « Démocratie ». Lectrice assidue et pédagogue forcenée des travaux internationaux sur ces questions, elle a lu, très tôt, et intégré les travaux de Zaller et Feldman (Zaller, 1992 ; Zaller et Feldman, 1992), mais aussi ceux de Fishkin et Luskin (Fiskin et Luskin, 2005), allant jusqu'à mobiliser la technique du sondage délibératif « au secours de la démocratie » (Mayer, 1997a). Par la suite, elle a maintenu un dialogue constant notamment avec les psychologues du politique et les psychosociologues, mais aussi les géographes. Cette ouverture méthodologique est particulièrement visible dans son manuel de 2010 qui reste l'un des rares ouvrages qui mobilise et rend

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justice à l'immense entreprise collective qu'est la sociologie des comportements politiques.

Contestation : glaïeuls 10 et hibiscus 11 Dès ses tout premiers travaux, Nonna Mayer a marqué son intérêt pour une sociologie des comportements politiques qui, aux modalités les plus conventionnelles de la participation, associe des formes d'expression longtemps dites « non conventionnelles », comme la manifestation, les pétitions ou les violences contre les biens et les personnes. Recrutée en 1974 au CNRS, elle entame ainsi une thèse de doctorat sur la réaction politique des petits commerçants à la réforme de l'assurance maladie et au développement des grandes surfaces, avec en toile de fond la mobilisation antifiscale portée par le CIDUnati de Gérard Nicoud (Grunberg, Lavau et Mayer, 1983 ; Mayer, 1986b). Un tel objet d'étude ne pouvait qu'inciter au doute concernant la validité des définitions normatives et légitimistes alors prévalentes de la participation politique et pousser Nonna Mayer à se montrer particulièrement réceptive aux travaux alors pionniers de Samuel Barnes et de Max Kaase. Ces derniers, dans Political Action (1979), notaient la routinisation des modes d'action collective initiés par le mouvement ouvrier (grève, manifestation de rue, occupation de locaux) et leur diffusion au sein des classes moyennes, ainsi que leur complémentarité avec les modes d'action « conventionnels » comme le vote. Nonna Mayer fait d'ailleurs partie de celles et ceux qui en 1988 introduisent pour la première fois en France des mesures du potentiel protestataire dans les grandes enquêtes du Cevipof. Conduites jusqu'en 2002, ces enquêtes menées auprès d'échantillons nationaux représentatifs de la population électorale vont poser régulièrement une batterie de questions sur les moyens d'action envisagés pour défendre ses opinions ou ses revendications. Nonna Mayer en tire une série d'analyses sur le potentiel protestataire, plus fort en France que dans les autres pays européens, et sur la place particulière du recours à la manifestation de rue dans la panoplie des modes d'action (Mayer, 2004a, 2009, 10. Fier et conquérant. 11. L'hibiscus lance une invitation qu'on ne peut refuser.

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2013). Aussi bien, la réitération des mêmes questions d'une enquête à l'autre lui permet de montrer, à partir d'une analyse par cohorte, comment la croissance du potentiel manifestant est guidée par une dynamique générationnelle, renouant ainsi le fil avec un autre intérêt de recherche porté par l'une de ses égéries, Annick Percheron, à savoir la question de la socialisation politique des enfants et des adolescents (Percheron, 1993). La somme de ces efforts pour penser ensemble ce que la sociologie classique séparait débouche en 1992 sur la rédaction d'un manuel avec Pascal Perrineau, ouvrage qui entend dresser un panorama de toutes les formes de comportement politique, des plus aux moins légitimes (Mayer et Perrineau, 1992) ; entreprise poursuivie seule avec une version très augmentée et autrement plus complète en 2010, qui témoigne du caractère multiforme et pluricausal de la participation politique et de la variété des modèles visant à en rendre compte. L'investissement de Nonna Mayer dans le champ des mouvements sociaux va prendre de l'ampleur au début des années 1990 sous l'effet d'une conjonction de facteurs. D'abord, dans le champ académique, la sociologie des mobilisations qui traversait une période d'atonie renaît autour de la discussion des travaux anglosaxons (Mann, 1991 ; Chazel, 1992 ; Fillieule et Péchu, 1993). Nonna Mayer y contribue par plusieurs comptes-rendus critiques (Mayer, 1990, 1992). Plusieurs thèses commencent également, hébergées pour une part au Cevipof, ce qui contribue à une certaine émulation soutenue par le lancement de nouveaux enseignements au sein du troisième cycle de Sciences Po, avec Pierre Favre et Olivier Fillieule, puis du premier et du second cycle 12. Ensuite, la montée en puissance du Front national suscite en retour une contre-mobilisation liée en partie à la profanation du carré juif de Carpentras (1990), à laquelle Nonna Mayer va très vite s'intéresser via une réflexion, alors peu fréquente, posée en termes de contre-mouvement. Elle étudie les cycles de manifestations anti-FN en s'appuyant sur la presse et explore des organisations comme Ras l'Front, Scalp, le Manifeste de Cambadélis via des entretiens et des questionnaires auto-administrés (Mayer, 1994, 1995b, 1996, 1997b, 1997c, 2004b). À ce travail, elle associe des étudiants et des étudiantes motivés dont elle rassemblera les 12. « Les mouvements sociaux », séminaire de troisième cycle avec Pierre Favre et Olivier Fillieule en 1993-1994, puis « Action collective et mouvements sociaux : la mobilisation anti-FN », certificat de spécialisation en second cycle.

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meilleurs travaux dans un Cahier du Cevipof (Mayer, 1995c). Là encore, il est notable que Nonna Mayer continue d'associer exploration des formes institutionnelles d'expression politique, comme le vote Front national, et des formes de participation protestataires qu'elles suscitent, de même qu'elle ne sépare pas sociologie des partis politiques, des syndicats et des associations et sociologie des mouvements sociaux. C'est son appétit contagieux pour la recherche et son refus de cloisonner les sous-champs de la discipline, ajoutés à son goût pour la formation des jeunes générations, qui la poussent en 1994 à créer avec Olivier Fillieule le Groupe d'étude et de recherche sur le militantisme moral (Germm). Conçu à ses débuts comme un petit groupe informel de doctorant(e)s soutenu par une chercheuse confirmée qui leur apporte à la fois un appui logistique – le groupe se retrouve au 10 rue de La Chaise, dans la petite salle de réunion située au sous-sol du Cevipof – et son expérience et son goût du collectif, le Germm va fonctionner pendant deux ans de manière très horizontale, sans que les différences d'avancée dans la carrière ou les rattachements institutionnels ne revêtent jamais la moindre importance. Pour ce groupe, il s'agit d'abord de fédérer les recherches sur les militantismes contemporains, autour de grandes causes telles que l'antiracisme, la lutte contre le sida, l'humanitaire, la défense des Droits de l'homme, la défense de l'environnement, etc. Les militants étudiés sont ceux de la lutte contre le sida, Act Up, Aides (François Bourneau, Christophe Broqua, Olivier Fillieule, Isabelle Coulon), de la Ligue des Droits de l'homme ou LDH (Éric Agrikoliansky), de la Fédération des associations de solidarité avec tous(tes) les immigré(e)s ou Fasti (Johanna Siméant), de SOS Racisme (Philippe Juhem), du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples ou MRAP (Johanna Siméant et Philippe Juhem), de Ras l'Front et du Manifeste contre le Front national (Nonna Mayer, Diane Martin, Isabelle Coulon), du Comité inter-mouvements auprès des évacués-Service œcuménique d'entraide (la Cimade) et de France Terre d'Asile (JeanPierre Masse), du Groupement d'information et de soutien des immigrés ou Gisti (Marie-Hélène Lechien), des mouvements de défense des mal-logés (Cécile Péchu), de Solidarité enfants sida ou Solensi (Marie-Hélène Lechien) et des mouvements pro et antiavortement (Fiametta Venner), avec comme objectif de constituer, à partir de questionnaires en partie identiques, une base de

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Introduction

données sociographiques comparées. D'autre part, le Germm se veut un lieu de confrontation des recherches menées sur le militantisme, autour d'un conférencier venu exposer ses travaux (Luc Boltanski, Michel Offerlé, Alain Caillé, Jacques Ion, JanWillem Duyvendak, Marco Giugni et Florence Passy, ou encore Bernard Lahire seront parmi les premières personnes invitées). Et de fait, plusieurs thèses soutenues entre 1994 et les années 2000 bénéficieront de ce travail et de cette réflexion collectifs. Fort de son succès et de sa réputation grandissante, le Germm va se transformer en groupe de recherche de l'Association française de science politique et changer le sens de son acronyme pour devenir le Groupe d'étude et de recherche sur les mutations du militantisme. Pendant quinze ans, le collectif, dont Éric Agrikoliansky devient co-animateur en 2005, sera un lieu central de débat et de production autour de la sociologie des mouvements sociaux en France. On ne détaillera pas l'ensemble de ses activités, régulières et nombreuses, pour s'en tenir à quelques faits utiles pour comprendre la spécificité de la contribution de Nonna Mayer à ce sous-champ de la discipline 13. Le Germm se lance, d'abord, dans des enquêtes collectives, soit sur sollicitation (par exemple, une recherche menée à partir d'histoires de vie sur les militants des sections locales de la LDH, à Grenoble, Lille et Paris en vue d'une publication à l'occasion de la commémoration du centenaire de la LDH en 1998 (dans Fillieule, Mayer et Strudel, 1998), soit en réponse à des appels d'offres, comme en 1998 le contrat « Produire des solidarités, la part des associations », coordonné par Nonna Mayer, sur le thème « Dynamique de l'engagement et élargissement des solidarités ». Trois types d'associations sont étudiés : deux associations nationales de lutte contre le sida (Act Up et Aides, par Christophe Broqua et Olivier Fillieule), des associations locales de femmes immigrées (Camille Hamidi) et deux organisations humanitaires, Les Restaurants du cœur et Amnesty international section française (Sophie Duchesne). En sortiront plusieurs ouvrages, thèses et articles (Mayer, 2000, 2003b ; Mayer et Hamidi, 2001 ; Duchesne, Hamidi, 2001 ; Duchesne, 2003 ; Broqua, 2006 ; Hamidi, 2010). Cette enquête sera l'occasion pour Nonna Mayer de contribuer à l'importation et à la discussion critique en France 13. Pour une recension quasi exhaustive des activités du groupe entre 2003 et 2009, voir : http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/germm/germm.html

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des travaux de Robert Putnam sur le capital social et la confiance (Putnam, 2000) et de montrer que le rôle civique et politique des associations, s'il est réel, ne doit pourtant pas être surestimé (Mayer, 2002a, 2002b). Par ailleurs, deux projets importants de colloque et de publication émaneront de cette enquête, autour d'un intérêt grandissant pour la dimension longitudinale et processuelle de l'engagement, insuffisamment prise en compte dans la sociologie classique du militantisme, par ailleurs alors plutôt moribonde 14. C'est ce que l'on appelle aujourd'hui, par facilité de langage, la sociologie des carrières militantes, au sens où l'entendent Anselm Strauss ou Howard Becker (sur ce point, voir dans le présent ouvrage l'analyse d'Éric Agrikoliansky). Le premier projet dans cette direction prendra la forme d'une journée d'étude à Paris consacrée au « Désengagement militant » (8 juin 2001) qui sera l'occasion d'une première mise en discussion de la notion de carrière et, plus généralement, de la valeur heuristique de l'interactionnisme symbolique, alors encore méconnu et surtout mal compris par la plupart des politistes se réclamant de la sociologie bourdieusienne (Fillieule, 2005). Le second projet se traduira par un numéro spécial de la Revue française de science politique, intitulé « Devenirs militants » et qui rassemble, à la fois, des contributions illustrant les vertus d'une approche processuelle du militantisme et un post-scriptum programmatique reprenant et développant les éléments discutés au Germm autour des questions de méthode (notamment l'articulation entre données quantitatives et qualitatives) comme de la conception interactionniste des carrières militantes (Fillieule et Mayer, 2001). Durant les années 2000, avec l'émergence et le développement des mobilisations altermondialistes, le Germm se mobilise à nouveau et organise, en association avec l'AFSP, le Centre universitaire de recherches sur l'action publique et le politique (Curapp), le Cevipof et le Centre de recherche politique de la Sorbonne (CRPS), le premier colloque international consacré à l'altermondialisme (décembre 2003). Plusieurs publications en 14. Ce, en raison de la domination d'une approche par les organisations pour penser le militantisme. Ainsi, les enquêtes par questionnaire menées durant les années 1970 par François Platone et Françoise Subileau ou encore par Jacques Derville et Maurice Croisat auprès des militants communistes visaient moins à comprendre les logiques de l'engagement partisan qu'à mesurer l'efficacité dont pouvait faire preuve le Parti communiste pour « tenir les rangs ».

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Introduction

sont issues, avec deux dossiers de revue (Agrikoliansky, Fillieule et Mayer, 2004 ; Mayer et Siméant, 2004) et un ouvrage collectif centré sur la généalogie du mouvement qui en retrace les filiations, bien avant la naissance d'Attac, au confluent d'un militantisme de gauche d'inspiration marxiste et chrétien à coloration tiers-mondiste (Agrikoliansky, Fillieule et Mayer, 2005). Ce dernier ouvrage analyse les recompositions du champ syndical et associatif qui ont permis l'apparition de ce mouvement et replace le cas français dans une perspective comparative et transnationale, montrant comment les idées, les savoir-faire et les militants passent les frontières, mais aussi comment le « local » s'articule ici étroitement avec le « global » et comment chaque mouvement a, selon les pays, une configuration et des priorités différentes. Durant ces mêmes années 2000, Nonna Mayer s'intéresse également aux apports de la psychosociologie à la compréhension des comportements et des attitudes politiques. Dans le domaine des mouvements sociaux, cela va se traduire par le lancement avec Bert Klandermans, avec qui elle commence à collaborer sur les militants d'extrême-droite (Klandermans et Mayer, 2001), d'une enquête comparative appuyée sur des histoires de vie de militants des principaux partis d'extrême droite en France, en Belgique, aux Pays Bas, en Italie et en Allemagne. À partir d'une perspective longitudinale et interdisciplinaire, l'étude établit dans quelle mesure il y a continuité idéologique, géographique, familiale et militante entre les mouvements d'extrême droite contemporains et ceux qui les ont précédés, à commencer par ceux des années 1930. Le chapitre de conclusion souligne à la fois le côté « ordinaire » de ces militants, la différence nette entre militants et électeurs (moins « racistes », plus « nationalistes ») et le rôle fondamental pour la construction de leur identité de la stigmatisation dont ils font l'objet ainsi que les stratégies mises en œuvre pour la gérer, différentes selon les trajectoires d'entrée dans le mouvement (Klandermans et Mayer, 2005, 2006). Lorsqu'en 2009 le Germm s'auto-dissout, après plus de quinze ans d'activités en faveur de la promotion de la sociologie des mouvements sociaux et du militantisme, désormais bien établie dans le champ de la science politique et de la sociologie françaises, Nonna Mayer poursuit son engagement en déployant des efforts en faveur du développement des discussions entre chercheurs américains, européens et français, via ses

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enseignements, mais surtout au travers de son rôle aux Presses de Sciences Po où elle devient co-responsable avec Edmond Préceteille du domaine « Sociétés en mouvement » en 2004. Elle y fait paraître une traduction de l'ouvrage Politiques du conflit de Sidney Tarrow et de Charles Tilly (2008), après avoir soutenu la publication par Olivier Fillieule et Donatella Della Porta d'un ouvrage comparé sur le maintien de l'ordre (2006). Au-delà, elle publie régulièrement des ouvrages dans le domaine des mouvements sociaux comme ceux de Christophe Broqua sur Act Up (2006), d'Emmanuelle Le Texier sur le rapport à la politique dans les barrios latinos aux États-Unis (2006) ou d'Olivier Fillieule et de Patricia Roux sur Le Sexe du militantisme (2009), etc. Mais surtout, elle lance en 2008 une petite collection de vulgarisation scientifique, « Contester », forte aujourd'hui d'une douzaine de titres et dont certains ont été, avec le soutien amical de James Jasper, traduits en anglais d'abord par les éditions Fernwood au Canada, puis par l'Amsterdam University Press aux Pays-Bas. Nonna Mayer a été un maillon essentiel dans l'émergence et l'essor pris par la sociologie des mouvements sociaux en France. Elle a, avec quelques autres de ses contemporains, à Science Po et ailleurs, joué un rôle moteur dans le lancement de plusieurs grands chantiers de recherche et a toujours eu à cœur de promouvoir les jeunes générations, comme en témoigne son engagement dans la fabrique des thèses (six thèses dirigées et quinze participations à des jurys dans le domaine). Nous avons évoqué ici l'œuvre que Nonna Mayer a bâtie et qu'elle va continuer à bâtir au cours des années à venir. Mais il faut aussi rappeler combien elle a marqué la discipline en tant qu'actrice centrale de sa transformation. Tout au long de sa carrière, Nonna Mayer a participé à la reconnaissance des sciences sociales en général et de la science politique en particulier, avec ce sens du collectif qui fait tellement défaut à notre communauté. Elle a aussi tenté de faire vivre une conception plurielle et ouverte de la discipline, avec comme exigence la qualité scientifique et le respect, quels que soient les écoles, les sous-champs et les méthodes. Première femme à occuper le poste de présidente de l'Association française de science politique (AFSP), elle a inlassablement cultivé le jardin de la science politique « à la française » afin de l'ouvrir au monde. En cela, nous mesurons la vanité du livre que l'on va lire, tant il est difficile de trouver l'expression

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adéquate pour célébrer l'œuvre d'une collègue respectée et d'une amie précieuse. En vain pour vous ce bouquet je compose, En vain pour vous ma Déesse il est fait : Vostre beauté est bouquet du bouquet, La fleur des fleurs, la rose de la rose Pierre Ronsard, Second Livre des amours (1556)

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ÉLECTIONS

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Première partie

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Chapitre 1

L'abstention et la participation électorales Céline Braconnier

L

es données publiques qui rendent compte, à l'issue de chaque scrutin, du nombre de participants ne laissent planer aucun doute : la hausse de l'abstention constitue bien l'une des évolutions politiques majeures des grandes démocraties occidentales au cours des trois dernières décennies. Pour nombre d'élections et dans nombre de pays, les citoyens qui ne votent pas alors qu'ils seraient en droit de le faire sont désormais plus nombreux que ceux qui votent. Ce basculement dans un cycle de basse mobilisation se produit selon des calendriers et des rythmes variés en fonction des pays ; son ampleur varie également ; mais il les affecte quasiment tous (Delwit, 2011). Dans ce contexte, l'analyse de la participation électorale connaît un fort renouvellement. D'une part, parce qu'en ôtant au vote son évidence, l'abstention l'a également consacré comme processus et comme énigme (Offerlé, 1993). En quelques années, la proportion de travaux interrogeant les facteurs, les mécanismes et les modalités de la participation a décuplé par rapport à celle des analyses portant sur les orientations électorales, traditionnellement plus nombreuses. D'autre part, parce que cette évolution s'est accompagnée d'une importante diversification des approches, des outils et des méthodes investies pour analyser la participation conventionnelle. Alors qu'on aurait été bien en peine voilà encore une quinzaine d'années d'identifier des modèles explicatifs de la participation électorale, comme on en proposait pour les choix (Mayer, 2007), on est désormais en mesure de montrer l'apport de

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différentes traditions d'analyse à la compréhension de la participation et de l'abstention électorales. En outre, pour percer le mystère du vote et du non-vote, l'appel aux investigations en profondeur par le biais d'approches qualitatives se diffuse aujourd'hui largement, y compris depuis l'Amérique du Nord (Blais, 2000).

Les approches centrées sur les facteurs politiques Un premier type de travaux s'inscrit dans la tradition de l'économie politique du vote, ou la prolonge en la renouvelant. La théorie de l'électeur rationnel, d'abord énoncée par Anthony Downs, en constitue le socle commun qui a installé l'offre politique au cœur de l'analyse électorale (Downs, 1957).

La figure de l'abstentionniste rationnel Faite d'ajustement entre des attentes citoyennes et les programmes des candidats, la relation électorale ressemble ici à celle du consommateur de biens matériels sur un marché. L'électeur cherchant à maximiser son profit est crédité d'une compréhension claire des offres en concurrence et d'une volonté de voir consacrer certaines valeurs ou de voir mettre en œuvre certaines politiques publiques de préférence à d'autres. Même si elle n'est pas forcément motivée idéologiquement – l'intérêt poursuivi dans le choix électoral peut être purement matériel, par exemple, quand il est lié à la volonté de se prémunir à titre personnel contre de probables augmentations fiscales –, la participation au scrutin se comprend alors en référence à l'offre et à ses caractéristiques. Aussi l'abstention est-elle, par postulat, également appréhendée dans la relation qu'on lui prête aux programmes des candidats. En mesure de rejeter l'offre ou ceux qui la portent, les abstentionnistes de cette théorie en ont acquis une connaissance suffisante en cours de campagne. Mais ils peuvent aussi adhérer à un programme et donc chercher à peser sur le résultat tout en s'évitant le coût d'un déplacement aux urnes, incitant les autres à voter comme ils auraient pu le faire eux-mêmes (Fowler, 2005). In fine, dans le cadre d'interprétation fourni par la théorie de l'électeur rationnel, participation et abstention se recouvrent donc complètement, la relation première et essentielle à l'offre pouvant se prolonger indifféremment dans des pratiques de vote ou d'abstention qui sont mises au service des mêmes fins par ceux qui les adoptent.

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L'abstention et la participation électorales

Cette figure de l'électeur et de l'abstentionniste rationnels est construite à partir de postulats dont la validité n'a jamais vraiment été démontrée empiriquement. Son irréalisme a de nombreuses fois été dénoncé, surtout depuis l'Europe (Green et Shapiro, 1985 ; Lehingue, 2007 ; Blondiaux, 1996), même si l'on a pu récemment lui reconnaître la vertu d'inciter à enquêter sur tout ce qui, dans le comportement de participation, échappe précisément au calcul (Blais, 2000). Les premières grandes études américaines remettant en cause l'universalité et l'intensité du suivi de campagne par les citoyens étaient déjà en mesure de fragiliser cette figure. Dès le début des années 1960, elles établissaient que seule une minorité de citoyens dispose d'une connaissance suffisamment fine de l'offre électorale proposée pour que celle-ci puisse être retenue comme facteur explicatif essentiel de leur participation, privilégiant par contraste les indicateurs d'attitudes, comme le niveau d'intérêt pour la politique, la croyance en l'utilité du vote ou encore le sentiment que voter constitue un devoir (Campbell, Converse, Miller et Stokes, 1960). Ces attitudes continuent aujourd'hui de jouer un rôle majeur (Lewis-Beck, Norpoth, Jacoby et Weisberg, 2008 ; Stimson, Thiébaut et Tiberj, 2013), d'autant plus important à souligner qu'à l'inverse d'autres facteurs de la participation, leur distribution dans l'espace social ne semble pas cumulative. Ainsi la surreprésentation des personnes âgées dans les urnes devrait-elle beaucoup au sentiment de culpabilité associé à l'abstention (Tiberj, 2013, 2016). La sous-représentation des jeunes serait, quant à elle, liée à une conception utilitariste de la participation politique, couplée à une défiance marquée vis‑àvis des élus à laquelle la démocratisation scolaire ne serait pas étrangère (Muxel, 1996). Certains travaux émanant de la psychologie cognitive montrent aussi que les attitudes qui comptent pour expliquer le vote ne seraient pas seulement celles observées dans la relation établie à la sphère publique institutionnelle, mais relèveraient également de dispositions psychologiques plus structurelles : les timides seraient ainsi plus portés à se tenir en retrait des urnes que les citoyens les plus extravertis (Denny et Doyle, 2008). À la condition de l'élargir au profil des candidats cependant, on retrouve la centralité de l'offre. Nombre d'études américaines établissent, par exemple, que l'identification aux caractéristiques ethniques stimule le vote des minorités et donc, la participation de populations issues de l'immigration par ailleurs plutôt prédisposées à rester en retrait (Ulhaner, Cain et Kiewiet, 1989 ; Shaw,

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de la Garza et Lee, 2000 ; Gay, 2001 ; Mangum, 2003 ; Stokes, 2003 ; Heron et Sekhon, 2005). La démonstration a été faite également de l'importance de cette identité commune à tous les stades du processus électoral et pour tous ses acteurs : un bénévole associatif latino a ainsi plus de chances de parvenir à entraîner un citoyen latino vers les urnes dans le cadre d'une campagne de mobilisation civique non partisane qu'un bénévole d'une autre origine (Michelson, 2003, 2006). En France, également, ce facteur peut jouer un rôle, même quand les candidats eux-mêmes refusent explicitement et par prévention toute forme d'assignation communautaire (Braconnier et Dormagen, 2010 ; Tiberj, 2014). On regrettera d'autant plus que cet intérêt porté à l'identité des élus et des électeurs n'ait pas vraiment d'équivalent en matière d'analyse de leur identité sociale ou socio-professionnelle. Si l'on peut par hypothèse imputer aux origines sociales et aux trajectoires scolaires de plus en plus homogènes des candidats le sentiment d'éloignement renforcé qu'éprouvent nombre d'électeurs des milieux populaires face aux professionnels de la politique (Lehingue, 2011), les études manquent qui permettraient d'établir un lien avec le niveau de participation électorale (MacDermott, 2005).

L'importance du « climat électoral » En s'éloignant des individus et de leurs raisons pour tenir compte et de leurs affects et des environnements qui participent de leur production, en adoptant une approche de long terme associant plusieurs séquences électorales également, on observe que les facteurs politiques de la participation sont d'une grande variété. On propose d'appeler « climat électoral » 1 l'ensemble des facteurs environnementaux qui peuvent contribuer à alimenter la perception qu'un citoyen a du monde dans lequel il vit et de sa place dans ce monde à l'occasion d'un scrutin donné ; et, partant, qui peuvent stimuler ou freiner sa participation. L'analyse écologique de la participation, en prenant en compte la répartition géographique des électorats, a permis d'énoncer l'hypothèse d'une sorte d'abstention-sanction dont sont victimes les candidats du parti au pouvoir dans les conjonctures de crise. Quand, pour les élections intermédiaires, le non-vote est systématiquement plus fort là où sont concentrés les électeurs du parti ou de la coalition de gouvernement, l'hypothèse d'un électorat déçu, 1. Par référence au « climat de classe » auquel se réfèrent les sociologues de l'éducation.

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L'abstention et la participation électorales

et donc plus difficile à mobiliser en l'absence d'une campagne de suffisamment forte intensité, paraît plausible. Le même processus a été identifié comme facteur de l'alternance politique à l'échelon national. Il confirme que, quels que soient les programmes soumis aux choix des électeurs, les conjonctures économiques – en l'occurrence les conjonctures de crise – ne sont pas sans conséquence sur les comportements électoraux (Stevens, 2007). La compréhension des mécanismes par lesquels les individus prennent en compte leur environnement reste néanmoins à affiner. Les chercheurs qui postulent la rationalité de l'électeur, l'imaginent établissant un bilan des politiques publiques mises en œuvre et agissant en conséquence. Les enquêtes empiriques qui interrogent le lien entre le niveau de connaissance citoyen des politiques publiques et la propension à voter montrent cependant combien cette image est irréaliste (Delli Carpini et Keeter, 1996). En revanche, certains travaux prennent en compte la perception que les citoyens entretiennent des inégalités et la façon dont ils inscrivent leur propre situation dans une trajectoire ascendante, descendante ou de stabilité en ayant leurs parents comme point de repère (Morabito et Peugny, 2015). Beaucoup plus que par le détour du bilan gouvernemental – pas plus réaliste in fine que l'analyse de l'offre électorale dès lors que l'on quitte les milieux très intéressés par la politique – ces travaux laissent supposer que les citoyens fragilisés par la crise pourraient imputer aux gouvernants la responsabilité de l'évolution de leur situation survenue en cours de mandat, voire l'absence d'évolution. Ils laissent aussi penser que, dès lors que la succession des partis au pouvoir ne se traduit pas concrètement par des changements positifs dans la vie des individus, l'alternance politique alimente des formes de désillusions et de scepticisme – parfois de défiance – qui peuvent finir par structurer leur rapport au vote et non plus seulement expliquer leur comportement à l'occasion de tel ou tel scrutin. Nombreux sont les travaux qui confirment, encore aujourd'hui, la force des clivages comme moteur de la participation électorale. Constitutive de l'essence même du politique, la conflictualité alimentée par la concurrence entre intérêts antagonistes offre un sens immédiat à la participation citoyenne. Aussi la recomposition contemporaine des clivages partisans, parce qu'elle s'accompagne sinon de la disparition, du moins de l'atténuation du clivage de classe, est–elle souvent comptée au nombre des facteurs environnementaux explicatifs de la démobilisation électorale

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contemporaine (Michelat et Simon, 2004). Éric Oliver montre par exemple comment le niveau de participation électorale dans une grande ville américaine marquée par la ségrégation sociale produit de l'abstention aussi bien dans les territoires délaissés où les citoyens sont peu diplômés et fragiles économiquement que dans les territoires marqués par l'abondance de richesses et de diplômes (Oliver, 2001). En France, les comportements politiques de la bourgeoise conservatrice qu'Éric Agrikolianski, Jérôme Heurtaux et Brigitte Le Grignou étudient dans le 16e arrondissement de Paris peuvent être également interprétés à l'aune de ce climat particulier (Agrikoliansky, Heurtaux et Le Grignou, 2010). Le faible niveau de participation enregistré aux élections municipales, étonnant au regard des ressources cumulées par ces populations dont on peut considérer que leur trajectoire scolaire et sociale les prédispose plutôt à la participation, se comprend pour partie par leur installation dans des territoires où la défense de leurs intérêts de classe, monopolistiques, ne risque aucunement d'être concurrencée par la voix des urnes. La participation massive des jeunes citoyens des quartiers populaires au scrutin présidentiel de 2007 montre également la force toujours très mobilisatrice des clivages activés par la défense explicite d'intérêts non partagés. Défiés par le candidat Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, dans des espaces où le rapport compliqué à l'institution policière tend à structurer les relations que les citoyens entretiennent à la sphère publique (Kepel, 2014), ces jeunes plutôt prédisposés, parce que faiblement diplômés et largement affectés par le chômage, à se tenir en retrait de la politique partisane se sont en masse rendus dans les mairies pour effectuer leur inscription sur les listes électorales et tenter par les urnes de bloquer l'accès du candidat de l'UMP à la présidence de la République. Testant, dans le cadre d'un field experiment organisé à l'occasion d'une élection locale, la capacité d'une intensification médiatique des clivages partisans à mobiliser un électorat habituellement très abstentionniste pour ce type de scrutin, Costas Panagopoulos et Donald Green confirment leur importance. Ils mettent également en évidence le rôle que jouent les medias grand public – en l'occurrence la radio – dans l'activation et la traduction des clivages en des messages susceptibles de mobiliser efficacement les citoyens éloignés de la politique au quotidien (Panagopoulos et Green, 2008). Car la réalité des intérêts économiques antagoniques sur un territoire donné ne suffit pas à faire voter (Solt, 2010). Si les plus

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favorisés continuent de se rendre aux urnes dans des proportions non négligeables en période de crise, les plus faibles cessent en nombre de le faire. Les fortes inégalités qui marquent certains espaces favorisent le retrait des groupes les plus fragiles, tout comme le chômage de masse ou les facteurs de précarité alimentent, aussi bien à l'échelle individuelle qu'à celle des territoires, l'abstention de masse (Lazarsfeld, Jahoda et Zeisel, 1933 ; Rovny, 2014). Aussi les campagnes électorales, nous y reviendrons, acquièrent-elles une importance toute particulière dans la mobilisation des groupes les plus affectés par la crise.

Le texte caché de l'abstention ? Si une majorité de citoyens, dans les grandes démocraties occidentales, déclarent aujourd'hui éprouver peu d'intérêt pour la politique et manifestent des doutes sur la capacité des élus à améliorer leur vie, une majorité continue malgré tout de voter de temps en temps (Héran, 2003). Le lien entre attitudes politiques et pratiques de vote est donc de plus en plus questionné. D'une part, l'intérêt déclaré assorti d'un suivi effectif de la campagne et d'une compréhension a minima des débats et des enjeux du scrutin alimentent bien encore la participation électorale (Verba et Norman, 1972 ; Delli Carpini et Keeter, 1996). Mais, d'autre part, on sait aussi, notamment grâce aux apports de la socio-histoire et de l'ethnographie du vote, que le déplacement vers les urnes peut ne pas être investi politiquement. La culpabilité de s'abstenir dans une société où domine encore la norme participationniste, l'entraînement au vote par l'entourage, voire la pression qu'il peut exercer, ou encore l'inscription de la relation électorale dans le cadre d'un échange de type clientéliste constituent autant de potentiels facteurs explicatifs du vote (Offerlé, 2007 ; Garrigou, 2002). Quand nombre de déplacements aux urnes ne peuvent être appréhendés comme des soutiens aux programmes portés par les candidats dont les bulletins sont pourtant choisis dans l'isoloir, il est a fortiori contestable de prêter sans plus de précautions au nonvote la capacité de porter un message sur l'offre. L'expression parfois utilisée de « parti des abstentionnistes » est pour cette raison particulièrement inadaptée dès lors qu'elle laisse penser que les citoyens demeurant en retrait des urnes le feraient par choix, pour des raisons partagées qui les pousseraient à opter en faveur du silence comme moyen de dire un rejet des programmes, des candidats ou, plus généralement, des professionnels de la politique.

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Les électeurs d'un candidat ne constituant un électorat que du point de vue de l'élu et du parti dont il porte les couleurs, cette expression est déjà impropre à rendre compte de la grande diversité des raisons qui peuvent expliquer un même choix électoral (Lehingue, 2003). Elle l'est plus encore à rendre compte des comportements abstentionnistes. L'analyse scientifique de l'abstention n'en est pas pour autant simple à mener, car elle suppose de mettre à distance le sens que les acteurs eux-mêmes lui confèrent explicitement quand on les interroge. Nombreux sont en effet les abstentionnistes qui, mis dans la position de justifier leur comportement par la situation d'enquête, déclarent faire le choix raisonné de ne pas se déplacer. Expliquer qu'on ne vote pas car « l'un ou l'autre, ce sera pareil », ou encore parce que « ça ne sert à rien de voter » rend le retrait électoral compatible avec la norme participationniste en imputant aux candidats la responsabilité ultime du comportement adopté. C'est la raison pour laquelle certains chercheurs, prenant appui sur ces déclarations, établissent un lien entre démocratisation scolaire et hausse de l'abstention. William Schonfeld, Marie-France Toinet et Françoise Subileau voient ainsi dans la démobilisation électorale américaine enregistrée au cours des années 1970 un indicateur de maturité politique associée à une forme de résistance aux injonctions partisanes (Schonfeld et Toinet, 1975 ; Subileau et Toinet, 1993). Anne Muxel prolonge cette analyse, imputant la hausse de l'abstention enregistrée en France lors de la présidentielle de 2002 à un usage stratégique et politique du retrait des urnes qui aurait été cette année-là, si l'on se fie aux données du sondage électoral produit par le Cevipof, aussi fort dans les milieux sociaux les plus éduqués que dans les milieux populaires (Muxel, 2007, 2008). Anne Jadot met en lumière, quant à elle, le choix raisonné que feraient les citoyens de ne se déplacer qu'à l'occasion des scrutins qui comptent pour eux (Jadot, 2006). Ces travaux trouvent des échos dans ceux menés par certains sociologues de l'éducation, qui établissent que l'efficacité des cours d'instruction civique, mesurée au niveau de connaissances acquises sur les institutions, a pour corollaire une plus grande distance critique à leur égard, particulièrement marquée chez les enfants des milieux populaires (Jennings, 1974 ; Percheron, 1993). Mais cette thèse a beau fournir un début d'explication plausible à l'abstention particulièrement marquée des jeunes pourtant plus éduqués que les générations précédentes, elle gagnerait à être articulée à des

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L'abstention et la participation électorales

enquêtes approfondies pour convaincre. Car, si rien n'interdit de penser que l'abstention puisse constituer un texte caché à la James Scott – une forme de résistance fomentée dans les coulisses de l'ordre électoral –, encore faudrait-il étayer scientifiquement cette thèse en prenant appui sur des données susceptibles de fonder une compréhension approfondie de ce que s'abstenir peut vouloir dire (Scott, 1990). À ce jour, les enquêtes mettant en scène des abstentionnistes porteurs d'un message politique font défaut, contrairement à celles établissant un lien entre colère et vote effectif (Radcliff, 1994 ; Mughan et Dean, 2002 ; Weber 2013). On est donc fondé à penser que les raisons en forme de justification que les citoyens adressent aux enquêteurs pour expliquer leur comportement de retrait, si elles rendent l'abstention socialement acceptable, ne suffisent pour autant pas à expliquer leur comportement. On peut en effet considérer que l'on est, là, face à un artefact dû à l'un des nombreux biais inhérents aux enquêtes par déclaration quand elles cherchent à identifier les ressorts de comportements socialement stigmatisés. On sait depuis longtemps que les citoyens des régimes démocratiques surdéclarent leur participation pour coller à l'image du bon citoyen engagé et concerné par le devenir de sa communauté. La mémoire du vote étant très fragile et ce, d'autant plus que les citoyens sont peu politisés, le décalage peut aussi s'expliquer par la reconstitution involontairement faussée de trajectoires électorales vite oubliées (Clausen, 1968 ; Blair 1975). La méthode du redressement habituellement pratiquée dans l'analyse par sondage se révèle en outre inadaptée dans ce cadre : dès lors que les abstentionnistes sont sous-représentés dans les échantillons et que ceux qui répondent ont toutes les chances de ne pas être représentatifs de la majorité de ceux qui ne se rendent pas aux urnes – soit socialement, soit politiquement –, les données sur lesquelles prendre appui pour opérer les redressements manquent. Il en résulte une vraie difficulté à analyser l'abstention à partir de déclarations, a fortiori à anticiper ses effets sur les rapports de force politiques. Or, à la différence de la plupart des autres comportements politiques, la participation électorale laisse des traces objectives dans des registres officiels rendant possible l'analyse des pratiques effectives. L'usage scientifique de ces données, de plus en plus fréquent à mesure que la hausse de l'abstention la constituait en problème public, a profondément renouvelé sa compréhension. Quand elle prend appui sur des données solides et adopte une perspective

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longitudinale, la sociologie des abstentionnistes révèle de telles permanences dans la sous-représentation de certains groupes que le poids des déterminants sociodémographiques dans le retrait électoral incite à fortement nuancer les explications trop exclusivement politiques de l'abstention.

Les approches par les déterminants sociodémographiques Le niveau de participation électorale ne varie de fait qu'à la marge en fonction de la conjoncture économique et des orientations politiques. Lorsque l'on prend en compte des séquences électorales associant plusieurs scrutins, on est frappé en effet par la sous-représentation pérenne de certains groupes dont les caractéristiques sociodémographiques sont largement convergentes dans les démocraties occidentales. Si l'on choisit de ne pas accorder trop de crédit aux enquêtes électorales américaines qui prétendent établir, depuis quelques années, que les déterminants sociaux de la participation électorale dissimuleraient en réalité des déterminants génétiques (Fowler, Baker et Dawes, 2008), on retiendra que parmi les quelques « ressources phares » de la participation électorale identifiées par Sidney Verba et Norman Nie dès les années 1970 (1972), le niveau de diplôme demeure aujourd'hui celle dont la force explicative est la mieux établie, quels que soient la période historique, le contexte national et le type de scrutin considérés (Sondheimer et Green 2010).

Posséder un diplôme fait voter : la participation par les ressources Souvent corrélé au niveau de revenus, aux CSP ou à l'ampleur du patrimoine, le niveau de diplôme reste surdéterminant dans le rapport à la pratique du vote comme à la politique en général, jusques et y compris dans le cadre des dispositifs alternatifs de démocratie participative (Talpin, 2010 ; Nez, 2013). Posséder un diplôme accroît nettement les chances de voter comme celles de s'intéresser à la politique et de suivre la campagne. Et le niveau de participation tend à augmenter avec celui du diplôme et de son prestige. À l'inverse, les moins diplômés sont systématiquement sous-représentés dans les urnes.

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La compréhension fine du rôle exact joué par l'institution scolaire et universitaire dans cette situation demeure, en revanche, encore à établir. Rien ne permet d'assurer que l'effet-diplôme ne dissimule pas celui des positions sociales héritées dans les systèmes où l'école contribue à la reproduction sociale plutôt qu'à la réduction des inégalités de naissance. Le fait que la démocratisation scolaire – l'école étant obligatoire pour tous jusqu'à un âge proche de celui de la majorité électorale –n'a pas eu pour effet de prédisposer à l'activation de la citoyenneté, alors que cette ambition est constitutive de la formation des États et donc généralisée (Déloye, 1994), tend à indiquer combien la socialisation politique échappe aujourd'hui aux cadres institutionnels dans lesquels se construit l'appartenance aux collectivités nationales (Maurer, 2002 ; Verba, Lehman-Schlozman et Burns 2005 ; Bozec, 2016). Un pan entier de la recherche électorale américaine, qui ne dissimule pas ses ambitions normatives, vise en conséquence à expérimenter des dispositifs dont la mise en œuvre par les pouvoirs publics pourrait faire de l'école un incubateur de la citoyenneté électorale. L'évaluation scientifique de la politique du « Kids Voting » en fournit un exemple parmi d'autres, qui établit à partir d'un échantillon de plusieurs milliers d'enfants suivis pendant une période de dix ans la capacité de programmes associant enseignants, groupes de pairs et familles à stimuler la participation électorale durable – au-delà du premier vote – des jeunes adultes, les résultats étant particulièrement probants au sein des milieux populaires très éloignés de la politique institutionnelle. L'école fait voter quand elle prend le « risque » de s'ouvrir sur son environnement, ce qui passe par l'organisation de débats politiques en classe qui soient en prise directe avec les enjeux des scrutins ayant cours en dehors ; par l'apprentissage du débat argumenté, donc celui du recueil et du contrôle critique des données diffusées par les médias et les sondages ; par l'apprentissage de l'écoute. Cela suppose l'acquisition d'une confiance en soi suffisante pour résister aux arguments d'autorité. Cela passe enfin par une prise de rôle en tant que mobilisateurs, les enfants animant des campagnes de mobilisation civique à destination des adultes (McDevitt et Kiousis, 2006).

Jeunes et loin des urnes L'âge constitue également un déterminant du vote dont on observe la constance quel que soit le contexte électoral.

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Aujourd'hui comme hier, les « quadras » votent plus que les jeunes adultes et moins que les quinquagénaires, alors que la courbe de participation commence à s'inverser à partir de l'âge de 70 ans quand la retraite, la maladie, l'isolement peuvent cumuler leurs effets pour expliquer une moindre mobilisation. Prolongeant d'autres formes d'intégration sociale, au premier rang desquelles figurent l'intégration professionnelle et la vie de couple, la participation électorale varie ainsi avec le cycle de vie et les grands événements qui lui sont associés. Le chômage de masse qui a eu pour effet à la fois de retarder l'âge du premier emploi et de diminuer la proportion d'emplois stables accessibles aux jeunes a aussi fait reculer l'âge à partir duquel se produit l'intégration électorale, plus tardif que durant les années 1960 (Lancelot, 1968). L'évolution des structures familiales, notamment la hausse sensible du nombre de jeunes parents isolés – des mères très majoritairement –, fait également obstacle à cette intégration politique (Alex-Assensoh, 1998). À l'inverse, il est désormais établi que le renouvellement générationnel dans les familles marquées par une trajectoire migratoire neutralise le différentiel initial de participation avec les populations natives (Santoro et Segura, 2011). Des recherches en cours tendent à montrer que la forte abstention des jeunes, observable dans la plupart des démocraties occidentales, pourrait également recouvrir un effet de génération, celle de citoyens qui ne se sentent plus coupables ou beaucoup moins que leurs aînés de ne pas se rendre aux urnes. On retrouve là des comportements qui sont rapportés à la fragilisation de l'engagement citoyen par la diffusion de valeurs individualistes et utilitaristes, mais qui questionnent également, pour d'autres auteurs, le rôle de l'école et de la famille comme cellules de base de la socialisation civique, au sein desquelles la transmission d'un certain nombre de valeurs qui cimentaient autrefois la communauté politique s'est enrayée (Putnam 2000 ; Verba, Lehman-Schlozman et Burns 2005). Les approches expérimentales montrent que c'est aussi un espace public où la prise de conscience citoyenne pourrait s'opérer qui fait aujourd'hui défaut. Car si la honte fait voter – on vote davantage quand on sait que son abstention sera rendue publique (Gerber, Green et Larimer 2008) –, la prise de conscience de sa propre trajectoire de participation stimule également le vote – on vote plus quand on réalise s'être abstenu à la dernière élection (Denny et Doyle, 2009). Les rétributions symboliques – et notamment la fierté d'en être – ne sont pas non plus étrangères à la

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mobilisation vers les urnes. Portés par des ambitions normatives assumées, ces travaux n'en permettent pas moins de mieux comprendre ce dont la participation électorale est faite.

Quelles inégalités électorales ? La sous-représentation dans les urnes des jeunes et des populations les moins diplômées – qui sont aussi économiquement les plus fragiles – rend manifeste la production par les démocraties occidentales de fortes inégalités électorales (Verba, Nie et Kim, 1978 ; Verba, Lehman Schlozman et Brady, 1995 ; Wolfinger et Rosenstone, 1980). Et ce d'autant plus que certains travaux établissent également un lien entre le silence de certaines catégories de la population et l'orientation des politiques publiques, lien susceptible d'alimenter un renforcement circulaire de l'exclusion électorale. Peu représentés dans les hémicycles par des élus dont le recrutement se fait selon des logiques ploutocratiques ou socialement sélectives, les milieux populaires et les jeunes verraient d'autant moins leurs intérêts défendus dans l'espace public que la faible part qu'ils prennent à l'élection des candidats est solidement établie. Cela se traduit, par exemple aux États-Unis, les veilles de scrutin, par un canvassing de mobilisation ciblé contournant les zones fortement abstentionnistes où les chances de convaincre un électeur potentiel sont estimées très faibles, les ghettos étant de facto évités (Ihl, 1999 ; Nielsen, 2012). Néanmoins, la mise en œuvre d'approches longitudinales dans le cadre d'analyses menées à l'échelle individuelle conduit à nuancer assez fortement cette thèse de l'exclusion électorale des jeunes et des plus fragiles. En France, l'enquête Participation de l'Insee a bien mis en évidence que nombre de citoyens qui s'abstiennent aux élections législatives, européennes ou municipales et qui sont en effet bien plus jeunes, bien moins diplômés, bien moins aisés que la moyenne des votants, continuent cependant de voter régulièrement lors de l'élection présidentielle. De telle sorte que le « groupe » des abstentionnistes constants n'a en réalité que très peu varié depuis vingt ans, se situant toujours autour de 10 % des inscrits (Héran, 2003). Même si les proportions changent, le phénomène en lui-même n'est pas propre à la France : aux États-Unis, l'élection présidentielle continue de mobiliser une bonne majorité de citoyens (autour de 60 % de la population en âge de voter, contre environ 70 % pour la présidentielle française), alors que les mid-term elections sont désertées ; l'élection législative britannique, qui détermine la nomination du Premier ministre, suscite

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elle aussi une participation d'un niveau honorable. L'évolution contemporaine en matière de participation réside donc plus dans la diffusion de l'intermittence électorale – certaines catégories votant de moins en moins quand d'autres continuent de le faire plus systématiquement – que dans la rupture de ces groupes avec le vote et la politique institutionnelle. Cette découverte emporte d'importantes conséquences sur l'interprétation de l'abstention. Elle rend moins convaincantes encore les explications en termes de rejet du système politique. Car les citoyens qui votent le moins peuvent bien, lorsqu'ils se tiennent à distance des urnes, évoquer leurs doutes, voire la colère que leur inspire le fonctionnement de la vie politique, il n'en demeure pas moins que cette perception inscrite au rang des attitudes qui perdurent (Michelat et Simon, 1985) ne les empêche nullement de faire entendre leur voix par le biais des urnes à l'occasion de l'élection présidentielle. En outre, ces données sont cohérentes avec les enquêtes qui établissent régulièrement l'attachement porté par les citoyens des grandes démocraties occidentales à l'institution électorale – attachement paradoxal si l'on se borne à le confronter aux données de l'abstention mesurée sans tenir compte de la distinction par type de scrutins. En montrant que les abstentionnistes et les votants ne constituent pas deux groupes étanches l'un à l'autre dont les caractéristiques tant sociales que politiques seraient distinctes, mais des groupes aux frontières fluides qui se recouvrent en partie et se recomposent en fonction des scrutins – voire en fonction des tours de scrutin (Lehingue, 2003) –, on est aussi amené à élaborer un modèle explicatif des comportements de participation plus complexe que celui des seuls déterminants. Les travaux de Bernard Lahire offrent une aide précieuse pour le faire évoluer (Lahire, 1996 ; 1998). La jeunesse, le faible niveau de diplômes, la fragilité économique prédisposent à l'abstention. Tout comme la maturité, la richesse et l'éducation prédisposent à la participation. Mais le lien avec les pratiques n'étant pas mécanique, il faut prendre en compte l'effet des multiples environnements dans lesquels est produit un vote pour comprendre les comportements effectifs. Certaines prédispositions peuvent être activées par des éléments de contexte et donc se prolonger dans des pratiques, quand d'autres peuvent être neutralisées ou compensées par ceuxci. Dès lors que le vote autant que le non-vote constituent deux prolongements possibles, dans l'ordre des pratiques, des mêmes

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prédispositions incorporées, celles-ci ne peuvent plus suffire à les expliquer. Puisque les abstentionnistes d'un scrutin sont les votants d'un autre et que ces pratiques peuvent être adoptées successivement par un même individu à quelques années, à quelques mois, à quelques semaines mais aussi à quelques jours d'intervalle, il devient difficile d'appréhender les caractéristiques sociodémographiques associées au retrait électoral comme des déterminants de ces comportements. Il en résulte une attention nouvelle portée, d'une part, aux contextes dans lesquels les citoyens évoluent et, d'autre part, aux transformations conjoncturelles d'intensité variable que leur font subir les dispositifs de campagne.

Les approches par les contextes Toute une littérature qui a renouvelé récemment l'analyse de la participation électorale montre que le lien entre prédisposition et pratique n'a rien de mécanique et que pour comprendre les comportements politiques effectifs, il est nécessaire de prendre en compte les processus d'activation, de neutralisation ou de compensation dont les environnements dans lesquels les citoyens évoluent sont porteurs (Braconnier, 2012a ; Brady et Johnston, 2006).

Obstacles et facilitateurs institutionnels On vote ou on s'abstient – déjà – dans un cadre étatique, qui fixe des barrières institutionnelles à la participation, mais aménage également des facilitations, contribuant largement à dessiner les frontières du corps électoral effectif. L'étude comparée des États et des pays dont les législations électorales varient nettement a permis d'établir des critères de différenciation utiles, au premier rang desquels figure le caractère obligatoire ou non du vote. À la condition que la contrainte légale soit assortie de sanctions financières significatives au regard du niveau de vie du pays concerné et que celles-ci soient connues des électeurs, alors l'obligation a bien pour vertu de neutraliser les prédispositions sociales et politiques à l'abstention (Franklin, 2004 ; Panagopoulos, 2008 ; Singh, 2011 ; Amjahad, De Waele et Hastings, 2011). En Belgique ou au Brésil, les sans-diplômes et les citoyens peu intéressés par la politique votent ainsi dans de larges proportions, identiques à celles enregistrées dans les catégories de la population ayant fréquenté les universités et déclarant

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s'intéresser beaucoup à la politique (Power et Timmons 1995 ; Braconnier, Dormagen et Rocha, 2013). En Argentine, cet équilibre n'est établi que pour les périodes durant lesquelles le vote est obligatoire (Canton et Jorrat, 2003). Là où ce n'est pas le cas, la nécessité, pour pouvoir voter, de procéder soi-même à son inscription sur les listes électorales et de renouveler cette inscription après chaque déménagement constitue l'obstacle institutionnel à la participation le plus important. Aux États-Unis, où le quart des citoyens est encore empêché de voter faute d'être inscrit, cette étape préalable maintient à l'écart des urnes les populations les moins diplômées, les plus pauvres et celles qui sont le plus affectées par la mobilité géographique, parmi lesquelles figurent les étudiants (Kelley, Ayres et Bowen, 1967 ; Timpone, 1998 ; Highton, 1997 ; Nagler, 1991 ; Peverill, Wolfinger et Glass, 1987 ; Knack et White, 2000 ; Highton et Wolfinger, 1998). Il a d'ailleurs été récemment établi que le coût de la réinscription, et non le déracinement résidentiel qui accompagne le déménagement, constituait bien le facteur décisif de l'abstention corrélée à la mobilité résidentielle, traditionnellement considérée comme le troisième facteur le plus fortement explicatif du retrait électoral aux États-Unis (Ansolabehere, Hersh et Shepsle, 2012). En France, le calendrier d'inscription, particulièrement contraignant dès lors qu'il implique de s'inscrire plusieurs mois avant l'organisation des scrutins, alors que les campagnes ne sont pas encore commencées, exclut du vote en particulier les citoyens d'origine étrangère, trois fois moins inscrits que la moyenne (Niel et Lincot, 2012). Dès lors que l'analyse des attitudes politiques aussi bien que celle des pratiques via les listes d'émargement tend à montrer qu'une fois inscrits les Français naturalisés adoptent des comportements de participation qui ne les distinguent guère de la moyenne des autres citoyens, la prise en compte des non-inscrits dans la sociologie de l'abstention s'impose pour rendre compte de l'ampleur des inégalités électorales (Kelfaoui, 1993 ; Simon et Tiberj, 2012). Mais la procédure d'inscription maintient également à l'écart des urnes les catégories de la population particulièrement sujettes à la mobilité résidentielle, qui peinent à se réinscrire après leur déménagement et s'abstiennent dans des proportions bien supérieures à la moyenne, faute de pouvoir voter à proximité immédiate de leur domicile effectif (Braconnier, Dormagen, Gabalda et Niel, 2016).

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L'inégale capacité des campagnes à neutraliser les prédispositions à s'abstenir La sociologie de la réception des campagnes a bien montré qu'il était illusoire d'imaginer les effets de celles-ci sous la forme d'un entraînement ou d'influences s'exerçant directement sur les individus citoyens. Dès les années 1940, Paul Lazarsfeld et ses collègues de l'université de Columbia à New York rendaient compte du rôle primordial joué par les entourages familiaux dans la réception et l'appropriation des messages médiatiques, en l'occurrence radiophoniques. Depuis, la télévision s'est substituée à la radio comme premier support d'information politique, mais les mécanismes médiatisés de réception continuent de compter largement, comme l'a montré récemment en France la belle enquête de Vincent Goulet (Goulet, 2010). Alors que l'accès à la politique via internet – par les réseaux sociaux ou les supports d'information institutionnalisés – demeure dépendant d'une démarche pro-active des citoyens et reste encore à ce jour largement le fait des plus diplômés et politisés d'entre eux (Oser, Hooghe et Marien, 2013 ; Boyadjian, 2014), l'accès à la politique via la télévision s'impose à tous ceux dont le téléviseur fait partie du décor quotidien. Lors des scrutins de haute intensité, les ondes pénètrent jusque dans les foyers les moins prédisposés à suivre la politique, selon des modalités et des rythmes variés qui semblent bien corrélés au niveau de participation et, aux ÉtatsUnis, aux dépenses de campagne (Rekkas, 2007). Donald Green rappelait récemment que le nouvel engouement pour les pratiques de mobilisation de terrain aux États-Unis – auquel il a largement contribué – ne devait pas faire oublier que l'essentiel continuait manifestement de dépendre du niveau de couverture télévisée de la campagne (Gerber, Huber, Dowling, Doherty et Schwartzberg, 2009). Car c'est précisément du fait de leur capacité à agir sur les environnements, parce qu'ils mettent en branle et alimentent des dispositifs informels de mobilisation électorale au sein des familles, des groupes de pairs (MacClurg, 2003), au bureau (Radcliff et Davis, 2000 ; Burns, Lehman Scholzman et Verba, 2001), à l'église (Huckfeldt, Plutzer et Sprague, 1993 ; Gerber, Gruber et Hungerman, 2008 ; Alex-Assensoh et Assensoh, 2001 ; MacKenzie, 2004), dans les transports (Baker, Barry et Renno, 2002), que les medias sont largement explicatifs des niveaux de participation enregistrés. Par les sujets de discussion qu'ils déversent dans l'espace public,

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relayés par ceux qui sont les plus politisés, ils contribuent à alimenter le débat politique dont l'inflation constitue une caractéristique essentielle des conjonctures de campagne de haute intensité (Mayer, 2013 ; Pattie et Johnston, 1999 ; Cramer Walsh, 2004 ; Klofstad, 2007). C'est donc en cumulant leurs effets d'entraînement et ceux engagés sur le terrain, notamment par les partis politiques, que s'opère la mobilisation vers les urnes des groupes les moins prédisposés à voter (Rosenstone et Hansen, 1993 ; Cox, 1999 ; Engstrom, 2012). Dans un article qui a fait date, Donald Green et Alan Gerber ont montré, au tournant des années 2000, que la capacité des partis politiques à mobiliser leur électorat était bien plus grande dans le cadre de campagnes de terrain que lorsque des supports plus impersonnels et sans interaction en face‑à-face direct avec les électeurs étaient mis en œuvre. Ils en ont déduit que l'un des facteurs explicatifs de la démobilisation électorale enregistrée aux États-Unis depuis le milieu des années 1960 était l'abandon par les organisations politiques des techniques de porte‑à-porte autrefois banales (Gerber et Green, 2000). Dans leur sillage, une littérature abondante mettant en œuvre l'approche expérimentale s'est donnée pour ambition de préciser ce qui, dans les modalités de la mobilisation de terrain, est le plus efficace. Il a ainsi été démontré de façon convaincante que si le contenu précis du message que les mobilisateurs véhiculent compte peu (Krasno et Green, 2008), les caractéristiques apparentes partagées entre mobilisateurs et mobilisables renforcent, dans certains contextes, la capacité d'entraînement des premiers sur les derniers (Shaw, de la Garza et Jongho, 2000 ; Michelson, 2003, 2006). Le moment de mise en œuvre du porte‑àporte compte également, son efficacité ne se révélant la plus forte, quand il est produit au plus près du scrutin, que pour les catégories les moins intéressées par la politique. Cette tradition d'études particulièrement dynamique n'échappe pas pour autant aux biais inhérents aux approches expérimentales, fussent-elles de terrain. L'ethnologie d'une campagne de porte‑à-porte du parti démocrate, mise en œuvre par Rasmus Nielsen aux États-Unis, montre bien le décalage entre les conditions de réalisation des fields experiments dont les acteurs respectent scrupuleusement un protocole établi scientifiquement et la réalité des campagnes partisanes dont les leaders cherchent à optimiser la capacité mobilisatrice en s'appuyant sur ces travaux, mais sans en avoir les moyens humains. Les bénévoles

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se plient avec difficulté aux injonctions des organisateurs de rationaliser les techniques du porte‑à-porte, leur expérience accumulée et leur engagement étant de facto dévalorisés par l'évolution en cours. Surtout, faute de volontaires en nombre suffisant, les partis doivent recourir à des mobilisateurs rémunérés, très peu politisés et qui mettent en œuvre les consignes de façon aléatoire (Nielsen, 2012). En France, Julien Talpin, Romain Belkacem et Rémi Lefebvre ont aussi montré récemment combien l'engouement médiatique et partisan pour le porte‑à-porte, nouvellement drapé des vertus d'une technique américaine estampillée par les plus prestigieuses universités, fonctionnait comme une croyance magique en la capacité à faire voter, contrastant largement avec la pauvreté des interactions observées sur le terrain et la probable impuissance de celles-ci, dans de nombreux contextes, à produire par elles-mêmes les déplacements décisifs (Talpin et Belkacem, 2014 ; Lefebvre, 2005 et 2016). En l'état actuel de nos connaissances, rien n'indique donc que le porte‑à-porte ou canvassing constitue un substitut efficace à l'encadrement politique des populations que l'Europe a un temps connu – dans ses quartiers, dans les usines, autour des églises, dans les lieux de sociabilité populaire – et dont on peut faire l'hypothèse qu'il expliquait, en partie au moins, la bonne participation électorale des milieux populaires (Mishi, 2010 ; Gouard, 2014).

Le rôle central des dispositifs informels de mobilisation électorale En revanche, c'est comme élément, parmi d'autres, participant de l'activation des dispositifs informels de mobilisation que les campagnes partisanes de terrain jouent un rôle (Rosenstone et Hansen, 1993). On sait, par exemple, que les citoyens incités à voter à l'occasion d'un porte‑à-porte en discutent ensuite avec leur entourage, provoquant des stimuli en chaîne susceptibles d'alimenter la participation familiale (Nickerson, 2008). La mise en évidence de cette articulation – entre dispositifs institutionnalisés et informels de mobilisation électorale – explique aujourd'hui pourquoi les configurations familiales, les espaces de travail, les relations de voisinage sont investis par les électoralistes et peuvent être comptés au nombre des environnements dont les caractéristiques sont explicatives des niveaux d'abstention ou de participation politique. Le couple fait ainsi autant voter aujourd'hui qu'hier (Johnston, Pattie, Dorling, Mac Allister, Tunstall et Rossiter, 2001 ; Stoker et

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Jennings, 2005 ; Braconnier et Dormagen, 2007 ; Buton, Lemercier et Mariot, 2011 ; Braconnier, 2012), alors que le célibat prédispose toujours à l'abstention, les citoyens isolés étant privés des dynamiques d'entraînement intra-familiales au vote. Pauvres, peu diplômés mais en couple ou entourés d'amis, les citoyens afroaméricains continuent de participer à la présidentielle dans des proportions plus importantes que celles attendues au regard de leurs seules caractéristiques sociodémographiques individuelles. Isolés, ils se rendent de moins en moins aux urnes, même quand ils sont bénéficiaires de programmes d'aide sociale au relogement dans des quartiers de classe moyenne où les taux de participation sont élevés (Alex-Assensoh, 1997 ; Gay, 2007). De la même façon, le travail ne demeure producteur d'incitations au vote qu'à la condition qu'il s'effectue dans un cadre propice à l'estime de soi, aux rencontres, aux discussions (Burns, Lehman Scholzman et Verba, 2001 ; Peugny, 2016). À l'inverse, la capacité du voisinage à impulser une dynamique participative, un temps surestimée, a fait l'objet d'une réévaluation à la baisse, au regard des apports de quelques belles enquêtes qualitatives et des travaux menés à partir d'approches multi-niveaux dont la géographie électorale britannique s'est fait une spécialité au cours des deux dernières décennies (Fitton, 1973). Les premières montrent que l'on ne parle politique avec ses voisins que très exceptionnellement et à la condition de partager leur orientation électorale – donc de la connaître, ce qui demeure rare dans un environnement métropolitain. En prenant appui sur des données recueillies tant à l'échelle des individus qu'à celle des différents groupes dans lesquels ils évoluent – de la famille aux villes en passant par les quartiers –, les analyses multi-niveaux mettent en évidence que les effets d'entraînement enregistrés via les taux de participation recueillis à un niveau meso sont plus le fait des groupes familiaux que des autres communautés d'appartenance (Johnston, Jones, Propper, Sarker, Burgess et Bolster, 2005). La situation semble cependant sensiblement différente en milieu rural, où les communautés villageoises continuent de constituer des environnements stimulant la participation, moins par les discussions politiques qui s'y dérouleraient plus facilement qu'ailleurs que par la pression à la participation que fait peser l'interconnaissance sur les individus électeurs.

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L'abstention et la participation électorales

Conclusion Si, plus généralement, les déterminants sociaux de la participation électorale sont les mêmes que ceux de la participation politique, le vote demeure – et de très loin – malgré la hausse de l'abstention, la pratique citoyenne la mieux diffusée dans l'espace social. Par comparaison avec la participation à des manifestations ou à des réunions publiques, a fortiori avec un engagement associatif ou partisan plus impliquant, la participation aux scrutins continue de mobiliser massivement. C'est qu'elle bénéficie des ressources que procurent les environnements transformés par les dispositifs de campagne. Une part importante de la recherche sur le vote met ainsi en exergue, depuis quelques années, l'importance que ces derniers prennent dans l'explication des comportements de participation, renouvelant largement une approche longtemps demeurée trop exclusivement centrée sur les individus coupés de leurs contextes. Si les électeurs sont, du fait de leurs caractéristiques sociodémographiques, plus ou moins prédisposés à voter ou à s'abstenir, les environnements modifiés par les campagnes électorales peuvent, d'une part, compenser l'absence de ressources qui font voter et, d'autre part, neutraliser les prédispositions à participer.

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Chapitre 2

Du vote de classe au vote des classes Les usages du concept de vote de classe Florent Gougou

Salut ! C'est le vote de classe, Le premier réveil des vaincus, La clé pour sortir de l'impasse, Le programme de Spartacus ; C'est la plèbe que tu fusilles, Féodalité de bourgeois, Qui vient pour raser tes bastilles, Salut ! aux quinze mille voix ! Eugène Pottier, Salut aux quinze mille voix, 1881, Chant saluant le premier succès du Parti ouvrier aux élections municipales du 9 janvier 1881 à Paris.

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epuis près de quatre décennies, les évolutions du vote de classe sont au cœur de l'une des controverses les plus animées de la science politique internationale. Dans toutes les vieilles démocraties industrialisées s'est posée au même moment, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, la question d'un éventuel déclin du vote de classe. Dans la plupart des pays, aucun consensus ne s'est clairement dégagé. Cette situation n'est pas surprenante : rares sont les concepts aussi flous dans leur définition et leur usage que celui du vote de classe. Le constat d'une faiblesse théorique du concept de vote de classe n'est pas nouveau. Il a déjà été établi par Geoffrey Evans, dans son état de l'art au début des années 2000 : « The debate on class voting has been strong on evidence and weak on theory » (Evans, 2000, p. 410). Une dizaine d'années plus tard, cette

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70 Sociologie plurielle des comportements politiques

observation n'a rien perdu de son actualité : ni la poursuite des controverses dans les grandes démocraties occidentales (Knutsen, 2008 ; Evans et De Graaf, 2013) ni l'intérêt pour de nouveaux cas d'étude, que ce soit en Europe de l'Est (Evans, 2006) ou en Amérique latine (Heath, 2009 ; Lupu, 2010 ; Mainwaring et al., 2015) n'ont permis d'asseoir son utilité pour la compréhension du vote des électeurs. Le concept de vote de classe a été essentiellement forgé dans le monde anglophone, à partir de la fin des années 1950. Dans un contexte de domination du paradigme behavioriste, il a été introduit afin de rendre compte du poids de la position sociale dans le vote. Toutefois, ses origines ne relèvent pas seulement d'une réflexion d'ordre scientifique : le concept renvoie également au développement du mouvement ouvrier et au rôle politique que la doctrine socialiste confère à la classe ouvrière dans les sociétés capitalistes. De ce point de vue, les paroles du Salut aux quinze mille voix du poète révolutionnaire Eugène Pottier, plus connu pour l'Internationale, sont très révélatrices et ne laissent planer aucun doute. C'est une affirmation de Seymour Lipset qui constitue le véritable acte de naissance des travaux scientifiques consacrés au vote de classe : The most impressive single fact about political party support is that in virtually every economically developed country the lower-income groups vote mainly for parties of the left, while the higher-income groups vote mainly for the parties of the right (Lipset, 1960) 1.

Or, à sa façon, cette constatation résume déjà toutes les faiblesses du concept : il ne repose sur rien d'autre que l'observation empirique de spécificités du vote de certaines classes sociales dans les démocraties industrialisées. Un demi-siècle de recherches plus tard, le concept de vote de classe n'a pas gagné en précision. La littérature en retient souvent une définition a minima : le lien entre classe sociale et vote. Dans cette perspective, il désigne plus volontiers un champ de recherche qu'un concept opératoire. 1. Cette phrase est reprise in extenso d'un premier texte signé par une partie des chercheurs de l'université de Columbia (Lipset et al., 1954, p. 1136). Elle rappelle que les travaux sur le vote de classe sont initialement une ramification du paradigme sociologique d'explication du vote.

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Du vote de classe au vote des classes

La lecture conventionnelle de la littérature : quatre générations de recherche En associant cinq critères complémentaires (question de recherche, hypothèses, mesure des variables, données, méthodes statistiques employées), Paul Nieuwbeerta parvient à distinguer trois générations de recherche sur le vote de classe (Nieuwbeerta, 1995, 1996). Les travaux de la première génération débutent durant les années 1950 et se poursuivent jusqu'au milieu des années 1970. Ils s'intéressent aux variations du niveau du vote de classe entre les pays et au sein de chacun de ces pays. Pour cela, ils opérationnalisent la classe sociale en opposant les travailleurs manuels aux travailleurs non-manuels, utilisent les toutes premières données de sondage disponibles et construisent des tableaux croisés à partir desquels ils mesurent l'écart absolu entre le vote des deux classes sociales. L'indice du vote de classe calculé par Robert Alford en retranchant le pourcentage des non-ouvriers votant pour la gauche du pourcentage des ouvriers votant pour la gauche s'inscrit parfaitement dans cette logique (Alford, 1962). Les travaux de la deuxième génération s'étendent des années 1970 aux années 1990. Ils sont consacrés aux mêmes questions, mais concernent un plus grand nombre de pays et une plus longue période. La classe sociale demeure en général opérationnalisée à partir de la dichotomie entre travailleurs manuels et travailleurs non-manuels. Ces travaux se distinguent essentiellement par leur méthode d'analyse des données et la préférence pour des modèles de régression linéaire par rapport aux tableaux croisés (Franklin et al., 1992). Les travaux de la troisième génération émergent dans le courant des années 1980. Ils refusent la dichotomisation des classes sociales et introduisent des schémas de classe plus détaillés. Ils critiquent les mesures absolues du vote de classe utilisées dans les travaux antérieurs – toutes les mesures fondées sur des différences de pourcentage – et leur préfèrent des mesures d'écart relatif, notamment les odds ratios et les modèles log-linéaires (Evans, 1999). Récemment, Oddbjørn Knutsen a complété ce découpage chronologique de la littérature sur le vote de classe en identifiant une quatrième génération de travaux, apparue au milieu des années 1990 (Knutsen, 2007). Contrairement à ceux des trois générations précédentes, ces travaux ne reposent pas sur une dichotomisation des partis politiques entre deux tendances opposées et considèrent tous les choix électoraux possibles. De la sorte, ils s'intéressent, selon les

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termes de Jeff Manza, Michael Hout et Clem Brooks, au « vote de classe total », c'est‑à-dire à toutes les sources d'association statistique entre classe et vote, plutôt qu'au « vote de classe traditionnel », qui se focalise sur le lien entre ouvriers et vote de gauche (Manza et al., 1995) 2.

Une lecture alternative de la littérature : deux niveaux d'analyse Le présent chapitre n'est pas un plaidoyer en faveur de l'utilisation du concept de vote de classe. Au contraire, il concède que la coexistence de plusieurs définitions du vote de classe est la source de très grandes incompréhensions entre les chercheurs, et parfois même un obstacle à la compréhension des phénomènes électoraux. En introduisant une distinction entre des niveaux d'analyse micro et macro du vote de classe, et en identifiant de manière systématique quatre définitions du concept, cette contribution propose toutefois une lecture alternative de la littérature qui réhabilite l'entrée du vote de classe dans l'analyse des évolutions électorales. Par cet effort de clarification, elle permet également de repenser la question classique du déclin du vote de classe dans les démocraties occidentales. Le découpage en générations proposé par Nieuwbeerta et complété par Knutsen croise en fait deux oppositions, l'une entre mesures absolues et mesures relatives du vote de classe, l'autre entre le vote de classe traditionnel et le vote de classe total. Ces lignes de fracture, qui concernent respectivement les techniques statistiques utilisées pour mesurer la relation entre classe et vote et l'opérationnalisation des variables, sont indéniablement des clés pertinentes pour comprendre le développement de la littérature. Il n'en reste pas moins que la principale opposition entre les recherches sur le vote de classe ne renvoie ni à la mesure des variables ni au traitement des données, mais à leur question de départ 3. 2. L'article de Manza, Hout et Brooks constitue le premier état de l'art sur la question du vote de classe. Il a été publié dans une revue de sociologie et témoigne de l'influence décisive des sociologues dans le cadrage et le développement de la littérature. 3. La question de recherche figure parmi les critères mentionnés par Nieuwbeerta pour sa périodisation des travaux consacrés au vote de classe, mais le découpage qu'il propose ignore en fait cette dimension, et c'est un euphémisme. Sa distinction entre trois générations repose d'abord sur des questions d'ordre méthodologique, en particulier sur la mesure de la classe sociale et sur les techniques statistiques employées.

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Du vote de classe au vote des classes

Comme le concept de classe sociale, le concept de vote de classe peut être utilisé pour définir des individus ou des collectifs. Or, ces deux niveaux d'analyse renvoient à deux questions de recherche distinctes, quoique complémentaires. Si le concept de vote de classe est défini au niveau individuel de l'électeur, il vise à éclairer l'orientation du comportement électoral. En revanche, s'il est appliqué au niveau collectif des groupes sociaux, il contribue à comprendre l'existence de liens durables entre certaines classes sociales et certaines tendances politiques. Dans le premier cas, il s'inscrit dans les débats sur l'explication du vote des électeurs. Dans le second cas, il aide à analyser le noyau électoral des partis et les rapports de force électoraux. C'est dans cette seconde perspective qu'il est le plus utile à la science politique, en ce qu'il permet d'interroger plus largement les relations entre les gouvernés et les gouvernants.

Sortir des débats méthodologiques Le concept de vote de classe n'est pas associé à une œuvre fondatrice unique, qui se serait immédiatement imposée puis aurait été discutée, critiquée et développée. Bien au contraire, la manière de désigner le lien entre classe et vote a beaucoup évolué au cours du temps, avant que l'usage du terme « class voting » ne se généralise à la suite d'Alford durant les années 1960. En dépit de leur postérité, les travaux d'Alford sur le vote de classe ne constituent qu'une partie infime du legs du politiste américain. Ils se limitent à cinq textes, publiés en l'espace de cinq ans au cœur des années 1960 : l'article méthodologique sur la construction de l'indice du vote de classe (Alford, 1962) ; un article sur les évolutions du vote de classe aux États-Unis entre 1936 et 1960 (Alford, 1963) ; un chapitre sur les bases sociales du vote au Canada lors des élections fédérales de 1962 (Alford, 1964a) ; l'ouvrage Party and Society, comparant le poids respectif des divisions de classe, des divisions religieuses et des divisions régionales en Australie, au Canada, aux États-Unis et en GrandeBretagne (Alford, 1964b) ; et un chapitre sur le vote de classe dans ces quatre pays (Alford, 1967). À leur manière, ces textes portent en eux les germes des principaux travers de la littérature actuelle : (1) le concept ne résulte pas d'une construction théorique forte, et se définit d'abord par son instrument de mesure ; (2) le vote de

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classe est implicitement réduit au vote des ouvriers pour les partis de gauche.

Les ambiguïtés de l'indice du vote de classe L'indice du vote de classe proposé par Alford se calcule par soustraction du pourcentage des travailleurs non manuels se prononçant en faveur des partis de gauche du pourcentage des travailleurs manuels votant pour ces mêmes partis 4. Le niveau du vote de gauche et celui du vote de droite dans l'ensemble de l'électorat ne sont pas importants en soi ; ce qui compte, c'est le degré d'opposition entre le vote des travailleurs manuels et le vote des travailleurs non manuels 5. Néanmoins, un même indice du vote de classe peut renvoyer à des situations très différentes, sinon opposées : il s'élève à 20 si 70 % des travailleurs manuels et 50 % des travailleurs non manuels votent en faveur des partis de gauche, ou si 20 % des travailleurs manuels et 0 % des travailleurs non manuels votent pour ces partis. Alford est conscient de ce problème et reconnaît que son indice ne fait pas sens dans le second cas. Pour autant, il rappelle que le choix d'une mesure dépend toujours du système politique dans lequel celle-ci est utilisée. Or, selon lui, les démocraties anglo-américaines ont un fonctionnement relativement consensuel qui renvoie au rapport de force équilibré entre les partis de gauche et les partis de droite ; dans cette perspective, il est improbable qu'une tendance ne trouve aucun soutien dans un groupe social. Le calcul de l'indice du vote de classe repose sur une double dichotomie : il oppose le vote de deux classes sociales en faveur de deux camps. De fait, il impose certains regroupements qui peuvent paraître arbitraires, mais qu'Alford justifie dans le cas des démocraties anglo-américaines. Dans les quatre pays qu'il étudie, la compétition politique est dominée par deux partis qui peuvent être classés à gauche ou à droite, bien que leur nom varie (travaillistes et conservateurs en Grande-Bretagne, démocrates et républicains aux États-Unis). Certes, leur hégémonie n'interdit pas l'existence 4. « The suggested index of class voting is computed very simply as follows : subtract the percentage of persons in non-manual occupations voting for Left parties from the percentage of persons in manual occupations voting for Left parties » (Alford, 1964b, p. 79-80). 5. « This index thus assumes that it is the gap between the voting patterns of manual and non-manual occupation that is vital for assessing class voting, not the overall level of Right or Left voting » (Alford, 1964b, p. 80).

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Du vote de classe au vote des classes

de tiers partis, mais Alford juge que ceux-ci peuvent aussi être classés à gauche ou à droite. Dès lors, opposer les partis de gauche et les partis de droite ne conduit pas à simplifier outre mesure le choix partisan. En revanche, la mesure de la classe sociale pose plus de difficultés. En dépit d'une conception wébérienne des classes sociales, Alford rappelle que l'opérationnalisation de la classe dépend fondamentalement de la question de recherche 6. La décision d'opposer travailleurs manuels et travailleurs non manuels repose sur l'observation empirique que c'est entre ces deux catégories qu'existent les plus forts contrastes socio-économiques. Dans les sociétés industrialisées, cette opposition correspond à la division entre « cols bleus » et « cols blancs », c'est‑à-dire à la division entre ouvriers et non ouvriers. L'indice du vote de classe est en fait une mesure qui porte mal son nom. Dans les travaux d'Alford, comme dans les travaux qui en critiquent les faiblesses méthodologiques, cet indice est de facto présenté comme une mesure de l'association classe-vote. Pourtant, il est évident qu'il ne rend pas compte de tous les liens entre classe et vote, ne serait-ce que par la simplification de la structure sociale qu'il suppose. Pour comprendre ce qu'il mesure réellement, un retour sur ce qu'il ne mesure pas est très éclairant. À sa façon, Alford donne une partie de la réponse : This particular index does leave aside two important aspects of the relation of social classes to parties : the degree of political distinctiveness of the working-class (the absolute level of Left voting by workers) and the degree of class distinctiveness of the Left party (the proportion of support for the Left party drawn from workers (Alford, 1964b, p. 83).

En filigrane, il reconnaît que l'indice du vote de classe s'intéresse moins à l'ensemble des liens entre classe et vote qu'au vote des ouvriers pour les partis de gauche. De la sorte, même s'il ne tient pas compte du niveau du vote de gauche des ouvriers et du poids des ouvriers au sein de l'électorat de gauche, l'indice du vote de classe est en fait une mesure de l'originalité du vote des ouvriers. 6. « An appropriate measure of social class from surveys […] depends entirely on the theoretical purposes and assumptions of a particular research problem. No single social characteristic of individuals can adequately measure their economic life-chances, their community prestige, or their power over other individuals » (Alford, 1964b, p. 73).

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Les ambiguïtés de l'indice du vote de classe ne se réduisent pas à sa construction empirique : le sentiment d'un décalage entre le phénomène qu'il est supposé mesurer et le phénomène qu'il mesure vraiment est renforcé par la manière dont Alford interprète les variations du niveau du vote de classe entre les pays qu'il étudie. Pendant les années 1960, c'est en Grande-Bretagne et en Australie que le vote de classe est le plus fort, loin devant les États-Unis, puis le Canada. Or, Alford estime que les liens explicites entre les syndicats ouvriers et le parti travailliste dans les deux premiers pays expliquent en partie pourquoi le vote de classe y est plus affirmé (Alford, 1967, p. 76). S'il introduit ainsi le rôle décisif des partis politiques dans le développement d'un vote de classe, il alimente également la confusion entre vote de classe d'une part, et vote de classe ouvrier en faveur de la gauche d'autre part. Finalement, la mise en garde qu'Alford formule pour l'interprétation de son indice n'en est que plus pertinente : The suggested index of class voting must not be overinterpreted to imply the importance of class issues in the programs of the parties or the meaning of class issues to the voters. Whether a high level of class voting (as measured by this index) is related to class appeals and a high level of class consciousness is an important question, but no inferences from the index itself can be made. It measures simply the extent to which social strata, as defined by manual and non-manual occupations, diverge in their support of a major political party (Alford, 1964b, p. 83).

Et puisque cet indice mesure en fait l'originalité du vote des ouvriers, il ne peut pas être utilisé pour autre chose que pour apprécier les évolutions du vote des ouvriers.

Les impasses de la sophistication des mesures Depuis les années 1980, l'hypothèse d'un déclin du vote de classe a été discutée dans la quasi-totalité des démocraties occidentales. Qu'ils défendent la thèse du déclin ou la contestent, les travaux consacrés au vote de classe se caractérisent par une sophistication méthodologique croissante. La discussion porte autant sur l'opérationnalisation des variables (principalement la classe et le vote) que sur les modèles statistiques utilisés. Elle permet des clarifications sur les différentes mesures du vote de classe, mais ne lève pas l'ambiguïté sur le statut du vote des ouvriers et produit des effets

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pervers en actant la primauté des enjeux techniques sur les questions de science politique. Les travaux concluant au recul du vote de classe partagent deux traits communs. Le premier renvoie à la manière de mesurer les évolutions du vote de classe : la plupart des tenants de la thèse du déclin utilisent l'indice d'Alford ou des mesures basées sur une dichotomisation des classes sociales et du paysage politique (Lipset, 1981 ; Franklin et al., 1992). Le second tient à l'explication du changement : tous accordent une place centrale aux mutations des structures économiques et sociales engendrées par la révolution postindustrielle. L'extension inédite de la société de consommation, la tertiarisation de l'économie, le développement du salariat et la massification de l'enseignement universitaire auraient brouillé les frontières de classe héritées de la révolution industrielle et provoqué un rapprochement entre le vote des classes sociales (Inglehart, 1990 ; Dalton, 1996) Cette thèse du déclin du vote de classe est essentiellement contestée pour la faiblesse de ses fondements méthodologiques. Paradoxalement, les deux éléments les plus discutés sont ceux qui ont assuré le succès de l'indice d'Alford : la simplification de la structure sociale à deux classes et la réduction de l'offre politique à deux tendances. Dans un premier temps, ils ont facilité l'exportation de l'indice, notamment dans les pays où la comparaison des indicateurs dans le temps n'était pas aisée. À partir des années 1980, ils deviennent des obstacles pour la compréhension des évolutions du vote de classe. Deux vagues de critiques se succèdent, une première portée par des chercheurs de l'université d'Oxford, une seconde par des chercheurs de l'université de Berkeley. Avec un point commun : l'introduction de nouvelles mesures du vote de classe, dont les variations dans le temps n'indiquent pas de tendance générale au déclin. Durant les années 1960, Alford pouvait justifier le choix d'opposer les travailleurs manuels et les travailleurs non manuels par le fait que le passage d'une catégorie à l'autre avait une signification sociale plus forte qu'un changement de position au sein d'une catégorie. Une décennie plus tard, ce n'est plus le cas : avec la tertiarisation des économies, la catégorie des travailleurs non manuels est devenue un immense agrégat hétérogène. Cette nouvelle donne est intégrée par les chercheurs de Nuffield College dès leur enquête sur les élections générales britanniques de 1983 (Heth et al., 1985). Reprenant les travaux menés par John Goldthorpe et ses collègues sur la mobilité sociale (Erikson et al., 1979), ils distinguent cinq

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classes sociales : « salariat », « petty bourgeoisie », « routine non manual workers », « foremen and technicians » et « working-class ». Ce schéma de classe garantit un plus grand réalisme sociologique et diminue les risques d'effets de composition qui résulteraient de l'agrégation de classes dont le comportement divergerait dans le temps. Toutefois, rien n'assure a priori qu'il soit plus pertinent pour comprendre les évolutions du vote de classe. Mais en utilisant un nouvel instrument statistique qui permet de neutraliser l'effet des évolutions du niveau des forces politiques, l'« odds ratio » 7, ils montrent qu'il n'y a pas de tendance à la baisse du vote de classe en Grande-Bretagne durant la période 1964-1983, mais plutôt des fluctuations sans tendance (trendless fluctuations). Impulsée par Hout, Manza et Brooks, la seconde vague de contestation de la thèse du déclin du vote de classe repose sur des fondements différents. Initialement, elle se limite à la critique d'un article de Terry Clark et Seymour Lipset observant l'affaiblissement des polarisations de classe dans les sociétés postindustrielles (Clark et Lipset, 1991 ; Hout et al., 1993). Mais, par sa remise en cause de l'indice d'Alford, elle ouvre un débat extrêmement animé qui se greffe sur la discussion britannique. Reprenant les schémas de classe introduits par les chercheurs d'Oxford, les chercheurs de Berkeley s'attaquent à la deuxième variable clé dans la mesure du vote de classe, le vote, et militent pour la prise en compte de tous les choix électoraux, y compris le choix de ne pas participer aux élections. En toute rigueur, le calcul de l'indice d'Alford n'exige pas de réduire la compétition politique à un affrontement binaire. Par construction, il impose seulement l'agrégation des résultats de la gauche 8 ; rien n'empêche, a priori, de considérer séparément les partis de droite et les tiers partis, ou bien la droite modérée et l'extrême droite. Pour autant, la simplification du paysage politique 7. L'« odds ratio » est le rapport de deux rapports de chance. Il s'agit donc d'une mesure d'écart relatif, ce qui explique son insensibilité aux variations des distributions marginales (dans le cas du vote de classe, les variations du niveau des forces politiques). L'indice d'Alford, en revanche, est une mesure d'écart absolu, car il repose sur une différence de pourcentages. 8. Certains auteurs affirment que l'indice d'Alford est calculé sur le vote de gauche par convention et qu'il peut aussi bien être calculé sur le vote de droite (Heath et Cautrès, 1996). D'un point de vue statistique, si l'offre électorale est réduite à deux tendances, les deux manières de procéder produisent effectivement le même résultat. Il n'en reste pas moins qu'Alford calcule l'indice du vote de classe sur le vote de gauche, car il s'intéresse avant tout au vote des ouvriers.

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en un affrontement gauche-droite est prégnante dans les travaux d'Alford. Et ne lui pose aucun problème : il juge que la vie politique nationale des pays qu'il étudie est effectivement dominée par deux grands partis qui peuvent être classés à gauche et à droite. Durant la période qu'il étudie, 1952-1962, ce constat est difficilement contestable aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où le total des deux grands partis dépasse presque systématiquement 95 % des suffrages exprimés. En revanche, il l'est déjà davantage en Australie, où les travaillistes et les libéraux ne rassemblent 80 % des électeurs qu'en 1958 et en 1961, et au Canada, où le total des libéraux et des progressistes-conservateurs ne franchit qu'une seule fois cette barre des 80 %, lors des élections fédérales de 1958. Et depuis les années 1960, les évolutions électorales dans ces pays ont confirmé la difficulté de réduire le paysage politique à une compétition binaire : partout, des tiers partis ou des candidats indépendants ont réussi à un moment donné des percées significatives. La prise en compte de l'abstention et le refus de réduire la compétition politique à un choix binaire conduisent les chercheurs de Berkeley à différencier le « vote de classe traditionnel » (traditional class voting), qui ne retient que deux classes sociales et deux tendances politiques, et le « vote de classe total » (total class voting), qui s'intéresse à toutes les sources d'association envisageables entre classe sociale et vote. Évidemment, ils estiment que la thèse du déclin du vote de classe doit être examinée à l'aune du vote de classe total, dans la mesure où le vote de classe traditionnel ignore certains liens statistiques entre classe et vote. Les chercheurs de Berkeley fondent leur mesure du vote de classe total sur des modèles de régression logistique multinomiale. Cependant, ces modèles estiment un nombre très élevé de paramètres, qui tranche avec la simplicité de l'indice d'Alford. Pour pouvoir résumer les résultats obtenus à une élection, et a fortiori pour pouvoir les comparer dans le temps et l'espace, Hout et ses collègues établissent une mesure synthétique, l'indice « kappa » (Hout et al., 1995). Cet indice est défini comme l'écart-type des différences entre classes sociales dans le vote, estimées par le modèle pour une élection donnée. Il peut également être désagrégé en « sub-kappas », qui permettent d'apprécier le changement des alignements de chaque classe. Sur cette base, les chercheurs de Berkeley montrent qu'aux États-Unis le vote de classe total subit des fluctuations sans tendance durant la période 1948-1992, mais que ces fluctuations

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cachent des désalignements et des réalignements de certaines classes sociales. Malgré le dépassement des limites méthodologiques de l'indice d'Alford par l'utilisation de techniques statistiques avancées et par une opérationnalisation plus complexe des variables, les débats sur le déclin du vote de classe ne se sont pas subitement refermés. Un certain nombre de malentendus persistent, pour l'essentiel liés à la définition du phénomène, et notamment à la confusion de ses deux niveaux d'analyse, certains discutant l'impact général de la classe sociale sur le vote, d'autres se focalisant sur les évolutions de certains alignements de classe, notamment l'alignement des ouvriers sur les partis de gauche. C'est ici que la sophistication méthodologique trouve ses limites : la focalisation sur les mesures a progressivement relégué au second plan les questions de science politique posées par le vote de classe. Le débat sur les indicateurs n'en reste pas moins un débat important. Et à sa façon, il a aussi contribué à révéler des dynamiques électorales qui étaient jusque-là largement ignorées. La complexification des schémas de classe et leur adaptation aux transformations impulsées par la révolution postindustrielle ont permis d'identifier deux nouveaux alignements de classe : en particulier l'alignement des « professionnels socioculturels » sur la gauche social-démocrate et écologiste, d'une part, et l'alignement des managers et des professions libérales sur les partis de la droite modérée classique, d'autre part (Oesch, 2008 ; Kriesi, 1998). En France, ce débat a également conduit à la redécouverte des vieilles mesures d'intégration objective aux classes, notamment les attributs ouvriers (Michelat et Simon, 1977) et les attributs indépendants (Mayer, 1983), et donné naissance à un ensemble de travaux qui insistent sur les divisions internes aux classes populaires (Mayer, 2015 ; Peugny, 2016).

Penser les alignements électoraux Parce qu'il peut aussi bien être utilisé pour expliquer le comportement de vote d'un électeur que pour comprendre l'alignement électoral d'une classe sociale, le concept de vote de classe est un concept fondamentalement ambigu. Cependant, les incertitudes ne se limitent pas à la coexistence de ces deux niveaux d'analyse : au cours des trois dernières décennies, les débats empiriques ont été

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accompagnés de nombreuses propositions de clarifications conceptuelles, qui ont ajouté une certaine confusion à cette ambivalence originelle. Les nombreux adjectifs désormais accolés au terme vote de classe en témoignent : vote de classe absolu (absolute class voting), vote de classe relatif (relative class voting), vote de classe traditionnel (traditional class voting), vote de classe total (total class voting), vote de classe général (general class voting), vote de classe global (overall class voting), etc. De la sorte, le concept de vote de classe ne connaît pas une acception unique et consensuelle, mais plusieurs définitions concurrentes. Afin de le rendre opératoire, il est nécessaire de préciser ces définitions et de revenir sur leurs différentes implications. Pour ce faire, le concept de vote de classe doit être articulé aux grandes problématiques des études électorales.

Le vote de classe et les questions de recherche des études électorales Bien qu'il soit associé à la notion de classe sociale et donc à des problématiques de sociologie, le concept de vote de classe vise avant tout à analyser des questions de science politique. De prime abord, un tel rappel peut sembler trivial. Il n'en est rien : la littérature autour du vote de classe a longtemps été dominée par des sociologues, si bien que la dimension proprement politique du concept a souvent été reléguée au second plan, sinon négligée (Mair, 1999). Les études électorales sont fondamentalement articulées autour de trois grandes questions (Miller et Shanks, 1996, p. 3) : pourquoi certains citoyens votent alors que d'autres ne votent pas ; pourquoi certains électeurs se prononcent pour un candidat/parti alors que d'autres votent pour un autre candidat/parti ; pourquoi un candidat/parti sort victorieux d'un scrutin plutôt qu'un autre. Les deux premières questions relèvent du choix individuel des électeurs, tandis que la troisième renvoie à leur acte collectif une fois qu'ils sont constitués en électorat. Or, chacun des deux niveaux d'analyse du vote de classe doit être associé à l'une de ces deux grandes dimensions des études électorales. Bien que leur vocation ne soit pas toujours aussi explicite, les indicateurs statistiques forgés dans la littérature sur le vote de classe mesurent, pour la plupart, le pouvoir explicatif de la classe sociale sur le choix électoral. Par la force des choses, c'est la question des déterminants sociaux du vote qui a été le plus souvent

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posée dans la littérature sur le vote de classe. Cette clarification permet de mieux comprendre la portée de la distinction introduite par Hout et ses collègues entre le vote de classe traditionnel et le vote de classe total : par sa simplification de la structure sociale et du vote, le vote de classe traditionnel peut occulter certaines formes d'association statistique entre la classe et le vote, ce qui pose un problème pour appréhender le pouvoir explicatif de la classe sur le vote (pour une discussion critique de cette évolution de la littérature, voir le chapitre de Mark Franklin dans le présent ouvrage). Cette focalisation sur la question des déterminants individuels du vote renvoie largement à la domination des enquêtes par sondage dans les études électorales. Or, le vote est également un choix collectif : de la décision de l'ensemble des citoyens, constitués en électorat, dépend le résultat final des élections. Évidemment, ces deux dimensions ne sont pas indépendantes, et aucune n'est plus légitime que l'autre. Mais alors que l'explication du vote constitue en soi une question à part entière dans les études électorales, il n'en va pas de même pour l'analyse des rapports de force électoraux : expliquer le résultat d'un scrutin implique, à un moment ou à un autre, de s'intéresser à des logiques individuelles. Dans ce cadre, la distinction entre les deux niveaux d'analyse du vote de classe prend tout son sens. Lorsqu'il est conçu au niveau des individus, le vote de classe est seulement une manière de penser l'orientation du vote des électeurs. En revanche, quand il est considéré au niveau des collectifs, le vote de classe constitue un point de passage entre le vote des électeurs et le résultat des élections. En poussant à identifier les contours des coalitions qui se forgent entre des classes sociales et des forces politiques, et en invitant à suivre leurs évolutions dans le temps, l'entrée du vote de classe permet d'éclairer les rapports de force électoraux. Historiquement, le premier alignement de classe à avoir été mis en évidence est le vote de classe ouvrier en faveur de la gauche, c'est‑à-dire l'alignement des ouvriers sur les partis issus du mouvement socialiste (Bartolini, 2010 ; Gougou, 2012). Mais d'autres alignements de classe ont également été mis en évidence, notamment celui des petits commerçants et artisans indépendants sur les partis de droite (Mayer, 1986). Sans remettre en cause l'importance des enjeux de méthode dans le développement des travaux sur le lien entre classe et vote, la distinction entre les deux niveaux d'analyse du vote de classe contribue donc à clarifier les diverses définitions qui ont été données au concept en les arrimant à des agendas de recherche

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spécifiques (Tableau 1). Dans cette perspective, elle permet également de repenser les termes du débat sur le déclin du vote de classe. Tableau 1 - Les définitions du concept de vote de classe INDIVIDUS

GROUPES SOCIAUX

Influence de la classe sociale sur l'orientation du vote des électeurs

Coalitions entre des classes sociales et des tendances politiques

Vote de classe absolu

Vote de classe ouvrier

Mesure

Indice du vote de classe absolu / Coefficient R2

Indice d'Alford / Odds ratio

Signification d'un déclin

Déclin du pouvoir explicatif de la classe

Perte d'originalité du vote des ouvriers

Terme utilisé

Vote de classe général

Alignements de classe

Mesure

Indice « kappa »

Indice « Sub-kappas » / Odds ratios

Déclin du pouvoir explicatif de la classe

Convergence du vote des classes sociales

Terme utilisé

VOTE DE CLASSE TRADITIONNEL

VOTE DE CLASSE TOTAL

Signification d'un déclin

Ces deux niveaux d'analyse se distinguent évidemment par le type d'outils statistiques qu'ils mettent en œuvre : la mesure de l'impact de la classe sociale sur le vote exige un coefficient synthétique qui résume l'ensemble des relations entre les deux variables, alors que la mise en évidence d'alignements de classe implique un indicateur spécifique pour le vote de chaque classe sociale. Toutefois, ils s'opposent encore plus nettement par leur conceptualisation des évolutions du vote de classe : au niveau individuel, il est question de hausse, de baisse ou de fluctuations sans tendance du poids de la classe sociale sur le comportement électoral, tandis qu'au niveau collectif, il est question de réalignement électoral, de désalignement électoral ou de maintien de l'alignement électoral d'une classe sur un parti.

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Enfin, cette mise en perspective des définitions du vote de classe permet d'éclaircir le statut exact du vote des ouvriers pour la gauche dans la littérature : bien qu'il puisse parfois être considéré comme le modèle du lien entre classe et vote, il désigne avant tout un alignement de classe. De la sorte, il prend place dans un agenda de recherche aux contours bien définis, qui vise à comprendre les rapports de force électoraux au travers des coalitions qui se forment, se cristallisent et s'institutionnalisent entre des groupes sociaux et des partis politiques. Ainsi formulé, cet agenda de recherche est particulièrement exigeant : il ne se limite pas à poser la question des liens entre classe et vote, mais interroge également leur durée et leur direction (Mair, 1999). En Europe de l'Ouest, l'enjeu est fondamental : la classe ouvrière a longtemps été la principale composante du noyau électoral des forces de gauche issues du mouvement socialiste, et a ainsi participé à la stabilité des systèmes partisans (Lipset et Rokkan, 1967).

Les fondements des alignements électoraux Remettre les questions de recherche au centre du débat et déplacer le regard au niveau des alignements électoraux permet de redécouvrir une partie aujourd'hui très largement ignorée des travaux sur le vote de classe, consacrée aux mécanismes des liens entre classe et vote. En dépit de la diversité de leurs origines théoriques, les travaux sur le vote de classe se sont historiquement développés autour d'une hypothèse commune issue de la doctrine socialiste : les électeurs votent pour le parti naturel de leur classe. Or, cette idée ne va pas de soi et peut renvoyer à des motivations de vote différentes, sinon contradictoires. Pour les théoriciens de l'accession au socialisme par les urnes, elle ne fait aucun doute : le vote de la classe ouvrière pour les partis de gauche est le vote de la classe élue pour renverser le système capitaliste. Dans les recherches scientifiques, cette interprétation messianique est d'emblée écartée. Deux explications alternatives sont avancées : un vote basé sur l'expression d'intérêts économiques (Butler et Stokes, 1969, 1974) ou un vote fondé sur l'expression d'une identité collective, d'une culture de groupe (Michelat et Simon, 1977, 1985). Les mécanismes du vote de classe ne se limitent pas aux motivations individuelles exprimées par les électeurs ; ils engagent également, de manière plus générale, la question des relations entre la structure sociale et le jeu politique. Dans cette perspective,

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deux grandes approches se sont opposées dans la littérature pour dépasser l'approche messianique du vote de classe : une approche dite bottom up et une approche dite top down (Evans, 2000). La première repose sur l'idée que le vote de classe est le reflet des oppositions de classe qui façonnent la structure sociale, alors que la seconde considère que le vote de classe est un produit de l'activité des partis politiques. L'influence initiale du marxisme a eu un impact important sur le cadrage des recherches sur le vote de classe : les premiers travaux sur la question ont assumé une approche déterministe du lien entre la classe et le vote. L'idée centrale est celle d'une translation : les partis agissent comme les représentants d'intérêts de classe particuliers, intérêts qui traduisent les inégalités dans la structure sociale, de sorte que la compétition politique est une projection des conflits de classe. L'expression la plus aboutie de cette approche est le fait de Lipset : In every modern democracy conflict among different groups is expressed through political parties which basically represent a « democratic translation of the class struggle ». Even though many parties renounce the principle of class conflict or class loyalty, an analysis of their appeals and their support suggests that they do represent the interests of different classes (Lipset, 1960, p. 220).

Cette approche déterministe, dans laquelle les partis politiques sont réduits à des variables dépendantes, est caractéristique d'une « sociology of politics » (Sartori, 1968, 1969). Or, selon Giovanni Sartori, l'idée selon laquelle les partis politiques sont les représentants des intérêts d'une classe et se sont historiquement constitués sur cette base est théoriquement sous-spécifiée, empiriquement fausse et donc scientifiquement inacceptable (Sartori, 1968, p. 4). Il propose de retourner l'argument défendu par Lipset en suggérant que les partis politiques jouent un rôle actif dans l'expression d'un vote de classe. L'approche de Sartori est fondée sur la distinction entre deux termes jusque-là confondus dans la littérature : bases sociales du vote (social bases of voting) et vote de classe (class voting). Pour Sartori, la mise en évidence de bases sociales du vote ne souligne rien d'autre que le poids de certaines polarisations sociales sur le choix des électeurs, alors qu'un vote de classe implique l'action consciente d'un groupe constitué en tant que collectif. Or, le

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passage entre des positions inégales dans la structure sociale et une action de classe n'a pas de caractère automatique et rien ne permet de déterminer a priori par quels processus des conditions socioéconomiques objectives deviennent la source de comportements. Face à cette impasse, Sartori fait intervenir une variable intermédiaire : l'activité des partis. L'idée centrale est celle de médiatisation : les partis sont des agents de mobilisation des électeurs, qui politisent certains conflits sociaux en vue d'obtenir des voix et de gagner des élections. La structure sociale n'est qu'une donnée avec laquelle ils interagissent ; une donnée qu'ils adaptent et à laquelle ils s'adaptent. De la sorte, ce ne sont pas les classes sociales qui sont à l'origine des partis, mais plutôt les partis qui façonnent les classes sociales et leur identité. Cette approche volontariste du vote de classe, dans laquelle les partis ont le statut de variable indépendante, ne considère pas les phénomènes politiques comme un prolongement naturel des données sociales. De ce fait, elle est caractéristique de la « political sociology » (Sartori, 1969, p. 69). Depuis le début des années 2000, une nouvelle approche des ressorts du vote de classe s'est développée qui distingue les fondements socio-économiques et les fondements culturels du comportement électoral (Houtman, 2003 ; Achterberg, 2006). Dans ce cadre, le vote de classe désigne les choix électoraux basés sur des orientations socio-économiques, et le vote culturel les choix électoraux fondés sur des valeurs sociétales. Cette distinction, qui invite à penser la multidimensionnalité de la compétition politique, conduit également à remettre en question le consensus grandissant autour de l'idée d'une tendance au déclin du vote de classe dans les démocraties occidentales : le vote de classe ne serait pas mort, mais il serait « enterré vivant » par la progression constante du vote culturel (Van der Waal et al., 2007). Le Tableau 2 résume ces quatre grandes approches du vote de classe. À leur façon, ces quatre modèles rappellent la manière dont s'est construit et développé le concept de vote de classe. Dans un premier temps, la relation entre classe sociale et choix électoral a été conçue comme un phénomène naturel, résultant d'une classe ouvrière qui serait par essence favorable aux partis de gauche. Dans un second temps, elle a été pensée comme la conséquence nécessaire des inégalités socio-économiques, reflétant dans la sphère politique les intérêts de classe qui se forgent dans la sphère économique. Dans un troisième temps, à la suite de la remise en cause de ces conceptions mécanistes, elle a été décrite comme le produit du

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travail de mobilisation des classes sociales par les partis dans leur lutte pour la conquête du pouvoir. Et depuis peu, elle est également envisagée sous un angle culturel, qui amène à reconsidérer le cadre strictement économique dans lequel elle avait jusque-là été inscrite. Tableau 2 - Les modèles d'explication du vote de classe (1) APPROCHE ESSENTIALISTE DU VOTE DE CLASSE Classe ouvrière

Vote de gauche

(2) L’APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU VOTE DE CLASSE (BOTTOM-UP BOTTOM-UP) Classe ouvrière

Intérêts de classe

Vote de gauche

(3) L’APPROCHE POLITIQUE DU VOTE DE CLASSE (TOP-DOWN TOP-DOWN) Organisations de classe

Identité ouvrière

Vote de gauche

(4) L’APPROCHE PAR LES CLIVAGES : VOTE DE CLASSE ET VOTE CULTUREL Clivages à dominante économique

Préférences économiques (redistribution)

Classe sociale Clivages à dominante culturelle

Vote Préférences culturelles (religion, autoritarisme)

Conclusion : le vote de classe, un concept inutile ? Le concept de vote de classe est un concept suffisamment général et abstrait pour pouvoir désigner deux réalités qui sont certes associées à un lien entre la classe et le vote, mais qui ne renvoient pas à la même question de recherche : l'influence de l'appartenance de classe sur l'orientation du comportement électoral, d'une part, l'alignement de certaines classes sociales sur des partis politiques, d'autre part, en particulier l'alignement électoral des ouvriers sur les partis de gauche. Évidemment, le fait que les auteurs ne proposent jamais de définition claire du concept contribue à brouiller les cartes. Mais au-delà, c'est la domination des controverses

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méthodologiques qui pose problème, dans la mesure où elles tendent à faire oublier que l'objectif du concept est d'abord d'aider à la compréhension des phénomènes électoraux. En dépit de ces insuffisances, le concept de vote de classe reste un outil utile pour expliquer l'existence de certains alignements électoraux. Parallèlement au poids des conditions socioéconomiques objectives, il permet de rappeler l'influence d'une dimension organisationnelle dans la mobilisation électorale des classes sociales, en attirant l'attention sur le rôle actif des partis politiques dans la politisation des clivages : l'existence d'inégalités socio-économiques n'est pas une condition suffisante pour l'expression d'un vote de classe.

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Du vote de classe au vote des classes

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Chapitre 3

Faire de deux faces une même pièce Sociologie du vote et psychologie du choix électoral Vincent Tiberj

N

onna Mayer a accompagné le développement de la sociologie électorale tout au long de sa carrière. Elle a pris part à de nombreux débats et, notamment, défendu le principe des enquêtes quantitatives à un moment où leur usage irraisonné dans le monde extra-académique par certains politologues qui y recouraient sans les analyser avec la rigueur scientifique et statistique requise, risquait de discréditer la méthode des sondages. Une des grandes forces de ses travaux tient au fait qu'elle a systématiquement lié approches théoriques et empiriques, évitant deux écueils de la recherche quantitative, les « statistiques sans conscience », d'une part, et l'irrespect des données et de leur complexité, d'autre part. Tout étudiant qui l'a croisée ou tout collègue avec qui elle a discuté l'a entendue au moins une fois prononcer son mantra : « C'est toujours plus compliqué », une phrase héritée de Guy Michelat. Elle s'est aussi consacrée sans relâche à lire et à transmettre les controverses, les avancées, les découvertes de la littérature française et internationale. Cela se retrouve dans son manuel de sociologie politique dans lequel Nonna Mayer a préféré s'effacer et faire justice à l'immense travail collectif de la discipline. Elle est toutefois très citée, d'une part, pour ses études sur les variables lourdes (Mayer, 1986 ; Mayer et Schweisguth, 1989 ; Boy et Mayer, 1997 ; Cautrès et Mayer, 2004) et, d'autre part, pour ses travaux en psychologie politique, à portée générale (Mayer, 2002 ; Chiche, Mayer et Tiberj, 2002) ou appliqués au racisme (Mayer, 1996, 2001).

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Or, ces approches sont souvent regardées comme antagonistes. Les modèles qui conçoivent l'électeur dans une perspective sociologique, au premier rang desquels on trouve le modèle français des « variables lourdes » que Nonna Mayer a contribué à construire, se caractériseraient par leur insensibilité au contexte politique ou aux enjeux et se révéleraient incapables de penser le changement. D'ailleurs, dès lors qu'il est réputé en perte de vitesse, ses défenseurs cherchent alors à trouver d'autres manières de mesurer les inégalités sociales pour le maintenir (Oesch, 2006 ; Gougou, 2012 ; Franklin, dans le présent ouvrage). L'électeur raisonnant (Popkin, 1991) s'ancre, quant à lui, dans une logique très différente à première vue, puisqu'il s'agit de montrer que les individus raisonnent face au vote, accumulant des clés de lecture (cues), suivant des routines de pensées (heuristiques ou schémas). Ce modèle est souvent critiqué : on lui reproche sa vision trop large de la notion même de raison (Blondiaux, 1996) et son « atomisme » (Braconnier, 2010) qui laisserait à penser que les électeurs sont des agents désocialisés, seuls face au choix électoral comme ils le sont face aux enquêtes d'opinion, ce qui est loin d'être le cas. Dans ce chapitre, on s'efforcera de décrire en quoi ces approches ne sont pas si antagonistes et sont confrontées à des défis similaires. Pour ce faire, nous montrerons que la sociologie électorale et la psychologie de l'électeur ont suivi des parcours communs. Toutes deux ont été marquées initialement par une logique « stabiliste », centrée sur les régularités des comportements, et ont ensuite été profondément transformées par la montée en puissance du « court-termisme ». Il sera temps alors de faire apparaître en quoi ces deux approches peuvent cohabiter et s'enrichir, au travers d'une meilleure compréhension des acteurs en société dans leur complexité.

De quel citoyen parle-t‑on ? Les évolutions de la psychologie politique La recherche en psychologie politique s'est fondée sur des conceptions très différentes de l'individu, de ses motivations et de sa manière d'agir qui elles-mêmes reflétaient des courants dominants en psychologie générale. En matière électorale, le behaviorisme a longtemps dominé avant que le cognitivisme nous rappelle que les citoyens sont aussi des acteurs raisonnants.

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Faire de deux faces une même pièce

Grandeur et déclin du modèle behavioriste La conception du citoyen et de l'électeur a été durablement transformée par les premières grandes études empiriques dans la discipline (Lazarsfeld et al., 1954 ; Campbell et al., 1960). De manière intéressante, cette conception est commune à nombre des travaux de l'époque, alors même que ceux-ci s'opposent sur les modèles de l'électeur ou qu'ils ne traitent pas du vote. Ils ont d'abord en commun de s'opposer à l'idée classique du citoyen rationnel-actif (Almond et Verba, 1963), dominante dans les manuels d'éducation civique ou les représentations des philosophes, des journalistes et de certains sondeurs, mais qui ne correspondait pas à la réalité observable de la politique 1. Ces citoyens idéaux, intéressés par la chose publique, capables de s'abstraire des contingences (et donc de leurs caractéristiques sociales), ne ressemblaient guère aux électeurs américains interrogés : « beaucoup votent sans réel investissement dans l'élection » ; « Les citoyens dénotent une faible connaissance des détails de la campagne électorale » ; « D'aucune manière ils ne font montre d'une grande rationalité » (Lazarsfeld et al., 1954, p. 308). Ces travaux empiriques fondateurs ont été ensuite imprégnés d'un behaviorisme plus ou moins assumé qui se traduit d'abord dans leur conception de l'interrogation. Les questionnaires des enquêtes quantitatives de l'époque sont construits dans la logique stimulus/réponse (McGuire, 1993) : les questions de sondage révéleraient des attitudes et des opinions « déjà là », et si ce n'est pas le cas, c'est que l'on a affaire à des « non-attitudes » selon l'expression de Converse (1964) 2. Une conception duale du citoyen émerge alors entre le citoyen behavioriste et le citoyen « ordinaire ». Le modèle dominant en psychologie politique à l'époque était celui d'un individu se caractérisant par un système d'attitudes aux composantes cohérentes les unes par rapport aux autres et stables dans le temps. On retrouve cette conception behavioriste dans des concepts et des travaux clés de l'époque, comme notamment 1. Étonnamment, cette conception reste encore d'actualité. 2. De manière intéressante, la tradition critique française de l'outil sondage (Bourdieu, 1973 ; Blondiaux, 1997 ; Lehingue, 2007) n'a pas eu d'équivalent outre-Atlantique, alors même que les questions portant sur les enjeux, utilisées dans The American Voter pour mettre en évidence les difficultés des Américains ordinaires, sont particulièrement ardues et caractéristiques d'une « imposition de problématique ». Elles portent par exemple sur le Fair Employment Practice Committee, une politique de lutte contre les discriminations édictée en 1941 ou sur le choix entre production privée et publique d'électricité.

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l'identification partisane développée par l'école de Michigan, ou la vision des préjugés véhiculée par des auteurs comme Theodor Adorno et ses collègues (1950). Dans ce dernier travail, les préjugés sont construits dès l'enfance et persistent par la suite. Cette conception « stabiliste » du citoyen est compatible avec les modèles d'inspiration sociologique tels celui des « variables lourdes » 3 qui supposent aussi une certaine stabilité des comportements individuels. Cette conception behavioriste du citoyen a aussi permis d'établir par contraste celle d'un « citoyen ordinaire ». Bien sûr, la question de la faible compétence politique des citoyens n'est pas nouvelle, puisqu'elle était déjà posée dans la Grèce antique (Finley, 1973). Mais les enquêtes par sondage vont donner une idée de l'ampleur du phénomène. La typologie de Converse (1964) fait apparaître qu'à peine 12 % à 15 % des électeurs américains seraient capables de juger les responsables politiques selon des schèmes politiques (les idéologues et quasi-idéologues). Les autres en seraient réduits à appréhender la réalité politique à l'aune des groupes sociaux (42 %), d'un problème spécifique 4 (24 %) ou d'autres considérations, notamment les traits de personnalité supposés des candidats (environ 22 %). Va ainsi se constituer une vision du citoyen qui sera caractérisée, selon Paul Sniderman (1998), par : « 1) des niveaux minimaux d'attention à la politique et d'information ; 2) une maîtrise minimale de notions politiques abstraites, comme l'opposition libéralisme-conservatisme ; 3) une stabilité minimale des préférences politiques ; 4) et, de manière principielle, une cohérence minimale des attitudes ». Une French touch de la compétence politique s'est développée au travers des travaux de Pierre Bourdieu (1979) et de Daniel Gaxie 5 3. C'est d'autant plus intéressant que Michelat et Simon, très souvent considérés comme les pères de ce modèle, avaient une approche plus ouverte de leurs propres résultats : « La régularité des tendances ainsi constatées fait apparaître la forte incidence d'un certain nombre de déterminants sociaux sur le comportement politique. Soulignons que les relations que nous dégageons sont seulement probabilistes et que nous ne rendons compte que d'une partie des variations du comportement politique » (Michelat et Simon, 1977, p. 460). Il faut relever l'utilisation simultanée des termes « déterminants » et « probabiliste », soit ambiguë, soit porteuse de plus de potentialités scientifiques que la lecture classique de leur travail. Michelat et Simon n'envisageaient sans doute pas l'ancrage social des électeurs comme une « camisole de force », selon l'expression de Valdimer O. Key (1966). 4. Il ne faut pas se méprendre sur ce groupe. Il ne s'agit pas d'un « issue public » (Krosnick, 1990) particulièrement mobilisé autour d'une politique publique, mais plutôt d'individus qui ne peuvent juger qu'à partir d'un enjeu qu'ils connaissent vaguement. 5. Leurs travaux englobent beaucoup plus que la simple question de la compétence, mais leur approche nous paraît essentielle ici.

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(1978). Leur spécificité est d'avoir inséré cette question dans le système de domination sociale et d'avoir rajouté à la dimension d'incompétence objective une dimension d'incompétence subjective. Indépendamment de leur niveau de connaissances, certains individus se dénieraient le droit à la parole ou celui d'opiner, s'en remettant alors notamment aux responsables politiques et aux partis pour choisir à leur place. Bourdieu parle ainsi d'une double « remise de soi ».

Le tournant cognitiviste Durant les années 1990, le tournant cognitiviste remet en cause tant l'électeur behavoriste que l'électeur « minimaliste », selon une expression de Paul Sniderman (contestée en France par des chercheurs comme Patrick Lehingue). Désormais, le modèle dominant qui structure la psychologie politique devient celui de « l'électeur raisonnant » (Popkin, 1991 ; Sniderman, Brody et Tetlock, 1991). Cet électeur agit dans le cadre d'une rationalité limitée (Simon, 1982, 1987), visant à choisir en économisant sur des ressources temporelles et cognitives limitées. Ces choix peuvent se faire en fonction de préférences déjà là ou de nouvelles informations. Dans ce paradigme cognitiviste, l'électeur est considéré comme un « électeur-processeur », dont la décision de voter, par exemple, se forme au long de la campagne entre des éléments de court terme, mais aussi des prédispositions de long terme. À la base de ces travaux, on trouve un changement de manière de voir les questions de sondage : là où les tenants du modèle behavioriste perçoivent du bruit ou du hasard dans certaines réponses, les cognitivistes voient du raisonnement, des processus de décision où interagissent des individus et un contexte d'interrogation, qu'il convient de dévoiler au travers de la manipulation des intitulés ou des effets de cadrage 6. Pourquoi les enquêtés afro-américains ontils moins de connaissances politiques quand l'enquêteur est blanc que quand il est, lui-même, afro-américain ? Pourquoi les sondés américains se déclarent-ils moins souvent intéressés par la politique après avoir été testés sur une série d'enjeux politiques complexes (Bishop, Oldendick et Tuchfarber, 1982) ? Dans ces deux cas, les conditions du sondage peuvent réactiver un sentiment de 6. De manière intéressante, c'est aussi mettre à distance les enquêtes d'opinion du discours scientiste qui les accompagne trop souvent. L'opinion publique ne préexiste pas toujours aux questions de sondage, c'est même finalement rarement le cas.

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domination. Pourquoi les attitudes sur l'avortement varientelles selon que, précédemment, a été posée une question sur la religion ou une question sur le droit des femmes (Tourangeau, Rasinski, Bradburn et D'Andrade, 1989) ? Ici, des effets de cadrage sont clairement à l'œuvre. Les opinions recueillies évoluent en fonction des considérations remises en tête par le déroulé du questionnaire. Ces interactions entre contexte d'interrogation et réponses des individus permettent de mieux comprendre non seulement les électeurs, mais aussi le système politique lui-même. Par contexte d'interrogation, il faut comprendre à la fois des éléments micro (ordre et formulation des questions) et macro (cadrage et agenda des débats politiques). Ces travaux vont renouveler l'approche des effets de campagne électorale (Brady et Johnston, 2006) avec, par exemple, une attention dévolue aux stratégies informationnelles (Lau et Redlawsk, 2006) suivies par les électeurs 7. Désormais, les politistes s'intéressent aux manières dont les individus choisissent, aux informations qu'ils utilisent, à la manière dont ils arrivent à voter ou à opiner, dans un sens ou un autre. Il faut noter ici que le modèle cognitiviste suppose une volonté de s'informer, ce qui n'est pas évident. Ainsi, Charlotte Dolez (2013) a montré que l'information politique arrive souvent par accident aux individus. Le courant cognitiviste va donc se pencher sur les modes de raisonnement. Par exemple, Paul Sniderman et ses collègues vont identifier une « likability heuristics » (Sniderman, Brody et Tetlock, 1991) qui permet à des électeurs, pourtant peu intéressés et peu diplômés, de faire des choix « à moindres frais » en fonction des positions supposées des groupes et des organisations politiques qu'ils aiment ou qu'ils n'aiment pas. Sniderman et ses collègues considèrent qu'avec ces heuristiques les individus raisonnent presque aussi bien que les citoyens compétents. La question de l'efficacité et de la rationalité de ces choix est cependant fortement débattue (Blondiaux, 1996). Après tout, voter pour un candidat selon sa personnalité est rationnel en procédure, mais cela l'est-il en termes d'intérêts ou de valeurs pour l'électeur ? 7. On peut voir dans ce renouveau scientifique une forme d'hommage à un modèle qui fut laissé de côté parfois injustement, celui de l'école de Columbia. On oublie trop souvent que le sous-titre de Voting était : « A Study of Opinion Formation in a Presidential Election » (Lazarsfeld et al., 1954).

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Une partie du succès du modèle de l'électeur raisonnant tient sans doute à sa compatibilité avec l'approche économiste, mais clairement cet électeur est plus que cela : il est sentimental (Marcus, 2002 ; Brader, 2005), a des valeurs et des biais cognitifs et intègre des informations. Les débats français sur la question ont évolué. Dans une logique plus compréhensive, Daniel Gaxie (2002, 2007) met en avant l'« auto-habilitation » des citoyens ordinaires et leur capacité à « bricoler » des jugements, notamment à partir de leurs expériences personnelles, sans pour autant que ces jugements soient suffisants pour permettre de prendre les « bonnes » décisions. La question de la compétence politique 8 est elle-même réévaluée par John Zaller (1992). S'écartant des conceptions classiques, Zaller postule que la sophistication politique ne pèse pas sur le stock de connaissances politiques dont disposent les individus (les « knownothing voters »), mais sur leur capacité à les organiser et à les « ramener » en mémoire. Ainsi, Converse (1964) expliquait que les citoyens ordinaires pouvaient parfois répondre aux questions de sondage en tirant au sort les réponses. Zaller postule que les citoyens ordinaires et les citoyens sophistiqués répondent en mobilisant des informations. La grande différence entre eux réside dans la capacité à ramener en mémoire les bonnes informations et surtout, à peser les « pour » et les « contre » que contiennent ces différentes informations disponibles. Les citoyens sophistiqués disposent d'un système de classement (l'idéologie) qui a plusieurs fonctions : faire le lien entre les informations, être capable de les relativiser, donc pouvoir les ramener plus facilement en mémoire. En revanche, les citoyens ordinaires peinent à les classer et donc à les évaluer ; leur capacité à ramener les informations est plus aléatoire. Ils sont alors plus sensibles au contexte du choix et plus influencés par le contexte de l'interview (ordre des questions, débats du moment, etc.) : ce qui « leur passe par la tête » est plus déterminant. Cette théorie de la compétence se révèle particulièrement heuristique dès lors qu'elle permet de comprendre alors les « effets de cadrage » (Iyengar et Kinder, 1987) et leurs conséquences, notamment sur les réponses à des questions de sondage et les votes. 8. D'autres conceptions plus classiques de la compétence politique continuent d'être défendues, notamment à partir de l'utilisation des questions de connaissances (Delli Carpini et Keeter, 1996 ; Althaus, 2003). À notre sens, elles constituent plus une prolongation qu'une véritable rupture, dans une démarche proche de celle d'Eric R. A. N. Smith (1987).

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Y a-t‑il encore des modèles du vote ? En parallèle aux évolutions de la psychologie politique, les modèles du vote vont passer d'une conception insistant sur la stabilité à une approche concentrée sur les facteurs de court terme, voire sur l'imprédictibilité des comportements. Ce glissement questionne directement notre capacité à comprendre sociologiquement le vote.

Les grands anciens du vote Les modèles du vote ont longtemps été des modèles de la régularité. Cette autre logique stabiliste trouve ses racines, selon Patrick Lehingue (1997), dans la démarche fondatrice d'André Siegfried (1913) qui essayait déjà sous la IIIe République de mettre en avant des « tempéraments politiques » territorialisés au travers des constances des résultats électoraux. Les années 1980 et 1990 ont vu une remise à plat des modèles dominants, tant dans la science politique internationale (Dalton et Wattenberg, 1993) qu'en France. Les modèles traditionnels se fondaient sur des alignements construits dans le temps long. Ces alignements pouvaient être le produit de clivages historiques (Lipset et Rokkan, 1967), de l'inscription des individus dans des groupes sociaux (Lazarsfeld et al., 1954), ou encore le résultat du développement psycho-affectif d'une identification partisane (Campbell et al., 1960). Ces modèles très différents avaient en commun d'envisager le vote comme un comportement pérenne. Lipset et Rokkan adoptent une approche sociohistorique permettant de comprendre les dynamiques des systèmes politiques européens. Deux révolutions auraient durablement structuré les liens entre électeurs et partis en produisant chacune deux clivages. La révolution nationale aurait produit le clivage entre l'Église et l'État et celui entre centre et périphérie. La révolution industrielle aurait structuré celui entre urbains et ruraux et celui entre possédants et salariés. Ces quatre clivages ne sont généralement pas présents simultanément. Chaque système national européen dispose de sa propre hiérarchie des clivages, susceptible d'évoluer tout au long des XIXe et XXe siècles. Cette théorie est novatrice, car les clivages ne vont pas de soi. Ils procèdent de logiques qui émanent à la fois du « bas », avec la politisation de citoyens et d'organisations (voir aussi le chapitre d'Yves Déloye et Florence Haegel dans le présent ouvrage), et du « haut » : pour que ces clivages perdurent, ils

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doivent être entretenus par des partis. Cela permet notamment de comprendre comment ils émergent et comment ils déclinent (Bartolini, 2005). Le travail de l'école de Columbia est plus complexe que le modèle de vote qui a pourtant été son héritage le plus évident. Par exemple, l'équipe de Paul Lazarsfeld a considérablement fait progresser la sociologie des médias, avec la découverte des leaders d'opinion et du « two-step flow of mass communication ». Elle a aussi mis en avant l'importance des discussions et des liens interpersonnels, qui a été redécouverte récemment (Zuckerman et al., 2007 ; Braconnier, 2010 ; Rolfe, 2012). Son modèle de vote fait le lien entre les caractéristiques sociales des individus (lieu d'habitation, religion, classe sociale) et la propension de ces derniers à soutenir les Démocrates ou les Républicains. Il est souvent résumé par la phrase : « Une personne pense politiquement comme elle est socialement ». Il ne s'agit pas, cependant, d'une lecture marxisante du politique, mais plutôt d'une logique de conformité collective : « le sens des convenances [dans un groupe] est un trait plus marquant des préférences politiques que la raison ou le calcul ». Le troisième modèle, celui de Michigan, est devenu rapidement le modèle dominant en sociologie électorale. D'abord, il paraît mieux prédire le vote des Américains, même si la comparaison avec le modèle de Columbia est un bon exemple de mauvaise foi statistique 9. Ensuite, l'entonnoir de causalité (et non le tunnel) fournit une grille de classement des facteurs de long, moyen et court terme permettant d'expliquer le vote. Enfin, il met en position centrale le rapport au parti. L'identification partisane est un lien affectif et stable 10 qui a des fonctions particulièrement importantes pour l'électeur et pour le système politique. C'est d'abord un mode de repérage en politique. Cette identification agit, ensuite, comme filtre et donc comme simplification des informations politiques, d'une façon qui n'est pas sans rappeler les travaux sur les 9. Les variables indépendantes ne sont pas de même nature. Il est donc à la fois normal, et trivial, qu'une variable plus « proche » du vote comme l'identification partisane explique mieux le vote que la classe sociale. Il en irait de même si l'on prenait la sympathie pour Marine Le Pen ou l'attitude à l'égard des immigrés : la première serait beaucoup plus prédictive, mais peu éclairante en termes de cause : qu'est-ce qui produit la sympathie pour cette candidate ? 10. L'identification partisane est particulièrement stable dans le temps. La corrélation de rang entre les réponses données par les panélistes analysées par Converse (1964) en 1958 et en 1960 dépasse le seuil de 0,7 quand, par exemple, la position sur la déségrégation des écoles passe en dessous de 0,5.

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perceptions sélectives développées par l'école de Columbia. Les électeurs privilégieront inconsciemment les informations favorables à leur parti plutôt que celles qui le critiquent et agiront dans le sens inverse pour les informations qui concernent le parti adverse. Enfin, l'identification partisane a un rôle de mobilisation. De la même manière que le supporter d'un club sportif a un intérêt pour les résultats du championnat et est prêt à donner du temps et de l'argent pour soutenir son équipe, l'électeur qui dispose d'une identification partisane a davantage de chances de s'intéresser à la politique et de voter. Les auteurs de The American Voter insistent alors sur l'importance de l'identification partisane pour assurer pérennité et stabilité au système politique américain (Campbell, Converse, Miller et Stokes, 1960). Les travaux européens et français se caractérisent par la question du vote de classe et donc par la prégnance d'une lecture sociologique du politique. Ainsi, Michelat et Simon (1977) identifient deux variables majeures pour expliquer le vote des Français : la classe sociale (entendue d'ailleurs objectivement et subjectivement, ce qui reste une spécificité française) et la relation au catholicisme 11. Les catholiques pratiquants votent plus à droite, tandis que les ouvriers athées sont particulièrement alignés sur la gauche. Ce modèle se verra adjoindre par la suite le patrimoine (Capdevieille et Dupoirier, 1981) pour former le modèle des « variables lourdes ». La recherche française raffinera durant les années 1980 son approche sociologique en créant notamment des attributs ouvriers ou indépendants (Mayer et Schweisguth, 1989) qui permettent de nuancer et de graduer les effets de la classe sociale : plus l'inscription sociale d'un individu dans un groupe (par son père, sa mère, son conjoint) est forte, plus son vote va dans le sens attendu. Les modèles du vote individuel ont débouché aussi sur des théories des élections. Dès The American Voter, Angus Campbell établit une classification des élections entre les élections de maintien, les élections déviantes – donc de vote anormal où des forces de court terme perturbent le fonctionnement normal du système – et les élections de réalignement lors desquelles le système politique évolue vers un nouvel équilibre. Au cours des années suivant la parution de The American Voter, Philip Converse (1966) inventera le 11. Cette relation entre catholicisme et vote de droite sera critiquée pour son caractère univoque par Jean-Marie Donegani (1993) qui mettra en évidence de manière qualitative les différentes cultures politiques du monde catholique.

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concept de « vote normal », entendu comme la proportion stable de suffrages en faveur d'un parti dans un groupe ou dans une circonscription. À partir de cette quantité, il est possible d'identifier des facteurs de court terme qui viennent modifier cet équilibre politique. La stabilité est donc de nouveau considérée comme l'état normal, et le changement est soit temporaire, soit vu avec suspicion : au niveau individuel, il sera signe de « fausses » attitudes, au niveau agrégé, il sera déviant. Le changement peut aussi être annonciateur du passage d'un ordre électoral ancien à un nouvel ordre (Martin, 2000). Ces travaux peuvent être regroupés dans « l'école des réalignements » (Sundquist, 1983 ; Key, 1955, 1959). On assiste ainsi à des désalignements (qui aboutissent à ce qu'un groupe perde sa spécificité politique) ou à des réalignements (le passage d'un groupe d'un parti à un autre), mouvements qui peuvent être brutaux ou plus graduels (Key parle alors de « secular realignment »).

L'ère des remises en question Pourtant, dès la fin des années 1960, ces modèles canoniques sont critiqués. C'est d'abord visible dans les études comparatives 12 qui se focalisent sur l'indice d'Alford 13. Dans la plupart des pays occidentaux, cet indice a baissé, quelle que soit la polarisation de classe dans chacun d'eux. Face au constat de cette baisse, les réponses ont été plutôt diverses : elles se sont focalisées sur les modes de calculs du vote de classe en essayant de montrer qu'avec des modes de calculs plus fins on n'obtenait pas les mêmes résultats (Manza, Hout et Brooks, 1995). Une autre réponse scientifique s'est concentrée sur le découpage du social ou sur la recherche de nouvelles divisions sociales et de nouvelles manières d'appréhender le clivage entre riches et pauvres, ainsi les travaux sur la dualisation (Rueda, 2007), sur le développement des nouvelles classes (Kriesi, 1998) ou encore sur les précaires (par exemple, Braconnier et Mayer 2014). Plusieurs travaux ont adopté une approche plus géographique pour relativiser ce déclin du vote de classe et ont ainsi permis un découpage plus fin des mondes ouvriers, notamment au travers de l'angle du périurbain (Girard, 2013 ; Rivière, 2012). 12. D'ailleurs nombre de ces travaux se fondent sur un même graphique (et donc sur une seule étude comparative) : celle de Clark, Lipset et Rempel (1993). 13. Égal au pourcentage des votes des travailleurs manuels pour la gauche moins le pourcentage des votes des travailleurs non manuels pour la gauche. Sur ce point, voir le chapitre de Florent Gougou dans cet ouvrage.

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Mais il est difficile de nier que la sociologie du vote a changé. Ainsi, même si la religion demeure « encore et toujours » (Dargent, 2004), notamment en France, pour nombre de chercheurs la messe est dite : soit le vote de classe a été « enterré vivant » (Houtman, Achterberg et Deks, 2008), soit on est passé du « vote de classe » au « vote sur enjeux » (Franklin et al., 1992, ainsi que dans le présent ouvrage). Les modèles sociologiques ne sont pas les seuls à être questionnés. La stabilité des comportements électoraux en général est mise à mal. Ainsi, l'abstention change de nature dans la littérature (voir aussi le chapitre de Céline Braconnier dans cet ouvrage). Longtemps analysée comme un défaut d'intégration dans le système politique (Lancelot, 1968 ; mais aussi Lane, 1962 ; Nie, Verba et Petrocick, 1972), son augmentation (Delwitt, 2013) et son aspect conjoncturel interrogent. Certains y voient la conséquence d'une crise du politique et font le lien avec la montée de la défiance des citoyens dans les pays occidentaux (Nie, Zelicow et King, 1997 ; Newton, 1999). D'autres considèrent qu'il s'agit essentiellement du fonctionnement normal du système (Franklin, 2004) : la montée de l'abstention serait alors le résultat d'une combinaison entre différents changements institutionnels, notamment l'abaissement de l'âge de la majorité et le manque de compétition entre les composantes de l'offre électorale. On retrouve une idée similaire dans les notions d'« abstentionnistes hors-jeu » (qui correspondent aux abstentionnistes traditionnels) et d'« abstentionnistes dans le jeu » qui choisissent de s'abstenir par insatisfaction face à l'alternative que le système politique leur propose (Muxel, 2002). Enfin, le courant post-matérialiste (Inglehart, 1979 ; Dalton, 1988 ; Norris, 1999) diagnostique une transformation du rapport au rôle de citoyen. Les citoyens des pays occidentaux passeraient d'une « elite-directed participation », une participation suscitée et canalisée par les élites politiques, à une « elite-challenging participation », entreprise par les citoyens contre les élites. Dalton parlera lui de la fin d'une « duty-based citizenship » (Dalton, 2007). Cette montée de l'instabilité touche aussi le rapport aux partis et donc les fondements du modèle de Michigan. Wattenberg (1990, 1991) est l'auteur qui a saisi le mieux cette évolution aux ÉtatsUnis au tournant des années 1980. Selon lui, les partis politiques avaient une fonction primordiale d'agenda-setting et de cadrage dans les systèmes politiques des années 1950 et 1960. Cette

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fonction d'(in)formation n'est plus leur apanage. Les électeurs ont désormais les moyens cognitifs et médiatiques de choisir par euxmêmes. En conséquence, les partis ont perdu en termes de « centralité cognitive » pour les électeurs américains. Selon Wattenberg, les organisations partisanes sont désormais dépourvues de sens (meaningless) pour l'électorat. Il se fonde notamment sur la proportion de split-tickets 14 qui atteint jusqu'à 30 % des votes en 1972 et dépasse 25 % de 1976 à 1988. En France, le débat se portera, d'une part, sur la thèse du « nouvel électeur », mais aussi sur la question de la mobilité électorale. En s'interrogeant sur les changements de majorité entre 1986 (victoire de la droite) et 1988 (réélection de François Mitterrand), Philippe Habert et Alain Lancelot (1988) postulent l'existence d'électeurs particulièrement compétents qui votent en fonction du programme des candidats, affranchis des « pesanteurs » sociales et politiques. L'existence de tels électeurs occupera les débats des années 1990 et 2000. Mais les travaux sur la mobilité électorale (Lehingue, 1997 ; Swyngedouw, Boy et Mayer, 2000 ; Jadot, 2000) montreront d'abord que la mobilité est une caractéristique systémique du système multipartisan français. Ensuite, qu'elle est essentiellement une question de mobilisation différentielle (les supporters des partis au pouvoir se mobilisant moins que les opposants). Enfin, que les électeurs passant d'un camp à un autre sont très peu nombreux et n'ont pas le profil des « nouveaux électeurs ». La mobilité est aussi le signe d'une transformation des rapports à l'offre politique marquée par la montée de la négativité, l'érosion du lien partisan et l'émergence de l'espace des possibles électoraux, soit la possibilité simultanée de voter pour plusieurs partis (Tiberj, 2007). Si les clivages, les ancrages sociaux des individus ou leurs liens aux partis perdent de leurs capacités explicatives, c'est que d'autres variables déterminent le vote. Celles-ci avaient déjà été envisagées dans l'entonnoir de causalité de l'école de Michigan : à savoir les enjeux du moment et les candidats. La question de la personnalité des candidats a longtemps été considérée comme une grille de lecture inadéquate du politique. Pourtant, l'appréciation des candidats reprend une certaine importance pendant les années 1980 avec notamment l'existence des 14. Un vote simultané pour des candidats appartenant aux deux grands partis.

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Reagan Democrats. Puisqu'il n'est plus besoin des partis pour s'informer et s'orienter, puisque l'avènement de la télévision rend d'autant plus visible l'incarnation du politique au travers des leaders ou des candidats, puisque certaines élections visent à choisir un homme (plus rarement, voire très rarement, une femme) notamment dans les systèmes présidentiels, la fenêtre d'opportunité s'ouvre pour une personnification du politique et l'émergence d'une « politique centrée sur le candidat » (candidate-centered politics, Wattenberg, 1991). Désormais, le vote dépendrait de l'évaluation des performances des sortants et des performances supposées de leurs challengers et non plus du bilan et du programme des partis qui les soutiennent. D'ailleurs, plusieurs travaux de part et d'autre de l'Atlantique ont relevé le changement de nature des partis politiques qui tendent de plus en plus à se transformer en machine au service des candidats (Gaxie, 1993 ; Grunberg et Haegel, 2007). Le recentrage autour du court terme passe aussi par la redécouverte du rôle des enjeux qui avait déjà été mentionné à la fois par l'école de Columbia et par l'école de Michigan. Cette idée d'un électorat qui évolue en fonction des problèmes du moment va prendre une importance toute particulière dans l'analyse du comportement des électeurs américains durant les années 1960 grâce au Vietnam et au mouvement des droits civiques (Nie, Verba et Petrocik, 1976). Désormais, avec l'érosion des fidélités de long terme, les enjeux deviendraient primordiaux. Certains auteurs ont pointé une évolution de l'offre politique concomitante à cette nouvelle donne : ainsi des « single-issues parties » apparaissent, tout comme des partis attrape-tout (Kircheimer, 1966). Il faut cependant souligner que derrière ces enjeux peuvent émerger de nouveaux clivages ou, tout au moins, une refonte de l'ordre électoral. Ainsi, la question raciale a entraîné un phénomène de réalignement des partis américains (Carmines et Stimson, 1989). De même, l'immigration en Europe était peut-être un « simple » enjeu durant les années 1980 et 1990 (une thèse que l'on retrouve encore dans certaines analyses comme, dans le cas français, Nadeau et al., 2012), mais il est difficile de nier qu'il a contribué à développer une « nouvelle politique » plus durable à long terme (Kriesi et al., 2008 ; Tiberj, 2012). D'ailleurs Kriesi ajoute désormais une troisième révolution aux deux révolutions classiques, celle de la globalisation qui aurait ainsi créé un nouveau clivage entre gagnants et perdants de la mondialisation.

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La montée en puissance de l'approche économique L'état de l'économie prend une place très particulière et dominante dans la littérature sur les enjeux. L'électeur voterait désormais en fonction de la réussite ou de l'échec (présumés) de la politique économique du gouvernement en place (Fiorina, 1981 ; Lewis-Beck, 1988 ; Van der Brug, Van der Eijk et Franklin, 2007). Illustrant cette montée en puissance du vote économique, Gray et Wuffle (2005) constatent que dès les années 1981-1984, l'ouvrage majeur d'Anthony Downs, An Economic Theory of Democracy, paru en 1957, devient le premier ouvrage cité dans les revues scientifiques parmi les quatre « classiques » de la science politique américaine – les trois autres sont Voting (Lazarsfeld, Berelson et Gaudet, 1954), The American Voter (Campbell, Converse, Miller et Stokes, 1960) et The Civic Culture (Almond et Verba, 1963). En 2001-2004, les citations de ce travail dépassent le score cumulé des trois autres ouvrages. La raison principale de ce succès tient pour beaucoup à la conception de l'électeur portée par Downs : il est considéré comme un acteur économique, capable de calculer en fonction de ses intérêts l'utilité de voter pour chacun des partis. Cette conception a été critiquée par de nombreux sociologues du politique pour son réductionnisme (Pizzorno, 1991). Une partie de ces critiques tient à la manière dont ceux qui s'en réclament utilisent Downs ; une autre, à une lecture trop rapide de son travail. L'héritage de Downs dépasse les canons d'une vision trop économiste des électeurs. Le premier exemple est celui du vote spatial, une manière de comprendre tant les logiques de compétition d'un système partisan que les dimensions sur lesquelles il s'appuie (on est proche alors des clivages rokkaniens). De plus, la proximité entre le modèle de Downs et celui de l'électeur raisonnant inspiré de Simon est évidente 15 : dans les deux cas, les électeurs sont envisagés comme des acteurs visant à minimiser les coûts de la décision (électorale). Par conséquent, Downs envisage que les électeurs s'en remettent à d'autres acteurs, spécialistes du sujet (des leaders d'opinion dans la théorie de Katz et Lazarsfeld, 1955), ou qu'ils se fondent sur une idéologie pour prendre leur décision plutôt que sur la lecture et l'évaluation des programmes. 15. Cette proximité sera d'ailleurs soulignée avec raison par Loïc Blondiaux (1996).

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En résumé, l'analyse de Downs est compatible avec nombre de modèles du vote d'inspiration non économique. Lui-même relâche son modèle en incluant dans l'éventail des intérêts des électeurs d'autres éléments que la simple maximisation de leurs profits, comme l'intérêt général ou l'intérêt d'un groupe social par exemple. « L'économisme électoral » a donc lui-même une vision assez réductrice du travail de Downs, qu'on retrouve à plusieurs niveaux. Le modèle de l'Iowa (Rice et Lewis-Beck, 1984) visait dès l'origine la simplicité (ou la parcimonie) puisqu'il entendait prévoir le résultat des élections américaines en fonction de l'état de l'économie et de la popularité du président sortant. Force est de constater que les travaux sur la question ont intégré d'autres logiques, mais restent fidèles à celle de ce premier modèle. Il suffit pour s'en convaincre de se pencher sur le concours de prévision électorale mené par différents politistes américains à chaque présidentielle. Celui de 2008 met aux prises neuf modèles qui mêlent croissance, création d'emplois, satisfaction des consommateurs, politique fiscale avec des variables endogènes, comme la popularité présidentielle, ou même des sondages d'intention de vote (Abramowitz, 2008). Les modèles pour la France sont de nature très similaire, même si les plus récents prennent en compte les configurations politiques locales (Foucault, 2012). Il faut aussi distinguer les travaux sur les cycles politicoéconomiques (Nordhaus, 1975) qui lient les politiques budgétaires des États à la proximité des élections, des débats fructueux sur ce que cela implique tant en termes de possibilités réelles pour les gouvernements de peser sur les perceptions économiques des électeurs que sur ces derniers et leurs propres motivations (voir, par exemple, Magni-Berton, 2012). On ne peut qu'être partagé face à cette vision du vote : d'une certaine manière, elle permet de comprendre les hauts et les bas qui affectent à la fois la popularité des gouvernements et les votes pour les partis en place. Mais, dans le même temps, elle réduit la complexité du vote à une seule des dimensions possibles, celles des intérêts économiques. Or, il paraît difficile d'accepter que les citoyens ne soient que des « consumers of government », selon l'expression de Erikson, Mackuen et Stimson (2002).

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Réconcilier les approches et les temporalités du vote Les modèles économiques offrent des avantages analytiques certains pour saisir les évolutions du vote. Il n'est même pas forcément besoin de se plier à leurs attendus pour mobiliser leurs outils et des méthodes. Le vote spatial de Downs peut s'appliquer à n'importe laquelle des divisions politiques pour laquelle des partis et des électeurs se positionnent : dans l'enquête French Electoral Studies de 2012, dirigée par Nicolas Sauger, il est possible de travailler sur les enjeux de l'immigration, de l'énergie, de la redistribution ou encore de la taille des services publics. Mais l'approche économiste, comme l'approche sociologique auparavant, peine à embrasser les individus dans leur entière complexité. Il paraît donc nécessaire de rechercher de nouvelles façons de combiner les approches. Il est possible, et indéniablement souhaitable, de concilier les approches individuelles et psychologiques et celles focalisées sur les environnements sociaux et politiques. La psychologie du choix électoral n'est pas incompatible avec une resocialisation des individus. Bien sûr, quand il s'agit de démontrer comment ces derniers raisonnent, les expérimentations tendent à les saisir sans prendre en compte leurs milieux sociaux, leurs réseaux voire leurs histoires, bref à suivre une approche atomistique (Braconnier, 2010). L'expérimentation (Grunberg, Mayer et Sniderman, 2002) permet de tester la manière dont les individus réagissent face à des arguments et à des contre-arguments, tandis que le sondage délibératif (Fishkin, 2009) a le mérite de resituer l'expression des opinions dans l'échange avec autrui. Mais on peut travailler à partir de sondage sur la manière dont les informations arrivent aux citoyens, ou sur la manière dont ceux-ci évoluent en fonction notamment de la ou des couleurs politiques de leurs réseaux de discussions (Ferrand, 2015), y compris en ligne (Boyadjian, 2014). Surtout, il faut rappeler d'abord que les sondages sont un moyen de rassembler des informations standardisées particulièrement utiles pour comprendre les individus. Au-delà de leur capacité discutée à la représentativité, ils constituent des bases de données de milliers de cas individuels. Ensuite, rien n'empêche justement de compléter et d'améliorer ces outils : l'intérêt du comté d'Érié (Pennsylvanie) ou de la ville d'Elmira (New York) pour Lazarsfeld et son équipe était de conjuguer la force de l'analyse

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statistique individualisée à celle de l'analyse contextuelle. Aujourd'hui, l'analyse multiniveau ne représente sans doute pas le seul avenir pour les études électorales, contrairement à la proposition de Franklin et Wlezien (2002), mais cette conciliation des environnements individuels, locaux et nationaux, est plus que prometteuse. Une attention fine portée aux individus dans leur environnement permettra de saisir comment un ouvrier vivant en banlieue diffère d'un autre, propriétaire d'un pavillon en zone rurale, aussi bien en termes de valeurs que de manière de choisir son président. Travailler sur la décision électorale est aussi une manière de mieux comprendre l'hétérogénéité des comportements territorialisés (Rivière, 2012). On risque sinon de revenir toujours aux apories de la fallace écologique, même avec des données localisées de plus en plus fines. De plus, partir du principe que les individus sont insérés dans des molécules ne doit pas faire oublier que l'échelle atomique reste essentielle. Au-delà des appartenances sociales, du lieu d'habitation ou même des réseaux de discussion, les comportements politiques restent individuels, particulièrement s'agissant du vote. Dans l'isoloir, les ouvriers sont par construction coupés du contrôle social du groupe. Ils peuvent à ce moment-là agir comme bon leur semble ; l'analyse ne peut plus alors se passer de l'approche psychologique, ne serait-ce que pour comprendre pourquoi certains voteront en accord avec le modèle du vote de classe et d'autres suivront d'autres logiques explicatives. Rendre compte du vote comme un choix et comme le résultat d'un processus de raisonnement n'est en rien incompatible avec une sociologie du vote. La classe sociale, le lien préférentiel à un groupe politique, les valeurs sont alors autant d'éléments qui peuvent (ou non) entrer dans l'équation du vote. Avoir une approche de psychologie politique permet aussi de réconcilier les temps politiques, mais aussi de mettre en évidence le poids du champ politique sur les comportements des individus et des groupes sociaux. Par exemple, Paul Kellstedt (2003) a su concilier dans son étude d'un demi-siècle d'opinions racistes aux États-Unis la psychologie politique cognitiviste, les effets de cadrage et la sociologie des préjugés. Il a ainsi montré comment le « travail politique » des Républicains a fini par lier État providence et question raciale durant les années 1990, alors que trente ans plus tôt ces deux attitudes restaient indépendantes les unes des autres. Surtout, il a développé un modèle original de

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compréhension des préjugés fondé sur l'ambivalence des attitudes à l'égard des « autres ». Le même individu peut présenter simultanément des dispositions à la tolérance et à l'intolérance, la prévalence des unes et des autres dépendant notamment de l'environnement, des informations reçues et d'événements récents qui l'ont marqué. L'étude des « moods » (Stimson, 2004) qui suivent les demandes de politiques publiques des électeurs dans de nombreux pays occidentaux (Soroka et Wlezien, 2010 ; Stimson, Tiberj et Thiébaut, 2013) montre que les électeurs évoluent, y compris sur les dimensions de valeurs socioéconomiques et culturelles. Ces mesures démontrent que le changement est normal et ancien, mais les origines de ce changement restent une énigme tant du point de vue holiste qu'individuel. Il semble indispensable de mieux comprendre le travail de cadrage des partis et la résistance de certains groupes sociaux à ces cadrages, pour saisir le vote comme acte individuel et collectif dans toute sa complexité. Cet objectif de conciliation des approches est d'autant plus accessible que nous évoluons dans une double nouvelle donne empirique. D'une part, il est désormais possible de concilier empiriquement des positions scientifiques jusqu'ici plutôt antagonistes. En premier lieu, la puissance des calculs statistiques s'est non seulement considérablement accrue, mais elle s'est également démocratisée. Cette révolution technique facilite grandement l'imagination sociologique. On ne saisit pas la complexité des processus sociopolitiques de la même façon selon que l'on dispose uniquement d'outils d'analyse bivariés et descriptifs ou que l'on peut appuyer sa réflexion sur les méthodes « toutes choses égales par ailleurs », comme les analyses de variance, les régressions linéaires et les régressions logistiques qui permettent de prendre en compte l'ensemble des variables et leur place dans l'entonnoir de causalité. Dans la même analyse, on peut ainsi inclure des variables propres aux systèmes politiques nationaux et locaux, des indicateurs spécifiques au contexte social et économique d'une élection avant d'insérer des variables propres aux individus, voire à leur lieu d'habitation. D'autre part, nous vivons dans une ère inédite d'abondance des données. La comparaison entre pays ou entre élections est désormais particulièrement aisée. Il est possible de traiter des élections comme des événements singuliers, mais aussi comme les points d'une série et donc de concilier les approches historiques (pour

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peu qu'elles ne remontent pas avant les années 1950 16) et les approches plus court-termistes. La recherche a grandement profité de l'arrivée d'internet qui permet l'accès à des données d'enquête hors de portée il y a encore quinze ans. Avec des sites comme celui de l'Interuniversity Consortium for Political and Social Research (ICPSR) ou, en France, celui du centre Quételet, il est désormais possible de retrouver nombre d'enquêtes, y compris celles oubliées par la communauté scientifique française : par exemple, les eurobaromètres des années 1970 à 1990, l'enquête d'Inglehart sur les législatives de 1968, etc. Avec de tels outils, cette révolution des données n'en est qu'à ses débuts. De nouvelles formes de recueil des comportements émergent régulièrement, comme les méthodes numériques de web-tracking. Pour évoquer un slogan et une période particulièrement importante pour Nonna Mayer, nous dirons que l'imagination sociologique peut prendre le pouvoir.

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Chapitre 4

Vote sur clivage et vote sur enjeu 1 Mark N. Franklin

I

l y a cinq ans, après une absence de quelque vingt ans, je me suis laissé convaincre de reconsidérer l'état de la recherche sur le poids électoral des clivages sociaux. On me le redemande aujourd'hui pour ces Mélanges en l'honneur de Nonna Mayer, de sorte que je vais répéter une bonne part de ce que j'écrivais dans mon article de 2010 (Franklin, 2010) 2, mais en insistant plutôt, cette fois, sur la relation entre vote sur clivage et vote sur enjeu. Commençons par déclarer fermement que mon ton critique à propos de ce sous-champ académique ne s'adresse pas aux travaux de Nonna Mayer. Elle en représente en effet l'une des « brillantes exceptions » dont je parlerai plus loin, car elle évite tous les pièges que je vais passer en revue. Ce qui m'a surtout frappé en revenant visiter ce sous-domaine, c'est son effervescence. J'y ai découvert beaucoup de publications et beaucoup de chercheurs, lesquels me paraissent se répartir principalement en trois groupes (et un quatrième, plus périphérique). Il y a tout d'abord ceux qui écrivent sur les clivages sociaux comme s'il s'agissait toujours des objets décrits par Seymour Lipset et Stein Rokkan il y a quarante ans (1967), ayant découvert des raisons (souvent plausibles) d'ignorer le déclin bien documenté du pouvoir structurant de ces clivages sur le choix partisan. Ensuite, 1. Traduit de l'anglais par Rachel Bouyssou. 2. Je remercie la revue West European Politics de m'avoir autorisé à réutiliser une grande partie de ce travail.

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on trouve ceux qui s'efforcent de documenter l'impact sur ce dernier de nouvelles divisions sociales et élaborent des argumentations théoriques, souvent convaincantes, pour soutenir qu'aux espaces sociaux en formation définis par ces nouvelles divisions structurelles correspondent des intérêts politiques distincts. Troisièmement, il y a ceux qui ne travaillent pas vraiment sur les clivages sociaux, mais sur d'autres divisions durables dont ils affirment ou postulent qu'elles ont des effets politiques similaires à ceux des clivages sociaux d'antan. Enfin, aux marges, on trouve des auteurs qui n'étudient même pas les antagonismes politiques en tant que tels, mais se posent d'autres questions de recherche dont ils affirment ou postulent qu'elles sont en quelque façon liées aux processus de formation des clivages ou au pouvoir structurant affaibli des clivages sociaux sur le choix partisan. Si bien que le mot « social » n'a pas vraiment sa place dans le nom du souschamp, lequel devrait sans doute plutôt s'intituler « recherche sur les clivages » ou peut-être sur la « politique des clivages » (cleavage politics) – dans la mesure, du moins, où il s'agit bien de politique (voir plus loin). Tout cela me fait penser à une fourmilière dont on aurait enlevé la reine, les ouvrières courant en tous sens à la recherche d'une raison d'être. Ou plutôt, c'est comme s'il y avait encore, vingt ans après la chute du mur de Berlin, une école de chercheurs sérieusement investis dans l'étude de la vie politique est-allemande. De même que ces chercheurs vivraient dans un monde coupé de la réalité, de même ceux qui étudient la « politique des clivages » paraissent étrangement coupés de tout objet réel correspondant aux divisions dont ils s'occupent. Je vais essayer de décrire les voies de ce divorce. La recherche actuelle en politique des clivages est savante et fait un usage considérable de matériau empirique, et tout cela est louable. Mais il y a déconnexion entre les éléments factuels et les conclusions. Là où, dans d'autres sous-champs des études électorales au niveau de l'individu, on parvient régulièrement à trouver des effets totalisant un tiers ou plus de la variance expliquée, ici les auteurs n'hésitent pas à parler de pouvoir explicatif élevé pour des pourcentages à un chiffre. En outre, leur maîtrise souvent experte d'une vaste littérature ne s'accompagne que rarement d'une maîtrise équivalente des méthodes de recherche appropriées. Alors que toute théorie aspire normalement à la généralité, presque tous ces travaux portent sur un seul pays. Quand il y en a plusieurs, ils sont

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Vote sur clivage et vote sur enjeu

en général étudiés un par un. Rare est le recours à l'analyse combinée. Or, en cette absence, le chercheur ne peut pas exclure que ses résultats pour tel pays et les différences apparentes entre pays ne soient qu'un artefact, l'effet de distributions nationales particulières des variables dépendantes ou indépendantes. L'énorme érudition mobilisée pour théoriser et expliquer ces écarts n'évoque rien tant que les interprétations de taches d'encre, qui en disent plus long sur l'interprétant que sur ce qu'il cherche à décrypter. Cette agitation européenne contraste fortement avec le silence relatif des chercheurs américains sur le sujet, malgré un petit regain d'intérêt récent pour les clivages religieux (pour des exceptions, voir Miller et Wlezien 1993 ; Miller et al., 1991), ce qui est curieux, pour ne pas dire paradoxal, les liens objectifs entre groupes sociaux et partis politiques étant plus étroits aux États-Unis qu'en Europe (Miller et Lockerbie 1992 ; Franklin, 2009). Si l'activité de recherche dans ce sous-champ de la science politique européenne n'est pas (ou n'est plus) due à l'importance objective des liens concernés, elle doit avoir une autre explication. Entrent en jeu ici, selon moi, des façons de travailler et même peutêtre des visions du monde qui ne sont pas les mêmes de part et d'autre de l'Atlantique. La plupart des politistes américains partagent le « rêve américain » de déterminants individualistes du succès ou de l'échec (politique ou autre), qui contribue puissamment à la tradition du « choix rationnel » des études électorales ; tandis que les chercheurs européens semblent tout aussi fidèlement attachés à l'idée que les individus ne sont pas maîtres de leur destin, mais assujettis à des forces impersonnelles – souvent associées aux chances fixées à la naissance – qui affectent diversement les individus selon les caractéristiques sociales avec lesquelles ils sont nés ou qu'ils ont acquis par la suite. La plupart des chercheurs des deux rives de l'Atlantique vous diront bien, pour la forme, que les caractéristiques individuelles et contextuelles sont à considérer conjointement, mais les Américains choisiront en général de travailler sur les déterminants individuels du vote, tandis que les Européens étudieront les déterminants contextuels, surtout ceux qui ont trait au groupe social. Il semble que cette dissemblance soit renforcée par un voisinage beaucoup plus intime en Europe qu'aux États-Unis entre la recherche sur le comportement électoral et la sociologie électorale. Ces deux sous-champs sont même si proches en Europe – bien que labourés par des personnes qui se donnent respectivement le

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nom de politistes ou de sociologues – que les scientifiques formés dans une discipline sont souvent recrutés sur un poste académique de l'autre, à condition de bien rester dans leur spécialité. Aux États-Unis, cette mobilité entre les deux disciplines est faible. Or, elle n'est pas sans conséquences, car les sociologues, presque par définition, s'intéressent avant tout aux processus sociaux : ce sont ces processus qu'ils sont formés à découvrir et à invoquer pour expliquer les comportements observés. Les phénomènes politiques concomitants les intéressent beaucoup moins. Au contraire, les politistes veulent surtout comprendre des résultats politiques, que ceux-ci soient l'effet de forces sociales ou de choix individuels ne leur important guère du moment que ce qu'ils apprennent leur permet de mieux appréhender les processus politiques. Ces deux importantes différences entre États-Unis et Europe conspirent, me semble-t‑il, à éloigner leurs intérêts académiques. Mais quelles que soient les raisons de la prédilection de la recherche électorale européenne pour les processus de groupe, je l'estime regrettable. Le chercheur s'en trouve tenté d'étirer à l'excès les fondements théoriques du facteur « groupe social » de la vie politique, de glisser d'un argument à l'autre en usant d'un vocabulaire suggestif ou polysémique et de se livrer à des pratiques méthodologiques douteuses pour faire apparaître des liens plus forts que ne l'autorisent les données empiriques. Bref, le sous-champ se caractérise – à quelques brillantes exceptions près, dont la destinataire de ces Mélanges – par une pensée théorique faible, une logique boiteuse ou une méthodologie branlante, quand ce ne sont pas les trois à la fois. Voyons d'abord ces trois manquements avant de nous demander s'il y a une place pour la recherche sur le vote sur clivage dans l'étude des comportements électoraux d'aujourd'hui.

Une pensée théorique faible Lipset et Rokkan (1967), avec une nette clarification apportée par Stefano Bartolini et Peter Mair (1990), écrivaient que trois conditions devaient être remplies pour qu'un clivage social eût des conséquences politiques : une distinction objective entre les intérêts des personnes situées de part et d'autre du clivage ; la reconnaissance de cette distinction et de son importance par les intéressés ; des moyens d'expression politique (généralement sous forme de partis) pour les intérêts concernés. Quand les groupes sociaux reconnaissent leurs

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Vote sur clivage et vote sur enjeu

différences politiques et votent pour des partis différents parce que ces partis se consacrent à défendre leurs intérêts de groupe, on a de la politique des clivages de l'espèce définie par ces auteurs. Peu de chercheurs contestent que les clivages sociaux classiques, strictement définis en ces termes, aient eu effectivement, à un moment donné, des effets puissants sur le choix partisan, effets mis en évidence notamment par Richard Rose et Derek Urwin (1969) et retrouvés pour l'essentiel par Franklin et al. (1992). Et peu de chercheurs refusent d'admettre que ces clivages-là ont perdu de leur importance à partir des années 1970. Il appert, dans la plupart des pays, que les clivages sociaux expliquaient au moins 30 % de la variance du choix partisan durant les années 1960 (parfois beaucoup plus), mais que ce taux est tombé aux environs de 10 % vers le milieu des années 1980 dans beaucoup d'entre eux. Une réplication récente des mesures et des calculs des années 1980, utilisant les mêmes critères dans les mêmes seize pays sauf un et poussant l'analyse jusqu'en 2004 (Franklin, 2009), montre que tous ces pays, à l'exception des États-Unis, ont achevé le XXe siècle avec moins de 10 % de la variance du choix partisan expliquée par les structures sociales (l'exception américaine ne se situant qu'à 12 %). Certes, ces analyses n'ont peut-être pas employé exactement les variables ou les codages auxquels pensaient Lipset et Rokkan, mais aucune des critiques de la première édition de Franklin et al. (1992) n'a rien suggéré de tel. On voit toutefois se multiplier depuis quelques années des propositions de divisions nouvelles ou plus fines, censées restituer plus fidèlement les effets politiques des clivages dans le monde contemporain. C'est bien possible, mais sitôt qu'on tente de changer de divisions on se heurte à des problèmes. Comme ces divisions ne sont plus celles de Lipset et Rokkan, on ne sait plus très bien, (i) si les membres des groupes qu'elles délimitent sont conscients de leurs intérêts de groupe ou (ii) s'il y a bien un (ou des) parti(s) politique(s) représentant clairement lesdits intérêts. C'est là que la faiblesse théorique et les dérapages logiques peuvent faire des ravages. En parlant par exemple de « classes » (class groups), les chercheurs invoquent le sens que Marx et d'autres après lui (Lipset et Rokkan compris) attribuent à la « classe », lequel implique que les membres de ces groupes sont conscients de leurs intérêts politiques et trouvent effectivement des moyens de leur donner une expression politique. En réemployant des mots ayant un sens déjà établi pour étiqueter des groupes

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sociaux définis à neuf, beaucoup de ces chercheurs s'estiment dispensés de préciser quels sont les intérêts de ces groupes ou quels sont les partis qui les défendent ; ils jugent suffisant de démontrer l'existence d'un lien, sous la forme d'effets de régression ou de variance expliquée (ou les deux), entre l'appartenance au groupe et le choix partisan. On observe très fréquemment la première omission : le chercheur ne s'interroge pas sur la conscience de leurs intérêts distincts chez les membres des groupes qu'il a définis. Les différences d'intérêt objectives entre les individus selon leur situation sociale sont souvent assez faciles à trouver. Par exemple, il ne fait pas de doute que la mondialisation favorise ceux qui ont des qualifications polyvalentes et désavantage ceux qui n'en ont pas (Kriesi, 1999). Mais la question décisive, comme l'a fait remarquer il y a déjà bien longtemps Eric Schattschneider (1960), est de savoir si les individus discernent leurs intérêts objectifs. Le fait que même les différences d'intérêt les plus évidentes restent souvent inaperçues des principaux intéressés est exprimé dans le concept marxiste de « fausse conscience » ; et certaines des théories des clivages les plus élégantes s'écroulent dès qu'on pose la question de savoir si les sujets situés d'un côté ou de l'autre d'un clivage objectif sont conscients de ce clivage et de leur position par rapport à lui (pour un exemple précoce de ce type de critique, voir Franklin et Page, 1984). En ne se demandant pas – deuxième omission – s'il y a un parti politique spécifiquement voué à la défense des intérêts de tel ou tel groupe, on s'expose à « trouver » des liens groupe/parti y compris quand un même groupe social vote pour des partis différents selon l'occasion. Quand on voit, dans un certain pays, des groupes d'individus définis de manière fine déplacer leur vote, ensemble, d'un parti à un autre (comme dans au moins un des chapitres d'Evans, 1999), on en vient à douter qu'il y ait un parti se consacrant précisément à la défense des intérêts de ce groupe : il est beaucoup plus probable dans un cas semblable que les personnes font leur choix pour d'autres raisons, qui se trouvent coïncider avec l'appartenance au groupe. Une troisième espèce de faiblesse théorique concerne non la nature des clivages sociaux mais la façon dont ils sont supposés avoir perdu leur pouvoir de structurer les attachements partisans, ou encore le paysage censé se dessiner à la suite de cette perte. Si l'on cite de travers Franklin et al. (1992) comme ayant annoncé « la mort de la politique des clivages » (Evans, 1999) ou comme ayant

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affirmé que le déclin de cette dernière conduisait à un « monde à la dérive » (simple éventualité avancée par Van der Eijk et al. [1992] et citée ensuite par certains auteurs comme s'il s'agissait d'une affirmation factuelle), on n'a aucun mal à construire une thèse pour les réfuter, puisque à l'évidence ces phénomènes ne se sont pas produits (Franklin, 2009). Assurément, trafiquer les arguments d'autrui pour faire ensuite circuler la légende qui vous convient est une méthode rhétorique classique, et qui fonctionne de mieux en mieux à mesure que le travail faussement cité recule dans le passé et qu'il y a de moins en moins de chercheurs qui s'en souviennent avec précision. Cette « stratégie de l'épouvantail » permet de publier des travaux prétendument neufs qui ne font en réalité que reproduire des choses déjà faites ailleurs et confèrent une fausse légitimité à des idées recyclées : pratique qui semble assez répandue dans le sous-champ « clivages », avec ou sans épouvantail.

Une logique boiteuse Bien entendu, comme l'ont souligné plusieurs chercheurs, on n'est pas obligé de conserver le sens précis donné à la politique des clivages par Lipset et Rokkan (1967) ou Bartolini et Mair (1990). Zsolt Enyedi (2008) a fait remarquer à juste titre qu'il faut faire la distinction entre différences politiques durables et enjeux politiques plus éphémères, et a proposé de réserver le mot « clivages » aux premières. Mais cela soulève la question – qu'il n'aborde pas – de ce qui confère sa longévité à un tel clivage. Si elle provient de ce que les partis négligent de s'attaquer aux conflits qui y sont attachés ou ne leur apportent aucune solution satisfaisante, on a affaire à une question politique, qu'il faut traiter par des investigations sur la situation politique dans ce(s) pays là, à ce(s) moment(s) là, en s'interrogeant sur d'éventuelles pathologies, institutionnelles ou autres, qui empêcheraient d'en sortir : cela, les chercheurs de notre sous-domaine ne semblent pas le faire. Si les différences politiques perdurent pour des raisons sociologiques, il faut savoir quelles sont ces raisons et si ce ne sont pas celles de Lipset et Rokkan, il faut les spécifier : ils ne le font guère non plus. J'insiste : il y a vraiment ici un problème logique. Car de deux choses l'une : ou bien le chercheur doit coller à la définition de Lipset et Rokkan, ou bien il doit en fournir une autre. Il est clair que la définition « problème intraitable » n'a guère les faveurs de notre

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sous-domaine, peut-être parce qu'il détourne l'attention des déterminants sociologiques au profit des déterminants politiques. Mais si les déterminants sont sociologiques sans être ceux de Lipset et Rokkan, alors je repose la question : quels sont-ils ? Les clivages sociaux de Lipset et Rokkan conquéraient leur longévité par des processus de socialisation : dans ce schéma, l'individu acquérait auprès de son entourage, selon des modes stables établis par la coutume, des habitudes de pensée et d'action qui s'enracinaient solidement. Cela arrive encore, même aujourd'hui et même sur des enjeux qui ne sont pas aussi durables que ceux des clivages d'antan. En fait, on connaît au moins une des façons dont cela se passe, par un processus d'habituation, comme l'identification à un parti. Certes, les individus acquièrent leur attachement partisan à un âge plus avancé que naguère, et beaucoup ne le feront peut-être jamais. Mais, de manière générale, on peut encore dire qu'avec l'âge ils apprennent à s'orienter dans le système de partis dans lequel ils ont grandi, à distinguer ceux qui préconisent des politiques ayant leur faveur de ceux qui en préconisent d'autres, et que beaucoup finissent par devenir des soutiens habituels du (parfois des) parti(s) de la première catégorie (pour des résultats expérimentaux récents, voir Dinas, 2012, 2014). Ce type de soutien habituel peut provenir de, ou engendrer, une fidélité aux choix de politique publique propres à leur parti et différents de ceux des autres. Ces différences programmatiques ont alors des chances de perdurer et peuvent même survivre à la résolution de leurs causes objectives, comme c'était le cas des différences programmatiques d'antan à base de clivage social. Cela, parce que le comportement appris se transforme progressivement en routine et que les individus peuvent très bien continuer à proclamer leur attachement à des politiques dont l'importance a cessé depuis longtemps d'être primordiale, simplement parce qu'il découle de leurs opinions de toujours. Un tel processus conférerait à certains enjeux une longévité apparente, mais qui n'aurait rien à voir avec de la politique de clivage. Il s'agit d'un mécanisme tout à fait différent et bien connu de la science politique (voir Van der Eijk et Franklin, 2009, pour une reformulation récente). J'insiste encore. Il importe vraiment de savoir s'il y a deux mécanismes à l'œuvre ou un seul ; et s'il y en a deux, il importe vraiment que le second (politique des clivages) explique d'autres types de comportement individuel que le premier (identification partisane).

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Si en réalité les deux mécanismes n'en sont qu'un, cela veut dire que des générations d'étudiants en science politique (pour ne rien dire des directeurs de recherche) nagent dans la confusion la plus totale du fait d'une frontière interdisciplinaire reposant sur la prémisse qu'il s'agit de deux mécanismes différents. Que l'on soit sociologue ou politiste, il importe de ne pas avoir pour un même phénomène des explications théoriques différentes, sauf si l'on a affaire en réalité à un phénomène multiple, nécessitant plusieurs explications pour démêler ses différents aspects. Si les clivages assurent la longévité d'un enjeu autrement que ne le fait l'identification partisane, on aurait intérêt à le savoir. À ma connaissance, aucun chercheur travaillant sur la politique des clivages ne s'est jamais posé la question ni n'a, a fortiori, cherché à y répondre. Mais la vraie tragédie de cette recherche, c'est que ses pratiquants ne semblent pas particulièrement désireux d'expliquer pourquoi le monde est comme il est. Si c'était cela qui les intéressait, ils auraient depuis longtemps laissé tomber l'étude de facteurs dont le pouvoir explicatif s'est à ce point affaibli.

Une méthodologie branlante L'un des résultats les plus importants exposés dans les chapitres par pays de Franklin et al. (1992) était celui-ci : le fondement social du choix politique avait beau se déliter progressivement, la plupart des individus continuaient à soutenir les mêmes partis qu'avant, même si ce n'était plus en raison de leur appartenance de groupe mais du fait de leurs préférences sur certains enjeux – enjeux et préférences qui, pour l'essentiel, étaient depuis toujours ceux de leur groupe social. La plupart des analyses contemporaines du choix partisan fondé sur le groupe social n'étudient pas les effets des enjeux défendus par ces groupes. Si ce qui compte c'est l'appartenance de groupe, on n'ajoute rien à la variance expliquée en ajoutant des enjeux à un modèle de clivage social. Si ce sont les enjeux qui importent, l'appartenance de groupe peut encore jouer un rôle de soutien, mais les enjeux vont ajouter des effets supplémentaires aux effets de structure sociale qu'ils transmettent. Pour bien comprendre ce qui se passe, il est donc essentiel d'introduire des enjeux dans l'analyse en tant que variables médiatrices potentielles, ce dont les

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chercheurs du sous-champ ne s'embarrassent généralement pas. Même le « super enjeu » qu'est le positionnement gauche/droite, qui fournirait au moins un contrôle rudimentaire, est rarement utilisé (avec d'importantes exceptions dans les contributions du livre récent dirigé par Evans et De Graaf, 2013). Une autre distinction rarement faite est celle qui oppose effets et variance expliquée. Dans la tradition sociologique qui, comme nous l'avons dit, est si forte dans le sous-champ, la variance expliquée n'occupe qu'une place modeste. Le chercheur s'intéresse aux conséquences d'une certaine caractéristique – par exemple, quel est l'effet de l'appartenance à l'ensemble « protestant » – et non à la part de variance expliquée par ce trait. Or, il y a là, comme le rappelle Rune Stubager (2010), des effets de composition importants, qui sont souvent négligés. L'effet de l'appartenance à la catégorie « travailleur agricole » sur le soutien à un parti agrarien peut être très fort et le rester alors même que les effectifs de cette catégorie diminuent tellement que le parti agrarien cesse d'être représenté au Parlement. Pendant toutes ces années où les suffrages recueillis par le parti agrarien n'ont cessé de baisser, l'effet d'être un travailleur de la terre a très bien pu se maintenir inchangé, mais la contribution de cette relation forte à la variance expliquée a décru, reflétant la perte de pertinence de cet effet dans la vie politique du pays. La variance expliquée est donc d'une importance vitale pour les politistes, parce qu'elle enregistre non seulement l'évolution des effets mais aussi celle de leur pertinence. La recommandation faite jadis par Gary King (1989) de s'abstenir d'utiliser la variance expliquée postule qu'on ne s'occuperait pas d'un effet qui ne serait pas pertinent et oublie qu'on pourrait vouloir explorer un changement de pertinence au cours du temps. Je m'empresse d'ajouter que je considère bien les clivages sociaux comme des composantes pertinentes de modèles plus généraux. J'en use comme de variables indépendantes dans mes propres recherches et je constate souvent qu'ils contribuent sensiblement au pouvoir explicatif. En outre, sans eux, les modèles électoraux sont exposés à l'erreur de la variable omise (comme il arrive souvent dans les travaux inspirés du choix rationnel, que je peux critiquer aussi vertement que ceux en termes de clivages). Mais, en omettant des variables indispensables à un modèle correctement spécifié, la recherche en clivages surestime les effets de ces derniers et s'interdit d'évaluer d'autres explications possibles des

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phénomènes observés : deux erreurs graves et omniprésentes dans le sous-champ. J'ai déjà parlé du défaut d'analyse combinée qui caractérise ce dernier. Un travers connexe est l'absence presque totale de modèles hiérarchiques permettant de traiter les effets de contexte dans les études sur plusieurs pays. Le principal problème est alors, je l'ai dit aussi, qu'on risque d'obtenir des différences totalement illusoires entre pays, parce que dues à des différences nationales dans la distribution des variables. Mais il y en a encore un second, qui associe plus étroitement lacunes méthodologiques et faiblesse théorique. Bien que la théorie des clivages sociaux puisse s'exprimer en termes très généraux, ses auteurs n'ont jamais prétendu qu'elle s'appliquait de la même façon partout. Lipset et Rokkan ont expressément reconnu que la diversité nationale des histoires et des institutions avait pour conséquence une diversité nationale des systèmes de partis. Les différences institutionnelles perdurent, et celles de caractère historique ont été remplacées par d'autres, par exemple entre les pays postcommunistes et les autres pays d'Europe étudiés par Wouter Van der Brug (2010), autre exception brillante à la déroute générale. Certaines de ces différences sont pertinentes pour la façon dont tel ou tel type de clivage a des chances de se manifester et peuvent servir de variable de contrôle pour aider à distinguer entre plusieurs explications du même phénomène, ou pour éliminer des écarts apparents entre pays dans les effets d'un certain phénomène. À négliger les méthodes de pointe de la recherche, on passe à côté d'occasions de théorisation qui pourraient être des plus fécondes.

Quelle place pour la recherche sur les clivages ? J'ai mentionné plus haut le déclin bien documenté du pouvoir structurant des clivages sociaux sur le choix électoral, déclin amorcé, semble-t‑il, à la fin des années 1960 dans certains pays d'Europe et qui s'est accéléré au cours des vingt années suivantes. Dès les années 1990, des clivages qui représentaient naguère 30 % de la variance expliquée n'en expliquaient plus que 10 % (Franklin, 2009). Ce niveau s'est maintenu plus ou moins depuis. Cette stabilité à un bas niveau de la relation entre structure sociale et choix partisan dans les pays occidentaux invite à se poser

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plusieurs questions sur la nature de la vie politique au XXIe siècle. Tout d'abord, celle de savoir si la politique des clivages est morte : elle a été posée sous différents angles (voir par exemple Fukuyama, 1992 ; Evans, 1999). La réponse est clairement non. Les clivages conservent une emprise résiduelle sur la vie politique de la plupart des pays, où ils représentent généralement 5 à 10 % de la variance expliquée. La relation est même, à certains égards, plus étroite qu'elle ne paraît. De la même façon que le choix électoral s'est particularisé à la fin du XXe siècle selon les modalités décrites par Van der Eijk et al. (1992), les clivages sociaux se sont eux-mêmes fragmentés (Erikson et Goldthorpe, 1992 ; Evans 1999). Ceux qui ont tenté d'associer ces clivages sociaux fragmentés à des choix partisans également particularisés ont trouvé des liens beaucoup plus forts. Mais ces « micro-liens » soulèvent un problème qu'il ne faut pas perdre de vue. Nous l'avons vu plus haut : ils ne paraissent pas avoir la puissance stabilisatrice des clivages classiques. Et cela, parce qu'ils n'attachent pas solidement les électeurs à un parti, semble-t‑il, mais à plusieurs, entre lesquels les électeurs vont et viennent (Franklin, 2002). C'est une évolution très intéressante du point de vue sociologique, mais ce faible pouvoir de fixation limite singulièrement l'intérêt théorique des micro-liens en science politique. Pour le politiste, si les liens avec des groupes sociaux finement différenciés ne conditionnent pas le choix partisan, ils n'ont pas de rôle direct dans la structure causale de celui-ci, contrairement aux liens résiduels de type plus classique. Alors, qu'est-ce qui donne de la stabilité à la vie politique des démocraties occidentales contemporaines ? Dans le dernier chapitre d'Electoral Change (Franklin et al., 1992), les auteurs imaginaient plusieurs scénarios possibles pour un avenir qui n'a guère tardé à devenir du passé : avec une expérience de vingt ans supplémentaires, on peut parler avec plus d'assurance des suites du déclin de la politique des clivages. L'une des éventualités esquissées par Cees Van der Eijk et al. (1992) était celle d'une divergence croissante, chaque système national de partis évoluant de son côté, à sa manière, par réactions successives à des événements fondamentalement imprévisibles et propres à chaque pays. Une autre éventualité était qu'une sorte de contagion transfrontalière guiderait ces évolutions sur des voies plus ou moins parallèles. Une troisième, que les changements seraient modérés par la persistance de valeurs

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durables, qui fourniraient aux systèmes de partis un type d'ancrage assez proche de celui précédemment offert par les clivages sociaux. La leçon la plus évidente et la plus importante des vingt dernières années est que le déclin de la politique des clivages n'a pas donné un « monde à la dérive », dans lequel la politique de chaque pays suivrait son propre trajet aléatoire, ballottée d'un enjeu au suivant au gré de leur surgissement à l'avant-scène puis de leur effacement. En outre, la brusque floraison de nouveaux partis à laquelle on a assisté au cours des années 1970 et 1980 dans beaucoup de pays occidentaux, semble avoir été de courte durée. Même s'il en naît encore de temps à autre, ils ne recueillent en général que peu de suffrages et disparaissent souvent après une ou deux élections. Il y a toujours des forces de stabilité qui donnent de la structure à la vie politique, même si cette structure est moins rigide, fait moins carcan (Franklin et Weber, 2013). Ces forces, qui semblent découler de la persistance de valeurs durables, apparentent la réalité au troisième des scénarios énumérés plus haut (voir Evans et De Graaf, 2013). La principale de ces forces qui donnent structure à la vie politique dans les pays occidentaux semble justement être le positionnement idéologique gauche/droite. Ce principe d'organisation fondamental était là bien avant le déclin de la politique des clivages et lui a survécu. C'est lui qui a motivé le choix de la variable dépendante dans Franklin et al. (1992). Les partis s'organisent selon ses termes, au point même de conformer les enjeux nouveaux à cette dimension primordiale (Marks et Steenbergen, 2004). Comme l'a observé Franklin (1992), quand les enjeux ont pris de plus en plus d'ascendant en tant que déterminants des choix électoraux, ils ont commencé par dupliquer en grande partie les préoccupations caractérisant les groupes de clivage qui naguère soutenaient différents partis. Le temps passant, certains de ces enjeux sont devenus moins importants ; de nouveaux enjeux (l'environnement, les droits de la femme, l'immigration, etc.) se sont ajoutés à l'agenda politique – mais glissés dans le gabarit gauche/droite, car c'était apparemment nécessaire pour leur donner du poids électoral. On constate du reste que les thèmes n'ayant pas subi cette opération (au premier rang desquels la construction européenne) n'ont guère réussi à avoir un impact sur les votes (voir par exemple Van der Eijk et Franklin, 2004). La mesure dans laquelle les valeurs gauche/droite, ajoutées à l'influence résiduelle des clivages sociaux classiques, ont structuré

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le choix partisan au cours des vingt dernières années dans les pays occidentaux est présentée dans le Tableau 1, tiré de Franklin (2009) 3. On constate que, dans la plupart des pays (les exceptions étant la Belgique, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Irlande), la structure sociale et les valeurs gauche/droite, prises ensemble, expliquent régulièrement de 20 à 40 % de la variance du vote de gauche. En Grande-Bretagne et en Allemagne, la variance expliquée était bien de cet ordre en 1989, mais elle a ensuite baissé 4. L'Irlande est le seul pays où la structure sociale et les valeurs gauche/droite, prises ensemble, n'ont jamais rendu compte de plus de 10 % de la variance du vote de gauche. À l'inverse de la baisse de pouvoir explicatif du positionnement gauche/droite en GrandeBretagne et en Allemagne, on observe sa forte augmentation dans trois autres pays (Italie, Espagne et États-Unis) durant la même période. Pour compléter l'analyse du vote gauche/droite (effectuée selon un modèle de probabilité linéaire à variable dépendante binaire permettant la comparabilité avec les analyses de Franklin et al., 1992), le Tableau 1 donne également une analyse de la propension à voter, telle qu'elle s'exprime sur une échelle de 0 à 1 indiquant la vraisemblance du vote pour un parti quel qu'il soit. Autrement dit, les chiffres représentent la part de variance expliquée : de 0, qui signifie que le modèle utilisé n'explique rien du phénomène considéré (le vote de gauche, par exemple) à 1, qui l'explique complètement. On obtient ainsi des chiffres de variance expliquée englobant tous les partis, et non uniquement ceux qui peuvent être placés sur une échelle gauche/droite, ce qui rend possibles des tests plus généraux de clivage et de structuration idéologique. Si l'on confronte la variance du vote de gauche expliquée par les clivages sociaux et par les valeurs gauche/droite à la variance de la propension au soutien partisan expliquée par ces inputs, on constate un 3. Ce tableau et une grande part du texte qui le commente sont tirés de l'« Epilogue » de l'édition ECPR (« Classics in Political Science ») de Franklin et al., 1992 (Franklin et al., 2009). Je remercie l'éditeur de m'avoir autorisé à réutiliser ce matériel. 4. En Grande-Bretagne, le glissement du Parti travailliste vers le centre du spectre idéologique au cours des années ayant précédé sa victoire historique de 1997 apparaît comme responsable de la nette déconnexion entre positionnement sur l'échelle gauche/ droite et choix partisan. En Allemagne, ce rôle a pu être joué par la croissance du Parti Vert. En Belgique, on constate un pouvoir explicatif du positionnement gauche/droite plus élevé pour le vote de gauche que pour la propension à voter : là, les valeurs particulièrement basses s'expliquent sans doute par l'importance du clivage linguistique. On ne dispose malheureusement pas des mêmes mesures pour l'Australie ou la Nouvelle-Zélande.

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Vote sur clivage et vote sur enjeu

parallélisme très net dans chaque pays (sauf en Italie, où la propension à voter a été moins volatile, sans doute parce que moins sujette aux fluctuations induites par la disparition et la recréation du système des partis après 1993). Tableau 1 – Part de variance expliquée des votes de gauche ou de la probabilité d'un vote de gauche selon les variables sociologiques classiques et les valeurs économiques (1989-2004) Belgique**

1989

1994

1999

2004

Vote de gauche

.224

.146

.114

.129

Probabilité d'un vote de gauche

.084

.089

.101



Vote de gauche

.242

.182

.078

.087

Probabilité d'un vote de gauche

.187

.082

.055

.032

Vote de gauche

.336

.293

.224

.270

Probabilité d'un vote de gauche

.268

.225

.109

.231

Vote de gauche

.281

.342

.264

.254

Probabilité d'un vote de gauche

.204

.241

.210

.211

Vote de gauche

.196

.144

.068

.125

Probabilité d'un vote de gauche

.196

.119

.291

.112

Vote de gauche

.339

.328

.321

.280

Probabilité d'un vote de gauche

.289

.267

.161

.189

Vote de gauche

.112

.086

.134

.063

Probabilité d'un vote de gauche

.129

.055

.048

.071

Grande-Bretagne

Danemark

France

Allemagne

Grèce

Irlande

133

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134 Sociologie plurielle des comportements politiques

Italie* Vote de gauche

.264

.259

.185

.453

Probabilité d'un vote de gauche

.155

.274

.169

.288

Vote de gauche

.343

.230

.242

.394

Probabilité d'un vote de gauche

.159

.125

.196

.216

1993

1997

2005

Pays-Bas**

Norvège Vote de gauche

.375

††

.237

.368

Probabilité d'un vote de gauche

.357

††

.230

.336

1994

1999

2004

Espagne Vote de gauche

.178

.258

.224

.368

Probabilité d'un vote de gauche

.143

.226

.178

.269

.386

.297

Probabilité d'un vote de gauche





.291



Suède Vote de gauche

États-Unis†

1988

1996

2000

Vote de gauche

.273

.298

.268

.439

Identification partisane

.278

.344

.304

.482

– Pas d'observation pour l'année concernée. * Pas de mesure de la pratique religieuse ou du lieu d'habitation, 1999. † L'axe gauche-droite est remplacé par l'axe libéral-conservateur, pas de mesure de l'appartenance syndicale en 2004. ** Pas de mesure du lieu d'habitation en 2004. †† Pas de mesure du placement gauche-droite pour les années concernées.

Reste que les exceptions belge, britannique et allemande – l'Irlande a toujours constitué un cas à part – représentent précisément le genre de phénomène auquel je pensais en 1992 en parlant d'évolution « jusqu'ici non imaginée (et peut-être inimaginable) », susceptible de se produire dans n'importe quel pays avec la disparition de la politique des clivages (Franklin, 1992, p. 405).

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Vote sur clivage et vote sur enjeu

Il ne faut donc pas se laisser aveugler par la remarquable uniformité observée dans l'évolution des vingt années suivantes : il est possible aussi que cette uniformité soit en train de disparaître sous nos yeux, selon un processus plus ou moins aléatoire mais beaucoup plus lent que ne l'envisageaient Van der Eijk et al. (1992) dans leurs dernières pages. Faut-il considérer les valeurs gauche/droite comme un nouveau clivage qui remplacerait les clivages sociaux d'antan dans la structuration du choix partisan ? Beaucoup de chercheurs en sciences politiques se servent aujourd'hui de cette division à peu près comme leurs prédécesseurs se servaient des clivages sociaux, c'est‑à-dire comme d'une référence de base pour comprendre la vie politique contemporaine. Pourtant il est clair que le positionnement gauche/droite n'est pas un clivage au sens où l'entendaient Lipset et Rokkan. D'abord, il ne divise pas le monde en deux parties bien tranchées où les individus se trouveraient soit d'un côté soit de l'autre. Même si les commentateurs disent souvent « la gauche » et « les partis de gauche » comme s'il s'agissait d'un clivage, une caractéristique importante de l'échelle gauche/droite est précisément que c'est une échelle, avec plus de citoyens (et de partis) se positionnant vers le centre qu'aux extrémités. Ensuite, sauf dans certains pays et à certains moments (par exemple, la France sous la IVe République ou l'Italie contemporaine), les partis ne se positionnent guère euxmêmes sur cette échelle dans leur discours public, mais se présentent comme les champions de certaines politiques, et ce sont ces dernières qui sont dites de gauche ou de droite. Autrement dit, ils ne fournissent pas, en règle générale, l'expression politique d'une certaine localisation sur l'échelle gauche/droite. Or, c'est là, à la fois pour Lipset et Rokkan, l'une des caractéristiques définissant un parti à base de clivage et une condition nécessaire pour qu'un groupe social puisse être qualifié de groupe de clivage (voir Franklin et al., 1992, chap. 1). Il n'en existe pas moins une littérature contemporaine utilisant le mot « clivage » autrement que Lipset et Rokkan, souvent à propos de différences politiques sans base sociale. Il semble qu'on veuille par là indiquer que ces dernières sont « durables », c'est‑à-dire plus tenaces que de simples divergences d'opinions sur tels enjeux de politique publique. La question de savoir exactement comment elles naissent et combien de temps elles doivent tenir pour mériter l'appellation dépasserait le propos de ce chapitre ; mais si l'on utilise le mot, il importe d'être bien conscient qu'on le fait tout

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136 Sociologie plurielle des comportements politiques

autrement que Lipset et Rokkan. Il semble en particulier improbable (voir la discussion dans Van der Eijk et Franklin, 2009, p. 92-98 et surtout p. 99-101) que, de nos jours, des différences sociales, quelles qu'elles soient, puissent avoir la même longévité ou influencer aussi durablement et puissamment le choix partisan que les divisions classiques du temps des clivages.

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Vote sur clivage et vote sur enjeu

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MOBILISATIONS

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Deuxième partie

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Chapitre 5

La sociologie de l'action protestataire en France Une internationalisation bien tempérée Olivier Fillieule

E

n matière politique, la France est très souvent caractérisée dans la littérature par trois traits : un « État fort », peu sensible à la pression de corps intermédiaires débiles (Kriesi et al., 1995) ; un très bas niveau de capital social tel que mesuré par l'engagement associatif (Vassallo, 2010) ; et pourtant, une forte propension à l'activisme politique via la participation politique non conventionnelle (Fillieule, 1997 ; Fillieule et Tartakowsky, 2013). Ce pays, culturellement issu des révolutions de 1789, de 1830 et de 1848, marqué par les quelques grands événements que constituent la Commune de Paris en 1871, les grèves du Front populaire en 1936 ou encore Mai 1968, pourrait prétendre au statut d'archétype de la « demonstration democracy » (Etzioni, 1970). Pourtant, et alors même que c'est en France que furent produits les tout premiers travaux sur les mouvements de masse (par Henri Taine, Gustave Le Bon et Gabriel Tarde), la sociologie des mouvements sociaux y est longtemps restée marginale 1. À l'exception de certains travaux en effet (en particulier ceux qui ont été menés autour d'Alain Touraine), il a fallu attendre les années 1990 pour que cette discipline connaisse une croissance exponentielle, jusqu'à devenir le lieu d'une importante 1. À tel point que plusieurs des travaux les plus marquants dans le domaine seront le fruit de chercheurs étrangers, ainsi Charles Tilly.

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142 Sociologie plurielle des comportements politiques

accumulation de connaissances dont il ne sera dès lors pas possible ici de rendre compte exhaustivement 2. Dans ce qui suit, nous procéderons en trois temps. Après avoir rendu compte des étapes du développement de la recherche en sciences sociales dans ce domaine depuis les années 1950, nous formulerons quelques hypothèses explicatives de ce cheminement pour finir par souligner certains aspects par lesquels la recherche produite en France semble se distinguer des travaux européens et américains.

Une histoire en quatre tableaux Premier tableau. Le paradigme scientifique dominant, en histoire sociale, associe, durant les années 1950 et 1960, une vision macrohistorique (fondée pour partie sur le paradigme « labroussien ») et des agrégats réifiés (les « classes » sociales comme acteurs de l'histoire) (Revel, 1996). Dans l'histoire sociale ouvrière, le groupe social fait office de héros dont les collectifs militants seraient l'expression la plus consciente. Marquées, implicitement et explicitement, par l'empathie d'intellectuels engagés euxmêmes dans le mouvement ouvrier, ces recherches accordèrent très tôt une grande importance au militant ouvrier, ce qui conféra aux biographies de militants une place d'entrée de jeu déterminante (Fillieule et Pudal, 2010). Le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (Maitron, 1964-1997), œuvre collective d'une communauté historienne politiquement divisée, mais unifiée par son rapport empathique au « mouvement ouvrier », en sera la réalisation majeure 3. Dans ce contexte, l'histoire du PCF et de ses militants devint un enjeu central avec, d'un côté, une histoire édifiante, tenue par les historiens quasi officiels du PCF et, de l'autre, une histoire politique, événementielle du communisme qui mit en cause dès les années 1950 cette histoire instrumentalisée. 2. On trouvera des revues de cette production dans Mayer (2013) qui discute plus largement de la place de la sociologie des mouvements sociaux au sein des travaux sur les comportements politiques, mais aussi dans un handbook dont le propos est précisément, à partir d'une appréciation critique de la littérature internationale, de mettre en lumière les spécificités de la recherche produite en France et sur la France (Fillieule, Agrikoliansky et Sommier, 2010). Sur les mouvements sociaux eux-mêmes, voir Sommier (2003) et Crettiez et Sommier (2006). 3. Commencée au début des années 1960, cette grande œuvre collective en 44 volumes comprend 110 000 notices biographiques pour la période 1789-1940.

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La sociologie de l'action protestataire en France

La centralité du militantisme communiste plaça Annie Kriegel au cœur des controverses de l'époque. Elle publia en 1968 un essai sur Les Communistes français qui fit date, dans lequel elle développait la thématique de la « contre-société » communiste et faisait du « permanent » communiste un militant tout à la fois dévoué, discipliné, quelconque et aveugle, ouvrant ainsi la voie à une sociologie du militantisme communiste (Pudal, 1989). Deuxième tableau. Au début des années 1970, un déplacement fondamental, à la fois cognitif, scientifique et politique, a progressivement atteint le paradigme dominant antérieur et ce, dans deux directions principales. D'une part, dans le sillage des nouveaux mouvements sociaux apparus au début de la décennie, émerge en sociologie un courant théorique puissant autour d'Alain Touraine qui, avec son équipe (par exemple François Dubet, Michel Wieviorka et Didier Lapeyronnie), entreprend de bâtir une « grande théorie » des mouvements sociaux qui se tienne à distance de la rationalité stratégique individuelle, afin, dans une perspective plus compréhensive, d'interroger les processus par lesquels les acteurs collectifs créent les solidarités et les identités collectives. Marquée par les cadres d'analyse marxistes, l'école tourainienne emboîte ainsi le pas aux travaux qui ont déjà émergé en Allemagne pour analyser l'apparition de mobilisations interclassistes et rendre compte de la disparition de la classe ouvrière en tant qu'acteur central du mouvement social. Une série d'études de cas sont publiées sur le mouvement antinucléaire, le mouvement étudiant, la mobilisation des régions périphériques contre l'État jacobin, le mouvement Solidarité en Pologne 4. Cependant, la contribution tourainienne va demeurer aux marges des débats académiques français, alors même que le « paradigme identitaire » se diffuse dans une grande partie de l'Europe et en Amérique latine. En établir précisément les raisons est ici hors de portée, mais il est probable que la vision très particulière du Mouvement Social (avec des majuscules) donnée par Touraine, autour d'une quête de l'équivalent fonctionnel du mouvement ouvrier dans la société postindustrielle, aussi bien que sa méthode (l'intervention sociologique) ont contribué à empêcher cette sociologie de se développer de manière durable 5. 4. Touraine, 1973, 1978. 5. Remarque quelque peu injuste si l'on considère l'influence de l'école tourainienne sur les sciences sociales en Amérique latine, dont on trouve encore parfois, bien que de plus en plus rarement, les traces aujourd'hui.

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D'autre part, dans le champ des études sur le militantisme, des approches moins substantialistes et moins réifiantes qu'auparavant se font jour. Le substantialisme ne se limitait pas au groupe social (la classe), mais affectait aussi d'autres catégories d'analyse qui devaient être déconstruites parce qu'elles restaient en prise avec la réification des acteurs collectifs : « le » militant ; « l'adhérent » ; « l'adhésion » ; « le » parti ou « l'organisation » ; « la » direction de tel ou tel groupement, etc. Si l'on se limite à la seule histoire ouvrière, de nombreux travaux étudient alors la construction du groupe ouvrier dans une perspective désormais socio-génétique, suivant en cela l'œuvre majeure d'Edward P. Thompson (1966), pourtant traduite tardivement en 1988. Sans détailler ces recherches, dont Gérard Noiriel a proposé une esquisse de synthèse sous un titre délibérément en rupture avec le substantialisme, Les Ouvriers dans la société française, XIXe- XXe (2007), la perspective adoptée a profondément modifié les cadres interprétatifs des analyses antérieures. Ce déplacement de problématique n'a pas débouché sur un nouveau paradigme historien unifié, mais plutôt sur la multiplication des points de vue ou des échelles d'analyse. On peut néanmoins dégager certains points forts. En premier lieu, le recours de plus en plus fréquent à la prosopographie (ou biographie collective) permet d'étudier des groupes militants plus restreints et selon diverses perspectives (par exemple, les prêtres-ouvriers ou les militants jocistes). Ce déplacement est plutôt historien. En second lieu, aux biographies ou autobiographies de militants, auparavant édifiantes, se substituent des autobiographies autocritiques de militants et des biographies plus contrastées. Celles-ci, réalisées en sociologie et en science politique, s'inscrivent plus spécifiquement dans l'histoire de l'évolution des analyses sociologiques de la mobilisation et de la représentation politique. Que ce soit par le biais du paradigme « olsonien » ou par celui d'une sociologie des rétributions du militantisme (Gaxie, 1977), dont l'origine scientifique peut être rattachée à l'œuvre de Max Weber, ou encore au travers d'une réflexion sociologique sur les phénomènes de délégation politique avec Pierre Bourdieu (1981, 1984), ce doute scientifiquement construit, combiné à la résistance au substantialisme, a donné lieu à l'élaboration de multiples cadres d'analyse des militantismes. Introduisant une rupture entre le militantisme et les motifs allégués par les militants, entre les militants et les groupes qu'ils représentent, ce déplacement de problématique oblige à

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s'interroger sur les contradictions inhérentes au militantisme. Nous sommes passés progressivement à un ensemble d'analyses qui désacralisent le militantisme ouvrier, interrogent ses « motivations », psychologisent parfois ses investissements, insistent toujours sur les enjeux spécifiques de la représentation, sur les prédispositions sociales au porte-parolat, sur les incitations sélectives ou les rétributions du militantisme (rétributions symboliques, thérapeutiques, financières, promotionnelles, culturelles, en capital social, etc.). Troisième tableau. À partir de la fin des années 1970, la recherche française dans le domaine entre dans une période d'atonie généralisée. D'un côté, la poursuite du Mouvement Social tourainien s'est essoufflée et, de l'autre, les travaux sur le militantisme deviennent rares, dans un contexte politique – les années 1980 – où l'arrivée de la gauche au pouvoir semble avoir durablement démobilisé les mouvements sociaux (Duyvendak, 1994). Or, c'est justement à ce moment qu'un rapprochement s'opère entre les auteurs américains du courant de la mobilisation des ressources et les chercheurs européens s'inscrivant dans le paradigme identitaire (Tarrow, Klandermans et Kriesi, 1988). Malgré les efforts de diffusion des travaux anglo-saxons menés par de rares collègues 6 et quelques publications isolées visant à dialoguer avec la littérature internationale (Dobry, 1986), la greffe ne prend pas. Lorsque Dieter Rucht dresse un état de l'art en sociologie des mouvements sociaux en Europe et aux États-Unis, il ne parvient pas à trouver un auteur pour rédiger un chapitre sur la France (1990). Quatrième tableau. Au début des années 1990, le paysage se transforme rapidement avec une efflorescence d'initiatives en science politique. À l'Institut d'études politiques de Paris, à la suite de Pierre Favre (1990), initiateur d'un intérêt renouvelé pour l'action protestataire, une série de thèses sont entreprises, sur la manifestation (Fillieule, 1997), sur les mouvements de sanspapiers (Siméant, 1998), sur la Ligue des Droits de l'homme 6. En tout premier lieu Pierre Birnbaum et François Chazel qui traduisent plusieurs textes du courant dit de la mobilisation des ressources dans un recueil de sociologie politique dès 1971, le premier œuvrant par ailleurs à la publication en français de The Contentious French (1986), dont les très faibles ventes refroidiront pour longtemps les ardeurs traductrices des éditeurs. Voir également Chazel (1992) et la popularisation de Mancur Olson par François Boudon et François Bourricaud. Pendant les années 1990, plutôt que des livres, quelques articles sont traduits, contribuant à populariser la littérature nord-américaine auprès d'un public peu anglophone (par la revue Politix notamment).

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(Agrikoliansky, 2002) ou encore sur les mal logés (Péchu, 2006). C'est encore à Science Po que Nonna Mayer et Olivier Fillieule créent le Groupe d'étude et de recherche sur les mutations du militantisme (Germm, 1994), standing group de l'Association française de science politique (AFSP) qui va fédérer pendant quelque vingt années le renouveau de la recherche sur la participation politique dite alors non conventionnelle 7. En même temps, à l'université Paris I-Sorbonne, Philippe Braud relance la réflexion sur la violence politique (1993) et entreprend une série de recherches doctorales (Bruneteaux, 1996 ; Sommier, 1998 ; Duclos, 1998 ; Crettiez, 1999), tandis que Michel Offerlé dirige plusieurs recherches sur les formes de l'action collective (Contamin, 2001 sur la pétition ; Mariot, 2006 sur l'effervescence collective via l'étude des voyages présidentiels ; Giraud, 2009 sur les grèves ; Cossart, 2013 sur les meetings politiques). Ce renouveau tous azimuts est porté par une nouvelle génération de chercheurs qui, incités par quelques aînés et soutenus par plusieurs collègues européens et américains francophiles 8, opèrent simultanément l'investissement de terrains empiriques jusqu'ici en friche et l'importation théorique de travaux étrangers (notamment nord-américains) consacrés à l'analyse de l'action collective. Symbolique à cet égard est la parution, au début de la décennie, de deux manuels qui font découvrir l'étendue et la portée de la littérature nord-américaine (Mann, 1992 ; Fillieule et Péchu, 1993). Cette nouvelle ère se caractérise d'abord par la place prépondérante prise par les travaux consacrés aux répertoires d'action ou, dit autrement, aux performances protestataires, signant le triomphe de Charles Tilly, toujours boudé par les historiens (Bourguinat, 2002). Par exemple sur les manifestations (Favre, 1990 ; Fillieule, 1997 ; Fillieule et Tartakowsky, 2008), les marches (Le Mouvement social, 2003), la grève de la faim (Siméant, 1998), la barricade (Corbin et Mayeur, 1997), la pétition (Contamin, 2001), le squat, les immolations par le feu, la grève des loyers (Péchu, 2006 ; Grojean, 2006 ; Hmed, 2006), la réunion publique (Cossart, 7. Sur les mutations du militantisme, voir également les travaux de Jacques Ion (1997) qui ont suscité un vif débat au sein de la communauté académique française (voir Lambelet, 2009, pour une revue). 8. Je pense notamment, mais la liste ne saurait être exhaustive, à Charles Tilly, Sidney Tarrow, John McCarthy, Clark McPhail, David Snow et plus récemment James Jasper aux États-Unis, ainsi qu'à Donatella Della Porta, Dieter Rucht, Mario Diani et Chris Rootes en Europe.

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2013), la grève (Béroud et al., 2008 ; Giraud, 2009 ; Politix, 2009a et b), les banquets (Robert, 2009), la consommation engagée (Dubuisson-Quellier, 2009 ; Balsiger, 2010) et les émeutes (Lagrange et Oberti, 2006 ; Waddington, Jobard et King, 2009). Aussi bien, la réflexion s'est étendue au-delà des formes de contestation ouvertes les plus immédiates : d'un côté, une inclusion des modes de résistance à l'autorité à partir des travaux de James Scott, en lien avec l'essor des questionnements propres à la sociologie des mouvements sociaux dans les recherches portant sur le MoyenOrient et l'Afrique du Nord (Bennani-Chraïbi, 1994 ; BennaniChraïbi et Fillieule, 2003, 2012 ; Zaki, 2005 ; Vairel, 2014), sur la Turquie (Dorronsoro, 2005 ; Massicard, 2005 ; Uysal, 2005 ; Grojean, 2008 ; Gourisse, 2014), sur l'Amérique latine (par exemple Massal, 2005 ; Delpech, 2014) et sur l'Afrique subsaharienne (Lafargue, 1996 ; Pommerolle et Siméant, 2009 ; Siméant, 2014) et, d'un autre côté, un intérêt renouvelé pour les modes d'action déployés par les plus dotés de ressources (Pinçon et PinçonCharlot, 2007 ; Offerlé, 2009 ; Politix, 2014). Ces extensions vont dans le sens d'une approche phénoménologique attentive à la fois aux performances comme action située composée d'échanges de coups et au sens investi par les acteurs en situation. Le renouveau se traduit aussi dans des recherches qui se concentrent sur les « nouvelles luttes » contemporaines et observables in situ. Des associations politiques (Attac, SOS Racisme) (Wintrebert, 2007 ; Juhem, 1999) ; des mouvements de solidarité (Lechien, 2003 ; Duchesne, 2003), les engagements humanitaires (Dauvin et Siméant, 2002 ; Collovald et al., 2002 ; Parizot, 2003 ; Zunigo, 2003) ; les luttes des « sans » (Fillieule, 1993 ; Maurer, 2001 ; Pierru, 2003 ; Dunezat, 2004 ; Péchu, 2006 ; Mathieu, 2006 ; Garcia, 2005 ; Mouchard, 2009 ; Chabanet et Faniel, 2013) ; de nouvelles organisations syndicales (Bruneau, 2006) ; les luttes sur des enjeux spécifiques (Broqua, 2005 ; Broqua et Fillieule, 2001 ; Voegtli, 2009, sur le sida et la cause homosexuelle), ou encore la prostitution (Mathieu, 2001, 2014), les associations issues de l'immigration (Siméant, 1998 ; Hamidi, 2006 ; Hmed, 2006), l'environnement (Ollitrault, 2008) et l'altermondialisme (Agrikoliansky, Fillieule et Mayer, 2005 ; Fillieule et al., 2004 ; Agrikoliansky et Sommier, 2005 ; Sommier, Fillieule et Agrikoliansky, 2008). D'autres militantismes politiques sont investis, à la fois dans une perspective socio-génétique mais aussi en renouvelant les modes d'analyse : l'analyse localisée et celle des réseaux

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(Sawicki, 1997 ; Mischi, 2010) ou celle des modes de reconversion. La palette des militantismes politiques s'est considérablement diversifiée : des extrêmes droites (Boumaza, 2002 ; Klandermans et Mayer, 2006) à la LCR (Johsua, 2015) en passant par les partis de droite (Bargel, 2009 ; Haegel, 2012). Enfin, Mai 68 commence à faire l'objet de travaux universitaires (Gobille, 2003 ; Damamme et al., 2008 ; Pagis, 2009), après qu'Isabelle Sommier a publié le premier livre consacré au devenir des « soixante-huitards » sous l'angle d'une analyse comparée France-Italie (Sommier, 1998). Aujourd'hui, la sociologie des mouvements sociaux constitue un sous-champ structuré, avec ses standing groups et listes de diffusion, ses journées d'études et colloques, ses très nombreuses publications, ses séries dédiées 9 et, bien entendu, ses manuels (Neveu, 1996 ; Mathieu, 2004 ; Tilly et Tarrow, 2008 ; Cefaï, 2007 ; Fillieule, Mathieu et Péchu, 2009 ; Fillieule, Agrikoliansky et Sommier, 2010 ; Mathieu, 2012). Les chercheurs français dans le domaine fréquentent de plus en plus les conférences internationales et publient de plus en plus en anglais 10. L'univers de référence nord-américain n'est plus perçu comme « exotique », même s'il n'est que rarement pris pour argent comptant. Mais comment rendre compte de ce basculement rapidement esquissé des années 1990 ?

D'un basculement Répondre à une telle question imposerait de mobiliser les instruments de l'épistémologie et de la sociologie des sciences. Notre propos sera plus modeste et nous nous contenterons ici de lister quelques facteurs endogènes et exogènes qui nous permettent de préciser un peu mieux le contexte des vingt-cinq dernières années. Comme le fait remarquer Gusfield, ce ne sont pas des « logiques internes mais des considérations externes qui sont vitales pour comprendre le développement de l'étude sociologique des mouvements sociaux » (Gusfield, 1978, p. 122). Au-delà du cas français, la première hypothèse qui vient à l'esprit lorsque l'on songe au 9. Tout particulièrement la collection « Contester » aux Presses de Sciences Po initiée par Nonna Mayer. http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/collections/contester/ 10. Alors que seul un Français est auteur dans le Blackwell Companion to Social Movements (Snow et al., 2003), ce n'est de loin plus le cas dans le Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social and Political Movements (Snow et al., 2013).

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développement de la sociologie des mouvements sociaux et à la succession des paradigmes qui l'ont marquée, est celle de la « poussée de l'histoire réelle », selon l'expression de Louis Althusser dans Pour Marx (1967, p. 80), les faits sociaux évoluant en dehors des théories qui en rendent compte et les théories finissant par être modifiées ou dépassées par les événements, d'où quelquefois de brusques changements de paradigmes (Favre, 1989). C'est en réaction à la menace sociale du « grand soir » que paraissent à la fin du XIXe siècle les premiers ouvrages sur les mouvements de masse, la théorie des foules destructrices développée alors devant beaucoup aux phantasmes de penseurs effrayés par les progrès de la démocratie libérale ; et c'est encore au nom de présupposés idéologiques en faveur du pluralisme politique et du respect des règles institutionnelles que les mouvements sociaux continueront jusqu'au milieu des années 1960 à s'analyser en termes de phénomènes irrationnels répondant à des frustrations. Par la suite, l'abandon des théories du comportement collectif pour une vision rationnelle des mobilisations s'opère en partie à cause de l'ampleur prise alors par l'action collective et de la diffusion de son recours dans de larges couches de la société. Enfin, les formes de contestation changent de nouveau durant les années 1970, à la fois pour ce qui est des modes d'action (développement de pratiques plus directement participationnistes) et des thèmes mobilisateurs (mouvements pacifistes, écologistes, de libération sexuelle), ce qui se traduit par la réorientation des cadres d'analyses vers une approche en termes de nouveaux mouvements sociaux. C'est donc bien, tout au moins en partie, sous la poussée de cette « histoire réelle » que le champ de la sociologie des mobilisations s'est progressivement constitué, avec ses instruments d'analyse et ses enjeux théoriques propres. La génération qui en France va prendre en charge le renouveau de la sociologie des mouvements sociaux a été socialisée au politique au cours des années 1980, celles de la présidence socialiste de François Mitterrand qui porte un coup d'arrêt aux mouvements sociaux des années 1970, favorise la montée en puissance de l'extrême droite à la faveur d'une réforme électorale et soutient, voire suscite les mouvements antiracistes aux fins de mobiliser la jeunesse contre la droite classique. Ces années sont aussi celles de l'émergence de nouveaux problèmes publics liés à l'aggravation de la situation économique, les médias commençant à parler de « nouvelle pauvreté » et de « working poor » à partir de 1984, au moment où naissent des mouvements de « sans ». Nombreux sont

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aussi dans cette génération ceux qui ont été marqués par le mouvement étudiant de novembre-décembre 1986 s'opposant à une énième réforme de l'université défendue par la droite revenue au pouvoir en mars de la même année. Les troubles graves qui ont marqué les manifestations parisiennes de ce mouvement et qui ont entraîné la création de deux commissions d'enquête parlementaires ont joué un rôle clé dans le déclenchement des premières recherches sur la manifestation de rue (Favre, 1990). Ce renouveau progressif des conflits sociaux se poursuit avec les vastes mouvements de grève de l'hiver 1995 et du printemps 2003 et induit une nouvelle formulation de la question sociale qui explique, en partie, l'émergence et le succès du mouvement altermondialiste (Sommier et Fillieule, 2013). Si cette relative effervescence politique engendre un renouveau de la recherche, cela est aussi dû au rôle structurant du financement de celle-ci par les pouvoirs publics. Plusieurs agences de l'État ont ainsi financé ou co-financé une bonne partie des travaux mentionnés plus haut, sur les mutations de l'engagement associatif, sur les mouvements de « sans », sur la lutte contre le sida, sur les mobilisations environnementales. Un point qui mérite d'autant plus d'être précisé ici que les chercheurs français ont longtemps, et encore aujourd'hui, très peu bénéficié des instruments de recherche mis en place par les instances européennes, se privant – ou se voyant privés – d'une source majeure de financement de la recherche sur le continent, alors même que, jusqu'à la création de l'Agence nationale de la recherche (ANR), il n'existait pas en France d'instrument équivalent à la National Science Fondation aux États-Unis ou au Fonds national pour la recherche scientifique en Belgique. À ces facteurs exogènes s'ajoutent des éléments endogènes, propres aux rapides et profondes transformations du champ académique à la fin du XXe siècle et qui touchent l'ensemble des sciences humaines et sans doute au-delà. En tout premier lieu, ce que l'on pourrait nommer « le rétrécissement des espaces académiques », pour parler comme Benedict Anderson (1983), est associé à des pratiques nouvelles. Le développement d'internet, avec ses conséquences en matière de généralisation des échanges par e-mails, d'accès à la littérature internationale via des catalogues (y compris des services commerciaux comme Amazon) et des bases de données en ligne, a abaissé considérablement le coût de la recherche de l'information ; aussi bien, la multiplication des séjours d'études et

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de recherche des Français à l'étranger et des étrangers en France (par les programmes Erasmus notamment), le tout autorisé par cette autre mutation relativement récente en France – et qui ne va pas sans quelques résistances parfois tout à fait singulières 11 – qu'est la généralisation de l'usage de l'anglais dans le travail scientifique. De même, les critères de l'excellence scientifique (et donc les voies du recrutement tout comme les chances d'accès à la publication dans des revues de qualité) se sont alignés progressivement sur les standards internationaux. C'est le cas de la Revue française de science politique ou encore de la Revue française de sociologie qui, dans un éditorial (2012, p. 386), annonce que tous les articles publiés seront désormais traduits en anglais et que cette traduction sera diffusée en ligne. D'où il découle que l'objectif de la revue est d'être reçue « dans le concert international » de la discipline et donc, de publier des travaux « de nature à retenir l'attention » des sociologues professionnels hors de France. Même la revue Politix, revue d'école défendant une approche critique des sciences sociales, dont l'univers de référence est resté longtemps franco-français, a fini par s'internationaliser. Dans un récent article paru à l'occasion du centième numéro de la revue et qui revient sur son histoire, Pierre Favre remarque que lorsqu'en 1991 un numéro double était consacré à la « construction des causes », l'article d'ouverture pouvait encore aborder cet élément premier des mobilisations sans une seule référence en langue anglaise. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et les quelques numéros thématiques consacrés aux mobilisations publiés depuis 2000 font largement usage de références anglosaxonnes (Favre, 2012). Enfin, le renouveau de la sociologie des mouvements sociaux intervient à un moment crucial où le paradigme nord-américain dominant semble marquer le pas. Si le développement, depuis les années 1970 et 1980, d'un ensemble de travaux fondés sur des concepts partagés et cohérents et des outils méthodologiques communs a constitué une condition indispensable à l'émergence de cette sous-discipline, l'évolution de la « science normale » au sein de ce « paradigme » donne le sentiment d'avoir atteint ses limites 11. Récemment, une nouvelle disposition figurant dans une loi de réforme de l'université, prévoyant qu'environ 10 % des enseignements à l'université devraient être délivrés en anglais, a suscité un tollé extraordinaire de la part de l'Académie française, ce qui n'étonnera pas, mais surtout, à sa suite, d'un certain nombre d'universitaires de renom, ce qui laisse songeur sur la manière dont les Français se perçoivent, eux et leur langue, longtemps après que l'empire colonial s'est dissout.

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dès la fin des années 1990. Comme tout paradigme, le modèle proposé par les tenants de la « contentious politics » a intégré depuis deux décennies toutes les critiques sans se réformer profondément. Il est devenu une sorte de monstre proliférant absorbant les productions dissidentes, dont l'unité tient plus à la force des institutions qui le structurent qu'à la cohérence du programme de recherche et des outils théoriques qu'il promeut. Dans ce cadre, la survie des concepts clés (opportunités politiques, organisations et ressources, cadrages, répertoire d'action) est assurée de plus en plus au prix de la généralisation de leur signification et de la diminution de leur capacité à expliquer les phénomènes protestataires et, surtout, à faire surgir de nouvelles questions de recherche. Ce qui veut dire que l'on s'achemine moins vers un nouveau paradigme cohérent que vers une approche hybride et multicentrée – Neil Smelser parle de « hybrid subfield » (2003) à propos de la sociologie des mouvements sociaux – fondée sur une variété d'ancrages disciplinaires. Cette fragmentation des agendas de recherche, des méthodes, des systèmes conceptuels mobilisés et de leurs ancrages disciplinaires, que déplorent les principaux tenants du paradigme de la « contentious politics », fut particulièrement bien reçue en France où, sous de nombreux aspects, elle avait été anticipée. La prégnance de la sociologie critique, la méfiance à l'égard des modes positivistes d'administration de la preuve et de construction de l'argumentation, le peu de succès des comparaisons « Canada dry » et de la quantophrénie au profit des différentes formes de l'analyse qualitative ne pouvaient que renforcer les fertilisations croisées avec une sociologie des mouvements sociaux en plein aggiornamento.

Dans le concert des nations La production française dans le champ des mouvements sociaux est donc désormais fortement liée à la littérature nord-américaine. Elle s'en distingue toutefois aussi bien par ses orientations théoriques, par son refus d'un enfermement sous disciplinaire et donc des constructions d'objet originales, et par ses choix de méthode 12. En matière d'orientations théoriques, l'influence intellectuelle de la pensée socio-génétique et configurationnelle de Norbert Elias, 12. Je reprends dans les deux paragraphes suivants des éléments de l'introduction à Penser les mouvements sociaux (Fillieule, Agrikoliansky et Sommier, 2010).

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celle de la sociologie critique bourdieusienne et l'emprise croissante d'un paradigme interactionniste dans le domaine des recherches sur le militantisme donnent une coloration relativement originale à la production contemporaine et offre une série d'alternatives au paradigme dominant mais contesté de la « contentious politics » (McAdam, Tarrow et Tilly, 2001) 13. L'émergence et le développement d'une manière de faire des sciences sociales, nourrie des apports de la socio-histoire (Buton, 2009b et la revue Genèses) et donc particulièrement attentive aux généalogies des labels, des causes et des groupes (Boltanski, 1982), sont essentiels pour comprendre la French touch. Ce point renvoie à la prégnance d'une approche dite constructiviste, arrimée au travail de Pierre Bourdieu, qui conduit à s'interroger sur la construction des groupes par l'État comme par eux-mêmes et donc sur les luttes visant à faire advenir les groupes, comme « le mouvement ouvrier », « le parti communiste » (Offerlé, 1984 ; Pudal, 1989) et à générer des identités collectives. À la construction des groupes s'ajoute le souci de réfléchir à la construction des causes en dépassant les apories du couple « intérêt versus altruisme », pour s'attacher précisément à saisir les manières dont s'opèrent les processus de « montée en généralité » (Boltanski et Thévenot, 1991) et d'élargissement des causes sur un mode peut être moins naïf, moins stratégiste et moins mécanique que ne le propose la « framing analysis ». Enfin, alors que dans la littérature nord-américaine les acteurs sont souvent réduits à un théâtre d'ombres, voire disparaissent complètement derrière le tryptique « political opportunity structures », « mobilizing structures » et « framing strategies », les chercheurs français ont beaucoup plus investi la question du militantisme et du processus d'engagement et cela, surtout en se référant au modèle interactionniste de la carrière (Agrikoliansky, 2002, ainsi que son chapitre dans le présent ouvrage ; Fillieule, 2001, 2005, 2010). Doug McAdam et Hilary Shaffer Boudet ont récemment lancé un vibrant plaidoyer pour un désencastrement de la sociologie des mouvements sociaux, laquelle dans son mouvement de structuration académique se serait progressivement coupée du reste des sciences sociales, s'enfermant dans son propre univers de référence 13. À quoi il faut ajouter l'émergence d'une voie « pragmatiste » d'analyse autour de Louis Quéré, Daniel Cefaï ou encore Danny Trom, mais qui pour l'heure s'est limitée à un ensemble de prescriptions normatives plus qu'à un programme de recherches empiriques (Cefaï et Trom, 2001 ; Cefaï, 2007).

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et ne travaillant plus que « on mobilization, those who mobilize, and in general, internal movement dynamics. […] Instead of situating movements in a fuller constellation of political and economic forces and actors, movements and movement groups increasingly came to be the central animating focus of the field » (2012, p. 21-22 ;voir également Walder, 2009). Le reproche vaut infiniment moins pour la recherche française qui, dès le départ, a pris dans différents souschamps des sciences sociales et s'est donc développée dans un dialogue constant avec d'autres univers disciplinaires 14. À commencer par les travaux de Nonna Mayer (1992, 2010) et ceux menés dans le cadre du Germm qui ont contribué à ne pas détacher le champ de la recherche sur les mouvements sociaux de celui sur la participation politique comme cela a souvent été le cas ailleurs. Si bien que le recours aux données individuelles a été intégré à la panoplie des spécialistes des mouvements sociaux dès le début des années 1990. De même, le dialogue s'est établi très tôt avec les spécialistes des politiques publiques (Muller et Surel, 1998) et s'est particulièrement enrichi de la connexion établie avec la sociologie des scandales (Rayner, 2005 ; Latté, 2008), avec le champ de l'expertise (surtout dans le domaine de la santé publique [Barbot, 2002 ; Pinell, 2002] et de l'écologie [Ollitrault, 2008]) et avec la littérature sur les problèmes sociaux dans la veine de Joseph Gusfield 15. De nombreuses recherches ont ainsi été produites aux frontières de ces différents sous-champs, qu'il s'agisse de l'impact de l'alcool et de la consommation de tabac sur la santé publique (Berlivet, 2000), de l'opposition aux grands projets d'aménagement (Valluy, 1996 ; Lolive, 1999 ; Fillieule, 2003), des politiques publiques en direction des sourds-muets (Buton, 2009a) ou des retraités (Lambelet, 2011) et les réponses qu'elles suscitent de la part des groupes concernés. Enfin, inspirés directement des « socio legal studies » développées par le mouvement « law and society » aux États-Unis, plusieurs chercheurs ont travaillé sur le recours à la légalité et à l'action juridique par les groupes protestataires, générant un corpus de travaux désormais considérable (Israël, 2009 ; et Agrikoliansky, 2010, pour une revue). Enfin, plusieurs spécialistes des médias et des « cultural studies », au premier rang desquels 14. Ce qui n'empêche pas de régulières mises en garde de la part des chercheurs français contre les risques d'enfermement que contient en lui-même le paradigme de la « contentious politics ». 15. Dont l'ouvrage, The Culture of Public Problems, a été traduit en 2009 par Daniel Cefaï.

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Erik Neveu (1999), ont établi des liens entre sociologie des médias et sociologie des mobilisations (Juhem, 1999 ; Féron, 2012), apport d'autant plus précieux que les années 1980 et 1990 sont dominées au niveau international par le recours à la « protest event analysis », laquelle s'appuie sur la presse écrite comme source sans se poser vraiment la question des logiques de production des comptesrendus médiatiques (Fillieule, 1997, 2007). Enfin, et dans le sillage de contributions fondatrices de la décennie 1980 (Maruani, 1979 ; Kergoat, Le Doaré et Senotier, 1992), une place à part doit être faite à l'émergence d'un corpus de recherches adoptant une approche de genre, tant pour explorer les mouvements féministes (Galerand, 2006 ; Bereni, 2007 ; Jacquemart, 2015) que pour repenser différentes dimensions de la sociologie des mobilisations (Trat, 1994, 2002 ; Dunezat, 2004 ; Fillieule et Roux, 2008 ; Bereni et Revillard, 2012). Last but not least, le renouvellement au cours de ces dix dernières années de la sociologie du militantisme dans une perspective interactionniste a eu pour effet de reconnecter directement la recherche au champ quelque peu en déshérence des études sur la socialisation secondaire, entendue comme l'ensemble des processus conscients ou inconscients par lesquels les individus intériorisent, tout au long de leur vie, les normes d'instances aussi diverses que la famille, l'école, le milieu professionnel, le couple, etc. Dès lors, contrairement au champ académique nord-américain où, comme le fait remarquer Sapiro (1989), les chercheurs spécialisés dans le sous-champ des études de socialisation sont restés à distance de la sociologie du militantisme 16, les spécialistes français du militantisme ont importé au cœur de leurs problématiques les questionnements des études de socialisation. D'où tout l'intérêt d'un raisonnement en termes de « carrière », qui invite à la prise en compte de plusieurs dimensions essentielles des identités sociales et offre un outil puissant pour penser les relations entre les individus et les institutions, à partir d'une attention portée aux 16. « Social movements are populated by adults, and only recently have socialization scholars turned their attention in any serious way to adult socialization. Moreover and probably more important, political behavior or participation in political organizations is generally conceived of as a dependent rather than independent variable. Socialization research has been aimed at understanding why individuals do or don't participate in politics not at revealing the effects of political activity. We have rarely studied the socialization effects of explicitly political organizations as compared with others such as families or schools » (Sapiro, 1989, p. 35). Et vice versa, pourrait-on dire, à quelques exceptions notables près cependant.

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modalités du processus de « socialisation institutionnelle », soit i) l'acquisition de « savoir-faire » et de « savoir-être », ii) une vision du monde (idéologie) et iii) la restructuration des réseaux de sociabilité, en lien avec la construction des identités individuelles et collectives (réseaux sociaux et identités). Dans ce domaine, ce sont les approches qualitatives à sensibilité ethnographique qui permettent le mieux, à partir du constat de l'irréductible hétérogénéité des collectifs, de penser le travail militant et sa division sociale 17. Cette dernière remarque nous amène à souligner la particularité des approches développées en France en termes de méthodes 18. D'une part domine une saine prudence à l'égard des simplifications abusives d'un comparatisme stratosphérique qui en finit par perdre de vue le poids des contextes historiques, sociaux, culturels, économiques dans lesquels s'ancrent les mouvements sociaux. Les nombreux travaux français référencés ici montrent bien que l'on en apprend plus sur la dynamique des protestations et de l'action collective à partir d'études de cas approfondies qu'en constituant de vastes bases de données qui risquent de vider de leur sens les facteurs explicatifs retenus. Face à l'industrie lourde de la recherche nord-américaine, la dimension encore structurellement artisanale des recherches françaises, qui conduit à privilégier le qualitatif sur le quantitatif, n'est pas un handicap, mais au contraire un atout. Elle offre d'explorer réellement de nombreuses pistes esquissées en théorie mais peu investies en pratique, faute d'outils méthodologiques adéquats : la logique des trajectoires militantes, les émotions et les affects (Traïni, 2009, 2011 ; Sommier, 2010), les procédures d'attribution de sens, individuel ou collectif, la dynamique des événements et les interactions de face à face qui constituent la trame de la protestation. Les enquêtes menées en France sur le mouvement altermondialiste illustrent particulièrement bien cette originalité dans l'analyse des mouvements sociaux. Tout d'abord dans les méthodes employées qui, tout en ayant recours aux données quantitatives 19, ont investi massivement dans le qualitatif. La première enquête 17. Nous ne développons pas ce point et renvoyons à la contribution d'Éric Agrikoliansky dans le présent ouvrage. 18. Les derniers paragraphes du présent chapitre reprennent des éléments de l'introduction de Penser les mouvements sociaux (Fillieule, Agrikoliansky et Sommier, 2010) 19. C'est‑à-dire Individual Survey in Rallies (Insura), une méthode d'administration de questionnaires individuels sur les sites de protestation, remise au goût du jour par Pierre Favre, Olivier Fillieule et Nonna Mayer (1997) et largement utilisée depuis.

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conduite sur le sujet, lors de la mobilisation anti-G8 d'Évian au printemps 2003 et du second Forum social européen à l'automne suivant, a ainsi associé les deux méthodologies, d'un côté par l'administration d'un questionnaire aux participants visant à dégager leur trajectoire militante et leurs visions du monde (Fillieule et al., 2004) et de l'autre par une série de dispositifs : la conduite d'entretiens avant et après l'événement auprès des responsables des organisations les plus investis afin de comprendre ce qui les avait poussés à s'y engager, ce qu'ils en attendaient et ce qu'ils en tiraient, mais aussi la place particulière que pouvaient avoir en leur sein les promoteurs du « tournant transnational » ; le suivi de l'entièreté du processus d'organisation à différents échelons (réunions préparatoires, assemblées européennes et noyau exécutif) ; l'ethnographie d'une cinquantaine de débats centrée autour des modalités d'organisation de la prise de parole publique et de ses registres (Agrikoliansky et Sommier, 2005). Le développement de travaux qui, aux États-Unis ou en Europe, commencent aussi à s'imposer dans cette perspective et sont en harmonie avec les recherches françaises (par exemple Snow et Anderson, 1993 ; Lichterman, 1996 ; Auyero, 2003 ; Wood, 2003 ; Mische, 2008), manifeste qu'il y a dans ce renouveau méthodologique une piste fructueuse de recherche pour l'avenir ainsi qu'une opportunité pour les chercheurs français, particulièrement bien armés pour offrir des recherches originales et fertiles.

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La sociologie de l'action protestataire en France

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Chapitre 6

Les « carrières militantes » Portée et limites d'un concept narratif Éric Agrikoliansky

Le chef-d'œuvre de la philosophie serait de développer les moyens dont la Providence se sert pour parvenir aux fins qu'elle se propose sur l'homme, et de tracer, pour cela, quelques plans de conduite qui pussent faire connaître à ce malheureux individu bipède, la manière dont il faut qu'il marche dans la carrière épineuse de la vie […]. Sade, Justine ou les infortunes de la vertu, 1791.

C'

est dans la petite salle de réunion du Centre de recherches politique de Sciences Po (Cevipof), rue de la Chaise, à Paris, où se tenaient les réunions du Groupe d'étude et de recherche sur le militantisme moral (Germm), qu'est née l'idée d'appliquer au militantisme le concept interactionniste de carrière. Le Germm réunissait pendant les années 1990 autour de Nonna Mayer et d'Olivier Fillieule des doctorants ou de jeunes docteurs qui s'intéressaient à l'action collective et à l'engagement hors des partis ou des syndicats. L'engagement associatif et/ou « mouvementiste » constituait un objet encore peu investi, et la question même du militantisme et des ressorts de l'action collective était largement délaissée par la science politique. Les recherches sur les militants se bornaient, le plus souvent, à inventorier les caractéristiques sociales des adhérents, sans véritablement proposer de modèle

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168 Sociologie plurielle des comportements politiques

d'intelligibilité de l'activisme. Le constat, pourtant récurrent, de la multi-positionnalité des militants indissociablement investis dans plusieurs types de militantisme, ne produisait guère plus que le constat lapidaire que « plus on milite, plus on milite » (pour un état des lieux, voir Subileau, 1981). Appliquée à nos objets du moment (l'engagement pour des « causes » : Droits de l'homme, antiracisme, droit au logement, lutte contre le sida, etc.), cette focale disait bien peu de choses (tous ces militants se recrutaient plutôt dans les classes moyennes à fort capital culturel). Elle laissait dans l'ombre les riches parcours militants (partisans, syndicaux, associatifs) qui les caractérisaient. Le concept de carrière, et plus largement un modèle processuel d'analyse de l'engagement, se révélait alors utile à la fois pour proposer un modèle sociologique d'intelligibilité de l'activisme et pour saisir cette activité sociale dans la continuité des engagements militants que nous observions et dans lesquels elle prenait sens. Aujourd'hui, cette intuition semble s'être confirmée : la notion de « carrière militante » s'est imposée en France comme un modèle dominant d'analyse de l'engagement (Sawicki et Siméant, 2009). Initialement conçue comme un outil pour penser le militantisme dans les associations et les mouvements sociaux (voir le dossier de la Revue française de science politique coordonné par Fillieule et Mayer, 2001 ; également, Fillieule, 2001 ; Agrikoliansky, 2001, 2002 ; Juhem, 2001 ; Péchu, 2001 ; Siméant, 2001), la notion a vu son champ d'application progressivement élargi. D'abord et ce, dès le départ, pour penser le militantisme partisan (voir notamment : Aït-Aoudia, 2013 ; Bargel, 2009 ; Combes, 2011 ; Jérôme, 2014 ; Johsua, 2007 ; Lafont, 2001), bénéficiant de ce fait des affinités électives qu'elle pouvait entretenir avec le développement de nouvelles approches du phénomène partisan – notamment l'approche « sociétale » des partis politiques (Sawicki, 1997, 2001). Mais la notion s'est diffusée au-delà, pour aborder la diversité des trajectoires d'engagement dans l'espace public, qu'il s'agisse, par exemple (et sans chercher à être exhaustif) : de la participation des citoyens aux instances de démocratie participative (Sa Vilas Boas, 2013), de la politisation dans les régimes autoritaires (Boutaleb, 2009), des trajectoires des imams français (Jouanneau, 2013), de la pratique militante du végétalisme (Traïni, 2012), de « carrières de voilement » des jeunes femmes musulmanes (Baugé, 2013) ou encore, de la violence auto-sacrificielle (Blom, 2011). La notion de carrière a, en outre, voyagé au-delà de la sphère du militantisme,

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Les « carrières militantes »

par exemple pour analyser la circulation des idées politiques (Nikolski, 2011) ou encore l'émergence de catégories d'action publique (Fortané, 2010, 2014). La principale limite à cette diffusion est, paradoxalement, géographique : la notion de « carrière militante », née aux États-Unis, est pour l'essentiel utilisée en France et dans la littérature francophone et ne paraît pas avoir (re) franchi l'Atlantique, où elle n'est pratiquement pas mobilisée dans les recherches sur les mouvements sociaux (pour une tentative d'exportation, voir Fillieule, 2010). Près de quinze ans après la publication du dossier de la Revue française de science politique, le moment semble propice à un bilan des acquis, mais aussi des limites et des angles morts que révèle, à l'usage, le concept. En ce sens, il faut dans un premier temps revenir sur ses fondements épistémologiques, afin d'en circonscrire les ambitions, mais aussi d'en mesurer les exigences ; puis, dans un second temps, inventorier les connaissances produites par les nombreux travaux qui s'inscrivent aujourd'hui dans le cadre d'une analyse processuelle de l'engagement. Mais il faut, en dernier lieu, en interroger aussi les points aveugles. Le recours de plus en plus fréquent à ce concept, ou plutôt au terme de « carrière », laisse en effet craindre qu'il soit devenu un « mot-valise » dans lequel chacun serait susceptible de placer le sens qui lui convient, risquant parfois de lui faire perdre toute portée heuristique.

Ce qu'analyser des carrières veut dire On peut revenir tout d'abord sur les raisons épistémologiques qui justifient le recours à la notion de carrière militante et, plus largement, à une sociologie interactionniste des engagements. Il est possible de distinguer trois ambitions théoriques majeures de l'analyse de carrière, telle qu'elle est envisagée dans la sociologie interactionniste (Goffman, 1968 ; Hugues, 1996 ; Strauss, 1992) et telle que la propose en particulier Howard Becker (1985) dans le cadre d'une sociologie de la déviance. La notion de carrière vise en premier lieu à inscrire la compréhension du militantisme dans le cadre d'une analyse séquentielle de l'engagement. Appréhender des carrières implique ainsi de restituer l'enchaînement temporel de différentes séquences de l'engagement et les logiques processuelles par lesquelles il se réalise et s'articule aux trajectoires biographiques. Cependant, la perspective

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proposée par Becker implique une conception spécifique de l'analyse biographique. La notion de carrière est en effet fréquemment confondue avec celle de trajectoire. Pourtant, les deux termes ne sont pas synonymes. Ils seraient même presque opposés, si l'on retient une interprétation stricte de ces notions. Comme l'a fait remarquer Jean-Claude Passeron (1991), la « trajectoire » prend un sens « balistique » lorsqu'elle est associée à l'idée que le déplacement de l'individu dans le temps et l'espace (social) traduit la force déterminante de l'impulsion qu'il a reçue : celle de la socialisation initiale. Or, s'interroge Passeron : Qui croira qu'un individu […] soit chose si simple ou si docile qu'il puisse ainsi actualiser tout au long de sa trajectoire un habitus à lui inhérent, comme un point actualise tout au long de la courbe la fonction mathématique qui définit la courbe ? […] Pourtant, même dans le monde nomologique de l'astronautique il est prudent de refaire plusieurs fois le calcul en cours de trajectoire […] mais que dire alors des « champs de forces » sociologiques ? (1991, p. 328-329).

C'est justement l'objectif de Becker, lorsqu'il utilise la notion de carrière pour l'étude de la déviance (1985), que de rompre avec les traditions (pour lui la psychanalyse et la sociologie fonctionnaliste) qui « accordent un primat explicatif aux effets de la socialisation primaire » (Darmon, 2008a, p. 156). Ce faisant, il propose une analyse séquentielle des carrières déviantes qui met l'accent sur un principe de discontinuité. L'engagement dans une activité sociale ne peut se décrire comme une courbe continue, mais est plus adéquatement représenté comme une série de lignes brisées, représentant des « séquences » articulées les unes aux autres, dont chaque étape produit les conditions de possibilité de la suivante. La déviance n'est donc pas un état, une prédisposition, mais un processus. Cette conception de la biographie comme alternance de trajectoires stables et de phases de transition ou de « turning points », ouvrant à de potentielles bifurcations, est sans doute l'un des legs les plus importants de l'idée de carrière à la sociologie générale (Elder, 1985 ; Grossetti et al., 2009). Le deuxième intérêt de la notion de carrière est de déplacer la question du « pourquoi » à celle du « comment ». Comme le souligne lui-même Becker (2002), la portée de cette « ficelle » du métier de sociologue est d'abord méthodologique : poser la question du pourquoi au cours d'une enquête de terrain expose en effet souvent à

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des réponses décevantes. Soit que les acteurs se sentent en accusation et dans l'obligation de se justifier ; soit qu'ils trouvent là l'occasion de valoriser les explications les plus communes de leur « vocation » (pour la politique, l'engagement, l'altruisme). Cette seconde attitude, la plus fréquente concernant les activités connotées positivement, est pourtant d'un faible intérêt : elle ne traduit qu'un pur effet de situation, empruntant à des routines convenues de justification, laissant dans l'ombre les mécanismes et les raisons que les individus peuvent évoquer si l'on aborde le problème de manière concrète. Poser la question du comment invite à l'inverse à retracer les circonstances et les faits qui constituent concrètement les étapes du processus. Dès lors, on est conduit à considérer que le phénomène étudié n'est pas « le résultat de causes, mais le résultat d'une histoire, d'un récit » (Becker, 2002, p. 109). Ce faisant la portée de cette « ficelle » est indissociablement épistémologique : plutôt que de chercher à imiter les sciences de la nature en identifiant des causalités abstraites (c'est‑à-dire qui agiraient en dehors des consciences individuelles et quel que soit le contexte), l'analyse des carrières s'apparente à une sociologie compréhensive des engagements militants cherchant à comprendre comment les significations, les rationalités et les croyances guident des actions situées, séquence par séquence. Le troisième et dernier intérêt de la notion est justement de proposer une approche particulièrement subtile de la question du sens que les acteurs donnent à leurs actions. Cette question est évidemment cruciale s'agissant de l'engagement militant qui est saturé de significations et d'explications. Or, les modèles proposés pour en rendre compte pèchent souvent par deux tropismes symétriquement opposés, mais également dommageables : soit la croyance en la cause en est pensée comme le principal ressort ; soit les motifs idéologiques sont rejetés comme l'écume d'un phénomène dont ne seraient susceptibles de rendre compte que des mécanismes inconscients. Est-on condamné à choisir entre ces deux postures toutes deux réductrices ? La notion de carrière constitue justement une façon de sortir de cette impasse. Elle accorde une place cruciale à l'analyse « des univers de significations auxquels se réfèrent » les acteurs sociaux (Chapoulie, 1985, p. 16), l'objectif de l'analyse étant de restituer « la réalité qu'ils créent en donnant un sens à leur expérience, et par référence à laquelle ils agissent » (Becker, 1985, p. 196). C'est sans doute d'ailleurs ce qui explique l'intérêt des sociologues de la seconde école de Chicago pour les comportements

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perçus comme déviants, anormaux ou fous qui constituent une sorte d'épreuve réclamant justement un effort pour en saisir le sens. Ensuite, l'intérêt de la notion est d'appréhender les significations non comme un ensemble rigide (un système de croyances fixé lors de la socialisation primaire) mais comme le résultat d'un processus dynamique impliquant des acteurs engagés dans une lutte pour la définition des normes et, ce faisant, dans leur coproduction. C'est bien sûr ce qu'illustre la célèbre définition que propose Becker de la déviance qui « n'est pas une qualité de l'acte commis par une personne, mais plutôt la conséquence de l'application par les autres, de normes et de sanctions » (1985, p. 33). En ce sens, comme le souligne Muriel Darmon (2008a), la portée analytique de la notion de carrière reflète sa dualité : elle constitue à la fois un instrument d'objectivation rompant avec le sens commun et une manière de placer au centre de l'analyse les sens que les acteurs attribuent communément à leurs actes. Dans le champ français des sciences sociales du politique la compatibilité entre carrière et habitus, entre sociologie interactionniste et sociologie bourdieusienne, n'allait donc pas initialement de soi. Tardivement traduite en français (en 1985 1), la sociologie interactionniste de Becker (comme celle d'Everett Hugues ou d'Anselm Strauss) est durant les années 1990 peu lue et travaillée par les politistes qui y décèlent initialement un risque de régression vers une sociologie individualiste ou idéaliste et vers des formes d'enchantement qui caractérisaient, par exemple, l'histoire héroïque du politique. Si le concept de carrière s'inscrit bien dès le départ dans un dialogue critique avec la sociologie des rétributions du militantisme et des habitus, il serait pourtant erroné de considérer les deux approches comme incompatibles 2. Nous plaiderons d'ailleurs ici pour une lecture plus conciliante. Il nous semble que recourir à une analyse de carrière n'implique pas, en particulier, de renoncer à penser que les individus sont socialisés et porteurs de croyances. Mais cela réclame d'élever considérablement ce que l'on attend de l'explication sociologique : en 1. Chez un éditeur relativement marginal en sciences sociales (Anne-Marie Métailié) qui accueille au début des années 1990 les premiers travaux français s'inscrivant dans la tradition pragmatique (dans la collection « Leçon de choses », fondée par Michael Pollak et dirigée par Luc Boltanski). Par comparaison, Erving Goffman sera traduit dès 1968 (Asiles) aux Éditions de Minuit. 2. On trouvera, notamment, dans Gaxie (2005) et dans Fillieule et Pudal (2010) deux illustrations, et deux étapes importantes, de ce rapprochement.

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s'intéressant à des « cas », il faut montrer comment la socialisation agit concrètement dans la trajectoire étudiée, par exemple en formant des goûts et des savoir-faire et en permettant de saisir des opportunités d'engagement. De même, on ne peut se contenter de postuler l'existence des croyances collectives caractérisant de grands agrégats sociaux, mais il faut empiriquement explorer les significations que les expériences biographiques, indissociablement collectives et singulières, façonnent concrètement. La dimension temporelle et processuelle est évidemment déterminante : contre l'analyse multivariée empilant les causes (lointaines) réputées agir à tout moment, la notion de carrière implique de restituer empiriquement la succession des événements, des situations d'interdépendances et donc des contraintes et des choix possibles dans lesquels les habitus peuvent s'exprimer en situation. Dès lors, si l'analyse des carrières militantes n'est pas incompatible avec une sociologie des prédispositions, elle impose néanmoins un cadre méthodologique et épistémologique exigeant, impliquant de changer de focale d'observation, en passant du groupe aux trajectoires, et de recourir à des outils qualitatifs – entretiens notamment biographiques, observations – peu utilisés à la fin des années 1990 à propos de l'engagement. En somme, elle s'inscrit dans le mouvement qui conduit, au début des années 2000, à appréhender la socialisation à l'échelle des individus et en contextes (Lahire, 1999, 2004).

Que savons-nous des « carrières militantes » ? Modèle séquentiel, la carrière est un concept narratif qui permet d'ordonner et de contextualiser les effets des différents mécanismes à l'œuvre dans l'engagement. Comme le suggèrent Olivier Fillieule et Bernard Pudal (2010, p. 172) : La notion de carrière permet donc de travailler ensemble les questions des prédispositions au militantisme, du passage à l'acte, des formes différenciées et variables dans le temps prises par l'engagement, de la multiplicité des engagements le long du cycle de vie […] et de la rétraction ou de l'extension des engagements.

À l'instar de l'analyse des « carrières anorexiques »proposée par Muriel Darmon (2008b), on peut isoler trois séquences déterminantes qui possèdent chacune leurs logiques propres et impliquent

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des questions de recherche différentes regroupées autour de trois thèmes : commencer, continuer, abandonner.

Commencer La première question que conduit à formuler la notion de carrière est celle du passage à l'acte : comment devient-on militant ? Cela invite à retracer l'histoire de la rencontre entre une trajectoire individuelle et une organisation ou un mouvement social. Or, d'une certaine manière, la carrière militante n'est qu'une – petite – partie d'une carrière plus large qui l'englobe : l'ensemble de la trajectoire sociale. L'analyse des carrières militantes s'inscrit donc à l'origine dans le sillage de travaux qui abordent l'ancrage biographique du militantisme (notamment : McAdam, 1988 ; Pudal, 1989 ; Sawicki et Berlivet, 1994). Cette perspective propose pourtant un éclairage original dont on peut souligner quelques apports. Le premier intérêt des travaux en termes de carrière est d'abord de ne pas surestimer le poids de la socialisation initiale et de placer au cœur de l'analyse les séquences intermédiaires qui conduisent à l'engagement. Ce sont les différentes étapes des parcours militants qui sont au cœur de l'analyse. On sait que le militantisme est le plus souvent multipositionnel, articulant des engagements partisans, syndicaux, associatifs, mouvementistes, etc. dans des chronologies et selon des modalités interdépendantes – un engagement succédant ou se superposant à l'autre. Cette dimension est évidemment essentielle : comment comprendre l'activisme sans tenir compte des engagements, antérieurs ou parallèles, des compétences qu'ils génèrent et des attentes qu'ils façonnent ? Cette perspective séquentielle invite d'abord à analyser le rôle que jouent différentes institutions non politiques dans la formation d'un goût pour l'action collective et des savoir-faire nécessaires pour s'y engager durablement. Florence Johsua a ainsi montré le rôle fondateur de la participation à des organisations juives sionistes chez certains militants de l'extrême gauche française des années 19601970, où ils trouvent « le maillage d'une véritable contre-culture, renforçant chez eux un sentiment d'entre soi communautaire et contribuant à leur socialisation politique » (Johsua, 2013, p. 214). La socialisation « contre » peut également avoir des effets importants, à l'instar des militants du réseau Éducation sans frontières (qui prend en charge enfants et parents sans papiers dans la France des années 2000) étudiés par Lilian Mathieu (2010), qui se caractérisent à la fois par une socialisation religieuse et par une rupture à

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l'égard de l'institution religieuse qui favorise des dispositions à l'indignation, à la critique et un rapport conflictuel à l'autorité se manifestant particulièrement bien dans la prise en charge des populations les plus stigmatisées comme les sans-papiers. Au-delà de ces socialisations prépolitiques, il s'agit aussi de comprendre comment les itinéraires d'engagement façonnent, tout au long de la biographie, des appétences pour de nouvelles formes de militantisme et comment certaines expériences peuvent conduire à des reconversions militantes (Tissot et al., 2005 ; Lechien et Rozier, 2005) et produire les continuités et les discontinuités du militantisme (Contamin et al., 2013). S'agissant des femmes, Laure Bereni et Anne Revillard (2012) soulignent ainsi que le passage dans des mouvements féminins (centrés sur la valorisation de l'identité féminine) débouche parfois sur l'entrée dans des mouvements féministes (remettant en cause la hiérarchie sexuée), en favorisant notamment une transformation de la conscience de l'identité de genre et en générant une inclination nouvelle pour la contestation des inégalités sexuées. Le cas de la défense des Droits de l'homme offre une autre illustration de cela (Agrikoliansky, 2002). Les membres de la Ligue française des Droits de l'homme (LDH) se caractérisent pendant les années 1980 et 1990, par un fort taux d'engagement partisan antérieur – en particulier au Parti socialiste. Militants intermédiaires, c'est‑à-dire n'ayant pas accédé à des fonctions de responsabilité ou à des postes électifs dans le parti, ils ont refusé les logiques de la professionnalisation politique et les compromis qu'elle exige à leurs yeux. La LDH constitue alors une alternative particulièrement propice à une reconversion signifiant une sortie « par le haut » : elle leur offre une tribune pour se situer au-dessus des partis tout en collaborant avec eux. L'inscription de l'analyse des carrières dans une focale plus large, celle d'une histoire de vie, invite ensuite à considérer l'importance du degré de « disponibilité biographique » des militants. On sait en effet que la liberté nécessaire pour s'engager est d'autant plus forte que les (futurs) militants sont disponibles, c'est‑à-dire détachés d'autres engagements sociaux parallèles et concurrents, familiaux et professionnels notamment (McAdam, 1988). Ce faisant, on comprend aisément la forte propension des étudiants à l'activisme, ou encore le rôle important, mais souvent invisible, joué par les femmes (souvent inactives mais mobilisant leurs réseaux de sociabilité) dans les mouvements conservateurs

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chrétiens (McGirr, 2001 ; Rétif, 2013 ; Skocpol et Williamson, 2012). Or, les analyses en termes de carrière invitent justement à mettre l'accent sur la pluralité des inscriptions sociales des militants et les « paris adjacents » (Becker, 1960) qui en découlent. Par cette expression, Becker désigne les conséquences des engagements parallèles (en l'occurrence professionnels, familiaux, amicaux, etc.) sur le sens, la cohérence ou le coût perçu d'une activité. Impossible de comprendre le militantisme sans saisir ses interférences avec d'autres activités sociales parallèles : à la fois parce que la disponibilité du militant en dépend, mais aussi parce que l'enjeu même de l'engagement s'en trouve redéfini. La question de la disponibilité biographique telle qu'on peut la (re)formuler dans l'analyse de carrière, conduit en outre à placer au centre de l'analyse le rôle des ruptures biographiques qui peuvent produire des « turning points » favorisant ces reconversions : départ à la retraite, déménagement, divorce ou rupture amoureuse, maladie (Voegtli, 2004 ; Voegtli, 2016 ; Broqua, 2006). L'analyse de ces moments de bifurcation et d'incertitude, dans lesquels l'identité sociale se recompose, plus ou moins, permet de saisir comment l'engagement militant peut parfois surgir dans ces interstices de la vie sociale comme une opportunité facilitant le travail de redéfinition identitaire ou de mise en cohérence de la trajectoire (Voegtli, 2010).

Continuer Dans quelles conditions ceux qui passent à l'action peuvent-ils durablement s'engager dans une action collective ? On touche là aux limites d'un modèle exclusivement étiologique et fondé sur des prédispositions, puisque : « l'attachement est à la fois antérieur à l'engagement et le produit de celui-ci » (Fillieule, 2005a, p. 40). En ce sens, il faut aussi saisir « le travail de l'institution pour produire de l'attachement » (ibid.). C'est sans doute la piste la plus originale révélée par la notion de carrière, qui conduit à reconsidérer l'analyse des rétributions du militantisme et à élargir considérablement la palette des mécanismes qui favorisent l'activisme et la loyauté aux organisations. L'un des paradigmes dominants de l'analyse du militantisme place au centre de l'analyse, on le sait, les incitations sélectives que les organisations réservent à leurs adhérents (Olson, 1965 ; McCarthy et Zald, 1977). Le modèle proposé en France par Daniel Gaxie (1977) met ainsi l'accent sur l'importance des « rétributions »

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matérielles ou symboliques pour expliquer le militantisme. Il est, là encore, impossible de revenir sur l'ensemble des débats suscités par une telle hypothèse. On peut néanmoins ici suggérer quelques apports de la notion de carrière à une meilleure compréhension de la logique des rétributions. Envisager les rétributions dans une perspective processuelle amène en effet à abandonner une perspective « objectiviste » qui considérerait les rétributions et les coûts comme fixés une fois pour toutes, ou déterminables a priori par l'analyste. L'évaluation du « coût » d'une action et de son « utilité » repose sur le sens que les acteurs confèrent à ce qu'ils font ; significations qui dépendent elles-mêmes des phases antérieures de la trajectoire biographique (donc de ce qu'ils sont disposés à considérer comme profitable ou coûteux) et de la dynamique même de leur itinéraire d'engagement. Lucie Bargel (2009) a montré, à propos des organisations de jeunesse des partis français (PS et UMP), que le « goût » pour la politique se forgeait progressivement : tout comme les fumeurs de marijuana, étudiés par Becker, apprennent à reconnaître puis à apprécier les effets de l'herbe qu'ils consomment, les militants politiques apprennent – ou non – les satisfactions que peuvent procurer l'activisme et la lutte pour la conquête des postes. L'attachement à la politique est alors moins le fruit d'un calcul (entre les coûts et les rétributions) que le résultat de l'ajustement progressif aux logiques de l'engagement dans une organisation et de la relation aux autres militants. Mais cette analyse séquentielle des incitations à la fidélité amène aussi à considérer d'autres mécanismes qui ne sont pas réductibles à une analyse en termes de coûts et de rétributions. Le premier renvoie aux sociabilités qui favorisent l'attachement à une organisation et surtout à ses membres. Particulièrement attentive à l'ordre des interactions, la sociologie des carrières militantes s'est ainsi attachée à analyser les liens de camaraderie, d'amitié, voire d'amour qui constituent un puissant ciment du collectif. D'abord, parce que la sociabilité militante favorise l'apprentissage des règles de l'engagement et facilite la diffusion des savoir-faire et des compétences nécessaires à la pérennisation de l'activisme. Christophe Traïni (2012) a ainsi analysé comment l'engagement dans les combats les plus exigeants, et les plus minoritaires, liés à la cause animale (notamment, pour les vegans, la proscription de tout produit d'origine animal, y compris pour se vêtir) reposait sur des formes de parrainages des militants novices par les plus aguerris qui leur enseignent à la fois les principes permettant de justifier

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publiquement de leur rigorisme, voire de s'identifier à une « contreculture », mais aussi les savoirs pratiques qui permettent quotidiennement de maintenir l'engagement. Les liens de sociabilité favorisent ensuite les mécanismes de la « communion » identifiés par Rosabeth Kanter (1968, 1972 ; voir aussi Fillieule, 2005b) au travers desquels les militants se sentent appartenir à un « tout » : l'organisation, le groupe, la cause, justifiant le dévouement pour un engagement qui se réalise alors sans compter. Isabelle Lacroix (2013) fournit une excellente illustration de ces mécanismes à propos de la cause basque en analysant l'importance des « rituels », notamment autour de la célébration du sort des prisonniers, et l'intense sociabilité festive qui « resserre les sphères de vie autour de l'engagement nationaliste. Pour les plus impliqués, les liens familiaux, amoureux, amicaux, sociaux et professionnels sont bien souvent enchevêtrés » (ibid., p. 56). Cela renvoie à ce que Jeff Goodwin (1997) désigne comme la « constitution libidinale » des mouvements sociaux qui reflète l'intensité en leur sein des relations interpersonnelles, amicales, conjugales, sexuelles. Cette « économie affectuelle du groupe » (Sommier, 2010, p. 199) manifeste parallèlement « les processus d'identification contribuant à façonner un groupe de semblables notamment par la catégorisation “eux”“nous” » (ibid.). Elle invite ainsi à placer au premier plan de l'analyse le travail de « façonnage organisationnel » (Sawicki et Siméant, 2009) et ses effets sur les identifications des militants. L'engagement s'accompagne en effet fréquemment d'un travail de redéfinition de l'identité (Voegtli, 2010). Le sentiment d'être « ouvrier », « noir », « homosexuel-le », « femme », etc. et de pouvoir fièrement revendiquer cette appartenance constitue un puissant moteur d'engagement visant à la « reconnaissance » (Honneth, 2000), qui ne peut être interprété comme un calcul utilitariste, sauf à en réduire considérablement la portée (Voirol, 2009). Pour conclure sur ce point, il faut néanmoins souligner que les liens de sociabilité ne favorisent pas toujours l'engagement : dans certains cas, ils desservent même le processus d'attachement à l'organisation ou à la cause, par exemple en permettant des « investissements émotionnels concurrents » (Kanter, 1968, p. 507). Les organisations « voraces », celles qui réclament une adhésion totale de leurs membres (Coser, 1974), comme les guérillas ou les mouvements clandestins, exigent d'ailleurs fréquemment des formes de renonciation de leurs militants à d'autres engagements sociaux et prohibent les relations (amicales, sexuelles, conjugales, familiales)

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Les « carrières militantes »

entre les membres qui pourraient menacer le dévouement à la cause (Gayer, 2014). Le dernier type de mécanismes contribuant à l'attachement des militants que met en lumière une analyse contextualisée et séquentielle constitue une antithèse des analyses en termes de rétributions : dans ce cas, c'est l'importance du coût engagé dans l'action qui produit, paradoxalement, la fidélité. Comme le suggère Rosabeth Kanter (1968, 1972), s'il y a un coût attaché à l'activisme, il y a aussi un coût à quitter les organisations, qui est d'autant plus élevé que l'investissement a été important. Gaxie (1977) identifiait déjà ce processus comme un « effet surgénérateur » dans lequel la logique des rétributions s'inverse. Dans ce cas, les « sacrifices » exigés pour participer à une action collective ne sont pas des facteurs favorisant la défection mais au contraire incitant à la fidélité : le temps passé à militer, à assister aux réunions, à s'engager dans les luttes pour le contrôle des postes ; les risques pris aussi en occupant la rue, en affrontant les forces de l'ordre ou les adversaires ; les privations que parfois s'imposent les membres ou encore les épreuves qu'ils doivent subir pour prouver leurs qualités (trahison des proches, acte de violence, entrée en clandestinité), constituent autant de manières de s'investir dans un collectif auquel on donne tout. Or, comme le note Kanter : The more it costs a person to do something, the more valuable he will have to consider it, in order to justify the psychic « expense » and remain internally consistent […] To continue to do it would thus justify the sacrifice involved (Kanter, 1968, p. 505).

On trouverait une très bonne illustration de ce mécanisme dans le cas, extrême, étudié par Festinger et al. (1956), d'un groupe sectaire dont les membres pensaient que la fin du monde était imminente, mais que les « croyants » seraient sauvés la veille de l'Apocalypse. Alors que la fin du monde n'est pas survenue, les fidèles, plutôt que de s'avouer qu'ils se sont trompés, sont conduits, par les logiques de la « dissonance cognitive », à écarter les preuves de leur erreur pour continuer à croire – en l'occurrence, que la planète a été épargnée grâce à leurs prières. Dans ce cas, l'importance des sacrifices consentis (certains abandonnent leur travail, leur famille et distribuent leurs biens matériels) semble constituer un facteur rendant la défection difficile.

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Abandonner Retracer des carrières militantes n'implique donc pas de considérer que la loyauté constitue le point d'achèvement nécessaire de la trajectoire d'engagement. Du coup, cette perspective permet d'envisager « l'après » de l'engagement. À la fois en faisant du désengagement une alternative à explorer et en considérant les effets de long terme du militantisme sur les biographies. Un autre apport de l'analyse en termes de carrière est, en effet, d'appréhender les mécanismes du désengagement, analyse qui constitue le corollaire nécessaire de celle du maintien. Comprendre pourquoi les militants persistent implique de saisir a contrario pourquoi ils n'abandonnent pas (et réciproquement). Les analyses spécifiquement consacrées à cette question (en particulier Fillieule, 2005a et b), montrent d'abord que, pas plus que l'engagement ne relève d'une logique monocausale, le désengagement ne manifeste la prégnance d'un mécanisme unique : itinéraires individuels et histoire collective (de l'organisation, de la cause) doivent se croiser pour saisir la succession des étapes qui conduisent à des formes hétérogènes de retrait (Grojean, 2013). Ensuite, ces analyses confirment la variabilité des rétributions, qui sont loin de constituer des données stables mais dont la valeur évolue dans le temps (Fillieule, 2005a). Ce qui rendait l'activisme attractif dans une première séquence de l'engagement peut devenir sans effet, voire constituer progressivement un coût. Les évolutions de la trajectoire sociale, et des inscriptions parallèles dans d'autres espaces sociaux, les transformations de l'organisation et de l'offre d'engagement public, contribuent ainsi aux fluctuations affectant l'attractivité des incitations sélectives (sur le poids du contexte politique et de l'offre d'engagement, voir Massicard, 2013). De même, l'étude des trajectoires des ex-communistes (Leclercq, 2008, 2011 ; Pudal, 2005) montre que la frontière entre emprise et déprise est fragile : si la sociabilité et les rétributions favorisent un temps la dépendance à l'institution, elles peuvent aussi contribuer au développement d'un esprit critique, d'un goût pour l'autonomie et produire de l'émancipation et de la rupture. L'analyse en termes de carrière permet en dernier lieu de penser de manière plus systématique la question des conséquences biographiques du militantisme (Leclercq et Pagis, 2011). Ainsi, comme Doug McAdam (1989) l'avait déjà suggéré pour les militants des droits civiques américains, l'engagement militant est souvent

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Les « carrières militantes »

coûteux pour des activistes qui sont loin de connaître des reconversions dorées et qui occupent tendanciellement des positions professionnelles moins prestigieuses que les non-engagés (pour les ex-soixante-huitards en France, voir Pagis, 2011 et Neveu, 2008 ; pour les militants syndicaux, Mischi, 2011). Ensuite, l'analyse des conséquences sur le long terme du militantisme montre que l'engagement fonctionne aussi comme un « pari adjacent » pour d'autres investissements sociaux : il faut penser les « reconversions face à la double contrainte de fidélité aux engagements passés et de reclassement consécutif au militantisme » (Leclercq et Pagis, 2011, p. 16). Utiliser sa profession comme outil du militantisme (pour ceux en particulier qui peuvent exercer au contact et au côté des dominés), ou encore lutter au sein de sa profession pour la transformer (contre les rapports hiérarchiques, contre l'aliénation, etc.) constituent autant de manières de concilier l'épanouissement professionnel et la fidélité militante (Pagis, 2011). De la même manière, l'invention de métiers ou de pratiques artistiques articulant la réussite sociale et la poursuite de fins militantes représente tant une condition de possibilité qu'un effet de ces reconversions (sur le cas du « polar » comme pratique littéraire investie par un sens politique, voir Collovald et Neveu, 2001, ainsi que Collovald, 2005).

La carrière à l'encan Si la multiplication des études en termes de « carrières militantes » a notablement affiné et enrichi la connaissance des mécanismes de l'engagement, la large diffusion du concept et la multiplication de ses usages (parfois métaphoriques) n'ont pas toujours contribué à aiguiser la critique de ses points aveugles, ni à développer une nécessaire prudence méthodologique. Comme tout outil d'analyse, le concept masque des processus autant qu'il en révèle et engendre des illusions dont il ne faut pas être dupe. D'abord, comme l'a montré Muriel Darmon (2008a), l'un des intérêts principaux du concept de carrière est de constituer un puissant instrument d'objectivation de la réalité sociale permettant de rompre avec la compréhension commune des phénomènes. Elle est en particulier utile pour « recoder des parcours qui ne sont pas vus comme des carrières, voire pas comme des parcours, mais comme des états » (Darmon, 2008a, p. 166). Or, souligne Darmon, il est paradoxal que le champ d'application privilégié de la notion ait

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justement été le militantisme, activité pour laquelle la plus-value d'objectivation est finalement plus faible que pour d'autres objets. Le militantisme n'est-il pas en effet couramment pensé comme un parcours (du simple adhérent au dirigeant notamment) ? Certes, il y a toujours un intérêt à lutter contre la « highbrow fallacy » (l'erreur légitimiste, voir Becker et al., 1961) en appliquant aux activités nobles et légitimes des outils forgés pour décrire des comportements réprouvés ou considérés comme déviants. De ce point de vue, tous ceux qui ont enseigné, par exemple devant un public étudiant de licence, que la trajectoire d'un militant devenu député et ministre pouvait être comparée à celle des « fumeurs de marijuana » analysés par Howard Becker, savent combien une telle comparaison peut être utile pour capter l'intérêt… Cependant, audelà des effets oratoires qu'il rend possible, le recours allusif et métaphorique à la carrière peut aussi constituer un piège : il devient un raccourci qui séduit les étudiants, mais qui finit par ne plus rien expliquer. D'abord parce que l'homonymie entre la carrière militante et la carrière professionnelle invite justement, si l'on n'y prend pas garde, à une lecture carriériste de la politique fondée une conception utilitariste et stratégique de l'engagement, dont on mesure mal les effets sociaux mais dont on peut penser qu'elle contribue à discréditer l'engagement ou la prise de responsabilités publiques 3. Ensuite, parce que l'usage courant du concept dans la langue académique, et notamment chez les étudiants, en a progressivement érodé le pouvoir d'objectivation : la carrière militante est devenue synonyme de parcours, d'étude de cas, pourvu que quelques éléments temporels et biographiques interviennent dans l'analyse. Un mot « fourre-tout » dans lequel chacun place ce qu'il entend et qui risque de ne servir qu'à donner un vernis scientifique à toute description s'appuyant sur une chronologie ou proposant un récit. Ce faisant un usage raisonné et raisonnable du concept nécessite de prendre garde à au moins trois pièges, étroitement liés, qui menacent d'en affaiblir la portée. Le premier est le risque de céder aux illusions de la compréhension immédiate. Ce problème générique, mais crucial, des sciences sociales est particulièrement 3. Dans la mesure où la définition savante des phénomènes politiques a un effet sur la nature de ceux-ci, on peut craindre que ces effets soient d'autant plus néfastes que la période est marquée par le développement d'entreprises de disqualification du personnel politique, menées par des entrepreneurs de pureté qui visent à « sortir les sortants » – pour prendre leur place.

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Les « carrières militantes »

présent lorsque l'on travaille sur des carrières (militantes). Reconstituer des séquences biographiques, analyser « comment » les processus se déroulent, explorer le sens que les acteurs donnent à leurs choix, représente des objectifs qui ne doivent pas conduire à substituer à l'analyse sociologique le simple récit de ce qui s'est produit. Comprendre n'est pas décrire, car la compréhension sociologique réclame de proposer une interprétation du processus et de ses modalités. Comme le rappelle Claude Grignon : Dans les sciences de l'homme, les études de cas présentent des risques supplémentaires. Le principal est sans doute l'illusion qui fait croire que les faits sociaux, en tant que faits « humains », peuvent faire l'objet d'une compréhension immédiate, par intuition, par empathie, en se mettant par la pensée à la place de l'autre (2008, p. 20).

Le recours à une analyse de carrière ne doit donc pas laisser croire que le sociologue pourrait n'être qu'un « simple passeur de discours » (Darmon, 2008a, p. 157). Mener une sociologie compréhensive de l'engagement n'implique en ce sens ni de développer une sympathie particulière à l'égard de ces objets (ce qui devrait d'ailleurs nous inciter à aller explorer plus souvent le militantisme au-delà des mouvements progressistes, voir Agrikoliansky et Collovald, 2014) ni d'en faire l'enregistreur passif de discours et de croyances qu'il suffirait d'exposer pour les comprendre. En outre, l'illusion de la compréhension immédiate est d'autant plus menaçante que le cadre narratif du récit de vie fournit une commode structure analytique, fondée sur l'individu, sa « subjectivité », son histoire et une forme élémentaire de causalité temporelle – chaque événement déterminant le suivant. Si la carrière se limite à cela, ne risque-t‑on pas de faire passer quelques évidences communes pour le cœur de l'analyse ? Il est en particulier, nécessaire de recourir avec précaution à des catégories comme celles d'événement, d'émotion ou de choc moral, qui, si elles se limitent à leur sens commun, réduisent l'explication sociologique à une forme préjudiciable d'empathie qui n'est jamais synonyme de compréhension. Comme le note Stéphane Latté (2012), à propos des mobilisations de victimes de l'accident de l'usine AZF à Toulouse, il ne suffit pas de saisir la force de l'événement ou de comprendre (par empathie) l'émotion des victimes pour rendre sociologiquement intelligibles les conditions de leur engagement. C'est en revenant vers les itinéraires sociaux et les expériences d'engagement antérieurs qu'on peut saisir pourquoi certains passent à l'action collective – ou non.

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Ce faisant, le second risque que l'on prend en engageant une analyse de carrière est de céder à « l'illusion biographique » (Bourdieu, 1986). Parce que l'étude de carrière invite à considérer la singularité des trajectoires et à valoriser leurs incertitudes et les choix susceptibles d'infléchir la biographie des militants étudiés, on court toujours le risque de verser dans une interprétation héroïque de décisions qui sont le plus souvent prises sous contraintes. Parce que, aussi et surtout, reconstituer une biographie et une carrière pose de redoutables problèmes méthodologiques. Menées à partir d'entretiens rétrospectifs, les analyses de carrière s'appuient toujours sur des reconstructions a posteriori du passé et des expériences. Les limites de ces sources orales sont connues (Descamps, 2005) : faible fiabilité historique des informations collectées ; effets sur la posture du témoin qui oscille entre demande de reconnaissance et désir de transmission ; logiques même du travail de mémoire qui (re)modèle ce qu'il produit. Un tel constat est évidemment déterminant, d'abord parce qu'il invite à la plus élémentaire prudence méthodologique consistant à ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui est dit en entretien, mais aussi à multiplier au maximum les sources complémentaires (entretiens avec des proches ou d'autres militants, archives, etc.) permettant de reconstruire la chronologie objective des carrières et les contextes dans lesquels les différentes séquences se déroulent. Mais la prise de conscience de cette limite de l'outil invite ensuite, dans une sorte de jiu-jitsu épistémologique, à utiliser cet obstacle pour renforcer l'analyse. Puisque le passé est reconstruit à partir du moment présent, il faut saisir l'occasion pour comprendre le travail de redéfinition identitaire, de consolidation et de remise en cohérence que mènent les interviewés lorsqu'ils racontent leur passé (Agrikoliansky, 2002 ; Broqua, 2006 ; Cheynis, 2013 ; Darmon, 2008a et b ; Ekins, 1997 ; Voegtli, 2004). On se trouve alors en situation de comprendre l'incessant travail de signification qui amène à relire – et à interpréter – ruptures et « turning points » pour redonner une continuité à la biographie dont la cohérence est tout sauf naturelle. Au-delà de l'analyse des (re)constructions identitaires, la dimension rétrospective des carrières présente un second intérêt, moins souvent identifié. Comme l'a suggéré Andrew Abbott (2009, 2011) « turning points » et bifurcations sont forcément des concepts narratifs qui ne peuvent être opérationnalisés qu'a posteriori. S'ils séparent un « avant » d'un « après », on ne peut les saisir qu'après, ou plutôt qu'après l'après des acteurs. Et pas seulement parce qu'il s'agit de

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Les « carrières militantes »

reconstructions a posteriori et subjectives, mais parce que leurs effets sont nécessairement décalés dans le temps (également Grossetti et al., 2009). Ainsi, pour Abbot, les « “turning points” sont des événements intrinsèquement narratifs qui ne sont définis comme ayant eu lieu qu'une fois observé ce qui s'est passé après » (Abbot, 2009, p. 199). L'impact biographique de l'engagement ne peut, par exemple, être observé que bien longtemps après que le fait générateur est survenu. Ce n'est finalement qu'au terme de la biographie que l'on pourrait juger de ses effets. Un tel point de vue change singulièrement la critique de la « rétrodiction » : la saisine a posteriori des événements et de leurs effets n'est pas un biais de l'analyse de carrière mais, d'une certaine manière, sa condition de possibilité même. L'exploration des dangers que présente l'illusion biographique nous conduit enfin à envisager un troisième risque de la notion de carrière. Il concerne la tentation de la singularité et constitue ce faisant un avatar de l'illusion biographique. Si l'un des intérêts de la notion est de permettre de travailler sur des cas, comme configurations singulières de variables, elle implique aussi de tenter de réinscrire systématiquement la singularité des trajectoires observées qualitativement dans une cartographie plus large esquissant les itinéraires possibles et leur fréquence réelle. La métaphore du plan de métro, utilisée par Bourdieu (Bourdieu, 1986 ; Passeron, 1991), illustre très bien cela : avant de pouvoir décrire les trajets individuels des passagers dans un réseau de transports, il faut dresser une cartographie des lignes et des correspondances. L'enjeu n'est d'ailleurs pas que de définir le réseau structurel des itinéraires existants, mais aussi de mesurer la fréquence des trajectoires empruntées en pratique par ces voyageurs du monde social et politique que sont les militants. Mener une analyse de carrière implique alors un double investissement empirique à la fois qualitatif (en explorant de façon approfondie un nombre conséquent de trajectoires exemplaires), mais aussi quantitatif qui permette de restituer chaque cas dans le champ des itinéraires possibles. Les exemples de ce double investissement sont nombreux, qu'il s'agisse de recueillir des données quantitatives par questionnaires ou de mener des analyses prosopographiques (Brodiez 2005 ; Johsua 2015), ou de techniques plus sophistiquées d'analyse de cohorte (Whittier, 1997 ; Fillieule et Broqua, 2005), d'analyse factorielle permettant d'isoler des « parangons » (Pagis, 2008) ou d'analyses séquentielles (Fillieule et Blanchard,

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2013). D'une manière générale, raisonner sur un nombre nécessairement réduit de cas, implique d'expliciter les stratégies de sélection, de construction et de comparaison de ces cas (Burawoy, 1991 ; Ragin et Becker, 1992 ; Hamidi, 2012). En définitive, la notion de carrière ne constitue pas un concept figé et exclusif qui offrirait une interprétation totale de l'activité militante. Elle propose plutôt une trame interprétative fondée sur des principes méthodologiques essentiels : considérer l'engagement comme un processus se déroulant dans le temps, être attentif aux contextes et aux interactions dans lesquels il se déploie, rendre compte du travail de signification mené par les acteurs, viser le « comment » plus que le « pourquoi » de l'activisme militant. Dès lors son succès repose moins sur une ambition hégémonique que sur sa capacité à saisir des dimensions plurielles, mais complémentaires, du processus de l'engagement. Ce pluralisme est sans doute ce qui explique sa large diffusion et son succès actuel. Pourtant, cela ne doit pas conduire à abaisser les exigences méthodologiques, ce qui conduirait à réduire considérablement la portée de ce programme de recherche. On suggérera d'ailleurs que le coût particulièrement élevé des investissements empiriques qu'elle nécessite explique peut-être aussi que l'on préfère, parfois, un usage plus métaphorique de la notion aux investigations qu'impliquerait la mise en œuvre du programme de recherche auquel elle invite pourtant.

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Chapitre 7

La consommation engagée Philip Balsiger

A

vec la consommation engagée, la politique s'invite dans le marché. La participation politique ne se limite plus au vote et à la rue : elle se déroulerait désormais également dans les supermarchés, où les individus « votent avec leurs dollars », boycottant des marques ou achetant des produits pour leurs qualités « éthiques » – équitables, bio, durables, etc. Toutefois, parmi les modes de participation politique, la consommation engagée occupe une place encore marginale et même, à certains égards, illégitime. Marginale, car son étude est récente et encore peu répandue, son impact politique diffus et difficilement mesurable. Même si dans les quelques sondages représentatifs disponibles un grand nombre d'enquêtés déclarent se comporter en tant que consommateurs ou consommatrices engagé(e)s, des enquêtes plus attentives aux pratiques qu'aux déclarations tendent à passablement relativiser la portée du phénomène, sans pour autant en nier l'existence. Illégitime, car participer « par la consommation » sonne faux pour bien des observateurs de la vie politique, la consommation renvoyant au domaine des activités privées et frivoles, à l'opposé de l'activité politique, considérée comme relevant du public et du sérieux. Ce positionnement ambigu de la consommation engagée invite à un regard renouvelé sur la participation politique et peut jouer comme un révélateur des spécificités des modes de participation contemporains, ce qui explique sans doute l'intérêt particulier de Nonna Mayer qui a incité et soutenu de nombreuses recherches sur ce nouvel objet de la sociologie du comportement politique.

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194 Sociologie plurielle des comportements politiques

La consommation engagée soulève tout d'abord la question de l'individualisation de la participation politique ; ou, plus précisément, elle questionne les rapports entre participation individuelle et collective, puisque son analyse fait rapidement surgir de nombreux liens directs et indirects avec des modes collectifs de participation. Ensuite, étudier la consommation engagée met au jour le pouvoir toujours plus grand de l'économie et des grandes entreprises. Consommer de manière engagée, c'est résister, contester ce pouvoir. On s'aperçoit alors que les pratiques de consommation critique font partie d'un phénomène plus large de contestation et de moralisation des marchés, au cœur de l'une des transformations majeures du capitalisme contemporain. Au travers d'une revue critique des études de la consommation engagée et des différentes approches conceptuelles qui les caractérisent, nous essayerons ainsi de montrer en quoi l'étude de la consommation engagée soulève des questions fondamentales de la vie politique contemporaine. Après des clarifications conceptuelles, nous aborderons tour à tour les approches individuelles de la consommation engagée et celles qui mettent au centre ses encadrements collectifs. Nous finirons avec quelques réflexions sur les liens entre la consommation engagée et les transformations actuelles du capitalisme, soulignant ainsi que la consommation engagée est autant un objet d'étude de la sociologie politique que de la sociologie économique.

Une courte histoire de l'étude de la consommation engagée Qu'est-ce que la consommation engagée ? Il faut distinguer, tout d'abord, trois conceptualisations quelque peu contrastées du phénomène. Certain(e)s auteur(e)s – les plus influent(e)s, sans doute – conceptualisent la consommation engagée en tant que forme de participation, le boycott et le « buycott ». Cette approche est étroitement liée aux travaux de Michele Micheletti, politiste suédoise qui publie en 2003 Political Virtue and Shopping. Pour elle, le « consumérisme politique », se définit comme « des actions menées par des personnes qui font des choix parmi des produits et des producteurs dans le but de transformer des pratiques marchandes ou institutionnelles critiquables » (Micheletti, 2003). Les consommateurs politiques tiennent compte des« politics behind products » lorsqu'ils font des achats. Cela passe soit par le boycott – le refus d'achat

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La consommation engagée

pour des raisons « engagées », comme la cause environnementale, animale, et la justice sociale –, soit par le moyen opposé, l'« achat engagé » avec l'objectif de promouvoir une cause politique ou morale. Ce qui renvoie au terme de « buycott », mot-valise associant boycott et le verbe to buy (acheter, en anglais). Dans cette conceptualisation de la consommation engagée en tant que mode d'action, les finalités de la participation peuvent être très diverses : il peut s'agir de peser sur le marché et ses institutions, par exemple avec la promotion d'un mode de production alternatif, comme le bio. Mais il peut aussi s'agir de toute autre chose, comme lors de l'appel au boycott des produits français par des conservateurs aux États-Unis afin de punir la France de ne pas participer à la deuxième guerre du Golfe. Ici, la consommation engagée est un moyen, mais la fin de cette action se situe en dehors du marché. D'autres auteur(e)s contestent cette vision et parlent plutôt d'un « mouvement de consommation engagée » ; un mouvement constitué autour d'une idéologie de critique de la société de consommation et qui politise la consommation (Bossy, 2014 ; Sommier et Crettiez, 2006), par exemple en prônant la décroissance. Micheletti, qui parle de « consumérisme politique », semble parfois aussi plus proche d'une telle conception. Du coup, la consommation engagée ne se limite pas au boycott et au« buycott », mais peut aussi prendre d'autres formes de participation politique plus classiques dans le but de critiquer la société de consommation. Un troisième groupe de chercheur(e)s, finalement, met la consommation engagée en rapport avec le phénomène plus large de la contestation des marchés, dont il étudie les différentes formes (Balsiger, 2014b ; Bartley et al.,2015). Cela inclut le boycott et le « buycott », mais ne se limite pas à cela : on y trouve aussi des modes d'action qui ne sont pas directement liés à la consommation, comme des campagnes publiques de dénonciation, ou des collaborations entre organisations non gouvernementales (ONG) et grandes entreprises. Pour les auteurs qui adoptent cette perspective, la consommation engagée renvoie à des mouvements hétérogènes poursuivant différentes causes mais dont le trait commun est de faire porter leur action « sur le marché », d'inscrire leurs luttes dans le marché, de prendre des entreprises comme cible, de politiser ainsi le marché et la consommation de certains biens, mais sans forcément être porteur d'une idéologie critique de la société de consommation. Dans leurs travaux, Micheletti et ses collègues (Micheletti, Follesdal et Stolle, 2004 ; Micheletti et Stolle, 2013 ; Stolle, Hooghe et

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196 Sociologie plurielle des comportements politiques

Micheletti, 2005) rapportent l'apparente croissance de ces pratiques à des transformations sociales caractéristiques des sociétés capitalistes contemporaines : individualisation, globalisation, marchandisation d'un nombre croissant de sphères sociales. Il en découlerait une perte de puissance et d'attrait pour les modes traditionnels de gouvernement et de représentation au bénéfice d'un développement des « prises de responsabilité individuelles » (Micheletti et Stolle, 2013). Les individus préféreraient des modes de participation directs– un constat par ailleurs confirmé par de nombreuses études de sociologie de la participation politique (Norris, 1999). De cette configuration émerge alors la figure hybride du citoyenconsommateur (Scammell, 2000). Toutefois, la nouveauté de la consommation engagée doit être relativisée. Les premiers sondages sur le « buycott » n'apparaissent que durant les années 1990, et un peu plus tôt pour le boycott, en 1979 (Barnes et Kaase, 1979) ; il est donc difficile de témoigner de la nouveauté de ces pratiques à partir de ces séries récentes de données. Des études historiques mentionnent de nombreux exemples de boycott ou de « buycott » dans le passé. Pour ne donner qu'un exemple, le mouvement anti-esclavagiste du XIXe siècle appelait au boycott et développait un label pour des produits fabriqués sans recours au travail forcé (Glickman, 2004). À cette époque déjà, consommation et engagement civique n'étaient pas opposés (Chatriot et al., 2005). De fait, selon les contextes sociohistoriques, les rapports entre les rôles de consommateur et citoyen changent et reflètent la perméabilité entre sphères politique et économique (Cohen, 2002). Plutôt que de postuler une nouveauté, il semble plus fertile d'interroger les formes historiquement et socialement situées de ce rapport consommation-citoyen et de se demander, notamment, ce qui en fait la spécificité aujourd'hui.

La consommation engagée comme pratique individuelle Quel est donc le profil des consommateurs/trices engagé(e)s ? Une série d'études quantitatives (Acik, 2013 ; Andretta, 2006 ; Ferrer-Fons et Fraile, 2013 ; Forno et Ceccarini, 2006 ; Koos, 2012 ; Micheletti, Follesdal et Stolle, 2004 ; Micheletti et Stolle, 2013 ; Tosi, 2006) en dressent le portrait sur la base de sondages représentatifs dans différents pays européens – ou plutôt, d'un sondage en

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La consommation engagée

particulier, le European Social Survey (ESS) 2002-2003, qui reste la seule enquête européenne à avoir posé des questions à la fois sur le boycott et le « buycott ». Les analyses révèlent les principaux déterminants individuels de la consommation engagée : être une femme autour de 35 ans, avec un capital économique et culturel élevé, appartenant aux classes sociales supérieures, être intéressé(e) par la politique mais peu confiant(e) envers les institutions, avoir des valeurs postmatérialistes et participer politiquement plus que la moyenne des enquêté(e)s. Ce dernier point est particulièrement important en ce qu'il contredit l'analyse récurrente selon laquelle la consommation engagée détournerait les citoyen(ne)s d'autres formes de participation politique ; les enquêtes montrent à l'inverse que la consommation engagée s'inscrit dans un continuum de la participation politique. En somme, ces résultats rapprochent les consommateurs/trices engagé(e)s d'autres profils de participation « protestataire ». Eton trouve, en effet, de fortes corrélations entre le boycott et le « buycott » et certaines formes de protestation, surtout les modes plus individuels et routinisés, comme la pétition mais aussi la manifestation. Toutefois, certaines propriétés semblent plus particulièrement caractériser la consommation engagée et la distinguer, à certains égards, du profil-type de la participation politique. Cela concerne en particulier le genre et l'âge ; certain(e)s auteur(e)s en concluent que la consommation engagée peut contribuer à réduire le gender gap ou plus largement le participation gap (Acik, 2013). La consommation engagée pourrait ainsi constituer une arène politique particulièrement attirante pour des minorités qui se heurtent à des obstacles pour accéder à la politique institutionnelle (Micheletti, 2003, 2004). Micheletti (2004) fait l'hypothèse que les femmes seraient aussi plus souvent des consommatrices engagées puisqu'elles sont en charge, bien plus que les hommes, de la gestion de leur ménage. Les marchés constitueraient ainsi un terrain privilégié d'expression de leurs préférences politiques et une voie potentiellement importante de politisation et d'empowerment. Ce que montrent des enquêtes historiques, tout en soulevant le danger d'entériner ainsi des partages de rôles traditionnels (Cohen, 2003). Toutefois, le fait que les enquêtes montrent aussi que les consommateurs et les consommatrices engagés tendent à disposer d'un capital économique et culturel élevé doit venir nuancer l'argument d'une arène politique pour les exclus.

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Le mythe du consommateur engagé ? Pour mesurer le recours à la consommation engagée, les sondages s'appuient sur les déclarations de répondant(e)s, cherchant à savoir qui a boycotté ou « buycotté » au cours des douze derniers mois. Mais il est évident que ces données sont à interpréter avec beaucoup de prudence : il est fort possible qu'il y ait un décalage entre ce que les consommateurs/trices déclarent faire et ce qu'ils et elles achètent effectivement au supermarché. Les études de marketing qui s'intéressent au « consommateur éthique » sont d'ailleurs beaucoup plus sceptiques quant à l'ampleur du phénomène : s'appuyant sur des méthodes d'enquêtes expérimentales, certains parlent même du « mythe du consommateur engagé » (Carrigan et Attalla, 2001 ; Devinney, Auger et Eckhardt, 2010). Face à ce problème, des études plus expérimentales tentent de rapprocher les dispositifs d'enquête des réalités empiriques dans les points de vente, où les consommateurs et les consommatrices se trouvent devant un choix fini d'article se distinguant par des prix différents. Sans surprise, ce type d'enquêtes identifie moins de cas de consommation engagée (Auger et Devinney, 2007 ; Liebe et al., 2014). Aspect peut-être plus problématique encore, les questions posées dans les sondages ne placent pas la barre très haut et tendent du coup à homogénéiser un groupe qui se révèle très disparate : il suffit d'avoir acheté, au cours de l'année et une seule fois, un paquet de café équitable ou une ampoule à faible consommation d'énergie, pour être qualifié de consommateur engagé. Mais devrait-on vraiment mettre dans la même catégorie une militante radicale de la décroissance et quelqu'un qui, troublé par un sujet sur le travail des enfants présenté au journal télévisé, décide d'essayer un nouveau chocolat équitable qu'il découvre au supermarché ? Ou encore une personne qui n'a pas de voiture, n'utilise jamais l'avion, cultive ses propres légumes dans son jardin, achète uniquement des produits de saison bios et équitables tout en rejetant les grands labels équitables parce qu'ils sont disponibles dans la grande distribution, et un consommateur dont le seul acte de consommation engagée est d'avoir acheté, une fois, un produit équitable ? Pour notre consommateur de chocolat équitable, consommer engagé ne semble pas être très compliqué et contraignant ; pour la militante de la décroissance, en revanche, cela passe par un style de vie qui la différencie totalement de la population majoritaire. Consommer engagé de manière aussi radicale et conséquente ne va

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La consommation engagée

pas de soi ; c'est un mode de vie nécessitant un savoir spécifique, une réflexivité des pratiques et une disposition à soumettre les comportements quotidiens à un principe politique ou moral. De nombreuses études ont montré l'importance de l'environnement social des consommateurs (Shaw et al., 2006 ; Shaw et Newholm, 2002). L'appartenance à des groupes de pairs qui partagent une idéologie de consumérisme politique facilite l'adoption de pratiques de consommation critiques et leur maintien (Dubuisson-Quellier, 2009). Plus ces normes sont fortes et plus ces groupes d'appartenance exercent un contrôle social, plus il est probable de trouver des pratiques de consommation engagée régulières et consistantes, comme le montre, par exemple, une étude de Cherry (2006) sur le végétalisme. Étant donné la diversité des engagements, il semble donc important de faire des distinctions. Brown (2011) s'appuie sur une enquête ethnographique du commerce équitable, en particulier l'observation dans certains points de vente. Il distingue entre des « promoteurs », les « consommateurs conscients », et les « acheteurs ». Les premiers sont des militants activement engagés dans la promotion de la cause et dont les pratiques de consommation sont très fortement politiques et conséquentes. Ils sont le groupe le plus restreint. Les consommateurs conscients constituent le groupe le plus nombreux ; ils achètent des produits équitables, bio ou régionaux lorsqu'ils sont facilement disponibles et vont occasionnellement faire des efforts spécifiques afin de trouver des produits « éthiques ». Mais contrairement aux promoteurs, ils ne se voient pas comme faisant partie du mouvement de commerce équitable. Les acheteurs, finalement, en savent généralement très peu sur le commerce équitable ; cherchant tout simplement à acheter un cadeau ou à boire un café, ils arrivent par hasard dans les magasins et cafés équitables où l'auteur a fait son terrain. Ils constituent un groupe très hétérogène, et ils peuvent très bien acheter des produits équitables pour des motifs qui n'ont rien à voir avec l'aspect des conditions de production. Derrière l'ensemble des consommateurs et des consommatrices de produits éthiques, on trouve ainsi des profils très divers ; s'ils contribuent tous à ce phénomène, c'est avec des motivations et des intensités d'engagement très variables. Stolle, Hooghe et Micheletti (2005) ont proposé de faire de la régularité des achats et de la motivation proprement « éthique » des critères discriminants pour définir les consommateurs engagés ; mais il nous semble que c'est précisément dans ce brouillage des

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frontières, dans ce caractère quelque peu diffus, que réside un des intérêts principaux de la politisation de la consommation. Plutôt que d'édicter des critères stricts, mieux vaut s'attacher à la diversité des usages.

Les contextes sociaux de la consommation engagée La grande majorité des enquêtes sur la base de sondage construisent un indicateur de consumérisme politique qui rassemble boycott et « buycott ». Mais est-il légitime d'associer les deux ? N'obéissent-ils pas à des logiques différentes ? Selon les pays, la distribution boycott/« buycott » peut ainsi varier fortement. Par exemple en France, 25,8 % des enquêtés du European Social Survey 2002 déclarent avoir boycotté et 27,5 % avoir « buycotté », alors que les valeurs pour la Suisse sont respectivement de 33,6 % et de 46,9 %. Les analyses qui tentent d'éclairer ces différences soulignent deux choses en particulier. D'une part, pour le « boycott », le capital économique n'est pas significatif (Koos, 2012). Cela est peu étonnant, puisqu'il s'agit d'un refus d'acheter un produit ou une marque particulière, alors qu'acheter un produit pour soutenir une certaine cause est généralement associé à un supplément de prix. D'autre part, le boycott semble aussi répondre à différentes normes de citoyenneté. Les personnes qui disent boycotter se caractérisent par un niveau de confiance moins élevé et souscrivent moins à une norme de citoyenneté « engagée » 1 que celles qui « buycottent » (Copeland, 2014 ; Neilson, 2010). Enfin, on peut penser que le « buycott » dépend fortement de l'existence et de la disponibilité d'une offre marchande « éthique », ce qui n'est pas le cas du boycott. Indépendamment de ces logiques quelque peu distinctes entre boycott et « buycott », les plus grandes différences apparaissent lorsque l'on compare les niveaux de consommation engagée à travers les pays européens (Balsiger, 2013, p. 13-15 ; Koos, 2012). Il apparaît très clairement que la consommation engagée est très inégalement diffusée à travers l'Europe. Les pays scandinaves, la Suisse et les Pays-Bas se trouvent en tête, alors que les habitants des pays du Sud consomment très peu de manière engagée. Des facteurs macro et des logiques nationales propres doivent ainsi 1. Dalton (2009) distingue les normes de citoyenneté consciencieuses et engagées. Les premières renvoient à l'obligation, à la loyauté envers l'État et à la déférence à l'autorité, les secondes à l'activité volontaire, à la formation autonome d'une opinion et à l'altruisme.

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expliquer cette variance. Selon l'analyse de Koos (2012), ce sont surtout les différentes opportunités économiques qui sont en jeu. La disponibilité de produits éthiques (tel le bio ou l'équitable) labellisés, la structure du secteur de la distribution (quelques grandes chaînes dans les pays du Nord, de nombreuses petites entreprises dans les pays du Sud) et les niveaux moyens de revenus varient fortement entre les pays et expliquent en grande partie le recours à la consommation engagée. Le degré de mondialisation des économies nationales, en revanche, ne semble pas exercer d'influence, de même que, de façon plus surprenante, la force des mouvements sociaux, mesurée par le pourcentage de répondants qui se disent membre d'une organisation de mouvement social. Culturellement, Koos (2012) trouve que le niveau de postmatérialisme et le capital social (c'est‑à-dire la confiance envers les autres) jouent un rôle ; d'autres auteurs ont relevé la dimension confessionnelle, avec un clivage entre les pays majoritairement catholiques (peu enclins à la consommation engagée) et les pays majoritairement protestants (Bozonnet, 2010 ; Micheletti et Stolle, 2013).

Émergence d'une nouvelle norme de consommation légitime Afin de dépasser le biais individualiste de l'analyse de la consommation engagée, il est donc nécessaire de remettre les pratiques de consommation dans le contexte social qui les explique. Ce sont des facteurs institutionnels, organisationnels et sociaux qui contraignent les choix apparemment « individuels et rationnels » des consommateurs. Au-delà des aspects abordés jusqu'ici, il faut aussi s'intéresser à la manière dont les discours d'élites médiatiques, étatiques, économiques et le travail d'organisations de la société civile ont fait émerger une nouvelle norme de ce qu'est la « manière légitime de consommer ». Les réponses aux sondages sont ainsi susceptibles d'être teintées d'une dose de désirabilité sociale ; la pratique de consommation la plus légitime est responsable, soutenable, durable, éthique (Dubuisson-Quellier, 2009). En d'autres termes, il y a des attentes sociales qui exercent une pression sur la consommation et ses justifications, un point soulevé en particulier par les travaux de Josée Johnston (Johnston, 2008 ; Johnston, Szabo et Rodney, 2011). Une perspective sociologique nous invite en effet à regarder la consommation de biens comme un système de classification sociale et d'étudier ainsi les déterminants sociaux des pratiques de consommation individuels (Bourdieu, 1978). Les biens

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éthiques ne sont pas extérieurs à ce jeu social de distinction. Étudiant la communication d'un géant de la distribution « éthique », l'entreprise américaine Whole Foods, Johnston (2008) affirme ainsi que les discours sur le « citoyen-consommateur » se veulent certes égalitaires, mais contribuent de fait à valider un modèle légitime de la consommation créé par les classes supérieures. Il y aurait ainsi aujourd'hui une bifurcation sur le marché de l'alimentation : les produits bon marché, de moindre qualité et non éthiques pour les classes à faibles ressources économiques, et les produits chers, de qualités et « éthiques » pour ceux qui en ont les moyens. Des magasins comme Whole Foods, qui, par leur politique de prix, s'adressent avant tout à des consommateurs et à des consommatrices à hauts revenus, joueraient ainsi un rôle dans la reproduction d'un habitus d'élite, la chaîne validant la consommation d'élite comme éthique, naturelle et faisant partie du bon goût (Johnston, 2008, p. 257). Une autre étude soutient que les consommateurs et les consommatrices américains à haut capital culturel se distingueraient aujourd'hui par un « eco-habitus » émergent (Carfagna et al., 2014). À partir d'entretiens individuels et de groupe avec des familles issues de différents milieux sociaux, Johnston et ses collaboratrices montrent les effets de ces nouvelles attentes sociales (Johnston, Szabo et Rodney, 2011). Cette étude ne se focalise pas sur les consommateurs engagés, mais s'appuie sur un échantillon de familles recrutées dans deux quartiers bien distincts de la ville de Toronto pour chercher dans quelle mesure on retrouve, dans les discours et les pratiques des enquêtés, un répertoire culturel du « manger éthique ». Les résultats sont éclairants. Tout d'abord, les auteures montrent que leurs enquêtés s'appuient sur un répertoire dominant du « manger éthique » autour des choix alimentaires « verts » (bio, local), du bien-être animal et, beaucoup moins souvent, d'enjeux sociaux. Si la plupart des enquêtés mobilisent ce répertoire, ils ne le mettent pas tous en pratique ; en effet, l'enquête montre clairement le rôle que jouent les ressources (culturelles mais avant tout économiques) pour rendre la consommation engagée possible. Il y a ainsi – du moins dans les pratiques – une différence de classe marquée (voir aussi Johnston, Rodney et Szabo, 2012). Face à cette norme de la consommation légitime et l'exclusion de la pratique légitime par le manque de moyens, les familles à capital économique faible vont souvent s'appuyer sur des cadres d'interprétation alternatifs afin de représenter leurs propres pratiques comme étant de fait plus éthiques. Le faible niveau de

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La consommation engagée

consommation, le recyclage ou encore le fait de ne pas conduire deviennent alors des ressorts alternatifs et accessibles de pratiques de consommation engagée. De manière générale, ces travaux sur la consommation éthique et la consommation légitime soulignent combien les pratiques de consommation sont façonnées par des discours dominants portés par différents groupes d'élites.

La consommation engagée comme pratique encadrée collectivement Si beaucoup de recherches prennent l'individu comme niveau d'analyse de base dans la description de la consommation engagée, le lien entre action individuelle et action collective dans le consumérisme politique a intéressé les chercheurs dès le départ. Ce lien saute aux yeux dans les exemples classiques comme le coopérativisme ou le mutualisme. Les coopératives sont des réseaux alternatifs reliant consommateurs/trices et producteurs autour de la réalisation d'un objectif de justice sociale ; ceux et celles qui achètent dans les coopératives font partie de ce mouvement et contribuent à la réalisation de son objectif. Mais dans les formes diverses de consommation engagée contemporaines, les liens entre action individuelle et collective ne sont pas toujours aussi évidents ; la place du collectif et de l'individuel varie en fonction des enjeux, des modes organisationnels et de coordination. Sans surprise, la conception du consumérisme politique de Michele Micheletti (2003), du moins dans ses premières élaborations théoriques, se trouve proche du pôle individuel. Micheletti parle d'« action collective individualisée ». Le caractère collectif, dans cette conceptualisation, émerge de l'agrégation des actions individuelles des consommateurs et des consommatrices, par ailleurs non coordonnées. Mais ce collectif reste alors sans voix ; il s'exprime uniquement sur le marché et il est le résultat des actions individuelles. Dans un livre plus récent, Micheletti et Stolle mettent davantage l'accent sur l'encadrement collectif de ces pratiques individuelles (2013). Elles rejoignent ainsi les critiques qui, rejetant toute conceptualisation spontanéiste, affirment que l'action engagée individuelle par la consommation est en fait fortement incitée, façonnée, sinon déterminée par l'action collective de groupes et de mouvements sociaux, qui mènent un travail de politisation et de moralisation de la consommation (Balsiger, 2010). Au-delà des

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mouvements sociaux, d'autres acteurs peuvent être à l'origine de ce type de cadrage de la consommation critique (Sassatelli, 2006) : en particulier les gouvernements, les entreprises et les médias. Avant d'aborder le rôle de ces autres acteurs, il convient de caractériser plus précisément les manières dont les organisations de mouvement social encadrent la consommation engagée. Ces formes de politisation de la consommation peuvent avoir une orientation radicale, anticapitaliste et anticonsumériste (comme le mouvement de la décroissance) ou une orientation plus réformiste, alter-consumériste (comme le commerce équitable, éthique, le bio, etc.). Selon leur orientation, les mouvements qui critiquent les entreprises et politisent le marché et la consommation vont soit viser la mise en place d'institutions économiques alternatives en dehors des marchés, soit chercher à interpeller les acteurs économiques en place en luttant pour des changements en lien avec des causes spécifiques. Insister sur le rôle d'acteurs collectifs dans ce processus n'enlève rien au fait qu'il y a un jeu complexe entre action individuelle et collective, mais place au centre de ce jeu la contribution d'acteurs collectifs qui rendent possible les achats engagés individuels. Le poids relatif entre collectif et individuel, la manière dont les actions des consommateurs/trices sont coordonnées et encadrées ainsi que le degré de cette coordination sont variables et sont redevables d'une enquête empirique. Notamment, la consommation engagée peut se réaliser dans un cadre assez fortement structuré, par exemple dans des réseaux d'échange tels que les systèmes agroalimentaires alternatifs (Deverre et Lamine, 2010) ou s'accomplir dans un cadre beaucoup plus souple, comme lorsque des campagnes de mouvements sociaux ciblent des entreprises et publient des évaluations ou des guides d'achat (Balsiger, 2014b ; DubuissonQuellier, 2009).

Les réseaux d'échange alternatifs À travers les réseaux d'échange alternatifs, consommateurs et producteurs se rencontrent autour d'un objectif de changement social. Ces initiatives se sont multipliées dans les dernières décennies, avant tout dans le domaine agroalimentaire (Deverre et Lamine, 2010). Dans le système des paniers bio ou des associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) (DubuissonQuellier et Lamine, 2004 ; Lamine et Perrot, 2008), par exemple, les citadins contractent pour recevoir chaque semaine un panier de

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produits issus de l'agriculture locale, paysanne ou bio. Parfois, ils s'engagent aussi à participer de manière volontaire à la récolte ou à la distribution des produits. Ces initiatives créent donc un lien de solidarité entre producteurs et consommateurs que l'on ne retrouve pas dans l'échange marchand classique, tout en promouvant une agriculture plus durable. Mais ce type de « circuit de commerce » (Zelizer, 2011b) ou marché de niche se trouve aussi dans d'autres domaines poursuivant d'autres causes, comme la filière spécialisée dans le commerce équitable ou les droits des animaux (comme la viande « grass-fed » : Weber, Heinze et De Soucey, 2008). En Italie, les Gruppi d'acquisto solidale (GAS) ne sont pas limités aux produits agricoles régionaux, mais englobent un éventail beaucoup plus large de produits et permettent, grâce à des économies d'échelles, de réduire les prix pour le consommateur final (Forno et Graziano, 2014). Les GAS sont ainsi également une réponse à des difficultés économiques, tout comme certains systèmes d'échange local (Zelizer, 2011a) reposant sur l'adoption d'une monnaie propre ou sur le troc. Les systèmes d'échange alternatifs sont ainsi préoccupés par le développement d'une forme de distribution alternative de biens ; ils veulent créer, en dehors des acteurs dominants du marché conventionnel, une forme d'échange plus juste pour les participants et des pratiques plus écologiques et solidaires.

Les répertoires des mouvements sociaux sur les marchés Les systèmes d'échanges alternatifs sont des types de mouvements sociaux « préfiguratifs » (Polletta, 1999), c'est‑à-dire mettant directement en œuvre leurs revendications en créant des formes d'échange résonnant avec les objectifs du mouvement – promouvoir l'agriculture paysanne, le droit des animaux, etc. Mais les mouvements sociaux n'interviennent pas que de cette manière sur les marchés. Ils peuvent aussi viser les acteurs des marchés existants et lutter ainsi pour le changement social. L'enquête de Sarah Soule (2009) sur l'activisme « anti-entreprises » aux ÉtatsUnis révèle qu'une partie importante des événements protestataires ne visent pas les institutions politiques mais prennent pour cible des entreprises. La contestation est ainsi très fréquente sur les marchés et a donné lieu à de nombreuses études au cours de la dernière décennie, en particulier aux États-Unis (Briscoe et Gupta, 2016 ; King et Pearce, 2010 ; Soule, 2012 ; Walker, 2012), où un nouveau domaine d'étude est en train de se constituer, à la croisée

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de la sociologie des mouvements sociaux, de la sociologie des organisations et de la sociologie économique. Les campagnes visant à mobiliser les consommateurs/trices et à donner un sens politique aux achats font partie de ce phénomène plus large de contestation et de moralisation des marchés. Elles rendent possible des comportements individuels de consommation engagée et contribuent à créer une offre marchande « éthique ». Depuis les années 1970, de nombreux mouvements sociaux ont porté leurs revendications directement dans le marché. C'est notamment le cas du mouvement écologiste et du mouvement tiers-mondiste – même si la fréquence du recours à des actions de type « campagne de consommation » varie selon les contextes nationaux et institutionnels (Balsiger, 2014b). Ces mouvements ont ainsi créé des liens entre des enjeux spécifiques – la cause environnementale, le développement des pays du Sud – et les entreprises et la consommation dans les pays occidentaux. Grâce aux mobilisations d'organisations de mouvement social, à l'information qu'elles diffusent et aux campagnes qu'elles mènent, il devient ainsi possible de lutter contre l'exploitation des travailleurs dans des pays de production en achetant des vêtements dans telle enseigne plutôt que dans telle autre ; ou encore de promouvoir la cause environnementale en utilisant des sacs en jute recyclables plutôt que des sacs en plastique. En d'autres termes, si l'on privilégie la perspective collective plutôt qu'individuelle, ce qui apparaît comme une prise de conscience spontanée de consommateurs et de consommatrices postmatérialistes, responsables et globalisés, devient un processus fortement médiatisé par le travail politique d'organisations de la société civile – organisations non gouvernementales (ONG), associations, etc. Au travers de leurs discours et de leurs tactiques, des mouvements sociaux donnent un sens politique aux actions de consommation. Regardant de plus près les différentes formes que prend le « répertoire contestataire sur les marchés », on se rend compte que les mouvements tendent à utiliser un répertoire spécifique lorsqu'ils luttent directement dans l'arène marchande (Balsiger, 2014b, 2015a). Ailleurs, nous avons proposé une distinction qui permet d'étudier l'articulation entre différents modes d'action au sein de campagnes de consommation. Le boycott et le « buycott » individuels sont liés à des tactiques collectives utilisées par des mouvements. Ces tactiques collectives peuvent être placées sur un continuum entre deux pôles : un pôle de « dénonciation » et un pôle

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La consommation engagée

d'« actions de soutien » (supportive actions) (Balsiger, 2014a, p. 221-222). Les tactiques de dénonciation ciblent des acteurs du marché afin de les faire changer de pratiques ; elles tentent de ternir la réputation d'entreprises et d'inciter les consommateurs/ trices à s'abstenir d'y faire des achats. Les actions de soutien promeuvent des choix de consommation alternatifs, éthiques. Dans le premier cas, il s'agit d'utiliser des modes d'action contestataires afin de dénoncer les pratiques d'une entreprise ; dans le second, les acteurs utilisent des modes d'action non contestataires et ont l'objectif inverse : promouvoir ou établir des niches là où des pratiques éthiques sont mises en œuvre. Cela peut se faire en dehors des acteurs marchands existants, comme dans le cas des systèmes d'échange alternatifs ; mais cela peut aussi se pratiquer sur les marchés existants, au travers de labels, de partenariats. Des campagnes de consommation engagées peuvent être axées plutôt sur l'une ou l'autre orientation que cette distinction rend visible. Mais la plupart du temps, les deux s'articulent. En effet, la même tactique peut être utilisée de manière dénonciatrice ou dans un but de promotion d'alternative. Par exemple, les évaluations comparatives des enseignes de grande distribution, publiés par la campagne française de lutte contre l'exploitation dans la production textile (Collectif Éthique sur l'étiquette) sont utilisées pour faire pression sur les entreprises en portant atteinte à leur réputation, mais peuvent aussi être interprétées comme des actions de soutien aux entreprises qui sont évaluées positivement (Barraud de Lagerie, 2009). Ce type d'action joue ainsi avec la concurrence qui règne sur le marché et tente d'utiliser ce mécanisme afin de promouvoir les objectifs que le mouvement s'est fixés (Balsiger, 2015a). Toutefois, l'articulation entre ces deux orientations ne va pas toujours sans poser problème. En particulier, on observe une tension récurrente entre les actions de dénonciation et les actions de soutien (Dubuisson-Quellier, 2009). L'existence d'une alternative et sa promotion peuvent en effet avoir comme résultat une démobilisation des consommateurs/trices engagé(e)s : ces derniers trouvent désormais sur le marché des produits qui correspondent à leurs convictions idéologiques – pourquoi donc continuer à s'engager (Balsiger 2014a) ? En dernier lieu, les marchés de niche, comme le commerce équitable, peuvent donc représenter une forme d'exit et constituer un frein à un changement marchand plus englobant.

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Dynamiques du capitalisme Par leurs actions visant les entreprises et les marchés, les mouvements sociaux deviennent des acteurs clés de la valorisation marchande, comme l'a souligné Sophie Dubuisson-Quellier (2013), et contribuent ainsi à l'évolution des marchés. Ici, l'étude des mobilisations collectives rencontre l'analyse sociologique des dynamiques marchandes et de l'(é)valuation (Lamont, 2012). Étudiant les processus de qualification et de création de valeurs sur les marchés (Beckert et Aspers, 2011 ; Beckert et Musselin, 2013 ; Vatin, 2013), la sociologie économique a montré l'importance des dispositifs de jugement utilisés par les consommateurs et par les consommatrices pour s'orienter sur les marchés et évaluer les produits les uns par rapport aux autres (Karpik, 2007). Ces dispositifs signalent les différences de qualité des produits et le statut des producteurs. Les réseaux sociaux, les critiques gastronomiques, les associations de consommateurs avec leurs tests comparatifs, ou encore les producteurs eux-mêmes via la publicité, en sont autant d'exemples. Les mouvements sociaux ciblant les entreprises et recourant à des stratégies marchandes comme les évaluations ou les campagnes publiques de dénonciation, le font également. Ils contribuent ainsi à différencier les producteurs selon leur « profil éthique » et à faire de l'éthique une qualité marchande et, in fine, un critère de valorisation. Bien entendu, les mouvements sociaux ne sont pas les seuls acteurs qui tentent de cadrer la consommation et de la rendre plus « responsable » : les gouvernements agissent de plus en plus dans le même sens. Au travers des campagnes publiques et de la mise en place de labels, des politiques publiques visent à atteindre leurs objectifs en guidant, à distance, les comportements de consommation (Bergeron, Castel et Dubuisson-Quellier, 2014 ; DubuissonQuellier, 2016). Ce type de politique « par le marché » est particulièrement fréquent dans le domaine du développement durable : les programmes de promotion de recyclage ou le développement d'écolabels en sont des exemples. La consommation devient alors un objet d'intervention gouvernementale ; les consommateurs et les consommatrices sont visés et encouragés à adapter leurs comportements en intégrant des objectifs de bien commun. Il s'agit d'une forme très souple d'intervention étatique sur les marchés, conforme à une idéologie néolibérale. Plutôt que de traiter un enjeu par une réglementation contraignante pour les acteurs des marchés, les gouvernements utilisent les mécanismes du marché (Bergeron, Castel et

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La consommation engagée

Dubuisson-Quellier, 2014). On peut interpréter cette responsabilisation des consommateurs comme une forme de gouvernementalité, de gouvernement à distance des conduites individuelles (Foucault, 2004), agissant sur les individus par la mise en place d'un discours social incitant à des comportements de consommation responsables. Notamment dans le domaine de l'écologie, les États soutiennent et supplantent les initiatives issues d'associations et de mouvements sociaux et développent leurs propres instruments (Rumpala, 2009). Finalement, les entreprises elles-mêmes jouent aussi un rôle crucial dans ces processus de création de nouvelles qualités et formes de valorisation. Très souvent, elles s'en saisissent, adoptant, par exemple, des labels de produits « éthiques » ou se positionnant comme sociales, durables, responsables. Les entreprises sont ainsi parties prenantes du processus de moralisation des marchés. Elles réagissent à la pression exercée par les campagnes de mouvements sociaux, aux incitations des politiques publiques, mais aussi aux opportunités marchandes. Cette observation suggère que l'étude de la consommation engagée promet de nous renseigner, par le détour de l'étude de l'engagement politique, sur des processus plus larges de changement marchand et de dynamiques du capitalisme. Une telle perspective s'intéresse à la dialectique entre critique et dynamique capitaliste (Boltanski et Chiapello, 1999) en étudiant de près les répertoires tactiques mis en œuvre, tant par les mouvements sociaux que par les entreprises (Balsiger, 2015b, 2016) et en décrivant les interactions complexes entre consommateurs/trices, mouvements sociaux et entreprises, sans perdre de vue l'encadrement politique de ces processus.

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La consommation engagée

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La consommation engagée

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Chapitre 8

Les mobilisations collectives des minorisés ethniques et raciaux Soline Laplanche-Servigne

L

ongtemps délaissée par la science politique, la problématique des mobilisations collectives des « minorisés ethniques » est une aire de recherche qui se développe depuis le début des années 1990 en Europe, une vingtaine d'années après son émergence aux États-Unis. Les mobilisations qui retiendront ici notre attention seront celles portées par des « minorités ethniques », des « minorisés ethniques » ou encore des « groupes racisés » – c'estdire les groupes d'individus minorisés en raison de leur origine ou de la couleur de leur peau. Louis Wirth donne une définition sociologique d'une minorité qui met l'accent non pas sur un critère numérique, mais sur l'expérience de la discrimination comme dénominateur commun d'un groupe social. Une minorité est : un groupe de personnes qui, en raison de leurs caractéristiques physiques ou culturelles, sont distinguées des autres dans la société dans laquelle elles vivent, par un traitement différentiel et inégal, et qui par conséquent se considèrent comme objets d'une discrimination collective (Wirth, 1945, p. 347).

De même, pour Didier et Éric Fassin, « la minorité, à la différence de la communauté, n'implique pas nécessairement l'appartenance à un groupe et l'identité d'une culture ; elle requiert en revanche l'expérience partagée de la discrimination » (2006, p. 251). Le concept de « minorisé » permet alors de rendre compte de cette position dominée dans la société. Celui de « groupes identitaires

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ascriptifs » employé par Amy Gutman est également pertinent pour désigner des groupes fondés sur des critères ethnoraciaux tels que la couleur de la peau : [Ce qui] distingue les groupes d'identité ascriptifs est qu'ils s'organisent autour de caractéristiques qui dépassent largement la capacité des individus à choisir, telles que la race, le genre, la classe, le handicap physique, l'ethnicité, l'orientation sexuelle, l'âge et la nationalité. La base nominale d'un groupe ascriptif organisé est une caractéristique involontaire telle que le genre ou la race mais le groupe organisé lui-même est volontaire pour ceux qui le rejoignent » (2003, p. 117).

Susan Olzak inclut le critère de l'expérience de la discrimination dans sa définition des « mouvements sociaux ethniques et raciaux », soulignant que ces derniers sont caractérisés par des revendications « basées sur une identité ou une frontière particulière définies par la présence de marqueurs raciaux ou ethniques […] incluant la pigmentation de la peau, les ancêtres, la langue et une histoire de discrimination ». Toutefois, « pour simplifier (et éviter d'invoquer des affirmations non scientifiques sur les fondements génétiques de caractéristiques raciales), beaucoup de chercheurs préfèrent le label plus générique de mobilisation ethnique » (Olzak, 2004, p. 667). Plusieurs approches théoriques de ces mobilisations s'affrontent, mettant en avant des facteurs explicatifs différents du déclenchement de l'action collective (Olzak, 1983 ; Kastoryano et Schader, 2014) : l'approche culturaliste, l'approche de l'ethnicité réactive, la théorie de la mobilisation des ressources, celle de la compétition ethnique ou encore celle des structures d'opportunités (et du cadrage) politiques (Olzak, 1983). Si les mobilisations collectives à dimension ethnique ou raciale sont présentes dans certains contextes nationaux, notamment aux États-Unis, depuis plusieurs décennies, il n'existe guère, jusqu'aux années 2000, de mouvements d'action collective en France mettant explicitement en avant des critères ethnoraciaux. Durant les années 1980 et 1990, les mouvements de lutte contre le racisme sont principalement tournés vers une lutte contre les crimes racistes et contre l'extrême droite. Les travaux de Nonna Mayer sur les mobilisations anti-Front national (Mayer, 2004), par lesquels elle a documenté les motivations des militants à participer au mouvement français anti-Front national depuis les années 1980

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Les mobilisations collectives des minorisés ethniques et raciaux

(Mayer, 2004, p. 202), constituent un éclairage essentiel pour étudier des mouvements plus récents, se réclamant également du label « antiraciste », mais ne présentant plus, pour leur part, l'extrême droite comme leur ennemi premier. Avec d'autres chercheurs, Nonna Mayer a par ailleurs aidé à la compréhension scientifique des différentes facettes et dimensions du racisme, en prenant en considération ses manifestations les plus évidentes mais aussi plus « voilées », en s'inspirant notamment des travaux américains sur le « “subtle” racism » (Mayer et Michelat, 2001). La construction et l'analyse du sondage annuel de la Commission nationale consultative des Droits de l'homme (CNCDH) sur le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, permettent de mieux cerner les évolutions de ces phénomènes auxquels sont confrontés en France différents groupes minorisés. Une partie des recherches de Nonna Mayer contribue ainsi de manière décisive à l'exploration des stéréotypes et préjugés envers certains groupes de population et des perceptions des Français vis‑à-vis de l'« Autre ». Au croisement de la sociologie de l'immigration, de la sociologie des relations interethniques et de la sociologie des mouvements sociaux, la littérature explorant les mobilisations de minorisés ethniques est marquée par deux grandes orientations. Une partie des travaux met l'accent sur les contextes et les contraintes politiques qui entourent leur émergence, en particulier au sein de la sociologie de l'immigration américaine (Portes et Rumbaut, 1996 ; Bloemraad, 2006), étudiant notamment les formes d'intégration et de mobilisation développées en fonction des modalités d'accueil, quand une autre partie de la littérature insiste davantage sur les caractéristiques des individus instigateurs de ces mobilisations et le rôle du facteur ethnoculturel ou racial dans le modelage de l'action collective. Nous examinerons ici les recherches en science politique et en sociologie portant sur les mobilisations collectives de minorisés ethniques et raciaux, en France et dans d'autres pays d'Europe de l'Ouest, en évoquant également le cas états-unien. Dans un premier temps, nous présenterons les dynamiques qui ont traversé la littérature spécialisée, avec le passage de l'étude des mobilisations « immigrées » à celle des mobilisations dites « ethniques » et « raciales ». Puis nous interrogerons et tenterons de dépasser la distinction entre luttes « minoritaires », modelées en réaction aux expériences de discrimination, et luttes « identitaires » et « communautaires ». Enfin, nous discuterons les travaux portant sur les modes de

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mobilisation et les répertoires d'action spécifiques à ce type de mobilisations en insistant sur les formes de circulation qui les caractérisent.

Des mobilisations « immigrées » aux mobilisations « ethniques » et « raciales » Les différentes approches théoriques et terminologies dans la littérature sur l'action collective des minorisés en raison de l'origine ou la couleur de peau tiennent, à la fois, au contexte académique dans lequel elles se développent et sont employées et au contexte national juridique et politique dans lequel les mobilisations prennent forme. Elles évoluent en fonction de processus de circulation des concepts entre les différents contextes académiques, de l'évolution du statut des individus porteurs des mobilisations (passant par exemple, en quelques décennies, du statut d'immigrés à celui de nationaux) et de celle des structures d'opportunité politiques et juridiques auxquelles elles s'adaptent.

Des mobilisations « immigrées »… Dans le champ de l'analyse des mouvements sociaux et de l'action collective en Europe, le concept de « mobilisation ethnique » est rarement employé dans les recherches francophones, mais très largement dans les recherches portant sur des contextes anglophones (Garbaye, 2005 ; Crowley, 2001 ; Rex et Drury, 1994 ; Bousetta, 2000) ou dans les publications scientifiques anglophones (y compris, alors, dans des articles portant sur la France). Dans l'espace européen, c'est d'abord selon une division entre « citoyens nationaux » et « immigrés » que les mobilisations sociales ont été analysées, avec des travaux portant sur les mobilisations immigrées (Wihtol de Wenden, 1988 ; Hargreaves, 1991 ; Kastoryano, 1994 ; Koopmans ; Péchu, 1999 ; Statham, Passy et Giugni, 2005 ; Cinalli, 2011), sur les mobilisations des descendants de l'immigration ou de la seconde génération de l'immigration (Lapeyronnie, 1987 ; Leveau et Wihtol de Wenden, 1988 ; Hargreaves, 1991 ; Pingault, 2004), ou encore sur le militantisme d'origine maghrébine (Fuchs, 2010) ou des héritiers de l'immigration (Nasri, 2013). Des travaux ont retracé le cheminement des luttes des immigrations (post)coloniales, s'incarnant au fil du temps dans la figure de l'indépendantiste et du travailleur immigré, puis dans le mouvement dit « beur »

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et dans le militantisme musulman (Boubeker et Hajjat, 2008). Audrey Célestine forge, elle, la catégorie des « migrants-citoyens » pour étudier l'action collective des populations antillaises en France et portoricaines aux États-Unis (Célestine, 2008). Des travaux portent également spécifiquement sur l'action collective des musulmans en France et en Europe (Cinalli et O'Flynn, 2014), identifiant différents types de mobilisations, religieux, sociopolitiques et identitaires (Frégosi, 2009). La question de la caractérisation des mobilisations engageant des individus liés à une immigration a notamment été posée concernant les luttes ouvrières des années 1970 dans les usines françaises. L'historienne Laure Pitti montre comment parler de grèves d'immigrés et de luttes de l'immigration plutôt que de grèves ouvrières « ouvre ainsi à un double déni : déni du caractère résolument ouvrier de cette grève singulière ; déni de l'intériorité à la France de ces ouvriers » (Pitti, 2001, p. 472-473). De même Vincent Gay interroge-t‑il la substitution des « caractéristiques religieuses des immigrés […] à leurs identités professionnelles et sociales » (Gay, 2015, p. 126), induite par les corrélations établies entre activités grévistes du début des années 1980, dans lesquelles sont impliqués des travailleurs immigrés, et appartenance religieuse musulmane (réelle ou supposée) de ces derniers.

…aux mobilisations ethniques et raciales Les termes d'ethnicité et de race sont entrés dans le vocabulaire scientifique américain dès les années 1970, notamment pour souligner leur importance dans la formation de l'identité américaine (Gleason, 1982). En revanche, la recherche sur les mobilisations ethniques en Europe s'est, pour sa part, longtemps concentrée sur la politisation de l'ethnicité par les minorités autochtones régionales, linguistiques ou religieuses. S'il est d'un usage moins courant dans le contexte académique français, le concept de « minorité ethnique » est néanmoins désormais de plus en plus mobilisé par des chercheurs français, ce qui témoigne du phénomène de circulation et de diffusion progressive dans les recherches européennes, de l'appareil conceptuel des « race and ethnic studies » forgé aux ÉtatsUnis – notamment par le développement de recherches comparatives entre la France et des contextes anglophones. Dans le cadre d'une étude collective comparative portant sur les populations ciblées par les politiques d'intégration au sein de l'Union européenne, Lionel Arnaud défend ainsi l'emploi du terme de « minorité

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ethnique » (Arnaud, 2005). Ces populations ne bénéficiant pas toutes du même statut juridique selon le pays concerné au sein de l'Union européenne – « minorités ethniques » au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, « extracommunautaires » en Italie, populations « issues de l'immigration » en France et en Allemagne –, la catégorie « minorité ethnique » permettrait d'englober des groupes de populations ayant pour caractéristique commune d'être confrontées à des phénomènes de discrimination similaires, ne tenant pas tant « à un quelconque statut d'étranger mais bien à celui de minorité ethnique, caractérisé par l'apparence physique et par un mode de vie perçu comme “étranger” » : c'est‑à-dire des « minorités ethniques visibles », et non des minorités ethnoculturelles comme les minorités régionales (sauf dans le cas des populations d'outre-mer). Dès lors, « le terme de minorité ethnique, en tant que catégorie analytique, apparaît […] bien adapté à une réalité européenne où ces populations sont sans cesse renvoyées à leurs différences, dans ce qu'elles ont de plus irréductibles » (Arnaud, 2005, p. 10-11). Le débat au sein des sciences sociales sur l'usage des concepts d'ethnicité et de race est par ailleurs fortement structuré autour de la problématique de l'opposition de deux cadres d'analyse : le prisme de la classe sociale et celui de la position ethnicisée et racisée des individus au sein de la société. Les concepts utilisés pour désigner et analyser certaines mobilisations collectives peuvent aussi refléter différents modes de distinction et d'explication des inégalités entre les groupes sociaux. Camille Hamidi et Sophie Maurer proposaient ainsi dans un atelier du congrès de l'Association française de science politique (AFSP) en 2005 une réflexion sur l'invisibilité de la catégorie ethnique au sein des sciences sociales françaises, en particulier dans l'analyse des mobilisations collectives 1. Elles rappelaient alors dans quelle mesure « la prégnance en France d'une tradition intellectuelle républicaine et jacobine ainsi que des cadres d'analyse d'inspiration marxiste privilégiant les référents classistes » pouvaient avoir fait obstacle à l'analyse des usages de cette catégorie. Une décennie plus tard, le débat entre prisme de la catégorie sociale et prisme de la catégorie ethnique est toujours présent, mais le second a, depuis ce constat dressé au milieu des années 2000, été davantage exploré. Certains 1. Camille Hamidi et Sophie Maurer, atelier intitulé « Les usages sociaux d'une catégorie invisible : l'ethnicité dans les mobilisations collectives et l'action publique », congrès de l'Association française de science politique, 2005.

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chercheurs ont en effet analysé les effets des frontières ethniques entre les individus. Ainsi, en France, de l'enquête de Vincent Tiberj et Sylvain Brouard sur les positionnements politiques des Français d'origine maghrébine, africaine et turque (Brouard et Tiberj, 2006), des travaux de Camille Hamidi sur les catégorisations ethniques et le rapport au politique des jeunes des quartiers populaires (2010), ou de ceux de Vincent Geisser et Soum Yamine, de Martina Avanza et d'Aurélie Morin sur la diversité – le terme faisant référence dans ces travaux à la diversité « ethnoraciale » – dans les partis politiques (Geisser et Soum, 2008 ; Avanza, 2010 ; Morin, 2007). Ou encore des recherches (suscitant d'importants débats) sur la lutte contre les discriminations et les statistiques dites « ethniques » (Simon, 2006 ; De Rudder et Vourch, 2006). La position de subalterne peut conduire à deux types d'identification choisie par le minorisé : soit la stratégie du retournement, par l'appropriation et la requalification de l'identification stigmatisante, soit la recherche de l'assimilation au groupe dominant dans l'espoir d'« éviter les assignations identitaires » (Simon et Martiniello, 2005, p. 13). Ce choix pourra être en partie contraint par « les tropismes nationaux et locaux », notamment selon que les minorisés se mobilisent dans un pays dit multiculturaliste ou au contraire assimilationniste (Simon et Martiniello, 2005, p. 7). Des événements comme les révoltes urbaines de l'automne 2005 et l'émergence, la même année, de mobilisations de lutte contre les discriminations raciales faisant usage de catégorisations ethnoraciales – apparition en 2005 du Conseil représentatif des associations noires (Cran) et du Mouvement des indigènes de la République – sont également venus alimenter les réflexions des chercheurs sur l'utilité d'analyser le politique en termes sociaux et ethniques ou raciaux (Fassin et Fassin, 2006). Notons aussi le développement au niveau européen de mobilisations transnationales se fondant sur une identification collective ethnoraciale comme « noirs » (ou parfois « people of colour ») telles le Black European Women's Council fondé en 2007. Le sociologue Albert Bastenier a défendu la définition des sociétés européennes contemporaines comme « sociétés ethniques », plutôt que « sociétés de classe », arguant que l'ethnicité « et les appartenances qui lui sont associées » y constituent « une manière nouvelle qu'ont les acteurs de se positionner au sein de la modernité tardive où, dans l'ensemble des pratiques constitutives de l'action, celles qui relèvent de la culture ont acquis une saillance particulière » (Bastenier, 2004, p. 306). Les chercheurs défendant la prise en

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considération d'autres lignes de distinction que celle de la classe sociale insistent sur la différence de position sociale des immigrés ou des minorisés raciaux en raison des discriminations qui peuvent les affecter. Les constats sont différents selon les contextes nationaux considérés : Robert Miles et Annie Phizacklea ont analysé, durant les années 1970, l'action politique des travailleurs immigrés afro-caribéens et asiatiques en Grande-Bretagne et observé que les membres de minorités ethniques s'engageaient dans des formes d'action politique basées sur la classe et non selon une solidarité « ethnique », sauf lorsque l'exclusion raciale de la part des travailleurs britanniques blancs les y contraignait (Miles et Phizacklea, 1977). John Rex soulève, lui, la problématique des intérêts différentiels, au sein d'une même classe sociale, entre les nationaux et les membres des minorités ethniques en Grande-Bretagne, en raison de la discrimination raciale et ethnique, pouvant conduire à former des syndicats ethniques au sein des syndicats généraux (Rex, 1992). Au contraire, Jan Rath, étudiant durant les années 1980 l'action politique des minorités ethniques aux Pays-Bas, indique que dans le cas hollandais, on n'observe ni unité « noire », ni unité de classe mais que les immigrés s'organisent en vertu de l'origine ethnique (Rath, 1988). Renaud Hourcade, comparant les groupes engagés pour la mémoire de la Traite à Nantes et à Liverpool en mobilisant la catégorisation de « noirs », a souligné le rôle, circonscrit en l'espèce, joué par la variable ethnoraciale et a montré comment son usage visait, pour les « noirs “autochtones” », à se distinguer des migrants récents et construisait finalement surtout une appartenance à la cité, révélant alors la perspective d'une mémoire locale partagée (Hourcade, 2013). À la suite de la réflexion de l'historienne Joan W. Scott à propos du paradoxe du discours féministe, dans sa « nécessité d'affirmer et de refuser à la fois la différence » des femmes (Scott, 1998), les sociologues Didier et Éric Fassin relèvent surtout la contrainte qui pèse sur les minorisés raciaux lorsqu'il s'agit de se désigner pour émettre des revendications. Ils évoquent alors le « paradoxe minoritaire » auquel se trouveraient confrontés les minorisés raciaux lorsqu'ils sont conduits à « parler en tant que pour refuser d'être traités comme (noir, arabe ou juif) » (Fassin et Fassin, 2006, p. 252). Catherine Achin, Elsa Dorlin et Juliette Rennes soulignent dans quelle mesure « les attributs sociaux biologisés et essentialisés » que constituent le genre, la sexualité et la couleur sont généralement « appréhendés comme des identités toujours déjà là, dont on ne

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saisit pas l'inscription dans des rapports sociaux polarisés » (Achin, Dorlin et Rennes, 2008, p. 13), alors qu'ils peuvent être envisagés avec profit comme des capitaux politiques pour les acteurs, au même titre que d'autres types de ressources. Les dénominations des mobilisations des minorisés ethniques dépendent aussi des conditions d'activation de l'appartenance à une communauté de destin et aux revendications portées par les acteurs de la mobilisation, en particulier en tant que victimes de discriminations passées ou présentes.

Entre revendications identitaires et revendications minoritaires ? Dans ses travaux sur la « condition noire », l'historien Pap Ndiaye distingue « logique identitaire » et « logique minoritaire » des mouvements d'action collective fondés sur une identification raciale (Ndiaye, 2008). Il reprend la différence proposée par le sociologue américain Tommie Shelby entre une identité noire « épaisse » (thick blackness) et une identité noire « fine » (thin blackness). La première est « fondée sur une culture, une histoire, des références communes, une langue qui marquent une différence nette entre ceux qui en sont les porteurs et les autres […], sur des éléments de culture communs ». La seconde « délimite un groupe qui n'a en commun qu'une expérience de l'identité prescrite, celle de noir en l'occurrence, qui a été historiquement associée à des expériences de domination subie, et qui peut s'accompagner de la conscience du partage de cette expérience ». Elle repose donc sur le plus petit dénominateur commun pour un ensemble de personnes, soit « le fait d'être considérées comme noires, avec un ensemble de stéréotypes attachés à elles » (Shelby, 2005 ; Ndiaye, 2008, p. 48). Cette alternative posée entre mobilisation en réaction à une expérience commune de discrimination et mobilisation communautaire se retrouve dans la manière de distinguer les différents types de demandes pouvant émaner de minorisés ethniques : demandes d'égalité de traitement (lutte contre le racisme et les discriminations) et d'égalité des droits (droit de vote local, d'acquisition de la nationalité, etc.), d'une part, et demandes de protection de pratiques culturelles ou religieuses spécifiques, d'autre part. Dans les débats publics et dans la littérature en sciences sociales, certaines de ces demandes sont alors traitées comme relevant de la

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justice sociale et des Droits de l'homme, quand d'autres seraient des demandes identitaires particularistes et relèveraient du « communautarisme ». Toutefois, cette distinction se révèle moins évidente au regard des mobilisations existantes, et certains travaux remettent en question la perspective des théoriciens du multiculturalisme qui voient dans les demandes pour des droits communautaires particularistes l'essence des revendications des groupes minoritaires. Des groupes mobilisés selon une identité collective apparemment culturelle ou religieuse peuvent ainsi être cimentés plus par des revendications d'égalité socio-économique que des revendications culturelles et religieuses différentialistes. Paul Statham remarque, par exemple, que ce qui caractérise les groupes mobilisés en Grande-Bretagne en tant que musulmans est moins une appartenance religieuse ou ethnique en soi que le partage d'expériences et de griefs liés à une condition socio-économique défavorisée. Les mobilisations « musulmanes » sont ainsi majoritairement composées de personnes d'origine pakistanaise et bangladaise, socialement les plus défavorisées parmi les minorités du sous-continent indien présentes en Grande-Bretagne, tandis que la minorité indienne, qui a atteint des niveaux de succès socio-économique plus élevés, en est largement absente. Statham relativise alors l'idée selon laquelle « la mobilisation musulmane en GrandeBretagne est purement une expression du droit à la différence culturelle en soi » : la majorité des demandes de droits communautaires spéciaux émanant d'organisations « musulmanes » s'intégrerait en réalité « dans un cadrage antidiscrimination d'égalité sociale et politique » (Statham, 1999, p. 621-622). De façon analogue, des mobilisations françaises, comme celles du Cran ou du Mouvement des indigènes de la République, mais aussi allemandes (comme l'Initiative des personnes noires d'Allemagne – Initiative Schwarze Menschen in Deutschland), qualifiées par certains observateurs d'« identitaires », de « communautaires » (ou « communautaristes »), notamment en raison de leur usage d'identifications ethnoraciales – comme « noirs » ou « indigènes » –, peuvent aussi être examinées sous l'angle de mobilisations de victimes (Lefranc, Mathieu et Siméant, 2008 ; Lefranc et Mathieu, 2009) de discrimination et de racisme. Cet usage d'identifications ethnoraciales peut alors être analysé comme le vecteur d'expression de différents points de vue racisés sur le racisme et la discrimination raciale et le révélateur d'expériences hétérogènes,

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selon que l'on est par exemple noir ou issu d'une immigration postcoloniale (Laplanche-Servigne, 2014). La distinction entre revendications de type « communautaire » et revendications « antiracistes » ou antidiscrimination se retrouve dans les travaux de la sociologue Alana Lentin qui documente, dans une perspective comparatiste, une sociologie politique des mobilisations collectives contre le racisme en Europe (Lentin, 2004). À partir d'une enquête sur de nombreuses organisations se définissant comme antiracistes dans quatre pays européens (la France, la Grande-Bretagne, l'Irlande et l'Italie), elle distingue deux types d'approches de l'antiracisme : l'un est décrit comme « majoritarien » (majoritarian), l'autre comme « communautarien » (communitarian) et désigne l'auto-organisation de « minorités ethniques » ou de groupes racialisés, mobilisés contre le racisme. Alana Lentin distingue, en outre, entre « antiracisme autoorganisé » (self-organised anti-racism) et « politique identitaire » (identity politics). Selon elle, il convient de dissocier « les groupes racialisés organisés contre le racisme en vertu de lignes politiques, et les luttes de communautés marginalisées pour l'égale reconnaissance de leur identité culturelle, nationale ou religieuse » (Lentin, 2004, p. 107). On retrouve ainsi, dans sa typologie, l'opposition entre des revendications « antiracistes » et des revendications « identitaires et culturelles ». Cette distinction analytique pose la question politique des alliances et des solidarités possibles entre racisés et non-racisés. Selon Lentin, ces dernières ne seraient guère possibles dans des mobilisations relevant de la politique identitaire. Dans une perspective plus philosophique, Jacques Rancière s'est aussi interrogé, à partir du cas de la guerre d'Algérie, sur la possibilité d'une résonance de la « cause de l'autre », lorsque l'on n'est pas directement concerné par celle-ci (Rancière, 1998, p. 148). L'analyse par Jennifer Eichstedt de la construction identitaire de blancs engagés dans des mouvements de justice raciale aux États-Unis, donne également des pistes de réflexion sur le lien entre identification blanche et antiracisme (Eichstedt, 2001). La chercheuse relève plusieurs étapes du parcours d'antiracisme des militants blancs interrogés : être capable de faire le récit de leur propre histoire racialisée, de s'identifier comme blanc, de reconnaître les avantages indus dont ils bénéficient car ils sont blancs et de démontrer leur disposition à se proclamer eux-mêmes comme racistes – à se reconnaître en quelque sorte une identité d'oppresseur. Toutefois, pour réussir à

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continuer à militer dans le mouvement antiraciste, ils doivent aussi trouver le moyen de contrebalancer cette identité négative à l'aide de constructions positives de soi, afin de surmonter la paralysie de la culpabilité et la honte d'être blanc (Eichstedt, 2001, p. 465). Le paradigme de la reconnaissance, au travers duquel des chercheurs marqués par la philosophie morale ont envisagé les luttes sociales depuis les années 2000 (Honneth, 2002 ; Fraser, 2005), invite à un dépassement de l'aporie entre luttes « minoritaires » et « identitaires ». Axel Honneth propose d'envisager les luttes sociales comme alimentées avant tout « non pas par des rapports d'intérêts prédéterminés, mais par des sentiments moraux d'injustice » (Honneth, 2002, p. 193) et d'analyser alors le « processus pratique au cours duquel des expériences individuelles de mépris sont interprétées comme des expériences typiques d'un groupe tout entier, de manière à motiver la revendication collective de plus larges relations de reconnaissance » (Honneth, 2002, p. 194). Nancy Fraser réfute quant à elle l'idée d'une séparation entre le paradigme de la redistribution – qui met l'accent sur les injustices socioéconomiques – et celui de la reconnaissance – qui insiste davantage sur les injustices culturelles. Réconciliant la théorie de la lutte pour la reconnaissance avec la problématique classiste, elle souligne que dans la pratique, les deux formes d'injustice que représentent l'injustice sociale résultant de la structure économique de la société et l'injustice culturelle ou symbolique découlant des modèles sociaux de représentation, s'imbriquent et se renforcent généralement. Elle propose alors la notion de « parité de participation », selon laquelle « la justice requiert des dispositions sociales telles que chaque membre (adulte) de la société puisse interagir en tant que pair avec les autres » (Fraser, 2005, p. 45). Depuis les années 2000, la dimension mémorielle d'un certain nombre de mobilisations de minorisés, qui font appel à une mémoire et à des ancêtres communs comme fondement du collectif, a fait l'objet de nouvelles recherches. Marie-Claire Lavabre et Danielle Tartakowsky ont souligné l'évolution, à partir des années 1970, du mot « mémoire » en France, terme « aujourd'hui fortement connoté par la construction, notamment sinon exclusivement politique », une mémoire constituant dès lors un « capital de pouvoir » (Lavabre et Tartakowsky, 2006, p. 194), que certains acteurs mobilisent pour émettre des revendications et d'autres pour mettre en œuvre des « politiques mémorielles » (Michel, 2010). Hourcade a mis au jour des formes de « transcodage des enjeux

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d'égalité et d'antiracisme dans les termes de la mémoire » en analysant la « traduction des causes minoritaires en luttes mémorielles » ; selon lui, la mise à l'agenda des politiques mémorielles locales (de l'esclavage) est moins le résultat de l'action des mobilisations sur ces questions qu'elle ne constitue pour elles un cadre d'opportunités à investir, dans lequel faire valoir leurs revendications de réorientation des « thèmes et des usages du rappel “officiel” du passé vers les enjeux minoritaires » (Hourcade, 2015, p. 66). Dans certains cas, la focalisation sur la mémoire d'un groupe donné, par exemple celle de l'esclavage des populations antillaises, peut participer à un renforcement des frontières entre groupes sociaux – en l'occurrence, en France, entre les personnes d'origine antillaise et celles d'origine africaine – et peut rendre difficile des coalitions avec des organisations antiracistes incluant d'autres groupes minoritaires (Célestine, 2011).

Les modes de mobilisation et les répertoires d'action collective des minorisés ethnoraciaux On retrouve enfin l'opposition entre logique identitaire et logique minoritaire dans les travaux portant sur les répertoires de l'action collective des minorisés ethniques. À partir d'une interrogation sur l'existence de modes de mobilisation collective spécifiques aux minorisés ethniques, certaines études mettent davantage l'accent sur les caractéristiques du groupe en lui-même pour expliquer le choix du répertoire d'action collective, quand d'autres insistent plutôt sur le rôle du contexte de discriminations dans lequel se construit la mobilisation.

Mobilisation des ressources : réseaux ethniques et isomorphisme minoritaire Certaines recherches ont souligné le rôle que pouvaient jouer dans les modalités de l'action certaines caractéristiques ethniques des populations minorisées mobilisées, sans pour autant adopter une perspective essentialiste de l'ethnicité. Cécile Péchu dans sa recherche sur les luttes collectives pour le logement de migrants d'origine subsaharienne en Ile-de-France durant les années 1990 (Péchu, 1999), souligne ainsi le rôle joué dans la mobilisation par la structuration préliminaire « en réseaux » (Poiret 1996) de la population immigrée d'origine sub-saharienne (« Black Africans », dans

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son article), sur la base de laquelle va s'organiser la mobilisation pour le logement au sein de différentes associations. Elle remarque que « l'action collective des minorités ethniques […] légitime l'usage de réseaux communautaires bien que la conception française de la citoyenneté présuppose leur non-existence et ne reconnaisse comme légitime que le lien direct entre l'individu et l'État » (Péchu, 1999, p. 742). Si elle souligne le rôle de la position sociale spécifique des immigrés d'origine subsaharienne dans le fait qu'ils se mobilisent davantage pour le droit au logement que pour le droit au travail – où leur position est fragile en tant qu'ouvriers peu qualifiés dans un contexte de taux de chômage élevé –, elle donne aussi une explication de type culturel à cette participation à l'action collective par ce groupe de population. Péchu invoque ainsi « une tradition culturelle de liens étroits avec l'État français » chez ces immigrés, qui n'hésiteraient pas à revendiquer des droits en France, en particulier « en raison d'un sens de l'identité nationale récent et peu développé » (Péchu, 1999, p. 737). Par ailleurs, la légitimation d'une rétractation vers les « réseaux primaires » est liée au fait que la mobilisation a été déclenchée par une agression extérieure (des incendies qui se sont déclarés en 1986 dans des immeubles vétustes où vivaient principalement des familles africaines Soninké) qui a « ré-établi leur sens d'une identité de groupe » (Péchu, 1999, p. 741). Camille Hamidi, analysant les mobilisations de l'immigration en France sous l'angle de « cycles de protestation », suggère l'hypothèse d'une segmentation ethnique des mobilisations durant les années 1970 et 1980 pouvant être expliquée par le rôle des réseaux de mobilisation, antérieurement structurés sur une base nationale (lors des mouvements d'action collective d'indépendance) et réactivés lors de mobilisations ultérieures (Hamidi, 2009, p. 183). Un autre pan de la recherche envisage les modes d'action collective des minorisés sous l'angle des relations interethniques non pas seulement entre majorité et minorité, mais aussi entre minorités, en soulignant le rôle de référentiel que peuvent jouer les mobilisations antérieures d'autres groupes minoritaires. Gökçe Yurdacul et Michal Bodemann mettent ainsi au jour le jeu de miroir entre mobilisations immigrées (turques) et mobilisations de minorité religieuse (juive) en Allemagne. Ils montrent comment les leaders d'organisations immigrées turques se réfèrent à la minorité historique des juifs, déjà reconnue institutionnellement, pour obtenir la reconnaissance des autorités étatiques en créant une perception de lutte commune contre la discrimination et le racisme dans

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le pays d'accueil (Yurdacul et Bodemann, 2006). Ainsi, les mobilisations d'immigrés turcs d'Allemagne prendraient « les juifs comme un exemple concret de minorité, en termes d'histoire et d'organisation », pour construire leur mobilisation par référence à trois domaines : en soulignant « les similarités entre le racisme contre les Turcs et l'antisémitisme » ; en utilisant les organisations de la communauté juive comme « exemples d'organisation en tant que minorité » ; en revendiquant enfin « des droits communautaires analogues à ceux des juifs allemands dont les pratiques rituelles ont été officiellement reconnues par les autorités étatiques allemandes » (Yurdacul et Bodemann, 2006, p. 45). D'autres travaux ont exploré ces modes de réflexion entre mobilisations de minorités en Allemagne, en analysant les interactions entre les mobilisations de différents groupes autour de la mémoire de la Shoah et la lutte contre les discriminations, en particulier entre les organisations roms et les organisations juives (Blumer, 2013). On observe aussi de telles formes d'isomorphisme organisationnel de mobilisations de minorisés ethnoraciaux en France : ainsi de la création en 2005 du Cran, selon un modèle rappelant le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), organisation de représentation d'une minorité alors déjà ancrée dans le paysage institutionnel français et reconnue des pouvoirs publics. La littérature évoque aussi des formes de mimétisme dans le choix des modes protestataires déjà utilisés, par le passé, par des groupes en situation similaire et ayant les mêmes caractéristiques. Dans ses travaux sur la « cause des sans-papiers », Johanna Siméant émet ainsi l'hypothèse d'une « mémoire des mobilisations » concernant les grèves de la faim des sans-papiers (Siméant, 1998a, 1998b), qui expliquerait l'usage de ce mode de protestation comme « un moyen “évident” parce que déjà utilisé dans des cas semblables » (Siméant, 1998a, p. 299). D'autres chercheurs ont étudié la marche comme modalité récurrente de l'action collective protestataire, mise en œuvre durant le dernier quart du XXe siècle par une grande diversité de groupes dominés et dans un grand nombre d'aires géographiques (Pigenet et Tartakowsky, 2003), notamment des minorisés raciaux marchant « en tant que noirs » (LaplancheServigne, 2015). Néanmoins, ces recherches soulignent qu'il convient de rapporter la signification de chaque marche au contexte politique national dans lequel elle prend place, des marches menées par des populations similaires et/ou aux

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revendications identiques revêtant un sens différent selon le contexte national (Debouzy, 2003, p. 39).

Le rôle des structures d'opportunités politiques et l'usage du droit comme ressource politique Selon les auteurs, l'échelon d'analyse de l'action collective privilégié varie du local au global. Certains se sont consacrés à l'analyse des mobilisations de minorisés à l'échelon local et urbain (Cinalli et Giugni, 2011 ; Garbaye, 2005 ; Koopmans, 2004) ou ont souligné la dimension « glocale » des orientations politiques des jeunes militants issus de minorités ethniques (O'Toole et Gale, 2010) ; d'autres ont insisté, dans une perspective comparatiste, sur l'importance déterminante du contexte national dans le cadrage de telles mobilisations pour expliquer les stratégies de mobilisation des minorisés, plus que leurs caractéristiques ethniques ou sociales (Ireland, 1994 ; Koopmans et al., 2000, 2004, 2005), quand d'autres encore soulignent le développement, depuis les années 1990, de mobilisations transnationales de migrants (Kastoryano, 1994) et de mobilisations ethniques à l'échelle européenne (Rex, 1992 ; McGarry, 2011). Aidan McGarry montre ainsi comment des militants roms, pour combattre les politiques discriminatoires conduites à l'encontre de leur groupe en Italie en 2007-2008, répondent à une crise, ancrée nationalement, par une action transnationale : construisant une identité transnationale des « roms », ils contournent les structures politiques nationales pour s'adresser à l'Union européenne comme alliée en vue de combattre les politiques discriminatoires menées dans ses États membres (McGarry, 2011). McGarry remarque alors que si « le contexte politique transnational agit comme une ressource importante pour les militants roms qui amplifie leurs voix au-delà du contexte politique national », l'impact de la construction d'une telle identité transnationale n'est en revanche pas très clair en termes « d'intégration en Italie » (McGarry, 2011, p. 293). Ruud Koopmans et ses collègues, dans leur étude comparative portant sur les mobilisations de migrants en Europe (en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne, en Suisse et aux Pays-Bas) durant les années 1990, soulignent les liens étroits observés entre les conditions structurelles (canaux institutionnels, opportunités discursives) définies par la conception de la nation dans chaque pays considéré et le répertoire d'action collective des acteurs mobilisés (Koopmans et al., 2005). Selon eux, ce ne sont pas tant les

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différences de composition des populations immigrantes (selon leur origine) qui expliquent les modalités de leur mobilisation dans différents pays européens, que les conceptions distinctes qu'ont les pays « d'accueil » de leur identité nationale. Ces conceptions se cristalliseraient dans des politiques d'intégration et de citoyenneté spécifiquement nationales : selon que la conception de la nation est civique ou ethnique, les revendications de ces groupes ne rencontreraient pas la même résonance et ils choisiraient alors des modes d'action plus ou moins institutionnels (Koopmans et al., 2005, p. 221 et suivantes). De façon analogue, Marco Giugni et Florence Passy identifient les « récits et les imaginaires collectifs » nationaux comme des facteurs définissant « un espace narratif et d'action » pour les acteurs protestataires antiracistes (Giugni et Passy, 2005). Statham, dans ses travaux comparant les mobilisations politiques de minorisés en Grande-Bretagne, souligne lui aussi que les stratégies revendicatrices distinctes selon le groupe minoritaire observé, s'expliquent avant tout par les différences d'opportunités politiques qui s'offrent aux différents groupes minoritaires, et non par les caractéristiques ethniques de leurs membres (Statham, 1999). Certaines recherches analysent enfin comment le développement d'un cadre juridique antidiscriminatoire, que ce soit aux États-Unis ou plus récemment en Europe, incite les individus à de nouveaux modes de mobilisation et les conduit à user du droit comme une ressource politique. La diffusion du vocable de la discrimination, dès les années 1960 aux États-Unis et depuis les années 2000 en Europe, a ainsi conduit, selon le lexique de la discrimination, à une dénonciation des inégalités vécues et à une mobilisation croissante du statut de victime, ce qualificatif étant désormais pris en compte juridiquement (Lefranc et Mathieu, 2009) et devenant donc pertinent à faire valoir pour rendre audibles des revendications énoncées dans l'espace public et politique. À l'intersection de la sociologie de l'action collective et de la sociologie du droit, des travaux montrent ainsi comment les victimes de discrimination et leurs porte-parole s'approprient le « modèle de protection juridique » (Bumiller, 1987) sur lequel sont fondées les politiques antidiscriminatoires contemporaines. Certains auteurs en soulignent alors les limites : les potentialités offertes par le droit aux personnes discriminées ne sont ni évidentes à investir par elles, ni dénuées de toute ambivalence quant au rôle et à l'identité auxquels le droit les renvoie (Bumiller, 1987,

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1992 ; Crenshaw, 1989). Kristin Bumiller remarque ainsi que les personnes discriminées peuvent être « réticentes à percevoir leur situation comme une conséquence de leur identité de groupe », dans les termes de laquelle il faut pourtant fonder la réclamation juridique (Bumiller, 1987). Dans ce modèle qui peut écarter les victimes pour lesquelles « le langage de la légalité est exclu du discours de la vie quotidienne », la prise en charge de leurs griefs peut être assurée par des organisations militantes. Certaines associations font ainsi de la saisine des tribunaux leur mode d'action collective privilégié. Les travaux de Houda Asal le montrent par exemple dans le cas de mobilisations collectives contre l'islamophobie en France, conduites par des militants s'identifiant comme musulmans (Asal, 2016). Selon Asal, qui évoque une « professionnalisation par le droit », « étant donné le déséquilibre du rapport de forces et les soutiens politiques minoritaires dont les luttes contre l'islamophobie bénéficient, le droit semble représenter une des seules armes dont les militant(e)s disposent ». Sophie Jacquot et Tommaso Vitale ont eux montré comment le droit peut être utilisé comme une ressource pour l'action collective de minorités au niveau européen, au travers de l'exemple du Forum européen des roms et des gens du voyage (FERV) ou European Roma and Travellers Forum (ERTF). Cette organisation parapluie fait un usage stratégique des litiges juridiques, afin d'asseoir sa position au sein de l'espace des organisations de défense des droits des roms en Europe, d'unir ses membres de différents pays et de mettre en lumière la discrimination institutionnelle subie par les populations roms d'Europe : « Cela permet à l'ERTF d'aborder la discrimination subie par les roms en tant que groupe, plutôt que de considérer les cas seulement sur une base individuelle. » (Jacquot et Vitale, 2014, p. 591) Peut-être plus que d'autres domaines de recherche, celui touchant aux mobilisations des minorisés ethniques et raciaux est sensible et évolutif, par les questions qu'il affronte : celles de la minorisation, de la discrimination raciale, du racisme et des demandes de reconnaissance. La circulation des concepts entre espaces académiques européen et états-unien peut dans ce cas être salutaire car les tabous conceptuels dans ce domaine ne sont pas les mêmes de part et d'autre de l'Atlantique. Le dialogue scientifique entretenu par Nonna Mayer est de ceux qui ont permis et permettent encore de nourrir la recherche sur le racisme, sur les discriminations et sur

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ceux qui en font l'expérience et se mobilisent pour revendiquer des droits à la différence ou à l'indifférence. L'ensemble des travaux évoqués ici montre que selon le contexte national des mobilisations de minorisés ethnoraciaux, les réalités et les problématiques ne sont pas les mêmes, car le champ des luttes et le champ théorique s'y sont développés de manière distincte, favorisant par exemple davantage la problématique classiste dans le contexte européen et la problématique raciale dans le contexte états-unien. Au cœur de ces mobilisations collectives est posée la question de la représentation, descriptive et substantive, des personnes et des intérêts. Dans ce sens, même s'il est de plus en plus abordé dans certains travaux de sciences sociales, le questionnement sur l'intersectionnalité et plus précisément sur la place des minorités intersectionnelles dans les mobilisations des minorisés ethniques et raciaux, reste encore largement à investiguer. Cet angle d'approche peut notamment permettre de fournir de nouveaux éléments théoriques et empiriques afin de dépasser l'opposition entre mobilisation identitaire et mobilisation minoritaire.

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ETHNOCENTRISME, EXTRÊME DROITE

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Troisième partie

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Chapitre 9

Que sait-on du Front national ? Alexandre Dézé

L

e Front national (FN) est sans conteste le parti politique français qui a été le plus étudié au cours de ces dernières décennies. À ce jour, pas moins de 210 ouvrages 1 ont été publiés sur la formation frontiste, sans compter les innombrables chapitres de livres, articles de revues, actes de colloques, thèses et mémoires inédits. Dans cette littérature foisonnante, peu de travaux font autant référence que ceux de Nonna Mayer. Paru sous sa codirection à la fin des années 1980, Le Front national à découvert constitue aujourd'hui encore une pièce maîtresse de la bibliographie sur ce parti (Mayer et Perrineau, 1996a [1989]) 2. Publié en 2002, Ces Français qui votent Le Pen reste l'une des contributions les plus substantielles à la compréhension de l'électorat frontiste (Mayer, 2002) 3. Quiconque s'intéresse au FN aura par ailleurs nécessairement pris connaissance des analyses de Nonna Mayer sur les militants d'extrême droite (Klandermans et

1. Qu'il s'agisse d'ouvrages académiques ou d'enquêtes journalistiques, d'essais politiques ou de livres militants anti-FN (n'ont pas été comptabilisés, ici, les écrits des membres du FN ou de ses soutiens). Je remercie Jacques Fontaine, responsable des ressources documentaires du Centre d'études politiques de l'Europe latine ou CEPEL (UMR 5112), pour son aide précieuse dans l'appréciation quantitative de la bibliographie consacrée au Front national. 2. Nonna Mayer est également à l'origine de l'entreprise éditoriale qui a conduit à l'élaboration d'une sorte de second volume actualisé du Front national à découvert (Crépon, Dézé et Mayer, 2015). 3. Pour un aperçu complémentaire des travaux de Nonna Mayer sur les électeurs FN, voir : Mayer, 1987 ; Mayer et Perrineau, 1990 ; Mayer, 1997a ; Mayer, 1999 ; Mayer, 2007a ; Mayer, 2013.

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Mayer, 2001 ; Klandermans et Mayer, 2006), sur la question de la qualification du phénomène extrême droitier (Mayer, 2005, 2007b, 2012), sur l'importance de ce phénomène en Europe (Mayer, 2002, p. 281-312 ; 2009) ou encore sur le racisme et l'antisémitisme (CNCDH, 2015). Produit de près de trente années de recherche, l'œuvre de Nonna Mayer occupe ainsi une place centrale dans la recherche sur l'extrémisme de droite contemporain. Aussi nombreux soient-ils, les travaux sur le FN n'ont suscité à ce jour que peu de bilans critiques (Husbands, 2002 ; Le Bohec, 2005). On pourrait s'en étonner, mais ce serait oublier que le champ de la recherche sur le FN est un champ quelque peu à part où l'on s'embarrasse rarement de considérations épistémologiques (pour quelques rares exceptions, voir Boumaza, 2001 ; Bizeul, 2003, 2008). Cette atypicité tient pour partie à la fragmentation disciplinaire du champ en question et au caractère non académique de la plupart des contributions existantes (il existe ainsi bien plus d'ouvrages journalistiques ou d'essais politiques sur le FN que de livres proprement universitaires). Il semble cependant que l'illégitimité politique de l'objet ait également trop souvent servi de justification tacite à des pratiques de recherche ou d'investigation exceptionnelles. Les travaux sur le FN pâtissent assurément de ce point de vue d'un déficit de « normalisation méthodologique » (Roussel, 2003a ; Dézé, 2008) : les outils théoriques et conceptuels des sciences sociales sont généralement délaissés au profit d'analyses descriptives et normatives ; les méthodes d'enquête prennent parfois un caractère hétérodoxe (l'infiltration 4, la psychanalyse 5) ; l'objet frontiste apparaît souvent traité à distance, sans investigation de terrain et à partir de sources de seconde main 6 ; les connaissances sont rarement produites dans une logique cumulative, tendant à conférer à la littérature un caractère inchoatif où se rejouent toujours, un peu, la même histoire et les mêmes analyses. Cette singularité de la recherche sur le FN permet de mieux comprendre les nombreux écueils et points aveugles de la littérature et, partant, les critiques parfois vives (et quelquefois injustifiées) qu'elle a pu 4. Tristan, 1987 ; Checcaglini, 2012. 5. Jouve et Magoudi, 1988. 6. Le dernier ouvrage de Michel Wieviorka en offre une belle illustration. Dans les premières pages de ce livre, l'auteur remercie Massoud Sharifi Dryaz, doctorant à l'École des hautes études en sciences sociales, pour avoir « intelligemment constitué la documentation nécessaire à [sa] rédaction » (2013, p. 6). Pour un exemple portant sur les partis d'extrême droite en Europe, voir Norris (2005).

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Que sait–on du Front national ?

susciter (Lacroix, 1985 ; Birenbaum, 1992 ; Roussel, 2003a, 2003b ; Lehingue, 2003 ; Collovald, 2004 ; Le Bohec, 2005). En 2005, Jacques Le Bohec pouvait ainsi affirmer que l'« on sait peu de choses sûres à propos du phénomène Le Pen ». L'auteur n'hésitait pas, alors, à comparer la recherche sur le FN à un « fiasco » (2005, p. 4). On ne saurait cependant souscrire à un tel point de vue. Certes, la littérature comporte d'évidentes limites, mais elle se révèle également riche de multiples apports. On tentera ici d'en rendre compte en repartant des principaux questionnements qui ont animé la recherche depuis une quarantaine d'années et en évoquant, à défaut d'une impossible exhaustivité, les principaux travaux qui s'y rattachent.

Une histoire balisée La dimension historique du phénomène frontiste est sans doute l'un des aspects qui a été le mieux étudié. Il faut ici distinguer deux ensembles de travaux. Le premier regroupe les contributions qui se sont intéressées aux antécédents du parti en cherchant à remonter le fil de ses origines doctrinales, à le rattacher à une « famille politique » donnée ou à établir les contours de sa « culture politique » (Milza, 1987 ; Chebel d'Appollonia, 1988 ; Milza, 1992 ; Winock, 1993 ; Camus, 1997a). Ces travaux ont notamment permis d'établir tout un jeu de filiations (idéologiques, discursives, symboliques) entre le FN et la plupart des courants et des mouvements qui ont pu être rattachés à l'extrême droite, qu'il s'agisse de la droite contre-révolutionnaire, du boulangisme, de l'agitation ligueuse, du pétainisme ou encore du poujadisme. On a pu cependant reprocher à leurs auteurs d'occulter les singularités aussi bien contextuelles qu'organisationnelles du parti frontiste (Lacroix, 1985 ; Birenbaum, 1992a) 7 ou encore d'imposer des taxinomies discutables. De ce point de vue, le débat le plus vif a porté sur les liens entre le FN et le fascisme (et donc sur sa qualification en tant que parti fasciste), opposant d'un côté les historiens tenants de la « thèse immunitaire » (Berstein, 1983 ; Berstein et Winock, 2014) et de l'autre, certains politistes (Dobry, 1989, 2003 ; Collovald, 2003) 7. Une tendance également à l'œuvre dans les travaux qui entreprennent de comparer le FN et le contexte dans lequel il évolue à la période et aux mouvements des années 1930 (Liogier, 2013 ; Dély, Blanchard, Askolovitch et Gastaut, 2014).

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s'appuyant notamment sur les travaux de Zeev Sternhell (voir notamment 2000 [1978], 2000 [1983]). Ce débat a mis en jeu des positions a priori inconciliables. Pourtant, on peut être tout à la fois convaincu de l'existence d'un « fascisme français » et, en même temps, rappeler qu'on ne gagne pas grand-chose à considérer le FN comme un parti « fasciste », sinon à « perdre le sens de la distinction » (Miles, 1994, p. 548). Certes, le parti d'extrême droite français a bien été créé par les responsables d'un groupuscule néofasciste avant d'être dominé de 1974 à 1978 par la tendance nationaliste-révolutionnaire de François Duprat. Aujourd'hui encore, on retrouve dans la pensée frontiste certains des composants de ce que Pierre Milza a pu appeler « l'alliage fasciste » (1987, p. 433) : l'hostilité envers la classe politique, l'affirmation d'une identité « sociale, nationale et populaire », l'anticommunisme, l'exaltation d'un État fort, le culte du chef et de l'ordre. Mais ces composants (qui ne sont pas l'exclusivité du FN) sont insuffisants pour dire concrètement ce qu'il est – un constat qui fait aujourd'hui largement consensus (voir par exemple Bihr, 1998 ; Camus, 2003) et qui, contrairement à ce que certains contempteurs des thèses historiques ont pu affirmer (Collovald, 2002 ; Pattieu, 2003), ne revient pas pour autant à relativiser la « dangerosité » du parti (si tant est que ce genre de considération soit recevable d'un strict point de vue académique). Le deuxième ensemble de travaux à dimension historique rassemble des contributions qui ont cherché à retracer a posteriori les grandes étapes de l'évolution politique du FN (Camus, 1997b ; Lecœur, 2003). Cet intérêt pour le passé frontiste a été relancé avec l'élection de Marine Le Pen à la présidence du FN en 2011, donnant lieu à plusieurs publications. Tandis que certaines contributions se contentent souvent de redonner à lire la même histoire déjà bien connue (Simon, 2011), d'autres ambitionnent d'en livrer un point de vue renouvelé en s'appuyant sur des sources inédites – archives, iconographie (Zvonimir, 2011 ; Igounet, 2014) –, en privilégiant la parole des acteurs (Albertini et Doucet, 2013), en s'intéressant à ceux qui « ont fait le parti » (l'ouvrage de Joseph Beauregard et Nicolas Lebourg sur les « numéros 2 » du FN constitue à ce titre l'un des essais récents les plus stimulants sur le parti [2012a]) ou en explorant certains aspects encore méconnus : souvent occultée, la genèse du FN a notamment donné lieu à de précieuses investigations historiques sur ses principaux instigateurs (Beauregard et

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Lebourg, 2012b ; Beauregard, Lebourg et Preda, 2014), mais aussi à des analyses plus sociologiques centrées sur les modalités de la fabrique partisane frontiste(Aït-Aoudia et Dézé, 2011).

La lutte pour l'imposition d'une taxinomie légitime La question de la qualification du Front national a constitué l'une des autres préoccupations majeures de la recherche sur ce parti. Dans la littérature, les labels n'ont cessé de s'accumuler, témoignant de l'impossibilité manifeste de parvenir à un consensus taxinomique pour désigner l'organisation frontiste : « nationalpopulisme » (Taguieff, 1984a, 1984b), « droite nationale-populiste » (Genga, 2015), « extrême droite » (Camus, 1985 ; Hainsworth, 1992), « droite radicale » (Merkl et Weinberg, 1993), « populisme de droite radicale » (Betz, 1994), « nouvelle droite radicale » (Kitschelt, McGann, 1995), « parti anti-immigrés » (Gibson, 1995), « populisme nationaliste » (Viard, 1996), « nouvelle droite » (Poirier, 2001), « nouvelle droite néofasciste » (Davies et Lynch, 2002), « populisme » (Wieviorka, 2013), « néopopulisme » (Lecœur, 2003), « extrême droite populiste » (Perrineau, 2004), « nouveau nationalpopulisme » (Taguieff, 2012), etc. L'intensité de cette « guerre des mots » (Mudde, 1996) s'est trouvée décuplée dans les travaux sur les partis d'extrême droite en Europe : à la fin des années 2000, on ne recensait pas moins d'une soixantaine de labels différents pour désigner une vingtaine de formations en activité (Dézé, 2007). Ce phénomène est sans équivalent dans la recherche sur les partis politiques et, pourtant, il n'a donné lieu qu'à quelques rares tentatives d'explication. Or, on gagne ici à « prendre pour objet la difficulté même de l'identification en en faisant non seulement un problème de construction de l'objet mais aussi une propriété de l'objet » (Pudal, 1994, p. 203). Dans le cas du FN, l'absence d'accord classificatoire s'explique notamment par le caractère idéologiquement hétérogène et mouvant du phénomène frontiste, mais aussi par l'existence de traditions d'analyse antagoniques dont découle un usage privilégié de certains labels (Mudde, 1996 ; Backes, 2001). Il faut encore tenir compte des logiques de « champ » (Bourdieu, 1997) et notamment des perspectives de profits associées à l'imposition de nouvelles catégorisations, qui offrent potentiellement autant d'occasions de se positionner dans l'espace de production des

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savoirs sur le FN (Collovald, 2003, 2004). On ne saurait comprendre autrement l'existence dans cet espace de concepts aussi improbables que celui de « napisme » – contraction de national-populisme (Wallon, 1999) – ou de « populisme liquide » (Liogier, 2013). Faut-il pour autant renoncer à toute entreprise de catégorisation du FN ? L'exercice perd de son heuristique dès lors qu'il devient l'objet même de la recherche au lieu de rester un préalable à la recherche. Mais comme le rappelle Daniel Gaxie, « pour analyser sociologiquement des partis et leurs sympathisants, il faut bien caractériser et donc nommer leurs manières de voir » (Gaxie, 2006, p. 224). Or, nommer, ou classer, ce n'est pas forcément essentialiser. Il semble en effet possible de pouvoir qualifier un parti tout en conciliant cet impératif méthodologique avec un regard attentif aux modalités de production des identités partisanes ou à leurs usages différenciés par les agents partisans. Bien plus, il n'est pas interdit de penser qu'il serait possible, dans le cas du FN, de parvenir à un accord minimal en ce qui concerne sa labellisation – et ce, sans que cette opération s'apparente à un « coup de force symbolique qui institue le chercheur en position de juge suprême de la lutte des classements » (Offerlé, 1997 [1987], p. 16 ; voir aussi Dobry, 2005). On peut ainsi s'étonner de la résilience de certaines catégories alors même qu'elles ont déjà donné lieu à d'abondantes discussions. Il est ainsi remarquable qu'une notion « si franchement condamnable » (Geertz, 2001, p. 43) et si franchement condamnée que celle de « populisme » (Taguieff, 2002 ; Collovald, 2004 ; Dézé, 2004) ait pu connaître un usage inflationniste dans les travaux sur le FN et sur ses homologues européens. De même, on peut s'étonner que les notions de « droite radicale » ou de « nouvelle droite » n'aient pas encore été écartées de la gamme des labels autorisés pour désigner l'organisation frontiste. La première renvoie en effet à une double tradition politique bien connue qui n'entretient guère de rapport avec le FN – la droite américaine telle qu'a pu s'incarner dans des mouvements comme le maccarthysme, et la droite italienne portée par des organisations aux objectifs illicites, tels que Avanguardia nazionale, Ordine nero ou Squadre di Azione Mussolini. Quant à la notion de nouvelle droite, elle réfère également à deux courants bien établis : d'un côté, le néoconservatisme des années 1960-1970 aux États-Unis et en Grande-Bretagne (New Right), de l'autre, le courant métapolitique et culturel (Nouvelle Droite) qui s'est notamment constitué en France autour du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation

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européenne (Grece) fondé en 1968 et de ses revues Nouvelle École et Eléments, puis du Club de l'Horloge (fondé en 1974 par d'anciens membres du Grece) – courant que l'on retrouve sous des formes plus ou moins diverses un peu partout en Europe (DurantonCrabol, 1988 ; Taguieff, 1994). Subsiste donc, parmi les concepts de base, celui d'extrême droite, qui n'est certes pas exempt de critiques (Camus, 1997b ; Mayer, 1999 ; Le Bohec, 2005), mais qui présente le mérite de reposer sur un double critère positionnel et idéologique (Ignazi, 1994). Si le FN peut être qualifié de parti d'extrême droite, c'est parce qu'il occupe la position la plus à droite de l'échiquier politique (ce qu'indiquent les diverses données d'enquêtes, aussi peu satisfaisantes soient-elles : analyses du Manifesto Group Research, enquêtes qualitatives et quantitatives auprès des électeurs, sondages auprès d'experts) et qu'il est porteur d'un ensemble de traits doctrinaux qui le distinguent de la droite républicaine : un nationalisme de type conservateur axé sur la préservation de la nation française et de son héritage identitaire ; un néoracisme fondé sur l'interprétation des différences en termes d'inégalités et l'affirmation de la préférence identitaire comme une évidence naturelle ; la préférence accordée aux nationaux en matière d'accès aux droits sociaux (ce que les observateurs anglo-saxons nomment le « chauvinisme du bien-être », le welfare chauvinism) ; la revendication d'un « État fort » (au sens régalien du terme) ; et enfin un « antisystémisme » (voire pour certains auteurs un « antidémocratisme ») qui se manifeste par le rejet des fondements axiologiques et politiques du régime démocratique français – soit autant de traits que l'on retrouve dans les définitions génériques de l'extrême droite proposées par Cas Mudde (1996), Gilles Ivaldi et Marc Swyngedouw (2001) ou encore Roger Eatwell (2004).

De l'identification des causes à l'obsession étiologique Entre 1972 et 1984, le Front national ne suscite guère d'intérêt académique – les travaux sur cette phase groupusculaire de l'histoire du parti restant à ce jour encore relativement rares. L'attention portée au FN change cependant avec les premiers succès électoraux que le parti obtient au milieu des années 1980. La principale question qui retient alors l'attention des observateurs porte sur les causes du phénomène. Sont invoqués, pêle-mêle, l'arrivée de la

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gauche au pouvoir, la crise de l'État providence, la contestation croissante des formes traditionnelles de médiation politique, le scrutin proportionnel (aux élections européennes de 1984 et aux élections législatives de 1986), la montée du chômage, l'anomie urbaine, la déstructuration des systèmes d'intégration sociale traditionnels, les préoccupations sécuritaires, le brouillage du clivage gauche-droite, la mondialisation, le traitement médiatique du FN, les qualités oratoires et télévisuelles de Jean-Marie Le Pen, les fondements de la rhétorique frontiste, la politisation de l'immigration (Plenel et Rollat, 1984 ; Taguieff, 1984a, 1984b ; Honoré, 1985 ; Charlot, 1986 ; Perrineau, 1988 ; Ignazi, 1996 [1989] ; Mayer et Perrineau, 1996b [1989]). Cette combinaison de facteurs apparaît quasiment invariable dans le temps et peut être convoquée pour expliquer le renouveau du phénomène frontiste qui s'est opéré à partir de 2011 sous la présidence de Marine Le Pen (Perrineau, 2014). L'émergence du Front national – et plus largement des partis d'extrême droite en Europe – a également donné lieu à l'élaboration de modèles d'interprétation plus globaux. Hans-Georg Betz (1994), Herbert Kitschelt et Anthony McGann (1995) ou encore Piero Ignazi (1992, 1994) insistent ainsi sur les conséquences sociales et économiques de l'avènement d'un « capitalisme postindustriel individualiste » (fragmentation des groupes d'appartenance traditionnels, requalification et réorganisation du travail, augmentation du sentiment d'insécurité matérielle, diversification culturelle et ethnique) combinées aux effets d'une « contre-révolution silencieuse » (émergence d'un pôle de valeurs autoritaires en réaction à la diffusion des valeurs du libéralisme culturel). L'apparition des partis d'extrême droite s'expliquerait ainsi par leur capacité à proposer une « réponse » politique « gagnante » combinant revendications néolibérales et autoritaires, dénonciation de l'immigration comme facteur explicatif de la crise et critique antipolitique 8. L'ensemble de ces travaux ont permis de prendre la mesure de l'importance d'un certain nombre de facteurs dans l'apparition du Front national et, plus largement, du phénomène extrême droitier. Ils ont en revanche contribué à installer une tendance lourde de la recherche qui a consisté, par la suite, à ne plus jamais cesser de s'interroger sur les causes du succès ou de l'échec des partis d'extrême droite (par exemple : De Witte et Klandermans, 2000 ; 8. Pour une synthèse des éléments explicatifs de l'émergence des partis d'extrême droite en Europe, voir Rydgren (2002).

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Betz, 2002 ; Heinisch, 2003 ; Carter, 2005 ; Mammone, Gaudin et Jenkins, 2012). On ne compte plus à ce titre les contributions qui entendent isoler la variable explicative du phénomène, l'objet disparaissant parfois derrière d'improbables équations pour ne devenir prétexte qu'à de simples jeux mathématiques (par exemple : Knigge, 1998 ; Golder, 2004) 9. On ne peut que regretter cette dérive étiologique des travaux qui non seulement déplace l'attention des observateurs en amont du phénomène à expliquer (Dobry, 1986), mais qui se révèle en outre dénuée d'apports pour la recherche. Mobilisant des outillages méthodologiques et empiriques différents, les observateurs sont en effet incapables de s'entendre sur le poids respectif des différentes variables explicatives. Ainsi, pour ne prendre qu'un seul exemple, les effets du mode de scrutin sur l'émergence et le succès des partis d'extrême droite ne seraient « pas clairs » selon Elisabeth Carther (2002, p. 134) ; pour Herbert Kitschelt et Anthony McGann, ils seraient « modestes » (1995, p. 58) ; et pour John Veugelers et André Magnan (2005, p. 838), ils seraient « forts ». Il paraît ainsi difficile de statuer en faveur d'un type particulier de relation entre éléments contextuels et phénomène extrême droitier. Mais ce n'est pas le seul reproche que l'on peut adresser à ces travaux. En mettant l'accent sur les causes exogènes du phénomène, les chercheurs ont eu non seulement tendance à considérer l'émergence et le succès des partis d'extrême droite comme la « conséquence passive » (Mudde, 2007, p. 4) de bouleversements conjoncturels, mais en outre à délaisser l'analyse de la dimension endogène du phénomène. Les observateurs s'accordent certes pour considérer l'offre politique de ces partis comme une variable explicative importante (Eatwell, 2003). Mais là encore, le point de vue macroscopique tend à l'emporter. En ce sens, l'apparition des partis d'extrême droite reste souvent appréhendée comme le résultat soit d'une « rencontre » entre cette offre et une conjoncture donnée, soit de l'ajustement de la « réponse » (Betz, 1994) apportée par ces partis à de nouvelles demandes sociales qui se seraient constituées de manière autonome. De fait, il faut bien admettre que l'on ne s'est guère attaché à rendre compte des modalités concrètes de politisation de ces demandes (fabrique programmatique, propagande graphique, mobilisations militantes, travail de 9. Au milieu des années 1980, Hervé Le Bras (1986) avait déjà tenté de ramener le phénomène frontiste à l'équation suivante : « Vote FN (%) = [6 + 1,7 x étrangers (%)] + faible résidu ».

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terrain, etc.). De la même manière, le « charisme » des leaders, leurs « dons » d'orateur ou leur « télégénie » sont généralement considérés comme des facteurs explicatifs de l'émergence des partis d'extrême droite. Cependant, tout se passe comme s'il s'agissait de propriétés innées agissant par magie 10 ; en somme, on se demande rarement si ces « qualités » ne sont pas également redevables du travail des cellules de communication des organisations partisanes, des stratégies de représentation qu'elles élaborent pour les leaders, des dispositifs de propagande qu'elles mettent en place, etc. (Hameau, 1992 ; Lecœur, 2003 ; Dézé, 2012). Dans ces conditions, on comprend mieux que les partis d'extrême droite soient si rarement regardés comme responsables de leur propre réussite politique. Concernant plus particulièrement le FN, il faut ainsi rappeler que son émergence politique relève également d'une stratégie électoraliste se traduisant par toute une série d'ajustements : présidentialisation de l'image de Jean-Marie Le Pen, mobilisation des techniques de marketing à des fins de normalisation de la communication du parti, utilisation ponctuelle de nouveaux labels à vocation légitimante (l'étiquette « Rassemblement national » pour les élections législatives de 1986), débauchage de cadres dirigeants issus d'autres formations politiques à des fins de respectabilisation, création d'un conseil scientifique visant à assurer le « rayonnement intellectuel » du parti, etc. (Birenbaum, 1992a ; Dézé, 2012).

Un électorat composite Qui vote Front national et pourquoi ? Cette interrogation n'a jamais cessé d'animer la recherche depuis le milieu des années 1980, générant une littérature abondante sur le vote FN – ou plutôt sur les votes FN. Il faut en effet se garder d'homogénéiser le corps électoral frontiste. Non seulement parce qu'il se renouvelle pour moitié à chaque élection – la proportion des électeurs qui sont restés fidèles à la « marque » frontiste depuis son émergence n'excède pas 3 % des inscrits (Lehingue, 2003, p. 255) –, mais aussi parce qu'il apparaît très hétérogène dans le temps et dans l'espace. En somme, l'électeur-type du FN est un « mythe » (Mayer, 1997b, p. 9). 10. Comme le note Roger Eatwell (2005), la faiblesse numérique des travaux qualitatifs ne permet toujours pas de comprendre comment fonctionnent concrètement les interactions entre leaders charismatiques et électeurs d'extrême droite.

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Concernant la sociologie du vote FN, et pour s'en tenir tout d'abord aux données d'enquêtes quantitatives (parmi une littérature abondante, voir Perrineau, 1985, 1995, 1997, 2014 ; Mayer et Perrineau, 1990, 1996a [1989] ; Roy, 1993 ; Evans, 2000 ; Mayer, 1987, 2002, 2007a, 2012, 2013), il convient de rappeler que, dès 1984, le parti parvient à capter des soutiens dans l'ensemble des catégories sociales – même si, selon les périodes, ces soutiens vont se montrer plus ou moins prompts à voter FN. Lors des élections européennes de 1984, le parti obtient ainsi ses meilleurs scores parmi les classes les plus aisées et les plus instruites de la population, chez les industriels et les gros commerçants et chez les professions libérales. En 1988, c'est surtout chez les petits commerçants et les artisans que Jean-Marie Le Pen recueille les soutiens les plus importants. Puis, lors du scrutin de 1995, le président du FN effectue une percée remarquable chez les ouvriers et chez les chômeurs. En 2002, il élargit encore le socle de ses soutiens en captant le vote des milieux ruraux et agricoles. Aujourd'hui, c'est parmi les personnes les moins diplômées, les chômeurs et les ouvriers qu'il recueille les suffrages les plus élevés. Précisons que ces ouvriers « frontistes » ne sont qu'une minorité à se déclarer de gauche (9 % à l'élection présidentielle de 2012 11) et qu'ils appartiennent à une génération différente de celles des ouvriers qui autrefois accordaient leur soutien au PCF (Gougou, 2012). S'il faut les « qualifier », on préférera donc parler d'« ouvriéro-lepénisme » ou de « droito-lepénisme » (Mayer, 1999, 2007b), plutôt que de « gaucho-lepénisme » (Perrineau, 1995). Bien que l'électorat du FN soit resté interclassiste, certaines catégories de la population demeurent cependant plus réfractaires que d'autres à voter Front national. Les cadres du secteur public et des entreprises, les professions intellectuelles et artistiques restent ainsi peu attirés par l'organisation frontiste (Mayer, 2015). De même, si elles sont aujourd'hui plus nombreuses à voter pour le FN qu'autrefois, les femmes apparaissent toujours moins enclines que les hommes à soutenir le parti (Mayer et Sineau, 2002 ; Mayer, 2015 ; Dézé, 2016). Enfin, celles et ceux qui votent FN continuent de se distinguer par l'importance qu'ils accordent à certains enjeux (au 11. Selon les résultats de l'Enquête électorale française 2012 du Centre d'études européennes (CEE). Sur l'ancienneté de ce mythe du vote de gauche pour le FN, voir Rey et Platone, 1996 [1989].

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premier rang desquels l'immigration et l'insécurité), mais aussi par un niveau élevé d'opinions antisémites (CNCDH, 2015). Issues des grandes enquêtes électorales, ces données n'épuisent pas la complexité sociale des comportements électoraux. Il faut à ce titre insister sur les apports des quelques travaux de nature qualitative qui se sont efforcés de donner la parole aux électeurs et/ou de saisir les votes en les ré-encastrant dans leur « substrat social » (parfois au moyen de procédés littéraires particulièrement bienvenus ; Lebourg, 2016). Ils démontrent avec force, et contre la tendance permanente à la réification des agrégats collectifs, l'hétérogénéité des trajectoires socio-biographiques qui « conduisent » à glisser un bulletin frontiste dans l'urne, la variabilité des discours de justification de ce vote ou encore la diversité des usages qui peuvent être faits de la marque frontiste (Blondel et Lacroix, 1996 [1989] ; Le Bohec, 1999 ; Duret, 2004 ; Pierru et Vignon, 2008 ; Savarèse, 2011 ; Négrier, 2012 ; Barone et Négrier, 2015 ; Marchand-Lagier, 2015). De ce point de vue, les électeurs FN sont bien des électeurs « comme les autres » (Marchand-Lagier, 2017). Les travaux de géographie électorale confirment ce caractère kaléidoscopique des votes FN – à l'instar de la littérature, qui apparaît ici plus dispersée. Les publications existantes proposent en effet un panorama assez éclaté des logiques spatiales de vote, saisies dans différentes zones et à différentes échelles, mais sans offrir pour l'heure une analyse écologique globale des comportements électoraux frontistes. Ces contributions n'en sont pas moins riches d'enseignements. Elles démontrent tout d'abord que la géographie des votes FN s'est progressivement diffusée sur le territoire (Perrineau, 1997 ; Buléon et Fourquet, 2003), selon un gradient Est-Ouest déjà repérable lors des élections législatives de 1986 (exception faite de la vallée de la Garonne), tout en se développant précocement dans deux zones de force : le Nord-Est et le pourtour du bassin méditerranéen (la région Provence-Alpes-Côte d'Azur constituant de ce point de vue l'un des principaux bastions frontistes en même temps qu'un laboratoire d'étude privilégié : Traïni, 2002 ; Gombin, 2010, 2012). C'est dans ces espaces que le parti d'extrême droite continue aujourd'hui de progresser et qu'il concentre, depuis le milieu des années 1990, la très grande majorité de ses municipalités et de ses élus départementaux (Soudais, 1996 ; Martin, 1996 ; Ivaldi, Martin et Lespinasse, 1999). Cette géographie révèle des différences. Au nord, le FN s'est développé sur fond de désindustrialisation et de délocalisation, son électorat

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est à dominante populaire et concentre les difficultés (chômage, faible niveau de diplômes, faible niveau de revenus, sentiment d'être abandonné par la puissance publique). Au sud et dans la vallée de la Garonne, la précarité (et davantage encore la peur de tomber dans la précarité) constitue également un important facteur de vote pour le FN. Mais on note des singularités. Au bord de la Méditerranée, l'électorat frontiste compte en effet un nombre plus important de retraités, de catégories socioprofessionnelles supérieures, d'indépendants ; il apparaît plus attaché aux valeurs traditionnelles, il est plus libéral, économiquement, et plus marqué par le souvenir de l'Algérie française. Cette carte électorale frontiste n'est cependant pas figée et connaît de régulières recompositions. Si le vote FN était à l'origine un vote urbain, il s'est progressivement « ruralisé » à partir du milieu des années 1990 (Gombin, 2015). Le « gradient d'urbanité » (c'est‑à-dire la distance qui sépare la commune de résidence de la grande agglomération la plus proche) est ainsi devenu un facteur explicatif important de la géographie électorale du Front national – même s'il ne se vérifie pas de manière systématique (Négrier, 2012). Ce phénomène permet également de comprendre pourquoi la carte du vote frontiste ne correspond plus aux territoires où sont installées les populations d'origine immigrée, puisque ces populations vivent pour l'essentiel dans les zones urbaines. Ainsi, le soutien accordé au FN se nourrit bien de la peur de l'autre, mais cette peur apparaît aujourd'hui plus fantasmée qu'elle ne tient à une fréquentation immédiate des populations d'origine étrangère. Les travaux existants soulignent encore la variabilité spatiale des logiques de vote qui diffèrent ainsi d'une région à l'autre – de l'Alsace (Schwengler, 2002) au Languedoc-Roussillon (Négrier, 2012) –, d'un département à l'autre – du Nord-Pas-de-Calais (Giblin, 1988) aux Bouches-du-Rhône (Blöss, Rouan et Ascaride, 1999) –, d'une commune ou d'un quartier à l'autre – de Passy (Mayer, 1987) à Carignan (Barone et Négrier, 2015) –, ou même au sein d'une même municipalité (sur le cas de Perpignan, voir Fourquet, Lebourg et Manternach, 2014). En somme, il n'existe pas de lien mécanique entre le vote FN et les facteurs généralement invoqués pour l'expliquer (taux de chômage, insécurité, part des résidents immigrés, etc.). Ces « relations spatiales » peuvent encore varier en fonction de l'échelle de référence (Ravenel, 2003). Au moment de l'émergence politique du FN, on observe ainsi que le parti d'extrême droite obtient ses meilleurs scores dans les

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départements où la part des immigrés dans la population est la plus importante (Mayer, 1996 [1989], p. 249). Mais cette relation s'estompe dès lors que l'on change d'échelle pour se situer au niveau de la commune (Rey et Roy, 1986). Ainsi, au niveau géographique comme au niveau sociologique, l'électorat du FN est bien un électorat pluriel (une remarque qui s'applique tout aussi bien aux autres électorats partisans).

Militer au Front national La question du militantisme frontiste est longtemps restée à l'écart des préoccupations de la recherche sur le FN. Comme pouvaient encore le souligner Bert Klandermans et Nonna Mayer au début des années 2000, « autant les bases électorales [des partis d'extrême droite] ont été largement étudiées, autant les militants et leur rôle sont ignorés » (2001, p. 147). À cette époque, la littérature ne comptait que quelques rares travaux (la plupart inédits) sur les militants du FN (Orfali, 1990 ; Choffat, 1994 ; Ivaldi, 1994). Cette indifférence (qui a également longtemps prévalu dans la recherche sur les partis d'extrême droite en Europe) peut s'expliquer par différents facteurs tels que la focalisation des travaux sur la dimension exogène et étiologique du phénomène extrême droitier (voir supra), le caractère « réputé difficile » d'un travail de terrain en « milieu extrême » (Boumaza, 2001 ; Duret, 2004), les conditions restrictives imposées par la direction du parti (Crépon, 2006) ou les difficultés attenantes à la réalisation d'entretiens avec ses membres (Roussel, 2003). L'engagement politique au FN a cependant connu un véritable regain d'intérêt à partir des années 2000 (bénéficiant sans doute, en cela, du renouveau des travaux sur l'action collective en France au cours des années 1990). Les enquêtes se sont multipliées, s'adossant le plus souvent à la sociologie du militantisme (contrairement à ce que pourraient laisser à penser certains bilans un peu rapides de la littérature : Roussel, 2003a, 2003b) et permettant de combler un vide important dans la connaissance du phénomène frontiste. Cet effort de normalisation méthodologique a notamment permis de mettre au jour la « relative normalité » des militants frontistes au regard d'un certain nombre de présupposés en vigueur : « la plupart ne sont ni des asociaux, ni des marginaux, ni des “perdants de la modernisation”. Et ils n'offrent qu'une

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lointaine ressemblance avec la personnalité autoritaire quasi pathologique décrite par Adorno ou avec “l'homme de violence” de Billig » (Klandermans, Mayer, 2001, p. 159). Pas plus que dans les autres partis, l'engagement au FN (ou au sein de son organisation de jeunesse, le Front national de la jeunesse ou FNJ) n'apparaît par ailleurs dépendant de trajectoires sociales ou politiques particulières. Valérie Lafont (2001) distingue à ce titre trois modèles assez ordinaires d'entrée dans la carrière militante (qui se vérifient dans la plupart des autres travaux, voir Orfali, 2001 ; Bruneau, 2002 ; Roussel, 2003a) : l'héritage ou la continuité, l'engagement militant s'inscrivant ici dans une filiation familiale marquée par un ancrage générationnel à l'extrême droite et suscitant le « devoir » social et affectif de poursuivre l'action ; la rupture, provoquée tout aussi bien par un décrochage avec la socialisation familiale première que par une « modification de l'environnement » (événement conjoncturel, déménagement, mutation, changement de nature scolaire, etc.) ; la politisation ou la découverte du politique, l'entrée dans la carrière militante s'effectuant ici sur la base d'un « besoin d'intégration sociale », le FN étant alors perçu comme un « monde de substitution » permettant de « compenser des trajectoires sociales désocialisantes et de renverser les stigmates sociaux et politiques » (Lafont, 2001, p. 175). L'idéologie n'est certes pas absente des ressorts de l'engagement. Mais elle est loin de constituer un principe exclusif. D'une part, « il s'en faut de beaucoup qu'il y ait un alignement de tous les militants sur [les] théories » du FN (Bizeul, 2003, p. 284 ; voir aussi Marchand-Lagier, 2017). Et d'autre part, l'offre doctrinale du parti – dont la version officielle ne correspond pas forcément à celle des militants (Lafont, 2006 ; Crépon, 2006) – apparaît inégalement investie et maîtrisée par les membres du parti, même si, comme le note Violaine Roussel, « les individus les plus “dominés”, habités par un fort sentiment d'incompétence politique […], se révèlent capables d'emprunter des éléments du discours officiel des leaders pour justifier leur adhésion et leur action » (2003b, p. 85). Il faut donc admettre que le militantisme frontiste s'explique par une économie somme toute assez conventionnelle, qu'il s'agisse de la possibilité d'intégrer des réseaux de sociabilité, d'éprouver collectivement la politique au travers de différents types d'actions partisanes (meetings, réunions de section, université d'été, formation,

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collage, tractage, etc.), d'accéder à des ressources ailleurs inaccessibles (candidatures électorales, occupation de postes) ou de partager une même vision du monde, qui reste, elle, singulière (Boumaza, 2002). L'engagement est enfin vécu, comme dans toutes les organisations, sur un mode différencié. Comme le souligne Violaine Roussel (2003a), il peut être « affiché » ou « discret » (tout dépend de la capacité à endosser le coût du stigmate lié au port d'une « identité politique encombrante »), « politisé » ou « indifférencié » (selon le degré de compétence politique et la place accordée à l'engagement dans la vie sociale). Ces enseignements de la sociologie du militantisme frontiste restent encore valables aujourd'hui. Pas plus que par le passé, les militants du FN mariniste ne présentent en effet un « nouveau visage » – pour reprendre une appellation médiatique devenue routinière 12. Il suffit, pour en prendre la mesure, de lire les dernières enquêtes de Sylvain Crépon (2012), de Claire Checcaglini (2012) et de Charlotte Rotman (2014). Comme hier, il n'existe toujours pas de profil type de militant FN : les origines sociales et politiques, les trajectoires biographiques et les profils socioprofessionnels restent hétérogènes, de même que les logiques de l'engagement ou les modes d'investissement. Enfin, la fonction socialisatrice de l'organisation partisane frontiste semble continuer de jouer un rôle important pour des militants souvent soumis à des formes diverses de déclassement (Boumaza, 2002 ; Bizeul, 2003). Le FN constitue ainsi un parti, mais aussi une « sous-société », pour reprendre une terminologie ancienne de Guy Birenbaum (1992a), pourvoyeuse d'un espace social alternatif permettant de vivre, sur le mode de l'entre-soi, une relation au monde construite et perçue comme illégitime (Crépon, 2012). Ne manquent, plus, dans ce panorama, que des travaux de nature quantitative. Au terme de près de quarante années de recherches, on peut en effet s'étonner qu'aucune enquête d'envergure de ce type n'ait été menée sur les militants frontistes – même si, ici, le cas du FN ne fait guère exception par rapport aux autres organisations partisanes françaises.

12. Voir par exemple : « Les nouveaux visages du Front national », leparisien.fr, 1er avril 2014 ; « Les nouveaux visages du Front national en banlieue parisienne », bfmtv. com, 3 octobre 2016.

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La question de la « nouveauté » du Front national mariniste Tombé en désuétude à la fin des années 2000, l'intérêt pour le FN est de nouveau particulièrement vif depuis que Marine Le Pen a été élue à sa présidence en janvier 2011. Pas moins de 27 ouvrages ont été publiés entre 2011 et 2012 13. Et depuis lors, la production académique n'a cessé de s'intensifier (21 ouvrages en 2014). Inédit dans l'histoire politique du Front national, le renouvellement de leadership frontiste a certes suscité quelques essais de nature biographique sur Marine Le Pen (Fourest et Venner, 2011 ; Machuret, 2012), mais il a surtout nourri des interrogations sur d'éventuelles perspectives de changement au sein du parti d'extrême droite (Delwit, 2012 ; Crépon, 2012 ; Shields, 2012). Parfois entamées avant même l'élection de la nouvelle présidente (Liszkai, 2011), les réflexions prospectives sur l'avènement d'un « nouveau FN » n'ont cependant pas tardé à se teinter d'incantations prophétiques auto-réalisatrices. Aujourd'hui, l'idée selon laquelle le FN aurait changé, se serait « normalisé » ou « dédiabolisé » s'est imposée comme une véritable doxa dans le champ politico-médiatique (Dézé, 2015). Or, s'il est évident que le Front national s'inscrit dans une dynamique électorale retrouvée, son évolution récente ne saurait être considérée comme le produit d'une mutation partisane (Crépon, Dézé et Mayer, 2015). Croire que l'organisation frontiste a changé procède à ce titre d'une double ignorance : ignorance relative au caractère nécessairement complexe, incertain et chronophage de tout processus de transformation partisane ; ignorance relative à la réalité même du phénomène frontiste. Il faut ici émettre l'hypothèse que la plupart de celles et ceux qui commentent quotidiennement l'actualité du Front national n'ont guère parcouru les diverses contributions évoquées ici. Ainsi, la stratégie de dédiabolisation a pu être présentée tout à la fois comme une nouveauté au FN en même temps que la clé d'explication de son succès actuel. Mais c'est oublier qu'elle fait partie intégrante du répertoire stratégique ordinaire du parti, que le développement électoral de l'entreprise frontiste s'est toujours doublé d'un travail de « respectabilisation » dans le but d'attirer de nouveaux soutiens (Birenbaum, 1987, 1992b ; Crépon, 2012 ; Dézé, 13. Sans doute en raison du calendrier électoral, mais aussi des quarante ans d'existence du parti, créé en 1972.

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2012) et que les actions que mène Marine Le Pen depuis 2011 – de l'euphémisation du discours (Taguieff, 1986a) à la création d'un think tank (Dézé, 2002) – ont été déjà menées par le passé. Il en va de même en ce qui concerne le programme du FN. Les analyses récentes démontrent en effet assez bien le caractère invariable des fondamentaux du parti (le rejet du « système », la préférence nationale, la défense de la nation, l'europhobie, le rejet de « l'immigration massive », l'islamophobie, le principe de mise en corrélation du chômage et de l'immigration, la dénonciation de l'« insécurité » comme « fléau humain et économique », l'antimondialisme, la restauration de la souveraineté populaire, le rétablissement de la peine de mort, etc. (voir Taguieff, 1986b, 1996a [1989], 1996b [1989] ; Taguieff et Tribalat, 1998 ; Davies, 1999). Même la thématique sociale qu'on a pu présenter comme un élément novateur fait partie des orientations du parti depuis le début des années 1990 (Soudais, 1996 ; Roy, 1998). Certes, son importance s'est accrue dans l'offre du parti, et on compte bien par ailleurs quelques nouvelles propositions programmatiques, notamment en ce qui concerne le volet économique (Ivaldi, 2015), mais elles sont loin d'entamer le cœur du logiciel frontiste. De même, les positions de Marine Le Pen sur la laïcité, le féminisme ou l'homosexualité peuvent apparaître inédites, mais elles restent en réalité profondément travaillées par les préconceptions frontistes dans la mesure où elles visent à fonder l'illégitimité culturelle et politique des populations de confession musulmane (Crépon, 2012). Cette invariance vaut encore pour ce qui concerne le discours de la présidente frontiste, dont les « implicites idéologiques » restent conformes à ceux du discours de Jean-Marie Le Pen (Souchard et al., 1998 ; Alduy et Wanisch, 2015). De même, si l'organigramme du parti a été sensiblement modifié, le FN n'en continue pas moins de fonctionner comme un « champ de luttes » entre différents groupes d'individus qui ne partagent pas forcément les mêmes orientations doctrinales et stratégiques (Camus et Monzat, 1992 ; Mestre et Monnot, 2011). Enfin, il faut bien convenir que ni la sociologie ni la géographie des votes FN n'ont connu pour l'heure de véritables bouleversements (Mayer, 2013 ; Gombin, 2015), à l'exception d'une hausse non pas du vote mais des intentions de vote des fonctionnaires (déjà positionnés à droite, et de catégorie C pour l'essentiel) pour les régionales de 2015 (Rouban, 2015) – une évolution dont on ignore pour l'heure si elle est ponctuelle ou vouée à s'amplifier et à se vérifier lors des scrutins de 2017.

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Continuer à « découvrir » le Front national Aussi riche et dense soit-elle, la recherche sur le FN n'en compte pas moins encore un certain nombre de chantiers à consolider et de pistes à explorer. Il est tout d'abord manifeste que la recherche gagnerait à établir une meilleure connexion entre l'objet et la théorie. Il est ainsi regrettable que le Front national ne soit pas davantage abordé avec les outils de la sociologie des organisations partisanes (Birenbaum, 1992b ; Ivaldi, 1998 ; Declair, 1999 ; Dézé, 2008 ; Amjahad et Jadot, 2012), ce qui permettrait peut-être de limiter les inepties du discours ordinaire sur la « nouveauté » supposée du parti. Un même effort de normalisation méthodologique serait souhaitable en ce qui concerne l'étude des élites partisanes frontistes. On gagnerait ainsi à abandonner le registre sensationnaliste des biographies des dirigeants pour privilégier une étude sociologique des cadres du parti (Birenbaum et François, 1996 [1989] ; Ysmal, 1996 [1989]). Il faut ainsi se souvenir que la dernière enquête (qui est aussi la seule, à notre connaissance) sur les responsables intermédiaires du parti date du tout début des années 1990 (Ysmal, 1991 ; Ignazi et Ysmal, 1992). De ce point de vue, on ne saurait oublier qu'en dépit de la légitimité de l'objet, le FN n'est étudié en France que par quelques chercheurs (dont la plupart sont par ailleurs dépourvus de positions académiques statutaires). Ce qui explique qu'en dépit d'un nombre pourtant considérable de travaux, il reste encore nombre d'aspects à étudier, qu'il s'agisse du rapport que les jeunes générations entretiennent avec le FN mariniste (Crépon, 2012), du traitement médiatique du parti (Le Bohec, 2004a, 2004b), de sa stratégie de communication numérique (Dézé, 2011 ; Boyadjian, 2015 ; Albertini et Doucet, 2016), de ses modalités de déploiement au niveau local, de la sociologie de ses candidats (Troupel, 2013), de ses structures périphériques (Camus et Monzat, 1992 ; Camus, 2001), des relations qu'il entretient avec le monde du travail (Andolfatto, 2001), de la gestion des municipalités frontistes (Farel, Fieschi, Gherdane et Wallart, 2015), des liens que le parti entretient avec les autres groupements politiques d'extrême droite (en France comme en Europe), de sa stratégie internationale (Balent, 2012), de son financement (Fourest et Venner, 1998), etc. Le champ de la recherche sur le FN reste donc pleinement ouvert et l'on peut penser, compte tenu de la dynamique politique du parti (voir Gombin, 2016), qu'il le restera longtemps.

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Que sait–on du Front national ?

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Chapitre 10

Entretiens biographiques avec des militants d'extrême droite Bert Klandermans

C

omment des individus en viennent-ils à s'engager dans des activités d'extrême droite ? L'entretien biographique est un moyen d'apporter des réponses à cette question. Le pluriel est ici de rigueur, car les militants n'ont naturellement pas tous les mêmes raisons de s'engager dans un mouvement. Nous traiterons d'abord de l'adhésion au mouvement. Quels sont les parcours individuels des militants actifs au sein des organisations de droite ? Quand et comment en sont-ils venus à s'engager ? Qu'est-ce qui motive la poursuite de leur engagement ? Que signifie cette participation en termes d'identité ? Comment, en retour, cette participation modifie-t‑elle leur identité ? Nous nous intéresserons ensuite à la signification de cet engagement. Quelle est la logique qui conduit à s'impliquer dans une organisation d'extrême droite ? Qu'est-ce qui peut donner du sens à une telle démarche ? Cette question porte aussi, plus généralement, sur le cadre d'action collective des participants. Existe-il un schéma général de l'injustice qui motive l'engagement des militants d'extrême droite ? Nous aborderons aussi la question de la continuité organisationnelle. Les organisations d'aujourd'hui ont-elles des liens – personnels ou idéologiques – avec les organisations du passé ? Enfin, la dernière question posée sera celle du contexte : nous nous demanderons si les réponses à ces questions varient en fonction du pays concerné. Ces différents points seront développés dans les pages qui suivent, en même temps qu'une réflexion sur la

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manière d'étudier des militants d'un mouvement et sur l'utilisation de l'entretien biographique.

Interviewer des militants d'extrême droite Cette brève introduction récapitule, en quelque sorte, les principaux axes de l'étude menée avec Nonna Mayer (2006) sur les militants d'extrême droite de cinq pays d'Europe de l'Ouest (Belgique, Allemagne, Italie, France et Pays-Bas). Afin de comprendre comment des personnes en viennent à adhérer à un mouvement d'extrême droite et ce qui se passe après leur adhésion, nous avons choisi de recourir à la méthode de l'entretien biographique. Ce choix a eu des conséquences à la fois théoriques et méthodologiques. D'un point de vue théorique, le recours à l'entretien biographique implique que l'on cherche à comprendre un choix individuel : celui de devenir et de rester un membre actif d'un mouvement étiqueté d'extrême droite au cours de sa vie (Blee et Taylor, 2002). Les raisons de cet engagement sont recherchées dans l'histoire personnelle des individus. De fait, une bonne part de ce que nous essayons de comprendre est liée à un itinéraire. La personne qui mène l'entretien et celle qui y répond remontent dans le temps jusqu'au moment de la première rencontre de l'interviewé avec le mouvement d'extrême droite et retracent le parcours qui l'a mené jusqu'à son militantisme actuel. D'un point de vue méthodologique, un entretien biographique est nécessairement une forme qualitative de recueil de données qui nécessite des outils analytiques spécifiques (Rubin et Rubin, 1995). La réalisation de ces entretiens a suscité des réflexions que nous souhaitons exposer ici avant de poursuivre. Au moment où nous avons conçu cette étude, nous avons estimé que l'entretien biographique représentait le meilleur moyen d'obtenir des réponses à nos questions. Partant de l'idée que les militants d'extrême droite sont aussi rationnels ou aussi irrationnels que les militants des autres mouvements, nous voulions comprendre le raisonnement qui sous-tend leur militantisme. À quoi ressemble un monde dans lequel l'extrémisme de droite fait sens et comment une personne en vient-elle à voir le monde sous ce jour ? Comme nous pensions que l'expérience personnelle joue un grand rôle en la matière (Teske, 1997 ; Andrews, 1991 ; Blee, 2002), il nous a semblé que les trajectoires personnelles seraient une source d'information pertinente. Dans la vie de tout militant, il y a un point déterminant

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où il saute le pas et cesse d'être un sympathisant passif pour devenir un adhérent actif. Cette transition intervient rarement du jour au lendemain, même si certaines conversions donnent cette impression. La dernière étape, celle de l'entrée dans le militantisme est généralement l'aboutissement d'une longue trajectoire. C'est ce type de trajectoires que nous souhaitions étudier. Qu'il s'agisse d'une conversion soudaine ou de l'aboutissement d'un long parcours, nous voulions en retracer et en comprendre la dynamique. Or, il est difficile d'entreprendre une telle reconstitution dans le cadre d'un questionnaire structuré. L'intervieweur comme l'interviewé ont besoin d'espace pour laisser se déployer le récit. C'est la raison pour laquelle les entretiens biographiques sont nécessairement des entretiens approfondis : comment, sinon, imaginer explorer le passé de quelqu'un ? Il faut invoquer des événements qui se sont déroulés il y a longtemps, gérer des épisodes sensibles pour l'interviewé et démêler des histoires compliquées. Nous nous sommes donné beaucoup de mal pour construire une relation qui permette un bon fonctionnement des entretiens et nous pensons y être parvenus dans la plupart des cas. Cela ne signifie aucunement que nous avons pris pour argent comptant tout ce que nous ont dit les personnes interrogées. En fait, nous avons passé beaucoup de temps et déployé beaucoup d'énergie pour recueillir, auprès de sources indépendantes, des informations sur les interviewés, sur les organisations, sur les événements et sur les personnes dont il était question. Nous avons analysé avec beaucoup de soin des sites web, des supports écrits produits par les organisations, des documents provenant de mouvements adverses et d'autres sources. De plus, il est fréquemment arrivé que les interviewés nous procurent eux-mêmes, sans le savoir, des éléments de validation de ce que d'autres nous avaient dit. Nous avons donc été globalement en mesure de vérifier la plupart des informations factuelles que nous avaient communiquées les personnes interrogées. Leur interprétation de ces faits reste, naturellement, idiosyncrasique ; le chercheur doit prendre garde à ne pas considérer la reconstruction issue de l'entretien comme la vérité. Elle reste une reconstruction (Blee et Taylor, 2002) mais, en un sens, c'est précisément ce qui nous intéressait. Au début, les personnes avec lesquelles nous prenions contact se montraient souvent soupçonneuses, pour des raisons aisément compréhensibles. L'extrême droite n'a pas bonne presse dans les médias. Des journalistes, infiltrés incognito dans des organisations

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d'extrême droite, ont rempli des pages de journaux sur ce qui se passe dans les coulisses des organisations d'extrême droite et que d'aucuns s'efforcent de garder secret. Dans nos efforts pour apaiser leurs soupçons nous avons toutefois veillé, à l'inverse, à ne pas laisser penser que nous avions des sympathies pour leurs positions. Notre équipe a consacré beaucoup de temps à chercher comment gérer éthiquement les contacts avec un mouvement et des militants dont on ne partage pas les opinions. Tous les « guides » de l'entretien approfondi insistent sur la nécessité d'établir une bonne relation avec l'interviewé. Mais comment faire pour établir un bon contact avec des personnes avec lesquelles on n'a aucune affinité ? La recette classique (faire preuve de compréhension et valoriser les points de vue des personnes interrogées) ne correspondait pas à ce que nous recherchions. Nous ne voulions certainement pas donner l'impression d'être d'accord avec ce que disaient nos interlocuteurs. Il est intéressant de noter que notre méthode (l'entretien biographique) a tourné à notre avantage. Nous voulions surtout obtenir que les interviewés nous parlent de leur passé et nous disent ce que signifiait pour eux d'être activement engagés dans une organisation d'extrême droite. Ils n'avaient aucunement besoin de se défendre puisque nous étions véritablement intéressés par leurs opinions et par les raisons qui les avaient poussés à devenir des militants d'extrême droite. Nous avons eu la preuve que nous avions réussi à établir une bonne relation avec eux quand certains interviewés nous ont rappelés pour nous donner des informations supplémentaires ou nous inviter à des réunions, des événements, des rassemblements, des lectures, etc. Nous avons souvent accepté ces invitations, dans l'idée qu'elles nous aideraient à approfondir notre compréhension de leur engagement. En France et aux PaysBas, ces relations suivies ont pu être mises à profit pour mener une deuxième série d'entretiens auprès des mêmes personnes après d'importants changements intervenus dans le mouvement (scission au Front national [FN] et élections dévastatrices aux Pays-Bas). Nous avions pensé qu'il serait difficile d'obtenir l'accord des personnes que nous souhaitions interviewer et, de fait, en Allemagne, nous avons eu du mal à obtenir l'accès aux organisations que nous désirions inclure dans notre étude. Globalement, les militants se sont toutefois montrés plutôt coopératifs, en particulier après dissipation des premiers soupçons. En bien des occasions il s'est même trouvé que les personnes contactées avaient envie de parler, de faire passer un message. Une fois établi que les entretiens

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resteraient confidentiels et ne seraient pas publiés dans un journal, les interviewés se sont montrés plus disposés, parfois même franchement désireux, de se faire interroger.

Itinéraires : adhérer à un mouvement d'extrême droite et y rester Il faut distinguer trois étapes dans le parcours d'un militant d'extrême droite : le processus commence par une certaine sensibilité aux idées d'extrême droite qui crée les conditions d'une possible adhésion au mouvement. Puis, un événement déclenche généralement l'étape de l'adhésion effective. Les raisons qui font qu'un militant reste engagé constituent, enfin, une question distincte.

Sensibilité Les facteurs qui expliquent le militantisme d'extrême droite, qui rendent une personne sensible à ces idées et facilitent son adhésion à une organisation, recoupent dans une certaine mesure ceux qui motivent un vote d'extrême droite. Certaines explications invoquent la personnalité des intéressés et sont à rapprocher de la « personnalité autoritaire » (Adorno, 1950) ou de « l'homme de violence » (Billig, 1978), façonnés depuis la plus tendre enfance par la famille et l'éducation. Les entretiens que nous avons menés n'ont pas mis en évidence une particulière déviance, marginalité ou frustration des militants. Si nos interviewés constituent certes un groupe très divers, ils apparaissent, à de rares exceptions près, comme des personnes tout à fait normales. À côté des explications relevant de la personnalité, il convient de prendre en compte les explications d'ordre psychosociologique (Lipset et Raab, 1960 ; Kornhauser, 1960) qui établissent un lien entre extrémisme et insécurité professionnelle, statut social subalterne et isolation sociale ; on devra également considérer les hypothèses de type « cognitif » mises en évidence par Rokeach (1960) dans ses travaux sur le dogmatisme et la rigidité, indépendants des tendances politiques, et ses travaux sur le « simplisme » qui établissent un lien entre l'extrémisme de droite, un bas niveau d'instruction et une vision manichéenne du monde. Enfin, une autre série d'explications relève des facteurs idéologiques, du poids de la socialisation politique au cours de la jeunesse et de la période de l'adolescence : famille, écoles, amis,

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formation militaire. En Italie, en France et en Belgique la plupart de nos entretiens ont été menés dans des milieux de droite. Dans son étude des membres du Front national (1990), Birgitta Orfali confirme que la plupart d'entre eux (86 %) viennent des milieux de droite, sont conservateurs par tradition et donc plus enclins à adhérer aux idées de Le Pen. Elle cite l'un d'entre eux : « Ma famille a toujours été de droite et même s'il y a des brebis galeuses qui votent à gauche, nous sommes traditionnellement de droite » (Orfali, 1990, p. 94). En France, dans certaines familles, cette continuité idéologique d'extrême droite s'étend sur trois générations. Toutefois, comme l'ont révélé les entretiens que nous avons menés auprès de jeunes militants, la transmission ne porte pas nécessairement sur une tendance idéologique. Elle peut aussi concerner la volonté de se consacrer à une cause, l'ethos du « militant », le besoin de participer à des activités d'intérêt général. Un des Français que nous avons interviewés a déclaré qu'au Front national, il se sentait moins éloigné de son milieu d'origine communiste et ouvrier que dans un parti de la droite traditionnelle, plus « bourgeois », tandis qu'un autre a expliqué qu'il se sentait plus proche d'un membre du parti communiste, militant comme lui, opposant qu'il respecte, que des parlementaires de la droite traditionnelle. Les enseignants et l'armée sont aussi des vecteurs de transmission de valeurs. Rossi souligne, par exemple, l'influence des périodes passées à l'armée dans le cadre du service militaire sur les jeunes néofascistes qu'il a étudiés (Rossi, 1995).

Événements déclencheurs Il faut un événement déclencheur pour que ces potentialités débouchent sur le passage à l'acte et que l'individu prenne la décision d'adhérer à un groupement d'extrême droite. Il peut s'agir d'un drame personnel (comme nous l'avons constaté pour certains militants néerlandais), de la rencontre d'une personne qui appartient déjà au mouvement ou encore du discours d'un dirigeant du mouvement qui séduit. Il peut aussi s'agir d'un événement traumatisant à une plus large échelle, comme l'indépendance de l'Algérie qui en 1962 a contraint les « pieds-noirs » à abandonner l'ancienne colonie française. L'étude du Front national menée par Gilles Ivaldi dans le département de l'Isère (2001), par questionnaires et par entretiens, met en évidence la très forte proportion des adhérents et des sympathisants qui ont vécu en Algérie avant 1962 : près d'un quart de son échantillon (N=644). Pour Perdomo, un des

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leaders du Front national à Marseille, il s'agit du choc, plus précoce, qu'il a ressenti en découvrant à la télévision les images de l'armée soviétique qui envahissait la Hongrie en 1956. Il est resté à l'extrême droite depuis cette époque, en raison de sa position anticommuniste. Pour d'autres, la révolte estudiantine de 1968 et la libération sexuelle qui a suivi ont été déterminantes. Pour certains, plus jeunes, c'est la guerre du Golfe qui a été l'élément déclencheur. D'après nos entretiens, l'acte effectif d'adhésion peut trouver son origine dans les réseaux du mouvement, dans les médias (un programme télévisé, un livre, un journal, etc.), au travers de réseaux d'amitié, ou encore être provoqué par un partenaire ou un conjoint. Si l'importance des réseaux sociaux est de nouveau confirmée, d'autres vecteurs sont également à prendre à compte. Les organisations n'attendent pas passivement que des participants potentiels viennent frapper à leur porte, elles agissent et mobilisent. Elles recherchent activement le contact avec les membres potentiels. Un Néerlandais nous en a donné un exemple. Alors qu'il se sentait abandonné par le syndicat dont il était membre dans une confrontation avec son employeur, il a été contacté par des membres locaux du parti d'extrême droite qui lui ont proposé de l'aide.

Rester membre Rester au sein du mouvement est une question d'engagement et de satisfaction ; là aussi un événement déclencheur intervient généralement. Une analyse coût/avantage permet de mieux comprendre ces motivations. En effet, l'adhésion à une organisation, la participation à ses actions représentent un certain coût : cela prend du temps, parfois de l'argent, on peut perdre son travail ou encore ses amis. Les adhérents des partis politiques ne représentent pas plus de 1 à 5 % de la population adulte. Le coût est plus élevé encore dans le cas des partis d'extrême droite en raison de la réprobation morale associée à ce type d'appartenance et des souvenirs du nazisme et de la Shoah. Les militants d'extrême droite sont soumis à une forte stigmatisation, comme l'ont établi Annette Linden et Bert Klandermans sur la base des entretiens qu'ils ont menés aux Pays-Bas (2006). C'est aussi ce qu'indique l'un des militants du FN interviewé par Orfali (1990, p. 113) : « Par rapport aux copains que je pouvais avoir, il y en a beaucoup qui ne m'ont plus parlé, comme si du jour au lendemain on devenait

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raciste, fasciste, on avait de grandes dents qui poussaient, des ongles qui s'allongeaient et des poils qui poussaient partout. » Le coût peut même être plus élevé avec des groupes d'extrême droite encore plus radicaux que le FN. Dans son étude des jeunes militants néofascistes (N=300), Éric Rossi (1995, p. 179) montre que deux tiers d'entre eux ont eu des démêlés avec la police et qu'un cinquième est déjà allé en prison. Néanmoins, l'adhésion présente aussi des avantages. Qu'apporte l'appartenance à ce type de mouvement ? Les groupes d'extrême droite ne proposent pas beaucoup de bénéfices matériels (emploi, locaux, position de prestige, carrière politique). Toutefois, comme le note Guy Birenbaum (1992), le FN a donné à des intellectuels de seconde catégorie l'occasion de faire carrière dans les structures du parti (conseil scientifique, par exemple, ou écoles du parti). L'adhésion apporte aussi des avantages sociaux : on se fait des amis, de nouvelles relations, on participe au mouvement de l'extrême droite. C'est ce qu'Anne Tristan (1987) a montré dans l'étude des membres du FN qu'elle a réalisée dans les quartiers nord de Marseille. Pour eux, le parti est comme une deuxième famille, le substitut d'une vie sociale et associative qui a disparu des quartiers difficiles où ils habitent et qui sont désertés par les associations de gauche. Les militants des cinq pays étudiés se rejoignent sur ce point : au sein du mouvement d'extrême droite, ils trouvent le respect que le monde extérieur leur refuse. De ce fait, l'adhésion présente d'importants avantages psychologiques. La quasi-totalité des militants que nous avons interviewés ont tenu des propos en ce sens. L'adhésion leur a fait du bien, ils ne se sentent plus seuls, ils ont trouvé des personnes qui pensent comme eux, ils ne se sentent plus marginalisés mais reconnus, ils ont enfin trouvé un équilibre. C'est aussi ce que rapporte Orfali : « C'est un bien-être certain. Je vis en accord avec moi-même. Ça c'est quelque chose de très important. Ça m'était pas arrivé depuis longtemps. » (Orfali, 1990, p. 129). Il y a aussi des avantages d'ordre intellectuel. Certains vont jusqu'à dire que si le FN devenait majoritaire, ce serait une déception pour eux. « Le jour où le FN sera un parti de masse, un parti à grande échelle avec de nombreux adhérents, je ne pense pas que j'y resterai. Je le quitterai. Je le quitterai » (Orfali, 1990, p. 132). Pour emprunter la formule d'Erving Goffman, c'est « l'inversion du stigmate ».

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Entretiens biographiques avec des militants d'extrême droite

Il faut aussi prendre en compte les aspects générationnels. C'est un point que nous n'avons pas encore théorisé mais qui semble important. Il semble que, parmi les militants, les plus jeunes et les plus vieux ne tiennent pas les mêmes propos. Qu'est-ce qui explique cette différence ? La violence perçue comme une rébellion exerce une attirance particulière sur les très jeunes. Les petits groupes néofascistes radicaux ont de vieux leaders mais de jeunes membres. À partir de 22-25 ans, ces militants rejoignent des mouvements plus intellectuels et moins radicaux. (Rossi, 1995, p. 260). Les groupes de skinheads attirent aussi les très jeunes en leur proposant un style de vie, une sous-culture de la jeunesse avec ses symboles, ses musiques, son style de coupe de cheveux et sa manière de s'habiller. C'est ce que nous avons constaté chez les jeunes militants français, pour qui la guerre d'Algérie appartient à un lointain passé. Parmi les facteurs qui incitent les militants à rester dans une organisation, il faut aussi compter sur la stratégie de l'organisation elle-même qui donne des responsabilités aux nouveaux membres, les intègre dans les réseaux du parti, crée une sous-culture de parti, influence les lectures, les activités culturelles, etc. C'est un faisceau d'interprétation à construire, en commençant par la socialisation du jeune enfant, puis la scolarisation, le service militaire, la vie professionnelle, l'immersion dans différents groupes et réseaux, jusqu'à la première rencontre avec l'organisation et la réalité du moment, en prenant en compte les facteurs personnels, socio-économiques et politiques ou les facteurs idéologiques et contextuels. Dans certains cas, il n'y a pas de possibilité de retour en arrière. Certains militants ont brûlé les ponts après leur passage, ont perdu leurs réseaux précédents ou s'en sont fait exclure. Ils sont dépendants de l'organisation pour ce qui concerne leurs amis et leurs relations sociales. Pour les militants, le mouvement est une sorte de nouvelle famille qui les aide à régler leurs problèmes d'identité. Et une identité de militant est une identité « tout en un ». Il semble, par ailleurs, que les organisations aient des stratégies de rétention des adhérents. Elles créent, par exemple, des structures qui permettent au plus grand nombre de prendre des responsabilités. Elles restreignent aussi les contacts avec le monde extérieur. Les mouvements extrémistes sont des « institutions voraces » (Coser, 1974) qui exigent une loyauté inconditionnelle.

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Les motivations de la participation Les entretiens biographiques permettent de saisir les motivations des militants et la signification qu'ils accordent à leur engagement. Cette question conduit à s'interroger sur la construction d'identifications qui poussent à l'action, se politisent et s'idéologisent.

Identité La notion d'identité figurait dès le départ dans notre cadre théorique. Toutefois, au cours du projet, nous en avons discuté et nous avons progressivement étoffé notre réflexion sur ce point. Il nous apparaît désormais plus clairement que participation et identité ont des influences réciproques. L'identité recouvre différents aspects : i) l'appartenance par opposition à l'individualité, ii) la continuité par opposition à la rupture avec le passé ou la conversion, iii) l'estime par opposition au fait de ne pas être apprécié à sa juste valeur, iv) l'action par opposition à l'inaction. L'appartenance, définie par opposition à l'individualité, s'enracine dans la catégorisation : l'identification au groupe et la différenciation par rapport à ce qui n'est pas le groupe. Quand ces identifications et ces différenciations prennent une dimension politique, l'identité se politise rapidement (Simon et Klandermans, 2001 ; Simon, 2004). Pour les personnes que nous avons interviewées, il semble que l'identité soit liée à des facteurs comme la cohérence et la défense de ses principes. Les adhérents au mouvement ont le sentiment d'être différents, de constituer une avant-garde non conformiste. Il est fréquent qu'ils n'acceptent pas l'étiquette d'extrémiste de droite que la société leur associe. Ils ont le sentiment d'être des démocrates et de bons citoyens, de dire ce que beaucoup pensent sans oser le dire. Plusieurs de nos interviewés ont manifesté de l'admiration pour les personnes qui vivent pour leurs principes, y compris celles qui se situent à l'autre extrémité du spectre politique. Il y aurait donc des éléments communs à l'extrémisme et au fondamentalisme, notamment l'admiration de la détermination. Nous avons, par ailleurs, remarqué que dans les cinq pays de notre étude, les adhérents d'extrême droite étaient l'objet de stigmatisation, même si la portée de celle-ci différait considérablement d'un pays à l'autre. Nous avons relevé au cours des entretiens de nombreux indicateurs de l'importance d'une culture spécifique dans la création et le maintien d'une identité partagée (livres, musique, etc.). Dans

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tous les pays, il semble que cela relève d'une stratégie délibérée des organisations visant à acculturer leurs adhérents. Il est important de comprendre le mode de politisation de l'identité. Une identité politisée se définit comme une identité en opposition à une autorité perçue comme injuste (Gamson, Fireman et Rytina, 1982 ; Simon et Klandermans, 2001). La littérature relative aux mouvements sociaux donne à penser que la politisation d'une identité collective présuppose des doléances définies collectivement et créant un sentiment d'appartenance ; ce dernier permet de s'exprimer à la première personne du pluriel (« nous »), tandis que la responsabilité des griefs objets des doléances est rejetée sur les autres (« eux »). Cette identité se trouve, de plus, confrontée à des autorités perçues comme injustes. La théorie de l'identité sociale n'établit aucune hypothèse explicite en ce sens, mais pose néanmoins que l'imperméabilité des frontières intergroupes, l'illégitimité du statut de groupe inférieur et l'identification intragroupe favorise l'action collective (Ellemers et al., 1988). Cette théorie ne tient pas compte de l'aspect dynamique de la confrontation avec des autorités considérées comme injustes, élément dont l'importance est au contraire soulignée par la littérature relative aux mouvements sociaux. Il est intéressant de noter que c'est précisément à ce type de confrontations que nos interviewés ont fait référence pour expliquer leur aversion envers la politique en général. L'identité favorise la participation à une organisation ; elle est prégnante dans les confrontations avec l'exo-groupe et les autorités, tandis qu'à l'inverse, la participation et ces confrontations renforcent l'identité.

Idéologie S'agissant des raisons de la participation, nous avons commencé par considérer les idéologies, nous intéressant au rôle du nationalisme, de l'ethnocentrisme et du racisme. Les dimensions idéologiques qui se manifestent dans les entretiens présentent des similitudes frappantes (Klandermans et Mayer, 2006) : posture antisystème, opposition au parlementarisme, militarisme, respect de l'ordre public, besoin d'un chef fort, racisme fondé sur la biologie, opposition à l'égalitarisme (Mudde, 1996). Il faut encore ajouter les théories du complot et le simplisme d'un monde en noir et blanc. Le recours à l'entretien biographique ajoute une dimension intrigante aux réponses à ces questions. Les personnes interviewées

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font de leur mieux pour donner des raisons logiques à ce qu'elles font. Elles reconstruisent leur passé, expriment toutes sortes de justifications. Il est possible que cette volonté de justification prenne d'autant plus d'importance que la participation à une organisation d'extrême droite est considérée comme condamnable par les personnes de leur entourage. Les interviewés s'efforcent peutêtre de se défendre pendant l'entretien, l'intervieweur appartenant lui-même à ce monde extérieur hostile. En tout état de cause, nous avons prêté une attention particulière aux justifications avancées par les interviewés pour expliquer le bien-fondé de l'appartenance à une organisation d'extrême droite. Il est d'ailleurs important de préciser à ce propos que les personnes interrogées ont été nombreuses à déclarer qu'elles avaient le sentiment de vivre dans un monde hostile et se sentaient agressées. De fait, on constate dans les entretiens un net ressentiment contre ce que la politique, les médias et le monde extérieur en général leur ont fait subir après leur entrée dans le mouvement. Il existe certainement d'importantes différences entre pays sur ce point, ce qui rend son observation d'autant plus intéressante. Dans cette optique, les questions relatives à la façon dont les personnes interrogées se comportent vis‑à-vis du passé et vis‑à-vis du fascisme ont leur importance. C'est ce qui nous amène à notre troisième partie.

Liens avec le passé La présence d'un courant fasciste et nationaliste ininterrompu, c'est‑à-dire sans rupture organisationnelle ou idéologique claire avec le passé est un autre élément de comparaison entre les pays. C'est ce qui apparaît en Belgique et en Italie, en tout cas bien plus que dans les autres pays. Nous avons constaté toutes sortes de liens avec des organisations et des idées du passé, mais non nécessairement antérieures à la seconde guerre mondiale. En France, par exemple, la guerre d'Algérie est un événement important ; en Flandre, c'est le nationalisme flamand et ses organisations qui ont un rôle de référence. Pour l'Italie et l'Allemagne, c'est inévitablement l'histoire fasciste qui vient à l'esprit. Outre le nazisme et le fascisme, en Allemagne, les organisations des Heimatvertriebene (Allemands ayant fui les pays d'Europe de l'Est) jouent un rôle important.

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Cependant, pour les jeunes générations, il semble que le passé n'existe pas. En tout cas, le tableau est plus compliqué que ne le laisse penser l'hypothèse de la continuité. Cela ne veut pas dire qu'aucune structure de rémanence (Taylor, 2005) n'est apparue. Bien au contraire, ces structures sont mêmes d'une plus grande variété que la littérature n'en a fait état jusqu'ici. Dans les cinq pays concernés, on constate ainsi une continuité historique, l'extrême droite ayant en quelque sorte été « mise en veille » pendant quelque temps après la seconde guerre mondiale. Toutefois, les structures qui ont hébergé l'extrême droite dans les différents pays et forgé son parcours sont très différentes. Il semble d'ailleurs que les liens avec le passé aient une valeur ambivalente. D'un côté, les « structures de rémanence » relient l'extrême droite actuelle aux mouvements antérieurs, lui assurant un réservoir de militants expérimentés, disposant de catalogues d'actions et de cadres d'interprétation idéologique prêts à l'emploi. D'un autre côté, les liens avec le nazisme et le fascisme ont essentiellement un effet de délégitimation. Par conséquent, les mouvements d'extrême droite sont davantage favorisés par des structures de rémanence plus diversifiées, comme on les a observées en Flandre, en raison d'un mouvement nationaliste préexistant, ou en France, qui a une tradition vieille de plus de deux siècles de droite réactionnaire et révolutionnaire. L'Italie offre encore un exemple différent. L'Alliance nationale (AN) est l'héritière directe du fascisme et a profité des réseaux existant sans interruption depuis la guerre. Précisons toutefois qu'en Italie, par comparaison avec le nazisme, le fascisme était perçu comme un moindre mal, en particulier dans le Sud où se trouvent ses bastions traditionnels. Dans l'Italie du Nord, la guerre civile longue et sanglante qui a opposé pendant deux années (1943-1945) les résistants à la République fasciste de Salò, a profondément ancré l'antifascisme dans la région. Au sud, en revanche, le fascisme avait une meilleure image, associée aux travaux publics et à l'intégration sociale, en opposition au pouvoir précédemment détenu par l'aristocratie. Le Sud n'a pas connu de guerre civile et la « guerre de libération » s'est terminée deux ans plus tôt que dans le Nord. En outre, l'AN offre désormais l'image d'un parti de droite démocratique « postfasciste » où la nostalgie de l'ancien Mouvement social italien (MSI) est marginale. D'un point de vue psychologique, ces différences sont significatives. L'histoire d'un groupe est une composante importante de

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l'identité sociale de ses membres. Un passé héroïque est une source de fierté qui facilite l'identification, tandis qu'une période historique sombre suscite honte et culpabilité (Doosje, Branscombe, Spears et Manstead, 1998 ; Klandermans, Werner et van Doorn, 2008 ; Lagrou, 2000). En France, en Italie et en Flandre, l'extrême droite a une histoire dont la trajectoire se lit indépendamment du nazisme allemand. Même si dans ces trois pays, le mouvement a collaboré avec les Allemands, il a d'autres points de référence et de fierté. En Allemagne et aux Pays-Bas, en revanche, une telle possibilité n'existe pas. Dans ces pays, le passé de l'extrême droite n'est que noirceur.

Comparaison entre pays Partant de l'hypothèse que les réponses aux principales questions seraient différentes en fonction du contexte national, nous avons conçu l'étude en fonction des cinq pays mentionnés dans l'introduction. Nous avons pensé qu'il pourrait y avoir des différences entre les pays dans lesquels les organisations d'extrême droite remportent des succès et les autres. Le succès s'accompagne d'une structure professionnelle, les organisations proposant de ce fait un large éventail de possibilités de participation. L'échec, en revanche, entraîne un rétrécissement des contacts avec le monde extérieur. Le degré de répression ou d'hostilité de l'environnement est aussi un facteur à prendre en compte. S'il ne s'agit là que d'hypothèses (et nous en proposons d'autres plus bas), nous disposions des données nécessaires pour les tester. Notre choix s'est arrêté sur ces cinq pays parce que nous avons pensé qu'ils représentaient des cas très différents selon la force électorale de l'extrême droite, la taille et l'intégration des partis ainsi que le niveau d'acceptation du mouvement et son itinéraire passé. Nous n'avions pas de théorie particulière quant à la comparaison entre les pays, mais nous nous sommes efforcés de relier ce qui nous était dit pendant les entretiens à la portée de l'extrême droite dans les différents pays. Divers éléments de comparaison ont été évoqués au cours de nos réunions. Le système électoral. L'Italie, la Belgique et la France sont des pays dans lesquels l'extrême droite a remporté un succès relatif aux élections, au contraire de l'Allemagne et des Pays-Bas. D'où vient cette différence ? Elle pourrait s'expliquer – au moins partiellement –

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par l'existence d'un climat plus répressif dans ces deux derniers pays. En France, le système électoral limite la représentation nationale de l'extrême droite malgré la forte proportion des voix qu'elle attire. Ce n'est qu'au niveau régional et au niveau local que le FN a pu acquérir de l'influence. Si le système allemand maintient lui aussi l'extrême droite à l'écart du pouvoir, c'est surtout parce que ces partis restent petits et ne réussissent pas à atteindre le seuil électoral. Des partis de la taille du FN, de l'AN ou du Vlaams Belang (VB) flamand seraient facilement entrés au Bundestag. Aux PaysBas, le système permet aux plus petits partis d'accéder aux organes représentatifs aux divers niveaux de gouvernement. Pendant un temps, l'extrême droite a été représentée au parlement national ainsi que dans les conseils régionaux et locaux. Toutefois, ces partis sont restés trop petits et leurs représentants trop faibles pour exercer une quelconque influence. La Belgique et l'Italie sont les deux seuls pays dans lesquels les mouvements d'extrême droite sont bien représentés sur la scène politique nationale et sont en mesure d'exercer une influence. Mobilisation antifasciste. Si, laissant le passé de côté, nous considérons le moment où nous avons réalisé les entretiens, nous constatons qu'à cette époque, l'Italie était le seul pays dans lequel le champ multi-organisationnel n'était pas majoritairement hostile à l'extrême droite, en tout cas à l'AN, nouveau parti « postfasciste ». Dans les quatre autres pays, les organisations d'extrême droite n'étaient certainement pas regardées d'un œil amical. Dans ces circonstances, une personne rejoignant un mouvement de ce genre ou en étant déjà membre avait toutes les chances d'être stigmatisée. Ce dernier point nous a amenés à étudier la façon dont les partis politiques d'un pays réagissent vis‑à-vis de l'extrême droite. D'une manière plus générale, ce dernier facteur et le précédent concernaient les opportunités politiques offertes à l'extrême droite dans les cinq pays considérés. Notre analyse est corroborée par une étude comparative à grande échelle des stratégies « de cordon sanitaire » et de leur efficacité, menée dans sept pays durant une période de dix ans (19891999) (Van der Brug et Van Spanje, 2004). Il se dégage clairement des avis des experts que les Pays-Bas (pour Centrumdemocraten) et l'Allemagne (pour Die Republikaner) apparaissent comme les pays où ce cordon sanitaire est le plus strict, atteignant un score de 9,4 sur une échelle de 10 points (un score aussi atteint en Wallonie pour le Front national belge). Suit la Flandre (pour VB), qui affiche

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un score de 8,6. La France arrive en troisième position pour le FN, avec un score de 7,5. L'Italie ferme la marche avec l'Alleanza Nazionale : le score de 1,9 est même inférieur à celui constaté pour la Lega Nord (2,3). De fait, l'Italie présentait, au moment de notre étude, le contexte le plus favorable aux mouvements d'extrême droite passés ou présents, tandis que les conditions étaient les plus difficiles pour ces groupes en Allemagne et aux Pays-Bas. Affaires intérieures. De telles différences de traitement impliquent en elles-mêmes des différences de situation pour les adhérents de ces partis. Ce n'est naturellement pas la même chose que de participer à un mouvement qui est relativement fort ou à un mouvement qui est en situation de faiblesse, surtout si ce mouvement est vilipendé. C'est la distinction entre être tourné en ridicule ou être craint. La présence ou l'absence de chefs charismatiques est un autre critère de comparaison, facteur qui peut avoir son importance en France et en Belgique. Enfin, les luttes intestines entre militants peuvent aussi avoir une influence, comme on a pu le constater aux Pays-Bas. Ce chapitre a porté sur l'étude des extrémistes de droite. Il considère en particulier la valeur des entretiens biographiques comme moyen d'exploration de l'environnement des militants d'extrême droite. Notre recherche visait à corriger la perception classique qui fait des militants d'extrême droite des êtres irrationnels, agressifs et violents. Nous voulions les décrire dans leur vie quotidienne, en tant que militants d'un mouvement, notre but étant de dépeindre le monde des activistes d'extrême droite. Notre étude s'est concentrée sur une petite partie de ce monde, puisque nous avons regardé à la loupe quelque 150 militants issus de cinq pays différents. Ils nous ont laissés entrer chez eux et nous ont ouvert la porte de leur mouvement. C'est toutefois ce qu'ils nous ont dit, au cours de nos longs entretiens, qui nous a donné une perspective exceptionnelle sur leur vie. L'entretien biographique peut être comparé à une invasion en territoire privé. Parce qu'elles nous ont laissés entrer et voir ce qui se passait autour d'elles, les personnes que nous avons interviewées nous ont permis de réunir un ensemble de données exceptionnel. À notre connaissance – en tout cas pour l'extrême droite – il n'existe aucune compilation d'entretiens et d'informations connexes qui puissent se comparer à cette étude.

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Chapitre 11

Deux voies vers la droite Enjeux, émotions et vote FN Pavlos Vasilopoulos et George E. Marcus

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es travaux empiriques sur le vote et sur le comportement politique en général ont été largement menés par des psychologues sociaux. Le plus influent d'entre eux est sans doute Philip Converse, qui nous a quittés fin 2014 après une carrière longue et productive (Campbell, Converse, Miller et Stokes, 1960 ; Converse, 1964 ; Converse, 1966). Les sociologues ont également joué un rôle important (Berelson, Lazarsfeld et McPhee, 1954 ; Lazarsfeld, Berelson et Gaudet, 1944). Ces recherches sont à l'origine d'une longue tradition d'études sur le vote, tant en France qu'aux ÉtatsUnis (Lazarsfeld et al., 1944 ; Campbell et al., 1960 ; Boy et Mayer, 1993 ; Michelat et Simon, 1977). Il est acquis depuis longtemps que la plupart des individus ont des loyautés partisanes ou idéologiques dictées par leurs caractéristiques sociales (Niemi et Jennings, 1991). Ces loyautés, stables et durables, constituent le fondement principal du vote. On considère également que ceux qui n'ont pas de convictions bien ancrées se laissent facilement influencer par les circonstances, frivoles ou graves (« l'air du temps »). Ces électeurs ne sont pas intéressés par les enjeux électoraux, ils n'ont que peu de points d'ancrage politique et de connaissance des problèmes, anciens ou nouveaux. Leur ouverture est surtout la conséquence d'une absence de convictions (Converse, 1964 ; Converse, 1966). Selon cette tradition, les enjeux sont utiles en ce qu'ils servent de repères aux citoyens dont la loyauté est établie. En revanche, ils ne font pas l'objet d'une analyse approfondie pour identifier quel

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type de politique publique répondrait au mieux aux besoins de ceux qui défendent ces positions (Lau et Redlawsk, 1997 ; Converse, 2000 ; Converse, 2006). Les partis politiques utilisent donc leurs prises de position pour conforter des loyautés déjà bien établies, en remettant sur le tapis des problèmes en rapport avec les convictions de leurs sympathisants. Il a, par exemple, été montré à diverses reprises que le Front national, auquel s'intéresse tout particulièrement ce chapitre, attire un nombre croissant de votants sur l'enjeu de l'immigration (Mayer et Perrineau, 1992 ; Thränhardt, 1995). Le modèle psychologique sous-jacent à la psychologie sociale répartit les citoyens en deux groupes. Il y a d'un côté ceux qui ont des convictions fortes et loyales, associées à des croyances partisanes ou idéologiques. Les électeurs de ce groupe connaissent bien les partis, leurs positions et leurs candidats mais, étant résolument loyaux, ils ne remettent en question ni la sagesse de leurs convictions, ni la pertinence de celles-ci pour le bien commun, ni leur adaptation aux circonstances. Il ne s'agit donc pas de citoyens délibérants. L'autre groupe comprend les citoyens qui n'ont pas de loyautés affirmées, n'ont pas une bonne connaissance de la politique, des partis, des leaders et des positions politiques qui dominent le débat public. Les électeurs de ce groupe, peu compétents politiquement (unsophisticated), adoptent facilement toute position prônée par les élites, tant que celles-ci présentent un front uni. Si ce n'est pas le cas, ils se divisent en fonction de l'attraction éphémère exercée par les propositions qui leur sont faites (Zaller, 1992). Ces électeurs ne sont pas davantage des citoyens délibérants. Ainsi, selon cette théorie classique, le grand public est, pour une large part, incapable de mener une réflexion sérieuse sur les politiques publiques (Kinder, 2006) 1. Dans ces conditions, il semble bien peu pertinent de chercher du côté des problèmes soulevés par les partis de droite 2 – ou de tout autre bord d'ailleurs – l'explication de leur progression dans les urnes. Tout cela conduit à une vision dystopique de la démocratie ou du moins d'une démocratie qui 1. Il y a, est-il besoin de le dire, d'autres avis sur la question (Aldrich, Sullivan et Borgida, 1989 ; Page et Shapiro, 1992 ; Key Jr. et Cummings, 1966) mais ceux-ci apparaissent surtout comme des voix dissonantes se démarquant d'une acception largement partagée. 2. Parler de « la droite », en France et dans d'autres pays où sont apparus de nouveaux partis d'« extrême droite », implique que la « droite » englobe tous ces partis ainsi que les partis conservateurs plus traditionnels. C'est une pratique qui ne fait pas partout consensus (Andersen et Evans, 2003b ; Grunberg et Schweisguth, 2003 ; Andersen et Evans, 2003a ; Mouffe, 2005).

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tirerait sa légitimité de citoyens engagés et délibérants (Benhabib, 1996 ; Chambers, 2009 ; Fishkin, 1991). Nous voici donc confrontés à une énigme car, comme nous le verrons plus loin, cette image d'un électorat qui ne raisonne pas, était plutôt inattendue. Sans compter qu'à quelques exceptions près, la sociologie politique a conforté cette vision des citoyens dépourvus de tout jugement autonome et de toute capacité délibérative. La psychologie politique ouvre, quant à elle, de nouvelles perspectives théoriques susceptibles de remettre en cause cette conception bien établie.

L'émergence de la psychologie politique L'émergence de la psychologie politique en tant que discipline date des années 1970, comme en témoigne la création, en 1978, de la Société internationale de psychologie politique 3. D'une certaine façon, il n'est guère surprenant que ce soit la sociologie politique qui ait commencé à s'intéresser à la citoyenneté et à ses caractéristiques dans les régimes démocratiques. Les Lumières continuent d'influencer les attentes vis‑à-vis du progrès, le monde étant censé évoluer vers toujours plus d'égalité. Pour un point sur ce sujet, le lecteur se référera à l'introduction d'Alexis de Tocqueville à son propre ouvrage, De la démocratie en Amérique (Tocqueville, 1974). L'idée prévalente était que les sociétés allaient se trouver de plus en plus imbriquées, devenant plus cosmopolites (Kant, 1970b) et construiraient un monde pacifique (Kant, 1970c). L'orientation vers une économie libérale et de marché devait permettre aux communautés nationales de vaincre la pauvreté (Smith, 1986). En bref, le passage de régimes hiérarchiques caractérisés par une sujétion à la foi et à la tradition, à des systèmes dominés par la science et l'autonomie individuelle conduirait à l'avènement d'un monde toujours plus pacifique, dirigé par des citoyens autonomes prenant des décisions avisées (Kant, 1970a). Ainsi, la pensée des Lumières a amené les intellectuels à anticiper tout particulièrement l'affaiblissement inévitable du nationalisme, des formes de tribalisme et de sujétion à la foi et à la tradition, et le développement de l'autonomie individuelle de pensée et d'action. 3. http://www.ispp.org/

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Comme ces évolutions étaient annoncées comme inévitables et généralisées, la sociologie politique était la discipline la mieux placée pour cartographier les changements attendus dans l'ordre social. Ces transformations pouvaient intervenir plus rapidement dans certains lieux et certains groupes (bénéficiant de l'alphabétisation, de l'éducation et du libéralisme) et prendre plus de temps ailleurs. Ce schéma général étant tracé, il fallait s'attendre à ce qu'il y ait des « bruits parasites » car, quels que soient les groupes, certains de leurs membres sont prêts à évoluer tandis que d'autres rechignent. Dans ces conditions, nul besoin de recourir à la psychologie politique : les différences individuelles et les bruits parasites n'interviendraient qu'en marge de tendances irrépressibles qui suivraient nécessairement la trajectoire tracée par Adam Smith, David Hume, Kant, Bentham, Voltaire, Diderot, Condorcet, Kant, Benjamin Franklin, et d'autres encore. L'histoire ne s'est cependant pas montrée très tendre pour ces prédictions optimistes (Marcus, 2008). La guerre, la pauvreté, l'attraction persistante de la foi et de la tradition ainsi que le tribalisme sous ses diverses formes n'ont pas disparu. Ils semblent même connaître un nouvel essor, comme en témoigne la croissance des partis prônant le renouveau des fidélités nationalistes et religieuses en Europe. La psychologie politique est née de la nécessité d'analyser ce hiatus entre les promesses des Lumières et ces réalités. Elle dispose donc d'un champ d'étude substantiel (Marcus, 2008). Plus prudente que le positivisme de Comte (Comte et Bridges, 1957 ; Comte et Lenzer, 1998), la psychologie politique reprend néanmoins, pour l'essentiel, les hypothèses et les promesses de progrès et cherche à expliquer les résistances constantes à ces promesses (Maistre, 1977 ; Berlin et Hardy, 2002). La discipline a évolué selon trois phases que nous exposons ci-dessous, sans prétendre à l'exhaustivité 4. Nous nous contenterons de passer en revue l'évolution de la psychologie politique en soulignant les points qui la distinguent d'autres approches de la politique, en particulier de la sociologie politique. Dans sa première phase, la psychologie politique s'est intéressée aux facteurs pathologiques qui mènent à la domination d'un 4. Pour d'autres revues et évaluations des approches théoriques utilisées en psychologie politique, voir le chapitre introductif de la première et de la deuxième édition de l'Oxford Handbook of Political Psychology (Sears, Huddy et Jervis, 2003 ; Huddy, Sears et Levy, 2013), ainsi que les divers chapitres de ces ouvrages.

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groupe ainsi qu'à la soumission à l'autorité (Adorno, FrenkelBrunswick, Levinson et Sanford, 1950). Les approches psychanalytiques dominent alors et portent en premier lieu sur les leaders, des cas bénins aux cas pathologiques (Erikson, 1950 ; Erikson, 1982 ; Langer, 1972 ; Davies, 1980). Une seconde approche s'est développée en parallèle aux méthodes et aux techniques d'enquête. Cette deuxième phase a marqué un tournant, l'étude psychanalytique des leaders laissant la place à l'étude des données d'enquête concernant le grand public. Les recherches sur l'autoritarisme ont délaissé la question des dirigeants pour s'orienter vers les effets de l'autoritarisme sur les individus (Altemeyer, 1988 ; Altemeyer, 1996). La méthode et la théorie ont changé, mais l'axe de travail est resté sensiblement le même, la recherche s'efforçant de rendre compte des aspects dystopiques de la vie politique moderne – comment expliquer l'asservissement des citoyens et leur peu d'appétence pour les devoirs civiques (Converse, 2006 ; Kornhauser, 1959 ; Hibbing et Theiss-Morse, 2002). Les philosophes politiques sont depuis entrés dans la mêlée, et ne l'ont pas quittée, les uns déclarant leur foi dans les capacités des citoyens à délibérer sur les questions civiques (Barber, 1984 ; Benhabib, 1996 ; Chambers, 2009 ; Fishkin, 2009), les autres convaincus de l'influence des partis (Rosenblum, 2008 ; Sanders, 1997 ; Shapiro, 1999). Mais qu'apporte la psychologie politique à cette tradition ? La réponse à cette question ne sera pas la même selon que l'on considère l'ancienne psychologie politique ou celle en train d'émerger. Des études récemment publiées proposent des angles de vue rétrospectifs ou prospectifs (Huddy et al., 2013 ; Kuklinski, 2002 ; Lavine, 2010). À la lumière des nouvelles perspectives, il devient possible de reconsidérer les anciennes hypothèses et d'esquisser des idées neuves évitant les vieilles controverses. Parmi ces nouvelles recherches, les plus prometteuses font plus appel aux neurosciences qu'à la psychologie sociale ou à la sociologie (Marcus, 2013 ; Jost, Nam, Amodio et Van Bavel, 2014 ; Marcus, 2013). Deux traits principaux distinguent cette nouvelle approche de l'ancienne, l'un d'ordre empirique, l'autre d'ordre normatif. Comme nous l'avons vu plus haut, la théorie empirique considère que les citoyens sont principalement motivés par des convictions profondes, ancrées de longue date, qui ne sont pas le fruit d'une réflexion approfondie, mais de l'« absorption » des différentes loyautés qui se produit au moment de la socialisation et lors

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d'expériences précoces (Converse et Markus, 1979 ; Converse, 2000 ; Converse, 2006). Aux États-Unis, par exemple, les parents ont tendance à transmettre à leurs enfants leur identification partisane, tandis qu'en France, la transmission porte davantage sur des orientations idéologiques, les parents léguant à leurs enfants une sensibilité de gauche ou de droite (Percheron et Jennings, 1981). Cette description empirique de la situation aux États-Unis et en France contredit les prétentions à la légitimité des gouvernements élus. En effet, les électeurs ne s'impliquent pas dans une délibération explicite à propos des options politiques qui leur sont offertes ou des qualités des candidats en lice, et ne cherchent pas davantage à savoir quel est le choix le plus favorable au bien public (Elster et Przeworski, 1998 ; Thompson, 2008). Si les citoyens n'ont pas recours à un processus délibératif attentif pour former leur jugement politique, en particulier lorsqu'il s'agit de se rendre aux urnes, il va sans dire que le pouvoir des gouvernements élus repose sur une base bien moins flatteuse. L'attente normative d'un jugement réfléchi, rationnellement exprimé par les citoyens dans le souci du bien public, est couplée à l'idée selon laquelle une analyse explicite est toujours préférable, voire constitue le seul moyen légitime de former les décisions de vote qui incombent régulièrement aux citoyens (Benhabib, 1996 ; Chambers, 2009 ; Fishkin, 2009 ; Manin, 1987 ; Warren, 1996). Ainsi, l'incapacité présumée des citoyens à faire montre de qualités délibératives substantielles conforte la conclusion dystopique exposée ci-dessus. Les recherches menées en neurosciences sur le raisonnement humain ont livré des conclusions surprenantes. Elles s'appuient en particulier sur ce qu'il est convenu d'appeler « le modèle du double processus de jugement » (Chaiken et Trope, 1999 ; Kahneman, 2011). Tout être humain a effectivement des convictions profondes et durables, partisanes aussi bien qu'idéologiques (entre autres) sur lesquelles il s'appuie généralement pour gérer les affaires récurrentes de sa vie quotidienne, pour ce qui concerne la politique aussi bien que le reste. Chacun agit ainsi « automatiquement », c'est‑à-dire efficacement, mais sans passer par un raisonnement explicite et introspectif (Bargh, Chaiken, Govender et Pratto, 1992 ; Bargh et Chartrand, 1999 ; Bargh, 2006). Ce modèle contredit la conclusion dystopique selon laquelle le recours à des expériences passées enfouies dans une heuristique inconsciente produirait souvent des résultats

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positifs (Gigerenzer, Todd et Group, 1999 ; Gigerenzer, 2008). Toutefois, selon le deuxième volet du double processus, un individu qui se trouve dans des conditions nouvelles et incertaines a tendance à se détacher de ses convictions, à les abandonner au profit d'un examen attentif des circonstances présentes, d'une analyse approfondie de ses options pour déterminer celles qui sont les plus prometteuses et envisager de nouvelles allégeances susceptibles de converger vers l'issue la plus souhaitable (Marcus, 2002). Ainsi, la rationalité, comprise comme le processus systématique d'évaluation des avantages et des inconvénients de différentes options, libre de toute croyance ou allégeance antérieure, intervient dans les circonstances où elle est le plus nécessaire. Cette conclusion vient contredire la position de ceux qui, tels John Rawls, James Fishkin et Jürgen Habermas, considèrent que la rationalité formelle (c'est‑à-dire explicite) devrait être le mode de raisonnement ordinaire – et non occasionnel – pour former le jugement (Fishkin, 1991 ; Fishkin, 2009 ; Habermas, 1984 ; Rawls, 1971 ; Rawls, 1997). La troisième phase de la psychologie politique est caractérisée par un élément des plus surprenants : l'émotion occupe une place centrale dans cette perspective, mais pas au sens où elle était entendue communément et depuis longtemps. Nous étudions cette évolution dans la partie suivante qui portera sur les conceptions, anciennes et nouvelles, de l'émotion. Nous présenterons ensuite l'apport empirique de ce nouvel éclairage sur le rôle des enjeux et des émotions, en particulier à propos de la percée du Front national aux élections européennes de 2014.

La psychologie politique de l'émotion et son application au vote Après un millénaire d'introspection, l'émotion a été longtemps perçue comme mystérieuse (souvent située hors du cerveau, dans une autre partie du corps, le cœur, l'estomac ou le visage), imprévisible (car faisant apparemment irruption dans l'esprit de manière inopinée) et irrationnelle (parce qu'à la fois imprévisible et mystérieuse dans sa réalisation et sa fonction) (Nussbaum, 1994 ; Nussbaum, 2001). Jusqu'à récemment, il était très difficile de cartographier ce qui se passait effectivement dans le cerveau, cette masse de quelque 1 500 grammes enfermée dans la solide boîte

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crânienne des êtres humains. De ce fait, les spéculations allaient bon train. Nous savons maintenant que le cerveau a deux modes de compréhension (et même davantage, mais nous nous limiterons à deux aux fins de cette analyse). Celui qui nous est le plus familier est la conscience, l'intégration sensorielle des multiples sollicitations de la vue, de l'ouïe, du toucher et de l'odorat. La conscience a la grande vertu de nous placer dans ce qui nous semble être le centre d'une représentation exacte du monde (Baars, 1997), même si l'environnement ainsi construit ne l'est pas véritablement, n'ayant un caractère d'exactitude ni dans le temps (Nørretranders, 1998) ni dans le sentiment de contrôle exécutif (Wegner, 2002). Par nécessité, le cerveau construit du sens à la fois à partir du corps qu'il habite et du monde extérieur dans lequel il évolue. Ces deux milieux étant très complexes, de nombreux flux sensoriels et soma-sensoriels concomitants arrivent au cerveau, généralement sous la forme de signaux électriques 5. Le cerveau en fait la synthèse le plus rapidement possible. Il agit en fonction de ces toutes premières interprétations, produites bien avant, bien plus vite et bien plus précisément que les représentations ultérieures, plus lentes et plus grossières, de la conscience (Marcus, 2013). Pour obtenir les interprétations les plus rapides possible, le cerveau recourt à d'habiles et rapides variations d'émotion afin de susciter les multiples évaluations parallèles qui sous-tendent l'exécution de diverses tâches stratégiques. Contrairement à ce que notre expérience d'individu doté de conscience nous incite à penser, le cerveau utilise de multiples processus pour élaborer des interprétations concomitantes du monde et de notre relation à lui. Stanislas Dehaene (2009), spécialiste des neurosciences, montre par exemple que le cerveau met en œuvre deux voies parallèles pour exécuter la tâche de la lecture. La première porte sur la reconnaissance des formes pour en déduire des lettres puis des mots, tandis qu'un autre processus parallèle et simultané identifie le sens. Ces deux voies se combinent ensuite si bien que nous percevons consciemment la lecture des mots et du sens comme une seule opération. La conscience est un processus 5. À une seule exception près, les flux sensoriels sont transmis sous la forme de signaux électriques (l'exception concerne l'odorat, sens pour lequel le cerveau, par l'intermédiaire du bulbe olfactif, est en contact effectif avec le monde extérieur, c'est‑à-dire avec les molécules que l'air transporte jusqu'aux sinus).

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sériel (d'où sa lenteur : il faut du temps, d'abord pour trouver les éléments de vision, de son, etc., puis pour intégrer les différents flux d'informations sensorielles et soma-sensorielles dans une construction que nous appelons conscience). Les émotions se manifestent plus tôt, sous la forme de modes parallèles séparés de compréhension qui influencent la façon dont nous ressentons les choses, dont nous pensons et agissons. L'émotion est donc intimement liée à toute chose, y compris à la politique. Trois types de tâches stratégiques, dont l'exécution repose directement sur l'émotion, ont particulièrement suscité l'intérêt de la psychologie politique (Marcus, 2002). La première concerne le suivi des comportements de recherche de récompense déjà maîtrisés précédemment. Ce suivi passe par des variations du degré d'enthousiasme qui permettent au cerveau, quasiment en temps réel, de s'adapter et de contrôler les actions pertinentes par d'habiles et rapides ajustements visant la réalisation des objectifs les plus valorisés. Les variations d'enthousiasme sont déterminantes : les efforts infructueux sont, par exemple, signalés par une baisse d'enthousiasme qui appelle à produire un effort plus important ou à abandonner en fonction de la valeur attachée à l'objectif et des ressources psychiques et physiques disponibles. La seconde de ces tâches stratégiques débouche, elle aussi, sur une évaluation habile et rapide, l'accent étant cette fois mis sur les circonstances associées à une sanction, lorsqu'un individu adopte des comportements d'évitement ou de confrontation déjà expérimentés précédemment, comportements visant à gérer ces circonstances. Le recours à des évaluations précoces du caractère de la sanction est ici central. L'évaluation passe par la variation des degrés d'aversion (un plus haut niveau signalant un plus grand risque de sanction). Les variations du degré d'aversion permettent au cerveau de contrôler quasiment en temps réel l'exécution des routines acquises, de manière à réduire ou à éviter les circonstances qui mènent à la sanction. Enfin, la troisième tâche a une fonction de surveillance. La réussite d'actions familières – qu'il s'agisse de la recherche d'un objectif ou de l'évitement d'une menace – dépend de circonstances qui en recoupent d'autres précédemment rencontrées. Cette troisième évaluation concomitante surveille l'environnement pour repérer tout écart par rapport à la norme attendue. Il est important de repérer très rapidement les circonstances nouvelles ou incertaines. Ce repérage et ses résultats entraînent une variation du degré

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d'anxiété. Ainsi, lorsqu'un individu est calme, cela signifie qu'il peut en toute sécurité s'appuyer confortablement sur des routines habituelles et familières pour réaliser des objectifs récurrents, atteindre un but ou réduire une menace. Un degré d'anxiété croissant signale en revanche des circonstances inhabituelles. Ce mécanisme neuronal a cependant d'autres fonctions en plus de ce rôle de signalement : il inhibe tout comportement déjà engagé, oriente l'attention vers une analyse explicite de la source d'anxiété identifiée (comportement de recherche) et suscite une étude explicite et approfondie des meilleures options disponibles afin d'adopter le mode d'action optimal, dégagé des croyances ou des convictions antérieures, pour parvenir au résultat voulu. L'application de cette conception à l'analyse du rôle des enjeux dans les élections ouvre de nouvelles hypothèses et de nouvelles perspectives. De récentes recherches ont démontré que, au moins dans certaines occasions, les enjeux ont une réelle importance pour les électeurs et ce, indépendamment de l'emprise des convictions existantes (Marcus, Neumann et Macke, 2000 ; Brader, 2006). Et elles montrent que l'émotion est le mécanisme psychologique qui permet l'exercice d'une citoyenneté réfléchie. Sous le nom générique de théorie de l'intelligence affective (Marcus et Macke, 1993 ; Marcus et al., 2000 ; Marcus, 2002), ces travaux considèrent que ce sont les émotions qui permettent une appréhension directe des circonstances. La réflexion sur l'émotion a longtemps développé l'idée rebattue selon laquelle l'émotion, distincte et très différente de la raison consciente, est tout à la fois mystérieuse, imprévisible et irrationnelle (Descartes, 1989 ; Montagu, 1994 ; Cornelius, 1996). Les neurosciences en font une interprétation toute différente. Les émotions sont le résultat de processus neuronaux, d'un mécanisme utilisé, par notre espèce et par d'autres, pour obtenir des interprétations stratégiques et tactiques très rapides qui débouchent sur des actions efficaces bien avant que le cerveau ne soit en mesure de fournir une représentation intégrant tout ce que nous expérimentons comme notre conscience (Marcus, 2013). Les résultats neuronaux de ces évaluations stratégiques recourent à des variations du degré de ces émotions parallèles pour permettre de nombreuses évaluations simultanées. Par ailleurs, la raison est un système qui permet certes la réflexion et l'analyse, mais de manière tardive, lente et malhabile et selon un fonctionnement sériel et non parallèle (Kahneman, 2011).

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Deux aspects de cette nouvelle interprétation sont non seulement particulièrement novateurs, mais remettent en question les anciennes conceptions savantes. Premièrement ces évaluations précoces et inconscientes sont des processus parallèles. Ainsi, dans la plupart des cas, les changements dans l'environnement entraînent un changement au niveau de chacun des trois canaux d'évaluation évoqués plus haut. Cette constatation s'écarte totalement de la conception des « théories cognitives de l'émotion » selon lesquelles l'état émotionnel est le résultat d'un processus singulier et sériel (Roseman, 1984 ; Ortony, Clore et Collins, 1989). Un important élément méthodologique découle de cette nouvelle interprétation. On a pris l'habitude d'évaluer l'émotion en partant de l'idée qu'à un moment donné l'état émotionnel de la plupart des individus est homogène et singulier. Ainsi, il est souvent demandé aux personnes interrogées de dire comment elles se sentent en choisissant parmi une liste de termes exprimant une émotion. Ou encore on leur propose de choisir entre deux réponses dichotomiques (ressentez-vous de la colère ou non ?). Si l'étude est menée selon la conception de l'émotion relevant des neurosciences, la méthode employée devra, au contraire, permettre aux personnes interrogées de préciser leur état émotionnel pour chacune des évaluations concomitantes (degré d'enthousiasme, d'anxiété et d'aversion). Il faudra leur donner la possibilité de signaler de manière fiable et précise le degré – faible ou élevé – de chacune des dimensions : si l'anxiété est importante ou plus réduite, etc. (Marcus, Macke, Wolak et Keele, 2006). En second lieu, le rôle de l'émotion est tourné vers l'action, alors que la théorie classique de l'attitude (McGuire, 1969) conçoit l'émotion comme un réceptacle passif « d'étiquettes » d'affects positifs ou négatifs (Fiske et Taylor, 1991). La conception classique de l'attitude attribue à toute composante émotionnelle d'une attitude un rôle passif, réservant à tort la part de l'action à une supposée composante « comportementale ». Il est également erroné d'attribuer à la dimension « cognitive » de l'attitude le placement de ce que l'on sait à propos d'une attitude. C'est le cas seulement de ce qui est entreposé dans la mémoire sémantique (ou déclarative) et non de ce qui est enregistré dans la mémoire procédurale (ou associative) (Schacter, 1996). L'émotion prend une large part dans la connaissance et l'action, et cet aspect a peut-être plus d'importance encore que les changements de la perception des états

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subjectifs qui ont tant intéressé les humains (Darwin, 1998 ; Descartes, 1989 ; Hirschman, 1977 ; James, 1997 ; Montagu, 1994). La théorie de l'intelligence affective se propose d'appliquer cette nouvelle conception de l'émotion à la politique (Macke, Marcus, Neumann et Keele, 2007 ; Marcus et al., 2000 ; Brader, 2005 ; Brader, Valentino et Suhay, 2008 ; Valentino, Brader, Groenendyk, Gregorowicz et Hutchings, 2011 ; Gadarian, 2010 ; Gadarian et Albertson, 2014). De fait, cette nouvelle conception de l'émotion change notre perception de l'influence des enjeux sur les décisions de vote. Elle repose sur deux évaluations affectives essentielles : la première, celle de l'aversion, est axée sur la présence d'une menace. La seconde, celle de l'anxiété, est axée sur le degré de normalité du moment (depuis la familiarité anodine jusqu'à l'extrême incertitude et nouveauté). La première évaluation, exprimée émotionnellement par une variation dans le degré d'aversion (colère, ressentiment ou amertume), précède aussi, lorsqu'elle est élevée, des sentiments de menace et favorise le soutien à des efforts de sécurité et de solidarité (Huddy, Feldman, Taber et Lahav, 2005). La seconde, exprimée émotionnellement par la variation du degré d'anxiété (Lerner et Keltner, 2001 ; Lerner, Gonzalez, Small et Fischhoff, 2003 ; Valentino, Hutchings et White, 2002 ; Valentino et al., 2011 ; Gadarian, 2010 ; Gadarian et Albertson, 2014), incite à analyser la situation de manière réfléchie et à faire preuve d'ouverture vis‑à-vis de nouvelles solutions, de nouvelles coalitions et d'un éventuel soutien à de nouveaux chefs, sous réserve qu'ils proposent des solutions plus prometteuses (Macke, Wolak, Keele et Marcus, 2010). Adopter des discours sur les enjeux qui suscitent la colère peut être d'une grande utilité pour les partis en leur permettant de fédérer leurs sympathisants autour de positions traitant de la source de la colère publique (Gadarian, 2010). Indépendamment de l'effet de persuasion, la question de l'immigration est ainsi mobilisée pour expliquer à des citoyens crédules pourquoi leur existence est si dure. Les partis de droite adoptent souvent un canevas commun d'ultranationalisme et utilisent la colère dirigée contre les immigrants comme un puissant instrument pour faire le lien entre des chefs de parti à la recherche de soutien et des sympathisants qui pourraient les soutenir. Les partis politiques de droite ont ainsi un puissant moyen de s'assurer des soutiens en mobilisant la colère contre « les autres ». C'est un outil de mobilisation particulièrement efficace pour resserrer des liens déjà existants entre le chef et les sympathisants.

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Deux voies vers la droite

L'anxiété, signe de la nouveauté et de l'incertitude qui caractérisent une époque, offre une voie différente pour obtenir des soutiens. Des études menées sur les électeurs anxieux (Brader et al., 2008 ; Macke et al., 2010 ; Marcus et Macke, 1993 ; Valentino, Hutchings, Banks et Davis, 2008) ont mis en évidence les résultats suivants. D'abord, ces électeurs prêtent davantage attention aux facteurs de court terme : ils se renseignent sur les problèmes et sur les positions prises par les partis à leur propos et s'informent sur les différents candidats, à la fois ceux auxquels ils font historiquement confiance et ceux auxquels ils sont historiquement opposés. Ensuite, ils cessent de se laisser guider par leurs convictions partisanes ou idéologiques (Brader, 2006 ; Macke et al., 2007). Enfin, ils apportent leur soutien au parti ou au candidat qui prend les positions qui leur semblent les plus convaincantes. Ces constatations font apparaître une autre façon pour les organisations politiques d'engranger des soutiens. C'est la voie de la persuasion qui, si elle est empruntée avec succès, permettra aux partis d'acquérir rapidement des soutiens, en particulier parmi des personnes qui étaient précédemment peu susceptibles de soutenir leurs candidats. Cette théorie envisage donc deux voies différentes permettant la réalisation rapide de transformations. La première mise sur une colère croissante qui consolide le lien entre les positions d'un parti, ses candidats et les convictions des sympathisants. Cette voie permet d'accroître la participation aux élections et d'autres formes de participation politique (Valentino et al., 2011). La seconde voie table sur l'anxiété pour permettre aux partis d'engranger de nouveaux soutiens en prenant des positions populaires sur des sujets qui suscitent cette forte anxiété. Cette voie recourt à l'anxiété croissante pour permettre à des partis de recruter les transfuges d'autres camps (Macke et al., 2007). La récente crise financière et la reprise lente et incertaine qui a suivi ont fourni l'occasion de mener un test sur le rôle des émotions et des enjeux dans la façon dont la droite a tiré parti de ces circonstances pour engranger des suffrages. Voyons comment les théories classiques expliquent la montée des partis d'extrême droite en France et ailleurs. Nonna Mayer et d'autres s'efforcent, depuis un certain temps déjà, de déterminer quels électeurs votent pour l'extrême droite et pourquoi (Mayer et Perrineau, 1992 ; Mayer, 2013). Ces questions ne sont pas spécifiques à l'histoire électorale française. Des partis similaires existent dans la plupart des démocraties européennes, à l'instar du Parti

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national britannique au Royaume Uni, du parti Jobbik en Hongrie et d'Aube dorée en Grèce, pour se limiter à ces trois exemples. Des systèmes bipartites comme celui des États-Unis ont également vu l'émergence et la montée en puissance de mouvances droitières, avec le Tea Party par exemple (Skocpol et Williamson, 2012 ; Zernike, 2010). Les conditions macro qui ont mené à l'augmentation de ce soutien sont claires. D'une part, durant les périodes de menace économique, l'hostilité envers les immigrants augmente (Doty, Peterson et Winter, 1991 ; Citrin, Green, Muste et Wong, 1997 ; Dancygier et Donnelly, 2014), phénomène qui a également été vérifié en France (Mayer, Michelat et Tiberj, 2010). D'autre part, les sociétés qui connaissent des menaces accrues ont tendance à soutenir des chefs plus autoritaires et plus conservateurs (McCann, 1997 ; Doty et al., 1991). Il est particulièrement intéressant de comprendre la raison de ce lien. Les recherches sur la tolérance politique fournissent une première explication. Elles ont en effet montré, de manière récurrente, que les sentiments de menace accrue conduisent à davantage d'intolérance (Sullivan, Shamir, Walsh et Roberts, 1985 ; Sullivan et Marcus, 1988 ; Gibson et Gouws, 2003). Par ailleurs, lorsque les individus ressentent des menaces, ils ont tendance à attacher plus de valeur à la sécurité qu'au maintien des valeurs et des principes démocratiques (Marcus, Sullivan, Theiss-Morse et Wood, 1995 ; Gibson, 1998). Il ne s'agit donc pas uniquement d'une réaction à l'expérience de la menace, mais aussi au fait que, dans ce cas, les individus accordent plus de valeur à une promesse de sécurité qu'à la préservation de l'ouverture de la démocratie (voir aussi à ce propos Feldman et Stenner, 1997 ; Stenner, 2005). La psychologie politique permet d'examiner la façon dont les individus donnent un sens au monde, comment des interprétations, émotionnelles et réfléchies, débouchent sur des choix et des actions. Cette perspective se démarque totalement de l'approche sociologique (pour laquelle le social détermine l'individu) 6. Ainsi, la psychologie politique propose une approche nouvelle pour explorer les raisons derrière la montée en puissance des partis d'extrême droite lors des élections de ces dernières années. Les explications classiques mettent en avant l'aggravation de la menace et la plus grande valeur accordée à la sécurité promise par 6. En particulier les courants qui reposent sur un paradigme de domination (Bourdieu, Harker, Mahar et Wilkes, 1990).

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les politiques défendues par ces partis. Nous savons donc quand les partis de droite ont le plus de chances d'engranger des soutiens. Mais on ne sait pas vraiment qui et pourquoi. Nous pouvons recourir à la théorie de l'intelligence affective évoquée ci-dessus pour tester l'idée selon laquelle les enjeux et les positions présentées par les partis leur permettent de remporter des sièges dans les assemblées législatives et des postes dans l'exécutif des gouvernements démocratiques. Il s'agit de comprendre comment la droite acquiert de nouveaux soutiens. Les menaces renforcent les liens anciens, les convictions communes aux adhérents et à leurs chefs. Par conséquent, l'aggravation d'une menace motive, mais n'a pas d'effet de persuasion. En revanche, des circonstances nouvelles et imprévues telles que la récente crise financière mondiale suscitent un fort degré d'anxiété qui s'ajoute au sentiment de menace. Quelle est la portée de ce surcroît d'anxiété sur la politique ? Rappelons que l'anxiété inhibe le recours aux convictions existantes et encourage à porter attention aux circonstances et aux choix offerts pour y répondre. On voit donc que les enjeux peuvent avoir un double rôle dans la progression de la droite. Certaines questions, celles qui provoquent la colère, inciteront les électeurs déjà concernés par ces questions à faire un effort supplémentaire pour soutenir leurs allégeances politiques. Les questions qui suscitent de l'anxiété encourageront quant à elles les électeurs dégagés de leur fidélité à leurs convictions et partis habituels, à étudier les programmes des autres partis et à comparer les différentes mesures proposées pour répondre à la crise. Dans la plupart des pays d'Europe, les partis établis ont rejeté les programmes keynésiens au profit d'une ligne d'austérité « hayekienne ». Ce choix politique a reçu un accueil très mitigé de la part du public. Une telle situation laisse le champ libre aux partis radicaux, de gauche comme de droite, qui peuvent en profiter pour présenter aux citoyens des comparaisons faciles en faveur des partis qui rejettent l'austérité. Mais qui sont les citoyens disposés à faire de telles comparaisons ? Selon la brève présentation qui précède, il devrait s'agir d'électeurs anxieux, les plus libérés de leurs convictions et de leurs loyautés précédentes, des électeurs anxieux portés à se renseigner et à envisager des solutions différentes. Les élections européennes de 2014 en France nous ont offert une excellente occasion de vérifier le rôle de la colère et de l'anxiété dans le comportement des électeurs qui mobilisent les enjeux afin de faire leur choix électoral. Un aspect de ce scrutin était

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particulièrement intéressant pour ce test : les élections se sont déroulées à un moment propice pour l'anxiété et la colère. Le contexte était favorable au FN pour deux raisons principales. Premièrement le scrutin a coïncidé avec une aggravation de la crise économique. L'incapacité chronique du gouvernement français à régler la brûlante question du chômage, la stagnation de l'économie et le maintien à un niveau élevé du déficit public contrairement aux promesses faites à Bruxelles ont favorisé la mise en place progressive d'un sentiment de menace et de profond mécontentement du public. Deuxièmement, les deux grands partis français étaient en crise. D'un côté, François Hollande, deux années seulement après son élection, enregistrait une chute historique de popularité, atteignant un record d'impopularité avec seulement 18 % d'avis favorables (Ifop). De l'autre, l'UMP ne se portait pas très bien non plus, minée par divers scandales et des divisions internes qui devaient finalement conduire à la démission du président du parti, Jean-François Copé, trois jours à peine après les élections européennes. Dans ce climat politique délétère, le Front national a mené une campagne politique efficace sur la base de deux enjeux clés, l'euroscepticisme et l'immigration. Ces deux questions font traditionnellement partie de son programme politique, mais elles ont été révisées pour l'occasion : en phase avec son fort euroscepticisme habituel, le FN a rejeté sur l'Union européenne la responsabilité de la crise économique, lui imputant la situation des entreprises françaises. Il a, de plus, critiqué l'euro, rendu responsable du faible pouvoir d'achat des Français. En parallèle, fidèle à sa stratégie traditionnelle, le FN a pointé le rôle des immigrants dans la crise économique, expliquant la montée du chômage chez les ressortissants français par le nombre élevé d'immigrants. En ce sens, comme nous le montrerons dans la partie suivante, le FN est parvenu à la fois à mobiliser son fonds électoral traditionnel et à attirer des électeurs supplémentaires parmi ceux qui se sentaient menacés par la crise économique. Ces hypothèses sont testées dans la partie suivante.

Méthodologie et données Une enquête par internet a été menée en mai 1974 dans deux régions françaises (Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur) sur un échantillon représentatif de 2 014 répondants, dans le cadre

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du projet « Making Electoral Democracy Work ». Notre intérêt étant axé sur le vote FN, la variable dépendante a été codée « 1 » dans le cas où le répondant avait voté pour le FN et « 0 » en cas de vote pour un autre parti. Nous avons exclu de l'analyse les abstentionnistes. Le degré d'anxiété et de colère suscité par la situation économique a été mesuré par deux questions utilisant l'échelle de Likert en cinq modalités : « Lorsque vous pensez à la situation économique en France, est-ce que vous vous sentez anxieux (en colère) ou pas ? » Les répondants avaient le choix entre cinq réponses graduées entre « pas du tout » et « très ». La Figure 1 donne la distribution de l'anxiété et de la colère vis‑à-vis de la situation économique. En cohérence avec des résultats obtenus précédemment aux États-Unis (Macke et al., 2010), les degrés d'anxiété et de colère présentent une corrélation positive (coefficient de Pearson r= 0,63 ; p < 0,001). L'impact des enjeux sur la décision de vote a également été évalué par une question portant sur le problème jugé le plus important par les répondants. Nous avons choisi d'étudier les quatre réponses le plus souvent citées : la crise économique (19,9 %), le chômage (15,7 %), le pouvoir d'achat (13,4 %) et l'immigration (12,7 %). Figure 1 : Distribution de l'anxiété et de la colère vis‑à-vis de la situation économique 50

50

37.5

37.5

25

25

12.5

12.5

0

0 Pas du tout anxieux

Très anxieux

Pas du tout en colère

Très en colère

Source : Enquête Making Electoral Democracy Work (MEDW), auprès d'un échantillon de 2 014 individus interrogés par internet représentatif de la population d'Île-de-France et de PACA, mai 2014. Lecture : pourcentages des répondants selon leur niveau d'anxiété ou de colère.

Afin d'illustrer l'impact des émotions sur la propension à voter pour le FN, nous avons construit deux modèles. Le premier porte sur les données sociodémographiques classiques (sexe, âge, éducation), le positionnement sur l'échelle gauche-droite, les enjeux les

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plus importants et le degré d'anxiété et de colère vis‑à-vis de la situation économique. Le deuxième modèle complète le premier par l'introduction de huit effets d'interaction (entre émotions et enjeu le plus important), de manière à évaluer l'impact conditionnel des émotions sur les stratégies de prise de décision des électeurs 7. Notre variable dépendante (le vote) étant dichotomique, nous appliquons une régression logistique binomiale.

Résultats Le Tableau 1 présente les analyses de régression. Le modèle 1 conforte la conclusion selon laquelle les électeurs du FN sont majoritairement des jeunes, de sexe masculin, peu instruits, qui se reconnaissent dans l'idéologie de droite. Par ailleurs, conformément à des résultats précédents (Mayer, 2013), on constate une plus grande probabilité de vote FN chez ceux qui accordent de l'importance à la question de l'immigration que chez ceux qui privilégient d'autres enjeux. S'agissant de l'impact de nos deux variables clés (anxiété et colère vis‑à-vis de la situation économique), le modèle 1 montre que la colère a un impact positif significatif sur la probabilité du vote FN. En revanche, le coefficient mesurant l'effet direct de l'anxiété n'atteint pas le seuil de significativité statistique. Ces résultats sont conformes à nos attentes. Une anxiété accrue vis‑àvis de la situation économique ne modifie pas, par elle-même, la probabilité de vote pour le FN. En revanche, les individus chez qui la situation économique suscite de la colère ont davantage de chances d'évoluer vers le FN, parti qui adopte des positions de prise de risque plus extrêmes.

7. Les spécifications des modèles présentés dans le tableau de régression traduisent l'effet des émotions (pente de la droite de régression) pour chaque catégorie de la variable d'enjeux. Ces spécifications sont identiques à celles du mode traditionnel d'inclusion des effets d'interaction, mais produisent des résultats plus lisibles du point de vue de l'interprétation de l'effet des émotions en fonction des différentes questions politiques.

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Deux voies vers la droite

Tableau 1 : Anxiété, colère et vote FN Modèle 1

Modèle 2

Femme

-0,35** (0,17)

-0,37** (0,18)

Âge

-0,01** (0,01)

-0,01** (0,01)

Diplôme

-0,19*** (0,05)

-0,19*** (0,05)

Immigration

1,77*** (0,24)

2,71* (1,46)

0,32 (0,28)

-9,545

Chômage Pouvoir d'achat

0,35 (0,29)

1,23 (1,61)

Crise

0,19 (0,24)

-2,78 (1,88)

Immigration x anxiété

-0,07 (0,26)

Chômage x anxiété

1,25** (0,49)

Pouvoir d'achat x anxiété

0,78* (0,44)

Crise x anxiété

0,07 (0,29)

Autres questions x anxiété

0,05 (0,21)

Immigration x colère

0,62** (0,29)

Chômage x colère

0,57 (0,43)

Pouvoir d'achat x colère

-0,20 (0,45)

Crise x colère

1,39*** (0,40)

Autres questions x colère

0,73*** (0,24)

Échelle gauche-droite Anxiété

0,48*** (0,05)

Colère

0,71*** (0,15)

Constante

-6,17*** (0,78)

Observation Pseudo R2

0,48*** (0,05)

0,18 (0,13)

-5,81*** (1,09)

1 141 0,35

Note : les astérisques renvoient à des indices de significativité. * : le coefficient est significatif à 0.10 ; ** : le coefficient est significatif à 0.05 ; *** : le coefficient est significatif à 0.01. Source : Enquête Making Electoral Democracy Work (MEDW), auprès d'un échantillon de 2 014 individus interrogés par internet représentatif de la population d'Île-de-France et de PACA, mai 2014.

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Le modèle 2 (colonne de droite) introduit des effets d'interaction entre les émotions et les enjeux, de manière à déterminer si, en fonction des différentes questions, le degré d'anxiété ou de colère vis‑àvis de l'économie a un impact significatif sur la probabilité d'un vote FN. En d'autres termes, les interactions illustrent l'effet conditionnel des émotions sur le vote sur enjeu. Toutes choses égales par ailleurs, les électeurs qui considèrent que le chômage et le pouvoir d'achat sont des questions importantes ont une propension significativement plus grande à voter pour le FN quand ils se sentent anxieux. De plus, les électeurs qui jugent que l'immigration, la crise et d'autres enjeux sont particulièrement importants ont une probabilité significativement plus grande de voter FN lorsqu'ils sont en colère. Il semble que les électeurs en colère déterminent leur vote en fonction d'enjeux clés sur lesquels la position du FN est connue depuis longtemps (comme la situation économique en Europe et l'immigration), tandis que les électeurs anxieux ont tendance à voter en fonction d'aspects spécifiques de la crise que le FN s'est récemment engagé à traiter. Les Figures 2 et 3 ci-après illustrent les effets marginaux moyens de tous les termes d'interaction (Brambor, Clark et Golder, 2006), tandis que les Figures 4 et 5 illustrent l'impact de l'anxiété et de la colère sur la probabilité de voter pour le FN pour chaque enjeu d'importance. Globalement, nos conclusions confortent l'idée que les enjeux ont plus de poids qu'on ne le pense généralement et que, dans ce cadre, les émotions jouent deux rôles centraux et distincts. Plus particulièrement, dans le cas du score enregistré par le FN aux élections européennes de 2014, les émotions, considérées sous l'angle de la théorie de l'intelligence affective, alimentent le soutien électoral au FN par deux voies, celle de l'anxiété et de l'aversion. Les électeurs en colère ont tendance à accorder de l'importance aux questions placées au premier plan du programme du FN (l'immigration et la crise européenne), ce qui a favorisé la mobilisation des sympathisants. D'un autre côté, la propension à voter pour le FN a augmenté parmi les électeurs anxieux ayant accordé de l'importance à des questions économiques comme le chômage et le pouvoir d'achat.

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Figure 2 - Effet marginal moyen de la colère sur la probabilité d'un vote FN (Effets sur la probabilité d'un vote FN/ Immigration – Chômage – Pouvoir d'achat – Crise – Autres)

Source : Enquête Making Electoral Democracy Work (MEDW), auprès d'un échantillon de 2 014 individus interrogés par internet représentatif de la population d'Île-de-France et de PACA, mai 2014

Figure 3 - Effet marginal moyen de l'anxiété sur la probabilité d'un vote FN (Effets sur la probabilité d'un vote FN/ Immigration – Chômage – Pouvoir d'achat – Crise – Autres)

Source : enquête Making Electoral Democracy Work project (MEDW), auprès d'un échantillon de 2 014 individus interrogés par internet représentatif de la population d'Île-deFrance et de PACA, mai 2014.

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310 Sociologie plurielle des comportements politiques Figure 4 – Les effets de la colère sur le vote FN selon l'enjeu le plus important

Source : Enquête Making Electoral Democracy Work (MEDW), auprès d'un échantillon de 2 014 individus interrogés par internet représentatif de la population d'Île-de-France et de PACA, mai 2014.

Figure 5 – Les effets de l'anxiété sur le vote FN selon l'enjeu le plus important

Source : Enquête Making Electoral Democracy Work (MEDW), auprès d'un échantillon de 2 014 individus interrogés par internet représentatif de la population d'Île-de-France et de PACA, mai 2014.

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Conclusion Parmi les changements qu'ont connus les recherches sur la politique figure en bonne place le tournant qualifié à tort de « comportemental » qui a démarré aux États-Unis au milieu du siècle dernier (Campbell et al., 1960 ; Berelson et al., 1954 ; Lazarsfeld et al., 1944), avec trop peu de considérations pour les travaux antérieurs (Gosnell, 1927). Plutôt que de pontifier sur l'état de la politique, la qualité des leaders et les capacités des citoyens (Mencken, 1949), la recherche en science politique s'est tournée vers le recueil de données, en tant que méthode cohérente permettant de proposer – et de tester – des hypothèses. Comme nous l'avons noté en début de chapitre, la sociologie politique a élaboré une description dystopique des électorats démocratiques. À cela s'est ajoutée une tradition de recherche qui démontre que plutôt que de faire preuve de jugement autonome, les individus préfèrent adhérer à une action commencée par d'autres, même si elle est moralement douteuse (Asch, 1951 ; Asch, 1955 ; Asch, 1956 ; Sherif, 1956 ; Sherif, 1958 ; Milgram, 1963 ; Milgram, 1974 ; Haney, Banks et Zimbardo, 1983 ; Zimbardo, 2008). Ces affirmations qui relèvent de la sociologie politique présentent, par ailleurs, deux sérieuses limitations. Premièrement, il serait faux de prétendre que tous les individus se comportent de manière semblable. Il subsiste des variations individuelles considérables, un « bruit parasite » trop peu pris en compte. Certes, les riches et les puissants votent généralement pour les partis conservateurs et les pauvres pour la gauche ou des programmes progressistes. Mais pas tous. Certes, les électeurs votent souvent en accord avec leurs convictions idéologiques et partisanes. Mais pas toujours. Et il est impossible d'expliquer ainsi les « raz-de-marée » électoraux qu'ont connus les États-Unis (élections de Franklin D. Roosevelt en 1936 ; Lyndon B. Johnson en 1964 ; Ronald Reagan en 1984 ou Barack Obama en 2008) sans admettre que des millions d'électeurs ont décidé de voter pour le candidat de « l'autre bord » (Mackuen et al., 2007). La part de variance inexpliquée exige ou mérite qu'on lui prête une véritable attention théorique et que des données empiriques soient réunies pour convertir les spéculations en conclusions vérifiables. Par l'étude d'un exemple empirique, nous nous sommes efforcés de montrer que les récents succès électoraux remportés en France par le Front national lors du scrutin européen se comprennent mieux si l'on considère l'influence des émotions. Celles-ci influent en

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effet sur le moment et la manière dont certains en viennent à rejeter leur allégeance électorale antérieure pour adopter un nouvel alignement politique en soutenant des candidats de droite. Nous avons constaté que les questions d'actualité jouent un rôle central sur ces mouvements. Cette conclusion est surprenante, puisqu'il est traditionnellement admis que les positions prises sur les enjeux ne servent qu'à conforter des convictions politiques préétablies, comme c'est le cas pour les croyances les plus stables (Mercier et Sperber, 2011). Nous avons, par ailleurs, constaté que les émotions peuvent offrir aux partis politiques deux voies d'obtention de suffrages. La première est la voie de la mobilisation. Dans les partis, il existe souvent des liens contraignants entre leaders et adhérents, loyaux défenseurs du programme du parti. Pourtant, ce lien peut ne pas suffire à inciter les adhérents à se rendre aux urnes en l'absence de la capacité de mobilisation de l'émotion ; or, comme nous l'avons montré plus haut et comme d'autres l'ont mis en évidence pour les États-Unis (Valentino et al., 2011), la colère est un puissant instrument de mobilisation. Cette voie présente néanmoins des limites et ne suffit donc pas à expliquer des hausses de scores qui dépassent la simple augmentation de participation aux élections de la base existante des sympathisants. Il existe, de fait, une deuxième voie pour acquérir des soutiens, celle de l'anxiété. Celle-ci a des conséquences politiques susceptibles de permettre à des partis d'attirer d'importants soutiens d'une source inattendue : la base partisane de leurs opposants. Les deux plus puissants effets de l'anxiété sont i) d'interrompre la confiance dans les convictions préexistantes, et ii) d'inciter les individus à considérer et à réfléchir soigneusement en comparant les réponses proposées par les partis dans les circonstances inattendues qui se présentent. Par conséquent, la combinaison de l'anxiété et des enjeux fournit à un parti l'occasion d'attirer l'attention des électeurs et de les persuader de se rallier à lui, même si cela implique l'abandon de leur position habituelle. Comme le montrent nos résultats, c'est ce qui s'est passé en 2014. Nous terminerons sur une note d'encouragement. Au fur et à mesure qu'augmente le nombre des chercheurs qui travaillent sur l'influence des émotions en politique (Brader, Marcus et Miller, 2011 ; Brader et Marcus, 2013), on peut s'attendre à ce que ces effets soient mis en évidence dans d'autres circonstances et d'une façon qui pourrait surprendre. Nous nous démarquons désormais nettement des temps où les émotions étaient considérées comme

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une mystérieuse source d'irrationalité (Nussbaum, 1994 ; Nussbaum, 2001), conception qui n'a que récemment été remise en cause au profit d'une vision plus positive. Gageons que la lecture de ce chapitre incitera d'autres chercheurs à s'intéresser aux élections et aux diverses formes de politisation.

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Deux voies vers la droite

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POLITISATION

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Quatrième partie

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Chapitre 12

Politisation Temporalités et échelles Yves Déloye et Florence Haegel

L

e terme « politisation » est d'un usage relativement récent mais inflationniste en science politique. Une interrogation de Google Scholar 1 donne un chiffre impressionnant, presque affolant : 25 200 occurrences pour la déclinaison en langue française du terme ; 97 600 pour la version en langue anglaise, « politicization », chiffre auquel il faudrait ajouter les 4 980 occurrences pour l'autre traduction possible, « politization » 2. S'agissant de la France, on a clairement assisté à une sorte d'emballement. À l'exception de quelques références plus anciennes, à l'exemple de celle de Jean et Monica Charlot (1961) qui fait suite à l'organisation d'une table ronde sur la « tendance à la dépolitisation dans les démocraties modernes », organisée par l'Association française de science politique (AFSP) en novembre 1960 et publié en 1962 sous la direction de Georges Vedel (1962), ou encore de celle de Philip E. Converse et Georges Dupeux (1962) comparant la politisation entendue comme le développement politique en France et aux États-Unis, les occurrences se multiplient surtout à la fin des années 1980. Pour confirmer cette chronologie, il suffit de se 1. La consultation a été faite le 15 juillet 2015. 2. On notera toutefois que la notion n'est pas indexée dans l'Oxford Handbook of Political Science publié sous la direction de Robert E. Goodin (2009). Bien que sensible aux approches de sociologie historique, l'Oxford Handbook of Contextual Political Analysis, dirigé par Robert E. Goodin et Charles Tilly (2006), n'indexe pas plus la notion. Dans le domaine de l'analyse de l'action publique, le manuel classique de Wayne Parsons (1997) est tout aussi discret sur l'usage de la notion.

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connecter de manière complémentaire au portail Google Books et d'utiliser l'outil de mesure (certes imparfait, comme beaucoup d'outils bibliométriques) de la fréquence d'un mot ou d'une expression au cours du temps, Books Ngram Viewer, pour s'en convaincre définitivement 3. Cet enthousiasme a stimulé les réflexions critiques en science politique (Aït-Aouadia et al., 2010, 2011), tout comme en sociologie (Cefaï, 2014) ou en histoire (Pécout, 1994 ; Fureix et Jarrige, 2015, chapitre 5) ; il a même parfois déclenché des prises de position très polémiques. Ainsi, dans une publication de vulgarisation de la discipline, Jean Baudoin n'a pas hésité à dénoncer « l'épistémologie constructiviste qui tend à dissoudre le politique dans la politisation » et à récuser fortement le « postulat sociologisant de l'antécédence du social sur le politique » (Baudoin, 2009, p. 6-7). Depuis, le terme ne cesse pourtant de faire l'objet d'usages variés et souvent, avouons-le, de moins en moins rigoureux. Pour ne pas accroître la confusion, nous proposons ici une forme de mise en ordre à partir de deux dimensions qui nous paraissent fondamentales pour clarifier la notion : les temporalités chronologiques et les échelles d'analyse. Dans un premier temps, nous présenterons un aperçu de la variété des travaux se référant, fréquemment de manière très élastique, à la notion de politisation et donnerons une idée des conceptions qui fondent ces usages variés. Dans un second temps, nous proposerons une forme d'organisation de ces usages, fondée sur la combinatoire des temporalités chronologiques et des échelles d'analyse auxquelles s'applique la notion.

Les mille et une manières de (se) politiser Dans la science politique française aujourd'hui, « tout (se) politise » (Aït-Aoudia et al., 2011). À titre d'illustration et sans aucune ambition d'exhaustivité, on peut citer le voile (Lorcerie, 2005), la question des « pieds-noirs » (Savarese, 2006), les pompiers (Pudal, 3. Faute de place ici, nous ne reproduisons pas le graphique obtenu. Il suffira aux lecteurs de se connecter à l'adresse suivante pour reproduire cette expérience bibliométrique : http://ngrams.googlelabs.com/ Si le terme de « politisation » reste d'usage presque confidentiel durant la première partie du XXe siècle dans le corpus de langue française, le nombre de citations croît pendant les années 1960 pour devenir encore plus fréquent à partir des années 1980. L'interrogation de la même banque de données avec le terme « politicization » dans le corpus anglo-américain confirme cette chronologie dans ses tendances générales.

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Politisation

2011), les identités (Nagaru, 2007 ; Fournis et Pasquier, 2008), les discussions (Duchesne et Haegel, 2004, 2007), etc. Tout (se) politise donc, mais chacun le fait à sa façon : de manière « feutrée » (Laurens, 2009), « localisée » (Mischi, 2003), « diffuse » (Le Gall, Offerlé et Ploux, 2012), « différenciée » (Hauchecorne, 2009) ou encore « incrémentale » (Raison du Cléziou, 2011). Autant dire que la politisation affecte des objets très différents : des individus, des groupes, des institutions, des pratiques sociales, des discussions et des questions, voire des émotions (Charpentier, 1998). Afin de commencer d'éclaircir ce panorama passablement encombré on peut, d'abord, partir du constat que deux principales acceptions émergent de cette profusion et que ces dernières sont bien résumées dans la définition très succincte fournie par Philippe Braud dans le lexique de son manuel de Sociologie politique 4 : selon lui, la politisation est couramment entendue comme un « processus de transformation d'un problème de société en problème politique. Également, dimension de la socialisation des individus qui souligne leur intérêt pour la politique » (Braud, 2014, p. 625). Selon la première acception, le terme est d'abord utilisé à propos de thèmes, de problèmes, de phénomènes, d'enjeux. Il s'agit alors de retracer la manière dont des questions a priori non « politiques », qu'elles soient initialement religieuses, culturelles ou techniques, deviennent politiques, sont labélisées comme telles dans le débat politique ou traitées comme telles par les acteurs de l'administration ou de la compétition politique. Selon la deuxième acception, le terme s'applique à des individus, mais aussi à des catégories ou groupes d'individus. Il désigne alors le mouvement ou le processus qui conduit ces derniers à s'intéresser à et à s'impliquer dans la politique. Il concerne, au premier chef, les électeurs dont beaucoup de travaux interrogent le degré de « rapport au politique » en mobilisant une grande variété d'indicateurs tant quantitatifs que qualitatifs permettant de cerner l'attention qu'ils lui portent au travers de leurs déclarations – en particulier le fait qu'ils se déclarent intéressés par la politique – ou au travers de leurs actes – le fait qu'ils s'inscrivent sur les listes électorales (Bréchon et Cautrès, 1987), qu'ils votent ou qu'ils discutent politique, par exemple. 4. Un autre manuel – relatif à une expérience récente d'enseignement de la discipline en Belgique francophone – reprend cette double entrée en distinguant, d'une part, « la (dé) politisation des phénomènes » et, d'autre part, « la (dé)politisation des citoyens » (Balzacq et al., 2014, p. 38-41, souligné par nous).

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Quant à Nonna Mayer, elle n'a pas fait dans ses travaux, probablement par prudence analytique, grand usage de cette notion. Le terme est ainsi absent de l'ouvrage issu de sa thèse de doctorat, La Boutique contre la gauche (Mayer, 1986), alors même qu'elle analyse, en introduisant d'ailleurs une dimension historique, le rapport au politique des petits commerçants. Elle traite alors non seulement de leurs votes, mais aussi de leur vision du monde social marquée par le clivage entre les petits et les gros et la célébration d'un âge d'or « [condamné] par l'évolution même du monde moderne » (Mayer, 1986, p. 151). De la même manière, ce terme est absent ou marginal dans ses travaux ultérieurs, qu'il s'agisse de ses recherches sur les électeurs du Front national (Mayer, 1999) ou du premier manuel qu'elle a co-écrit avec Pascal Perrineau (Mayer et Perrineau, 1992). La notion fait, en revanche, son apparition dans la Sociologie des comportements politiques que l'auteure a publiée plus récemment 5 (Mayer, 2010) : le terme de « politisation » est cité à seize reprises dans ce manuscrit. Pour l'essentiel (sept fois), il renvoie à la deuxième acception évoquée précédemment puisqu'il est employé au sens d'une implication et d'un intérêt plus ou moins fort des électeurs pour la politique. La « politisation » est le nom d'une variable, celle que l'on mesure à partir de l'intérêt déclaré pour la politique directement liée au niveau d'études ; elle constitue bien ici une mesure bien plus qu'un processus 6. Dans ce même manuscrit, la première acception fournie par Philippe Braud (2014, p. 625), celle de la politisation d'un enjeu, ne fait l'objet que d'une seule référence et renvoie aux conceptions classiques de Jean Leca (1973) et de Jacques Lagroye (2003). À côté de ces usages classiques, des références plus ponctuelles sont repérables : deux occurrences de la thématique de la « dépolitisation », une occurrence de l'expression de « politisation négative » (Missika, 1992), cinq occurrences relatives enfin aux travaux récents sur la politisation des discussions (Duchesne et Haegel, 2004, 2007) dans le chapitre consacré à la parole politique. Si l'on va au-delà des travaux de Nonna Mayer et que l'on embrasse un corpus plus large, l'on est vite confronté au fait que 5. On notera toutefois que le terme n'a pas été retenu dans l'index du manuel (Mayer, 2010, p. 311-312). 6. Précisons néanmoins que cette dimension processuelle est implicitement présente dans l'enquête collective que Nonna Mayer et Céline Braconnier ont récemment menée sur la sociologie politique des précaires (Braconnier et Mayer, 2015).

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Politisation

coexistent des usages très complexes de la notion de politisation. Celle-ci est utilisée à propos d'objets composites, formes d'assemblages très hétérogènes, et son emploi conduit fréquemment les auteurs à s'interroger sur le sens et sur la dynamique spécifique du processus qu'elle désigne. Deux débats nous permettront de prendre la mesure de cette complexité. Nous les avons choisis en raison de leur éloignement dans le temps : l'un porte sur la politisation des campagnes françaises et se déploie en histoire sociale et politique, même s'il a largement irrigué la science politique française ; l'autre concerne, en priorité, la science politique en langue anglaise et interroge la politisation, plus récente, de l'Union européenne. Le premier débat est celui qui a animé les historiens à propos de la politisation des paysans français au XIXe siècle. De fait, ce débat historiographique a occupé une place sans doute déterminante dans le développement des usages de la notion de politisation dans la science politique française dont on connaît la perméabilité à l'histoire politique ou sociale (Déloye, 1997, chapitre 1). Le Tableau 1 en résume les principales lignes de force. Il a été construit en retenant les deux principales séries de questions qui animent ce débat historiographique : i) De quand date le processus de politisation de la paysannerie française ? Ce processus est-il relativement récent (du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle) ou s'enracine-t‑il dans des transformations plus anciennes obligeant les historiens à envisager le legs de la période révolutionnaire notamment ? ii) Quel est, par ailleurs, le degré d'autonomie ou, au contraire, d'hétéronomie du processus de politisation ? Quelle est la nature (politique, économique, sociale, culturelle ou encore religieuse) des vecteurs et des facteurs qui contribuèrent historiquement au développement de la politisation ? Au terme de ce débat riche et encore vivace aujourd'hui (Fureix et Jarrige, 2015, chapitre 5), c'est la chronologie de « la découverte du politique », pour reprendre les termes de Michel Vovelle (1992), et la spécificité même des mécanismes de politisation qui sont au cœur des réflexions historiques et socio-historiques.

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Tableau 1 – Les termes du débat historiographique autour de la notion de « politisation des campagnes » Autonomie

Hétéronomie

Lointain

Communication (Melvin Edelstein, Michel Vovelle, etc.)

Hybridation (Peter Sahlins, James Lehnings, Christian Thibon, etc.)

Proche

Imprégnation (Maurice Agulhon, Peter Mc Phee, etc.)

Implication (Eugen Weber, Théodore Zeldin, Suzanne Berger, etc.)

Ce tableau distingue de manière verticale les historiens selon la profondeur historique qu'ils privilégient pour rendre compte des processus de politisation de la France rurale. Assez logiquement, les historiens spécialistes de la période révolutionnaire considèrent que le processus de politisation est largement antérieur à celui de la modernisation économique et industrielle qui, on le sait, s'engagea en France durant les années 1860 et est contemporain des bouleversements qui accompagnèrent la fin de l'Ancien Régime. Cette périodisation est aussi privilégiée par les historiens sensibles à la complexité des interactions notamment culturelles entre le centre et la périphérie. À l'inverse, les historiens politiques – plutôt spécialistes du second XIXe siècle – prennent souvent acte du retard français en matière de politisation et considèrent que les processus qui lui sont associés sont beaucoup plus tardifs et ne se développent véritablement qu'au milieu du XIXe siècle (Agulhon, 1970 ; McPhee, 1992), voire au début du XXe siècle. C'est notamment là la thèse provocatrice défendue par Eugen Weber (1976) dont l'œuvre sera au cœur du débat historiographique sur cette question (Déloye, 1997, chapitre 4). De manière horizontale, le tableau distingue les historiens selon qu'ils valorisent une dynamique de politisation endogène à la sphère politique (que cette dynamique autonome soit associée à des mécanismes de communication politique nés au moment de la Révolution française ou à des pratiques de sociabilité politique légèrement plus tardives) ou, au contraire, une imbrication très forte du processus de politisation (alors hétéronome) avec des modalités d'acculturation politique relativement anciennes (Lehning, 1995 ; Sahlins, 1989 ; Thibon, 1988) ou des dynamiques économiques plus récentes (Weber, 1976 ; Zeldin, 1973 ; Berger, 1976). Pour tous ces auteurs, la politisation est fortement imbriquée, pour ne pas dire indissociable, à des dynamiques beaucoup plus larges

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Politisation

qui obligent à penser les sentiers de dépendance historique (plus ou moins longs) entre les transformations économiques, sociales et culturelles, d'une part, et les évolutions politiques, d'autre part. La politisation reste encastrée dans des transformations dont elle est la résultante plus que l'origine. Elle s'enracine dans des processus historiques de moyenne ou de longue durée (comme l'évolution des modèles familiaux, du régime de la propriété foncière ou encore des modalités de l'échange économique) dont la politisation contemporaine traduit en quelque sorte l'aboutissement. La politisation devient ici une sorte d'indicateur d'une différenciation aboutie (certes non linéaire dans le temps et dans l'espace et bien sûr réversible) de l'espace politique. Le deuxième débat concerne la politisation de l'Union européenne (UE), thème qui a généré de nombreuses publications. D'un point de vue chronologique, la question est présente assez tôt dans l'analyse du processus de la construction communautaire (par exemple, Schmitter, 1969), mais elle prend toute son ampleur dans l'agenda scientifique des études européennes plus tardivement, à la suite de la ratification du Traité de Maastricht en 1992, et devient un enjeu controversé provoquant des prises de positions normatives à propos de ce qui serait souhaitable pour la bonne marche de l'intégration européenne après le rejet en 2005 par certains pays du traité constitutionnel européen (Hix et Bartolini, 2006). Comme cela a bien été analysé (De Wilde, 2011), quand on parle de « politisation » de l'UE, on se réfère à des objets différents dans la mesure où le système européen présente différentes facettes et une complexité particulière par rapport aux autres régimes politiques (Magnette, 2009 ; Papadopoulos et Magnette, 2010). Le terme de politisation s'applique au système institutionnel composé d'organes variés (Parlement, Commission, Conseil, etc.) et aux politiques publiques fabriquées dans ce cadre, mais il est aussi utilisé à propos de l'enjeu européen en tant que tel. Ainsi, les travaux portant sur la politisation des institutions et les décisions européennes mettent en avant le rôle croissant du Parlement européen et le fait que les bureaucrates européens seraient de plus en plus soumis à des logiques idéologiques et partisanes. Dès lors, ils font largement écho aux études portant sur la politisation des administrations nationales (Peters et Pierre, 2004) quand celles-ci parlent de politisation à propos de la substitution au sein de la bureaucratie de critères méritocratiques ou technocratiques au profit de critères politiques et spécifiquement partisans.

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Quant à la politisation de l'enjeu européen, elle alimente un débat très fourni fondé sur le constat empirique de la montée de l'euroscepticisme incarné par des partis de divers bords, du déploiement de mobilisations politiques contestataires à l'échelle européenne (Crespy, 2012) et d'une polarisation croissante des attitudes et des opinions à l'égard de la construction communautaire. Le débat est aussi animé par l'objectif normatif de combler le déficit démocratique de l'UE. Pris dans son ensemble, ce débat renvoie bien à deux processus le plus souvent considérés comme interdépendants : d'une part, l'élargissement des publics concernés par la construction européenne et, dans le même mouvement, l'accroissement de la saillance de l'enjeu européen dans le débat public ; d'autre part, le mouvement de conflictualisation ou de polarisation de l'arène européenne et de l'enjeu européen dans les arènes nationales 7. À la source de ces processus se trouvent les mobilisations de différents acteurs sociaux, mais dans cette littérature les partis sont le plus souvent présentés comme les acteurs centraux : However, a significant number of authors use the concept to describe the increasing involvement of political parties in European politics since the 1990s and subsequently increasing prominence of ideological dimensions of conflict within the EU. Politicization always concerns the « input » side of politics and consists of three interrelated components : polarization of opinion, intensifying debate and public resonance (De Wilde, 2011, p. 566).

La politisation est alors assimilée à un mouvement d'élargissement de l'intérêt porté aux affaires européennes conjugué à une dynamique de polarisation, de conflictualisation ou de formation d'un nouveau clivage. L'enjeu européen ne se trouve plus enfermé dans le cercle des élites, mais est supposé alimenter l'espace public par le biais des médias ; cet élargissement conduit à une plus grande implication des citoyens européens et à ce que l'on a appelé la rupture du « consensus permissif » au profit d'un « dissensus contraignant » (Hooghe et Marks, 2008). Comme le résume la Figure 1, cette thèse de la politisation se déploie donc, pour 7. Cette conception de la politisation de l'Union européenne fait directement écho à celle de Philippe Schmitter à la fin des années 1960 : « Politicization thus refers initially to a process whereby the controversiality of joint decision-making goes up. This in turn is likely to lead to widening of the audience or clientele interested and active in (European) integration. Somewhere along the line a manifest redefinition of mutual objectives will likely occur » (Schmitter,1969, p. 166).

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l'essentiel, sur deux échelles (celle des partis et celle des citoyens) et met en jeu deux dimensions (saillance et conflit), sachant d'ailleurs qu'il n'est pas plus évident de conclure à un renforcement linéaire de la saillance partisane de l'enjeu européen (Guinaudeau et Persico, 2013) qu'à un intérêt croissant des citoyens à l'égard de la construction européenne (Duchesne et al., 2013). Figure 1 : Les dynamiques du processus de politisation de l'Union européenne

Objets

Acteurs

Institutions, Décisions

Partis versus bureaucrates

Enjeux

Élites versus citoyens

Processus Publicisation, saillance, résonance Conflit, dissensus, polarisation À côté des deux acceptions les plus courantes contenues dans la définition précitée de Philippe Braud (la première renvoyant à la politisation des enjeux, la seconde à celle des individus) coexistent donc des usages bien plus complexes dont nous n'avons fourni ici que deux illustrations parmi tant d'autres. Les deux débats rapidement évoqués montrent que le processus de politisation affecte des objets composites et relevant de différentes échelles, renvoie à des chronologies variables, voire controversées,

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et mêle des logiques d'élargissement, de diffusion, d'accroissement de la saillance et des logiques de conflictualisation et de polarisation. Ce constat invite à explorer plus longuement la tension constitutive, à nos yeux, de la politisation : celle qui oblige à penser ensemble temporalités chronologiques et échelles d'analyse.

Temporalités chronologiques et échelles d'analyse Afin d'avancer dans notre effort de clarification, il nous faut donc revenir au point de départ, en rappelant que la politisation est un processus, un mouvement qui n'a rien d'irréversible (il existe autant de phénomènes de dépolitisation que de politisation), mais qui s'inscrit toujours dans un régime de temporalités. Comme cela a déjà été retracé, en partie, c'est en empruntant la « voie historienne » (Aït-Aoudia et al., 2010, 210) que le mot « politisation » a migré dans la science politique française (Lacroix, 1985, p. 517539 ; Déloye, 2007 [1997], chapitre 4). En histoire, la vive controverse qu'a alimentée l'usage de la notion (Déloye et Haegel, à paraître) a porté, nous l'avons rappelé plus haut, sur la chronologie du processus (XVIIIe siècle versus XXe siècle) et sur la direction de son mouvement (processus top-down porté par le processus de nationalisation ou bottom-up alimenté par des formes localisées de polarisation). Il paraît donc utile quand on utilise cette notion en science politique de placer, là comme ailleurs, au cœur de la réflexion les temporalités chronologiques à partir desquelles ce processus se déploie. Si l'on revient, de manière assez surplombante, sur l'inventaire des usages du terme de « politisation » présenté plus haut, on constate donc qu'il engage des temporalités et des échelles d'analyse très variables. Il est à la fois mobilisé par des historiens ou des socio-historiens qui se réfèrent à des dynamiques de longue durée (souvent sur plus d'un siècle) et par des politistes qui s'intéressent prioritairement à des phénomènes de moyenne, voire souvent de très courte durée. Par ailleurs, comme nous l'avons déjà signalé, les diverses formes de politisation étudiées (et conséquemment de dépolitisation) se déploient à des échelles très différentes, puisque le terme s'applique aussi bien à des individus, à des groupes, à des segments sociaux ou à des configurations localisées qu'à des systèmes institutionnels aussi complexes que celui de l'UE. Par conséquent, il nous a semblé important de croiser

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ces deux séries de dimension et de prendre acte, tout d'abord, de l'historicité profonde des processus de politisation et donc des régimes de temporalité qu'ils engagent (Déloye, 2001). De manière classique (tout au moins depuis les travaux de Fernand Braudel et de l'école des Annales), on peut distinguer trois régimes de temporalité : le temps long, propice à l'analyse des conditions et des processus de « désencastrement » (Polanyi, 1983) du « politique » des autres secteurs sociaux en voie de différenciation (religion, économie, etc.) ; le temps moyen, apte à identifier des dynamiques politiques plus simples à analyser (professionnalisation de l'activité politique, naissance des clivages partisans et des organisations qui les incarnent, etc.) car portant sur des périodisations plus courtes (quelques décennies) ; enfin, le temps court, celui de l'événement, de la conjoncture politique, dont l'impact sur la politisation peut être étudié aussi bien en période de crise (Mai 68, par exemple) qu'en période plus routinière (celle d'une campagne électorale, par exemple). Ces trois temporalités produisent des effets de politisation sur trois échelles d'analyse que l'on peut classiquement distinguer ainsi : les niveaux micro, méso et macro. Le niveau macro permet d'envisager tant les configurations institutionnelles que les régimes politiques porteurs d'une dynamique favorable à l'autonomisation de la sphère, de l'espace politique. Mais il nécessite de mettre en œuvre des catégories d'analyse assez lourdes (État, régime, institution, etc.) requérant un certain niveau d'abstraction et de généralité théorique. De plus, il favorise souvent une approche comparée susceptible d'aider à identifier des trajectoires de politisation variées au niveau macrosociologique. C'est probablement dans les travaux de Stein Rokkan (1970) et de ses élèves (Bartolini, 2000, 2005 ; Caramani, 2004) que cette échelle macrosociologique apparaît la plus féconde, tant pour l'étude des dynamiques historiques de politisation que pour l'analyse de l'effet du changement d'échelle et de régime politique sur ce processus en Europe. Le niveau méso ouvre à des modalités d'analyse déjà plus concrètes. C'est à cet échelon médian (qu'il s'agisse d'un groupe ou d'un secteur d'activité) qu'il devient plus facile de naviguer entre les divers plans d'analyse : du bas vers le haut (approche bottom up), mais aussi du haut vers le bas (approche top down). Ce « rang moyen » d'analyse (pour reprendre l'expression de Robert Merton, 1997 [1949]) permettra de déglobaliser la notion de « politisation »

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sans forcément renoncer à articuler les différentes dimensions et les processus analysés. Enfin, le niveau micro permet de prendre en compte l'échelle individuelle inscrite dans une configuration spécifique, celle de l'individu pris dans un système de relations et d'interactions sociales.

Une nouvelle combinatoire Le Tableau 2 présente le croisement de cette double entrée par les temporalités chronologiques et les échelles d'analyse qu'il est possible de différencier analytiquement, même si elles sont le plus souvent imbriquées. Si l'on parcourt horizontalement ce tableau en y entrant par les régimes de temporalité, on aborde alors prioritairement les processus de politisation tels qu'ils se déploient dans la longue durée et tels qu'ils sont le plus souvent pris en compte par les historiens, les socio-historiens, voire les anthropologues du politique attentifs aux dynamiques profondes et de longue durée. Tableau 2 – Les temporalités chronologiques et les échelles d'analyse de la politisation Niveau macro

Niveau méso

Niveau micro

Temporalité longue

Différenciation (1)

Autonomisation (2)

Acculturation (3)

Temporalité moyenne

Structuration des clivages (4)

Mobilisation (5)

Socialisation (6)

Temporalité courte ou événementielle

Rupture de configuration institutionnelle (7)

Bifurcation collective (8)

Activation/ bifurcation individuelle (9)

À l'échelle macrosociologique, la politisation ne peut se penser sans l'existence préalable d'un long processus de division du travail (voire des fonctions) que l'on désigne habituellement par le terme de « différenciation »(1). La sphère des activités politiques se différencie des autres arènes sociales et de leurs modalités de régulation (religion, économie, social, etc.). À titre d'exemple, depuis le début des années 1970, la sociologie historique comparative a longuement retracé la genèse de la centralisation étatique, l'émergence de cultures politiques nationales à prétention universaliste et donc différenciées des autres sources de communalisation

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expérimentées dans l'histoire européenne (communauté villageoise, communauté religieuse, structure économique autarcique, etc.). Dans ces travaux, le processus d'étatisation conditionne l'existence d'une espace politique autonome et autorise de facto une série de dynamiques de politisation neuves que l'histoire européenne a probablement inventées (Tilly, 1975). Si ces travaux tendent à montrer l'analogie qui existe entre les processus de concentration du pouvoir et de formation de l'État moderne (pour un bilan de ces travaux, voir Déloye, 2007 [1997], chapitre 2), ils entendent aussi rendre compte de la diversité des trajectoires d'étatisation des sociétés (Tilly, 1975 ; Badie et Birnbaum, 1979 ; Linz, 1993). Ce faisant, ces travaux indiquent aussi les diverses modalités de politisation des sociétés. Ils souhaitent ainsi insister sur les différents degrés d'emprise de l'État et donc du politique sur la société (et inversement). Selon le degré d'étatisation – le degré de « stateness » pour reprendre l'expression de Juan J. Linz (1993) – le niveau de différenciation varie considérablement et donc, les conditions même de la politisation. Ces travaux, notamment sous l'influence des recherches fondatrices de Norbert Elias, sont également sensibles au caractère non linéaire de ces processus de différenciation politique. C'est donc l'hypothèse d'une série de sentiers de dépendance (centralisation avec ou sans étatisation administrative, centralisation sans nationalisation aboutie, etc.) qui est formulée : en fonction des configurations historiques longues et des formes d'institutionnalisation du politique expérimentées, la structure étatique affecte différemment les actions et les transformations politiques présentes et donc, les conditions de la politisation contemporaine. Ce processus de différenciation se traduit au niveau méso par un certain nombre de phénomènes politiques (type de bureaucratisation, niveau de développement de l'administration publique, professionnalisation des activités gouvernementales, etc.) qui sont autant d'indicateurs du niveau d'autonomie de la sphère politique. Par « autonomisation »(2), il convient d'entendre le fait que suivant le niveau d'« étaticité » historiquement atteint, les modalités mêmes de la gestion gouvernementale de la société seront profondément différentes. Ainsi, si le niveau de différenciation est particulièrement élevé, la capacité de l'administration à gouverner la société se traduira par l'aptitude des fonctionnaires à instituer le social. Ce qu'Alexis de Tocqueville, dans une formulation célèbre, évoquait en ces termes :

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Un pouvoir central immense qui a attiré et englouti dans son unité toutes les parcelles d'autorité et d'influence qui étaient auparavant dispersées dans une foule de pouvoirs secondaires, d'ordres, de classes, de professions, de familles et d'individus et comme éparpillées dans tout le corps social (Tocqueville, 1985 [1856], p. 66).

C'est dire si dans cette perspective sociologique, l'émergence de l'État moderne bouleverse en profondeur la structure sociale de la société, son autonomie notamment, au point que ce dernier réussit à imposer à des secteurs entiers sa propre logique de comportement et d'obéissance. Les conditions de diffusion et de réception de telles transformations au niveau comportemental reposent sur l'existence de mécanismes d'« acculturation » (3) politique ou civique. Empruntée à l'anthropologie historique (Wachtel, 1974) ou culturelle (telle que l'incarnent, par exemple, les travaux classiques d'un Roger Bastide), cette notion vise à rendre compte des processus concrets de contacts et plus encore d'« interpénétration » (Bastide, 2003 [1970], p. 137-243) entre des cultures de statut différent. Ce sont ces processus de diffusion et d'incorporation des représentations et des normes de comportement qui permettent la routinisation d'un ordre politique différencié et son incorporation dans l'habitus social des individus. Par « habitus social », on entend ici, comme le suggère Norbert Elias, le « savoir social incorporé » qui se sédimente au cours du temps et façonne, telle une « seconde nature », l'identité tant individuelle que collective des membres d'un groupe politique (Elias, 1996, p. 2-15). Les travaux consacrés à la naissance de la civilisation électorale (Déloye et Ihl, 2008, chapitre 8) ont montré ici combien la capacité de l'État moderne à revendiquer le monopole tendanciel de la violence légitime se traduit par l'émergence d'un ensemble de normes comportementales qui affectent en profondeur les conditions mêmes de la délégation électorale propre au gouvernement représentatif et de l'électoralisation du politique dans nos sociétés démocratiques. Dans une perspective de moyenne durée (2e ligne du Tableau 2), la politisation renvoie aussi à des processus que l'on peut distinguer analytiquement selon l'échelle à laquelle on se place. Au niveau macro (4), la dynamique centrale a été celle de la « structuration de la conflictualité politique » par les partis politiques ; c'est en ce sens que Stein Rokkan et les néo-rokkaniens utilisent le

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terme (Rokkan, 2009 [1970] ; Bartolini, 2000, 2005) 8. On le sait, l'un des intérêts du cadre rokkanien 9 est de penser sociologiquement les processus de politisation en articulant conflits sociaux et formation des partis politiques autour de la notion de clivage. Derrière cette articulation, c'est bien la question de la politisation comme dynamique d'intégration politique par le conflit qui est en jeu ; elle concerne au premier chef les segments les plus extérieurs au système dont l'intégration politique est rendue nécessaire par le mouvement de démocratisation du suffrage. Cette dynamique, même si elle a des incidences au niveau méso (par exemple : celui des organisations partisanes) se déroule bien à l'échelle macroscopique (celle du système partisan) ; elle se trouve même, comme on l'a vu précédemment, associée au processus de nationalisation puisque les partis politiques réorganisent la compétition autour de clivages nationaux et transcendent les divisions locales ou périphériques (Caramani, 2004). Le terme de structuration est employé au sens où le cadre dans lequel interviennent les processus de politisation est partiellement donné et fortement résistant, même si rien n'est figé ou gelé. Ainsi, dans une perspective néo-rokkanienne, Hans-Peter Kriesi et son équipe (Kriesi et al., 2008) ont développé l'idée selon laquelle un nouveau clivage engendré par le phénomène de la globalisation et incluant le processus d'intégration européenne avait émergé et opposerait désormais les perdants et les gagnants de cette nouvelle « grande transformation ». Bien évidemment, cette structuration apparaît plus ou moins institutionnalisée, plus ou moins enracinée (d'où le débat sur le degré de pénétration des partis dans la société) et plus ou moins centrale (d'où le débat sur les formes concurrentes de production du politique) selon les époques, les situations et le legs historique évoqué plus haut. De fait, si cette structuration partisane constitue bien un des socles des formes historiques de politisation et si elle demeure encore significative, il est aussi clair que des formes contemporaines de politisation concurrentielles – ayant 8. Et c'est toujours dans ce sens que l'emploient, récemment encore, Hans-Peter Kriesi et Edgar Grande à propos de l'intégration européenne (Grande et Kriesi, 2015). 9. Un des autres intérêts majeurs de ce cadre analytique est d'obliger la science politique à penser ensemble les interactions entre le niveau macro (celui étudié par Stein Rokkan dans sa fameuse carte conceptuelle des États en Europe occidentale), le niveau méso (celui des clivages évoqués ici) et le niveau micro des attitudes et des opinions politiques. De manière forte, les réflexions de Stefano Bartoloni sur l'UE (2005) illustrent parfaitement la fécondité de ce cadre.

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certes toujours existé – se développent probablement encore plus à la faveur du déclin des partis politiques et de la méfiance qu'ils suscitent auprès des plus jeunes générations. À l'échelle méso, ces formes de politisation passent ainsi par un ensemble de « mobilisations » (5) entraînant des dynamiques variées et parfois décalées de « passage au politique » de problèmes ou de causes qui n'étaient pas jusqu'alors labellisés comme tels, conformément à la première acception du terme (« la politisation des enjeux ») évoquée au début de ce chapitre. L'énigme que constitue toute nouvelle « émergence d'un problème dans le champ politique » (Favre, 1992) ne se pose, bien entendu, que parce qu'historiquement les activités politiques se sont différenciées des autres activités sociales et que des catégories et des frontières distinctes se sont partiellement figées. Dès lors, l'imposition d'un problème comme « politique » nécessite le plus souvent la mobilisation d'acteurs spécifiques. La parenté avec l'expression de « mise sur agenda » (Cobb et Elder, 1972 ; Garraud, 1990) se révèle ici forte. Cette notion, très utilisée dans le cadre de l'analyse de l'action publique, déplace le regard en amont de la prise de décision vers le processus préalable de sélection (ou de non-sélection) des problèmes à traiter ou de construction des problèmes publics. Classiquement, elle renvoie à des activités et à des acteurs qui, dans un même mouvement, construisent des problèmes (problématisation) et les rendent publics (publicisation). Il peut s'agir de mouvements sociaux plus ou moins organisés qui défendent une cause, font valoir des revendications et s'opposent de manière conflictuelle et médiatisée aux autorités publiques, ou de groupes d'intérêt qui cherchent à influencer ces dernières de manière plus discrète, en coulisse et de façon souvent moins conflictuelle. Mais la mise sur agenda de certains problèmes ne relève pas toujours de cette dynamique exogène puisant son origine hors du champ politique. Elle peut relever aussi de l'activité d'élus ou de partis politiques ou même de hauts fonctionnaires 10, certains préférant d'ailleurs limiter l'usage du terme de politisation à ces cas de figure, considérant qu'un « enjeu de politique publique est politisé et mis en avant par un (ou plusieurs) acteur(s) politique(s) afin de renforcer sa (ou leur) position dans la compétition politique » (Hassenteufel, 2010). D'autres, au contraire, qui s'inscrivent dans la lignée des réflexions 10. Pour une présentation très synthétique récente, voir Garraud, 2014.

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de Jacques Lagroye (Lagroye, 2003 ; Aït-Aouadia et al., 2010), tout en prenant acte du fait que le champ politique est bien un secteur spécialisé, codifié et qui auto-produit une forme de clôture, considèrent que ce type de processus de politisation est constitué de mouvements très divers mais qui partagent une forme de transgression des frontières du champ politique (Lagroye, 2003 ; Arnaud et Guionnet, 2005). Le niveau micro renvoie ici à une bonne partie des mécanismes de politisation individuelle qui ont été évoqués précédemment, même si nous allons voir que certains de ces mécanismes peuvent aussi relever du temps court. Parler de politisation renvoie ici non pas à un état mesurable simplement par un indicateur (par exemple, l'intérêt ou l'indifférence pour la politique) mais à un processus qui se déroule sur l'ensemble de la vie d'un individu. La politisation s'apparente donc ici à des phénomènes de « socialisation politique » (6) entendue classiquement comme l'ensemble des mécanismes d'intériorisation subjective des réalités politiques objectives (Berger et Luckman, 2012 [1966]). Ces réalités politiques sont à la fois cognitives et normatives, matérielles et affectives, autrement dit, elles s'apparentent à des connaissances, des valeurs, des codes et des identifications qui marquent la place de l'individu dans un monde pluriel, stratifié et inégalitaire. Ainsi, il faut penser conjointement des formes de politisation individuelle légitimistes, fondées sur la maîtrise de ces catégories spécialisées du politique que sont les classements idéologiques et partisans, et relativistes, fondées sur des modes de repérage alternatif socialement façonnés, voire des formes contestataires dont les travaux de Nonna Mayer ont abondamment fait l'inventaire 11. Tout comme il faut aussi prendre en compte toute l'étendue des séquences et des agents de socialisation politique. Une partie décisive de cette intériorisation de la réalité politique se joue certes durant l'enfance (socialisation primaire) dans le cadre familial et scolaire. Mais la socialisation politique intervient tout au long de la vie, dans les milieux professionnels, 11. C'est probablement là l'un des apports de Nonna Mayer (notamment Mayer, 2010) – auquel ce chapitre se veut un hommage amical – que d'avoir fortement contribué à penser de manière continue et interactive le répertoire de la politisation contemporain en mêlant des formes et des formats conventionnels, mais aussi des dispositifs contestataires. Il convient ici de souligner son rôle en tant que directrice éditoriale de la collection « Contester » aux Presses de Sciences Po. Grâce à cette initiative lancée en 2008, elle nous offre un inventaire très large des mécanismes de la politisation contestataire : de la musique au droit, en passant par la consommation engagée ou encore la grève de la faim.

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familiaux, amicaux ou autres. Dans des sociétés sectorisées et caractérisées par des formes croissantes de mobilité, cette socialisation politique secondaire semble centrale. Tout ne se joue donc pas pendant l'enfance et l'individu se politise (ici, se socialise à la politique) par des rencontres, par l'insertion dans des lieux ou des événements. De nombreuses recherches récentes ont porté leur attention sur les agents et les espaces de socialisation au politique situés aux marges du champ politique, dans un entre-deux qui leur permet de « politiser » les individus de manière informelle (Le Gall, Offerlé et Ploux, 2012) ou oblique. Dans cette perspective, les associations ont fait l'objet d'un intérêt particulier (Hamidi, 2006, 2010) et de controverses (voir sur ce point le chapitre de Camille Hamidi dans le présent ouvrage), mais d'autres lieux de politisation des catégories populaires ont également été étudiés, ainsi les Maisons du peuple du nord de la France, marquées culturellement et politiquement et qui ont joué un rôle à la fois économique, en tant que coopératives, et social, comme espaces de loisirs et de sociabilité (Cossart et Talpin, 2012). Enfin, on trouve dans le Tableau 2 une ligne, la troisième, consacrée au temps court de la politisation que nous avons peu abordé jusqu'ici dans ce texte, probablement parce que les travaux disponibles étaient jusqu'à présent plus rares. Ce temps court renvoie à tous les effets des événements sur les différentes échelles de la politisation (7, 8, 9). Certains événements intervenant au niveau macro (événements transnationaux ou nationaux) introduisent des ruptures (7) qui peuvent entraîner des reconfigurations et exercer des effets directs sur l'ordre politique existant (guerres, Mai 68, chute du mur de Berlin, 11-Septembre, etc.) et, notamment, sur les alignements partisans. Ces ruptures de grande ampleur de l'ordre politique introduisent une forme de discontinuité et contribuent parfois à une désectorisation et à une reconfiguration du politique. À l'échelle des mobilisations méso, des événements (au niveau sectoriel ou local) peuvent également introduire des éléments de rupture (8). Ces ruptures propres à un groupe ou à des groupes peuvent servir de base à la constitution de générations spécifiques (Karl Mannheim, 2011 [1928]) marquées par les mêmes événements, même si ces événements ne les ont pas toujours influencées dans le même sens. Le récent travail que Julie Pagis (2014) a mené à propos de l'impact de Mai 68 sur ceux et celles qui y ont participé ainsi que sur leurs enfants, montre bien que l'effet d'un tel événement n'est en rien uniforme.

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Politisation

À l'échelle individuelle donc (9), des événements biographiques (expérience professionnelle, familiale, migratoire, etc.) ou des conjonctures particulières (comme une campagne électorale) peuvent contribuer à rendre actives des dispositions politiques jusqu'alors latentes (phénomène d'activation) et peuvent également participer à des processus de bifurcation individuelle (changement d'orientation politique, par exemple) plus ou moins durable. Au terme de ce chapitre, nombreux sont ceux qui en concluront que Nonna Mayer est bien la plus sage d'entre nous, elle qui a évité – ou usé avec parcimonie et prudence –le terme « politisation », tout en parcourant d'ailleurs une partie – son travail abordant peu la longue durée – du spectre d'analyse que dessine la formalisation proposée dans le Tableau 2. Quant aux autres, pour qui la notion garde son intérêt pour désigner des processus très divers de construction d'un rapport au politique et qui ne sont donc pas prêts à s'en priver, nous espérons qu'ils pourront trouver dans cet essai de mise en ordre et dans cette proposition de combinatoire fondée sur les temporalités chronologiques et les échelles d'analyse, un cadre général permettant de situer leur point d'entrée et de préciser la manière dont ils utilisent le terme. Pour le politiste, tout se politise et se dépolitise peut-être… mais dans des temps et à des échelles différents, encore faut-il le rappeler et s'en souvenir.

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Chapitre 13

Associations, politisation et action publique Un monde en tensions Camille Hamidi

S

i les Français ont longtemps eu la réputation d'être le « peuple le moins “associé” de tous les pays occidentaux » (Poujol et Romer, 1983) cette situation a bien changé depuis les années 1960. On compte aujourd'hui environ 1,3 million d'associations, dans des secteurs aussi variés que le sport, les loisirs, l'action sociale (établissements médico-sociaux, accueil des personnes âgées, etc.), le secteur sanitaire (dispensaires, associations de malades, etc.), l'action caritative et humanitaire, la défense des droits et des causes (syndicats, associations de quartier, etc.), l'éducation et la formation (associations d'insertion, centres de formation permanente, etc), la culture (gestion d'équipements comme certains cinémas, des maisons de la culture, etc.), ainsi que la défense des intérêts économiques (agences de développement local, gestion de certains services locaux de transports, etc.) (Tchernonog, 2014). 45 % des Français âgés de plus de 18 ans adhéraient à au moins une association en 2010 (Prouteau et Wolff, 2013), et 1,8 million de personnes y étaient salariées, ce qui représente environ 7 % de la population active, un pourcentage comparable à celui des agents de la fonction publique territoriale (Hély, 2011). Il en résulte que les transformations, les contradictions et les tensions qui traversent cet univers ont des conséquences importantes pour l'ensemble de la société 1. 1. Je remercie Estelle d'Halluin, Sophie Duchesne, Nina Eliasoph, Nicolas Fischer, Mathieu Hély, Mathilde Pette et Francesca Quercia ainsi qu'Olivier Fillieule et Florence Haegel pour leurs précieuses remarques sur une première version de ce texte.

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Au-delà du constat, largement partagé, que les associations doivent généralement afficher leur apolitisme afin de ne pas risquer de heurter le public et surtout les financeurs potentiels, l'analyse des processus politiques qui se déroulent en leur sein s'est jusqu'à présent structurée en deux débats largement distincts. Une première série de travaux cherche à déterminer si les associations constituent, ou non, des lieux de politisation pour leurs adhérents ; elle relève de la sociologie de l'engagement et du bénévolat, et de la littérature sur le capital social que Nonna Mayer, « passeuse » du débat scientifique entre les deux rives de l'Atlantique, a été l'une des premières à discuter en France (Mayer, 2002, 2003a, 2003b), contribuant par là à un renouveau important des travaux sur la question au cours des vingt dernières années. Un second ensemble de recherches analyse la façon dont les associations contribuent de manière croissante à l'action publique et les conséquences politiques qui en découlent. Il se rattache alors plutôt à la sociologie de l'action publique, du droit et/ou des professions. En discutant ces deux sous-champs de la littérature, nous montrerons l'intérêt qu'il y aurait à les faire dialoguer davantage afin de croiser les questionnements et les outils conceptuels d'analyse, d'accroître la comparabilité des résultats et de gagner en compréhension des conséquences politiques des transformations que connaît l'univers associatif depuis plusieurs décennies.

Les effets de l'engagement associatif sur la politisation des individus Tocqueville (1981 [1835-1840]) est l'un des premiers à s'être intéressé aux effets de l'appartenance associative ; il développe sa réflexion autour de ce qu'il appelle la « doctrine de l'intérêt bien entendu ». Selon lui, les individus rejoignent des associations pour une multitude de raisons, souvent parfaitement égoïstes, mais, ce faisant, sont peu à peu conduits à définir différemment leurs intérêts particuliers, dans un sens plus soucieux de la « grande société ». Cela passe par plusieurs vecteurs. Les associations donnent aux individus l'habitude et le goût d'agir en commun. Elles élargissent leur point de vue, renouvellent leurs idées et « agrandissent leur cœur » (Tocqueville, 1981, tome 2, p. 140) – c'est là sans doute l'aspect de sa réflexion le plus souvent évoqué. Enfin, l'engagement

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dans des associations civiles est susceptible de favoriser l'adhésion à des associations politiques, et réciproquement. Les associations constituent ainsi des « écoles de démocratie » rendant celle-ci plus proche et plus vivante aux yeux des participants.

L'apport des enquêtes quantitatives sur la culture civique et le capital social Les premiers à soumettre ces intuitions à l'épreuve empirique ont été Gabriel Almond et Sidney Verba, dans leur ouvrage The Civic Culture (1963), qui offre une vaste enquête statistique comparée des cultures politiques nationales et des structures sociales qui en constituent le soubassement. Parmi celles-ci, ils attribuent un rôle central aux associations et ils examinent l'influence de cellesci sur les comportements politiques et les valeurs civiques. Ils démontrent qu'elles développent à la fois la compétence objective et subjective des individus (Gaxie, 1978). Les associations constituent également des réseaux qui peuvent servir de support à des mobilisations politiques. S'ils concluent que l'affiliation à une association semble avoir des effets significatifs sur les attitudes politiques, ils soulignent toutefois la multitude de variables à prendre en compte pour comprendre ces relations (type d'association, nombre d'associations auxquelles l'individu appartient, type d'engagement, d'implication, etc.). Lorsqu'ils examinent le lien entre appartenance associative et valeurs civiques, ils s'intéressent notamment au rôle de la confiance en démocratie, et leurs résultats sont là encore nuancés. Le lien entre confiance interpersonnelle et engagement varie ainsi fortement selon les pays : si aux États-Unis et en Grande-Bretagne, la confiance en autrui coïncide avec des dispositions à l'engagement, ailleurs (en Allemagne, en Italie) au contraire, le degré de confiance interpersonnelle, plutôt faible, n'est pas corrélé aux attitudes politiques. Plus récemment, ce sont les travaux de Robert Putnam autour du concept de capital social (1995, 2000) qui ont relancé les discussions sur le rôle des associations dans la politisation de leurs adhérents (Hamidi, 2006, 2013). Si Putnam n'est pas le premier auteur à avoir mobilisé cette notion (Bourdieu, 1980 ; Coleman, 1990), c'est lui qui l'a propulsée au cœur des débats scientifiques mais aussi politiques, aux États-Unis puis au plan international (Maraffi, Newton, Van Deth et Whiteley, 1999 ; Bevort et Lallement, 2006). Et si ses travaux ont fait l'objet de nombreuses et fortes critiques,

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ils ont également redonné une grande actualité aux analyses tocquevilliennes et suscité une floraison de nouvelles recherches. Putnam définit le capital social comme « les relations entre les individus : les réseaux sociaux et les normes de réciprocité et de confiance qui en émanent » (2000, p. 19). Ces divers éléments sont liés les uns aux autres de manière circulaire : l'appartenance à des réseaux, qu'ils soient formels ou informels, favorise le développement de relations de confiance et de réciprocité entre les individus. Inversement, ces dernières constituent une condition nécessaire à la mise en place des réseaux sociaux. Cela posé, Putnam attribue un rôle fondamental au capital social dans le bon fonctionnement d'une société. Il est supposé en « graisser les rouages », favorisant le commerce, l'éducation, etc. et développant les vertus civiques nécessaires au bon fonctionnement démocratique : confiance, réciprocité, engagement dans la vie publique. L'auteur fait ensuite le constat de l'érosion massive de ce capital aux États-Unis depuis les années 1970 et développe une réflexion sur les moyens de l'enrayer.

Les critiques au concept de capital social Si les travaux de Putnam ont connu un écho retentissant, ils ont également suscité de nombreuses critiques. Celles-ci se sont d'abord concentrées sur des éléments factuels – la pertinence des instruments de mesure du capital social et le diagnostic de diminution de celui-ci (Schudson, 1996 ; Jackman et Miller, 1998) – ainsi que sur les explications du phénomène avancées par Putnam (Skocpol, 1996). Celui-ci a partiellement contourné ces critiques en multipliant les sources et les indicateurs (2002). Par ailleurs, un certain consensus semble s'être établi sur le diagnostic du déclin des formes conventionnelles de participation et du développement concomitant de « nouvelles » formes d'engagement plus labiles. Mais d'autres critiques subsistent, plus fondamentales, qui tiennent à la construction même du concept de capital social et, en particulier, à l'articulation entre normes, réseaux associatifs et confiance. Elles ont permis d'identifier des pistes de recherche nouvelles et de compléter les travaux de Putnam, mais elles sont venues aussi remettre en question la cohérence interne du modèle. De nombreuses analyses sur la question de la confiance ont ainsi vu le jour à partir de la deuxième moitié des années 1990. Avec Bowling Alone, Putnam (2000) amorçait une distinction entre confiance spécifique, engageant des individus liés par des relations

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d'interconnaissance, et confiance généralisée, cette dernière jouant un rôle essentiel dans les sociétés contemporaines composées de réseaux étendus. Cependant, dans son raisonnement, l'engagement associatif était censé aller de pair avec ces deux formes de confiance, comme si les relations de confiance nouées au sein des associations devaient nécessairement aboutir au développement d'une confiance généralisée. Cette analyse a, d'une part, fait l'objet de critiques au plan conceptuel. Cette vision de la confiance a pu être ainsi qualifiée de néoconservatrice dans la mesure où elle en fait le produit relativement intangible des normes culturelles d'une société, alors que d'autres perspectives existent, se réclamant soit du modèle de l'acteur rationnel (Coleman, 1990 ; Hardin, 1993), soit des théories délibératives (Warren 1999). D'autre part, des travaux empiriques sont venus complexifier l'analyse, soulignant l'intérêt de distinguer la confiance interpersonnelle spécifique et généralisée, et la confiance dans les institutions : Putnam semble supposer des relations de transitivité entre ces trois formes de confiance sans en démontrer l'existence, alors que l'on peut penser à l'inverse que le développement de relations intenses de confiance interpersonnelle à l'intérieur d'une association soude le groupe face au reste du monde, augmentant sa défiance généralisée. De nombreuses études statistiques ont ainsi montré un découplage entre ces trois types de confiance et entre les évolutions dans le temps de chacune d'entre elles. Elles ont également souligné que le niveau et les évolutions de l'appartenance associative n'étaient pas nécessairement corrélés au niveau et aux évolutions de la confiance (Galland, 1999 ; Hall, 1999). Dans ses travaux sur le cas français, Nonna Mayer souligne que la confiance interpersonnelle généralisée et la confiance dans les hommes politiques sont faibles et déconnectées du niveau, plus élevé, de confiance dans les institutions (Mayer, 2002a, 2002b, 2003a, 2003b). Elle indique également que le degré d'appartenance associative ne produit que des effets limités sur le niveau de confiance, et qu'il n'exerce pas, en outre, d'effet significatif sur les valeurs civiques des individus (mesurées par le degré d'attachement au vote et à l'existence des partis politiques par exemple). En revanche, il produit bien un effet sur le degré de politisation, et plus précisément sur deux indicateurs, le degré d'intérêt pour la politique et le positionnement sur l'échelle gauche-droite, tandis qu'il n'a pas d'effet,

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toutes choses égales par ailleurs, sur le degré de compétence politique objective. Ainsi, le concept de Putnam, qui repose sur une intrication étroite entre appartenance à des réseaux associatifs, confiance et normes civiques et politiques semble largement remis en question tant par les études empiriques que par les discussions plus théoriques. Mais les travaux qu'il a contribué à susciter sur le lien entre engagement associatif et rapport au politique ont permis de montrer des effets qui, pour être limités et nuancés, sont néanmoins réels. Ces travaux quantitatifs ne permettent pas néanmoins de savoir si l'engagement est l'effet ou la cause des processus de politisation. C'est précisément ce que des enquêtes qualitatives ont tenté d'établir en ouvrant la « boîte noire » que constituaient jusqu'alors les associations.

Les enquêtes ethnographiques sur l'univers associatif Ces travaux ont tout d'abord permis de montrer que les associations, loin de constituer des contextes nécessairement propices à la politisation, peuvent au contraire être des lieux d'évitement du politique (Eliasoph, 2010 [1998]). Dans une étude qui porte à la fois sur des groupes de bénévoles (associations de parents d'élèves, des groupes de lutte contre la toxicomanie, etc.), des associations de loisirs (des clubs de danse country), et des groupes de militants (contre la construction d'une usine d'incinération de déchets toxiques, etc.) aux États-Unis, Nina Eliasoph analyse comment, par une série de processus différents selon les types d'associations mais dont les résultats convergent, le contexte associatif produit une « évaporation de l'esprit public ». Dans les associations de bénévoles, par exemple, le besoin de se sentir utile et efficacepousse les membres à écarter de leur esprit et de leurs discussions tout ce qui pourrait les décourager et à se concentrer sur ce qui leur apparaît « faisable » : ils déploient ainsi beaucoup d'efforts pour ne pas parler de ce qui les inquiète sans qu'ils sachent comment agir dessus, comme des enjeux écologiques locaux pressants, et pour se concentrer sur des discussions pratiques et de court terme au détriment de considérations plus générales et politiques. Dans les associations de militants, ces discussions sont possibles en interne ; en revanche, c'est dans l'interaction avec les pouvoirs publics ou avec les médias que se produit l'évaporation du politique. Les processus varient selon les causes défendues par les associations et ils ne se

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produisent pas aux mêmes endroits, mais dans tous les cas Eliasoph constate que les individus tiennent des propos moins tournés vers l'esprit public dans l'arène associative que ceux qu'ils peuvent échanger backstage, au cours de discussions informelles. Dans leurs recherches sur des terrains français, Camille Hamidi et Sophie Duchesne identifient des logiques à l'issue similaire à celle pointée par Eliasoph, en travaillant respectivement sur des associations locales de jeunes issus de l'immigration et sur les Restaurants du Cœur (Duchesne et Hamidi, 2001 ; Duchesne, 2003). En adoptant une définition élargie de la politisation comme processus de montée en généralité et de reconnaissance de la dimension conflictuelle des positions adoptées (Duchesne et Haegel, 2004 ; Hamidi, 2006), elles montrent comment certains processus font obstacle à la montée en généralité, d'autres à la reconnaissance du conflit, d'autres enfin aux processus de politisation institutionnelle, dans le contexte associatif. Cela passe par exemple par la prégnance de la « topique de l'urgence » (Boltanski, 1990) et par l'accent mis sur la dimension individuelle et psychologique des problèmes qui font obstacle à la montée en généralité. L'évitement de la conflictualité, quant à lui, tient davantage à l'importance de la recherche de liens de sociabilité dans l'engagement, sociabilité légère ou de type plus communautaire selon les circonstances, mais qui, dans les deux cas, conduit à éviter les sujets qui cliveraient le groupe de coprésence lors des discussions. Ces travaux ont mis l'accent sur les facteurs d'évitement du politique dans les associations, dans le but de pointer les limites d'analyses antérieures qui supposaient que la société civile constitue nécessairement des lieux de politisation (voir aussi Lefèvre, 2011). Ils permettent aussi, toutefois, d'examiner à quelles conditions se produisent, malgré tout, des processus de socialisation politique, ce qui permet de mieux comprendre les corrélations observées en la matière dans les travaux quantitatifs (Hamidi et Mayer, 2001 ; Hamidi, 2010, 2013). Ils montrent alors que si l'existence d'un projet délibéré de socialisation politique de la part des responsables associatifs est importante, elle ne suffit pas. En ce sens, l'analyse des effets produits ne saurait se résumer à l'examen de la cause, plus ou moins politique, défendue par l'association. De même, la mise en contact d'individus ayant des degrés différents de politisation ne produit pas à elle seule d'effets socialisateurs. À cet égard, trois facteurs semblent déterminants. D'une part, l'importance des modalités du fonctionnement associatif : l'exposition à

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des discussions politisées dépend de la place qui est reconnue aux adhérents dans l'association et, notamment, de leur participation aux moments (souvent dans le lancement d'un nouveau projet) et aux lieux (notamment les réunions avec des interlocuteurs extérieurs) les plus propices à la tenue de propos politisés. Dans les cas étudiés, ces derniers prennent généralement place en dehors des conjonctures routinières de la vie des organisations. D'autre part, dans des associations qui fonctionnent de façon très largement informelle, cette participation dépend des liens affectifs que les adhérents ont pu nouer avec les responsables associatifs : en ce sens, les relations interpersonnelles constituent un filtre essentiel. Enfin, il existe un « effet de ciseaux » dans les processus de politisation : les responsables associatifs tiennent les propos les plus politisés à ceux qu'ils estiment les plus à même de les entendre, tandis que les adhérents sélectionnent les messages reçus en fonction de leur sensibilité antérieure à ces questions. Cette analyse amène Hamidi à conclure que l'hypothèse la plus fréquente est celle des « transformations limitées », la socialisation associative étant d'autant plus efficace qu'elle entre en congruence avec la socialisation primaire. Ces travaux rappellent également que les effets de politisation qui se produisent en contexte associatif ne sont pas nécessairement positifs : les individus peuvent y acquérir une représentation plus critique du monde politique, comme un univers de corruption, de clientélisme ou d'inefficacité. Ils soulignent aussi l'existence de ce qu'on pourrait qualifier d'apprentissages fortuits, qui ne sont pas recherchés par les responsables associatifs ou les participants, mais qui peuvent néanmoins être puissants (Arnaud, 2015). D'autres travaux se sont intéressés à d'autres dimensions du lien entre association et politisation. Paul Lichterman (2005) met ainsi à l'épreuve empirique l'intuition de Tocqueville selon laquelle l'engagement associatif « agrandit le cœur » et le cercle de relations et de préoccupationsdes individus : il examine la réalité de cette « spirale civique » dans une étude menée sur différents groupes et projets civiques organisés sur une base religieuse aux États-Unis. En étudiant la nature des interactions et des discussions nouées à la fois à l'intérieur et en dehors des groupes, il observe que les seuls groupes qui parviennent à créer effectivement des liens avec des « outgroups » sont ceux qui adoptent une posture réflexive sur euxmêmes, en acceptant de discuter collectivement du rapport du groupe au reste du monde et des différences, sociales et ethniques

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notamment, qui le structurent. Lichterman constate que ce « style de groupe » (Eliasoph et Lichterman, 2003) est peu répandu, d'autres préférant par exemple faire référence à la commune humanité de tous les individus ou, dans une version religieuse, à la croyance en un même dieu, pour ne pas avoir à affronter ces différences. Enfin, il montre lui aussi que ces engagements peuvent produire des effets de socialisation politique opposés à ce qui est attendu, les individus apprenant à se résigner au fait qu'ils n'occupent qu'une place très secondaire dans la société et que celle-ci constitue une entité trop compliquée et trop contraignante pour qu'on puisse prétendre la comprendre et agir sur elle. Enfin, des travaux ont porté plus récemment sur les effets produits par des projets qui se réclament de l'« empowerment ». Eliasoph (2011) a ainsi mené une enquête sur plusieurs programmes destinés à des « jeunes défavorisés » aux États-Unis, leur proposant du soutien scolaire, des activités artistiques, etc. Cette étude montre que ces projets sont parcourus de profondes contradictions, au point qu'ils se révèlent largement incapables d'atteindre les buts qui leur sont fixés. Une source de tensions réside dans la multiplicité des objectifs assignés au bénévolat et à la juxtaposition, au sein de ces projets, de populations très hétérogènes, à la fois les « jeunes défavorisés » issus des minorités ethniques visés par le programme, des jeunes issus des classes moyennes, souvent blancs, qui viennent là en tant que bénévoles, et des adultes. Les jeunes défavorisés sont ainsi censés être bénévoles dans les projets et – c'est le principe de l'empowerment – doivent se prendre en main en s'engageant en faveur de la communauté. Mais ils en sont aussi les bénéficiaires : ces projets sont financés essentiellement pour leur permettre de rester dans le droit chemin. Ainsi, pour obtenir des fonds, il faut à la fois montrer à quel point ces jeunes ont peu de chances de s'en sortir et entretenir l'idée que tout est possible pour eux. Ceux-ci ne sont pas dupes de cette ambivalence qui n'est pas mise en discussion collectivement du fait du style des groupes, et cela mine les possibilités d'émancipation. Une autre source majeure de tensions tient au système de contraintes structurelles, notamment financières et temporelles, dans lequel sont pris les projets. Les organisateurs doivent solliciter une pluralité de financements, auprès d'organismes de statuts variés (agences gouvernementales, organisations non gouvernementales [ONG], entreprises privées) qui ont des attentes parfois différentes. Ces financements sont souvent de très court terme, portent sur des projets et privilégient ceux

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qui sont en phase de démarrage ou présentés comme expérimentaux. Cela oblige à trouver sans cesse des causes nouvelles, pour les abandonner lorsque les subventions sont épuisées, et à privilégier les thématiques qui se prêtent le mieux à l'expérimentation. Mais ce rythme rapide ne coïncide pas avec la durée nécessaire à l'apprentissage civique, aux discussions politiques et à la découverte de la culture d'autrui. Ainsi, la pluralité des buts poursuivis, l'hétérogénéité des populations impliquées, le jeu des contraintes institutionnelles et le fait que ces différents éléments ne soient pas mis en discussion collectivement dans les groupes produisent des effets pervers au regard des objectifs qui pouvaient être attendus en termes de politisation et d'empowerment des participants. Dans son enquête sur des compagnies de théâtre qui réalisent des projets d'« action culturelle » auprès des populations des quartiers populaires, notamment d'origine étrangère, en France et en Italie, Francesca Quercia (à paraître) identifie des tensions similaires. Ainsi, ces projets qui revendiquent une double dimension socio-éducative et artistique, sont financés par les pouvoirs publics au nom du pouvoir émancipateur du théâtre, selon une logique qui se réclame de l'empowerment. En même temps, c'est parce qu'elles définissent les populations visées par ces projets comme cumulant des handicaps, comme des « habitants à problèmes », que ces compagnies obtiennent des financements au titre de la politique de la ville ou de dispositifs équivalents en Italie. Par ailleurs, le rythme rapide et les conditions imposées par les financements sur projet obligent souvent ces compagnies à s'appuyer sur des habitants qui ont un capital culturel important et une expérience théâtrale antérieure parfois longue, car elles doivent pouvoir monter, en quelques mois, un spectacle ayant une valeur artistique reconnue par les financeurs : elles n'ont donc pas le temps de cibler des populations plus éloignées de la culture, qui correspondent pourtant davantage à la cible officielle de ces dispositifs. Eliasoph, Lichterman ou Quercia accordent une grande importance aux effets du contexte institutionnel dans lequel les associations sont enserrées, aux liens que celles-ci entretiennent avec les pouvoirs publics, les services administratifs, voire les fondations privées. Dans d'autres cas, le fait de se focaliser sur l'étude des dynamiques internes aux associations, s'il permet des analyses fines et approfondies des processus de socialisation politique, risque aussi d'entretenir une vision erronée des associations. Influencée par une conception romantique de l'univers associatif

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inspirée des descriptions tocquevilliennes (Skocpol, 1997 ; Simonet, 2010), cette approche les conçoit comme des petites structures locales, rassemblant les bonnes volontés citoyennes, loin des univers froids et bureaucratiques des mondes politiques et administratifs. Or, de nombreux travaux historiques ont montré le rôle essentiel joué par les États dans le développement et la structuration des sociétés civiles (Putnam, 2002). Et surtout, les associations ont été amenées à prendre en charge des volets importants de l'action publique, notamment de l'État social depuis 1945, et ce processus s'est très largement accéléré au cours des dernières décennies, faisant des associations des partenaires étroits des pouvoirs publics. Cette évolution, provoquée par la fragilisation des systèmes de protection sociale sous l'effet de la crise et de la montée du chômage pendant les années 1970, se combine aux effets de la décentralisation et de la contractualisation durant les années 1980 et 2000, au « tournant participatif » dans l'action publique pendant les années 1990 et à la mise en place du « New Public Management ». Ces transformations rencontrent également, à partir des années 1960, des changements impulsés par le champ associatif lui-même, sous l'influence des mouvements autogestionnaires militant pour une plus grande reconnaissance du rôle de la société civile (Barthélémy, 2000). L'ensemble se traduisant par une professionnalisation et une institutionnalisation croissantes de l'univers associatif et par le développement d'un « militantisme institutionnel » dans le secteur (Politix, 2010).

Les effets politiques de la participation des associations à la gestion de l'action publique En devenant des partenaires étroits des pouvoirs publics, ces associations se trouvent prises dans une série de tensions et de contradictions politiques, qui tiennent au fait de devoir travailler avec l'État, de chercher à obtenir des financements de sa part, d'être parfois pris dans des relations de convention ou de délégation de service public, tout en cherchant à contrôler, à encadrer voire à contester ses orientations et ses décisions. Plutôt que d'État, il faut d'ailleurs parler d'une pluralité d'interlocuteurs publics, ministères, régions, départements et collectivités locales, qui peuvent avoir des attentes différentes – les acteurs privés, et notamment les fondations philanthropiques, venant par ailleurs encore complexifier la

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donne. Ces tensions s'expliquent également par la transformation des logiques de financement : augmentation des financements sur projet et des commandes publiques au détriment des subventions de fonctionnement, nombre croissant des interlocuteurs à solliciter, concurrence exacerbée entre associations dans un contexte budgétaire tendu, injonction, paradoxale dans ce contexte, au partenariat interassociatif pour obtenir des fonds et exigences croissantes de performance et d'efficience, en regard des critères fixés par les acteurs publics. Ces évolutions du rôle des associations ont suscité une floraison de nouveaux travaux soulignant la nécessité de « ramener l'État dans l'analyse » (bringing the State back in) (Simonet, 2010) et portant sur les effets de ces transformations sur les associations elles-mêmes (Engels, Hély et Peyrin 2006 ; Hély, 2011 ; Pette, 2014 ; Mouvements, 2015). Contrairement aux précédentes, ces recherches dialoguent surtout avec la sociologie de l'action publique et des professions, en partant du constat que les associations ne sont pas seulement des univers redevables d'analyses en termes de bénévolat et d'engagement, mais qu'elles sont aussi des univers professionnels qui gagnent à être analysés en tant que tels (Simonet, 2012). Dans cette perspective, la question des effets politiques est moins centrale, mais elle est tout de même généralement abordée à titre secondaire, ce qui permet de mettre en relief des résultats importants. Vu l'ampleur de la littérature, on se concentrera ici sur les travaux consacrés aux associations qui interviennent dans le secteur de l'immigration et de l'asile. C'est en effet un domaine de recherche qui a connu une expansion considérable au cours de ces quinze dernières années, à mesure que l'univers associatif en question se transformait. Et celui-ci incarne à merveille les évolutions que nous venons d'évoquer, puisque la gestion des immigrés et des étrangers touche au cœur des prérogatives de l'État et de ses transformations. S'il existe une tradition ancienne de mobilisation sur ces questions (la Ligue des Droits de l'homme [LDH], créée en 1898 ; le Comité inter-mouvements auprès des évacués-Service œcuménique d'entraide [la Cimade], en 1939), ce secteur a connu de profondes mutations à partir des années 1970 : le droit des étrangers se formalise, notamment sous l'action de certaines organisations comme la Cimade ou le Groupement d'information et de soutien des immigrés (Gisti), le champ associatif se réorganise et se

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spécialise avec la création de nouvelles associations ou coordinations, souvent plus spécialisées par type d'enjeu (sans-papiers, demandeurs d'asile, etc.) et par registre d'intervention (approches juridiques, médicales, psychologiques, etc.). À partir des années 1980, l'action des associations s'institutionnalise et celles-ci prennent une part croissante aux politiques publiques visant à gérer ces populations : elles interviennent dans les centres de rétention administrative, prennent en charge la gestion de Centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada), gèrent des centres médicaux spécialisés dans l'aide aux demandeurs d'asile victimes de violence, etc. Ces évolutions se traduisent enfin par le développement d'une expertise associative spécifique, souvent juridique, parfois aussi sociale, médicale ou culturelle (Agrikoliansky, 2003 ; Israël, 2003 ; Belkis et al., 2004 ; Drahy, 2004 ; Fischer, 2009 ; Chappe, 2010 ; d'Halluin, 2012 ; Pette, 2014 ; Quercia, à paraître). Cela a d'ailleurs une conséquence sur les travaux dans ce domaine, puisqu'une grande partie de cette littérature dialogue essentiellement avec la sociologie du droit et se concentre sur la question des effets de celui-ci : quelles sont ses capacités transformatrices, peut-on se saisir de cette arme des puissants par excellence pour défendre les faibles (Israël, 2009 ; Agrikoliansky, 2010) ?

Un lieu de cristallisation des tensions politiques : la question du tri des bénéficiaires Lorsque ces associations interviennent dans des dispositifs d'action publique, un des lieux de cristallisation des tensions politiques créées par cette situation est la question du tri des bénéficiaires. Les associations sont prises entre l'aspiration à un traitement égal de tous les bénéficiaires potentiels et un ensemble de contraintes, notamment l'insuffisance des ressources en temps, en moyens financiers, les exigences des partenaires institutionnels et les critères imposés par le droit, qui les poussent à sélectionner les personnes qui seront suivies par l'association et sur lesquelles l'essentiel du temps et des efforts se concentreront. Les travaux montrent que ces choix s'effectuent en fonction d'une multitude de critères, qui peuvent entrer en contradiction les uns avec les autres ou se combiner et qui, s'ils varient selon les associations et les types de politiques publiques considérés, présentent néanmoins des traits communs. Schématiquement, on peut identifier un critère du mérite, au nom duquel on adopte une position délibérément sélective, visant à

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privilégier ceux qui correspondent le mieux à la cible officielle du dispositif. Dans le cas des demandeurs d'asile, il s'agit par exemple de concentrer les efforts sur ceux dont on peut établir qu'ils ont bien été victimes de menaces ou de persécution, afin de préserver un statut du réfugié distinct de celui de l'immigré (d'Halluin, 2012). À ce critère vient s'opposer une « logique compassionnelle » (Fassin, 2005 ; Bouagga, 2013), fondée sur l'évaluation des besoins humanitaires du requérant, et qui consiste à donner la priorité aux personnes les plus vulnérables (malades, femmes avec enfants, etc.). Un troisième critère, qui se révèle très souvent déterminant, est celui de l'efficacité : on retient alors les dossiers qui ont le plus de chance d'aboutir, en anticipant la décision du juge (d'Halluin, 2012 ; Chappe, 2010). Ce choix, lié à l'expertise croissante des militants associatifs qui les pousse à intégrer les logiques administratives et juridiques, tient aussi à leur professionnalisation : soucieux de la réputation de leur organisation, ils préfèrent ne pas défendre des dossiers qui lui donneraient une mauvaise image aux yeux des interlocuteurs publics. Il est enfin lié aux transformations des mécanismes de financement : dans un contexte où elles doivent faire la preuve de leur efficacité et mettre en chiffre leur activité afin d'obtenir des subventions, les associations doivent pouvoir démontrer que les dossiers qu'elles défendent aboutissent favorablement, ce qui les incite à sélectionner les plus faciles à soutenir (Pette, 2014). À cela s'ajoutent des critères moraux et comportementaux : plusieurs enquêtes montrent ainsi que les « bons clients » sont ceux qui se conforment aux attentes de l'institution : ils sont polis, reconnaissant de l'aide qu'on leur apporte, ils savent s'adapter à ce que l'institution peut leur offrir et n'en demandent pas plus, ils n'outrepassent pas non plus leur rôle et acceptent de rester dans une position de bénéficiaires (Rudrappa, 2004 ; Chappe, 2010 ; d'Halluin, 2012). Ces éléments renvoient d'ailleurs plus largement aux logiques régissant le traitement des classes populaires dans les métiers de l'action sociale (Paugam et Duvoux, 2013). Dans tous ces cas, les associations sont donc amenées à jouer un « rôle de filtre » au profit de l'administration (Spire, 2008), ce qui crée un inconfort chez les militants qui ont l'impression de « faire le jeu de l'État » (Pette, 2014, p. 414). À l'inverse, un dernier critère de sélection est celui de l'intérêt politique du dossier : il renvoie alors aux cas qualifiés « d'intéressants » par les militants. En défendant ces dossiers, et au-delà de la personne impliquée, ils peuvent construire un symbole, nourrir une dénonciation plus générale, interpeller les

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médias ou la justice, et parfois contribuer à une évolution jurisprudentielle. Dans ce cas, il ne s'agit plus seulement d'appliquer la loi telle qu'elle est, mais de contribuer à la changer en « mobilisant le droit politiquement » (Drahy, 2004 ; Israël, 2003 ; Chappe, 2010). Toutefois, si ces dossiers font le sel de l'activité militante, ces occasions restent rares et les autres critères l'emportent le plus souvent.

Les effets politiques de la participation à l'action publique Dans ce contexte, quel espace reste-t‑il pour mener des actions ou pour tenir des discussions politiques au sein de ces associations, et quels effets de socialisation cela produit-il sur les militants ? Les conclusions sont à cet égard assez différenciées selon les travaux considérés, les conceptions de la politisation mobilisées, les critères examinés et les types d'associations étudiées. Certains auteurs retiennent une définition de la politisation qui renvoie à des processus de montée en généralité et de publicisation, et ils analysent les types de discours portés par les associations (Agrikoliansky, 2003 ; Israël, 2003 ; Fischer, 2009, 2016 ; Chappe, 2010 ; Pette, 2014). Dans cette perspective, Éric Agrikoliansky, dans une recherche fondatrice sur la Ligue des Droits de l'homme, conclut à un processus de dépolitisation par le droit. En s'appuyant sur l'étude des recours juridiques menés par la LDH – essentiellement des recours gracieux auprès des autorités administratives – il montre que l'usage du droit est une source de singularisation des revendications : il évoque à cet égard la « tyrannie du singulier » (Agrikoliansky, 2003, p. 81). Alors que les plaintes sont fréquemment énoncées en termes généralisants par les plaignants qui évoquent des grandes catégories et des principes de justice, c'est paradoxalement la mise en forme par la LDH qui singularise le cas, restreint l'ampleur de la dénonciation et, finalement, dépolitise l'enjeu. Les travaux ultérieurs rejoignent l'idée que ces associations sont prises en partie dans des processus de dépolitisation. Dans le cas des interventions de la Cimade dans les centres de rétention, Nicolas Fischer souligne ainsi que les cas sont traités individuellement, souvent dans l'urgence (pour tenir les délais très courts d'une procédure d'expulsion par exemple), ce qui amène les militants associatifs à exclure toute mise en cause générale des politiques publiques et à privilégier dans leurs recours des arguments qu'ils savent recevables par leurs interlocuteurs administratifs et judiciaires. L'usage du droit impose des normes contraignantes qui

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limitent le champ des arguments pouvant être soulevés et les modalités pratiques selon lesquelles ils peuvent l'être. La Cimade utilise essentiellement le recours contentieux, qui fonctionne selon des logiques très différentes de celles du recours gracieux privilégié par la LDH, mais cette procédure impose elle aussi des contraintes substantielles et procédurales. Enfin, du fait de la politique du chiffre qui s'impose aux associations, les militants doivent réduire le temps consacré à chaque dossier : en entretien, ils cherchent dans la biographie du détenu les éléments qui pourraient correspondre aux catégories juridiques offrant une protection, mais ne peuvent guère aller au-delà. Néanmoins, Fischer n'en tire pas les mêmes conclusions qu'Agrikoliansky, car il identifie, parallèlement, des processus de montée en généralité et de publicisation. C'est le cas lorsque le jugement d'une affaire individuelle permet de produire une jurisprudence à portée universelle et de modifier le contenu de la loi, ou lorsque le procès individuel fournit le socle d'une mobilisation collective autour de la mise en cause publique d'une injustice. Si ces situations sont relativement rares pour les militants Cimade, un moment de montée en généralité (de « mise en totalisation ») et de publicisation se produit néanmoins régulièrement, puisqu'ils rédigent chaque semaine des rapports sur leur activité, qui nourrissent les rapports de la direction, repris ensuite dans des documents interassociatifs visant à produire une contre-expertise sur les politiques migratoires. En ce sens, le travail quotidien des intervenants associatifs s'inscrit là dans un discours politique et critique plus large (voir aussi : Chappe, 2010 ; Israël, 2003). D'autres travaux (ou d'autres aspects des mêmes travaux) abordent la question politique sous un autre angle, celui des effets de l'action associative sur la contestation de l'ordre politique existant. Ils s'intéressent alors plutôt aux pratiques associatives et concluent, pour la plupart, à la diminution de la contestation de l'ordre en place au cours du temps. Liora Israël montre ainsi qu'en dénonçant la situation de non-droit dans laquelle se trouvent les étrangers au début des années 1970, les militants du Gisti contribuent à la formalisation d'un droit des étrangers qui, s'il est une source de protection pour ces derniers, deviendra aussi une contrainte forte de l'action militante. Ce qui est à l'origine contestation et politisation participe ainsi à la construction d'un ordre que les militants critiquent par ailleurs. De même, lorsqu'elle étudie les associations qui interviennent en prison en soutien aux

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étrangers, Yasmine Bouagga observe que celles-ci cherchent moins à contester l'ordre carcéral existant qu'à le rendre plus intelligible pour les détenus, contribuant ainsi à le légitimer (2013, p. 363). Si elle souligne que cette action n'est pas nécessairement insignifiante – il s'agit de rendre plus effectif le principe selon lequel « nul n'est censé ignorer la loi » et de démocratiser l'accès à la loi par la pédagogie – elle ne vise pas à transformer ce qui est. Enfin, quelques travaux mentionnent un dernier effet politique de ces évolutions, qui concerne cette fois-ci les bénéficiaires de l'action associative. Ils soulignent alors un effet pervers de l'investissement militant du droit : faire du droit le répertoire d'action central de nombreuses associations conduit à rendre les immigrés plus dépendants des compétences juridiques des experts, ce qui aboutit à les déposséder de la maîtrise de leur propre cause (Israël, 2003 ; Agrikoliansky, 2012). C'est toutefois sous ce seul angle, et de façon très marginale, que la question des effets politiques sur les trajectoires des individus est abordée. Celle des effets de ces transformations sur les militants eux-mêmes n'est jamais traitée.

Des éléments de différenciation entre associations et au sein des associations Ces travaux permettent également d'identifier des facteurs de variation des situations selon les types d'associations et au sein des associations. Au niveau individuel, ils pointent des différences selon le type de formation et le rapport au militantisme : avec la professionnalisation des associations, les nouvelles recrues ont souvent un bagage universitaire plus important, mais sont largement dépourvues de culture militante, à l'inverse des générations précédentes, qui ont souvent fait leur apprentissage « sur le tas », mais qui ont accumulé une longue expérience d'engagement. La façon de gérer la question du tri des bénéficiaires, le degré d'intégration des logiques bureaucratiques dans le travail associatif, etc., dépendent en partie de ces différences de profil. Les différences tiennent aussi à la place, plus ou moins proche de l'institution partenaire, qu'occupent les associations. Bouagga pointe ainsi les différences dans le degré de contestation de l'institution carcérale, entre des associations comme la Cimade, l'Association réflexion action prison justice (Arapej) ou la LDH, qui ont fait le choix d'entrer en prison et qui sont de ce fait tenues de ne pas heurter frontalement l'institution, et l'Observatoire international des prisons (OIP), qui a choisi de s'en tenir à l'écart précisément

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pour préserver sa capacité de contestation. Elles tiennent aussi aux modes d'action adoptés par les associations, eux-mêmes liés au profil et au parcours militant des adhérents. Ainsi, le choix du recours gracieux à la LDH, analysé par Agrikoliansky, est ajusté à la trajectoire des bénévoles de l'association : ce sont souvent d'anciens fonctionnaires qui ont un passé militant et une bonne connaissance des arcanes de l'administration, ce qui leur permet de soumettre ces recours qui nécessitent d'avoir des réseaux dans ce milieu. Ce mode d'action a des conséquences sur l'arène et le contenu des discussions : celles-ci sont menées en face‑à-face avec les agents de l'administration et non pas dans un espace public, ce qui incite à éviter la « scandalisation » qui serait inefficace, voire contre-productive dans cet espace feutré. Ces différences tiennent enfin au type de public bénéficiaire de l'action : ce sont des personnes particulièrement démunies, étrangers dans des statuts précaires le plus souvent. Il est, dès lors, difficile de sacrifier le sort de l'individu particulier sur l'autel de la cause plus générale à défendre, ce qui conduit là aussi à des processus de dépolitisation, à l'inverse de ce qui peut se produire dans le modèle de la défense de rupture, tel qu'il a pu être prôné par Jacques Vergès par exemple (Israël, 2009). On le voit, ces travaux permettent de mettre en lumière de nombreux éléments relatifs aux effets politiques del'implication croissante des associations dans la gestion de l'action publique. Si beaucoup d'entre eux ressortissent plutôt de processus de dépolitisation – singularisation des causes, contribution à la construction d'un ordre juridique qu'il devient difficile de dénoncer, atténuation de la contestation au profit de logiques d'accompagnement et d'encadrement de l'ordre existant –, quelques travaux montrent tout de même que des moments ou des types d'action permettent des interventions plus politiques, générales et/ou conflictuelles, dans certaines associations. Dans la mesure où ces recherches visent avant tout à examiner les transformations de l'action publique, elles laissent de côté certaines questions qui nous intéressent ici. Elles se concentrent sur les pratiques et sur les discours publics tenus par les associations, mais s'intéressent moins aux processus discursifs internes aux associations : elles cherchent rarement à observer si des discussions collectives permettent de mettre en débat les logiques de dépolitisation. Or, on a vu précédemment combien cette dimension réflexive est essentielle pour que des processus de politisation

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puissent advenir. De même, elles s'intéressent peu aux trajectoires individuelles de politisation, que ce soit du côté des bénéficiaires ou a fortiori de celui des militants et des salariés, alors que cela recouvre des enjeux essentiels dans un contexte de professionnalisation et de technicisation croissantes du monde associatif. En ce qui concerne les bénéficiaires, et si l'on reprend le cas des étrangers en détention étudié par Bouagga, on peut se demander quels sont les effets produits sur les intéressés par le travail pédagogique des associations. Leur donne-t‑il des armes de contestation ou de dénonciation de l'ordre carcéral ; constitue-t‑il une occasion de politisation, ou renforce-t‑il leur acceptation de la situation ? La question des effets de politisation sur les militants semble aussi essentielle. S'ils doivent tenir des propos singularisant pour défendre des cas individuels, éviter la contestation frontale, etc., quels effets cela produit-il à terme sur leur degré de politisation ? Cela peut sans doute susciter de la colère, une volonté de dénoncer ces évolutions et une forme de politisation chez certains, mais cela dépend sans doute, on l'a vu, de la possibilité d'en discuter collectivement. Dans le cas inverse, cela peut nourrir un sentiment de vacuité de l'action collective et inhiber « l'imagination sociologique », cette qualité intellectuelle nécessaire pour saisir l'interaction entre nos vies quotidiennes et le monde politique (Wright Mills, 1997 [1967] ; Eliasoph, 2010).

Conclusion : croiser les questionnements Les travaux sur le lien entre associations et politique ont connu un important renouveau durant les quinze dernières années. Cette revue de littérature invite à aller au-delà, en développant un programme de recherche plus systématique sur les effets politiques des transformations récentes du monde associatif, à l'image de ce qui a été initié sur les effets de ces transformations sur le fonctionnement du marché du travail (Hély, 2011 ; Hély et Simonet, 2012 ; Mouvements, 2015). L'enjeu paraît essentiel dans une période où l'engagement politique dans certaines structures traditionnelles (partis politiques, syndicats, etc.) a connu une crise profonde. On estime souvent que l'engagement associatif est venu compenser ces formes d'engagement en déclin : quelles en sont les conséquences politiques ? La question des effets politiques de l'engagement et du travail associatif, dans le contexte de

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redéfinition des modes d'intervention des pouvoirs publics et des associations, nécessite de mettre en œuvre un programme de recherche croisant les acquis des deux traditions présentées ici. Ce programme requiert tout d'abord de systématiser le type de variables collectées dans l'analyse. Au niveau macro, il semble indispensable de recueillir des éléments précis sur la nature des rapports entretenus avec les pouvoirs publics : montants et sources des financements, modes des financements (sur des projets plus ou moins longs), types de partenariat entretenus avec les pouvoirs publics, les financeurs privés, les autres associations, etc. Au niveau meso, il invite à rechercher des éléments portant sur l'existence ou non de débats sur ces questions politiques au sein des associations, afin d'appréhender le degré de réflexivité du groupe. Cela suppose de recueillir aussi des informations sur les modes d'organisation et de répartition du travail politique (savoir, par exemple, si les activités de mise en totalisation sont effectuées par l'ensemble de l'équipe ou déléguées à un petit groupe). Au niveau micro, enfin, cela nécessite de collecter des éléments systématiques sur les profils et les parcours individuels des militants (salariés ou bénévoles) et des bénéficiaires (rapport au militantisme, à l'expertise technique, etc). Ce programme de recherche appelle également à expliciter et à faire dialoguer davantage les débats définitoires sur la politisation, ainsi qu'à mieux sérier les types d'effets attendus et analysés. Certains travaux du premier sous-champ de littérature montrent que lorsque des projets visent différents objectifs, ils entrent fréquemment en tension. Il semble, par exemple, difficile d'atteindre, à la fois, des objectifs de politisation des discussions et la création de liens de solidarité élargie avec des outgroups (Lichterman, 2005). Ou encore d'avoir des discussions à la fois très inclusives, en termes de participants impliqués, et très délibératives, au niveau du type d'arguments mobilisés (Mutz, 2006). Cela implique donc de bien distinguer les types d'effets recherchés, afin de ne pas perdre ces nuances dans l'analyse. Enfin, ce programme invite à croiser les questionnements développés dans les deux sous-champs de la littérature. En ce qui concerne les travaux qui portent sur le rôle des associations dans l'action publique, cela doit conduire à poser davantage la question des effets de cette participation sur les trajectoires individuelles des militants et des bénéficiaires et sur les discussions qui se déroulent en interne dans les associations. Inversement, les travaux centrés

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sur les processus internes au monde associatif gagneraient à prendre davantage en compte les effets des interactions avec les pouvoirs publics. Il nous semble que c'est en croisant et en systématisant ces questionnements que l'on pourra prendre la pleine mesure de l'impact des transformations du monde associatif sur le rapport au politique de leurs membres.

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368 Sociologie plurielle des comportements politiques

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Associations, politisation et action publique

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370 Sociologie plurielle des comportements politiques

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Chapitre 14

Pas de chrysanthèmes pour le « sentiment national » Sophie Duchesne et Marie-Claire Lavabre

On ne compte plus les publications sur les concepts de nation, de nationalité et de citoyenneté, la spécificité du nationalisme à la française ou les racines doctrinales du « national-populisme » incarné par le Front national de Jean-Marie Le Pen. Mais sur le sentiment national proprement dit, la manière dont les individus vivent leur appartenance au groupe-nation, les valeurs qui lui sont associées, les facteurs qui la déterminent, il n'y a pratiquement pas d'études, exception faite de l'enquête pionnière menée en 1962 par Michelat et Thomas sur les Dimensions du nationalisme, sans équivalent à ce jour (Mayer, 1996, p. 152).

En 1996, Nonna Mayer regrettait que la sociologie française ait peu analysé ce qu'elle désigne comme « le sentiment national ». Elle mobilise une notion que Guy Michelat et Jean-Pierre Thomas n'emploient pas, bien que leur ouvrage figure dans la bibliographie où Alphonse Dupront (1972) recense les références existantes sur le « sentiment national ». Cette expression semble cependant peu usitée aujourd'hui, à l'exception notable de quelques travaux historiens 1. Elle renvoie, de fait, à ce que l'on désigne en français au plus près du langage courant par l'identité nationale (Jayet, 2013 ; Noiriel et Mauger, 2007) et par l'appartenance nationale (Belot et 1. Voir, par exemple, le colloque « Nation, sentiment national et identités dans le monde atlantique français du XVIIe au XIXe siècle », organisé par Cécile Vidal et François Weil les 16-18 octobre 2008 à l'EHESS ou encore, le volume collectif intitulé « Sentiment national dans l'Europe moderne », paru en janvier 1992 aux Presses de la Sorbonne.

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372 Sociologie plurielle des comportements politiques

Cautrès, 2010 ; Ribert, 2006), ou encore par le nationalisme banal ou ordinaire (Martigny, 2010), voire par l'identification avec le groupe national (Duchesne, 1997). Quels que soient les termes utilisés, l'objet envisagé est le même : la relation, plus ou moins stable, plus ou moins forte, plus ou moins consciente et volontaire, plus ou moins affective, bref, tout sauf évidente, que les nationaux entretiennent avec la nation, relation appréhendée du point de vue des citoyens 2 et non à partir des