Biographie de Jean Sempé Le Magnétiseu [PDF]

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FACILITY LIBRARY REGIONAL SOUTHERN UC

OOOO OOO

Ex Libris C. K. OGDEN

151

2

BIOGRAPHIE DE

JEAN SEMPÉ

!

IMPRIMERIE D'ARGENTEUIL, F. LE NINDRE, RUE CARÊME-PRENANT

BIOGRAPHIE DE

te gelang

JEAN SEMPÉ i

LE MAGNÉTISEUR MYSTIQUE

‫سه وسایا اور یہ ایک کام کر کے‬

VINCENNES

CHEZ JEAN SEMPE , 70, RUE DE FONTENAY 1889

1

PRÉFACE Les gens qui réfléchissent peu, les indit férents, les profanes souriront de pitié ou crieront à l'invraisemblance à la lecture de

cette véridique biographie de Jean Sempé. Le temps des miracles est passé, disent ils , cet homme nous donne les illusions de

son esprit pour des faits réels , il ne guérit pas, le surnaturel n'existe pas . A des affirmations si dénuées de preuves et dites d'un ton si tranchant, nous pour

rions nous contenter de répondre par des affirmations contraires . Mais les faits sont là et rien de si brutal

que les faits.

Allez voir cet homme qui vit simplement comme un anachorète des temps anciens . Si vous êtes incrédules, incrédules vous reviendrez , mais du moins vous aurez vu un

honnête homme, ce qui est assez rare par le temps qui court.

107016

PRÉFACE

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Si vous êtes dans la peine et le chagrin , vous reviendrez consolés .

Si vous souffrez , vous reviendrez guéris . Devant des résultats si pratiques, vos objections pèsent bien peu , et c'est nous qui sourions de la légèreté des mondains . Ah ! nous ne sommes plus au temps des miracles ! Pour vous , le surnaturel n'existe pas ! Pauvres gens, comme il vous est facile de jeter bas d'un coup d'épaule ce que vous

ne comprenez pas ou ce qui gène vos petites combinaisons de pot -au - feu ! Le progrès moderne, les inventions mer

veilleuses qui vont chaque jour se multi pliant, mais ce sont là des miracles quoti diens . Et nous en verrons bien d'autres !

Sans doute, ils ont tous une explication scientifique et à mesure que l'Humanité grandira , les derniers voiles se déchi reront.

Le miracle est fait des bornes de notre

esprit. Nos ténèbres sont éblouies par l'éclat subit d'un fait nouveau , en appa

rente contradiction avec les idées reçues ,

mais peu à peu les yeux s'accoutument

PRÉFACE

7

à la lumière et la vision devient nette . La science est loin d'avoir dit son dernier mot.

Il en est de même du surnaturel. Il nous

enveloppe et nous ne le comprenons pas encore .

Un jour viendra où ces questions si ar

dues, dans lesquelles l'Humanité se débat

depuis des siècles, sans pouvoir arracher le bandeau qui pèse sur ses yeux , seront si simplifiées, que nos successeurs auront

peine à croire à notre ignorance profonde ou à nos étonnantes aberrations,

En ce qui concerne la question spéciale du magnétisme, que nous traitons dans ce

livre à un point de vue nouveau et qui, longtemps encore, restera incomprise et inexpliquée, nous avons cru utile et inté ressant pour le lecteur de donner ici un

résumé historique de cette science , Ce rapide aperçu nous fera mieux com prendre que le don surnaturel de Jean Sempé n'est pas un fait isolé dans l'histoire. Les infatigables chercheurs du moyen âge fouillent au plus profond de leurs creu sets pour y découvrir la fameuse pierre

PRÉFACE

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philosophale, c'est-à-dire la dernière raison des êtres et des choses.

Ficin , né en 1433, disait que l'âme, affec tée de désirs passionnés , peut agir non seu . lement sur son propre corps, mais encore

sur un corps voisin, surtout si ce corps est

le plus faible. Pomponace, né en 1462, écrivait : « Il y a « des hommes qui ont des propriétés salu

« taires et puissantes. Ces propriétés s'exha « lent par la force de l'imagination et du « désir. Poussées au dehors par l'évapora

« tion , elles produisent sur les corps qui les « reçoivent des effets remarquables. » Paracelse, né en 1493, fait descendre des

astres le principe conservateur et répara teur de tous les ètres sublunaires . Il appelle magnale cette vertu secrète, semblable à celle de l'aimant, que tout etre animé tire

des astres . Magnale descendit ab astris et ex nullo alio .

C'est Paracelse qui enseignala théorie des poles , c'est lui qui recommande les talis mans comme les boites conservatrices des

influences célestes . Il a inventé, dit -on , l'on . guent vulnéraire et cet onguent des armes,

PRÉFACE

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qui guérissait à distance et dont la recette est malheureusement perdue. Robert Fludd, né en 1574, distingue le . magnétisme positif et le magnétisme néga

tif, le magnétisme corporel et le magnétisme spirituel , lesquels s'exercent entre les ani maux, les végétaux et même les minéraux . Le savant Kircher, né en 1602, voit dans l'aimant une vertu curative qu'il appelle le

fluide vital. C'est lui qui, le premier, inventa les mots magnetisme animal (Ζωομαγνητισμος).

· Il distingue le magnétisme des planètes , celui du soleil , de la lune et de la mer, celui

des éléments, celui des corps mixtes, élec triques , métalliques , celui des animaux et des plantes . Il signale aussi le magnétisme des médicaments, de la musique, de l'ima

gination et celui de l'amour qui est encore un magnétisme animal, peut-être le plus animal de tous. La nature entière est ma

gnétique.

Wirding, médecin à Rostock, voit par tout, dans la nature, l'intelligence et la vie . Il distingue deux classes d'esprits : 1° les esprits purs : Dieu, les génies et les âmes ;

2° les esprits matériels ou les corps subtils 1.

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PREFACE

qui sont dans un perpétuel combat de sym pathie et d'antipathie , ce qui constitue l'harmonie universelle .

Le magnétisme, selon Wirding , est le consentement des esprits dans le rappro chement des semblables ou l'éloignement des dissemblables . L'Ecossais Guillaume Maxwell resume à

l'avance tous les éléments du mesmérisme .

Il distingue l'élément universel , dont le soleil est le principal foyer et qui est la source de l'esprit vital particulier, qui existe en toutes choses .

« « a u

« Celui , dit-il , qui sait unir l'esprit univer sel avec un corps qui lui convient, pos sède un trésor préférable à toutes les richesses et opérera des choses éton nantes et merveilleuses . Or, on peut le

a communiquer à tous les corps. Il est la « lumière elle-même, ou du moins c'est en « elle qu'il réside . « Mais comment le saisir !

« Sur le sommet des plus hautes monta « gnes , dit-il . »

En 1662, l'Irlandais Valentin Grestrack

apprit par une secrète révélation qu'il pos

PRÉFACE

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sédait le don de guérir les écrouelles. Ce

qui arriva, en effet. Plus tard, il guérit les fièvres épidémiques. En 1665, il reçut le don de guérir les plaies, les ulcères, l'hydropi sie , les convulsions et toutes les maladies .

Ses succès lui attirèrent la jalousie du

clergé, mais sa réputation était faite. Il devint le plus plus grand thaumaturge du XVII° siècle .

Pour guérir, il se contentait de toucher les malades et il ne voulait jamais rien recevoir.

Jean Gassner, prêtre, né en 1727, opérait d'étonnantes guérisons en ne se servant,

disait-il , que de ses pouvoirs ecclésiasti ques . Revêtu d'une étole rouge, il n'em ployait que les formules ordinaires du rituel . Par cet exorcisme, les malades qui avaient la foi étaient guéris de suite de tous les démons qui les hantaient. Si , dès les premières prières , il reconnaissait que l'es prit malin était étranger à la maladie , il renvoyait aux médecins. Quand il commença ses exorcismes , Gassner était curé de Cloesterlé en Souabe .

II dut quitter sa cure à cause de l'affluence

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PREFACE

énorme des malades qui venaient lui de. mander leur guérison . Il se retira à Ratisbonne et l'on vit à la

fois cinquante mille malades campés sous des tentes aux environs de sa demeure .

L'empereur d'Autriche, inquiet d'un tel : concours, le fit enfermer dans un couvent

de prêtres , à Pandorf, où il mourut en 1779 . A titre de curiosité historique, nous don

nerons ici la façon de procéder de cet extra ordinaire guérisseur. Il commençait par un exorcisme d'essai , pour savoir si la maladie venait de la na ture ou du démon . Dans ce dernier cas, il

produisait une crise dansante, sautante ou larmoyante . Outre son étole rouge, il avait autour du cou une chaine d'argent, à laquelle était attaché un morceau de la vraie croix . Il

s'asseyait en face du malade, qu'il faisait mettre à genoux . A sa gauche , se trouvait un crucifix ; à droite , une large fenêtre éclairant toute la scène, écartait toute idée

de supercherie . Tout autour, la foule se pressait et gardait un religieux silence . Gassner demandait au patient de quel

PRÉFACE

- 13

pays il était, et quelle était sa maladie ; puis , après l'avoir exhorté à mettre toute sa con fiance en Jésus-Christ, il touchait la partie malade et ordonnait à la maladie de se ma

nifester. Quelquefois, il frottait ses mains à sa ceinture ou à son mouchoir, et secouait

la tête ou frottait la nuque des patients d'une façon assez rude . Il procédait ensuite à l'exorcisme véritable , à l'expulsion du

démon qui produit la maladie . Pour cela, il lui fallait plusieurs heures, parfois même plusieurs jours pour réussir. Voici un curieux exemple recueilli par de nombreux témoins oculaires .

Il s'agit de la guérison de la fille d'un prince allemand . Gassner lui parle en latin , et la jeune fille,

quoique ignorant cette langue, obéit avec la plus parfaite exactitude à chacun des ordres donnés (1 ) . - « Comme ministre de Jésus-Christ et

« de son Eglise , dit Gassner, je vous le « commande , au nom de Jésus , que le « mouvement

des

bras

se

renouvelle

(1) – « Præcipio tibi, in nomine Jesu, ut « minister Christi et Ecclesiæ, veniat agitatio

PRÉFACE

« comme autrefois dans votre maladie ...

- a Que les bras se tordent jusqu'au a paroxysme selon l'ancienne habitude .....

- « Que l'attaque cesse de se produire ... - « Que le phénomène se reproduise

« avec plus de force, comme autrefois, et « dans le corps tout entier..... - « Que la crise cesse à l'instant... - « Que la maladie se montre sans dou « leur, mais en agitant tout le corps... - « Qu'elle cesse,..

- « Qu'une attaque douloureuse se pro « duise ... Au nom de Jésus, que le corps « tout entier en soit ébranlé.. ,

- « Soulèvement des pieds... « brachiorum quam antecedenter habuisti..... ( Agitentur brachia tali paroxismo qualem « antecedenter habuisti..... « Cesset paroxismus.....

« Paroxismus veniat iterùm vehementius, ut ( ante fuit et quidem per totum corpus .....

« Cesset paroxismus in momento ... « Veniat morbus sine dolore, cum summa ( agitatione per totum corpus..... .

( Cesset .

« Veniat paroxismus cum doloribus..... In

( nomine Jesu , moveatur totum corpus..... - « Tollantur pedes.....

PRÉFACE

18

- « Arrêt... « Tremblement excessif dans tous les x membres et sans douleur...

- « Tremblement des bras...

- « Des pieds... « Que cette pauvre créature tremble a dans tout son corps...

- « Que son coeur soit saisi d'angoisses... — « Qu'elle revienne à l'état naturel ... « Que la crise se manifeste dans la

« bouche , ... dans les yeux, ... sur le front... - « Qu'elle soit comme à l'agonie... « Que les yeux s'ouvrent et restent « fixes ...

- « Quele pouls soitordinaire, ... calme , ... a intermittent,... sautillant ... * Redeat ad se .....

$ Veniat maximus tremor in totum corpus « sine doloribus ..... - « Ad brachia .....

- « Ad pedes..... « Tremat ista creatura in toto corpore .....

- « Habeat angustias circà cor..... - « Redeat ad statum primum ..... - « Paroxismus sit in ore... , in oculis, ... in « fronte ..... - « Adsit paroxismus marientis.....

- * Aperti sint oculi et fici..... - « Pulsus adsit ordinarius , ... lenis, ... inter mittens ,... capricans...

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PREFACE

- « Que le muscle masseter se gonfle ...

« Qu'elle se fâche contre moi jusqu'à « me frapper... « Mets-toi en colère contre tous les « assistants ...

- « Qu'elle s'enfuie vers la porte ... - « Qu'elle ressente des douleurs au ven a tre et à l'estomac...

- « Qu'elle pleure , ... qu'elle rie, ... qu'elle a n'entende personne , ... qu'elle ne voie pas , « même les yeux ouverts ... - « Au nom de Jésus , je te commande de « perdre la parole... « Au nom de Jésus , qu'elle perde l'usage « de la raison ... »

Mesmer, né en 1734 , est le véritable ini

tiateur du magnétisme. Avant lui le charla tan Cagliostro avait propagé en France les mystères de l'illuminisme. . a Infletur musculus masseter ...

« Irascatur mihi etiam me verberando ... « Fugiat per januam... a Habeat dolores in ventre et stomacho ... « Fleat,.., rideat, ... nihil audiat, ... nihil vi « deat, oculis apertis ... Præcipio , in nomine Jesu , ut non possis ( loqui ... - « Perdat usum rationis, in nomine Jesu .....

PRÉFACE

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Jusqu'en 1776, Mesmer, qui avait suivi les

leçons du P. Hell , n’employa que l'aimant comme agent curatif. A partir de cette date , il distingue le fluide magnétique, qui est spécial à lui-même et distinct du fluide magnétique minéral ; il enseigne et pratique

l'art de saisir et de diriger l'esprit universel. Il définit ainsi le magnétisme animal : « La propriété d'un corps animé, qui le « rend susceptible de l'influence des corps a célestes et de l'action réciproque de ceux

« qui l'environnent ; propriété manifestée u par son analogie avec l'aimant. » En 1784 , le P. Hervier, Augustin , magne tisa en pleine cathédrale de Bordeaux et prôna la nouvelle doctrine mesmérienne. En 1785 , le marquis de Puységur décou vre le somnambulisme artificiel. Le moyen

de le produire, dit - il, est la volonté. Croyez et veuillez : tel est le résumé de toute ma doctrine .

En 1787 , le docteur Petetin découvre la catalepsie, l'insensibilité physique , la sug gestion , la transposition des sens, la vue intérieure et la vision à distance .

L'abbé Faria fait consister le magnétisme

PRÉFACE

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dans la volonté du sujet. Il l'appelle som meil lucide.

En 1813, Deleuze écrit l'histoire du ma gnétisme.

« Les qualités du magnétisme, dit -il, sont : « 1º Volonté active vers le bien ;

« 2º Confiance ferme en sa puissance ; « 3º Confiance entière en l'employant. » Ce sont là les trois vertus théologales du magnétisme animal . Quoique la volonté soit l'agent principal, pour ne pas dire unique , les magnétiseurs soutiennent l'existence d'un fluide émanant et dirigeable à volonté. Il y'a donc deux classes de magnétiseurs : les fluidistes et les spiritualistes. C'est à cette dernière école qu'appartient Jean Sempé, dont nous racontons ici la vie

étonnante. Nous pouvons même dire qu'il en est actuellement l'unique représentant,

et nous espérons qu'il n'en sera pas le der nier, mais qu'il laissera des disciples aussi savants que lui dans la pratique des gue risons merveilleuses .

C'est Barbarin , en 1774, qui le premier

reconnut posséder un pouvoir toutspirituel.

PRÉFACE

19

Selon lui, son unique agent est l'àme, son moyen , la prière . Il magnétise une personne

à son insu , sans être en rapport avec elle , à la condition seulement de la connaitre et de l'avoir vue.

En 1836, l'illustre Dupotet ou le baron du

Potet vint prêcher sa doctrine à Montpellier et il y guérit beaucoup de malades. Il est le chef de l'école magico -magnétique. Il n'ad met pas l'influence des esprits et du diable, il fait de la magie .

Le marquis de Mirville, au contraire, est le chef reconnu des magnétiseurs spiritua listes ou mystiques .

C'est surtout dans le Midi que ceux-ci ont existé en grand nombre . Ils commen cent leurs séances par des prières très ortho. doxes : Veni Creator , les psaumes , etc.;

puis ils invoquent le fluide créateur, la Lumière.

C'est le spiritualisme illuminé. Depuis longtemps, la théorie mesme rienne est abandonnée .

La donnée de l'imagination comme au

teur des phénomènes peut expliquer bien des choses, mais ne les explique pas toutes.

PRÉFACE

20

L'existence d'un fluide quelconque est fort douteuse et combattue par de sérieux arguments.

Reste donc l'hypothèse de la fascination

du sujet obtenue par n'importe quel moyen et c'est alors que se produit cet état singu

lier, encore inexpliqué aujourd'hui, et qu'on appelle le sommeil somnambulique, lucide ou hypnotique. L'école spiritualiste veut que le magné

tisme soit produit uniquement par l'inter vention des bons et surtout des mauvais

esprits .

L'écule swedenborgienne va plus loin et prétend que le somnambule est l'inspiré de Dieu . L'imposition des mains qu'on y pra tique est renouvelé de la façon d'agir des Apôtres . Comme eux , ses disciples gué rissent les malades .

Lavater, le pasteur de Zurich , soutient que tout vrai chrétien doit faire et fait des miracles .

Cette branche des magnétiseurs illu minés passa de l'Allemagne en France,

en 1829, et ce fut à Avignon qu'eurent lieu les premières expériences .

PRÉFACE

21

Les adeptes se servaient d'un tube de verre pour conduire le fluide et l'esprit céleste, et ils guérissaient à l'aide des passes magnétiques et du Veni Creator, A Toulouse, M. Ricard écarte les nuages

et empêche la pluie de tomber sur sa personne.

Un autre magnétiseur célèbre de cette école est Cahagnet, ex-tourneur de chaises . Il possédait un miroir magique dont le secret lui fut révélé par Swedenborg lui même .

« Vous faites placer, dit-il , devant ce

« miroir la personne qui désire voir un « voleur, un esprit ou un lieu quelconque ; > Jean , le cour rempli d'angoisse, l'esprit

excité par les multiples injustices dont il était victime chaque jour, ne voulut pas rester plus longtemps dans cette maison, où l'on sem

blait lui reprocher tout. S’armant d'une réso lution virile, il sortit du champ , revint à la maison où se trouvait seule et malade sa

grand'mère qu'il embrassa, saisit à la hâte ses vêtements du dimanche et prit la route de Nay .

On se figure aisément l'état d'esprit où se trouvait le pauvre jeune homme. Il partait sans argent et souffrant toujours de sa ma ladie. Mais le moral souffrait plus encore que le physique . Lentement il marcha sur la route et finit

enfin par arriver au but . Son premier soin fut de trouver un emploi

BIOGRAPHIE

34

quelconque . De maison en maison il demanda

si l'on avait besoin d'un apprenti. Partout il reçut des réponses négatives , partout il fut rebuté .

Déjà la nuit se faisait et le pauvre Jean dé couragé suivait tristement et tête basse les

rues de la ville, lorsqu'il vint å passer devant la boutique d'un menuisier . Il s'arrête , il én tre , et demande en grace un peu d'ouvrage. Par bonheur, le patron était un des amis de son père . Il fait asseoir le jeune homme et lui demande comment et pourquoi il se trouve à Nay , Jean , ne pouvant se contenir plus long temps , se met à pleurer à chaudes larmes et raconte toute son aventure , suppliant le menuisier de le prendre en apprentissage.

Poüey ( c'était le nom du menuisier) , touché de compassion , le garde à souper et lui pro met de l'occuper dès le lendemain . Toutefois, ce brave homme , ne voulant pas laisser la famille Sempé dans l'incertitude de

ce qu'était devenu leur enfant, partit le lende main pour Bénéjac.

La pauvre mère pleurait et demandait à toutes les personnes qu'elle rencontrait si l'on n'avait point vu son Jean bien-aimé . Le père Sempé fut heureux d'apprendre

DE JEAN SEMPÉ

35

que son fils était retrouvé , qu'aucun acci dent fâcheux ne lui était arrivé . Il partit im

médiatement pour ramener au foyer le fugi tif.

Arrivé à Nay, il trouva son fils en train de

raboter une planche avec toute la vigueur dont il était capable. Il le réprimanda sé- ' vèrement d'être ainsi partisans prévenir

personne et lui intima l'ordre de réintégrer de suite le domicile paternel. — « Je vous obéirai , dit Jean , si vous in « sistez ; mais comprenez, mon père, qu'a « près ce qui vient de se passer, il m'est « difficile de vivre chez vous . Je vous en

« supplie, faites-moi donner l'instruction suf « fisante pour garantir mon avenir ; ou , si « vous ne le voulez pas , du moins faites -moi « apprendre un état. Ma faible santé, vous le « savez, me rend impossible le travail des

« champs . Mon père , avouez-le , vous avez « été bien sévère pour moi ... « Il sera fait comme tu voudras , inter « rompit-il, » Et prenant Poüey à part, il lui fit ses condi tions , l'engagea à détourner Jean de son état par tous les moyens possibles et dit qu'il reviendrait dans la huitaine... Mais on eut beau dire et beau faire, repré

36

BIOGRAPHIE

senter à Jean coinbien le métier était pénible , lui faire porter de lourds madriers, lui faire raboter des bois noueux ; rien n'y fit, il resta inébranlable dans sa résolution .

Quand huit jours après revint le père, il ne put rien sur cette jeune et ferme volonté. Il se décida alors à payer trois ans d'appren tissage .

Pendant treize mois, Jean travailla sans relâche , ne se plaignant jamais, se souve nant dans les moments difficiles qu'il était l'enfant de Notre-Dame de Bétharram .

On était en avril 1836, dans les premiers jours de la Semaine Sainte . Jean devait ren trer au magasin d'énormes madriers. Vou

lant en soulever un de plus forte taille que les autres , il fit un effort qui lui causa une telle douleur , qu'il fut obligé de tout lâcher et

tomba à la renverse au risque de se faire écraser sous la lourde planche. Il se releva péniblement et comme il ne voulait se plain

dre à personne de l'horrible douleur qu'il ressentait, il travailla plusieurs jours en core .

Mais le mal , plus fort que sa volonté , le força de s’aliter et son patron le reconduisit dans sa famille .

Une fièvre délirante s'était emparée du

DE JEAN SEMPÉ

37

jeune homme et une grosse tumeur s'était formée dans le bas - ventre .

Le docteur , mandé en toute hâte, déclara

qu'il n'y avait pas de remède, que Jean allait mourir .

Marc , loin de s'attrister de cette nouvelle , ne sut pas même contenir sa joie . « Tant mieux s'écria-t-il , qu'il crève

« donc , et qu'on n'en entende plus parler ! » Le 1er mai 1836, on crut que tout était fini : la respiration montait à peine jusqu'aux lèvres , les ombres de la mort s'étendaient sur le visage, les membres se raidissaient,

les battements du cour devenaient imper ceptibles .

La désolation règne à la maison , la mère est comme folle de chagrin : son bien- aimé Jean , le fils, qu'elle aimait tant, n'est plus ; il meurt, à dix -neuf ans , dans la force de

l'âge . C'est trop pour son cœur maternel et la douleur le brise .

Pendant qu'elle pleure amèrement, le père est parti pour Bordères , chez Paul Barra que :

« Mon fils se meurt, lui dit- il, sauvez im le .

- « Son nom et son prénom ? répond le < vieillard . 3

BIOGRAPHIE

38

- « Jean Sempé . « C'est bien,

va-t'en , ta confiance le

sauvera . >

Et Paul Barraque se mit en prières, tan dis que le père revenait au foyer désolé.

En revoyant son fils raide et froid , comme tout le monde il le crut mort.

Il fait dresser une table sur laquelle on

pose le crucifix et deux flambeaux ; les assis

tants récitent les prières mortuaires ; le cercueil est apporté et l'on procède à la der nière et funèbre toilette .

Au moment où l'on va placer le cadavre dans son étroite demeure, Jean semble sor

tir d'un lourd sommeil , il pousse un profond soupir , soulève sa tête et sourit à sa mère en pleurs. Il était sauvé .

La prière du vieillard le faisait pour ainsi dire sortir de la tombe . La grosse tumeur avait entièrement dis.

paru et bientôt le jeune homme était debout

et se remettait peu à peu de cette terrible secousse.

Aux approches de la Pentecôte , la santé

était à peu près revenue . Aussi , la veille de ce jour, profitant de ce que tout le monde de

DE JEAN SEMPÉ

39

la maison était parti , il s'habilla et s'en alla avec deux francs dans sa poche .

Il était encore si faible qu'il mit deux jours à franchir les dix-huit kilomètres qui le sé paraient de Pau. Là il trouva de l'ouvrage, termina son apprentissage de menuisier et resta dans

cette ville jusqu'à 1840. Une fois sûr de gagner sa vie par la con naissance de son métier, Jean se mit en de

voir de réaliser le plus cher de ses désirs : aller rejoindre son frère.

En conséquence, il partit pour Bordeaux afin de s'embarquer à bord d'un navire en

partance pour l'Amérique. Il se voyait déjà dans les bras de ce frère tendrement aimé. Comme il serait heureux

de le revoir, de vivre près de lui, de lui dire que , grâce à des efforts constants, il était capable de gagner sa vie honnêtement !

CHAPITRE II Attaquc soudainc . rets .

Nouvelle maladie .

chute singulière.

.

Séjour à Caute

Une jalousie terrible Jean · Guéri par Lafforgue.

Retour à Pau .

Re monte La femme au

un atelier. La tireuse de cartes Etudes avec Paul Barraque. - L'apparition de rasoir. Bayonne. Un nouveau Caïn . Jean refuse d'être

prêtre.

Visite au commandant Lafforgue.

La Providence en jugea autrement .

Jean partait pour Bordeaux avec

une

somme assez ronde, fruit de son travail per sévérant.

Le soir, la diligence arrive dans la grande

ville , Jean prend sa petite valise et se dirige vers le port. Il passait rue Ségur, aujourd'hui rue Cursolle , lorsqu'un homme, qu'il ne con naissait nullement, se précipite à sa rencon

tre et lui tire à bout portant deux coups de revolver .

Par un effet de la toute -puissance divine et

DE JEAN SEMPÉ

41

grâce à la prière que lui avait envoyée Paul Barraque et que Jean portait toujours sur lui , les balles ne l'atteignirent pas .

L'assassin avait pris la fuite, mais les agents , qui avaient entendu les détonations , voyant un homme se sauver dans le loin

tain , se lancèrent à sa poursuite, le saisirent et ramenèrent le coupable au lieu de son crime .

Jean avait eu le temps de se remettre de son émotion . Reconnaissant la haute protec

tion de Dieu, qni l'avait gardé si miraculeu sement de tout mal , il supplia les agents , puis le commissaire de police chez lequel on

le conduisit, de relâcher cet homme qui , ne le connaissant pas , ne pouvait avoir eu do mauvaises intentions à son égard ; puis il

continua son chemin et s'en vint loger dans un petit hôtel , dont les fenêtres avaient vue sur le fleuve .

Le lendemain, il s'informa du prochain départ d'un bateau pour la Martinique . Il lui fallait attendre une dizaine de jours . Il se ré

signa. Tout le jour, il allait sur le port, admi rant ce mouvement si animé des matelots de toutes nations, cette forêt de mâts et ces

navires si nombreux qui couvrent les eaux de la Garonne. Le soir , il rêvait à sa fenêtre,

BIOGRAPHIE

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pensant uniquement à ce frère chéri, qu'il allait rejoindre.

Mais voici que tout à coup il est pris d'une toux sèche et saisi par une fièvre violente. Il faut qu'il se mette au lit. C'est une belle et

bonne fluxion de poitrine qui vient de se déclarer.

Jean resta ainsi onze mois , souffrant horri blement, malgré les soins empressés que

lui prodiguèrent plusieurs médecins, qui maintes fois le crurent perdu . Enfin , un léger

mieux se produisant, ils l'engagèrent à aller prendre les eaux de Cauterets, mais lui

defendirent expressément de passer la mer. Il n'atteindrait jamais la Martinique. Malgré le chagrin profond qu'il ressentit, il obéit néanmoins et partit pour la mon tagne. Redire les douleurs cuisantes que tout le

long de la route Jean Sempé endura dans son coeur et dans ses membres, est impossible. Mais il n'ouvrait pas la bouche pour se plain dre et il offrait toutes ses souffrances à Notre - Dame.

Pendant deux mois , il suivit le régime des

eaux de Cauterets ordonné par les médecins . Un mieux sensible se produisit ; mais , comme la bourse se dégarnissait rapidement, il re

DE JEAN SEMPÉ

43

partit pour Pau et se remit courageusement au travail.

Après sa journée faite, il allait passer régu lièrement ses soirées dans la famille Cauvry ,

composée des plus braves gens du monde : le père, la mère et une jeune fille de dix -huit ans . Tous les trois l'entouraient des soins les plus tendres et le traitaient comme l'enfant de la maison .

Un autre jeune homme d'assez bonne fa mille faisait aussi des visites assidues, qui

s'adressaient surtout à Mlle Blanche Cauvry,

qu'il aimait, disait - il, éperdument. Un beau jour il demanda sa main , mais le père Cau vry , qui ne se souciait pas de marier sa fille , lui répondit qu'elle était encore trop jeune et que d'ailleurs elle était déjà fiancée à un autre .

Le jeune homme, désappointé et furieux, s'imagina que, venant chaque jour à la mai son , Jean était le rival préféré et résolut de se venger cruellement.

Un soir que Jean venait comme à l'ordi naire de passer quelques heures agréables dans cette excellente famille et rentrait paisi blement chez lui , il fut assailli subitement au

coin d'une rue sombre par le susdit jeune homme, qui lui déchargea en pleine poitrine

BIOGRAPHIE

un coup de revolver. Le meurtrier , convaincu que sa victime est bien morte ou du moins blessée grièvement , prit aussitôt la fuite sans regarder en arrière . Heureusement il n'en était rien . Jean , tou

jours protégé par Dieu et par la puissance de la prière dont nous avons déjà parlé, sen tit bien le choc de la balle, mais elle était tombée à terre sans lui faire aucun mal . Il la

ramassa en souriant et rentra tranquillement dans sa demeure, sans vouloir poursuivre le

jeune homme qu'il avait parfaitement reconnu et auquel il pardonnait volontiers à cause de sa malheureuse passion . Mais pour ne pas être un obstacle et lui laisser le champ libre , il résolut de partir pour Toulouse . Il y avait déjà un an qu'il séjournait à Pau , et il se sentait à peu près guéri . On était alors en juin 1842 , il faisait un temps superbe et Jean , qui exécutait aussitôt

les projets conçus , alla retenir sa place dans la diligence qui devait partir le lendemain matin .

Le soir, il invita généreusement tous ses camarades d'atelier, pour leur faire ses adieux . Après un repas copieux, il revint chez lui et se coucha, sans que son esprit fût dérangé le moins du monde .

45

DE JEAN SEMPÉ

Vers deux heures du matin il se réveilla

poussant un grand cri. Tout le côté droit était

paralysé et glacé, tandis que le côté gauche était un véritable brasier. A ce cri étrange , la maitresse d'hôtel accourt, voit l'état du pau

vre Jean et vite fait appeler un médecin . Le docteur arrive , prescrit de nombreux remè des et dit que jamais il n'a vu cas semblable . Jean resta ainsi toute une semaine, endu rant des tortures affreuses.

Le mal empirait de jour en jour, le méde cin inquiet fit appeler en consultation trois

autres de ses confrères, qui déclarèrent le malade perdu sans ressource, affirmant qu'il succomberait inévitablement dans un laps

de temps déterminé. Ils appelèrent la maîtresse d'hôtel : - < Madame, lui dirent-ils, votre client n'a

« plus que quelques jours à vivre . S'il a une « famille , prévenez-la et qu'elle se dépêche, ( si elle veut le voir encore vivant. »

Ce qui fut fait immédiatement et le frère aîné ne tarda pas d'arriver, mais le malade était si faible qu'il n'eut pas la force de lui répon dre un mot .

La maitresse d'hôtel, comprenant que tout était désespéré, alla trouver le commandant Lafforgue, guérisseur aussi renommé que 3.

BIOGRAPHIE

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Paul Barraque et qui demeurait aux environs . Elle lui raconta l'extraordinaire maladie de

Jean Sempe. Celui-ci aussitôt magnétisa de

l'huile et la remit à la femme en la priant d'en frictionner le corps du patient. Le lendemain , 12 juin 1842, la bonne dame suivit de point en point la recommandation . A peine avait- elle achevé les onctions pres crites, que Jean reprit connaissance et de manda à boire.

D'abord sa gorge rétrécie ne lui permit pas

d'avaler quoi que ce soit. Pourtant, peu à peu , il parvint à prendre quelques cuillerées de bouillon bien chaud , et tout aussitôt la chaleur revint dans la partie droite du corps qu'elle avait abandonnée. Encore une fois , Jean était radicalement et

subitement guéri , sans qu'il parut aucune trace de la terrible épreuve qu'il venait de subir .

Il se lève de son lit, et les personnes qui étaient venues le voir, pour lui donner un dernier adieu, s'en retournèrent stupéfaites de le retrouver en bonne et parfaite santé . Son père lui fit parvenir une somme de deux mille francs, avec laquelle il monta à

son compte personnel un atelier d'ébéniste rie. Il embaucha six ouvriers , car il eut

DE JEAN SEMPÉ

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aussitôt d'importantes commandes de la part de diverses familles, qui savaient le soin et la ' délicatesse que Jean Sempé apportait dans l'exécution de ses moindres travaux .

Il travaillait depuis trois mois avec la plus grande énergie, quand la maladie , sa fidèle compagne , lui fit une nouvelle visite . Comme

il ne voulait pas fermer son atelier, il prit son premier ouvrier en qualité de contre maitre et le chargea non seulement de sur veiller tout le travail , mais encore de vérifier les comptes et d'opérer toutes les rentrées . Il fut servi avec zèle , parce que tous ses ou vriers l'aimaient comme un père. Quelque temps après , Jean , profitant d'un moment d'accalmie dans ses souffrances

quotidiennes , voulut faire une petite sortie. A peine était-il dans la rue, qu'il se sent pris d'un mal de tête, d'un étourdissement

tellement violent, qu'il ne sait plus où il se trouve. Un de ses amis , qui passait à ce moment , devine qu'il se passe en lui quelque chose d'extraordinaire, il le saisit par le bras et le fait entrer dans la première maison qui se présente. Par un hasard singulier, c'était chez une célèbre cartomancienne .

Jean ne croyait pas à toutes les fadaises plus ou moins ridicules que ces créatures

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débitent à tout venant pour quelques sous . Néanmoins celle-ci , après l'avoir soulagé du malaise passager qu'il éprouvait , lui dit :

- « Monsieur, vous ne croyez pas à ma « science de l'avenir, laissez-vous faire les « cartes pour vous distraire . Vous m'inté « ressez et je ne vous prendrai rien . Jean se mit à sourire et accepta la propo

sition , curieux de savoir ce qu'on lui dirait. La femme prit un paquet de longues cartes : < Coupez , dit-elle . » Jean obéit et la magicienne abattit le jeu . « C'est très grave, dit-elle d'un air sé « rieux, vous commencez sous de mauvais « auspices. Coupez une seconde fois ...

- « Ah ! reprit-elle , je ne me suis pas

« trompée ... voilà qui annonce un épouvan « table accident , si vous ne prenez vos pré

« cautions... Il existe une femme qui vous « en veut à mort ... ce matin elle vous a jeté

« un mauvais regard ... elle est puissante et « votre esprit est troublé ... dans trois jours « elle tentera de vous assassiner en vous « coupant la gorge avec un rasoir ! ... » Jean haussa les épaules et dit qu'il ne con naissait aucune femme et qu'il n'avait pas d'ennemis .

DE JEAN SEMPÉ

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« Ce que vous venez de me dire, ajouta < t-il , confirme toutes mes idées sur la pré « tendue science de la cartomancie .

= « Prenez garde , répondit la tireuse de

« cartes , prenez garde ! Mercredi vous me « direz qui des deux s'est trompé. » Jean s'en alla sans ajouter un mot. En tout cas il avait gagné d'être soulagé de la vio lente migraine dont il souffrait. Quant à la prédiction , il n'y pensa plus . Comme d'habi tude il allait passer ses soirées chez ses amis .

Arrive le mercredi soir ; Jean rentre assez tard chez lui sans aucun accident , il s'en ferme soigneusement, il est déjà à moitié déshabillé , lorsque tout à coup on frappe à sa porte : « Qui est là ? dit-il .

« Une personne qui veut vous parler . « C'est pressé . »

Jean entre- bâille la porte à moitié . Il aper çoit une femme : « Que me voulez-vous ? dit- il .

- « J'ai à vous communiquer une grave « affaire qui vous concerne. Ouvrez. « Il est trop tard , revenez demain ma & tin . +

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BIOGRAPHIE

Ne recevant aucune réponse, Jean se rap pelle aussitôt la prédiction de la tireuse de cartes . Comme il est brave , il ouvre brusque

ment sa porte et la lumière de sa lampe éclaire en effet une femme dont le visage lui est tout à fait inconnu. Elle tient à la main un

rasoir tout ouvert ; comme une furie , elle se

précipite en avant pour frapper ; mais Jean se détourne brusquement et décoche à la mégère un si formidable coup de pied qu'il l'envoie rouler à cinq pas dans la rue, puis il s'enferme dans sa chambre à double tour et va se coucher.

De la 'nuit il ne ferme l'œil : il songe à ce qui vient de se passer, il ne peut comprendre cette tentative d'assassinat, il adinire surtout comment la cartomancienne a pu deviner si juste et l'avertir de ce terrible danger. Il prend la résolution d'aller le lendemain trouver

Paul Barraque. Peut-être aura -t - il un bon conseil.

En effet dès quatre heures du matin , il loue cheval et voiture et arrive à Bordères .

A peine est-il entré dans la maison du vieil lard, que celui-ci lui dit : - « Tu viens de l'échapper belle , on a « voulu t'assassiner, mais je veillais sur toi, « car tu dois dans l'avenir accomplir de gran

DE JEAN SEMPÉ

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« des choses. Oh ! comme tu es pale ! es-tu « malade ? où souffres -tu ?

- « Là, répondit Jean , en montrant sa poi « trine et sa tête . »

Le vieillard mit sa main sur le front du jeune homme :

« Au nom de Jésus et de Marie , sois « guéri . » Et Jean à l'instant même fut soulagé. - « Maintenant, ajouta Paul Barraque,, « retiens bien ce que je vais te dire. Grâce à

« la prière que je t'ai donnée et que tu portes « sans cesse sur toi, tu seras préservé de « « « «

tout mal. Le fer et le feu ne pourront rien contre toi . Si tu tombes à l'eau, tu ne te noieras point. Tes ennemis n'auront aucun pouvoir sur ta personne. »

Jean , tout ému de ce qu'il vient de voir et d'entendre , quitte le saint vieillard et revient à Pau. Sans plus tarder, il vend son établis

sement et arrive à Bayonne, où deux de ses amis lui font un accueil cordial . Pour subvenir aux besoins de son exis

tence , il reprend du travail , mais la maladie le rejette de nouveau sur le flanc. Il passe de longs jours à l'hôpital du Saint-Esprit. Enfin il sort , bien faible encore ; c'est à

peine s'il peut se trainer, appuyé sur deux

BIOGRAPHIE

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cannes . Il met un temps infini à traverser le

pont de l'Adour, lorsque , arrivé à l'extrémité , il se trouve en face d'un vénérable vieillard

qui l'interpelle : - . « Vous n'êtes pas encore guéri , jeune « homme ; cependant prenez confiance : vous « serez plus heureux bientôt. Voulez - vous

« faire ce que je vais vous dire ? Oui , si c'est possible , répondit Sempé . « Votre maladie a épuisé aussi vos der « nières ressources ; allez à la poste : une
> Là dessus les deux hommes se séparèrent ,

mais Jean n'avait pas fait dix pas, qu'éclairé subitement par une lumière surnaturelle, il vit que les projets de l'abbé Lacroix étaient

bien différents des paroles qu'il venait de prononcer. Il devait partir dès le soir même et prendre la fuite pour cacher toutes ses

escroqueries et fuir la justice . Alors Jean invoque son ange et condamne

l'abbé à ne pas sortir de sa chambre jus qu'au lendemain matin . Ce qui arriva, en effet, quoi que fit le voleur pour partir. Le lendemain à la première heure, Jean arrivait, disait à l'abbé tout ce qu'il pensait de lui et le forçait, sous peine d'être arrêté à l'instant même , à remettre les trois cents

francs volés. Le prêtre , qui avait passé la nuit dans des transes épouvantables , ne se le fit pas répéter et paya .

Alors , il put aller où bon lui semblait et c'est ainsi que Mme Desparbasque recouvra

son argent et accorda toute sa confiance à son ami , Jean Sempé , qui la défendait si bien des voleurs .

CHAPITRE IV Pouvoir de vaincre les tentations les plus délicat : s . Les Manière de procéder. Lafforgue veut l'imiter. Guérisons sujets de Jean Sempé. Michel Carreau . nombreuses.

Les revenants du château de Navaille .

Trésor perdu . publiques .

Ricard le magnétiseur.

Séances

Comme les saints des premiers jours, Jean Sempé a été en butte à toutes les vexa tions, à toutes les persécutions, non seule

ment de la part des hommes, mais encore des puissances de ce monde, qui sont les démons.

Il a été soumis aux tentations les plus

terribles et les plus délicates, et par la grâce de Dieu toujours il en a triomplié. Pour le récompenser, Dieu lui a fait le don spécial de vaincre dans les autres ces ten

tations presque irrésistibles, auxquelles tout le monde sans exception est soumis et qu

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chaque jour font tant de victimes et causent tant de malheurs irréparables !

Combien de personnes seraient heureuses de savoir avec quelle facilité Jean Sempé peut délivrer un jeune homme, par exem ple , des poursuites honteuses d'indignes créatures , ou bien une jeune fille de ces

séductions machiavéliques, parfois si diffi ciles à empêcher et qui déshonorent le foyer . Qu'on s'adresse à lui en toute con fiance et sûreté : les secrets seront bien

gardés et toute personne sera délivrée in failliblement et malgré elle , s'il le faut, de ces occasions fâcheuses, de ces rencontres

fatales qui causent tant de désespoirs dans les familles . C'est ainsi que le 21 novembre

1847, il sauva une jeune fille d'une des plus honorables maisons de Pau, des obsessions

et des intrigues d'un comte espagnol. Le 1er décembre de cette même année , Jean

abandonne son état pour aller à Pau conti nuer ses mystérieuses , guérisons. Nous di

sons mystérieuses parce qu'il se cachait lui-même : il ne voulait pas être connu de

ses malades et cherchait auparavant à bien se rendre compte de l'étendue de ses pou voirs .

Voici quelle était sa façon de procéder :

DE JEAN SEMPÉ

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il se faisait donner le nom et le prénom des personnes malades qui recouraient à lui et mettaient leur

confiance en

Dieu .

Après

avoir lu ces noms, il tombait à genoux et restait de longues heures en prières . Le lendemain au plus tard , les malades se trouvaient beaucoup mieux et entraient

en convalescence . C'est ainsi que jusqu'au mois de mai 1848, il en guérit plus de mille . Pour se soustraire à la reconnaissance

de tous ces braves gens qu'il avait soulagés de leurs maux , Jean alla demeurer à Arudy , à 25 kilomètres de Pau , sur la route d'Eaux

Bonnes . Il y guérit aussi grand nombre de malades .

Le commandant Lafforgue, à la nouvelle de ces étonnants prodiges, voulut savoir

comment il opérait et s'adressa en consé quence à son sujet, Julie Bambalaire, qui répondit sans hésiter que Jean Sempé bénis

sait tout simplement de l'huile et du sel . Le commandant en fit l'expérience et fut telle ment satisfait des résultats , qu'il ne voulut plus employer d'autres moyens . De plus, le bon commandant fit offrir à Jean Sempé d'achever son éducation magné tique et de le mettre à l'abri de toutes les

malveillances, en l'envoyant å ses frais dans

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BIOGRAPHIE

la ville de Paris, près du baron du Potet, qui était dans tout l'éclat de sa renommée et que

l'on appelait le roi des magnétiseurs. Jean répondit qu'il devait accomplir, non sa vo lonté, mais celle de Dieu dont il n'était que l'humble serviteur, qu'il avait une mission dont rien ne pouvait le détourner. Quant aux

persécutions auxquelles il se savait voué , il les attendait de pied ferme, sachant par avance qu'il sortirait vainqueur de toute épreuve, loin d'en être accablé. Quiconque a bien souffert ne compatit que

mieux aux souffrances d'autrui . La douleur est le creuset où l'or de la charité s'épure. Parmi les nombreux malades qui s'adres

sèrent à lui , Jean distingua quatre jeunes personnes, que leur tempérament rendait sensibles au fluide magnétique et à l'extase ; il en fit ses quatre sujets qu'il forma avec le plus grand soin . Il y en avait deux sur

tout qui étaient remarquables par leur finesse de perception et leur lucidité extraordinai res . La première jeune fille se nommait Marie Lasserre, alors àgée de vingt- deux ans et

qui plus tard devait devenir l'épouse de Jean Sempé ; la seconde s'appelait Marie Bur guet .

Au commencement de chaque séance qu'il

DE JEAN SEMPÉ

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donnait, Jean endormait ses quatre sujets, puis , au moyen de la suggestion mentale ,

il leur donnait l'ordre et la puissance de guérir telles ou telles personnes qu'il indi quait. Alors celles-ci se levaient à tour de

rôle , allaient près du malade désigné, lui faisaient sur la tête l'imposition des mains

et se retiraient précipitamment en secouant leurs mains, comme pour se dégager elles mêmes du mal dont elles avaient débarrassé

le patient.

Un soir que Jean , assis devant sa porte , se reposaient des fatigues d'une laborieuse

journée , quatre jeunes gens vinrent à pas ser . Ils allaient à Pau contracter un engage ment militaire .

Jean ne les connaissait ni les uns ni les

autres , mais éclairé par son ange fidèle, il interpelle l'un d'entre eux :

- « Eh ! Lacoste, s'écrie-t-il , où allez-vous ?

« Venez ici, je vous prie , j'ai une confidence « à vous faire. »

Le jeune homme étonné , fasciné par le regard de Jean , le suit docilement. Jean lui

explique la sottise immense qu'il va commet

tre , lui fait comprendre qu'il n'a nullement la vocation de soldat et que son départ va faire mourir sa mère de chagrm .

BIOGRAPHIE

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- « Au nom

de Jésus , ajoute -t- il, je te

« défends de t'engager. >>

A ces mots , le jeune homme tombe en ex tase et dit :

- Jean Sempé, n'oubliez pas ce que l'on « vous a dit il y a un an ... Maintenant lais

a sez-moi rejoindre mes camarades, qui « s'inquiètent de mon absence. »

Jean se rappela en effet que c'était dans trois jours que la prédiction qu'on lui avait

faite serait accomplie : Le 16 janvier 1848, il devait devenir grand magnétiseur ou plutôt

grand guérisseur. Il réveilla Lacoste qui ne se souvenait plus de ce qu'il avait dit , il écrivit au père Lacoste qui acheva de convaincre son fils, le ramena à la maison et ainsi l'empêcha de

partir pour le régiment par suite d'un coup de tête irréfléchie .

Ce même jour , Jean devait recevoir un nouvel avertissement.

Un jeune homme du nom de Michel Car reau , né à Auch et demeurant à Pau, fau bourg de Jurançon , amena à Jean Sempé, afin qu'il le guérit, un de ses amis , Arthur Lebon , atteint de phtisie pulmonaire . Jean

fait asseoir devant lui le pauvre

DE JEAN SEMPÉ

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apprenti boulanger et prononce tout bas ces paroles : « Au nom de Jésus , sois guéri ! »

Le jeune homme, comme mû par un res sort, se lève , d'un seul bond gagne la porte et se sauve à travers champs . Michel Carreau se met à rire et dit d'un

air narquois :

- « Je ne crois pas à toutes ces baliver « nes. Tiens , Jean Sempé, endors-moi , si tu « peux , et guéris-moi d'une grosse maladie

« que j'ai, la maladie de ... la pauvreté . » - « Tu veux te moquer de moi , répondit « Jean en le prenant pas la main , et le re a gardant fixement. >>

Aussitôt Michel tombe dans une crise épou vantable

:

le mal d'Arthur Lebon l'avait

saisi à la gorge et dans tous ses membres . Il se roulait sur le plancher, se tordait les bras en poussant des cris affreux ; sa figure

livide et ses yeux d'une fixité effrayante lui donnaient un aspect terrible . Maumas , l'ami de Jean , entra au moment de cette scène. Il venait consulter à cause

de son enfant qui était très malade . Il aida Jean à relever Michel Carreau et ils l'étendi rent sur un lit.

Jean Sempé fit dans son cour une courte 5.

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BIOGRAPHIE

prière et se mit en devoir de conjurer l'es prit maudit et de rendre Michel à son état

naturel, lorsque celui- ci lui adressa ces étranges paroles : - « Mon esprit n'est plus de ce monde...

« Jean , sois heureux, je t'annonce qu'au « jourd'hui même s'accomplit la prédiction « qui t'a été faite. Désormais tu es un puis « sant magnétiseur, tu commandes à la na u ture entière et rien ne saurait te résister... « Et vous, Maumas, allez chercher votre en

« fant qui souffre, je le veux... » Maumas ne se fit pas répéter l'ordre , il revint en courant, sa petite fille dans ses bras , et la déposa, grelottante de fièvre et prête à rendre le dernier soupir , sur le lit où reposait Michel. Il avait pleine confiance ,

car il savait que Michel ignorait la maladie de son enfant.

- « Ecoute , Jean Sempć , dit le voyant, je

« vais t'apprendre la manière d'imposer les « mains. Etends la main gauche en l’ap

« puyant légèrement sur la tête du patient; « de la main droite fais un signe de croix sur « le front et dis mentalement : Au nom de

« Jésus, sois guéri! »

Jean fit comme on lui disait et la petite fille , âgée de trois ans, et qui depuis un

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an s'étiolait se trouva 'entièrement guérie.

Impossible de dépeindre la joie et la recon naissance de Maumas, en voyant son pauvre enfant lui sourire et l'embrasser. Il était

comme fou , il partit sans fermer les portes ,

pour rendre son précieux fardeau à la mère , qui pleurait et croyait sa fille morte . « C'est ainsi , continua Michel Carreau « toujours en extase , que tu devras agir à « l'égard de tous les malades qui viendront « te trouver et tu les guériras ... > Jean réveilla son nouveau sujet et tous les soirs de cette semaine, qui se trouvait être la semaine sainte , il le plongeait dans une nouvelle extase et Michel racontait la Pas sion du Divin Sauveur , et Jean écrivait sous sa dictée .

Ce curieux travail , que Jean conservait précieusement dans l'intention de le publier,

lui fut un jour dérobé par le baron de Caza mayrac . Malgré toutes ses réclamations et ses recherches, il n'a pu le retrouver . Ce fut pour lui une perte fort sensible, car ce petit opuscule renfermait des choses inté

ressantes au point de vue évangélique et qui ne sont racontées nulle part.

Quelques jours après ces événements, Jean sortait de chez son yoisin Maumas ,

BIOGRAPHIE

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quand vint à passer, courant dans la rue et poussant de grands cris , une pauvre vieille , folle depuis longues années. A la vue de Jean , la folle se précipite vers lui et lui prend les deux mains pour les poser sur sa tête .

Jean comprend et dit : « Au nom de Jésus , sois guérie ! » Tout aussitôt la femme pousse un profond soupir, jette un grand cri et reste un instant étendue sans mouvement, mais bientôt elle se relève et dit :

« Merci , je suis sauvée ! »

Et souriante , elle s'en retourne en chan

tant les louanges du Seigneur, qui l'a déli vrée du démon .

Maumas avait une autre fille, âgée de neuf ans , d'une beauté et d'une intelligence re

marquables . Jean devine en elle quelque chose de surnaturel, il la magnétise et l'en

fant lui indique avec une étonnante précision les remèdes et les moyens à employer pour la guérison des malades . Elle même guérit , et instinctivement elle met la main à l'endroit

même ou souffre le patient, y fait un signe de croix et au nom de Jésus et de Marie elle

conjure le mal. La baronne de Mesplée , entendant parler des cures merveilleuses que Jean opérait

DE JEAN SEMPÉ

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dans les campagnes, en fut émerveillée. Comme elle-même , depuis deux mois souf frait horriblement d'un

rhumatisme articu

lạire, compliqué d'une fièvre chronique, qu'aucun médecin n'avait pu guérir, elle eut l'idée de faire venir Jean Sempé et envoya sa servante le chercher . Jean consentit à la suivre et en

entrant dans la chambre de la

baronne , il vit sur la table une grosse somme d'argent . « Prenez cet argent , lui dit la baronne,

« ce sont les honoraires du médecin qui « vient ici trois fois par jour , prenez-les ,

« mais guérissez-moi. - « Madame, répondit Jean Sempé, je ne u veux rien pour moi , donnez plutôt à cette « enfant qui m'accompagne; ses parents « sont pauvres . » Et Mélanie Maumas, sur un signe de la

baronne, prit l'argent et courut joyeuse le porter à sa mère.

Alors Jean se tourna vers la baronne et lui dit :

« Votre aumône vous a sauvée . Au

« nom de Jésus , levez-vous ! » La baronne se lève et s'écrie :

« Je ne souffre plus ; merci , cher ami ,

« quelle récompense voulez-vous ?

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- « Je vous le répète , Madame , vous ne « me devez rien ; je ne suis qu’un pauvre « instrument. Remerciez Jésus et sa divine

« Mère, et n'oubliez jamais ce qu'ils vien « nent de faire pour vous . »

Pour le remercier, la baronne, quelques temps après , l'invita à venir , avec Maumas

et sa fille, passer quelques jours à son châ teau de Navailles , situé à 14 kilomètres de Pau .

Ce château est un vieux manoir historique, comme on n'en voit plus guère aujourd'hui. Il fut autrefois la demeure des princes de Béarn . Construit sur le haut d'une colline ,

il est abandonné depuis longues années et ses murs en ruine sont recouverts d'une

mousse épaisse de lierre touffu , où les cor beaux et les hiboux viennent bâtir leurs nids .

Au dire des paysans , tous les samedis à minuit , les fenêtres du vieux manoir s'illu minent et l'on entend des cris, des chants,

des cliquetis de chaînes. Nul au monde n'ose s'en approcher, et malheur à l'impru dent qui resterait , il ne reviendrait plus . Jean , qui demeurait dans la maison de

campagne située au bas de la colline, en tendit raconter l'effrayante légende, il yisitą

DE JEAN SEMPÉ

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les ruines pendant la journée et dit tout sim plement que , le lendemain samedi , il couche rait dans la chambre rouge , celle où l'on voyait les lumières nocturnes . En effet, à minuit, Jean , avec son ami Mau mas, visitait les sous - sols, lorsqu'ils enten

dirent aux étages supérieurs un grand bruit de chaînes, accompagné de chants funé bres . Ils montent vivement et aperçoivent de

grandes ombres qui passent. Ce ne sont pas des êtres vivants , mais Jean ne tremble pas parce qu'il invoque le saint nom de Dieu .

Jusqu'à deux heures du matin , les deux amis assistent à un étrange spectacle : les

mauvais esprits les entourent et les mena cent, mais ne peuvent leur nuire. Enfin tout

disparaît et l'on n'entend plus dans la nuit que le cri lugubre du hibou et le murmure du torrent dont l'eau remplit les fossés du vieux castel .

Le lendemain soir, Jean retourna aux rui nes avec son sujet, la jeune Mélanie, le cha

pelain et la baronne . Il endort la jeune fille qui demande au prêtre de bénir de l'eau. Elle prend ensuite une branche de laurier

et s'en va , à travers toutes les pièces , jus qu'au sommet de la tour, les aspergeant d'eau bénite .

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- « Attendez un peu , dit-elle, minuit va « sonner et ne vous effrayez pas de ce que « vous allez voir et entendre . »

En effet, un bruit épouvantable de cris et de hurlements affreux s'abat sur le châ teau , qui semble trembler jusque dans ses fondements ; les domestiques, qui portent les torches , sont renversés à terre ; on voit d'énormes lames de feu jaillir dans les airs ;

une insupportable odeur de soufre et de chair brûlée empeste l'atmosphère. Mais Jean a prononcé le nom de Jésus et tout se tait .

- « Allons dormir maintenant, dit -il, les « esprits infernaux ne viendront plus trou « bler cette demeure. » Puis , prenant la baronne à part , il lui dit : - « Madame, le souterrain

cache dans

« ses profondeurs un riche trésor, je puis

« le faire apparaître, si vous le voulez , mais « à la condition que je sois seul ici demain « à pareille heure. »

Il est facile de comprendre que la baronne insista vivement auprès de Jean pour qu'il découvrit ce trésor et elle promit tout ce qu'il voulut .

Jean , à l'heure dite , revint au souterrain avec Mélanie . Il avait quatre petites fioles

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où se trouvaient renfermés, disait-il, quatre esprits qui auparavant hantaient le château . Il traça sur le sol un grand carré et à cha que coin déposa l'une des fioles, et , chose merveilleuse, la terre, qui semblait dure

comme le roc , s'émietta en poussière fine et déjà l'on voyait émerger le couvercle d'un tourd coffre, lorsqu'un choc formidable se

produisit et le trésor rentrà sous terro. « Mme la baronne est là, disait Mé « lanie, elle nous guette et elle veut notre < perte . »

En effet, cédant au désir cupide de possé der seule le fameux trésor, elle était venue doucement, accompagnée de plusieurs do.

mestiques, avec l'intention , lorsque le trésor serait

découvert, de faire chasser Jean

Sempé commeun vulgaire sorcier ou comme un voleur pris sur le fait. Jean sortit aussitôt et allant droit à la baronne : 3

a Madame , lui dit-il , votre avarice est « punie, et vous n'aurez rien . Je m'en vais,

« mais prenez garde, si vous conservez les « faux amis qui vous entourent, bientôt la a ruine tombera sur vous . Adieu ! »

Quelques années après , en effet, cette pré diction s'accomplit à la lettre , car les pro

BIOGRAPHIE

90

priétés de la baronne furent vendues par autorité de justice . En 1848 , Jean Sempé vint à Pau pour assis ter aux fameuses séances du célèbre magné tiseur Ricard . Toute la ville accourut pour voir ces étranges nouveautés. Jean et son

sujet Michel Carreau allèrent donc au théâ tre pour être témoins des merveilleuses opé rations annoncées .

Après quelques expériences remarqua bles , Ricard demande le concours d'un jeune homme qui serait d'une faible constitu tion .

« Allez donc , dit Michel Carreau à Jean

« Sempé, et l'on verra s'il peut vous endor « mir . » Jean se lève et monte sur la scène .

- « Messieurs , dit Ricard, vous voyez ce « jeune homme, il va dormir, nous décrire < sa maladie et indiquer les remèdes qui doi u vent le sauver . »

Puis , se tournant vers Jean , il le regarde

fixement dans les yeux et , au bout d'une mi

nute , ce n'était pas Sempé , mais Ricard qui dormait profondément. Le magnétiseur était magnétisé . La foule se met à crier :

DE JEAN SEMPÉ

91

- « Il dort, Ricard ! ... c'est un farceur ! ... » Jean dégage ce sujet d'un nouveau genre ,

puis descend tranquillement de l'estrade pour regagner sa place. On l'applaudit à outrance,

Maître Ricard, tout confus , balbutie quelques excuses devant le public et déclare la séance terminée .

Le lendemain , Ricard fit prendre des ren seignements sur cet étrange jeune homme qui l'avait vaincu , et ses élèves lui apprirent les choses étonnantes que faisait Jean Sempé dans tout le pays. Il envoie aussitôt vers lui avec prière de venir assister à une séance

particulière dans sa maison du Pont-Neuf. Jean n'y fait faute et aussitôt arrivé , les douze élèves de Ricard, tous jeunes gens des meilleures familles de Pau , l'entourent et l'interrogent. Il s'assied de nouveau devant le magnétiseur qui, constatant sa constitu

tion chétive, pense qu'il finira bien par le dominer. C'est pourquoi il déploie toute la puissance de sa volonté et ... le voilà encore endormi une deuxième fois . Alors , Jean se lève et commande à Ricard

de ne pas bouger de l'endroit où il se trouve .

Pendant deux heures, en effet, le magnéti seur reste immobile, il ne peut remuer ni bras ni jambes ; les élèves stupéfaits veulent

BIOGRAPHIE

92

le faire avancer , il est plus pesant qu'un rocher, plus immobile que la borne du grand chemin .

Les jeunes gens inquiets supplient Jean de le réveiller

- « Levez - vous, dit Jean Sempé . » Et Ricard se réveille à l'instant , et l'on peut

juger de son ahurissement lorsqu'il apprit la durée de son sommeil de plomb . Professeur et disciples entourent Jean

Sempé et le prient de leur enseigner sa science et de devenir leur maître.

« Messieurs , dit-il , je n'agis pas par le « magnétisme, quoique je le connaisse dans « ses plus infimes ramifications. Ma puis

« sance vient de plus haut et je ne dois pour « l'instant la communiquer à personne . Ma « mission ne fait que commencer. » Quelques jours après, Michel Carreau dit à Sempé :

« Magnétisez-moi aussi animalement, « comme vous l'avez fait pour Ricard , et

• donnons quelques séances publiques . » Jean consentit, loua une salle et magnéti

sait chaque soir son sujet, qui obéissait

d'une façon absolue à la moindre pensée de Jean , et faisait tout ce qu'on voulait .

Les séances étaient gratuites et l'on venait

DE JEAN SEMPÉ

93

en foule admirer des prodiges qu'on n'avait jamais vus , que l'on ne soupçonnait même pas .

Un des faits les plus remarquables était l'extase religieuse. Le sujet prenait la phy sionomie du Christ, sa pose sur la croix ,

prononçait des paroles en hébreu , que seuls les savants pouvaient comprendre . Bien en

tendu, le sujet ignorait cette langue, et dans le sommeil extatique la parlait avec pu reté.

Depuis deux mois duraient ces séances journalières , lorsqu'un soir le sujet endormi s'exprima ainsi devant tout l'auditoire : Jean Sempé, au nom de Jésus , fils de « Dieu, je t'ordonne de cesser ces représen

« tations qui ne servent qu'à amuser la foule. « Ton pouvoir est maintenant indiscutable

« et tu as une autre mission à remplir, mis « sion divine , qui est le service de ceux qui « souffrent. Renonce au magnétisme animal

a et par l'imposition des mains guéris ceux « qui ont foi en Jésus ! » Jean obéit et commença dès le soir même à calmer les souffrances du corps et celles de l'âme .

CHAPITRE V Guérison d'une épileptique. Ricard veut se venger.

borne infranchissable .

Laporte.

Un désespéré.

Colères sace

otales

Une Un moqueur puni . Musicien improvisé. – L'abbé

Guérisons à distance .

Nous voici arrivés au commencement de

la mission extraordinaire, que Dieu a confiée à Jean Sempé pour le bien de ses semblables.

Nous ne pouvons tout raconter, car il fau drait plusieurs volumes ; nous choisissons

les faits les plus marquants, les plus authen tiques , puisque l'on peut s'adresser encore aux personnes qui ont été l'objet de ces faveurs singulières ou témoins de ces gué risons miraculeuses .

Il en est beaucoup qui, à la lecture d'ac tions si merveilleuses, crieront au men songe , au charlatanisme.

Des miracles ! qu'est- ce que c'est que ça ? il n'y en a plus. C'était bon du temps du

DE JEAN SEMP

95

Christ ! Et encore ! C'est une concurrence à

Lourdes, une nouvelle entreprise mercantile , une folie !

Qu'importent ces calomnies à Jean Sempé ? Depuis longtemps elles passent sans l'attein

dre . C'est aux gens de foi qu'il s'adresse seulement, à ceux qui souffrent et qui vien dront le trouver quand même . Il n'a pas dit son dernier mot et doit

accomplir des choses plus grandes encore , plus invraisemblables . S'il souffre qu'on parle de lui dans la présente Biographie et qu'on redise les faits du passé , c'est qu'il a une raison supérieure, qui est l'ordre de Dieu et le salut de ses frères.

Après cela qu'on l'appelle insensé tant qu'on voudra ; les plus fous sont les aveu gles volontaires .

Le don de Dieu pour lui ne sera jamais une source de fortune, puisqu'il refuse constam ment d'accepter quoi que ce soit pour les

guérisons obtenues par son entremise. Pau vre il a vécu , pauvre il mourra . Souventes fois, soit par nécessité, soit par

volonté, il a passé des jours entiers sans prendre aucune nourriture , il n'en a jamais éprouvé ni mal ni faiblesse. La grâce de Dieu l'a toujours soutenu .

BIOGRAPHIE

96

Sa famille était très vexée de le voir ainsi

refuser l'argent qu'on lui offrait de tous côtés.

C'était cependant là une belle occasion de se faire des rentes et il fallait être bien sot

de ne pas en profiter. C'est ainsi que s'exprimait le père Sempé dans une visite qu'il avait faite à son fils . « Si ce n'est pour toi , ajoutait-t- il, reçois

« du moins pour moi et tes frères. - « Mon père , répondit Jean , vos repro « ches et votre colère ne s'expliquent pas . « N'êtes -vous pas assez riche et que man « que-t-il à votre bonheur ? Cet argent qu'on « me propose est mieux entre les mains des « pauvres . Pour moi , j'ai le strict nécessaire « et cela me suffit. Enfin , mon père , oubliez « vous qu'on ne vend pas les dons de Dieu ? « Répéteż ces choses à mes frères, à toute « la famille et que je n'entende plus parler « de si honteuses propositions. Adieu , mon « cher père , embrassez votre fils et bénis

« sez-le , car peut-être ne nous reverrons « nous plus ici-bas. » Semblable à son maitre , Jean n'a plus pour

famille que l'Humanité. Après cet entretien décisif, Jean Sempé venait de se retirer en sa chambrette , lors

DE JEAN SEMPÉ

97

qu'on frappa à sa porte. C'étaient deux jeu nes filles.

- « Monsieur, lui dit l'aînée, nous avons

« entendu parler de votre bonté , je vous « amène ma sœur Louise Praderas, elle est

« épileptique , guérissez -la , je vous prie . » Jean appelle la maîtresse d'hôtel et lui dit de préparer une chambre pour ces jeunes

personnes . Puis Jean achève une lettre qu'il avait commencée pour Michel Carreau et la pose sur le front de la jeune malade en disant :

« Que ta guérison me soit un signe de « réponse favorable à cette lettre. » Louise tombe aussitôt en extase.

« Jean , dit-elle , tu seras exaucé, car « à dix heures je serai guérie. » Et elle tombe à la renverse , en proie à une crise violente .

Il était six heures du soir. On la transporte dans la chambre prépa

rée. Jusqu'à dix heures, Jean reste en priè res, demandant à la toute -puissance de Dieu et à la bonté de Marie , d'avoir pitié de cette pauvre enfant. Dix heures sonnent et Jean s'entend appe

ler par son nom . Il tourne la tête et quel est

son étonnement ! Louise , à genoux sur son 6

BIOGRAPHIE

98

lit , pleurait de bonheur de se voir guérie . Inutile de dépeindre la joie de ces deux enfants qui baisaient les mains de leur bien faiteur et ne savaient comment le remer cier .

De retour chez elles , le curé de la paroisse apprend la nouvelle et fait mander au con fessionnal celle qui était coupable ... de se bien porter .

« Comment! petite sorcière , lui dit-il en « colère , tu es allée consulter un magicien , « tu as fait un péché mortel, tu es maudite , « tu es damnée !

- « Mais , mon père , il m'a guérie au nom « de Jésus , ce n'est pas avec ce nom qu'on « fait peuvre de Satan .

- « Va-t'en , coquine, tu n'auras jamais « l'absolution . » Louise , tout en larmes , va tout dire à sa mère qui l'envoie vers un missionnaire de Bétharram . Celui- ci, plus libéral ou plus ins

truit , lui dit de ne pas s'inquiéter et que la meilleure des raisons à donner c'est de con

tinuer à vivre en bonne santé, même malgré M. le curé .

Jean n'en était qu'aux débuts de la perse cution sacerdotale et de la cabale jésuitique

dirigées contre lui. S'il se fut fait prêtre ou

DE JEAN. SEMPÉ

99

moine, c'eut été un peu différent et toute la gent dévote n'aurait eu qu'une voix pour dire avec un touchant ensemble :

« Oh ! le saint homme ! »

Comme pour dom Bosco débarquant à Saint-Sulpice, les femmes auraient baisé à deux genoux les franges de sa robe ; mais c'est un laïque qui ne travaille que pour le

bien de l'Église, donc c'est un charlatan, un maudit, un démon de l'enfer ! Donc il faut l'excommunier, le arder, le pendre, si faire se peut ! Ainsi , pour endormir Mélanie Maumas , il employait un singulier moyen . L'enfant por médaille de la Vierge. au cou une Médaille et cordon étaient- ils magnétisés ?

tait

Nous l'ignorons. Toujours est-il que, dès que Jean Sempé avait dit : « Fais ton devoir, Mélanie . » Celle-ci prenait sa médaille en disant: « Je vous salue , Marie ! »

Et aussitôt Mélanie tombait en extase .. Elle avait douze ans et sa mère l'avait

envoyée chez les seurs pour apprendre son catéchisme et se préparer à la première communion. Mais les bonnes sæurs, qui savent tout, apprirent ce que faisait Mé lanie .

BIOGRAPHIE

100

« C'est une petite possédée, dirent -elles, « il faut la guérir. »

La supérieure de l'établissement, accom gnée du curé du lieu , s'en va chez la mère de Mélanie .

« Vous êtes bien imprudente , lui dit-elle « de son air onctueux , vous , mère de famille , « vous laissez votre fille aller seule et tous

« les jours chez un charlatan , un sorcier, un « ami du diable ! « Mais ma fille est un modèle d'obéis

« sance et si vous voyiez comme elle prie « avec ferveur! Et puis , je connais Jean « Sempé. C'est un saint.

- « C'est le démon qui vous aveugle ! « Vous et votre fille irez en enfer, si vous

« ne la retirez promptement de la perdition. « Où est-elle maintenant ? Chez lui , n'est - ce « pes ?

+ « Oui , répond la mère . + « Allez la chercher ou nous la chassons « du catéchisme. »

La mère épouvantée accourut tout essou flée chez Jean Sempe .

« Il paraît que vous avez consacré l'âme « de ma fille au démon , c'est du moins ce

« que m'a dit M. le curé . Elle ne viendra plus « chez vous . »

DE JEAN SEMPÉ

101

Et en disant ces mots, elle s'approche de sa fille et lui arrache avec colère sa médaille

qu'elle jette dous le feu . Mólanie tombe en extase et dit doucement à sa mère :

« Chère maman , c'est bien mal ce que « vous venez de faire. Vous étiez pauvre , et « depuis huit mois , par la bonté de cet homme,

« je vous apporte toutes sortes de présents, « que me donnent les malades guéris et qui « vous procurent l'aisance. Ne soyez pas « ingrate et n'écoutez ni M. le curé ni la « supérieure que je vois chez nous ; ou sinon : « pour vous punir , vous retomberez dans la

plus noire misère , mes sours se livreront « au vice et vous mourrez à l'hôpital, aban

« donnée de tous et désespérée. Bien plus , « rien au monde ne pourra me tirer de mon

sommeil , si vous ne promettez à l'instant « même de me laisser venir ici comme par « le passé , et vous savez , mère, que je n'ai jamais trompé dans l'état où je suis . » La mère justement effrayée promit tout et Mélanie fit sa communion comme les autres . D'un autre côté , Ricard le magnétiseur gar

dait à Jean Sempé quelque rancune de sa déconvenue et cherchait un moyen quelcon que de se venger. Lui souffler son sujet ,

Michel Carreau , lui parut une idée de génie. 6.

BIOGRAPHIE

102

En conséquence, il fit proposer à ce dernier

de lui donner cinquante francs , s'il voulait se laisser magnétiser. Michel, qui n'avait jamais eu pareille somme à sa disposition , y consent tout de suite et sans rien dire à Jean s'en va au rendez - vous assigné. En ce moment Jean Sempé était chez lui

avec Mélanie, qui tout à coup s'endort et s'écrie :

Tiens, Ricard qui cherche à endor

« mir Michel. Il veut vous le prendre et prou « ver à tout le monde qu'il est plus fort « que vous . Ce ne sera pas... Michel, viens « ici ! »

Ricard en ce moment faisait des passes magnétiques. Quel n'est pas son étonnement de voir Michel se lever et lui dire :

« On m'appelle, il faut que je m'en aille « à l'instant. »

On eut beau vouloir le retenir par tous les moyens , il renversa tous les obstacles et

arriva en courant chez Jean Sempé : - « Pourquoi, petite sotte , m'as -tu empè « ché de gagner cinquante francs ? s'écria -t - il « en colère . » Mais Mélanie réveillée

ne pouvait com

prendre.

C'est ainsi que cette petite fille commandait

DE JEAN SEMPÉ

103

tous les autres sujets, et ceux-ci , bon gré, mal gré , ne pouvaient faire autrement que d'obéir.

Un jour, Jean avait réuni une trentaine de

personnes pour vérifier des expériences

nouvelles . Mélanie debout, près d'un guéri don , dit à Jean :

« On se moque de nous deux . C'est « M.

Ossons,

votre ami , assis

sur

la

« deuxième chaise au troisième rang . Pour « le punir, il ne pourra de toute la séance « quitter sa place . » En effet, toute l'assistance vit le susditmon

sieur remuer , faire de vains efforts ; impos sible de se lever ; enfin il part, mais sa chaise part avec lui et le suit fidèlement ; tout le monde aussi part d'un immense éclat de rire . Le moqueur moqué se tapit dans un coin et s'enfuit, honteux et confus, à la fin de la soirée .

Une autre fois, Mélanie dans son état exta

tique commanda à Joséphine Doubrère de venir sur le champ, de s'asseoir sur les mar ches de l'escalier et d'empêcher toutes les

personnes présentes de sortir.

Notez que cette Joséphine Doubrère était absente et demeurait à un kilomètre de là .

Elle était alors tranquillement assise , en train

BIOGRAPHIE

104

de coudre une robe. Ses parents la voient se lever et lui demandent où elle va , elle ne

répond pas. On la suit . Elle arrive chez Jean Sempé, s'assied sur la dernière marche de l'escalier. Quiconque voulut passer et sortir

n'y put réussir, les hommes les plus robus tes furent renversés comme des enfants ; on

voulut l'enlever, elle était trop lourde . Quand Jean Sempé l'eut réveillée, elle fut extrême ment surprise de se trouver là avec tant de monde .

C'est là une des plus curieuses expérien

ces d'un sujet dominateur sur un sujet plus faible .

En voici une autre aussi inexplicable que

la précédente. Nichel Carreau ne connaissait aucun ins

trument de musique et ne savait pas ce que c'était qu'une note. Or, à cette époque , le général Cavaignac donna un grand dîner de gala en l'honneur de son successeur à la

présidence , Louis -Napoléon Bonaparte . Il devait y avoir musique et chants par les meilleurs artistes de la capitale . Ce même soir, Jean endormit Michel Carreau, qui

prit aussitôt un violon et pendant quatre heures

de

suite

exécuta

les

morceaux

les plus ravissants . La petite assemblée ,

DE JEAN SEMPÉ

105

qui l'écoutait, était dans le ravissement. C'était la répétition exacte de tout ce qui se jouait dans les salons de la présidence. Revenu de son extase, Michel ne put tirer deux notes de son violon .

Michel devait se marier, mais un beau jour ,

dans son sommeil , il aperçoit sa fiancée en train de le tromper. Il entre en fureur et veut partir de suite pour la tuer . - « Michel, reste calme , lui dit Jean Sempé, « il n'entre pas dans les desseins de la Provi. « dence que tu épouses cette femme. Je vais « t'éveiller avec le souvenir de ce que tu viens « de voir , afin que tu la méprises . Que vois « tu maintenant ?

« Ah ! ce n'est plus elle, c'est une jeune

« fille de seize à dix-sept ans, je la connais , * je l'ai vue bien des fois à Auch , mon pays , « elle veut bien m'épouser et m'apportera « quatre mille francs en mariage. » Quelque temps après tout cela arriva en effet.

Parmi les prêtres du pays, Jean avait un

bon ami, l'abbé Laporte. Ils se voyaient fré quemment. Les dévotes jalouses commencé rent à jaser et à débiter sur le compte des

deux amis les plus noires calomnies. Ce n'était pas assez, il fallait perdre ce bon prê

106

BIOGRAPHIE

tre dans l'esprit de son évêque . La crédule Grandeur mande l'abbé et le menace de toutes

les foudres épiscopales , s'il ne rompt immé diatement avec ce dangereux sorcier, ce fau

teur de magie noire. L'abbé Laporte courbe la tête et revient tout triste, mais Jean Sempė relève son courage et par Mélanie lui nomme toutes les instigatrices du complot , avec ordre de faire amende honorable . Le lende main les saintes femmes venaient , à la queue

leu leu et l'oreille basse, au confessionnal du bon abbé et reconnaissaient par écrit l'avoir méchamment calomnie.

Ce n'est pas tout : une pétition , signée par

plus de quatre cents habitants des plus nota bles de la paroisse , est adressée à Monsei gneur pour protester contre les insinuations

de ces pieuses pestes. Seule la signature du pasteur fait défaut, tant est grande la charité d'un curé pour son vicaire ! Bien entendu , je ne parle pas d'esprit de justice ; cette caste , qui la prêche si bien en , inéconnaît dans la pratique

les notions les plus

élémen

taires .

C'est Jean Sempé, qui est chargé de porter cette réhabilitation entre les mains de Mgr

Lacroix , évêque de Bayonne. Celui- ci a peur

de voir le prétendu sorcier et c'est au vicaire

DE JEAN SEMPÉ

107

général que Jean remet le document en ques tion .

Dans ces parages , on reçoit avec avidité

les accusations, avec une faveur marquée les accusateurs; on semble furieux , si des preuves indiscutables d'innocence viennent

à se produire. Un évêque ne se croit tel , que lorsqu'il ful mine , brise ou change. En rentrant à son hôtel des Pyrénées, à Bayonne, Jean fit une singulière rencontre Un homme de trente ans environ , aux che veux en désordre, à la barbe inculte, aux

vêtements poudreux , s'approche de lui et demande si par hasard il pouvait lui indi

quer un coiffeur qui , pour 10 centimes, pour rait lui faire sa toilette .

Je n'en connais pas , répondit Jean .

« Tant pis , dit l'étranger, car je n'ai pas « davantage . « Voulez-vous que je vous donne 50 cen « times ?

« Merci , Monsieur, je ne demande pas « l'aumône.

Jean , par une inspiration subite , lui dit : « Alors, Monsieur, venez chez moi, je

< suis garçon coiffeur et je ne vous prendrai « que 10 centimes.

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BIOGRAPHIE

Allons, marché fait. >> Et Jean se met à tailler, à bavarder en

vrai Figaro . « Vous êtes bien

triste, Monsieur, et

« vous souffrez ? « Vous voulez savoir qui je suis, soyez « satisfait. Je me nomme Maurice Fourcade

i et j'ai vingt -huit ans. J'avais à Paris une « belle position et j'étais sur le point de me « marier, lorsque ina sour apprend que son

« oncle vient de mourir à Madrid et lui laisse « une grande fortune. Aussitôt je pars avec

« elle et son enfant pour recueillir la succes « sion . J'emportais en outre quarante mille

« francs , tout ce que nous possédions. A peine « arrivés,nous apprenons que les jésuites du « lieu ont produit un testament in extremis du

« mourant et qu'ils se sont emparés de l'héri « tage. Nous faisons un procès, naturelle « ment nous le perdons et les frais mangent « tout notre avoir.

Sur les instances de

« Mme Lescure (c'est le nom de ma sœur) je « pars avec le peu d'argent qui me reste « pour aller trouver des amis et faire un

« emprunt. J'ai fait la route à pied et j'arrive « ici épuisé avec dix centimes dans ma poche. « Je suis décidé d'en finir avec la vie et vous « faites la toilette du condamné.

DE JEAN SEMPÉ

109

« Votre vie ne vous appartient pas , Dieu « seul a le droit de vous la prendre. « Allez, mon

brave , et

faites

votre

« métier ...

« Au nom de Jésus , je vous ordonne de

« vivre , Vos malheurs vont cesser. Avez « vous des amis ?

- « Oui , à Marseille, si je pouvais y « aller .

« Ce sont de faux amis qui vous trahi « raient. Allez à Bordeaux chez un lithogra

« phe que vous connaissez, il vous donnera « une place de dessinateur, et vous referez « votre fortune. »

L'étranger regarda Jean Sempé d'un air étonné .

- « Comment connaissez -vous cet ami ? lui « dit-il .

Dieu m'éclaire pour vous sauver. Prenez « ce peu d'argent, vous mele rendrez. Adieu ! L'homme suivit le conseil , et tout arriva comme Jean l'avait dit.

A quelque temps de là , Joan , revenu à Pau , traversait la Grande -Rue, lorsqu'il s'entendit

appeler. C'était Mme Rémy, maîtresse d'hôtel. - « Ne pourriez-vous faire quelque chose, « dit-elle , pour une de mes malheureuses « amies, qui vient de m'écrire . »

BIOGRAPHIE

110

Et elle lui montre une longue lettre , préci sément de Mme Lescure , la sœur de Four cade .

Impatiente de rejoindre son frère, Mme Les cure était partie de Madrid avec son enfant,

laissant quelques dettes qu'elle ne pouvait payer. A Pampelune, on l'avait arrêtée et jetée en prison . Ne sachant à qui s'adresser , elle écrivait à la vieille amie de sa mère . Jean reconnaît dans cette rencontre la

inain de la Providence, son coeur est touché · du malheur de cette farnille , il tombe à genoux et prie avec ferveur .

Tout à coup ravi

en extase, il dit

à

Mme Rémy :

« Chère Madame , soyez rassurée sur le « sort de votre protégée, Dieu veille sur les « pauvres abandonnées et va faire un mira

« cle pour les sauver. »

Que se passa-t -il alors ? Est- ce par la pen sée , ou réellement qu'il fut transporté ? Il ne le sait pas lui -même . Toujours est - il qu'il vi t Mme Lescure dans sa prison et qu'il la con

duisit hors de la ville, comme autrefois l'ange sauva Saint Pierre .

Puis revenant à lui, il dit simplement à la maîtresse d'hôtel : « Votre amie est sauvée ! »

DE JEAN SEMPÉ

111

Et il rentra chez lui .

Quelques jours après , Mine Lescure arri . vait à Bordeaux près de son frère et appre nait de son amie , qu'elle rencontrait par hasard , ce qui s'était passé chez elle .

Tout s'expliquait et s'accordait avec le jour et l'heure de sa délivrance .

Mme Lescure, rentrée à Paris, épousa un M. Laurent. Elle écrivit à Jean Sempé, en qui elle avait une confiance absolue , de venir dans la capitale pour guérir un riche étran ger, qui depuis longues années demandait en vain du soulagement aux sommités médi

cales de tous les pays. Elle envoyait 500 fr . pour frais de voyage et , en cas de guérison ,

une récompense princière l'attendait. Jean lui répondit : « Madame Laurent,

« Bénissons Dieu de votre nouvelle position . « Vos malheurs sont finis .

« Quant au malade que vous me recom « mandez, je n'ai pas besoin d'aller à Paris . « Il mé suffit d'avoir son nom et son prénom . « S'il a la foi, il sera guéri .

« Jésus ne disait -il pas à ceux qui venaient

« l'implorer : Allez, et qu'il vous soit fait « selon votre foi !

112

BIOGRAPHIE

« En conséquence , je vous retourne les « 500 francs . Que votre malade les donne aux « pauvres , ainsi que tout ce qu'il me destine . « C'est de cette manière qu'il prouvera sa « foi.

« Jésus aimait les pauvres et je suis son K disciple. « Tout à vous en Jésus et Marie .

« JEAN SEMPÉ. »

Mme Laurent obéit et, au lieu d'un seul

nom , lui en envoya douze . Pendant douze jours , Jean ne cessa de supplier la divine miséricorde de manifester sa toute-puissance et durant tout ce temps il

ne prit aucune nourriture. Le douzième jour, se sentant épuisé, il demanda du pain . Une lettre était venue, elle disait la guérison com plète des douze malades . Bien des fois encore on le supplia de venir

à Paris . Il s'y refusa constamment , les temps n'étaient pas venus . Jean fit mentir une fois le proverbe qui dit que nul n'est prophète en son pays.. Un habitant de Bénéjac avait un enfant de trois ans bien malade. Le docteur Talamon

qui vivait encore , l'avait abandonné. La mère au désespoir dit à son mari,

1

DE JEAN SEMPE

113

- « Il faut porter notre enfant chez Jean < Sempé.

- « Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt, « dit le père , il serait déjà guéri. » Il part aussitôt et arrive à Pau . « Jean

Sempé , dit - il , mon enfant se

« meurt, aie pitié de moi et de la mère ., « Pierre Marcou , dit Jean , ta foi l'a « sauvé , va-t'en . »

Le père revient à la hâte : son fils était guéri! Il retourna à Pau pour remercier et offrir une gratification qui fut refusée , comme toujours.

Un fait qui mérite d'être signalé, c'est que les enfants guéris n'avaient de repos qu'ils n'eussent vu leur bienfaiteur. Mais à peine

étaient-ils en sa présence qu'ils tombaient en état cataleptique . Jean leur touchait le front

et la guérison était parfaite. C'était pour ainsi dire le dernier acte nécessaire, la consécra tion officielle du rétablissement définitif.

C'est ainsi que de 1846 à 1850, époque du mariage de Jean Sempé , trois cents enfants environ vinrent lui témoigner leur recon naissance .

CHAPITRE VI Marie Lasserre quitte sa famille . Vision extatique . Enfer

Poursuite de son frère .

Voyage à Busy Opposi tion épiscopale . - Visite au procureur de la Républi que. Comment parfois il est difficile à un bon chrétien de se marier à l'église .

et ce qu'il en advint.

et Ciel . -

Un clerc de notaire .

Nous allons parler dans ce chapitre du

mariage de Jean Sempé et des circonstances extraordinaires qui ont accompagné cet acte important de sa vie .

Marie Lasserre demeurait chez ses parents

å Busy . Ceux -ci la pressaient d'épouser un jeune homme du pays ; mais Marie évinçait tous les prétendants , parce que, par une sorte d'intuition ou d'avertissement céleste , elle savait que son futur époux serait

Jean Sempé , qui, malgré tous les obstacles, arriverait à l'heure marquée par la divine Proyidence .

DE JEAN SEMPÉ

118

Un des riches propriétaires de Busy , M. Manescou , voulant témoigner à la famille Lasserre sa reconnaissance pour quelques services rendus, entreprit de marier Marie Lasserre avec l'un de ses bons amis , et , pour vaincre toute résistance , il donnait cent mille francs de dot à la jeune fille.

Marie ne se laissa pas tenter un seul instant par cette fortune ; mais , comme elle était

majeure, et qu'elle prévoyait que sa résis tance lui causerait beaucoup d'ennuis, elle résolut de les éviter en quittant le toit pater nel.

Elle s'en va droit à Pau trouver Jean Sempé. - « Protégez-moi, lui dit - elle , Dieu le « veut ! » Jean la confie aux bons soins de la mai

tresse d'hôtel , qui lui donne une petite cham

bre , en attendant qu'on lui trouve une place convenable .

Le lendemain , le frère de Marie , accompa gné de quatre jeunes gens , arrive l'air fu rieux, la menace à la bouche. Coûte que coûte , il veut ramener sa sœur à la maison ; il em ploiera la force, s'il en est besoin .

En effet, il frappe à la chambre occupée par Marie et , comme celle-ci ne veut pas ouvrir, il enfonce la porte et se précipite .

BIOGRAPHIE

1:16

Mais Marie Lasserre est tombée en état de catalepsie : son frère veut la prendre et l'em porter, il lui est impossible de la soulever de terre .

Furieux de cette résistance inexplicable : - « C'est ce maudit Jean , s'écrie-t-il , qui a « ensorcelé ma seur, il faut en finir ! » Jean ne savait rien de ce qui se passait et

vaquait chez lui à ses occupations habituelles a Qui est là ? dit- il , en entendant heurter. » « Jean - Pierre Lasserre . »

Il ouvre et reçoit en pleine poitrine deux violents coups de couteau . Les habits sont transpercés , mais le cou teau n'a pas même entamé les chairs, tant est visible la protection de Dieu sur son humble serviteur .

Le meurtrier, stupéfait de ne pas vois tom ber sa victime, reste là, bouche béante . --- « Va - t'en , dit Jean Sempé, je te par « donne à cause de ta famille ; mais que je

« n'entende plus parler de toi , ou ilt'arriverait « malheur ! » Jean - Pierre Lasserre et ses amis se retiré

rent sans ajouter un mot . Ils étaient domptés . Jean court vers la chambre de Marie et

apprend ce qui vient d'arriver . Il remet la jeune fille dans son état naturel et tous deux

DE JEAN SEMPÉ

117

tombent à genoux pour remercier Dieu. C'est alors que se passe une chose extraor dinaire . Tous deux à la fois sont ravis en extase et

transportés, plus rapides que la pensée, sur les ailes des anges , aux pieds de l'Eternel. Deux Séraphins aux ailes d'or et d'azur gardent l'entrée du céleste séjour. Ils tien nent tous les deux dans leur main le grand livre de vie , sur lequel sont inscrits en caractères lumineux les bonnes et mauvaises actions de tous les hommes .

Tout à coup , devant leurs yeux éblouis ,

apparaît l’archange Saint Michel,qui leur dit : - « Avant que vous contempliez l'infinie

« majesté de notre Grand Dieu, il faut que vous l'admiriez dans ses (Euvres, que vous sachiez sa Justice et sa Bonté , que vous descendiez aux abîmes avant de monter jusqu'aux cieux . » Aucun langage humain ne saurait expri mer, même par à peu près , ce qui fut révélé å ces deux âmes simples et naïves . Laissons parler Jean Sempé et tâchons de nous rappeler ce qu'il nous a confié de cette « a « «

sublime vision .

- « Il est des choses , dit- il , qu'il m'est « impossible d'exprimer comme je le vou 7,

118

BIOGRAPHIE

« drais , d'autres qu'il m'est défendu de répé « ter ...

Toujours la main dans la main de ma « compagne, je me ntis rouler vers des « abîmes sans fond , à travers des nuées opa

« ques , plus sombres que la nuit la plus « noire , que je fendais comme une épaisseur « cotonneuse et qui se refermaient après « mon passage . Comme la vitesse de ma

« chute allait s'accélérant, il me semblait que « tout mon être se rétrécissait ; je me sen

« tais , je me voyais plus petit que le plus

« petit grain de sable enlevé par l'ouragan , « mais plus lourd que toute la terre entière .

« Combien de temps roulai- je ainsi avec la « vitesse de l'éclair ? Je ne sais . Le temps

a n'existait plus , j'étais au delà de l'espace . « Un formidable rugissement composé de « toutes les haines , de toutes les douleurs ,

« me rendit la sensation de l'existence. Les « planètes des cieux que j'apercevais toutes

a devant moi, pour ainsi dire à la portée de « ma main , en furent ébranlées jusque dans « leurs fondements .

« Démons et damnés étaient sous mes

« yeux dans un pêle -mêle indescriptible,

« dans un épouvantable grouillement. Ils « formaient une grosse boule, comme des

DE JEAN SEMPÉ

119

« vipères entrelacées, et de cette masse « informe suintait une odeur à faire mourir . « Tous ces êtres vomissaient leurs entrailles « et ces entrailles étaient d'horribles blas

« phèmes. « Une voix me dit :

« Cet amas impur est la scorie de l'hu

« manité, il n'est composé que de ceux qui

« sont impénitents ; ils ne sont damnés que « parce qu'ils ont voulu l'être et qu'ils ne a veulent pas être autrement ; ils ne forment « qu'un nombre infime dans

l'échelle des

« êtres et jamais l'empire du mal ne sera « qu'un imperceptible atome dans l'univers « des intelligences.

« Les âmes faibles , pusillanimes, impar « faites , se fortifient et se perfectionnent à « travers les mondes. Les justes et les forts a montent toujours plus haut..... « Viens !

« Et sans transition , je me trouvai dans la « pure lumière. Mon cœur se gonfla et éclata

« en millions d'étincelles qui jaillissent tou « jours plus vives . Ce sont les chants de « notre amour . Mon âme se dilata et mon , « intelligence embrassait l'infini des mondes , « Je vis ainsi clairement en moi et je ne

« désirais plus rien .

120

BIOGRAPHIE

« Je jetai un regard au dehors et je vis a l'Euvre de Dieu se dérouler à travers tous

« les temps et tous les espaces . J'aperçus « toute l'économie providentielle et les obs « curités n'étaient plus. « Je fis une excursion dans le monde des

« esprits , plus sublime mille fois que les « mondes matériels .

« Je ne savais comment exprimer ma joie , « mon ravissement, mon amour . Mais j'en

« tendis un hosannah universel, cent milliards « de fois plus formidable que le rugissement

a d'en bas ; il traduisait ma pensée, et c'était « le Bonheur parce que c'était la Science.

« Mes yeux s'ouvrirent plus grands et je vis l'homme parfait. « « Les justes, les saints, les martyrs , les

« pénitents, les laborieux , les petits et les « humbles grandissaient toujours dans les « rayonnements du Savoir.

« Avec eux je montais toujours et l'homme « se divinisait .

< Marie, Reine du ciel , était là . « Et l'Homme était Dieu ! car Jésus et la tri

< ple Unité était l'Infini .

« Je n'étais plus dans Moi et j'étais en Lui !... « Il m'a semblé que pour voir ce commen « cement des Choses, il m'a fallu une Eternité ...

DE JEAN SEMPÉ

121

« Revenu à moi -même , j'ai vu ma compa « gne dans les mêmes ravissements et la

« Grande Voix , plus douce que le baiser d'une « mère , nous disait :

- « Retournez pour un temps aux douleurs « de l'épreuve ... A bientôt ?... Je vous unis et « je vous bénis .

« Et nos deux âmes se confondirent et « s'unirent dans un lien si fort, que la mort « même ne les a pas séparées .

« Mon humble et douce compagne est tou jours à mes côtés , non seulement dans ma « pensée, mais réellement présente. « Elle m'attend ... « Comment sommes - nous revenus sur la

« terre ? Etait- ce une simple vision ?

« Ce n'était pas illusion , car ma pensée n'a « pu concevoir par elle -même ces sublimi « tés .

« Marie me raconta sa vision . C'était la « même chose et dans les mêmes termes.

« Je ne pouvais plus douter. - « Marie , lui dis -je , bénissons Dieu , sa á volonté pour nous s'est manifestée. Voulez

» vous être la compagne bien -aimée des « jours de mon pèlerinage ? « Marie pour toute réponse me donna sa « main . Nous étions fiancés pour toujours. »

122

BIOGRAPHIE

Ce ne fut pas sans de nouveaux obstacles de la part de la famille. Jean écrivit aussitôt à la mère de sa future, afin d'obtenir son consentement et fixer la

date de célébration du mariage . La réponse

fut favorable, mais à la condition qu'il ramè nerait Marie Lasserre .

Jean Sempé, fort de cette promesse, achète tout le trousseau de mariage, se munit de tous les papiers nécessaires et part pour Busy avec Marie et son ami Maumas . Ils ar rivent pleins de confiance , embrassent la mère de Marie ; mais la vieille emmène sa fille dans sa chambre , la saisit à bras le corps

et appelle la servante :

- a Claire, apporte la corde , elle ne s'é « chappera plus, la coquine ! » Jean surpris de cette brusque attaque , à

laquelle il s'attendait si peu , reprend vite son sang - froid , délivre sa fiancée , d'un seul geste

cloue au plancher les deux harpies : - « Viens, Marie, dit - il, et quittons pour « toujours cette maison indigne. »

Ils s'en vont à l'hôtel voisin , et bientôt

les jeunes gens du pays, ameutés par la mégère , arrivent armés de gourdins; mais pas un seul ne peut franchir la porte , une puissance invisible les arréte . Jean Sempé

DE JEAN SEMPÉ

123

et sa fiancée reprennent tranquillement le chemin de Pau .

Tout n'était pas fini cependant. Ces jeunes

gens, ne comprenant pas qu'un pouvoir su périeur s'opposait à leurs vains efforts de vengeance , s'en vont à la hâte, par un che min de traverse, se poster sur le pont de Rebenac où devaient nécessairement passer la voiture des fugitifs . Ils étaient décidés à

faire un mauvais parti à celui qu'ils appe laient le ravisseur, ils ne reculeraient pas même devant l'assassinat.

La nuit était déjà profonde, lorsque la voi ture de Jean arrive au pont de Rebenac. Les

jeunes gens l'entourent, sautent à la bride du cheval et profèrent des menaces de mort. Marie , effrayée, perd connaissance, mais Jean étend la main .

- « Au nom de Jésus , dit - il , je vous défends

« de bouger d'ici , jusqu'à que je sois passé . » Et ces jeunes gens, si bruyants tout à l'heure, deviennent silencieux et immobiles comme des statues . A minuit les trois amis rentraient, sans autre incident, dans la ville de Pau .

Dès le lendemain ,

Jean va trouver un

notaire et lui fait rédiger un acte respec

tueux pour la mère de Marie. Il faut avoir

BIOGRAPHIE

124

raison par la loi de l'opposition injuste et

irraisonnée des parents ; d'ailleurs sa fiancée est majeure et libre de son choix. Quinze jours se passent : aucune nouvelle de Busy , aucune réponse à l'acte légal. Jean étonné et inquiet de ce silence ne sait que faire . Il interroge Marie , qui tombe en extase et lui révèle que le clerc du notaire a sous trait la pièce et l'a cachée dans un tiroir à secret .

Jean aussitôt va raconter la chose au no

taire , qui , indigné d'un pareil soupçon contre

son employé de confiance, appelle son clerc et lui redit l'accusation absurde dont il est

l'objet. M. le clerc renchérit sur son maître et s'écrie d’un ton furieux que c'est une ignoble

calomnie, qu'il en va poursuivre les auteurs ... - « Soyez plus calme , Monsieur, dit Jean « Sempé , et veuillez ouvrir votre tiroir. » Les tiroirs sont ouverts et vidés jusqu'au fond : la pièce cherchée ne s'y trouve pas . Déjà le notaire regarde Jean de travers, lorsque celui- ci dit : « Mais faites -nous voir le fonds secret .

« Il n'y en a pas , répond le clerc tout « troublé . »

Jean s'avance vivement, écarte le clerc d'un

coup de main , appuie sur un ressort et dé

DE JEAN SEMPÉ

125

couvre aux yeux stupéfaits du notaire un

double fond , où se trouvait la pièce détournée avec plusieurs autres très importantes dont la disparition avait occasionné de grandes pertes d'argent. Le clerc infidèle fut chassé sur le champ et l'acte envoyé à destination . La vieille mère ne se déclare pas battue . Sur le conseil du curé , elle porte une plainte au Procureur de la République, sous prévention de détournement et d'enlèvement . Après une enquête sommaire , le Procureur de la République haussa les épaules et dit à la bonne femme de ne plus s'exposer à déranger la Justice inutilement et qu'elle ferait mieux de donner son consentement de

suite et de bon gré, vu que sa fille, étant ma jeure , pouvait s'en passer et se marier quand même .

La vieille obéit et les bans furent publiés .

Trois semaines après , Jean va chercher à Busy le certificat de publication . Le curé, qui

lui gardait une sourde rancune , lui répond: que , par ordre de Mgr l'évêque , il n'a fait au cune publication à l'église et qu'il ne fera pas le mariage.

« C'est ce que nous verrons , dit Jean . » A peine sortait - il du presbytère , que toute

BIOGRAPHIE

120

la bande des jeunes gens dont nous avons déjà parlé, excitée par le curé , et désirant une

bonne revanche de leur premier insuccès , se précipite avec des fourches sur leur en

nemi, bien décidée à lui faire un mauvais parti . Mais, comme la première fois, Jean les arrête et les immobilise. Il s'en va à Olo

ron pour parler à son tour au Procureur de

la République . Dans la rue , il rencontre un ami , l'abbé Taillefer .

- « Comment ! malheureux, lui dit celui-ci , « oses -tu sortir ? tu as débauché une jeune « fille ! Mgr Lacroix et les parents ont porté « plainte, les gendarmes te recherchent ; tu « ferais mieux de fuir.

« « « «

- « Sois tranquille , répondit Jean , je ne crains ni gendarme, ni évêque ; et, ce der nier surtout , nous saurons le mettre à la raison et lui apprendre à être moins prompt dans ses jugements. » L'abbé aperçoit un livre dans la poche de

. Jean :

« C'est là ton livre de magie ? demande « t - il en riant .

- « Oui , dit Sempé , regarde et lis .

« Mais ce sont les psaumes de David ! « Est- ce avec cela que tu fais tant de merveil

DE JEAN SEMPÉ

127

« les ? Et nous qui croyions que c'était par « le démon !

« Mon ami , sache - le bien , je n'ai rien de « commun avec l'esprit des ténèbres. Tout ce « que j'ai, tout ce que je fais , je le tiens de

« de Jésus , mon Maitre . C'est lui qui m'a tout « donné : que son saint nom soit béni ! C'est « par la vertu de ce nom que je dompte au

« contraire les enfers et que je guéris les « maux de l'humaine nature .. Comment, « vous , prêtres du Christ, vous qui faites des « cendre Dieu sur la terre , qui vous nourris

« sez de la chair et du sang divins, vous ne « savez pas mieux combattre l'ouvre du dé

« mon , vous êtes incapables d'établir solide « ment le règne de Dieu ! Pourquoi ? Parce « que la plupart d'entre vous ne cherchez

que votre bien - être , quand vous ne vous

« livrez pas aux vices les plus honteux . « C'est vous qui dans la société maintenez le « génie du mal, au lieu de l'écraser, selon

« votre mission . A quoi servez- vous doncsur

« la terre ? Prenez garde que Jésus ne vous « dise comme à Judas : Mieux vaudrait que « vous ne fussiez jamais nés ! « Voilà ce que je dirai et bien d'autres cho

ses encore à votre Mgr Lacroix . » Sur ce, Jean quitta l'abbé Taillefer et

BIOGRAPHIE

128

marcha vers la maison du Procureur de la

République . Un homme en sortait qui lui dit d’un ton sec :

« Que voulez - vous ?

« Parler à M. le Procureur de la Ré a publique. « C'estmoi. »

Alors Jean raconta toutes les injustices dont il était victime .

- « Ah ! c'est vous qui êtes Jean Sempe. « Qu'avez - vous donc fait à l'évêque Lacroix , « qu'il vous en veuille à mort ? Ne voulait- il « pas que je vous arrête et vous mette en

« prison ? Mais je connais votre affaire et « vous êtes dans votre droit. Votre future

« est majeure ? est - elle enceinte ? Non, n'est-ce « pas ? Et vous , êtes - vous marié, veuf ou « libre ?

Libre , dit Jean .

Parfait, je vais donner des ordres au « maire de Busy . Comptez sur moi. » Trois jours après, le 28 avril 1850, Jean se mariait civilement par devant M. le maire .

Restait le mariage religieux, auquel, d'après ses convictions , il tenait essentiellement.

C'était plus difficile, eu égard aux circons tances .

DE JEAN SEMPÉ

129

Mgr Lacroix, persévérant dans un entête ment inexplicable, avait fait défendre, aussi bien à Pau qu'à Busy , de procéder à cette célébration . Mais Jean résolut de triompher quand même et de vaincre cette étrange obs tination .

Il y réussit entièrement, car il alla raconter ses ennuis et ces indignes tracasseries à un

vénérable vieillard , M. Darbelu , archiprêtre de Pau .

- « Mon pauvre enfant, lui répondit celui < ci, on vous a fait beaucoup souffrir et je sais « en effet que l'évêque m'a défendu de vous « marier. Mais comme cette défense est ab

« surde , je vais vous unir quand même et « je ne vous prendrai pas un centime , car, « vous aussi , vous ne faites pas payer le

« bien que vous faites en guérissant tant de a malades . »

Le lendemain , 11 mai , Jean Sempé s'unis sait religieusement à Marie Lasserre, dans l'église de Laroin, par le ministère de M. Bru

net , prêtre, délégué à cet effet par M. l'archi prêtre de Pau , qui , après la cérémonie , les reçut à sa table et leur témoigna mille amitiés. Enfin tout nuage était dissipé, Jean était heureux et la prédiction, que jadis on lui avait faite , avait reçu son accomplissement.

CHAPITRE VII Une possédée . Condamnation Jalousie des médecins . Acquittement en injuste . Jean guérit son avocat. cour d'appel . Lord Smith .

Après les cérémonies. de son mariage, Jean reprit sa vie tranquille et continua sans ostentation de faire du bien autour de lui ,

tant qu'il pouvait. Il étaient deux désormais à se comprendre et à compatir à toutes les misères qui accablent la pauvre humanité. C'était un grand soulagement, une grande force pour Jean Sempé , qui jusqu'ici avait marché seul et isolé dans la vie , que de

sentir près de lui une âme tendre et compa tissante, à laquelle il pouvait confier toutes

ses peines et qui lui était d'un si grand secours en toute occasion .

Aussi remercie- t- il Dieu chaque jour de lui avoir confié cette áme privilégiée, dont

DE JEAN SEMPÉ

131

lui seul a connu tous les trésors, pendant trop peu de temps, hélas !

Une épidémie de fièvres pernicieuses ayant éclaté à Pau , il se dévoua entièrement au soin des malades. On peut dire que tous ceux dont il approcha furent guéris . C'est

ainsi qu'à l'hôlel Lacazette , où il logeait, deux cents malades environ recouvrèrent la santé .

Il guérissait aussi les possédés du démon , plus nombreux qu'on ne le croit à notre époque d'incrédulité. D'où viennent en effet ces actes extraor

dinaires de subite folie , ces crimes épou vantables et inexpliqués , ces suicides qui

se multiplient d'une manière effrayante ? La médecine , la science et la philosophie don nent des raisons plus ou moins spécieuses, mais elles ne veulent pas avouer que cer tains faits sortent du domaine des causes naturelles .

Leblanc

Rosine Leblanc , jeune fille de vingt- deux

ans , souffrait depuis longtemps des douleurs intolérables. Les médecins ne pouvaient définir sa maladie ni lui procurer aucun soulagement. Ils la regardaient comme une folle dangereuse . Les parents de Rosine désespérés eurent

132

BIOGRAPHIE

recours à Jean Sempé qui consentit à voir la jeune fille. Quand il arriva , Rosine se tor dait dans d'affreuses convulsions, elle écu

mait , elle hurlait d'une façon épouvantable. Quoiqu'elle fut attachée solidement , personne n'osait l'approcher de trop près .

Jean s'en vint tout simplement s'agenouiller au pied du lit et se mit å prier avec ferveur

pour le salut de cette pauvre enfant. Quelques minutes se passent dans un silence profond, les assistants espèrent déjà

un succès favorable, lorsque brusquement la malade brise d'un seul coup tous ses liens et se sauve , nue et échevelée, jusque dans le recoin le plus sombre du grenier de la mai

son . On se précipite å sa suite ; on cherche å la ramener par la persuasion : elle grince des dents . On veut s'approcher d'elle et la prendre : elle arrache comme un fétu de paille un énorme morceau de bois de la charpente et va le lancer à la figure de ses agresseurs

qui , épouvantés, prennent la fuite . Elle pousse des cris effroyables, on dirait une bête féroce déchaînée .

Jean Sempé, au milieu de ce désarroi géné ral, n'a pas perdu son calme. Il étend le bras et ordonne à la possédée de descendre et de revenir au salon . Celle- ci obéit et s'approche

DE JEAN SEMPÉ

133

d'un air soumis de Jean Sempé , qui lui jette aussitôt son manteau sur ses épaules nues . La jeune fille pousse un cri de rage et d'un coup déchire le manteau par le milieu . - « Je t'ordonne de t'asseoir et de ne plus « remuer qu'avec ma permission , dit Jean

« Sempé . » Rosine obéit aussitôt .

- « Comment t'appelles -tu ?

- « Je ne te le dirai pas , répond la jeune « fille .

« Ton nom ? je le veux , au nom de Jésus, « fils du Dieu vivant! « Beelzébuth !

- « Que fais-tu dans le corps de cette jeune « fille et pourquoi la poursuis -tu deta haine ? - « Que t'importe ? ... Laisse -moi tranquille,

je t'en prie et je te donnerai de grands tré « sors , et je te ferai goûter des jouissances « inconnues ....

« Arrière , Satan ! reprit Jean , je ne veux « rien de toi . Va -t'en et quitte ce corps que

« tu tourmentes . Je te l'ordonne au nom de « Jésus et Marie ! »

A ces mots , la jeune fille pousse un grand cri et tombe à la renverse ; mais elle était déli

vrée pour toujours. Elle n'avait plus qu'à rece voir les soins des médecins et de sa famille .

134

BIOGRAPHIE

C'est ainsi que dans la même semaine Jean

Sempé délivra cinq autres possédés , en pré sence de plusieurs prêtres et de nombreux

laïques, qui en étaient tout stupéfaits et ce pendant étaient bien forcés de croire à la réalité de ces guérisons extraordinaires qui se faisaient sous leurs yeux .

Malgré sa prudence et sa discrétion , Jean Sempé étendait chaque jour sa renommée, mais aussi excitait la jalousie de certains personnages , surtout des médecins , qui

voyaient avec inquiétude diminuer le nombre de leurs clients .

Nous sommes en 1852 et Jean demeurait alors dans une vieille maison de Pau , 1 , rue des llalles . Près de lui , logcait un brave ou vrier sabotier du nom de Gouaillard . Pen

dant que le mari creusait les blocs de hêtre ou de bouleau, la femme, pour augmenter le petit pécule du modeste ménage, montait l'eau aux divers locataires de la maison .

Un jour, Mme Gouaillard vient chez Jean Sempé avec son petit enfant sur les bras.

- « Mon mari est absent, dit - elle, permet « tez -moi de déposer un instant mon enfant « sur ce fauteuil, pendant que je vais faire le * service de la maison . »

DE JEAN SEMPÉ Jean consent volontiers et la mère

139

s'en va

tranquille. Poussé par la curiosité, peut - être par un secret pressentiment, il s'approche du pauvre petit dont la tête est couverte. Il soulève le

voile et recule d'horreur. L'ail n'était qu'une plaie et l'orbite pendait prêt à se détacher . Quand la mère fut revenue, Jean lui dit : « Mais votre enfant est bien malade .

- « Hélas ! Monsieur, il y a trois ans que

« le pauvre petit ne fait que pleurer et souffrir . « Il va perdre la vue et je suis désolée , car « les médecins l'ont condamné. J'en ai con < sulté quatre : aucun n'a pu le guérir et tous « disent qu'ils n'y connaissent rien . « Croyez - vous en Jésus , ma bonne « dame ?

- « Ah ! Sainte Vierge ! si j'y crois , que me « demandez - vous là ?

« Femme , que votre foi sauve votre en « fant ! Au nom de Jésus , je veux qu'il gué « risse ! »

Et pendant trois jours , Jean Sempé fit sur l'enfant l'imposition des mains et le troisième jour l'enfant était complètement guéri. Quelques jours après , le docteur Roussel

vint pour voir le petit malade et fut bien sur pris de le trouver en parfaite santé .

BIOGRAPHIE

136

Il apprend ce qui s'est passé et entre dans une violente colère .

- « Montrez -moi votre enfant , dit- il , que je « l'examine ... »

Il le regarde pendant une minute : - « Mais il est perdu votre enfant, s'écrie « t- il , quel est le maladroit qui l'a tué ? ... Jean « Sempe a touché à cet enfant !.. Quels re « mèdes lui a- t- il donnés ? ...

- « Il ne lui en a donné aucun que je sache, « répond la femme, et vous voyez qu'il est « guéri . - « Ce n'est pas vrai, Madame , cet enfant K va mourir . L'avez- vous laissé seul avec

« Jean Sempé ! « Une fois seulement et un instant , pen

« dant que je montais. « Quand donc ?

« Il y a quatre jours . - « C'est bien cela, dit le médecin d'un air « sentencieux . C'est tout ce que je voulais

« savoir. Envoyez -moi votre mari ce soir , je « l'attendrai et nous arrangerons l'affaire. » Le soir en effet, le mari se rendit chez M. Roussel qui lui dit : - « Gouaillard , voulez- vous gagner deux « mille francs ?

DE JEAN SEMPÉ

137

- « Ce n'est pas de refus, Monsieur le doc « teur, mais cela dépend ...

— « Affirmez carrément que Jean Sempé a « tué votre enfant, car bientôt il sera mort! »

Deux mois après, l'enfant mourait dans des convulsions atroces .

Le parquet fut saisi de l'affaire. Quatre mé

decins furent délégués pour examiner le petit cadavre. Trois d'entre eux accusèrent nettement Jean Sempé d'avoir, par son im prudence , en administrant des remèdes étranges, occasionné la mort de l'enfant. Seul , le quatrième , M. Terrier, refusa de s'as socier à ce jugement qu'il disait plus que

téméraire, parce que pour lui il n'avait dé couvert aucune preuve de la culpabilité de Jean Sempé . Néanmoins le commissaire de police, M. Blampin , chargé de l'enquête par le Pro cureur impérial, arrive chez Jean Sempé et fouille dans tous les coins et recoins, pour trouver les fameux remèdes dont, selon l'opi

nion publique , la maison était remplie. Il ne trouva qu'un livre de prières , vieux et usé.

C'était toute la pharmacie de Jean ! Le lendemain , sans instruction prélimi naire , sans interrogatoire quelconque, Jean Sempé était assigné à comparaître , comme 8.

BIOGRAPHIE

138

accusé , en police correctionnelle. Il se rendit à la hâte au commissariat de police pour

avoir quelques explications. A peine avait- il franchi le seuil, qu'il rencontra M. Estrabeau, chief du premier bureau : - « Comment, vous ici , lui dit - il , je vous

a croyais en prison préventive ! Quel est « votre avocat ?

- « Mais je n'en ai pas et je n'ai pas le

« temps d'en trouver. Voici la lettre qui me « convoque au tribunal.

«

C'est à n'y rien comprendre en vérité,

« mais mon pauvre Sempé , si vous n'avez « pas d'avocat, vous en avez pour trois ans.

Je me passerai d'avocat, parce que je « n'ai rien fait de contraire aux lois . D'ailleurs

« tout cela m'est prédit depuis le 16 octo * bre 1847. La justice des hommes est sujette « à erreur , mais la Justice de Dieu finit par

« triompher. Jésus , quoique innocent, n'a -t il pas été aussi condamné et même pendu « au gibet ?

« Oui, oui , répond M. Estrabeau, tout < cela est vrai, mais Jésus aussi s'est défendu .

« Suivez mon conseil et venez avec moi chez

u mon avocat, M. Lamaignère. » Jean consentit et tous deux allèrent chez l'avocat, qui vint aussitôt au tribunal.

DE JEAN SEMPÉ

139

Le Procureur impérial l'aperçoit et vient à lui :

a C'est vous qui allez défendre Jean « Sempé ; eh bien ! ne vous fatiguez pas trop , « il est condamné d'avance. - « Merci , Monsieur le Procureur , de votre

« bienveillance , dit Jean Sempé qui se trou « vait tout près, je le vois , il faut que la pro

phétie s'accomplisse ; mais sachez que je ne a vous crains pas et que vous en serez pour « votre honte . »

Le Procureur, qui ne s'attendait pas à cette réplique , ne répondit pas un mot et s'es quiva . Bientôt la cause est appelée et lecture est

donnée du procès - verbal, où Jean est accusé d'escroquerie , de magie et d'assassinat d'un enfant, sur le témoignage des quatre méde cins qui l'ont soigné. Mais M. Terrier, con sciencieux jusqu'à la fin , témoigne qu'il a des doutes sérieux sur les causes de la mort de

cet enfant et qu'il lui semble que Jean Sempé ne peut de ce chef encourir aucune respon sabilité .

Avait - il découvert la vérité ou ne voulut - il

rien dire ? C'est ce qu'on ne saura jamais. Toujours est- il que cette déposition rendit les juges perplexes et Jean allait être acquitté

BIOGRAPHIE

140

lorsque M. Barthe , l'avocat de la partie ad verse , réclama un supplément d'enquête , se faisant fort d'amener tous les témoins youlus

ct réclamant des dommages - intérêts consi dérables pour ses clients, lésés dans leur

affection la plus chère, par la faute d'un im prudent guérisseur. L'affaire fut remise à

quinzaine.

A cette époque , Jean Sempé avait en journée chez lui une jeune ouvrière, pour aider sa femme dans les travaux d'aiguille et les soins du ménage. Les ennemis de Jean surent si

bien la circonvenir, qu'ils la gagnèrent entiè rement à leur cause et ils la payèrent gras sement, pour qu'elle déposât contre Jean Sempé . On lui fit dire en effet qu'elle avait vu Jean Sempé préparant des remèdes et qu'il les avait

administrés au petit Gouaillard . De là exer cice illégal de la médecine et condamnation

certaine pour homicide par imprudence. A peine avait- elle fait cette déposition men songère, qu'elle fut frappée d'un mal subit et tomba en criant :

« J'ai trompé , j'ai menti , Jean n'est pas « coupable . » On la ramena évanouie chez elle .

Malgré cette protestation publique , Jean

DE JEAN SEMPÉ

141

n'en fut pas moins condamné par le tribunal à six mois de prison , onze francs d'amende et trois cents francs de dommages-intérêts envers la famille de l'enfant décédé .

Voilà la justice des hommes !

A peine était- il rentré chez lui , qu'il apprit

que la jeune ouvrière le suppliait en grâce de venir lui parler. Jean , accompagné de sa femme, se rendit à sa prière . - « Ah ! mon cher Monsieur , s'écrie-t - elle , « pardonnez -moi ! Je souffre horriblement et « je vais mourir ; c'est le juste châtiment de

« mon crime. Appelez des témoins pour que « je me rétracte . Comme Judas , j'ai vendu « mon Maître et je suis damnée , si vous ne

« me pardonnez pas . Priez pour moi ! » La femme de Sempé, émue de ces larmes ,

se jette au cou de la jeune fille et lui promet que son mari lui pardonnera :

- « Mon ami, dit-elle , pardonne et guéris. - « Bien volontiers , répond - il ; son repon « tir l’a sauvée . Que Jésus la délivre de tout

« mal ! Maintenant lève - toi , ma fille , et re « tourne à tes occupations. » C'est ainsi que Jean se vengeait de coux qui voulaient le perdre.

Malgré les instances de son avocat, Jean

Sempé ne voulait pas faire appel du jugement.

BIOGRAPHIE

142

- « A quoi bon , pensait- il, faire des dépen « ses inutiles pour être condamné une se « conde fois ? »

Mais sa femme tombant en extase lui dit :

« Le moment n'est pas encore venu où la « prédiction s'accomplira tout entière. Tu ne « seras pas condamné cette fois . Appelle . » Jean obéit et pendant cinq mois, il y eut

enquêtes, contre - enquètes : les juges ne sa vaient à quoi se décider et renvoyaient tou

jours l'affaire à quinzaine. L'avocat de Jean Sempé était atteint depuis

plusieurs années d'une grave affection de l'estomac, dont il souffrait beaucoup et qui l'obligeait d'aller chaque année passer une saison dans une ville d'eaux.

Un jour que Jean se trouvait chez lui pour

le règlement de ses affaires particulières, l'avocat, qui se sentait plus souffrant que d'habitude , lui dit en souriant : « Mon cher client, vous avez un moyen

« facile de me témoigner votre reconnais a sance . Vous qui êtes si habile dans l'art de guérir , vous devriez bien calmer mes ((

« grandes souffrances et c'est moi qui serais « votre obligé .

-- « Comment le pourrais -je , répondit Sempé, « puisque vous ne croyez pas en mon pou

DE JEAN SEMPE

143

« voir ? Ne m'avez - vous pas plaisanté à ce

« sujet, lors de notre première entrevue ? -- « Oui , je l'avoue , mais alors je ne croyais « pas . Depuis j'ai écouté , examiné, pesé le « pour et le contre . Si je ne suis pas entière « ment convaincu , je crois au moins que tout « « « «

est possible à la puissance de Dieu et je vous sais trop honnête homme pour vou loir tromper. Faites donc pour moi ce que vous pourrez, je vous en supplie. » Jean , touché de cette demande, se mit en

prières et prononça sa formule ordinaire : - « Au nom de Jésus, sois guéri! » A l'instant même, l'avocat ressentit dans

tout son corps un grand tremblement ner veux , puis il poussa un soupir de soulagc

ment. La respiration était libre, toute oppres sion avait disparu .

L'avocat, enchanté d'un tel résultat , voulut, au lieu de recevoir des honoraires , faire ac

cepter à toutes forces à Jean Sempé tout l'ar gent qu'il avait sur lui , mais Jean le remercia de sa bonne volonté et se retira . L'homme de

loi ne se tint pas pour battu : il alla de ce pas trouver tous les juges et leur raconta ce qui

venait de se passer, les suppliant de ne pas condamner un innocent. Ceux - ci se mirent à rire de ce qu'ils appe

--

BIOGRAPHIE

144

laient la naïveté de M. l'avocat et dirent qu'ils savaient à quoi s'en tenir sur la prétendue puissance du sorcier. Enfin , pour la sixième fois , la cour d'appel

évoqua l'affaire pour la juger définitive ment .

L'avocat prévint son client que son procès, ayant fait quelque bruit, il y aurait foule nombreuse de curieux .

« Il n'y aura personne, lui dit Jean . » Au jour dit , il y avait tant de monde à la

porte du tribunal, que Jean eut beaucoup de peine à entrer.

Les portes s'ouvrent et la foule se précipite . A peine l'huissier a-t-il prononcé les pa roles sacramentelles : « La cour , Messieurs ! »

que Jean Sempé murmure à son tour et tout bas ces quelques mots :

- « Par Jésus , foule importune, pars sur le champ ! » L'assistance tout entière se lève avec en semble et chacun se précipite à la porte comme si le feu venait d'éclater dans la salle .

En un clin d'œil , les bancs furent déserts . Juges et avocats étaient stupéfaits , ne pou vant s'expliquer la cause de cette subite pa nique.

5

DE JEAN SEMPÉ

145

Néanmoins les débats commencèrent et malgré les dépositions haineuses des méde

cins , malgré la partialité évidente du Procu

reur impérial , en dépit même de la mau vaise volonté des juges , la vérité fut plus forte et Jean Sempé fut acquitté haut la main .

Si Jean Sempé n'eût été qu'un charlatan

vulgaire, un amateur de vaine gloriole et de réclame tapageuse , il ne pouvait être mieux servi que par ce procès injuste, suscité par l'envie. Son nom dépassa bien vite les limites étroites de son département, il recevait des lettres de tous les coins de la France, de l'é

tranger même , les unes pour demander une guérison , d'autres un conseil , voire même un talisman contre les mauvaises chances

de la vie. Mais Jean n'en était pas plus fier pour cela, il vivait modeste et caché dans son humble retraite , faisant le bien autour de lui avec le moins de bruit possible .

Un riche Anglais , lord Smith , qui depuis seize ans souffrait d'intolérables douleurs , sans pouvoir être soulagé par aucun méde cin , lui écrivit plusieurs fois et ne recevant

pas de réponse vint le relancer jusque dans sa demeure .

Jean le pria d'amener avec lui des méde 9

146

BIOGRAPHIE

cins, et devant eux il magnétisa sa femme qui dit aussitôt : « Ce n'est rien ...

« Comment, Madame, interrompt l'An « glais en fureur, ce n'est rien de souffrir « sans cesse depuis seize ans ! Je prends de

a l'opium à haute dose pour dormir et calmer « mon mal ; aussitôt réveillé , je souffre plus « encore . Ah ! ce n'est rien !...

« Ma femme ne vous entend pas , dit « Jean Sempé , laissez -moi l'interroger... - « Ce n'est rien pour toi à guérir, continue

a Marie Sempé . En quelques minutes il le « sera , s'il veut se laisser magnétiser ; mais « il faut y mettre une grande douceur. » L'Anglais se laisse faire et Jean lui dit : a Levez - vous .

Lord Smith commence à marcher tout dou

cement, et sous l'influence du fluide le mou vement s'accélère : il se met à sauter et danser en criant : « Goddam ! Goddam ! »

Jean le réveille et l'insulaire déclare qu'il éprouve un grand bien être.

- « Moâ payer à vous, dit - il .

- « Merci, répond Sempé , je ne veux rien , « mais j'irai vous voir chaque jour jusqu'à « votre guérison prochaine. »

DE JEAN SEMPÉ Grand

étonnement des

147

médecins

qui

avaient suivi toutes les expériences et qui ne croyaient pas que le magnétisme put pro duire de tels résultats . Ils en félicitèrent vi

vement Jean Sempé . « .Ce n'est pas moi , dit- il , qui produis

« ces effets qui vous surprennent, je ne suis « que l'instrument du Maitre Suprême de « toutes choses . C'est à lui que doivent s'a « dresser vos remerciements . » En vain lord Smith voulut - il forcer

son

sauveur d'accepter une fortune, Jean refusa.

L'heure du repos n'était pas venue, sa mis sion n'était pas terminée .

CHAPITRE VIII Lord Delson .

Un serviteur La baronno de Mesplée. Comment l'argent volé fut ro Ordre de départ pour Paris. -

faussemont accusé . trouvé.

En quittant notre pays , lord Smith avait

recommandé d'une façon toute spéciale à Jean Sempé l'un de ses meilleurs amis , lord Delson , qui , lui aussi , avait grand besoin du secours de la Providence .

Or, notre guérisseur ne savait rien refuser quand il s'agissait de soulager une souf france . Il se rendit à l'hôtel Larrieu , où se trouvait ce nouveau patient. Lord Delson était arrivé à la dernière

période d'une cruelle maladie de poitrine . Il avait consulté les plus hautes sommités mé dicales de l'Europe , sans résultat aucun . En ce moment il cherchait à réparer ses forces

DE JEAN SEMPÉ

149

faiblissantes sous le climat de Pau , si favo

rable aux poitrines délabrées, et il se faisait soigner par cinq docteurs et par un magné

tiseur, le comte de Laborde . Celui- ci avait tout tenté , mais sans pouvoir réussir à endormir son sujet, quels que fussent les moyens employés . Jean Sempé , introduit près du malade , agit tout simplement à son égard comme il l'avait fait avec lord Smith , et , dès la première journée, son nouveau client, qui , depuis long

temps ne connaissait plus le sommeil , put goûter une nuit de repos complet.

Le lendemain , le comte de Laborde apprend ce qui vient de se passer, attend la venue de Jean et, dès qu'il l'aperçoit, il court à sa ren contre et lui dit vivement :

- « Mon brave homme , vous avez donc la « prétention de guérir lord Delson , quand « vous savez que tous les médecins de la « ville ont échoué. Il est irrévocablement

a perdu, sachez-le bien , et je vous avertis pru « demment de ne pas continuer vos soins, « car, si, ce qui est plus que probable, il vient

« à mourir pendant ce temps, il pourrait en « résulter pour votre personne et votre répu « tation de grands inconvénients .

- « N'ayez aucune crainte pour moi, Mon

BIOGRAPHIE

150

a sieur le comte, répondit Jean , notre ma « lade se guérira ; et, tenez, vous avez vu « deux beaux chiens couchés au pied de son « lit : avant huit jours , lord Delson pourra « faire des courses avec eux en pleine cam

« pagne et peut - être arrivera- t- il le premier « au but .

« Vous êtes fou, en vérité ! -

« Soit ; mais dans huit jours je vous

« donne rendez- vous ici et à pareille heure à « vous et vos confrères. Vous ausculterez à « loisir lord Deslon et vous me direz s'il ne

« respire pas aussi bien et mieux que vous et « moi. »

Huit jours se passent et les médecins, à leur grande stupéfaction, furent forcés de constater une réaction complète , un état

excellent de la poitrine et des poumons. Il respirait régulièrement, toussait à peine et ne crachait presque plus. -- « Vous êtes un grand homme, dit l'un des « docteurs , et nous nous inclinons devant « votre science que nous ne pouvons nous a expliquer, mais dont nous admirons sin

« cèrement les résultats indiscutables, Quel « est donc votre étonnant secret de guérir ? « Pouvez - vous nous le révéler ?

-- « Rien de plus facile , Messieurs . Cette

DE JEAN SEMPÉ

151

« puissance que j'ai et que vous admirez

a vient de Celui qui a dit : Demandez et vous « recevrez , frappez et l'on vous ouvrira. J'ai « demandé cette guérison , et , comme vous « le voyez , je l'ai obtenue . Le moyen est

« simple et je n'en ai pas d'autre . » Quelques jours après , lord Delson , après avoir témoigné toute sa reconnaissance à celui qui lui avait rendu la santé, se rendit à Bagnères - de - Bigorre pour achever de re prendre des forces dans l'exercice des cour ses à travers la montagne.

Mais Jean Sempé que ces longues veilles , ces trop grandes fatigues et ces jeûnes fré

quents épuisaient , résolut de s'arrêter pour un temps et de prendre un repos qui lui était bien nécessaire. On ne l'aurait jamais laissé tranquille à Pau , il s'en alla à Bor deaux où il s'établit comme tourneur, pour subvenir

aux

besoins de son existence .

Comme on le voit, ses nombreuses guéri sons ne l'avaient guère enrichi. Un jour il rencontra dans la rue une des grandes amies de la baronne de Mesplée ,

dont nous avons parlé précédemment . Cette dame lui témoigna mille amitiés et lui raconta comment l'homme d'affaires de la baronne,

Mº Doupla , après l'avoir indignement trom

152

BIOGRAPHIE

pée , audacieusement volée , avait couronné son cuvre en faisant vendre le château de

Navailles avec tous ses meubles , en sorte que la pauvre femme, entièrement ruinée, était venue cacher sa honte et sa misère à

Bordeaux . Bien souvent elle parlait de Jean Sempé et regrettait amèrement de n'avoir pas suivi ses conseils.

Jean , que le récit d'une infortune quelcon que avait le don d'émouvoir singulièrement , fut extrêmement touché de ce dénuement où vivait l'ex - châtelaine autrefois si fière et

résolut d'y apporter, s'il était possible, quel que adoucissement. Il demanda l'adresse de la baronne et dès le lendemain se rendit chez

elle accompagné de sa femme. A leur vue, Mme de Mesplée se mit à pleurer de joie et faillit se trouver mal .

Dieu ! quel changement chez cette femme autrefois si belle et si riche ? A la place des lits à colonnes torses , des tentures des Go

belins , des lambris dorés, on n'apercevait dans la pauvre mansarde qu'un méchant

lit de fer, une chaise de paille et une table de bois blanc . Sur ce visage si noble et si régu

lier les traits s'étaient étirés , un cercle noir entourait les yeux et des rides profondes sil lonnaient ce large front.

DE JEAN SEMPÉ

153

Remise un peu de son émotion , la baronne embrassa cordialement la femme de Sempé et raconta d’une voix faible ses malheurs et

ses souffrances. Elle avoua qu'elle n'avait pas mangé un morceau de pain depuis deux jours !

Jean , confondu par tant de misère, l'em mène aussitôt chez lui et tous

ensemble

font un solide déjeuner pour réparer les

forces épuisées de la baronne, qui remercia en pleurant . - < Mes bons amis , dit- elle , si je vous

« avais écoutés ! Tout ce que vous m'avez a prédit s'est accompli. Que je suis coupable ! « Comment vous remercier de votre bonté ?

« Ne nous remerciez pas , Madame , son « geons plutôt à votre avenir et, puisque ( vous avez confiance, sachez que tout n'est a pas perdu . Il faut que vous redeveniez « l'amie de vos seurs qui vous aiment et

« vous accueilleront affectueusement . Le pré « sident de la société des secours mutuels, qui a est notre ami commun et auquel vous avez

« eu tort de ne pas vous adresser, leur écrira

« et tout s'arrangera. Je vais aller le trouver « En attendant une réponse qui ne peut être « que favorable, vous resterez avec nous. » Jean partit aussitôt et raconta au directeur 9.

154

la situation

BIOGRAPHIE lamentable de Mme de Mes

plée . Celui- ci donna immédiatement cin quante francs pour les besoins urgents et écrivit à la famille une lettre si pressante, que bientôt arrivaitt out l'argent nécessaire , pour retirer les bijoux du Mont - de - Piété et payer les frais du voyage de retour . Quelque temps après , le château de Na

vailles était racheté par la famille et la ba ronne de Mesplée y put rentrer et y vivre en paix

Sur ces entrefaites , Jean Sempé reçut une lettre de son avocat, Mº Lamaignière , qui

le suppliait de venir à Pau , pour lui parler d'une affaire singulière et mystérieuse, qu'il avait grandement à cour d'eclaircir. Par lui

même il n'y pouvait parvenir, il avait besoin des lumières surnaturelles de Jean et de

sa femme.

Jean , qui pour le moment avait aban donné toutes sortes d'affaires, hésita long

temps à se rendre à cette invitation . Cepen dant il finit par céder, parce qu'il se souve nait des bons services que lui avait rendus

son avocat. Il partit donc avec Marie. Ils descendirent à leur hôtel ordinaire et

Jean se rendit seul chez M. Lamaignière. - « Cher Monsieur Sempé, lui dit l'avocat,

DE JEAN SEMPÉ

« « « « « « « «

155

je suis chargé d'une affaire qui doit venir demain en cour d'assises et je voudrais avoir des reseignements précis au sujet d'un accusé . Il jure ses grands dieux qu'il est innocent du vol dont on l'accuse , et son air est si sincère que je voudrais avoir ma conviction faite, pour pouvoir le déli vrer, Voyez si vous ou votre femme pou

« vez m'aider en cette affaire .

« Volontiers, répliqua Jean , je serais « heureux de sauver un innocent, et je ne se

« rai pas fâché en même temps de vous dé « montrer quels services on peut attendre du « magnétisme honnêtement pratiqué. Quand

« voulez - vous que ma femme vienne ici ? « Tout de suite , si vous le pouvez . - « Eh bien ! je vais lui ordonner par

« la pensée de partir à l'instant même et « dans cinq minutes elle frappera à votre « porte . »

Cinq minutes s'étaient à peine écoulées que Marie Sempé se présentait chez Mº Lamaignière . Jean la fait asseoir sur fauteuil et l'endort . Aussitôt une crise ex

traordinaire se produit : « J'étouffe , s'écrie - elle , délivrez- moi . » Jean la dégage et lui demande où elle app trouve .

156

BIOGRAPHIE

« Au fond d'un trou noir, à côté d'un a trésor volé .

« Ah ! très bien , dit l'avocat, demandez « lui donc des éclaircissements sur l'affaire « du comte de Grandmont .

« Le comte de Grandmont ? répond a la voyante , je l'aperçois dans sa chambre « avec sa maîtresse , il lui donne cent francs ,

« il part précipitamment , la femme est seule , « la clé est restée sur le secrétaire ... »

Ayant dit ces mots , Marie s'arrêta et Jean , comprenant qu'elle n'avait plus rien à révé ler, la remit dans son état normal.

Voici en effet ce qui s'était passé : Le comte de Grandmont, quelques instants avant son dîner, avait reçu, en effet, chez

lui, sa maîtresse en secret et sur sa de mande lui avait remis une petite somme d'argent. Comme le dîner venait de sonner et qu'il craignait d'être surpris , il avait dit vivement à cette femme : « Je pars , car on m'attend . Tu sortiras

« tout à l'heure par la petite porte du parc, « dès que tu verras les lumières dans la « salle à manger . »

Puis, après avoir embrassé sa maîtresse , il s'était esquivé précipitamment, sans pen ser à retirer la clé de son secrétaire , qui

DE JEAN SEMPÉ

157

contenait une assez forte somme en or . La femme, cédant à un mouvement de

convoitise , avait ouvert le tiroir du secré taire , pris le sac d'or et s'était enfuie . En arrivant dans le jardin , elle eut peur, fut prise de remords et se sauva à toutes jam

bes , en jetant l'or au fond du puits devant lequel elle passait. Le lendemain matin , le comte, ayant besoin d'argent, s'aperçut du vol . Il ne pensa pas un instant à sa maîtresse qu'il avait vue et

n'eut même pas l'idée de la soupçonner ; il accusa le seul domestique qui eut ses en

trées libres dans sa chambre et porta sa plainte au commissaire Blampin . Celui - ci vint faire une perquisition dans les chambres des serviteurs du château, et

ne trouvant aucun indice fit subir à tout le personnel un intrrogatoire sévère. Le pauvre valet de chambre, fortement éinu d'être soupçonné, s'embarrassa telle ment dans ses réponses, que le commis saire , trompé par les apparences, l'arrêta et le livra à la justice .

Depuis trois mois, ce pauvre homme sup

portait les injustes rigueurs d'une prison préventive et sa condamnation était probable. Me Lamaignière ,

après

avoir

entendu

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BIOGRAPHIE

les paroles de Marie Sempé , découvrit quelle était la vérité et demanda sur les révélations qu'il venait d'entendre le secret le plus absolu . Il mande à la hâte le comte de Grandmont

et lui pose toutes les questions nécessaires .

Ses réponses affirmatives éclairent et confir ment le récit de Marie . Sa conviction est faite .

« « « « « « «

- « Vous le voyez , Monsieur le comte , votre garçon est innocent et il faut le sauver ; mais en même temps il faut éviter le scandale . Arrangez-vous avec votre maîtresse . Ce sont là des choses où la justice ne doit intervenir que sur votre demande formelle, ce dont vous vous garderez bien pour l'honneur de votre nom et la tranquillité de

« votre famille. N'en parlons donc pas . Allex « prévenir en secret les jurés que vous con « naissez, ainsi que les juges et l'avocat a « a «

général. Dites - leur la vérité tout entière . Pour moi , dans ma plaidoirie je m'arran gerai de manière à ce que votre domesti que soit acquitté . » Le comte remercia chaleureusement et

suivit le conseil .

Le lendemain , le valet de chambre était acquitté à l'unanimité.

Mais ce qui inquiétait le comte plus par

DE JEAN SEMPÉ

159

ticulièrement, c'était de savoir ce que sa mai tresse était devenue.

N'osant pas reparaitre de peur d'être com

promise ou arrêtée, cette femme avait disparu et quitté le pays pour toujours. Mais qu'avait- elle fait de la somme volée ? Un des amis de M. le comte de Grandmont,

le comte de Laborde, qui l'entendait exprimer ses inquiétudes à ce sujet, lui dit :

- « Récompenseriez- vous la personne qui « pourrait vous indiquer l'endroit précis où « se trouve l'argent ? « Vous n'en doutez pas , répondit le « comte de Grandmont.

- « Alors soyez tranquille, je vous amè a nerai cette personne. » On se rappelle sans doute que le comte de

Laborde s'occupait de magnétisme en ama teur , il avait fait la connaissance de Jean Sempé, à propos de la guérison de lord Delson .

Il savait que Jean Sempé était de passage à Pau ; il va le trouver et lui demande de re

chercher cet argent perdu. Jean réfléchit un instant et répond : - « Je vous le dirai demain chez M. le

« comte de Grandmont, prévenez -le que je « serai chez lui à une heure de l'après -midi.

160

BIOGRAPHIE

Le lendemain , Jean se présenta avec sa femme. A peine celle- ci avait- elle franchi la porte du salon , qu'elle tombait dans le som meil magnétique et disait : - « Le trésor est dans le jardin au fond du « puits . > Le comte vivement interessé par cette séance magnétique, se rend avec Jean à l'en droit indiqué. En quelques coups de pompes,

on vide le puits peu profond, on y descend et l'on découvre , enfoui dans la vase , le sac qui contenait la somme entière disparue. Le comte de Grandmont, enchanté de la

trouvaille , mit de force dans les mains de Jean Sempé une somme de trois cents francs. En rentrant au salon , ils trouvèrent Marie toujours endormie. « Jean , dit- elle , accepte cet or qu'on « vient de t'offrir. Il faut que tu partes pour

« Paris , où depuis longtemps on désire te « voir. Laisse ton état de tourneur, confie « tes meubles à un ami et va dans la capitale . - « Qui donc désire me voir ? demande « Jean Sempe .

- « La femme que tu as délivrée de pri a son , Mme Lescure ... Et puis il faut que tu « ailles à Paris . L'heure est arrivée . Demain

« nous partirons ensemble . »

CHAPITRE IX Poursuites indignes .

Fuite de Paris .

Visite au vieux

père .

Horrible tem En route pour la Martinique. Punition du capitaine. pêie. Jean sauve le navire Rentrée au port. par ses prières.

C'était au commencement de septembre 1854 que Jean Sempé et sa femme arrivèrent

à Paris pour la première fois. Au débarca dère du chemin de fer, ils trouvèrent leur

amie, Madame Laurent, l'ancienne dame Lescure, qui ne voulut à aucun prix les lais ser aller à l'hôtel , mais les emmena chez elle , 30, rue Bourbon-Villeneuve , actuelle ment rue d'Aboukir, et mit à leur disposition une petite chambre . Jean ne savait trop comment s'occuper et trouver une place dans cette grande ville qu'il ne connaissait pas , lorsqu'il reçut la visite d'un compatriote , M. de Cazamagnac, qui depuis son départ le cherchait et avait demandé à toutes ses connaissances la nou velle adresse de Jean Sempé. Comme il connaissait admirablement Paris

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BIOGRAPHIE

et qu'il y avait de bonnes relations , il offrit à Jean Sempé d'user de son influence et de lui trouver une situation convenable . Jean ,

qui n'avait aucune raison de se défier de ce nouvel ami, accepta avec joie et reconnais

sance cette proposition et tous deux fai saient ensemble de nombreuses sorties , allant de côté et d'autre à la recherche d'une

position sociale.

Un jour que Jean était parti seul , M. de Cazamagnac, qui guettait l'occasion , arriva chez Marie Sempé et lui dit à brûle - pour point :

- « Madame , je vous aime,fc'est pour vous « que j'ai quitté mon pays , et pour vous que

« je suis prêt à tout sacrifier. Depuis que « vous êtes mariée ,je vousai partout suivie et « lorsque vous avez quitté Pau , je ne savais plus ce que vous étiez devenue. Enfin je vous