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TRIZ : l’approche altshullerienne de la créativité par
Denis CAVALLUCCI Ancien élève de l’École Nationale Supérieure en Génie des Systèmes Industriels (ENSGSI) Enseignant/Chercheur à l’École Nationale Supérieure des Arts et Industries de Strasbourg (ENSAIS)
1.
La créativité envisagée sous l’angle d’une science exacte ? .......
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2. 2.1 2.2 2.3 2.4
TRIZ et ses concepts fondamentaux ................................................... Notion de résultat idéal final (RIF) .............................................................. Notion de contradiction ............................................................................... Inertie psychologique................................................................................... Cinq niveaux d’inventivité ...........................................................................
— — — — —
3 3 4 5 6
3. 3.1 3.2 3.3 3.4
Lois d’évolution des systèmes techniques........................................ Lois statiques ................................................................................................ Lois cinématiques......................................................................................... Lois dynamiques .......................................................................................... Conclusion sur les lois d’évolution .............................................................
— — — — —
7 7 8 9 9
4. 4.1 4.2 4.3 4.4
Quelques outils TRIZ................................................................................ Matrice de résolution des contradictions technologiques........................ Vépoles (ou analyse substance-champ) ..................................................... Opérateurs DTC ............................................................................................ Méthode des hommes miniatures ..............................................................
— — — — —
9 9 10 13 14
5.
ARIZ, l’algorithme de TRIZ .....................................................................
—
14
6. 6.1 6.2
TRIZ et les approches traditionnelles ................................................. TRIZ et l’analyse de la valeur....................................................................... Vers une méthode de conception totale.....................................................
— — —
16 18 18
Références bibliographiques ..........................................................................
—
18
T
RIZ, quatre lettres occidentalisées au même titre qu’une théorie qui n’a pas fini de nous surprendre. À l’origine TRIZ (en cyrillique) est l’acronyme de TRPI ou « Théorie de la résolution des problèmes d’innovation ». Dès lors, le premier réflexe de nos esprits (habitués à l’arrivée successive ces dernières années de quelque 200 outils et méthodes) est la suspicion. Encore une nouvelle méthode ! Ces quelques pages, je l’espère, amèneront le lecteur à « penser autrement ». En fait, le titre de cet article indique que TRIZ ne se classe ni dans les outils, ni dans les méthodes. TRIZ est une théorie, une nouvelle façon d’aborder le problème de la créativité et les 46 années de recherches ayant contribué à sa mise au point en font aujourd’hui une théorie représentant à elle toute seule, une discipline. À en croire les spécialistes TRIZ, ceux que Christine Snyder surnomme les « sorciers », de longues années de pratique sont nécessaires pour monter efficacement en compétence dans la mise en œuvre de la théorie. Néanmoins, ce que nous allons, au travers de cet article, tenter de faire comprendre au lecteur, c’est qu’avoir une vision globale de la « sphère » TRIZ est relativement simple.
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TRIZ : L’APPROCHE ALTSHULLERIENNE DE LA CRÉATIVITÉ ______________________________________________________________________________________
Comprendre ses principales composantes, les outils qu’elle renferme, les notions essentielles qu’elle prône, tout cet ensemble vu au travers de quelques exemples industriels concrets peuvent représenter une première approche et susciter chez le lecteur, l’envie d’aller plus loin. Nota : le lecteur pourra notamment se reporter en bibliographie aux références [4] [7] et [16].
1. La créativité envisagée sous l’angle d’une science exacte ?
Analyse des comportements psychologiques des inventeurs Quelles méthodes employaient Thomas Edison, Léonard de Vinci, Pasteur ou encore les frères Wright, William Gordon, et bien d’autres, pour parvenir à une invention ? S’inspirer de leur expérience, leurs erreurs, leur génie. ●
La première erreur que l’on commet en tentant de comprendre ce qu’est TRIZ est de croire que c’est une simple analyse de brevets, organisée certes, mais où l’on puise des solutions toutes faites ayant déjà été mis en œuvre par d’autres. Plus encore, on risque d’être déçu si on attend de TRIZ des solutions toutes faites, comme par magie. En allant un peu plus loin, on distingue vaguement quelques principes fondamentaux d’innovation, quelques lois d’évolution des systèmes techniques et on est persuadé de ne jamais pouvoir localiser tous les problèmes industriels dans 40 principes et 8 lois. Dès lors, on incrimine l’exagération naturelle qu’ont eu les Américains de prétendre que cet outil allait révolutionner notre univers industriel. TRIZ est alors rangé au niveau des quelques dizaines d’outils et méthodes annoncés comme révolutionnaires et ayant déçu. Pour bien comprendre l’idée première d’Altshuller, il est indispensable de revenir à l’origine de ses travaux (figure 1). Les brevets ne sont pas à eux seuls la source des analyses d’Altshuller. ■ Ses travaux trouvent leur origine dans quatre domaines analysés. ●
Analyse des brevets
Dans ce domaine, Altshuller n’a pas observé le brevet en tant qu’objet ou appareil. Il l’a observé en tant que résultante d’une démarche générique qui, selon lui, est bien plus riche d’enseignement que l’objet lui-même. Sa démarche d’analyse fut, dès lors, orientée vers les composantes du descriptif du brevet à savoir : — — — — — —
Quelles sont les substances en présence ? Comment sont-elles interreliées ? Quels sont les champs observés ? Dans quelles configurations était le système avant le dépôt ? De quel niveau d’inventivité s’agit-il ? Quel conflit l’inventeur a résolu ? et comment ?
Exemple : une analyse approfondie de la méthode des essais et des erreurs utilisée par Thomas Edison nous amène à mieux comprendre le lien entre la difficulté d’un problème et le nombre d’essais à réaliser avant d’espérer parvenir à la solution [2]. Analyse des outils et méthodes existantes L’analyse fonctionnelle, l’AMDEC (Analyse de modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité), le brainstorming, la synectique, etc., tous sont analysés, pour être revus, parfois avec certains compléments, pour devenir des outils qui s’intègrent parfaitement dans la structure de TRIZ. ●
Exemple : la synectique de William Gordon est étudiée et la méthode de petits hommes qu’il expose dans un de ses ouvrages [8] est complémentée par d’autres caractéristiques permettant d’en faire un outil intéressant (la méthode des hommes miniatures, § 4.4), plus proche des réalités industrielles, pour l’inventeur en phase de recherche d’idées. Analyse de la littérature scientifique Ce secteur de la littérature renferme une mine d’or de renseignements sur les résolutions potentielles des problèmes industriels. Le seul inconvénient est la manière dont est structuré un ouvrage traitant des effets scientifiques. Il est soit très exhaustif à propos d’un effet particulier (domaine de la recherche), soit de vulgarisation où sont listés un nombre important d’effets souvent classés dans leur ordre alphabétique ou par sous-familles des secteurs de la physique, de la chimie et de la géométrie. Altshuller a alors mis au point une routine de recherche du type « base de données » permettant de retrouver une liste d’effets potentiels en fonction d’une configuration spécifique de problème à résoudre. ●
Exemple : si le problème posé se résume à une mesure thermique, nos connaissances individuelles (ou même regroupées) vont nous permettre d’en établir une liste d’une dizaine (piézoélectrique, mercure...). Les bases de données effets d’Altshuller vous en offriront une quarantaine (fibre optique, effet Kondo, thermostriction...).
Analyse des brevets Analyse des comportements psychologiques des inventeurs Analyse des outils et méthodes existantes Analyse de la littérature scientifique
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Notions essentielles Lois d'évolution des systèmes techniques Outils
Figure 1 – Les quatre sources des travaux d’Altshuller
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Historique Genrich Saoulovich Altshuller (né en 1926) a 15 ans lorsqu’il est remarqué, dans l’ex-URSS, par les services d’expertise en brevet d’invention de la marine russe. Il est alors dépositaire d’un brevet permettant à un engin sous-marin d’évoluer grâce à du carbure. Dès lors, la marine décide d’en faire son expert en brevet d’invention. Altshuller n’est pas à l’aise dans ce type de démarche, son esprit créatif refuse de faire une analyse des brevets sous la simple forme de veille ou d’expertise. Ce qui le hante, ce sont les mécanismes inventifs qui ont mis en action l’esprit créatif des inventeurs, les conditions psychologiques dans lesquelles ils se trouvaient au moment de déposer leur brevet. Très vite, son dessein lui apparut comme évident : tout mettre en œuvre pour faciliter ces mécanismes inventifs et faire en sorte que les ingénieurs aient à l’avenir, à leur disposition, une science leur permettant de systématiser le processus de génération d’idées dans le cadre des phases de recherche de concepts et de résolution de problèmes. En 1946, le sigle TRIZ apparaît pour la première fois. Entouré d’un groupe de chercheurs ralliés à sa cause, il poursuit ses travaux pour fonder en 1951 la première université TRIZ à Bacou, en Azerbaïdjan. Dans les années qui suivirent, le rythme de création des universités TRIZ en URSS ne cesse de croître (Saint-Pétersbourg, Moscou, Minsk, Pétrosavosk, et bien d’autres) et voient leurs premiers ingénieurs TRIZ apparaître sur le marché de l’emploi industriel. Comment une théorie d’une telle ampleur a-t-elle pu nous échapper ? Les spécialistes de l’équipe d’Altshuller expliquent qu’ils avaient suffisamment de difficulté à faire admettre au tout puissant syndicat des Innovateurs de Russie [1] le bien-fondé de leur théorie pour aller tenter de la diffuser ... Outre mur... Puis vint la chute du mur de Berlin. Altshuller, après avoir mis le feu aux poudres avec son livre « La créativité en tant que science exacte » [2], en est à son 30e ouvrage et 350e article ; les universités qu’il a fondées sont reconnues dans la toute nouvelle ex-URSS et quelques dizaines de ses élèves décident de s’expatrier aux États-Unis, en Finlande, en Hollande, et en Israël. En 1991, TRIZ débarque aux États-Unis et, en quelques années, des instituts, des cabinets de consulting, des programmes d’enseignements dans les plus grandes universités vont voir le jour. Aujourd’hui, quelques outils TRIZ apparaissent sous une forme informatisée. La société Invention Machine commerc i a l i s e a u j o u r d ’ h u i d e u x l o g i c i e l s ( Te c h O p t i m i z e r ) e t Phenomenon) ; ces derniers incluent certains outils TRIZ. Une récente étude du MIT (Massachusetts Institute of Technology) avance qu’avec TRIZ on est 70 % plus inventif que sans TRIZ [13] et l’ASI (American Supplier Institute) annonce TRIZ comme l’outil qui va bouleverser l’univers industriel du XXIe siècle [9]. Enfin, près de 500 entreprises (États-Unis et Europe), 1 500 dans le monde, sont actuellement recensés comme ayant intégré TRIZ dans leur démarche de création de nouveaux produits [5].
Il est à noter que depuis l’apparition d’une version informatisée de cet outil TRIZ, la société Invention Machine poursuit ses recherches et implémente régulièrement la base de données avec de nouveaux effets.
Exemple : une solution de la chimie permet de résoudre un problème de la mécanique : l’attaque chimique des surfaces des empreintes des outillages d’injection plastique pour créer un état de surface marbré sur les pièces moulées. ● Les analyses mettent en évidence des principes fondamentaux simples et des effets physiques, chimiques ou géométriques disponibles dans la littérature spécialisée.
Exemple : le principe d’Archimède, l’effet Coana, l’effet Seebeck... Une application de l’effet Seebeck a permis d’utiliser la chaleur dégagée par un fourneau domestique pour produire l’électricité d’une maison d’habitation [9].
2. TRIZ et ses concepts fondamentaux Lors de la mise en pratique de TRIZ, Altshuller a mis au point certaines notions qu’il qualifie d’essentielles à tout problème de recherche d’idées. Il est alors nécessaire de prendre connaissance de ces notions puis de suivre certaines règles permettant soit d’éviter les pièges dressés par les problèmes complexes, soit d’aller à l’essentiel en s’affranchissant de certains stigmates de la recherche d’idées comme le syndrome de la page blanche ou encore l’aspect satisfaisant des solutions faites de compromis. Les notions essentielles mises en évidence par Altshuller ne sont pas simplement citées, elles sont approfondies et il est proposé dans TRIZ de les considérer comme des « fils rouges » de la réflexion et de les garder présentes à l’esprit tout au long des cas d’études afin d’aller plus vite, plus loin et plus pertinemment en direction de la solution.
2.1 Notion de résultat idéal final (RIF) La plupart des solutions préconisées par les ingénieurs ne sont en fait que des compromis. Le compromis est un type de solution simple à trouver ; il remplit en partie l’objectif recherché sans trop dégrader l’un ou l’autre des paramètres du système étudié. Exemple : une situation simple peut être illustrée comme suit. ● Une pièce est mise en place sur deux appuis (figure 2a ), sa fonction principale est de supporter en flexion un effort F. ● Dans l’objectif de supporter un effort plus important, une solution simple serait d’accroître sa section (figure 2b ). Ce type de solution revêt un désavantage : la masse de notre objet est aussi augmentée. Cette solution est un compromis entre la résistance à la flexion et la masse. ● Une solution plus innovante (bien que très vulgarisée en mécanique) serait d’utiliser le principe de la poutre en « I » pour ne pas faire de compromis entre la résistance à la flexion et la masse (figure 2c ).
■ Très vite, deux avantages d’une telle démarche sont apparus. ● Les analyses ne tiennent pas compte de l’industrie d’origine du brevet.
■ Selon Altshuller, les systèmes lourds, inflexibles, de type « usine à gaz », devraient être remplacés par de la lumière, par de l’air, voire des systèmes éphémères constitués de petites particules, molécules, atomes, ions ou électrons contrôlés par divers champs [1]. Un système idéal ne devrait avoir ni un poids élevé, ni un grand volume.
De ce fait, elles rendent le processus transdisciplinaire et décuplent les possibilités de trouver des solutions aux problèmes en allant les chercher dans d’autres domaines [11].
Nous parvenons au résultat final idéal lorsqu’une action est complétée et qu’il y a absence de système. Dans le même temps, c’est un outil psychologique, qui permet, lorsqu’on réfléchit en
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■ Cet idéal est caractérisé par la formule suivante :
å Fu D = ------------------------------å Fn + å Fc où : — D est le degré d’approche de l’idéal, — å F u est la somme des fonctions utiles du système (la fonction « écrire » du stylo est assurée), a la poutre est soumise à un effort
— å F c est la somme des coûts générés par le système (les coûts en vue d’assurer la fonction « écrire » du stylo sont nuls), — å F n est la somme des fonctions nuisibles causées par le système (les fonctions nuisibles que causait la fonction « écrire » du stylo n’existent plus). ■ Le mode de réflexion en direction du RIF poursuit un triple objectif : — maximiser les fonctions utiles ; — minimiser les coûts ; — minimiser les fonctions nuisibles ou inutiles.
b une poutre de section supérieure
Bien entendu, cet idéal est, dans bien des cas, utopique, mais une réflexion dans cette direction peut souvent mettre en évidence des solutions jusqu’ici inexplorées. Les objectifs du RIF sont les suivants : — encourager les idées novatrices ; — diriger la réflexion vers des solutions rejetant les compromis ; — établir rapidement les limites du cas d’étude ; — orienter la réflexion dans les différents outils TRIZ.
c la solution : une poutre en " I "
Figure 2 – Solution avec et sans compromis d’une poutre soumise à un effort
direction du RIF, d’éviter les solutions faites de compromis. La transition en direction du RIF, une des étapes essentielles d’ARIZ (§ 5), est un processus puissant qui permet de formuler un résultat idéal de façon très précise. La chose la plus importante est d’exiger que tout soit exécuté de façon autonome. Tout système peut prétendre parvenir à son idéal. Il s’agit ici d’imaginer, bien au-delà des réalités technologiques, ce que pourrait être la représentation idéale d’un système.
Par définition, un système idéal est un système « qui n’existe pas, mais dont la fonction est assurée d’une manière ou d’une autre ». C’est un système : — qui n’a pas de coût ; — qui n’a pas de volume ; — qui n’a pas de surface ; — qui maximise sa capacité de travail ; — qui maximise ses fonctionnalités. Exemple : un stylo idéal est un stylo dont la fonction « écrire » est assurée en l’absence totale du stylo en tant qu’objet (par le prolongement du doigt, de la pensée...).
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2.2 Notion de contradiction Tous les problèmes d’innovation présentent la même difficulté majeure : ils semblent insolubles. D’après Altshuller, tout système technique comporte une contradiction souvent cachée. En fonction de la difficulté du problème à résoudre, cette contradiction est plus ou moins apparente. Il existe trois types de contradiction. ■ Contradiction opérationnelle Un problème d’innovation, au premier abord, laisse entrevoir une contradiction opérationnelle. C’est souvent notre premier contact avec le problème tel qu’il est formulé initialement. Une contradiction opérationnelle n’indique cependant pas dans quelle direction la solution doit être prospectée et nécessite une révision pour diminuer son degré de complexité. ■ Contradiction technique Lorsque, dans un système, on améliore une caractéristique technique (ou un paramètre) d’un objet, une autre caractéristique (ou paramètre) s’en trouve détériorée. Bien souvent cette contradiction technique est cachée ou mal formulée. ■ Contradiction physique Elle oppose directement deux requêtes (ou paramètres) formulées par un seul et même système. Elle souligne l’opposition littéralement en mettant en évidence le caractère impossible de la situation.
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Exemple : dans le polissage de lunettes optiques (figure 3), il est nécessaire de placer un lubrifiant entre la surface de polissage (faite de résine) et la lunette. Des essais furent mis en œuvre ; ils consistaient à incorporer dans l’appareil à polir des orifices au travers desquels un liquide lubrifiant pourrait être injecté par intervalles. Les ingénieurs en charge de ce projet ont trouvé une solution de compromis en plaçant un nombre déterminé de perçages, améliorant quelque peu l’aptitude à la lubrification mais détériorant, dans le même temps, l’aptitude à l’abrasion. ● Formulation des contradictions — Contradiction opérationnelle : la surface perforée de l’appareil à polir étant moins importante que celle sans les perçages, l’efficacité du polissage diminue. — Contradiction technique : si j’augmente l’aptitude à la lubrification de mon système, je détériore son aptitude au polissage. — Contradiction physique : la surface de polissage doit être pleine et vide à la fois. ● Analyses et solutions Un appareil à polir fait de glace avec, à l’intérieur, la substance abrasive faite de particules peut satisfaire la fonction de résolution de cette contradiction physique. Cet abrasif-glace aura, en outre, l’avantage d’épouser les formes de la lunette au fur et à mesure de l’opération d’abrasion. Le nombre des orifices laissant passer le lubrifiant sera maximal, tout comme la surface de polissage (nous sommes dans la bonne direction, celle de l’idéal).
Lunette optique Solide abrasif Liquide évacuateur Bac principal Perçage pour lubrifiant Lubrifiant Figure 3 – Schéma de mise en situation : exemple de polissage de lunettes optiques
Problème
Solution
a recherche aléatoire de la solution
2.3 Inertie psychologique Nous sommes tous sous l’influence de nos savoirs respectifs. La maîtrise que nous avons de telle ou telle activité nous apporte parfois une assurance, une rigidité dans notre façon de penser et, de ce fait, nous interdit bien souvent de voir une solution existante, et toute proche ! Tout cela nous conduit à l’inertie psychologique (IP), où les solutions considérées résident principalement dans votre propre expérience et ignorent les technologies alternatives afin de développer de nouveaux concepts. TRIZ part du principe que la plupart des problèmes et des progrès dans le domaine industriel peuvent être résolus par des savoirs précédemment acquis par les concepteurs ; l’ensemble des outils que cette théorie développe vise à briser cette inertie psychologique en structurant la réflexion de l’ingénieur, afin de l’entraîner au-delà de ses compétences propres, et, surtout, bien au-delà de son centre d’intérêt du moment. ■ Un problème majeur se pose lorsque la solution recherchée n’est pas une solution connue. On appelle cela un problème d’innovation ; ce même problème peut contenir des exigences contradictoires. Déjà au IVe siècle, le scientifique égyptien Papp suggérait l’existence d’une science, qu’il appelait l’heuristique, pour résoudre les problèmes d’innovation. Dans les temps modernes, la résolution de problèmes d’innovation se heurte au domaine de la psychologie où les liens entre le cerveau et sa perspicacité face à l’innovation doivent être étudiés. Des méthodes telles que le brainstorming et celle des essais et des erreurs sont communément suggérées. En fonction de la complexité du problème, le nombre d’essais variera. Si la solution d’une expérience dans un domaine tel que l’ingénierie mécanique (domaine de l’inventeur) n’apparaît pas, alors l’ingénieur doit regarder au-delà de son expérience et de sa connaissance propre vers de nouveaux domaines tels que la chimie ou l’électronique. Le nombre d’essais potentiels augmentera alors en fonction de l’aptitude de l’inventeur à maîtriser des outils psychologiques comme le brainstorming, l’intuition et la créativité. ■ L’inertie psychologique est le principal frein à la créativité des individus, avec des éléments déclencheurs tels que les habitu-
Problème
N
S
Solution
b TRIZ combat l'aléatoire et oriente la réflexion en direction de la solution Figure 4 – Recherche de la solution idéale en dépassant les effets de l’inertie psychologique
des, les compétences trop pointues dans un domaine particulier et les inerties générées par le « jargon » du spécialiste. Altshuller préconise de suivre ces quelques règles afin de ne pas subir l’IP. ● Ne jamais être persuadé que la solution réside dans son propre domaine de compétence. ● Favoriser la pluridisciplinarité. ● Identifier les termes ou expressions porteurs d’IP et les remplacer par d’autres plus neutres. ● Respecter toutes les idées même les plus farfelues. ■ Lorsque nous dépassons les effets limitatifs de l’inertie psychologique sur une cartographie de solutions couvrant de multiples disciplines scientifiques et technologiques, nous remarquons que la solution idéale peut se trouver en dehors du domaine de prospective de l’inventeur. Elle est alors ignorée ou parfois même invisible. Si la résolution de problèmes était un procédé aléatoire, alors nous attendrions que la solution survienne de façon aléatoire par une recherche systématique au travers de la cartographie des solutions potentielles. L’inertie psychologique combat l’aléatoire (figure 4). Exemple : [14] dans un mécanisme d’impression couleur, un rouleau chargé positivement (figure 5a ) a pour fonction, lors de sa mise en rotation en opposition au défilement du film photoélectrique, d’expulser par répulsion les surplus de liquides chargés eux aussi positivement.
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● Dans l’objectif d’améliorer les performances du système, une étude a permis de déterminer que si l’on augmente le diamètre du rouleau, l’opération d’expulsion est plus efficace. Les ingénieurs en charge de ce projet ont eu le réflexe de maximiser le diamètre du rouleau (situation secondaire, figure 5a ) afin qu’il occupe, au maximum, l’espace du boîtier pour maximiser son efficacité sans trop nuire à l’encombrement de l’ensemble. ● Dans les conseils d’Altshuller pour éviter l’inertie psychologique, il est indiqué que les mots « porteurs d’IP » nous éloignent des solutions. Le premier réflexe dans la formulation des phrases de mise en situation, est d’identifier ces mots porteurs d’inertie et de les remplacer par d’autres plus neutres. Dans notre cas, la principale pièce en conflit est « rouleau » ; ce mot impose à notre pensée que l’objet doit être de forme circulaire ; or, si on remplace ce mot par « objet » qui doit évacuer les surplus d’encre, nous brisons une barrière psychologique et pouvons pousser la réflexion plus loin.
Film
Rouleau
Situation secondaire
a situation initiale
Un autre vecteur de réflexion (§ 2.1) présentait la notion de résultat idéal final. Dans notre cas, le RIF physique de l’objet est le plan. Nous pouvons maintenant transposer cette situation dans les réalités techniques : quel objet peut à la fois être plan et mis en rotation ? La réponse est simple : une courroie (figure 5b ) !
2.4 Cinq niveaux d’inventivité
b une solution idéale : la courroie
Dans ses analyses de brevets, Altshuller remarque très vite qu’une immense partie des dépôts ne sont en fait que des améliorations mineures, insignifiantes en terme de progrès industriels et dont les solutions peuvent être très rapidement trouvées. ■ Dès lors, quelques questions évidentes se posent. — Qu’est-ce qui rend un problème simple et facile à résoudre ? — Pourquoi les problèmes complexes sont-ils difficiles à résoudre ? — Qu’est-ce qui rend un problème complexe ? — N’existe-t-il pas une méthode permettant de transformer un problème complexe en un problème simple ? ■ Partant de ces questions, il est possible de formuler les quelques éléments de réponse suivants. — Les méthodes traditionnelles de créativité affirment toutes que les problèmes sont variés et ne peuvent être traités dans leur ensemble. — Certains problèmes simples peuvent être traités en un rien de temps, d’autres ne trouveront pas de solution même dans une vie entière.
Figure 5 – Situation d’inertie psychologique : exemple de mécanisme d’impression couleur [14]
— La résolution des problèmes passe par l’analyse de pistes de solutions sans cesse croissantes, en fonction de leur complexité. ■ Après plusieurs milliers de brevets analysés, Altshuller a mis en évidence 5 niveaux d’inventivité (tableau 1) [2]. Il a effectué un classement par ordre de complexité du problème résolu, a estimé le pourcentage de solutions que représente chaque niveau par rapport au total analysé, puis l’ampleur de l’origine des connaissances dans lesquelles il est nécessaire de puiser les solutions. Avant de parvenir à la solution, le nombre d’essais approximatif à réaliser est indiqué dans ce tableau. On s’aperçoit alors que le réel « bond technologique » qui caractérise l’innovation n’est présent que dans moins de 23 % des brevets. Mais, afin de simplifier la phase de recherche de solution, il est primordial de diminuer le niveau d’inventivité d’un problème en le ramenant au plus près du niveau 1.
Tableau 1 – Les cinq degrés d’inventivité [2] Degré d’inventivité
Pourcentage de solutions
Origine des connaissances
Nombre d’essais
1
Solution apparente
32 %
Connaissance d’un individu
10
Isolation thermique d’un tuyau pour éviter les pertes par évacuation (brevet no 317 707)
2
Amélioration mineure
45 %
Connaissance de l’entreprise
100
Conception d’un capot de protection pour la soudure à l’arc (brevet no 252 549)
3
Amélioration majeure
18 %
Connaissance de l’industrie
1 000
4
Nouveau concept
4%
Connaissances toutes industries confondues
100 000
Méthode d’inspection de l’usure des moteurs par l’introduction d’une substance luminescente dans l’huile et en analysant la quantité de lumière produite en sortie (brevet no 260 249)
5
Découverte