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Zitiervorschau

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Documents scientifiques et techniques

Évaluation structurale et conception de réparation des ouvrages d’art en maçonnerie

Mars 2022

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Ce document a été réalisé par le groupe de travail de l’AFGC Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie.

Pilotes  

Anne-Sophie Colas (Université Gustave Eiffel) Thomas Stablon (Arcadis)

Rédacteurs et relecteurs                          

Jean-Philippe Bigas (Chryso) Cécile Bouvet Agnelli (Cerema) Thibault Brunel de Bonneville (Département des Alpes-Maritimes) Constant Choqueuse Nathalie Domède (INSA de Toulouse) Régis Dorbessan (OPPBTP) Jean-François Douroux (RATP) Jean-Philippe Dubois Sten Forcioli (Géolithe) Denis Garnier (ENPC) Badr Lahlafi (CIA) Isabelle Lamarque Catherine Larive (CETU) Jean-Pierre Levillain (JPL Conseil) Frédéric Marty (DIR Méditerranée) Jean-Louis Michotey Stéphane Morel (Université de Bordeaux) Omar Moreno Regan (Setec) Thomas Parent (Université de Bordeaux) Florent Plassard (Cerema) Daniel Poineau (Strres) Alain Popinet (AIA Ingénierie) Christophe Raulet (Setec-Diadès) Najeeb Sabir (Freyssinet) Jean-François Seignol (Université Gustave Eiffel) Benjamin Terrade (Université Gustave Eiffel)

Il a bénéficié des échanges avec l’ensemble des participants au groupe de travail et de la relecture attentive de Bruno Godart et Jean-François Barthélémy au nom du comité scientifique et techique de l’AFGC.

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PRÉAMBULE

Appréciés pour leur robustesse, leur durabilité et leur esthétique, les ouvrages d’art en maçonnerie façonnent les paysages de nombreuses régions en France comme dans le monde. La pérennité et l’universalité de l’application de cette technique de construction s’imposent comme un gage de performance manifeste. Au XXe siècle, en raison du besoin d’expansion rapide des infrastructures, de nouvelles réponses ont été trouvées, en lien avec les développements industriels dans le génie civil, comme le béton et le métal. La maçonnerie a été progressivement abandonnée et oubliée des référentiels. En France, les ouvrages en maçonnerie constituent encore une part très importante du patrimoine du génie civil. Elle représente par exemple la moitié des ponts et murs de soutènement du réseau routier tous gestionnaires confondus et la majorité des tunnels du réseau ferré de la SNCF et de la RATP. La moyenne d’âge de ces ouvrages est élevée du fait de la robustesse et de la durabilité de ce type de structure, qui leur confèrent une certaine longévité, et de l’abandon de la technique au début du XXe siècle, qui a conduit à poursuivre l’exploitation de ces ouvrages maintenant plus que centenaire ou encore davantage. L’importance et la qualité des constructions en maçonnerie font de la préservation de ce patrimoine un enjeu prégnant, tant en termes de sécurité des biens et des personnes que d’optimisation des ressources. Les ouvrages en maçonnerie sont toutefois surreprésentés parmi les ouvrages présentant d’importants désordres structurels. Ces statistiques s’expliquent par le vieillissement du patrimoine mais aussi par une méconnaissance de ces ouvrages qui peut conduire à des évaluations trop sécuritaires. En dépit de ces chiffres, peu d’effondrements sont constatés. Ces ouvrages font preuve d’une apparente longévité et d’une grande résilience avant réparation ou effondrement, qui résulte de leur capacité à absorber de grandes déformations avant rupture. Ils peuvent aussi parfaitement fonctionner dans un état fissuré. Cela illustre la singularité de la signature pathologique des ouvrages en maçonnerie et la complexité d’appréciation de leur état structurel. L’évaluation des constructions en maçonnerie se heurte ainsi à des freins techniques mais aussi réglementaires et assurantiels. Les règlements de construction actuels, comme l’Eurocode 6 (Afnor, 2013a), ont été développés pour la conception de structures neuves dans le domaine du bâtiment et l’emploi de matériaux industrialisés. Ils ne sont généralement pas adaptés aux spécificités de la maçonnerie du génie civil et leur application peut s’avérer très sécuritaire. Des études et recherches sur les ouvrages existants en maçonnerie ont ainsi été initiées en France dans les années 80 et ont connu un essor ces dix dernières années. Notons enfin que, si la dynamique reste relativement récente en France, nombre de pays européens (Italie, Portugal, Espagne, Grèce, RoyaumeUni...) ont depuis longtemps consacré d’importants moyens de recherche à ce sujet. Le présent guide propose de faire l’état des lieux des pratiques d’ingénierie des ouvrages en maçonnerie existants et d’offrir un cadre méthodologique et technique pour le diagnostic, l’évaluation structurale et, le cas échéant, le choix et la conception d’une solution de réparation adaptée. Il vise en cela à répondre au fort enjeu que représente la maintenance de ces ouvrages pour leur gestionnaire. Il s’adresse ainsi en premier lieu aux maîtrises d’ouvrages et à leurs conseils, mais il peut également intéresser les bureaux d’études, de contrôle, les entreprises de travaux et les laboratoires de recherche. Les domaines d’application du guide sont les suivants : - les ouvrages d’art : ponts et murs de soutènement en priorité, auxquels peuvent s’ajouter, sous réserve d’adaptations éventuelles, tunnels, quais, barrages, monuments historiques… ; - en maçonnerie : construction en blocs (moellons de pierre, pierre de taille, brique de terre cuite ou crue, bloc béton…), liés ou non par un mortier ; - existants : diagnostic, évaluation structurale, conception d’une solution de réparation. Ce guide peut faire l’objet d’une lecture linéaire et intégrale pour acquérir une bonne connaissance du sujet dans son ensemble ou d’une lecture plus libre, à accès direct, pour approfondir certains points particuliers. Il se décompose en 4 chapitres : 

le chapitre 1 intitulé « Spécificités des ouvrages en maçonnerie » permet d’acquérir ou d’approfondir la culture générale de base propre aux ouvrages en maçonnerie ;

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  

le chapitre 2 intitulé « Démarche de diagnostic » décrit pas à pas la méthodologie permettant d’établir les diagnostics de comportement et d’état d’un ouvrage en maçonnerie, en se basant sur son observation et l’analyse de son fonctionnement ; le chapitre 3 intitulé « Évaluation structurale » présente une gamme de méthodes de calcul, des approches empiriques aux modélisations numériques avancées, permettant d’évaluer d’un point de vue qualitatif et quantitatif la stabilité et les pathologies des ouvrages en maçonnerie ; le chapitre 4 intitulé « Réparation, renforcement, maintenance » traite des conclusions à tirer du diagnostic et, le cas échéant, des opérations de réparation ou de renforcement à envisager pour maintenir l’ouvrage en service.

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SOMMAIRE PRÉAMBULE ...................................................................................................................................................... 5 SOMMAIRE ........................................................................................................................................................ 7 CHAPITRE I. SPÉCIFICITÉS DES OUVRAGES EN MAÇONNERIE ....................................................... 9 1.1. Historique de la construction en maçonnerie ................................................................................... 9 1.1.1. Historique des murs ............................................................................................................. 9 1.1.2. Historique des ponts .......................................................................................................... 10 1.2. Patrimoine des ouvrages en maçonnerie dans le génie civil ......................................................... 25 1.2.1. Réseau routier ................................................................................................................... 25 1.2.2. Réseau ferroviaire.............................................................................................................. 26 1.3. Géométrie et principes de construction des ouvrages en maçonnerie .......................................... 27 1.3.1. Construction des murs .......................................................................................................27 1.3.2. Construction des ponts ...................................................................................................... 30 1.4. Matériaux constitutifs de la maçonnerie ......................................................................................... 36 1.4.1. Les pierres de construction ................................................................................................ 36 1.4.2. Les briques de terre cuite .................................................................................................. 38 1.4.3. Les mortiers .......................................................................................................................39 1.4.4. La maçonnerie ...................................................................................................................40 1.5. Fonctionnement des ouvrages en maçonnerie .............................................................................. 41 1.5.1. Raideur et ductilité des maçonneries................................................................................. 41 1.5.2. Signatures pathologiques des ouvrages en maçonnerie...................................................42 1.5.3. Procédures d’observations des ouvrages en maçonnerie.................................................44 CHAPITRE II. DÉMARCHE DE DIAGNOSTIC .........................................................................................45 2.1. Diagnostics de comportement et d’état, risques encourus, pronostic ............................................ 45 2.1.1. Sept connaissances préparatoires au diagnostic ..............................................................45 2.1.2. Les trois niveaux de diagnostic .......................................................................................... 47 2.1.3. Le diagnostic de comportement et d’état ...........................................................................48 2.1.4. Élaboration des diagnostics de comportement et d’état .................................................... 49 2.2. Analyse et synthèse du dossier d’ouvrage .....................................................................................50 2.2.1. Consultation du dossier d’ouvrage ....................................................................................50 2.2.2. Description détaillée de l’ouvrage ...................................................................................... 50 2.2.3. Connaissances historiques ................................................................................................51 2.2.4. Fonctions d’usage ..............................................................................................................51 2.3. Relevé préparatoire au diagnostic ..................................................................................................51 2.3.1. Géométrie et désordres d’ordre géométrique .................................................................... 52 2.3.2. Fissures, fractures et zones de rupture ............................................................................. 56 2.3.3. Désordres dans l’environnement général .......................................................................... 65 2.3.4. État des matériaux .............................................................................................................70 2.3.5. Désordres dans les équipements de sécurité ...................................................................72 2.4. Auscultation externe ....................................................................................................................... 73 2.4.1. Établissement du levé et des plans de l’ouvrage .............................................................. 74 2.4.2. Connaissance de la géologie locale et des sols de fondation ...........................................75 2.4.3. Connaissance de l’hydraulique locale et des affouillements ............................................. 79 2.4.4. Inspection subaquatique et levé bathymétrique ................................................................ 80 2.4.5. Mise à sec d’un ouvrage ou des appuis d’un ouvrage ...................................................... 86 2.4.6. Dégarnissage localisé des fondations ...............................................................................89 2.4.7. Dégarnissage localisé de l’ouvrage ...................................................................................90 2.5. Auscultation interne ........................................................................................................................91 2.5.1. Auscultation par radar ........................................................................................................92 2.5.2. Implantation des sondages et des forages pour essais .................................................... 92 2.5.3. Le sondage carotté ............................................................................................................ 93 2.5.4. Le sondage destructif......................................................................................................... 96 2.5.5. Auscultations dans les sondages et forages ..................................................................... 97

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2.6.

2.5.6. Essais dans les sols de fondation ...................................................................................... 97 Instrumentation .............................................................................................................................100 2.6.1. Objectifs de l’instrumentation ...........................................................................................100 2.6.2. Programme d’instrumentation .......................................................................................... 100 2.6.3. Recommandations générales ..........................................................................................102

CHAPITRE III. ÉVALUATION STRUCTURALE ......................................................................................103 3.1. Calculs empiriques ....................................................................................................................... 103 3.1.1. Calcul des murs ............................................................................................................... 103 3.1.2. Calcul des ponts ..............................................................................................................106 3.2. Calcul à la rupture et analyse limite ..............................................................................................111 3.2.1. Historique, principe et étapes de calcul ...........................................................................111 3.2.2. Logiciel VOÛTE : principe et étude de cas ...................................................................... 114 3.2.3. Logiciel RING : principe et étude de cas .........................................................................120 3.3. Méthode de calcul aux éléments finis ........................................................................................... 127 3.3.1. Historique, principe et étapes de calcul ...........................................................................127 3.3.2. Efficience, avantages, inconvénients...............................................................................132 3.3.3. Caractéristiques nécessaires à la mise en œuvre ...........................................................132 3.3.4. Logiciels et codes associés ............................................................................................. 133 3.3.5. Étude de cas : Viaduc de Saint-Ouen..............................................................................133 3.3.6. Étude de cas : Réfectoire du prieuré Saint-Martin-des Champs .....................................140 3.4. Méthode de calcul aux éléments discrets.....................................................................................144 3.4.1. Historique, principe et étapes de calcul ...........................................................................144 3.4.2. Efficience, avantages, inconvénients...............................................................................147 3.4.3. Caractéristiques nécessaires à la mise en œuvre ...........................................................148 3.4.4. Logiciels et codes associés ............................................................................................. 148 3.4.5. Étude de cas : Tour de l’horloge d’Amatrice ....................................................................149 3.5. Analyse basée sur les performances passées ............................................................................. 153 3.5.1. Évaluation vis-à-vis des états limites ultimes................................................................... 153 3.5.2. Évaluation vis-à-vis des états limites de service .............................................................153 CHAPITRE IV. RÉPARATION, RENFORCEMENT, MAINTENANCE .....................................................155 4.1. Le projet de réparation..................................................................................................................156 4.1.1. Établissement du projet de réparation ............................................................................. 156 4.1.2. Choix d’une technique .....................................................................................................156 4.1.3. Prise en compte de l’environnement ...............................................................................157 4.2. Entretien courant/spécialisé.......................................................................................................... 157 4.2.1. Enduits de protection et drainage associé .......................................................................157 4.2.2. Rejointoiement ................................................................................................................. 158 4.2.3. Reconstitution/remplacement de bloc.............................................................................. 159 4.2.4. Dessalement ....................................................................................................................160 4.2.5. Réfection d’étanchéité .....................................................................................................160 4.3. Réparation structurelle, renforcement, adaptation .......................................................................161 4.3.1. Injection ............................................................................................................................ 161 4.3.2. Tirant, broche, épingle, ancrage ...................................................................................... 162 4.3.3. Élément de structure : contrefort, contre-mur, contre-voûte ............................................163 4.3.4. Béton projeté .................................................................................................................... 164 4.4. Fondations et cours d’eau ............................................................................................................ 164 CONCLUSION ................................................................................................................................................167 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................169 VOCABULAIRE ..............................................................................................................................................173

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CHAPITRE I. SPÉCIFICITÉS DES OUVRAGES EN MAÇONNERIE

1.1.

Historique de la construction en maçonnerie

1.1.1.

Historique des murs

La technique de la maçonnerie est présente dès l’Antiquité, pendant laquelle les Romains ont introduit et développé le soutien routier en maçonnerie. La durabilité des constructions romaines est due sans conteste à leur maîtrise du mortier de pose, appelé parfois « béton romain » et constitué d’un mélange de sable, de chaux de bonne qualité et de fines particules : la pouzzolane. Ils ont également édifié de nombreuses constructions monumentales en pierre de taille bâties à sec (opus romain). Au cours du Moyen-Âge, les murs en maçonnerie sont essentiellement dédiés aux châteaux forts et aux bâtiments religieux. Il s’agit le plus souvent de murs dits « à fourrure » ou « à remplissage ». Les parements sont en moellons taillés ou en pierres de taille jointoyées, avec des pierres plus longues, les boutisses, reliant les deux parements et un remplissage entre les parements. Ces murs sont jointoyés avec une chaux de qualité diverse selon la composition de la pierre et l’habilité du chaufournier. Au XVIIe siècle, le mur de soutien devient défensif. Les travaux de fortification de Vauban entraînent la construction de murs devant résister non seulement à la poussée des terres mais aussi aux impacts des canons. Sauf dans le cas de constructions d’urgence ou provisoires, ces murs sont en pierres de taille jointoyées. S’engage alors une politique de centralisation qui amènera à la normalisation et au perfectionnement de la technique de construction et va ainsi profiter au développement du soutènement routier. C’est au XIXe que le soutènement routier en maçonnerie connaît son apogée, encouragé par une volonté nationale de développer la voirie sur tout le territoire français. De grands travaux sont alors entrepris non seulement pour renforcer les grands axes de circulation mais aussi pour relier des régions plus difficiles d’accès. Cette période coïncide également avec le développement agricole qui conduit à l’expansion des aménagements pour l’exploitation des terres. La deuxième moitié du XIXe siècle voit la généralisation de cette technique au niveau rural, à l’initiative des agentsvoyers et des agriculteurs. De nombreuses constructions vernaculaires en pierre sèche (ponts, murs dits « paysans », cabanes) ont été édifiées à cette période. Le choix de la pierre sèche est alors avant tout économique. Cette technique séduit par sa facilité de mise en œuvre, puisqu’elle ne nécessite qu’un approvisionnement en pierre. La construction à sec présente en outre des qualités de souplesse et de drainage qui en font un excellent matériau tant pour le soutènement routier que pour les murs de terrasse agricole. L’assemblage de pierres de tout calibre sans recours à un liant hydraulique constitue un filtre naturel qui permet de réguler l’écoulement des eaux sur toute la structure et de diminuer les effets de la pression hydrostatique. Les constructions en pierre sèche présentent également une souplesse qui leur permet de présenter de grands déplacements et de se déformer fortement sans rompre et, lorsqu’elles viennent à céder, ce n’est généralement que sur une faible portion. Ces arguments en faveur de la pierre sèche figurent dans les traités des ingénieurs du XIXe siècle (Delaître, 1825; Polonceau, 1845). L’expansion des constructions routières a conduit au développement de recherches scientifiques consacrées aux soutènements. C’est ainsi qu’au cours du XIXe siècle ont vu le jour des techniques moins coûteuses en termes de production et de mise en œuvre. Elles ont détrôné les techniques traditionnelles. Le savoir-faire de la construction en maçonnerie s’est perdu à mesure que son emploi dans les travaux publics diminuait. L’historique français (Cussatlegras, 1996) est similaire à celui de ses voisins européens (Walker et al., 2000). Dans les pays en développement, la maçonnerie est une technique qui, bien qu’encore utilisée, est progressivement abandonnée au profit des techniques industrialisées.

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1.1.2.

Historique des ponts

1.1.2.1.

Du IIe siècle avant J-C. au Ier siècle – Période gallo-romaine

En Europe, les constructions grecques et romaines sont certainement les plus emblématiques de l’art de construire en pierre. La Gaule bénéficiera ainsi des aménagements de nombreux aqueducs et ponts routiers de l’Empire romain, qui participe au développement économique et à l’administration civile et militaire des régions annexées. Le pont du Gard (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables) en est le symbole le plus illustre, alors qu’il ne représente qu’un ouvrage sur un linéaire total de 52 km d’adduction d’eau. Les ponts romains en maçonnerie se présentent généralement avec des voûtes en plein cintre ou très peu surbaissées, reposant sur des piles épaisses au-dessus desquelles les tympans sont fréquemment évidés pour réduire les pressions exercées au sol. Ils sont souvent agrémentés de motifs de décoration sur les bandeaux, sur les hauts de pile ou les tympans. Il n’existe pas de règles de calcul de l’époque, où l’expérience du constructeur et le fait que l’ouvrage ne se soit pas effondré au décintrement sont la garantie de la réalisation. De nombreux ouvrages sont ainsi disséminés sur le territoire français, comme le pont Julien (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables) ou le pont de Vaison-la-Romaine, devenu bien malgré lui un exemple de résistance des ouvrages romains maçonnés. Les invasions des Barbares dans l’empire d’Occident ont conduit à la destruction d’un grand nombre d’aqueducs et de ponts routiers et à l’arrêt du développement économique et technique. Les routes et les ponts sont restés dans un état de délabrement avancé. Peu d’ouvrages de cette période subsistent actuellement. 1.1.2.2.

Du XIe au XVe siècle – Moyen-Âge

Au Moyen-Âge, avec la renaissance des courants commerciaux et des échanges, l’activité de construction reprend nettement. Le clergé, les seigneuries locales et les communautés urbaines voient leur pouvoir et leur influence augmenter. Chaque lieu de culte et chaque nouvelle communauté devient une zone d’échanges commerciaux. La remise en état et la construction de voies de communication, de routes et d’ouvrages d’art d’utilité publique, sont des vecteurs d’amélioration des échanges. Le financement des ponts est assuré par des legs, des donations et des subventions ainsi que par des impôts, des péages et par la réquisition par corvées. L’implantation de vastes domaines agricoles et de communautés religieuses partout en France va engendrer la création de voies de communication pérennes et de ponts pour faciliter les échanges et les pèlerinages. Le pont roman de Monze sur la Bretonne (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables), qui date du XIIIe siècle, est typique des ouvrages ruraux de cette époque. De tels ouvrages, généralement étroits, seront vite de largeur inadaptée pour le développement des villes, où ils seront reconstruits. Sur les ponts édifiés dans les villes, des moulins et des maisons sont souvent établis. La construction de ponts s’accélère considérablement aux XIIIe et XIVe et au cours de la première moitié du XVe siècle. De formes variées, ces ouvrages sont fréquemment construits avec hardiesse et leurs voûtes peuvent atteindre des dimensions très importantes, comme au pont du diable sur le Tech où la voûte, datant de 1356, a une ouverture dépassant 45 m (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables). Les grands ponts présentent souvent des arches de dimension variable, en plein cintre ou en ogive de grande ouverture, conduisant à des rampes d’accès très prononcées. Sur certains ouvrages, les ouvertures des arches vont en augmentant graduellement vers le centre. Avec ces grandes voûtes aménagées pour laisser le débouché nécessaire aux crues, les ponts présentent un tablier très élevé. Les arcs des ponts médiévaux sont extradossés, quelques-uns présentent des archivoltes, comme au pont d’Espalion sur le Lot ou d’Entraygues sur la Truyère. Les arches peuvent également être légèrement surbaissées au 1/3 ou au 1/4 ou segmentaires, avec des piles épaisses, comme le pont de Romans sur l’Isère (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables). Les piles épaisses sont munies d’avant-becs triangulaires très saillants remontant jusqu’au niveau du tablier. L’arrière-bec est de forme triangulaire ou carrée. L’usage des ouïes a été repris des ouvrages gallo-romains, de même que la construction des arcs par arceaux indépendants permettant la préfabrication des voussoirs et le réemploi successif des cintres après des ripages latéraux. Au XVe siècle, du fait de l’urbanisation, de nouvelles contraintes s’imposent aux constructeurs, l’espacement est réduit, les altitudes limitées. C’est à partir de cette période que les constructeurs vont « s’émanciper » des grandes voûtes romaines en plein cintre ou des arches ogivales, pour des formes plus audacieuses, plus allongées, plus légères.

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1.1.2.3.

Du XVIe au XVIIe siècle – Renaissance

La Renaissance voit une profonde transformation et un grand renouvellement social, culturel et artistique en Europe occidentale. En même temps que l’apogée du gothique flamboyant, elle marque le retour aux formes de l’art antique sous l’inspiration de l’Italie. Un nouveau style apparaît. Les ponts ne sont plus considérés comme des ouvrages utiles et fonctionnels mais comme des œuvres d’art, portées par des figures nouvelles : les architectes. Le développement des voies de communication terrestres ou navigables impose la réalisation de nombreux ouvrages. Les travaux publics restent d’initiative locale même si plusieurs rois ont marqué leur intérêt pour les aménagements routiers. Henri IV institue ainsi un véritable réseau d’infrastructures, routes, ponts, postes, canaux et organise un aménagement du territoire en asséchant les marais et en créant de nouvelles villes. En 1604, Sully engage la construction du canal de Briare pour relier la Loire et la Seine. Il nécessitera la construction d’un bief de partage et de nombreuses écluses à sas, mises au point par Léonard de Vinci. L’ouvrage est inauguré en 1642. Il sera suivi par la construction du Canal du Midi entre Toulouse et Sète, de 1666 à 1681, long de 240 km, par Pierre-Paul Riquet, qui comprend 328 ouvrages d’art, dont 63 écluses, 130 ponts, 55 aqueducs, 7 pontscanaux et 6 barrages. L’usage des chariots et des voitures attelées conduit à concevoir des ponts à l’extrados surbaissé. Les arcs segmentaires vont s’affirmer avec des surbaissements modestes, de l’ordre de 1/3 à 1/4, car les constructeurs constatent que la poussée de l’arc est d’autant plus importante que le surbaissement est grand. La fin du XVIIe siècle voit apparaître les voûtes en anse de panier dont la poussée de l’arc est inférieure à celle d’un arc segmentaire équivalent. Des apports interviennent au niveau des formes et de l’architecture des ponts mais les pratiques de construction du Moyen-Âge sont globalement conservées. Les piles restent épaisses avec des rapports entre l’ouverture de l’arche et la largeur des piles de l’ordre de 4 à 5. L’invention des cornes de vache formées par l’évasement des douelles vers l’extrémité des piles apparaît à la fin du XVIe siècle sur le pont de Châtellerault (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables). Cette disposition améliore l’écoulement des eaux sous les arches et joue un rôle architectural en allégeant la forme du pont. L’usage d’édifier sur les ponts des commerces, des maisons, des moulins et des pêcheries perdure encore, guidé par la recherche des financements. Cette période voit la construction de nombreux ouvrages remarquables comme le pont de Chenonceaux, le pont neuf à Paris et à Toulouse, le pont Henri IV à Châtellerault et le pont de Limay à Mantes-la-Jolie (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables). En 1669, Colbert crée un corps de commissaire des ponts et chaussées puis, en 1671, l’Académie royale d’architecture. L’architecte des bâtiments du roi devient un ingénieur auquel sont confiées des tâches techniques d’administration et de gestion. Les techniques de construction du XVIIe siècle restent cependant celles des siècles précédents. Les roues à eau, les moulins à vent, les tambours des cages à écureuil et les manèges sont encore actionnés par les sources d’énergie comme l’eau, le vent ou la force des hommes et des animaux. Des tentatives de dispositifs techniques nouveaux apparaîtront à la fin du siècle, comme le principe de fondation de la pile rive droite du pont Royal à Paris (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables) par un grand bateau échoué sur le lit préalablement dragué ainsi que les mortiers de pouzzolane immergés pour les fondations ou encore la machine à draguer. L’arche en anse de panier créée pour le pont Royal va s’imposer au siècle suivant. À la grâce et l’élégance de la Renaissance succède une certaine austérité et un ordonnancement classique du grand siècle. Sous l’impulsion du roi s’élèvent ainsi des monuments caractérisés par une grande ampleur et beaucoup de majesté. 1.1.2.4.

Au XVIIIe siècle

Le XVIIIe siècle est une époque de grande activité et de progrès techniques, appliqués en particulier à la construction des ponts. Si les ponts du Moyen-Âge ont été exploités pendant quelques siècles, ils se sont parfois trouvés mal fondés, emportés par les crues et réparés maintes fois ou trop étroits pour les circulations plus actives et arrivent en fin de service. Il faut en reconstruire un grand nombre et en bâtir de nouveaux pour remplacer les bacs et desservir les régions. Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, les ponts sont encore profilés en dos d’âne et formés d’arches décroissantes depuis le milieu jusqu’aux rives. À partir du milieu de ce siècle, ces profils en dos d’âne sont abandonnés pour améliorer le confort de l’usager. Les ponts du XVIIIe siècle se distinguent par la solidité de leur construction et par leur caractère monumental. Le pont Royal sur la Seine à Paris est le premier grand ouvrage dans lequel ces propriétés apparaissent.

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Les avancées sont marquées par l’émergence des grands corps d’État. En 1716, Henri Gautier, ingénieur du roi, livre le premier traité européen de construction des ponts, Traité des ponts, un manuel pratique du concepteur regroupant le savoir et faisant circuler l’information (Gautier, 1716). Cette période voit également la création du corps des ingénieurs des ponts et chaussées, à partir des cadres de l’architecture et de ceux du génie, avec à sa tête l’architecte Jacques V Gabriel. Le 14 février 1747, l’ingénieur Jean-Rodolphe Perronet venant du service des ponts et chaussées d’Alençon est chargé de la conduite et de l’inspection des géomètres et dessinateurs des sciences et pratiques des ponts et chaussées et de la garde et du dépôt des plans, cartes et mémoires. Les prémices mathématiques de la mécanique des arcs de Philippe de la Hire de 1696 à 1712 et l’appréciation scientifique des phénomènes vont se développer au cours du siècle. Pour autant, la conception du pont restera l’œuvre du praticien. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, des progrès sont accomplis dans les procédés d’exécution, pilotage, recépage des pieux sous l’eau, engins de levage et d’épuisement, cintrement et décintrement des voûtes, choix et emploi des matériaux. À partir de 1756, le profil en long des ponts est de préférence établi de niveau et les arches sont toutes de même ouverture. Les voûtes sont profilées en anse de panier surbaissé au 1/5 environ et sont établies sur des piles dont les becs sont de section triangulaire ou en amande voire parfois semi-circulaire et chaperonnées par des pyramides à gradins. L’épaisseur des piles est adoptée au 1/5 de l’ouverture des arches. La corniche est un simple boudin appuyé sur un talon. Les maçonneries sont établies sur des pilotis recépés vers 1,75 m à 2,50 m sous l’étiage. École de Perronet. Perronet privilégie la recherche structurelle et introduit la construction simultanée de plusieurs voûtes. Ses ouvrages sont caractérisés par des voûtes très plates reposant sur des piles minces. Des exemples de réalisations sont donnés dans les planches Illustrations d’ouvrages remarquables. Les progrès dans l’art de construire se produisent plus tardivement dans les provinces du Languedoc et de la Bourgogne. Ponts du Languedoc. Les états de cette province ont imprimé à l’ensemble de ces travaux une impulsion et une direction supérieure remarquable. Le nombre d’ouvrages construits y est considérable et ils se font remarquer par de belles proportions, une exécution régulière, de l’ampleur dans les appareils et de larges dispositions dans les abords. Les ouvrages sont généralement fondés en recherchant le terrain ferme dans de grandes enceintes de batardeaux. La brique est souvent utilisée en parement au-dessus des basses eaux. Pour réduire les tassements et les déformations, les épaisseurs des joints sont réduites. Les proportions des ponts du Languedoc sont plus massives que celles des ponts de la région Centre. La recherche décorative y est poussée plus loin. Elle se manifeste sous des formes variées où dans ses choix apparaît le goût personnel du constructeur. Les têtes des voûtes sont bordées d’archivoltes et quelquefois de bossages. Sur ces têtes sont sculptées les armoiries de la province dans des caissons voluptueusement développés. Les culées et leurs abords sont traités avec une ampleur monumentale comme sur le pont de Gignac sur l’Hérault (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables). Ponts en Bourgogne. Les ouvrages de l’École de Bourgogne sont pratiquement l’œuvre d’un seul homme, Emiland-Marie Gauthey, ancien élève de Perronet, sous-ingénieur à Chalon-sur-Saône en 1758 puis directeur des travaux publics de la province de 1782 à 1791. Construits sur les affluents de la Saône et de la Loire ainsi que sur le canal de Bourgogne, ces ouvrages sont pour la plupart établis sur pilotis pour en réduire les dépenses en évitant les batardeaux et les caissons. Les fondations sont constituées de planchers fixés sur les pieux bois recépés à une profondeur de 0,40 m à 0,65 m sous l’étiage. Après dragage, pilotage et création d’une enceinte de pieux et palplanches, l’intérieur est rempli de maçonnerie de béton jusqu’à la hauteur du grillage de poutres en bois. Les proportions des ouvrages sont assez massives et conformes à celles des types courants de l’époque. Les voûtes sont en anse de panier peu surbaissées. Ils sont caractérisés par une recherche extrême dans le détail de la structure et dans les formes décoratives. Les becs des piles sont disposés en forme de pyramide quadrangulaire et les tympans sont meublés de cadres parfois ornés de sculptures. Le pont de Navilly, construit entre 1785 et 1790, est typique de cette école de Bourgogne (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables). Au XVIIIe siècle, la France surpasse tous les autres pays par le nombre et la grandeur de ses ponts. La création du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées et les progrès de la métallurgie conduisent aux innovations techniques et aux évolutions des procédés d’exécution. Ce siècle verra la construction des premiers phares, infrastructures portuaires, voies navigables avec les ponts canaux et les canaux mais également des constructions esthétiques modifiant l’urbanisme des villes.

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1.1.2.5.

Du XIXe au début du XXe siècle

Le XIXe siècle est marqué par la révolution technologique de la vapeur qui permet l’essor de la production métallurgique et du machinisme industriel. Une nouvelle ère économique va façonner la France par la construction des routes, voies ferrées, canaux, tunnels et ports et par la reconstruction des villes qui étaient encore médiévales. L’adoption des principes de la liberté d’entreprendre pour les personnes privées et de la gestion publique va permettre le démarrage des travaux publics de grande ampleur, symbolisés par le développement du chemin de fer. Le financement mixte ou totalement privé et la gestion privée des services publics va concourir au développement des concessions, tout en maintenant l’institution des Ponts et Chaussées qui va jouer un rôle important dans ce processus. C’est également le siècle du développement des entreprises générales de bâtiments et de travaux publics. Les progrès constants dans les connaissances théoriques et pratiques des nouveaux matériaux, comme le fer puis les ciments, et de la construction en maçonnerie concourent au développement des techniques de construction des ouvrages. Les nombreuses publications des ingénieurs des Ponts et Chaussées font référence. Les travaux de Louis Vicat en 1818-1822 sur les liants hydrauliques et la mise au point de la fabrication industrielle de la chaux hydraulique naturelle révolutionnent l’art de construire les fondations, avec un liant faisant prise dans l’eau en absence d’air. Du mémoire d’Édouard Méry en 1840 sur l’équilibre des voûtes en berceau aux travaux de Henri Navier (1833), Jules Dupuit (1870), Ernest Degrand et Jean Résal (1887) ou encore Philippe CroizetteDesnoyers, qui publie son cours de construction des ponts en 1885, de nombreux auteurs étudient et font progresser les connaissances sur la stabilité des voûtes. À la fin du siècle, malgré la concurrence du métal très utilisé dans le domaine ferroviaire, Paul Séjourné va contribuer à donner un second souffle aux ouvrages d’art en maçonnerie. Il réduit notablement les sections des arcs en perfectionnant les méthodes de construction par rouleaux et par anneaux. Le pont Adolphe sur la vallée de la Pétrusse à Luxembourg, qui présente la plus grande voûte en maçonnerie (85 m) jamais construite, le pont des Catalans sur la Garonne ou le viaduc de Fontpédrouse sur la Têt (voir planches Illustrations d’ouvrages remarquables) font partie de ses ouvrages emblématiques. Entre 1913 et 1916, il publie Grandes Voûtes, une œuvre marquante rassemblant toutes les connaissances sur les ponts en maçonnerie (Séjourné, 1913). La construction en maçonnerie s’inscrit dans la continuité des siècles précédents. Les ponts reprennent les géométries et dispositions dictées par Perronet. Ils comportent des piles de faible épaisseur, une chaussée horizontale, des surbaissements audacieux, une pureté des lignes, une ampleur donnée aux abords et une belle exécution. Les progrès dans les méthodes d’exécution permettent d’édifier, sur le réseau routier comme sur le réseau ferroviaire en plein développement, des ouvrages audacieux comportant des voûtes de grande portée et de faible épaisseur, avec des voûtes d’élégissement intérieures. Les besoins grandissants en infrastructure et l’avènement de nouvelles techniques de construction, faisant appel au béton et à l’acier, vont finalement marquer la fin de la construction en maçonnerie au début du XXe siècle. Après la seconde guerre mondiale, quelques voûtes ont encore été construites en pierre, vraisemblablement du fait du manque de ciment et d’acier, mais les ponts seront souvent reconstruits en béton armé, avec parfois un revêtement en pierre.

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Illustrations d’ouvrages remarquables Du IIe siècle avant J-C. au Ier siècle – Période gallo-romaine

Pont aqueduc du Gard (30) (crédit photo : C. Levillain) Cet ouvrage emblématique, construit entre les années 40 et 50, est formé de trois rangs d’arches. Les deux étages inférieurs, composés de voûtes en plein cintre dont l’arche centrale a une ouverture de 23 m, sont construits en pierres de taille posées sans mortier. À partir des joints de rupture, chaque voûte est formée d’arceaux parallèles indépendants. Cette précaution adoptée sur les grandes voûtes en pierres posées sans mortier permettait d’éventuels tassements différentiels, même légers, qui auraient amené la rupture des pierres posées à la liaison. L’ouverture des arcades supérieures est réduite à 4,50 m pour rendre impossible tout tassement appréciable et surtout pour éviter les fissures que les différences de température produisent dans les grandes arches. Les pierres formant les corbeaux sont gardées pour servir de support aux échafaudages lors des travaux d’entretien ou de réparation.

Pont Julien sur le Coulon (84) (crédit : J-P. Levillain) Datant de l’an 27 avant J-C., cet ouvrage comporte trois arches. Une arche centrale de 16 m d’ouverture et deux arches latérales de 10,20 m d’ouverture avec des tympans élégis par des arcades. Il est construit en grosses pierres taillées avec précision, toutes de même épaisseur et posées sans mortier.

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Du XIe au XVe siècle – Moyen-Âge

Pont du diable sur le Tech (66) (crédit photo : C. Levillain) Construit en 1356, cet ouvrage présente une voûte de 45,45 m d’ouverture.

Pont de Monze sur la Bretonne (11) (crédit photo : C. Levillain) Datant du XIIIe siècle, cet ouvrage étroit est typique des ponts ruraux de son époque.

Pont d’Albi sur le Tarn (81) (crédit photo : T. Stablon) Cet ouvrage est l’un des plus ancien du Moyen-Âge. Construit à partir de 1035, il se compose de sept arches en ogive de 9,75 m à 15 m d’ouverture et des deux petites arches en plein cintre. Comportant des maisons en bois, celles-ci ont été détruites au cours du XVIIe siècle, les évidements sur les piles et les tympans servaient de cave. Étroit de 4,40 m entre parapets, il a été élargi en 1820 par des voûtes accolées en aval et reposant sur les saillies des arrière-becs.

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Pont Saint Benézet sur le Rhône (84) (crédit : J-P. Levillain) Cet ouvrage a été construit de 1177 à 1187 sous l’inspiration et la direction de Saint Benézet puis terminé par la corporation des frères pontifes d’Avignon. D’une longueur de 600 m, il est formé de vingt-deux arches, dont les plus grandes ont une ouverture de 33 m. Ces voûtes en arc de cercle surbaissé au tiers sont formées d’arcs parallèles indépendants accolés, comme au pont du Gard, pour reprendre sans rupture des tassements différentiels occasionnés par les fondations des appuis établies sur des massifs d’enrochements déversés dans le lit du Rhône. Il ne reste que quatre arches, les autres ayant été détruites par des guerres et par la grande débâcle de 1670.

Pont Valentré sur le Tarn (46) (crédit photo : C. Levillain) Cet ouvrage, construit à Cahors de 1309 à 1378, présente six arches en ogive de 16,50 m d’ouverture et deux petites arches sur les rives. Les piles sont munies d’avant et d’arrière-becs triangulaires formant refuge à leur sommet. La pile centrale et les piles d’extrémités supportent des tours fortifiées servant également de péage.

Pont de Romans sur l’Isère (26) (extrait de Croizette-Desnoyers (1885)) Cet ouvrage, construit entre 1388 et 1393, comporte quatre arches d’ouverture variable de 21,40 m à 25,50 m en arc de cercle surbaissé au tiers. Il est partiellement reconstruit en 1717, en pierre de granit pour les piles et les arcs et en tuf pour les voûtes. Il subit une crue exceptionnelle en 1744 en résistant à cette épreuve. En 1855, il sera élargi par la construction d’arcs en fonte en amont et en aval reposant sur les becs des piles.

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Du XVIe au XVIIe siècle – Renaissance Pont de Chenonceaux sur le Cher (37) (crédit photo : J-P. Levillain) Cet ouvrage est construit sous la direction de l’architecte Philibert de L’Orme en deux périodes. Le pont reliant le château à l’autre rive du Cher est édifié entre 1556 et 1559 pour Diane de Poitiers puis à la mort du roi Henri II sa veuve Catherine de Médicis fait édifier la galerie à trois niveaux de 1560 à 1566. Le pont comporte cinq arches en plein cintre dont une de largeur réduite. L’ensemble de ce pont couvert est harmonieux. L’élégante galerie qui recouvre le pont présente des croisées sur les différents étages qui correspondent exactement aux piles et aux clés des voûtes des arches.

Pont neuf sur la Garonne (31) (crédit photo : T. Stablon) La construction de cet ouvrage débute en 1541 à Toulouse, lorsque François Ier accorde à la ville de lever un impôt annuel pour son financement. Le projet prévoit l’édification de sept piles, huit arches de pierre et deux culées. Les difficultés d’exécution des fondations et des bases des piles dans de grands batardeaux et sur des marnes à lits sableux, les crues et les guerres ont conduit à terminer les neuf appuis en 1612. Les voûtes sont édifiées sous la direction d’un nouvel architecte du roi, Jacques Lemercier, et ne furent terminées qu’en 1632. C’est l’un des premiers ponts où l’abaissement des arches a été obtenu par l’emploi d’intrados tracés en anse de panier. Cette audace de construction ne sera poursuivie qu’en 1680, les architectes redoutant les effets de la poussée exercée par une anse de panier supérieure à un plein cintre de même ouverture. L’arche principale a une ouverture de 31,67 m et les six autres arches ont des ouvertures variables de 29,57 m à 13,36 m en s’adaptant à la position des piles déjà édifiées et en donnant un profil en long dissymétrique à deux rampes douces. Le profil en long est marqué par la présence de deux bandeaux dont l’un se confond avec l’extrados des voûtes. La largeur entre les têtes atteint près de 20 m car il était prévu d’édifier des boutiques de part et d’autre de la chaussée. Les becs des piles, très aigus, sont arasés pratiquement au niveau d’eau et couverts d’un chaperon assez plat. Ils sont surmontés de becs de hauteur réduite. L’appareil du voûtement est mixte de pierres de taille de calcaire blanc et de briques, la brique était d’un usage courant. Les tympans sont en brique et sont munis de larges évidements présentant un entourage de pierres de taille analogue aux larges bandeaux. D’origine, ce pont abrite une canalisation d’eau qui alimentait la ville en rive droite. L’ensemble de l’ouvrage présente une belle élégance.

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Pont Henri IV sur la Vienne (86) (crédit photo : J-P. Levillain) En 1564, la construction de cet ouvrage situé à Châtellerault est confiée à deux architectes qui déterminent l’emplacement, les matériaux et les carrières et qui dressent les plans de l’ouvrage. Les travaux des fondations et des piles sont exécutés à l’abri de grands batardeaux fermant successivement la moitié du débouché de la Vienne. Avec les piles, la majeure partie des arches sont exécutées sous la direction de Robert Blondin, architecte du roi qui décède en 1594. Les dernières voûtes et le tablier seront terminés en 1609. Cet ouvrage comporte neuf arches d’ouverture uniforme de 9,85 m mais dont les flèches diminuent depuis l’arche centrale en plein cintre aux arches de rive les plus surbaissées et en anse de panier. La chaussée est en dos d’âne mais les trottoirs sont horizontaux et rachetés par quelques marches aux extrémités. Des cornes de vache, établies sur les têtes des arches favorisent les écoulements et donnent de l’élégance à l’ouvrage aux épaisses piles. Celles-ci ont une largeur de 4,60 m, conduisant à un rapport de l’ouverture des arches à leur épaisseur de 2,14 m à comparer à la valeur de 4 généralement admise depuis des siècles. Le tablier exceptionnellement large était conçu pour porter des maisons. Pour obtenir cette largeur, les têtes des arcs sont portées par les becs des piles. Les voussures sont des cornes de vache ainsi appareillées selon une stéréotomie particulière. Le parapet est souligné par une corniche en saillie portée par des consoles sculptées Pont de Limay sur la Seine (78) (crédit photo : O. Moreno Regan) Cet ouvrage situé à Mantes-la-Jolie est reconstruit en 1612 sous le ministère de Sully. Il abandonne les arcs extradossés pour des voussoirs radiaux montants jusqu’aux corniches et appelé arc arasé. Cette technique des grands voussoirs sera cependant peu reconduite pendant le XVIIe et le XVIIIe siècles, qui verront apparaître l’usage courant de l’extrados en escalier où les voussoirs possèdent une partie rayonnante concourant à la mécanique de l’arc et une partie horizontale concourant à l’appareil de la tête.

Pont Royal sur la Seine (75) (crédit photo : O. Moreno Regan) Le projet du pont Royal sur la Seine est lancé en 1685. Comme les fondations présentent des difficultés, frère Romain, qui vient de faire exécuter avec succès le pont de Maëstricht sur la Meuse, sont appelés. Sous sa direction, trois piles sont fondées sur pilotis supportant des plates-formes en charpente posées à l’abri de batardeaux. Les pierres de parement des fondations sont reliées entre elles par des crampons. La pile rive droite demande l’utilisation d’un grand bateau chargé de pierres posées par assises et cramponnées entre elles. Après dragage du lit, le bateau est échoué puis chargé d’un poids bien supérieur à celui qu’il aura à supporter après la construction. L’exécution de la pile et de l’ouvrage sont réalisées après tassement. Sur des plans établis par Jules-Hardouin Mansart, l’ouvrage est construit par l’entrepreneur architecte Jacques IV Gabriel. Il comporte cinq arches en anse de panier surbaissées au tiers dont les ouvertures varient de 23,40 m au centre à 22,10 m pour les arches intermédiaires et sont de 20,80 m pour les arches de rive. Les piles ont une largeur de 4,55 m ce qui conduit à un rapport de l’épaisseur des piles à l’ouverture des arches de 1/5. Les becs sont triangulaires et couronnés d’une demi-pyramide avec assises en gradins. Le profil en long est en léger dos-d’âne et la ligne de pont est soulignée par un simple cordon semi-circulaire situé à la base du parapet. Terminé en 1689, de ligne très pure, recherchant la symétrie et des proportions harmonieuses d’ensemble cet ouvrage est un symbole de la tradition architecturale française.

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Au XVIIIe siècle Pont de la Charité-sur-Loire (58) (crédit photo : J-P. Levillain) Cet ouvrage composite à dix arches porte la marque du XVIe et surtout du début du XVIIIe siècle. Il a été construit initialement de 1520 à 1535. Une arche en arc brisé datant de cette époque est conservée mais elle est remblayée sous la rive gauche à la construction du quai. De cette époque il resterait une partie des quatre arches centrales 4 à 7. Elles sont en arc de cercle plein cintre ou légèrement segmentaires et datent de 1578. L’ouvrage est entièrement restauré à la fin du XVIIe siècle et partiellement reconstruit. Les trois arches et les piles de la rive gauche sont reconstruites dans les années 1731 sous la direction de l’ingénieur des ponts et chaussées Robert Pitrou. Les arches rive droite sont reconstruites de la guerre en respectant l’aspect de la construction du XVIIIe siècle. Les fondations des piles sont conservées de la construction initiale et les crèches datant de 1680 sont restaurées et protégées par un radier général. Le profil en long est assez plat. Les arches sont en plein cintre ou légèrement en anse de panier. Les têtes des voûtes appareillées en tas de charge sont lisses sans bossage ni archivolte. La corniche se compose d’un simple boudin en légère saillie sur le plan des têtes. Les avant-becs sont triangulaires et les arrière-becs sont prismatiques. Les becs sont couronnés de demi-pyramides typiques de « la première école française du début du XVIIIe siècle ». Pont de Blois sur la Loire (41) (crédit photo : J-P. Levillain) Cet ouvrage est construit au début du XVIIIe siècle de 1717 à 1724. Œuvre du Premier Ingénieur Jacques V Gabriel, les travaux furent conduits par Jean-Baptiste de Règemortes et Robert Pitrou. Il est solidement fondé et bien construit. Il est le dernier des grands ponts à dos d’âne très prononcé avec des pentes à 0,041 m par mètre. Au nombre de onze arches celles-ci sont dressées en anse de panier et d’ouverture décroissante depuis l’arche du milieu. Cette arche centrale a une ouverture de 26,30 m et les arches extrêmes ont une ouverture de 16,55 m. La largeur entre les têtes est de 14,95 m. Les têtes de voûte sont appareillées en tas de charge. Deux piles plus épaisses partagent les arches en trois groupes comprenant les trois arches du milieu et deux groupes latéraux de quatre arches. Les corps de pile se terminent en amont par un avant-bec triangulaire et en aval par un arrière-bec en forme de trapèze. Les becs sont couronnés par un bandeau et des chaperons pyramidaux. Les tympans sont plats et marqués par une corniche venant en saillie, composée d’un boudin et d’une doucine. L’ouvrage a résisté sans avarie aux plus fortes crues de la Loire. Pont de Moulins sur l’Allier (03) (crédit photo : J-P. Levillain) À Moulins, le pont venant d’être construit par Mansart a été emporté par la crue de 1710. Louis de Règemortes est chargé de reconstruire l’ouvrage. Pour obtenir un débouché double de celui du pont précédent, il fait démolir le quartier de la Madeleine, rectifier le cours de l’Allier, construire des digues et quais de protection des nouveaux faubourgs et fait tracer un nouvel accès rectiligne d’entrée de ville. Ce principe d’un grand axe d’entrée de ville nécessitant l’ouverture de nouvelles voies sera repris dans les nouveaux projets. Pour s’affranchir des risques d’affouillement, Règemortes fait aménager un radier général continu sur toute la largeur du fleuve. D’une largeur de 30 m, celui-ci est défendu par plusieurs files de pieux et de palplanches. Le pont est construit de 1754 à 1762. Il a une longueur de 310 m et comporte treize arches en anse de panier de 23,50 m d’ouverture. Le tablier est horizontal. Les piles sont munies d’avant et arrière-becs à section triangulaire et sont couronnées de chaperons pyramidaux.

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Pont Cessart sur la Loire (49) (crédit photo : J-P. Levillain) L’ouvrage est construit à Saumur sous la direction d’Alexandre de Cessart, supervisé par Jean de Voglie. Ce projet fait l’objet d’évolution techniques : le battage des pilots des enceintes à l’aide d’une sonnette à déclic et la scie à recéper les pilots sous eau jusqu’à des profondeurs de 5,50 m. La plus importante évolution réside dans la réalisation des fondations des piles sans batardeau, en utilisant la technique du caisson échoué sur les têtes des pilotis tous recépés de niveau à grande profondeur, pour éviter les risques d’affouillement. Il s’agit d’une adaptation de la technique mise en œuvre à Londres par le franco-suisse Charles Labelye pour la construction du pont de Westminster sur la Tamise. Le pont construit de 1755 à 1770 comporte douze arches en anse de panier de 19,50 m d’ouverture. Le profil en long est plan et horizontal. La corniche est incorporée dans le parapet sous forme d’une large bande en encorbellement. Elle forme saillie sur les têtes des voûtes permettant d’élargir la chaussée et elle court d’une extrémité à l’autre du pont. Elle porte au droit de chaque pile sur une table de même saillie prolongeant le corps de la pile. Les avant et arrière-becs sont profilés en amande et couronnés de chaperons pyramidaux.

Pont Fouchard sur le Thouet (49) (crédit photo : J-P. Levillain) Cet ouvrage a été construit de 1774 à 1786 à Saumur sur un projet de Jean de Voglie. Il comporte trois travées de 24 m de portée pour l’arche centrale et 27 m de portée pour les arches de rive, la différence d’ouverture des arches venant d’une augmentation de l’épaisseur des piles de 1 m en cours de construction alors que les deux culées étaient édifiées. Les avant et arrière-becs sont à section ogivale. Les piles ont des parements dressés avec un fruit de 1/16, leur couronnement est formé de demi pyramide. Les voûtes sont en arc surbaissé au 1/10. En l’absence de cadre théorique, les dimensions sont guidées par des règles empiriques fondées sur une longue habitude. L’ingénieur François-Michel Lecreulx fait exécuter des modèles réduits des arches projetées en pierre tendre à l’échelle de 1/61,6. À partir de six expériences avec chargement de la voûte au 1/10 de son poids propre est ainsi fixée la longueur des culées en les munissant de trois éperons venant s’encastrer dans les remblais d’accès. L’appareil en pierre de taille de la voûte se continue dans le massif de la culée par onze rangs de voussoirs. Au décintrement puis au cours des années, le pont s’est allongé de 13 cm, cet allongement étant mis au compte du raccourcissement des maçonneries des culées. Les voûtes sont fissurées au-dessus des naissances mais sans décompression en clé. Pont de Nemours sur le Loing (77) (crédit : J-P. Levillain) Conçu par Jean-Rodolphe Perronet dès 1771, cet ouvrage est construit de 1795 à 1804 sur des plans légèrement modifiés par LouisClaude Boistard. Il présente trois arches de 16,25 m d’ouverture chacune et des voûtes en arc très surbaissé au 1/16 (valeur qui reste exceptionnelle). Le projet de Perronet comporte des évidements dans les piles sous forme de colonnes que Boistard n’a pas retenu. Il adopte des avant et arrière-becs hémicylindriques, que l’on retrouvera sur les ponts du XIXe siècle.

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Pont de Gignac sur l’Hérault (34) (crédit photo : DDT 34) Projeté en 1774, l’ouvrage n’est terminé qu’en 1810, suite à de fortes difficultés d’exécution des fondations des deux piles centrales reposant sous 7 m d’alluvions mobiles. Il est formé de trois arches dont les deux matérales de 21,80 m d’ouverture sont en plein cintre surhaussé avec de larges chanfreins tandis que l’arche centrale en anse de panier à trois centres, surbaissée au tiers a une ouverture de 48,42 m. Projeté et construit sous la direction de l’ingénieur Bertrand Garipuy, l’ouvrage est grandiose avec des proportions agréables dont l’archivolte de la voûte principale.

Pont de Lavaur sur l’Agout (81) (crédit photo : T. Stablon) D’une seule arche de 48,75 m d’ouverture, cet ouvrage apparaît grandiose, puissamment construit et décoré. Il est d’un aspect imposant avec ses culées en forme de tours. L’arche unique est profilée en anse de panier à trois centres et légèrement surbaissée. Sur chaque tête, l’arche est bordée d’une archivolte relativement épaisse descendant jusqu’aux socles. L’arche est enfermée dans un cadre rectangulaire qui confine la corniche et latéralement les tours rondes. L’ensemble produit un grand effet. Pont de Navilly sur le Doubs (71) (crédit : J-P. Levillain) Cet ouvrage de 156 m de long et 9,80 m de large, construit entre 1785 et 1790, est constitué de cinq arches en anse-de-panier avec voûte à caissons supportées par quatre piles à radiers de fondations ovales sur pilotis. La conception des piles est remarquable dans son dessin : les avants et arrières becs des piles sont profilés en forme de proue et poupe de navire. Les avant-becs sont arrondis et les arrièrebecs triangulaires. Les avant-becs sont surmontés de demi-pyramides adossées aux piles, les arrière-becs de médaillons ovales entourés de guirlandes végétales et posés sur une base de colonne. Côté amont, les écoinçons sont sculptés de roseaux encadrant une jarre inclinée servant à l’écoulement des eaux de pluie des caniveaux. Le pont fut en partie détruit lors de la seconde guerre mondiale en septembre 1944 (trois arches démolies) ; il fut restauré à l’identique à partir de 1947 par l’entreprise Pérol de Lyon.

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Du XIXe au début du XXe siècle Pont Gambetta sur la Sarthe (72) (crédit photo : J-P. Levillain) Montrant la continuité entre les siècles, ce pont situé au Mans a été dessiné en 1792 mais construit de 1809 à 1811. Il présente trois arches en anse de panier de 16 m de portée reposant sur deux piles hémicylindriques et deux culées encastrées dans les murs de quai. Les arcs de tête sont à extrados festonné, typique du XVIIIe siècle. Le parapet et la plinthe sont traités sobrement. Cette dernière présente un bandeau saillant plat figurant le niveau de la chaussée. Les chaperons sont couronnés par un cordon plat et un glacis conique à faible pente.

Pont d’Iéna sur la Seine (75) (crédit photo : J-P. Levillain) À la même époque que le pont Gambetta, sur ordre de Napoléon Ier et sur financement de l’État se construit à Paris sur la Seine le pont d’Iéna. Conçu et exécuté par l’ingénieur Corneille Lamandé, il est terminé en 1812. Initialement projeté en arcs en fonte et alors que les fondations des piles sont en cours d’exécution, il est décidé qu’il sera construit en maçonnerie jugée plus solide et d’entretien moins coûteux. L’ouvrage comporte cinq arches de 28 m de portée en arc de cercle surbaissé au 1/8°. Sa longueur totale est 156 m, sa largeur de 14 m. Les piles sont minces avec une largeur de 3 m. Elles présentent trois niveaux de redans d’élargissement de leur base pour reporter les charges sur six files de pieux battus. Il est à signaler que l’extrados est plan, horizontal et recouvert d’une faible couche de remblai. La construction est soignée, les proportions sont agréables et lui confèrent une belle élégance. Le décor est sobre. Les piles sont hémicylindriques et leur couronnement est muni d’un simple cordon plat et d’un couronnement conique à faible pente. Les parapets sont en léger encorbellement par l’intermédiaire d’une corniche en saillie reposant sur une suite de modillons espacés à peu près tant plein que vide. Les tympans sont décorés d’aigles impériaux. En 1937, l’ouvrage a été doublé en amont et en aval par deux ouvrages en béton armé de 3,50 m de largeur reprenant les dispositions géométriques du pont en maçonnerie et dont les parements sont en pierre. La largeur totale de l’ouvrage est portée à 35 m. Ces deux ouvrages amont et aval sont reliés au pont en maçonnerie par deux structures mixtes en acier et béton reposant en appui sur chacun des deux tabliers. Pont de pierre sur la Garonne (33) (crédit photo : J-P. Levillain) Demandé depuis de très nombreuses années pour franchir la Garonne à Bordeaux puis en 1807 par Napoléon Ier, c’est l’ingénieur Claude Deschamps, nommé directeur de la construction en 1812, qui réalise l’ouvrage avec son gendre Jean-Baptiste Billaudel. Le site est jugé très difficile du fait de sa grande largeur de 500 m, de sa profondeur de 6 à 10 m à marée basse et de la faible consistance des sols. En attente de crédits, le projet évolue et, en 1819, Deschamps propose une solution en pierre et en brique permettant d’alléger les structures. L’ouvrage se compose de dix-sept arches de portée variable de 20,84 m pour les arches extrêmes à 26,49 m au centre. Les arches segmentaires sont surbaissées au 1/3 et les têtes sont élégies par des cornes de vache. Les voûtes sont formées de deux têtes et de cinq chaînes en pierre de taille, l’ensemble étant relié de place en place par des chaînes transversales. Les pierres de taille sont cramponnées dans le sens horizontal par des queues d’aronde et dans le sens vertical par des tenons en teck. Les cases ainsi formées sont remplies de briques légères réalisées avec le limon du fleuve. Les tympans sont évidés par des galeries horizontales. Les piles et les extrados des voûtes sont évidés par des galeries établies sur trois niveaux pour réduire notablement le poids propre de l’ouvrage. Les fondations sont établies sur des pieux en sapin, battus puis recépés à grande profondeur, solidarisés entre eux par un châssis en charpente et par un comblement de moellons cimentés par les vases. Avant édification des piles, les fondations sont surchargées par un poids équivalent à celui de la pile. Les piles sont construites dans des caissons étanches échoués sur les têtes des pieux. L’ouvrage est terminé en 1822. Il présente une belle élégance du fait de l’association des pierres blanches et des briques rouges. Le dessin des cornes de vache allège la géométrie des voûtes donnant l’impression de bandeaux d’épaisseur continue et une grande légèreté. Les trottoirs sont en léger encorbellement et soutenus par une corniche reposant sur une suite de modillons. Les couronnes de laurier ornant les tympans viennent rappeler la lignée impériale de l’un des plus beaux ponts de France.

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Pont de Souillac sur la Dordogne (46) (crédit photo : G. Viossanges) Louis-Joseph Vicat est nommé en 1812 pour construire le pont de Souillac sur la Dordogne. L’ouvrage est considéré comme très difficile à exécuter du fait des crues violentes de la Dordogne, où la vitesse des eaux atteint 6 m/s. Faute de crédits, les travaux ne peuvent débuter et Vicat met à profit ce délai pour procéder à des observations et des études sur les chaux et les ciments. Il met au point la fabrication industrielle de la chaux hydraulique artificielle faisant sa prise en l’absence d’air. Commencé en 1819, le pont est achevé en 1824. L’ouvrage de 180 m de longueur comporte sept arches en anse de panier de 22 m d’ouverture et de 8,33 m de montée. Les piles ont une largeur de 3,75 m. La largeur du tablier est de 9 m entre parapets. Les fondations sont établies sur massifs de béton de chaux hydraulique coulé sous eau dans des enceintes préfabriquées et immergées. Ce nouveau procédé sera largement utilisé pour fonder les ouvrages au cours de ce siècle. Le pont sur la Dordogne est d’une architecture sobre avec ses arcs à extrados festonné et ses tympans plans. Les parapets reposent sur une plinthe en légère saillie sur les têtes qui est soutenue par une suite de modillons. Les piles sont hémicylindriques avec un chaperon en cône aplati et sont couronnées d’un bandeau plat. Pont de Bergerac sur la Dordogne (24) (crédit photo : C. Levillain) Mis en service en 1825 après trois ans de travaux, cet ouvrage remplace un pont médiéval de 1209. D’une longueur de 160 m, il comporte cinq travées en plein cintre de 28 m de portée. Les voûtes sont formées de quatre chaînes reliées par des chaînes transversales, toutes en pierre de taille. Les cases ainsi formées sont remplies de brique. Les bandeaux de largeur constante comme les avant et arrière-becs de forme hémicylindrique sont typiques des ouvrages construits au cours du XIXe siècle. Le parapet est simple, sans décor. Il repose sur une large plinthe venant en encorbellement et dont la géométrie est reprise dans le couronnement des avant et arrière-becs. Pont Dumnacus sur la Loire (49) (crédit photo : J-P. Levillain) Jules Dupuit est chargé de construire le pont routier de franchissement de la Loire sur la commune des Ponts-de-Cé en1846. Suite à une crue, les travaux commencent en 1847 et le pont est achevé en 1849. Onze arches de 25 m d’ouverture en ellipse peu surbaissée et dix piles de 3,50 m assurent un débouché de 310 m entre nu des culées. Le profil en long est légèrement en toit avec un point haut central. Ce profil est obtenu en relevant successivement pour chaque arche le niveau des naissances des voûtes par pas de 0,30 m. Ainsi l’arche centrale est située 1,50 m plus haut que les arches de rive. Les tympans sont garnis d’aqueducs débouchant sur l’aval et recevant les eaux d’infiltration. Les parements des tympans sont recouverts d’une maçonnerie peu épaisse d’ardoise sciée, rappelant la présence de l’extraction d’ardoise à proximité. L’ouvrage est élégi. La chaussée est portée par des grandes dalles de schiste reposant sur une série de huit cloisons intérieures établies sur l’extrados des voûtes. La largeur totale entre tympans est de 12 m. Le bandeau de pierre de taille en calcaire dur est extradossé parallèlement à l’intrados. La plinthe est en légère saillie sur le plan des tympans et le parapet est traité très simplement sans moulure ni débord du couronnement. L’aspect général est très fonctionnel, l’élégance étant donnée par le contraste entre les pierres blanches du bandeau et l’ardoise bleue noire des tympans.

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Pont Dangé-Saint-Romain sur la Vienne (86) (crédit photo : J-P. Levillain) Le décret du 18 décembre 1856 décide de la construction du pont sur la Vienne. Il est réalisé sous une concession de 70 ans par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Romain Morandière, chargé de construire les ponts de la nouvelle voie ferrée d’Orléans à Bordeaux. Il est mis en service le 17 novembre 1858. L'ouvrage de 119,50 m de longueur comporte cinq arches en plein cintre de 18 m d’ouverture chacune et quatre piles de 2,50 m de largeur à la base. Son profil en long est légèrement en toit avec un point haut sur l’arche centrale. D’une largeur totale de 7 m entre tympans, l’ouvrage porte une chaussée étroite de 5,00 m de largeur et deux trottoirs de 0,90 m. Les bandeaux ont une largeur constante de 1 m. Les douelles, les tympans et les parements vus des piles et culées, les murs de tête et en retour, les fûts des parapets sont en moellons tétués. Les culées, piles et murs des têtes sont en maçonnerie ordinaire. Pont des Catalans sur la Garonne (31) (crédit photo : T. Stablon) Suite à un concours lancé en 1901, le pont des Catalans sur la Garonne est conçu par Séjourné et mis en service en 1908. Il reprend la technique des deux anneaux mis en œuvre sur le pont Adolphe au Luxembourg. Il porte leur largeur à 3,50 m et les écarte de 10 m. D’une longueur de 257,50 m le tablier en béton armé a une largeur de 22 m. Il comporte cinq voûtes avec une arche centrale de 46 m de portée et de part et d’autre de deux arches latérales de 38,50 m d’ouverture. Chaque voûte est construite en trois rouleaux pour réduire la charge sur les cintres. Reprenant des dispositions anciennes de l’époque romaine, les têtes sont échancrées par une voussure en forme de coquille Saint-Jacques. Les bandeaux de pierre blanche donnent les épaisseurs des voûtes et donnent une lecture simple au fonctionnement de l’ouvrage. Pour permettre une intégration harmonieuse dans la ville de Toulouse, Séjourné aménage des tympans en brique rouge.

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Viaduc de Fontpédrouse sur la Têt (66) (crédit photo : C. Levillain) Cet ouvrage remarquable a permis à Séjourné d’introduire de nouvelles techniques. La partie étroite du ravin est franchie par un arc ogival dont la clé sert d’appui à une pile du viaduc. L’ouvrage est aussi étroit que possible avec une diminution de sa largeur se réduisant de 6,75 m à la base des appuis pour atteindre 2,50 m en partie supérieure et en lui donnant une largeur juste suffisante pour y établir la plate-forme en béton armé supportant la voie ferrée. La voûte de l’étage inférieur a une portée de 30 m et ses tympans sont élégis par deux voûtes en plein cintre de 5 m d’ouverture. L’étage supérieur comporte au centre quatre arches en plein cintre de 17 m de portée et des viaducs d’approche ayant des voûtes en plein cintre de 9 m d’ouverture. Les piles et les voûtes sont en granite extrait localement. Les voûtes sont exécutées par rouleaux successifs comme pour les autres ouvrages conçus par Séjourné.

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1.2.

Patrimoine des ouvrages en maçonnerie dans le génie civil

1.2.1.

Réseau routier

1.2.1.1.

À l’échelon national

Sur le réseau routier national non concédé (RRN-NC), le patrimoine d’ouvrages en maçonnerie est très riche en nombre, d’après les données issues de la campagne IQOA (image qualité ouvrages d’art) de 2016 (Cerema, 2017). Sur l’ensemble du patrimoine national (12 243 ponts et 6 008 murs), les ouvrages en maçonnerie représentent 1 110 ponts (près de 10 % en nombre et 3 % en surface de tablier) et 3 230 murs (près de 54 % en nombre et 38 % en surface de parement). Toujours à l’échelle nationale, parmi la population des ouvrages présentant des désordres structuraux notables (classe IQOA 3 et 3U), les ouvrages en maçonnerie représentent environ 20 % des ponts et 80 % des murs. Les ouvrages en maçonnerie sont donc pour la plupart de dimensions plus petites que celles de la moyenne des ouvrages. Mais leur part non négligeable parmi les ouvrages structurellement dégradés, eu égard à leur âge, fait que la qualité de la gestion de ces structures constitue un fort enjeu pour le patrimoine d’ouvrages d’art. Toutefois, ces ouvrages ne sont pas répartis de manière homogène sur l’ensemble du territoire français (Figure 1). Les remontées IQOA de l’année 2011 montrent ainsi que les ouvrages en maçonnerie sur route nationale sont principalement concentrés dans les zones de moyenne et haute montagne (Massif Central, Alpes et Pyrénées).

Figure 1 : Répartition des murs en maçonnerie sur le réseau routier national non concédé (pourcentage IQOA 2011) Cette répartition montre que les enjeux varient en fonction des Directions interdépartementale des routes (DIR) en charge de l’exploitation et de la maintenance du réseau routier national. Parmi les DIR présentant un fort patrimoine en maçonnerie, la DIR Massif Central se caractérise par un patrimoine de ponts (22 % en nombre, 8 % en surface) et de murs (plus de 80 %) très important sur une aire géographique très étendue. Le détail montre que la population d’ouvrages de soutènement 3 ou 3U est constituée quasiment entièrement (98 %) par des murs en maçonnerie. Les ponts de classe 3 ou 3U sont majoritairement en maçonnerie également (près de 80 %). Malgré ces chiffres pouvant être vus comme alarmants, peu d’effondrement sont constatés. Les murs classés 3U semblent donc faire preuve d’une apparente longévité (avant réparation ou effondrement). L’appréciation de la stabilité d’un mur en maçonnerie, ouvrage qui est à la fois une structure et un objet géotechnique, est difficile. De plus, les conséquences de l’effondrement (généralement partiel) d’un mur en maçonnerie sont souvent plus limitées que dans le cas de l’effondrement d’un pont. Enfin, la question de la domanialité se pose de façon aigüe pour les murs de soutènement. Cela se traduit par des ouvrages non reliés à un gestionnaire défini, et donc un abandon de l’ouvrage. Ces ouvrages ne font l’objet d’aucune considération actuellement.

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1.2.1.2.

À l’échelon territorial

Même si la première commande étatique de recensement du patrimoine français d’ouvrages d’art (tous réseaux routiers confondus) remonte au 30 juin 1980, via la circulaire de mise en application de l’ITSEOA 1979, quarante ans après, ce recensement reste incomplet et il est impossible de dresser de manière exhaustive ici la part du patrimoine maçonné des collectivités (département, métropole, commune). Les retours d’expérience montrent qu’un département possède un parc sensiblement aussi important en nombre que celui d’une DIR, soit environ un millier de ponts et, selon son implantation sur le territoire, un demi-millier de murs. L’âge moyen de ces ouvrages est probablement plus élevé. De cette disparité découle bien sûr un poids financier plus important pour les collectivités, mais surtout une population différente des ouvrages par type et par dimension. Dans son rapport annuel (ONR, 2019), l’Observatoire national de la route (ONR) estime à près de 50 % la proportion de ponts en maçonnerie sur les réseaux des 41 départements qui ont répondu à la collecte des données. Si l’ONR donne une indication de la répartition dans 5 grandes métropoles (26 % de ponts en maçonnerie), les chiffres sont encore plus difficiles à estimer dans les plus petites communes, mais il est raisonnable de penser que la part des ouvrages en maçonnerie du réseau communal et vicinal est supérieur à celui des départements et des métropoles. Enfin, il existe un vivier d’ouvrages en maçonnerie souvent méconnu, celui des ouvrages de randonnée ou des pistes cyclables. Ces itinéraires reprennent souvent d’anciens chemins de fer départementaux et des chemins muletiers communaux pour lesquels le franchissement de petits cours d’eau était réalisé par de petits ouvrages en maçonnerie. Ils présentent une haute valeur patrimoniale.

1.2.2.

Réseau ferroviaire

Les ponts en maçonnerie représentent également une part importante du patrimoine d’ouvrages d’art ferroviaire européen. Le projet européen Sustainable Bridges (Bell, 2004), auquel ont participé toutes les grandes compagnies européennes de transport ferroviaire, a permis de répertorier près de 220 000 ponts. Parmi ces ouvrages, 41 % sont en maçonnerie (Figure 2), ce qui représente environ 90 000 ponts. Une analyse détaillée de la répartition au sein de ces ouvrages par type de matériaux constitutifs (Figure 2) fait apparaître que la brique est majoritaire (52 %, soit 47 000 ouvrages) devant la pierre (33 %, soit 30 000 ouvrages). Orbàn (2007) propose également une répartition des ouvrages en maçonnerie dans chaque pays d’Europe, qui représentent 15 % des ouvrages ferroviaires en Suisse et jusqu’à 95 % en Italie. En France, le patrimoine SNCF présente une proportion de 44 % d’ouvrages en maçonnerie.

Figure 2 : Répartition des ouvrages du réseau ferroviaire européen par type de matériau (gauche) et zoom sur les ouvrages en maçonnerie (droite) selon Bell (2004) La majorité des ponts en maçonnerie du réseau européen (64 %, soit 58 000 ouvrages) a plus de 100 ans (Figure 3 et Figure 4). Ils ont été construits sur une courte période (1820-1920). Ces ouvrages sont majoritairement de petite dimension, puisque 75 % d’entre eux ont une portée inférieure à 10 m (Figure 3).

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Figure 3 : Répartition des ponts en maçonnerie du réseau ferroviaire européen par âge (gauche) et par portée (droite) selon Bell (2004)

Figure 4 : Chronologie de la construction des ponts en maçonnerie sur le XIXe et le XXe (SNCF, 2007)

1.3. Géométrie et principes de construction des ouvrages en maçonnerie Les termes spécifiques aux ouvrages en maçonnerie ont été regroupés dans la section Vocabulaire.

1.3.1.

Construction des murs

Les murs de soutènement en maçonnerie sont des murs-poids, dont la fonction est de soutenir des terres en amont grâce à leur poids propre (Figure 5). En cela, ils présentent une géométrie massive. Le parement aval ou parement vu est généralement travaillé. Il peut présenter une inclinaison par rapport à l’aplomb appelée fruit aval. Le parement amont présente souvent un aspect et une géométrie moins soignés que le parement aval. Il peut également présenter un fruit ou être construit à redans. L’écoulement de l’eau est garanti par la nature même de la maçonnerie si le mur est construit en pierre sèche ou par l’aménagement de barbacanes dans le cas d’un mur hourdé. Un matériau drainant est généralement placé entre le parement amont du mur et le remblai soutenu pour favoriser cet écoulement.

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Figure 5 : Schéma de principe d’un mur de soutènement en maçonnerie (crédit : O. Moreno Regan)

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Figure 6 : Schéma de principe d’un pont en maçonnerie (crédit : O. Moreno Regan)

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À la construction, les moellons sont humidifiés et posés à bain de mortier ou à sec, en prévoyant une boutisse par mètre carré, avec un dépassement de 20 cm au minimum. L’épaisseur des joints doit être inférieure à 3 cm. Lorsque la maçonnerie est soumise à des efforts de compression importants, les moellons doivent être posés de façon à ce que ces efforts de compression s’exercent perpendiculairement aux lits d’arase de la pierre, sauf appareillage spécifique. Les parements peuvent être exécutés à joints réguliers ou non. Pour les parements à joints réguliers, les parements sont construits par assises horizontales réglées et orientées selon les lits de la pierre. Les joints verticaux entre les assises successives doivent être décalés de 10 cm minimum.

1.3.2.

Construction des ponts

Les ponts en maçonnerie sont généralement des ponts-voûtes, constitués d’une ou plusieurs arches reposant sur des culées aux extrémités, et éventuellement des piles intermédiaires, et délimitées latéralement par des murs tympans (Figure 6). Il existe également des voutains en maçonnerie supportés par des poutres métalliques et constituant le tablier de ponts « mixtes » métal-maçonnerie. 1.3.2.1.

Fondations

La tenue des fondations et surtout des fondations en rivière est un élément prépondérant de la durée de vie des ouvrages d’art. Fonder une pile de pont, c’est établir au milieu d’une rivière un ouvrage en maçonnerie qui résiste à l’action des eaux, qui est posé ou encastré dans les sols et qui reprend les actions des voûtes. Pour atteindre ces objectifs, il faut établir les piles sur un sol suffisamment résistant, se défendre contre les affouillements et trouver le moyen de bâtir dans une profondeur d’eau qui peut atteindre plusieurs mètres. Les fondations permettent d’obtenir une surface plane apte à recevoir les premiers éléments de maçonnerie de l’appui. La culée s’apparente à une butée, son poids doit reprendre la poussée générée par la voûte. L’appui est limité à la partie inférieure de la voûte. Différentes techniques de fondations se sont succédé au fil des époques, en fonction de la nature du sol et de l’avancée des techniques. Semelle reposant sur le rocher affleurant ou des alluvions compactes

Fondation sur semelle du pont de Chatellerault sur la Vienne (crédit photo : J-P. Levillain)

Enrochement

Fondation par talus d’enrochement d’une digue (Bélidor, 1737)

Tous les constructeurs ont recherché sous les alluvions une couche géologique proche qui soit capable de reprendre les charges de la pile. Les piles en rivière sont généralement édifiées sur des semelles peu encastrées et posées directement sur le rocher subaffleurant. Cette technique de la semelle ayant la dimension du fût de pile ou légèrement débordante se retrouve à toutes les époques. Quand la semelle est peu encastrée et établie sur des alluvions grossières voire argileuses, elle peut reposer directement sur les alluvions ou sur un plancher de bois débordant ou non, parfois protégé par un rideau parafouille de pieux de bois. Les travaux de fondation étaient effectués en basses eaux avec ou sans dérivation provisoire ou définitive du cours de la rivière, ou encore à l’abri de digues en terre. La plupart des ponts antérieurs au XVIIe siècle qui subsistent actuellement sont généralement fondés sur le substratum rocheux. Le procédé le plus simple consiste à jeter des pierres dans la rivière pour y constituer des îlots sur lesquels la maçonnerie des piles est édifiée en basses eaux. Ce type de fondations peut conduire à des déplacements et affouillements et nécessite des travaux d’entretien réguliers. Nombre des ouvrages ainsi fondés ont disparu. Néanmoins, quelques ouvrages sur des rivières modestes ont encore été édifiés selon ce procédé au XVIIIe et au XIXe siècle.

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Épuisement dans de grands batardeaux

Fondation sur pilotis dense et grillage (Gautier, 1716)

Radier général

Du XVIIe siècle au deuxième tiers du XVIIIe siècle, les maçonneries des piles sont édifiées dans des emplacements détournés de l’eau et mis à sec par des épuisements ou dans une enceinte protégée par des batardeaux en terre pilonnée. Une crèche avec des pieux garnis d’enrochements est formée autour de chaque pile. Ce procédé difficile d’emploi n’est applicable qu’aux rivières ayant peu de hauteur d’eau pendant l’été, les batardeaux ne pouvant maintenir qu’une faible différence de hauteur d’eau et les outillages rustiques (baquetage, vis d’Archimède, roue à godets…) ne permettant pas des épuisements à grande profondeur. Dans ces enceintes, la fondation est située au plus bas possible pour être sous le niveau de l’étiage et encastrée pour résister aux affouillements. Elle peut être superficielle et reposer sur les alluvions par l’intermédiaire d’un plancher de bois sur des racinaux ou sur un pilotis surmonté d’un grillage de longrines et de traversines. Lorsqu’il n’est pas possible d’enfoncer des pieux dans des sols présentant des galets de trop forte dimension ou dans des sites pouvant être mis à sec par partie en détournant localement le cours du peu d’eau restant l’été ou lorsque les fonds ne sont pas reconnus à grande profondeur, la fondation peut se faire par l’établissement d’un radier général. L’objectif est de créer un fond artificiel en maçonnerie sur toute la largeur du lit, assez solide et étendu à l’amont et à l’aval pour résister aux affouillements.

Fondation sur radier général du viaduc du Pont-d’Ain sur l’Ain (Chaix, 1890)

Encaissement

Fondation par encaissement (Bélidor, 1737)

Pilotis (ancêtre en bois des pieux)

La fondation par batardeaux et épuisement présente parfois des difficultés insurmontables et des dépenses importantes. Pour les éviter, les constructeurs ont cherché des techniques pour fonder dans l’eau à grande profondeur. L’encaissement dispense de mettre à sec l’emplacement de la fondation. La méthode nécessite la construction d’un ponton à fond plat munis de bords verticaux, dont les planches sont calfatées pour assurer leur étanchéité. Ce caisson est maintenu sur site par des guides entre lesquels il peut coulisser. La maçonnerie est édifiée à sec sur le plancher. Le caisson s’immerge au fur et à mesure de la construction et s’échoue sur le fond préalablement dragué. Les hausses du caisson sont ensuite démontées, transportées et remontées sur un plancher pour former un nouveau caisson. Les pilotis ont pendant longtemps été le seul moyen employé pour supporter le poids des édifices sur des terrains qui n’ont pas la solidité nécessaire. Cette technique est basée sur l’expérience que le bois se conserve parfaitement quand il est constamment immergé. Le pilotis est composé d’un grand nombre de pilots de bois enfoncés verticalement dans le sol sur lequel la fondation est établie. L’expérience a guidé les constructeurs sans que les justifications de cette technique soient présentées. Après mise à sec de l’emplacement de plusieurs appuis derrière un très grand batardeau, au droit de chaque pile est établi un massif de pilotis pénétrant dans le sol à une profondeur supposée à l’abri des affouillements. À partir d’une charpente en forme de grillage, les pilots sont battus à l’intérieur des cases. Le nombre de pilots est fixé par la recherche d’une densité aussi importante que le terrain peut en recevoir. S’il y a une hauteur hors sol, celle-ci est consolidée par des enrochements. Recepé au-dessous de l’étiage, le pilotis peut être recouvert ou non d’un plancher de bois sur lequel la maçonnerie est construite. Cette pratique se retrouve sur des ouvrages du XVIIe et jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.

Fondation d’une pile du pont de Blois (extrait des archives, 1716)

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Pilotis et grillage

Fondation sur pilots et charpente bois au XVIIIe siècle (Diderot et d’Alembert, 1751)

Pilotis et caisson échoué

Cette technique a été utilisée depuis l’époque romaine jusqu’à la fin du XIXe siècle pour établir des fondations sur des sols aux faibles propriétés. Au cours du XIXe siècle, son usage s’est réduit notablement avec l’arrivée de nouvelles techniques permettant d’atteindre des horizons portants mais elle est restée très utilisée sur des ouvrages modestes de portée inférieure à 15 m environ, en adoptant un niveau de recépage des pilots proche du niveau d’étiage. Le fonctionnement des pilotis dépend de la nature et des propriétés des sols. Leurs longueurs restent limitées par la longueur des troncs disponibles et par les moyens de battage utilisés à l’époque de leur mise en œuvre. Durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les améliorations portent sur des batardeaux adaptés aux dimensions des appuis, le dragage des sols permettant de descendre le niveau d’assise des maçonneries et un battage des pilots respectant le quadrillage de la charpente. Les pilots recepés plus profondément sont assemblés par tenons et mortaises sur des longrines et des traversines avant d’être recouverts d’un plancher recevant les maçonneries. Lors de la construction du pont Cessart sur La Loire à Saumur en 1756, le batardeau a été remplacé par une caisse parfaitement étanche amenée par flottaison au-dessus du pilotis. L’édification de la maçonnerie de la pile charge progressivement le caisson étanche. Elle produit un enfoncement jusqu’au moment où le caisson vient reposer sur la tête des pieux. Avec la mise au point d’une scie à receper les pilots dans l’eau sous une grande profondeur d’eau (2 à 6 m), l’utilisation des caissons échoués sur des pilotis sera la principale méthode employée pour édifier les piles des grands ponts de franchissement des larges rivières.

Caisson étanche échoué sur des pieux recépés à grande profondeur (crédit : J-P. Levillain)

Pilotis enchâssés dans un massif de béton de chaux Fondation sur pieux bois enserrés dans un massif de béton de chaux du pont de Vouneuil sur la Vienne (extrait des archives, 1878)

Massif de béton de chaux supporté par des pilotis

Exploitant les travaux de Vicat et la mise au point des bétons de chaux hydraulique faisant leur prise dans l’eau, l’emploi des liants hydrauliques change l’art de construire les fondations. La technique des fondations sur pilotis est complétée par l’exécution d’un massif de béton enserrant les têtes des pieux et venant remplacer le contreventement assuré par les enrochements. Cette disposition a pour but d’éviter le déversement latéral des pieux émergeant du fond du lit et de supprimer les risques d’abrasion des pieux. La technique est utilisée à partir de 1814 au pont d’Iéna sur la Seine à Paris (enserrant les pieux, le massif était constitué de sols traités à la chaux vive et non d’un béton de chaux hydraulique) et poursuivie pendant plus d’un demi-siècle jusque vers 1880. À partir du milieu du XIXe siècle, le platelage est supprimé et les pieux recépés juste au-dessus du fond de fouille préalablement dragué. La liaison pile en maçonnerie et pilots de fondation se fait par le béton de chaux coulé dans une enceinte de pieux et palplanches bois. Les deux techniques avec ou sans platelage seront utilisées selon les auteurs des projets jusque vers 1880.

Fondation sur massif de béton de chaux supporté par des pilotis du pont de Dax sur l’Adour (Chaix, 1890)

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Massif de béton de chaux Fondation sur massif de béton de chaux immergé du pont Dumnacus sur la Loire (extrait des archives, 1848)

Caisson sans fond

Fondation par caisson sans fond en partie étanche et non étanche (Chaix, 1890)

Puits blindé ou massif isolé

À partir de 1820, la nécessité des épuisements est réduite voire supprimée. Ainsi, à chaque emplacement d’appui, une enceinte ayant des dimensions légèrement supérieures à celles de la pile est construite au moyen de pieux et de palplanches. Dans cette enceinte préalablement draguée jusqu’au sol résistant et protégée à l’extérieur par des enrochements, un massif de béton de chaux est coulé sous eau au moyen de caisses spéciales. En 1824, Vicat achève la construction du premier pont avec fondations en béton à Souillac. Cette technique sera très utilisée tout au cours du XIXe siècle. Pour limiter les travaux de batardeaux autour des piles de pont, surtout quand la hauteur d’eau est grande, il a été mis au point des caissons sans fond à partir de la fin du XVIIIe siècle, pendant un siècle environ. Sur le fond préalablement dragué et dressé avec soin, une caisse prismatique étanche est réalisée en charpente formant un tronc de pyramide. Ouverte en partie basse, cette caisse munie de bourrelets d’étanchéité et maintenue par des enrochements à l’extérieur permet de travailler à sec. Le terrassement peut y être poursuivi sous le fond du lit et y rechercher un niveau résistant non affouillable quand la nature des sols le permet. L’épuisement étant assuré, la fondation est généralement construite en maçonnerie directement sur le fond du lit. À partir de 1822, la caisse n’est plus étanchée en partie basse mais seulement en partie haute et un béton de chaux hydraulique est immergé. Après prise du béton et épuisement au-dessus du massif, la base de la pile est construite en maçonnerie. À partir du milieu du XIXe siècle, des caissons en tôle seront utilisés tant pour exécuter des fondations isolées que des enserrements des têtes de pieux avec du béton de chaux hydraulique. Utilisé à partir de 1860, ce type de fondation faisant appel aux techniques employées par les puisatiers ou les mineurs nécessite la présence de terrain tendre et peu perméable. Après terrassement des sols de surface et battage de pieux guides, il est mis en place des cadres en bois étrésillonnés et des madriers formant blindage. Le puits est rempli de béton puis de maçonnerie. À partir de 1875, le procédé a fait appel à des puits préfabriqués en surface du sol et havés à l’air libre par terrassement à l’intérieur. Un rouet en bois ou métallique muni d’un couteau en fonte est placé sur le sol, sur lequel la maçonnerie est construite sur une hauteur de 1,50 m environ, puis un second rouet est placé au-dessus et relié au premier par des tiges de fer. Le terrassement s’effectue à l’intérieur de façon à enfoncer l’ensemble. Le puits est édifié au fur et à mesure de l’enfoncement. Cette technique est toujours employée, avec des fûts de béton armé.

Fondation sur puits blindé havé à l’air libre (crédit : J-P. Levillain)

Fondation tubulaire Fondation sur puits blindé havé à l’air libre (crédit : J-P. Levillain)

Cette fondation se compose de tubes de fonte qui, après descente à grande profondeur dans le sol pour limiter le risque d’affouillements, sont remplis de béton. Ces tubes, d’un diamètre de 2 à 4 m ouverts dans leur extrémité basse, sont munis pour leur descente d’un sas à air comprimé. Les déblais à la base du tube sont ensuite retirés. La partie inférieure du tube est remplie de béton. Ce type de fondation a été utilisé à partir de 1851 pendant une dizaine d’années puis abandonné.

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Caisson havé sous air comprimé

Fondation sur caisson havé sous air comprimé (crédit : J-P. Levillain)

1.3.2.2.

Plus économiques et résistants, mieux adaptés aux efforts horizontaux, les caissons perdus diffèrent des fondations tubulaires par la section havée. Le caisson est construit en métal après plusieurs réalisations en maçonnerie. Il comporte une chambre de travail surmontée de hausses métalliques. La chambre de travail présente un couteau à la base et un plafond raidi par une crinoline. Selon les dimensions en plan du caisson havé, la chambre de travail est reliée par une à trois cheminées assurant le passage des ouvriers, l’extraction des déblais puis l’apport des maçonneries ou des bétons de comblement. Les cheminées sont munies d’un sas mettant la chambre en pression pour équilibrer la pression hydrostatique de la nappe. Le terrassement est effectué à sec et le caisson s’enfonce par havage sous le poids des maçonneries édifiées sur le toit de la chambre de travail, entre les hausses. Après comblement de la chambre de travail, et parfois injection, les sas sont retirés, les cheminées démontées et leur emplacement comblé. Des variantes de conception ont été exécutées soit en supprimant les hausses métalliques et en exécutant une maçonnerie ancrée dans la chambre de travail et enduite de mortier sur ses parois extérieures, soit en créant des hausses récupérables en fin de construction par flottaison ou par vérins. En créant des chambres de travail de grande hauteur, l’ouvrage est édifié directement sur les sols à grande profondeur et le caisson comportant une charge amovible est récupéré et déplacé latéralement sur l’ouvrage voisin à construire. Cette technique est aussi répandue pour la construction des barrages sur les rivières ou la base des quais des avant-ports.

Voûtes

Les premières voûtes ont une portée d’une dizaine de mètres et sont de plein cintre. L’évolution de la maîtrise des calculs et des techniques de construction seront à l’origine de l’augmentation des portées par le recours aux voûtes surbaissées ou en ellipse. Les formes géométriques successivement apparues sont :     

plein cintre (Figure 7a), s’il s’agit d’un simple demi-cercle ; elle peut être aussi dite outrepassée si l’on dépasse l’axe du demi-cercle ; en ogive (Figure 7b), pour les ponts du Moyen-Âge ; surbaissée (Figure 7c), s’il s’agit d’un arc de cercle dont le centre est plus bas que les naissances ; en anse de panier (Figure 7d), si elle est constituée d’une succession d’arcs de cercles en nombre impair, chaque centre étant relié à l’autre par une relation géométrique ; la recherche des centres a pour objectif de se rapprocher de l’ellipse (Annales 1839) ; en ellipse (Figure 7e), c’est un prolongement de l’anse de panier avec une meilleure répartition des pressions car il n’y a plus les zones de changement de rayon ;

(a)

(b)

(c)

(d)

(e)

Figure 7 : Type de voûtes : plein-cintre (a), ogive (b), surbaissée (c), anse de panier (d) et ellipse (e) Quelle que soit la forme de la voûte, celle-ci se caractérise par une ouverture, une montée ou flèche et une géométrie. Elle est décomposée en parties : naissance, rein, clé de voûte (Figure 6).

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Les règles de l’art suggèrent que la maçonnerie la plus noble soit gardée pour le bandeau et la douelle. Chacune des parties de l’ouvrage (douelle, bandeaux, murs tympans) peut être constituée de matériaux différents, selon les architectures locales, et donc présenter des caractéristiques mécaniques différentes. Le corps de voûte, le queutage et le remplissage sont constitués de maçonneries moins travaillées. Selon la situation géographique, les voûtes peuvent être construites en brique ou en pierre. Dans le cas d’une construction en pierre, la maîtrise de la stéréotomie et la taille des blocs revêtent une importance capitale et chaque type de pierres a un rôle (cf. section 1.4.1). 1.3.2.3.

Cintre

Le cintre est la pièce maîtresse de toute construction de voûte en maçonnerie. Cette construction en bois est un ouvrage à part entière et nécessite toutes les connaissances et la maîtrise d’un charpentier. D’ailleurs, le vocabulaire de ces ouvrages est issu du monde de la charpente. Quelques exemples de cintres métalliques, ou d’un sous-bandage par tirants métalliques, se retrouvent dans les ouvrages importants de la fin du XIXe siècle. Il existe deux types de cintre :  

fixe, si des appuis intermédiaires peuvent être utilisés entre les deux naissances de la voûte ; retroussé, qui, de par sa forme, reporte les charges de la voûte sur la naissance de la pile ou de la culée. Le cintre doit reprendre la charge de la voûte durant les phases de construction jusqu’au décintrement. Dans les premiers temps, le cintre reprenait l’ensemble de la charge de la voûte d’où un dimensionnement conséquent. En effet, le principe de blocage de la voûte impose une pression entre les blocs de la voûte, obtenue par une charge sur l’extrados de l’ouvrage. Au XIXe siècle, deux techniques de construction ont permis d’alléger le cintre. La première est la construction par couches successives la voûte. Il est alors possible de superposer jusqu’à 3 « rouleaux ». Le premier au contact du couchis servira de complément au cintre pour le suivant, permettant ainsi une réduction de la capacité portante du cintre. La seconde est la définition d’un phasage plus cohérent, permettant de limiter les déformations. Le principe est de construire des parties de voûte dans différentes zones puis de les claver entre elles avec un joint au plomb, permettant le matage des zones laissées libres. De cette manière, le cintre plus souple peut absorber une déformation plus uniforme. Cette technique réduit les risques d’effondrement lors du décintrement. Paul Séjourné est celui qui aura le plus œuvré pour le développement de ces techniques. Il utilisera la maçonnerie en dédoublant la voûte en deux anneaux reliés par un tablier béton (pont des Amidonniers à Toulouse et pont Adolphe au Luxembourg). Le décintrement est la réelle naissance de l’ouvrage, c’est à la fin de cette étape que la voûte est considérée comme portante. Les premiers dispositifs sont rudimentaires et consistent en une pièce à détruire, avec aucun contrôle sur la descente ni aucune possibilité de correction. Puis un coin bois est venu remplacer ce dispositif. La descente est un peu mieux maitrisée mais elle n’évite pas les à-coups du fait des frottements entre les pièces en bois. La boîte à sable et ses variantes demeure la technique la plus favorable du fait de la bonne maîtrise de l’écoulement du sable et donc de la descente. Toutefois, selon les temps de réalisation de la voûte et les conditions météorologiques, des phénomènes d’humidification peuvent rendre le sable moins « coulant ». Des vérins à vis seront aussi utilisés dans les derniers temps. Ces derniers offrent la possibilité de compenser un décalage durant la descente. 1.3.2.4.

Tympans et remblai

Le tympan désigne le mur situé entre l’extrados de la voûte et la plinthe. Extérieurement rien ne différencie un mur tympan d’un mur de soutènement. La vocation des deux est de retenir le matériau à l’arrière afin d’assurer le maintien du remplissage de la chaussée. Toutefois, dans les ouvrages conséquents les murs tympans cachent des ouvrages aussi importants. En effet, afin de limiter le poids au sol et la consommation de pierres, des voûtes, transversales ou longitudinales, peuvent être réalisées dans le corps même de l’ouvrage ou de la pile. De plus, il existe des voûtes de décharge ou d’élégissement permettant respectivement d’améliorer le passage des eaux en cas de crues ou de réduire le poids sur les arcs. Les derniers ouvrages utilisent des pilettes intermédiaires pour reporter la charge depuis la chaussée vers la voûte. Ces pilettes sont appuyées sur une zone de la voûte sur une forme géométrique particulière en tas de charge.

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1.3.2.5.

Superstructures

Une chape d’étanchéité est réalisée sur l’extrados de l’ouvrage. Pour les ouvrages les plus modestes, la réalisation d’une chape d’environ 5 cm au mortier de chaux est préconisée. Sur des ouvrages anciens, les chapes pouvaient être constituées d’une couche d’argile. Les ouvrages de plus grande dimension sont réalisés avec une chape d’asphalte revêtue d’une contre chape en béton. L’eau est recueillie dans un drain central dont l’évacuation se fait au-dessus du rein de la pile par le biais de gargouilles. Les premiers ponts présentent une chaussée en dos d’âne, la circulation se faisant directement sur la maçonnerie de la voûte. Avec l’évolution de la technique de construction des voûtes et pour garder un profil plus cohérent avec le reste de l’itinéraire, le recours à un corps de chaussée et un empierrement spécifique ont permis l’amélioration du confort. Si dans les premiers temps de la construction, l’ouvrage d’art n’est considéré que comme un moyen de communication, ils se sont avec le temps transformés en œuvre d’art. La période du XVIe au XVIIIe voit apparaître de nombreuses améliorations esthétiques. Les bahuts des parapets, des avant-becs, les chaperons et les chapiteaux font l’objet d’attentions particulières. Les voussures ou les cornes de vaches, en permettant le passage des embâcles, sont aussi un moyen d’alléger le visuel du pont.

1.4.

Matériaux constitutifs de la maçonnerie

1.4.1.

Les pierres de construction

Les pierres de construction sont très fortement dépendantes de leur origine géologique. Par conséquent, l’identité architecturale des ouvrages en maçonnerie est étroitement liée à la qualité des roches trouvées et extraites localement. La qualité des pierres de construction peut varier d’un gisement à l’autre, voire au sein d’une même carrière. Les bassins sédimentaires (parisien, aquitain et rhodanien) sont les domaines des calcaires et des grès. Dans les massifs cristallins (massif armoricain, Vosges, Alpes, Pyrénées, Massif Central, Provence et Corse) dominent les granites et les roches métamorphiques (gneiss, micaschistes, schistes). Les roches se classent en trois grandes familles : sédimentaires, magmatiques et métamorphiques. Les roches sédimentaires sont formées par dépôts issus de l’érosion à la surface de la terre ou sous les mers et les océans. Les plus courantes sont les calcaires (roches carbonatées) et les grès (roches détritiques). Les roches sédimentaires, selon leur diagénèse, présentent des caractéristiques variées quant à leur masse volumique et leur porosité, induisant des comportements hétérogènes du point de vue de la mécanique, du transfert des fluides (perméabilité) ou de la résistance aux actions climatiques comme le gel. Les roches magmatiques (dites aussi éruptives ou ignées) sont formées par cristallisation et issues des couches les plus profondes de la croûte terrestre. Les granites et les basaltes sont parmi les plus courantes. Les granites, constitués de cristaux, sont des roches dures, difficiles à tailler, de porosité faible. Les basaltes et les roches volcaniques sont des roches grises à noires. Ils sont denses, durs, peu poreux et présentent une bonne résistance à l’altération. Les roches métamorphiques ont subi des transformations sous l’effet de la température et de la pression. Elles sont classées en fonction de leur débit et de leur texture (orientée ou non). Les schistes, ardoises, micaschistes ont un débit en feuillet, alors que les gneiss ont un débit difficile. Les marbres ou les quartzites sont des roches métamorphiques non orientées sans porosité. Les propriétés physiques du marbre sont régulières : densité moyenne, du fait d’une porosité faible, résistance mécanique élevée, résistance au gel. 1.4.1.1.

Approvisionnement en matériaux

Lors d’opérations de restauration, notamment lorsque le projet exige de restaurer avec une pierre identique à celle d’origine, des difficultés d’approvisionnement en pierres neuves peuvent subvenir. La notion de compatibilité prend ici tout son sens, car l’utilisation d’une pierre différente de la pierre d’origine peut provoquer un déséquilibre dans la maçonnerie : la pierre neuve ayant une porosité différente de celle de la pierre ancienne, les transferts d’humidité, notamment l’évaporation, vont se produire préférentiellement dans les pierres anciennes ce qui peut entraîner une altération accélérée. Du point de vue de la ressource, le cas de figure le plus simple se présente lorsque la carrière existe encore. Dans le cas, où la carrière d’origine a disparu, il faut rechercher une pierre de la même formation géologique aux propriétés physiques comparables et qui est encore exploitée. En cas de gisement épuisé, il est nécessaire de rechercher une pierre de substitution dans une autre formation géologique.

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1.4.1.2.

Taille

Avant extraction, la pierre de construction est une roche placée dans un environnement particulièrement stable (température, pression…). L’exploitation de la roche va entraîner de nombreuses modifications des conditions d’environnement. Une fois le gisement sélectionné par le carrier, l’extraction des blocs de pierre de taille va s’effectuer à l’aide de différents procédés en fonction de la configuration du gisement, de la nature de la roche, de la fracturation (ou discontinuité du massif) et la destination des blocs. Le procédé par perforation puis explosion est régulièrement utilisé pour les roches dures. Les masses obtenues sont refendues en blocs plus aptes à la manutention. Certaines techniques d’exploitation font appel au sciage à l’aide d’outils diamantés. Extraite de son environnement géologique, la pierre voit son épiderme se modifier notamment par l’apparition d’une patine (changement de couleur ou de texture) sans modification de la forme mais avec modification des caractéristiques mécaniques en surface. Ce phénomène se produit également sur les pierres en œuvre. Dans le cas des pierres calcaires, la littérature décrit cet épiderme protecteur sous le nom de calcin. L’atelier de taille permet de produire des éléments dans les dimensions et les finitions voulues. À l’aide du plan de calepinage, le tailleur de pierre prépare l’appareillage (Figure 8) puis réalise la taille pour obtenir la forme définitive des éléments. Dans le cas d’utilisation de moellons pour les maçonneries courantes, la taille grossière est réalisée par le compagnon maçon au pied de l’ouvrage.

Figure 8 : Exemples d’appareillages issus de Rondelet (1802) Les pierres peuvent être classées en fonction de leur rôle et de leur taille :    

pierre de taille : finement élaborée et réservée aux parties nobles de l’ouvrage ; moellons d’appareils : servent principalement aux zones d’angles de l’ouvrage ; moellons d’assises ou équarris : de dimensions plus petites, plutôt réservés aux douelles, parapets, parements, avec trois niveaux de finesse de taille du parement selon l’outil utilisé (piqués, smillés ou tétués) ; moellons bruts ou ordinaires : tel que sortie de l’extraction, au mieux tétué, plutôt réservés pour le remplissage ou les queutages ;

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libage : pierre de bonne qualité de grandes dimensions fortement sollicitée en compression ou aux chocs. 1.4.1.3.

Les caractéristiques des pierres

Une bonne connaissance des matériaux disponibles en carrière permet de sélectionner les qualités de pierre adaptées à l’élément de l’ouvrage à construire. L’ensemble des caractéristiques physiques (masse volumique et densité, porosité, résistance en compression…) ont une incidence sur leur comportement dans l’ouvrage vis-àvis des interactions avec l’environnement. Une pierre de construction doit présenter un certain nombre de qualités :  une bonne résistance mécanique (résistance à la compression) ;  des grains fins (taille) ;  une texture compacte et homogène ;  une bonne adhérence au mortier ;  une bonne résistance aux intempéries : porosité, capillarité, gélivité ;  une bonne résistance à l’usure (charriage solide des cours d’eau). La porosité p, associée à la masse volumique [NF EN 1936], est un paramètre important qui renseigne sur les possibilités de mouvement de l’eau à travers les pierres et qui permet d’évaluer la durabilité d’une pierre d’œuvre. À la porosité, il faut associer la notion de capillarité, qui correspond aux phénomènes de remontée d’eau dans les maçonneries. Cette propriété est fortement dépendante de la taille des pores : ainsi les pores de grandes dimensions (mm) ont pour effet de limiter le phénomène d’imbibition, à l’inverse les pores de petites dimensions (µm) vont faciliter le cheminement de l’eau à l’intérieur de la pierre. La capillarité peut être un critère de choix pour l’utilisation d’une pierre (corniche, socle…). La dureté superficielle d’une pierre est caractérisée par l’essai de la rayure. Le principe de mesure est de déterminer la largeur d’une rayure faite par un outil en acier qui se déplace sur la pierre. Cet essai permet de caractériser la dureté des pierres (0,5 mm pierre dure à 3,5 mm pierre tendre) en mesurant la cohésion de surface entre les grains. L’échelle technique de dureté donne des indications sur la difficulté de taille d’une pierre donc sur son prix de revient. Les caractéristiques mécaniques d’une pierre sont fonction de sa pétrographie, de sa texture, de sa porosité et de sa masse volumique. Les principaux paramètres associés sont : 

la résistance en compression Rc (en MPa), qui doit être compatible avec les charges à supporter ; en laboratoire et sur ouvrage, les efforts sont toujours transmis perpendiculairement au lit de carrière [NF EN 1926] ;  la résistance en traction Rt (en MPa), qui permet de dimensionner les éléments en pierre soumis à des tensions par flexion (marches, linteaux, corniches) ; elle peut être déterminée par un essai de traction directe [NF P94-422] ou plus aisément par un essai de flexion 3 points [NF EN 12 372] ;  le module d’élasticité E (en MPa), qui caractérise les déformations admissibles par la pierre sous l’effet du chargement dans le domaine élastique ; il peut être déterminé lors d’un essai de compression [NF EN 14580]. Des corrélations existent entre certaines caractéristiques des roches, ce qui facilite la détermination des paramètres à partir d’essais non destructifs.

1.4.2.

Les briques de terre cuite

La construction en briques de terre cuite s’est développée dans les localités où la pierre de construction n’était pas naturellement présente dans le sol, ou difficilement extractible, et où la nature argileuse du sol convenait parfaitement à la fabrication des briques. Partout en Europe, jusqu’au XVIIIe siècle, les briquèteries sont le plus souvent des entreprises familiales de petite taille disséminées en grand nombre dans les territoires de production et de construction. Au XIXe siècle en France, à l’exception du Midi toulousain, la production de briques s’industrialise, se centralise, s’automatise et aboutit à une uniformisation du produit « brique », de son format, de sa couleur et de ses performances mécaniques. Le format des briques dites « du Nord » (Figure 9) est caractérisé par une longueur égale au double de la largeur, elle-même égale au double de l’épaisseur (environ 22 x 11 x 5 cm pour la brique pleine). Ce format permet une grande diversité d’appareillages avec alternance de poses en boutisse et panneresse.

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Au contraire, dans le Sud-Ouest de la France, et en particulier dans la région de Toulouse, les techniques héritées des romains se maintiennent (Nègre, 2001). Au XIXe siècle, l’activité reste artisanale mais se mécanise progressivement. Les premières machines reproduisent le geste manuel qui consiste à comprimer une motte de terre dans un moule, en conservant le format traditionnel (Domède, 2004). Ces briques, dites « foraines », sont de grand format (Figure 10). Les dimensions sont variables selon les ouvrages, imposées par les cahiers des charges des constructeurs, mais marquées par un rapport longueur/largeur d’environ 2/3 : par exemple 42 x 28 x 5 cm ou 35 x 25 x 4,5 cm. Elles peuvent être taillées. Ce n’est qu’au XXe siècle, soit après la fin de la construction des ponts en maçonnerie, que l’industrialisation réelle s’impose en Midi toulousain. Quelques briquèteries continuent cependant à fabriquer des briques moulées « à l’ancienne » utilisées aussi bien pour la construction neuve que pour la rénovation du bâti ancien.

Figure 9 : Détail de maçonnerie de briques dites « du Nord » (crédit photo : N. Sabir)

Figure 10 : Détail de maçonnerie de briques foraines en région toulousaine (crédit photo : N. Domède)

Les caractéristiques mécaniques des briques de terre cuite dépendent évidemment de leur procédé de fabrication. La brique du Nord industrielle du XIXe siècle a sensiblement les mêmes caractéristiques que la brique pleine extrudée d’aujourd’hui, puisque la composition, le mode de façonnage et de cuisson sont quasi identiques. Par contre, pour la brique foraine, ses performances doivent être évaluées à partir de prélèvements sur ouvrages ou bien à partir de briques actuelles moulées à l’ancienne, en gardant à l’esprit cependant que le mode de cuisson a changé. Au sortir du four « auvent » du XIXe siècle, les briques d’une même fournée avaient des degrés de cuisson divers, matérialisés par des variations de couleur. Les caractéristiques mécaniques des briques foraines anciennes sont donc marquées par une forte dispersion et une forte anisotropie. Le comportement des briques neuves moulées à l’ancienne peut être considéré comme orthotrope, avec une contrainte de rupture de 22 MPa dans le plan des briques et 14 MPa perpendiculairement au plan des briques (Domède et al., 2009). Comme pour tous les matériaux anciens, il faut garder à l’esprit que les matériaux, sur site, ont vieilli et ont pu s’altérer (Nègre, 1998). L’emploi des briques peut représenter tout ou partie de l’ouvrage (appui, voûte, tympan) ou seulement des éléments de parement de protection des maçonneries internes en moellon ordinaire tendre et altérable. Souvent la brique est associée à des chaînages et des bandeaux en pierre dure, qui améliorent la construction dans les zones où les efforts sont plus importants.

1.4.3.

Les mortiers

Les mortiers sont des matériaux permettant le hourdage des maçonneries. Ils sont constitués de sable naturel, de liants et d’eau. Il y a principalement trois types de mortiers : les mortiers à base de chaux, les mortiers à base de ciment et les mortiers bâtards, constitués d’un mélange de chaux et de ciment. Les liants utilisés dans la fabrication des mortiers sont issus de la calcination de roches naturelles calcaires contenant plus ou moins d’argile :  sans broyage pour les chaux naturelles ;  par broyage mécanique pour les ciments naturels. Il existe deux catégories de chaux : 

les chaux aériennes :  grasses, issues des calcaires les plus purs et utilisées pour des mortiers destinés aux maçonneries épaisses ou maçonneries enterrées ;

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maigres, contenant des argiles en faible quantité ;



les chaux hydrauliques contenant des calcaires en proportions variables et utilisées sous l’eau ou pour des travaux exposés à l’humidité. Les mortiers de chaux sont les mortiers traditionnels utilisés depuis l’époque romaine (l’ajout de pouzzolane permet de fabriquer du « ciment romain »). Avant 1820, les mortiers étaient à base de chaux aérienne plus ou moins hydraulique et hydrolysée avec du tuileau écrasé (Figure 11). Ces chaux, utilisées en partie émergée des ouvrages pour constituer le corps de la maçonnerie, sont souvent très résistantes. Elles étaient appelées « ciment » au XVIIIe siècle. Elles ont été utilisées jusqu’à la fin du XIXe siècle comme mortier de hourdage des moellons dans le corps des ouvrages pour des raisons économiques. À partir des années 1820, la fabrication de la chaux hydraulique s’industrialise, surtout celle du ciment artificiel (introduit par Vicat), qui présente l’avantage de faire prise plus rapidement. En effet, ces nouveaux liants permettent de décintrer les voûtes après quelques semaines de séchage au lieu de six mois à un an avec les chaux aériennes. Le ciment Portland fait son apparition à partir des années 1850, surtout dans les ouvrages maritimes à la suite de désordres apparus dans de nombreux quais portuaires à cause des chaux hydrauliques. Il est d’abord employé avec parcimonie dans les ponts et très peu dans les murs de soutènement, pour réaliser les joints sur les parements, alors que le mortier de hourdage reste à base de chaux hydraulique ou de chaux hydrolysée par du tuileau écrasé. Son coût élevé, dû à sa fabrication à haute température par rapport à une chaux, freine son usage. Puis à la fin du XIXe siècle, le ciment, aux propriétés mécaniques plus élevées par rapport à la chaux, s’impose dans les régions les plus industrialisées. Les chaux et les ciments cohabitent de 1850 à 1920, fin de la construction des ponts en maçonnerie. Le passage de la chaux au ciment s’est fait à différentes époques selon les régions et les pays. Par exemple, dans le Sud de la France, la chaux reste présente dans les cahiers des charges de construction, et notamment la chaux du Teil, jusqu’à la seconde guerre mondiale. Lors de l’étude d’un pont, il convient donc de s’assurer, au cas par cas, de la composition des joints de mortiers, en fonction de la région, de l’année de construction et de la nature des blocs.

Figure 11 : Mortier de hourdage à la chaux hydrolysée par du tuileau écrasé du viaduc de Cubzac de 1836 (crédit photo : J-P. Levillain)

1.4.4.

La maçonnerie

La maçonnerie est un matériau composite constitué de l’assemblage de blocs plus ou moins résistants, liaisonnés et calés à l’aide d’un mortier ou non. Le rôle du mortier est primordial dans le fonctionnement mécanique de la maçonnerie. Si sa résistance à la traction est faible, il détermine le comportement global de la maçonnerie, grâce à l’effet de confinement et à l’adhérence de l’interface. Lorsque la maçonnerie ne constitue qu’un parement, elle ne travaille pas à la reprise des efforts internes mais a un rôle de protection contre les chocs et surtout contre l’eau et les pollutions. Dans une recherche permanente d’économie de construction, sur nombre d’ouvrages, le parement participe néanmoins à la reprise d’une partie des efforts.

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Constituée de géomatériaux au comportement quasi-fragile, la maçonnerie présente des propriétés particulières. Assemblage de blocs « articulés » entre eux par les joints de mortier, la maçonnerie accepte de légers mouvements et présente une grande faculté d’adaptation ; c’est le grand nombre de joints qui confère à l’ensemble un comportement très tolérant vis-à-vis des déformations. En revanche, la maçonnerie ne résiste pas ou très mal aux efforts de traction. Elle est de nature constituée pour résister essentiellement aux efforts de compression. La forme des pierres dans les appareillages et la forme des moellons hourdés au mortier au sein du corps de l’ouvrage ont une influence sur la résistance globale de la maçonnerie. Plus les variations d’épaisseur de mortier sont importantes, moins la maçonnerie est résistante. Une maçonnerie de moellons bruts aura généralement une résistance plus faible par rapport à une maçonnerie de moellons assisés équivalente. Le Tableau 1 donne un ordre de grandeur des valeurs attendues des caractéristiques physiques et mécaniques des matériaux constitutifs de la maçonnerie. Il montre ainsi la très grande variabilité des paramètres. Une étude approfondie des caractéristiques des matériaux est donc nécessaire avant tout calcul. Tableau 1 : Caractéristiques physiques et mécaniques indicatives des matériaux couramment utilisés dans la construction en maçonnerie

1.5.

d

p (%)

Rc (MPa)

E (GPa)

Calcaire

1,3-2,8

1-20

5-250

7-100

Grès

2,0-2,7

1-25

30-200

6-60

Granite

2,4-2,8

0,1-5

30-300

10-80

Basalte

2,2-3,0

-

80-400

20-120

Schiste

1,8-2,8

0,5-10

20-150

10-50

Brique

1,4-2,3

-

5-70

1-20

Mortier de chaux

-

-

2-14

-

Mortier de ciment

-

-

10-30

-

Fonctionnement des ouvrages en maçonnerie

1.5.1.

Raideur et ductilité des maçonneries

La raideur est la propriété que va avoir l’ouvrage à se prêter à des efforts dès qu’intervient une petite déformation. La ductilité (ou tolérance) est la capacité des matériaux à se déformer plastiquement sans se rompre. La fragilité est le contraire de la ductilité. Pour les ouvrages en maçonnerie, l’appréciation est fonction de plusieurs éléments :    

la qualité de la pierre : par sa résistance en compression et par son homogénéité ; la nature du liant : un mortier de chaux est plus tolérant qu’un mortier à base de ciment ; l’épaisseur des joints : la ductilité de l’ouvrage est plus importante si les joints sont plus épais ; l’appareillage des pierres : une maçonnerie de moellon est plus tolérante qu’une maçonnerie de pierre de taille ;  la forme de l’élément maçonné : dans la manifestation de la raideur, selon qu’il est plus massif ou plus élancé. Il en résulte toute une gamme de maçonneries aux caractéristiques variées. Les parements de pierre de taille à joints minces sont relativement raides et fragiles et peuvent masquer une maçonnerie de moellons aux joints épais de mortier de chaux qui est tolérante. Le mur ancien du XIVe siècle de la Figure 12 illustre ce défaut de construction, avec deux parements de pierres assisées enserrant un remplissage sans avoir prévu de boutisses, ce qui peut le rendre fragile.

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Figure 12 : Mur du XIIe siècle comportant une fourrure de pierres assisées et un remplissage de moellons (crédit photo : J-P. Levillain) Les maçonneries de moellons hourdées au mortier de chaux sont susceptibles de subir de légers mouvements sans dommage apparent. Au contraire, des maçonneries hourdées au mortier de ciment fissurent rapidement s’il y a déformation. Ces deux types de maçonnerie sont capables d’assurer un report des charges dans de bonnes conditions. De nombreux ouvrages en maçonnerie sont fissurés sans que l’on puisse mettre en évidence des déformations dans leur géométrie ou des déplacements. Ces ouvrages présentent un bon comportement structurel et ne sont pas pathologiques. Ils réagissent aux phénomènes thermiques et aux mouvements des sols sans pour autant présenter des déformations critiques. Sur les ouvrages voûtés, de fines fissures longitudinales parallèles à l’axe de la voûte traduisent très souvent un comportement tout à fait normal sous les actions des gradients thermiques, sous les petits déplacements des appuis ou sous les actions des charges selon la nature de l’ouvrage. La maçonnerie n’est pas un milieu homogène à l’échelle de l’analyse. Des fissures en parement peuvent provenir des différences de constitution de celui-ci. Un parement peut être constitué de petits moellons dans des zones courantes, limitées par des chaînages formés de larges pierres de taille. Les matériaux sont d’origines différentes et les mortiers sont présents en grande proportion dans les zones courantes et très peu dans les chaînages. Ces variétés de matériaux et de constitution conduisent à des propriétés mécaniques internes très différentes et donc à des comportements variés, pouvant se traduire par une fissuration fine entre les zones courantes et les chaînages. Un ouvrage en maçonnerie sans déformation et sans fissure présente un très bon comportement apparent, sous réserve de vérification de ses fondations et du comportement des sols environnants.

1.5.2.

Signatures pathologiques des ouvrages en maçonnerie

Les ouvrages en maçonnerie sont des ouvrages massifs. Ils peuvent présenter des pathologies de fissuration, conséquences des déplacements de grands éléments de leurs structures et de déformations locales. Les grandes déformations se repèrent dans la géométrie générale et locale de l’ouvrage par des modifications des alignements et des planéités et par des anomalies dans la géométrie des voûtes. Ils diffèrent en cela des ouvrages en béton. Les ouvrages en béton (armé et précontraint) sont caractérisés par :  

leurs fondations en béton, superficielles ou profondes, généralement rigides, largement dimensionnées et sans déplacement sensible sur le court et le long terme ; leurs structures minces eu égard aux efforts à reprendre ; les contraintes de compression et de traction à reprendre justifient les dimensions des sections des éléments structurants en exploitant au maximum les propriétés du matériau utilisé.

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Les signatures pathologiques des ouvrages en béton portent essentiellement sur une fissuration sans déformation sensible, puis sur l’état des matériaux. Ces deux points essentiels dans la recherche du comportement de ces ouvrages orientent les procédures d’exécution des examens visuels. Ces examens doivent se faire à proximité physique de l’ouvrage, au plus près du parement, pour rechercher des fissures fines, avec des ouvertures de quelques dixièmes de millimètres. La fissuration signifie très souvent un endommagement de la structure par défaut de matière ou par excès de charge dans la zone concernée. Les déformations de la structure sont très souvent non détectables à l’œil alors que l’endommagement peut être bien présent. Les ouvrages en maçonnerie de tous types se distinguent quant à eux par : 

leurs fondations, qui peuvent être fragiles, parfois sous dimensionnées et sensibles aux mouvements naturels des sols ; elles peuvent présenter des défaillances éventuelles provoquées par les agressions dues à l’eau ;  leurs structures très massives ; le mode de construction est assuré à partir d’une infinité de petits blocs ne travaillant qu’en compression sous des contraintes généralement de valeur modeste, les joints et les assemblages des moellons leur conférant une forte ductilité. Ces ouvrages présentent une certaine souplesse et fonctionnent bien dans un état fissuré, ne serait-ce que par les petits déplacements provoqués par les phénomènes thermiques ou par les petits mouvements des appuis et des fondations. Localement, des excès de compression vont se traduire par des éclatements de la maçonnerie. Les ouvertures des fissures d’origine thermique se situent dans les zones non comprimées. Elles atteignent des ouvertures de l’ordre du millimètre, voire du centimètre sur des grands ouvrages, à observer sur les parapets ou les tympans par exemple. Les mouvements naturels des sols et des fondations, parfois sous dimensionnées et sensibles aux variations de niveau des nappes et aux variations de leur encastrement dans le sol, peuvent être source de pathologies. La signature pathologique et essentielle des ouvrages en maçonnerie est à rechercher en premier lieu dans les déplacements et dans les déformations de leur géométrie générale et locale, comme illustré dans les exemples ci-après. Cette recherche des déformations est caractéristique des ouvrages en maçonnerie et les distingue des ouvrages en béton pour lesquels c’est d’abord l’état de fissuration qui est examiné. Sur l’ouvrage à trois arches en Figure 13, la chute de la pile rive droite a entraîné la déformation dans la courbure régulière de la voûte centrale et la cassure de cette voûte en deux grands voussoirs. Les deux grands voussoirs ainsi formés restent monolithiques, sans déformation propre. Des déplacements d’appuis entraînent un allongement de la courbe d’intrados (ou un raccourcissement si les appuis se rapprochent) et une rupture de la voûte en deux grands blocs de voussoirs (Figure 14).

Figure 13 : Ruine d’un pont par la chute de la pile rive droite (crédit photo : J-P. Levillain)

Figure 14 : Déplacement latéral de la culée et décomposition de la voûte en deux grands blocs de voussoirs (crédit photo : C. Levillain)

La Figure 15 montre un soutènement très déformé, construit en 1885 et présentant un très grand déplacement de 1,20 m en zone centrale. Il a été restauré en 1887, en conservant sa déformation et en substituant le remblai soutenu par une grosse grave sèche ayant un rôle de réducteur de poussée. Il est resté en usage jusqu’en 1995.

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Figure 15 : Déformée d’un mur de soutènement présentant une avancée de 1,20 m en zone centrale (crédit photo : J-P. Levillain)

1.5.3.

Procédures d’observations des ouvrages en maçonnerie

Sur un ouvrage en maçonnerie, l’observateur devra d’abord rechercher les grandes et petites déformations visibles. Ce sont les déformations dans sa géométrie qui vont traduire sa signature pathologique et, par analyse avec d’autres éléments, contribuer à la recherche de l’origine des défauts. La fissuration n’est que la conséquence des déformations. La recherche des fissures et leur relevé viendra compléter et confirmer les directions des déplacements et traduire l’origine des défauts relevés dans la géométrie. Au cours de l’exploitation des relevés, une analyse de la cohérence entre les déplacements observés sur différents éléments et les positions et les formes des fractures doit être entreprise pour orienter la recherche de l’origine des désordres. Il est donc nécessaire de commencer par réaliser des observations d’ensemble de la structure pour la comprendre et rechercher les déformations apparues sur de grands éléments, dans une voûte ou plus localement sur des appuis pour analyser son comportement. La recherche des fissures ou des fractures pathologiques traduisant ces déplacements ne doit intervenir que dans un second temps. C’est l’objet de la procédure du relevé spécifique préparatoire au diagnostic développé dans le Chapitre II.

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CHAPITRE II.

DÉMARCHE DE DIAGNOSTIC

Le terme diagnostic vient du grec et il signifie « connaissance ». Le diagnostic est la partie de la médecine qui consiste à déterminer l’affection dont souffre un patient. Il nécessite de connaître les maladies et de savoir les distinguer les unes des autres. C’est une démarche scientifique d’analyse et de synthèse. De même sur les ouvrages de génie civil, le diagnostic consiste à dresser l’état des connaissances relatives à l’ouvrage, à connaître les pathologies propres à sa structure et à son environnement pour les distinguer, en déterminer les causes et pouvoir les traiter. Comme en médecine, les difficultés se présentent dans l’établissement du diagnostic en raison de la multiplicité des anomalies apparentes, de l’insuffisance de renseignement, de l’attention à porter à l’analyse. Le seul moyen est de procéder avec une scrupuleuse exactitude et de ne négliger aucune présence d’anomalie, si incohérente qu’elle paraisse dans l’analyse initiale. Le diagnostic, par la culture des connaissances des ouvrages anciens et une analyse basée sur la compréhension des comportements des structures, permet d’identifier les causes des désordres et de définir le traitement objectif d’un grand nombre de pathologies sur ouvrages d’art, dont les ouvrages en maçonnerie. Ce travail nécessite la présence effective de 4 acteurs : le Maître d’Ouvrage, son assistant (AMO), les laboratoires en charge des investigations et reconnaissances spécifiques par domaine de spécialité et le bureau d’études compétent en calculs de structure. Le rôle de ces acteurs et leur collaboration sont essentiels pour mener à bien la démarche. Ils doivent être complémentaires, disposer des compétences en matière d’ouvrages en maçonnerie et avoir une bonne connaissance des deux approches : laboratoire (matériaux, géologie, géotechnique ; instrumentation, auscultation) et bureau d’études (calcul et comportement des structures). Ils consolident, interprètent et valident les résultats de la démarche pour atteindre les objectifs de la maîtrise d’ouvrage, dans le cadre de l’établissement du diagnostic-pronostic. La démarche de diagnostic est présentée de manière globale en Figure 16 et détaillée dans ce chapitre. Elle n’a pas vocation à se substituer au référentiel technique général de gestion des ouvrages d’art que constitue de l’Instruction Technique pour la Surveillance et l’Entretien des Ouvrages d’Art (Sétra, 2010) et apporte des précisions sur son application spécifique au cas des structures en maçonnerie.

2.1. Diagnostics de comportement et d’état, risques encourus, pronostic 2.1.1.

Sept connaissances préparatoires au diagnostic

L’établissement du diagnostic d’un ouvrage a pour objet de déterminer le niveau de stabilité vis-à-vis du comportement de l’ouvrage et les sécurités vis-à-vis de l’usager, de préciser leur évolution probable et d’apprécier l’état et les risques encourus avec leurs origines. La démarche permettant d’accéder aux différentes approches nécessite d’effectuer la synthèse puis l’analyse de tout ou partie des connaissances regroupées selon les sept rubriques suivantes. La connaissance de l’ouvrage permet d’identifier l’ouvrage par son nom, son âge (en observant l’ouvrage pour identifier sa période de construction), son histoire, sa géométrie et son environnement, y compris au-delà de son périmètre d’influence. L’ouvrage n’est pas isolé. Ce sont également les sols au pourtour, la rivière avec son régime d’écoulement et de variation du niveau d’eau, c’est-à-dire l’environnement de l’ouvrage. L’ouvrage doit être connu par sa fonction dans le site, par son rôle social et ses usages.

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Demande du MOA

I Identification structure, fondation, environnement

Dossier d’ouvrage [§2.2] • • •

Plans, levé topographique [§2.2.2] Historique de construction et de service [§2.2.3] Précision des fonctions d’usage [§2.2.4]



Recherche de la géométrie et des désordres d’ordre géométrique [§2.3.1] Recherche de fissures et fractures structurelles [§2.3.2] Examen et recherche des désordres dans les environnements [§2.3.3] Observation de l’état apparent des matériaux [§2.3.4] Recherche de désordres dans les apparaux [§2.3.5]

Relevé préparatoire aux diagnostics [§2.3]

II Relevés sur site

• • • •

DIAGNOSTIC DE NIVEAU 1

III

Inspection subaquatique et levé bathymétrique [§2.4.4]

Relevé subaquatique

DIAGNOSTIC DE NIVEAU 2

IV Auscultation, instrumentation, recalcul

• • • •

Auscultation externe [§2.4]

Auscultation interne [§2.5]

Géologie • Hydraulique, affouillement • Mise à sec Dégarnissage localisé

Radar Sondage carotté, forage, essai

Instrumentation [§2.6]

V Analyse, interprétation

Recalcul structurel [Ch. III]

Analyse, synthèse, préparation au diagnostic [§2.1.1] Connaissances ouvrage, historique et patrimoniale, matériaux constitutifs, usage, comportement et pathologies de la structure et des fondations, hydraulique et affouillement

DIAGNOSTIC DE NIVEAU 3

VI Diagnostic

Diagnostic de comportement des fondations et des structures Diagnostic d’état des matériaux Stabilité de l’ouvrage ? Service vis-à-vis de l’usager ? Pérennité de l’ouvrage ? Risques encourus ?

Des investigations complémentaires peuvent être nécessaires

Figure 16 : Logigramme de la démarche de diagnostic

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La connaissance historique et patrimoniale, doit permettre de retrouver en partie ou en totalité les plans, les modes de construction, les images anciennes (comme les cartes postales), les incidents de parcours, les traitements déjà effectués et de reconstituer l’histoire des désordres. Cette enquête est indispensable, peu coûteuse, toujours intéressante et apporte le plus souvent des éléments instructifs et très utiles pour la suite des opérations, surtout si l’ouvrage est classé ou inscrit à l’inventaire des monuments historiques. La compréhension de l’évolution historique des techniques de construction des fondations et des structures comme les recherches et les expériences sur les liants (la chaux avec ajout de tuileau écrasé ou plus tard le ciment) ou les améliorations des techniques de construction des fondations et des structures est indispensable. La connaissance des matériaux constitutifs examine en particulier la nature et l’origine des différents matériaux constitutifs, leur identification, leur état apparent, leurs propriétés mécaniques et leur altération. Elle permet d’intervenir avec des techniques et des matériaux compatibles entre eux. La connaissance de l’usage est apportée par le gestionnaire qui doit s’assurer du respect des règles d’usage et que les sécurités sont assurées pour les usagers. Elle est complétée par la fonction stratégique de l’ouvrage dans la socio-économie locale ou générale. La connaissance du comportement structurel de l’ouvrage et de ses pathologies permet de dresser un diagnostic préparatoire à l’étude du comportement structurel sur les ouvrages. Il s’agit, à partir d’un relevé spécifique, d’analyser les informations recueillies sur site et regroupées en trois thèmes principaux : géométrie, fissure et environnement. Ces thèmes sont à parcourir successivement et indépendamment les uns des autres. La connaissance de la typologie de fondation, de leur comportement et des pathologies associées nécessite, après avoir daté l’ouvrage, de savoir comment ont été construites les fondations à cette époque et dans cette région. Elle s’appuie également sur des inspections subaquatiques, des levés bathymétriques et de l’auscultation externe. Elle doit permettre d’évaluer leur capacité à reprendre les charges grâce à une auscultation interne avec sondages carottés et essais. C’est un élément fondamental du diagnostic car elle permet de justifier de la portance et des tassements à venir des fondations ou de préciser des faiblesses dans les propriétés mécaniques des sols. La connaissance des conditions hydrauliques et des affouillements dus à l’écoulement au droit des appuis du pont, permet d’identifier le comportement morphologique du lit et les situations à risque. Souvent, sur de petits ouvrages, une observation attentive du lit et l’utilisation d’une perche apportent une base suffisante d’appréciation des risques. L’exploitation d’une instrumentation vient compléter, préciser et vérifier en tant que besoin la connaissance sur le comportement de l’ouvrage et de ses fondations. Pour obtenir l’ensemble des connaissances précitées, il y a lieu d’exploiter le dossier de l’ouvrage, d’effectuer le levé complet avec prise des cotes, de réaliser le relevé spécifique, d’obtenir l’inspection subaquatique des fondations et de réaliser tout ou partie des auscultations spécifiques nécessaires aux identifications et aux essais.

2.1.2.

Les trois niveaux de diagnostic

Chaque étude de diagnostic sur un ouvrage d’art ne nécessite pas systématiquement de rechercher toutes les connaissances pour établir un avis pertinent sur la sécurité relative à son usage, justifier le bon état global de ses matériaux et prévoir des restaurations si nécessaire. Pour tenir compte des besoins effectifs qui seraient nécessaires selon les différentes caractéristiques des ouvrages, il est proposé de codifier trois niveaux dans l’établissement du diagnostic de comportement et d’état. Les valeurs d’ouverture des voûtes ou de hauteur des murs sont données à titre indicateur pour orienter vers un niveau de diagnostic, sachant que d’autres éléments comme l’usage, la situation et le rôle social sont à prendre en compte dans ce choix. Les diagnostics de niveau 1 et 2 reposent sur une inspection de l’ouvrage. Selon le Fascicule 0 – Chapitre 3 de l’ITSEOA (Sétra, 2010), des investigations complémentaires (auscultation, instrumentation, recalcul) peuvent être nécessaires pour aboutir au diagnostic final avant d’engager des réparations (Figure 16).

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Le diagnostic de niveau 1 s’applique aux ouvrages de faible importance géométrique, ayant un rôle social limité et étant peu agressés par les eaux. Il s’agit des murs de soutènement de faible longueur et de faible hauteur (inférieure à 3 m) et des ponts à arche unique de faible ouverture (inférieure à 6 m), franchissant un cours d’eau peu agressif de très faible importance, sans risque d’affouillement. Ce niveau de diagnostic s’élabore par un relevé spécifique. Le responsable de l’étude ne dispose a priori ni du dossier de l’ouvrage car il n’existe pas, ni d’autres archives, ni des inspections de surveillance. Sur ces ouvrages de faible importance, une inspection spécifique préparatoire au diagnostic doit permettre de répondre correctement au gestionnaire sur leur comportement, sur l’évaluation de leur stabilité et sur leur état apparent. S’il existe, l’apport du dossier d’ouvrage et de toute donnée complémentaire, même partielle, est à exploiter. Si l’inspection s’avère insuffisante pour aboutir au diagnostic final, des investigations complémentaires peuvent être menées avant de s’engager dans une éventuelle réparation. Le diagnostic de niveau 2 s’applique aux murs de soutènement de plus de 3 m de hauteur en bordure de rivière peu agressive et aux ponts ayant une pile en rivière peu profonde. L’élaboration du diagnostic comporte un relevé spécifique et une inspection subaquatique. L’apport du dossier d’ouvrage, plus ou moins complet, du levé de l’ouvrage et de toutes les informations complémentaires connues sont également à prendre en compte. Si l’inspection et les données du dossier d’ouvrage s’avèrent insuffisantes pour aboutir au diagnostic final, des investigations complémentaires doivent être menées avant de s’engager dans une éventuelle réparation. Le diagnostic de niveau 3 s’applique aux ouvrages d’importance par leur taille, par leur situation en site aquatique ou en site sensible et par leur fonction stratégique et sociale. Il nécessite de prendre en compte des auscultations précises pour connaître les fondations par une inspection subaquatique, des sondages carottés, des identifications et des essais sur les sols. Une modélisation de la structure avec des calculs avancés d’évaluation des stabilités est souvent nécessaire, suivant l’origine des pathologies et les souhaits du Maître d’Ouvrage en termes de programme fonctionnel. La connaissance du comportement est complétée si besoin par une instrumentation spécifique permettant de préciser, conforter et justifier l’analyse initiale et l’évolution future. Le dossier de l’ouvrage est consulté, complété ou réalisé s’il est inexistant. Ce dossier d’ouvrage est mis à jour au niveau exigé par les caractéristiques de l’ouvrage.

2.1.3.

Le diagnostic de comportement et d’état

Le diagnostic de comportement est relatif à la structure et aux fondations. Il a pour objet l’analyse du fonctionnement de la structure de l’ouvrage au regard de sa conception, de la justification de sa portance et du non-tassement de ses fondations. L’établissement du diagnostic de comportement consiste à réaliser une analyse des déplacements des structures et des fondations permettant d’expliquer les déformations, les ruptures et leurs positions, les fissurations ou les fracturations et de vérifier la cohérence des diverses manifestations dans l’ouvrage. Cette analyse se fait à partir du relevé spécifique et de la description du schéma statique de fonctionnement des structures et des fondations. En général, l’ordre de grandeur des actions exercées par les voûtes, obtenu à partir d’un schéma statique simple, suffit pour comprendre les mécanismes provoquant les grands déplacements. Sur des grands ouvrages de franchissement fortement sollicités et ayant un rôle social important, un recalcul de l’ouvrage doit permettre de confirmer ou infirmer les dispositions adoptées dans ses divers éléments constitutifs comme les voûtes et les différentes stabilités ainsi que les différentes sécurités correspondantes. Le diagnostic d’état est relatif aux matériaux. Il consiste à décrire les matériaux constitutifs, à les identifier et à examiner leur état apparent et leur état d’altération. Il est complété par l’analyse de leur capacité à reprendre les charges appliquées et au pronostic de leur évolution éventuelle. Le diagnostic d’état porte sur les pierres ou les briques, les mortiers des joints du parement et, si possible, les mortiers de hourdage. Il porte également sur les autres matériaux particuliers utilisés pour exécuter les fondations (bois des inclusions, platelage répartiteur de charge, béton de chaux hydraulique des massifs…). Tous ces matériaux sont accessibles par des dégarnissages locaux, effectués sous eau ou à sec, ou par des carottages en gros diamètre effectués selon les règles de l’art. Les matériaux prélevés sont à identifier visuellement et par des analyses plus poussées permettant de justifier des résistances mécaniques. Pour des ouvrages simples, il se base sur l’identification visuelle des matériaux. Pour des ouvrages plus complexes et plus sollicités, l’approche est à compléter par des prélèvements et des essais en laboratoire sur les matériaux constitutifs des structures et des fondations ainsi que par une évaluation de leurs propriétés mécaniques et chimiques. Ce diagnostic d’état des matériaux traite des risques encourus par une analyse des évolutions probables de leurs dégradations et donne un avis sur leur pérennité. Ces deux diagnostics bien identifiés et interprétés permettent d’évaluer la sécurité globale que présente l’ouvrage vis-à-vis des usagers, de préciser les risques encourus, d’établir le pronostic d’évolution de l’ouvrage sous les conditions d’usage et les futures conditions imposées. Ces diagnostics doivent permettre de dresser un avantprojet des travaux d’entretien, de restauration ou de confortement (voir Chapitre IV).

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2.1.4.

Élaboration des diagnostics de comportement et d’état

Analyse et synthèse du dossier d’ouvrage (section 2.2). Cette analyse se traduit par un document qui dresse la description et toute la connaissance de l’ouvrage à partir de l’exploitation des documents existants. Ces documents à réunir autant que possible doivent permettre de dater les ouvrages et de les identifier. La date de construction doit permettre d’appréhender a priori les principes de conception et les difficultés d’exécution des ouvrages d’art de l’époque. Le dossier d’ouvrage comporte des travaux d’instrumentation éventuels (suivi des déplacements internes propres à l’ouvrage et des déplacements par rapport à des points fixes extérieurs), des études de réparation et de restauration envisagées ou réalisées et surtout des rapports d’inspection. Relevé spécifique préparatoire au diagnostic (section 2.3). Cet examen consiste à identifier les divers matériaux et structures constituant les ouvrages, à décrire leur environnement et à rechercher puis procéder au relevé des désordres et anomalies pouvant affecter les divers éléments constitutifs de l’ouvrage. Le relevé est réalisé par des personnes équipées d’équipement de sécurité et du matériel nécessaire aux travaux (matériel classique permettant de mesurer, vérifier fruits et horizontalités, tester, gratter, repérer, photographier...). Il est à effectuer autant que possible en période d’eaux basses permettant de visionner les plus grandes surfaces de parements et la partie haute des fondations. Auscultations externes (section 2.4). En complément du relevé spécifique, les travaux indispensables pour réaliser l’état des lieux sont : 

le levé topographique des parements de l’ouvrage, à une échelle adaptée, avec les niveaux des éléments constitutifs, les déformées éventuelles (tassements différentiels, nivellement reporté en m NGF) ainsi que les altitudes de points caractéristiques de leur environnement ;  une inspection subaquatique des éléments immergés avec la description et les mesures des structures apparentes, le détail des maçonneries et la recherche d’anomalies éventuelles sur les éléments émergeant du lit ;  le levé bathymétrique des fonds autour des ouvrages, poursuivi en amont et en aval sur des distances assez importantes de l’ordre de 50 m ;  le dégarnissage localisé pour la recherche de la géométrie de l’extrados des voûte ou des fondations ;  si besoin pour mettre en évidence des mouvements non stabilisés de l’ouvrage, une instrumentation permettant de détecter l’influence des charges d’usage, de la température et de ses variations annuelles, des variations des niveaux d’eau ou de la marée et de mettre en évidence la sensibilité de l’ouvrage aux contraintes extérieures naturelles et aux contraintes d’usage. Auscultations internes (section 2.5). Ces auscultations permettent de connaître les éléments intérieurs de la structure et des fondations, aussi bien en termes de géométrie que de matériaux et d’état. Elles sont réalisées au moyen de sondages et d’essais in situ ou en laboratoire, ou encore de radar géotechnique, permettant de déterminer avec précision ces paramètres. Rédaction du rapport de diagnostic de comportement et d’état. Le rapport commence par l’identification de l’ouvrage, son historique, ses grandes lignes, son type, ses matériaux puis sa description détaillée. Cette description détaillée oblige à regarder l’ouvrage dans sa conception particulière, ses assemblages, ses matériaux et leur mise en œuvre. L’illustration photographique est intéressante mais ne remplace pas la description à réaliser dans le rapport et nécessaire pour établir le diagnostic de comportement et d’état Les actions physiques sont à rechercher dans les évolutions naturelles des sols de fondations et des sols environnants, dans l’action des divers écoulements des eaux souterraines et de surface et dans les variations des charges hydrauliques. Les actions chimiques proviennent des eaux, des matériaux eux-mêmes, qu’ils soient d’origine ou issus d’opération d’entretien ou de réparation, et des pollutions diverses. Disposant des connaissances accessibles pour l’ouvrage étudié et de la synthèse établie, il convient de :  

définir des critères de résistance et de déformation de la structure et des fondations ; procéder à une étude de stabilité en tenant compte des charges, des contraintes hydrauliques, des sous-pressions, de l’encastrement des fondations et de la réaction du sol, à l’aide de calculs simples ou de modélisations plus complexes (Chapitre III) ;  rechercher des paramètres les plus influents sur le comportement de l’ouvrage ;  réaliser éventuellement une approche expérimentale avec instrumentation pour l’étude des phénomènes naturels (variations de température, mouvements naturels des sols et nappes...) ;  profiter de l’expérience d’autres cas d’étude tout en se méfiant des pathologies qui sembleraient identiques car chaque ouvrage est unique et son environnement lui est propre et particulier. Le diagnostic doit permettre d’évaluer des risques encourus par la structure et les fondations au regard des observations et auscultations effectuées et analysées et de répondre aux questions suivantes :

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Dans quel état de stabilité l’ouvrage est-il vis-à-vis de sa structure et de ses fondations ? Cette question permet d’appréhender le comportement structurel de l’ouvrage.  Les sécurités vis-à-vis des biens et des personnes sont-elles assurées ? Cette question ne nécessite pas automatiquement une réponse chiffrée mais est à concevoir comme une appréciation d’expert.  Quelle est la pérennité de l’ouvrage ? La réponse est à construire à partir de l’évaluation de l’état apparent des matériaux, par l’appréciation du niveau de dégradation relevé lors de l’observation visuelle, par des auscultations spécifiques et par une évaluation des actions probables des agresseurs sur les matériaux.  Quels sont les risques encourus ? Quelles sont les origines des désordres et quelles sont leurs évolutions probables ? Est-il nécessaire de mettre l’ouvrage sous surveillance ? Ces questions demandent des réponses circonstanciées basées sur les différentes pathologies relevées et sur leurs origines. Les différentes actions des agresseurs sont à distinguer les unes des autres.  Quel est l’état des équipements techniques ? Ces équipements répondent-ils aux exigences de résistance, aux normes et aux règlements en vigueur ? Prenant en compte les réponses aux questions formulées ci-dessus, réexploitant l’étude de diagnostic de comportement et d’état et les différentes connaissances réunies pour l’étude, le projet des travaux nécessaires aux restaurations et à la mise en sécurité se décline naturellement (voir Chapitre IV). Ce projet doit répondre aux critères d’usages actuels et futurs et assurer la pérennité de l’ouvrage. Il se prépare en dressant les objectifs du projet (Sétra, 2010), en ayant pour finalité de traiter les causes des désordres et en présentant la succession des travaux nécessaires à la restauration des maçonneries et des fondations.

2.2.

Analyse et synthèse du dossier d’ouvrage

2.2.1.

Consultation du dossier d’ouvrage

La première connaissance de l’ouvrage vient de l’examen du dossier d’ouvrage. La constitution du dossier d’ouvrage est définie par le fascicule 01 de l’instruction technique de 1979 et révisé en 2010 (Sétra, 2010). La fonction de l’ouvrage, son rôle social et son implantation doivent être précisés avec l’aide du maître d’ouvrage. La fonction de l’ouvrage répond à une demande qui peut avoir évolué au cours des années.

2.2.2.

Description détaillée de l’ouvrage

Il est nécessaire de rédiger la description complète et précise de l’ouvrage. Cette description se fait selon un plan prédéfini partant de la voie portée ou du terre-plein supérieur ou inférieur, qui est l’objet de la fonction de cet ouvrage. La description doit utiliser les termes adaptés à l’élément présenté. La voûte est indiquée par sa forme (plein cintre, surbaissée...), par ses dimensions géométriques, par ses renforcements structurels si nécessaire. Pour cela, des plans précis sont dressés à une échelle non déformée. Cette description doit présenter également les matériaux constitutifs avec leurs dimensions, leur identification et leur nature. Après avoir identifié l’ouvrage par son nom et une description minimale donnant le nombre d’arches et d’appuis, le type de voûte, les ouvertures et leur hauteur, la première démarche est d’observer l’ouvrage. Ce premier regard doit permettre de compléter son identification en le datant, en s’interrogeant sur sa position géographique dans le paysage, sur sa fonction au regard de la collectivité et sur la correspondance du type d’ouvrage réalisé avec son environnement. Aucun pont n’est implanté dans un site sans correspondre à une nécessité de liaison entre les rives de la brèche franchie. Il assure une fonction. Sa conception provient des techniques de l’époque et du contexte géographique de son implantation, dont il convient d’examiner la cohérence actuelle. Le décor des parements, en particulier les bandeaux, les voussoirs, les chaperons et les avant et arrière-becs, les plinthes et parapets permettent de dater sommairement les ouvrages en maçonnerie par grande période de 30 à 50 années. Un ouvrage de la fin du XVIIIe siècle est totalement différent d’un pont du milieu du XIXe siècle. La datation, le type de rivière ou de fleuve franchi, la nature présumée des sols de fondation obtenu par un examen du lit et des berges, sont autant d’éléments permettant d’orienter vers un type particulier de fondation. Lorsqu’il existe, le dossier de l’ouvrage avec les plans anciens des fondations est à exploiter. Sans autres connaissances, l’examen visuel attentif et hiérarchisé de la structure permet d’évaluer le comportement des fondations.

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2.2.3.

Connaissances historiques

La connaissance historique locale de la construction de l’ouvrage est toujours profitable car les pierres de construction étaient d’origine locale pour l’essentiel selon les époques et les moyens de transport. Des sources de documentation et de description des ouvrages peuvent être obtenues dans des livres anciens comme les cours délivrés à l’ENPC au XIXe siècle et publiés sous forme de livres qui sont accessibles sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France ou encore dans les Annales des Ponts et Chaussées publiées à partir de 1831. Ces documents apportent de nombreux renseignements sur les conceptions des structures, sur les types des fondations et sur les matériaux utilisés ainsi que sur les difficultés rencontrées au cours des travaux. Par exemple, l’histoire locale permet de comprendre que l’origine initiale de l’effondrement du pont de Tours en avril 1978 provient de la modification du chenal de la Loire. Au XIXe siècle, le bras vif utilisé comme chenal coule en rive droite et correspond à l’écoulement naturel. Pour améliorer le commerce local, le chenal est transféré en rive gauche face à la ville de Tours. Les piles de la rive gauche ont été édifiées à sec sur des bancs de sable sans contreventement et non, comme en rive droite alors en eau, sur un pilotis contreventé et un radier général. Les sables assurant le contreventement des pieux de la rive gauche ont été arrachés par érosion et abaissement du lit suite aux dragages. Les pieux non contreventés ont déversé sans qu’il y ait eu une action particulière, la fondation se trouvant en équilibre instable. L’historique de l’ouvrage est à examiner avec attention car des adaptations ont pu être effectuées. Les surveillances et les travaux éventuels subis par l’ouvrage sont autant de données apportant des éléments de connaissance.

2.2.4.

Fonctions d’usage

Le maître d’ouvrage doit préciser les fonctions d’utilisation de l’ouvrage dans le site, les flux portés ou franchis, les utilisateurs, les contraintes des réseaux et de gestion. Chaque ouvrage a une fonction d’usage qu’il importe de faire préciser par le gestionnaire.

2.3.

Relevé préparatoire au diagnostic

L’objectif de ce relevé est de prendre connaissance de l’ouvrage et de son environnement et de rechercher toute manifestation anormale du comportement de l’ouvrage. L’examen visuel est la technique de base à la compréhension des ouvrages et du comportement des terrains environnants. L’analyse devra contribuer à vérifier la cohérence entre les déplacements, déformations et fissures significatives d’une pathologie et l’origine des désordres. Cet examen visuel de la structure, des superstructures, des massifs de fondation apparents et de leurs protections doit être exercé dans de bonnes conditions de visibilité et d’éclairage. Il peut être réalisé après un épisode pluvieux pour visualiser des écoulements anormaux ou des stagnations d’eau par exemple. Les ombres portées, les zones sombres demandent une nouvelle observation à des heures plus favorables pour disposer d’un meilleur éclairage. Le relevé spécifique est exercé à partir de la voie portée, des berges, des accès latéraux, du tablier, du lit de la rivière quand la hauteur d’eau le permet et de tous points accessibles permettant de vérifier des alignements, des planéités ou des inclinaisons, des horizontalités, de comparer des positions des joints des pierres… Il est nécessaire de voir l’ouvrage et ses abords immédiats dans leur globalité. L’ouvrage et son environnement doivent être nettoyés et débarrassés de toute végétation qui les envahissent (élimination des arbustes sur les quarts de cône, les perrés, les berges). Ce nettoyage fait partie de l’entretien courant des ouvrages, la végétation est une cause importante de la dégradation des maçonneries. Les relevés à effectuer successivement et indépendamment sont regroupés selon cinq grands thèmes :    

les déplacements, déformations ou anomalie dans la géométrie des parements de l’ouvrage, permettant de détecter des anomalies dans son comportement structurel, d’analyser son schéma statique des efforts et de comprendre son fonctionnement mécanique (section 2.3.1) ; les fissures et fractures significatives des désordres, à distinguer des fissures relatives au bon fonctionnement mécanique et thermique (section 2.3.2) ; l’environnement proche et lointain, pour analyser son influence et son action sur le comportement de l’ouvrage et les origines potentielles, intérieures ou extérieures mais concordantes aux désordres apparus sur l’ouvrage (section 0) ; les matériaux constitutifs, avec la recherche de la nature de tous les constituants, leur état actuel, leur dégradation et leur évolution probable (section 2.3.4) ;

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 l’état apparent des apparaux et des organes de sécurité (section 2.3.5). Ces cinq relevés permettent de recueillir toutes les informations nécessaires sur site. Ils doivent faire l’objet de plusieurs relevés successifs et indépendants, à reporter sur plans les observations effectuées, et d’une description détaillée dans le rapport, à la suite de la présentation de l’ouvrage.

2.3.1.

Géométrie et désordres d’ordre géométrique

Il s’agit de mettre en évidence toutes les anomalies apparentes puis de rechercher la position de ces déformations sur l’ouvrage. Ces observations sont effectuées dans un premier temps en étant assez éloigné de l’ouvrage pour le voir dans sa globalité. Elles portent sur les alignements des plinthes et des couronnements, leur horizontalité ou leur pente régulière, sur les alignements des chaperons des piles, des joints des pierres, sur les planéités des parements des tympans et des murs, sur les verticalités ou les fruits et leurs variations par la modification de l’inclinaison des parements et les bombements éventuels. Les recherches des horizontalités porteront également sur les joints des maçonneries à différents niveaux et la comparaison avec l’horizontalité du niveau d’eau. Sur les murs, la recherche porte sur les alignements des couronnements, sur les planéités des surfaces des parements, sur les verticalités, sur les fruits et leur variation, sur les planéités des dallages. Pour les ponts, ce peut être des déformations dans la géométrie des voûtes, des plinthes et des couronnements, des modifications de planéité ou d’inclinaison des parements, des bombements ou des variations dans les fruits des parements. Toutes ces anomalies sont relevées et confrontées au levé topographique pour les grandes déformations de manière à bien mettre en évidence les déplacements intéressant de grandes masses. Ces déplacements peuvent avoir pour origine des tassements des sols de fondation, des glissements de terrain ou de talus de berges ou encore des gonflements des mortiers... En revanche, les petites déformations sont généralement le signe de faiblesses locales des assemblages, d’une influence thermique ou de défauts localisés. Si l’inspection visuelle montre un bon comportement de l’ouvrage sans déformation, il convient de le préciser également dans le rapport (« la voûte n’est pas déformée », « les tympans sont plans et verticaux », etc.). 2.3.1.1.

Modification du profil en long

Concernant les murs de soutènement, il faut vérifier la bonne horizontalité des éléments géométriques (pour les murs à couronnement horizontal) et des joints des assises maçonnées. Ceci peut s’effectuer avec un niveau de maçon placé soit sur un redan, soit sur un alignement des joints. La vérification de l’horizontalité ou du bon alignement des chaînages horizontaux doit être confirmée par un nivellement. L’exemple de la Figure 17 présente un mur qui soutient un remblai de 4 à 6 m de hauteur et présente un affaissement de la plinthe et du parapet atteignant 0,30 m à 0,40 m. Ce mouvement est représentatif d’un tassement dans les fondations.

Figure 17 : Déformée du parapet et de la plinthe significative d’un tassement de l’ouvrage (crédit : J-P. Levillain) Sur les ponts, l’alignement des pierres de couronnement des parapets (le bahut), des garde-corps, des plinthes, parfois des chaperons des piles et culées est un moyen de surveillance de la géométrie de l’ouvrage. Les bâtisseurs avaient à cœur de réaliser très correctement les éléments de la superstructure. Les plinthes et parapets étaient terminés généralement après le décintrement pour rattraper les défauts éventuels provoqués par le tassement des appuis et des voûtes. Le point de tassement maximum apparu dans la plinthe et le parapet doit être localisé et positionné. Sa position est généralement contrôlée au droit d’un appui lors d’un tassement de celui-ci ou d’une clé de voûte lors d’un déplacement latéral de l’appui.

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Sur l’exemple de la Figure 18, l’alignement du bahut amont d’un ouvrage comportant deux arches indique un affaissement situé au droit de la pile centrale en amont. Cette observation est significative d’un désordre grave puisque la pile centrale ne repose plus sur le sol à l’amont mais seulement en aval. Un vide de 0,80 m de hauteur règne sur près des deux-tiers de la surface de l’appui. Le nivellement montre un « affaissement » de 0,20 m de la pile centrale à l’amont et un léger affaissement de la culée rive droite. Cette dernière a été totalement affouillée avec formation d’une cavité sous presque la totalité de sa surface. Les fondations de cet ouvrage sont des semelles de maçonnerie établies directement sur un substratum de schiste sériciteux ardoisier. Cette disposition provient d’une construction à sec des appuis latéralement au cours initial de la rivière et à un détournement de cette rivière sous l’ouvrage. C’est le rocher qui a été érodé et affouillé sur une période de l’ordre d’un siècle.

Figure 18 : Affaissement du parapet amont significatif d’un désordre dans les fondations (crédit : J-P. Levillain) Autre exemple, le pont sur la Mayenne (Figure 19) montre un défaut dans l’alignement de la base des chaperons des piles en aval mettant en évidence un tassement différentiel de la pile P2 rive gauche par rapport aux autres piles. Ce tassement n’est pas retrouvé dans les structures, la plinthe ayant été reconstruite en béton pour élargir le pont, supprimer le parapet et le remplacer par un garde-corps métallique.

Figure 19 : Défaut d’alignement des chaperons des piles en aval du pont (crédit photo : J-P. Levillain) 2.3.1.2.

Modification du profil transversal

Il convient de vérifier l’horizontalité des appuis dans le sens transversal de l’ouvrage. Ceci peut s’effectuer avec un niveau de maçon placé soit sur un redan des maçonneries, soit sur un alignement des joints, soit encore au niveau des sommiers des naissances des voûtes ou des sommiers des appareils d’appui en sommet de pile et de culée ou encore des chaperons coiffant les avant et arrière-becs.

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Pour les ouvrages sur cours d’eau à faible courant, cette vérification peut se faire par un parallélisme direct des joints des lits de pierres avec le plan d’eau adopté comme référence horizontale (Figure 20). Sur cet exemple, le déplacement vertical local de l’appui date de la construction de l’ouvrage se manifeste par un « rattrapage » via un ajout d’un lit de pierres taillées en biseau pour retrouver un niveau horizontal. De même, il est important de vérifier les hauteurs de l’intrados sur les ponts à plusieurs voûtes pour s’assurer qu’il n’y a pas eu de tassements différentiels ou des déformations locales de certaines voûtes.

Figure 20 : Alignement des joints des lits de pierre avec le plan d’eau comme référence (crédit : J-P. Levillain) 2.3.1.3.

Modification en plan de la structure

Il s’agit de vérifier la parfaite rectitude dans des plans verticaux des éléments d’ouvrage. Cette vérification consiste à aligner les avant et arrière-becs des piles et les parapets et garde-corps (Figure 21). Des désordres à ce niveau se traduisent généralement par une inclinaison dans le plan aval-amont des appuis (déversement de pile ou de tympan). Des désordres provenant de la construction ou d’une modification ultérieure de l’ouvrage peuvent apparaître. Une plinthe plus ou moins en saillie peut signifier un alignement correct au niveau du parapet établi sur un mur de tête conservé avec sa déformation en fin de construction ou de restauration. Il faut vérifier la parfaite planéité du tympan et son inclinaison éventuelle.

Figure 21 : Alignement en plan des éléments de la structure de l’ouvrage (crédit : J-P. Levillain) 2.3.1.4.

Verticalité des parties d’ouvrage, inclinaison et basculement

De nombreuses parties d’un ouvrage sont verticales ou présentent un léger fruit, que ce soient les tympans, les piédroits ou certains fûts de pile, les murs en aile et en retour, les parements des murs. Il est donc très instructif de vérifier la parfaite verticalité ou de comparer les fruits de ces éléments dans différents profils. Ceci se pratique aisément au niveau à bulle ou au fil à plomb de maçon (Figure 22). Les verticalités se comparent entre elles par des alignements de vision.

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Figure 22 : Mesure de la verticalité d’un tympan et de l’horizontalité d’un redan (crédit : J-P. Levillain) Pour les piles comportant un fruit, le fil à plomb permet de vérifier leur verticalité en réalisant deux mesures, une de chaque côté de l’appui comme indiqué sur la Figure 23 pour tenir compte de l’incertitude de la mesure.

Figure 23 : Vérification de la verticalité d’une pile dont les parements présentent du fruit (crédit : J-P. Levillain) Si une seule face du mur est accessible, comme sur une culée, un mur en aile ou en retour ou un mur de soutènement, le fruit de la paroi est déterminé à l’aide du fil à plomb et la valeur obtenue est comparée à la valeur annoncée sur le plan d’archive ou à celle mesurée sur la paroi du mur symétrique, de la culée opposée ou des murs en aile et en retour. Sur un mur linéaire, c’est la comparaison systématique des profils transversaux entre eux qui justifiera la non-déformation d’ensemble. La mesure du fruit permet de confirmer la présence de gonflement du parement sur certains murs (Figure 24).

Figure 24 : Vérification du fruit d’un parement de mur et mesure du gonflement local du parement (crédit : J-P. Levillain)

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2.3.2.

Fissures, fractures et zones de rupture

Indépendamment des recherches des déformations, l’observation et le relevé des fissures nécessitent de regarder l’ouvrage de plus près. Une fissure ou une fracture ne se positionne pas au hasard. Les fractures correspondent à un excès de contrainte de traction ou un excès local de contrainte de compression ou de cisaillement pour la structure analysée, suite à des déplacements, des actions nouvelles ou la dégradation des mortiers. Il s’agit de relever les grandes directions des fractures et des fissures, qui adoptent fréquemment une forme d’escalier suivant les joints, leur dimension moyenne et de repérer les sens et les niveaux des ouvertures et des fermetures. Ces grandes orientations et les positions des ouvertures et des fermetures sont une indication du mouvement qu’il faut retrouver dans les analyses des déformations et déplacements de la structure. Dans le relevé des fissures et des fractures, il faut également distinguer celles qui : 

traduisent des déplacements de grands volumes consécutifs à un défaut de comportement structurel ou un déplacement des fondations, qui sont des fissures pathologiques ;



se manifestent suite à un défaut de comportement des mortiers et des assemblages : en se dégradant les mortiers peuvent présenter un gonflement ou un affaissement faisant apparaître des fissures suite au changement de raideur locale entre des éléments de la structure ;



traduisent un fonctionnement normal dans les parements ou dans les voûtes sous des actions thermiques, des retraits ou de légers déplacements ;



sont « actives » ou « mortes » ;



sont relatives directement aux matériaux et traduisent une destruction très locale, un arrachement du joint du parement, une dégradation de surface. Ces recherches sont difficiles et nécessitent une observation attentive. Le repérage des fissures et des fractures est à comparer ensuite au relevé des petites et grandes déformations de manière à pouvoir porter un avis préliminaire sur le comportement global de l’ouvrage. 2.3.2.1.

Origine des fissures et des fractures

N’apparaissant pas au hasard des parements, les fissures et les fractures correspondent toujours à une zone de faiblesse du matériau ou de la structure ou traduisent des déplacements de grands éléments les uns par rapport aux autres. Les zones de faiblesse sont constituées par : 

une raideur globale plus faible de la structure par rapport aux éléments voisins ou inversement par une raideur très forte comme un chaînage de pierres assisées dans une maçonnerie ordinaire, par exemple ; cette notion de raideur globale tient compte de la constitution de la maçonnerie avec des épaisseurs de joints ou des volumes de mortier plus ou moins raide assurant la liaison des moellons ;



un changement d’inertie structurelle d’une partie de l’ouvrage ;



une zone de concentration d’efforts difficilement repris par un volume de maçonnerie trop faible ;



une zone d’altération marquée par une dégradation du mortier de hourdage ;

 une zone de structure non comprimée et sollicitée. Les mouvements internes à l’ouvrage consécutifs à des déplacements d’appuis ou d’éléments de structures surchargées se traduisent par des moments de flexion, des flambements dans les chaînes d’angle et les parements de pierres assisées, des tassements différentiels entre éléments et bien sûr des fissures. La maçonnerie de ces ouvrages est généralement ductile. Elle présente une certaine souplesse due à sa constitution de pierres agencées et assemblées ou hourdées par un mortier. La maçonnerie peut subir des petits déplacements liés aux variations de sa masse par un déjaugeage en période de crue ou aux variations de longueur liées aux phénomènes thermiques ou encore à des déplacements dus à des mouvements des sols. Les ouvrages se contractent ou s’allongent en fonction de la température. Cette souplesse et cette sensibilité aux petites déformations thermiques se traduisent par une fissuration normale dont l’ouverture est cyclique et nécessaire au fonctionnement mécanique de la structure. 2.3.2.2.

Fissures et fractures dans les murs de soutènement, piles et culées

Les fissures et les fractures ont une origine qui n’est pas toujours aisée à déceler. Ces fissures et fractures peuvent être dues à :

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une défaillance de la fondation par affouillement local avec formation de cavités, par décompression des sols sous une partie du fût de pile, sous un avant ou un arrière-bec qui travaille alors en console courte et se manifeste par une ouverture des joints… ;



une altération importante, voire une dégradation totale du massif de fondation en béton de chaux par dissolution avec retour aux agrégats constituants ; cette dégradation non uniforme du massif peut s’accompagner de tassements différentiels de l’appui et peut provoquer la fracturation de celui-ci, comme sur la Figure 25 ;



un tassement de la maçonnerie interne moins noble que la maçonnerie de parement entraînant des désordres dans les pierres de parement et d’angle de cette dernière, le remplissage interne du fût pouvant être constitué de remblai (sable, grave, argile) traité à la chaux ; la fissure subverticale suit la liaison des maçonneries du parement au chaînage ;



la poussée des terres sur des murs en aile ou en retour partiellement ou complètement disjointoyés ; dans ce cas, les fissures ou fractures suivent préférentiellement les joints des pierres et peuvent être complétées par des fractures subverticales ;



des concentrations de contraintes de compression dans des chaînes d’angles aux inerties et élasticité nettement plus faibles que les maçonneries ordinaires ; les fissures et fractures se manifestent à la jonction du chaînage avec le parement suite au flambement de la chaîne (Figure 26) ; la manifestation de désordres dans les appuis voisins avec report par des efforts dont l’intensité et la direction ont varié (phénomène de flexion dans un plan horizontal) ; un excès de poussée sur le tympan et un défaut de liaison dans la maçonnerie entre le bandeau et douelle de la voûte ou un flambement du bandeau surchargé par un transfert des charges ne passant plus par la douelle ; ce désordre peut provenir d’une absence de trottoir éloignant les charges lourdes ; c’est aussi une zone de détérioration locale des mortiers par infiltration d’eau et lessivage de la chaux du mortier.

 

Figure 25 : Fissures ou fractures dans une pile ou une culée (crédit : J-P. Levillain)

Figure 26 : Fracture subverticale à la liaison du chaînage et du parement (crédit photo : J-P. Levillain)

Les fissures et les fractures sont à relever en précisant leurs grandes directions (verticale, horizontale ou inclinée). Les zones des ouvertures plus ou moins grandes et les lieux de fermeture orientent sur le sens du déplacement des éléments. Ainsi Figure 27, la fracture subverticale fermée au niveau des naissances de la voûte et s’ouvrant régulièrement en partie haute malgré le rejointoiement sur le parapet met en évidence le basculement de la culée vers le remblai d’accès ce qui se vérifie avec la non horizontalité des joints sur son parement.

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L’examen attentif des lèvres de la fissure ou de la fracture, l’apparence de la surface cassée, la propreté sont des signes qui permettent d’évaluer très sommairement une période d’apparition récente ou ancienne et l’évolution éventuelle. Il convient d’examiner si les ouvertures résultent d’un déplacement ou seulement de la perte d’un joint de mortier.

Figure 27 : Fracture subverticale à la liaison de la culée et du tympan (crédit photo : J-P. Levillain) Sur les murs, les fractures horizontales avec déformation du parement (bombement) sont significatives d’un déplacement horizontal à une certaine hauteur du mur dû à une poussée sur un mur présentant des faiblesses mécaniques. Cette fracture s’accompagne d’un basculement des blocs de maçonnerie soit sur des murs étroits avec rotation et inclinaison de la tête vers les terres (Figure 28a), soit par glissement et cisaillement plan sur une zone de moindre résistance (Figure 28b).

(b)

(a)

Figure 28 : Fracture horizontale sur mur mince avec basculement de la tête (a) ou avec glissement interne (b) (crédit : J-P. Levillain)

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2.3.2.3.

Fissures et fractures dans les voûtes et tympans

2.3.2.3.1.

État fissuré d’une voûte

Une voûte en maçonnerie peut parfaitement fonctionner en état fissuré. Cet état résulte de l’absence de résistance en traction de la maçonnerie et des sollicitations auxquelles a été soumise la voûte, comme le décintrement, les cycles thermiques et les mouvements d’appuis résultant de la mise en charge des fondations lors du décintrement ou des déjaugeages en période de crue. Des mouvements d’appuis sont relevés également lorsque ceux-ci sont sensibles aux conditions naturelles des sols de fondation et de leur environnement. Sur des ouvrages anciens aux mortiers de hourdage de mauvaise qualité et très dégradés, les voûtes peuvent être sensibles aux actions dynamiques conduisant à des ouvertures et fermetures des joints situés en zone des reins ou en clé en intrados avec usure des mortiers, et parfois à des chutes de blocs. Malgré son caractère massif, l’ouvrage en maçonnerie « respire ». Il s’adapte aux sollicitations en s’articulant grâce à l’apparition de fissures et de pseudo-rotules. La présence de fissures n’est donc pas inquiétante à condition que leurs ouvertures restent modérées et surtout qu’elles ne soient pas évolutives et ne conduisent pas à la formation d’un mécanisme de ruine. L’ouvrage doit effectivement être dans un état stabilisé dont les évolutions d’ouverture et de fermeture des fissures restent faibles et cycliques. 2.3.2.3.2.

Recherche des mouvements des appuis par observation sur les voûtes

Des fissures ou fractures situées au niveau de la clé ou des reins, ainsi que des éclatements localisés des pierres du bandeau, sont significatives de mouvements d’appui et doivent faire l’objet d’une attention particulière. Les fissures en extrados ne sont observables que sur les tympans par une fracture subverticale s’ouvrant vers le haut et dans les plinthes et parapets. La raideur du tympan, qui s’oppose en général à la souplesse de la voûte, peut également conduire à des fracturations biaises et courtes observables sur la douelle en arrière du bandeau. La réponse d’une voûte à un mouvement d’appui est un mécanisme de rotation de grands voussoirs dont les schémas représentatifs sont donnés sur la Figure 29 : 

le tassement d’un appui conduit à une ouverture des joints en intrados au niveau des reins de la voûte et à un excès de compression en clé ou au niveau des reins opposés au tassement, par création de pseudo-rotules ; la position des ouvertures des joints varie avec la géométrie de la voûte (Figure 29a) ;  le déplacement latéral d’un appui vers l’extérieur de l’arche (écartement d’une culée par exemple) conduit à une ouverture des joints à la clé en intrados et aux reins en extrados ; l’écartement de l’appui conduit à une ouverture de l’arc ce qui provoque un tassement à la clé tandis que les parties inférieures sont refoulées vers l’extérieur (Figure 29b) ;  le déplacement latéral d’un appui vers l’intérieur de l’arche (mouvement latéral des sols induisant un déplacement de la culée ou charge locale excessive par exemple) conduit à une ouverture des joints en intrados au niveau des reins et en extrados au droit de la clé avec remontée de celle-ci. Les dispositions présentées ici sont des schémas types d’ordre général. La position des fissures et des fractures sur la douelle ou en extrados, leurs ouvertures et leurs nombres peuvent différer en fonction de la forme de la voûte, de la nature, géométrie et dimension des moellons mis en œuvre, de la présence ou non d’un mortier, de son épaisseur et de sa qualité le cas échéant ou encore des charges ou déplacements d’appuis.

(b)

(a)

a

a

Figure 29 : Schémas types de rupture d’une voûte provoquée par un mouvement d’appui : tassement d’un appui ou excès de charge dissymétrique (a) ; écartement des appuis ou excès de charge symétrique en clé (b) (crédit : J-P. Levillain) La réponse au tassement d’un appui est caractéristique du type de voûte : 

voûte en plein cintre : ouverture des joints en intrados au niveau des reins et ouverture des joints en extrados au niveau des reins opposés au tassement (Figure 30) ;

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voûte surbaissée et en anse de panier : entraînement de la totalité de l’arc avec ouverture des joints en extrados au droit de la naissance opposée à l’appui qui tasse (Figure 31).

Figure 30 : Action du tassement de la culée 11 rive droite sur une voûte plein cintre : ouverture des joints en intrados en zone des reins et ouverture des joints en extrados aux reins opposés (crédit photo : C. Levillain)

Figure 31 : Action du tassement de la culée 1 rive gauche d’une voûte surbaissée : ouverture des joints en extrados à la naissance opposée (crédit photo : C. Levillain) L’exemple de la Figure 32 montre une voûte en anse de panier à 7 centres de 19,60 m de portée adjacente à une pile présentant un déplacement vertical brutal de 35 cm. L’excès de compression a fait éclater les voussoirs de clé (apparition d’une pseudo-rotule). Les joints se sont ouverts en intrados aux reins par allongement de l’arc. L’ouverture de la voûte en extrados au niveau des reins opposés à l’appui qui tasse est masquée par le remblai sur la douelle. Cette fracture est non apparente dans la plinthe et le parapet qui travaillent en compression par la transmission des efforts suite à la création d’un arc de décharge entre les appuis adjacents. Sur le tympan, les fractures sont sensiblement horizontales et significatives d’efforts de cisaillement.

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Figure 32 : Exemple de désordres dans une voûte en anse de panier adjacente à la pile ayant tassé de 0,35 m (crédit : J-P. Levillain) La réponse au déplacement latéral d’un appui vers l’extérieur diffère selon le type de voûte :   

voûte en plein cintre : une ouverture des joints en intrados en clé et en extrados vers les reins du côté de l’appui qui s’écarte (Figure 33) ; voûte surbaissée : glissement latéral des sommiers (de N en N’ sur la Figure 34) et rupture soit par rotation autour du sommet de l’extrados à la clé en E, soit par affaissement des voussoirs supérieurs (Figure 34 et Figure 35). voûte en anse de panier : rupture similaire avec décomposition de la voûte en grands voussoirs, les éléments inférieurs (C et D) tendant à glisser ou à suivre le déplacement latéral des appuis, tandis que les éléments supérieurs (A et B) descendent avec création d’une pseudo-rotule en extrados à la clé (Figure 36).

Figure 33 : Déplacement latéral de la culée 1 rive gauche vers la gauche, ouverture des joints en intrados à la clé et en extrados en zone des reins (crédit photo : C. Levillain)

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Figure 34 : Déplacement d’appui vers l’extérieur, rupture par ouverture des joints en intrados à la clé et en extrados aux naissances (Goetschy, 1885)

Figure 35 : Déplacement latéral de la culée 11 rive droite vers la droite et ouverture des joints en clé en intrados et aux naissances en extrados (crédit photo : C. Levillain)

Figure 36 : Schéma de ruine d’une voûte en anse de panier par déplacement latéral des appuis (Goetschy, 1885) Le déplacement latéral d’un appui vers l’intérieur dans une voûte plein cintre provoque des fractures dans une voûte en plein cintre caractérisées par une ouverture des joints en intrados au niveau des reins et en extrados au droit de la clé (Figure 37). Il est nécessaire charger aux reins les voûtes en plein cintre de type romaine construites avec des joins secs. Le déplacement latéral d’une culée vers l’axe de la voûte peut se manifester sur un ouvrage de grande hauteur soumis à une forte charge de terre derrière ses piédroits ou sur un ouvrage dont une culée est entraînée par un glissement du flanc de la vallée (Figure 38). Si la voûte est suffisamment résistante, le mouvement des piédroits tend à former un « bombe » dans les zones de moindre inertie et à se fracturer par le milieu (Figure 39). La Figure 40 montre le parement d’une culée de grande hauteur sollicitée par la poussée des terres et dont le parement est déformé sous forme d’un gonflement et de deux fractures horizontales et verticales consécutives au déplacement.

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Figure 37 : Déformée de la voûte plein cintre suite au déplacement latéral de la culée 1 rive gauche vers l’axe (crédit photo : C. Levillain)

Figure 38 : Schéma de ruine d’une voûte ou d’un piédroit soumis à une poussée des terres excessive (Goetschy, 1885)

Figure 39 : Déformation de la voûte prise en étau entre les flancs de la vallée suite à un glissement de versant (photos du 2 sept 1908 avec présence de rotules et du 6 février 1912 après effondrement)

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Figure 40 : Excès de poussée des terres sur une culée très haute avec formation d’un ventre (ou bombement) et d’une fracture horizontale (crédit photo : J-P. Levillain) 2.3.2.3.3.

Mécanismes de ruine des voûtes

Lorsque l’intensité des actions augmente, la voûte s’adapte du fait de la ductilité apparente de la maçonnerie. Cette adaptation s’achève à la formation d’un nombre suffisant d’articulations plastiques qui décomposent la voûte en grands voussoirs. Sous des surcharges très fortes, la voûte peut s’effondrer par rotation de ces éléments les uns par rapport aux autres (Figure 41). Leur nombre, la position de leur centre à l’intrados ou à l’extrados et leur sens de rotation ne sont pas quelconques mais résultent des schémas de fissuration caractéristiques développés en Figure 29. Ce mécanisme dépend des déplacements du ou des appuis ou du chargement ou déchargement effectué par enlèvement du remblai lors d’une réparation par exemple. En effet, la charge appliquée au-dessus des reins des voûtes en plein cintre ou en anse de panier joue un rôle très important en contribuant naturellement à la stabilité des grands voussoirs comme indiqué sur la Figure 37 par exemple. Par ailleurs, des glissements entre voussoirs peuvent se produire au niveau de ces articulations (Figure 42). Ce fonctionnement est essentiel à connaître pour assurer la surveillance des ouvrages. Les fractures parallèles à l’axe de la voûte sont indicatrices d’un schéma type de ruine dont il convient d’évaluer l’importance en fonction de leur ouverture et leur origine (déplacement conséquent ou négligeable de l’appui, phénomènes thermiques…). Il faut alors surveiller une évolution éventuelle ou un « souffle » sous le passage du trafic lourd et prévoir, le cas échéant, des dispositifs de mise en sécurité, comme une mise sur cintre, si les travaux de restauration impliquent de surcharger ou décharger les voûtes. Par ailleurs, une absence totale de désordres dans la structure ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a aucun désordre dans les fondations.

Figure 41 : Rotules à la clé et aux reins dans une voûte soumise à un déplacement de ses appuis lors de l’effondrement du pont Wilson sur la Loire (crédit photo : © P. Fitou, La Nouvelle République)

Figure 42 : Glissement entre pierres (crédit photo : LCPC)

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2.3.3.

Désordres dans l’environnement général

Chaque ouvrage est construit dans un endroit choisi, correspondant au besoin précis de sa fonction sociale. Sa géométrie générale, sa zone de construction et son environnement terrestre et hydraulique sont des éléments qui ont conditionné sa forme et sa conception. Le comportement global et local de l’environnement d’ensemble de l’ouvrage est un paramètre indicatif des actions qui interviennent et contribuent à son agression. Ce troisième thème d’observation et de relevé doit permettre d’examiner les terrains environnants, les écoulements au pourtour des appuis, les protections des appuis, mais également l’évolution de l’hydraulique du cours d’eau. Il s’agit de mettre en évidence des défauts de comportement des sols environnants, que ce soient les remblais, les talus, les voies portées, les terre-pleins, les berges, les fonds au pourtour des appuis mais aussi les protections des piles en rivière. L’environnement c’est aussi le cours d’eau dont il faut examiner la position du lit, qui peut évoluer avec le temps, des berges et des atterrissements, les écoulements et comment ils sont perturbés et modifiés par la présence de l’ouvrage, les vortex et leurs dispositions autour des appuis ou encore les fonds du chenal devant et autour des appuis de l’ouvrage. L’environnement des ouvrages en site hydraulique ou maritime n’est pas neutre car l’un réagit sur l’autre et inversement. Des désordres dans l’environnement peuvent provenir de l’ouvrage lui-même ou au contraire entraîner des désordres dans l’ouvrage. De même que l’observation de l’ouvrage, l’observation de l’environnement constitué par les zones en avant, au-dessus ou en arrière des ouvrages est essentielle à la recherche des grandes et petites déformations par une reconnaissance visuelle du matériau affleurant et de son comportement. Le régime du cours d’eau est également important à connaître, notamment si celui-ci est torrentiel et peut charrier des rochers. 2.3.3.1.

L’environnement des murs

Une particularité des ouvrages de soutènement est de comporter une structure résistante et une masse de sol soutenue importante et faisant corps avec l’ouvrage. Dans l’élaboration du diagnostic, le mur de soutènement ne peut pas être dissocié du remblai soutenu. Il y a lieu de réaliser une observation globale du site prenant en compte au sens très large l’environnement du mur. Les observations porteront sur l’aspect des surfaces et leurs déformations, sur des repères naturels ou mis en place spécifiquement. Elles seront précisées par les observations sur l’ouvrage lui-même. Les abords du mur sont fonction de la topographie des lieux et de la fonction de l’ouvrage dans le site. Tels que définis dans le fascicule 20 de l’ITSEOA « Zone d’influence – Accès – Abords », ils correspondent à une distance de 3H (H étant la hauteur du mur) en amont et en aval pour les ouvrages de plaine (Figure 43). Pour les ouvrages soutenant des sols en terrasse ou des déblais, la zone d’influence peut être beaucoup plus étendue et couvrir l’ensemble des surfaces sollicitées par la pente.

Figure 43 : Schéma de principe de la délimitation de la zone d’influence (crédit : J-P. Levillain) L’environnement d’un mur, ce sont les terres tant en amont qu’en aval ainsi que tous les aménagements réalisés. Une flache ou une fissure sur la chaussée ou le trottoir du remblai amont, des fissures parallèles au mur et situées dans le remblai amont sont autant de signes qui peuvent traduire un déplacement d’ensemble du mur, une érosion de la butée de pied par des affouillements ou encore une d’érosion interne du remblai sous des variations de niveau de la nappe (Figure 44).

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La position d’une fracture apparaissant parallèlement au mur dans le remblai amont peut correspondre à la trace du coin de glissement en poussée. Une telle fracture s’accompagne d’un tassement des sols et indique un déversement ou un glissement du mur sur sa base. En aval, il est nécessaire d’identifier toutes les évolutions des sols par des tassements d’ensemble ou des tassements localisés par érosion ou encore la formation de cavités sous les fondations immergées et érosion interne.

Figure 44 : Désordres dans l’environnement du mur sous forme de flache dans le remblai (crédit : J-P. Levillain) Il convient également de vérifier les moyens de drainage des murs :  

le fonctionnement des barbacanes (humides ou sèches, accessibles ou encombrées) ; le drainage du remblai, par observation du parement et des circulations éventuelles laissant des traces sous forme de coulures, de calcite, de moisissures… ;  l’écoulement des eaux sur le remblai amont par un système de collecte et de drainage approprié et efficace avec caniveau et évacuation adaptée. Des travaux, tels que des tranchées en pied dans la zone de butée ou de fondation, des surcharges en tête, une élévation de l’ouvrage, peuvent modifier l’environnement du mur et ses conditions d’équilibre. 2.3.3.2.

L’environnement hydraulique et les abords des ponts

L’environnement hydraulique. L’emplacement de l’ouvrage a été imposé par les circonstances locales, en particulier quand il est implanté en agglomération sur un axe de liaison déjà établi. En champ libre de création d’une voie, il a été construit en recherchant le minimum de dépenses. L’ouvrage a été dimensionné pour être le mieux approprié aux besoins de la cause tout en recherchant à le réduire en longueur. Les franchissements de rivière se font souvent par une ouverture droite (la plus courte possible), en modifiant au besoin le tracé de la voie et en tenant compte du débit à assurer en période de crue centennale. Le coût de revient d’un pont biais étant plus élevé que celui d’un pont droit, son usage est limité et réservé le plus souvent aux voies ferrées dont les tracés s’accommodent mal de virages serrés. Pour des cours d’eau de faible importance, la direction de l’obstacle à franchir a souvent été modifiée de manière à lui faire couper le tracé à angle droit. Cette disposition permet également d’établir les fondations du pont sans réaliser de coûteux batardeaux, puisque l’ouvrage peut alors être construit à côté de la rivière. Le débouché linéaire, qui est la somme des débouchés linéaires des arches, est souvent inférieur à la largeur de la rivière. Les culées sont construites en avancée sur le lit et les piles sont autant de sections droites (ou biaises) réduisant la largeur de l’écoulement. En dehors de cette disposition, les points où la rivière présentent un secteur rétréci ont été privilégiés. Les justifications du débouché tiennent compte de la vitesse d’écoulement sous le pont et de la valeur du remous créé par l’ouvrage.

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Observations sommaires sur les écoulements hydrauliques. Les cours d’eau obéissent à des lois morphologiques qui caractérisent la géométrie du lit, le débit liquide et les apports solides de sédiments. Ce sont ces éléments qui ont permis le creusement du lit et qui assurent son équilibre. Si le milieu fluvial reste stable, il y a un équilibre et une adaptation qui se créent entre l’ouvrage et son environnement. En revanche, toute modification morphologique des cours d’eau induite par des actions humaines, comme le dragage des matériaux alluvionnaires, la suppression des méandres, le creusement de chenaux, l’aménagement des berges, endiguements terre-pleins ou les prélèvements d’eau, peut avoir des conséquences dommageables sur les ouvrages (voir section 2.4.3). Les ouvrages de franchissement ont eux-mêmes une interaction sur la rivière. Ils induisent des pertes de charge qui peuvent entraîner un exhaussement sensible des niveaux de crue et des affouillements aux pieds des piles et culées. Par leur débouché réduit par la présence des appuis et la proximité des culées, ils modifient l’écoulement et sont à l’origine de ressaut (Figure 45). Si en régime fluvial le ressaut se traduit par un abaissement du plan d’eau sous l’ouvrage entre les piles et un exhaussement à l'amont, le régime torrentiel est caractérisé par une élévation du plan d'eau.

Figure 45 : Remous d’exhaussement du plan d’eau en amont du pont (crédit : J-P. Levillain) Observations sur le cours d’eau. Les observations visuelles sur la rivière visent à analyser les évolutions en recherchant les travaux qui ont pu être effectués à proximité immédiate ou lointaine. Elles portent sur l’examen des berges et leur évolution apparente. Désordres dans les abords. Les abords incluent les ouvrages de raccordement (remblais talutés terminés en quart-de-cône, murs en aile ou en retour, berges naturelles ou protégés) permettant l’accès à l’ouvrage, les protections des appuis et fondations contre les érosions, les terrains au pourtour ainsi que le lit en général qui donne l’encastrement total des fondations des appuis (Figure 46).

Figure 46 : Lacune importante dans un mur en retour, avec affouillement local (crédit photo : B. Godart)

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Désordres dans les berges en amont et en aval des culées. L’examen attentif des berges des rivières, tant à l’amont qu’à l’aval des appuis d’un ouvrage, peut renseigner sur la présence éventuelle de désordres dans les fondations. En effet, un talus plus raide, un effondrement de la berge sont significatifs d’une zone d’érosion et d’un début d’affouillement important des sols de fondation (Figure 47). Il importe alors de procéder à un levé du lit au droit de l’ouvrage ainsi qu’à l’amont et à l’aval et de réaliser une reconnaissance subaquatique de l’état des fondations. Certains indices sont également fournis par l’état des protections (rideaux, voiles, margelles...) ou par l’existence de circulations d’eau anormales comme des résurgences à l’aval ou sur le côté de l’appui ou des tourbillons et des vortex se détachant d’un appui.

Figure 47 : Érosion d’une berge et de la culée en amont du pont (crédit : J-P. Levillain) Affaissement de la chaussée, désordres dans les remblais d’accès. Un affaissement de chaussée au-dessus d’une culée est le signe d’un désordre dans les remblais et souvent d’un affouillement important directement sous les fondations, avec création d’une cavité dans les remblais techniques. L’affouillement des sols entraîne le basculement du massif de fondation, l’écoulement des matériaux du remblai d’accès, puis l’effondrement de la chaussée (Figure 48). L’affouillement intervient bien avant que ne se manifeste l’affaissement de la chaussée, la voûte en maçonnerie et les matériaux du remblai technique restant en place par des effets de voûte. Ainsi, des flaches sur la chaussée, même de faible profondeur, peuvent être le signe de désordres très importants dans les fondations.

Figure 48 : Effondrement de la chaussée consécutif à un affouillement de la fondation (crédit : J-P. Levillain) Dans le cas des ouvrages anciens, réalisés avec des voûtes surbaissées, les remblais d’accès assurent, par la butée qu’ils offrent, la reprise des efforts inclinés exercés par les voûtes. Ils font donc partie intégrante de l’ouvrage en participant à la stabilité générale. Ils doivent donc être protégés et entretenus (Figure 49).

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Figure 49 : Affouillement d’une culée et attaque du remblai d’accès (crédit : J-P. Levillain) Examen du courant, des enrochements et des protections. La position du lit, l’angle d’incidence du courant par rapport aux appuis et la modification au cours des années de la position du chenal ou de l’orientation du courant sur l’ouvrage sont des signes de désordres possibles dans les protections et les fondations. Une attention est à porter à la prévention des érosions locales ou générales du lit par des levés réguliers au droit de l’ouvrage mais également à l’amont et à l’aval des appuis selon des profils transversaux continus. C’est très souvent un excès de protection de l’appui qui occasionne les désordres. En première approximation, les profondeurs d’affouillements locaux sont directement proportionnelles à la largeur de l’appui. Pour réduire la profondeur d’affouillement, il faut donc réduire la largeur de l’appui et par suite éviter les crèches, les entablements trop généreux et les massifs d’enrochement trop larges en tête et établis trop haut. Les massifs d’enrochements doivent être maintenus à une certaine hauteur autour des appuis tout en veillant à laisser un débouché superficiel suffisant. Une réduction trop importante de la section offerte à l’écoulement provoque des fosses à l’aval des ouvrages et une attaque des appuis par érosion régressive (Figure 50).

Figure 50 : Attaque d’un appui par érosion régressive des talus Un talus raidi en aval est un signe d’érosion et d’attaque de l’appui par effet de seuil ou de barrage noyé pouvant aller jusqu’à la ruine de l’appui par entraînement des sols de fondation. Les radiers généraux de protection du lit contre les érosions sont vulnérables aux extrémités. Il faut alors surveiller les amont et aval de ces radiers, soit par un examen visuel en période de basses eaux, soit par un levé du lit.

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De même, les protections verticales des fondations comme les rideaux de vannage en bois ou en palplanches métalliques sont à surveiller en vérifiant leur fiche, leur verticalité, leur positionnement et leur écartement en tête ou une inclinaison éventuelle... Toutes ces observations peuvent être réalisées soit visuellement sans moyen particulier, soit avec une perche manœuvrée depuis un bateau en période d’eaux normales. En crue, ces observations sont rendues difficiles voire impossibles.

2.3.4.

État des matériaux

Dans le cadre du relevé spécifique préparatoire au diagnostic sur les ouvrages en maçonnerie, les observations des matériaux constitutifs sont essentielles pour identifier la maçonnerie. C’est un matériau composite constitué d’un assemblage de moellons plus ou moins dressés, de dimensions et de natures variées, liaisonnés à l’aide d’un mortier aux qualités qui peuvent être très différentes d’un ouvrage à un autre (Figure 51). Les principaux matériaux à inspecter sont décrits à la section 1.4 et constituent une première base de la connaissance de ce milieu. Une des difficultés lors d’une observation sur tout ouvrage maçonné est que seul le parement extérieur est visible et que sa nature diffère souvent de la maçonnerie interne résistante. La douelle d’une voûte représente le matériau constitutif de celle-ci mais les appuis, les piles et culées, les murs en aile ou en retour, les murs de soutènement ont des maçonneries internes constitutives très souvent différentes de celles du parement. Les parements sont à observer de manière à décrire leur constitution, la géométrie des assemblages, la nature des matériaux. L’observation précise et au contact doit permettre d’identifier visuellement les matériaux constitutifs de l’ouvrage : les pierres avec leur nature et leurs dimensions, les mortiers des joints avec leur épaisseur et leur disposition et, si possible, le mortier de hourdage.

Figure 51 : Illustration de divers parements d’ouvrages en maçonnerie (crédit photo : J-P. Levillain)

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L’examen consiste à contrôler, par observation visuelle et par « sonnage » au marteau, la qualité de la maçonnerie et de mettre en évidence les zones de faiblesse, d’altération, de dégradation par les attaques mécaniques et chimiques. Il doit permettre de donner un avis sur l’état de conservation ou d’altération des matériaux constitutifs et, en première approximation, sur leurs propriétés mécaniques apparentes. Cette approche sur la nature et l’état du matériau est indispensable pour évaluer son évolution au cours du temps en fonction des agressions auquel il est soumis.

Figure 52 : Altération des pierres par le mortier de jointoiement (crédit photo : J-P. Levillain)

Figure 53 : Disjointoiement (crédit photo : B. Godart)

Figure 54 : Destruction du mortier des joints du parement sans affecter la maçonnerie interne (crédit photo : J-P. Levillain)

Figure 55 : Effondrement du parement et des maçonneries internes par défaut de liant (crédit photo : J-P. Levillain)

L’attention est apportée à l’état des pierres en parement et à leur altération éventuelle, voire leur destruction et leur recul par l’érosion et leur altération de surface sous des effets de capillarité avec recristallisation des sels dissous et éventuellement des cycles de gel/dégel. La nature géologique (calcaire ou siliceux) est à déterminer par un test, si besoin, à l’acide acétique peu dilué. L’examen de la structure minérale oriente ensuite vers l’origine géologique et vers ses caractéristiques mécaniques. L’observation des matériaux doit également porter sur les joints, qu’il convient d’examiner de très près pour déterminer leur nature, leur épaisseur, leur origine récente ou ancienne, leur état ainsi que le caractère évolutif ou non et l’origine probable des dégradations qui peuvent les affecter. Les joints sont les points faibles d’une maçonnerie, comme l’illustre l’expression du XVIIIe siècle : « Le diable est dans les joints ». Les maçonneries internes à base de mortier de chaux étant sensibles à la dissolution et à la perte de résistance mécanique, leur durabilité n’est assurée que si le mortier de hourdage est préservé. C’est le rôle du parement d’empêcher la pénétration de l’eau et donc le rôle essentiel du joint. Ce dernier doit être imperméable et non fissuré. Des mortiers de chaux faiblement dosés peuvent conduire à des ruines d’ouvrage, comme sur l’ouvrage de la Figure 55. Le défaut de disjointoiement du parement peut être constaté sur toutes les parties d’un ouvrage en maçonnerie (Figure 53). Son origine peut être physique ou chimique. Il y a lieu de distinguer les causes de l’ouverture des joints. Celles-ci peuvent résulter des mouvements dus aux cycles thermiques entraînant des dilatations et des retraits et se traduisant par une fissuration très locale passant dans les joints. Des mouvements dans la maçonnerie peuvent résulter de déplacements d’appuis dus au déjaugeage en crue ou aux augmentations de charge en étiage ou encore aux propres mouvements des sols. Ces fissures de fonctionnement structurel sont à observer par l’ouverture de joints mais le mortier est en principe en place ou arraché ponctuellement et d’une manière discontinue. On distinguera les ouvertures des joints dues aux déplacements de grandes masses de celles dues aux abrasions et l’usure provoquées par le frottement des grains charriés ou projetés ou encore celles dues au déplacement local des moellons par action des racines des végétaux qui peuvent s’y développer. D’autres causes de disjointoiement sont à rechercher dans des actions chimiques de l’eau et des végétaux qui dissolvent ou réagissent sur la chaux du mortier. Cette action libère les grains et conduit à une diminution d’épaisseur par creusement du joint, puis à sa disparition totale avec circulation d’eau le long des faces des moellons. L’eau qui pénètre dans le parement circule à l’interface avec les moellons du parement (Figure 54) et non dans la maçonnerie interne. Les dissolutions et les abrasions conduisent à la dégradation des joints et à leur disparition. Ces actions sont difficiles à distinguer dans les parties immergées des appuis. En partie haute des structures, l’action est due à l’agressivité de l’eau de pluie rendue acide par les pollutions de toute nature. Cette eau creuse les joints, progresse dans les capillaires et dans les lacunes d’origine mécanique.

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La dissolution du liant provient également des eaux d’infiltration provenant du remblai d’accès et de la chaussée par des cheminements selon des tracés préférentiels à travers les maçonneries internes. Cette dissolution est généralement très marquée dans les douelles derrière les bandeaux sous les trottoirs et caniveaux et aux naissances des voûtes où elle apparaît sous forme de calcite. La dégradation des joints peut provenir de rejointoiements effectués avec des mortiers à base de ciments. Les sels du ciment migrent dans les mortiers plus poreux et ils altèrent les mortiers à base de chaux provoquant leur destruction. Ces sels migrent également dans les pierres de calcaire relativement poreuses et les détruisent par dégradation chimique puis arrachement par érosion éolienne comme le montre la Figure 52. Pour les parties métalliques des ouvrages, comme les hausses des caissons métalliques, il importe de relever en particulier les épaisseurs résiduelles des tôles et les localisations des altérations.

2.3.5.

Désordres dans les équipements de sécurité

Il s’agit de mettre en évidence le comportement et l’état des équipements servant à l’exploitation, à la sécurité, au drainage et à l’entretien de l’ouvrage, que ce soient les trottoirs, les garde-corps métalliques ou les dispositifs d’écoulements des eaux mais aussi les matériels d’usage de l’ouvrage comme les escaliers d’accès ou les échelles de quai. Les parapets en pierre font partie de la structure du pont ou du mur mais les garde-corps métalliques sur un ouvrage en maçonnerie sont des apparaux de sécurité. Ces équipements n’ont pas un rôle structurel mais ils participent à la sécurité de l’usager et à la pérennité de l’ouvrage. Leurs dispositions dans l’ouvrage peuvent parfois contribuer à justifier des déplacements ou des déformations de la structure. La Figure 56 montre un ouvrage en maçonnerie à deux arches où le trottoir a été reconstruit bien rectiligne lors de la réfection de la chaussée sans se préoccuper du comportement de la structure. Le comportement apparent du trottoir depuis sa mise en œuvre permet cependant de justifier de la stabilité de l’ouvrage déformé.

Figure 56 : Désordre dans le parapet non retrouvé dans le profil en long du trottoir (crédit photo : J-P. Levillain) Sur des ouvrages en exploitation comme des quais portuaires, l’exploitant doit au cours d’une réunion sur site préciser ses observations sur l’usage du quai. Par exemple, le grutier peut préciser des anomalies sur la voie de grue qui ne sont pas décelables à l’observation mais qui sont sensibles au cours des manœuvres de manutention.

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L’établissement d’un programme d’investigation à réaliser sur un mur, un pont, un ouvrage fluvial ou portuaire ancien en maçonnerie nécessite de procéder à un relevé spécifique préparatoire à l’élaboration du diagnostic. Ce relevé doit permettre de comprendre l’ouvrage, d’analyser et d’apprécier son comportement apparent, puis de rechercher les défauts et leur origine probable. C’est sur cette base que le programme des auscultations est établi. Il doit permettre d’identifier les matériaux, l’amplitude des désordres, les déplacements et les éléments de justification de stabilité. Le programme sera plus ou moins important selon que les renseignements à disposition concernant :  la date de construction ;  les plans de l’ouvrage ;  les investigations antérieures sur l’ouvrage, avec relevés éventuels sur les fondations ;  les identifications et essais sur un site analogue et proche. Les reconnaissances doivent permettre de répondre aux objectifs et interrogations suivantes :  identification des caractéristiques mécaniques des sols de fondation ;  niveau, type, nature et état des fondations ;  recherche de la géométrie de la voûte et de l’extrados général de l’ouvrage ;  identification des maçonneries internes et de leur état ;  nature, état des pierres et mortiers constituant le corps des voûtes et des appuis ;  nature, épaisseur, état des remblais sur l’ouvrage ;  géométrie, épaisseur des tympans, des culées, des murs en retour ou en aile ;  présence, nature, épaisseur de la chape d’étanchéité ;  présence de drains au-dessus des appuis ou des voûtes. Le type, l’implantation des investigations feront l’objet d’un choix adapté, répondant aux objectifs retenus, et chercheront à obtenir le maximum d’informations utiles, pour un coût adapté à l’opération et une restriction aussi courte que possible du trafic.

2.4.

Auscultation externe

La démarche de diagnostic nécessite de regrouper de nombreuses connaissances dont une observation directe sur l’ouvrage et son environnement et une prise en compte de sa fonction sociale. Établir l’état des connaissances sur un ouvrage c’est réunir et compiler des informations précises permettant de dresser une description complète, d’étudier et de préciser la justification des diverses stabilités de la structure et des fondations, d’identifier son environnement ainsi que les facteurs d’agression et tenir compte de son rôle social. L’ensemble des connaissances doit permettre d’identifier complètement l’ouvrage, de comprendre sa conception et son fonctionnement en prenant en compte l’état de ses matériaux constitutifs, d’apprécier sa pathologie et de trouver l’origine des agressions qui le fragilisent. Ces connaissances doivent contribuer à l’élaboration d’un diagnostic de comportement et d’état fiable, à la recherche de l’origine des désordres et à l’établissement du pronostic, puis à l’étude des travaux de réparation permettant de remettre l’ouvrage en état de sécurité satisfaisant et pérenne. Les nombreuses connaissances à s’approprier nécessitent de procéder à des auscultations parfois nombreuses selon l’importance de l’ouvrage, selon les nécessités dictées par l’ouvrage lui-même en fonction de son rôle dans l’économie locale, de sa situation dans l’environnement et de l’importance des facteurs d’agression. Même si les nouvelles technologies n’en sont pas encore à remplacer l’œil humain de l’inspecteur qualifié au contact du parement, certaines technologies de relevés par drone permettent de constituer des « jumeaux numériques » des ouvrages qu’il est intéressant d’apprécier, ceci permettant d’avoir un modèle 3D de l’ouvrage et la quasi-totalité de l’ouvrage. Les inspections par drone permettent d’accéder à des zones parfois difficiles d’accès et de caractériser certaines parties d’ouvrages. Les modélisations associées permettent également de compléter potentiellement le diagnostic de certaines zones. La notion de « jumeau numérique » permet également d’assurer des suivis des ouvrages dans le temps pour les ouvrages importants.

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2.4.1.

Établissement du levé et des plans de l’ouvrage

L’établissement du levé de l’ouvrage doit permettre de dresser les élévations amont et aval, la vue en plan, des coupes transversales et de les coter. Un des objectifs du levé est de préciser les dimensions géométriques et de déterminer les altimétries des points remarquables en se référant à un point réputé fixe raccordé au système NGF. Le levé concourt à la recherche des déformations dans la géométrie de l’ouvrage. Les plans sont à dresser à des échelles suffisantes (1/100e ou 1/50e) pour que les éléments fins de l’ouvrage soient lisibles. La représentation doit être exacte avec les dimensions des chaînages, des bandeaux et des pierres comme par exemple sur la Figure 57. L’usage des trames standards venant du logiciel de dessin est à exclure dans la mesure où ces trames ne figurent pas le dessin exact des pierres, des briques ou des enrochements à l’échelle correspondante. Les représentations par des hachures ou des aplats sont à limiter aux coupes pour figurer les différents matériaux en reprenant si possible le figuratif des plans anciens au lavis. Les matériaux, comme par exemple les blocs d’enrochement sont à représenter à l’échelle du dessin. Le levé et les plans dressés sont la base du report des observations venant du relevé spécifique. Le levé est à dresser en m NGF avec un plan de référence. Il doit permettre de reporter les couches des sols, les différents horizons ainsi que les fondations reconnues ou approchées. Le levé de l’ouvrage doit représenter son environnement sur une aire suffisamment large pour faire apparaître les sols au pourtour avec les variations éventuelles de niveau, les nappes et leurs amplitudes de variation. La Figure 58 donne un extrait de l’élévation-coupe d’une culée présentant des désordres suite à un tassement général et un tassement différentiel important en zone centrale et provoquant des fractures dans la voûte au niveau des reins et en clé. Le levé complet de l’ouvrage est une des premières étapes indispensables des travaux à entreprendre pour engager l’élaboration du diagnostic de comportement de l’ouvrage.

Figure 57 : Extrait de l’élévation amont d’une pile d’un pont sur la Loire (crédit : J-P. Levillain)

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Figure 58 : Extrait de l’élévation – coupe sur la culée rive droite (crédit : J-P. Levillain)

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2.4.2.

Connaissance de la géologie locale et des sols de fondation

2.4.2.1.

Les objectifs de la connaissance en géologique et en hydrogéologie

Les ouvrages reposent tous sur le terrain. L’ensemble des actions transmises par les voûtes, par les remblais, par les structures, par les piles et culées et par les charges hydrauliques et les sous pressions ainsi que les actions résultant des charges et surcharges exercent une action résultante sur le terrain. Ces actions, résumées sur la Figure 59 pour les ponts et pour les soutènements, sont équilibrées par la réaction du terrain. Selon le type de structure comme les parois revêtues ou les tunnels ces actions peuvent être essentiellement des poussées des terres dont la résultante des actions sera reprise par le massif de fondation.

Figure 59 : Schéma des actions exercées sur un ouvrage et équilibrées par la réaction des sols (crédit : J-P. Levillain) La connaissance de la géologie des sols de fondation fait partie intégrante des données à acquérir sur tous les ouvrages. Pour les ouvrages enterrés cette connaissance est à compléter par les données sur l’hydrogéologie locale. Cette connaissance des sols de fondation et des sols de l’environnement au sens large comporte l’identification géologique du site et l’analyse de la géologie locale pour en apprécier les particularités et pour en préciser les contraintes. Cette identification précise doit permettre d’apprécier les aptitudes et les évolutions du site ainsi que son action sur le comportement et la stabilité de l’ouvrage. Elle doit permettre de donner un avis sur l’homogénéité ou non de l’ensemble du site et d’alerter sur des risques de modification de la conception des ouvrages de fondation sur un même ouvrage. La connaissance locale à partir du recueil des données bibliographiques et de données d’analyses est une source importante et précise. Parfois la géologie plus lointaine peut mettre en évidence des risques d’anomalies locales du sous-sol sous l’ouvrage. Il faut alors examiner les orientations des couches, leur pendage, les circulations des eaux et les risques de dégradation des horizons sensibles aux actions des eaux. Cette approche de la connaissance de la géologie et de la géomorphologie est à compléter par une observation de terrain. L’observation de l’environnement des ouvrages de soutènement fait appel systématiquement à ces relevés. 2.4.2.2.

Les principes de la démarche

L’élaboration de la connaissance de la géologie nécessite de procéder selon les étapes suivantes : 

un recueil des données historiques (plans, modes de construction dont celles des fondations) et à leur analyse. Des données sur les sols peuvent être disponibles sur les plans d’archives, comme sur la Figure 60 où les coupes des sols sont précisées au droit de chacune des deux piles. Cependant, ces données sont le plus souvent manquantes du fait de l’âge ancien des ouvrages, de la non conservation des archives et de l’absence de dossier d’ouvrage.



la consultation des données bibliographiques courantes souvent libres d’accès comme les cartes IGN et les cartes géologiques ainsi que la recherche et l’exploitation des thèses universitaires ayant pu être établies sur le secteur.

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une visite et une cartographie de terrain avec l’intervention du géologue et du géomorphologue permettant d’identifier les natures et les états des matériaux puis de distinguer les différents affleurements et les zones particulières montrant des risques de mouvements anciens ou à venir sur les sols (Figure 63). Les données sur les sols identifiés sur une carte géologique restent informatives. Une fois sur le terrain, les renseignements peuvent s’avérer inexacts, montrant ainsi la nécessité de réaliser une observation précise du site.



un projet de reconnaissance géotechnique permettant d’accéder aux informations nécessaires à l’établissement des diagnostics de comportement et d’état. Le relevé spécifique peut être mise à profit pour une pré-implantation des reconnaissances géotechniques à réaliser en lien avec la préparation du diagnostic et les pathologies relevées.

Figure 60 : Extrait des plans d’archives de 1880 du pont d’Ingrandes sur la Vienne 2.4.2.3.

Exemples

Pont de Cubzac sur la Dordogne (33). Le franchissement de la Dordogne par un pont suspendu construit en 1836 a nécessité la construction de deux viaducs d’accès de 250 m de longueur chacun. Ces viaducs qui comportent chacun 29 voûtes en plein cintre sont établies sur les alluvions récentes constituées d’argiles à passées tourbeuses (Figure 61). Ces argiles sont influencées par les variations journalières du niveau de la Dordogne soumis aux phénomènes de marée et aux variations annuelles du débit fluvial. Elles sont également sensibles aux variations des pressions interstitielles influencées par les nappes de coteau. Sur une année, autour des ouvrages, les niveaux des sols non chargés varient d’une amplitude réversible de l’ordre de 40 mm (Figure 62). Les piles des viaducs sont établies sur radier général et montrent des variations altimétriques journalières d’amplitude millimétrique et des variations annuelles réversibles de l’ordre de 3 à 4 mm.

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Figure 61 : Carte géologique 803 du BRGM au droit du franchissement de la Dordogne à Cubzac-les-Ponts

Figure 62 : Coupe géologique synthétique au droit du viaduc de franchissement de la Dordogne à Cubzac-lesPonts (crédit : J-P. Levillain) Pont de Glandage sur la Vière (26). Cet ouvrage est soumis au déplacement latéral de sa culée vers l’axe du pont (Figure 63).

Figure 63 : Pont de Glandage sur la Vière soumis au déplacement latéral de la culée vers l’axe du pont (crédit photo : Cerema Méditerranée)

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Comme le montre la carte géologique au 1/25000e (Figure 64), l’ouvrage est implanté dans une vallée très encaissée. Cette approche peut être complétée par une visualisation numérique à partir du site Géoportail ou du BRGM pouvant montrer le contexte géomorphologique et une approche des risques d’évolution potentielle des rochers d’appui des culées.

Figure 64 : Carte géologique et visualisation sommaire du contexte géomorphologique du pont de Glandage sur la Vière L’analyse de la carte géologique (Figure 65) permet d’identifier de nombreux éléments comme par exemple :    

un pendage défavorable incliné vers le Sud-Ouest en direction du creux de la vallée dans les formations du crétacé notées C3c-4G (ensemble détritique conglomératique) ; ces formations concernent la culée Est ; la présence de formation notées C1-2 constituées de calcaires argileux en bancs de 0,2 à 0,5 m. Ces formations concernent la culée Ouest ; l’absence de sondage référencé dans la Base Sous Sol à proximité de l’ouvrage ; une fracturation de direction Nord à Nord-Ouest, restant à préciser sur la carte.

Figure 65 : Carte géologique n°844 du BRGM de Mens (26)

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2.4.3.

Connaissance de l’hydraulique locale et des affouillements

2.4.3.1.

Objectifs de la connaissance en hydraulique

La stabilité des ouvrages implantés en site aquatique est conditionnée par celle de ses fondations. Il convient de vérifier pour celles-ci que les cotes d’assises sont à l’abri d’un affouillement généralisé en section courante et au droit de l’ouvrage et d’un affouillement local dû à la présence des piles et culées. Les fondations des ouvrages implantés en site aquatique sont sollicitées par les écoulements et par les évolutions de leurs sols environnants. Particulièrement en période de montée des eaux, la présence des piles et des culées réduit les sections d’écoulement des cours d’eau. Les vitesses sont amplifiées localement et sont à l’origine de phénomènes d’abrasion et d’érosion sur les matériaux et d’affouillements sur les sols. Les effets hydrodynamiques du jet des hélices des bateaux peuvent conduire à des érosions et à des affouillements des sols sur les ouvrages de navigation dont particulièrement les quais. Sur tous les ouvrages implantés sur une rivière, les fondations et les bases immergées des appuis ainsi que les sols sont agressés par les eaux. Ces ouvrages présentent des risques. Pour évaluer les risques encourus, des connaissances sur l’hydraulique de la rivière et sur sa morphologie sont nécessaires. Les données minimales à acquérir sont les débits d’étiage et de crues avec les niveaux correspondants, la bathymétrie générale et locale, la nature et de l’identification des alluvions et une description des aménagements de l’amont et de l’aval qui fixent les niveaux des lignes d’eau. Ces données sont à analyser pour disposer des conditions d’exploitation des ouvrages en site aquatique. Elles doivent permettre d’identifier les différents types d’affouillements dus à la présence des appuis et les érosions dues à l’effet de seuil provoqué par des protections trop massives sur les piles et les culées ou par un radier sous l’ouvrage (Figure 66). Elles sont également nécessaires à l’évaluation du risque d’embâcles. L’objectif de ces connaissances sur la position des fonds et les conséquences des affouillements est de rechercher la ou les origines de désordres dans les fondations ainsi que d’évaluer et de justifier les risques encourus. L’étude des conditions d’écoulement de la rivière doit permettre d’évaluer les phénomènes d’érosion dus aux aménagements en place et à réaliser et l’influence de leur exploitation.

Figure 66 : Exemple d’effondrement provoqué par un affouillement consécutif à une diminution du débouché hydraulique consécutif à un renforcement des appuis par des banquettes en béton (crédit photo : B. Godart) 2.4.3.2.

Notions d’hydraulique

Un certain nombre de notions d’hydraulique sont à appréhender au cours du diagnostic : 

dynamique fluviale : débit de l’écoulement pouvant influer sur le transport de sédiments et l’équilibre de la morphologie du cours d’eau, avec prise en compte des crues ;



morphologie fluviale : la morphologie d’un cours d’eau est très variable depuis sa source jusqu’à son embouchure, ou d’un cours d’eau à un autre. Elle présente en général une certaine pérennité dans le temps. Toute variation importante d’un facteur intervenant sur l’équilibre, qu’il soit naturel ou dû à une intervention humaine, peut conduire à une modification temporaire ou définitive du type de morphologie.

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transport sédimentaire : l’écoulement de la rivière entraîne un charriage de sédiments lié à l’érodabilité des sols et pouvant conduire à des phénomènes altérant les ouvrages en rivière ;



affouillement généralisé : en période de crue, lorsque les hauteurs d’eau sont grandes et que les vitesses d’écoulement sont supérieures à la vitesse critique de charriage des sédiments, il peut se produire un affouillement généralisé. Il importe de connaître la cote des fonds sous laquelle les sédiments ne seront pas déplacés de manière à s’assurer des conditions de fondation des ouvrages ;



section d’écoulement : les effets de la réduction de la section d’écoulement peuvent conduire à diverses perturbations : hydraulique, abaissement des fonds, dérivation de l’écoulement, affouillement localisé ;



affouillement localisé : les écoulements hydrauliques perturbés par les appuis en rivière, les seuils, les aménagements ou les embâcles peuvent éroder les sols alluvionnaires, voire le substratum rocheux, et générer des affouillements localisés, dont la profondeur peut conduire à la réduction de la capacité de la fondation et générer des tassements.

Cette étape de la connaissance des conditions hydrauliques est essentielle dans le diagnostic des ouvrages (murs et ponts) en maçonnerie car ils sont particulièrement sensibles au phénomène d’affouillement, qui peut conduire à des désordres importants, voire à la ruine de l’ouvrage.

2.4.4.

Inspection subaquatique et levé bathymétrique

Les fondations en eau sont beaucoup plus agressées et plus vulnérables que les parties aériennes en général mais elles sont inaccessibles directement à la vue de l’observateur. Avec le relevé spécifique préparatoire à l’établissement du diagnostic des structures appliquée aux éléments hors sol, l’inspection subaquatique participe à la recherche des informations indispensables en vue de l’élaboration des diagnostics de comportement et d’état. Ce type d’inspection intervient régulièrement dans le processus de gestion des ouvrages d’art. L’inspection subaquatique concerne le relevé précis des géométries des fondations, l’identification des matériaux et leur état apparent, le relevé des désordres et l’établissement des bathymétries locales au pourtour des appuis ou générales de l’ensemble du lit. La Figure 67 montre un extrait de l’élévation amont d’une pile de pont sur laquelle est reporté le relevé subaquatique. Le moisage encore en place est représenté ainsi que les enrochements et le toit du calcaire reconnu.

Figure 67 : Extrait d’une élévation amont suite à une inspection subaquatique (crédit : J-P. Levillain)

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Le levé des fonds des rivières est une opération spécifique à effectuer sur les ouvrages en site aquatique pour compléter le levé de terrain. Ces levés des fonds permettent de déceler les affouillements du lit et les érosions éventuelles sur les sols de fondation. Ils mettent en évidence là où le lit a été ou est sollicité par des érosions ou par des dépôts dus aux aménagements et aux exploitations sur son cours même lointain. Ces travaux de levé ont pour objet de mettre en évidence des modifications éventuelles des fonds et de détecter des désordres pouvant affecter les fondations. La Figure 68 montre le levé exécuté sur un petit cours d’eau à l’aide d’une perche graduée. Ce levé met en évidence une forte érosion très locale du lit et des creusements des sols sous deux appuis. 2.4.4.1.

Inspection subaquatique

2.4.4.1.1.

La surveillance par inspection subaquatique

L’inspection subaquatique fournit des informations indispensables à l’établissement du diagnostic des ouvrages ayant des fondations en site aquatique. Elle intervient également et de manière plus importante et régulière dans le cadre du processus de gestion des ouvrages d’art dans lequel chaque maître d’ouvrage ou maître d’œuvre ayant reçu délégation est impliqué.

Figure 68 : Bathymétrie et érosion du lit sous deux appuis (crédit : J-P. Levillain) La surveillance est d’autant plus importante à effectuer régulièrement ou à la suite d’événements particuliers que les fondations des ouvrages en site aquatique sont masquées à la vue par le niveau d’eau ou des protections comme des enrochements. Ces travaux d’inspection sont à effectuer par des spécialistes que sont les scaphandriers inspecteurs et les scaphandriers agents d’inspection formés et titulaires du CQP (Certificat de Qualification Professionnelle). 2.4.4.1.2.

Les objectifs des inspections subaquatiques

L’inspection subaquatique, comme l’inspection des parties aériennes, est un constat. Elle concerne le relevé des géométries des fondations et des bases des appuis immergés, le relevé des désordres, l’identification des matériaux rencontrés et l’établissement des bathymétries locales au pourtour en précisant la nature des fonds. Ces différents relevés permettent à partir d’une géométrie connue ou supposée des fondations de mettre en évidence ou non des désordres ou du moins des anomalies, tant sur les ouvrages eux-mêmes que sur leur environnement. Le relevé de la nature des matériaux et de leur état apparent doit permettre de mettre en évidence les phénomènes d’altération, d’abrasion, de corrosion des différents matériaux. Ces relevés doivent remonter jusqu’à la douelle des voûtes afin d’assurer le recouvrement avec l’inspection des parties aériennes.

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Effectuée dans un environnement difficile et dans des conditions peu propices à une bonne observation, l’entreprise se doit de préciser les insuffisances des travaux effectués ou au contraire de signaler que toutes les conditions nécessaires à un travail de qualité étaient réunies. Il lui incombe, et c’est l’objet des travaux, de signaler et d’attirer l’attention du gestionnaire sur les anomalies rencontrées lors des inspections. L’inspection subaquatique seule ne peut permettre au gestionnaire ou à l’expert désigné d’établir un diagnostic car il ne dispose alors de la description que d’une partie de l’ouvrage. L’entreprise peut et doit même, si besoin, préconiser des compléments de travaux d’inspection ou d’auscultation qui ressortent de sa spécificité particulière d’inspecteur d’ouvrages immergés. 2.4.4.1.3.

Conduite des travaux d’inspection

Pour réaliser une inspection subaquatique garantissant une observation de la totalité des surfaces des parements immergés, le scaphandrier doit respecter une procédure. En particulier, il doit respecter les consignes suivantes :   

inspection de la surface d’un parement par bandes verticales de largeur inférieure à 1 m, levé de profils en long et en travers espacés de 2 à 3 m autour des piles et culées ou des murs, levé des profils transversaux du fond du cours d’eau au droit de l’ouvrage. Ces profils doivent être établis à minima en amont, dans l’axe de l’ouvrage et en aval. Ces profils et levés doivent se référer en plan et en altitude à des repères fixes. Le rapport donne tous les renseignements recueillis, dont :  la description précise des fondations et abords,  la nature des terrains et des matériaux observés,  l’état de conservation des ouvrages,  la position, l’importance des désordres décelés,  le régime des eaux aux abords des ouvrages (vitesse du courant, turbulence, pollution, visibilité). Le rapport d’inspection doit être accompagné de tous les dessins cotés nécessaires à la compréhension des observations faites. Ce rapport doit être complété, en cas de découvertes de désordres, par des croquis permettant de déterminer l’état exact des ouvrages immergés. La Figure 69 est un exemple de plan d’une pile complété pour effectuer un levé. Le sol de fondation autour de l’appui est décomposé en un certain nombre de zones à l’aide d’un quadrillage. Ces zones sont repérées sur le plan par une lettre et un chiffre. Les renseignements sont à recueillir dans chaque zone. Aux intersections du quadrillage, les points correspondants doivent être soigneusement nivelés. La Figure 70 montre l’exemple d’une coupe en travers et d’une élévation d’une pile à dresser lors de visites subaquatiques.

Figure 69 : Plan d’une pile complété pour effectuer un levé

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Figure 70 : Coupes longitudinale et transversale d’un appui avec la trame des levés Les visites doivent être réalisées avec des outils tels que marteaux, pics, outils pour gratter, règles graduées, perche graduée, lance à eau pour dégager les alluvions meubles... Il faut en effet une action mécanique sur les parements vus des ouvrages pour retirer les concrétions, la mousse ou la végétation et réaliser l’observation et aussi pour s’assurer de l’état d’altération ou non des pièces immergées. La résistance d’un joint de mortier entre des moellons, la dégradation sur la périphérie d’une pièce de bois, l’altération d’un béton de chaux et sa désagrégation, la corrosion des pièces métalliques, ne peuvent s’apprécier correctement que par l’utilisation de lames, de grattoirs et poinçons. Si besoin, des échantillons des matériaux rencontrés sont à rapporter de la visite pour une identification plus pertinente. Lorsqu’il n’est pas possible d’observer de l’extérieur la base des appuis, notamment en présence d’enrochements, il est techniquement possible de déplacer quelques blocs ou de dégager partiellement l’appui pour préciser l’état des fondations. Cette méthode permet d’estimer l’étendue d’éventuelles cavités et de juger de l’état des pièces de bois de la périphérie de l’appui et de préciser leur disposition. L’objectif est de reconstituer sur plans les dispositions précises et cotées des fondations avec leurs défauts apparents. Le dégagement doit avoir une étendue limitée car les enrochements contribuent souvent directement à la stabilité de l’appui. Le dégarnissage ainsi réalisé pour l’observation doit être immédiatement comblé et les enrochements de protection remis en place.

Figure 71 : Vue en plan et en élévation des relevés d’une culée (crédit : J-P. Levillain)

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La Figure 71 présente le relevé de l’inspection subaquatique de la fondation d’une culée. Les pièces relevées doivent être représentées à l’échelle dont les enrochements de manière à représenter « la photographie » réelle de la fondation et de son état. 2.4.4.2.

Le levé des fonds des rivières

2.4.4.2.1.

Levé bathymétrique

Lors des inspections subaquatiques, il doit être réalisé un levé des fonds autour des appuis (nivellement NGF et système Lambert). Cette surveillance doit être complétée par un suivi régulier de l’évolution des fonds réalisés à plus grande échelle, surtout à la suite de travaux d’aménagement des cours d’eau et en cas d’extraction de granulats dans le lit ou de recalibrage de la rivière ou encore de réalisation d’emprises industrielles. Cette surveillance, qui permet de constater l’évolution des fonds, permet généralement de prévenir certains désordres pouvant affecter les fondations. Ainsi, un abaissement progressif du lit ou une modification de la position du chenal dans le lit seront-ils des signes pour décider par exemple une visite détaillée de tel ou tel appui maintenant davantage menacé. Cas des petits ouvrages. Cette surveillance est aisée en général en étiage. Les mesures sont réalisées à la perche ou à l’écho-sondeur en prenant des alignements sur les berges (jalons) et sur l’ouvrage (fils à plomb) ou à la cordelle pour situer en plan le report de la cote des fonds. Une telle surveillance devient difficile en période de crue en raison de la vitesse du courant. Elle est pourtant essentielle pour étudier le phénomène d’érosion et de transport de sédiments. En effet, l’information obtenue en période d’étiage n’est pas en général représentative des niveaux maximaux d’affouillement atteints pendant les crues. Les fosses sont partiellement comblées pendant la décrue par des dépôts provenant des matériaux charriés ou en suspension. Néanmoins, les relevés en basses eaux sont un indicateur très intéressant de l’abaissement généralisé des fonds ou de l’affouillement local et des zones d’érosions ou d’atterrissements. Parfois, un levé très localisé sera effectué à la suite des observations faites. Ce pourra être des tourbillons qui se détachent de l’appui ou une érosion localisée de la berge dont il importe de s’assurer que ce n’est pas la manifestation d’un désordre dans les sols sous les fondations. Les relevés des fonds à la perche manœuvrée à la main ne sont possibles que pour de faibles profondeurs d’eau inférieures à 3 ou 4 m, et par de faibles courants inférieurs à 1 m/sec. Cependant, ces relevés sont plus performants que l’écho-sondeur dans ces hauteurs d’eau, plus précis et donnent une appréciation certaine de la nature des fonds en distinguant les matériaux par le toucher à l’aide de la perche. Cas des grands ouvrages. La bathymétrie a pour objet de mesurer par sondages ponctuels les profondeurs du plan d’eau (cf. fiches C1-6 et C1-7 des cahiers interactifs Auscultation des ouvrages d’art (Ifsttar & Cerema, 2017)). Elle doit permettre de restituer sur plan ou même en trois dimensions la topographie des fonds. Pour ce faire, il faut réaliser des mesures des profondeurs successives (Z) à des endroits précis et repérés en planimétrie (X, Y). Pour les grandes hauteurs d’eau, la mesure des profondeurs est effectuée à l’aide de sondeurs à ultrasons. Le repérage en X et Y assuré par des systèmes optiques est actuellement remplacé par un radio-positionnement pour connaître en permanence les coordonnées du point mesuré. Il est défini par le calcul de la distance entre deux balises aux coordonnées préétablies. Le tracé peut également fournir les courbes isobathes. 2.4.4.2.2.

Auscultation par sonar latéral

La nécessité de disposer d’une vue complète et fidèle des fonds et des abords des ouvrages a conduit à l’utilisation du sonar latéral pour les inspections de certains ouvrages particuliers. Ces ouvrages plus sensibles que d’autres et nécessitant une inspection plus poussée ou plus détaillée sont ceux qui présentent des structures immergées dont la trace ne représente qu’un détail sur un plan. Ce sont par exemple des rideaux de palplanches, des éléments isolés comme des pieux ou des supports, des bordures de protection dont on veut vérifier le comportement. À cet égard, le sonar latéral permet de compléter la cartographie des fonds. Principe de la méthode

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La bathymétrie classique utilise des méthodes acoustiques. Le principe consiste à mesurer le temps mis par une onde sonore ou ultrasonore (qui sont les seules à se propager avec une faible atténuation dans l’eau) pour traverser la tranche d’eau, se réfléchir sur le fond et revenir vers l’hydrophone de réception. Ce temps est converti en distance en associant une vitesse de propagation du son dans l’eau ; celle-ci dépend des conditions locales de température, de salinité, de pression, de turbidité et d’eutrophisation. Les ultrasons sont par définition des fréquences non audibles supérieures à 16 kHz. Ils sont produits par des matériaux dits « piézoélectriques » car leur propriété essentielle est de transformer de l’énergie électrique en énergie mécanique (acoustique). L’onde ultrasonore est, en première approximation, une onde plane qui possède une direction de propagation privilégiée et qui est soumise aux mêmes lois que les ondes lumineuses. Le milieu de propagation (l’eau) est responsable d’une absorption partielle du faisceau qui, lorsqu’il rencontre un réflecteur (le fond), est plus ou moins réfléchi, réfracté, diffracté et absorbé (Figure 72). Le signal reçu en surface est donc le résultat complexe d’une combinaison de phénomènes physiques. À chaque émission, le sonar illumine une bande de terrain étroite de chaque côté du bateau, d’où le nom de sonar latéral. Les fréquences d’émission sont assez élevées, 500 kHz par exemple (Figure 72). Les fréquences élevées sont utilisées pour de faibles profondeurs (absorption importante) et inversement, des fréquences faibles pour des profondeurs importantes (bonne pénétration). Plus la fréquence est élevée, plus la définition de l’image est bonne. Les variations de portées et de résolution des différents sonars sont assez larges pour faire de la fréquence une variable importante à prendre en considération.

Figure 72 : Principe physique de propagation des ultrasons et de relevé au sonar L’interprétation est qualitative et quantitative. L’image restituée du fond est une photographie obtenue par points ; il est donc possible de reconnaître, avec l’expérience, les objets immergés, mais aussi la nature du fond (vase, sable, graves, blocs ou roches). Les ombres portées (en blanc) permettent de préciser non seulement le contour des affouillements et des atterrissements, mais également leurs dimensions. 2.4.4.2.3.

Auscultation par caméra acoustique

Le développement des techniques « sonars » décline la mise au point d’un matériel de haute définition qui utilise des « lentilles acoustiques ». Avec des fréquences de 1,8 MHz à 1,1 MHz, ces sonars permettent d’obtenir une très bonne définition avec une portée de 1 à 30 m. La caméra acoustique agit comme un sonar de détection et de classification. Elle apporte en plus l’identification précise des objets immergés. La qualité des images est proche de la vidéo classique à la différence que la caméra acoustique peut travailler dans des eaux turbides où l’utilisation de tout autre matériel optique est inefficace. La caméra acoustique est un sonar classique avec une image identique à celle de l’optique, même en eau turbide.

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La qualité des images permet l’analyse détaillée des structures sous-marines (Figure 73). L’appareil peut être manipulé par des scaphandriers ou par un support mobile téléguidé comme un ROV (remotely operated vehicule) ou encore par un bras situé à l’extérieur d’une plate-forme nautique. L’intérêt, outre la vision identique à celle d’une caméra, est de disposer en direct sur écran des observations et d’un enregistrement vidéo. Le logiciel d’acquisition et de restitution fonctionne sur PC portable, ce qui permet d’assurer des fonctions de contrôle et de visualisation en direct avec des experts par exemple dans le cas d’identification de désordres dans des protections ou dans les appuis des ouvrages.

Figure 73 : Exemple d’image donnée par une caméra acoustique sur le pont de pierre sur la Garonne (33) (crédit photo : Sub-C Marine)

2.4.5.

Mise à sec d’un ouvrage ou des appuis d’un ouvrage

2.4.5.1.

Objectifs et principe de la mise à sec

L’intérêt majeur de la mise à sec des appuis d’un ouvrage réside dans la possibilité d’une observation directe et aisée des éléments hors sol des fondations, dans un relevé exhaustif et précis de la géométrie des fondations, dans l’identification précise des matériaux ainsi que dans la description de la nature des désordres (Figure 74).

Figure 74 : Mise à sec de la fondation d’une pile du pont de Moussac sur la Vienne (86) (crédit photo : J-P. Levillain)

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L’ouvrage étant à sec, il importe alors de procéder à l’entretien et aux réparations et de les exécuter dans les meilleures conditions. C’est le second avantage déterminant de cette méthode. Le rejointoiement des maçonneries immergées devra toujours être exécuté après mise à sec des appuis de l’ouvrage. En général, la décision de mettre à sec un appui ou la totalité de l’ouvrage (quand leur portée est modeste) n’est prise qu’à la suite d’autres investigations quand elles ont mis en évidence des désordres. La mise à sec est un moyen de surveillance exceptionnelle. La technique de mise à sec consiste à isoler un appui, ou la totalité des appuis, à l’abri de deux barrages établis l’un à l’amont, l’autre à l’aval. Le cours de la rivière est dérivé préalablement, soit à côté de l’ouvrage, soit sous l’ouvrage dans une buse, soit sous les autres arches lorsqu’un appui est isolé sur un ouvrage qui en comporte plusieurs. 2.4.5.2.

Précautions

La mise à sec doit être réalisée avec discernement et étude préalable. Il ne faudrait pas en effet aggraver les désordres par des infiltrations d’eau ou des entraînements de matériau par phénomène de renard sous les fondations. En cours d’épuisement de l’eau sous l’ouvrage, il convient de vérifier qu’il n’y a pas de nappe en charge derrière ou sous les appuis, car il faut éviter impérativement les circulations d’eau sous les fondations. Ceci peut conduire à ficher des palplanches de protection dans un substratum ou une couche imperméable. Suivant l’état de l’ouvrage, il est parfois nécessaire d’étayer ou de mettre les voûtes sur cintre (Figure 75). Très souvent, la circulation pourra être interdite sur l’ouvrage tant qu’un diagnostic complet n’aura pas été formulé.

Figure 75 : Mise en sécurité sur cintre du viaduc de St Ouen avec maintien de la circulation ferroviaire (crédit photo : T. Stablon) Dans tous les cas, la mise à sec n’est à envisager que pendant une période favorable correspondant à l’étiage des rivières, pendant les basses eaux. Il faut prévoir de noyer éventuellement la fouille dans un délai de 1 à 2 jours si un orage ou une crue subite survenait. Cette technique ne peut donc pas être mise en œuvre à n’importe quel moment de l’année. Il faut attendre une période favorable et l’accord selon les textes réglementaires (loi sur l’eau). 2.4.5.3.

Exemples de mise à sec d’appuis

La mise à sec d’un appui, d’une arche ou d’un ouvrage, nécessite de construire deux barrages, l’un en amont, l’autre en aval et d’assurer le débit de la rivière. Parfois, un seul barrage en amont peut suffire. La rivière est dérivée latéralement à l’ouvrage quand les remblais d’accès sont peu importants. Il peut s’agir d’une simple tranchée terrassée à la pelle mécanique dans les prairies avoisinantes et d’un passage busé sous la chaussée (Figure 76).

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Figure 76 : Mise à sec d’un ouvrage par dérivation provisoire de la rivière (crédit : J-P. Levillain) Quand les remblais d’accès sont hauts et que le débit est faible, un tube implanté sous l’ouvrage au niveau du fil d’eau amont peut suffire pour évacuer le débit en période d’étiage (Figure 77).

Figure 77 : Mise à sec d’un ouvrage par mise en œuvre de deux barrages et d’une buse sous l’ouvrage (crédit : J-P. Levillain) Pour isoler un ou plusieurs appuis d’un ouvrage qui en comporte plusieurs, des batardeaux analogues à ceux utilisés sont réalisés pour construire les fondations en site aquatique, en s’écartant, toutefois, suffisamment des appuis pour permettre des accès (Figure 78).

Figure 78 : Appuis isolés par des batardeaux ou des digues pour leur mise à sec (crédit : J-P. Levillain)

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2.4.5.4.

Différents types de barrages et batardeaux

Bien que ce soient des ouvrages provisoires, il importe d’attacher une grande attention à la réalisation de ces ouvrages implantés dans le lit des rivières. Ces barrages ou batardeaux peuvent être de simples panneaux maintenus verticalement par des piquets dans le cas où la hauteur d’eau est faible et inférieure à 0,75 m. L’étanchéité en pied de ces panneaux métalliques ou en bois est assurée par des sacs d’argile ou seulement de sable. Bien souvent, ces barrages seront réalisés en terre, avec les matériaux disponibles localement. Si les matériaux sont perméables, un film étanche est ajouté. Plus rarement, les batardeaux seront réalisés à l’aide de palplanches métalliques. Un épaulement des rives sera nécessaire parfois pour renforcer les berges et limiter les infiltrations.

2.4.6.

Dégarnissage localisé des fondations

2.4.6.1.

Objectifs du dégarnissage - Méthode et moyens

Pour de nombreux ouvrages d’art fondés en terrain affouillable, les désordres dans les fondations peuvent être entièrement dissimulés à l’observation par le comblement des fosses d’affouillement ou par la présence d’enrochements. Les inspections subaquatiques par scaphandriers inspecteurs, réalisées en période de basses eaux, ne permettent pas d’apprécier alors l’état réel de l’ouvrage. L’objectif du dégarnissage est d’atteindre le niveau de fondation, localement, pour observer celui-ci, rechercher la nature et la disposition éventuelle des pieux en bordure, identifier les sols de fondation, rechercher les fosses à proximité ou les cavités sous les appuis. Le dégarnissage consiste à réaliser à la périphérie d’un appui, une souille de 1 à 3 m de profondeur en général, pour permettre d’accéder au niveau de fondation (Figure 79).

Figure 79 : Dégarnissage local d’une fondation pour l’observation des fondations (crédit : J-P. Levillain) Les moyens à mettre en œuvre sont la benne crapaud dans les enrochements, le godet de pelle, la lance à eau ou une aspiratrice mue à l’air comprimé dans les sols meubles. L’entreprise doit disposer des moyens de télévision subaquatique pour permettre le contrôle permanent de l’avancement du travail et l’interprétation des éléments d’information recueillis et transmis par le scaphandrier. À la fin des investigations, il est nécessaire de procéder au remblaiement de l’excavation en réalisant un contact correct entre la sous-face des maçonneries et la grave immergée de comblement. Les enrochements de protection sont ensuite reconstitués.

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2.4.6.2.

Précautions

Cette méthode de reconnaissance n’est à utiliser qu’avec une grande prudence en mettant l’ouvrage sous surveillance particulière afin de vérifier en permanence la stabilité des appuis pendant les opérations. Cette technique présente en effet des risques de poinçonnement local des sols de fondation ou de tassement de l’appui. C’est pourquoi le dégarnissage sera implanté de préférence hors d’une zone de concentration des contraintes dans l’appui, en évitant les zones des chaînes d’angle. Avant de dégarnir, même très localement, il faut se demander si l’ouverture d’une souille à proximité de fondations, peut-être en état précaire, n’entraîne pas des risques importants. En conséquence, il faut vérifier au préalable l’état des maçonneries et du liant, et identifier la présence de remblai derrière les maçonneries. Il faut parfois prévoir un butonnage de l’ouvrage, mettre un corset autour de la pile, mettre les voûtes sur cintres ou le tablier sur palées provisoires avant d’entreprendre les travaux de dégarnissage qui ne seront limités en tout état de cause qu’à une reconnaissance locale des fondations. Selon que les travaux portent sur le lit ou sur les berges, ceux-ci relèvent de la déclaration ou de l’autorisation au titre de la loi sur l’eau. L’étude des risques et des conséquences sur le milieu aquatique d’un pont existant et des travaux d’auscultation et de renforcement ou de réparation à y effectuer est de la responsabilité du maître d’ouvrage qui doit prendre toutes les dispositions pour faire les déclarations et obtenir les autorisations nécessaires. Dans le marché de travaux correspondant le maître d’œuvre imposera les dispositions à appliquer par l’entreprise.

2.4.7.

Dégarnissage localisé de l’ouvrage

Le dégarnissage localisé se pratique pour la recherche des extrados des voûtes, pour l’identification et la recherche de la géométrie du parement arrière des tympans ou du parement arrière des soutènements et des quais et pour la recherche du type et du niveau de fondation des ouvrages en site terrestre. La Figure 80 présente un dégarnissage localisé pour la recherche du niveau et identifier les matériaux recouvrant l’extrados d’une voûte. Il permet de reconnaître le corps de chaussée, les matériaux du remblai et la présence d’une étanchéité en extrados. Ces travaux de dégarnissage se doivent d’être précis. Ils doivent présenter les géométries, décrire les matériaux avec leur nature, leurs dimensions, leurs niveaux et leur état apparent. Le report des observations s’effectue sur des plans cotés et référencés dans le système NGF. Les niveaux des différents horizons reconnus sont reportés sur le relevé des structures. Le dégarnissage peut être plus important pour rechercher l’état de l’extrados d’une voûte présentant des désordres en intrados suite à des déplacements des appuis (Figure 81). Ces travaux de reconnaissance sont à réserver aux recherches d’informations limitées en profondeur et à des matériaux meubles comme les remblais. Une grande dimension de l’ouverture de la reconnaissance est un atout lors de la recherche de la géométrie d’une structure comme l’arrière d’un tympan et d’une plinthe ou de l’extrados d’une voûte qui n’est jamais une surface plane depuis le milieu du XVIIIe siècle. L’investigation à la pelle mécanique de 1 m x 0,50 m au minimum est adaptée à la recherche des extrados des voûtes et à l’identification des matériaux de remplissage. Elle sera implantée d’une part dans l’axe de la voûte au niveau de la clé et d’autre part au ¼ de la demi-voûte et si besoin aux ¾ selon l’importance de l’ouvrage. Ces investigations seront implantées contre le parapet pour permettre de déterminer l’épaisseur et la géométrie intérieure du tympan, sur les deux bords opposés de l’ouvrage. Les travaux de reconnaissance à la pelle mécanique nécessitent un personnel prudent, travaillant par petites passes et essentiellement à la main en présence de réseaux. Les relevés seront effectués par un personnel formé et en prenant soin de niveler les différents horizons et de les rattacher à un repère fiable de nivellement pour un report sur les plans cotés de l’ouvrage. Des essais d’identification sont à effectuer sur les matériaux de remblai et éventuellement il peut être envisagé un essai de plaque sur les matériaux en place.

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Figure 80 : Dégarnissage localisé pour la recherche du niveau de l’extrados (crédit photo : J-P. Levillain)

2.5.

Figure 81 : Dégarnissage total d’une voûte pour la recherche de désordres en extrados (crédit photo : J-P. Levillain)

Auscultation interne

L’auscultation interne d’un ouvrage a pour objet la recherche de la connaissance des éléments intérieurs que sont sa constitution et ses géométries internes, les matériaux utilisés, leur état et leur comportement, le type et le niveau de fondation quand ils sont inaccessibles par l’extérieur ainsi que les identifications et les caractéristiques des sols de fondation. Les sondages carottés de reconnaissance des appuis et des fondations, poursuivis par des essais en place de mécanique des sols dans les sols de fondation, constituent un moyen d’inspection ayant un caractère exceptionnel. Ces sondages seront donc décidés à la suite de la découverte de désordres ou pour déterminer un état de référence des matériaux constitutifs et des fondations de l’ouvrage. Ce type d’investigations intervient en général après un relevé spécifique complet des structures de l’ouvrage et des fondations à l’aide des scaphandriers titulaires du CQP Inspecteur (d’où la nécessité d’une compétence subaquatique à rechercher et intégrer à la commande de ces études) Les sondages carottés présentent de nombreux atouts déterminants dans la connaissance de l’ouvrage. Ils permettent de déterminer avec précision la cote des fondations d’un appui et les cotes des différents horizons rencontrés. Réalisés à partir de la chaussée, les sondages carottés de reconnaissance fourniront des points de la géométrie des structures internes, la nature précise, l’identification et l’état des matériaux constitutifs de l’ouvrage, leur état d’altération, une approche fiable des résistances mécaniques (sous réserve d’une bonne application des méthodes de foration et de prélèvements). Par l’apport d’une connaissance précise des matériaux et des sols et de leurs propriétés mécaniques, les sondages carottés permettent de déterminer la qualité globale de la construction. Bien que ne donnant qu’une information ponctuelle, les sondages aux implantations déterminées permettent de détecter des cavités ou des vides dans les massifs et sous les appuis. Il convient d’apporter à ces reconnaissances, une attention particulière aux éventuelles chutes d’outil de foration. Par ailleurs, ces sondages peuvent mettre en évidence des circulations d’eau éventuelles dans ou sous les fondations. Poursuivis par des essais de mécanique des sols en place dans les sols de fondation, les sondages permettent d’accéder à la mesure des caractéristiques mécaniques des sols. Ces paramètres sont exploités pour le calcul de la portance et des tassements des sols de fondations sous l’appui étudié. Il est recommandé de rester prudent sur les résultats obtenus car des écarts dans les résultats sont possibles et l’analyse d’autant plus rendue ardue par une faible quantité d’essais pratiqués. Par ailleurs, il convient de rester critique sur les résultats obtenus et les effets d’échelle (représentativité et taille de l’échantillon sollicité en laboratoire eu égard à « l’ensemble » des matériaux à caractériser). La sécurité générale à la rupture de l’ouvrage et les risques éventuels de tassements peuvent être évalués par le biais de méthodes de calculs (Chapitre III).

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Une reconnaissance par sondages carottés permettant de connaître avec précision les sols de fondation et leurs caractéristiques mécaniques et d’assurer une vérification de la stabilité des appuis peut contribuer à étudier, si besoin, une solution de confortement efficace redonnant toute sécurité à l’ouvrage ou encore peut permettre d’étudier une solution exceptionnelle de renforcement des sols et des fondations, voire une nouvelle fondation pour un ouvrage neuf en remplacement de l’existant.

2.5.1.

Auscultation par radar

Le radar géologique permet de caractériser des géométries internes de maçonnerie (Figure 82). Il peut contribuer à l’identification des structures et à la caractérisation des différents types de maçonnerie comme les pierres de taille, les briques, les remplissages et mesurer en continue des épaisseurs. Il peut, dans certaines conditions, aider à la recherche des anomalies internes aux maçonneries et en particulier identifier des zones de forte humidité ou détecter des zones de moindre résistance.

Figure 82 : Exemple de relevé au radar

2.5.2.

Implantation des sondages et des forages pour essais

L’implantation des sondages de reconnaissance est étudiée en fonction des objectifs, de la connaissance de l’ouvrage, de la structure et des canalisations déjà implantées sur l’ouvrage. Les conditions d’accès au pied de l’ouvrage et l’environnement hydraulique ne permettent pas toujours de les implanter sur ponton ou d’installer la sondeuse sur les enrochements de protection. Implantés sur la chaussée de l’ouvrage (Figure 83), les forages peuvent traverser le corps de l’appui pour en reconnaître la nature et l’état d’altération ou la fissuration éventuelle. Ils peuvent être verticaux ou inclinés pour toucher un point particulier de la fondation. Ils seront toujours décalés de l’axe de l’appui pour déceler d’éventuelles cavités ou érosions sous les fondations et éviter les drains transversaux au-dessus des piles. Au cœur de l’appui, les maçonneries sont moins exposées aux dégradations. Aussi la recherche des anomalies dans les maçonneries de même que la recherche des cavités sous ou dans les fondations impose d’implanter les sondages en bordure des parements des appuis de manière à atteindre les zones les plus détériorées.

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Figure 83 : Exemple d’implantation en plan et élévation de sondages verticaux, horizontaux ou inclinés sur le tablier d’un ouvrage d’art (crédit : J-P. Levillain) Les sondages peuvent également être implantés à l’extérieur des appuis, soit en disposant la sondeuse sur les berges, soit sur les massifs en enrochements, soit encore sur un ponton (Figure 84). Cette disposition serait impérative dans le cas où la sécurité de l’ouvrage serait précaire. Les sondages carottés implantés à l’extérieur des appuis sont inclinés pour toucher la base des fondations.

Figure 84 : Implantation des sondages à l’extérieur des appuis, sur les enrochements, les berges ou un ponton (crédit : J-P. Levillain) Si des affouillements sont à craindre, il est préférable d’implanter le ou les forages à l’amont des appuis et en les décalant de l’axe de l’appui, pour reconnaître soit le bord des fondations, soit une zone particulière et décelée lors des visites. Dans le cas d’appuis protégés par des massifs en enrochements, il peut être indiqué de réaliser des sondages inclinés disposés en aval, l’objectif étant de déceler des anomalies et des causes de ruine par érosion régressive par l’aval. Dans le cas où l’objectif de la reconnaissance est davantage une bonne connaissance des sols de fondation, de l’encastrement ou d’une variation des caractéristiques mécaniques des sols plutôt que la reconnaissance du niveau de fondation et de la nature de celle-ci quand elle est connue par ailleurs (voir section 2.2), l’implantation des forages sera bien entendu extérieure aux appuis. Ces sondages sont en général moins coûteux, exécutés dans de meilleures conditions évitant une grande hauteur libre et donc nettement plus fiables vis-à-vis des mesures des propriétés mécaniques des sols.

2.5.3.

Le sondage carotté

Le sondage carotté [EN ISO 22475-1] est à recommander dans la majorité des cas pour la reconnaissance des appuis et fondations (cf. fiche A3-1 dans Ifsttar & Cerema (2017)). Bien que parfois délicat, ce type de sondage n’ébranle pas les maçonneries et permet, dans la majorité des cas, de réaliser le forage sans accentuer l’état d’altération ou de fissuration d’un ouvrage dégradé ou des sols de fondation à investiguer. Ces travaux de reconnaissances ont pour objectifs de : 

prélever des échantillons de sol et de roche d’une qualité suffisante pour évaluer l’aptitude générale d’un site à des fins d’ingénierie géotechnique et pour déterminer les caractéristiques requises du sol et de la roche en laboratoire ;

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obtenir des informations relatives à la succession, à l’épaisseur et à l’orientation du système de couches, de diaclases et de failles ;  établir l’identification, le type, la composition, la nature, l’état apparent et les niveaux de chacune des couches ;  obtenir des informations sur l’eau interstitielle (niveau, pression) et prélever des échantillons d’eau en vue d’évaluer l’interaction entre l’eau interstitielle, le sol, la roche et le matériau de construction. La qualité d’un échantillon est influencée par la nature des maçonneries, les conditions géologiques et hydrogéologiques, le choix et l’exécution des méthodes de forage et/ou de prélèvement, l’expérience de l’opérateur, la nature du carottier, la manutention, le transport et le stockage des échantillons. La norme présente sous forme de tableau les différentes techniques de prélèvement par forage à privilégier en fonction des matériaux prélevés et de la catégorie de prélèvement. Plusieurs techniques sont adaptées à la reconnaissance de l’ouvrage comme du sol de fondation. Ces opérations nécessitent la prise en compte d’importantes précautions, ceci afin de garantir la qualité du carottage et de l’échantillonnage :  

manipulation à l’extraction, protection des échantillons (caisses ajustées avec calage des échantillons, étuis avec bouchons et paraffine),  conditionnement provisoire et définitif avant essais (une position verticale devant être imposée aux échantillons intacts notamment non rocheux),  la qualité du positionnement du prélèvement avec des cotes exactes prises par rapport à des éléments propres à l’ouvrage Il est recommandé d’utiliser de préférence des carottiers à double enveloppe de grand diamètre Ø 146 mm ou plus usuellement Ø 131 mm avec des couronnes au diamant. Le diamètre de Ø 116 mm est à éviter dans le carottage des maçonneries car il est très destructeur et ne permet pas d’apprécier le pourcentage de mortier dans la maçonnerie, l’état d’altération des pierres ou du liant. Les paramètres de carottage (vitesse, pression, avancement) sont à adapter en fonction de la nature des matériaux pour obtenir un échantillon intact. Les carottiers de diamètre inférieur (Ø 116 mm) peuvent être utilisés dans la poursuite des carottages après tubage des couches supérieures et éventuellement employés pour le prélèvement des graves sous la base des appuis, où l’on adoptera de préférence un tube battu type 114LS par exemple. Dans les maçonneries et le béton, voire le métal, le carottage est réalisé à l’outil diamant principalement. Le carottage du bois (platelage, pieux) est réalisé avec des couronnes au carbure de tungstène pour assurer une coupe correcte et une récupération totale de l’échantillon. La foreuse doit permettre d’utiliser une vitesse de rotation bien adaptée à la découpe du bois. La Figure 85 donne un exemple de résultat de carottage sur un ouvrage. Les paramètres de forage, (couple de rotation, pression appliquée sur l’outil, pression d’injection du fluide du forage, vitesse d’avancement, chute d’outil…), le pourcentage de récupération, le RQD1 sont des éléments importants pour juger de la qualité des matériaux rocheux rencontrés. Les carottes récupérées sont décrites avec précision ce qui permettra de reconstituer l’ouvrage et son état autour de ce forage.

1

Rock Quality Designation : pourcentage exprimant le rapport de la somme des longueurs de carottes de plus de 10 cm rapporté à la longueur carottée (nécessite des carottes n’ayant pas subi une fracturation non naturelle lors des opérations de carottage)

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Figure 85 : Résultats d’un carottage dans un corps de pile (crédit : Cerema Ouest) Les sondages carottés permettent de déterminer précisément les niveaux de fondation ; ils sont souvent prolongés par des forages avec essais pressiométriques lorsqu’il est nécessaire de déterminer les natures et caractéristiques des sols de fondation. Toutefois il est préférable de continuer par un carottage des sols de fondation pour identification et d’exécuter le forage pour essais pressiométriques à l’extérieur de la fondation. La Figure 86 montre le report d’un sondage carotté réalisé pour la reconnaissance des maçonneries d’une pile et de ses fondations. Le report des coupes des sols et des maçonneries se doit d’être explicite et reprendre les symboles représentatifs normalisés des différents matériaux reconnus. Les sondages carottés seront implantés au droit des appuis, rapprochés des parements pour rechercher les anomalies de comportement des maçonneries à la liaison des parements et des maçonneries internes et en amont pour la recherche d’éventuelles cavités venant d’affouillements. L’exécution d’un sondage carotté par appui et un en arrière des culées est considérée comme étant une reconnaissance minimum. Néanmoins, selon le nombre d’appuis et l’état apparent de l’ouvrage obtenu à partir du relevé spécifique et de l’inspection subaquatique, le nombre de sondages peut être réduit ou augmenté. Le nombre et la position des sondages carottés sont conditionnés par la présence constatée ou la crainte d’érosion des sols et d’affouillements. Les sondages avec une sondeuse carotteuse rotative nécessitent la neutralisation d’une voie et une interdiction locale de circulation.

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Figure 86 : Extrait de l’élévation d’une pile d’un pont datant de 1848 (crédit : J-P. Levillain)

2.5.4.

Le sondage destructif

Les sondages destructifs peuvent trouver un domaine d’application dans la recherche des géométries des parements arrière des culées et des murs en aile ou en retour ou la recherche des dispositions en arrière des murs de soutènement ou des quais par exemple (cf. fiche C1-4 dans Ifsttar & Cerema (2017)). Ils sont adaptés à des reconnaissances d’épaisseur de remblai, de géométrie des couches et de niveaux. En revanche, ils ne permettent pas des identifications précises des matériaux reconnus du fait du mode forage réduisant les sols et maçonneries en éléments très fins et du fait d’un mode de récupération inadapté. Ils sont à exclure systématiquement dans les maçonneries de roches fissiles comme les schistes et les maçonneries de briques. La consignation précise du déroulement du forage par un sondeur expérimenté est indispensable mais néanmoins les enregistrements des paramètres de foration ne peuvent pas être traduits en résistance mécanique de la maçonnerie.

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La méthode du marteau fond de trou (comme l’Overburden Drilling Method) avec tige guide de forte section et tubage continu simultané est la solution de forage à privilégier. Cette méthode permet d’obtenir des forages rectilignes pour poser des instruments de mesure comme les tubes et tiges de réalisation d’un point fixe scellé au substratum rocheux. La méthode au wagon-drill avec marteau sur la glissière est acceptable dans la mesure où l’outil est équipé d’un taillant pouvant travailler en rétro qui permettra de décoincer l’outil par contre-frappe. Le forage au tricône, qui nécessite une pression élevée, un couple de rotation important (pour un diamètre de supérieur à 60 mm) et provoque des vibrations significatives, n’est pas indiqué pour traverser des maçonneries, voire dangereux dans une maçonnerie dégradée. Quand le forage débouche dans les sols de fondation, la pression d’eau d’injection les détruit totalement et elle provoque des cavités réduisant fortement la portance des sols et pouvant entraîner l’effondrement d’une pile.

2.5.5.

Auscultations dans les sondages et forages

Divers types d’essais sont réalisables dans les sondages carottés et les forages pour rechercher des indications sur la nature et l’état des matériaux : 

Endoscopie : l’examen des parois des forages peut être réalisé à l’aide d’une caméra à vision axiale ou latérale. Aisément réalisable dans les forages secs, cet essai peut être effectué dans l’eau, cette dernière doit être claire et par suite au repos pour que les sédiments se déposent.  Imagerie en forage carotté : permet d’examiner avec précision les parois du carottage et de récupérer une photographie détaillée. Cet examen montre que les maçonneries en place présentent en général un état plus satisfaisant que ne le montrent les échantillons prélevés par un carottage soigné.  Essais géo-hydrauliques [NF EN ISO 22282] : les objectifs sont d’obtenir des informations sur la perméabilité de la maçonnerie, du sol ou de la roche à l’état naturel ou traité, la transmissivité et le coefficient d’emmagasinement ainsi que sur les paramètres hydrodynamiques des formations aquifères. Le choix du mode opératoire d’essai doit tenir compte des conditions de terrain, des conditions topographiques et géomorphologiques et du type d’équipement. La méthode d’essai appropriée doit être choisie parmi les essais de :  perméabilité à l’eau dans un forage en tube ouvert [ISO 22282-2] ;  pression d’eau dans des roches [ISO 22282-3] ;  pompage [ISO 22282-4] ;  infiltromètre [ISO 22282-5] ;  perméabilité à l’eau dans un forage en tube fermé [ISO 22282-6]. D’autres types d’essais sont présentés dans les fiches C6-8 à 14 d’Ifsttar & Cerema (2017).

2.5.6.

Essais dans les sols de fondation

La reconnaissance des appuis et des fondations peut être complétée par des essais en place dans les sols de fondation et par des essais en laboratoire sur des échantillons intacts ou remaniés prélevés sous les fondations. 2.5.6.1.

Essais au pressiomètre

Ce type d’essai est en principe toujours envisageable, quelles que soient la nature des matériaux rencontrés sous la fondation et l’inclinaison du forage. Réalisés dès la base du carottage du niveau de fondation de l’appui, les essais pressiométriques doivent permettent de déterminer des caractéristiques mécaniques des sols et de justifier une portance. L’interprétation des essais permet de définir la stabilité générale à la rupture des sols de fondation chargés par l’ouvrage. Ce type d’essai permet également d’aborder le problème des tassements des fondations. Il permet d’apprécier les réactions horizontales des sols de fondation par l’évaluation du module de réaction. L’essai pressiométrique permet donc de recalculer les portances et les stabilités des fondations de l’ouvrage. Cet essai est ainsi également adapté pour justifier la reprise des efforts horizontaux appliqués par une culée sur son remblai d’accès et recevant la charge inclinée d’une voûte très surbaissée par exemple. Ces essais sont également très utiles pour étudier et dimensionner des solutions de renforcement ou de confortement des fondations. Sans un guidage approprié, l’essai pressiométrique conduit à un forage aux parois fortement remaniées et donc à un essai minorant les valeurs des caractéristiques. La pose d’un tubage de guidage est donc recommandée en suivant l’avancement du forage.

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La résistance propre de la sonde pressiométrique, y compris le tube fendu s’il y a lieu, doit être aussi faible que possible en comparaison à la valeur prévue de la pression limite à la profondeur de l’essai. Par ailleurs, des longueurs maximales de passes en forage doivent être appliquées et la technique de foration adaptée en fonction de la nature du sol doit uniquement être la méthode recommandée par la norme. Il est important de consigner les données (temps, pression, volume) et d’indiquer sur les procès-verbaux définitifs les données suivantes :  la pression de fluage pressiométrique pfM,  la pression limite Ménard pLM,  le module pressiométrique Ménard EM. Les premiers essais pressiométriques sont très souvent faibles eu égard aux charges appliquées par la fondation sur le sol suite au remaniement du forage et non représentatifs des propriétés du sol. Le géotechnicien doit s’engager sur leur représentativité et sur leur validité pour apprécier la portance des fondations, conformément à la NF EN ISO 22476-4. Sur certains ouvrages aux fondations encastrées dans les sols, il est préférable de procéder à des forages de reconnaissances des sols et de mesure de ses propriétés mécaniques qui seront implantés à l’extérieur des appuis. Le forage pour essais pressiométriques y est généralement de meilleure qualité que celui qui serait exécuté à partir d’un carottage implanté dans l’appui. La Figure 87 représente la vue en élévation d’une pile de pont avec le report du sondage carotté au diamètre de 131 mm à couronne au diamant dans les maçonneries de schiste ardoisier et la poursuite du forage en rotation à la boue pour tester les sols par des essais pressiométriques.

Figure 87 : Reconnaissance des sols de fondation à partir d’essais pressiométriques (crédit : J-P. Levillain)

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2.5.6.2.

Essais aux pénétromètres

Les pénétromètres statiques et dynamiques peuvent être utilisés pour caractériser les sols de fondation. L’essai au pénétromètre statique (CPT – Cone Penetration Test [NF EN ISO 22476-1]) donne une mesure fiable mais nécessite un massif de réaction lourd, limitant son emploi. Le test consiste à enfoncer un pieu muni d’un embout conique dans le sol. Pendant l’avancement de la pointe, à une vitesse constante, la résistance à la pénétration et le frottement latéral sont mesurées. Sur les pénétromètres CPTU des capteurs de pression interstitielle permettent d’identifier les sols, les risques de liquéfaction sous action sismique et la capacité de mise en œuvre de palplanches en protection ou restauration des fondations. L’essai au pénétromètre dynamique (SPT – Standard Penetration Test [NF EN ISO 22476-2]) renseigne sur la possibilité de battage de palplanches. L’essai consiste à faire pénétrer dans le sol un carottier échantillonneur standard sous les coups d’un mouton. Les pénétromètres sont peu utilisés dans le cadre des auscultations sur ouvrages en service et sont essentiellement mis en œuvre latéralement aux appuis, à partir du sol environnant pour rechercher des possibilités de battage et des niveaux de substratum. 2.5.6.3.

Essais en laboratoire

Il est recommandé d’effectuer des essais d’identification sur des prélèvements des sols en place sous les fondations, sur les alluvions latéralement aux appuis et dans les remblais sur l’ouvrage et les remblais d’accès aux culées. Il s’agit essentiellement d’essais : 

d’identifications : teneurs en eau [NF P94-050], analyses granulométriques [NF P94-056], limites d’Atterberg [NF P94-051], valeur au bleu d’un sol [NF P94-068] ;  de cisaillement à la boîte de Casagrande ou triaxiaux [NF P94-074] ;  de compression simple [NF P94-077] ;  œdométriques [XP P94-090-1]. Les essais de cisaillement et œdométriques nécessitent un prélèvement d’échantillons soigné (cf. section 2.5.3). Pour analyser le comportement des sols alluvionnaires sous les écoulements et évaluer les niveaux des sols mobilisés en crue par affouillement généralisé, il est nécessaire de disposer de leur identification et en particulier l’analyse granulométrique. 2.5.6.4.

Rebouchage des forages

Les sondages ou forages doivent être soigneusement rebouchés, avec un coulis de chaux ou de chaux-ciment avec un ajout de sable fin. Ce coulis doit être mis en œuvre gravitairement ou sous une faible pression depuis le fond à l’aide d’un tube ou d’un flexible, pour éviter son délavage. L’utilisation d’une presse à main est recommandée pour assurer la remontée du coulis jusqu’en tête du forage. La mesure du volume de coulis introduit par sondage et la nature de celui-ci sont à préciser dans le rapport d’exécution des sondages. Ils sont d’une bonne indication sur la qualité des maçonneries. Les forages peuvent également être utilisés soit pour y injecter un coulis pour combler des cavités dans les fondations, soit pour y installer un tube scellé au rocher pour servir de repère de tassement. En effet, le suivi des mouvements verticaux d’un appui est un moyen d’auscultation et de surveillance particulièrement performant. Sur un ouvrage sensible au sens d’une fondation dont la sécurité est évaluée difficilement ou serait juste assurée du fait d’une connaissance insuffisante ou de sols aux caractéristiques mécaniques faibles eu égard aux charges appliquées, il peut être rassurant pour le gestionnaire de la voie à maintenir, compte tenu de son intérêt social particulier, de s’assurer du non-tassement des appuis. La réalisation d’un sondage carotté sur un appui peut être mise à profit pour installer un tubage de protection sur la hauteur des maçonneries et des alluvions. Ce tubage est scellé dans la couche supérieure du substratum et un tube fixé intérieur est scellé uniquement dans le substratum profond. Ce tube intérieur est peu sensible aux actions des variations de température du fait de sa position au sein des matériaux. Son sommet constitue un point fixe. L’installation d’un capteur de déplacement sur l’appui prenant contact sur le tube fixe permet un suivi permanent des variations altimétriques de cet appui. Selon le capteur installé, la précision est inférieure au 1/100 mm et les mesures sont enregistrées avec un pas de mesure à adapter aux évolutions probables. Un tel dispositif met en évidence la sensibilité de l’ouvrage au déjaugeage par montée ou descente du plan d’eau et la sensibilité aux mouvements naturels des sols en fonction des saisons. Le suivi du niveau de l’eau est indispensable pour corréler les déplacements aux variations de niveau d’eau et en extraire les mouvements irréversibles qui mettraient en évidence un tassement d’appui.

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2.6.

Instrumentation

2.6.1.

Objectifs de l’instrumentation

Le diagnostic peut être complété par une instrumentation destinée à confirmer les premières conclusions et à lever les incertitudes résiduelles, en cherchant à :       

observer le comportement global dans le temps et identifier les évolutions ; analyser le comportement sous chargement ; confirmer les résultats des calculs numériques (Chapitre III) ; vérifier la validité des prévisions de comportement ; juger de la sécurité en vérifiant la non-atteinte de seuil ; identifier l’incidence de travaux à proximité de l’ouvrage ; confirmer l’efficacité et la pérennité des travaux de restauration sur l’ouvrage.

2.6.2.

Programme d’instrumentation

Avant toute mise en place d’instrumentation, il est nécessaire d’établir un programme pour adapter la campagne aux objectifs, au contexte (environnement, accès, exploitation...), à l’enjeu et à la fiabilité/représentativité des résultats. La Figure 88 présente une liste non exhaustive de questions à se poser pour établir le programme d’instrumentation.         

Quels sont les objectifs ? Quelle est la durée souhaitée ? Quels sont les emplacements retenus ? Quelles sont les conditions d’accès pour la pose et le suivi ? Qui assurera le suivi ? Quel est le niveau de précision et de redondance recherché ? Quels sont les seuils d’alerte ? Quels matériels peuvent répondre aux besoins ? Quels sont le coût global et le planning de l’opération ?

Figure 88 : Établissement d’un programme d’instrumentation : questions préalables L’instrumentation permet de mesurer, entre autres, les :  

évolutions des déplacements d’ensemble ou locaux de la structure ou des zones environnantes ; déplacements absolus et différentiels de la structure et des sols ;

100

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 inclinaisons et rotations des parements ;  ouvertures de fissures ;  niveaux d’eau et leurs variations ;  pressions interstitielles dans les sols. Afin de mesurer la rigidité d’un ouvrage, une campagne de mesures sur site (Figure 89) peut être mise en place avec l’objectif de mesurer les flèches, les déplacements les accélérations (Figure 90), les ouvertures de fissures et les charges de roues aux passages des circulations (Figure 91). Des mesures complémentaires peuvent être réalisées sur les ouvrages ou parties d’ouvrage à proximité afin d’identifier la sensibilité des structures adjacentes.

Figure 89 : Exemple de schéma d’implantation de capteurs sur les voûtes n°2, 3 et 4 du viaduc de St Ouen (Stablon, 2011)

(a)

(b)

(c)

Figure 90 : Exemple de mesures de flèches, d’accélérations et de charges sous trafic réel (a), de mesures relatives par fil tendu (b) et absolues par caméra haute résolution (c) (crédit photo : T. Stablon)

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Figure 91 : Exemple de mesure de charges de roues sous passage du convoi fret (crédit photo : T. Stablon)

2.6.3.

Recommandations générales

Les moyens d’instrumentation seront différents selon la typologie d’ouvrages en maçonnerie auscultée (pont, mur de soutènement, tunnel...). D’une manière générale, il est recommandé de :          

collecter les documents, les informations, plans, etc., concernant l’ouvrage ; adapter le choix de l’instrumentation aux conditions environnementales, à la durée des mesures, aux moyens de l’exploitant et aux conditions d’utilisation de l’ouvrage ; disposer d’un bilan du comportement de la maçonnerie et d’un retour d’expérience des moyens de mesures ou des résultats obtenus sur des ouvrages similaires ; assurer la pose des instruments de mesure par des opérateurs qualifiés et expérimentés d’entreprises spécialisées appliquant une organisation sous assurance qualité et un formalisme rigoureux sur la gestion documentaire ; disposer d’un étalonnage et/ou du certificat du constructeur concernant la qualité des équipements et des moyens de mesures et d’acquisition des données ; préparer, avant intervention sur site, les plans de l’instrumentation, son cheminement et le câblage des équipements et d’établir les procédures de pose des équipements et de mesure et, au cours des mesures, procéder à une mise à jour des procédures et établir le plan exécuté de l’instrumentation ; sélectionner des zones en maçonnerie à mesurer influencées par une ou des variations paramétriques et des zones « fixes » non influencées par le comportement de l’ouvrage, la nappe ou les sols, pour servir de référence et obtenir des mesures de déplacement absolues, s’interroger sur la périodicité des mesures à adopter et son évolution dans le temps ; comparer les mesures des différents systèmes d’acquisition et des méthodes d’inspection ou de relevés visuels ; conserver les mesures, résultats, notes, comptes-rendus historiques du chantier, documents et photographies sous un format assurant la pérennité des données dans le temps.

102

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CHAPITRE III.

ÉVALUATION STRUCTURALE

Figure 92 : Pile de pont SNCF en Lozère

3.1.

Figure 93 : Pont à Maison-Laffitte dans les Yvelines : voûte et piédroit

Figure 94 : Mur de soutènement à contrefort dans les Deux-Sèvres

Calculs empiriques

3.1.1.

Calcul des murs

3.1.1.1.

Calcul des murs et piliers droits

Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle avec Rondelet (1802) pour que se théorise la résistance des murs. Il a contribué avec Soufflot à la construction du Panthéon à Paris dans les années 1770-1790, connu pour être l’un des premiers ouvrages calculés. Rondelet a soumis plusieurs centaines de pierres et plusieurs dizaines de mortiers à des tests d’écrasement, et qui ont fait foi durant tout le XIXe siècle. Dans la continuité de la section 1.4.4 relatif aux caractéristiques mécaniques à retenir pour la maçonnerie, la littérature (Claudel & Laroque, 1863; Rondelet, 1802; Popinet, 2018) propose généralement de retenir les valeurs moyennes suivantes au calcul : 

2 MPa pour un mur en pierre de taille en bon état avec un calcaire moyen et des joints minces au mortier ;  0,4 MPa pour un mur en moellons du fait notamment de l’irrégularité des joints. La charge permanente que peut reprendre une maçonnerie est de l’ordre du 1/10e de la charge de rupture de la pierre et 1/20e pour les murs en moellons. Cette valeur est la moyenne donnée dans la plupart des ouvrages relatifs à la maçonnerie en pierre. Cet ordre de grandeur est encore en vigueur dans les Documents Techniques Unifiés (CSTB, 2020). Certains grands constructeurs, tels Séjourné, proposent de faire travailler la maçonnerie au 1/3 de la résistance à l’écrasement du joint. Ainsi la formule empirique suivante a été proposée dans le guide de l’ANAH (1984) et est encore utilisée, notamment dans le guide Veritas (2012) : 4𝑓 𝑓 = 𝑒 10 avec :

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 

fm la contrainte à la rupture du mortier de pose en bars (en l’absence d’essais et dans le cas d’un mortier à la chaux correctement dosé, la règle propose de retenir fm = 35 bars, soit 3,5 MPa) ; e l’épaisseur moyenne des joints en cm :  si e < 1 cm, retenir e = 1 ;  si 1 < e < 4 cm, retenir la valeur trouvée pour e en cm ;  si e > 4 cm, retenir e = 4 ;



fd la résistance caractéristique de la maçonnerie en bars dont les pierres qui la constituent ont une contrainte de rupture supérieure à 10 fois cette valeur. Cette formule doit toutefois être employée prudemment : si elle semble cohérente pour des murs en pierres tendres à joints moyens, elle s’avère très limitante pour des murs en pierres dures à joint minces ou des colonnes. Enfin, l’EC6 peut être adapté aux maçonneries anciennes, même s’il a été conçu pour des maçonneries modernes. La résistance moyenne à la compression fd dans la direction considérée à l’ELU est donnée par : 𝑓 f  =    𝑌mac où Υmac est le coefficient de sécurité de la maçonnerie. Pour une maçonnerie ancienne, sans information particulière sur le mortier, il sera pris entre 2,5 et 3. La formule générale du calcul du mur en compression est donnée par : 𝑓 = K𝑓

,

𝑓

,

où les valeurs de fm, la résistance en compression du mortier, et fb, la résistance en compression du bloc, sont limitées par :     

fm < (20 MPa ; 2 fb) ou 10 MPa si mortier allégé ; fb < 75 MPa lorsque les éléments sont montés avec un mortier d’usage courant ; fb < 50 MPa lorsque les éléments sont montés avec un mortier de joints minces ; K = 0,45 pour les maçonneries en pierre ou en briques de terre cuite anciennes ; K = 0,55 pour les maçonneries de briques. Tableau 2 : Valeurs indicatives de résistance à la compression de la maçonnerie

Type de maçonnerie

Résistance en compression

Béton de pierres cassées avec mortier de chaux hydraulique

0,3 à 0,6 MPa

Maçonnerie de moellons bruts avec mortier de chaux hydraulique

0,3 à 0,6 MPa

Maçonnerie de moellons d’appareil avec mortier de chaux hydraulique

0,5 à 0,7 MPa

Maçonnerie de pierre de taille dure avec mortier de chaux hydraulique

1 à 2 MPa

Maçonnerie de brique avec mortier ordinaire

0,6 MPa

Maçonnerie de pierre de taille courante avec mortier de chaux hydraulique

0,6 à 1,5 MPa

3.1.1.2.

Calcul des murs de soutènement

La complexité de la conception des ouvrages de soutènement est connue depuis l’antiquité, car Vitruve s’y attarde longuement. Il conseille de mettre en place des contreforts espacés de la hauteur du mur et de même épaisseur que le mur. Vauban établit au XVIIe siècle les premières règles de dimensionnement empiriques sur les soutènements (Goetschy, 1885). Ces règles ont été édictées pour les ouvrages militaires « exceptionnels », c’est-à-dire ceux devant notamment résister aux tirs d’artillerie. À la fin du XVIIe, des règles simples ont été émises par Bullet (1691). Compte tenu de la popularité de ses ouvrages, essentiellement relatifs au « toisé », c’est-à-dire au métré, mais qui contiennent des précieux conseils pour les bâtisseurs, de nombreux soutènements ont vraisemblablement été mis en œuvre selon ses conseils. Bullet indique ainsi que le poids du mur qui retient le sable doit être égal au poids du sable à retenir divisé par √2, en supposant que le volume de sable mobilisé est un triangle isocèle rectangle. Le fruit conseillé est de 1/6e. Avec cette méthode, les épaisseurs moyennes de soutènement sont de h/2,8 (h/2,2 à la base, h/3,5 en tête). Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les règles de calculs sont notamment développées pour le dimensionnement des ouvrages de soutènement des routes et chemins de fer. Poncelet (1840) propose de calculer la largeur x de la fondation d’un mur de soutènement jointoyé comme :

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α P x = 0,845(H + h)  tan   ′ 2 P avec :  H la hauteur du mur ;  h la hauteur de la surcharge ;  α la pente du remblai ;  P le poids du mètre cube de remblai ;  P’ le poids du mètre cube de maçonnerie. Les calculs de la poussée des terres et du moment de renversement différent peu de l’approche actuelle. La poussée des terres est donnée par : ρℎ α Q= tan2 2 2 Le moment résistant dû au poids de la maçonnerie est à équilibrer avec le moment sollicitant dû à celui du remblai soutenu (Figure 95). Ainsi l’épaisseur minimale en tête b est donnée par Claudel & Laroque (1863) : b = h  − 𝑛 +

𝑛′ 𝑛 𝑛′ 𝑘ρ α + − +  2𝑛 + tan 2 3 12 3μ 2

avec :      

h la hauteur du mur ; n le fruit aval et n’ le fruit amont ; ρ la densité du mur ; μ la densité du sol ; α l’angle de stabilité naturelle du triangle de sol impliqué (de 56 à 60° pour le sable, de 35 à 54° pour la terre, de 45 à 68° pour la glaise) ; k le coefficient de sécurité.

Figure 95 : Calcul empirique d’un mur de soutènement en maçonnerie Soit dans le cas d’un mur aux parements droits : b = h  tan

α 𝑘ρ 2 3μ

Les ouvrages à contreforts extérieurs sont les plus économiques en pierre, puis viennent les murs à contreforts intérieurs, les murs à fruit et les murs droits. Cependant, la qualité de la taille et de la pose des pierres des murs à contreforts est si importante, que la mise en œuvre des contreforts peut finalement s’avérer plus coûteuse que la réalisation de murs droits ou à fruit.

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Au XXe siècle, des abaques de construction de murs-poids types en maçonnerie ou en béton ont été édités par le Ministère de l’Intérieur (1957). Leur simplicité d’usage a favorisé leur utilisation à grande échelle sur le territoire et un grand nombre d’ouvrages de soutènement ont été dimensionnés suivant ce document.

3.1.2.

Calcul des ponts

3.1.2.1.

Historique de la conception des ponts

L’approche du fonctionnement des voûtes est d’abord expérimentale dans le but de comprendre et déterminer les mécanismes de ruine. Le calcul des voûtes apparaît au XVIIe siècle, puis se poursuit au XVIIIe siècle, à la recherche de méthodes pour vérifier la stabilité globale des arcs sous l’action des charges qu’ils vont recevoir. Le dimensionnement est réalisé à partir de formules empiriques relatives à la définition des courbes d’intrados et d’extrados, et à l’épaisseur en clé en fonction de l’ouverture. À la fin du XVIIe siècle, la notion de force est utilisée pour tracer des polygones relatifs à l’équilibre. La notion de ligne de pression est énoncée dès 1675 par Hooke qui traduit que son tracé doit rester dans l’épaisseur de l’arc. Ce principe est repris par Philippe de la Hire en 1695. En 1773, Coulomb publie son essai Sur une application des règles des maximis et minimis à quelques problèmes de statique relatifs à l’architecture. Il énonce les bases du calcul à la rupture et introduit les principes suivants : 

la notion de frottement au droit des joints, par un critère de frottement entre blocs (dit critère de frottement de Coulomb) ;  la ruine est provoquée par la rotation des blocs entre eux, et non leur glissement relatif ;  les conditions nécessaires à l’équilibre : frottement entre les blocs et centres de pression à l’intérieur de la voûte ;  le calcul des poussées maximales et minimales en clé satisfaisant l’équilibre. La théorie de l’élasticité vient ensuite avec Navier en 1825 qui exprime qu’il n’y a pas de traction dans la voûte si la ligne de pression reste dans le tiers central. Méry, en 1830, expose une méthode basée sur la statique graphique dans laquelle le poids du remplissage est pris en compte et confirme le principe de Coulomb : l’équilibre n’est possible que si la courbe des centres de pression s’inscrit entre l’intrados et l’extrados en tout point, sinon il y a rupture par rotation des blocs. Le tracé des lignes de pression n’est possible qu’en posant des hypothèses sur les points de passage de cette ligne en pieds de l’arc. Par conséquent, cette méthode ne permet pas de faire le calcul de contraintes réelles sous charges, et encore moins des déformations de l’arc. À la fin du XIXe siècle, la méthode de Méry est associée à l’élasticité de Navier pour réaliser un calcul de contraintes correspondant aux lignes de pression dessinées et appliquer un critère de rupture de type « contraintes admissibles ». 3.1.2.2.

Formules empiriques de dimensionnement

Selon Denfert-Rochereau (1859), la voûte idéale respecte les principes suivants : 

la résistance des pressions exercées sur chaque joint passe par son milieu, ce qui donne une pression uniformément répartie sur sa surface ;  la résultante des pressions est normale à chaque joint, ce qui n’exerce contre le glissement l’intervention d’aucun frottement ;  dans tous les joints, les pressions sont les mêmes, ce qui entraîne une croissance des longueurs des joints proportionnelle à l’énergie des pressions ;  la pression correspond à la plus grande des résistances que les matériaux sont capables de développer sans que leur élasticité soit altérée. Les expériences du XIXe siècle indiquent que la zone la plus comprimée se trouve idéalement au 1/3 supérieur de la clé et au 1/3 inférieur au point de rupture. Le point de basculement du piédroit est généralement pris à 30 cm environ du nu extérieur de la culée. Les calculs visent à déterminer la poussée horizontale de manière graphique ou par des calculs simples, puis à en déduire l’épaisseur à la clé. Cette méthode nécessite une bonne connaissance de la localisation du point de rupture (Figure 96, Figure 97 et Figure 98).

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Figure 96 : Points de rupture sur une voûte plein cintre

Figure 97 : Points de rupture sur une voûte surbaissée au 1/4

Figure 98 : Points de rupture sur une voûte surbaissée au 1/5e

Les valeurs (Figure 99) qui interviennent dans ces calculs sont les suivantes :     

Pm le poids de la maçonnerie entre la clé et le point de rupture et P’m celui entre le point de rupture et le nu extérieur de la culée ; Pr le poids du remblai entre la clé et le point de rupture et P’r celui entre le point de rupture et le nu extérieur de la culée ; y la distance verticale entre le point de rupture et le 1/3 supérieur de l’intrados à la clé et y’ celle entre la naissance et le point de rupture ; d la distance horizontale entre le point de rupture et le point de basculement de la culée et d’ celle entre le centre de gravité de P’m + P’r et le point de basculement de la culée ; a la distance horizontale entre la verticale du centre de gravité de Pm + Pr et le point de rupture.

Figure 99 : Calcul de la stabilité au renversement des piédroits d’une voûte en maçonnerie Le coefficient de sécurité par rapport au renversement est défini par : ′



𝑃 + 𝑃 𝑑 ′ + (𝑃 + 𝑃 )𝑑 𝑀 k=  =  𝑀 𝑦′ 𝑎(𝑃 + 𝑃 ) 𝑦 Morandière (1874) recommande un coefficient de sécurité compris entre 1,60 et 1,80. Ce coefficient est un coefficient de stabilité au renversement des piédroits mais qui ne préjuge en rien de la stabilité interne de la voûte. Le poids d’un convoi n’est pas pris en compte, mais il peut être intégré simplement en le considérant dans sa position défavorable, c’est-à-dire entre le point de rupture et la clef et augmentant le poids du remblai Pr. Sur la base de ce qui précède, il est dès lors possible de :   

estimer la pression à la clé ; vérifier l’équilibre des piédroits et des culées ; vérifier la compression dans les piles (compression verticale centrée si les arcs sont identiques ou compression et effort horizontal si les arcs ne sont pas symétriques).

107

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Il reste alors à déterminer l’équilibre de l’arc. Méry considère que la maçonnerie a une résistance nulle en traction et une résistance finie en compression. La voûte se rompt par rotations des blocs. Il considère, comme Coulomb, deux positions extrêmes de la courbe des pressions, qui correspondent l’une au maximum, l’autre au minimum de la poussée. La pression sur les pierres et les joints d’une voûte est en théorie variable à chaque point. Si les constructeurs des voûtes antiques ou du Moyen-Âge ont travaillé par empirisme et reproduction des proportions précédentes, en apportant parfois des hardiesses ou des améliorations, il a fallu attendre la fin du XVIIIe pour que des formules de calcul enveloppe de l’épaisseur des clés voient le jour. Jusqu’au début du XXe siècle, les constructeurs pré-calculent les épaisseurs par une moyenne des formules, avant de finaliser les calculs. L’épaisseur des naissances est un multiple de l’épaisseur à la clé, de façon à obtenir une pression la plus régulière possible sur les joints, ce qui aboutit à des surdimensionnements des naissances. L’étude de ces formules permet de déterminer si un ouvrage existant se situe plutôt du côté des ouvrages « limites » ou au contraire dotés d’un fort coefficient de sécurité. Le Tableau 3 présente quelques formules empiriques d’épaisseurs de voûte en maçonnerie à la clé ou aux naissances. Tableau 3 : Formules empiriques d’épaisseur à la clé et aux naissances d’une voûte en maçonnerie Source

Épaisseur à la clé e et aux naissances E

Perronet (1777)

e = 0,0347d + 0,325

Gauthey

e = 0,33 e = 0,33 + d/24 e = d/24 e = 1,33 + d/48

si d < 2 m si 2 < d < 16 m si 16 < d < 32 m si d > 32 m

d ouverture Formule ne tenant pas compte de la forme de la voûte, peut-être surdimensionnée pour une voûte surbaissée

Desjardin

e = 0,10r + 0,30 e = 0,05r + 0,30 e = 0,035r + 0,30 e = 0,02r + 0,30 e = 0,07r + 0,30 e = 0,05r + 0,30

plein cintre surbaissée (60°, 1/7) surbaissée (50°, 1/10) surbaissée (40°, 1/12) anse de panier surbaissée (1/3) ogive en tiers-point

r rayon de courbure du sommet de l’intrados Possibilité de diminuer d’1/4 l’épaisseur de la voûte si hourdée au ciment artificiel

Leveillé

e = (1 + 0,1d)/3

Dupuit (1870)

e = 0,2 d1/2 e = 0,15 d1/2

Morandière (1874)

e = d/12 (puis d/15 et d/17)

d ouverture

Marchat (1878)

e = 0,03d + h1/2/10 + 0,12

d ouverture, h hauteur de terre audessus de la clé

E = 2,5 e E = 1,75 e E = 1,25 e

Remarques d ouverture pour une voûte plein cintre, double du rayon de l’intrados pour une voûte surbaissée et anse de panier Formule cohérente pour les arcs inférieurs à 30 m d’ouverture, un peu surdimensionnée au-delà de 30 m

d ouverture

plein cintre et ellipse surbaissée

d ouverture

plein cintre surbaissé (120°) surbaissé (60°)

CroizetteDesnoyers (1885)

e = α + β (2r)1/2

α = 0,15 pour les ponts routiers ; 0,20 pour les ponts ferroviaires β = 0,11 à 0 ,15 pour les ponts routiers ; 0,13 à 0,17 pour les ponts ferroviaires ; augmente avec le surbaissement r rayon de l’arc de cercle de même portée et de même montée.

Séjourné (1913)

e = α μ (1 + d1/2)

α =0,12 à 0,21 en fonction de la résistance visée (0,15 pour un pont route, 0,18 pour un pont ferroviaire)

E=2e E = (1 + 2s) e

plein cintre ou peu surbaissé ellipse

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E = (1 + 12s2) e

assez ou très surbaissé

μ fonction du surbaissement s ; 1 si plein cintre ; 4/(3 + 2s) si ellipse surbaissée ; 1,33(1 – s + s2) si arc surbaissé

Dans l’ensemble, les valeurs obtenues par ces formules sont relativement dispersées, même s’il semble que la formule de Leveillé donne des valeurs proches de celles retenues à la construction. Les ouvrages de recommandation sur les voûtes reconnaissent ces écarts sans forcément conclure à la préférence d’une formule. Pour les grands arcs en pierre du XIXe siècle, les formules les plus utilisées sont celles de Dupuit (1870) et Croizette-Desnoyers (1885). L’expérience des bâtisseurs de ponts en pierre indique que pour des raisons de stabilité et d’économie, c’est le surbaissement au 1/5e qui est le plus rationnel. La plupart des ouvrages sont néanmoins construits avec des surbaissements compris entre 1/7 et 1/10. L’objectif de ces méthodes est d’obtenir une pression cohérente dans la pierre comprise environ entre 0,5 et 1,5 MPa correspondant aux résistances de calcul usuelles. Les ouvrages présentent généralement des pressions à la clé de 1 à 1,2 MPa. Les pressions supérieures à 1,5 MPa (1,7 MPa pour le pont de la Concorde et 2,1 MPa pour le pont de Claix) sont citées comme des valeurs exceptionnelles. Le coefficient de hardiesse apparaît à la fin du XIXe. Il s’agit du produit de la ½ portée par le rayon moyen de courbure à l’intrados. Ce coefficient permet aux concepteurs de comparer leur ouvrage avec des ouvrages similaires. Il doit être complémentaire de la vérification de la hauteur à la clé. Plus ce coefficient est important, plus l’ouvrage est sollicité, et plus les pathologies et désordres seront préjudiciables à sa tenue. 3.1.2.3.

Méthodes empiriques et graphiques de recalcul

À partir de 1920, la question n’est plus de dimensionner mais de contrôler. L’intérêt pour le calcul des ponts en maçonnerie renaît après la seconde guerre mondiale d’abord au Royaume Uni, puis dans le reste de l’Europe. En France, des études sont lancées dans les années 1970, suite à l’effondrement du pont Wilson à Tours. Le besoin de « requalification » naît de l’augmentation des sollicitations appliquées aux ouvrages et à l’observation de pathologies non expliquées. Des recherches se développent finalement dans tous les pays dotés d’un réseau routier ancien et surtout d’un réseau ferré construit pendant la révolution industrielle dont la part des ponts en maçonnerie atteint environ 40 % du parc (cf. section 1.2.2). Méthode de Méry. Méry (1840) écrit un mémoire basé sur une étude graphique de la voûte. Il considère que la maçonnerie ne travaille pas en traction, qu’elle est limitée en compression et que l’équilibre est impossible si la courbe de pression sort de l’épaisseur de la voûte. Il donne ensuite le moyen de construire les lignes de pression en utilisant la statique graphique (Figure 94). Ainsi, les joints de rupture sont ceux pour lesquels la ligne de pression est tangente à l’extrados ou l’intrados. Il observe enfin que les pierres n’ayant pas une résistance infinie à la compression, la courbe de pression ne doit pas en fait, s’approcher trop du contour de la voûte. L’épure de Méry présente un inconvénient majeur. Le système étant hyperstatique, Méry résout le problème en appliquant deux hypothèses supplémentaires : la position des points de passage en clé et au niveau des reins doit être définie arbitrairement.

Figure 100 : Exemple d’application de la méthode de Méry (1840)

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Méthode MEXE. La méthode MEXE, Military Engineering eXperiemental Establishment (Military Engineering Experimental Establishment, 1963), est développée au Royaume-Uni pendant la seconde guerre mondiale pour analyser rapidement et visuellement la résistance des voies empruntées. À l’origine, cette méthode a été utilisée pour assurer le passage des chars. Elle a ensuite été adoptée par le Ministry of Transport britannique en 1967 et continue d’être recommandée par le British Department of Transport Standard (Department of Transport, 1997). Elle est basée sur les travaux d’avant-guerre de Pippard (Pippard, 1936, 1948) visant à déterminer l’aptitude au service des voûtes. Des tables ont été établies afin de définir la charge admissible pour un pont considéré. Ainsi, la charge maximale peut être déterminée à partir de la forme de la voûte, des propriétés des matériaux et des dimensions de l’ouvrage. La méthode est basée sur trois hypothèses : la maçonnerie est considérée sans résistance en traction, de résistance en compression infinie et il n’y a pas de glissement possible entre les voussoirs. Cette analyse est employable pour des ponts dont l’épaisseur de remblai est comprise entre 30 cm et 1 m. La portée de l’ouvrage doit être inférieure à 20 m et la flèche supérieure à 0,25 x portée. Cette restriction oblige le pont analysé à ne pas être surbaissé. De plus, l’encastrement des culées est considéré comme parfait, ce qui n’est pas réaliste. D’un point de vue calculatoire, la charge admissible est déterminée par la formule empirique (Military Engineering Experimental Establishment, 1963) : 740(ℎ + 𝑒 ) q= 𝑝 / avec  q la charge admissible (kN/m) ;  h la hauteur des voussoirs (m) ;  e l’épaisseur du remblai à la clé (m) ;  p la portée (m). À cette charge admissible, un coefficient réducteur est appliqué pour tenir compte de l’état général du pont, de la forme et du nombre de voûte, de la qualité des matériaux, de la dimension et de la qualité des joints. Cette méthode est un peu rudimentaire car elle néglige de nombreux paramètres et reste très approximative et simpliste. De plus, elle est plutôt conservative. D’autres méthodes tentent d’en consolider les points faibles et d’en améliorer la précision. Méthode REAM. Proposé par l’UIC (Union internationale des chemins de fer), la méthode REAM, Railway Empirical Assessment Method, permet d’évaluer la capacité portante d’un arc simple. Cette méthode se veut plus pratique et complète que la méthode MEXE, en utilisant une série d’abaques permettant de prendre en compte à la fois les effets du surbaissement, du remplissage et du chargement. En comparaison avec la méthode empirique MEXE, cette méthode fournit des résultats plus réalistes en améliorant sa facilité de mise en œuvre. Le concept de cette méthode est que l’évaluation est rapide et peut être effectuée par les inspecteurs sur site. Les expressions données par la méthode REAM se basent sur une étude menée au Royaume Uni sur différents ponts de portées allant de 2 m à 25 m, de rapport ouverture flèche allant de 1/2 à 1/8, de remplissage allant de 0,5 m à 1,5 m d’épaisseur et de charges d’essieux allant jusqu’à 25 t. Les résultats ont servi à calibrer un diagramme qui s’appuie sur la règle de base pour évaluer l’épaisseur d’un anneau (Trautwine, 1871). Ces études ont généralisé l’application de certaines règles de base du XIXe siècle, en les adaptant pour prendre en compte les nouveaux chargements. Deux processus d’analyse ont été combinés avec un nouveau modèle de distribution de la charge sur les voûtes et l’application du modèle d’Archie-M pour extrapoler les 300 résultats obtenus. Sur cette base, une série d’abaques a donc été réalisée pour passer directement des paramètres principaux à une première approximation de la capacité portante d’un pont avec une application visuelle in situ (Figure 101).

Figure 101 : Principe graphique d’analyse par la méthode REAM - Estimation du rapport Ouverture-Flèche (UIC-REAM)

110

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3.2.

Calcul à la rupture et analyse limite

3.2.1.

Historique, principe et étapes de calcul

Ces deux méthodes, la première étant antérieure à la seconde, bien que portant un nom différent et permettant d’obtenir respectivement le chargement limite ou le chargement extrême supportable par une structure, sont d’un point de vue conceptuel assez proches et visent les mêmes objectifs. Cette introduction décrit leurs principales différences mais aussi leurs ressemblances. Comme cela a été évoqué en introduction, les deux méthodes s’attachent à définir le « chargement maximal supportable » au-delà duquel il y a rupture de l’ouvrage, de la structure. Cette définition relève d’un concept de compatibilité entre l’écriture de l’équilibre des efforts intérieurs qui se développent dans le système sous l’action du chargement et le respect des conditions qui portent sur ces efforts intérieurs ; ces conditions sont purement intrinsèques à la nature des matériaux constitutifs de l’ouvrage. Cette définition peut s’écrire mathématiquement de la façon suivante : 

concernant l’analyse limite : ∃ 𝜎 statiquement admissible en équilibre avec 𝑄 𝑄∈𝐾⊂ℝ ⟺ 𝜎 est plastiquement admissible

(1)

Dans cette définition, K est le domaine des chargements supportables (Figure 102) et correspond à l’ensemble convexe des efforts Q pouvant être supportés par la structure. Q est constitué des n paramètres de chargement (par exemple dans le cas d’un mur de soutènement, les paramètres de chargement sont le poids du mur γ et la pression des terres p appliquée sur le mur ; ainsi n vaut 2 dans ce cas). Dans la Figure 102, un champ d’efforts intérieurs σ vérifiant une loi de comportement du matériau constitutif de type élastique parfaitement plastique (dite plastiquement admissible) permet de définir un chargement Q supportable décrit par son abscisse p et son ordonnée γ situé à l’intérieur du domaine K.

Figure 102 : Domaine des chargements supportables K pour un mur de soutènement chargé par son poids propre γ et la pression des terres p 

concernant le calcul à la rupture : ∃ 𝜎 statiquement admissible en équilibre avec 𝑄 𝑄∈𝐾⊂ℝ ⟺ 𝜎 ∈𝑔 𝑥

(2)

La définition de la stabilité au sens du calcul à la rupture est similaire à celle de l’analyse limite. Elle ne diffère que par les conditions imposées au champ d’efforts intérieurs σ définissant la rupture : pour l’analyse limite, σ doit vérifier la loi de comportement du matériau, alors pour le calcul à la rupture, σ doit vérifier le critère de résistance du matériau. g(x) définit le domaine de résistance du matériau constitutif de la structure. Il est nécessairement convexe et peut être représenté dans le repère des contraintes principales (Figure 103) ou dans le plan de Mohr (Figure 104). Les Figure 103 et Figure 104 donnent une représentation du critère de Coulomb, pour une cohésion C et un angle de frottement interne φ.

111

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Figure 103 : Domaine de résistance (critère de Coulomb)

Figure 104 : Représentation du critère de Coulomb dans le plan de Mohr

Les deux méthodes conduisent aux mêmes résultats lorsque le critère de plasticité (analyse limite) du matériau constitutif est identique au critère de résistance (calcul à la rupture), dans le cas des matériaux ductiles et d’une règle d’écoulement associée. Dans le cas des matériaux fragiles ou ductiles mais non standards, le calcul à la rupture surestime le chargement supportable par l’ouvrage. C’est pourquoi dans le cas du calcul à la rupture, le chargement est dit « potentiellement supportable » par l’ouvrage. Cette présentation décrit plus en détail la théorie du calcul à la rupture. Cette méthode repose sur deux approches dites par l’intérieur et par l’extérieur permettant d’encadrer le domaine K des chargements supportables par la structure. La première approche, dénommée approche statique par l’intérieur permet de déterminer un domaine contenu dans K, c’est-à-dire encore qu’elle conduit à une condition suffisante de stabilité du système mécanique étudié. Elle consiste à rechercher un champ d’efforts intérieurs en équilibre avec le chargement appliqué à la structure et qui respecte en tout point de la structure le critère de résistance du matériau constitutif. L’existence d’un champ assure la stabilité de la structure. Autrement dit, la mécanique affirme qu’une condition suffisante de stabilité s’écrit : ∃𝜎 ∈ ℝ /

div 𝜎 + 𝛾 = 0 𝜎 ∈ 𝑔(𝑥)

(3)

où σ est un champ d’efforts intérieurs, γ le poids volumique des matériaux constitutifs, g(x) le critère de résistance des matériaux constitutifs défini en tout point de la structure (critère de Coulomb par exemple). Cette approche est en fait relativement complexe à mettre en œuvre car elle repose sur la construction de champs de contrainte statiquement admissibles, ce qui n’est pas aisé numériquement. La seconde approche dite par l’extérieur permet d’accéder à la construction d’un domaine contenant l’ensemble des chargements supportables par la structure. Deux stratégies sont en fait possibles pour atteindre cet objectif, l’une est nommée l’approche cinématique du calcul à la rupture, la seconde est l’approche statique par l’extérieur du calcul à la rupture. Elles sont fondées sur le même raisonnement mais pas sur les mêmes outils mathématiques. La seconde approche est présentée ci-après. Elle repose sur le fait que la stabilité d’une structure impose la nécessité que tout sous-système de la structure soit en équilibre avec le chargement auquel il est soumis. Cette affirmation soulève évidemment le problème de la connaissance exacte de tout le chargement appliqué sur le sous-système. Cette approche est mise en œuvre dans le cas particulier d’un essai de cisaillement direct sur deux blocs de maçonnerie liés entre eux par un joint de mortier (Figure 105). Les blocs sont rectangulaires de largeur a, de hauteur b et considérés comme infiniment rigide. Ils sont liés par un joint de mortier, de largeur a et dont l’épaisseur est considérée comme nulle, qui est régi par un critère de résistance de Coulomb de cohésion C et d’angle de frottement φ. Le bloc inférieur est supposé encastré. Le bloc supérieur est soumis, en plus de son poids propre γ, à une charge horizontale ponctuelle F. Le problème est traité en déformation plane. Cet exemple permet d’illustrer le principe du calcul et peut être généralisé au cas d’un ouvrage plus complexe constitué d’un grand nombre de blocs.

112

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a u

F

b β

γ

Figure 105 : Application de l'approche statique par l'extérieur du calcul à la rupture au cas d'un essai de cisaillement direct sur deux blocs liés par un joint de mortier Conformément à l’approche statique par l’extérieur, l’équilibre en résultante du bloc supérieur est projeté dans toutes les directions (représentées par le vecteur unitaire u paramétré par l’angle β qu’il fait avec l’horizontale). La résultante des efforts volumiques appliqués sur ce bloc et projetée sur u s’écrit donc : (4) 𝑊. 𝑢 = −𝛾𝑎𝑏 sin 𝛽 La charge ponctuelle F projetée sur u s’écrit quant à elle : 𝐹. 𝑢 = 𝐹 cos 𝛽

(5)

Le dernier type d’effort appliqué sur le bloc supérieur est celui qu’exerce le bloc inférieur. En l’absence de connaissance sur la loi de comportement du joint de mortier, ces efforts sont évidemment inconnus. En revanche, le critère de résistance du sol peut donner une indication sur la résultante de ces efforts. La résultante de ces efforts projetée sur u peut s’écrire sous la forme : (6)

𝑇 . 𝑢 𝑑𝑙

où T représentent les efforts surfaciques appliqués par le bloc inférieur sur le bloc supérieur au travers du joint de mortier. L’équilibre du bloc supérieur s’écrit alors : 𝑊. 𝑢 + 𝐹. 𝑢 +

𝑇 . 𝑢 𝑑𝑙 = 0

d’où

𝑊. 𝑢 + 𝐹. 𝑢 =

𝑇 . −𝑢 𝑑𝑙

(7)

Cette relation assure la loi fondamentale qui assure qu’à l’équilibre, la somme des forces appliquées sur le système mécanique doit être nulle. Une majoration de la résultante des efforts de volume appliqués sur le bloc supérieur, en prenant en compte du critère de résistance du joint g(x), est donnée par : 𝑊. 𝑢 + 𝐹. 𝑢 ≤

sup 𝑇 . −𝑢

𝑑𝑙

(8)



La représentation géométrique du critère de Coulomb dans le plan de Mohr (Figure 103) montre que la valeur maximale du vecteur contrainte est atteinte pour C cotan φ, d’où : sup 𝑇 . −𝑢

= 𝐶 cotan 𝜙 sin 𝛽

si

𝜙 ≤𝛽 ≤𝜋−𝜙

(9)



Les relations (4), (5) et (9) sont finalement injectées dans l’expression (8) : −𝛾𝑎𝑏 𝑠𝑖𝑛 𝛽 + 𝐹 𝑐𝑜𝑠 𝛽 ≤ 𝐶𝑎 cotan 𝛽

si

𝜙 ≤𝛽 ≤ 𝜋−𝜙

(10)

Cette condition de stabilité étant nécessaire, elle doit être vérifiée dans toutes les directions portées par u c’està-dire pour tout angle β. L’optimisation est obtenue pour β = φ, la condition nécessaire de stabilité du duet : F ≤ 𝐶𝑎 + 𝛾𝑎𝑏 tan 𝜑 (10) Cette condition assure une instabilité certaine de l’élément de maçonnerie, constitué de deux blocs de maçonnerie de largeur a, de hauteur b et de poids propre γ, liés par un joint de mortier de cohésion C et d’angle de frottement φ si la charge F dépasse la valeur Ca + γ𝑎𝑏 tan φ.

113

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Le raisonnement qui vient d’être présenté peut de la même façon être appliqué à, non plus deux blocs superposés, mais à un ensemble de blocs de maçonnerie appareillés, conduisant ainsi à la détermination d’une condition nécessaire de stabilité d’un ouvrage en maçonnerie. Cette méthode, combinée à une homogénéisation périodique des blocs de maçonnerie, a été appliquée à l’étude de la stabilité des murs de soutènement en pierre sèche (Colas, 2009 ; Le, 2013) et en maçonnerie hourdée (Terrade, 2017). Elle est à la base des abaques de calcul figurant dans les règles professionnelles de la construction en pierre sèche (Blanc-Gonnet et al., 2017). C’est ce raisonnement qui est également utilisé dans les logiciels VOÛTE (section 3.2.2) et RING (section 3.2.3).

3.2.2.

Logiciel VOÛTE : principe et étude de cas

3.2.2.1.

Historique, principe et étapes de calcul

Le logiciel VOÛTE a été développé en France au début des années 1980. La présentation ci-après recense les principaux éléments de la méthode. Une description complète est donnée dans le dossier du Sétra (1982) et dans Delbecq (1983). Sous un chargement Q, comme cela a été présenté dans la partie précédente, une voûte est dite potentiellement stable si en tout point il existe une répartition des contraintes permettant le respect :  des conditions aux limites sur le pourtour de la voûte ;  des équations d’équilibre en tout point ;  des critères de résistance. Le calcul à la rupture ne prend pas en compte la loi de comportement du matériau constitutif. L’approche statique par l’extérieur présentée dans la partie précédente permet d’obtenir un majorant de la charge supportable par l’ouvrage et ainsi d’affirmer que si la condition de stabilité obtenue n’est pas respectée, la voûte est certainement instable. En revanche, dans le cas du respect de la condition, la voûte n’est pas assurément stable. Les critères de résistance appliqués dans le logiciel VOÛTE sont les suivants :   

aucune résistance à la traction n’est prise en compte dans la maçonnerie ; résistance finie à la compression simple (σ0) ; critère de non-glissement à l’interface pierre/mortier de type frottement Coulomb fixé à H/N = 0,5, correspondant à un angle de frottement de 27° et une cohésion nulle. Le calcul prend en compte les hypothèses suivantes (Figure 106) :         

le calcul est mené en 2D sous l’hypothèse des déformations planes, c’est-à-dire qu’il est réalisé sur une tranche transversale d’un mètre linéaire de voûte ; la voûte est modélisée par ses lignes d’intrados et extrados ; condition aux limites : voûte bi-encastrée ; la voûte est découpée en blocs (voussoirs) ; le joint en clé est vertical ; la voûte est considérée composée d’un matériau homogène de résistance finie ; la voûte est soumise aux chargements : poids propre, poids des remblais, superstructures, charges d’exploitation, etc. ; le logiciel ne prend pas en compte les tassements d’appuis ni les effets de la température ; s’agissant d’un calcul à la rupture, les vérifications sont faites uniquement pour les combinaisons ELU.

114

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Figure 106 : Schéma descriptif et terminologie sous VOÛTE selon Sétra (1982) Avec tous ces éléments, le logiciel exploite les lignes des centres de pression en vérifiant au niveau de chaque joint que le torseur Ni, Mi et Vi est à l’intérieur d’un domaine convexe (Figure 107) formant le domaine des chargements potentiellement admissibles. 𝑁 σ 𝑆 |𝑇 | ≤ 𝑁 tan φ  

|𝑀 | ≤ 𝑁 ℎ 1 −

Figure 107 : Domaine de stabilité potentielle pour une section dans le plan (N, M) selon Sétra (1982) Pour chaque combinaison ELU, un coefficient de rupture Fm est déterminé comme étant le rapport entre le chargement Qm pour lequel la voûte est certainement instable et le chargement réel Q.  F > 1 : voûte potentiellement stable ;  F < 1 : ruine certaine de la voûte. Le calcul à la rupture étant mené par une approche statique par l’extérieur, le coefficient Fm obtenu est un majorant du coefficient de rupture réel F.

115

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

3.2.2.2.

Efficience, avantages, inconvénients

La méthode de calcul utilisée dans le logiciel VOÛTE présente l’avantage d’estimer rapidement la marge de capacité portante offerte par la voûte étudiée. Ces calculs nécessitent peu de temps et peu de données d’entrée, puisqu’il suffit de disposer de la géométrie de la voûte, de la résistance en compression de la maçonnerie homogène et des chargements à appliquer sur la voûte. Dans un calcul à la rupture, il n’est pas nécessaire de connaître les lois de comportement de la maçonnerie et des joints associés. Il faut néanmoins noter que les données d’entrée doivent être sélectionnées avec une certaine rigueur dans la mesure où elles ont une forte influence sur les résultats et les coefficients de rupture obtenus, et donc sur les conclusions finales sur la capacité portante de la structure. En revanche, le calcul à la rupture présente l’inconvénient intrinsèque de ne pas renseigner sur l’état des contraintes réelles dans la maçonnerie en phase de service. Comme évoqué précédemment, il ne prend pas en compte non plus les tassements éventuels des appuis et l’influence éventuelle des variations de température. La modélisation dans le logiciel VOÛTE tient compte uniquement de la voûte comme élément résistant mais néglige complètement les effets bénéfiques sur la stabilité que peuvent apporter les murs tympans et les remplissages au-dessus de la voûte. Le calcul étant réalisé en 2D, tous les effets de la diffusion transversale des charges sont négligés. Ils sont introduits d’une manière analytique, qui peut passer à côté de l’apport favorable de la diffusion 3D et de l’effet défavorable des poussées transversales créant des fissures longitudinales. Caractéristiques nécessaires à la mise en œuvre

 Dimension de la voûte (carottage pour obtention des Géométrie Matériau Sollicitation

épaisseurs de la voûte et des matériaux de remplissage, passage radar sur chaussée et en intrados)  Résistance à la compression de la maçonnerie homogène (essais de résistance à la compression sur carotte)  Poids propre  Charge de superstructure  Charge d’exploitation

Capacité portante

 Coefficient de rupture pour chaque combinaison  Lignes de pression définissant le domaine de stabilité en

Diagramme des efforts internes

 Lignes de pression optimales  Réaction aux appuis  Pas de vérification à l’effort tranchant selon le critère de

traction et compression

Temps de préparation

La définition des données d’entrée et des chargements, avec éventuellement une diffusion des charges dans les remblais peut nécessiter un temps de préparation relativement important

Temps de calcul

Coulomb

Le temps de calcul est rapide.

Compétences utilisateur

Sorties (résultats) Entrants (données)

3.2.2.3.

Ingénieur maîtrisant les notions de bases de la stabilité des voûtes. Un regard d’un ingénieur plus expérimenté en ouvrage maçonnerie peut être nécessaire pour le traitement de cas particuliers (ouvrage avec désordres importants, coefficient de rupture très faible, passage de convois exceptionnels très pénalisants...).

116

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3.2.2.4.

Décision

Même si la voûte est potentiellement stable pour un coefficient de rupture supérieur à 1, la méthode utilisée dans le logiciel voûte étant basée sur une statique par l’extérieur, elle fournit donc une majoration du coefficient de rupture réel sous une combinaison donnée. Pour couvrir ces incertitudes, le guide SETRA considère la voûte stable uniquement si le coefficient de rupture est supérieur à 3. Ce coefficient de rupture doit être considéré comme un indicateur et la décision finale sur la capacité portante de la voûte être prise sous une parfaite corrélation entre le résultat de calcul et l’état pathologique réel de la maçonnerie. Il peut être admis de valider la stabilité d’une voûte sous un chargement donné avec un coefficient de rupture entre 2,5 et 3 si son état de conservation ne pose pas de problème particulier. Pour des coefficients inférieurs à 2,5, la stabilité est considérée comme non assurée. La méthode proposée par ce logiciel atteint ses limites et la recherche de marge de capacité portante devra passer par l’utilisation de méthode de calcul plus avancées telles que les calculs avec loi de comportement telles que celles mises en œuvre dans les codes de calcul numériques par éléments finis ou éléments distincts. Il faut garder à l’esprit que la conclusion quant à la résistance d’une voûte est une synthèse de son état général basée sur :   

l’analyse de ses matériaux constitutifs et de leurs propriétés physiques et mécaniques ; la comparaison avec les critères constructifs en vigueur lors de la construction ; l’approche calculatoire par une épure ou un logiciel. 3.2.2.5.

Etude de cas

3.2.2.5.1.

Situation

Cet exemple porte sur l’étude de la capacité portante du pont de Maraval situé sur la commune d’AvignonetLauraguais (31). Ce pont en maçonnerie permet le franchissement du canal du Midi (Figure 108). L’étude est réalisée dans le cadre de l’élargissement de l’autoroute A61. La circulation des poids lourds augmentant sur la voie portée (RD80A), les calculs doivent par conséquent s’assurer de la bonne reprise des efforts par la voûte.

Figure 108 : Pont de Maraval sur le canal du Midi à Avignonet-Lauraguais (31) 3.2.2.5.2.

Caractéristiques géométriques de l’ouvrage

Les caractéristiques de l’ouvrage sont déterminées à partir de relevés et de sondages effectués sur site. Type de structure

Pont en maçonnerie

Nombre de travées

1 travée

Largeur utile de la chaussée entre garde-corps

4,10 m

Ouverture de la voûte

9,90 m

117

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118

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Figure 109 : Modélisation de la demi-courbe de l’intrados et de l’extrados par une courbe définie par son centre (Xc, Yc), son rayon R et ses angles polaires α0 et αf de ses extrémités repérées par rapport à la verticale. Les valeurs des paramètres renseignés dans le logiciel pour l’intrados et l’extrados sont données dans le Tableau 4, conduisant à la représentation graphique de la Figure 110. Tableau 4 : Paramètres d’entrée dans le logiciel VOÛTE Intrados

Extrados

Xc

0m

0m

Yc

-6,91 m

-6,91 m

R

8,50 m

9,10 m

α0





αf

35,62°

35,62°

Figure 110 : Tracé de la voûte sous le logiciel VOÛTE

119

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3.2.2.5.3.

Résultats

L’ouvrage a été recalculé avec les charges du fascicule 61 titre II. D’après les résultats présentés en Figure 111, les coefficients inférieurs à la valeur admissible de 3 sont obtenus uniquement pour les combinaisons 4 (coefficient de 2,825) et la combinaisons 8 (coefficient de 2,972). Ces deux combinaisons concernent le convoi Bc en position 2 (position désaxée par rapport à l’axe de la voûte). De plus, les coefficients sous charges d’exploitation (2,825) sont très inférieurs aux coefficients sous charges permanentes (9,001). Ceci démontre une forte sensibilité de la voûte aux chargements routiers et donc au passage des poids lourds.

Figure 111 : Résumé des coefficients de sécurité du calcul VOÛTE sous les combinaisons de charge de l’ELU

3.2.3.

Logiciel RING : principe et étude de cas

3.2.3.1.

Historique, principe et étapes de calcul

Le logiciel RING a été développé au Royaume-Uni à la fin des années 1990 (Gilbert & Melbourne, 1994 ; Gilbert, 2001). Il s’appuie également sur la théorie du calcul à la rupture et s’intéresse à l’état ultime de la construction. La voûte est découpée en voussoirs, blocs réels ou fictifs, au contact desquels est appliqué un critère de Coulomb. La capacité portante globale de la structure maçonnée est déterminée à l’aide du principe des puissances virtuelles. RING offre de plus larges possibilités que VOÛTE dans la prise en compte des spécificités des ponts en maçonnerie :        

plusieurs travées ; les effets de répartition longitudinale et transversale des charges à travers la couche de roulement et le remplissage ; les effets transversaux en modélisant la structure en 3D ; les spécificités géométriques : variabilité d’une travée à l’autre (largeur et hauteur des piles, ouverture, épaisseur de la voute…) ; les charges ferroviaires et/ou routières ; le tassement des appuis ; les défauts constatés sur site (perte de mortier, maçonnerie affaiblie…) ; les renforcements de la structure (contre voute en béton, tirant…).

120

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Figure 112 : Résultat d’une analyse – Vue 3D avec prise en compte de la diffusion des charges (crédit photo : T. Stablon) 3.2.3.2.

Stratégie de modélisation

Par analogie avec l’approche du logiciel VOÛTE et les recommandations du Sétra dans l’avant-propos « Évaluation de la stabilité des ponts en maçonnerie », l’étude à la rupture est réalisée avec les combinaisons de charges des convois relatives au règlement de calcul de référence. Conformément aux règlements de chargement, un coefficient dynamique est possiblement à calculer et appliquer. Afin d’évaluer l’impact sur l’ouvrage des nouvelles sollicitations, il doit être considéré un état de référence correspondant à la réponse de l’ouvrage sous des convois réglementaires que la structure a vus au cours de sa vie passée sans dommage subi. Les charges datant de l’époque probable de construction sont également à étudier. Afin de déterminer la position la plus défavorable des convois sur l’ouvrage, la position des charges est à incrémenter à chaque itération avec un pas adapté à la structure. Ce pas d’incrément doit être suffisamment fin pour s’assurer de vérifier toutes les positions possibles d’un convoi sur l’ouvrage. Les caractéristiques géométriques sont adaptées à chaque ouvrage :  voûte : type, largeur, épaisseur, hauteur, nombre de voussoirs ;  culées : présence ou non, hauteur, largeur, nombre de blocs ;  hauteur du remplissage ;  hauteur de la couche de roulement. Le logiciel RING permet de modéliser les piles et les culées des ponts en maçonnerie. Il convient de préciser que lorsque les culées sont décrites explicitement (hauteur, largeur, discrétisation), le programme considère que la culée est une structure propre, sans considération de l’effet de stabilité des terres derrière elles. Ainsi, le mode de rupture « numérique » peut venir d’un manque de stabilité des culées. Le modèle RING est un modèle qui permet de prendre en considération la diffusion de la charge à travers les couches de roulement et de remplissage. Ainsi, les charges sont réparties à la fois longitudinalement et transversalement. Par ailleurs, le logiciel permet d’adapter la bande d’étude du corps de voûte sur laquelle les charges sont réellement diffusées. Cela évite de considérer toute la voûte résistante lorsque la charge n’est en réalité diffusée qu’à une partie de la voûte. Le logiciel RING ne considère qu’une ligne de convoi et centre systématiquement le convoi sur l’ouvrage. Ainsi et conformément au British Standard BD 21/01, il convient de borner la largeur effective de l’ouvrage afin de tenir compte par exemple du croisement de deux convois sur l’ouvrage ou de la proximité de la bordure. Afin de quantifier l’influence des paramètres sur les résultats obtenus, une étude paramétrique est généralement nécessaire. Elle permet d’identifier les paramètres prépondérants et d’analyser leur portée sur les résultats. Les paramètres suivants sont généralement à analyser :   

résistance en compression des voussoirs ; densité des voussoirs ; coefficient de frottement µ entre les voussoirs ;

121

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     

discrétisation de la voûte ; largeur de la culée ; discrétisation de la culée ; densité du remplissage ; densité de la couche de roulement ; pas d’incrément du chargement. 3.2.3.3.

Efficience, avantages, inconvénients

L’analyse à la rupture permet d’obtenir les lignes de pression caractérisant la stabilité de la voûte. Elle est avantageuse du fait qu’il n’est pas nécessaire d’avoir l’ensemble de la loi de comportement de chaque élément de la structure pour mener à bien le calcul. Seule la résistance en compression est nécessaire. C’est une méthode globale de résistance. Le calcul détermine la charge de ruine et donc un coefficient de sécurité par rapport à la charge d’exploitation de l’ouvrage. Ce type d’approche est parfaitement adapté à l’analyse comparative des effets de chargements, par exemple pour l’appréciation de nouvelles charges au regard des charges retenues à la construction. Les résultats obtenus sont :

Entrants (données)

3.2.3.4.

Caractéristiques nécessaires à la mise en œuvre de la méthode

Géométrie

 Dimension des éléments de la structure  Dimension de la voûte porteuse (différente du bandeau apparent)

Matériau

Sollicitation

 Masse volumique des différentes parties d’ouvrage  Résistance à la compression  Poids propre  Charge de superstructure  Charge d’exploitation  Charges appliquées par des éléments extérieurs en

Sorties (résultats)

connexion avec la structure étudiée Champs Diagramme des efforts internes Profil d’endommagement

 Contrainte  Déformation  Déplacement  Descente de charge  Réaction aux appuis  Moments, efforts normaux et tranchants  Profils de fissuration  Zones endommagées en compression et en traction

Temps de préparation



détermination des moments, efforts normaux et tranchant d’équilibre des blocs ; détermination de l’ouverture entre les blocs ; détermination de la ligne de pression des corps de voûte et d’un coefficient de sécurité vis-à-vis du chargement défini ; vérification des renforcements proposés.

Le temps de préparation du calcul peut varier de l’ordre d’une heure pour une structure simple avec l’ensemble des données d’entrée disponible à plusieurs heures pour une structure complexe où nécessitant la formulation d’hypothèses.

Temps de calcul

  

Le temps de calcul est fonction de la complexité de la géométrie, des convois & de la discrétisation de la voûte et des appuis et généralement court (quelques minutes).

122

Compétences utilisateur

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Niveau ingénieur requis avec des solides compétences en résistance des matériaux et calcul de structure.

3.2.3.5.

Étude de cas : Pont de Masléon

L’objet de cette étude est de vérifier la résistance et la stabilité du pont de Masléon, situé sur la RD979 du département de la Haute Vienne dans le cas de passage de convois de transport de bois. Le pont de Masléon est un pont en maçonnerie construit de 1865 à 1868 (Figure 113a) et qui a évolué au cours du temps. En 1946, dans le cadre de la reconstruction de la partie rive droite de l’ouvrage (côté Limoges) suite à sa destruction par les résistants français pour retarder la division allemande « Das Reich », une dalle en béton armé reposant sur les murs par l’intermédiaire de poutres transversales en BA a été construite. Puis, dans les années 80, pour soulager les voûtes d’élégissement (côté Masléon), il a été choisi d’enlever l’ensemble du remblai sur celles-ci et de faire reposer la dalle en béton armé à la fois sur les murs en retour et sur deux poutres BA. Ces différents évènements expliquent la structure singulière de l’ouvrage (Figure 113b).

(a)

(b)

Figure 113 : Pont de Masléon : (a) photo (crédit photo : T. Stablon) et (b) plan de projet – coupe longitudinale de 1984 (b) Le but est de comparer les coefficients de sureté à la rupture entre les convois circulant actuellement sur l’ouvrage (et ne provoquant aucun désordre apparent) et les convois de transport de bois ronds. L’ouvrage de Masléon, de par sa complexité (structure interne particulière, asymétrique, avec des voûtes d’élégissement, et des structures béton) a nécessité une amélioration importante du logiciel RING avec le développement spécifique de la capacité à traiter la présence de voûtes d’élégissement et de tabliers béton. Pour cette étude, l’ouvrage est considéré dans une configuration saine, c’est-à-dire sans désordre structurel majeur sur la maçonnerie. Cette hypothèse correspond à l’aspect visuel extérieur de l’ouvrage et aux résultats de l’inspection réalisée sur site. L’étude est tout d’abord menée avec des hypothèses très sécuritaires, puis une étude complémentaire est présentée afin d’évaluer la sensibilité des hypothèses retenues. 3.2.3.5.1.

Caractéristiques géométriques de l’ouvrage

L’ouvrage est un pont en maçonnerie assisée de moellons en granite. Le pont de Masléon est une structure complexe, composée d’une voûte principale (plein cintre) de 1 m d’ouverture, et de voûtes d’élégissement (de 3,8 à 9,8 m d’ouverture), partiellement ou complétement remplies de remblais. Plusieurs structures en béton armé sont présentes au-dessous de la couche de roulement. Ces parties en béton armé reposent sur les voûtes en différents points (Figure 113b). Le profil longitudinal est considéré horizontal le long de l’ouvrage.

123

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3.2.3.5.2.

Voûte principale et voûtes d’élégissement

D’après les données obtenues, il est considéré que la voûte est deux fois plus épaisse en pied qu’en tête. N’ayant d’informations précises sur l’épaisseur des voûtes d’élégissement en base de l’ouvrage, il est pris, de manière conservatrice, une épaisseur de 0,63 m, correspondant à l’épaisseur minimale des voûtes qui constituent l’ouvrage. Le nombre de voussoirs constituant chaque voûte étant inconnu, il est considéré un nombre de 40 blocs pour la voûte principale et un nombre de 20 blocs ou moins pour les voûtes d’élégissement. Pour s’assurer de la pertinence de ces hypothèses, chaque voûte a été étudiée individuellement et la modélisation a été étroitement vérifiée avec la mise en parallèle de la géométrie sous RING et du fichier DXF d’origine. Par ailleurs, l’étude paramétrique, présentée en annexe montre que le nombre de voussoirs a très peu d’influence sur le résultat du coefficient de sureté (Stablon & Mellier, 2013). 3.2.3.5.3.

Poutres et dalles en béton armé

La modélisation des structures en béton est simplifiée sur le logiciel RING. Cette démarche n’altère pas les résultats de l’étude car les parties béton sont considérées comme rigides et stables. Ainsi, seule la stabilité des parties en maçonnerie est vérifiée. Les recalculs des parties BA sont traités par ailleurs. Le hourdis de gauche (poutres et dalle) est simplifié comme étant une dalle simple, et la culée sur laquelle il repose est modélisée comme un appui simple. A droite de l’ouvrage, la partie comprenant les poteaux est remplacée par un appui ponctuel qui supporte la dalle BA et joue le rôle de culée. La modélisation proposée est une représentation acceptable et conservatrice de la structure réelle. 3.2.3.5.4.

Largeur effective de l’ouvrage

Le modèle est un modèle « semi-3D » qui permet de prendre en considération la répartition transversale de la charge. Ainsi, les charges sont diffusées à la fois longitudinalement et transversalement. Par ailleurs, le logiciel permet d’adapter la bande d’étude du corps de voûte sur laquelle les charges sont réellement diffusées. Cela évite de considérer toute la voûte résistante lorsque la charge n’est en réalité diffusée qu’à une partie de la voûte. Le calcul de la largeur effective (Figure 114) suppose que :   

deux véhicules peuvent se croiser sur l’ouvrage ; une distance minimum de 0,70 m sépare les deux essieux de véhicules adjacents ; la diffusion transversale des charges comprend : une largeur fixée à 0,75 m et une diffusion à 2/1 dans le remplissage et la surface de roulement ; de manière conservatrice, la diffusion engendrée par la surface de roulement et le remplissage ne sera pas prise en compte dans cette étude.

Figure 114 : Exemple de répartition transversale des charges

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3.2.3.5.5.

Caractéristiques des matériaux

Matériaux de la voûte. À partir des plans, de visite sur site et d’essais, la nature et la qualité des pierres sont estimées. Des abaques permettent de confronter les résistances en compression des matériaux constitutifs de l’ouvrage aux recommandations de ces documents, données d’entrée du calcul. Les pierres sont des pierres en granite (Figure 115). La maçonnerie de la voûte principale semble être de bonne qualité, alors que les maçonneries du reste de l’ouvrage présentent une qualité moindre et à caractère aléatoire. Les carottages réalisés lors des inspections sur site ont montré une résistance en compression moyenne de 130 MPa. Dans un premier temps et de manière très conservatrice, la résistance en compression est estimée à partir des recommandations fournies par le BD 20/01 « Assessment for highway bridges and structures » à 2,3 MPa. Il est considéré une densité brute de 20 kN/m3 pour les maçonneries comme pour les parties en béton armé. La résistance en compression est extrêmement dévaluée, la démarche étant de vérifier la structure à partir d’une valeur de résistance minimale.

Figure 115 : Maçonnerie de la voûte principale (gauche) et de la voûte d’élégissement (droite) Matériaux de remplissage et du revêtement. Le matériau de remplissage, sans donnée précise, est considéré avec un angle de diffusion des charges de 30° et une cohésion nulle, valeur habituelle pour un matériau de remplissage moyen de pont en maçonnerie. Le revêtement est considéré avec un angle de diffusion des charges de 26,6°, valeur communément admise pour de l’enrobé de type asphalte. Les parties en béton armé sont homogénéisées avec la surface de roulement. 3.2.3.5.6.

Caractéristiques des convois

Plusieurs convois sont étudiés :  

convois de transport de bois ronds ; convois du fascicule 61 titre II : afin d’évaluer l’impact sur l’ouvrage des nouvelles sollicitations que sont les convois de transport de bois, il est considéré un état de référence correspondant à la réponse de l’ouvrage sous les convois règlementaires du fascicule 61 titre II (convois Bc et Bt) ;  convois du Règlement des surcharges de 1891 : parallèlement aux charges Bc et Bt du fascicule 61 titre II, les charges datant de l’époque probable de construction de ce pont sont également étudiées à titre informatif. D’après le règlement des surcharges de 1891, il sera pris en considération les convois de « tombereaux » et de « chariots ». La position la plus défavorable des convois sur l’ouvrage est déterminée par déplacement successif des charges. Les itérations ont permis de déterminer la position qui engendre le coefficient de sureté le plus défavorable. 3.2.3.5.7.

Géotechnique du site

À la vue des sondages, il apparaît que les sols environnants sont de qualité bonne à très bonne. L’arène granitique présente, mélange de blocs de granite de taille variée allant du sable à des blocs conséquents de granite, constitue une assise de bonne qualité associée à la diorite, roche magmatique (gneiss), réputée pour sa résistance. Par conséquent dans cette étude, l’ouvrage est supposé reposer sur un sol stable. Ainsi, l’approche de modélisation retenue considère des fondations saines. Cette approche est raisonnable dans le cadre d’une comparaison de charges.

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3.2.3.5.8.

Résultats

En raison de la complexité de l’ouvrage, il est choisi de séparer les résultats en deux parties. Une partie des résultats vérifie la stabilité de la partie gauche de l’ouvrage (poutres BA), la seconde vérifie la stabilité de la partie droite de l’ouvrage (voûte principale et la partie dalle BA).

Figure 116 : Identification des zones étudiées (crédit photo : T. Stablon) Pour les différents cas de charge, la position la plus défavorable pour la structure correspond à la distance entre la base gauche de la voûte et l’essieu avant du convoi (Figure 116). Tableau 5 : Synthèse des résultats

Convoi de transport de bois. La réponse de la structure à la sollicitation engendrée par le passage d’un convoi de transport de bois rond est présentée en Figure 117. Il apparaît que dans la zone gauche comme dans la zone droite, le tridem arrière d’essieux 12 t du convoi de 57 t (6 essieux) est plus sollicitant que le convoi de 48 t (5 essieux). Zone gauche. Le convoi de 57 t, positionné à une distance de -28,37 m de la base gauche de la voûte principale, engendre un phénomène de glissement au niveau de la base de la seconde voûte d’élégissement sur laquelle repose l’appui intermédiaire (comme représenté ci-dessous). Les résultats de l’analyse du cas le plus défavorable des convois de transport de bois présentent un coefficient de sureté par rapport à la ruine de la voûte de 3,2. Ce coefficient est très sécuritaire car en réalité les charges de la structure en béton sont certainement directement transmises au sol par l’intermédiaire des piles entre voûtes d’élégissement.

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Zone droite. Le convoi de 57 t, positionné à une distance de 19,29 m de la base gauche de la voûte principale, à cheval entre la clef de voûte de l’arche principale et la dalle BA, engendre un mouvement de rotule à l’intérieur de la voûte principale (comme représenté ci-dessous). Les résultats de l’analyse du cas le plus défavorable des convois de transport de bois présentent un coefficient de sureté par rapport à la ruine de la voûte de 3,59.

Figure 117 : Résultat de l’analyse sous convoi de 57 t sur la zone de gauche et de droite

3.3.

Méthode de calcul aux éléments finis

La méthode des éléments finis (MEF) représente un moyen numérique pour traiter des problèmes de mécanique et de résistance de matériaux complexes. Plus précisément, elle constitue un outil de mathématiques appliquées qui permet de résoudre numériquement des équations aux dérivées partielles. Utilisée massivement depuis les années 90, la MEF est une approche dite « continue » dans laquelle les discontinuités peuvent être introduites à l’aide d’éléments joints. Cette technique est également utilisée pour appréhender l’interaction sol-structure. Les derniers modèles développés permettent de retracer l’historique de la structure et de déterminer la localisation des désordres tels que les fissures et l’écrasement de blocs. Les phénomènes mécaniques internes sont décrits finement en 3D et permettent donc une analyse aussi bien des fissures longitudinales, que transversales ou biaises, dans les murs, les voûtes, les culées ou les piles. La méthode est quasiment la seule qui permette un calcul pas à pas de l’évolution des contraintes et des déformations et donc une analyse fine aussi bien à l’ELS qu’à l’ELU et même à la ruine. Investir du temps dans la mise en œuvre de cette méthode peut donc en valoir la peine pour le diagnostic de grands ouvrages patrimoniaux ou d’ouvrages clés sur un réseau. La difficulté associée à cette liberté de choix est la détermination d’un modèle réaliste dont dépendent les résultats. L’hétérogénéité et la non-linéarité du matériau oblige le calculateur à choisir l’échelle à laquelle il va se placer pour mettre en place une modélisation numérique adaptée à son problème. La taille de l’ouvrage calculé impose quasiment l’utilisation d’une méthode d’homogénéisation de la maçonnerie, qui peut être expérimentale, analytique (si modèle élastique) ou numérique.

3.3.1.

Historique, principe et étapes de calcul

3.3.1.1.

Historique

L’idée fondamentale sous-jacente à la méthode des éléments finis remonte à l’antiquité. Les grecs approchent le périmètre d’un cercle en calculant le périmètre d’un polygone de n côtés inscrit dans le cercle avec n suffisamment grand. La méthode des éléments finis est apparue avec des applications en résistance des matériaux notamment par Maxwell, Castigliano et Mohr. Au milieu du XXe siècle, l’arrivée du calcul numérique et des méthodes de résolution au moyen de l’outil informatique a permis de la populariser. La méthode des éléments finis est ainsi largement démocratisée dans les bureaux d’étude de génie civil (Prat, 1997).

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Concernant l’étude des maçonneries, Page (1978), Pande et al. (1989), Lourenço (1996) furent les pionniers à la fin du XXe siècle à utiliser la méthode des éléments finis dans la modélisation de ces structures anciennes en maçonnerie. Aujourd’hui, des modèles non linéaires implémentés dans les codes éléments finis permettent de décrire finement le comportement mécanique de la maçonnerie. De nombreuses thèses mettant en œuvre les modèles éléments finis avec loi de comportement en endommagement ont été réalisées récemment en France (Figure 118). Malgré tout, ce type de modélisation complexe reste souvent limitée aujourd’hui dans le domaine de la recherche et un travail de démocratisation de ces modèles dans le secteur privé constitue un véritable enjeu.

(a)

(b)

(c)

Figure 118. Travaux de thèse récents en France mettant en œuvre la méthode des éléments finis pour la simulation du comportement mécanique des maçonneries. (a) Étude de la stabilité d’une voûte à croisée d’ogive (Parent, 2015), (b) Étude du comportement des tunnels en maçonnerie du métro parisien (Moreno Regan, 2016), (c) Principe de modélisation par type d’éléments finis d’un pont en maçonnerie (Stablon & El Assami, 2012) 3.3.1.2.

Principe

L’objectif de la méthode est de déterminer une fonction, solution de l’équation aux dérivées partielles (EDP) (par exemple un champ de déplacement) dans un domaine donné et pour des conditions limites données. Le principe fondamental de la méthode réside dans l’idée de discrétiser (diviser) le domaine spatial en morceaux élémentaires (appelés mailles ou éléments finis) sur lesquels il sera possible de simplifier les équations physiques non linéaires en systèmes linéaires approchés afin de résoudre l’EDP aux points de Gauss des éléments. L’EDP décrit par exemple la loi de comportement du matériau étudié et les conditions limites peuvent être une force imposée sur une surface du maillage ou un déplacement imposé. Sur chaque élément fini, il est possible de remplacer l’EDP en un système d’équations linéaires, par approximation. La résolution complète du système sur l’ensemble du domaine d’étude se réalise de manière discrète aux nœuds du maillage de proche en proche en tenant compte des conditions aux limites imposées. 3.3.1.3.

Étapes principales de calcul

Une modélisation par la méthode des éléments finis peut se décomposer en six étapes principales :  le maillage ;  la loi de comportement des matériaux ;  les conditions aux limites ;  les charges appliquées ;  la résolution du problème discrétisé ;  le post traitement des résultats. En fonction du problème à traiter, le maillage peut être 1D (élément poutre), 2D (élément plaque ou coque) ou 3D (élément volumique). L’utilisation d’éléments 1D permet de modéliser l’arc de façon très simplifiée. L’avantage de l’outil réside toutefois dans la possibilité de modéliser n’importe quel pont en 3D, droit ou biais ou courbe, massif ou élancé, en considérant toutes les parties de l’ouvrage et pas seulement la voûte. Le maillage peut être plus ou moins fin : un maillage fin va améliorer la précision de résolution du problème et conduire à un temps de calcul plus élevé. Un maillage plus grossier au contraire permettra de réduire le temps de calcul mais conduira nécessairement à des approximations sur la solution du problème.

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La loi de comportement mécanique du matériau maçonnerie (disponible ou non dans un logiciel) peut aller du simple comportement linéaire élastique à des modèles fortement non-linéaires avec prise en compte de la plasticité, de l’endommagement et de la fissuration (section 3.3.1.4.3). La définition de la loi de comportement s’accompagne de la déclaration des paramètres mécaniques associés à la loi. Plus la loi est complexe, plus les paramètres sont nombreux et parfois difficiles à identifier. La méthode des éléments finis offre également la possibilité d’utiliser des modèles couplant des phénomènes physiques très larges, à savoir, la thermique, le transfert de matière en milieu poreux, la chimie et la mécanique. Une modélisation aux éléments finis nécessite la définition des conditions aux limites, classées en deux catégories principales : les conditions de Dirichlet (valeur imposée) et les conditions de Neumann (gradient imposé). Ces deux types de condition permettent d’imposer sur certaines parties du maillage bien choisies des déplacements, des déformations ou des rotations. Un des enjeux importants pour le calculateur réside dans le choix juste de ces conditions aux limites. La question délicate à laquelle il est confronté ici est la traduction des conditions réelles de l’ouvrage en conditions mathématiques de modélisation. Ensuite, il est nécessaire de définir les charges exercées sur la structure étudiée. Il est ainsi possible d’appliquer des charges volumiques (poids propre), des charges surfaciques (poussée des terres par exemple) ou encore des charges ponctuelles (action d’un essieu par exemple). Outre les chargements mécaniques classiques, la méthode des éléments finis laisse la possibilité d’appliquer d’autres types d’actions (déplacements d’appuis, température ou flux de température en thermomécanique, fluage, sismique, hydraulique...). Une fois le problème mathématique bien posé, le calculateur peut procéder à la résolution du problème discrétisé. Le solveur calcule les matrices de rigidité et de masse de chaque élément fini. Il les assemble pour obtenir les matrices de rigidité et de masse globale de la structure, applique les conditions aux limites et les chargements puis enfin résout le système en inversant la matrice de rigidité associée à la structure. Deux grandes familles d’analyse peuvent être réalisées : 

pour les problèmes linéaires, le modèle mécanique employé est nécessairement élastique. La résolution du problème (l’inversion de la matrice de rigidité) se réalise une seule fois. Deux états de la structure sont alors connus : l’état initial non chargé et l’état final déformé ayant subi les conditions aux limites et les chargements imposés.  pour les problèmes non-linéaires, la résolution se fait de manière incrémentale, avec un pas de temps déterminé. L’inversion de la matrice est réalisée à chaque pas de temps. Le résultat de la simulation comprend alors une solution par pas de temps, à la fois spatiale et temporelle. Dans ce cas, l’état de contrainte, de déformation et d’endommagement de la structure à un pas de temps donné dépend des états aux pas de temps précédents. La solution dépend du chemin de chargement. Cette notion essentielle liée aux calculs non linéaires est intéressante dans l’étude des structures complexes que sont les maçonneries (cf. section 3.3.3). Ce type de calcul non-linéaire permet de prendre en compte l’histoire de chargement subi par l’ouvrage. Enfin la dernière étape du calcul éléments-finis est le post-traitement des résultats. Ici, le calculateur va pouvoir remonter à un ensemble d’informations mécaniques. Ces informations peuvent être aussi bien des champs (champs de déplacement, de contraintes, de déformation, d’endommagement, de fissuration) que des réactions aux appuis et les diagrammes d’efforts internes. 3.3.1.4.

Stratégie de modélisation

Deux stratégies de modélisation (Figure 119) sont utilisées pour modéliser le comportement mécanique des maçonnerie (Lourenço, 1996) :  

l’approche micro-échelle consiste à considérer chaque constituant de la maçonnerie et leur loi de comportement individuelle. Ainsi, le comportement mécanique des blocs, des joints et des interfaces est pris en compte de manière indépendante. l’approche macro-échelle considère quant à elle la maçonnerie comme un matériau homogène équivalent dont le comportement est la combinaison des caractéristiques mécaniques de chaque constituant. Cette approche est nécessairement accompagnée par une méthode d’homogénéisation.

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Figure 119 : Les différentes approches de modélisation de maçonnerie : (a) maçonnerie réelle, (b) approche micro détaillée, (c) approche micro simplifiée, (d) approche macro échelle. 3.3.1.4.1.

Approche micro-échelle

Dans l’approche micro-échelle, l’ensemble des constituants de la maçonnerie est pris en compte. Chaque matériau possède ainsi sa propre loi de comportement. Cette méthode donne la possibilité d’introduire des phénomènes non-linéaires de plasticité et d’endommagement dans les différents constituants de la maçonnerie (mortier et blocs). Elle présente également l’avantage de reproduire fidèlement les phénomènes de rupture et de fissuration observés expérimentalement. Elle conduit donc à une simulation fine des différents modes de rupture du matériau maçonnerie. La nécessité de représenter chaque corps alourdit le maillage et allonge le temps de préparation de la modélisation et le temps de calcul. L’approche micro-échelle est donc plutôt utilisée pour étudier des structures simples et surtout des parties détaillées de structures de faibles dimensions comprenant un nombre réduit de blocs. Enfin, cette approche nécessite une connaissance précise des propriétés mécaniques de chaque constituant et des interfaces. Elle implique donc une caractérisation expérimentale d’essais sur chaque élément. Les modélisations micro-échelles laissent par ailleurs la possibilité d’identifier les paramètres mécaniques homogènes d’une maçonnerie (module d’élasticité, résistance à la compression, à la traction, énergies de rupture) en réalisant des essais mécaniques à l’échelle du volume élémentaire représentatif (VER), défini par des dimensions grandes devant les hétérogénéités constituant le matériau. Cette procédure est appelée homogénéisation et sera détaillée dans la section 3.3.1.4.2 suivante. Dans le domaine de la maçonnerie, le VER est généralement construit de façon périodique. Ces propriétés homogènes peuvent ainsi être utilisées dans des modélisations à une échelle supérieure correspondant à l’échelle de la structure. 3.3.1.4.2.

Approche macro-échelle

L’approche macro-échelle considère la maçonnerie comme un seul matériau dont les propriétés sont homogénéisées à partir des éléments constitutifs (Figure 119d). Ces approches permettent d’intégrer le caractère hétérogène et anisotrope de la structure tout en conservant la simplicité des calculs en milieu homogène. De plus, elle est indispensable lorsque que des structures d’échelles bien supérieures à l’échelle du volume élémentaire représentatif de la maçonnerie sont modélisées. Cette méthode permet donc de passer de l’échelle du matériau à l’échelle de la structure via des techniques dites de changement d’échelle ou d’homogénéisation. Ces dernières peuvent reposer sur trois approches différentes, qui peuvent être d’ailleurs complémentaires : 



expérimentale, qui est utilisée de façon naturelle et habituelle dans le monde de l’ingénierie, à partir d’essais sur des échantillons de dimensions grandes devant celles des hétérogénéités du matériau. Cette approche est efficace mais peut dans certains cas (chargements très particuliers, endommagement…) passer à côté de certains phénomènes physiques décrivant le matériau, entraînant de mauvaises prédictions sur le comportement du matériau à l’échelle de la structure. analytique, qui repose sur une approche mathématique relative à la connaissance de la morphologie et des caractéristiques mécaniques des constituants à une échelle plus fine du matériau, permettant d’obtenir le comportement du matériau à l’échelle de la structure.

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numérique, qui s’appuie sur une modélisation dans un logiciel d’éléments finis du volume élémentaire représentatif ou d’un élément de structure selon une approche micro-échelle (section 3.3.1.4.1) pour obtenir les propriétés homogènes à l’échelle de la structure. L’approche macro-échelle présente l’avantage de minimiser le maillage et le temps de calcul d’une structure de grandes dimensions. L’inconvénient de cette méthode réside dans le fait qu’elle ne permet pas de positionner fidèlement le trajet de fissuration à l’échelle des joints de mortier. Cependant, dans le cadre de l’étude de structures maçonnées de grande taille, la description détaillée des interactions entre les joints et les blocs n’est pas obligatoire. L’approche macro-échelle prévoit globalement les modes de rupture de la structure. L’une des difficultés majeures de cette méthode est l’obtention des paramètres homogénéisés. 3.3.1.4.3.

Lois de comportement mécanique

Les lois de comportement mises œuvre dans la MEF s’étendent des modèles linéaires aux modèles complexes d’endommagement. La présentation des différentes lois de comportement qui suit peut se placer à la fois dans une approche micro-échelle ou macro-échelle. Comportement élastique linéaire. La loi de comportement élastique linéaire isotrope est couramment utilisée aujourd’hui dans les bureaux d’étude en charge de vérifier le comportement mécanique de certains ouvrages en maçonnerie. Les paramètres mécaniques renseignés sont le module d’élasticité et le coefficient de Poisson du matériau homogène maçonnerie. Ce premier niveau de modélisation permet de visualiser les zones de l’ouvrage les plus sollicitées en traction, c’est-à-dire celles où les fissures sont susceptibles d’apparaître. Elles sont également utiles pour déterminer les descentes de charge d’ouvrage présentant une géométrie complexe (comme les voûtes d’élégissement ou les voûtes à croisée d’ogive). De par sa simplicité, ce type de loi restreinte au domaine élastique présente l’avantage de limiter le temps de calcul. Cependant, ce type de modèle reste limité dans la mesure où il ne tient pas compte des différents mécanismes d’endommagement de la maçonnerie. En effet, les non-linéarités mécaniques inhérentes à ce type de matériaux (rupture en traction de joint, en compression des blocs, phénomènes de plasticité, dilatance, endommagement...) ne peuvent être prises en compte au moyen de modèles linéaires. La redistribution de contraintes liées à ces non linéarités locales ne sont donc pas assurées. Il permet néanmoins d’expliquer ou de justifier la localisation de fissuration dans des structures existantes. Le calculateur se fixe en général comme critère de ne pas dépasser les résistances en traction et compression de la maçonnerie. Or, certaines fissurations ne sont pas nécessairement préjudiciables quant à la stabilité de l’ouvrage. Le calculateur peut donc se trouver dans une situation ou l’ouvrage n’est pas justifié par le calcul alors que celui-ci est parfaitement stable et sain, bien que fissuré. C’est pour cette raison qu’il est recommandé de réserver les études en élasticité linéaire à l’établissement des descentes de charge et aux choix des cas de chargement les plus défavorables, et de recourir à des lois plus sophistiquées, qui tiennent compte des phénomènes de redistribution des contraintes, pour l’analyse du comportement mécanique de l’ouvrage. Comportement élasto-plastique. Un premier niveau de prise en compte des non-linéarités du comportement mécanique des maçonneries est le recours à une loi de comportement élasto-plastique, éventuellement anisotrope. Ce type de loi nécessite la mise en place de critères de rupture auxquels sont associés les paramètres mécaniques de résistance de la maçonnerie (résistance en traction et en compression). La redistribution des contraintes est ici assurée plus finement, ce qui conduit à une meilleure estimation de l’état de contrainte réel de l’ouvrage. Cependant, elle ne permet pas de prendre en compte la perte de raideur des maçonneries observée lorsque celles-ci s’endommagent ainsi que la fissuration progressive du milieu jusqu’à rupture. Comportement élasto-plastique avec endommagement. Les modèles d’endommagement ont été initialement développés pour simuler le comportement mécanique du béton. La théorie de l’endommagement est introduite par Kachanov (1958) qui étudie les phénomènes de rupture provoqués par le fluage. Cette notion a été généralisée par la suite sur la base de la thermodynamique des processus irréversibles (Lemaitre & Chaboche, 1985). Cette théorie consiste en la description des phénomènes entre l’état vierge et l’amorçage de la fissure. Elle désigne la détérioration plus ou moins progressive d’un matériau due à l’apparition de micro-vides. L’endommagement est utilisé principalement pour la modélisation des géomatériaux caractérisés par un écrouissage négatif. Les modèles d’endommagement relèvent donc d’une approche continue de la modélisation du matériau. Ainsi, le matériau fissuré est considéré comme un milieu continu, homogène et éventuellement anisotrope. L’endommagement est quantifié par la variable d’endommagement d qui correspond au ratio entre l’aire endommagée et l’aire saine. Ce type de loi de comportement permet d’intégrer la fissuration directement à l’intérieur du milieu continu et d’identifier la propagation de fissures dans le modèle (Stablon et al., 2012; Parent et al., 2017a). La localisation des fissures est ici déduite de l’état de contrainte au moyen de modèles d’endommagement.

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3.3.2.

Efficience, avantages, inconvénients

La méthode des éléments finis permet de réaliser des modélisations 3D mettant en œuvre des géométries de structures complexes ainsi que des chargements hors plan pour les géométries planes. En outre, cette méthode offre la possibilité d’appliquer à la structure une large variété d’actions extérieures : effort, pression, déplacement, température, fluage, etc. Considérant que l’histoire de chargement est une donnée importante dans le diagnostic des structures anciennes, la MEF offre la possibilité de simuler cette histoire de chargement de l’édifice grâce à un calcul pas à pas. Par ailleurs, bien que cette méthode considère les éléments comme indissociables les uns par rapport aux autres, les derniers modèles d’endommagement permettent de générer des schémas de fissuration à l’intérieur des éléments aux endroits où les critères de limite de traction sont atteints. Ainsi, en appliquant à la structure le phasage de chargement associé à l’histoire de chargement de l’édifice, le calcul permet de retrouver le schéma de fissuration observé réellement sur site. Ces fissures visibles sur site constituent des données directement observables et mesurables sur l’ouvrage étudié. La comparaison entre le schéma de fissuration observé et celui obtenu par le calcul permet alors de valider le modèle, retracer l’historique de chargement et d’en déduire l’état de contrainte qui agit réellement sur la structure étudiée. Cela permet de retrouver par le calcul l’origine de l’état de fissuration observé, de statuer sur l’état de stabilité de l’ouvrage et, une fois le modèle validé, de prédire son évolution future. Dans le cadre de l’approche macro-modélisation, les phénomènes de cisaillement sont pris en compte par l’intermédiaire de critères de type Coulomb ou Drucker Prager. Elle permet, par exemple dans le cas des ponts-voûtes, de décrire finement les phénomènes de confinement en 3D et d’appréhender les phénomènes transversaux qui conduisent à des décollements des murs tympans (Domède, 2006). En revanche, l’obtention des paramètres à intégrer dans les lois de comportement est relativement complexe (difficulté des prélèvements et essais de caractérisation, passage des caractéristiques des matériaux réels aux caractéristiques numériques, etc.). Par ailleurs, la représentation continue considère des corps solidaires, ce qui exclut la possibilité de désolidarisation entre deux blocs mitoyens. L’étude demande du temps et peut donc être coûteuse, car elle nécessite le recueil de données matériaux, l’homogénéisation des données matériaux individuelles, le montage d’un maillage, la validation du modèle en comparaison des investigations sur site, et un calcul numérique itératif qui demande de l’attention. L’utilisation de la MEF demande de la pratique de la part du calculateur et donc un usage régulier de celle-ci.

3.3.3.

Caractéristiques nécessaires à la mise en œuvre Géométrie

Entrants (données)

Morphologie Matériau

Sollicitation

 Dimension des éléments de la structure  Dimension des blocs et des joints  Description des formes (linéique, surfacique ou volumique)  Épaisseur, remplissage, cavité et inclusion de métal  Connexion entre les différents éléments de structure  Masse volumique  Module d’élasticité et coefficient de poisson  Résistance à la traction et à la compression  Énergie de rupture  Poids propre  Charge de superstructure  Charge d’exploitation  Charges appliquées par des éléments extérieurs en connexion avec la structure étudiée

 Charges exceptionnelles (sismique, hydraulique, vent, choc, etc.) Dommage

 Profil de fissuration observé  État de dégradation des matériaux (endommagement in

Sorties (résultats)

situ) Champs Diagramme des efforts internes

 Contrainte  Déformation  Déplacement  Descente de charge  Réaction aux appuis  Moments, efforts normaux et tranchants

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Temps de préparation

Le temps de préparation du calcul peut varier de l’ordre de quelques heures pour un calcul linéaire simple au moyen d’un logiciel commercial (type Robot©) à plusieurs semaines pour un calcul non-linéaire complexe au moyen d’un logiciel EF 3D (type CAST3M, Ansys...).

Temps de calcul

 Profils de fissuration  Zones endommagées en compression et en traction

Le temps de calcul peut varier de l’ordre de quelques secondes pour un calcul linéaire simple à une journée pour un calcul non-linéaire complexe (résolution pas à pas, calcul dynamique...) mettant en œuvre une géométrie comportant un nombre important d’éléments finis.

Compétences utilisateur

Profil d’endommagement

Pour un calcul linéaire : niveau ingénieur requis avec des solides compétences en résistances des matériaux et calcul de structure. Pour un calcul non-linéaire pas à pas avec utilisation de modèles complexes de type endommagement : une formation doctorale est généralement nécessaire avec maitrise de la programmation, de l’algorithmique et des notions poussées de résistance des matériaux et de mécanique des milieux continus

3.3.4.

Logiciels et codes associés

Les logiciels de calcul aux éléments finis peuvent se regrouper en deux catégories :  les logiciels du commerce : Abaqus, Ansys...  les logiciels de recherche et développement : Castem, Cesar-LCPC, Code Aster… La première catégorie de logiciel est accessible et ergonomique. Les modèles et le post-traitement sont rapides à mettre en place grâce aux interfaces graphiques proposées. En revanche, ils sont à réserver aux calculs linéaires (en première approche) avec une attention particulière sur les hypothèses de modélisation et l’interprétation des résultats. Des modèles non-linéaires sont petit à petit introduits dans ces codes commerciaux. La seconde catégorie de logiciel présente l’avantage de mener un calcul éléments finis en ayant un contrôle sur l’ensemble des étapes de calcul. Aussi, elle autorise la réalisation de calculs non-linéaires complexes. En contrepartie, son utilisation nécessite un apprentissage soutenu et des connaissances avancées en termes de programmation. De plus, la mise en place d’un calcul et la réalisation des maillages, à l’aide d’une interface graphique selon les logiciels, nécessite un certain temps qui peut être un frein à l’utilisation en bureau d’étude. Un des enjeux importants est de démocratiser et de rendre plus ergonomiques ces modèles avancés et de créer des passerelles entre les développements pointus et les applications courantes. Des interfaces utilisateurs sont facilement développables (Stablon, 2011). Les logiciels 1D ne figurent pas dans cette liste car ils sont peu adaptés au calcul des structures en maçonnerie.

3.3.5.

Étude de cas : Viaduc de Saint-Ouen

3.3.5.1.

Description de l’ouvrage

L’ouvrage est situé sur la commune de Saint Ouen ; il s’agit d’un viaduc d’approche en maçonnerie permettant l’accès à un viaduc métallique franchissant la Seine (Figure 120a). Cet ouvrage est situé sur la ligne de la ville d’Argenteuil au Champs de Mars sur la commune de Saint Ouen. Le viaduc de Saint Ouen est un pont-rail en maçonnerie de pierre, à voûtes surbaissées sans élégissement. Il est constitué de 9 travées d’environ 12 m de portée chacune. La hauteur libre sous les arches est de 3,90 m et la largeur du viaduc est de 8 m. Les 8 piles intermédiaires sont en maçonnerie de moellons et ont une hauteur hors sol de 1,10 m. Enfin, aux extrémités de l’ouvrage, deux culées de 17 m de longueur en maçonnerie de moellons viennent reprendre les efforts générés dans l’ouvrage. Ce pont, quasiment droit (rayon en plan de 500 m), fut construit en 1904, époque charnière dans l’histoire des ponts en maçonnerie durant laquelle le ciment a progressivement pris la place de la chaux hydraulique en tant que liant des mortiers de joint.

133

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Le trafic sur les deux voies ferrées est très intense et supporte à la fois les passages répétés du RER C et les charges de transport de fret. C’est une ligne très empruntée, comptant 80 à 150 passages quotidiens.

(a)

(b)

Figure 120 : Vue d’ensemble (a) et fissures (b) du viaduc de Saint Ouen (crédit photo : T. Stablon) 3.3.5.2.

Inspections, pathologies puis investigations

Grâce à de régulières visites d’inspection et une maintenance adaptée, les 280 m de voie simple avec ballast sont opérationnelles. Néanmoins des dommages sont présents sur la structure. La présence de fissures importantes sur l’ensemble de l’ouvrage a nécessité le renforcement de 4 voûtes par des contre-voûtes en béton et en acier. De surcroît, les fondations ont été reprises récemment (fin 2008) : des micros pieux en béton renforcent depuis cette date les pieux en bois d’origine sujets à des tassements excessifs induits par des cycles d’immersion et de séchage successifs au cours de leur vie. Les différentes arches présentent des traces de calcites dues aux infiltrations d’eau dans l’ouvrage. Des fissures sont également visibles sur certaines arches (Figure 120b). Elles courent généralement le long des joints. Localement, des disjointoiements entre les moellons sont également visibles. Deux campagnes de carottages ont été effectuées avec un double objectif : caractériser les matériaux présents dans le viaduc de Saint Ouen et établir des protocoles d’essais et de diagnostic. Le mortier et les pierres ont été testés à l’aide d’essais de compression, de traction et de flexion et les caractéristiques mécaniques ont été déterminées. Les essais de compression ont permis de déterminer les modules élastiques, les coefficients de Poisson, les résistances et les déformations au pic de compression. Les essais de traction offrent les évaluations des résistances et les déformations au pic de traction mais aussi le préendommagement éventuel. Le confinement a été estimé à l’aide des essais de compression sur les composites de maçonnerie. Enfin, les énergies de fissuration sont calculées à l’aide de l’évaluation des aires sous les courbes « Force – Déplacement » relatives aux essais de compression et de traction. Les résultats sont présentés dans le Tableau 6. Tableau 6 : Caractéristiques mécaniques pour chaque matériau Paramètres Module élastique

Pierre parement

Pierre intérieure

Mortier

40 GPa

75 GPa

19 GPa

0,25

0,26

0,19

10 MPa

7,8 MPa

1,15 MPa

Coefficient Poisson Résistance en traction Déformation au pic en traction Energie de fissuration en traction Résistance en compression Déformation au pic en compression Energie de fissuration en compression

-4

2,5 10-4 m/m

1,0 10 m/m

2,3 10-4 m/m

2,0 10-4 MJ/m²

7,3 10-4 MJ/m²

0,25 10-4 MJ/m²

120 MPa

170 MPa

19 MPa

3,75 10-3 m/m

3,1 10-3 m/m

5 10-3 m/m

0,15 MJ/m²

0,29 MJ/m²

0,02 MJ/m²

0,52

0,52

0,52

0

0

0,9

Confinement (Drucker Prager) Pré-endommagement de traction

134

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

3.3.5.3.

Obtention de lois de comportement homogénéisées

Il faut distinguer le comportement élastique, le comportement à la rupture en compression et le comportement à la rupture en traction. En effet : 

en traction : le comportement homogénéisé à rupture est celui du maillon le plus faible c’est-à-dire l’interface bloc-joint (pierre-mortier).  en compression : le comportement du mortier et de la pierre sont réunis au sein d’un seul matériau homogénéisé. Cette homogénéisation est obtenue par simulation numérique d’un essai de compression sur un mur normalisé (la normalisation est celle d’un essai réel [NF EN 1052-1]). La modélisation numérique des essais de flexion 3 points permet, par calage des paramètres, de retrouver les caractéristiques matériaux associées à l’interface pierre-mortier. À cet effet, le pré-endommagement présenté au chapitre précédent peut être calé : D0 = 1 – α. Il est donc utilisé ici afin de caractériser l’adhérence imparfaite équivalente (Figure 121), c’est à dire la présence de microfissures préexistantes dans le matériau (Stablon et al., 2012).

Figure 121 : Courbes expérimentales et modélisation des essais de flexion de composites pierre-mortier-pierre 3.3.5.4.

Homogénéisation numérique en compression

La loi de comportement homogénéisé en compression est obtenue par une homogénéisation numérique. Pour obtenir la loi de comportement homogénéisé de la maçonnerie, un mur numérique est modélisé (Figure 122) selon les spécifications européennes [NF EN 1052-]. Les carottages et l’analyse visuelle du viaduc de Saint Ouen, permettent de déterminer aussi la dimension des blocs de pierre (40 cm x 25 cm x 30 cm) et la proportion de mortier (20 %) qui sont respectées dans la modélisation numérique du mur. Le mur est chargé par l’application d’un déplacement uniforme vertical vers le bas pour simuler sa compression. Ainsi la loi de comportement du mur est obtenue et calée afin d’obtenir les paramètres du macro-élément de maçonnerie homogénéisée utilisés pour le maillage du pont.

135

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Figure 122 : Modélisation du mur numérique respectant les prescriptions normatives Deux essais numériques ont été menés : d’une part un mur constitué de pierre de parement et de mortier et d’autre part un mur constitué de pierre intérieure et de mortier. Les résultats des essais numériques des murs testés en compression permettent d’établir les lois de comportement homogénéisé (Figure 123). Par calage numérique, les paramètres nécessaires au modèle d’endommagement sont déterminés, ils sont récapitulés dans le Tableau 7. 4

15

Mortier

Pierre de parement

Mortier

Pierre intérieure

Pierre de parement

Pierre intérieure

Mur numérique

Mur numérique

12 3

Mur homogénéisé

Force MN

Force MN

Mur homogénéisé 9 2 Mortier

6

1

3

0

Mortier

0

0

2

4

6

8

10

0

2.5

5

7.5

Déplacement mm

Déplacement mm

(a)

(b)

Figure 123 : Lois de comportement homogénéisées pour les murs pierre de parement-mortier (a) et pierre intérieure-mortier (b) Tableau 7 : Caractéristiques mécaniques pour chaque mur numérique Paramètres Module élastique

Mur Pierre de parement - mortier 27 GPa

41 GPa

0,25

0,25

1,15 MPa

1,15 MPa

10-5

Coefficient Poisson Résistance en traction

Mur Pierre intérieure - mortier

Déformation au pic en traction

4,2

m/m

4,2 10-5 m/m

Energie de fissuration en traction

2 10-4 MJ/m²

2 10-4 MJ/m²

84 MPa

116 MPa

10-3

Résistance en compression Déformation au pic en compression

3,6

m/m

3,7 10-3 m/m

Energie de fissuration en compression

0,23 MJ/m²

0,37 MJ/m²

Confinement (Drucker Prager)

0,52

0,52

Pré-endommagement de traction

0,9

0,9

136

10

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

3.3.5.5.

Mesures sous trafic réel

Afin de mesurer la rigidité du pont, une campagne de mesures sur site a été mise en place avec l’objectif de mesurer les flèches, les accélérations, les déplacements de piédroits, les ouvertures de fissures et les charges de roues aux passages des circulations ferroviaires, rames RER C et trains FRET (Figure 89). Les mesures ont été effectuées principalement sous la voûte n°3 non équipée de cintres métalliques de renfort. Des mesures complémentaires ont été réalisées sous les deux voûtes adjacentes (voûtes 2 et 4). 3.3.5.6.

Modélisation géométrique de l’ouvrage

L’objet principal de cette étude est de modéliser le viaduc de Saint Ouen par la méthode des éléments finis à l’aide d’un modèle d’endommagement spécifique implanté dans Ansys. Pour des raisons de capacité numérique, il est décidé de ne modéliser que 3 travées de l’ouvrage, les travées n°2, 3 et 4. Modélisation par zones. L’ouvrage « type » est découpé en plusieurs zones décrites précisément dans le chapitre 1. Elles délimitent des maçonneries différentes en relation avec les matériaux mis en œuvre (plusieurs types de pierre liées à l’architecture du pont) et le phasage de mis en œuvre (murs latéraux, remplissage final). (Figure 124). Les caractéristiques des matériaux ont été homogénéisées (voir section 3.3.5.4) pour chaque zone et non pour l’ouvrage dans sa totalité. Il est à noter que la zone de remplissage est une zone méconnue dans notre étude : aucun prélèvement dans cette zone n’a été fait afin de ne pas abimer la couche d’étanchéité. La zone de remplissage a donc été affectée d’un matériau dont les caractéristiques mécaniques sont celles du matériau homogénéisé « pierre intérieure – mortier » atténuées d’un coefficient 0,5. Le remplissage est donc « deux fois plus faible » que le reste de l’ouvrage.

Figure 124 : Modélisation géométrique par zones Modélisation de l’ensemble « ballast – traverses ». Afin de simuler la présence du ballast et des traverses ferroviaires et leur effet de répartition des efforts dans la structure, leur maillage est ajouté à la structure. Cette partie de la structure est modélisé avec un comportement élastique linéaire dont les propriétés sont habituellement utilisées lors de telles modélisations. La liaison entre l’ensemble « ballast – traverses » et la structure est assurée par des éléments contact, de type ressorts verticaux et horizontaux, dont les raideurs sont correspondent à la raideur habituelle du ballast. Conditions aux limites. Les conditions aux limites regroupent : les travées situées de part et d’autre des travées calculées, d’une part, et les fondations d’autre part. Le choix de la modélisation de 3 travées de l’ouvrage pour des raisons de capacité numérique ne doit pas restreindre le réalisme souhaité de la modélisation. Dans ce sens, afin de simuler la continuité des travées adjacentes, les plans verticaux aux extrémités de ces travées sont bloqués. Ces blocages simulent la symétrie de l’ouvrage autour des travées calculées. Le sol et les fondations en place (pieux bois anciens renforcés par des micropieux en béton) sont modélisés par des ressorts verticaux dont la raideur a été estimée à l’aide de mesures de déplacements sous trafic réel correspondant au passage de convois ferroviaires. Il apparaît que le déplacement moyen des piles est de l’ordre de 0,22 mm. Ce déplacement est attribué à un tassement réversible des fondations qui sont modélisées par des ressorts dont la raideur restitue cette valeur.

137

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Afin de déterminer la raideur des fondations, un premier calcul est mené. Ce calcul prend en compte la géométrie décrite précédemment avec des matériaux élastiques linéaires. Sur cette structure modélisée, le passage d’un train est simulé en appliquant successivement les charges de chaque essieu se déplaçant sur l’ouvrage. Le calcul élastique linéaire associé à la comparaison des déplacements avec relevés sous trains réels ont permis de calibrer les ressorts modélisés traduisant la raideur du sol environnant. La raideur des fondations est ainsi estimée à kn = 75 MPa/m. Le sol est donc désormais modélisé par des ressorts verticaux dont la raideur a été estimée à l’aide des essais sous trafic réel. Cette étape constitue l’évaluation de la raideur du sol. 3.3.5.7.

Méthodologie de calcul

La méthodologie générale de calcul est la suivante : 1. Préparation du modèle géométrique 3D. 2. Définition du sol environnant et conditions aux limites. 3. Application progressive du poids propre ce qui génère un effet de précontrainte dans les voûtes. 4. Application progressive de dénivellations d’appui, dans le but de retrouver un facies de fissuration analogue à celui relevé sur l’ouvrage. 5. Application progressive d’un train et amplification de sa masse jusqu’à rupture de l’ouvrage. Ainsi, la première étape du calcul consiste à déterminer le pré-chargement qui restitue la configuration déformée actuelle de l’ouvrage. Plus précisément, il s’agit de retrouver le faciès de fissuration relevé sur l’ouvrage (position et ouverture des fissures) et de vérifier les mesures de déplacements effectuées sur site. Ce n’est que dans un deuxième temps que pourront être menée une analyse sous charge de service ou une détermination de la charge de ruine. La dénivellation d’appui proposée est un tassement combiné entre un tassement uniforme et un tassement en dévers. L’utilisation d’un tassement en dévers est en effet suggérée par le facies de fissuration biais. L’application progressive de ce tassement permet de retrouver le faciès de fissuration réel. 3.3.5.8.

Analyse de résultats

Application du poids propre. La loi de comportement des matériaux homogénéisés est relativement complexe dans la mesure où elle intègre un pré-endommagement des interfaces mortier-bloc ainsi que l’ouverture de fissures résiduelles associées à ce pré-endommagement. Cet endommagement initial n’est autre que les séquelles du retrait empêché du mortier par les blocs et de l’historique de construction (Stablon et al., 2012). L’application progressive du poids propre sur la structure modélisée permet de calculer la structure à différent pas de temps lors de la mise en charge. Les déplacements, déformations, contraintes, endommagement de compression et de traction, positions et ouvertures des fissures (Figure 125) sont calculés pas à pas sous l’action du poids propre sur la structure appliquée progressivement.

Figure 125 : Visualisation des ouvertures de fissures sous poids propre Il s’avère qu’il n’y a pratiquement pas d’endommagement de traction généré lors du chargement du poids propre. Il est constaté au contraire une refermeture des fissures initiales du fait de la mise en compression de la voute. Néanmoins, quelques petites fissures localisées se positionnent symétriquement sur l’ouvrage.

138

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Application de la dénivellation de l’appui. L’analyse du faciès de fissuration visible sur l’ouvrage et les relevés de fissuration, permet d’estimer la manière dont les appuis ont tassé. Pour reproduire les fissures visibles sur l’ouvrage, une fonction paramétrée simulant un « plan de tassement » est programmée afin de générer un tassement continu sous les piles de l’ouvrage. Le tassement proposé est une combinaison d’un tassement uniforme et d’un tassement en dévers déterminée par approximations successives de sorte à converger vers la position et l’ouverture réelles des fissures. La visualisation de la position, de la propagation et de l’ouverture des fissures (Figure 126) permet de rechercher par itération successive les paramètres de tassement expliquant l’origine de la fissuration observée effectivement sur l’ouvrage.

Figure 126 : Visualisation des positions et ouvertures de fissures sous le tassement combiné progressif de l’appui n°2 Le calcul avec le modèle d’endommagement et la comparaison avec les relevés de fissuration assure l’identification de la cause de la fissuration visible c’est-à-dire ici le tassement d’appui associé. Le modèle d’endommagement garantit également l’évaluation de la « raideur actuelle » du pont. En effet les ouvertures de fissures sous l’effet du tassement d’appui contribuent à diminuer la rigidité globale de l’ouvrage. Application du train. L’application du train, par application d’un groupe d’essieux, permet d’évaluer le comportement de l’ouvrage sous un train réel ainsi que d’estimer la capacité portante maximum. Pour cela, un schéma de charges ponctuelles correspondant à la position et à la charge des essieux est placé sur l’ouvrage à une position établie au préalable. La position choisie correspond à la position la plus défavorable pour la structure vis à vis de la flèche maximum. Il s’agit d’environ le tiers de la portée de la voûte centrale. Le calcul avec le modèle d’endommagement offre la possibilité de visualiser les endommagements principaux de traction et de compression ainsi que la position, le développement et l’ouverture des fissures (Figure 127).

Figure 127 : Visualisation des positions et ouvertures de fissures sous chargement d’un train à la position la plus défavorable Le calcul est mené en charge imposée croissante jusqu’à l’atteinte de la charge maximale détectée par l’annulation de la raideur tangente conduisant à l’arrêt du programme par non convergence. Cette méthode ne permet pas d’analyser le comportement post rupture mais assure de définir la charge de ruine de l’ouvrage (Figure 128). La capacité portante, sous la forme d’un train parcourant l’ouvrage, est ainsi déterminée : sa valeur est environ 12 MN (à comparer au poids propre d’une travée qui est de 10 MN). La charge équivalente pour un train réel sur le pont est de l’ordre de 2 MN. Ainsi, un « coefficient de sécurité » peut être estimé à 6.

139

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Figure 128 : Somme des réactions d’appuis en fonction du déplacement vertical en pied de voûte et en clé de voûte sous poids propre, tassement d’appui puis chargement jusqu’à non-convergence Enfin, une zone située en intrados de la première voûte modélisée à gauche est endommagée en compression. Sous poids propre, il n’y a pas d’endommagement de compression. Puis localement, la zone endommagée se propage. Elle est de plus en plus fortement comprimée, jusqu’à un endommagement de compression égale à 1. Ce maximum représente un lieu dans lequel la pierre peut-être en surcompression. Cette localisation de l’endommagement de compression est la conséquence du tassement d’appui différentiel, qui en fissurant une zone complémentaire de l’ouvrage a provoqué une concentration de contrainte de compression. À titre de comparaison, l’utilisation des méthodes empiriques et des méthodes d’analyse limite existantes (sections 3.1.2.3 et 3.2) sur ce même ouvrage permet de comparer la méthode proposée. Le Tableau 8 présente les résultats. Il est à noter que les méthodes empiriques (MEXE et REAM) permettent de ne calculer qu’une seule voûte et de n’appliquer qu’une charge ponctuelle. Les capacités portantes proposées dans le Tableau 8 pour ces méthodes ne sont donc pas comparables à la capacité portante d’un train comme dans notre étude. En ce qui concerne les méthodes d’analyse limite (VOUTE et RING) la comparaison est plus judicieuse car une charge répartie (VOUTE) ou un train (RING) peuvent être appliqués. Aussi, le logiciel RING permet de modéliser plusieurs travées. Le Tableau 8 montre que la méthode des éléments finis offre des résultats du même ordre de grandeur que les méthodes déjà existantes. Tableau 8 : Comparaison des analyses du viaduc de St Ouen à l’aide des méthodes existantes Logiciel de calcul

Capacité portante

« Coefficient de sécurité »

MEXE

1,2 MN

-

REAM

2 MN

-

VOUTE

16,2 MN

8,1

RING

7,2 MN

3,6

3.3.6.

Étude de cas : Réfectoire du prieuré Saint-Martin-des Champs

L’étude de cas présentée ici a été réalisée lors d’une thèse de doctorat dont les partenaires étaient le laboratoire université LMDC de Toulouse et l’entreprise GINGER CEBTP (Parent, 2015). Il s’agit donc d’un travail de 3 ans de recherche, portant sur l’analyse de l’ancien réfectoire du prieuré Saint-Martin-des-Champs, situé dans le 3e arrondissement de Paris (Figure 129).

140

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3.3.6.1.

Démarche et monument étudié

Cet édifice a été construit en 1230 pendant la période gothique. Il comprend deux rangées de voûtes à croisée d’ogive reposant à mi-travée sur des colonnes élancées et aux extrémités sur des contreforts reprenant la poussée au vide des voûtes. Deux types de désordres ont été observés : 

une fissuration longitudinale en clé de voûte sur les deux rangées de croisée d’ogive et d’ouverture relativement constante (1,5 mm au niveau des arcs doubleaux et 0,3 mm au niveau des panneaux de remplissage) ;  des dévers des contreforts, tous vers l’extérieur et pouvant atteindre 20 cm sur certaines travées. L’objectif de l’analyse est d’estimer la marge de sécurité vis-à-vis de la ruine de cette structure afin de conclure sur le caractère préjudiciable ou non des désordres observés.

Figure 129. Vue intérieure de l’ancien réfectoire du prieuré Saint-Martin-desChamps

Figure 130. Modélisation simplifiée d’une travée du réfectoire et mécanisme lié au décintrement de la voûte

La modélisation mécanique simplifiée d’une travée de l’édifice est présentée Figure 130 : sont distingués la voûte BDE qui repose d’une part sur la colonne centrale E (suffisamment rigide suivant l’axe z pour bloquer le déplacement vertical en pied de voûte E) et d’autre part sur le contrefort extérieur ABC. Lors du décintrement de la voûte, celle-ci se met en charge et engendre une poussée horizontale FH sur ses appuis. L’effort horizontal est alors repris à l’extérieur par le contrefort qui a tendance à se déformer par flexion mais aussi par rotation de la fondation. Les appuis de voûtes s’écartent donc. Ainsi, pour s’adapter à cette variation de conditions aux limites, la voûte va créer un système de rotules plastiques en B, D et E engendré par la propagation de fissures. Son degré d’hyperstaticité tend à diminuer. Deux mécanismes de rupture de la structure peuvent ici être mis en évidence : 

la rupture de la voûte elle-même atteignant un déplacement limite horizontal critique pour lequel la voûte ne trouve plus d’équilibre statique ;  la rupture du contrefort atteignant un effort critique de poussée Fcri conduisant à la ruine du contrefort. Pour résoudre ce problème, la méthode consiste à étudier indépendamment le comportement de la voûte et le comportement du contrefort. La Figure 131 permet d’illustrer schématiquement la méthode. Les courbes vertes et bleues représentent respectivement les relations force-déplacement horizontal du contrefort et de la voûte. La limite horizontale Fcri correspond à l’effort entraînant la rupture du contrefort tandis que la limite verticale δcri représente le déplacement critique entraînant l’effondrement intrinsèque de la voûte. Trois cas de figure sont envisageables, le premier consiste à dire que si les courbes de comportement s’interceptent, alors le système trouve un point d’équilibre appelé point de fonctionnement du système (cas 1). Sinon, il est possible d’observer la rupture de la voûte (cas 2) ou la rupture du contrefort (cas 3). Les marges de sécurité seront alors établies à l’aide d’un critère probabiliste.

141

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Figure 131 : Cas de figure possibles vis-à-vis de la stabilité du système 3.3.6.2.

Analyse en point de fonctionnement

La détermination des courbes de comportement de la voûte et du contrefort est réalisée au moyen du logiciel éléments finis CAST3M dans lequel est implémenté un modèle élasto-plastique d’endommagement (Sellier et al., 2013). Le modèle matériau utilisé est celui d’un matériau homogène dont les propriétés sont issues d’une homogénéisation non-linéaire de la maçonnerie (Parent et al., 2017). Chaque zone présentant des maçonneries distinctes, que ce soit pour la voûte ou le contrefort, comprend ses propres caractéristiques mécaniques issues des mesures de vitesse du son et de la phase d’homogénéisation des maçonneries. Le chargement est appliqué par étapes : 

sur la voûte à croisée d’ogive (les nervures sont distinguées des panneaux de remplissage) : (i) augmentation progressive du poids propre avec appuis de voûtes bloqués et (ii) poids propre maintenu constant et déplacement d’appuis horizontal imposé ;  sur le contrefort, l’histoire de chargement de l’édifice et les techniques de construction de l’époque sont prises en compte en appliquant successivement : (i) poids propre du contrefort, (ii) poids propre de la charpente, (iii) poussée de la voûte jusqu’à son état actuel et (iv) augmentation de la poussée au vide pour estimer la poussée limite de rupture du contrefort. La courbe de comportement force-déplacement de la voûte à croisée d’ogive est présentée Figure 132. La première phase de chargement ((i) augmentation du poids propre) conduit à un effort de poussée en pied de voûte de l’ordre de 20 kN. La deuxième phase ((ii) application d’un déplacement d’appui vers l’extérieur) entraîne la diminution progressive de l’effort vers une asymptote à 12 kN environ. La diminution de la force de poussée pour les faibles déplacements correspond à l’énergie nécessaire pour ouvrir les fissures présentées sur la Figure 133 (ouverture de fissure pour un déplacement imposé de 1,5 cm). Il est observé que ce déplacement entraîne une ouverture de fissure de 1,5 mm qui correspond à celle mesurée in situ. Ainsi, cette comparaison des ouvertures de fissures permet d’identifier que la voûte a réellement subi un déplacement de l’ordre du cm depuis son décintrement : il s’agit de son état actuel où la poussée au vide est de 12,7 kN. Dans cet état de la voûte, il est possible d’évaluer une marge de sécurité sur la base d’un critère de rupture en compression de la maçonnerie. Ce critère consiste à comparer la contrainte de compression agissante  σ à la contrainte de compression résistante 𝑅 . Cette dernière dépend de la résistance homogénéisée de la maçonnerie, de l’excentricité de l’effort normal et d’un coefficient de sécurité partiel γ tenant compte de l’incertitude sur la résistance de la mécanique de la maçonnerie (Parent et al., 2017). Dans notre cas d’étude, la contrainte agissante de compression atteint  σ = 0,9 MPa\ andis que la contrainte résistante est estimée à 𝑅 = 4,5 MPa, conduisant à une marge de sécurité d’environ 5 qui correspond à un risque d’écrasement des claveaux situés au niveau des reins des arcs doubleaux. Notons que pour un état hypothétique correspondant à un déplacement aux appuis de 7 cm, cette marge de sécurité est estimée à 2. La courbe de comportement du contrefort indique que la poussée au vide de l’état actuel de la voûte entraîne un déplacement en pied de l’ordre du cm (Figure 134). Pour cet état, une fissure commence à s’ouvrir en pied de contrefort (Figure 135) et la marge de sécurité atteint 2 selon le critère local développé précédemment.

142

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Figure 132 : Comportement force-déplacement de la voûte à croisée d’ogives

Figure 133 : Profil de fissuration pour un déplacement horizontal imposé δBx de 1,5 cm

Figure 134 : Comportement force-déplacement du contrefort

Figure 135 : Profil de fissuration pour le chargement réel du contrefort

L’analyse du comportement structurel global de la travée s’effectue par superposition des deux courbes de comportement obtenues précédemment (Figure 136). Le point de fonctionnement de calcul correspond au couple force-déplacement de (13 kN, 9 mm). Il est assez proche du point de fonctionnement réel venant de la comparaison des ouvertures de fissures issues du calcul et mesurées sur site. La différence peut s’expliquer par le fluage des maçonneries (non considéré dans le calcul) ou la surestimation de la raideur horizontale de l’appui de voûte (raideur du sol et/ou module d’élasticité du contrefort). Néanmoins, d’un point de vue structurel, la méconnaissance de la cause réelle de ce déplacement ne remet pas en cause l’analyse de la marge de sécurité qui est proposée dans cette méthode. La marge de sécurité est donc de 2 pour le contrefort et 5 pour la voûte, par rapport à leur état critique propre. Enfin, cette analyse en point de fonctionnement permet de dimensionner simplement une solution de confortement (Figure 137). Celle-ci consiste à mettre en place un système assurant une raideur suffisante pour s’opposer à un déplacement limite δlim (défini arbitrairement à 1 cm dans cet exemple). La raideur de ce système de confortement est alors choisie de manière à ce que l’intersection de la loi de rappel avec la courbe de comportement de la voûte présente un déplacement de δcri = 1 cm soit un déplacement absolu de 2,5 cm. Ici la raideur du système de confortement est ainsi estimée à environ 13 kN/cm. La poussée des voûtes sera ainsi reprise progressivement par les tirants et non plus par les contreforts jusqu’au point de fonctionnement Pf,2 correspondant au cas où le contrefort ne reprend plus aucun effort horizontal. Ainsi, le déplacement horizontal reste bloqué à cette valeur. Le système de rappel est suffisamment rigide pour s’opposer au déplacement. La solution de confortement doit être définie en termes de raideur et non de résistance.

143

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60

Loi de comportement contrefort

50

25

Pf,réel

20

40

Effort (kN)

Effort (kN)

30

Loi de comportement voûte

Pf,calculé

30

Pf,réel

20

10

10

5

0

0

0

1

2

3

4

5

6

Déplacement horizontal δB,x (cm)

7

8

Figure 136 : Analyse de stabilité du système voûte-contrefort

k=13kN/cm

15

0

9

Loi de comportement voûte

Pf,2 1

2

3

Loi de rappel de la solution de confortation 4

5

6

7

8

Déplacement (cm)

Figure 137 : Dimensionnement de la solution de confortement

Cette étude de cas montre l’intérêt de la méthode des éléments finis couplée à des modèles prenant en compte la fissuration pour estimer le niveau de sécurité d’une structure existante. Il faut néanmoins bien avoir conscience que la méthode des éléments finis demeure un maillon d’une méthodologie de diagnostic plus générale qui se doit d’englober d’autres aspects.

3.4.

Méthode de calcul aux éléments discrets

La méthode aux éléments discrets (MED) considère un milieu discontinu comme un assemblage de milieux continus (éléments) en interaction. Ceci permet de décrire avec précision le caractère discontinu du milieu via sa géométrie, le comportement de chaque élément et les interactions entre éléments. La MED permet de considérer de grands mouvements relatifs entre les éléments, desquels peuvent résulter un changement de géométrie de la structure, avec la création de nouveaux contacts entre éléments. La méthode inclut les phénomènes de glissement et de basculement entre éléments et la séparation totale des éléments qui n’est souvent pas prise en compte dans la méthode aux éléments finis (à moins d’utiliser des interfaces cohésives autorisant les décollements).

3.4.1.

Historique, principe et étapes de calcul

3.4.1.1.

Historique

Initialement, la MED a été proposée par Cundall & Strack (1979) dans le cadre de la mécanique des roches. La résolution est basée sur l’intégration de l’équation de mouvement des éléments (Newton-Euler) qui permet d’admettre de grands déplacements et de grandes rotations comprenant l’actualisation des positions des éléments. Cette technique est donc dotée intrinsèquement de la capacité à représenter le comportement statique et dynamique d’une collection d’éléments en mouvement.
Les calculs réalisés utilisent les équations de la dynamique des corps rigides et alternent entre deux équations, la première étant relative aux contacts entre éléments (force de contact vs déplacements relatifs entre éléments) tandis que la seconde décrit le mouvement d’un élément résultant des actions qui lui sont appliquées. Par la suite, de nombreuses méthodes reprenant les idées de Cundall & Strack (1979) ont été développées. Le point commun à ces méthodes réside dans l’idéalisation d’un « discontinuum » permettant de décrire séparément le comportement des éléments et les interactions entre eux. Ainsi les différentes méthodes proposées diffèrent principalement par la manière dont est représenté le contact entre éléments, la façon de représenter les éléments et la méthode de résolution choisie. 3.4.1.2.

Représentation du contact

Dans la plupart des MED, le « contact » entre éléments est représenté par un ensemble de points de contact auxquels sont associées des forces de contact, fonction des déplacements relatifs des éléments en ces points. L’avantage de cette approche est qu’elle peut gérer des interactions géométriques variées, en permettant de larges mouvements des éléments. Le comportement mécanique du contact peut être divisé en deux grandes classes :

144

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 

le contact rigide (hard contact) : aucune interpénétration des blocs n’est autorisée, la raideur normale de contact est alors infinie (condition de Signorini) tandis que la force tangentielle au contact et le déplacement associé répondent au frottement de Coulomb ; le contact déformable (soft contact) : l’interpénétration des blocs est nécessaire pour calculer une force de contact, une raideur de contact est alors définie dans les directions normale et tangentielle reliant la force au niveau du contact aux déplacements relatifs des éléments. 3.4.1.3.

Représentation de l’élément

L’hypothèse la plus simple est de considérer le comportement mécanique des éléments comme rigide. La déformation du système peut alors être ramenée au niveau du contact. Cependant, il est également possible de considérer la déformabilité de l’élément. Dans ce cas, les éléments sont représentés par l’intermédiaire d’un maillage aux éléments finis. 3.4.1.4.

Méthodes de résolution

Les stratégies de résolution dépendent essentiellement de la manière dont est géré le contact entre éléments. Deux grandes méthodes sont utilisées : la méthode régularisée (smooth) ou la méthode non régulière (non smooth). Usuellement les méthodes utilisant une description régularisée du contact s’appuient sur un intégrateur explicite des équations de la dynamique (méthode explicite) alors que pour une description non régulière un intégrateur implicite est utilisé (méthode implicite). Méthode explicite (smooth). Dans la méthode explicite, la force d’interaction ou de contact entre éléments est directement déduite des variables cinématiques. Ainsi, toutes les valeurs à un instant t sont calculées directement par rapport aux valeurs des pas de temps précédents. La simplicité et la généralité de l’algorithme explicite font qu’il est le plus souvent utilisé dans les MED. Néanmoins, si la résolution à chaque pas de temps est rapide, les incréments de temps nécessaires sont petits et doivent être inférieurs au pas de temps critique du système. Pour un système simple unidimensionnel constitué d’un élément discret de masse m et d’une loi d’interaction de type ressort de raideur k, le pas de temps critique du système varie comme la racine carrée du rapport m sur k. Pour un système constitué d’une collection d’éléments (discrets) qui peuvent avoir des masses différentes et des lois d’interaction entre éléments pouvant présenter différentes raideurs, le pas de temps critique est considéré comme le minimum des pas de temps critiques correspondant à chaque degré de liberté de chaque élément discret du système. Ainsi, plus les raideurs des éléments constituants le système sont importantes (pour bien respecter les conditions de non interpénétration), plus le pas de temps critique du système diminue et engendre des temps de calcul importants. Méthode implicite (non smooth). Dans la méthode implicite, la force de contact et les variables cinématiques sont calculées simultanément. Les valeurs calculées à un instant t dépendent ainsi des valeurs du pas de temps courant. Par conséquent, il faut résoudre un système d’équations non-linéaires à chaque incrément de temps. Cette méthode est moins rapide mais toujours stable, donc de plus grands pas de temps peuvent être utilisés. Ainsi, le terme "Non Smooth" fait référence à la prise en compte de lois d’interaction non nécessairement régulières (seuils), conduisant par exemple à des sauts de vitesse et d’éventuels chocs. Un exemple de méthode de résolution implicite est la Non Smooth Contact Dynamics, développée par Moreau (1988) et Jean (1999). 3.4.1.5.

Lois d’interaction entre éléments

Quels que soient la méthode de résolution (explicite/smooth ou implicite/non smooth) et le contact (rigide/hard contact ou déformable/soft contact) considérés, la majeure partie du comportement d’un système d’éléments discrets dépend des lois d’interaction entre éléments. Ces lois d’interaction comprennent toujours à minima une condition de contact, la loi de frottement de Coulomb, et des lois cohésives décrivant la liaison entre éléments dépendant du comportement du matériau simulé, de la nature du contact et, dans une moindre mesure, de la méthode de résolution utilisée (Figure 138).

145

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Figure 138 : Schéma de la résolution d’un calcul MED Méthode ED considérant un contact déformable (soft contact). Dans les codes ED considérant un contact déformable, la loi de contact frottant de Coulomb est associée à l’interpénétration des éléments et accompagnée d’une raideur normale et d’une raideur tangentielle au contact (raideurs de l’élément). Les lois cohésives de la liaison entre éléments sont généralement décrites via un réseau de poutres de sections circulaires avec un comportement élastique voire élasto-plastique répondant à la théorie des poutres. Si la poutre décrivant l’union ou la cohésion entre deux éléments vient à rompre, elle est alors éliminée de la modélisation mais subsiste toujours le frottement de Coulomb et les raideurs de contact entre éléments en cas d’interpénétration. L’énergie élastique stockée dans la poutre au moment de sa rupture est pour partie transmise sous forme d’énergie cinétique aux éléments discrets nouvellement séparés via une procédure d’amortissement local agissant sur l’accélération. Notons que la liaison cohésive entre éléments peut également être assurée par des ressorts permettant de gérer indépendamment les raideurs normales et tangentielles. Dans ce cas, des lois cohésives avec adoucissement (comparables à celle décrite en Figure 139) peuvent être introduites et permettent de restituer progressivement l’énergie élastique au contact.

Figure 139 : Exemple de loi cohésive frictionnelle d’après Monerie (2000). Méthode ED considérant un contact rigide (hard contact). Dans les codes considérant un contact rigide, la loi de contact frottant de Coulomb est directement appliquée aux points de contact et associée à la condition de Signorini permettant de gérer le contact unilatéral décrivant la non-interpénétration des éléments. La cohésion entre éléments est quant à elle assurée par des lois cohésives proprement dites qui relient contraintes au contact et déplacements relatifs des éléments (Figure 139). Ces lois cohésives décrivent généralement un régime élastique associé à des raideurs normale (traction) et tangentielle suivi d’une phase d’écrouissage négatif jusqu’à une contrainte nulle correspondant à la décohésion des éléments. Le comportement cohésif contraintedéplacement entre éléments peut alors intégrer les notions d’endommagement progressif de la cohésion (dégradation de la raideur associée à une dissipation d’énergie) et d’énergie de rupture. Ce comportement cohésif peut également prendre en compte la mixité des modes de sollicitation de la liaison cohésive (traction/mode I et cisaillement/mode II) permettant notamment de décrire le phénomène de dépendance de la réponse mécanique de la cohésion entre éléments vis à vis du chemin de chargement. De plus, à la différence des codes à contact déformable, les codes à contact rigide permettent de coupler finement les comportements cohésif et frictionnel au niveau de la liaison entre éléments. Enfin, comme pour les codes à contact déformable, seul subsistera le frottement de Coulomb une fois que le comportement cohésif sera devenu inopérant. La Figure 140 montre un exemple de simulation obtenue par un code hard contact utilisant une méthode de résolution implicite (NSCD).

146

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Figure 140 : Exemple de modélisation aux éléments discrets par la méthode NSCD (aqueduc d’Arles, Rafiee et al., 2008)

3.4.2.

Efficience, avantages, inconvénients

La méthode aux éléments discrets considère un milieu discontinu comme un assemblage de milieux continus (éléments) en interaction, ce qui est particulièrement adapté au caractère discontinu de la maçonnerie. En second lieu, la modélisation précise du comportement frictionnel, qui conditionne la majeure partie du comportement d’une maçonnerie, constitue sans doute le principal avantage des méthodes aux éléments discrets vis à vis du calcul des maçonneries. De plus, le fait que ces méthodes soient fondées sur les lois de la dynamique font que ces dernières permettent de réaliser des modélisations fidèles du comportement des maçonneries face aux sollicitations dynamiques de type séismes ou chocs. Enfin, les méthodes aux éléments discrets permettent également de considérer de grands déplacements relatifs entre les éléments, desquels peuvent résulter la création de nouveaux contacts entre éléments entraînant un changement de géométrie de la structure. Ces aspects sont également intéressants pour la maçonnerie dans la mesure où ils permettent de modéliser non seulement l’apparition de désordres importants (fissuration, chute de blocs, ruine partielle…) mais également d’évaluer/modéliser le comportement résiduel postdésordres de l’ouvrage, jusqu’à son effondrement. Néanmoins, elles présentent également des inconvénients liés à la discrétisation bloc à bloc de l’ouvrage qui nécessite une connaissance précise de la géométrie de l’ouvrage et notamment des dimensions et de la localisation de chaque bloc constitutif de ce dernier, ainsi que de la structure interne de l’ouvrage. Ainsi, la modélisation d’ouvrages de tailles importantes comportant plusieurs centaines ou milliers de blocs deviendra rapidement fastidieuse et entrainera en conséquence des temps de calculs prohibitifs. Par ailleurs, si les codes ED présentent des avantages dans la modélisation des maçonneries appareillées, la description des parties dites en opus incertum est beaucoup moins évidente. De plus, dans les codes ED basés sur la méthode explicite, la réalisation de modélisations à un pas de temps inférieur au pas de temps critique peut également entraîner des temps de calcul importants. Par ailleurs, le fait que les lois de la dynamique des corps rigides soient à la base des codes ED fait que les actions/déplacements appliqués à la structure (poids propre, actions extérieures ou déplacements imposés) doivent l’être de manière progressive afin de ne pas entraîner des vibrations parasites ou de recourir à des procédures d’amortissement arbitraires. Enfin, la connaissance de l’état mécanique initial de la structure constitue un point crucial vis-à-vis de la fiabilité du calcul mené. La difficulté majeure consiste notamment à évaluer l’état mécanique des joints et en particulier le comportement cohésif de ces derniers. Si une fissuration apparente au niveau d’un joint indique une absence de comportement cohésif et donc un fonctionnement sous le seul frottement de Coulomb, il est plus difficile de statuer sur le niveau d’endommagement d’un joint en l’absence de fissuration évidente. La mise en œuvre d’essais de caractérisation mécanique sont alors nécessaires.

147

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3.4.3.

Caractéristiques nécessaires à la mise en œuvre Géométrie

Entrants (données)

Morphologie

Matériaux

Sollicitations

Champs mécaniques

Temps de préparation

 Interfaces cohésives endommagées

Le temps de préparation du calcul peut varier de l’ordre de quelques heures à plusieurs semaines en fonction des dimensions et de la complexité géométrique de l’ouvrage à modéliser.

Temps de calcul

Profil d’endommagement

Le temps de calcul peut varier de l’ordre de quelques dizaines de minutes à quelques jours en fonction du nombre de points de contact décrits dans la simulation et du pas de temps retenu pour cette dernière (cf. section 3.4.1.4).

Compétences utilisateur

Sorties (Résultats)

Dommages

 Dimensions de la structure  Dimensions des blocs et des joints  Description de l’appareillage de la maçonnerie  Épaisseurs, remplissages, cavités et inclusions de métal  Connexions entre les différents éléments de structure  Masse volumique  Modules d’élasticité et coefficient de poisson  Comportement cohésif des matériaux en place (résistance à la traction et à la compression, énergies de rupture et formes des parties adoucissantes)  Coefficients de frottement (bloc/joint, bloc/bloc)  Poids propre  Charge de superstructure  Charge d’exploitation  Charges appliquées par des éléments extérieur en connexion avec la structure étudiée  Charges exceptionnelles (sismique, hydraulique, vent, choc, etc.)  Profil de fissuration observé  État de dégradation des matériaux (endommagement)  Forces  Contraintes  Déplacements  Déformations  Mécanisme de ruine

Pour un calcul sur un logiciel commercial : niveau ingénieur requis avec de solides compétences en résistance des matériaux et calcul des structures. Pour un calcul sur un logiciel R&D faisant intervenir des comportements aux interfaces décrits par des lois cohésives frictionnelles complexes : une formation doctorale est préférable et nécessite une maîtrise de la programmation, de l’algorithmique et des notions poussées en mécanique des milieux continus et de l’endommagement.

3.4.4.

Logiciels et codes associés

Les logiciels de calcul aux éléments discrets peuvent se regrouper en deux catégories :  

les logiciels à interface graphique : PFC-UDEC/ITASCA®… les logiciels de recherche et développement : LMGC90, YADE…

148

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Les logiciels à interface graphique sont généralement plus accessibles et ergonomiques. En revanche, le contrôle de l’ensemble du calcul est moins aisé et ces logiciels limitent bien souvent l’implémentation de lois de contact à celles disponibles en catalogue ou à des variantes limitées de ces dernières. Les logiciels R&D présentent l’avantage de pouvoir mener un calcul en ayant un contrôle sur l’ensemble des étapes. Ces logiciels autorisent l’implémentation de lois de contact complexes moyennant une connaissance avancée de la programmation. La mise en place d’un calcul et la réalisation des maillages nécessite un certain temps qui peut s’avérer prohibitif en bureau d’étude.

3.4.5.

Étude de cas : Tour de l’horloge d’Amatrice

L’étude de cas présentée ci-dessous est consacrée à l’estimation de l’endommagement de la tour médiévale (tour de l’horloge) d’Amatrice en Italie par la méthode NSCD (LMGC90) après la séquence de séismes subis en 2016. Cette étude est le fruit d’une collaboration entre le Département de Génie Civil, Construction et Architecture de l’Université Polytechnique de Marche et le Département d’Architecture et d’Ingénierie de la Construction de l’École Polytechnique de Milan (Clementi et al., 2018). Le centre de l’Italie a connu entre le 24 août 2016 et le 18 janvier 2017 une série de 4 séismes (24/08, 26/10 et 30/10/2016 puis 18/01/2017) ayant causé des dégâts considérables aux constructions et notamment à celles relevant du patrimoine architectural. Parmi les innombrables ruines totales ou partielles d’ouvrages maçonnés du patrimoine, la tour de l’horloge d’Amatrice (Figure 141) est emblématique car représente le seul ouvrage de la ville à avoir résisté (partiellement) à cette série de séismes dévastateurs.

Figure 141 : Représentation de la tour de l’horloge d’Amatrice (Clementi et al., 2018) Matériau. Dans cette étude, les structures anciennes maçonnées sont considérées comme des systèmes structurels discontinus composés d’unités (briques, bloc de pierres, pierres, etc.) liés entre eux avec ou sans mortier. De plus, la tour de l’horloge d’Amatrice étant une maçonnerie de type appareillée et les joints y formant des plans naturels de faiblesse prédéfinis (Figure 141), la méthode des éléments discrets (MED) apparaît particulièrement adaptée pour la modélisation de cet ouvrage.

149

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Par ailleurs, au moment de la ruine sous séisme, les blocs de ce type d’ouvrage glissent les uns sur les autres et se heurtent, avec des mécanismes typiques d’un comportement dynamique non régulier. Si un modèle d’endommagement (mis en œuvre sous un code EF) est susceptible de décrire la réponse et l’endommagement d’une structure maçonnée au-delà du comportement élastique, il ne sera pas capable de décrire fidèlement les mécanismes d’interactions entre blocs entrainant la ruine de la structure et ce même si une approche avancée de type micro-modélisation est utilisée (modélisation des blocs, du mortier et des interfaces).

Figure 142 : Loi de contact entre deux blocs (a) avec (b) Loi de Signorini (non-interpénétration des blocs) et (c) loi de Coulomb (Clementi et al., 2018) La dégradation plus ou moins avancée des joints de mortier d’une maçonnerie ancienne et la forte incidence du rapport résistance en compression sur celle en traction sur la rupture de ses éléments constitutifs ont conduit à modéliser l’ouvrage à partir de blocs rigides, avec une loi de Coulomb au niveau des contacts (i.e. absence de comportement cohésif des joints, Figure 142). Ainsi, la masse volumique des blocs γ et le coefficient de frottement µ entre blocs constituent les seuls paramètres mécaniques nécessaires à cette modélisation. À ce titre, dans une structure réelle, le coefficient de frottement entre blocs dépend fortement de la combinaison « bloc de pierre / joint de mortier » et montre des valeurs comprises entre 0,3 et 1,2. De plus, le coefficient de frottement a tendance à diminuer avec la dégradation du joint de mortier s’opérant au cours du temps. Ainsi, en première approximation, le coefficient de frottement est choisi à µ = 0,5 à l’interface bloc/bloc et µ = 0,9 à l’interface bloc/fondation afin de simuler prioritairement le comportement dynamique de la tour en l’absence d’interaction avec les fondations. Enfin, lors des simulations aucun amortissement n’est considéré. Ainsi, seule la friction entre blocs contribue à la dissipation d’énergie lors de la simulation au séisme de l’ouvrage. Géométrie. La tour de l’horloge d’Amatrice présente une base rectangulaire de 4,0 x 5,3 m2 pour une hauteur d’environ 25 m. Elle présente à sa base une annexe courant sur les faces Nord et Est d’épaisseurs respectives 1,50 m et 0,60 m. L’épaisseur des murs en pied de la tour varie de 1,5 m à 0,6 m tandis que le haut de la tour accueille un beffroi constitué de 4 piliers rectangulaires (0,90 x 0,80 m2) supportant des arches circulaires (Figure 141). Face à la complexité géométrique de cet ouvrage liée notamment à la présence de fragments de briques et de petites pierres, quelques simplifications de la géométrie ont été adoptées, en ne modélisant que les plus gros blocs de pierres visibles à partir des faces extérieures tandis que les tailles et positions des blocs internes ont été supposés tout en veillant à ne pas créer de connections transversales (i.e. boutisses) supplémentaires à celles identifiées sur sites entre les parois internes et externes des murs périphériques de la tour. Les pierres très irrégulières ou de très petites tailles (typiquement dans la partie haute du beffroi et dans les murs de l’annexe) ont été fusionnées en un bloc de dimension supérieure. La géométrie des blocs modélisés sous le code LMGC90 est idéalisée par rapport à celle des blocs réels au sens où les blocs modélisés présentent des dimensions supérieures afin de tenir compte de l’épaisseur des joints de mortier et sont régularisés de manière à présenter des faces horizontales et verticales planes. La Figure 143 présente le schéma géométrique retenu pour la discrétisation des blocs de la tour d’Amatrice et ce modèle numérique comporte au final 2899 blocs rigides.

150

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Figure 143 : Schéma retenu pour la discrétisation des blocs de la tour de l’Horloge d’Amatrice sous le LMGC90 (Clementi et al., 2018) Chargement. Les chargements appliqués au modèle numérique correspondent aux accélérations enregistrées à Amatrice lors du séisme du 24 août 2016. Durant ce tremblement de terre, l’accélération maximale enregistrée au niveau du sol (peak ground acceleration / PGA) dans la ville d’Amatrice fut de 851 cm/s2 et la vitesse maximale (peak ground velocity / PGV) de 44 cm/s. Les trois composantes de vitesses (Figure 144) dans les directions EstOuest, Nord-Sud et Haut-Bas, obtenues par intégration directe des diagrammes d’accélérations, sont appliquées au niveau de la fondation de la tour, avec un pas de temps dt = 0,005 secondes soit un pas de déplacement maximal de 0,22 cm sous le pic de vitesse PGV.

Figure 144 : Diagrammes vitesses-temps du séisme du 24 août 2016 appliqués au niveau de la fondation du modèle numérique de la tour d’Amatrice (Clementi et al., 2018)

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Résultats. Les premiers résultats obtenus lors de la simulation numérique sont présentés en Figure 145a pour différentes durées de simulation. En premier lieu, l’endommagement est localisé en partie haute de la tour (clocher/beffroi) c’est-à-dire à l’endroit où les mécanismes de renversement sont favorisés par la présence de blocs non réguliers et de petites tailles. Cet endommagement prend place dans les 10 premières secondes de la simulation durant lesquelles l’accélération maximale est atteinte (PGA). Pour les durées supérieures à 12,5 s, le corps de la tour ne semble pas subir de dommages supplémentaires car les accélérations sont alors plus faibles et ne parviennent pas à entraîner des glissements de blocs supplémentaires. Toutefois, en partie basse de la tour (partie élargie), un fort différentiel de déplacement localisé est constaté au niveau des murs périphériques de la tour traduisant une fissuration significative. Les résultats (effondrement du clocher et fissuration périphérique en partie basse de la tour) sont en accord avec ceux constatés sur la tour d’Amatrice lors de la série de séismes de 2016. Néanmoins, la chronologie d’apparition de ces endommagements est différente de celle réellement constatée. Le fait que le clocher ne se soit pas totalement effondré le 24 août mais lors du séisme du 30 octobre et que la fissure périphérique ait également été constatée le 30 octobre (Figure 145b) sont sans doute dus à la présence de la toiture du clocher qui a pu retarder l’apparition de ces deux mécanismes en jouant le rôle de diaphragme. En effet, la toiture du clocher n’ayant pas été modélisée, l’absence d’effet diaphragme n’a pu prévenir le renversement des colonnes du clocher et ce changement dans la géométrie de la tour peut ensuite avoir contribué à la fissuration périphérique en partie basse de la tour.

Figure 145 : (a) Analyse de l’endommagement simulé de la tour d’Amatrice par la méthode NSCD (LMGC90) pour une valeur du coefficient de frottement µ=0,5 et (b) endommagements réels constatés après la séquence de séisme de 2016 (Clementi et al., 2018)

152

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La MED permet l’étude du comportement dynamique complexe des maçonneries anciennes en pierres alliant simplicité de modélisation et bonne capacité prédictive. Néanmoins, dans cette étude, la simplicité de la modélisation provient du fait des hypothèses simplificatrices émises : (i) blocs rigides, (ii) loi de contact simple basée sur la loi de Signorini (non interpénétration des blocs) et frottement sec de Coulomb et (iii) absence d’amortissement faisant que l’énergie dissipée est uniquement due à la friction. Ainsi, le comportement simulé ne dépend que du seul coefficient de frottement µ, ce qui permet de proposer une modélisation efficace sans l’estimation des propriétés des matériaux en place, souvent compliquée et entachée d’incertitudes.

3.5.

Analyse basée sur les performances passées

L’évaluation structurale d’ouvrages existants peut s’avérer complexe, notamment parce que la plupart des règlements, codes et méthodes de calculs formalisés ont été développés pour la conception d’ouvrages neufs. L’application d’une méthode d’évaluation classique peut ainsi aboutir à des résultats qui contredisent les observations, comme le cas d’un ouvrage existant dont la modélisation annonce la ruine. La prise en compte des performances passées permet de réduire les incertitudes quant aux propriétés physiques des matériaux, aux défauts de conception et de construction ou à l’histoire du chargement (Stewart, 2001a, 2001b; Val & Stewart, 2002). Les bases de l’évaluation des structures existantes sont décrites par la norme ISO 13822:2010 Bases du calcul des constructions – Évaluation des constructions existantes. Une évaluation basée sur l’analyse des performances passées est également introduite dans la Technical Specification: Assessment of Existing Structures afin de compléter les Eurocodes EN 1990 et EN 1991 dans ce sens. Les paragraphes suivants reprennent les recommandations de cette Technical Specification. La justification d’un ouvrage via une analyse basée sur les performances passées requiert un diagnostic complet, tel qu’exposé au Chapitre II. Il convient de distinguer l’analyse vis-à-vis des états limites ultime de celle des états limites de service.

3.5.1.

Évaluation vis-à-vis des états limites ultimes

Un ouvrage existant peut être considéré comme satisfaisant aux exigences des ELU si toutes les conditions suivantes sont vérifiées :      

le diagnostic ne révèle aucun dommage ou processus de vieillissement significatifs ; le fonctionnement global de l’ouvrage, y compris ses modes de rupture et ses éléments critiques, est bien connu ; le risque de rupture locale est considéré comme acceptable et n’entraîne pas de mécanisme de rupture global ; les performances de l’ouvrage se sont révélées satisfaisantes sur une période suffisamment longue pour que des chargements extrêmes et défavorables aient eu une forte probabilité de se produire ; l’ouvrage et son environnement n’ont pas subi récemment et ne doivent pas subir dans un futur proche de modifications pouvant conduire à une augmentation des charges ou une réduction de leur résistance ou durabilité ; l’évolution prévisible de l’état de l’ouvrage, fondée sur son état actuel et l’assurance d’une maintenance suffisante, ne remet pas en cause son intégrité.

3.5.2.

Évaluation vis-à-vis des états limites de service

Un ouvrage existant peut être considéré comme satisfaisant aux exigences des ELS si toutes les conditions suivantes sont vérifiées :    

le diagnostic ne révèle aucun dommage, processus de vieillissement ou déplacements significatifs ; les performances de l’ouvrage se sont révélées satisfaisantes sur une période suffisamment longue pour que des dommages, altérations, vibrations ou déplacements courants aient eu une forte probabilité de se produire ; l’ouvrage ne doit pas subir dans un futur proche de modifications structurelles ou d’usage pouvant conduire à une évolution des charges sur tout ou partie de la structure et son environnement ; l’évolution prévisible de l’état de l’ouvrage, fondée sur son état actuel et l’assurance d’une maintenance suffisante, ne remet pas en cause sa durabilité.

153

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CHAPITRE IV.

RÉPARATION, RENFORCEMENT, MAINTENANCE

Définir une politique de maintenance d’un ouvrage nécessite en effet d’avoir au préalable une connaissance précise de l’état de cet ouvrage, de son aptitude au service, de son comportement et, enfin, de sa sécurité structurale. Plus encore, il ne peut se concevoir de projet de réparation ou de renforcement sans un diagnostic complet de la structure, tel que celui-ci a été défini en Chapitre II : 

le diagnostic consiste à réaliser une analyse du comportement permettant d’expliquer les déformations, les ruptures et leurs positions ; il doit permettre, par un recalcul de l’ouvrage, de justifier ou non les dispositions adoptées dans les divers éléments constitutifs et de vérifier les différentes stabilités à assurer (portance des fondations, stabilité latérale sous la poussée des voûtes, stabilité sous la poussée des terres, stabilité des voûtes…) ainsi que les sécurités correspondantes ;  le pronostic met en évidence les origines des agressions et leurs actions sur l’ouvrage, leurs conséquences sur la sécurité générale et locale, les évolutions probables du comportement de l’ouvrage et les risques encourus ; il tient compte du phénomène « temps » et permet d’extrapoler l’évolution prévisible de l’ouvrage et de la sécurité vis-à-vis de l’usager. Les différents outils présentés au Chapitre III et visant à l’évaluation structurale des ouvrages sont également applicables aux réparations et renforcements. D’une part, ils viennent compléter, étayer ou préciser un diagnostic concluant à la nécessité de la mise en œuvre d’un projet de réparation ou de renforcement ; d’autre part, ces mêmes méthodes peuvent être employées pour concevoir, dimensionner ou justifier la réhabilitation. En préambule à ce quatrième chapitre consacré aux actions de maintenance, de réparation et de renforcement, quelques termes issus du vocabulaire de la gestion des ouvrages d’art sont rappelés ci-après. Système de gestion de patrimoine. Tout gestionnaire de patrimoine, responsable de l’utilisation d’infrastructures notamment en maçonnerie, se doit de mettre en place un système de gestion de ses ouvrages. Cette obligation est par exemple rappelée dans la NF ISO 55000 (Afnor, 2014) et passe par un inventaire valorisé de son patrimoine. Ce système de gestion, en référence au vocable présenté dans l’Instruction technique pour la surveillance et l’entretien des ouvrages d’art (ITSEOA) dans sa révision de 2010 (Sétra, 2010), se décompose en 3 niveaux hiérarchiques : décisionnel, organisationnel et opérationnel. La politique de gestion ainsi mise en œuvre définit la maintenance qui s’applique à l’ensemble des ouvrages d’art, c’est-à-dire l’ensemble des actions de surveillance et d’entretien, voire de travaux, à réaliser sur les différentes structures. Surveillance. Les actions de surveillance peuvent être périodiques (contrôle annuelle, visite d’évaluation, inspection détaillée) ou continues (patrouillage, surveillance renforcée ou haute surveillance), nécessitant parfois de l’instrumentation. À l’issue de ces actions de surveillance, un diagnostic peut être déclenché et, en fonction du bilan structurel de l’ouvrage, différentes actions d’entretien ou de travaux étudiées puis planifiées. Entretien. Si la structure n’est pas atteinte, il s’agit d’actions d’entretien, qui peuvent alors être courantes (entretien courant) et réalisée la plupart du temps en régie par le gestionnaire, ou spécialisées (entretien spécialisé) si des moyens ou techniques à mettre en œuvre nécessitent l’intervention d’une entreprise spécialisée. Réparation. Si la structure est atteinte, qu’il y ait ou non un caractère d’urgence à l’intervention à déclencher, il est alors question de réaliser une action de réparation de l’ouvrage. Au préalable, et afin de définir l’ensemble des hypothèses à une étude de réparation, il est nécessaire de réaliser le diagnostic de l’ouvrage (section 2.1). Ce diagnostic consiste à approfondir les conclusions des inspections détaillées ayant montré des défauts structurels et mis en avant le besoin de méthodes destructives ou non, en investiguant l’ouvrage afin de définir l’origine des pathologies, affiner leur quantification, estimer l’évolution des matériaux et la durabilité de la structure. Le diagnostic peut également demander le recalcul de l’ouvrage. En fonction de la résistance résiduelle de la structure, l’étude de réparation (section 4.1.1) précise la nature des travaux à prévoir, qui peuvent aller du renforcement des zones de faiblesse en conservant la maçonnerie en place à la déconstruction/reconstruction de la maçonnerie.

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Priorisation. Les patrimoines en maçonnerie sont le plus souvent constitués de très nombreux ouvrages, d’âge relativement avancé. De ce fait, les gestionnaires sont amenés à devoir prioriser les cibles de leur politique. S’appuyant sur un solide recensement des ouvrages et de leurs caractéristiques (morphologie, dimensions, pathologies, environnement...) et sur une analyse patrimoniale et fonctionnelle, il existe des outils de priorisation telles que les analyses de risque (Cerema, 2021) qui, en combinant les différents facteurs d’aléa et de vulnérabilité, permettent de définir un indice de risque.

4.1.

Le projet de réparation

Le concepteur de réparation ne doit pas avoir d’idées préconçues sur les travaux à entreprendre. La qualité du projet réside dans sa capacité à « voir » l’ouvrage, à savoir « l’écouter », à reconnaître l’origine des agressions et leurs actions, à mettre en évidence les points faibles de l’ouvrage et les éléments pathologiques forts. L’étude doit se conformer aux contraintes techniques, juridiques, environnementales et d’exploitation (conservation de l’usage de l’ouvrage pendant les travaux).

4.1.1.

Établissement du projet de réparation

Le projet de réparation fait suite au pronostic. Il recherche la ou les solutions techniques permettant de remettre ou de conserver l’ouvrage dans des conditions de sécurité autorisant son usage conformément au programme fonctionnel demandé par le maître d’ouvrage. Il consiste, sur la base d’un programme fonctionnel défini par le Maitre d’Ouvrage, à définir les étapes suivantes : 

objectif des restaurations à envisager en fonction du programme prévisionnel : quels éléments fautil renforcer, remplacer, améliorer ou modifier pour répondre aux divers critères de sécurité ?  conception permettant de résoudre les insuffisances constatées et listées : quels sont les principales techniques qui vont répondre aux objectifs ?  type de travaux appropriés à l’ouvrage et aux améliorations recherchées : quels travaux et techniques sont à retenir ?  moyens à mettre en œuvre et procédures : quelles techniques permettent de se conformer aux contraintes d’exécution, environnementales, liées au site et à son usage et au phasage d’exécution ?  coût et délais : quel est le montant raisonnable (budget du maître d’ouvrage) de la remise en état de l’ouvrage ? Le projet est établi à partir d’un schéma de réflexion comportant le diagnostic, le pronostic, les risques encourus et une connaissance fine des évolutions probables. Le projet de réparation ne doit pas aggraver les désordres ou amplifier les risques encourus par l’ouvrage.

4.1.2.

Choix d’une technique

Le projet de restauration ou de confortement est unique tout comme l’ouvrage à réparer. Il doit être défini dans ses objectifs et ses orientations. Il doit assurer la mise en sécurité de l’ouvrage et ceci au moindre coût et dans une optique de pérennité de l’opération. Il importe d’analyser en détail les techniques de réalisation : 

étudier le comportement général de l’ouvrage dans chacune des phases d’exécution des travaux ; il faut examiner en particulier, les conséquences d’un ou plusieurs forages sur la réduction de portance de l’appui, d’une injection de coulis, d’une mise à sec d’un appui ou des risques d’érosion interne des sols lors de pompage dans les fouilles ;  établir des procédures détaillées pour l’enchaînement des tâches et les compatibilités de chaque opération avec la sécurité de l’ouvrage ;  définir les caractéristiques des matériaux d’apport et évaluer leur compatibilité avec les matériaux de l’existant ;  examiner les phases d’exécution, leur enchaînement et les délais de chacune pour établir le planning d’exécution globale des travaux ;  minimiser les aléas par une analyse préciser du coût, du planning et des risques de l’opération. Il faut donc disposer de reconnaissances initiales complètes, d’auscultations adaptées, d’un diagnostic sûr et d’un projet approprié et bien établi. Il faut également vérifier la compatibilité de la solution envisagée avec les contraintes environnementales, réglementaires, architecturales et celles relatives à l’hygiène et la sécurité.

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Les techniques courantes d’entretien (section 4.2) et de réparation (section 4.3) sont présentées de manière générale dans la suite de ce chapitre, afin d’aider au choix de la solution de réparation la plus adaptée ; pour plus de détails sur leur mise en œuvre, se reporter aux guides Fabem (Strres, 2016).

4.1.3.

Prise en compte de l’environnement

Le présent paragraphe est un rappel aux maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre de leurs obligations en termes de dispositions environnementales. Les ouvrages en maçonnerie sont majoritairement situés dans des zones rurales, sur le réseau départemental ou communal. Cette localisation en fait des habitats propices pour la faune et un lieu de développement pour la flore : les ponts en maçonnerie représentent 20 % de l’habitat des chauves-souris et 15 % des zones de reproduction (Cerema, 2016). La prise de conscience de la nécessité de préserver ces lieux et cette biodiversité a amené le législateur à réglementer les travaux afin de limiter leur impact sur le milieu naturel. Cette réglementation est en perpétuelle évolution et il est important de tenir compte dans chaque opération des dernières prescriptions. Dans le cadre de travaux sur la maçonnerie, la grande majorité des opérations est soumise à un régime déclaratif, permettant d’évaluer l’impact des travaux. En tout état de cause et indépendamment de tous régimes (autorisation ou déclaration), l’esprit de la protection environnementale s’articule autour d’une règle simple « Éviter, Réduire, Compenser ». Il existe deux grandes catégories de projet : soit « Installation Classé pour la Protection de l’Environnement » ICPE, soit « Installations, Ouvrages, Travaux et Activités », IOTA. La différence venant de la taille du projet et par conséquent, du niveau d’impact sur l’environnement. Dans le cadre des opérations de travaux sur ouvrages en maçonnerie, nous serons dans la majorité des cas soumis aux règles des IOTA et en premier lieu par la loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques. Cette loi vise à s’assurer du maintien de la qualité des eaux et de l’habitat qu’offre le cours d’eau. Chaque opération est classée dans une rubrique de la nomenclature. Les travaux ainsi classés sont soumis à autorisation ou déclaration selon bien souvent un volume d’eau impacté. Le tableau annexé à l’article R 214-1 du code de l’environnement intègre les travaux dans le titre III « Impacts sur le milieu aquatique ou sur la sécurité publique ». Bien souvent ce n’est pas l’ouvrage en lui-même qui entre dans le champ de cette obligation mais tous les aménagements utiles aux travaux (batardeaux, accès et nuisance de chantier, rejet de laitance…). Au plus tôt dans l’organisation du chantier, il est conseillé de s’intéresser à l’environnement direct et de s’adjoindre le conseil d’un écologue. Il permettra aux acteurs techniques de s’organiser avec les délais d’instruction nécessaires à la préservation du milieu naturel. Dans le cadre de travaux de maçonnerie, il peut être nécessaire d’obtenir des blocs. La réglementation des carrières permet de réouvrir une ancienne carrière mais pour un volume de pierres annuel n’excédant pas 100 m3 et 500 m3 au total. Il est intéressant pour le gestionnaire d’intégrer cette opportunité dans son programme d’opération. Les dispositions pour la protection du milieu naturel peuvent être considérées comme contraignantes pour le gestionnaire ou l’entreprise organisant des travaux. Il apparaît important dans ce guide de préciser que ces contraintes peuvent être anticipées afin que les réparations soient réalisées dans un objectif de durabilité de l’ouvrage comme de son environnement.

4.2.

Entretien courant/spécialisé

4.2.1.

Enduits de protection et drainage associé

4.2.1.1.

Drainage

Dans le cadre de l’entretien spécialisé des ouvrages maçonnées, le drainage doit être la première action à envisager. L’eau ne pouvant s’écouler librement va s’infiltrer de préférence par les joints, en se chargeant de carbonates, qui vont se déposer sous forme de concrétions sur les parements. Ceci est particulièrement apparent sur les ouvrages qui ne possèdent pas de dispositif de drainage.

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En l’absence de système d’évacuation des eaux (type gargouilles) ou si celui-ci est insuffisant (humidité persistante par endroit), des barbacanes peuvent être implantées à raison d’1 cm² par m² de surface drainée. S’il existe des gargouilles, il faut vérifier leur bon fonctionnement et éventuellement les remettre en état. Ce travail relève de l’entretien courant de l’ouvrage. Leur nettoyage consiste à enlever la végétation et les matériaux les obstruant et, si nécessaire, à effectuer un soufflage sous pression à l’eau en ayant soin de ne pas provoquer une fuite des matériaux de remblai. Il est nécessaire de s’assurer avant toute chose de la qualité du matériau de remplissage. Il est inutile de placer des barbacanes dans un remblai imperméable, auquel cas il est nécessaire d’envisager le remplacement du matériau de remplissage. Si le remblai de l’ouvrage a un faible pouvoir de rétention d’eau, les barbacanes sont placées dans des forages (Ø 60 à 70 mm) inclinés à partir de l’intrados au voisinage des naissances. Ces forages seront espacés de 1,50 m à 2,00 m sur une ou plusieurs rangées en quinconce. Les drains réalisés à l’aide d’un tympan en PVC muni à son extrémité d’une crépine (géotextile) sont scellés dans la maçonnerie. Ils pénètrent d’au moins 20 cm dans le remblai et dépassent d’au moins 10 cm le parement d’intrados afin d’éviter les coulures. 4.2.1.2.

Enduit de protection et ragréage

Lorsque la détérioration des pierres est surfacique et localisée, il convient d’enlever la partie friable et altérée pour la remplacer par un ragréage. Le ragréage par mortier dépend de l’épaisseur de la partie dégradée. Si celle-ci est faible (inférieure à 3 cm), un mortier est appliqué en utilisant un produit d’accrochage ou un grillage en acier inox ou en laiton spitté dans la pierre saine. Le mortier utilisé, qu’il soit hydraulique ou de résine époxy, chargé de poudre de pierre calcaire ou de sable siliceux convenablement dosé, permet de recréer l’aspect de la pierre. Pour une épaisseur de dégradation plus importante (supérieure à 3 cm), il faut ancrer le ragréage à l’aide d’armatures Ø 6 ou par des joncs de carbone ou de verre, scellés dans la partie saine des pierres. Elles servent à fixer un treillis soudé, des cadres Ø 6 ou un quadrillage avec fibre de carbone selon l’importance de la zone à traiter. Afin d’éviter la fissuration du ragréage lors des mouvements de la maçonnerie, ou lors du retrait de celui-ci, il est important, dans la mesure du possible, de respecter les joints existants en séparant le ragréage du reste de la maçonnerie par un joint.

4.2.2.

Rejointoiement

Une fois le drainage assuré, il faut ensuite évaluer l’importance du disjointoiement pour procéder à un rejointoiement qui protège la structure contre les infiltrations d’eaux et remplit un rôle esthétique de mise en valeur d’un parement (Figure 147). Il consiste en un regarnissage des joints d’une maçonnerie apparente, c’est-à-dire combler les espaces vides entre les pierres. Le joint de mortier est constitué de deux parties : 

le mortier de hourdage, au cœur de la maçonnerie, qui assure une transmission homogène des efforts entre les pierres ;  le joint proprement dit, qui constitue le parement sur une épaisseur d’environ 3 cm à 5 cm, dont le rôle principal est d’assurer l’étanchéité de la maçonnerie et de faire ressortir l’appareillage des pierres. Pour évaluer l’importance du disjointoiement tant en profondeur qu’en superficie, il est nécessaire de réaliser des sondages pour s’assurer de l’absence de vides cachés et de la consistance du mortier de hourdage. Si les désordres sont localisés en surface, il suffit de remplir la cavité préalablement nettoyée et purgée des matériaux défectueux avec le même mortier que pour le joint. Pour une dégradation importante du mortier de hourdage, la capacité portante de l’ouvrage est atteinte et il peut être nécessaire de procéder alors au renforcement de la structure. Pour obtenir un accrochage correct du mortier, il convient de dégarnir le joint sur une profondeur de 3 à 5 cm. Le fascicule 64 du CCTG précise que la profondeur sera au moins égale à deux fois l’ouverture du joint. Le déjointoiement ne doit pas détériorer les arêtes de briques ou moellons, ni déconsolider la maçonnerie. Le déjointoiement par jet d’eau sous forte pression est à proscrire, car la profondeur du dégarnissage est mal maîtrisée. Une fois dégarni, nettoyé et dépoussiéré, le joint doit rester humide pendant la mise en place du mortier afin de faciliter l’adhérence, éviter la dessiccation du joint avant sa prise et limiter le retrait.

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Le mortier utilisé doit être fin, bien dosé, peu perméable, plastique et de faible retrait. Les mortiers bâtards (mélange de ciment et de chaux), plus plastiques, peuvent convenir à ce type d’opération. Les joints devront être traités de telle sorte qu’ils permettent l’écoulement de l’eau de ruissellement. Il convient donc de proscrire les joints plats ou en saillies, qui se brisent sous l’action du gel ou du mouvement de la structure, ainsi que les joints en creux trop profonds, car ils retiennent l’eau. Le fascicule 64 préconise les joints en creux : « Les surfaces des jointoiements sont tenus en retrait d’environ 1 cm sur le plan des arêtes de moellons et de 5 mm sur les parements de pierre de taille et de brique ».

Figure 146 : Exemple de dégradation des blocs sur le pont de Cubzac (crédit photo : T. Stablon)

4.2.3.

Figure 147 : Rejointoiement du pont de Cubzac (crédit photo : R. Dorbessan)

Figure 148 : Remplacement de blocs du pont de Cubzac (crédit photo : R. Dorbessan)

Reconstitution/remplacement de bloc

La reconstitution partielle ou le remplacement des blocs (Figure 148) restent le meilleur garant de l’insertion de l’ouvrage dans son environnement en permettant, le cas échéant de conserver un patrimoine historique et architectural. En fonction de l’étendue de la dégradation, cela permet de sauvegarder les parties non détruites, si celles-ci sont suffisamment importantes. Le but de l’opération étant de compléter une construction ancienne par une construction nouvelle, qui aura toute la solidité voulue, il convient de s’assurer au préalable de la tenue des parties non démolies. La stabilité de l’ouvrage se pose pendant toutes les phases de travaux. Ainsi des travaux de confortement peuvent s’avérer nécessaires pour assurer la stabilité de l’ouvrage pendant une phase intermédiaire, en particulier au niveau des appuis (fondations et pile). Un cintre peut être réalisé en charpente bois ou avec des fermes métalliques. Il repose sur des appuis liés ou non aux piles et est muni de dispositif de décintrement (boîtes à sables, vérins, etc.). La valeur esthétique de la réparation tient au respect des formes et à l’harmonisation des parements entre les parties anciennes et les parties nouvelles. La récupération des pierres de la partie effondrée permet d’assurer un aspect satisfaisant, mais elles sont généralement en nombre insuffisant. Il faut alors en retailler, si possible dans les carrières d’origine afin de garantir l’aspect, en restant fidèle à la taille initiale, et la compatibilité physicochimique entre les blocs et le mortier de hourdage. Il convient de prêter attention à la déformation de la voûte soit au cours des travaux (déformation du cintre, tassement au décintrement) soit au cours de la vie de l’ouvrage (effets des charges d’exploitation, de la température et des déformations différées). Une trop grande souplesse risquerait de se traduire par des désordres sur les maçonneries. Il semble, de toute façon, préférable de rejointoyer le plus tard possible, c’est-à-dire après le décintrement et le remblaiement de la voûte, avec un mortier bâtard. Des joints peuvent être laissés non remplis afin d’assurer le rôle de joint de dilatation, notamment aux raccordements de la nouvelle structure à l’ancienne. Sur pile, des chambres d’élégissement peuvent être aménagées de manière à diminuer la descente de charge au niveau des fondations.

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4.2.4.

Dessalement

La dégradation de maçonneries par les sels est courante (Figure 146) et il faut alors envisager de traiter les parements contaminés pour des raisons historiques ou esthétiques. Avant toute tentative de dessalement, il est nécessaire de connaître la cause et la nature exacte de la contamination. Cette analyse doit inclure toutes les parties de la structure, y compris son environnement proche (remplissage, remblai...). Elle doit comprendre a minima le dosage des anions par un laboratoire spécialisé, suivant le protocole de mise en solution des sels avant analyse, même si les sels ne sont pas visibles. S’ils sont visibles en surface (efflorescences) ou en profondeur (subflorescences), il faut de plus les prélever et les faire analyser par un laboratoire. Le dessalement étant une action agressive, il faut systématiquement envisager de recourir à une méthode de conservation préventive qui, bien que longues à mettre au point, permet d’éviter de s’engager dans un processus de dessalement toujours coûteux et rarement efficace à long terme. Les méthodes alternatives les plus courantes sont : 

le contrôle de l’environnement, qui vise à faire en sorte que l’environnement atmosphérique des maçonneries contaminées présente le moins possible de variations d’humidité relative, ou au moins que ces variations franchissent le plus rarement possible le seuil auquel les sels passent de l’état cristallisé à l’état dissous, et vice-versa ; ceci n’est possible qu’à l’intérieur des édifices.  l’insolubilisation des sels, qui consiste à transformer les sels solubles en sels non solubles ou peu solubles, par réaction chimique, sur des surfaces affectées par la cristallisation de gypse exclusivement ; le traitement, à base de bicarbonate d’ammonium, réagit avec le gypse pour former du sulfate d’ammonium ; mis au contact de l’hydroxyde de baryum, ce sel se transforme en sulfate de baryum, qui est un minéral très stable. En dernier recours, il peut être nécessaire de mettre en œuvre des méthodes de dessalement. Il est conseillé de purger les enduits et les joints désagrégés à sec avant de recourir à un dessalement. Il est évident qu’une purge ne doit être réalisée qu’après appréciation de la valeur historique des mortiers et prélèvements éventuels visant à assurer la mémoire des phases de construction et restauration de la structure. Les méthodes de dessalement les plus courantes sont :  

l’élimination mécanique à sec : avec une brosse coco et une aspiration, c’est sûrement la méthode la plus simple et la moins coûteuse qui permet d’éliminer une grande partie des sels superficiels ; la méthode des compresses : l’application d’un matériau hydrophile sur le parement permet à l’eau d’y pénétrer et de dissoudre les sels solubles. La différence de concentration en sels existants entre la solution saline du parement et l’eau de la compresse engendre un mouvement d’ions vers la compresse. La compresse doit avoir des pores plus petits que les substrats, pour assurer une succion correcte des saumures par capillarité. Lorsque la compresse sèche, la force d’évaporation entre en jeu et les sels cristallisent dans la compresse. Il est à noter que la présence d’enduits sur la maçonnerie à dessaler peut interdire l’utilisation des méthodes « humides » en raison leur sensibilité à l’eau.

4.2.5.

Réfection d’étanchéité

La réussite d’un bon étanchement est un facteur essentiel de pérennité des ponts en maçonnerie. La réfection ou la mise en place d’un étanchement (Figure 149) devra prendre en compte les paramètres suivants :  la gravité des désordres consécutifs au défaut d’étanchement ;  la possibilité‚ ou non de maintenir la circulation pendant les travaux ;  l’existence ou non des gargouilles en état de fonctionnement ;  du profil en long de l’ouvrage et de ses abords. L’aménagement des abords peut être complété par la mise en place de barrières drainantes dans les remblais d’accès en remplaçant localement le matériau en place, ou en plaçant des drains au travers du remblai d’accès. Trois niveaux sont possibles pour étancher l’ouvrage :  position haute : réalisation de l’étanchement sous les couches de roulement ;  position intermédiaire : après décaissement partiel ;  position basse : directement sur l’extrados de la voûte. Le choix du niveau est souvent orienté‚ par d’autres considérations comme :  

l’état général de la voûte ; la qualité du matériau de remplissage ;

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 l’aménagement ultérieur de l’ouvrage (élargissement) ;  la possibilité d’interruption de la circulation ;  les autres désordres observés sur l’ouvrage. L’étanchement de surface convient aux ouvrages dont le matériau de remplissage a de bonnes caractéristiques. Après un décaissement partiel sur 0,30 m à 0,50 m, la mise en place d’un béton de propreté est suivie par le coulage d’une dalle mince continue en béton d’une épaisseur de 15 cm. L’épaisseur de la dalle peut augmenter si elle contribue à l’élargissement de l’ouvrage par des encorbellements. Ensuite, un complexe étanche classique est appliqué suivi par une couche de roulement de 6 cm à 8 cm (Figure 150). L’étanchement intermédiaire est à envisager pour des ouvrages ayant un remblai important ou des voûtes surhaussées dont le décaissement peut mettre en cause la stabilité. Le but est de créer des points bas pour y évacuer les eaux par l’intermédiaire de gargouilles. Transversalement un profil en toit inversé est à privilégier avec point bas dans l’axe de l’ouvrage (drainage de l’eau des tympans vers l’intérieur). La pente longitudinale de la forme sera au minimum de 1 % (i.e. 1 cm/ml). L’étanchement sur l’extrados, en imposant le décaissement total, c’est-à-dire l’extraction puis la remise en place du matériau de remplissage, est la plus efficace si elle est associée à la mise en place d’un bon remblai et d’un dispositif de drainage adéquat (Figure 151). Les difficultés rencontrées dans ce type d’étanchement sont liées au relevé de la chape le long des tympans, en particulier avec un étanchement à l’asphalte et les problèmes associés avec le compactage du matériau de remplissage.

Figure 149 : Réfection de l’étanchéité du pont de Cubzac sur une dalle béton avec feuille préfabriquée et béton bitumineux (crédit photo : R. Dorbessan)

4.3.

Figure 150 : Élargissement par une dalle généralisée du pont du Moulin de Bartou (crédit photo : T. Stablon)

Figure 151 : Décaissement total jusqu’à l’extrados pour diagnostic et réparation sur le pont de Cubzac (crédit photo : R. Dorbessan)

Réparation structurelle, renforcement, adaptation

Lorsque l’intégrité structurelle de l’ouvrage en maçonnerie est engagée, la reconstruction partielle ou totale de l’ouvrage est la solution qui permet de conserver les qualités paysagères, patrimoniales et de durabilité de l’ouvrage. Cette solution requiert un certain délai d’exécution et le recours à des entreprises compétentes et qualifiées. L’emploi de renforcements externes aux structures est envisageable pour répondre à des contraintes d’exploitation ne permettant pas la conservation de l’intégrité de l’ouvrage. Ces éléments externes entraînent une modification du fonctionnement de la structure.

4.3.1.

Injection

L’injection consiste à faire pénétrer, à partir de forages, un produit fluide dit coulis capable de remplir les vides pour combler des cavités, réduire la perméabilité ou améliorer les caractéristiques mécaniques des sols ou des structures. Les coulis d’injection sont caractérisés par leur performance et leur qualité de :

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 pouvoir de pénétration ;  stabilité du coulis pendant le traitement ;  résistance mécanique en fin de traitement ;  pérennité des produits injectés dans l’environnement du traitement. Les coulis les plus couramment utilisés sont : 

le coulis instable, dont le comportement varie en fonction du rapport C/E et des pressions : il est utilisé pour la régénération de maçonneries fissurées, de béton de chaux, le confortement rocheux ou le scellement d’ancrages ;  le coulis stable, dont le comportement varie peu en fonction du rapport C/E et des pressions grâce à l’ajout de bentonite : il est utilisé pour la régénération de maçonneries fissurées, la consolidation de sols sous fondation, l’encagement ou l’étanchement ;  le coulis de mortier, plus épais et de bonne résistance : il est utilisé pour le comblement de gros vides entre maçonneries, l’injection gravitaire et le remplissage de cavités. Les injections ne sont pas adaptées à tous les assemblages de maçonneries. Elles ne sont efficaces que si le remplissage entre les moellons est possible (absence de terres, d’argiles).

4.3.2.

Tirant, broche, épingle, ancrage

Les tirants, clous, broches, épingles et boulons d’ancrage (Figure 152, Figure 153 et Figure 154) peuvent être utilisés dans la réparation et le renforcement des ouvrages en maçonnerie pour :  mobiliser tout ou partie du sol environnant afin d’assurer la stabilité de la fondation ;  solidariser différents éléments de structures ;  limiter les déplacements ;  limiter l’ouverture de fissures. Ces techniques s’appuient sur des armatures passives ou actives, traversantes ou non, qui peuvent être laissées libres ou scellées partiellement ou totalement dans la maçonnerie. Il est conseillé d’utiliser préférentiellement des armatures passives car la précontrainte exerce des efforts concentrés importants que la maçonnerie peut avoir des difficultés à absorber.

Figure 152 : Tirant d’enserrement sur les tympans du pont de la Gendarmerie à Eymoutiers (crédit photo : T. Stablon)

Figure 153 : Tirant d’enserrement sur la voute du pont de Nedde (crédit photo : T. Stablon)

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Figure 154 : Tirant d’ancrage passif sur un mur à Rocmadour (crédit photo : A-S. Colas)

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4.3.3.

Élément de structure : contrefort, contre-mur, contre-voûte

4.3.3.1.

Contrefort, contre-mur

Le contrefort est un élément de structure en maçonnerie qui vient s’opposer par son poids aux sollicitations horizontales d’un mur (Figure 155). Cette technique était à l’origine utilisée pour diminuer les épaisseurs des murs à la construction. Elle peut également aussi utilisée en renforcement d’un mur existant ou lors d’un rehaussement pour reprendre une partie de la poussée des terres. Il présente l’avantage de s’harmoniser facilement avec l’ouvrage existant et d’être techniquement abordable par beaucoup d’entreprises de maçonneries. Néanmoins, la reprise des efforts horizontaux reste relativement limitée pour une emprise au sol relativement importante. Le contre-mur vient épauler la totalité de la surface du mur existant défaillant, en créant une nouvelle structure. Il permet de reprendre un mur dans le respect des techniques d’origine en s’intégrant bien à un site à forte valeur ajoutée. Il nécessite une bonne assise pour ne pas risquer d’aggraver un basculement du mur existant et une emprise au sol importante. La paroi ancrée reprend le principe du contre-mur mais avec un élément de structure en béton armé, donc plus fin (de 25 à 35 cm). Les poussées sont reprises par des tirants ancrés dans les remblais. Les travaux peuvent être envisagés après l’effondrement d’un mur haut ou devant des maçonneries très dégradées. La sécurité de la paroi dépend de l’ancrage des barres dans le terrain sain.

Figure 155 : Contrefort sur un mur de soutènement à Rocamadour (crédit photo : G. Viossanges)

4.3.3.2.

Figure 156 : Détail de la contre voute par profilés métallique du viaduc de St Ouen (crédit photo : T. Stablon)

Contre-voûte

Une contre-voûte consiste à plaquer une nouvelle structure contre l’ancienne et à faire en sorte qu’elle puisse travailler immédiatement en venant soulager la voûte. Ce système peut également être utilisé dans des opérations d’élargissement de la voûte. Contre-voûte par profilés métalliques. Des profilés métalliques standards sont cintrés selon la géométrie de l’intrados et solidarisés entre eux par des entretoises métalliques (Figure 156). L’assemblage des différents arcs peut être réalisé par platines d’extrémité et boulons HR. Ils reposent sur des chevêtres en béton armé ancrés par précontrainte dans le fût des piles. Le calage pourra être réalisé soit par des cales en acier, soit par un béton maté. Les arcs sont mis en contact avec la maçonnerie à l’aide de cales métalliques réglables. Au droit du calage, les irrégularités de la voûte et le non parallélisme avec les arcs seront repris par mortier de calage sans retrait. Cette solution est relativement rustique, rapide d’application et permet de garder apparente la structure maçonnée pour la surveillance et l’entretien. Elle présente néanmoins quelques inconvénients :    

une protection anti-corrosion coûteuse et difficile à bien réaliser ; son esthétique : il alourdit visuellement l’ouvrage et lui donne un aspect en mauvais état structurel ; si la voûte est dégradée, il faut prévoir un platelage entre les arcs ; comme tous les procédés par « en-dessous », il risque d’engager le gabarit.

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Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Pour atténuer les inconvénients, une solution consiste à enrober les arcs métalliques par du béton projeté. Il le protège de la corrosion, améliore l’aspect du renforcement et solidarise la maçonnerie dégradée, mais interdit l’aspect visuel à la structure. Cette solution plus coûteuse présente l’avantage de pouvoir être réalisée en deux temps : le cintre métallique peut être mis en place rapidement à titre de prévention lorsque la stabilité de l’ouvrage est précaire, la contre-voûte en béton complétant le renforcement si nécessaire. Contre-voûte en béton armé. Le principe consiste à préfabriquer des coques en béton armé, puis à les riper sous l’ouvrage. Elles prennent appui sur des chevêtres cloués aux piles par précontrainte avec incorporation de clés pour parfaire la liaison entre les deux. Elle peut aussi être réalisée en béton projeté prenant appui sur des chevêtres cloués aux piles et connectée à la voûte. La contre-voûte en béton armé classique ou en BFUP étant une structure indépendante, elle doit pouvoir supporter la totalité des charges, mais conserver une faible épaisseur pour ne pas surcharger les fondations et ne pas trop engager le gabarit. Ce doit être une coque et donc travailler comme telle. Pour ce faire, elle doit avoir un chargement pseudo radial, ce qui impose un glissement possible de la voûte sur la coque. Il faut donc incorporer entre la coque et la voûte un dispositif de glissement (film plastique + graisse). Cette solution semble bien adaptée aux ouvrages de portée supérieure à 15 m, à condition que la voûte soit circulaire et que la douelle ne soit pas trop dégradée. Outre leurs calculs, la mise en œuvre des coques demande une grande technicité de la part de l’entreprise.

4.3.4.

Béton projeté

Le béton projeté est un béton propulsé, après malaxage, sur un support sous forme de jet, en couches successives. Il est associé à un ferraillage de peau ou de béton armé. Son application est décrite dans la norme NF P 95-102, en cours de révision et dont la partie 2 sera spécifiquement dédiée à la protection, la réparation et au renforcement des ouvrages en maçonnerie, ainsi qu’aux fascicules techniques de l’ASQUAPRO, notamment sur la mise en œuvre et l’utilisation des bétons projetés fibrés dans la réparation et le renforcement des structures. Cette technique est utilisée dans les travaux souterrains ou en réparation d’ouvrages maçonnés lorsque la dégradation est évolutive et trop avancée pour que les autres types d’interventions soient suffisantes.

4.4.

Fondations et cours d’eau

La première question à résoudre est de déterminer s’il est nécessaire ou non de protéger les sols de fondation, de consolider, de reprendre en sous-œuvre, voire de reconstruire (Figure 157 et Figure 158). Dans une graduation de l’importance de l’opération, la réparation consiste souvent à procéder à de simples travaux de conservation d’un état existant par des améliorations ou la reconstitution des protections. Les travaux beaucoup plus lourds de consolidation ou de reprise en sous-œuvre doivent être justifiés par un diagnostic précis et réaliste. La question se pose de savoir à partir de quand il faut consolider un appui :  faut-il seulement maintenir et conserver en l’état ?  faut-il consolider et quels éléments ?  quels sont les critères de décision ?  quelles sont les conditions de garantie de la sécurité à respecter par l’ouvrage ? C’est le diagnostic, l’analyse des risques encourus et le pronostic qui permettent de répondre à ces interrogations. Les travaux répondront aux grandes orientations suivantes : Conserver l’état du matériau maçonnerie, même dégradé superficiellement : c’est souvent envisageable sans réduire pour autant le comportement normal ni accélérer les dégradations. Il faut laisser respirer les maçonneries sans les masquer par un enduit qui accumule l’humidité. Bien entendu, quand le parement a un rôle d’étanchéité vis-à-vis des maçonneries internes, il y a lieu de retrouver cette étanchéité par un rejointoiement ou une injection. Rejointoyer les maçonneries dégradées de la base des appuis : il faut mettre en place un rejointoiement de qualité, permettant de réduire les agressions en laissant les eaux circuler aux interfaces faute de réaliser un parafouille vertical profond. Il ne doit pas se traduire par la mise en œuvre de « cache-misère » en béton faiblement armé réduisant le débouché, surchargeant l’appui et le fragilisant.

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Améliorer ou restaurer la protection des sols environnant l’appui pour conserver leur état et leur portance, voire reconstituer un encastrement : ces travaux consistent à recouvrir le lit de matériaux inafouillables. Mis en œuvre sur les sols, les produits doivent être souples et toute technique de bétonnage de blocs, par exemple, doit être évitée. Parfois, le confortement consistera à enlever des blocs de protection trop conséquents et qui contribuent à provoquer des désordres en réduisant trop fortement le débouché. Supprimer ou limiter les agressions de l’eau des rivières est une bonne solution à recommander. Les techniques sont nombreuses comme la fixation du lit par des épis ou des digues, la création d’un seuil en aval ou encore de réalimenter la rivière en sédiments ou, si possible, de supprimer les opérations d’extraction de granulats. Les contraintes liées aux actions sur les cours d’eau nécessitent une étude hydraulique spécifique et doivent être étudiées assez en amont dans le cadre de la loi sur l’eau. Améliorer la portance des fondations par le comblement provisoire des cavités dans les sols sous la base des massifs à l’aide de sacs de sable par exemple. Ceux-ci ne nécessitent pas de coffrage latéral et peuvent constituer également une protection des fonds au pourtour. Ils peuvent être conservés dans des travaux de confortement définitifs en procédant à l’exécution d’un coffrage latéral et à une injection de clavage. Améliorer la portance d’un appui par un radier général en béton armé remontant sous forme d’un corset au pourtour de la fondation. Applicable en général aux ouvrages de faible ouverture (inférieure à 15 ou 20 m), cette technique assure une protection totale des fonds au pourtour et augmente la surface portante de la fondation superficielle en transférant au radier une partie des charges par frettage de l’appui sur le corset en béton amé. Le corset construit en trois parties a minima pour serrer sur l’appui par retrait du béton doit être de largeur limitée et de hauteur adaptée. Encager les appuis : l’encagement consiste à réaliser un écran étanche vertical qui supprime les circulations d’eau au sein des matériaux de fondation en béton de chaux hydraulique et sous la base du massif à l’interface avec le sol. Ces encagements doivent présenter une fiche suffisante sous le niveau moyen des fonds affouillables pour éviter la formation d’érosion à la base et derrière cet encagement. Reprendre en sous-œuvre : la reprise en sous-œuvre n’est à envisager que lorsque la portance des fondations de l’appui est insuffisante et que les techniques précédentes sont inadaptées. Les techniques de reprise en sous-œuvre sont plus lourdes, plus complexes et parfois dangereuses.

Figure 157 : Confortement des fondations d’une culée (crédit photo : DIR Méditerranée)

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Figure 158 : Renforcement de pile (crédit photo : DIR Méditerranée)

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CONCLUSION

Le présent guide présente une démarche de diagnostic complète permettant l’évaluation structurale des ouvrages d’art en maçonnerie existants et la conception, le cas échéant, de solutions de réparation ou de renforcement. Il rassemble l’état des connaissances du groupe de travail au moment de sa rédaction. Cette démarche est basée sur l’observation du patrimoine des ouvrages en maçonnerie et la compréhension de leur fonctionnement spécifique, complétée si nécessaire par des méthodes de calcul de complexité croissante. Elle requiert une bonne connaissance préalable des caractéristiques des ouvrages en maçonnerie. Les travaux du groupe ont également permis de mettre en évidence le besoin d’aller plus loin dans cette méthodologie et d’approfondir l’approche basée sur l’observation des performances passées des ouvrages en maçonnerie et validée par des outils dédiés à la maçonnerie, qui s’affranchissent des approches classiquement utilisées pour les structures en béton ou la géotechnique, puis d’en assurer la reconnaissance et la transmission par la profession. C’est l’un des objectifs du Projet National Dolmen – Développement d’outils et de logiciel pour la maçonnerie existante et neuve, qui démarre en 2021 et qui vise à proposer une révision du présent guide en 2025. Le second objectif fixé par le Projet National Dolmen porte sur la construction neuve. En effet, la maçonnerie a depuis longtemps démontré sa performance en termes de durabilité. En s’appuyant sur des matériaux locaux et des modes de construction non-industrialisés, elle propose une solution sobre, efficace et esthétique, particulièrement adaptée aux objectifs définis par la loi de transition énergétique, tant sur le réemploi optimal des produits de construction que sur la promotion d’une écologie territoriale. Elle peut donc constituer une solution pertinente et résolument moderne pour la construction neuve, dans le cadre de la mise en place d’une économie circulaire de la construction. La maçonnerie dispose ainsi de tous les atouts pour faire son entrée de plain-pied dans le XXIe siècle et réintégrer le catalogue des techniques de construction contemporaines et futures, avec l’élaboration d’un guide de conception d’ouvrages neufs, qui constituerait le complément naturel de celui-ci.

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VOCABULAIRE

Appareil (ou opus)

Disposition et agencement de pierres ou de briques qui constituent la maçonnerie.

Arche

Partie comprise entre deux appuis consécutifs.

Arrière-bec

Partie profilée d’une pile en rivière, côté aval, destinée à profiler la pile vis-àvis de l’écoulement des eaux et ainsi réduire le remous du courant.

Assise

Rangée de pierres plus ou moins plates dont la plus grande face est disposée horizontalement et formant la surface d’appui d’éléments accolés dans une construction.

Avant-bec

Partie profilée d’une pile en rivière, côté amont, destinée à profiler la pile visà-vis de l’écoulement des eaux et ainsi réduire le remous du courant et à dévier les corps flottants.

Bain de mortier

Couche de mortier déposée sur une assise et destinée à recevoir une autre assise. Poser à bain de mortier : c’est étendre une couche de mortier pâteux, puis, déposer dessus un élément de maçonnerie.

Balustre

Montant vertical en pierre constituant un des éléments du garde-corps d’ouvrages en maçonnerie.

Bandeau

Partie saillante des murs tympans matérialisant la voûte. Ils ont une épaisseur uniforme et leur matériau constitutif est généralement de très bonne qualité. Nota : La géométrie du bandeau n’est pas nécessairement représentative de l’épaisseur de la voûte. Il peut être aminci afin de donner une plus grande élégance à l’arc.

Barbacane

Orifice pratiqué dans un mur, une dalle, une voûte, destiné à l’évacuation des eaux de ruissellement et d’infiltration.

Bâtard

Résultat d’un mélange de deux produits différents. Un mortier, ou un coulis, bâtard comporte en général deux liants différents qui peuvent être dosés à divers pourcentages : chaux et ciment (cas le plus courant).

Batardeau

Ouvrage de protection, provisoire ou définitif, permettant de travailler à l’air libre plus bas que le niveau de l’eau.

Bentonite

Argile qui gonfle au contact de l’eau et possède un grand pouvoir thixotropique.

Boîte à sable

Dispositif provisoire destiné à permettre la descente progressive d’une charge.

Bouchon

Béton coulé au fond d’un batardeau ou d’un blindage, mettant ces ouvrages à l’abri des venues d’eau par le fond après épuisement de la fouille.

Boutisse

Pierre taillée dont la plus grande dimension est disposée dans le sens de l’épaisseur du mur, pour assurer un rôle de liaison des parements.

Brique

Élément de construction artificiel préfabriqué, de dimensions normalisées, généralement en terre cuite.

Caisson de fondation

Dispositif de fondation massive cellulaire permettant de s’appuyer sur le sol résistant, au-dessous du niveau de l’eau (caisson havé, caisson foncé à l’air comprimé)

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Calepin d’appareil

Dessin qui reproduit, à une échelle déterminée, la façade, la partie de l’édifice à construire.

Chape

Couche de mortier ou de béton, armé ou non, rapportée et de faible épaisseur. Revêtement d’étanchéité.

Chaperon

Partie supérieure d’un mur, souvent recouverte de tuiles, d’ardoises ou d’une maçonnerie afin de protéger le mur et de faciliter l’écoulement des eaux de ruissellement. Couronnement des avant et arrière becs.

Chaux

Terme générique désignant toutes les formes physiques et chimiques dans lesquelles peuvent apparaître l’oxyde de calcium et de magnésium (CaO et MgO) et/ ou l’hydroxyde de calcium et/ou de magnésium (Ca(OH)2 et Mg(OH)2).

Chaux aérienne

Aussi appelée chaux grasse, chaux constituée principalement d’oxyde ou d’hydroxyde de calcium qui durcit lentement sous l’effet du dioxyde de carbone présent dans l’air. En général, elle ne durcit pas sous l’eau, car elle n’a pas de propriétés hydrauliques. Elle peut être soit vive, soit hydratée.

Chaux vive

Chaux aérienne constituée principalement d’oxyde de calcium et de magnésium produits par la calcination de calcaire et/ou de dolomie. Les chaux vives ont une réaction exothermique au contact de l’eau. Elles se présentent sous différents états granulaires, allant de la roche à des matériaux finement pulvérisés.

Chaux hydratée

Chaux aérienne résultant de l’extinction contrôlée des chaux vives. Elle est produite sous forme de poudre sèche, de pâte ou de coulis (lait de chaux)

Chaux hydraulique naturelle (NHL)

Chaux produite par la calcination de calcaires plus ou moins argileux ou siliceux avec réduction en poudre par extinction, avec ou sans broyage. Toutes les NHL ont la propriété de faire prise et de durcir en présence d’eau. Le dioxyde de carbone présent dans l’air contribue également au processus de durcissement.

Chaux hydraulique (HL)

Chaux principalement constituées d’hydroxyde de calcium, de silicate de calcium et d’aluminate de calcium produites par mélange des constituants appropriés. Elles ont la propriété de faire prise et de durcir en présence d’eau. Le dioxyde de carbone présent dans l’air contribue également au processus de durcissement.

Cintre

Ouvrage provisoire permettant de supporter des structures en phase de construction.

Clé (de voûte, d’arc)

Dernier voussoir ou claveau que l’on pose au sommet d’une voûte, d’un arc ou d’une plate-bande, pour les fermer et mettre en compression la voute. Point le plus haut de la ligne d’intrados d’une voûte ou d’un arc.

Corne de vache

Voûte en cône tronqué facilitant l’écoulement des embâcles.

Couronnement

Partie supérieure, parfois en saillie, d’un mur, d’un parapet.

Couteau

Partie inférieure tranchante d’un caisson de fondation.

Dalot

Petit ouvrage hydraulique recouvert par une dalle, permettant à l’eau de passer sous un remblai par exemple.

Déjointoiement

Opération de démolition mécanique d’un joint pour effectuer ultérieurement l’opération correcte de rejointoiement.

Disjointoiement

Détérioration naturelle d’un joint.

Douelle ou intrados

Parement intérieur d’une voûte ou d’un voussoir, que l’on nomme aussi intrados.

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Partie inférieure d’une voûte, synonyme d’intrados. Elle est constituée de voussoirs ou claveaux. Les matériaux constitutifs de la douelle sont des moellons taillés avec une face rectangulaire, les quatre arêtes étant dans le même plan, et des côtés à faces convergentes, constituant ainsi un voussoir. Drain

Dispositif permettant de recueillir des eaux d’infiltration.

Élégissement

Évidement pratiqué dans une structure pour l’alléger. Il existe des voûtes transversales d’élégissement le plus souvent débouchant sur les murs tympans, et des voûtes longitudinales d’élégissement.

Enrochement

Ensemble de blocs destinés à protéger la base des appuis.

Épingle (ou clou)

Barre, en acier, mise en place dans des forages non débouchant, dans le sol ou un ouvrage, injectés ou scellés. Ces barres sont passives et ne sont sollicitées que par les déformations de l’ouvrage.

Étaiement

Dispositif provisoire qui permet de supporter une partie de la structure et les charges associées tant que cette partie de structure n’est pas autoportante.

Étiage

Baisse périodique des eaux d’un cours d’eau, plus bas niveau des eaux.

Évent

Conduit ménagé dans une maçonnerie pour l’échappement du coulis en excédent lors d’une injection.

Extrados

La surface supérieure d’une voûte, par extension surface supérieure d’un tablier de pont. Nota : Dans le cas d’une voûte en maçonnerie surmontée d’un remblai, l’extrados est la ligne fictive séparant la partie résistante de la voûte et le remblai. Le queutage n’est nécessairement pas régulier.

Ferme

Structure porteuse triangulée composée d’éléments en bois, en métal ou en béton.

Flèche

Hauteur entre la clé d’une voûte ou d’un arc et la ligne joignant les naissances.

Fondation

Partie de l’ouvrage assurant la liaison entre l’appui et le sol.

Fouille

Excavation dans laquelle sont construites des parties d’un ouvrage.

Fruit

Inclinaison du parement d’un mur par rapport à la verticale. Le fruit est négatif si l’inclinaison est dirigée vers l’extérieur.

Fût

Partie centrale d’une pile, d’un pieu ou d’un parapet.

Gélif

Qui s’est fendu ou peut se fendre sous l’action du froid, terme approprié pour des arbres ou des roches.

Gargouille

Dispositif d’évacuation des eaux pluviales destiné à éviter les coulures le long des parements.

Hourdage

Maçonnage de moellons assemblés au moyen de mortier.

Injecteur

Conduit ménagé dans une maçonnerie pour l’injection d’un coulis.

Intrados

Surface intérieure d’une voûte, d’un arc, d’un voussoir.

Joint

Se rencontre en parement d’une maçonnerie. Il remplit l’espace entre les pierres de parement et masque le mortier de hourdage dont il constitue la protection vis-à-vis des agressions extérieures. Interface entre deux éléments de maçonnerie.

Jointoiement

Remplissage des joints de maçonnerie dans leur partie apparente.

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Lacune

Absence d’un ou plusieurs éléments d’un appareillage en maçonnerie.

Lit

Dans une construction, intervalle empli de horizontalement les éléments de deux assises.

Maçonnerie

Matériau composite, mélange de pierres ou de briques et de joints de mortier.

Matage

Action de tasser ou de refouler une matière malléable (ex : un mortier dans un joint).

Moellon

Pierre à bâtir, brute, équarrie ou taillée. Sa masse est telle qu’il peut être manipulé à la main. Le comportement de l’ouvrage dépend de leurs caractéristiques physicochimiques (porosité, capillarité, perméabilité, gélivité, comportement thermique) et mécaniques. Les résistances à la compression simple varient fortement selon les roches (de 20 à 200 MPa).

Moise

Ensemble de deux pièces jumelles fixées de chaque côté d’autres pièces et servant à les maintenir.

Montée

Nom donné à la flèche pour les voûtes qui ne sont pas surbaissées.

Mortier

Mélange de liant (chaux, ciment) et de sable, délayé dans l’eau et utilisé en construction pour lier ou recouvrir les pierres.

Mur

Paroi en maçonnerie, en béton, ou autre matériau, destiné à enclore un espace ou à soutenir des terres.

Mur de front

Mur situé à l’avant d’une culée.

Mur de soutènement

Mur destiné à soutenir des terres.

Mur de tête

Mur composant une culée et servant, avec le mur de front, à supporter le remblai et les charges.

Mur en aile

Mur de tête sensiblement parallèle à l’axe de la voie franchie.

Mur en retour

Mur de tête sensiblement parallèle à l’axe de la voie portée.

Naissance

Extrémité d’une voûte ou d’un arc. Deux points les plus bas de la ligne d’intrados d’une voûte ou d’un arc.

Ouverture ou portée

C’est la distance libre entre les parements de deux appuis consécutifs.

Palplanche

Profilé en bois, béton armé ou métal, destiné à être battu dans le sol et à être assemblés en groupes jointifs pour constituer un élément de rideau.

Parement

Surface d’une partie de l’ouvrage.

Parafouille

Rideau étanche placé sous un ouvrage (radier, digue, barrage...) pour empêcher un écoulement d’eau (renard) ou un affouillement.

Parpaing

Bloc dont la plus grande dimension est disposée dans le sens de l’épaisseur du mur et dont les deux faces sont visibles en parement. Par extension, bloc de béton préfabriqué, de dimension normalisée, plein ou creux.

Pavé

Bloc de pierre ou de béton préfabriqué de dimensions régulières.

Perré

Revêtement de talus en matériau inerte.

Piédroit

Mur vertical ou légèrement incurvé de certains ouvrages (tunnel, cadres…).

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mortier,

qui

sépare

Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Pierre de taille

Élément de pierre destiné à faire partie d’une construction, appareillé et taillé conformément au calepin d’appareil. La pierre de taille, même de petite dimension, se différencie du moellon en ce qu’elle a une place précise à occuper dans l’ouvrage dont elle va faire partie.

Pieu

Élément allongé en bois, en béton ou en métal, destiné à transmettre les efforts au sol de fondation en profondeur.

Pile

Appui intermédiaire.

Plinthe

Assise de pierres placée, en saillie, au-dessus du tympan et formant corniche dans les ponts en maçonnerie.

Ponceau

Petit pont.

Quart de cône

Talus de remblai raccordant le remblai de la section courante à la culée.

Queutage

Partie supérieure d’une voûte de pont en maçonnerie surmontant la douelle. Les matériaux constitutifs du queutage sont usuellement des moellons ordinaires, non équarris.

Radier

Dalle posée sur le sol et formant fondation superficielle. Semelle généralisée aux dimensions de l’ouvrage.

Rampant

Face supérieure inclinée d’un mur en aile.

Récolement

Sur un ouvrage, en fin de travaux, le dossier de récolement décrit toutes les opérations réellement réalisées sur ce dernier.

Rein

Zone de la voûte, à mi-hauteur entre les naissances et la clé, sauf pour les voûtes peu surbaissées où cette zone se situe dans les sections inclinées d’environ 60° depuis l’intersection de l’axe verticale de la voûte avec la ligne joignant les naissances.

Rejointoiement

Technique consistant à appliquer un mortier dans les joints dégradés d’une maçonnerie après préparation de ceux-ci.

Remblai

Matériau de remplissage au-dessus de l’extrados de la voûte et soutenu latéralement par les murs tympans (ex : pierres cassées soigneusement rangées, graves, tout-venant…).

Redan

Relief en forme d’escalier permettant l’épaississement ponctuel d’un mur.

Sabot

Partie inférieure renforcée d’un pieu préfabriqué battu.

Semelle

Dalle reportant au sol de fondation ou aux pieux les efforts transmis par les appuis.

Surbaissement

Rapport de la flèche à l’ouverture d’une voûte ou d’un arc.

Tête de pieu

Partie supérieure d’un pieu.

Tirant d’enserrement

Barre en acier mise en place horizontalement dans un forage débouchant de part et d’autre de l’ouvrage.

Tirant d’ancrage passif

Barre en acier mise en place dans un forage non débouchant dans un ouvrage et injectée. Les tirants passifs ne sont sollicités que par les déformations de l’ouvrage.

Tirant d’ancrage précontraint

Tirant en acier dur, barres ou torons, mis en place à l’intérieur d’un forage, ancré dans le sol par injection puis précontraint (tirant actif).

Tympan

Mur vertical formant la façade d’un pont en maçonnerie, entre le bandeau et la plinthe.

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Groupe de travail : Évaluation structurale et conception de réparations des ouvrages d’art en maçonnerie

Vau

Partie d’une ferme, d’un cintre, qui soutient la voûte durant la construction.

Viaduc

Ouvrage dont le profil en long est « commandé » par la voie portée (vient de ducere : conduire et via : voie). Ce sont généralement des ponts autoroutiers ou ferroviaires. Nota : La dénomination n’a à voir ni avec la longueur, ni avec la hauteur de l’ouvrage

Vousseau ou voussoir ou claveau

Chacune des pierres taillées qui forment l’appareil d’une voûte ou d’une arcade.

Voûte

Ouvrage de maçonnerie cintré, constitué de pierres ou briques et limité par deux surfaces cylindriques et quatre plans. La partie porteuse de l’arche est la voûte. Elle peut être droite ou biaise, selon l’angle formé entre l’axe longitudinal de l’ouvrage et l’axe des appuis, et plus rarement courbes. La géométrie de la voûte est caractérisée par la forme de son intrados (voir section 1.3.2.2).

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